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© 2004, Ejan Mackaay. Version préliminaire d’un chapitre de Analyse économique du droit - II. Institutions juridiques (Éditions Thémis, Montréal et Bruylant, Bruxelles) (à paraitre). « The proper office of the tort system is to control avoidable blunders under existing technology, and that function will be compromised if it is assigned any more ambitious role. » Epstein, Richard A., Simple Rules for a Complex World, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1995, p. 103. Sommaire La responsabilité civile extracontractuelle ............................................................... 1 Les objectifs de la responsabilité civile extracontractuelle ..................... 3 A. Conception fondamentale .................................................................... 9 1 Les fondements économiques ................................................... 9 a. Le calcul de la prévention ............................................... 9 b. La minimisation des coûts liés aux accidents .............. 11 2. Les piliers de la responsabilité retrouvés ............................... 14 a. La faute.......................................................................... 14 b. La faculté de discernement .......................................... 17 c. Le dommage.................................................................. 18 d. Le lien de causalité ....................................................... 23 B. Raffinements et complications........................................................... 25 1. Raffinements au chapitre de la faute....................................... 25 a. La faute de la victime .................................................... 25 b. La responsabilité sans faute du le fabricant ................ 28 2. Complications administratives ................................................. 30 a. Les coûts administratifs ................................................ 30 b. Observations sur l’erreur judiciaire............................... 32 3. L’interface avec le pénal .......................................................... 33 a. Principes du droit pénal ................................................ 33 b. Les dommages exemplaires......................................... 36 Conclusion .............................................................................................. 43 Pour aller plus loin .................................................................................. 44 Bibliographie ........................................................................................... 46 ____________________________________________ La responsabilité civile extracontractuelle

La responsabilité civile extracontractuelle

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© 2004, Ejan Mackaay. Version préliminaire d’un chapitre de Analyse économique du droit - II. Institutions juridiques(Éditions Thémis, Montréal et Bruylant, Bruxelles) (à paraitre).

« The proper office of the tort system is to control avoidable blundersunder existing technology, and that function will be compromised if it is

assigned any more ambitious role. »Epstein, Richard A., Simple Rules for a Complex World, Cambridge,

Mass., Harvard University Press, 1995, p. 103.

SommaireLa responsabilité civile extracontractuelle ...............................................................1

Les objectifs de la responsabilité civile extracontractuelle ..................... 3A. Conception fondamentale.................................................................... 9

1 Les fondements économiques...................................................9a. Le calcul de la prévention...............................................9b. La minimisation des coûts liés aux accidents..............11

2. Les piliers de la responsabilité retrouvés...............................14a. La faute..........................................................................14b. La faculté de discernement ..........................................17c. Le dommage..................................................................18d. Le lien de causalité .......................................................23

B. Raffinements et complications........................................................... 251. Raffinements au chapitre de la faute.......................................25

a. La faute de la victime....................................................25b. La responsabilité sans faute du le fabricant ................28

2. Complications administratives .................................................30a. Les coûts administratifs ................................................30b. Observations sur l’erreur judiciaire...............................32

3. L’interface avec le pénal ..........................................................33a. Principes du droit pénal ................................................33b. Les dommages exemplaires.........................................36

Conclusion .............................................................................................. 43Pour aller plus loin .................................................................................. 44Bibliographie ........................................................................................... 46

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La responsabilité civileextracontractuelle

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© 2004, Ejan Mackaay. Version préliminaire d’un chapitre de Analyse économique du droit - II. Institutions juridiques(Éditions Thémis, Montréal et Bruylant, Bruxelles) (à paraitre).

Dans un important arrêt pris sous l’empire de l’ancien Code civil, Katz c.

Reitz1, la Cour d’appel du Québec a déterminé que le propriétaire qui, en

faisant ériger sur son terrain un édifice à appartements, cause l’écroulement de

la maison unifamiliale du voisin doit réparation à ce dernier, même s’il a pris

toutes les précautions raisonnables pour éviter cette éventualité. À première

vue la décision paraît classique : celui qui porte atteinte au droit d’autrui doit

réparer le préjudice ainsi causé. La règle a été codifiée dans le Code civil du

Québec de 1994 aux articles 991 et 9762, et la Cour d’appel a eu l’occasion

récemment de confirmer cette lecture des articles3. La réparation, pourrait-on

dire, restaure l’équilibre rompu.

La décision a pourtant créé tout un émoi. Elle paraissait mettre au rancart le

principe des systèmes civilistes qui fonde la responsabilité civile

extracontractuelle sur la faute4. La faute serait la conduite qui s’écarte de ce

qu’une personne avisée et prudente aurait fait dans les circonstances. La notion

varie, pour reprendre une formule classique, « selon l’époque et le lieu de la

faute prétendue. Il dépend des moeurs et des usages, ainsi que des moyens,

plus perfectionnés, de prévisibilité et d’évitabilité du mal, que la science

moderne confère à l’agent »5.

1 [1973] C.A. 230.

2 Le nouveau Code civil du Québec prévoit en son article 991 : Le propriétaire du fonds nedoit pas, s’il fait des constructions, ouvrages ou plantations sur son fonds, ébranler le fondsvoisin ni compromettre la solidité des constructions, ouvrages ou plantations qui s’ytrouvent. Art. 976 : Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinagequi n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou lasituation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. En droit français, voir l’art. 674 duCode civil.

3 Gourdeau c Letellier de St-Just, [2002] RJQ 1195 (CA). La jurisprudence française adopteégalement la position d’une responsabilité sans égard à la faute. Voir Civ. 3e, 4 févr. 1971 :Bull. civ. III, no 78 et 80 ; R. 1970-1971, p. 46, GAJC, 11e éd, no 74-75 (III) ; JCP 1971, II.16781.

4 Art. 1382 et 1383 du Code civil français; art. 1053 du Code civil du Bas-Canada (anciencode); art. 1457 du Code civil du Québec (en vigueur depuis 1994).

5 Savatier (1951), no 166, p. 208.

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 3

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Se pose alors la question de la logique qui sous-tend la responsabilité civile

extracontractuelle, en d’autres mots, de l’objectif ou des objectifs de ce droit. La

question a son importance, car elle détermine ce qu’il convient de traiter comme

une anomalie ou un affaiblissement du régime, par opposition à une simple

variante, et oriente la réflexion vers les remèdes qu’il serait à propos

d’adopter6.

LES OBJECTIFS DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE EXTRACONTRACTUELLE

Pour trouver une réponse à la question, le civiliste se tourne vers la

doctrine. Pour le droit québécois, Baudouin et Deslauriers7, auteurs du principal

traité en la matière au Québec, estiment que la responsabilité civile

extracontractuelle a « « (..) pour principale fonction de fournir compensation à la

victime d'un préjudice d'ordre personnel. Elle a aussi, à un degré moindre

cependant, un but préventif (..) »8.

Suivant ce point de vue, l’arrêt Katz s’expliquerait bien, mais non l’insistance

du droit sur la faute. La position soulève également des interrogations au regard

des faits. Si l’indemnisation était le principal but de la responsabilité civile,

pourquoi se donner du mal à identifier et à faire payer précisément les

personnes dont les actes ont un quelconque lien avec le dommage9? Pourquoi

admettre qu’une injonction soit prononcée contre la personne qui s’apprête à

accomplir un acte constituant une faute10? Il suffirait de traiter tout accident

6 Epstein observe que la responsabilité pour faute tout autant que la responsabilité sans

égard à la faute ont reçu des appuis importants au cours de l’histoire et fait état del’impossibilité de réaliser un consensus sur le choix entre les deux. (Epstein (1995), p. 93).

7 Baudouin/Deslauriers (2003).

8 Baudouin/Deslauriers (2003), no 67, p. 43-44. La réparation est proposée partout dans celivre comme le principal sinon l’unique objectif de la responsabilité civile. Voir par ex. nos

10 (p. 5-6), 15 (p. 9), 334 (p. 267).

9 Baudouin/Deslauriers (2003), no 16, p. 9-10.

10 Baudouin/Deslauriers (2003), no 220, p. 237.

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comme un problème d’assurance sociale11. C’était la solution néo-

zélandaise12.

En 1974, à la suite du Woodhouse Report, publié en 196713, la Nouvelle-

Zélande adopte une loi introduisant une assurance étatique pour toute blessure

accidentelle, qu’elle résulte d’une intervention médicale, d’un accident du

travail, d’un accident de la route, à la maison ou dans l’exercice d’un sport ou

d’autres causes, à l’exception d’accidents que la victime s’inflige à elle-même et

des maladies ordinaires. Tout citoyen ainsi que tout étranger victime d’un

accident peut faire valoir sa réclamation contre la caisse étatique administrée

par la Accident Compensation Administration. Le droit de poursuite fondée sur

la faute (negligence) pour les accidents régis par la loi, devenu sans objet, est

aboli, sauf pour ce qui concerne les dommages exemplaires. Le régime est

financé, à l’origine, par une taxe sur les employeurs et les travailleurs

autonomes, par une taxe sur les automobilistes, par le système d’assurance-

maladie et par l’impôt général.

L’abandon de la faute n’est pas en général la solution qu’adoptent les

systèmes civilistes, ni d’ailleurs les systèmes de common law, bien qu’ils

connaissent des régimes de ce genre dans des domaines particuliers, comme

les accidents de travail ou les accidents de la route. La faute continue, en

principe, d’être un élément essentiel de la responsabilité civile

extracontractuelle. La formule employée dans le texte du Code est significative.

Elle prévoit la responsabilité extracontractuelle de celui qui, par sa faute, cause

11 Glanville L. Williams l’a déjà suggéré en 1951 : « It is commonly said that the civil action for

damages aims at compensation, as opposed to the criminal prosecution which aims atpunishment. This, however, does not look below the surface of things.(..) Is it to restore thestatus quo ante? (..) And could not we restore this status in some other and better way, forinstance by a system of national insurance ? » (Glanville L., (1951), 137-152, reproduitdans Ogus/Veljanovski (dir.), (1984), 103-105, à la p. 103). D’autres auteurs égalementvoient une pluralité d’objectifs à la responsabilité civile extracontractuelle. Voir parexemple : Linden (2001), chapitre premier; Tunc (1989) chapitre IV; Atiyah (1980), parties 5et 6.

12 Sur l’expérience néo-zélandaise, il existe une abondante littérature. La Corporation néo-zélandaise d’indemnisation (ACC - Accident Compensation Administration) a un site webavec une page historique à l’adresse : http://www.acc.org.nz/a/ahistory.htm . Sur lesespoirs suscités par le régime, on consultera Palmer (1979); Atiyah (1980), pp. 620-623;Gardner (2004), 591-612; Tunc (1989), p. 79-83. Sur ses effets réels et les réformes qu’ilsont rendu nécessaires, voir Danzon (1998), aux pp. 632-633; McEwin (1989),13-24.

13 Woodhouse Report.

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un préjudice à autrui14, et non pas le droit à réparation du dommage pour celui

qui, par la faute d’autrui, subit un préjudice.

Si la doctrine fournit une réponse qui, à première vue, concorde mal avec le

texte du Code et avec certains faits marquants, il y a lieu de s’interroger plus

longuement sur l’objectif de l’institution juridique. Le codificateur ne l’énonce

pas expressément. Il nous semble convenir de chercher la réponse en

examinant la structure de l’institution et en nous interrogeant sur les effets

qu’elle provoque chez les citoyens et sur les façons dont elle est censée

contribuer à leur coexistence pacifique, objectif général du droit. Pour mener

cette interrogation, l’analyse économique du droit fournit un apport précieux.

Elle part du principe que les institutions modulent le coût des différentes lignes

de conduite que les individus peuvent emprunter dans leurs interactions et

examine comment ils adaptent leur comportement en conséquence.

Le problème de la solution néo-zélandaise, comme les Néo-Zélandais l’ont

découvert à leur dépens et comme la théorie – nous le verrons – le prédit, est

que l’approche qui consiste à traiter tout accident comme un problème

d’assurance sociale entraîne une augmentation incontrôlée des frais liés aux

accidents. Pour la Nouvelle-Zélande, Danzon rapporte qu’entre 1975 et 1989,

les frais du régime augmentaient en moyenne de vingt pour cent par année, ou

six pour cent en monnaie constante15. L’explication est simple : personne n’a

plus intérêt à les limiter, pas les auteurs des dommages, chez qui augmente la

tendance au laisser-aller, que les économistes désignent du nom de risque

moral, pas davantage les représentants de l’État gérants de la caisse

d’assurance sociale, qui craignent de se faire taxer d’arbitraire en refusant de

payer des indemnités, avec les pressions politiques afférentes.

Les Néo-Zélandais ont dû réformer leur système de manière fondamentale

en 1992 pour contrer cette tendance. En matière médicale, ils ont institué un

financement basé sur des contributions par les médecins, comportant une

différenciation des primes selon les réclamations causées (experience rating) et

un bonus pour absence de réclamation16.

14 Art. 1382 et 1383 du Code civil français ; art. 1457 CcQ.

15 Danzon, Patricia M., (1998), à la p. 632.

16 Danzon (1998), à la p. 633.

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Un développement semblable, à plus petite échelle, a été observé au

Québec après l’introduction de l’assurance automobile étatique obligatoire pour

accidents causant des blessures17. L’assurance comportait, à l’origine, sans

doute en conformité présumée à sa logique sous-jacente de socialisation, une

prime uniforme pour tous les conducteurs et l’abandon du principe de la faute. Il

s’en est suivi une augmentation des accidents de la route18, comme on en avait

observé en Nouvelle Zélande dans des circonstances semblables19. Cette

réaction n’a rien d’étonnant dès lors qu’on admet que les individus répondent

aux incitations et « désincitations » financières. Les responsables du régime

québécois ont dû le redécouvrir. En réintroduisant une tarification différenciée

selon les accidents causés, le nombre global d’accidents de la route a baissé.

Au regard de ces considérations, il est permis de douter que l’indemnisation

puisse être le seul but de la responsabilité civile. Les faits rapportés laissent

entendre que la réduction du fardeau des accidents constitue une considération

tout aussi importante. La responsabilité civile peut-elle contribuer à cet objectif?

Baudouin et Deslauriers mettent en doute l’effet préventif de la

responsabilité civile extracontractuelle20. Contrairement à l’énoncé, normatif,

des objectifs de ce droit, cette affirmation-ci est de nature empirique : telle

institution n’a pas tel effet. La justesse d’une affirmation empirique s’établit par

l’observation de la réalité. Fort heureusement, il existe une étude très fouillée

portant sur la question par Don Dewees, David Duff et Michael Trebilcock21.

Cette étude examine en détail ce qu’il y a de recherches empiriques effectuées

dans cinq domaines, soit les accidents de la route, les accidents médicaux, les

accidents du fait des produits défectueux, les accidents environnementaux et

les accidents du travail. Elle conclut à l’échec du régime de la responsabilité

extracontractuelle (torts) dans sa fonction réparatrice et à son succès mitigé

17 Pour une comparaison du régime québécois et du régime néo-zélandais du point de vue

juridique, voir : Gardner (2004). En droit québécois : Boyer/Dionne (1985); Boyer/Dionne(1987); Devlin (1990); Friedland/Trebilcock/Roach (1990); Gaudry (1989); Gaudry (1992),aux pp. 471-498; Viney (1998).

18 Gaudry (1992), aux pp. 471-498; Gaudry (1989).

19 McEwin (1989).

20 Baudouin/Deslauriers (2003), no 12, p. 7-8.

21 Dewees/Duff/Trebilcock (1996).

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dans sa fonction préventive22. L’étude conclut en outre que la tarification

différenciée des systèmes d’assurance peut apporter un effet dissuasif

significatif23. Ces conclusions tendent à jeter le doute sur justesse de la thèse,

mise de l’avant par Baudouin et Deslauriers, et voulant que la principale

mission de la responsabilité civile soit indemnisatrice.

En insistant sur le lien causal et sur la faute, le droit reflète la conception

qu’il importe de faire payer précisément les personnes pour qui ces éléments

peuvent être prouvés. Le fardeau financier conditionnel imposé à un groupe de

personnes les incite inévitablement à examiner dans quelle mesure elles

peuvent éviter ou réduire ce fardeau. Les règles de la responsabilité visent à

orienter cet examen vers la recherche des moyens de réduire le dommage

créé. Les moyens peuvent être la prudence dans chaque cas concret, la

limitation du niveau général de l’activité génératrice de dommage ou la

recherche scientifique conduisant à terme à des produits ou des façons de faire

entraînant moins de dommage, et d’autres encore. Les règles de la

responsabilité civile ne préjugent pas de la direction précise que prendront ces

explorations. Elles créent cependant une pression générale en ce sens, et

entendent l’imposer à des personnes qui peuvent influencer l’étendue du

dommage.

Les considérations qui précèdent justifient l’hypothèse voulant que la

responsabilité civile a au moins les deux objectifs, jumelés, de dissuasion et

d’indemnisation. En quoi se distingue-t-elle alors du droit pénal? La différence

principale est que les personnes soumises à la pression préventive du droit civil

sont présumées sensibles aux incitations monétaires, ce qui sous-entend

qu’elles sont solvables. Pour ceux qui n’y sont pas sensibles ou qui sont

insolvables, il faut employer d’autres moyens de pression : les sanctions

pénales ou administratives. En outre, pour ceux qui agissent délibérément et

qui manifestent ainsi un mépris à l’égard de la pression préventive du droit civil,

on cherche un supplément de dissuasion, dans le droit pénal ou

22 Dewees/Duff/Trebilcock (1996), p. 412-413. Plus pessimiste encore est l’étude de Harris

(1991), pp. 289-308, qui conclut à l’échec des effets de dissuasion aussi bien qued’indemnisation.

23 Dewees/Duff/Trebilcock (1996) conclusion 4, p. 413. Teijl et Holzhauer rapportent desdonnées de l’assureur belge ABB qui pointent dans le même sens : Teijl/Holzhauer (1997),p. 231.

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éventuellement, en droit privé, dans les dommages exemplaires. Ces régimes

seront examinés plus en détail dans la deuxième partie de ce chapitre.

Il faut admettre cependant que la responsabilité civile extracontractuelle

connaît des difficultés pratiques qui en réduisent l’effectivité dans les deux

fonctions. Il peut s’agir, par exemple, de problèmes de déterminer l’auteur du

dommage et de rapporter la preuve de sa faute ou de ceux des frais du procès

et de l’insolvabilité des auteurs de dommage, ou encore des difficultés d’évaluer

correctement le dommage. Ces difficultés peuvent nous amener à concevoir

des régimes séparant les deux fonctions, comme cela a été fait dans beaucoup

de pays pour les accidents du travail et pour les accidents de la route. Il

n’empêche que, dans sa conception fondamentale, la responsabilité civile vise

à remplir, d’un seul coup, la double fonction de dissuasion et d’indemnisation. Il

s’agit là d’une remarquable économie de moyens.

Si cette lecture est juste, il convient de nuancer l’affirmation de Baudouin et

Deslauriers selon laquelle la responsabilité civile fait « peu de cas du caractère

antisocial de la conduite de l'auteur du dommage qu’elle ne sanctionne que s’il

existe un dommage, ou de la gravité de la faute commise »24. Les dommages à

payer constituent, en effet, la mesure, aussi exacte qu’on puisse la déterminer,

du « tort social » créé et de l’intérêt attaché à sa prévention. Le régime de la

faute rejoint notre intuition morale sur l’opportunité d’obliger l’auteur d’un

dommage à réparer le tort créé et ainsi « à racheter sa faute », tout en l’incitant,

ainsi que d’autres dans sa situation, à éviter de tels dommages à l’avenir.

C’est justement dans le droit pénal que le lien précis entre le tort créé et la

peine imposée est abandonné. Le vol du pain par le pauvre affamé est un vol

comme un autre, qui donne un casier judiciaire et peut entraîner des sanctions

graves. Malgré une certaine proportionnalité entre la gravité perçue de l’acte et

la peine imposée, le droit pénal n’exige pas de rapport direct entre les deux,

comme le fait la responsabilité civile. L’abandon, en droit pénal, du lien entre le

tort créé et la peine explique les précautions extraordinaires qu’il faut y prendre

pour éviter l’arbitraire. C’est le droit pénal et non la responsabilité civile qui est

régi par les principes du nullum crimen, de la nulla poena, de la présomption

d’innocence surmontée seulement par une preuve hors de tout doute.

24 Baudouin/Deslauriers (2003), no 67, p. 43.

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Il convient maintenant d’étudier le régime de la responsabilité civile, d’abord

dans sa conception fondamentale (A), puis en ajoutant des raffinements et des

complications (B).

A. CONCEPTION FONDAMENTALE

1 Les fondements économiques

a. Le calcul de la prévention

La logique d’incitation à la prudence que nous avons cru déceler dans la

responsabilité civile extracontractuelle mérite d’être explicitée. Pour fixer les

idées, commençons par un exemple simple, dans lequel le coût d’un éventuel

accident et la décision sur les mesures de précaution à prendre incombent à

une seule personne.

Considérons les suites de pannes d’électricité. Au Québec, l’électricité est

produite en monopole par une société d’État, Hydro-Québec. Admettons

qu’Hydro-Québec soit exempte de responsabilité pour les suites d’une panne

d’électricité et qu’il appartient donc au particulier consommateur d’électricité au

Québec de déterminer dans quelle mesure il convient de se prémunir contre

cette éventualité. Comme option préventive, l’intéressé envisage l’achat d’un

générateur, dont le coût, sur une base annuelle, s’établit à 500 $.

Pour déterminer s’il vaut la peine de l’acheter, il faut mettre ce chiffre en

regard des pertes que le générateur permet d’éviter. Faisons l’hypothèse qu’il y

a en moyenne 20 pannes d’électricité par an, que dix d’entre elles n’ont pas de

conséquences fâcheuses, les dix autres étant assez longues pour faire gâter la

nourriture dans le congélateur. Les pertes varient selon ce qui a été congelé.

Pour les fins de l’exemple, présumons que la valeur se situe entre 20 $ et 600

$, avec une moyenne de 40 $. Sur la foi de ces chiffres, le consommateur peut

s’attendre à perdre chaque année 400 $ par suite des pannes d’électricité. Le

générateur ne se justifie pas. Pour le dire autrement, ces accidents ne méritent

pas d’être prévenus; il vaut mieux assumer la perte.

Ces considérations font voir également en quoi la décision serait différente

si les pertes étaient plus importantes. Si vous appréhendez une autre tempête

du verglas, comme celle de l’hiver 1998, au cours de laquelle Hydro serait

incapable de vous livrer l’électricité pendant plusieurs journées de suite et vous

obligerait même à vous loger à l’hôtel, le générateur se justifierait. Le

raisonnement montre d’ailleurs que le préjudice aussi difficilement chiffrable

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 10

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que l’inconfort que vous subissez peut peser dans la balance. Vous achetez le

générateur dès lors que l’inconfort, ajouté aux pertes de nourriture, surclasse

manifestement, à vos yeux, le coût du générateur.

La schématisation de la décision, même intuitive, fait ressortir une

considération essentielle. C’est que le coût du préjudice appréhendé ou de

l’accident détermine dans quelle mesure se justifient les mesures de

précaution. Vous adoptez toutes les mesures de précaution dont le coût est

inférieur aux économies – même entièrement intuitives – que vous comptez

ainsi réaliser. C’est cette logique qui nous semble également sous-jacente à la

responsabilité civile extracontractuelle, compte tenu de ce que le préjudice se

déclare chez une personne, la victime, alors que les coûts de prévention

devront être engagés par une autre, l’éventuel auteur des dommages25.

25 Ce raisonnement nous engage à traiter comme comparables des coûts se manifestant

chez deux personnes distinctes. Parmi les économistes, il y a discussion sur le point desavoir si cela est légitime du point de vue théorique. La pratique du droit n’échappe pas àces comparaisons, même si elles sont faites de manière intuitive et donc voilée.

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b. La minimisation des coûts liés aux accidents

Graphique 1. Rapport inverse entre le coût total du dommage et le coûtdes mesures de prévention visant à le réduire

Pour approfondir nos réflexions, généralisons la logique simple de notre

exemple et envisageons une situation pouvant donner lieu à plusieurs formes

de préjudice, contre lesquelles un éventail de mesures de prévention est

envisageable. Le dommage qui se produit réellement est fonction de l’étendue

des mesures de prévention adoptées. (Graphique 1)

Le coût total des accidents diminue en fonction des mesures de précaution

adoptées, mais de manière non linéaire : les premières sources de dégâts sont

plus faciles à neutraliser que les suivantes, et ainsi de suite. Pour les mesures

de précaution, le rapport est inversé : les premières sont peu coûteuses, les

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 12

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suivantes le sont davantage. Il en résulte que plus amples sont les mesures de

précaution déjà prises, plus coûteuses seront les mesures additionnelles à

envisager pour réduire encore davantage le coût total du préjudice. Vouloir

prévenir tout préjudice nous obligerait à consentir des mesures de prévention

dont le coût serait prohibitif. À l’inverse, à s’abstenir de toute prévention, on

vivrait une situation où le préjudice serait écrasant. Ce qu’il convient de

rechercher est le point entre les deux où seront prises toutes les mesures de

prévention qui se justifient par les économies qu’elles réalisent au chapitre du

préjudice. (Graphique 2)

Graphique 2. Recherche de la mesure optimale de prévention

Admettons que nous nous trouvons au point a du Graphique 2 et que nous

nous interrogeons sur l’opportunité d’adopter des précautions additionnelles qui

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nous amèneraient au point b. La graphique fait voir que l’augmentation des

coûts que cela entraînerait est nettement inférieure aux économies réalisées au

chapitre du coût du préjudice. Ces mesures de précaution sont donc justifiées.

En les adoptant, on réduit le coût total lié aux accidents, qui est la somme des

coûts de la prévention et du préjudice des accidents non prévenus.

On pourrait raisonner de la même façon sur d’autres augmentations des

mesures de prévention et mettre en évidence les mesures qui se justifient de la

sorte et celles qui ne se justifient pas. Pour visualiser le point optimal, il est utile

de tracer la courbe représentant le coût total lié aux accidents, qui est la

sommation des deux courbes déjà tracées. (Graphique 3).

Graphique 3. Visualisation de l’ampleur optimale de prévention

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 14

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L’optimum serait atteint si les mesures de prévention avaient tout juste

l’ampleur qui correspond au point où la nouvelle courbe a son minimum. Sur

l’axe vertical ce point correspond au coût minimal que « la société » doit

supporter en rapport avec les accidents, soit sous forme de prévention, soit

sous forme de préjudice non évité.

2. Les piliers de la responsabilité retrouvés

a. La faute

L’optimum peut être lié à la notion juridique de faute. On pourrait en effet

considérer que celui qui cause préjudice à autrui en se situant à gauche du

point optimal n’a pas observé une prudence suffisante. Suivant le raisonnement

adopté à propos du Graphique 2, il lui était loisible d’adopter des mesures de

prévention supplémentaires dont le coût eût été inférieur à celui de la réduction

du préjudice causé, compte tenu de la probabilité de sa survenance. Une

personne normalement avisée aurait adopté ces précautions.

Le test formulé ici rappelle celui mis de l’avant par le juge Learned Hand,

pour expliciter le concept de négligence en droit américain26. Examinant le

dommage causé par un bateau qui, improprement enchaîné, s’était détaché

pendant une tempête et avait causé des dégâts, le juge a estimé que trois

considérations étaient pertinentes : (1) la probabilité que le bateau se détache

(P); (2) la gravité du préjudice qui en résulterait, le cas échéant (L); (3) le

fardeau des précautions à la disposition du défendeur qui auraient été

suffisantes pour le prévenir (B). Le défendeur était à ses yeux négligent s’il

n’avait pas pris les mesures préventives alors que B était inférieur à P * L.

Le juge Hand n’a fait qu’expliciter un test de négligence que les juges de

différents pays ont toujours utilisé27. C’est le cas des juges anglais et

américains, mais aussi de juges dans des systèmes civilistes tels les Pays-Bas,

comme l’a montré une thèse néerlandaise de la main de van Dam28.

26 United States v. Carroll Towing Co., 159 F.2d 169, 173 (2d Cir. 1947).

27 D’après Carbonnier, la faute civile est apparue en droit romain à travers la répression desdélits privés. La injuria et le damnum injuria datum, en particulier, seraient à l’origine de lanotion de faute élaborée par la suite. Carbonnier (1996), no 220, p. 373.

28 La Cour de cassation des Pays-Bas, par exemple, a employé un test semblable dans sadécision de l’affaire de la « trappe ouverte » (H.R. 5 nov. 1965, NJ 1966, 136), qui estrelevée par van Dam (1989), au no 79, p. 110. L’auteur examine le droit des États-Unis, del’Angleterre, de l’Allemagne, de la France et des Pays-Bas.

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Le « test de Hand» , comme il est connu dans la littérature, correspond au

raisonnement économique proposé, à ceci près que la prévention y est

présentée comme une affaire de tout ou de rien, plutôt que de degré, ou « à la

marge », comme raisonne l’économiste, pour qui chaque petit pas

supplémentaire appellerait la comparaison évoquée. Cette différence ne doit

pas cependant cacher le pont utile jeté ici entre le raisonnement du juriste et la

théorie économique, qui permet de « retrouver » la notion de faute (Graphique

4).

Graphique 4. La notion de faute retrouvée

Pour concrétiser ces idées, il est utile de relater un cas présenté par Teijl et

Holzhauer à partir d’une affaire qui s’est rendue jusqu’en Cour suprême

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 16

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allemande29. Le 6 août 1985, un motocycliste allemand entre en collision avec

un cerf traversant une route provinciale. Il poursuit l’autorité concernée - le Land

de Hesse - pour inexécution de son obligation d’assurer une circulation

sécuritaire (Verkehrssicherungspflicht). Le défendeur s’était contenté de placer,

le long du tronçon de route, des panneaux d’avertissement de traverse

d’animaux, mais n’avait pas jugé bon de construire une clôture. Le demandeur

a été débouté en trois instances.

Quels étaient pourtant les faits? Il s’est produit, sur le tronçon en question,

entre 50 et 60 collisions au cours des années 1984 et 1985. D’après les chiffres

rapportés par Teijl et Holzhauer, basés sur des données réelles, le dommage

matériel s’élève en moyenne à 2 000 NLG30. Dans un accident sur environ 5,6,

il y a des blessures, dont le montant est évalué en moyenne - sans doute de

manière conservatrice - à 9 300 NLG. Suivant ces chiffres, le coût total des

accidents s’élève à 203 000 NLG.

Au regard de ces coûts, il convient de considérer ceux d’une clôture. Teijl et

Holzhauer fournissent les chiffres suivants. S’agissant de 6 km de route, il faut

12 km de clôture. Une clôture d’une hauteur de 2 m. s’installe pour 25 NLG le

mètre. Coût d’installation total : 300 000 NLG. Amorti sur dix ans, le coût annuel

à ce titre est de 30 000 NLG. La perte d’intérêt sur le capital ainsi immobilisé est

évalué à 25 500 NLG par an. L’entretien coûte 4 000 NLG par an. Le total

s’établit à 59 000 NLG.

La comparaison des chiffres montre, hors de doute, que l’installation de la

clôture se justifie. Imperceptiblement, nous passons ici d’une simple description

à un jugement normatif : devant l’ampleur de l’écart, il aurait été de mise que le

juge considère l’installation d’une clôture comme faisant partie de la prudence

normale à observer à l’égard de la vie et du bien d’autrui. La proposition est-elle

réaliste? Teijl et Holzhauer estiment que les données qui ont servi à la

comparaison pourraient fort bien être présentées à la Cour en preuve.

29 Teijl/Holzhauer (1997), pp. 250-254. Aussi Schäfer/Ott (2000), p. 109. Décision de la

Bundesgerichtshof (BGH) du 13 juillet 1989 - III ZR 122/88 (Frankfurt), Neue JuristischeWochenschrift 1989, pp. 2808-2809.

30 Teijl et Holzhauer fournissent les chiffres en florins. C’est l’équivalent d’environ 900 € ou1 300 C$.

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Revenons au Graphique 4. Il reste à examiner la zone marquée « absence

de faute ». Elle désigne des situations où un dommage est créé sans qu’on

connaisse de moyens qui auraient permis à l’auteur du dommage de le réduire

à bon compte. La logique préventive n’a pas prise sur ces situations.

Quiconque assume le fardeau du dommage le traitera comme un problème

d’assurance31.

Ces considérations nous permettent-elles de déterminer qui, de l’auteur du

dommage ou de la victime, peut le mieux assumer le fardeau? S’agissant

d’assurance, on peut faire l’hypothèse, simplificatrice, que chacune des parties

peut s’assurer au même coût. Il s’ensuit qu’il vaut mieux laisser le dommage là

où il tombe, c’est-à-dire sur le dos de la victime, qui s’assurera. On

économisera ainsi les frais d’administration afférents à un régime de

transposition du fardeau.

C’est le principe général du droit civil en la matière. Il y a cependant

d’importantes exceptions. Il existe, en particulier, plusieurs situations où l’auteur

d’un dommage en est tenu responsable sans égard à la faute. Nous en

traiterons au titre d’un raffinement de la faute, dans la deuxième partie de ce

chapitre.

Les considérations qui précèdent fournissent une « lecture économique »

de la notion de faute et en éclaircissent le fondement. L’analyse économique

peut rendre le même service pour les autres éléments essentiels de la

responsabilité civile extracontractuelle.

b. La faculté de discernement

Le droit ne tient pas responsable la personne privée de raison : les enfants

en bas âge et les personnes souffrant d’un handicap mental. Pour ce qui est de

la première exception, il convient de noter tout de suite sa limite : l’enfant est

responsable du dommage qu’il cause à autrui « si son âge et ses facultés

mentales lui permettent d’apprécier la portée de ses actes »32. La distinction

s’explique difficilement dans l’optique de réparation. Même dépourvu de

discernement, l’auteur pourrait être solvable et en mesure de dédommager la

victime. La distinction est cependant pertinente lorsqu’elle est considérée dans

31 L’économie du risque et de l’assurance est examinée dans une note distincte.

32 Baudouin/Deslauriers (2003), no 94, p. 68.

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l’optique de la prévention. Il ne sert à rien de demander le calcul de prévention

à une personne incapable de l’effectuer. En revanche, il est opportun de le lui

demander dès qu’il en est capable.

Lorsqu’une personne n’est pas responsable de ses actes, faute de faculté

de discernement, d’autres personnes sont tenues, à sa place, de réparer le

préjudice. En première analyse, on pourrait croire que ce principe s’inscrit dans

une pure logique de la réparation : en son absence, la victime demeure sans

compensation pour le dommage subi33. Mais poursuivons l’analyse en

examinant qui est alors tenu de l’indemnisation. Ce n’est pas un assureur ou un

régime d’assurance sociale, mais plutôt le titulaire de l’autorité parentale de

l’enfant, ou la personne qui a la garde, la surveillance ou la charge du mineur

irresponsable, ou encore le tuteur ou curateur d’une personne non douée de

discernement, mais, dans ce dernier cas, seulement s’il a commis un acte

intentionnel ou une faute lourde34. On place ici la responsabilité sur des

personnes qui, par leur comportement général (ex. éducation des enfants) ou

concret (ex. surveillance), peuvent modifier les chances que l’enfant ou celui qui

est privé de discernement cause préjudice à autrui. Ces personnes

surveillantes sont en principe sensibles à l’effet incitatif du fardeau de la

responsabilité et en mesure d’effectuer le calcul de prévention qui leur est ainsi

demandé. Nous voilà de retour à la logique de la prévention35.

c. Le dommage

Il faut un dommage, pour qu’il y ait responsabilité. « Si un automobiliste

réussit à circuler à contre-courant sur une autoroute sans causer d’accident, il

n’encourt point de responsabilité civile (..) : il a commis une faute, mais n’a

point causé de dommage »36. La question du dommage soulève deux

interrogations, qui touchent la nature du fait dommageable et l’évaluation du

dommage.

33 Baudouin/Deslauriers (2003), no 94, p. 68.

34 Au Québec : 1459-1461 CcQ.

35 Pour les mêmes raisons, c’est le propriétaire de l’animal causant préjudice qui en est tenuresponsable. Il paraît moyenâgeux de tenir l’animal responsable! Au Québec, voir 1466CcQ.

36 Carbonnier (1996), no 205, p. 351.

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i. L’objet protégé

Si l’économie de la responsabilité civile vise à décourager le dommage

injustifié, toute atteinte à ce qui appartient à autrui et a une valeur pour lui

devrait en principe engager la responsabilité de son auteur et donner à la

victime le droit de demander à être indemnisée. La responsabilité, aux yeux de

l’économiste, internalise une externalité et fait ainsi assumer à chacun le coût

intégral de ses actions. On retrouve ici l’idée que, dans une économie de

marché, les participants chercheront à assurer des droits exclusifs sur tout ce

qui est rare.

Le droit exprime ce principe en exigeant une atteinte à un intérêt légitime

juridiquement protégé37. Cela exclut la responsabilité pour des actes ou des

paroles qui offensent les convictions morales ou la conception de la bonne

société mais qui n’entraînent pas d’atteinte plus spécifique à un objet qui est, au

sens économique, rare. Admettre de telles entraves comme source de

responsabilité restreindrait indûment la liberté des citoyens, encore qu’il

engendrerait une incertitude appréciable sur ce qui constituerait alors un

dommage38.

Une deuxième restriction vient de ce que le préjudice causé aux affaires

d’autrui par la concurrence ne donne pas lieu à responsabilité civile. Cette

restriction s’explique par la logique que nous avons cru déceler jusqu’ici. La

concurrence détruit certes le rapport entre un fournisseur et ses clients, parce

que ces derniers changent de fournisseur et trouvent leur compte dans le

changement. Mais justement, ces mouvements donnent ouverture aux

innovations qui sont la source des améliorations de notre bien-être à tous.

Vouloir les pénaliser au moyen de la responsabilité civile aurait un effet négatif

sur notre bien-être, sans compter que cela constituerait une sérieuse entrave à

la liberté des individus. Comment sont alors payées les pertes du malheureux

concurrent qui périclite? Elles sont assumées par chaque concurrent comme un

coût du risque, telle une assurance implicite, dans le prix des affaires qui

réussissent.

Notre société fait implicitement le pari que les gains procurés par la pression

concurrentielle et par l’innovation dépassent largement les pertes des affaires

qui périclitent. Le jugement est cependant circonscrit. On peut entamer la part 37 Carbonnier (1996), no 205, p. 353.

38 Epstein (1995) 109.

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de marché du concurrent par des moyens de concurrence loyale, mais non par

la diffamation, l’abus de sa marque de commerce ou le vol de secrets

commerciaux. La réputation, la marque et le secret commercial sont des actifs

d’entreprise avec lesquels elle améliore ses affaires. La réputation est un

moyen d’information précieux pour consommateurs qui ne peuvent juger sur le

champ la qualité des produits ou services proposés. Elle facilite les transactions

avec eux. Contrairement à la concurrence loyale, il est permis de douter que

l’atteinte à la réputation, l’abus de la marque ou le vol d’un secret commercial

promet de procurer des gains dépassant les pertes. La perte de confiance des

consommateurs aux moyens d’information dont ils se servent habituellement

pour faire leurs choix risque, au contraire, d’augmenter les coûts de transaction

et de ralentir l’opération du marché.

Le droit impose des contraintes au dommage susceptible de donner lieu à la

responsabilité civile. L’atteinte doit être certaine, plutôt qu’éventuelle. Seule la

victime, non un tiers, peut rechercher l’indemnisation du dommage qu’elle a

subi. Le droit civil ne connaît pas, en principe, de dommages autres que

compensatoires. Ces restrictions s’expliquent dans la conception suivant

laquelle la responsabilité doit encourager la prévention et où, par conséquent,

les dommages à payer constituent le barème exact sur lequel il faut aligner les

mesures de prévention à prendre.

ii. L’évaluation

L’importance d’évaluer correctement le dommage découle directement du

rôle de barème que les dommages-intérêts sont appelés à jouer pour les efforts

préventifs d’éventuels auteurs de dommage. Une surévaluation systématique

entraînerait une sur-prévention. Dans le cas de dommages subis par suite

d’interventions chirurgicales mal réussies, les dommages-intérêts très élevés

accordés en Californie au titre de la responsabilité professionnelle ont ainsi

entraîné d’abord une augmentation des primes d’assurance des chirurgiens,

puis l’impossibilité d’assurer certaines interventions et, partant, le refus de

certains chirurgiens de les effectuer : la prévention ultime est de s’abstenir de

l’activité risquée. À l’inverse, une sous-évaluation systématique devrait conduire

à une augmentation des événements dommageables. Les auteurs créent un

préjudice à rabais. Les dommages-intérêts déterminent le prix d’un

comportement risqué. Comme pour tout autre bien ou service, on en

consomme davantage lorsque le prix baisse et moins, lorsqu’il augmente.

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S’agissant de biens ou services pour lesquels il existe un marché,

l’évaluation peut se faire suivant le prix couramment pratiqué pour des objets

comparables ou suivant le prix de réparation, si l’objet endommagé peut être

réparé. Cette évaluation fait forcément abstraction des éléments subjectifs dans

la valeur que la victime attache au bien endommagé ou détruit. La différence

entre les dommages accordés et la valeur subjective de l’objet pour la victime

donne à cette dernière une incitation à s’assurer pour le surplus ou, le cas

échéant, à faire une contribution à la prévention de l’accident.

D’autres formes de dommage se prêtent moins facilement à l’évaluation.

C’est le cas, en premier lieu, du dommage corporel. À défaut de rétablissement,

les dommages doivent être établis à la somme qui placerait la victime dans une

situation qu’elle estime équivalente à celle qu’elle avait avant l’accident.

L’estimation n’est pas facile à faire39. On peut, bien entendu, déterminer la

valeur actualisée du revenu de la victime pour le restant de ses jours, en

partant de son salaire avant l’accident. Cela ne tient pas compte des

avancements qu’elle aurait pu recevoir, ce qui est particulièrement délicat dans

le cas de personnes en bas âge et de personnes ayant renoncé,

temporairement ou non, à un emploi rémunérateur pour s’occuper du ménage.

Le problème d’évaluation est encore plus délicat dans le cas de la personne qui

décède des suites de l’accident, soit sur le champ, soit plus tard. L’évaluer

comme dans le cas précédent donnerait les signaux justes aux auteurs de

dommage – il serait pervers que le décès de la victime soit « tarifé » moins cher

que sa blessure - mais affaiblirait l’incitation pour les proches de la victime à

s’adapter aux circonstances changées.

Les dommages peuvent être accordés sous forme de paiements

périodiques ou de somme globale. La somme globale donne à la victime

l’incitation de s’insérer le plus rapidement possible dans la vie sociale. Les

paiements périodiques, s’ils sont ajustables selon la situation de la victime,

découragent sa réadaptation : la victime y perdrait de l’argent. Cela peut justifier

la préférence accordée au paiement d’une somme globale dans le Code civil40.

On conçoit que des dommages par ricochet fassent l’objet d’indemnisation :

pour l’enfant d’une mère accidentée, qui naît avec un pied bot ou pour le

39 Voir Posner (2003), pp. 192-196.

40 Pour le droit québécois, voir l’art. 1616 CcQ.

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conjoint de la personne devenue paraplégique ou impuissant par suite de

l’accident41. Leur évaluation pose des difficultés pratiques.

Le préjudice moral, résultant d’une atteinte à la réputation, à l’intimité ou

généralement aux droits de la personnalité de la victime, soulève un grave

problème d’évaluation. Devant les difficultés de chiffrer ce préjudice, il est

tentant de fixer un montant modeste mais arbitraire ou encore de mettre en

doute son caractère dommageable. Il convient de rappeler que le montant que

fixe la jurisprudence devient le barème d’orientation pour ceux qui seraient

tentés de transgresser ces intérêts extra-patrimoniaux. La fixation de

dommages réalistes est donc essentielle dans une conception où le droit a

mission de faire respecter les droits42.

Dans le domaine contractuel, la réparation se limite, à l’intérieur de ce qui

est une suite immédiate et directe du fait dommageable, au dommage prévu ou

prévisible au moment de contracter, sauf cas de faute intentionnelle ou

lourde43. Pour comprendre l’intérêt de cette règle, considérons l’exemple du

développement d’un film contenant les clichés pris lors d’une expédition dans

l’Himalaya. Le client compte vendre les photos pour défrayer le coût de

l’expédition. Le commerçant qui développe le film peut prévoir des pertes

ordinaires si le développement échoue. Il ne pourrait pas prévoir comme

dommage le coût total de l’expédition.

L’analyse économique fournit ici l’explication. Le client, connaissant la

valeur exceptionnelle de ses films, est mieux à même que celui qui les

développe à prendre des mesures pour réduire le risque de perte : prendre

plusieurs clichés sur des appareils différents, souscrire une assurance

particulière ou encore dévoiler à son interlocuteur la grande valeur des films et

convenir avec lui de précautions exceptionnelles, moyennant un prix plus élevé.

Cet aménagement du fardeau des précautions n’est pas normalement

envisageable entre la victime et l’auteur d’un dommage en dehors du domaine

contractuel, vu que d’habitude ils ne se connaissent pas et ne sont pas en

position de négocier. Il faut néanmoins limiter les dommages aux suites directes 41 Baudouin/Deslauriers (2003), no 225, p. 161.

42 Dans le même sens, mais pour d’autres raisons, Baudouin/Deslauriers (2003), no 363, p.242.

43 En droit québécois, art. 1613 CcQ.

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du comportement fautif, l’auteur n’ayant pas prise sur éventail plus large

d’événements et ne pouvant donc les prévenir utilement. Pour les mêmes

raisons, l’auteur du dommage ne répond pas de l’aggravation du préjudice que

la victime pouvait éviter44. La règle donne un intérêt à la victime d’éviter pareille

aggravation. L’incitation de prudence donnée à la victime reviendra dans les

développements consacrés à la faute de la victime.

d. Le lien de causalité

Le lien de causalité sert à relier le dommage au comportement de la

personne qu’on veut en tenir responsable : sans ce lien, il n’y a pas de

responsabilité. Comme nous l’avons fait pour les autres éléments de la

responsabilité civile extracontractuelle, il convient de faire du lien de causalité

une lecture qui s’inscrit dans l’économie de la prévention des dommages. Dans

cette optique, donc prospectivement, le lien de causalité délimite l’éventail des

événements dont chacun doit tenir compte en déterminant le niveau de

prudence qu’il adopte dans ses activités. Le préjudice doit être une suite

immédiate et directe du fait dommageable45. Pour l’auteur éventuel d’un tel fait,

causalité et prévisibilité sont reliées. La prudence est sans objet à l’égard

d’événements dommageables sur lesquels on n’a pas prise, c’est-à-dire dont on

ne peut prévoir le lien avec son comportement.

Si le lien de causalité doit être direct, se trouvent exclus comme sources de

responsabilité les cas de causes diffuses et de facteurs intervenants. Une

cause diffuse se présente dans l’augmentation de l’incidence du cancer

observée chez les personnes dont la maison est isolée au moyen de la mousse

isolante d’uréeformaldéhyde (MIUF). Le cancer est-il juridiquement causé par le

produit isolant? À la suite d’un méga-procès, la jurisprudence québécoise a

répondu par la négative46.

L’analyse économique permet de s’interroger sur l’enjeu de cette décision.

Si le fabricant est rendu responsable d’un événement dont il ne contrôle que

très partiellement la survenance, il traitera ce fardeau non pas comme une

44 Pour le droit québécois : 1479 CcQ. Tunc affirme que l’obligation de limiter le dommage

aurait été reconnu pour la première fois en droit suisse : Tunc (1989), no 89, p. 73.

45 Pour le droit québécois, voir l’art. 1607 CcQ ; art. 1150 Code civil français.

46 Rita Berthiaume c. Val Royal Lasalle, [1992] R.J.Q. 76-264 (CS); confirmé en appel : [1995]R.J.Q. 2796-2827 (CA); Rita Berthiaume c. Réno-Dépôt, [1996] R.J.Q. 1323-1344 (CS;octroi d’honoraires spéciaux).

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incitation à la prévention mais comme un problème d’assurance. Le coût de

cette assurance est incorporé dans le prix du produit. Les consommateurs du

produit paient pour un risque lié à d’autres facteurs dans la vie des victimes :

l’environnement, la nourriture, le style de vie. En revanche, en l’absence de

responsabilité, le fabricant risque d’externaliser un problème lié à son produit.

On pourrait chercher la solution du dilemme dans la prise en compte des

probabilités. Mais le droit a du mal à admettre une causalité probabiliste : les

problèmes de preuve et d’évaluation de dommages sont nettement plus

complexes que ceux qui peuvent être convenablement traités dans le procès

traditionnel en responsabilité civile.

La deuxième hypothèse qui exclut la causalité directe est celle d’un facteur

intervenant. Un exemple est la situation où, par une imprudence, X blesse

légèrement Y et où l’ambulance qui transporte Y à l’hôpital entre en collision

avec une autre voiture, ce qui provoque le décès d’Y. X est-il tenu de réparer

les conséquences du décès? La réponse affirmative placerait sur le dos de X

un fardeau sans commune mesure avec le niveau de prudence qu’il a adopté. Il

faut alors prévoir que X fera de la sur-prévention.

Une variante de cette situation se présente lorsque plusieurs personnes ont

pu contribuer à la survenance de l’accident, sans qu’on puisse en déterminer

l’auteur précis. Plusieurs chasseurs tirent, un seul blesse la victime47. Doivent-

ils tous être considérés avoir causé l’accident? La logique préventive dicterait ici

que toutes les personnes dont le comportement aurait pu créer le fait

dommageable soient mises à contribution pour la réparation. Le droit québécois

les tient solidairement responsables48. Cette solution paraît juste du point de

vue préventif. L’auteur ajuste son comportement au risque de responsabilité

qu’il encourt s’il avait agi seul.

Voilà les grandes lignes de la responsabilité civile, en sa forme la plus

simple, sans friction, lue à travers le prisme de l’économiste. L’analyse a permis

de mettre au jour sa logique préventive sous-jacente. Il convient maintenant

d’examiner quelques raffinements et complications. S’agissant de la faute,

47 Exemple donné par Posner (2003), p. 184.

48 Art. 1480 CcQ. Une solution comparable est adoptée en droit français en vertu de l’art.1383 du Code civil.

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l’analyse doit être nuancée du fait que la victime peut, elle aussi, commettre

une faute et, en outre, du fait que la responsabilité et parfois imposée sans

égard à la faute, pour contourner les difficultés de prouver celle-ci (1). Dans un

deuxième temps, il convient d’examiner les effets des coûts administratifs du

système ainsi que ceux liés aux erreurs judiciaires (2). Ces complications sont,

pourrait-on dire, des coûts administratifs ou coûts de transaction associés aux

processus visant à faire reconnaître et à faire valoir ses droits.En dernier lieu, il

y lieu de s’arrêter sur le rapport entre la responsabilité civile et la responsabilité

pénale, ce qui nous permet de mieux situer la nouvelle institution des

dommages exemplaires (3).

B. RAFFINEMENTS ET COMPLICATIONS

1. Raffinements au chapitre de la faute

a. La faute de la victime

La première hypothèse qu’il convient d’envisager est celle où la victime

pouvait à bon compte prévenir le dommage. La logique préventive demanderait

alors que la victime soit mise en présence du coût de son imprudence en

devant assumer le coût du préjudice. Qu’arrive-t-il si aussi bien l’auteur du

dommage que la victime pouvaient à bon compte faire de la prévention? Nous

faisons alors face à un problème complexe d’incitations.

Pour fixer les idées, envisageons à titre d’exemple la situation où une

personne plonge dans une piscine, se frappe la tête contre le fond et poursuit le

propriétaire de la piscine en dommages, en alléguant l’absence d’avertissement

que la piscine était trop peu profonde pour y plonger. Le propriétaire répond

qu’il était facile de voir ce danger (les enfants marchent sur le fond, tout en

ayant la tête hors de l’eau) et la victime a été négligente en ne vérifiant pas49.

Plusieurs doctrines juridiques ont été employées au cours de l’histoire pour

résoudre le problème. La responsabilité pour faute simple et la responsabilité

sans égard à la faute aboutiraient à la responsabilité intégrale du propriétaire de

la piscine. Pour créer des incitations du côté de la victime, on peut envisager un

régime dit de faute contributoire (contributory negligence), suivant lequel

l'auteur n'est pas responsable dès lors que la victime a, elle aussi, commis une

faute. Dans l’exemple, le propriétaire ne serait pas responsable, vu la

49 Exemple emprunté à Cooter/Ulen (2004), p. 329.

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 26

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négligence de la victime. C’était la règle que suivaient traditionnellement la

plupart des systèmes de common law50, au contraire des systèmes civilistes51.

Ce régime peut être contrasté avec celui du partage de la responsabilité, qui

répartit le fardeau du dommage en proportion des fautes respectives

(comparative negligence). Dans l’exemple, à supposer que les fautes sont

jugées d’égale gravité, la victime pourrait recouvrer la moitié des dommages et

devrait assumer l’autre moitié. Ce régime est celui de la plupart des systèmes

civilistes modernes et, après des conversions au cours des trente dernières

années, de la plupart des systèmes de common law également.

Une dernière variante concevable est le régime de responsabilité sans

égard à la faute, mais qui admet une défense de faute de la victime : l’auteur

est responsable dès lors que la victime prouve le dommage et le lien de

causalité, mais il y échappe en établissant la faute de la victime. Dans

l’exemple, cela dégagerait le propriétaire de la victime de responsabilité.

Il est intéressant de comparer les mérites de ces différents systèmes, dans

différentes configurations de coûts de l’accident compte tenu de la probabilitéde survenance (D) et des coûts de prévention, pour la victime (Cvict) et pour

l’auteur du dommage (Caut). Pour simplifier, admettons que les mesures de

prévention s’envisagent pour chaque partie comme tout ou rien, plutôt que

d’être modulables. Le Tableau 5 montre les configurations de coûts

Tableau 5. Les effets des différents régimes de responsabilité

(Sont marquées ********* les cases où le régime ne donne pas des incitations optimales.)

Faute simple Fautecontributoire

Partage deresponsabilité

Responsabilitésans égard à la

faute

Responsabilitésans égard à la

faute, sauffaute de la

victime

D < Caut, Cvict Victimeassume D

Victimeassume D

Victimeassume D

Auteur assumeD

Auteur assumeD

Caut < D < Cvict Auteur prévient Auteur prévient Auteur prévient Auteur prévient Auteur prévient

Caut < Cvict < D Auteur prévient Victimeprévient

*********

Préventiondans certains

cas†

*********

Auteur prévient Victimeprévient

*********

50 Atiyah (1980), p. 141; White (1998), pp. 449-453.

51 Baudouin/Deslauriers (2003), no 556, p. 365; Carbonnier (1996), no 268, p. 442-444.

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 27

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Cvict < D < Caut Victimeprévient

Victimeprévient

Victimeprévient

Auteur assumeD

*********

Victimeprévient

Cvict < Caut < D Auteur prévient

********

Victimeprévient

Préventiondans certains

cas†

*********

Auteur prévient

*********

Victimeprévient

† Chaque partie se trouve devant le choix de prévenir ou d'assumer sa portion du fardeaude l'accident. En admettant l'égalité approximative des fautes, l'auteur prévient si 1/2 * D ≥ Caut; la victime prévient si 1/2 * D ≥ Cvict . Si D=100, Caut = 85 et Cvict =90, aucune des deux

parties n'a intérêt à prévenir (Les fautes ne sont pas tout à fait égales dans cette hypothèse).En revanche, si D=500, Caut = 85 et Cvict =90, chacune des deux parties a intérêt à prévenir.

Dans l'une comme dans l'autre hypothèse, il risque d'y avoir gaspillage ou confusion quant à lapersonne qui doit prévenir.

Le tableau montre que tous les régimes arrivent à donner les bons signaux

préventifs dans la plupart des hypothèses, mais qu’aucun régime n’arrive à les

donner en toute circonstance. Cette imperfection paraît difficile à réparer : le

processus judiciaire doit fonctionner avec des règles relativement simples52.

Cela exclut la comparaison des fautes dans chaque cas.

Le défi est alors de choisir le régime de manière à éviter les erreurs les plus

néfastes ou à laisser subsister celles qui le sont le moins. Dans cette optique, il

peut être intéressant de développer des modèles plus sophistiqués pour

comparer les différents régimes, comme l’a fait notamment Shavell53.

Plus intéressant encore est d’entreprendre des études empiriques visant à

comparer les effets des différents régimes. White rapporte plusieurs études de

ce type portant sur des comparaisons entre les régimes de faute contributoire et

de partage de responsabilité54. Pour réaliser ces études empiriques, la

question doit être particularisée : les études portent sur le domaine des

accidents d’automobile, en raison de la disponibilité de données et d’un nombre

suffisant de cas à étudier, aux États-Unis. On peut adopter plusieurs stratégies :

comparer la situation avant et après le changement du régime de la faute

contributoire au régime de la responsabilité partagée, ou comparer les États qui

ont le premier système avec ceux qui ont le deuxième.

52 Théme général de Epstein (1995).

53 Shavell (1987).

54 White (1998), pp. 449-453.

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 28

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Quelles variables utiliser pour la comparaison? Une option est de retenir les

dommages accordés dans des procès en fonction du verdict sur les fautes.

Cette option présente l’inconvénient que le décideur (juge ou jury civil, selon le

cas) peut modérer les dommages accordés même dans un système de faute

contributoire, ce qui fausserait les résultats dans le sens de la responsabilité

partagée. Une autre option est de regarder le niveau des primes d’assurance.

Si l’incitation à la prudence varie selon le régime juridique adopté, cela devrait

se refléter dans la fréquence et la gravité des accidents, statistiques sur

lesquelles se basent les assureurs pour fixer le niveau des primes.

On comprend toute l’ingéniosité mise dans les études empiriques visant à

comparer les régimes juridiques et la délicatesse des conclusions auxquelles

elles aboutissent. White conclut que les études recensées suggèrent que le

régime de la responsabilité partagée affaiblit les incitations à la prudence par

rapport au régime de la faute contributoire, mais elle admet que la preuve

rapportée n’est pas sans ambiguïté et mérite d’être reprise dans d’autres

études55.

b. La responsabilité sans faute du le fabricant

Nous avons évoqué à plusieurs endroits les régimes de responsabilité sans

égard à la faute. Il est intéressant d’examiner de plus près l’un de ces régimes,

la responsabilité du fait des produits ou responsabilité du fabricant. En droit

moderne, le fabricant d’objets manufacturés est tenu responsable, même à

l’égard des tiers56, du préjudice causé par le défaut de sécurité de son produit,

comme il l’est, à l’égard de l’acheteur du produit, pour les suites d’un vice

caché57.

Pour le dommage que le fabricant pouvait à bon compte éviter dans l’état

actuel de la technique, le régime a les mêmes effets que celui de la faute, à

ceci près que la preuve est sans doute plus facile à rapporter pour le

demandeur. Au-delà de ces accidents « évitables » à bon compte, la

responsabilité sans égard à la faute ne amène pas le fabricant à faire des

produits plus sécuritaires. Certes, le fabricant aura intérêt à apposer des

avertissements sur le danger du produit et sur les façons de s’en servir de

55 White (1998), 452.

56 1468, 1469 et 1473 CcQ.

57 1726, 1728-1730 CcQ.

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 29

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manière sécuritaire. Mais au-delà de ces mesures, le fabricant préférera

assumer le coût des accidents résultant de produits défectueux plutôt que

d’adopter une conception plus sécuritaire. Cela reflète le principe, déjà relevé,

que tous les accidents ne méritent pas nécessairement d’être prévenus. L’effet

du régime de responsabilité sans faute est donc d’associer aux produits de

manufacture une assurance obligatoire implicite assumée par le fabricant et

dont la prime est incorporée dans le prix d’achat de l’objet. Cette mesure aura,

bien entendu, pour effet de placer le produit hors de portée pour certains

acheteurs.

Il est concevable que l’acheteur eût préféré acheter l’objet tout en assumant

lui-même cette assurance ou en s’en passant, ou encore qu’il aurait pu en

souscrire une à meilleur compte. Nous ne pouvons découvrir ce qui en est, car

les droits modernes ne laissent pas au consommateur la liberté de contracter

pour renoncer expressément à des garanties en contrepartie d’un prix réduit.

Un auteur a récemment préconisé la « re-contractualisation » de la

responsabilité extracontractuelle, soutenant que la responsabilité est une

institution peu flexible contrairement au contrat, qui permet de façonner les

rapports sur mesure et qui, de ce fait, peut mieux refléter les préférences

individuelles58. Pour que cela fonctionne, il faut avoir l’assurance que les

contrats ainsi conclus sont à l’avantage des deux parties, ce qui ne va pas de

soi. C’est une question sur laquelle nous reviendrons au chapitre consacré aux

contrats.

En tenant ainsi le fabricant responsable, on ne diminue pas, du moins en

théorie, les accidents qui se produisent, par rapport à un régime de

responsabilité pour faute. On donne cependant au fabricant l’intérêt à

entreprendre des recherches sur ses produits dans l’espoir de réaliser des

innovations susceptibles de réduire le fardeau de sa responsabilité. Au chapitre

de la réduction des coûts par l’innovation, le fabricant est sans doute le

cheapest cost avoider, pour emprunter la terminologie adoptée au chapitre sur

le théorème de Coase. Les innovations profiteront aux consommateurs sous

forme de produits plus sécuritaires ou moins chers.

À ceci on pourrait objecter que les fabricants pourraient de toute façon avoir

un intérêt à faire des recherches sur leurs produits, même en l’absence d’une

responsabilité ainsi imposée. Les innovations en matière de sécurité ou de 58 Rubin (1993).

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 30

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performance des produits se monnaient sous forme d’un prix supérieur que les

consommateurs seraient prêts à payer pour les produits dont les qualités

supérieures leur auraient été démontrées. Le raisonnement est valable si

l’information peut être transmise de manière fiable aux consommateurs. Peut-

on en être assuré, au-delà des caractéristiques hautement « en vue »? C’est

une question dont nous discuterons au chapitre portant sur le droit des contrats.

Le droit moderne reflète, en tout cas, la croyance que la règle de la

responsabilité objective du fabricant a, sur ce plan, un avantage comparatif à

l’égard des acheteurs des produits, mais, surtout, à l’égard des tiers.

2. Complications administratives

a. Les coûts administratifs

Le modèle incitatif développé ci-dessus met en veilleuse les difficultés qui

se posent lors de l’application pratique des régimes. Ces difficultés constituent

des imperfections ou coûts de transaction. Leur présence ne doit pas nous faire

conclure que le modèle de base ne fonctionne pas. Les coûts de transaction

sont inévitables dans la vie réelle. Ils nous pointent cependant vers des

institutions qui ont pu être conçues comme correctifs. Les correctifs entraînent à

leur tour des coûts de transaction et la question pertinente est de savoir s’ils les

diminuent par rapport à la situation d’origine. L’intérêt des coûts de transaction

dans l’analyse économique ne réside pas tant dans leur présence ou absence

dans l’absolu que dans leur niveau comparatif sous différents régimes.

Pour que la responsabilité civile exerce correctement son effet dissuasif, il

faut, en premier lieu, que l’auteur du dommage soit identifiable et puisse être

poursuivi et condamné dans des délais tolérables et à un coût acceptable,

compte tenu des enjeux pour la victime. Il faut, en deuxième lieu, qu’il n’y ait

pas d’obstacles insurmontables à rapporter la preuve et que la cour ne fasse

pas d’erreur, ni dans l’appréciation des faits, et notamment du préjudice subi, ni

sur le droit. Enfin, il faut considérer les difficultés qui se posent une fois établis

les éléments nécessaires pour engager la responsabilité du défendeur : la

responsabilité civile ne jouera son rôle dissuasif qu’à l’égard des auteurs de

dommage qui sont sensibles aux incitations financières ; le défendeur

insolvable ou celui pour lequel un autre paie les pots cassés (judgement proof

defendants) doivent être rejoints autrement. Celui qui a commis un tort

intentionnellement ou en faisant preuve d’une insouciance grossière ne paraît

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 31

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pas non plus répondre à l’incitation à la prudence provenant d’une

condamnation aux seuls dommages compensatoires.

Voilà des contraintes de l’administration de la justice. Elles posent des

conditions qui ne sont pas toujours remplies et il convient d’examiner les

institutions mises en place à titre de correctifs. Le problème de la détection

trouve une réponse dans la création de la police et du droit pénal, que nous

venons d’examiner. Le problème du coût de la poursuite est combattu de

plusieurs façons : par l’octroi des dépens et les règlements limitant les frais

judiciaires, par l’aide juridique, par la cour des petites créances, par le recours

collectif, par les dommages exemplaires. Les délais de justice posent le

problème d’un bien collectif. L’accès à la justice est un service non abondant,

mais qui peut difficilement être rationné par le prix dans un état de droit, et le

sera donc par la file d’attente. Cette contrainte paraît insurmontable. On peut

cependant limiter l’accès à la justice à ceux qui ont un intérêt à agir et l’interdire

à ceux qui voudraient poser des questions purement théoriques. Pendant

longtemps, ce principe a été invoqué pour faire obstacle aux jugements

déclaratoires.

Les délais de justice peuvent faire l’affaire des défendeurs du fait que, par

exemple, des témoins disparaissent ou que les demandeurs s’épuisent. Le seul

délai est profitable, même en cas de condamnation certaine, dès lors que le

rendement commercial est nettement plus élevé que l’intérêt légal. Le correctif

à envisager est un taux d’intérêt dépassant le rendement commercial59.

Les difficultés de preuve donnent lieu à plusieurs correctifs : renversement

du fardeau de la preuve; présomption de fait, présomption de faute ou

présomption de responsabilité; responsabilité sans égard à la faute, institution

dont nous avons déjà traité. Nous traiterons de l’erreur de justice ci-dessous. La

difficulté d’établir les dommages peut être une raison d’admettre les dommages

exemplaires, dont ilo sera également question ci-dessous.

Les défendeurs insolvables ou autrement insensibles aux incitations

financières doivent être rejoints différemment. Le droit pénal permet le recours

à l’incarcération ou d’autres mesures exercées directement sur la personne du

défendeur. De manière préventive, de tels défendeurs peuvent être rejoints par

l’obligation de s’assurer.

59 Possibilité expressément envisagée à l’art. 1619 CcQ.

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 32

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Pour ce qui est des auteurs de dommage par intention ou par insouciance

grave, il est manifeste qu’ils n’ont pas été sensibles aux incitations financières

au niveau des dommages compensatoires. Mais on ne peut en conclure qu’ils

seraient entièrement insensibles aux incitations de type financier : on peut donc

envisager des dommages exemplaires, même gradués, et, s’ils n’ont pas l’effet

escompté, revenir au droit pénal.

Ajoutons maintenant quelques considérations sur l’erreur judiciaire.

b. Observations sur l’erreur judiciaire

L’erreur judiciaire risque d’atténuer les fonctions préventive et

indemnisatrice de la responsabilité civile. Bon nombre de règles paraissent

conçues pour diminuer ce risque, au prix d’augmenter le coût de la procédure. Il

en est ainsi, par exemple, de la règle de meilleure preuve et de l’interdiction de

la preuve par ouï-dire; de l’obligation de présenter les témoins devant la cour et

du droit de la partie adverse de les contre-interroger; du droit d’appel; de

l’impartialité de la justice qui oblige un juge de se récuser dès lors qu’il y a un

risque de conflit d’intérêt.

La logique esquissée ci-dessus peut être mise à contribution pour

comprendre la raison d’être de telles règles et plus généralement l’organisation

des procédures devant les tribunaux. On peut en effet considérer l’erreur

judiciaire comme une forme d’accident. Le risque d’erreur peut être réduite par

des mesures visant à améliorer la qualité de l’information présentée au juge et

par des procédures de révision et d’appel de jugements qu’on estime erronés.

Bien entendu, l’erreur judiciaire ne justifie pas des précautions infinies. Par le

raisonnement avec lequel le lecteur est désormais familier, les précautions

additionnelles — ici les règles destinées à améliorer la qualité de l’information

présentée devant le juge — se justifient tant que leur coût est inférieur au coût

des erreurs qu’elles promettent en moyenne d’éviter. Pour reprendre cette idée

autrement, la procédure refléterait l’objectif sous-jacent de minimiser la somme

des coûts de la procédure et du coût des erreurs.

Les facteurs qui composent ce test ne sont pas faciles à chiffrer. On ne

connaît pas le risque de l’erreur judiciaire. Le coût varie sans doute d’un dossier

à l’autre. On ne connaît pas non plus le coût additionnel que représente une

procédure qui oblige les parties à présenter toute la preuve devant la cour au

moment du procès par comparaison à celle qui fait plus largement appel à l’écrit

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 33

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et à des témoins experts nommés par la cour, même si l’on peut envisager des

expériences en laboratoire sur ces questions 60.

La logique évoquée permet néanmoins de tirer quelques conclusions sur les

grandes lignes de l’organisation des tribunaux. Les affaires présentées devant

la Cour des petites créances sont d’importance relativement mineure par

comparaison à celles qui font l’objet de litiges devant les tribunaux ordinaires de

première instance. Il en résulte que le coût de l’erreur judiciaire est moins élevé

pour les petites créances et, par conséquent, que les procédures justifiables

pour les éviter sont moins élaborées. Effectivement, les petites créances, du

moins au Québec, n’admettent pas la représentation par avocat, le juge y prend

un rôle plus actif et sa décision n’est pas susceptible d’appel. Un autre

phénomène explicable est que la Cour d’appel siège en formations de plusieurs

juges alors que, au Québec61, les cours de première instance fonctionnent à

juge unique. Les enjeux accrus des dossiers portés en appel et soupçonnés

d’erreur justifient cette mesure additionnelle.

Il est opportun maintenant d’étudier de plus près quelques institutions

conçues pour prendre la relève de la responsabilité civile lorsqu’elle ne peut

pas remplir adéquatement sa mission dissuasive : le droit pénal et les

dommages exemplaires.

3. L’interface avec le pénal

a. Principes du droit pénal

La responsabilité civile vise à faire assumer par l’auteur d’une faute le coût

entier du dommage causé, pas plus, pas moins. Les auteurs d’éventuels

dommages reçoivent ainsi les signaux exacts sur le niveau de prudence qu’il

leur appartient d’adopter à l’égard de la personne et du bien d’autrui. Ce régime

ne permet pas cependant de maintenir la pression dissuasive convenable si

l’auteur a la possibilité d’échapper à la responsabilité pour le dommage causé

ou risque d’être insensible aux signaux que comporte cette responsabilité. Dans

ces circonstances, il peut être à propos d’avoir recours au droit pénal ou aux

dommages exemplaires.

60 Par exemple Lind/Thibaut/Walker (1973); Lind/Thibaut/Walker (1976); Lind/Tyler, (1988);

Thibaut/Walker (1975); Thibaut/Walker/LaTour/Houlden (1974); Thibaut/Walker (1978);Walker/Thibaut/Adreoli (1972).

61 Mais non en France.

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Le droit pénal entraîne deux importantes modifications par rapport au droit

civil. Premièrement, la recherche du fautif est confiée à l’agence spécialisée

qu’est la police, et la poursuite, à des officiers de l’État : le parquet dans des

pays européens, les procureurs de la Couronne au Canada. En deuxième lieu,

le droit pénal abandonne le lien direct entre le dommage causé et la peine

imposée à la personne fautive, ce qui est d’ailleurs inévitable puisque le droit

pénal connaît des peines autres que monétaires (incarcération, mise en clinique

psychiatrique, etc.). L’absence de lien direct caractérise également les

dommages exemplaires.

En ce qui concerne l’initiative de la recherche et de la poursuite, la

différence avec la recherche et la poursuite privées vient de ce que l’agence

étatique opère à l’intérieur un budget fixe. Elle poursuit tant que son budget lui

permet de le faire, ce qui peut la limiter à s’occuper seulement d’une partie des

affaires qui mériteraient de l’être. La contrainte budgétaire l’incite en outre à

poursuivre dans les cas où elle a l’assurance d’une condamnation en raison soit

de la qualité de la preuve disponible, soit des faibles ressources que peut se

permettre le défendeur pour se défendre : les « petits » dossiers. L’agence peut

cependant obtenir par la condamnation, même dans un « petit »dossier, un

précédent utile dans des dossiers plus lourds, où le défendeur mettrait en

oeuvre d’importants moyens pour se défendre. En outre, la condamnation

renforce sa réputation de fermeté ou d’efficacité et peut induire les criminels à

collaborer avec elle ou à plaider coupable rapidement.

La contrainte budgétaire donne aussi à l’agence étatique un intérêt à régler

des dossiers au moyen de ce qui est connu au Canada comme la « transaction

sur le plaidoyer » (plea bargaining) : le prévenu accepte de plaider coupable si

la Couronne ne porte qu’un chef d’accusation moindre, abandonnant les chefs

plus graves. La contrainte budgétaire et le personnel limité font qu’en matière

de poursuite des atteintes à l’environnement, par exemple, l’agence étatique en

charge de l’application de la législation en la matière doit tabler sur des

ententes avec les industries concernées, sans pouvoir nécessairement faire

respecter en toute circonstance la lettre de la loi62. On peut cependant penser

que cette pratique assure un plus grand respect de la loi que ce qui aurait

prévalu si l’agence refusait de transiger et poursuivait tous les cas dont ses

moyens limités lui permettent de traiter. 62 Voir, par exemple, Hétu (1995), 265-290.

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 35

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Comparons cette situation à la poursuite par des particuliers63. Les

particuliers ont intérêt à poursuivre toutes les fois qu’ils estiment avoir une

cause gagnante et que les dommages-intérêts qui leur seront accordés

permettent normalement de recouvrer les frais de la poursuite et du procès.

Lorsque l’intérêt en jeu est suffisamment important pour justifier les frais de la

recherche, de la poursuite et du procès, le régime est de nature à placer tous

les auteurs de dommages devant le coût de leurs actes. Les dommages

exemplaires tablent sur la poursuite par les intéressés, tout en ajoutant une

composante punitive à la sanction.

Plusieurs particularités du droit pénal peuvent s’expliquer comme réponses

à la possibilité de dissimuler les actes fautifs. Il est intéressant de marquer les

différences par rapport au droit civil. D’abord, une sanction peut être imposée

pour un acte fautif qui n’est pas entièrement consommé. La tentative et le

complot sont punissables, alors qu’ils ne le seraient pas en droit civil, où, en

l’absence de préjudice, on n’engage pas sa responsabilité. En deuxième lieu, le

droit pénal abandonne l’exigence du lien direct entre le dommage créé et la

sanction imposée à son auteur. Il est vrai qu’il maintient une certaine

proportionnalité entre les deux de manière à assurer que des circonstances

aggravantes (ex. l’usage d’armes à l’occasion d’un vol) puissent entraîner une

augmentation de la sanction. Mais la sanction imposée n’équivaut pas au

dommage causé à la victime, comme en droit civil.

On dit que le crime est puni selon le tort créé à la société. Que pourrait

signifier cette formule? En droit civil, la sanction de la responsabilité civile doit

tout juste équivaloir au tort causé; cela est nécessaire mais aussi suffisant pour

décourager le comportement dommageable. Si le droit pénal a besoin d’un

surcroît dissuasif par rapport au droit civil, c’est que les auteurs de dommage

peuvent échapper à leur responsabilité, par dissimulation ou autrement, ou

parce qu’ils sont insensibles aux sanctions du droit civil pour cause

d’insolvabilité ou en raison de bénéfices personnels (plaisirs) qu’ils tirent de leur

activité fautive et que l’obligation de dédommager n’effacerait pas. Pour

échapper à l’arbitraire, le surcroît dissuasif dont le droit pénal frappe la

personne condamnée devrait être tout juste suffisant pour compenser ces

imperfections. 63 Posner ( 2003), 631-640 (ch. 23).

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 36

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Ce critère peut être convenablement opérationnalisé pour les dommages

exemplaires, comme nous le verrons ci-dessous. Pour le droit pénal, cela est

moins facile. Le droit pénal comporte cependant plusieurs principes visant à

circonscrire la liberté de sanctionner et à réduire le risque d’erreur, dont les

conséquences sont d’autant plus graves que le lien direct entre le dommage

causé et la sanction est abandonné. Ces principes sont formulés sous forme de

canons assez simples pour être opérationnels dans la pratique des procès.

En droit pénal, un comportement ne peut faire l’objet d’une poursuite que s’il

a été formellement interdit dans la loi au préalable (principe du nullum crimen

sine praevia lege); il en de même de la sanction (principe du nulla poena sine

praevia lege). La législation pénale doit donc être précise et détaillée. Les

textes doivent être interprétées restrictivement. Par contraste, les textes sur la

foi desquels est retenue la responsabilité civile sont énoncés en formules

générales et la sanction correspond simplement au dommage causé, soit la

perte subie et le gain dont la victime est privée.

Le prévenu au pénal est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire; il ne

lui incombe pas de se disculper. Sa condamnation ne peut être prononcée, en

droit canadien, que si sa culpabilité est établie au-delà de tout doute

raisonnable, alors que, en droit civil, la balance des probabilités suffit64. Le droit

pénal pondère plus lourdement l’erreur qui consiste à condamner une personne

innocente que celle d’acquitter une personne coupable; en droit civil, ces

erreurs sont en principe traitées comme équivalentes.

b. Les dommages exemplaires

Les dommages exemplaires65 ou punitifs sont en principe inconnus en droit

civil66. Les considérations développées en début de chapitre expliquent

pourquoi : en droit civil, le dommage éventuellement causé est le barème

suivant lequel on choisit la prudence qu’il convient d’adopter à l’égard de la

personne et du bien d’autrui. Le droit civil classique ne cherche pas à instaurer

la prudence au-delà de ce niveau. Accorder des dommages au-delà de cette

64 Art. 2804 CCQ.

65 Le terme « exemplaire » a la préférence de Baudouin/Deslauriers (2003), no 338, p. 271.

66 Sur cette question, en droit civil québécois : Roy (1995); Baudouin/Deslauriers (2003), nos

334-355, p. 267-299; dans un autre système de droit civil : Kerkmeester (1998), 1807-1813;en droit américain la littérature est très étendue; un résumé excellent, mais fort long, setrouve dans Polinsky/Shavell (1998); Karpoff/Lott (1999); Beaulac (2002), pp. 351-373.

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 37

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norme incite à la sur-prévention. Polinsky et Shavell donnent des exemples de

situations où la menace de responsabilité civile avec dommages exemplaires

est susceptible d’entraîner la sur-prévention67 : la defensive medecine (usage

excessif de tests dans le but d’éliminer tout risque de responsabilité civile);

dans les installations de pompage de pétrole, faire accompagner chaque

travailleur par un autre qui surveille ses activités; faire installer sur toutes les

rues à circulation dans les deux sens des séparateurs en béton; installer des

senseurs électroniques sur tout aiguillage sur des voies ferrées. La conclusion

qui s’impose au regard de ces exemples est que, aussi regrettable qu’on puisse

le considérer, certains accidents ne méritent pas d’être prévenus, ce qui ne

préjuge nullement de la question de savoir qui peut le mieux en assumer le

fardeau.

Le Code civil du Québec prévoit, depuis 1994, la façon d’établir les

dommages exemplaires dont d’autres dispositions du Code et des lois

particulières autorisent l’octroi :

1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêtspunitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisantpour assurer leur fonction préventive.

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstancesappropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, desa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation àlaquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le caséchéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateurest, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

Le texte ne précise pas comment déterminer les dommages exemplaires

dans le cas concret et relègue implicitement à la doctrine la tâche de préciser le

régime. Voyons ce que l’analyse économique peut contribuer.

Les dommages exemplaires apportent un surcroît dissuasif. Ils se

justifieraient dans les cas où le système de la responsabilité civile ne réussit

pas à imposer à l’auteur du dommage le fardeau qui l’incite à adopter la

prudence voulue. Plusieurs hypothèses sont envisageables. Une première se

présente dans les situations où l’auteur d’un dommage a de bonnes chances

d’éviter la condamnation, parce qu’il peut dissimuler ses actes ou que les

enjeux sont trop peu importants pour justifier la poursuite. Considérez, par

exemple, le commerçant qui adopte une pratique dont l’effet est de frauder des

67 Polinsky/Shavell (1998), p. 880.

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 38

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consommateurs, chacun pour une petite somme. La plupart n’en font rien,

jugeant que le coût d’une poursuite n’en vaut pas la chandelle. Si un

consommateur sur cent intente la poursuite et réussit à faire condamner le

commerçant à payer les dommages compensatoires, celui-ci peut néanmoins

trouver avantageux de continuer sa pratique : il perd le gain illicite dans un cas

sur cent – et paie les frais du procès – mais le conserve dans les 99 autres cas.

La pression dissuasive est insuffisante.

Une deuxième hypothèse est que les tribunaux, tablant sur les procédés de

preuve habituels, ne peuvent évaluer correctement le tort causé, comme en

matière de discrimination68. Une troisième hypothèse concerne les actes

commis dans l’intention de nuire. L’auteur des dommages risque alors de

demeurer insensible au paiement des dommages causés à victime, vu que le

gain ou la satisfaction personnelle (correspondant à son intention de nuire)

dépasse la somme à payer, lui promettant un gain net en poursuivant son acte

répréhensible, même après condamnation aux dommages.

Les dommages exemplaires ont pour but de restaurer la pression

dissuasive sur l’auteur des dommages, tout en laissant l’initiative de la

poursuite à un particulier plutôt que de la confier à une agence de l’État. Ils

doivent être conçus de manière à accorder des dommages qui dépassent

certes le dommage causé dans le cas concret, mais non dans un ensemble de

cas semblables et qui ne doivent pas créer des incitations à la surprévention.

i. Les actes dissimulés ou de minimis

Comment fixer les dommages exemplaires? Dans la première hypothèse

envisagée, celle du commerçant fraudeur, si un cas sur cent donne lieu à une

condamnation, la pression dissuasive est restaurée par des dommages-intérêts

équivalents à cent fois ceux qui seraient imposés dans le cas particulier. Ceci

présuppose que le tort causé dans chaque cas est identique — une

simplification acceptable. Si la probabilité pour le commerçant de se faire

prendre et condamner est de un sur cent, les dommages exemplaires doivent

être fixés à cent fois le dommage prouvé en l’espèce. Si le dommage prouvé

est de 50$, la condamnation appropriée est le produit de cette somme et de

68 Pour le droit québécois, voir art. 12 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne,

LRQ, chap. C-12.

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 39

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l’inverse de la probabilité, soit 5 000$, dont 50$ en dommages compensatoires

et 4 950$ en dommages exemplaires69.

Les dommages exemplaires s’établissent donc en appliquant un

multiplicateur au dommage prouvé. Si l’acte ne peut être caché et crée un tort

suffisamment important, aucun surcroît préventif n’est nécessaire; les

dommages compensatoires constituent à eux seuls le barème juste. Le

multiplicateur est donc égal à l’unité et nous nous retrouvons dans le régime

ordinaire. Polinsky et Shavell estiment que la catastrophe de l’Exxon Valdez est

de cette nature70. Exxon a admis d’emblée sa responsabilité et a débloqué les

sommes nécessaires pour le nettoyage et pour l’indemnisation des victimes.

Les dommages exemplaires ne serviraient alors, à leurs yeux, aucune fin utile.

Pour déterminer le multiplicateur dans les cas où les dommages

exemplaires s’imposent, le juge doit estimer la probabilité que l’auteur des

dommages se fasse poursuivre et condamner, et il doit en tenir compte dans

son jugement. Le fait qu’il y ait déjà des causes pendantes contre le même

défendeur avec un objet comparable serait de nature à augmenter la probabilité

et à diminuer les dommages exemplaires qu’il convient d’accorder. Il importe de

noter que, pour l’établissement des dommages exemplaires dans les cas

examinés ici, la situation patrimoniale du défendeur, évoquée à l’article 1621 du

Code civil du Québec, n’entre pas en ligne de compte.

La pratique sera sans doute amenée à simplifier l’opération en adoptant, par

exemple, une échelle de probabilités avec des incréments de 10 pour cent,

comme le montre le Tableau 6.

Table 6. Rapport entre la probabilité de poursuite et de condamnation dudéfendeur et le multiplicateur à appliquer aux dommages compensatoires

pour établir les dommages exemplaires71

Probabilité Multiplicateur

1% 99,0

69 Mathématiquement, si le dommage est D et la chance de se faire prendre et condamner est

de p, la condamnation totale doit être fixée à 1/p*D. La portion des dommages exemplairess’établit à 1/p*D - D, ce qui se réécrit comme (1-p)/p*D. Le terme (1-p)/p est lemulticiplicateur des dommages exemplaires.

70 Polinsky/Shavell (1998), à la p. 903-904.

71 Polinsky/Shavell (1998) p. 892 et table à la p. 962.

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5% 19,0

10% 9,0

20% 4,0

30% 2,3

40% 1,5

50% 1,0

60% 0,7

70% 0,4

80% 0,3

90% 0,1

100% 0,0

Mais, objectera-t-on, en admettant que la proposition rétablit le fardeau juste

du côté de l’auteur du dommage, la victime victorieuse ne reçoit-elle pas un

cadeau fortuit? À cela on peut répondre qu’il faut encourager les victimes à

surmonter la horror fori et à prendre l’initiative d’une poursuite, ce qui justifie

une somme dépassant le remboursement de tous les frais liés au procès. Sans

entamer cette fonction, une partie des dommages exemplaires pourrait

cependant être versée à un fonds pour l’indemnisation des victimes ou pour la

défense des victimes dans des affaires comparables, à l’État ou à un autre

organisme d’utilité publique.

ii. Les actes dont le tort est moral

Qu’en est-il des dommages exemplaires prévus dans les deux autres

hypothèses? La difficulté ici est que nous ne disposons pas du barème des

dommages compensatoires comme point de départ. Dans des cas d’un tort

« moral », tels que la discrimination, les dommages exemplaires accordent au

juge une marge de discrétion dans l’appréciation des dommages. Le nom de

dommages discrétionnaires risquerait cependant de faire mal paraître la justice.

La marge de discrétion doit être circonscrite.

iii. Les actes intentionnellement nuisibles

Le cas des actes intentionnellement nuisibles est plus difficile à saisir du

point de vue économique. Les choix auxquels s’intéresse l’économistes sont

tous des actes entrepris à dessein par un acteur rationnel cherchant à

maximiser son bien-être. Pour le décideur qui pourrait modifier son

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comportement de manière à éviter un dommage à autrui, le fait d’aller de l’avant

au risque de créer un dommage est, aux yeux de l’économiste, une décision

consciente, qu’une pénalité devrait l’amener à modifier. Ce qui caractérise l’acte

qui crée intentionnellement un tort à autrui est que ce tort procure en soi une

utilité, donc un avantage subjectif et personnel, au décideur, contrairement aux

situations où le tort est la conséquence incidente d’un comportement dont

l’utilité pour le décideur est ailleurs.

Les dommages exemplaires invitent ici le juge à estimer la somme

nécessaire pour anéantir l’avantage subjectif et personnel que retire l’auteur de

son acte. En imposant des dommages exemplaires, on peut espérer arrêter le

comportement visé. Ce test est difficile à opérationnaliser. Il n’y a pas de

marché pour ces avantages subjectifs et personnels, et donc pas de prix

perceptible. Son effet dissuasif pourrait être mesuré à la répétition des actes –

la récidive en droit pénal – mais le juge civil n’a pas accès à cette information.

Nous entrons ici dans le domaine propre du droit pénal et de la criminologie.

Polinsky et Shavell72 soutiennent que les dommages exemplaires n’ont pas

leur place à l’égard des entreprises. La mission des entreprises, qui se reflète

dans les structures de contrôle et de financement, est de produire des biens ou

des services de la manière la plus rentable. Elles sont sensibles aux signaux

financiers. Les seuls dommages compensatoires devraient suffire pour faire

corriger une décision erronée dans cette optique, c’est à dire pour faire

internaliser à l’entreprise des coûts externes non justifiés.

Pourtant, les dommages exemplaires sont souvent accordés aux États-Unis

contre les entreprises : fabricants d’automobiles ou autres produits industriels

dont la conception est jugée honteusement déficiente du point de vue

sécuritaire, comme le cas de la Ford Pinto73, entreprises causant des

catastrophes écologiques (Exxon Valdez) ou humanitaires (Union Carbide, dont

l’usine a explosé en Inde), entreprises pharmaceutiques dont les médicaments

72 Polinsky/Shavell (1998), p. 948 s..

73 Schwartz (1991). Une Pinto prend feu par suite d’une collision-arrière. Le risque d’un telincendie résulte du placement relativement risqué du réservoir d’essence, risque deconception connu du fabricant. La conductrice meurt dans l’accident ; le jeune garçon assisà côté d’elle est horriblement brûlé sur tout le corps. À part les dommages compensatoiresde 3 M$, le jury accorde 125 M$ en dommages exemplaires. Ce montant est par la suiteréduit à 6,5 M$ par la Cour d’appel. Voir Grimshaw v. Ford Motor Co., 119 Cal. App. 3rd757, à la p. 800; 174 Cal. Reptr. 348 (1981) à la p. 358, 376.

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ont des effets affreux dans un petit nombre de cas. En apparence, les

dirigeants des entreprise dans ces cas ont pris des décisions qui tolèrent

délibérément un risque pour la vie humaine ou pour l’environnement.

Le caractère délibéré de leurs décisions ne doit pas induire en erreur. Le

rôle social que notre système impute aux dirigeants d’entreprise leur demande

justement de peser les différentes options, dont la plupart, dans la société que

nous vivons, comportent des risques, même pour la vie humaine. Se fermer les

yeux à ces considérations reviendrait à refuser notre mode de vie, ou encore à

imputer une valeur infinie à la vie humaine, ce qui justifierait un niveau infini de

précautions pour éviter la perte d’une vie. Comment alors justifier les vies

perdues chaque année sur nos routes ? Cette conception paraît conduire à un

cul de sac.

Si les dirigeants font mal leur calcul préventif, les moyens de la

responsabilité civile ordinaire devraient normalement suffire pour les rappeler à

l’ordre. Il faut toutefois convenir que, lorsque la vie humaine entre en jeu, les

choses sortent de l’ordinaire. La particularité ici est qu’il n’y a pas de marché

pour la vie humaine et qu’on ne dispose donc pas d’un barème fiable pour

établir le prix à retenir aux fins du calcul des risques. On peut certes établir des

chiffres de manière indirecte, en tablant sur des « primes de risque » que les

travailleurs demandent pour des emplois à risque élevé, ou sur le niveau

d’assurance-vie que les gens souscrivent74. Mais ces extrapolations demeurent

sujettes à caution.

Il est donc possible que des décideurs, tablant sur de tels chiffres, arrivent à

faire un calcul de prévention qui produit des résultats que le bon sens qualifie

d’odieux. C’aurait été le cas dans l’affaire de la Pinto. La tragédie nous fait

découvrir que nous voulons pour l’avenir augmenter notre niveau de précaution.

Les dommages exemplaires faramineux accordés par la justice – en Californie,

le jury civil – constituent alors une façon de rappeler que, au regard des

résultats, la valeur de la vie humaine est sous-évaluée et doit être augmentée

dans les calculs préventifs. Le drame est que nous devons faire ces

découvertes par la perte de vies humaines.

À l’égard des individus, l’analyse des dommages exemplaires est différente.

Le niveau des dommages proprement punitifs, devant anéantir un avantage 74 Voir, en français : Sauvy (1977). En anglais : Viscusi (2000); Viscusi (2003).

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subjectif et personnel dont l’importance varie selon la richesse, peut proprement

être adaptée en fonction de leur situation patrimoniale, dans la terminologie de

l’art. 1621 du Code civil du Québec. Nous nous trouvons ici dans la seule des

hypothèses envisagées où ce facteur peut proprement être pris en

considération.

Au-delà de ces consignes générales, aucun test précis ne se dégage pour

guider le juge dans la détermination des dommages exemplaires dans le cas

des actes intentionnellement nuisibles. Il sied donc au juge de se servir avec la

plus grande circonspection du pouvoir discrétionnaire ainsi conféré.

CONCLUSION

La lecture économique de la responsabilité civile extracontractuelle met en

lumière la logique préventive dont sont imprégnés les fondements de

l’institution. La responsabilité protège les droits exclusifs sur des choses rares,

cherche à décourager les atteintes, internalise les externalités et met ainsi tout

le monde devant le coût intégral de son comportement.

L’institution sert en même temps à l’indemnisation de la victime. Cet objectif

ne peut cependant être le seul qui anime la responsabilité civile

extracontractuelle, car on risquerait alors de glisser vers une logique du « deep

pocket » (responsabilité à la mesure de la solvabilité du défendeur). Ce

glissement risque d’augmenter sans limite les coûts liés aux accidents et à leur

prévention, comme l’ont montré, aux années 1970 et 1980, l’expérience néo-

zélandaise et celle, plus restreinte, du Québec en matière d’assurance

automobile étatisée.

Que les fondements de la responsabilité civile extracontractuelle reflètent

une logique préventive profonde ne veut pas dire que l’institution accomplit

parfaitement son office. Les études empiriques jettent un ombre sur la réussite

de l’institution dans ses missions profondes de dissuasion et d’indemnisation.

On s’explique dès lors la mise sur pied d’institutions de remplacement mieux

conçus pour ces missions. Il importe cependant d’avoir au départ clarifié les

missions de l’institution remplacée ; on comprend mieux alors le recours aux

points de démérite pour inciter à la prudence sur la route ; la responsabilité

sans égard à la faute pour alléger les problèmes de preuve pour les victimes

d’accidents ; le recours à des formes d’assurance pour les accidents de la

route, pour les accidents du travail et pour les accidents catastrophiques. Ces

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institutions de remplacement soulèvent cependant d’autres problèmes, de

risque moral notamment, qui appellent, à leur tour, des correctifs. De nouveau,

l’analyse économique permet de saisir les fonctions et les dangers des

institutions correctrices. Pour les dommages exemplaires – institution inédite

dans les systèmes civilistes -- en particulier, elle montre qu’ils ne

contreviennent pas nécessairement à la logique civiliste et indique la façon de

les interpréter pour qu’ils s’y conforment.

Le droit de la responsabilité, avec toutes ses ramifications introduites par les

réformes, s’éclaire singulièrement à la lumière de l’analyse économique. Au

civiliste, l’analyse économique du droit propose une lecture qui n’est pas

fondamentalement étrangère à la tradition des grands auteurs de doctrine. Elle

conforte ses intuitions et le fait voir des liens d’une systématique propre à la

pensée civiliste75. Grâce à ses outils de raisonnement accessibles, elle

contribue à rendre transparente la structure profonde du droit civil. En écartant

les solutions qui n’en sont pas, elle oriente l’attention vers les questions qui

importent vraiment76 et nous permet de mieux saisir les implications de nos

intuitions morales.

POUR ALLER PLUS LOIN

C’est Calabresi qui, le premier, a employé l’analyse économique pour mieux

comprendre la responsabilité civile. Il a une belle plume et son livre demeure

très lisible (Calabresi 197077). Il en est de même de celui d’Atiyah qui présente

cette approche aux lecteurs britanniques (Atiyah 197078). Dans un livre

subséquent, Calabresi se penche sur les enjeux moraux des choix en matière

d’accidents et de leur prévention79. La première synthèse de l’analyse

économique de la responsabilité civile extracontractuelle, qui demeure un

classique, est Landes/Posner 198780. Moins accessible pour le juriste est

75 Dans le même sens, Fabre-Magnan (1992), p. 116, no 151.

76 Craswell (2003), 914.

77 Calabresi (1970).

78 Atiyah (1970).

79 Calabresi/Bobbitt (1978).

80 Landes/Posner (1987).

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l’ouvrage de Shavell 1987, paru la même année81. La recherche empirique sur

l’effet des différents régimes de responsabilité civile est résumée de manière

éclairante dans Dewees et al. 199682. Un collectif de Levmore reprend bon

nombre des articles fondateurs (Levmore 199483). Le débat sur les fondements

philosophiques est bien résumé par Englard 199384. Pour le rôle de la

responsabilité à la défense de l’environnement, on consultera Faure/Skogh

200385. Sur la question délicate d’attacher une valeur déterminée à la vie

humaine, ce qui se répercute sur les précautions justifiables pour éviter de la

mettre en danger, c’est Viscusi qui a fait œuvre de pionnier, par exemple

Viscusi 1998 et 200086.

81 Shavell (1987).

82 Dewees/Duff/Trebilcock (1996).

83 Levmore (1994).

84 Englard (1993).

85 Faure/Skogh, (2003).

86 Viscusi (1998); Viscusi (2000).

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LA RESPONSABILITÉ CIVILE 46

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