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LA QUÊTE DU BONHEUR PARTAGÉ À TRAVERS LA TRIADE ÉTHIQUE AFRICAINE LUBA-KASAÏ Thèse Sylvain Tshikoji Mbumba Doctorat en philosophie Philosophiae doctor (Ph. D.) Québec, Canada © Sylvain Tshikoji Mbumba, 2017

La quête du bonheur partagé à travers la triade éthique ... · tous les jours. L’enjeu consiste à montrer que, chez le peuple Luba-Kasaï, la visée éthique de l’existence

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LA QUÊTE DU BONHEUR PARTAGÉ À TRAVERS

LA TRIADE ÉTHIQUE AFRICAINE LUBA-KASAÏ

Thèse

Sylvain Tshikoji Mbumba

Doctorat en philosophie

Philosophiae doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Sylvain Tshikoji Mbumba, 2017

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LA QUÊTE DU BONHEUR PARTAGÉ À TRAVERS

LA TRIADE ÉTHIQUE AFRICAINE LUBA-KASAÏ

Thèse

Sylvain Tshikoji Mbumba

Sous la direction de :

Thomas De Koninck, Directeur de recherche

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Résumé

Trois tendances polarisent le débat philosophique en Afrique. La première tendance

considère la redécouverte des traditions et coutumes africaines comme la seule voie pour

faire advenir le développement et le bien-être des peuples. Cette position est apparue

dogmatique pour autant qu’elle fonde sa démarche sur des cultures repliées sur elles-mêmes.

La deuxième tendance, elle, proclame le vide de la rationalité et de la pensée dans les

traditions africaines, et annonce par-là la conversion à la science et à la technologie

occidentale. Cette position est aussi dogmatique parce qu’elle nie à l’Afrique toute forme de

rationalité. La troisième prend la voie de la réconciliation entre la tradition et la modernité,

en mettant à l’avant-plan le dynamisme des cultures africaines porté par le souci d’ouverture

et d’intégration des schèmes de progrès de la modernité. Pour les tenants de cette tendance

donc, la tradition et la modernité doivent s’interpréter et s’impliquer mutuellement pour une

vitalité sans faille. Mais à bien voir la question, ce débat est demeuré théorique et les

différentes tendances ont éludé la vraie question de l’existence humaine des peuples africains

qui, à notre sens, reste celle du bonheur partagé. Ces tendances auraient dû partir des cas

concrets tirés des traditions et coutumes africaines pour étoffer une philosophie cohérente

susceptible de faire hâter le développement et le bien-être des peuples.

Concret et pratique, le présent travail propose une réflexion sur l’éthique du bonheur partagé

cultivée par le peuple Luba-Kasaï, avec ses implications sociales et politiques dans la vie de

tous les jours. L’enjeu consiste à montrer que, chez le peuple Luba-Kasaï, la visée éthique de

l’existence humaine est le bonheur. Loin d’être individuelle, la quête du bonheur partagé

concerne aussi toute la communauté (famille, clan, village) et passe par les médiations

institutionnelles et symboliques. Car pour être possible, le bien-vivre doit dépasser le face à

face des relations individuelles et s’étendre à la dimension transpersonnelle, sociale et

institutionnelle. Cette perception du bonheur régit l’organisation sociale, notamment en

permettant à chaque membre de s’accomplir socialement, en favorisant la participation de

tous à la gestion de la Cité et du bien commun. Ce qui nécessite l’instauration des structures

politiques et sociales adéquates, respectueuses des droits, de la dignité humaine et des

libertés. Ce travail a aussi comme objectifs de montrer que l’avènement du bien-être de

l’Afrique ne dépend pas uniquement du processus de conversion au modèle occidental

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comme le seul dont l’Afrique ait besoin pour son développement. Il s’agit de montrer la

nécessité de la voie de la réconciliation capable d’articuler dynamiquement la modernité

occidentale et la tradition africaine, le principe d’ouverture, d’intégration et

d’universalisation permettant l’enrichissement dans la réciprocité ; montrer, à partir de la

culture luba-kasaï, que dans les pays africains, chaque culture doit trouver les socles

éthicophilosophiques du développement harmonieux et d’une heureuse organisation étatique.

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Abstract

For sometime, most intellectuals have agreed that the African philosophical debate has

evolved around three tendencies.

The first propensity has been that the promotion of traditions and local cultures is the unique

and sole venue that would yield the development as well as the happiness of nations. Such a

bias has proven to be dogmatic as it is rooted in the belief that people need to be self-reliant.

The second proclivity claims that there is no rationale in the idea of relying solely on African

traditions, when it is possible to evolve into a synergic symbiosis that includes both modern

science and technology. The latter is also quite dogmatic, as it invalidates any shape or form

of African rationality.

The third current attempts to propitiate traditions and modernism, while putting forward the

exhilaration of African customs, and being cognizant of the need to maintain openness and

integration of the betterment that a contemporary society might infuse. In this respect,

traditions and modernism must symphonize and assimilate their values in order to sustain

their essence.

However, when applying the sniff test, this debate has remained fruitless; these theories have

eluded the question of addressing the existence of African nations, which, from our stand

point, remains one of shared happiness. These predilections should have utilized concrete

examples from African customs, in order to enhance a coherent philosophy that would propel

the development and the happiness of nations.

A more practical approach is proposed and illustrated in these writings, which bring forth an

ethical rationale of the shared happiness we find among the People of Luba heritage, despite

its socio-political implications. Within the ethnic Luba-Kasai, the human goal of everyday

living is happiness.

Far from being individually centered, the search for a shared happiness is the concern of the

entire society (family, clan or village), extending through institutional and symbolic

mediation.

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This perception of happiness runs the social organization, allowing the contribution from as

well as the participation of each individual, to the management of the city and the

commonwealth. This requires the integration of social and political structures that would

advance everyone’s rights, dignity and liberty. We therefore insist that the oncoming

realization of African happiness does not rest uniquely on an occidental conversion model.

It will become a reality when we coalesce western contemporary systems, African traditional

values, openness, integration that would lead to reciprocal and mutual enrichment.

It is only within such premises, starting within the Luba-Kasaï tribes, that each African

nation, each African culture, will find the missing ethical and philosophical links to a more

harmonious societal organization.

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Table des matières

Résumé ............................................................................................................................. iii

Abstract ............................................................................................................................. v

Table des matières ........................................................................................................... vii

Sigles et Abréviations ..................................................................................................... xiv

Remerciements .............................................................................................................. xvii

Introduction générale ......................................................................................................... 1

1. La problématique..................................................................................................... 1

2. Un rappel de la chronologie historique luba ............................................................. 4

3. Le champ de la recherche ........................................................................................ 7

4. La méthode.............................................................................................................. 9

5. Le contenu de la thèse ........................................................................................... 11

PREMIÈRE PARTIE LA PERSONNE ET SON IDÉAL DE BONHEUR ....................... 15

Introduction .................................................................................................................. 15

CHAPITRE PREMIER LA VIE COMME BONHEUR SUPRÊME ................................. 16

1. La vie : Moyo ou Bukole ....................................................................................... 16

a) La vie : un bien désirable ...................................................................................... 16

b) Une chose sacrée .................................................................................................. 17

c) Un bien à protéger................................................................................................. 18

d) Les causes de la diminution de la vie .................................................................... 19

2. Les éléments constitutifs du bonheur ..................................................................... 20

a) La procréation ....................................................................................................... 20

b) La progéniture abondante...................................................................................... 23

c) Les biens matériels ................................................................................................ 25

3. La sagesse de la vie pratique .................................................................................. 27

a) Les règles générales .............................................................................................. 27

b) Un style de vie ...................................................................................................... 29

c) Un art éducatif ...................................................................................................... 30

d) Une vie juste ......................................................................................................... 31

CHAPITRE DEUXIÈME LA MORT ET LE CYCLE DU BONHEUR ........................... 34

1. L’antériorité et l’universalité de la mort ................................................................. 34

a) Une réalité inéluctable et imprévisible................................................................... 34

b) Une expérience personnelle .................................................................................. 35

2. Le caractère absurde de la mort ............................................................................. 37

a) Un scandale .......................................................................................................... 37

b) Une interpellation aux humains ............................................................................. 39

c) Le recours à Dieu contre la mort ........................................................................... 41

d) La vie et le bonheur après la mort ......................................................................... 42

3. L’épreuve du jugement .......................................................................................... 44

a) L’interrogatoire ..................................................................................................... 44

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b) L’intercession des vivants pour les morts .............................................................. 46

c) L’intercession des morts pour les vivants .............................................................. 47

CHAPITRE TROISIÈME DIEU MAWEJA : RÉVÉLATION, CRÉATION DU MONDE

ET SOURCE DE TOUT BIEN ........................................................................................ 49

1. La révélation de Dieu Maweja ............................................................................... 49

a) L’affirmation de la révélation ................................................................................ 49

b) Les lieux de la manifestation de Dieu .................................................................... 50

c) Le Dieu de nos ancêtres ........................................................................................ 53

d) La médiation de l’art plastique .............................................................................. 54

2. La création du monde ............................................................................................ 56

a) Le mythe adja et la relation cosmique ................................................................... 56

b) Le nœud de l’acte de la création ............................................................................ 58

3. La source de tout bien ............................................................................................ 60

a) La bonté de Dieu et la magnificence de l’homme .................................................. 60

b) La providence divine ............................................................................................ 61

CHAPITRE QUATRIÈME LA PERSONNE, L’INDIVIDU ET LA MEMBRALITÉ..... 64

1. La personne : valeur, force vivante et totalité ......................................................... 64

a) Une valeur irremplaçable ...................................................................................... 64

b) Une force vivante.................................................................................................. 64

c) Une totalité indivisible .......................................................................................... 67

2. L’individu et la philosophie du nom ...................................................................... 70

a) L’individu comme un mystère ............................................................................... 70

b) Le nom comme lieu du dévoilement de la personne .............................................. 71

c) Les catégories de noms ......................................................................................... 72

3. La membralité et sa symbolique ............................................................................ 78

a) La symbolique de l’univers ................................................................................... 79

b) La symbolique de la toile d’araignée ..................................................................... 79

c) La symbolique du cercle avec des anneaux............................................................ 80

d) La symbolique de la chance .................................................................................. 80

e) Le carrefour de purification ................................................................................... 81

f) La symbolique du nombril noué ............................................................................ 81

Conclusion ....................................................................................................................... 83

DEUXIÈME PARTIE LA COMMUNAUTÉ DE DESTIN ET LA VISÉE DU BIEN-

VIVRE............................................................................................................................. 85

Introduction .................................................................................................................. 85

CHAPITRE PREMIER LES EXIGENCES ÉTHIQUES DE LA VIE BONNE ............... 87

1. Le sentiment d’appartenance et d’attachement ....................................................... 87

a) L’attachement fusionnel ........................................................................................ 87

b) L’identité narrative ............................................................................................... 88

c) La fraternité humaine et l’amitié ........................................................................... 89

d) L’harmonisation de la relation .............................................................................. 90

e) L’attachement à l’espace mythique originel .......................................................... 91

2. La réciprocité et la sollicitude ................................................................................ 93

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a) L’idée de la réciprocité et de la sollicitude ............................................................ 93

b) La réciprocité luba ................................................................................................ 95

c) La reconnaissance du bienfait ............................................................................... 97

d) Le mode utilitaire.................................................................................................. 99

e) La bonté ...............................................................................................................101

f) La marque de gratuité ...........................................................................................102

3. La solidarité positive et le partage.........................................................................103

a) Le profil de la solidarité .......................................................................................103

b) Le projet social de la solidarité.............................................................................105

c) Les apories de la solidarité ...................................................................................107

CHAPITRE DEUXIÈME L’ÉTHIQUE DU DISCOURS ET LA QUÊTE DE

L’ALTÉRITÉ .................................................................................................................109

1. La constance et la cohérence.................................................................................109

a) Le discours comme lieu de la socialité .................................................................109

b) La fidélité à la parole donnée ...............................................................................110

c) La cohérence de la parole .....................................................................................112

d) La consistance du discours ...................................................................................113

2. Le discours et l’épreuve de la vérité ......................................................................114

a) La vérité comme acte de libération .......................................................................114

b) Le refus du meilleur argument .............................................................................116

3. Le discours et la pluralité des rationalités..............................................................117

a) La circularité ontologique ....................................................................................117

b) La limitation de l’esprit critique ...........................................................................119

4. La parole de la bienveillance ................................................................................121

a) L’expression de la fraternité .................................................................................121

b) La sympathie et la compassion .............................................................................121

c) Les dérives de l’interaction ..................................................................................123

5. Le respect mutuel .................................................................................................125

a) Une règle sociale et un droit d’aînesse..................................................................125

b) Le respect dû aux plus jeunes et aux personnes âgées ...........................................127

6. La parole d’autorité ..............................................................................................128

a) Les prérogatives du tenant lieu .............................................................................128

b) Le mauvais usage de la parole d’autorité ..............................................................129

CHAPITRE TROISIÈME L’ÉTHIQUE SEXUELLE ET LA FAMILLE CONJUGALE 134

1. L’institution du mariage et la promotion du bonheur.............................................134

a) Le mariage : cadre idéal de la pratique de la sexualité ..........................................134

b) Le Dibaka, une tâche et une exigence...................................................................135

2. Les règles sociales et la transmission de l’éthique sexuelle ...................................136

a) Les prohibitions ...................................................................................................136

b) Le paradigme de la virginité de la fille .................................................................137

c) Les aspects des règles sociales .............................................................................139

d) Les canons de transmission ..................................................................................141

3. Le Gage d’alliance et la dignité de la femme ........................................................143

a) La structure bipolaire de la nature humaine ..........................................................143

b) La dot comme gage d’alliance..............................................................................144

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4. La polygamie sous la forme polygynique ..............................................................145

a) La polygamie reconnue comme une valeur ...........................................................145

b) Les raisons de la pratique de la polygamie ...........................................................147

c) Le phénomène de la bureaugamie ........................................................................149

d) La polyandrie .......................................................................................................151

e) La responsabilité partagée ....................................................................................152

f) L’éducation des enfants ........................................................................................153

CHAPITRE QUATRIÈME QUELQUES VERTUS ET PRATIQUES SOCIALES .........155

1. Le travail et la persévérance .................................................................................155

a) Le travail : un principe d’autonomie .....................................................................155

b) La sensibilisation au travail à travers les chants....................................................157

2. La loi de l’hospitalité ............................................................................................158

a) L’hospitalité envers l’étranger ..............................................................................158

b) Quelques apories .................................................................................................159

3. L’anticipation et la prévention ..............................................................................161

a) L’obsession de l’avenir ........................................................................................161

b) La précaution .......................................................................................................162

c) La prévention et la protection ...............................................................................162

4. La prudence et la patience ....................................................................................163

a) La prudence : un art de jugement .........................................................................163

b) La vertu de la patience .........................................................................................166

5. L’intelligence et le triomphe du bon sens ..............................................................169

a) Le cycle de Kabundi le sage .................................................................................169

b) Le cycle de Kabuluku : les preuves de bon sens ...................................................170

c) Le conte du Crapaud et de l’Épervier ...................................................................171

d) Le sage philosophe ..............................................................................................171

e) La réserve langagière, l’écoute et le silence ..........................................................172

Conclusion ......................................................................................................................176

TROISIÈME PARTIE L’ÉTHIQUE POLITIQUE ET LA MÉDIATION

INSTITUTIONNELLE ...................................................................................................177

Introduction .................................................................................................................177

CHAPITRE PREMIER L’ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ POLITIQUE ............178

1. Les aspects de la notion de la responsabilité .........................................................178

a) L’aspect moral .....................................................................................................178

b) L’aspect juridique ................................................................................................180

c) L’aspect civil et politique .....................................................................................181

2. Les pôles de référence politique ............................................................................182

a) Le citoyen ............................................................................................................182

b) La communauté politique.....................................................................................183

c) La gestion du bien public .....................................................................................187

d) La violence légitime.............................................................................................188

e) L’allégeance des citoyens à la communauté politique ...........................................190

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CHAPITRE DEUXIÈME LES PRINCIPES POLITIQUES ET LA GESTION DU

POUVOIR ......................................................................................................................193

1. La participation et le partage du pourvoir..............................................................193

a) Le pouvoir : un bien à repartir ..............................................................................193

b) La justice politique ..............................................................................................194

c) La dimension horizontale du pouvoir ...................................................................195

2. L’alternance politique ...........................................................................................197

a) La voie optimale du bien-être ...............................................................................197

b) L’indétermination du projet sociétal .....................................................................198

3. Le pouvoir et l’organisation ..................................................................................202

a) La trilogie : volonté-pouvoir-ordonnancement .....................................................202

b) Le siège du pouvoir .............................................................................................204

4. La discussion et l’antagonisme positif ..................................................................206

a) L’espace public démocratique ..............................................................................206

b) La vertu du conflit ...............................................................................................207

c) Les instances de discussion ..................................................................................208

d) L’unité et le consensus politique ..........................................................................209

CHAPITRE TROISIÈME L’INSTITUTION ET LA PROMOTION DU VIVRE-

ENSEMBLE ...................................................................................................................212

1. L’institution et l’équilibre social ...........................................................................212

a) Le sens et le contenu de l’institution.....................................................................212

b) L’équilibre social .................................................................................................213

2. Les structures institutionnelles ..............................................................................214

a) La structure familiale comme base institutionnelle ...............................................214

b) Les structures socio-politiques .............................................................................215

3. Les critères d’éligibilité pour être Chef (Mukalenga) ............................................217

CHAPITRE QUATRIÈME LE DROIT ET LES DROITS DE LA PERSONNE .............220

1. L’essence du droit ................................................................................................220

a) Le Bende : une nature primordiale de l’homme ....................................................220

b) Dieu : Nzuji munene contre l’injustice ambiante ..................................................221

c) Les coutumes et les us ..........................................................................................222

2. Le droit et la loi commune ....................................................................................224

a) La théorie clanique ...............................................................................................224

b) La loi comme garantie de la liberté ......................................................................225

c) La loi comme garantie de la dignité ......................................................................227

3. La norme du droit et des droits .............................................................................228

a) La personne comme norme ..................................................................................228

b) La sémantique éthique luba du droit .....................................................................229

4. Les principes fondamentaux des droits .................................................................231

a) Les préceptes éthico-juridiques ............................................................................231

b) L’aphorisme politicojuridique ..............................................................................232

c) Le caractère inaliénable des droits ........................................................................233

d) La respectabilité de la vie et de la dignité humaine ...............................................233

e) L’interdépendance des droits ................................................................................234

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xii

5. Les droits de la personne ......................................................................................235

a) Le corpus des droits humains ...............................................................................235

b) Les dispositions garantissant le vivre-ensemble ...................................................237

c) Les droits économiques ........................................................................................238

d) Les droits successoraux........................................................................................240

e) Les droits culturels ...............................................................................................241

CHAPITRE CINQUIÈME LE DEVOIR DE LA JUSTICE ET DE LA RESTAURATION

.......................................................................................................................................247

1. Le code de justice .................................................................................................247

a) La loi première .....................................................................................................247

b) Le code pénal.......................................................................................................248

2. Les situations aggravantes ou atténuantes .............................................................253

a) Les situations aggravantes ....................................................................................253

b) Les situations atténuantes.....................................................................................254

c) La résignation de l’individu incriminé ..................................................................255

3. La restauration et la réconciliation ........................................................................256

a) Les conditions de la restauration ..........................................................................256

b) Le règlement pacifique des conflits ......................................................................258

c) La sanction ou la démarche de redressement ........................................................259

4. Les niveaux d’injustice et les modes de réparation ................................................260

a) Les niveaux d’injustice ........................................................................................260

b) Le statut juridique de la réparation .......................................................................262

Conclusion ......................................................................................................................264

QUATRIÈME PARTIE L’ÉTHIQUE DU BONHEUR PARTAGÉ LUBA-KASAÏ, LA

TRADITION ET LA MODERNITÉ ...............................................................................266

Introduction .................................................................................................................266

CHAPITRE PREMIER LA CRITIQUE DE LA TRADITION ET DE LA MODERNITÉ

.......................................................................................................................................267

1. Le procès de la tradition africaine .........................................................................267

a) L’héritage spirituel ...............................................................................................267

b) La rupture et la vie de la raison ............................................................................268

c) Le procès de la tradition .......................................................................................269

d) Notre (pro) position .............................................................................................271

2. La crise morale africaine ......................................................................................272

a) Les contradictions internes des coutumes .............................................................272

b) Les incohérences de la tradition africaine .............................................................274

c) Les choix responsables .........................................................................................279

3. La critique de la modernité ...................................................................................280

a) L’image de la modernité ......................................................................................280

b) La critique africaine .............................................................................................281

c) La valeur de la critique africaine ..........................................................................282

d) L’option radicale : le meurtre du père ..................................................................283

e) Vers la nouvelle modernité...................................................................................285

4. Les antinomies de la modernité maximale ............................................................286

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xiii

a) La mission évangélisatrice et modernisatrice ........................................................286

b) La résistance des Luba contre la mission évangélisatrice ......................................291

c) Les conséquences directes de l’action de la modernité..........................................293

5. La mutation technologique ...................................................................................295

a) L’engouement pour les nouvelles technologies.....................................................295

b) La crise des technologies nouvelles ......................................................................297

c) Les conséquences directes de la crise ...................................................................298

CHAPITRE DEUXIÈME LA FONCTION DE L’HERMÉNEUTIQUE PHILOSOPHIQUE

.......................................................................................................................................301

1. Le procès herméneutique ......................................................................................301

a) La philosophie comme réflexion et appropriation .................................................301

b) La contingence culturelle .....................................................................................303

2. La responsabilité historique ..................................................................................304

a) La conscience de la responsabilité historique .......................................................304

b) L’équilibre entre les sagesses ...............................................................................306

c) Les conditions de l’équilibre ................................................................................307

CHAPITRE TROISIÈME L’UNIVERSALISME ÉTHIQUE ET LA MÉDIATION

CRITIQUE .....................................................................................................................309

1. L’universalité comme unité plurielle ....................................................................309

a) L’universalité : réalité partagée, forme et esprit ....................................................309

b) L’universalité de fait et la vocation à l’universel ..................................................310

c) Le caractère universel de l’éthique luba du bonheur .............................................312

2. La médiation critique et le projet pour l’humanité .................................................313

a) La médiation critique ...........................................................................................313

b) Un projet pour l’humanité ....................................................................................315

c) Pour une humanité égale ......................................................................................318

d) Vers une anthropologie nouvelle ..........................................................................319

Conclusion ......................................................................................................................325

Conclusion générale ........................................................................................................328

1. Le piège des idéologies inutiles ............................................................................333

2. Les aspirations profondes .....................................................................................336

3. Les axes prioritaires du bonheur et du développement ..........................................339

ANNEXES .....................................................................................................................345

CARTE GÉOPOLITIQUE : République Démocratique du Congo ...............................345

CARTE-LINGUISTIQUE : Représentant les quatre langues nationales : Lingala,

Kikongo, Tshiluba et Swahili.......................................................................................346

BIBLIOGRAPHIE ..........................................................................................................347

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xiv

Sigles et Abréviations

A.R.S.C: Académie Royale des Sciences Coloniales

AMOZA : Association des Moralistes Zaïrois

B.J.I.D.C.C: Bulletin des Juridictions Indigènes du Droit coutumier Congolais

B.T.A : Bulletin de Théologie Africaine

C.E.D.AF : Centre d’Études et de Documentation Africaines

CELLA : Centre de Littérature et Linguistique Appliquée

CELTA : Centre de linguistique Théorique et Appliquée

CEPSI : Centre d’Études des Problèmes Sociaux Indigènes (devenu CEPSE Centre d’Études

des Problèmes Sociaux et Économiques)

CERDAF : Centre de Recherche et de Documentation Africaines

CERP : Centre de Recherches Pédagogiques

CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique

CRA : Cahiers des Religions Africaines

CRISP : Centre de Recherches et d’Informations Sociopolitiques

CSRP : Cadre stratégique de croissance et de réduction de la pauvreté

FCK : Facultés catholiques de Kinshasa (devenues Université Catholique au Congo)

FTC : Faculté de théologie catholique

FTCK : Faculté de théologie catholique de Kinshasa

G20 : Groupe de vingt (comprenant les pays riches et émergents)

G7 : Groupe de sept (pays hautement industrialisés ou riches)

IRCB : Institut Royal Colonial Belge

MRAC : Musée Royal d’Afrique Centrale

NEPAD : Nouveau partenariat pour le développement

NICO : Éthique à Nicomaque

NORAF : Nouvelles Rationalités Africaines

OCDE : Organisation pour la Coopération et le Développement Économique

OMC : Organisation mondiale du commerce

OMD : Objectifs du millénaire pour le développement

ONU : Organisation des Nations Unies

P.U.F: Presses Universitaires de France

P.U.K: Presses Universitaires de Kinshasa

P.U.L: Presses Universitaires de Louvain

P.U.Z: Presses Universitaires du Zaïre

PA : Présence Africaine

PPTE : Pays pauvres très endettés

REA : Revue d’Études Africaines

RJC : Revue Juridique du Congo

RPA : Revue de philosophie africaine

RPK : Revue philosophique de Kinshasa

ULB : Université Libre de Bruxelles

UNAZA : Université Nationale du Zaïre

Vol : Volume

ZA : Zaïre-Afrique (devenu Congo-Afrique)

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À mes chers parents

Henri Mbumba wa Mupoyi Kantu

Bernadette Mbombo wa Katshingu ka Lutendu

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« La vie qui est mienne, est aussi

fondamentalement ma vie après ma mort, elle est

ma vie dans le clan, ma communion substantielle

avec les ancêtres, les vivants, et ceux à venir, elle

est aussi ma participation aux autres vies de

l’univers naturel, aux réalités ou forces, elle est

enfin mon union à la source de vie, le Père de tout

bien, Dieu »

(Elungu pene Elungu, Tradition africaine et

rationalité moderne, p. 60.).

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Remerciements

La réalisation de cette dissertation doctorale a bénéficié du concours et de la contribution

scientifique, morale et financière des uns et des autres, chacun à sa manière. C’est pourquoi,

je suis tenu du devoir de reconnaissance pour tous ceux et toutes celles qui y ont pris

activement part. À tout Seigneur, tout honneur. Ma reconnaissance s’adresse en tout premier

lieu au Professeur Thomas De Koninck, qui a bien voulu assumer la promotion de cette thèse.

Sa rigueur et ses orientations m’ont fait découvrir en lui un véritable maître. Ce travail est

votre œuvre. Beaucoup d’autres éminents professeurs, en l’occurrence Messieurs Jean-

François de Raymond de l’Université Paris IV Nanterre, Lomomba Emongo de l’Université

de Montréal (Québec-Canada), Luc Langlois et Richard Dufour de l’Université Laval

(Bibliothécaire), m’ont apporté des conseils justes. Tout cela m’a fortement édifié dans mes

recherches. Je leur suis infiniment reconnaissant. Dans la même perspective, je remercie le

professeur Benoît Okolo Okonda de la faculté de philosophie et lettres de l’Université de

Kinshasa et de l’Université Saint-Augustin de Kinshasa, qui m’a apporté des précieux

conseils et ses connaissances en philosophie africaine. Je dis également toute ma gratitude

au professeur Mabiala Mantuba Ngoma de l’Université de Kinshasa et Directeur à la

Fondation Konrad Adenauer Stiftung, pour ses encouragements et son soutien à mon projet

de recherche et de publications.

Je voudrais dire toute mon indéfectible reconnaissance à ma chère épouse Jeannette Kabiona

Mbumba et à tous nos chers enfants, Stanislas Lukumuena Mbumba, Clara Mbombo

Mbumba, Perla Tshibola Mbumba et Ariel Henri Mbumba, pour leur présence discrète et

leurs encouragements.

Puissent leurs Excellences Mgrs Stanislas Lukumuena Lumbala et Laurent Lupenzu

Muabilayi, le Révérend Abbé Christophe Bomba Tshilumbayi, les Révérends Pères Bernard

Ilunga wa Mbedi, Léopold Kalubende Nkashama, Célestin Muyembi Nkole, Épiphanie

Thomas Boonga, Mesdames et Messieurs Médard Mbuyal Mangal, Marcel Kayumbi, Sophie

Leclerc et Johanne Langevin, trouvent dans ce travail un meilleur témoignage de ma

profonde gratitude pour leur soutien et leur amitié.

Je n’oublierai jamais le grand amour, l’affection et la parfaite communion avec ma famille :

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mes parents, mes frères et mes sœurs. Tout particulièrement, je garde fraîche la mémoire de

ceux qui sont déjà partis et qui jouissent du bonheur des ancêtres et de Maweja a Nangila

(Dieu aimant).

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Introduction générale

1. La problématique

La question de cette recherche s’insère dans la problématique globale, pour les peuples

d’Afrique, d’une vie harmonieuse et d’un épanouissement global arrimé aux traditions et

coutumes et nourri aux mutations profondes, qui affectent le monde contemporain. Cette

quête peut-elle prendre la voie d’emprunts et ignorer les réalités propres à l’Afrique ? L’échec

des plans d’action et des projets de développement n’est-il pas dû entre autres, au manque de

considération de l’impact de cultures et traditions africaines sur notre perception du bien-

être ?

Face à cette impasse s’impose une alternative : soit, se recentrer sur les traditions et cultures

africaines et les revisiter pour en dégager une philosophie réfléchie de la vie et une politique

du bien-être des peuples et du développement des nations ; soit, prendre en compte

l’émergence d’une nouvelle culture résultant d’un processus de déstructuration-

restructuration des cultures et traditions au contact de la civilisation occidentale et de la

rationalité technoscientifique toujours en plein essor.

Cette double exigence suscite un débat qui met en procès trois tendances philosophiques.

Une première tendance représentée par Alioune Diop, considère la redécouverte de la culture

africaine comme le seul schéma pour faire advenir le développement et le bien-être des

peuples en Afrique1. Mais cette thèse ne pourrait satisfaire puisqu’un développement basé

sur l’héritage d’une culture repliée sur elle-même tournerait à court. Et nous ne pouvons

ignorer la modernité d’où nous vient l’idée même du développement. À l’opposé de la

première, la deuxième tendance représentée par Marien Towa et Elungu Pene Elungu,

soutient que l’avènement du développement et du bien-être de l’Afrique dépend du processus

de conversion à la science et à la technique modernes qui fait aujourd’hui la puissance des

sociétés occidentales et même des sociétés émergentes. Par exemple, Towa affirme : « Les

traditionalismes immobilisent la tradition et obstruent la révolution africaine et le

1 A. Diop, « Niam m’paya ou de la fin que dévorent les moyens », in R.P. Placide Tempels, La philosophie

bantoue, Paris, Présence Africaine, 1949, p. 7-12.

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développement »2, et Elungu, lui, soutient que : « La tradition et la modernité sont des réalités

monolithiques inconciliables »3. Mais une tendance qui exclurait l’âme africaine comme un

des repères essentiels est vouée aussi à l’impasse. En effet, bien qu’épanouissant et libérateur

de parole et d’action, le modèle occidental de développement est considéré comme un

développement « top down » puisque ne favorisant que l’élite politique et la recherche

effrénée du capital qui fait peu de cas de la personne humaine. Par ailleurs, jusque-là mal

appliqué par les Africains et leurs dirigeants politiques, ce modèle n’a pas facilité

l’émergence d’une véritable politique du bien-être et du développement pour le continent.

D’où la troisième tendance qui paraît conciliatrice des deux premières perspectives. Elle

propose l’ouverture à la modernité occidentale et à la rationalité technoscientifique comme

une garantie et comme un instrument nécessaire à l’élaboration d’une nouvelle politique du

bien-être social et économique de l’Afrique contemporaine, le monde moderne restant une

fondamentale — et même indispensable — possibilité pour le développement de l’Afrique.

Dans cette perspective, l’héritage culturel traditionnel africain devrait être enrichi de la

rationalité technoscientifique moderne à l’œuvre dans les schémas de développement

empruntés aussi bien par les sociétés occidentales dites développées d’Europe et d’Amérique,

ou encore d’Asie centrale et d’Asie du Sud-est. À titre d’exemple, l’axiomatique 22, « La

culture, la tradition est la rampe indispensable du développement », formulée par Nkombe

Oleko, présuppose que la tradition est une totalité dynamique ouverte aux autres cultures.

Elle facilite le développement qui à son tour s’en nourrit pour réussir4. Dans la même optique

Okolo Okonda affirme : « Il y a une circularité : la tradition a besoin de la rationalité

technologique pour son assomption et celle-ci fait appel à la tradition pour son

épanouissement, et le dynamisme qui affiche une ouverture à l’intégration sont non

seulement arrimés, mais ils sont aussi justifiés »5. Ainsi, la tradition et la modernité doivent

2 M. Towa, Essai sur la problématique de la philosophie dans l’Afrique actuelle, Yaoundé, Clé, 1971, p. 80-

112. 3 A. Elungu Pene Elungu, Tradition africaine et rationalité moderne, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 68-79. 4 F. Nkombe Oleko, Pour une axiomatique du développement, Kinshasa, Nouvelles Rationalités Africaines (NORAF), 1986, p. 75-76. Voir aussi : M.H. Ba, Vie et enseignement de Tiemo. Le signe de Bandiagara, Paris,

Présence Africaine, 1980, p. 56-58 : « La tradition ne s’oppose pas au progrès ; elle le recherche, elle le

demande ». 5 B. Okolo Okonda, Pour une philosophie de la culture et du développement. Recherche de praxis et

d’herméneutique africaines, Kinshasa, Presses Universitaires du Zaïre, 1986, p. 89-101. Lire aussi : V.Y.

Mudimbe, L’autre face du père, Lausanne, L’âme d’homme, 1973 et L’odeur du père, Paris, Présence

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s’interpréter et s’impliquer mutuellement pour une vitalité sans faille. Mais cette tendance a

aussi ses limites, pour autant qu’elle fasse allégeance aux auteurs étrangers, alors qu’elle

devait puiser dans les traditions et coutumes africaines pour lancer un véritable projet de

développement intégré. Mais à bien voir les choses, ce débat philosophique est demeuré

théorique et les différentes tendances ont éludé la vraie question de l’existence humaine des

peuples africains qui, à notre sens, reste celle du bonheur partagé. Ces tendances auraient dû

partir des cas concrets tirés des coutumes et traditions africaines pour élaborer une

philosophie cohérente susceptible de faire hâter le développement et le bien-être des peuples.

Pratique et concret, le présent travail voudrait prouver le dynamisme de la tradition à partir

d’un peuple, d’une tribu : les Luba-Kasaï. Pareille étude consiste à montrer que chez le peuple

Luba-Kasaï, la visée éthique de l’existence humaine est le bonheur. Le bonheur reste non

seulement une quête individuelle, mais il concerne aussi les autres membres, ainsi que les

médiations institutionnelles et symboliques. Car le bien-vivre ne saurait être possible qu’en

dépassant le face à face des relations entre les individus pour s’étendre à la dimension

transpersonnelle, sociale et à la vie institutionnelle. Cette perception du bonheur oriente

l’organisation de la vie, notamment en permettant à chaque membre de s’accomplir

socialement, en favorisant la participation de tous à la gestion de la cité et du bien commun,

et en occasionnant des structures politiques et sociales justes, ouvertes au respect de la vie,

des droits, de la dignité humaine et des libertés politiques individuelles. Cette étude a aussi

comme objectifs d’affirmer que : l’avènement du développement et du bien-être de l’Afrique

ne dépend pas uniquement ni absolument du processus de conversion au modèle occidental,

comme le seul dont l’Afrique ait besoin pour déclencher son développement. Il s’agit de

montrer plutôt la nécessité d’une voie de réconciliation capable d’articuler dynamiquement

la modernité (à l’Occidental) et la tradition africaine, le principe d’ouverture,

d’universalisation, de médiation critique et d’intégration permettant l’enrichissement dans la

réciprocité ; montrer, à partir de la culture luba-kasaï, que dans les pays africains ou

émergents, chaque culture doit trouver en elle-même les socles éthicophilosophiques du

développement harmonieux et d’une heureuse organisation étatique.

Africaine, 1982 ; L. Emongo, La tradition africaine comme articulation ambiguë, Bruxelles, Université Libre

de Bruxelles, 1995. Thèse.

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Mais la meilleure compréhension de cette étude ainsi que de ses objectifs invite à évoquer

brièvement la réalité historique de ce peuple avant de circonscrire le champ de la recherche.

2. Un rappel de la chronologie historique luba

La chronologie de l’histoire luba est linaire et se présente en deux étapes essentielles. L’étape

de la royauté et l’étape de l’occupation du Kasaï. En effet, la genèse de la royauté luba serait

le fait d’une femme dénommée Cimbale Banda. Dépositaire d’un pouvoir surnaturel, elle

aurait rassemblé autour d’elle plusieurs clans dont les plus remarquables sont les Kanyoka,

Songwe, Lunda et Luba. Le dynamisme éprouvé par ces clans royaux justifie le principe

d’unification et de cohérence entre les trois principaux clans : Songwe, Kabeya et Ngandu a

Mukadi. Ces trois clans royaux se seraient aussi succédés au pouvoir, et certainement plus

d’une fois. Mais avec l’avènement de Kongolo, le royaume prend une autre dimension. Il

s’illustre d’abord par l’évincement de son prédécesseur, ce qui lui a valu une grande

popularité, en suite par la création d’un cérémonial de prestige au cours duquel il se fait

introniser sur une peau de léopard, à l’ombre du feuillage de l’arbre prestigieux « Mumbu ».

Ce geste sera retenu désormais comme faisant partie du cérémonial d’intronisation et l’arbre

« Mumbu », associé déjà à l’ancêtre Cimbale Banda, deviendra l’un des symboles de la

royauté. Créateur du cérémonial royal, Kongolo passe donc pour être l’initiateur de la

véritable royauté luba, le Bulopwe. Désormais tous les successeurs Balopwe porteraient deux

annaux appelés par les noms des deux héros fondateurs : Cimbale et Kongolo. Kongolo

donna une plus grande extension géographique à son pouvoir, imposant sa suprématie à des

chefferies périphériques dont l’organisation était moins élaborée. Cette situation justifie le

fait que cette nouvelle réalité politique devait être qualifiée d’empire, puisqu’elle dépassait

les limites du petit royaume connu jusque-là. La suite du règne de Kongolo allait apporter

d’autres événements qui mèneront cette structure politique à son apogée. Mais les choses ne

se passeront pas de cette manière. Survint Kalala Ilunga (le général de guerre), le héros

triomphant qui en vint à évincer et à dépasser son oncle Kongolo, personnage déjà prestigieux

dans son contexte. Le vainqueur de Kongolo installa sa capitale à Munza et régna sur le nom

de Mwena Munza. Un nouvel ordre politique était né, plus impressionnant et plus élaboré

que le précédent. C’est donc Kalala Ilunga qui s’est employé à étendre les frontières du

royaume luba au point d’étendre son influence dans toute la région comprise entre Mbuji-

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Mayi, le Sud Maniema et la Luvua, même si celui-ci n’arrivait pas à contrôler tout cet empire

avec efficacité.

L’occupation du Kasaï constitue une autre réalité historique luba, particulièrement contestée.

Pourtant, l’exode qui est à la base de ce peuplement massif du Kasaï est considéré comme

l’événement le plus marquant qui aurait succédé à l’instauration de l’empire. C’est que,

confinés jusque-là dans le Katanga central et septentrional, les Luba vont à présent émigrer

vers l’Ouest au point de donner lieu au clivage culturel reconnu encore aujourd’hui entre les

Baluba Shankadi du Katanga et Luba (Lubilanji, Lulua et Luntu) du Kasaï : les uns parlant

le Kiluba et les autres le Tshiluba ou Ciluba. Mais quelles sont les causes de cet exode ?

Les historiens, à l’instar d’Isidore Ndaywel, affirment que la première vague des migrations

constituée des Luba Lulua, Konji, à laquelle on associe les Songwe et les Kanyoka, serait

partie à cause de dissensions d’ordre politique entre Kalala Ilunga et Kongolo ; la seconde

aurait suivi la première suite à la famine qui a sévi dans le pays. Cette vague était constituée

des Luba Lubilanji6. Le récit recueilli par Mabika Kalanda évoque particulièrement le

manque du consensus et l’accord sur le partage de l’héritage politique7. Mais ce qui reste

important à souligner est que, dans ces pérégrinations vers le Kasaï en quête des nouvelles

terres, les différentes populations de culture luba se réclament toutes d’un lieu mythique —

Nsanga a Lubangu — lieu de passage ou d’origine avant d’essaimer dans toute la région du

Kasaï. On parle aussi de Nsanga a Lubangu qui pourrait être soit une localité alors située aux

environs de Kamina (au Katanga central), ou mieux encore un arbre portant des entailles8.

Avant l’arrivée des migrants, les terres du Kasaï n’étaient pas inoccupées. Des grands

groupes des populations bantoues s’y trouvaient déjà. La région centrale était occupée par

les Kete et les Bindji ; au Sud-ouest, il y avait les Salanpasu tandis que les ancêtres des Luba

Lulua actuels étaient un peu plus à l’Ouest. Au nord, il y avait les Pende, puis les Lele et les

Kuba, voisinant avec les Tetela qui occupaient le Nord-Est. Les Kanyoka occupaient la

6 I. Ndaywel è Nziem, Histoire du Zaïre. De l’héritage ancien à l’âge contemporain, Louvain-la-Neuve,

Duculot, Afrique Éditions, 1997, p. 142. 7 A. Mabika Kalanda, Baluba et Lulwa. Une ethnie à la recherche d’un équilibre, Bruxelles, Louvain-la-Neuve,

1959, p.89. 8 I. Kabedi, Histoire politique des Bakwa Tembwe (c. 1700-1957), Lubumbashi, Université Nationale du Zaïre,

1975, p. 6.

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région entre les cours moyens de Lubilanji et de Mbuji-Mayi. Sur la rive gauche de la Mbuji-

Mayi actuellement occupée par les Bakuanga et les Bakwa Dishi, les Bindji furent bousculés

par les nouveaux vénus et dispersés, dans toutes les directions9.

Constituée et organisée politiquement, l’ethnie luba s’est implantée profondément dans les

deux régions du Kasaï de l’Ouest et du Sud-est. Il s’agit des actuelles provinces du Kasaï

Occidental et du Kasaï Oriental. Mais en dépit de cette organisation politique, l’histoire des

Luba-Kasaï ne présente pas une figure aussi importante dans la lutte contre l’esclavagisme,

la traite, la colonisation-décolonisation et le pouvoir des missionnaires, à l’instar de Simon

Kimbangu (un personnage Kongo au Bas-Congo) ou d’Emery Patrice Lumumba (un

personnage Tetela au Sud-Kasaï). Les Luba ont participé à des mouvements généraux de

contestation et de revendication face au pouvoir colonial des blancs et leur occupation

économique dans le pays. Ils ont aussi pris part au mouvement politique général de lutte pour

l’indépendance du Congo. À certains mouvements révolutionnaires de lutte pour l’autonomie

politique ou après l’indépendance et de l’organisation de la nouvelle république, on associe

souvent non seulement les personnages tels que Kimbangu, Lumumba, Mulele, Gizenga,

Kamitatu Masamba, Kasa-Vubu, Adoula, Kimba et Tshombe, etc. mais aussi Claudel

Lubaya, Luakabuanga et Kalonji Ditunga, dont l’ambition était de faire du Sud-Kasaï un état

autonome. Par exemple Kalonji revendiqua la révision de l’article 7 de la loi fondamentale

du 30 juin 1960 fixant le nombre de provinces à 6, pour qu’il soit porté à 7. La plupart de ces

personnages ont participé à la table ronde organisée à Bruxelles pour l’octroi de

l’indépendance et l’organisation de l’État Indépendant du Congo. Mais la faiblesse de cette

nouvelle organisation était qu’elle résultait des manipulations politiques nées des solidarités

tribales et des oppositions apparues à la décolonisation. Apparemment, la solidarité tribale

était plus solide que la solidarité idéologique, et le réseau idéologique qui a pu intégrer le

réseau tribal a ainsi bénéficié d’une solidité plus grande. À cette période, deux partis

politiques ont pu dominer au Kasaï, notamment : Le MNC l’aile de Kalonji Ditunga au Sud-

Kasaï et l’UNC de Claudel Lubaya au Kasaï central. Reste que c’est autour de ces formations

politiques, des coutumes et de la langue que l’unité politique du peuple Luba s’est édifiée.

9 Kabongo Mukendi, Les migrations luba vers le Kasaï et leurs conséquences, Lubumbashi, Université

Nationale du Zaïre, 1973, p.81.

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7

3. Le champ de la recherche

Mener une étude sur une ethnie aussi étendue et nombreuse que l’ethnie luba n’est pas une

entreprise aisée. Ce groupe constitue l’un des grands ensembles ethniques (bantous) de

l’Afrique centrale. Les ressortissants de cette ethnie se retrouvent dans diverses contrées de

la République, représentant un vaste territoire irrigué par de nombreux cours d’eau dont les

plus importants sont le Lomami, le Lualaba, le Sankuru, la lulua, le Kasaï (qui prête son nom

au peuple et au territoire) et le fleuve Congo. La langue de communication est le Tshiluba

(ou Ciluba), l’une des quatre langues nationales. À la suite de multiples migrations et des

brassages culturels, cette langue a subi plusieurs influences et, naturellement, s’est

développée en plusieurs dialectes dont les remarquables ressemblances font l’unité du grand

groupe Luba-Kasaï.

L’ethnie luba étant très vaste, notre étude portera sur les deux provinces du Kasaï, notamment

le Kasaï Occidental et le Kasaï Oriental, régions ayant le Tshiluba comme langue de

communication et partageant les mêmes coutumes et traditions. Plus précisément, il s’agit

des Luba-Lubilanji appelés « Bakua-Kalonji » dont les Bakuanga, et les Bena-Mpuka, aussi

appelés respectivement Bena-Mutu a Mukuna et les Bena Tshibanda, de la région du Kasaï

Oriental (Chef-lieu Mbuji Mayi), les Luba-Lulua, appelés Bena Lulua dont les Bena

Mutombo et les Bakua-Katawa, du Kasaï Occidental (Chef-lieu Kananga) et les Luntu

appelés communément Bakua Luntu résidents au Kasaï Occidental. Les autres ethnies

notamment Kete, Lele, Kuba, Pende, Chokwe, Bindji, Songwe, Kanyoka, Tetela, Salanpasu,

etc. des deux Kasaï ont appris le Tshiluba au contact des Luba. Elles ne seront pas prises en

compte dans ce travail parce qu’elles constituent des groupes socioculturels distincts ayant

aussi leurs langues propres, leurs coutumes et traditions10.

10 M. Guithrie, The classification of the Bantu Languages, Londres, 1948 et The Bantu Languages of Western

Equatorial Africa, Londres, 1953 : Selon sa classification, le Tshiluba (Ciluba) est une langue bantoue de la

zone L, précisément L20-40. De même que dans les langues de la zone H, celles de la zone L ont pour

particularité la paire « mu/ba » comme marque du singulier et du pluriel. Par exemple : « mu-ntu » (singulier)/ « ba-ntu » (pluriel), « mu-kongo » (singulier)/ « ba-kongo » (pluriel), « mu-yaka » (singulier)/ « ba-yaka »

(pluriel). Selon cette flexion, on dira « mu-luba » pour le singulier et « ba-luba » pour le pluriel. Avec la

colonisation, et donc la francisation, le problème se pose de savoir quelle marque du singulier/pluriel maintenir

quand on insère un mot bantou dans une phrase en français. Par exemple, faut-il dire (écrire) « le mukongo »

ou le « le kongo » ? Pour éviter la double marque en français et en bantou, on préfère dire/écrire « le kongo »,

les « kongo ». Néanmoins la langue parlée est lâche et tolère la double marque qu’on rencontre même dans

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L’éthos culturel luba-kasaï charrie des notions corrélatives qui loin d’être opposées

constituent son unité intrinsèque. Par exemple les notions de la vie, de l’homme, de Dieu,

de la mort, de la communauté, de l’hospitalité ou de la solidarité, etc. présentent entre elles

des corrélations à ce point évidentes que l’on ne peut dissocier l’une des autres. Il y a une

symétrie, telle que l’évocation de l’une des notions en appelle à une autre, ou aux autres.

Soulignons également que, la pertinence de notre recherche sur les pratiques sociales et

politiques luba-kasaï ne tient pas nécessairement au fait de la différenciation de ces

pratiques avec les autres cultures bantoues congolaises ou africaines, mais plutôt dans le

vécu quotidien et ordinaire de ce peuple. C’est donc à dessein que nous ne procéderons pas

à des comparaisons dans ce travail, entre les peuples, les civilisations, les cultures, les

traditions et les coutumes. Néanmoins nous pouvons suggérer quelques exemples qui

marquent la différence entre la culture luba et les autres cultures de la République

Démocratique du Congo. Par exemple dans le processus de donation de la dot. Chez les

Bakongo, la dot est, d’une part, négociée entre les oncles paternels et maternels de la fille,

et d’autre part entre ces parents de la fille avec les parents de son fiancé. Ces négociat ions

sont appelées « le Kinzonzi ». À l’issu de ce Kinzonzi, chaque partie reçoit sa part de dot.

Chez les Baluba, la dot ne se négocie pas, elle est proposée à travers une liste des biens

exigés selon les coutumes et les us. Le fiancé et sa famille peuvent donner ce qui est

possible à offrir. Cette pratique se fonde sur les principes tels que :

• Mutshi udi ku bianza ke utu ushipa Nyoka : le bâton qu’on a à la main est

celui qui sert à tuer le serpent. Ce qui signifie, on peut donner ce qu’on a

en dot, en dépit de la quantité des biens exigés par la famille de la fille.

• Ku buku nkudiala, ce qui signifie que la donation de la dot ne se termine

pas, elle se poursuit même après plusieurs années de mariage. Car la fille

donnée en mariage n’est pas considérée comme vendue à la famille de

son fiancé.

Ces faits sociaux constituent des marques de différenciation entre les peuples, mais elles ne

seront pas prises en compte dans cette recherche.

certains écrits. Dans cette étude, nous retiendrons le radical « luba » et les marques singulier/pluriel du français.

Ce radical servira aussi dans tous les emplois adjectivaux.

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4. La méthode

Pour mener à bien cette étude, il nous semble plus que nécessaire de colliger un certain

nombre des matériaux scientifiques disponibles et même indispensables à cette élaboration.

Les matériaux colligés doivent se prêter à l’analyse, à la critique historique rigoureuse et à

l’interprétation. Deux moments méthodologiques correspondent aux deux préoccupations

essentielles du travail. Le premier moment est celui de la lecture de la tradition et de la culture

luba-kasaï en vue de dégager une synthèse éthique et politique. Une pareille entreprise se

place au sein d’un environnement bibliographique donné, mais aussi dans un immense champ

de proverbes, de sagesse populaire, de légendes, de mythes, de récits, de contes, de fables,

de dictons, de chants, d’œuvres d’art plastiques, ou encore mieux d’histoire. Ici nous

voudrions dépasser le cadre purement ethnologique et nous poser la question de l’existence,

de la formulation et de l’universalisme éthique au regard des philosophes comme Paul

Ricœur, Hans Jonas, Hans Georg Gadamer, Peter Kemp, Karl Otto Appel et Jürgen

Habermas. Bref, il s’agit d’une démarche herméneutique. Le deuxième moment

méthodologique est celui de la recherche des incidences et des perspectives modernes. Ici

une synthèse de grands interprètes de l’Afrique contemporaine sera nécessaire pour trouver

des points d’ancrage pour une fécondation mutuelle entre la tradition, la modernité et la

culture luba-kasaï sur le projet du bonheur partagé. Il s’agit là d’interpréter le monde africain,

l’univers luba-kasaï, de lui donner toute sa valeur de manière à en tirer une éthique du

bonheur partagé. Celle-ci se propose d’expliquer et de comprendre, d’interpréter les

problèmes existentiels des sociétés traditionnelles, ceux des hommes et de leurs démarches

pour une société plus heureuse, ainsi que de leur vécu quotidien dans le monde moderne

actuel.

Bien que fondamentalement un travail à caractère philosophique, cette recherche touche

plusieurs disciplines scientifiques dont les sciences sociales, c’est-à-dire l’anthropologie et

la sociologie, la morale, le droit, la linguistique, la psychanalyse, la psychologie, l’histoire,

la théologie et la philosophie. Chaque discipline a son originalité et privilégie sa propre

méthode d’analyse et d’interprétation des données. Le fait de remarquer ces différentes

disciplines intervenir dans la présente étude, évoque naturellement la fécondité et la nécessité

de recourir à « La méthode architectonique et triangulaire » que proposent Bongo-Passi

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Moke Sangol et Tshibalabala Kankolongo11, par ailleurs reprise et appliquée avec succès par

bien d’autres chercheurs et philosophes faisant les études sur les cultures anciennes.

En raison de l’immensité du champ de réflexion, nous nous sommes rendus à l’évidence que

la seule méthode philosophique, réflexive ou critique ne suffit pas. C’est pourquoi il nous est

apparu impérieux de recourir à cette autre méthode qui vise une analyse épistémique des

différentes sciences en présence. Grâce à elle, nous sommes arrivés à coordonner et à utiliser

judicieusement plusieurs perspectives constructives et structuralistes, appropriées à chaque

discipline impliquée dans cette recherche, pour ensuite recourir à la démarche philosophique,

réflexive et critique, c’est-à-dire herméneutique. Comme le dit Tshibalabala Kankolongo,

forts de ce fond méthodologique, nous avons entrepris un « voyage du préphilosophique au

philosophique, de la méthode constructive à la méthode réflexive, du monde de la pensée

implicite à celui de la pensée explicite et du phénoménal au nouménal »12. Dès lors, nous

sommes conscients que notre travail comporte plusieurs aspects. Nous utiliserons donc la

méthode herméneutique en tant que méthode d’analyse critique rigoureuse et contrôlable.

Elle nous permettra d’interpréter les coutumes et tradition luba-kasaï à la lumière des

questions actuelles du bonheur partagé et du projet de progrès ou du développement du

continent noir, que se posent les sociétés africaines émergentes d’aujourd’hui.

Les proverbes, les contes, les mythes, les chants populaires, les dictons, les fables, etc. seront

repris en Tshiluba et seront traduits en français de manière à donner une idée exacte du sens

qu’ils véhiculent. Pour cette raison nous procéderons souvent à une traduction littérale, en

prenant évidemment soin de préciser les nuances de la signification selon les différents

contextes de communication. Notre interprétation sera donc adaptée au contexte et en rapport

avec la ligne de notre étude. Cependant, il n’a pas été facile de traduire certains mots en

11 W. Bongo-Pasi Moke Sangol, « Architectonique et triangulaire : particularité méthodologique en philosophie

africaine », Annales de la faculté des lettres et sciences humaines 6-7 (2006-2007), Kinshasa, PUK, 2008, p. 95-

111 ; W. Bongo-Pasi Moke Sangol et A.-B. Tshibalabala Kankolongo, « Les particularités méthodiques d’une recherche sur les interdits en milieu luba-kasaï (R. D. Congo) », Annales de la Faculté des lettres et sciences

humaines 6-7 (2006-2007), Kinshasa, PUK, 2008, p. 203-217. 12A.-B. Tshibalabala Kankolongo, Les interdits traditionnels africains luba-kasaï. De la morale de

commandement à l’éthique de la responsabilité, Allemagne, Éditions Universitaires Européennes, 2011, p. 312-

316.Vue la complexité des coutumes et traditions africaines, cette méthode semble la mieux adaptée à notre

travail.

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français. Nous nous sommes ainsi contentés de les reprendre comme tels en Tshiluba.

En abordant, pour les peuples d’Afrique, la question du bien-vivre et du vivre-ensemble dans

des institutions justes, nous réaliserons une synthèse herméneutico-éthique et politique que

nous réactualiserons dans des systématisations nouvelles pour la rendre plus efficiente en

rapport avec le contexte de la modernité technoscientifique ou de l’ordre mondial actuel.

Nous chercherons aussi à dégager une signification de l’éthique du bonheur partagé enfouie

dans les coutumes et tradition luba-kasaï. Ceci nous épargnera naturellement de tous les

risques de spéculations évasives et d’en rester à l’incantation.

5. Le contenu de la thèse

Cette étude se déclinera en deux articulations majeures. La première consistera dans un

examen rigoureux et complet de la triade éthique de la sagesse de la tradition luba-kasaï,

en explicitant la question de l’existence humaine, comme quête d’une vie totale, abondante

et accomplie, avec ses implications sociales et politiques dans la vie de tous les jours. La

seconde articulation consistera à dégager de la triade ce que l’on peut considérer comme la

philosophie du bonheur partagé luba-kasaï à travers les proverbes, les contes, les mythes,

les fables, les dictons, les chants populaires, les arts plastiques, ainsi que la dimension

symbolique qui par la pratique et l’observation des interdits et prohibitions favorise

l’équilibre social et incite à la meilleure prise de conscience de la responsabilité historique

mutuelle.

Selon cette articulation, nous subdivisons l’étude en quatre parties. Les trois premières

portent sur la triade de l’éthique du bonheur partagé luba-kasaï tandis que la quatrième

cherche à situer cette éthique dans le débat philosophique global entre la tradition et la

modernité et à indiquer, à travers une formulation d’une nouvelle anthropologie, quelques

pistes de solution aux défis contemporains auxquels font face le monde actuel et les sociétés

africaines montantes.

La première partie tente de mieux comprendre l’idée de la personne et son idéal de bonheur,

en déterminant le statut de la personne en fonction de l’idée qu’elle se fait elle-même de la

vie et du bonheur partagé. Le premier chapitre de cette partie tâche de mettre en évidence

cette recherche individuelle du bonheur partagé dans son rapport avec la considération de

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la vie comme un bien suprême, la pratique des règles de la sagesse, de la vie juste et la

possession des biens matériels essentiels à la vie. Le deuxième chapitre met en exergue la

mort comme une voie vers le bonheur qui ne finit pas ; il pose les questions de l’universalité

de la mort, de son caractère inéluctable et absurde et affirme la maigre sympathie des

humains pour la mort. Le troisième privilégie l’idée de la révélation de Dieu au peuple luba,

de la création du monde et de Dieu lui-même comme la source de tout bien. Le dernier

chapitre évoque l’idée de la personne comme un mystère qui ne peut se dévoiler par le nom

qui le lie à ses ancêtres, de sa membralité et de la symbolique qui explique les avantages

de la cohésion, de l’unité et de respect mutuel entre les membres de la communauté d’être .

La deuxième partie met en lumière le fait que, dans la culture luba du Kasaï, l’individu est

toujours déjà membre de la communauté de destin, car c’est en elle qu’il acquiert sa vie et

son bonheur. Le premier chapitre montrera que, comme lieu d’épanouissement et

d’expression de talents, la communauté de destin met à l’avant-plan le sentiment

d’appartenance et d’attachement à sa terre et aux membres de sa famille et de la

communauté. Le deuxième cherchera à ressortir les exigences éthiques du vivre-ensemble

et de la promotion du bonheur partagé. Le troisième chapitre posera le discours comme une

recherche de l’altérité et comme lieu d’éclatement de la pluralité des rationalités. Car

exprimer sa pensée est une manière de vivre le bonheur. Le quatrième chapitre mettra en

évidence l’éthique sexuelle, l’institution du mariage, la vie conjugale et l’observation des

interdits sexuels comme lieu d’apprentissage de la vie, de la reconnaissance mutuelle, de

la responsabilité, de l’acquisition de la maturité et du partage du bonheur. Le cinquième

chapitre avancera l’idée que la pratique des vertus permette aux individus de promouvoir

l’équilibre social et le bien-être pour chacun et pour toute la communauté de destin.

La troisième partie aborde des questions touchant l’éthique politique et la médiation des

institutions publiques. Elle veut montrer que la quête du bonheur partagé ne peut réussir

que moyennant la médiation institutionnelle qui ouvre son champ aux tiers et aux citoyens

membres de la cité historique et éthique. Il s’agit de montrer, dans son premier chapitre, la

pertinence de la préservation ou de la restauration de l’ordre public et de la justice sociale

grâce auxquels les citoyens réalisent l’épanouissement de leur vie, de leurs droits, de leurs

libertés politiques individuelles et de leurs talents. Sur ce fond de droits, le deuxième

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chapitre vient greffer les grands principes de la culture et de la praxis politique luba-kasaï

qui, en fait, privilégient la participation de tous à la gestion du pouvoir et du bien commun,

le devoir de la justice et du respect des droits et des libertés de chaque citoyen, la promotion

de la bonne organisation des institutions publiques. Par la même occasion, le troisième

chapitre montrera le cadre juridique nécessaire au maintien de l’ordre et du respect de la

loi commune, tout cela compris comme socle du bonheur partagé. Le quatrième chapitre

mettra en lumière les mécanismes de réparation et de restauration de la vie après l’injustice

commise à la hiérarchie ontologie : Dieu Maweja, les ancêtres, les parents-morts et les

ainés. Il définit aussi le cadre juridique qui justifie ces pratiques de réparation et de

restauration et ouvre la voie à la reprise du projet rompu de la recherche du bonheur.

À partir de l’éthique du bonheur partagé luba, la quatrième partie cherche à planter au cœur

du débat philosophique la question du rapport entre l’éthique du bonheur partagé luba, la

tradition et la modernité dans toutes ses articulations (philosophie, arts, science et technique).

Le chapitre premier met en évidence l’idée du procès de la tradition africaine en montrant

son côté rationnel, mais aussi les contradictions internes qui la dénaturent et effritent son

intensité ou plutôt son intentionnalité créatrice de sens et de signification pour les peuples et

les nations africaines. L’incohérence de certaines coutumes ne permet pas une meilleure

adaptation de la tradition dans le contexte actuel. Ce chapitre prend également la mesure du

choc et les réactions que la rationalité et la civilisation occidentales ont provoquées chez

l’homme africain en général et Luba-Kasaï en particulier et la réorientation que cela a

suscitée. La rationalité occidentale a apporté le développement, mais elle a aussi détruit les

cultures et traditions africaines. À l’issu de ce débat, le deuxième chapitre pose au carrefour

de la tradition et de la modernité l’herméneutique philosophique de manière à établir un

dialogue entre les deux pôles, c’est-à-dire il définit le rôle du philosophe qui consiste à

réaliser une fusion entre les valeurs de la tradition et des acquis de la modernité. La fonction

herméneutique est de plier la technique et la science aux objectifs humains. Il s’agit de

réaliser une synthèse herméneutique entre le rationnel et le raisonnable. Certes, la rationalité

technoscientifique est au service de l’humain, mais elle doit s’autodomestiquer en freinant

ses ardeurs et conquêtes qui dénaturent l’humanité. Le chapitre troisième relie à la fonction

herméneutique la question de la conscience de la responsabilité historique, de l’universalisme

éthique et de la médiation critique de l’éthique du bonheur partagé luba-kasaï. Par cette

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occasion, il montre aussi que, en tant que telle, l’éthique du bonheur partagé luba-kasaï

apparaît comme une œuvre de création humaine se fondant sur la tradition passé-présente et

future. Et par le fait que son objet est l’humain, elle peut prétendre à l’universel ou plutôt elle

peut être universalisable. Et se fondant sur sa praxis sociale du vivre-ensemble, du respect de

la vie comme bien suprême, de l’organisation institutionnelle des communautés, l’éthique du

bonheur partagé luba peut résoudre certains problèmes que se posent les peuples d’Afrique

d’aujourd’hui.

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PREMIÈRE PARTIE

LA PERSONNE ET SON IDÉAL DE BONHEUR

Introduction

Cette première partie tâchera d’élucider l’idée que le Luba-Kasaï se fait non seulement de la

vie et du bonheur partagé, de la sagesse de la vie pratique dont l’observation des règles

conduit à une vie épanouie, mais aussi de l’importance de la relation comme moyen efficace

de maintenir l’équilibre social et l’harmonie entre les membres de la communauté de vie. Il

sera donc question de montrer que le désir de l’homme luba, c’est la vie réussie et le bonheur.

Ce désir concerne la personne dans sa totalité et requiert aussi la possession des biens

indispensables à sa réalisation. Être de besoins, le Luba-Kasaï croit qu’il n’y a pas de

véritable bonheur sans la possession abondante des choses ou des biens matériels. En ce sens,

le bonheur devient coextensif à la vie, si bien que même après la mort il le retrouve auprès

de Dieu de toute bonté et des ancêtres. De ce point de vue, le sens de l’existence reste le

véritable désir, le vœu permanent d’une vie qui ne finit pas, qui ne meurt pas. Par la même

occasion, il sera aussi question d’expliquer que, chez le Luba-Kasaï, le désir du bonheur et

de la vie vise à la fois l’accomplissement individuel et celui de la communauté de destin.

Cette « membralité » explique toute autre relation qui remonte à la lignée fondatrice de la

famille, du clan, de la tribu, de l’ethnie ou de la grande communauté. C’est ainsi qu’on

expliquera également le sens du nom donné à un enfant comme un signe de bonheur et de

vie parce que faisant référence à ce chaînon de relation dont les racines sont les pères et les

mères, et au-delà d’eux les fondateurs du clan et les Bankambua (les ancêtres), les Bakole

(les initiés) ou encore les Bakulu (les aînés).

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CHAPITRE PREMIER

LA VIE COMME BONHEUR SUPRÊME

1. La vie : Moyo ou Bukole

a) La vie : un bien désirable

Dans la langue Tshiluba, la vie est appelée « Moyo ». Elle est le bien par excellence. C’est

pourquoi elle fait l’objet du souhait le plus ordinaire et le plus courant entre les membres de la

communauté. Cet imaginaire dicte, par exemple, les formules de salutations telles que : « Moyo

au ! », que la vie soit avec toi ; soit avec vous ! « Moyo weba au ! », que la vie soit avec toi !

On ajoute : « Ne Bukole » ou « Udi ne Bukole », « Udi ne dikanda (singulier) ou « Udi ne

makanda (pluriel) : avec force. Cet imaginaire montre que, pour les Luba-Kasaï, être heureux

c’est d’abord vivre et vivre pleinement avec force. Être heureux, c’est posséder d’abord la vie.

Dans cette perspective, l’essence de la vie définit l’essence même de la personne. Sans la vie,

l’existence n’est pas possible, et de ce fait, n’est point possible la présence sur la terre. En

témoigne l’expression :

« Kuikala ne Moyo », être avec la vie, ou encore mieux être vivant.

Comme « Moyo », la vie de la personne peut s’accroître, augmenter, devenir forte ou tout

simplement s’affaiblir jusqu’à s’éteindre. Pour les Luba, être fort, c’est fortifier sa vie, c’est la

rendre abondante et épanouissante. Devenir faible, c’est en réalité connaître une sorte de

déchéance de la vie, c’est perdre en soi cette possibilité d’être, c’est en fait « Kuangula lufu »,

trouver la mort.

Mais cette vie n’est pas synonyme de « Bukole », la force. Cela ressort, notamment, de cette

affirmation à propos d’un malade grave ou d’un vieillard grabataire déjà affaiblit : « Udi ne

Moyo, apo kena ne makanda to », il est avec la vie (il a la vie), mais il n’est pas avec la force (il

n’a pas de force), ou encore cette autre au sujet d’un individu mordu mortellement par le serpent :

« Yeye uvua mua kuikala mufua, kadi udi ne Moyo ne dikanda » : il serait mort, mais il est avec

la vie et la force. Ainsi donc, pour obtenir en abondance et en plénitude ce bien désirable et même

la force qui l’accompagne, l’individu Luba doit s’adresser uniquement à Dieu.

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b) Une chose sacrée

Dans l’imaginaire culturel luba-kasaï, tout ce que peut entreprendre la personne vise la

promotion de la vie et de la vie qui dure. Car la vie forte, intense et totale est considérée

comme quelque chose de sacrée. Cela en fonction de deux raisons fondamentales. D’abord,

à l’instar de tout autre bien, la vie est un don précieux reçu de Dieu. Ce don est identifié

avec la fin en vue de laquelle s’accomplissent toutes choses. Il est le but que vise l’activité

humaine dans toute sa globalité ; il est une des forces spirituelles remarquables de la

personne. Dans son individualité, chacun aspire à ce bien qu’il est tenu de promouvoir aussi

bien pour lui-même que pour sa communauté tout entière. Elle est même la raison

fondamentale de toutes les prières et de toutes les invocations adressées à Dieu et aux

esprits. En témoigne une prière telle que :

Mvidi Mukulu Mulopo wani umpesha Moyo. Ngikala mukole. Mona tshiuma ne

bubanji. Mbake, Ndele : Seigneur Dieu, donnes-moi la vie et la force de la vie.

Que je sois fort, que je vois les richesses et les avoirs. Que j’épouse, que

j’engendre13.

Cette prière traduit le désir permanent de la vie. Dans cette optique, la vie apparaît pour

l’individu Luba-Kasaï comme le plus grand bonheur, le seul bonheur désirable ; il veut

posséder la vie, la puissance infinie de la vie.

Ensuite, la deuxième raison est que, d’une part, la vie est un bien partagé par Dieu lui-

même, qui en est la source, les ancêtres et les hommes ; d’où l’obligation au respect strict,

à la soumission inconditionnelle et à la reconnaissance parfaite à Son égard et à l’égard des

ancêtres. D’autre part, l’homme Luba vit ce bonheur comme un être social, conscient du

rôle que jouent l’autre et la communauté de destin dans l’acquisition même de son propre

bien. Car autant la vie est un bien précieux et sacré pour lui, autant le désir de cette même

vie habite tous les autres membres de sa communauté. D’où il est également tenu au devoir

du respect de la vie de l’autre, de tout un chacun.

13 R. Van Caeneghem, « Prière luba à Dieu », Aequatoria 10 (1947), p. 28-43.

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c) Un bien à protéger

Chez les Luba, autant la vie est un bien désirable, autant est détestable toute force qui

handicape et qui détruit la vie. Le Luba-Kasaï sait qu’une force peut être plus forte qu’une

autre, et peut paralyser sa vie au point de le rendre incapable d’agir ou encore de le détruire

totalement. Mais la vie elle-même subsiste. Cela revient à dire que, selon le peuple Luba-

Kasaï, aucune force de la nature créée par Dieu ne peut se donner le droit d’enlever la vie

à une autre personne fut-elle faible ou étrangère. De ce point de vue donc, la vie comme un

bien précieux et sacré doit être protégé contre des intentions perverses et destructrices. Mais

dans la pratique, malgré son recours à Dieu, l’homme Luba-Kasaï semble être conscient

qu’il n’est pas à l’abri des influences malveillantes qui viennent perturber souvent le cours

normal de la vie et du désir du bonheur. Ainsi que l’affirment également T.A. Fourchet et

H. Morlighem :

La personne vivante se trouvant en harmonie et en relation avec Dieu, avec son

ascendance, avec les membres de son clan ou les membres de sa famille et avec

ses propres enfants, avec tout ce qui existe en dessous ou au-dessus, considère

que tout cela contribue à l’épanouissement et au renforcement de la vie. Ainsi, la

vie comme un bien sacré se doit d’être protégée de toutes les forces maléfiques

ou des intentions malveillantes14.

Lorsqu’une personne subit pareille atteinte, on dit qu’elle est une personne sans vie réelle

et sans bonheur ; elle est intérieurement diminuée en raison du manque manifeste de la

force de vie. Cette personne est un « Muntu mutupu », un « Muntu wa patupu », un « Muntu

wa tshianana », un homme ou une femme vide, sans perspective et sans raison de vivre et

d’exister. Bref, c’est une personne morte, « Muntu mufua ». Il ne s’agit pas d’une mort

physique, mais d’une mort symbolique, on peut dire même spirituelle.

On la déplore, et en même temps, on cherche à connaître les raisons de cette souffrance et

de cette diminution. Car, chez les Luba, la personne est censée être toujours forte et

puissante, un signe manifeste de sa présence sur la terre et de son plein épanouissement.

14 T.A. Fourchet et H. Morlighem, Une bible noire, Bruxelles, Max Arnold, 1973, p. 121-135.

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d) Les causes de la diminution de la vie

Selon les Luba, les causes de la diminution de la force de la vie de la personne et de son

désir du bonheur sont la jalousie, l’envie, l’égoïsme, la sorcellerie et le manque d’amour.

L’individu qui entretient ces vices dans son cœur exerce une mauvaise influence sur les

autres. En témoignent la fable de Lombe et de Dilandi (le Pangolin et l’Escargot), et le

conte de Bena Luendu Basatu ; deux récits qui invitent la personne à la lutte

permanente contre les intentions malveillantes :

La jalousie peut amener les humains à se détruire et à détruire la vie des autres,

la fable du Pangolin et de l’Escargot présente l’histoire de deux frères dans un

village : l’un avait des femmes, des enfants, des troupeaux de chèvres et de

vaches, des champs et d’autres biens précieux, tandis que l’autre n’avait rien. Ce

dernier, pris de haine et de jalousie, décida de détruire la vie et le bonheur de son

ami. La fable conclut : La jalousie du Pangolin l’amena à haïr l’Escargot au point

de tuer ses enfants et sa femme et même de le chasser du village.

Cette fable est souvent reprise pour enseigner la protection de la vie de tous les jours, même

dans certaines considérations du degré de malfaisance. Dans le langage ordinaire, lorsque

l’individu Luba-Kasaï dit : « Udi bu Lombe muasa Dilandi bualu », tu es comme un

pangolin qui poursuit l’escargot, il veut montrer ou plutôt il veut dénoncer la personne (un

membre de famille ou du clan) qui est jalouse, qui le poursuit dans sa vie et qui lui en veut

énormément. En réalité, la leçon que donne la fable se résume en ceci que la célébration de

la vie comme un bien suprême exige de conjurer la jalousie dans le contexte de la vie

commune et de la recherche du bonheur. La lutte contre la sorcellerie (Buloji, Mupongo,

Bulowa) et la malveillance (Dienzelangana bibi), la jalousie (Lubabu ne Lukinu) reste la

plus assidue des luttes. Mais par sa malice et sa violence, la sorcellerie est considérée par

les luba comme l’acte horrible de destruction aussi bien de la vie que du désir du bonheur

partagé.

Le conte de « Bena Luendu Basatu », raconte qu’il y avait trois personnes qui

étaient allées à la recherche du bonheur. Le roi leur confia des colis à n’ouvrir

qu’en public et en plein jour, mais la première personne l’ouvrit toute seule en

brousse, la deuxième devant sa famille dans la nuit, et la troisième devant le chef et

toute la communauté. Le conte conclut que c’est cette dernière personne qui reçut le

véritable bonheur. La sorcellerie et la malveillance ont leur racine dans la jalousie et

l’envie, l’insatiabilité et la soif des plaisirs, l’égoïsme et la recherche effrénée de l’avoir,

du savoir, de l’agir et du pouvoir.

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Ce conte met en évidence le manque du véritable amour des autres, de communion avec les autres et

avec sa propre communauté d’être, et de la considération de la vie et du bonheur comme valeurs

intrinsèques. Les vices n’élèvent pas l’humain à sa plus grande valeur, mais le plongent dans la

déchéance, c’est-à-dire dans la nuit de la mort définitive, Mu lufu lua Kashidi.

Il ressort de ces contes que, pour les Luba-Kasaï, la vie, ce bien désirable vient de Dieu tandis que la

mort est une expérience humaine vécue aussi par les ancêtres et les aînés. À ce propos les Luba disent :

Moyo mmushiya Mvidye, lufu nlushiye Bakulu.

Bien qu’ils soient considérés par les Luba comme des intermédiaires entre Dieu et les hommes, les

ancêtres et les aînés ont aussi entretenu la haine, la jalousie et l’envie. Ces vices ont causé la mort

dans les communautés. Certes, parmi les Bakulu (aînés) et les Bankambua (ancêtres), on trouve des

bons, mais aussi des mauvais qui sont parfois loin de Dieu Maweja-a-Nangila (Dieu de toute bonté).

Les bons qui participent avec joie à la plénitude de la vie avec Dieu sont considérés comme source et

dispensateurs de cette même vie et de tous les autres biens matériels. Aussi, les Luba s’acquittent à

cœur joie du devoir de reconnaissance et de gratitude en leur offrant des sacrifices, des présents et en

se soumettant à la tradition, à la sagesse de la vie pratique léguée par eux (ancêtres).

Avant d’aborder cette autre dimension de la sagesse de la vie pratique, il est important de déterminer

les éléments constitutifs de ce bonheur.

2. Les éléments constitutifs du bonheur

Le bonheur chez le peuple Luba-Kasaï est certes un don de Dieu, mais il est aussi le résultat

de la recherche individuelle. Cette recherche ne consiste pas dans la contemplation des vérités

essentielles et intelligibles, d’un état de vie achevée, ou encore le renoncement et la privation

stoïque des biens, mais plutôt elle se base sur les données du réel, sur les choses concrètes de

la vie de tous les jours. Ces données du réel peuvent être regroupées en trois catégories,

notamment : la procréation, la progéniture abondante, les biens matériels et les honneurs.

a) La procréation

De tout le réel qui constitue le bonheur individuel, le Luba-Kasaï focalise son attention sur

la femme et les enfants qui ne sont pas nécessairement de l’ordre des bintu, des biens ou des

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choses. En effet, la femme occupe une place et un rang qui lui sont propres en sa qualité de

femme, d’épouse et de mère. Dans cet univers, on ne peut pas parler du don de la vie et du

bonheur sans singulièrement parler de la femme et de son rôle dans la communauté d’être.

Dans celle-ci, en effet, on pense qu’autant la femme est à la source de la vie, autant elle est

la source de tout bonheur. Elle procure le bonheur, en soignant la vie et en protégeant. C’est

elle qui symbolise la vie elle-même. C’est la raison pour laquelle elle fait l’objet de

protection, de tendresse, de respect et de bon encadrement aussi bien dans la relation

conjugale que dans la communauté clanique. Ainsi un mari qui répudie sa femme et reste

divorcé est mal vu. L’inverse aussi est vrai. Une femme qui quitte son mari et devient

divorcée est déconsidérée par toute la communauté. Comment, alors, se conçoit la dignité de

la femme dans ce cadre, et quel est son véritable rôle au sein de la communauté clanique ou

familiale (Diku) ?

La culture luba-kasaï assigne primordialement à la femme le rôle de mère, celle qui, avec le

concours de son mari, transmet la vie qu’elle possède en elle à un petit individu qu’elle

conçoit, porte et met au monde, mais tout à la fois qui entoure cet enfant de soins, de

tendresse, d’un amour d’une qualité spéciale et l’élève au-dessus d’elle-même en conformité

avec les coutumes, les mœurs de son clan et la sagesse de la vie pratique. Ces deux fonctions,

maternelle et aimante, sont en fait nécessaires, la seconde l’emportant toutefois sur la

première. Car une femme ayant mis au monde un enfant avec une malformation

physiologique ne peut, parce qu’elle est mère, s’empêcher de l’aimer comme elle le ferait

pour tout autre enfant. En ce sens, les Luba-Kasaï disent :

Biwalela mubi wa tapa ani ? Si tu engendres un enfant avec une malformation

physique, as-tu nécessairement le droit de le supprimer, de détruire sa vie ?

Cela revient à dire que, quelles que soient les infirmités ou les anomalies d’un enfant, sa mère

l’aimera, car elle est mère et, la maternité est avant tout une œuvre d’amour et de

responsabilité ; un amour et une responsabilité qui donnent, se donnent et s’oublient. Donner

la vie est parmi les œuvres humaines une des plus nobles, sinon la plus noble. Dans cette

perspective, la femme se sent plus la mère de ses enfants que la compagne de son mari.

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La femme qui fait le bonheur de l’homme ou de l’époux est celle qui engendre plusieurs fois.

Une telle femme n’est pas appelée du nom de son mari, mais en rapport avec l’ainé de ses

enfants, soit avec le plus connu ou encore en rapport avec les enfants spéciaux qui sont nés

dans des circonstances spécifiques comme les jumeaux. On l’appellera en effet « Mua

Mukendi », mère de Mukendi, ou tout simplement encore « Mua Bana », mère des enfants.

Dans le cas des jumeaux, le père s’appellera désormais « Shambuyi », père de Mbuyi, et la

mère « Mua Mbuyi », mère de Mbuyi, du nom du premier des jumeaux à voir le jour.

La procréation constitue un véritable motif de fierté et d’honneur aussi bien pour la femme, le

mari que pour toute la communauté d’être. Reste que la femme qui prétend à cette

responsabilité historique doit être mûre et avoir un sens de responsabilité remarquable, suffisant

et nécessaire pour s’acquitter non seulement de sa charge de mère des enfants, mais aussi de

toute la communauté de vie, qui l’aime et la reconnaît comme mère de tous.

Signe de bonheur, la procréation traduit également un sens profond de reconnaissance

envers ses parents. C’est qu’en fait, dans cet univers, la naissance rappelle à l’individu

entre autres, son existence comme reçue  ; non seulement trouvée là, mais aussi donnée

par d’autres. C’est bien cela que semble confirmer Paul Ricœur lorsqu’il souligne :

« L’individu est conscient qu’il a été mis au monde ; qu’il descend de ses parents ; ils

sont son ascendance »15. De l’autre côté, les Luba pensent que continuer la procréation est

une autre bonne manière d’honorer Dieu. Ainsi pour justifier cette fonction de

continuation de l’œuvre sacrée, les Luba recourent entre autres aux proverbes tels

que :

Balela walela biebe : les autres procréent, à toi aussi de faire de même.

Kulela nkuabanya mesu : procréer c’est en fait distribuer les yeux.

Kashawuke kuna Nsanga, muinshi mua Nsanga ke muikale tshikishilu tshiebe :

Nain, plante un chêne, car c’est sous son ombre que tu auras à t’abriter.

15 P. Ricœur, Philosophie de la volonté I : Le volontaire et l’involontaire, Paris, Aubier, 1963, p. 75.

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Lumu kaluena kushiya, washiyaku Muntu panu : la gloire ne peut te survivre,

puisses-tu laisser un homme ici-bas.

Kuatshila muana mpasu, pa kolayi ne akukuatshila biebe : attrape la sauterelle

pour l’enfant, quand il sera grand il ne manquera certainement pas de faire de

même pour toi aussi.

Il est ici question d’engendrer, de laisser une progéniture aussi abondante que capable

de continuer à assurer la pérennité du clan par la procréation.

b) La progéniture abondante

Chez les Luba du Kasaï, avoir une abondante progéniture est un signe manifeste de bonheur

et d’épanouissement. Autrement dit, le bonheur n’est pas possible si on ne peut

communiquer la vie à d’autres. De ce point de vue, la joie de vivre reste sans doute

l’apanage de celle qui engendre de nombreuses fois. Car la mère d’un seul enfant est

mère de rien du tout, on ne peut vraiment pas l’appeler mère. Ainsi n’avoir engendré

qu’une seule fois, c’est non seulement se compromettre, mais aussi être borgne. À ce

propos, les Luba-Kasaï disent :

Muana umue disu difua : avoir un seul enfant, c’est être borgne.

Il est donc nécessaire d’avoir une progéniture abondante signe de fierté, d’assurance,

et donc de bonheur partagé. Dès lors, la vie et la capacité sexuelle de transmission de

la vie restent pour les Luba-Kasaï une chose merveilleuse, car ils y voient à la fois la

volonté parfaite de Dieu et bien sûr celle des ancêtres. De fait et de droit, la vie étant

transmise aux hommes, aux ancêtres par Dieu lui-même, l’homme a le devoir sacré de

la renforcer en la transmettant à son tour à sa progéniture ou plutôt à une abondante

progéniture. À ce sujet Tempels affirme : « Les Luba disent qu’ils existent pour renforcer la

vie, et pour renforcer la vie dans la progéniture, dans une abondante progéniture »16.

Tandis que la femme mère est exaltée et honorée, la femme stérile appelée chez les Luba-

Kasaï « Kumba » est maudite ou parfois regardée avec méfiance alors qu’elle est victime des

caprices de la nature. Elle perd presque tous les droits et toute protection de la part de la

16 P. Tempels, La philosophie bantoue, Paris, Présence Africaine, 1949, p. 102-103.

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communauté. Elle est presque toujours répudiée sans regret. Il en va de même pour celle qui

n’a pu trouver de mari ou qui n’a pas épousé et qui est devenue par l’usure du temps et de

l’âge, selon le terme moderne, « une vieille fille ». La stérilité de la femme (Kumba) ou de

l’homme, appelé « Mutungu », apparaît dans cette société comme l’une des causes profondes

de divorce, de séparation ou encore qui empêchent le mariage de se conclure. Car il semble

difficile et peut-être encore un non-sens de vivre et d’avoir le bonheur sans avoir eu d’enfants,

et qu’on ne peut même pas les avoir. Un tel homme ou une telle femme ne peut prétendre

être heureux, encore moins être responsable. Généralement, il est considéré comme

un fou ou une folle n’ayant aucune responsabilité dans la société17. Dans la vie

pratique, il est rare que les charges lui soient confiées. De cette manière, le célibat

n’est pas un statut envisageable dans la communauté luba-kasaï. En témoigne ce

dicton :

Mujika Muanabu ne mupale : le célibataire est apparenté à un fou.

Or, le fou ne peut être associé au bonheur, à la vie surtout s’il a déjà atteint l’âge requis pour

se marier ou pour assumer des responsabilités dans la communauté. On ne peut d’aucune

manière compter sur un tel personnage, il est, comme on l’a vu, un homme complètement

diminué, un « Muntu mufua » ; il vit dans la communauté ou dans la famille clanique comme

s’il était totalement absent. Ainsi totalement effacé et ignoré, l’individu célibataire vit sa

profonde solitude, et sa cause est à peine entendue. S’applique à cette culture, la pensée

d’Aristote selon laquelle : « On n’est pas, en effet, complètement heureux si on a un aspect

disgracieux (…) ou si on vit seul et sans enfants »18.

Il nous paraît donc évident que, pour le peuple Luba-Kasaï, la vie sans lien conjugal, sans

une vie sexuelle, ou encore sans enfants ou plutôt sans une progéniture abondante demeure à

tous égards une vie sans amour et sans véritable bonheur. Ainsi vivre le bonheur, c’est en

réalité se baigner dans cette double relation humaine.

17 R. Van Caeneghem, « La vie célibataire dans les proverbes luba », Congo 21/1 (1940), p. 47-79. Voir aussi

G. Buakasa Tulu Kia Mpasu., « Un rituel traditionnel africain contre la stérilité », Génitif 2/6 (1980), p. 25-36 ;

et « La sexualité d’une culture à une autre », in Morale et société. Actes de la première rencontre des moralistes

zaïrois, Kinshasa, AMOZA, 1978, p. 62-78. 18 Nico, I, 9, 1009 a 24.

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Mais on peut se poser tout de même quelques questions : faut-il nécessairement être marié

et/ou avoir une abondante progéniture pour se sentir heureux ? Cela ne nous semble pas

évident. Pour autant que le mariage ou la procréation sont des biens nécessaires, mais qui ne

sont pas indispensables à la vie et au bonheur. La personne qui choisit de vivre dans le célibat

peut être autant heureuse que celle qui est mariée et a engendrée plusieurs fois. De l’autre

côté aussi, présenté comme un idéal de vie, le lien conjugal et la procréation qui le couronne

reste un pari à gagner pour les communautés luba-kasaï.

c) Les biens matériels

L’homme Luba pense que les biens matériels, non seulement sont indispensables à la vie,

mais aussi ils constituent un véritable bonheur humain. L’aspiration générale de tous les

membres est d’avoir une vie heureuse, une vie épanouie aussi bien de la personne que de la

communauté d’être. Le bonheur partagé n’est pas une simple possibilité, mais une nécessité

admise par tous et recherchée par tous. Pour ce faire, il requiert une possession des biens et

des richesses. Cette possession se situe dans la perspective de renforcement de la vie et de

son maintien ou de sa promotion. Là où il n’y a pas des « bintu », des biens matériels, il n’y

a forcément pas de vie, et donc pas de bonheur. De cette manière, la quête du bonheur

partagé s’accorde avec celle des propriétés. Car, selon ce peuple, la finalité de l’existence

humaine consiste en son épanouissement, en son développement positif et intégral. D’où

l’importance donnée à cette dimension de la vie. Bref, pragmatique, le Luba-Kasaï ne

néglige pas la question de l’apport des biens matériels comme éléments constitutifs du

bonheur. Il est même convaincu qu’il est un être de besoins et sa nature humaine fait face

à des nécessités matérielles indispensables pouvant constituer une véritable obsession.

Vivre pour lui, c’est posséder la totalité des affaires humaines esprit et corps. Le bonheur

se trouve donc dans la possession des choses nombreuses. C’est en fonction d’elles que

peut s’évaluer tout projet d’existence humaine. Comme le dit Aristote : « Le bonheur

concerne notre existence dans sa totalité. Il constitue le critère d’évaluation de tout projet

existentiel et la terminaison des affaires humaines »19. Parmi ces affaires humaines et ces

choses nombreuses, on compte :

19 Nico X, 6, 1176 a 31.

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Les terres (Maloba).

Les champs (Madimi).

Les troupeaux des bêtes : vaches (Bikumbi ou Bipangu bia Ngombe), porcs (bia

Ngulube), chèvres (bia mbuji) et de poulaillers (ne bia Nsolo).

Les possessions des biens mobiliers ou immobiliers (Nzubu ne pangu).

Les biens précieux comme Nkanu ya tshiombo, les croisettes en fer, kapia ka

tshingoma, la poudre à canon, Tshingoma, le fusil ou l’arme à feu, l’or, Mibela,

les perles, Mabue a mushinga mukola, les pierres précieuses, les diamants, etc.

Particulièrement, ces choses précieuses servent soit à négocier les mariages, soit à troquer

certains biens, ou encore à l’organisation des fêtes et des grandes cérémonies exubérantes.

Posséder ces biens précieux et ces biens matériels est un signe non seulement de bonheur,

mais aussi d’honneur. Le Luba aime les honneurs et le respect de sa personne. Il apprécie

qu’on dise de lui qu’il possède des biens, qu’il est grand et fort « Muena kantu ku bianza »,

un riche ; « Muena bio », le propriétaire, le maître. Mais on peut aussi dire qu’en cherchant

à posséder plus de biens, plus de richesses, plus d’honneur et de pouvoir, le Luba apparaît

comme un être de besoin insatiable à telle enseigne qu’on peut également dire de lui qu’il

n’a que la recherche du bonheur comme tâche et fin. Ainsi nous pouvons dire avec Ricœur

que : « Le bonheur n’est donc pas une somme, mais un tout, et c’est sur son horizon que se

détachent (…) les désirs égrenés de notre vie »20.

Entre-temps, le Luba-Kasaï reconnaît que les femmes, les enfants et tous les autres biens

matériels qu’il possède ont une origine, une seule source à laquelle il fait référence et par

rapport à laquelle il accomplit son acte magnifique de reconnaissance. Cette source est bien

sûr Dieu Maweja. Mais pour maintenir et rendre durable ce bonheur, il doit suivre les règles

générales de la sagesse de la vie transmises ou léguées aux générations par ses ancêtres.

20 P. Ricœur, Philosophie de la volonté II : Finitude et culpabilité, Paris, Aubier, 1988, p. 85. Voir aussi : A.

Mabika Kalanda, La révélation du Tiakani, Lask, Kinshasa, 1990, p. 87-89.

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3. La sagesse de la vie pratique

Dans la cosmogonie luba-kasaï, le bonheur et ses mécanismes de promotion se basent sur

des éléments essentiels de la sagesse de la vie pratique que les Luba présentent sous ses

différents aspects. Ces éléments constituent à la fois un véritable art éducatif et un mode

de vie.

a) Les règles générales

Les Luba-Kasaï nourrissent la conviction que :

Chaque personne est une individualité unique qui possède sa propre vie et sa

puissance de la vie. Ce principe se généralise et s’applique non seulement à tous

les êtres humains, mais aussi à Dieu lui-même.

Chaque personne étant une existence totale par nature, elle possède la vie comme

un bonheur unique, déterminé et intrinsèquement différencié.

Chaque individu est une unité de vie existante dont le désir du bonheur reflète la

reconnaissance d’autrui dans sa propre quête. Seule une vie comme totalité

singulière peut se placer sous la visée de la vie bonne, c’est à cette condition aussi

qu’il devient possible de souhaiter qu’une vie soit pleinement forte et réussie.

Pour saisir une vie d’homme dans sa totalité, dans sa plénitude ou son

accomplissement, il est nécessaire de l’envisager de la naissance à la mort

normale. Cette dernière, justement, est comprise chez ce peuple comme une

négation hors-série dans le sens qu’elle constitue la fin apparente des limites,

pourtant c’est elle qui donne sens à la vie et au bonheur. Ici aussi se pose la

question de l’identité que le Luba lie au rôle que peut jouer le temps, c’est-à-dire

la durée dans la constitution de sa propre personne. Chacun a en réalité son

histoire, sa propre histoire, et donc son propre bonheur. La quête de son propre

bonheur pose le problème de la permanence de ce bonheur dans la durée comme

personne unique et qui reste identifiable.

Le développement de la personne ne dépend pas par conséquent de la force d’une

autre personne. À la limite, il dépend de Dieu seul qui lui donne d’exister comme

individu et comme personne unique et identique à lui-même. Seul Dieu a le droit

de lui arracher cette vie et cette existence. De cette manière, toute influence

maléfique est considérée comme diabolique et n’entre pas du tout dans le plan

réel de réalisation de la vie. Ainsi, avec lucidité, l’homme Luba-Kasaï sait que la

vie est unique et il faut la vivre pleinement et totalement.

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Le pacte du bonheur plein, total et durable scelle en même temps la

reconnaissance du droit de tout être humain à l’existence et au bonheur. De la

sorte, aucun être ne peut s’octroyer le droit d’interférer dans l’existence d’un

autre.

Les hommes doivent vivre en harmonie avec la nature et y faire recours pour leur

vie et leur bonheur. Ce recours aux forces extérieures ou aux forces de la nature

est orienté vers le renforcement de ce pacte de la vie pleine et du bonheur total

pour soi-même et pour l’autre.

Chacun s’en approprie avec critique et reconnaissance sans vouloir imposer aux

autres une certaine vision du monde. Une manière de vivre et de gérer sa force

de vie et son désir de bonheur partagé.

Il revient à chaque personne de porter la vie à la signifiance, au bonheur. C’est

également à elle qu’il incombe de choisir parmi les multiples possibilités de

réalisation que lui offre sa nature de personne et d’individu. L’appropriation de

la vie devient une véritable incitation à être une force et une puissance de vie,

mais également à agir pour plus de bonheur partagé.

L’individu qui veut être fort et accéder au bonheur se doit de faire : une hiérarchie

des valeurs entre la bonté et la méchanceté, entre le bien à faire et à souhaiter à

un autre et le mal à éviter parce que nuisible à la vie et au bien-vivre-ensemble.

Il appert que dans cet univers luba, la connaissance par tous les membres de la communauté

de ces principes régulateurs de la vie et du fonctionnement de l’interaction entre les êtres est

une manière de vivre et d’être heureux. Cela revient à dire que cette philosophie consiste non

seulement dans une certaine conduite de la vie, mais également dans son rapport global avec

la vie elle-même. Elle donne les raisons humaines de tout comportement, de toute vie privée

et personnelle, qui veut ainsi se conserver ou se fortifier pleinement. Certes, chaque individu

ne peut nécessairement réciter comme dans un concours toutes les lois générales qu’il suit

dans le cheminement de sa propre vie.

Cependant, il reste aussi vrai que toute personne qui aspire au bonheur partagé, mais qui ne

règle pas sa vie sur les lignes générales de cette philosophie séculaire est considérée comme

un homme qui n’est pas complet et normal, qui ne possède pas une force et un esprit suffisants

pour exister.

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En résumé, ces principes généraux de la vie pratique sont universels et imposables à tous les

membres de la communauté. Les connaître est une nécessité impérieuse sinon un signe

manifeste de bonheur. Ils sont incontestables, voire même incontournables. Considérés

même comme des vérités absolues, ces principes sont inattaquables. Consciemment ou

inconsciemment, toutes les générations y compris celles d’aujourd’hui y font référence dans

leur vie et dans tout processus d’éducation de leurs enfants non pas par nostalgie, mais parce

qu’elles ont la forte conviction que ces principes directeurs ont une valeur. L’homme normal

est donc celui qui a large et profonde connaissance de cette philosophie de la vie, des

principes moraux, qui connaît profondément les relations intimes et mystiques des êtres créés

avec leur Dieu et/ou entre eux ; et qui connaît les principes et les lois généraux d’influence

des êtres et du bien-vivre en commun.

b) Un style de vie

Pour les Luba-Kasaï, leurs ancêtres savaient plus parfaitement les choses et les lois de la vie

que les descendants directs. Ils étaient les premiers à avoir vécu eux-mêmes cette sagesse du

bonheur partagé et de l’usage de ces forces de la nature. Par la pratique de ces règles, ils ont

conservé pleinement leur vie et l’ont transmise à leur postérité. Ils ont sauvé et préservé leur

communauté de destin de la destruction malveillante et de toutes les autres forces maléfiques.

Ils ont eu la forte conviction que leur sagesse du bonheur est bien juste, pleine de valeur et

bonne par-dessus tout. À cet égard, on peut affirmer que cette philosophie de la vie pleine est

bien adaptée à leur mode de vie ou plutôt, elle est un style de vie ne laissant, pour ainsi dire,

aucune question irrésolue, aucun problème sans réponse et aucune difficulté sans une

alternative ; elle donne des solutions pratiques à toutes les difficultés extrêmes ou pas,

internes ou externes. En tant que style de vie, elle participe à la promotion de la vie et

augmente le désir du bonheur. Elle procède de l’évidence même des choses et des forces de

la nature. Elle leur a été transmise à travers les contes, les proverbes, les paraboles, les fables,

les chants, les légendes, les arts, les mythes et par l’ensemble des coutumes, des lois, des

règles et des interdits, qui structurent les communautés claniques. Elle se résume dans la loi

de la solidarité, de la fraternité clanique et du vivre-ensemble. Elle comprend la socialisation

des individus, la pratique de la justice, de l’affection et l’amour des autres membres de la

communauté. On peut même dire que, malgré les vicissitudes du temps, cette sagesse

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continue encore aujourd’hui, du moins en théorie, d’animer la vie des communautés luba-

kasaï. Monseigneur Bakole wa Ilunga corrobore cette idée en affirmant :

Pour rendre la vie plus heureuse, les hommes élaborent un style de vie, un

ensemble de mœurs, une morale et une culture auxquels chaque nouveau-né sera

introduit par un long processus de socialisation. Chaque peuple invente ainsi une

sagesse, un ensemble de règles et de coutumes, qui ont pour but d’aider chacun

et tout le groupe à bien vivre. Il y a des obligations et il y a des interdits : chacun

sait ce qui est bien, ce qui augmente la vie et ce qui est mal, ce qui la diminue ou

la met en danger. C’est ainsi que nos ancêtres ont élaboré, à travers les siècles,

toute une civilisation qui organisait la vie en commun. Chacun connaissait son

rôle dans la société, ses devoirs et ses droits ; les menaces et les difficultés étaient

vaincues par une intense solidarité. La loi et la reconnaissance pour le don de la

vie trouvaient leur expression dans les fêtes, la musique et la danse. Le lien avec

le monde invisible s’exprimait à travers une grande richesse de rites, de prières

et de cultes. Le droit coutumier ou encore la jurisprudence réglaient les conflits

d’intérêts entre les individus et entre les autorités. Tout ce qui avait trait aux

mystères les plus fondamentaux de la vie était entouré de beaucoup de règles et

de rites : le mariage, la sexualité, la naissance ou la mort21.

c) Un art éducatif

On peut aussi dire que cette sagesse luba de la vie est un véritable art éducatif et normatif. Il

consistait à initier les enfants et les jeunes adultes à la vie, à la recherche commune du

bonheur et à la prise de responsabilité dans la communauté de destin. Cette éducation passait

par une longue préparation qui les rendait hommes capables de discerner le bien et le mal,

qui formait leur caractère à devenir des hommes et des femmes capables de transmettre et de

promouvoir, à leur tour, la vie. Autrement dit, chez les Baluba, les règles de conduite leur

sont imprégnées dans la mémoire par les récits des veillées. Toute la tradition, peut-on dire,

entre par cette voie. On apprend tout ce qui est ordonné et tout ce qui est défendu. Un Muluba

de 15 ans connaît les sanctions innombrables des manquements à la coutume, sanctions

d’ordre surtout religieux et magique. De la sorte, un système de contrôle social aidait les

individus à observer une morale sociale et un code de justice tendant à faire des hommes

bons et honnêtes. Chacun se sentait naturellement et sans complexe intégré dans la

communauté de vie et toute la communauté était ainsi intégrée dans la grande communauté

d’être dans laquelle les ancêtres avaient déjà vécu. Bref, le processus d’initiation était en

21 M. Bakole wa Ilunga, (Mgr.), Chemin de libération, Kananga, Éditions de l’Archidiocèse de Kananga, 1984,

p. 125-128 et p. 141-142.

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même temps la voie par laquelle les jeunes apprenaient les manières de règlement des

comportements et d’acquisition de la maturité humaine, les principes visant à rendre la vie

heureuse et à travailler à la promotion du vivre-ensemble.

d) Une vie juste

Pour préserver sa vie contre toutes les formes de maléfices et jouir pleinement de ses biens

dans la durée, l’homme Luba pense qu’il est indispensable de vivre une vie juste et

irréprochable conforme aux lois générales de la sagesse de la vie pratique. Les mauvais, ceux

qui acquièrent le bonheur par des moyens malhonnêtes en tuant, en ravissant les biens

d’autrui connaissent le malheur et la mort. Tandis que les hommes justes, les hommes de

bien, ceux qui appartiennent à Dieu échappent à toutes sortes de souffrances et connaissent

le bonheur sans fin. En témoigne ce dicton :

Wa Mvidye kafuafua ufuafua ngua baloji ne bankina munda : celui qui appartient

à Dieu ne meurt pas, meurt plutôt celui qui a partie liée avec les malfaiteurs, ou

encore celui qui détruit la vie des autres et déstabilise l’équilibre social.

Il s’agit là de la mort du malveillant, la mort définitive qui annihile son être et le fait

disparaître.

De ce point de vue, le malheur ou la perte de ses biens qui pourraient éventuellement frapper

un individu ou sa famille a une cause et inquiète, si bien que la personne s’interroge s’il n’a

pas été auteur de la mort de l’un des membres de la famille ou d’une autre personne

n’appartenant pas au clan. Surtout si ce malheur touche l’un des membres de sa famille

directe, un enfant, une femme, un père, une mère, un oncle ou un autre proche, etc. À ce

moment précis, le Luba se met ou se remet à l’examen de conscience révisant à la loupe tout

son comportement et celui de ses proches, toutes ses relations et celles de ses proches pour

en être sûr :

Tshiena muiba, thshiena mudia muntu ku mupongo, tshiena mukina nansha

mubaba muntu, tshiena munianga bia mu budimi bua muntu, tshiena muibe mbuji

wa muntu, tshiena muenda ne mukaji wa bende, tshiena mutombokela Maweja,

thiena mujana muntu to, bua meme kuakanina makenga ne dijimija dia mabanji

ani.

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Ce qui signifie : Je n’ai ni volé, ni tué, ni ensorcelé, ni haï mon semblable, ni mis de barrières

sur la route, ni porté atteinte au troupeau d’autrui, je n’ai pas médit de quelqu’un, ni nui à

son champ, ni commis l’adultère, ni poignarder Dieu Maweja, ni tué sa chèvre, pour mériter

un mauvais sort et perdre tous mes biens et mes avoirs.

Lorsqu’on est pris en mal par le jaloux et le méchant, l’individu Luba, par crainte de connaître

le malheur et de voir ses acquis disparaître, s’adresse spontanément à sa communauté en

disant :

Ndi mudia tshia ani wetu bua makenga ne ntatu bimbuelela mu Diku ne

munzubu. Soit en français : Que dois-je avoir mangé, que dois-je avoir pris

d’autrui pour que tant de malheurs ou tant de peines et de souffrances viennent

s’abattre sur ma famille et dans ma maison.

De fait, la morale est bonne. La pudeur et le respect du bien d’autrui existent sans faute.

Voleurs comme tels, les Luba ne le sont pas du tout, par crainte ; mais s’ils n’ont pas à

redouter un de ces châtiments terribles usités parmi eux, tel qu’amputation du nez et des

oreilles, ils ne se gênent pas de « ramasser » comme ils le disent, ce qui ne leur appartient

pas :

Tshiena muibe to, ndi biani muangula panshi. Ne dit-on pas que ramasser n’est

pas voler !

En appui à la bonne conduite, les Luba convient les ainés et les responsables des

communautés d’avoir une attitude irréprochable et exemplaire vis-à-vis des enfants ou des

jeunes adultes. Comme en témoignent les proverbes et dictons tels que :

Lama ludimi kulami Nsua : ainé garde ta langue et non les Fourmies. Cette

expression convie les ainés et les parents à se garder de dire n’importe quoi au

risque justement d’envenimer la communauté ou encore de déstabiliser

l’harmonie et l’unité des membres de la famille clanique (Diku).

Wenda ne meso kuendi ne matshio : promène-toi avec les yeux et non avec les

oreilles ; un adulte responsable de la communauté ou de la famille clanique est

tenu à la réserve et à la discrétion. Car le bavardage ou la médisance

« Tshiakulakula (Bikulakula) ne malu akumishiku », crée toujours des

malentendus et parfois provoque la mésentente et les querelles dans la

communauté de vie.

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Kosha dingonga mu munya Bana badi mua kushala kuosha bijangalala : ne grille

pas les criquets pendant la journée au vu et au su des jeunes et des enfants, sinon

quand ils resteront seuls, ils grilleront mêmes des criquets non comestibles.

En somme, cette prise de conscience de l’homme juste traduit une réalité que la société luba

représente comme un système moral avec un équilibre interne admirable. Non pas dans le

sens que tout y est facile et harmonieux comme dans les meilleurs des mondes. Ce système

moral s’exprime dans un comportement plus juste, irréprochable et dans des mœurs que la

communauté sanctionne. Dès lors, on peut affirmer que, les Luba connaissent la loi naturelle

telle qu’elle est formulée dans le Décalogue dans la mesure où on retrouve en eux une attitude

de vérité et d’honnêteté récusant le mensonge, la tromperie, le vol et l’adultère. Ils

condamnent le mariage d’impubères et autres abus sexuels. Ils tiennent à l’intégrité physique

et morale de chacun. Tout cela pour pouvoir préserver la vie et conserver longtemps possible

les acquis du bonheur aussi bien sur la terre que dans l’au-delà.

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CHAPITRE DEUXIÈME

LA MORT ET LE CYCLE DU BONHEUR

1. L’antériorité et l’universalité de la mort

La démonstration sur la loi morale est arrivée à l’idée que, vivre une vie juste est une autre

manière de conjurer la mort et d’espérer vivre un bonheur qui dure dans l’au-delà. La mort

est la chose la plus redoutable qui traduit en réalité la situation de fragilité de la personne,

mais surtout la brièveté de son séjour sur la terre. Dès lors, le destin de la personne se réduit

à la lutte permanente entre la vie et la mort. Or, selon le peuple Luba, autant que la vie, la

mort est aussi ancienne et concerne tous les hommes. Dans cette lutte éternelle, les Luba

disent que :

Lufu nlukulu Buanga tshdingijilu : la mort est plus ancienne et prédomine, le

fétiche n’est qu’un leurre.

Lufu wa Mvidi Mukulu mulela bionso kabiyi bifuka : La mort est plus ancienne,

elle existe avant que tout ne soit créé.

Par ces affirmations, les Luba vont jusqu’à reconnaître que la mort est une vérité qui concerne

tout un chacun et qui n’épargne personne. Elle est également une réalité inéluctable et

imprévisible.

a) Une réalité inéluctable et imprévisible

En effet, les Luba disent :

Patudi apa, tudi ba lufu katuena ba moyo : tous autant que nous sommes ici-bas,

nous relevons de la mort et non de la vie.

Kubajangi kuyaya Bakulu, kuyaya ne Bana ba tutoto (ou Bana ba mu maboko) :

chez les mânes se rendent les adultes, se rendent aussi les bébés. Tous nous

sommes pour ainsi dire sur une sorte de liste ou sur la porte d’entrée dans le

village de Dieu, c’est-à-dire en route à la recherche du véritable bonheur auprès

de Dieu.

Pareille position traduit quelque chose d’inéluctable dans la mort et le fait de son

imprévisibilité. Cela signifie que devant la mort tous les hommes sont vulnérables et fugaces ;

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leur situation est instable, précaire et incertaine. Les Luba ont traduit cette fugacité et cette

imprévisibilité de la mort à travers un certain nombre d’expressions :

Panu tudi bena luendu : ici-bas nous sommes des voyageurs.

Biapanu bionso mbia mmushiya wa mushiya : les biens matériels d’ici-bas ne se

possèdent jamais de façon définitive.

Panu Mitú midinge nshingu tshiendelu, ku ditunga nkua Maweja wa Tshiame.

Ce qui revient à dire que la vie des hommes sur la terre n’est rien d’autre que des

têtes feignant d’accompagner des cous. En fait ou en réalité, le vrai séjour c’est

chez Dieu Maweja de Tshiame, auprès de Dieu de Tshiame.

Certes, on est tous concernés, tous en pleine course vers le séjour des morts, mais on ne sait

pas exactement qui franchira le premier la porte d’entrée, qui franchira la ligne d’arrivée. Ici

on a même l’impression que ni l’âge ni le rang social ne comptent comme le témoignent

encore ces quelques proverbes :

Tudi bamanye Mukulu ku didia katuena bamanye Mukulu ku lufu : nous savons

qui est l’ainé à la table, nous ne savons pas qui sera le premier à mourir.

Lufu Lusala lutoke katuena bamanye Mukulu wa luasa : La mort est comme une

plume blanche, nous ne savons pas qui s’en décorera le premier.

Lufu kaluambi wa vulukila lukadi lukukuata banuakadi nuenda nabo bakadi

bakutamba baseka bamba ne kakubomba : la mort qui vient sans mot dire (sans

avertir), tu t’en aperçois seulement quand déjà elle s’est saisi de toi, et tes anciens

compagnons déjà passant et se moquant en disant que c’en est fini de ce

moucheron.

b) Une expérience personnelle

Les Luba savent aussi que la mort qui concerne tout le monde reste en même temps une

expérience personnelle ou individuelle. Personne ne peut y déléguer son tour, encore moins

prétendre prendre la place de quelqu’un d’autre. Chacun se doit donc d’y aller seul pour

défendre sa propre cause. Elle est comme une sorte de dette, mais une dette personnelle ou

individuelle qui ne peut être acquittée que par celui qui l’a contractée. Quelques proverbes

luba-kasaï illustrent bien cette réalité :

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Kashiku kudiala, kubajangi kakuena kutuma mukenji. Waya wewe nkayebe

kudilumbuluila : petite bouche derrière la maison, chez les mânes on ne peut

envoyer de messager, tu dois y aller en personne plaider ta cause.

Lufu dibanza dia Buloba muena dienda wadifutshila : la mort, c’est comme une

sorte de dette envers la terre, chacun s’acquitte en personne de la sienne.

En réalité, la signification que les Luba semblent attribuer à la mort est la recherche du

bonheur partagé. Ce bonheur se traduit par une meilleure vie vécue parmi les siens dans la

justice, le respect des lois, la sagesse de la vie bonne et aussi dans l’abondance des biens

matériels. Mourir à ce point, est une espérance à vivre la même vie et le même bonheur, mais

cette fois-ci auprès de Dieu Maweja. C’est ce qui fait dire à Colle : « Quand sa fin approche,

notre Muluba ne craint pas la mort ; il meurt avec calme. Sa foi est sûre. La mort, pour lui,

signifie non le néant, mais un changement de lieu. Fort de cette croyance, il ne tremble pas

et rend l’âme sans crainte. Au reste, il n’a pas de remords. Ce sentiment lui paraît inconnu »22.

À l’opposé, celui qui n’a pas bien vécu se trouve dans une situation d’angoisse et de

désespoir, car il craint qu’il soit jeté dans la souffrance éternelle. Mais dans les deux cas, on

observe quand même que la mort bénéficierait d’une maigre sympathie chez le peuple Luba

en ce sens que, d’un côté celui qui a bien vécu est arraché à ce bonheur et jeté dans

l’incertitude. De l’autre, celui qui n’a pas bien vécu vit dans l’angoisse d’une vie toujours en

souffrance. Ceci semble traduire naturellement un sentiment humain partagé entre le réel du

vécu et l’incertitude d’un bonheur hypothétique. La peur de mourir est le fait de l’attachement

à la vie et au bonheur et de l’angoisse d’entreprendre un voyage vers l’inconnu. Dans ce

contexte, Dieu devient un bouc émissaire à qui on attribue la défaite de l’acte de la création

et l’abandon des humains à la fatalité ainsi que semble le dire Alphonse Ngindu Mushete :

« On accuse Dieu de ne pas conjurer la mort quand elle frappe à la porte de l’homme »23. Ce

qui traduit le caractère on ne peut plus ambigu de la mort.

22 R. Colle, Les Baluba (Congo Belge), vol. 2, Bruxelles, Dewit, 1913, p. 399. 23 A. Ngindu Mushete, « Propos et problèmes concernant le culte des morts chez les Baluba du Kasaï », Cahiers

des Religions Africaines 3/5 (1969), p. 79-109. Voir aussi : O. Bimwenyi Nkweshi, Discours théologique

négro-africain. Problème des fondements, Paris, Présence Africaine, 1981, p. 117 ; Tshiamalenga Ntumba, « La

vision Ntu de l’homme. Essai de philosophie linguistique et anthropologique », in Philosophie africaine, Textes

choisis par A. J. Smet, Presses Universitaires du Zaïre, Kinshasa, 1975, p. 157-180. A ce sujet, on trouve assez

d’expressions qui expliquent cette anthropologie de la mort et l’attitude de méfiance des Luba à son égard :

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2. Le caractère absurde de la mort

a) Un scandale

Les Luba-Kasaï considèrent la mort comme une réalité absurde. Parce que, d’une part, elle

ouvre le chemin vers le bonheur éternel auprès de Dieu Maweja ; d’autre part, elle est perçue

comme destructrice de la vie et du désir de bonheur de l’homme. Mais, elle devient plus

intolérable et même absurde quand elle emporte les enfants et les jeunes gens à la fleur de

l’âge, ou encore des personnes heureuses qui possèdent des richesses et le pouvoir. Dans une

telle situation, la mort est éprouvée comme un non-sens, un véritable scandale. Elle est un

phénomène inexplicable. Elle n’est jamais tout à fait naturelle. Elle reste toujours ignoble et

donc répugnée par tous. Pour qu’elle survienne, il faut qu’il y ait une cause extérieure

nécessaire.

Devant ce scandale, cette angoisse et cette absurdité, les Luba s’interrogent si une telle mort

n’a pas d’autres causes que Dieu lui-même. Car Dieu, qui a si bien créé les choses pour le

bonheur de l’homme ne peut pas laisser les hommes à la merci de cet intraitable ennemi. Sans

aucun doute, l’interrogation sur cette absurdité les Luba la codifient à travers un nombre

incalculable de proverbes, dictons, contes et fables, comme l’illustrent ces expressions :

Mvidi Mukulu, Mulopo, Maweja a Nangila, Mufuki ufukila bionso wafuka

Mukoko ne wafuka Tshimpanga kadi kamua e kumushala : Seigneur Dieu de

toute bonté (Dieu aimant), Créateur qui a tout crée, il a créé la brebis, il a créé le

bélier, quelque chose néanmoins lui a échappée.

Mvidi Mukulu wa Tshimpanga, Mvidi Mukulu wakumana kumana, Mvidi

Mukulu kuena mumane to : Dieu de Tshimpanga, Dieu toi qui peut tout parfaire,

Dieu tu n’as pas tout parfait.

Mvidi Mukulu kumue kuapa, kumue kushala : Dieu, une partie est parfaite une

partie est imparfaite.

T.A. Fourchet, « Conceptions des indigènes Luba du Kasaï sur l’homme et la mort », Journal de la société des

africanistes 7/1937, p. 189-202. Consulter aussi : T.A. Fourchet, Les communications des indigènes du Kasaï

avec les âmes des morts, Bruxelles, Institut Royal Colonial Belge, 1939, p. 89-104.

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Plus radicalement encore, les hommes s’interrogent pourquoi Dieu à la création n’avait pas

pris des dispositions nécessaires pour épargner les hommes de la mort, il a plutôt laissé celle-

ci les envahir, les détruire et les engloutir :

Maweja a Nangila, Muena kuenza bilenga Muena kuenza bibi ne mutshi wa

tshipayapaya wadishibeya nau bantu : Dieu Maweja a Nangila (Dieu de toute

bonté), tantôt il fait bien tantôt il fait mal avec l’arbre tshipayapaya à l’aide

duquel il tue les hommes.

Reste cependant une question fondamentale, à savoir : Le Dieu de toute bonté, est-il resté

indifférent sans donner une réponse satisfaisante aux angoisses et aux peurs exprimées par

les hommes, c’est-à-dire à l’accusation dont il fait l’objet ? En effet, selon la cosmologie luba,

Dieu a réparé cet oubli en sacrifiant son fils premier-né Mikombo wa kalowa. À l’occasion

de ce grand sacrifice, Dieu avait conclu une alliance entre lui et les hommes. Selon cette

alliance, après la mort tous les hommes ne mourront plus jamais définitivement ; ils vivraient

dans la « cour splendide » de Dieu soit en renaissant comme des nouveau-nés. Ainsi pour

rassurer de cette nouvelle vie, Dieu ressuscita Mikombo wa kalowa sous les yeux de tous les

hommes. Ceux-ci se convinrent ainsi de la détermination de Dieu de respecter ses propres

engagements.

Ceci revient à dire que, pour le peuple Luba-Kasaï, toute mort a toujours déjà une cause, mais

une cause qui n’est pas nécessairement en Dieu, ou pour mieux le dire qui n’est pas Dieu lui-

même, mais qui vient des hommes eux-mêmes du fait de leur perversion ou de leur

méchanceté. Par cette affirmation, l’idée peut paraître paradoxale, mais le véritable sens de

la mort exprimée par ce peuple est que : Dieu qui est si bon et si aimable ne peut pas créer la

mort. Selon plusieurs contes luba, c’est des hommes eux-mêmes que vient la mort ; elle

procède des cœurs pervers des hommes qui se nourrissent de la haine et des maléfices, c’est

donc de ces derniers que procèdent des mauvais sorts qui détruisent la vie des humains. Les

Luba sont ainsi convaincus que le Grand Dieu de toute bonté ne donne que la vie et le bonheur

non la mort comme le témoigne ce proverbe :

Mvidi Munene wamba kumpa Kavidievidie kalua kona, Dieu, Le Grand Esprit

donne la vie et le bonheur, le mauvais esprit vient les enlever.

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Mais d’un regard critique, on peut dire que la théorie du mauvais sort ne semble être qu’une

sorte de révolte des hommes face au fait de la mort surtout dans le cas des personnes plus

jeunes. Cela montre bien que l’idée d’une vie meilleure auprès de Dieu Maweja et des

ancêtres, Bankambua, n’est qu’un modèle spéculatif visant à stigmatiser l’échec de cette vie

terrestre, son insatisfaction qu’elle apparaît inessentielle, une sorte de parodie. On a même

l’impression que les Luba suppriment une réalité qu’ils remplacent par une autre. Cette autre

réalité est donc le modèle idéal d’une vie épanouie et heureuse auprès de Dieu et des ancêtres.

b) Une interpellation aux humains

Les Luba s’interpellent eux-mêmes à l’occasion de la mort d’un membre de la communauté,

du clan ou de la famille (Diku). Ils procèdent par une sorte de communication avec les âmes

des morts à travers les « Lusanzu », soit en français, les lamentations. L’expression la plus

courante utilisée à cet effet est Kuela lusanzu :

Vous Kabeya, nous venons de vous enterrer. Vous étiez malade. Nous avons tout

fait de mieux pour vous sauver la vie. Mais en vain. Si vous savez au moins d’où

vient votre mort, revenez nous le signaler le plus rapidement possible en songe

ou chargez-vous de vous venger vous-même. Quant à moi votre frère, votre cher

oncle paternel, je ne sais pas d’où vient votre ignoble mort, j’ignore de qui elle

procède réellement.

Cette conception de la mort chez les Luba-Kasaï n’est pas loin de celle exprimée par Saint

Augustin, bien que, lui, a tendance à diviser l’humanité de l’homme en deux natures : « la

chair et l’esprit »24. Augustin marque sa position par une dichotomie tranchante qu’il établit

entre la Cité dite de Dieu et l’autre appartenant à l’homme, la Cité terrestre. Les deux cités

ne regroupent pas seulement deux types d’hommes, mais aussi deux éléments profondément

contradictoires dans l’homme. On peut donc retenir que chez Augustin, il y a trois thèses qui

prédominent. D’abord, la recherche du bonheur et de la vertu y conduisant n’est pas à la

portée de l’homme, elle demande la grâce de Dieu ; l’homme et sa raison naturelle ne sont

pas autonomes, mais dépendant totalement de Dieu. Ensuite, la nature de l’homme ne se

détermine pas par son rapport à l’autre, mais par son rapport à Dieu. Enfin, l’humanité de

24 On peut lire ici : Saint Augustin, La Cité de Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1960, précisément le livre XIX,

17, qui fournit un résumé succinct de ses thèses. Précisément les chapitres 7 et 13. 1. Voir aussi T.A. Fourchet,

Les communications des indigènes du Kasaï…, p. 87.

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l’homme, sa nature, n’est pas un concept statique, éternel, il varie selon l’histoire des

relations entre Dieu et l’homme. Au fait, Augustin introduit ici deux idées fondamentales de

la nouvelle pensée chrétienne, à savoir : l’hétéronomie absolue de l’homme et son évolution.

C’est à l’intérieur même de cette évolution que semble s’expliquer la nature de l’homme et

sa recherche du bonheur partagé. À ce point, on peut recourir à K. Flasch pour expliquer

mieux la pensée d’Augustin en la mettant en rapport avec la mort telle qu’elle est liée à la

nature même de l’homme. D’après lui donc, tout commence par la création de la nature de

l’homme : nature créée par Dieu, elle a été bonne, à savoir une et ordonnée :

L’homme vivait sans loi, suivant sa nature seule. Mais l’homme, dans le péché

originel, s’est montré corruptible. Depuis lors, sa nature est corrompue et soumise

à l’appel de la chair qui sépare l’homme de Dieu et l’incite à s’aimer soi-même

au lieu d’aimer Dieu. Dieu a révélé le péché de par la loi qui est donc nécessaire

pour dénoncer et réprimer la nature corrompue. Mais personne n’agira totalement

selon la loi pour délivrer l’homme de la corruption, seul Dieu le peut. De par sa

nature, l’homme n’est pas capable d’être juste sur cette terre et dans cette vie, il

le sera seulement par la grâce de Dieu lors du jugement dernier où Dieu, par un

choix insaisissable pour l’homme, fera le tri entre les condamnés à mort et les

élus. Alors, l’homme sera libéré de sa nature perverse et corrompue, pour

recevoir un corps spirituel qui vit en harmonie avec son esprit25.

Dans ce récit d’Augustin, on peut voir que la nature humaine terrestre ne comprend ni sa

perfectibilité ni son état initial de naissance, il n’est ni un terme prescriptif ni descriptif. Il

dénonce simplement le côté pécheur de l’homme, côté appelé aussi cité terrestre, qui est la

cause de la mort. Cette cité nécessite la loi comme répression et châtiment exercés par Dieu

lui-même. Ainsi pour atteindre le bonheur et échapper à la mort définitive, l’homme doit

suivre la loi, c’est-à-dire la loi de l’amour de Dieu que Saint Paul appelle « la loi nouvelle ».

De toutes les manières, de cette théorie de Saint Augustin ou de celle des Baluba, ce qui nous

importe c’est le fait que la mort vient de la nature perverse et corrompue de l’homme. Dieu

est tellement bon qu’il n’envisage pas la mort du mauvais. Mais implacable, la mort reste la

25 K. Flasch, Augustin : Einführung in sein Denken, Stuttgart, 1994, en particulier p. 229 et suivantes. Augustin

privilégie la loi du châtiment qui devient la loi de salut. Chez les Luba, la mort a une cause. Et cette cause est

la perversion qui est dans le cœur des hommes, bref le mal.

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chose la plus détestable, le pire mal qui ne peut être justifié à telle enseigne qu’il est un non-

sens de la souhaiter à un autre.

c) Le recours à Dieu contre la mort

Pour éviter l’agressivité de la mort, les Luba adressent d’intenses prières au grand Esprit pour

qu’il leur accorde de très nombreuses années de vie. Ils adjurent les mânes d’intervenir pour

qu’eux, leurs femmes et leurs enfants gardent la vie et vivent longtemps possible. De fait, ils

refusent de mourir, mais ils veulent vivre pleinement leur bonheur et leur vie :

Katufua tuetu ne Bakaji ne Bana betu ou Bajanyi bapatuka Katufua amueneka(e)

Bantu éé Moyo ulue (uvule), lufu tuakupidia : Les mânes vont se manifester,

l’immortalité va paraître, en dehors les mauvais esprits ; hommes, voici venir la

vie ; voici venir le bonheur ; que la vie augmente ; nous répudions la mort.

Les Luba-Kasaï stigmatisent particulièrement le sorcier comme le redoutable ennemi, le

violent ennemi qui enlève aux hommes et la vie et le bonheur. En témoignent ces

expressions :

Muena Mupongo udi mutuvuile mutangila ku Bakaji ne ku Balume Bantu ba

bende ba Mvidi Mukulu Apueke ne Mayi : le sorcier s’acharne sur nous, sur les

femmes et les hommes, êtres humains d’autrui de Dieu. Dieu, voit-le ! Qu’il coule

avec la rivière.

Bantu ba bende ba Muena bantu ! Mvidi Mukulu muine pandi ! Ne Balume ne

Bakaji ! Aka, Aka ! Tuabutuku ne Bakaji ne Bana : les hommes d’autrui du

propriétaire des hommes ! Ce Dieu, tout de même ! Et les hommes et les femmes !

C’est donc un peu fort ! Nous périssons tous, nous, les femmes et les enfants !

Le rejet inconditionnel de la sorcellerie et de la mort montre clairement le désir ardent

d’une meilleure vie, c’est-à-dire du bonheur partagé qui dure auprès de Dieu et des ancêtres.

Les Luba-Kasaï ont ainsi construit le modèle d’une existence idéale et réelle, pragmatique

et authentique qui répond au vœu de tout homme et de toute femme de vivre une vie

heureuse et/ou de vivre toujours. Cet amour de la vie éternelle et du bonheur partagé

n’exprime pas nécessairement la détestation, encore moins l’indifférence devant la vie

future, mais bien la protestation naturelle de l’être vivant contre la décomposition physique.

Ainsi que le relève aussi Tempels : « Lorsqu’ils meurent consciemment, les Luba-Kasaï

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affichent une attitude sereine et même cachent, s’ils l’éprouvent, leur sentiment de révolte

contre la mort »26.

d) La vie et le bonheur après la mort

Les Luba ont aussi la conviction qu’après la mort l’homme ne meurt plus, il ne disparaît

apparemment qu’en tant qu’être corporel. Il vit dans l’au-delà, il exerce toutes les activités

nécessaires au maintien de sa vie et du bonheur partagé. Bref, la vie « Moyo », demeure

éternellement. À ce propos, les Luba disent de l’homme mort qu’il dort :

Kulala kuetu kualuikila lufu : dormir est une illustration de notre mort prochaine.

Mufua bu mulala : alors qu’il est réellement mort, il donne l’impression de

dormir.

Selon les luba, celui qui meurt commence déjà un nouveau cycle de la vie et de bonheur.

Cette nouvelle vie et ce bonheur, il les partage avec les vivants, ceux qui sont restés, les

membres de sa famille et de toute la communauté de destin. Ceux-ci l’accompagnent ainsi

avec joie, avec des danses et des chants, scandant et évoquant son image et ses bienfaits. Ce

moment unique devient plus solennel quand il s’agit d’un adulte ou d’un personnage

remarquable de la communauté d’être. Tant que dure le deuil les membres de la famille ainsi

que tous les autres membres de la grande communauté se réunissent et partagent ce moment

crucial. Il s’agit, comme le remarque L-V. Thomas, « Des soins apportés au défunt ou à la

défunte ; l’assistance et le soutien apportés aux membres de sa famille traduisent les marques

vivantes d’affection, de sympathie, de sollicitude et de solidarité positive »27.

Quant aux soins apportés au mort, on peut relever qu’ils sont relatifs à la manière dont la

personne ou le défunt a vécu sur la terre, c’est-à-dire qu’ils sont appropriés selon qu’on est

une mauvaise ou une bonne personne. Pour une personne qui n’a pas reçu des meilleurs soins,

cette personne est considérée comme une personne qui est totalement perdue, une âme en

26 P. Tempels, La philosophie bantoue, p. 87-88. 27L-V. Thomas, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, 1980, p. 123-124. Voir aussi du même auteur :

« Remarques sur quelques attitudes négro-africaines devant la mort », Revue de Sociologie (1963) octobre-

décembre, p. 395-410 ; T.A. Fourchet, « Conceptions des indigènes Luba… », p. 189-202. Aussi : Les

communications des indigènes du Kasaï …, p. 77-87 ; J. Theuws, « Mort et sépulture en Afrique », Concilium

32 (1968), p. 123-126.

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totale souffrance et qui ne peut espérer connaître le nouveau cycle de vie et de bonheur. Elle

ne mérite pas les honneurs ; elle est enterrée avec la recommandation de ne plus jamais

revenir. De ce fait, son nom ne peut jamais être donné à aucune descendance. Cette exécrable

situation est souvent imputée aux mauvais esprits, à l’ensorcellement, ce que les Luba-Kasaï

traduisent par l’expression :

Mupongola : il a été pris ou il a été « Mangé » par les maléfices, les jeteurs des

mauvais sorts ou les sorciers.

Mais il y va différemment de la sépulture de la personne juste et bonne qui a vécu une vie

digne et irréprochable, en harmonie avec les autres membres. Ainsi considérée comme une

bonne et heureuse âme, dont le chemin du bonheur et de la réincarnation est garanti, cette

personne bénéficie des meilleurs soins et on l’enterre avec dignité ; son nom peut être donné

aux nouvelles générations comme symbole de reconnaissance et de référence. Comme le

suggère Bamuinikile Mudiasa, « Ces meilleurs soins présagent une meilleure vie et un

bonheur que le mort va vivre dans l’au-delà »28.

Cette vision et ce mode d’ensevelissement, nous semble-t-il, peuvent être aussi situés dans

la perspective catéchétique chrétienne. En effet, dans la religion chrétienne tout comme chez

les Luba-Kasaï, la mort est le fait de la mauvaise vie vécue sur la terre. À la seule différence

que, chez les Baluba, elle reste liée étroitement à la sorcellerie. Or, celui qui a usé de cette

sorcellerie pour détruire la vie des humains ne mérite pas un ensevelissement digne au même

titre que la personne réputée juste et bonne.

En tout état de cause, chez les Luba-Kasaï, la mort ne met pas fin à la recherche du bonheur

partagé ; elle est un début d’une vie qui commence, un long voyage vers plus de plénitude.

Certes, ce voyage est une voie normale et régulière, mais il ne supprime pas les peurs et les

angoisses qui envahissent souvent les hommes et leurs familles respectives. Les Luba-Kasaï

28 S. Bamuinikile Mudiasa, La mort et l’au-delà chez les Baluba du Kasaï. Position traditionnelle et perspectives catéchétiques, Lubumbashi, Centre d’étude des problèmes sociaux indigènes, 1971, p. 103-220 :

Les Luba ont une croyance que la mort est le fait de la malveillance, de la sorcellerie ou du mauvais sort souvent

jetée par quelqu’un d’autre ; T.A. Fourchet et H. Morlighem, Une bible noire, p. 127-128 ; T.A. Fourchet,

« Architectures et analogies des plans des mondes d’après les conceptions des indigènes Luba du Kasaï et

d’autres régions », Bulletin des sciences de l’Institut Royal Colonial Belge 9 (1938), p. 619-672. T.A. Fourchet,

« Conceptions des indigènes Luba… », p. 176.

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formulent le vœu que les bons esprits et les bonnes âmes qui les ont précédées les reçoivent

et les introduisent au moment de leur arrivée dans le bonheur et dans la joie de vivre auprès

des ancêtres et de Dieu Maweja. Mais avant de jouir de ce bonheur, ils se doivent encore de

franchir une tout autre étape qui est autant importante. Cette étape est celle de l’éminent et

l’intransigeant jugement dernier auquel seront soumis tous les hommes sans exception.

3. L’épreuve du jugement

a) L’interrogatoire

Dans l’univers luba, toute personne est convaincue que l’épreuve du jugement dernier n’est

qu’un passage nécessaire pour franchir les portes d’une nouvelle vie et du bonheur. Ainsi ils

sont sereinement préparés à affronter le jugement et d’accepter le verdict qui en découle. Sa

famille et les sympathisants l’assistent et l’accompagnent dans ce moment de dure épreuve.

Comme le suggère encore L-V. Thomas, « une coutume africaine bien répandue, le jugement

consiste en un interrogatoire du cadavre lors duquel se défend le défunt. C’est-à-dire les

hommes choisis de la famille ou du clan procèdent à l’interrogation du cadavre »29. Cette

interrogation devient plus sévère si la personne n’a pas vécu en parfaite harmonie avec Dieu,

avec les lois de la vie bonne et avec les membres de sa communauté d’être.

Comme le dit Mabika Kalanda, dans l’univers luba « cet interrogatoire du cadavre prélude

déjà à celui que le défunt subira le jour même de sa présentation devant Dieu »30. Il ne s’agit

pas d’une punition ou d’un rejet basé sur l’émotion, mais d’un processus normal qui permet

à l’individu de s’affranchir du mal, de la souffrance et d’entreprendre une nouvelle vie et

espérer un bonheur sans fin. En interrogeant le défunt on s’assure que sa défense servira à le

laver de ses malveillances, de ses angoisses et ses peurs. Chez les Luba-Kasaï donc, le défunt

ou la défunte se doit de répondre et de se justifier devant une longue série des questions :

Pourquoi as-tu mangé la chair humaine par sorcellerie ou par ensorcellement ?

29 L-V. Thomas, « Une coutume africaine : l’interrogatoire du cadavre », Bulletin de la société de

thanatologie 6/1 (1972), p. 1-25. 30 A. Mabika Kalanda, La révélation du Tiakani, p. 123-124. Voir aussi : T.A. Fourchet, Les communications

des indigènes du Kasaï…, p. 174-175.

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Pourquoi as-tu volé le bien d’autrui ?

Pourquoi as-tu couché avec la femme d’autrui ?

Pourquoi as-tu couché avec le mari d’autrui ?

Pourquoi as-tu jeté un mauvais sort aux autres membres de la communauté ?

Pourquoi as-tu dit des mensonges et caché souvent la vérité ?

Pourquoi as-tu médit des autres et gâcher ou souiller leur réputation ?

Pourquoi n’as-tu pas partagé tes biens avec les autres ?

Pourquoi es-tu resté égoïste toute ta vie ?

Pourquoi as-tu toujours semé des troubles parmi les hommes ?

Le défunt se défend :

Meme Nkongolo, muana wa Kalala Nkole, tshiena muangata mukaji wa mukuetu

nansha, tshiena muiba to, tshiena muena mupongo to, tshiena muena dishima to,

tshiena mubenga muntu to, tshiena mupula lumu lua muntu nansha. Ndi bu

Mwanza Nkongolo udi kayi wenzela bakuabo bibi nansha.

Ce qui signifie : Moi, Nkongolo le fils de Kalala Nkole, je n’ai pas couché avec la femme

d’autrui, je ne suis ni un voleur ni un jeteur des mauvais sorts (sorcier), je ne suis ni un

menteur ni un fauteur des troubles parmi les humains, je sais partager, je suis comme un

véritable Mwanza Nkongolo, un Arc-en-ciel qui ne fait aucunement de mal à personne.

Cet interrogatoire et cette défense traduisent l’idée de la vie juste que nous avons évoquée

précédemment. C’est que pour les Luba-Kasaï, « Mujangi, Mukishi Mubi », une mauvaise

âme ne peut connaître le nouveau cycle de la vie et de bonheur, il est celui contre lequel les

hommes se prémunissent. Seule une bonne âme au cœur blanc peut connaître la joie de la

réincarnation et du bonheur éternel. Autour de ce défunt bienheureux, qui a réussi à l’épreuve

de l’interrogatoire et du jugement, les hommes et les femmes célèbrent et partagent ce cycle

de bonheur dont bénéficie leur frère ou leur sœur, leur mère, leur père, leur oncle ou leur

tante. Tout est donc blanc et magnifique. Cette blancheur dans le contexte luba-kasaï n’a

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d’égal que le Caolin qui reste un symbole très fort de paix, de purification, de vie et de

bonheur partagé. La mort est donc célébrée dans cet univers non seulement comme une

circonstance de tristesse, mais également de joie et de reconnaissance. On est triste par le fait

de la perte d’un être cher, mais on est aussi heureux parce que notre frère ou notre sœur

rejoint les ancêtres et Dieu Maweja a Nangila, Dieu aimant.

b) L’intercession des vivants pour les morts

Chez les Luba-Kasaï, le cycle du bonheur de la personne n’est pas bouclé, car la vie de

l’homme ne meurt pas. L’homme ne tombe pas dans le vide et dans l’oubli, il se reprend et

s’offre une nouvelle vie ainsi que le relève Mabika Kalanda : « le soleil disparaît chaque soir,

mais luit à nouveau chaque matin. La lune disparaît chaque mois pour réapparaître. De même,

la vie de l’homme ne tombe pas dans le néant même après le dernier jugement »31. Ainsi pour

qu’il ne tombe pas dans l’oubli, surtout quand il s’agit d’une âme juste, les vivants intercèdent

et demandent à Dieu son admission dans la compagnie des bienheureux ancêtres. Pour s’en

assurer, on appelle de vive voix, en son nom, le défunt ou la défunte l’invitant à répondre lui

aussi à cet appel. Cette réponse du défunt ou de la défunte supposée affirmative est un signe

manifeste que la personne est bel et bien arrivée et accueillie dans le « Kala Kakombe », la

cour splendide de Dieu, c’est-à-dire dans le bonheur, ce que semble exprimer ce chant :

Bueshayi Muanetu eu lelu eu, ee ! Les autres membres répondent en rythme et en

cadence : « Mu kaloba ka Bankambua ee ! Nuenu Batatu muangatayi, ee ! Batatu,

Abuela lelu eu mu Kala Kakombe bimpe, ee ! Asankemu ne bena mutshima

muimpe ee ! Muanetu wikisha ne bakane nebe ee ! Nshikidilu watuakuila tuetu

bietu panuapa.

Ce qui signifie : Introduisez notre frère ou notre sœur aujourd’hui ! Dans la région des aïeux !

Vous, nos ancêtres, nos ancêtres recevez notre juste ! Conduisez-le auprès de son Créateur !

Sur la terre, il a mené une vie juste et bonne ! Qu’il soit aujourd’hui admis dans la cour

splendide de Dieu ! Qu’il s’y réjouisse avec les gens de bon cœur ! Frère ou sœur, Oncle ou

Tante ou encore un grand parent repose-toi en paix avec les justes comme toi ! Intercède pour

nous aussi qui sommes encore ici-bas (sur la terre) !

31 A. Mabika Kalanda, La révélation du Tiakani, p. 109.

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Ce chant a toute son importance dans la mesure où il traduit l’idée de « Kala Kakombe », qui

apparaît être comme le ciel, là-haut où résident Dieu et les bonnes âmes des ancêtres et où on

jouit du véritable bonheur. À l’opposé, il y a le « Kandondo ka bulaba ou buloba » qui est

apparemment le shéol, l’enfer32. En témoigne ce cri lancé par les Luba dans des différentes

circonstances de la vie :

Kayi kayée-kayée : Kayée ! Katubengele : -Kafua ! Tuetu penyée : Muluée !

Kayée Kayée Kayée : Kayée ! Ce qui signifie : Quiconque nous en veut qu’il

meure ! Et nous, là-haut !

Ce cri de Kayée Kayée ou le chant d’intercession ouvre la voie au vœu de l’homme de vivre

pleinement. Ce désir permanent ne peut pas connaître de trêve, encore moins de fin. Ce qui

revient à dire que la personne humaine dans l’univers luba est une sorte d’intentionnalité

vers, une quête et une reconquête de la plénitude de la vie et du bonheur.

c) L’intercession des morts pour les vivants

En adressant des prières à Dieu pour les âmes des morts, on a l’impression que les vivants

implorent l’intercession pour leur propre voyage et leur propre vie qu’ils envisagent déjà

paisible d’auprès de Dieu. Ou encore en pleurant le mort, les Luba pensent qu’ils se pleurent

eux-mêmes. Ainsi disent-ils :

Kudila Mufua, nku didila

La sollicitation du défunt ou de la défunte augure l’idée de la médiation des ancêtres et de

tous les hommes de bon cœur morts, mais aussi celle des vivants pour le repos des âmes

bienheureuses. Ce vœu se traduit par une expression luba devenue célèbre et emblématique,

à savoir :

Tuakuilangane ba Moyo bakuila Bafua : il est bon que les vivants intercèdent

pour les morts, mais également les morts intercèdent pour les vivants.

À bien voir les choses, on a l’impression qu’il y a comme une sorte d’interdépendance

mutuelle qui marque la vie des individus et celle de la communauté d’être. Les vivants sont

32 Tshiamalenga Ntumba, « L’univers Luba », Bulletin de Théologie Africaine 13 (1985), p. 46-89. Cette cour

splendide correspond au désir de bonheur partagé et de vie éternelle auprès de Dieu et des ancêtres.

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appelés à soutenir les morts par leur geste de reconnaissance en organisant le deuil et la

sépulture. Les morts sont aussi conviés à intercéder pour leurs frères et sœurs restés sur la

terre. Certes, les Luba manifestent une maigre sympathie pour la mort, car elle un mal

répugnant. Mais ils ne laissent personne sans larmes ni sépulture. Mêmes les hommes

condamnés ont droit au respect. Le rite de la sépulture non seulement rend à nouveau la

personne présente et la restitue à la communauté à laquelle elle appartient en droit, mais aussi

lui ouvre le chemin de la rencontre aussi bien avec les ancêtres qu’avec Dieu-Maweja. Car il

s’agit du respect de la dignité même de la personne humaine. Comme le dit Th. De Koninck :

Plus étonnant encore, si c’est possible, est le respect des morts, illustré dès la nuit

des temps par les premiers humains, qui ensevelissent leurs morts selon des rites

confirmés par leurs traditions ancestrales. Pourquoi est-on encore aujourd’hui

ému jusqu’à l’approbation devant la décision de la jeune Antigone (dans la

grande tragédie de Sophocle qui porte son nom), de refuser, au péril de sa propre

vie, de laisser là sans larmes ni sépulture, pâture des oiseaux ou des chiens, le

corps de son frère Polynice, pourtant dénoncé comme traître, et de défendre son

droit à la sépulture, son appartenance à une commune humanité, au nom de lois

non écrites, inébranlables, des dieux ? Le mort à l’état de cadavre n’étant plus, et

entièrement à la merci des forces naturelles, les vivants ont à son endroit un

devoir sacré, celui d’assurer que, tout cadavre qu’il soit, il demeure membre de

la communauté humaine. Le symbole du rite de la sépulture le rend de la sorte à

nouveau présent »33.

Les Luba-Kasaï sont convaincus que, même sans visage, leurs ancêtres et toutes les autres

personnes sont des personnes qui ont loyalement vécu une vie vertueuse, juste et bonne, ils

appartiennent à leur communauté, et de ce fait, ils peuvent jouer le rôle de mandataire auprès

de Dieu. En même temps, en s’engageant dans la lutte pour son accomplissement, la personne

s’ouvre ainsi à celui qui s’offre à elle pour exaucer ce vœu, à savoir Dieu Maweja a Nangila,

le Dieu aimant ou le Dieu de toute bonté. Le chapitre qui suit exploite cette place qu’occupe

Dieu dans la recherche de la vie et du bonheur partagé.

33 Th. De Koninck, Dignité de la personne et primauté du bien commun, Allemagne, Éditions Universitaires

Européennes, 2016, p. 8-9. Voir aussi : J. Theuws, « Mort et sépulture en Afrique », p. 123-126.

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CHAPITRE TROISIÈME

DIEU MAWEJA : RÉVÉLATION, CRÉATION DU MONDE

ET SOURCE DE TOUT BIEN

1. La révélation de Dieu Maweja

a) L’affirmation de la révélation

Pour arriver à la meilleure argumentation de la révélation de Dieu chez les Luba, nous

avons choisi ici de nous replonger dans le débat qui a déchiré ou qui déchire encore

aujourd’hui les théologiens, les philosophes et les penseurs africains entre eux, et entre eux

avec les philosophes et les théologiens occidentaux autour de la question épineuse de la

révélation de Dieu34. De ce débat épistémologique se dégagent trois positions majeures

représentant trois groupes de chercheurs. Pour le premier groupe, Dieu a parlé d’une

manière claire et nette au peuple d’Israël, et à travers de son expérience il s’est révélé à

toute l’humanité. Pour le second représenté par François Kabasele Lumbala, Dieu est le

créateur du ciel et de la terre, des animaux, des végétaux, des minéraux, des peuples et des

cultures, et de ce fait, il ne peut s’être révélé uniquement au peuple juif. Selon ce groupe

en effet, toutes les traditions religieuses de l’humanité sont porteuses de son image, des

traces de sa main, des signes de son intelligence immuable. Les juifs peuvent avoir fait un

cheminement spectaculaire dans les rapports entre Dieu et l’homme, mais ce cheminement

ne peut être le seul modèle à suivre pour toute l’humanité35. Pour le troisième enfin,

34 Ce débat sur la possibilité d’une théologie africaine a commencé en République Démocratique du Congo

avec le débat épistémologique entre O. Bimwenyi Nkweshi, T. Tshibangu Tshishiku, A. Vannest, A. Ngindu

Mushete et J. Malula, etc. Ce débat donna lieu à des recherches approfondies sur les conditions d’existence

d’une théologie proprement africaine. Le document de base de la théologie africaine est celui produit par O.

Bimwenyi Nkweshi, Discours théologique négro-africain, p. 123-234. 35 F. Kabasele Lumbala, « La révélation de Dieu chez les Luba-Kasaï », Revue des problématiques africaines

3 (2002), p. 22-68. Nous nous inspirons largement de ce texte qui semble rendre le mieux l’idée Luba de la

révélation. L’auteur (Théologien liturgiste) se réfère abondamment aux autres travaux collectifs réalisés par

plusieurs théologiens et chercheurs africains sur cette question. Par exemple le Congrès sur l’Afrique noire et

la bible, 1972 ; T.A. Fourchet et H. Morlighem, Une Bible noire, 1973 ; Congrès des exégètes et biblistes noirs,

1979 ; J.P. Levison, Return to Babel, 1980 ; P. Poucouta, Lettres aux Églises d’Afrique, 1974; Lectures

africaines de la Bible et les travaux de différents théologiens africains et congolais sur la Théologie de l’inculturation qui ont souvent rendu tout le sens de la révélation de Dieu à travers une série des proverbes et

de la sagesse africaine en générale et Luba en particulier. Ce point de vue est aussi défendu par Bimwenyi

Nkweshi : rien de la révélation n’échappe aux peuples africains. Ils connaissent Dieu de par leurs cultures et

traditions ; S. Peeraer, « Dieu selon la conception des Baluba », Grands Lacs 56/8(1939-1940), p.13-24 ; R.

Van Caeneghem., La notion de Dieu chez les Baluba du Kasaï, Bruxelles, Académie Royale des Sciences

Coloniales, 1967, p.103-123.

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beaucoup plus radical que jamais, Dieu se révèle chaque jour dans chaque expérience

personnelle ou individuelle et même communautaire. Une telle expérience ne saurait

s’universaliser pour qu’elle soit adoptée de manière dogmatique par tous les peuples qui

constituent l’humanité. Le second comme le troisième groupe rejettent avec fermeté la

visée monolithique et universaliste du christianisme au motif que l’histoire des religions a

révélé des textes sacrés d’autres expériences religieuses, d’une densité étonnante, et qui

méritent autant d’attention que les Saintes Écritures juives.

Pour notre part, tout en faisant l’économie de ce débat épistémologique et théologique dans

le cadre précis de cette dissertation philosophique, nous faisons nôtres les affirmations de

François Kabasele ou de Storms selon lesquelles Dieu qui a parlé aux prophètes juifs, avait

aussi parlé à nos ancêtres ; et les pas faits par nos ancêtres nous sont à présent utiles pour

progresser dans la compréhension du message que d’autres peuples nous apportent de Dieu.

C’est justement cela qu’il nous semble nécessaire d’élaborer pour qu’apparaisse clairement

que Dieu a parlé à nos ancêtres par les contes et les fables, par les paroles fortes et

bénéfiques où le dire correspond au faire, par toutes les paroles qui renforcent la vie, qui

rétablissent l’harmonie dans l’univers, qui portent la vie de l’homme vers sa plénitude. Ce

sont ces paroles-là que l’on nomme en langue Tshiluba, « les paroles du Tiakani », mot qui

veut essentiellement dire harmonie et plénitude de la vie. Ainsi lorsqu’on fait une étude

approfondie sur les différents rites d’harmonisation des enfants, de restauration de la vie

après une faute commise, des rites de passage, des cercles initiatiques des différents métiers

de transformation dans l’univers, on peut se rendre à l’évidence de la lumière de la

révélation de Dieu au peuple Luba-Kasaï.36

b) Les lieux de la manifestation de Dieu

Dans son rapport avec la nature, l’univers ou le cosmos, le peuple Luba a trouvé une infinité

de noms divins, de proverbes, de contes, de fables et de paroles pour exprimer son

expérience et pour montrer la manifestation de la présence de Dieu dans son cheminement

36 F. Kabasele Lumbala, « La révélation de Dieu chez les Luba-Kasaï », p. 22-68 ; aussi : A. Storms, « La notion

de Dieu chez les Baluba du Kasaï », Bulletin des Missions 26(1952), p. 94-101. Pour les Baluba du Kasaï, Dieu

s’est révélé à travers leurs ancêtres (Bankambua). Les proverbes, les contes, les fables et les mythes, etc. en

sont une preuve.

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terrestre. En effet, on trouve dans cette tradition des expressions proverbiales étonnamment

bien élaborées où Dieu se révèle à ce peuple. Ainsi Dieu est :

Maweja a Nangila, Dieu de toute bonté ou Dieu aimant.

Mbuwa mualabala, la mer à l’étendue infinie.

Bulaba kalambudi mvula, la terre qui n’offre pas de tribut à la pluie.

Diba katangidi tshishiku wakutangila diamosha nsesa, le soleil qu’on ne peut

regarder fixement.

Njila wa katu mikemu batuatua mikemu mbamuendenda, la route qui ne gémit

pas, mais ceux qui gémissent ce sont ceux qui marchent dessus.

Tshilundu wa nkumina mund’a Buloba katuidi mvula, katuidi minanga, la

termitière qui grouille de vie dans ses profondeurs, et qui ne craint ni pluies ni

sécheresses.

Tshinkunku Nsanga bilembi, l’arbre sous lequel se rassemblent les chasseurs.

Nyunyu wa kafu disu nansha mubuela mu ditu dia nkodi ne mingonga, l’oiseau

qui ne se crève jamais l’œil, en passant à travers une forêt touffue des lianes et

d’épines.

Nkashama wa dienda nkayi, le léopard qui marche toujours seul.

Nkashama wa dienda ditu, le léopard à la forêt propre.

Dijinda ntung’a Mulongo, l’insecte en tête de file.

Mayi mfuki’a mukele, l’eau origine du sel.

Mwanza Nkongolo Lukanda mvula wa mudimbi, l’arc-en-ciel qui arrête les

pluies torrentielles.

Tshipepele ukena kuteya, le vent à qui on ne peut tendre de piège.

Tshipepele Mvunda katula bena madiba, l’ouragan qui dévêt ceux qui portent les

raphias.

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Tshipepele Mvunda uvundula biseki ne muinshi mua bulalu, l’ouragan qui

poursuit même ceux qui se cachent en dessous de leur lit.

Dijiba dia lunteke ntekete dia kamana batuwi mpata, l’étang marécageux auquel

les pécheurs ne viennent jamais à bout.

Lupenzu mesu munsona muwakuela meji dilolo yéyé mumania, le criquet aux

yeux cachés, mais qui secrètement connaît toutes vos pensées.

Musasa wa mesu mbombo, ou Musasa wa mesu tshinunu, une besace aux yeux

multiples.

Maweja Tshipapayi upapa ne mitshi muitu, Dieu de toute bonté, le mat qui donne

à tous les humains et même aux arbres de la forêt.

En situant toutes ces nominations de Dieu dans un discours pragmatique, on peut les

regrouper en trois catégories essentielles. D’abord, le discours qui invoque la puissance

de Dieu selon que la vie et le bonheur sont menacés. Dans ce contexte, Dieu Maweja est

un « Léopard », un « Lion », un « Ouragan », etc. Il est la seule force qui fait face à

l’ennemi. On peut même souligner que, dans l’imaginaire luba-kasaï, cette force

supérieure apparaît comme une sorte de personnification à qui ils donnent le nom de Dieu

tout-puissant « Muena Bukole ». Celui-ci est naturellement invoqué pour répondre à une

situation particulièrement difficile ou insolite qu’éprouve l’homme ; il est comme un allié

le plus sûr et le plus confiant dans les questions cruciales de l’existence ; il est l’instance

ultime de tout recours. L’homme ne peut se passer de sa présence, donc de son pouvoir

d’action.

Il va sans dire de toutes les cérémonies auxquelles participent un nombre important des

membres. À cette occasion, le Dieu Puissant est évoqué comme la plus grande force qui

a créé toutes choses et qui a communiqué à celles-ci cette force par la médiation des

ancêtres et des esprits en qui est infusé le souffle vital. Dans les pratiques des fétiches

Buanga (au singulier), Manga (au pluriel), par exemple, le Dieu tout puissant, force

primordiale est évoqué comme créateur de tous les êtres de qui le féticheur tire tous les

éléments essentiels, à savoir les « Bijimba », dans la confection et la réalisation de son

Buanga. Ce sont ces « Bijimba » de certains êtres puissants (Léopard, Lion, Crocodile,

Dragon, etc.), qui sont destinés à aider dans certaines activités universellement répandues,

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comme la pêche ou la chasse. Car dans ces activités, il s’agit précisément de la véritable

influence de vie, de la lutte pour la vie et le bonheur, entre chasseur et gibier vivant. Il y

va donc de se trouver dans cette lutte aussi fort et puissant que possible et de soumettre à

son usage toute force de vie possible destructrice du gibier. Ce faisant, les Luba-Kasaï

ont formulé une philosophie et des lois pour la connaissance et la découverte de la force

de vie et de l’influence de vie de certains êtres. Cette philosophie ou encore ces principes,

on l’a vu, sont une voie indiquée par laquelle on acquiert la connaissance de ces êtres de

la création et des forces de la nature.

En face de toutes ces forces de la nature, Dieu Créateur est le seul qui ne peut connaître

aucune influence de ce « Buanga » qui n’apparaît que comme une force inférieure qui ne

peut agir que sur les autres êtres inférieurs. Reste que la force recherchée par le canal du

Buanga concoure au renforcement de la vie et du bonheur de l’homme.

Le deuxième discours est celui de la reconnaissance et d’action de grâce pour un bonheur

reçu de la main de Dieu (La fécondité, la progéniture, l’abondante moisson, la richesse,

les meilleures femmes, les enfants qui réussissent, le pouvoir, la réussite, etc.). Dans cette

circonstance, Dieu Maweja est Dieu de toute bonté, le mat qui donne sans compter.

Le troisième discours est celui qui invoque la providence divine, qui implore son

intervention quand tout semble manquer à l’individu. Dieu est le seul qui voit la

souffrance et la misère, qui voit les ennemis cachés et, qui peut donner ce qu’aucun autre

homme ne peut. L’individu nourrit l’espoir de tout avoir de la bonté de Dieu Maweja.

Bref, on peut même dire qu’au cœur de toutes ces invocations des noms de Dieu et de ces

discours, il y a certes la révélation de Dieu, mais il y réside également le désir de l’homme

de la recherche permanente de la vie et du bonheur partagé.

c) Le Dieu de nos ancêtres

Les Luba du kasaï ont la forte conviction que la révélation de Dieu ne s’est pas faite par

un oracle, par une manifestation miraculeuse. Dieu s’est plutôt manifesté aux hommes à

travers leurs ancêtres. Ainsi les Luba du Kasaï ont toujours introduit leurs prières avec

les paroles fortes de remerciement et de reconnaissance singulière à Dieu Maweja a

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Nangila (Dieu aimant) qui apparemment s’est révélé à leurs ancêtres comme le témoigne

cette expression : « Mvidi Mukulu wa Bankambua betu : Le Dieu de nos ancêtres »37.

Cela revient à dire que cette référence aux ancêtres atteste de la présence de Dieu dans la vie

de ce peuple. Les Luba traduisent la conscience que rien de leurs connaissances, de leur

philosophie de vie et du bonheur partagé ne leur avait été révélé par une sorte de vision

surnaturelle où Dieu lui-même s’est fait connaître. Pour eux, en effet, ce sont les ancêtres qui

leur ont transmis cette révélation de Dieu et la sagesse de la vie. Ils reconnaissent

incontestablement à ceux-ci le rôle de médiation qu’ils semblent attester toujours et encore

aujourd’hui. Les ancêtres sont considérés comme étant si près de Dieu et en communion

parfaite avec lui. On dirait même que, chez ce peuple, la communion des ancêtres avec Dieu

constitue le motif même de l’existence qu’il arrive à les confondre presqu’avec Dieu lui-

même.

Certes, cette manière de lier les ancêtres à la révélation prête souvent à confusion, car les

médiateurs peuvent acquérir une telle importance qu’ils sont eux-mêmes considérés comme

des dieux. Mais les Luba ne vont pas jusqu’à opérer une telle substitution. Pour eux, les

ancêtres ne jouent qu’un seul rôle, celui de dire aux hommes la révélation de Dieu, sa bonté

infinie et son amour sans limites pour les humains, sa providence et sa volonté de combler

les hommes, sa puissance, son intelligence et sa sagesse. Ils constituent une sorte de charnière

entre la communauté et Dieu.

d) La médiation de l’art plastique

Tout comme les contes, les fables, les dictons, les chants populaires, les mythes, ou encore

les ancêtres, les Luba font également une lecture de la révélation de Dieu à travers leur art

plastique. Ils voient dans l’art plastique le passage du naturel au corps culturel, une véritable

substitution supplémentaire du corps, ordonnée au surgissement d’un langage spécial qui,

grâce à la symbolisation repense, redit et refait en totalité le rapport à soi, à autrui et même

au monde. L’art plastique luba-kasaï apparaît comme le lieu herméneutique d’émergence de

37 O. Bimwenyi Nkweshi, « Le Dieu de nos ancêtres », Cahiers des Religions Africaines 11(1970), p. 137-

151.Voir aussi : Th. Theuws, « Croyance et culte chez les Baluba », Présence Africaine 17/18 (1958), p.25-32;

S. Peeraer, « Dieu selon la conception des Baluba », p.13-33 ; A. Storms, « La notion de Dieu chez les Baluba

du Kasaï », p. 94-101.

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sens et des significations ; il est un véritable centre de référence permanent où le naturel et le

surnaturel se croisent et se côtoient. Comme le dit aussi Th. Mudiji Malamba, l’art plastique

est « Le lieu où le sculpteur fait figure de dompteur des éléments entre le monde naturel et le

monde mystique, entre les vivants et les morts, entre Dieu et les hommes »38.

L’aspect religieux que traduit l’art plastique luba-kasaï manifeste fondamentalement le

rapport de dépendance ontologique de la personne à Dieu, source de toute force de vie. Cette

source de vie, de puissance et de bonheur partagé, s’est révélée à l’homme Luba par la

médiation des ancêtres qui sont également les géniteurs de toutes productions artistiques.

Cette révélation de Dieu a atteint aussi les hommes par le symbolisme des masques et d’autres

sculptures. De la sorte, on peut saisir la position interposée qu’occupent ces productions

artistiques ; elles servent sans aucun doute d’une sorte d’alliance entre la personne et son

Créateur. Ce dernier se révèle comme source de multiples bénédictions, lesquelles

bénédictions apparaissent dans une chasse fructueuse, une moisson abondante, une fécondité

de la terre et des êtres, c’est-à-dire le bonheur. Dans cette perspective, on peut dire que le

fantasme offert par l’art plastique luba contribue largement à la création et à

l’accomplissement du bonheur communautaire et du bien-vivre individuel. En témoignent

les désignations suivantes : « Masques blancs » qu’on appelle en langue Tshiluba

« Tshifwebe » (singulier) ou « Bifwebe » (pluriel), qui constituent le lieu privilégié de la

rencontre entre l’homme et le puissant créateur, la rencontre de la terre et du ciel. Il s’agit de

la relation de dépendance de l’homme à Dieu, mais aussi de l’espérance de la personne du

bonheur sans fin.

En définitive, nous pouvons dire que, dans le contexte luba-kasaï, cette révélation divine se

pose et s’impose aussi à travers l’art plastique à la fois comme une sorte de perspective sur

le tout du monde, comme une manière de donner à la vie des hommes, selon une hiérarchie

des valeurs, une détermination de ce qui fait sens de tout le réel et qui donne des significations

38 T. Mudiji Malamba, Le langage des masques africains. Études des formes symboliques des Mbuya de Phende, Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1979, p.12 Lire aussi : Kabengele Munanga, « A propos de la

fonction de l’art plastique en Afrique noire. Exemple des Luba et Aruund du Shaba au Zaïre », Zaïre-Afrique

84(1974), p. 224-234 ; W.M. Mutimanwa, Étude socio-morphologique des masques blancs Luba ou bifwebe,

Lubumbashi, Université Nationale du Zaïre, 1974, p. 35-42 ; Kabongo, B.M, « La plastique négro-africain

comme lieu d’une philosophie existentielle. Une lecture herméneutique des masques africains selon Mudiji »,

Pensée Agissante 7/13(janvier-juin 200), p.51-67.

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à l’être, la justification de toute valeur, de tout bien, la transcendance de Dieu éternel, aussi

fort et tout puissant, bon et bienveillant à l’égard des hommes. L’art plastique est donc le lieu

herméneutique qui dit non seulement le lieu d’excellence d’où jaillit l’essence de l’univers,

l’existence humaine et le bonheur partagé, mais également le lieu de la manifestation de la

face cachée de Dieu Maweja a Nangila (Dieu aimant).

2. La création du monde

a) Le mythe adja et la relation cosmique

Les Luba-Kasaï savent que le Dieu qui s’est révélé à leurs ancêtres est aussi le Dieu qui a

créé le ciel et la terre et tous les autres êtres (les animaux, les végétaux et les minéraux) qui

y habitent. Ce Dieu est aussi celui qui s’est créé lui-même et personne n’est au-dessus de

lui. Ainsi que le disent les Luba eux-mêmes :

Mvidye Mudifuka Kakuena tshidi tshimutambe.

La tradition luba-kasaï affirme aussi que tout ce qui existe sous le soleil se situe dans le

temps et dans l’espace. C’est que rien ne naît de rien, tout procède de Dieu. Celui-ci est

appelé Maweja a Nangila, Dieu de toute bonté ou encore Dieu aimant. Il est éternel, sans

commencement ni fin. Pour expliciter cet acte de création de l’origine de l’univers, les Luba

font recours au « Mythe Adja de la naissance du monde »39. Ce mythe raconte en effet que :

Au commencement de toute existence était une calebasse. Elle emplissait le

temps et l’espace. Elle était le tout. Séparée horizontalement en son milieu, son

couvercle formait le ciel et sa coupe la terre. Le ciel était mâle et contenait l’eau.

La terre était femelle et ses entrailles couvaient le feu. La calebasse tout entière

était donc le ciel, la terre, l’eau et le feu.

Ce mythe Adja montre que la vie sur la terre naquit de l’initiative du ciel qui, un

jour, envoya son eau sur la surface de la terre. La terre accueillit la première pluie

qui de sa fraîcheur fit germer les plantes. Celles-ci se métamorphosèrent, les unes

en animaux et les autres en hommes. Le ciel et la terre mis en contact par la pluie

firent jaillir la foudre « Kuba » qui déclencha l’impulsion primordiale mettant en

mouvement perpétuel le ciel et la terre eux-mêmes ainsi que l’eau et le feu que

l’un et l’autre qu’ils contenaient. C’est ainsi qu’avait, depuis ces temps

39 C.M. Faîk Nzuji, La calebasse aux quatre éléments. Mythe adja de la naissance du monde, Bruxelles,

Louvain-la-Neuve, 1971, p. 52-113. On trouve les mêmes mythes repris chez bien d’auteurs comme A. Mabika

Kalanda, La révélation du Tiakani, p.78-102 ; T.A. Fourchet et H. Morlighem, Une bible noire, p. 109-123.

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impériaux, prolongé la puissance de la foudre « Kuba », et nos ancêtres

(Bankambua) ou les aînés (Bakulu) ont appris à faire jaillir le feu de la pierre et

avec du bois. Avec le feu, les hommes transformèrent la latrine en fer, puis ils

forgèrent le fer pour fabriquer des armes de chasse et des outils pour les travaux

des champs et même de ménage. Ainsi, Dieu est-il si bon !

Il ressort de ce mythe que l’univers crée est une totalité qui se tient et se lie à partir d’un

dynamisme relationnel inépuisable. Chaque être crée par Dieu est relié à d’autres, aucun

d’entre eux ne peut vivre indépendamment des autres. Il y a là comme une sorte de

dynamique d’interaction des forces qui agissent les unes sur les autres. Cette expérience

d’interdépendance des êtres créés, d’interaction des forces induit à la compréhension que

l’univers est naît de la force première qui a rependu un peu d’elle-même sur tout ce qu’elle a

généré dans le temps et dans l’espace. Chaque être ayant ainsi un peu de cette force première,

est devenu lui-même aussi une force, et de ce fait, il est tenu à servir d’intermédiaire. Dieu a

créé tous les êtres en paire : mâle et femelle, gauche et droite, terre et ciel, eau et feu, etc.

Comme à l’occasion de la révélation de Dieu, cette connaissance de la création du monde ne

semble pas être un oracle, les Luba-Kasaï la tiennent de leurs ancêtres et la lient à

l’émerveillement de la nature. Pareille liaison exprime une sorte d’interdépendance cosmique

des êtres qui peuplent l’univers et qui concourent au bonheur de l’homme, mais également

une dépendance ontologique de l’homme à l’Être transcendant, tout-puissant et source de

toute force vitale.

Cette double relation s’exprime à travers un émerveillement de l’homme. C’est-à-dire

l’homme en voyant cette nature, la beauté de cette nature il s’exclame émerveiller et magnifie

la puissance créatrice et la bonté infinie de Dieu. En témoigne les expressions telles que :

Bina mona mishipa mumayi, ndi nganisha Mulopo : quand je vois autant des

poisons dans les rivières et les mers, je remercie Dieu Maweja.

Bina mona Nyunyu muulu, ndi mbila Maweja : lorsque je vois les oiseaux du

ciel, j’invoque le nom de Dieu.

Bina mona bukua nyama, ndi ntumbisha Muena Kulu : lorsque je vois la

multitude des animaux sauvages, je glorifie le Très-Haut.

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Bina mona bantu ne Moyo, ndi nsangula Nzambi : lorsque j’observe la diversité

des êtres humains, je magnifie le Tout-Puissant.

Panu mpasangana pakole Masele ne Bilundu mbisangana bimene : ici sur la terre

tout est dur, tout a été trouvé déjà dans cet état de croissance. Ce dicton exprime

aussi l’inhospitalité de la terre.

En outre, en voyant la diversité de cette nature, les Luba disent : Dieu est ainsi bon ! D’où la

belle expression : « Mvidi Mukulu Maweja a Nangila », Dieu de toute bonté ou Dieu aimant.

On peut alors soutenir que les Luba-Kasaï reconnaissent que tous les autres êtres de la

création ont leur propre force vitale, humaine, animale, minérale et chaque être a reçu de

Dieu sa puissance pour fortifier celle de l’être le plus fort de la création, à savoir l’homme.

Ce qui explique en partie les rapports étroits que l’homme entretient avec la nature dans la

recherche permanente de son bonheur. De cette vision, on peut également parler de

l’attachement de l’homme à la nature et de son respect pour l’environnement qu’il considère

comme le lieu de l’épanouissement et de la réalisation du bonheur partagé.

b) Le nœud de l’acte de la création

La tradition luba-kasaï révèle que Dieu Maweja a Nangila (Dieu de toute bonté), a créé toutes

choses et que toutes les choses émanent de lui. Et parmi ces créatures, il y a l’homme qu’il a

créé à son image et à sa ressemblance (Maweja ku fuka muntu pa tshifuani tshienda). Ainsi

l’homme reste le fils digne de lui. Se pose alors la question philosophique de savoir :

pourquoi et pour qui Dieu a créé cet univers et tous les êtres qui y habitent ? Pour répondre à

cette double question nous nous recentrons encore sur la légende luba de la création du monde

telle que Van Der Meiren la restitue :

Maweja créa l’homme à son image et à sa ressemblance. Il le dota de qualités

semblables à celles des esprits (ou principes) du ciel du sommet « Diulu dia

Katongobela ». Il installa l’homme sur la terre. Celle-ci faisait partie du Ciel du

sommet et se trouvait alors dans la voie lactée « Njila wa mulaji laji ». À la suite

des fautes et des péripéties longues, la terre fut chassée du Ciel avec ses habitants.

L’homme en a gardé la nostalgie, lui qui, au Ciel avait douze pouvoirs liés à

douze artifices de son corps en perdit trois : celui de la fontanelle, celui de

l’occiput et celui du creux épigastrique. Maweja a montré aux ancêtres les

procédés, non seulement pour ouvrir la fontanelle et avoir la double voyance,

mais aussi pour ouvrir le creux épigastrique et l’occiput. Ce faisant, l’homme

réintègre les pouvoirs perdus : il voit l’invisible, il voit l’avenir ; il a la puissance

de la « forte voix ». Par cette dernière, il a le pouvoir d’appeler à l’existence en

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les nommant les êtres antérieurement inexistants, sa parole est vraie « Diyi

dilelela dia Moyo » : une parole qui engendre la vie. Il ne peut aucunement parler

en vain. L’homme est le véritable nœud de l’acte même de la création40.

On peut déduire que ce récit témoigne de la conscience qu’ont les Luba-Kasaï de la place

qu’occupe l’homme dans l’univers, il est le maître voulu par Dieu Maweja et à qui il a légué

tous les pouvoirs sur les autres créatures. Ces dernières servent à la promotion du bonheur

de l’homme, qu’on nomme en langue Tshiluba le « Tiakani ». Ce bonheur à la fois unique

et partagé par les hommes créés par Dieu et qui, de ce fait, sont tenus de vivre ensemble

dans une harmonie parfaite et en communion intime et mystique avec lui et la nature. Aussi,

Dieu lui a donné la puissance de continuer la création par son intelligence et par sa propre

volonté pour son plus grand bonheur. Sa nature est la même pour tous les membres de la

communauté et même de tous les autres peuples. S’applique à cette perception luba-kasaï

de la création du monde et du désir du bonheur de l’homme, la pensée de Saint Thomas

selon laquelle : « Seules les personnes constituent le motif de l’acte créateur. Car la création

purement matérielle serait dépourvue de sens. Seul l’homme peut le mettre en valeur. C’est

pourquoi l’univers tout entier est au service de l’espèce humaine »41.

Au total, les Luba ont la conscience que Dieu le créateur de toutes choses demeure pour

l’individu celui qui lui donne de vivre pleinement dans le bonheur  ; il est également le

maître et le dispensateur de tous les dons et de tous les biens. Par la médiation de la création

des choses, les Luba voient la grandeur et l’immensité de la puissance de l’amour de Dieu

40 Van Der Meiren, « La création du monde d’après les Baluba », La Revue Congolaise 2(1910), p.41-52. Voir

aussi : A. Mabika Kalanda, La révélation du Tiakani, p. 87-102. T.A. Fourchet et H. Morlighem, Une bible

noire, p. 127-148 ; A. De Clercq, « Littérature indigène luba » : Tshinji tshia bunfika munda (la colère), et

Lukinu (l’envie ou la jalousie), Disanka (la joie), Dinanga (l’amour), Ditekemena ne Diakalenga (l’espoir,

l’attente, la confiance et le bonheur), Congo 12/2 (1931), p. 165-185. Les auteurs que nous citons à propos de

la naissance du monde reprennent les mêmes mythes et légendes pour expliquer ces architectures et analogies

de la création du monde. 41 Augustin cité par Van Steenbergen, Le Thomisme, Paris, PUF, 1983, p.78. Voir aussi : A. Mabika Kalanda, La révélation du Tiakani, p.66-67 ; A.J. Smet, « L’idée fondamentale de l’ontologie bantu », in Bontinck, Aux

origines de la philosophie bantu, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1985, p.165-186 ; ou encore : P.

Tempels et A.J. Smet, « Le concept fondamental de l’ontologie bantu », Texte inédit de Temples, trad. du

néerlandais et édité par A.J. Smet, Mélange de philosophie, Recueil de textes du Père P. Tempels, Kinshasa,

Facultés Catholiques de Kinshasa, 1985, p. 149-180. Dans ce recueil, il y a des textes de Tempels qui abordent

cette question que Smet met en évidence.

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pour l’homme. Ces choses contribuent à l’épanouissement et au bonheur de l’espèce

humaine.

3. La source de tout bien

a) La bonté de Dieu et la magnificence de l’homme

Les Luba-Kasaï ont une forte croyance que tout ce qui chante et respire, tout ce qu’un

homme peut posséder lui est donné par Dieu lui-même. Tout ce qui existe sur la terre des

hommes appartient à Dieu Maweja. Dieu est la source de tout bonheur. Les Luba attestent

cette conviction à travers bien des chants, des cultes, des fables, des légendes ou encore des

contes et des proverbes. Par exemple dans les chants courants souvent exécutés à l’occasion

de diverses séances de cultes, de prières ou de cérémonies, les Luba affirment spontanément

l’acte de Dieu comme la source de tout bonheur à travers tous les biens créés. En témoigne

les chants tels que :

Bionso bindi na bio mbia Mufuki Nansha Ngombe nansha Mpunda, Nansha

Mabanji ne Mamfumu, Nansha Bakaji nansha Bana.

Ce qui revient à dire : Tout ce que je possède, je le tiens de Dieu ou appartient au Dieu

créateur, qu’il s’agisse des troupeaux des vaches et des moutons, qu’il s’agisse des richesses

ou de pouvoir, ou encore des femmes et des enfants, tout appartient à Dieu Maweja a Nangila

(Dieu aimant, Dieu de toute bonté).

Bintu bionso mbia Mvidi, Mvidie wa muulu wafuka wafukila muinsh’a kabue,

kabue konso kafuba : Tout appartient à Dieu. Le Dieu très haut a tout crée, il a

tout crée d’en dessous du petit palmier, lequel se dessécha.

Il ne fait l’ombre d’aucun doute que, chez les Luba-Kasaï, seul Dieu est le créateur de toute

chose. Et ces choses Dieu les a créées pour le bonheur de l’homme qui le lui donne toujours

d’avantage et en abondance. À son tour l’homme est appelé à manifester sa reconnaissance

à son créateur à travers les sacrifices, les chants et les cultes spéciaux. Avec les paroles plus

fortes, les Luba-Kasaï magnifient la bonté infinie de Dieu en disant par exemple :

Kambi kupa tuanza tualua tukese : quand Dieu veut donner les mains deviennent

trop petites pour tout prendre ou contenir.

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Ukupapa bu mubibenge yéyé mwina : il te donne comme si lui n’en a pas besoin.

b) La providence divine

Ce bonheur, Dieu le donne à tous les membres de la communauté d’être, à tous ceux qui le

lui demandent parce qu’il est le Dieu de tous, sa bonté et sa providence valent autant pour

tout un chacun indistinctement et même au-delà de leurs désirs. De cette manière, les Luba

le reconnaissent comme un :

Tshiipapayi upapa ne mitshi muitu : c’est-à-dire un Dieu d’une bonté

incommensurable ou extrême, le mat qui donne à tous les humains et même aux

arbres de la forêt.

Cette providence, non seulement marque la conscience des individus mais également elle

exige l’effort d’une vie honnête et juste de la part de chacun des membres de la communauté

de vie. La jalousie ou l’agitation en vue de l’accaparement des biens de la terre n’apporte rien

du tout. Ou encore, la personne qui recourt aux forces de la nature ne reçoit qu’un bonheur

éphémère. Les Luba-Kasaï expriment une réserve sur les biens mal acquis ou des biens

obtenus par le biais des combinaisons obscures. Ils s’avisent que, c’est Dieu qui donne, et le

bonheur qui vient de Dieu dure dans le temps et progresse indéfiniment. En témoigne ce

dicton :

Kabiena kukuila Mulopo ubipapa bantu : le bonheur n’est pas à obtenir par la

lutte, car c’est Dieu seul qui le donne aux hommes.

Puisque c’est Dieu seul qui pourvoit aux besoins de tout un chacun, il ne point question de ravir

aux autres leurs biens pour son propre bonheur. Les Luba-Kasaï renseignent formellement à leur

communauté en imposant quelques normes de vie on ne peut plus rigoureuses. En témoignent

les normes telles que :

Teke tshianza pa Kebe pa kabende nkukeba diyoyo : mets la main sur ce qui

t’appartiens, si tu t’empares de ce qui n’est pas à toi, tu cherches querelle.

Kantu kabende Kantu mambu nansha kikala ka mulunda weba : le bien d’autrui

peut provoquer conflits et querelles même s’il appartient à ton ami.

Kabende ki kanyila Tatu wa kafua : tu ne peux jurer sur la tombe de ton père pour

le bien d’autrui qui ne t’appartiens absolument pas.

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Kanya, Kanya Kena tshiaku nansha kikala mpala butshika : même si le

propriétaire ou mieux le détenteur du bien est un petit homme moche, moribonde

et indésirable, mais le bien lui appartient de fait et même de droit.

L’observation stricte de ces normes éthiques, constitue une garantie de la possibilité que Dieu

peut à tout moment faire pleuvoir le bonheur et tant d’autres dons sur l’individu. Cette

observation joue aussi le rôle de protection et de la promotion de l’acquis reçu de Dieu lui-même.

Dans cette société, il semble rare d’accepter la prise de bien d’autrui par la force ou encore par

des voies peu éthiques. Ici tout se doit d’être prouvé que l’on en est réellement propriétaire, que

le bien vous appartient de droit et de fait, et qu’il peut en aucun cas provoquer des querelles dans

la communauté d’être. L’individu est donc tenu à l’honnêteté et au respect du bien d’autrui autant

qu’il le peut pour le bien public ou bien commun. En d’autres termes, dans l’imaginaire luba-

kasaï, en demeurant honnête et en respectant ainsi le bien d’autrui ou en prenant soin du bien

d’autrui, on se met dans une position favorable pour obtenir des grâces de Dieu Maweja a

Nangila, qui est la source infaillible et intarissable de tous biens. Du rejet catégorique du vol ou

de l’usage de la force pour arracher le bien d’autrui, la société convie ses membres à la lutte

contre l’envie qui amène le plus souvent les hommes soit à supprimer la vie, soit à commettre

des fautes.

En outre, dans la capacité de conserver et de promouvoir ce bonheur, les Luba considèrent

comme vicieuses toute envie et toute jalousie. Car envier le bien d’autrui ou exprimer la

jalousie, entraîne les conflits et brise de ce fait même l’harmonie de la relation et l’équilibre

social. De la sorte, la sagesse luba-kasaï convie les membres à la vertu de la patience, car le

maître et le dispensateur de tous biens, Dieu le créateur, les prédispose pour tout un chacun,

et chacun en son temps. On peut encore recourir aux proverbes, aux dictons, aux fables et

aux chants pour expliquer davantage ce processus et cette garantie de la promotion du

bonheur partagé :

Kunangidi bifuelele, bualu bilengele bitshivuavua (bitshi lualua) : ne te contente

pas des biens présents, tu verras le plus grand bonheur dans l’avenir.

Katende wavuala tshia pa buebe bunene Kunangidi bia ba Munkanku ne

Mukute : Katende (petit oiseau) portes ce qui est à ta taille ; n’envie pas les tailles

des grands Munkanku et Mukute.

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Kunangidi muvualavuala Kabuta wadiakavuala tshiebe tshidimu : n’envie pas et

ne jalouse pas la parure de Kabuta, tu porteras la tienne en ton temps.

Mbuji utu wadia pa bule bua monji : la chèvre broute aussi loin que lui permet

d’aller la laisse qui est à son cou.

Au demeurant, ces normes qui sont de mise dans le processus d’acquisition du bonheur

implique non seulement l’idée de la providence, mais également élève à son comble l’éthique

de la vie commune. Les Luba-Kasaï savent que Dieu réserve ce bonheur à tous les membres

de la communauté de destin, mais chacun en son temps et à son rythme. Rien ne sert, en effet,

de courir ou de forcer la nature, il faut tout simplement user de la patience pour jouir d’un

bonheur beaucoup plus grand. Ce qui revient à dire que la durabilité de son bonheur tient à

l’effort même de chacun à respecter et à observer les normes éthiques de la vie pratique qui

exigent que tous les membres se remettent à Dieu et s’engagent résolument par un travail

personnel pour trouver des moyens à la réussite de la vie.

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CHAPITRE QUATRIÈME

LA PERSONNE, L’INDIVIDU ET LA MEMBRALITÉ

1. La personne : valeur, force vivante et totalité

a) Une valeur irremplaçable

Dans l’univers luba-kasaï, la personne est définie à travers trois catégories distinctes mais

qui se complètent. D’abord comme valeur. En effet, les Luba marquent une barrière

fondamentale et ontologique qui sépare la personne de tous les autres êtres créés. Les

« Bintu » sont des êtres créés dont l’existence est au service du bonheur de la personne ; leur

valeur est conditionnelle, relative, et donc contingente. Comme motif de la création, la

personne est une valeur irremplaçable, et son existence vise l’épanouissement, la plénitude

de la vie et le bonheur.

Les Luba pensent aussi que la personne, par le seul fait qu’elle agit en réfléchissant, en

pensant, en raisonnant et en rationalisant son mode de vie et son environnement, diffère

totalement des Bintu, des êtres créés qui n’ont aucune sensibilité. Au vrai, les Luba pensent

que c’est la nature même de toute personne qui commande le respect et impose la dignité.

Par nature, on peut entendre le fait qu’à la création Dieu Maweja a doté l’homme de cette

valeur et de cette dignité inaliénable qui exige le respect. Les Luba ont la nette conviction

que la valeur de la personne tient de la volonté créatrice de Dieu lui-même. Ce qui explique

le respect de la vie comme une valeur suprême. En conséquence, ils considèrent la personne

comme « Muntu wa bende wa Mvidye Mukulu Maweja », l’autrui de Dieu de toute bonté.

Dès lors, on peut dire que la philosophie luba de l’être établit deux ordres de choses, à savoir

d’une part : l’ordre des Bintu, des choses ou des biens et, d’autre part, l’ordre des Bantu, des

personnes. Les deux ordres procèdent de Dieu. D’où, la question de la préséance de l’ordre

de la personne comme force et comme puissance au-dessus de toutes les autres choses.

b) Une force vivante

La personne apparaît aux yeux des Luba comme la plus forte énergie parmi les forces créées.

Sa nature est d’être forte et sa plénitude de vie consiste en ceci qu’elle a en elle-même,

l’énergie pleine et infinie de Dieu. Celui-ci est le « Muena Bukole » considéré par les Luba

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comme le seul grand et puissant renforçateur de la force vitale de l’homme. De cette manière,

la force vivante de l’homme croît nécessairement sous l’influence de celle de Dieu Maweja

a Nangila (le Dieu de toute bonté), lui-même. Mais l’homme demeure tout de même en ordre

premier celui qui renforce tous les autres êtres de l’univers qui l’entourent. En ce sens, c’est

lui et lui seul qui a en priorité la possibilité de jouir du bonheur et de la plénitude de la vie.

Tout en étant sous l’influence de l’énergie de Dieu, la personne reste un être autonome et

libre ayant sa propre volonté de faire du bien ou de nuire. Elle peut avoir un penchant vers le

bien ou vers le mal, une faculté de choisir entre le moindre et le plus grand bonheur. Les

Luba retiennent que, par cette force vivante positive, la personne peut vouloir l’ordre des

choses et des forces tel que voulu par Dieu lui-même, ou comme Dieu en a disposé. Elle peut

ainsi respecter la vie, la promouvoir et la maintenir aussi bien pour elle-même que pour les

autres. Elle est aussi appelée à suivre un ordre en mettant chaque personne et chaque chose à

sa place. Dans ce contexte, par exemple, le premier-né, le père du clan (chef) est considéré

comme un réalisateur et un renforçateur de la vie et du bonheur de chaque membre de la

communauté.

Mais les Luba n’ont pas seulement une conception positive de la force vivante. Ils pensent

aussi que la personne peut avoir une volonté d’anéantissement, de la mauvaise volonté ; et

cette mauvaise volonté peut se traduire par la haine, l’envie, le dédain, l’aversion, l’orgueil ;

tout cela possède une sorte de force vivante susceptible d’agir ou d’influencer profondément

et réellement la force de vie d’autrui, de la personne la plus faible, dont on veut la diminution

de la vie et de l’élan du bonheur. C’est en fait cette influence négative procédant de la

puissance même de la mauvaise volonté humaine qui est généralement appelée par les Luba-

Kasaï, le « Mupongo », « Bulowa », ou encore mieux le « Buloji » : la sorcellerie. Elle est

comme une sorte de force de savoir, de vouloir, de pouvoir et d’agir qui influe sur la personne

comme totalité, c’est-à-dire dans ses relations, ses possibilités de vivre le bonheur et de son

avenir. On peut même dire que le pouvoir de la sorcellerie est la capacité qu’a un sorcier

d’agir d’une façon qui échappe à la raison et à l’habituel. Elle est une donnée subjective et

extraconditionnée puisqu’elle est soumise aux impératifs extérieurs régis par le quotidien.

Son champ d’action ou d’application commence là où se limite celui du possible et de

l’imaginable. Par sa force vivante, le sorcier cerne à travers ce qui est plus-que-bien et/ou

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plus que mal, ce qui est hypo et/ou hypernormal et qui se présente sous la forme d’une

malchance déplorable, d’une pauvreté extrême flagrante et détestable, d’une intelligence de

feu, d’une difformité physique détestable ou encore d’une richesse enviable.

Les Luba-Kasaï comme tous les autres Bantous croient à cette nature perverse, à cette force

négative de la personne qui peut nuire à autrui et anéantir son bonheur. Cependant, ils

s’avisent de rester tout de même prudent aussi longtemps que le sorcier ne donne pas des

signes réels qu’il est l’auteur d’un mauvais sort, d’un malheur ou d’une mort qui frappe un

membre de sa communauté. À ce propos, ils disent que :

Muena Mupongo Muntu wa bende kumumuni kumubanda : le sorcier est un

homme d’autrui de Dieu, ne le calomnie pas si tu ne l’as pas attrapé en flagrant

délit.

Mais de l’autre côté, ils affirment aussi :

Muena Mupongo tshitakani ushipa Muntu umudila kabidi : le sorcier est sans

scrupule, tout en ayant fait ce mort il manifeste sa compassion et ses regrets.

Ce jugement semble à la fois contradictoire et absurde, mais il fait sens dans la mesure où les

Luba-Kasaï restent convaincus qu’on ne juge pas la personne par ses intentions, il faut la

saisir dans la vie concrète en tant qu’un individu ayant toute sa personnalité et son moi

profond caché. Ceci traduit le caractère mystérieux de la personne, mais également le sens

du réel concret qui la dévoile comme une valeur, une force vivante à la fois positive et

négative, et une totalité. C’est ici que ce peuple fait intervenir dans sa philosophie de la vie

et de la quête du bonheur partagé la notion de l’individualité, dans sa complexité d’un être

inconnu et d’un mystère inépuisable.

En théorie, il est possible que la force de l’homme renforce celle des autres êtres. Mais il est

aussi vrai que les autres forces de la nature influencent aussi celle de l’homme. On peut peut-

être revenir à l’idée de l’interdépendance. Dans la pratique, laissé à lui-même dans la nature

la survivance de l’homme ne peut s’éprouver. Alors que l’animal est capable de s’adapter et

de vivre bien longtemps sans l’intervention de l’homme. Prise dans cette perspective, la

perception luba de la force vitale ne tient pas debout. Mais il s’agit de la force ontologique.

Par son intelligence, ses manières de créer et d’imaginer, l’homme peut changer positivement

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le monde, peut modifier la nature et lui donner une définition. Il peut mettre de l’ordre dans

le monde. Aussi, par sa parole l’homme nomme les choses. Il est une force créatrice. Cet acte

de création si on peut le dire ainsi est une manière de renforcer la nature et les autres êtres

qui y vivent. Ne dit-on pas que c’est l’homme qui donne sens à sa vie et au monde dans lequel

il habite et cohabite avec les autres êtres créés par Dieu ! Dans tous les cas, l’homme reste

attacher aux autres êtres, et en cela il se sent complet et totalement dans le bonheur. Mais

aussi, il peut user négativement de sa force pour détruire le monde et l’humanité. Cette

position dichotomique fait de lui un mystère.

c) Une totalité indivisible

Comme totalité indivisible, la personne chez les Luba, est à la fois une force vivante, une

raison vivante et une valeur incommensurable. En tant que telle, la personne se trouve en

relation intime de l’être avec Dieu, avec toute son ascendance, avec les membres de son clan

(Diku), de sa famille et avec ses enfants, ses avoirs, sa terre, avec tout ce qui y croît ou qui y

vit, avec tout ce qui peut être trouvé au-dessus ou sous la terre. Autrement dit, toute

acquisition qui se fait à partir de ce qui est sous lui ou au-dessus de lui est une croissance

intime de son propre être et de son propre bonheur. Ceci suggère que, chez le peuple Luba-

Kasaï, aucun être créé n’existe isolément et indépendamment des autres. De cette manière, il

apparaît un non-sens de définir l’homme comme individu qui forme une force en lui-même,

en soi, sans rapports intimes de l’être avec d’autres êtres vivants ou avec tout ce qui vit ou

qui ne vit pas, visible ou invisible, mais qui demeurent et l’entourent. Dans un tel univers, la

personne reste fondamentalement un être de relation, un membre reconnu parmi d’autres

membres, un véritable « je-avec », une conscience de soi qui vit en communion avec le

monde visible et invisible, mais aussi avec toute la nature. Réagissant au colloque de Paris

sur « La notion de personne en Afrique noire », Katuambi Kapinga souligne :

Il est un non-sens de procéder par un morcellement et une dissection de la

personne en ses composantes alors que la personne, du moins en Afrique noire,

est une totalité indivisible. Cette totalité implique aussi bien le réseau de relation

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que la personne entretient avec les autres, la nature, les esprits, les fondateurs du

clan, les ancêtres, Dieu Maweja que sa propre vie elle-même42.

Loin d’être une abstraction ou une idée, la personne chez les Luba-Kasaï, est une réalité

concrète et dynamique, située historiquement et culturellement, ayant des besoins et vivant

dans un réseau de relation avec les autres êtres qui partagent avec elle l’univers. Elle s’éprouve

toujours ontologiquement comme un être essentiellement ouvert, qui s’épanouie non pas sur le

mode de l’avoir ou de la possession des biens, mais surtout de l’être-avec. En ce sens, vivre

ici-bas, c’est entretenir un véritable et réel réseau de relation.

En fait, ce dynamisme relationnel sous-tend non seulement l’idée de la personne comme totalité

indivisible, mais aussi de la vie du peuple Luba-Kasaï dans sa recherche quotidienne de la vie

bonne. La relation avec les membres de sa famille, de son clan, etc. constitue le fondement de

la recherche commune du bonheur. C’est aussi ce dynamisme qui place toute personne devant

les autres personnes comme formant ensemble une sphère des personnes irréductibles aux

choses. Dans la vie pratique, le vivre-ensemble et le respect de la dignité permettent à la

personne de se sentir comme portée par les autres, et de ce fait, elle vit dans le bonheur. On a

comme l’impression que, chez les Luba, la relation confère une égale dignité dans la

reconnaissance mutuelle qui impose à chaque individu et à tous les membres de la communauté

le respect des droits et des libertés personnelles. Elle n’interdit à toute personne d’aliéner les

autres ou encore mieux de traiter les autres comme des choses dont on peut se servir pour son

propre bonheur. Dans l’univers luba-kasaï donc, le respect maintient la diversité des personnes

qui vivent dans l’harmonie. À ce titre, on s’engage à participer, chacun à sa manière, à la

promotion de la vie pour chacun des membres et pour la communauté tout entière. À ce sujet

les Luba disent :

Kulama bulanda, kulama diakalenga, entretenir la relation c’est vivre son

bonheur partagé.

42 Katuambi Kapinga, « La notion de personne en Afrique », Cahiers des Religions Africaines 35(1984), p.151-

152. Consulter aussi : P. Laurent, (dir.), La notion de personne en Afrique noire. Actes du colloque international

organisé dans le cadre des colloques internationaux du Centre National de la Recherche Scientifique, C.N.R.S.,

Paris, Éd. C.N.R.S, 1981. Selon le modèle occidental, l’homme est multidimensionnel, il peut être compris dans

chacune de ces dimensions. Voir aussi : Th. Theuws, « Le réel dans la conception Luba », Congo 8 (1961), p. 3-

44.

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Par le renforcement de la relation avec les autres et par le fait de ne pas les asservir ou de les

exploiter, la personne renforce son accroissement et son bonheur personnel. Par exemple, la

personne commise au service ménager est considérée comme faisant partie de la famille. En

conséquence, elle jouit du bonheur partagé par tous les autres membres. Car cette personne

est supposée être envoyée de Dieu ou des ancêtres. Le maintien de la bonne relation avec elle

ouvre aussi les perspectives d’un meilleur avenir, car la personne à qui vous a fait du bien

peut dans l’avenir vous rendre ce même bonheur que vous lui aviez accordé vous-même. En

traitant cette personne avec respect et dignité, on espère qu’elle se souviendra de vous. Si elle

ne parvient pas à vous rendre ce bonheur, elle le fera à votre descendance. À ce propos les

Luba-Kasaï disent :

Bulanda ndipa dia Nzambi : la relation est un don venu de Dieu, il convient de la

maintenir, de l’entretenir et de la partager avec les autres.

Certes, tous ne sont pas en mesure de supporter les joies ou les peines d’autrui, mais l’éthique

de la relation humaine, du respect mutuel et de la vie commune incite et même contraint à la

solidarité positive et même à la générosité réciproque. À cet égard, on peut soutenir que le

second impératif kantien semble arrimer à la conception de la personne chez les Luba. Ce,

dans la mesure où ils opèrent une distinction entre « ta personne » et « la personne d’autrui ».

Or, la personne est au-dessus de tout prix43. Th. De Koninck souscrit entièrement à ce

principe lorsqu’il affirme l’option préférentielle qu’on accorde aux pauvres et aux plus

démunis : « La reconnaissance de cette exigence se précise à mesure que s’affirment les

civilisations, la plus remarquable étant celle qu’on y accorde d’emblée aux plus faibles et aux

plus démunis, la place centrale de la mansuétude et du respect à l’égard des pauvres »44.

E. Kant comme Th. De Koninck introduisent une discontinuité pratiquement discrète, mais

significative au sein même de cet impératif. Cette distinction compense l’imprécision de

l’idée vague qu’on a souvent de l’être humain. Désormais, on peut se rendre à l’évidence

que, chez les Luba, l’altérité qui est à l’origine de la diversité des personnes est de fait prise

43 E. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. de V. Delbos, Paris, Vrin, 1982, p. 89-102. Voir

aussi : IDEM, « Fondements de la métaphasiques des mœurs », Œuvres philosophiques II, Paris, Gallimard,

1985, p. 301-302. 44 Th. De Koninck, Dignité de la personne et primauté du bien commun, p. 8.

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en compte. À ce sujet aussi Ricœur affirme : « La personne est une manière de traiter l’autre

et de se traiter soi-même. L’humanité est la façon de traiter les hommes, aussi bien que

moi »45.

2. L’individu et la philosophie du nom

a) L’individu comme un mystère

Comme nous l’avons déjà indiqué, le fait d’entretenir à la fois une force vivante positive et

négative fait de la personne un mystère. Dans ce nouveau contexte aussi, les Luba pensent

qu’il n’est pas souvent aisé d’accéder au vrai homme, à la vraie personne qui est la personne

intérieure ou l’homme intérieur. On dirait qu’il y a deux personnes en une. D’un côté une

personne concrète extérieure, et de l’autre une personne intime. Pour les Luba, la personne

interne n’est pas facilement accessible. C’est l’être-homme complètement caché. En

témoignent ces expressions :

Munda mua mukuenu mudinga ditunga kudiakumania mudimu mulala : l’intime

de l’autre homme est un autre pays lointain et inconnu.

Munda mua mukuenu ndisha dia Mbuwa : l’intime de ton semblable est comme

l’autre rive de la mer et demeure inaccessible.

Ces expressions traduisent le sens du mystère qui entoure l’homme. Celui-ci reste un secret

pour chaque homme du dehors, même s’il a tissé des meilleurs liens avec son semblable ou

s’il a entretenu des relations amicales avec quelqu’un d’autre, fut-il le plus proche. Au regard

de ce mystère, la vie en commun n’offre aucune certitude d’entrer dans les profondeurs de la

volonté de chaque individu. Par conséquent, il reste difficile sinon impossible d’en mesurer

la puissance de sa force vitale, de sa capacité d’influence vitale bonne ou mauvaise sur l’une

ou l’autre personne. À ce sujet Tempels affirme : « Il est humainement difficile ou peut-être

impossible de connaître, d’évaluer et de contrôler l’intime d’autrui et sa capacité d’action ou

d’influence vitale, car on ne peut le palper, le sentir de la main ou des yeux »46. Mais par

45 P. Ricœur, Philosophie de la volonté II, p. 89 ; E. Kant, commenté par P. Ricœur, Soi-même comme un autre,

Paris, Seuil, 1990, p. 308. 46 P. Tempels, La philosophie bantoue, p. 78-79.

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quelle voie peut-on entrer dans le secret de l’homme intérieur tel que les Luba-Kasaï le

perçoivent ? Qui peut en être capable ?

Comme on peut s’en rendre compte, chez ce peuple, la connaissance de l’homme intime n’est

pas donnée à tout le monde. Elle est plutôt réservée aux initiés (les Bakoles). Ceux-ci sont

considérés comme ayant une connaissance surnaturelle, c’est-à-dire une sorte de

clairvoyance mystique. Ce sont eux qui peuvent, par cette sorte de force, de puissance

invisible, évaluer et même prévenir à l’influence malveillante que l’individu s’apprête à

exécuter sur les autres, sur les aspirations des autres au bonheur partagé. Les chefs des clans,

les notables et les conseillers exerçant dans la cour du chef (Mfumu ou Mukalenga) ou du roi

(Mulopwe), sont souvent assimilés aux sages-sorciers dans la mesure où ils possèdent ce

pouvoir surnaturel d’évaluation, de détection et de détermination des intentions internes

cachées bonnes ou mauvaises, des capacités, ou mieux de la force, de la puissance de

nuisance de l’individu ou de l’être même du pervers.

b) Le nom comme lieu du dévoilement de la personne

Pour permettre une meilleure connaissance de la personne, les Luba ont en même temps

prévu un tout autre moyen qui est à la portée de tous et par lequel on peut comprendre et

saisir l’individu dans son intime et dans la profondeur de sa puissance vitale d’influence, à

savoir le nom. Ceci revient à dire que, pour les Luba-Kasaï, le nom non seulement apparaît

comme le lieu du dévoilement de l’homme intérieur, de la profondeur de la personne, mais

aussi comme une expression du bonheur partagé surtout quand il est tiré de la lignée des

ancêtres. On peut dire que, c’est par le nom que l’individu se rend visible, se dévoile et

s’intègre dans la communauté. Le nom indique nécessairement et de façon significative la

nature même de la personne ; il constitue pour ainsi dire une sorte d’identification, ou comme

le suggère P. Blondel, une sorte de « classification, une expression symbolique et iconique

donnée »47.

Dès lors, nous pouvons indiquer que, dans la tradition anthroponymique bantoue en général

et luba-kasaï en particulier, chaque individu est porteur d’un ou de plusieurs noms. Certains

47 P. Blondel, Étude juridique sur le nom patronymique, Paris, Payot, 1905, p.113-115. Thèse.

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de ces noms révèlent l’être du nommé et apparaissent comme une sorte de représentation

fidèle de la personne. D’autres sont métaphoriques exaltant la puissance de vie de l’ascendant

de qui on tient le nom. D’autres encore, évoquent un événement, une circonstance particulière

qui aurait marqué la vie de la communauté ou des parents, ou encore sont liés à la naissance

de l’enfant. D’autres enfin, indiquent la mémoire d’un ascendant de la famille, du clan ou de

la tribu. Toutes ces différentes catégories de noms coexistent dans la pratique et dans la vie

de tous les jours, et comme le dit Tieron, ils « traduisent un véritable langage des coutumes

et traditions africaines »48.

c) Les catégories de noms

En ordre utile, on peut classer les noms en quatre catégories essentielles. La première

catégorie est celle qu’on appelle généralement la conception patronymique. Il s’agit du nom

que le père attribue à ses enfants en référence à un ascendant de la famille : arrière-grand-

père, grand-mère, oncle paternel ou maternel, une tante paternelle ou maternelle défunte ou

encore vivant, un frère ou une sœur du clan. Autrement dit, ce sont des noms qui sont donnés

aux descendants pour marquer le lien de parenté unissant tous les membres de la communauté

clanique (Diku), et ce, en vue de perpétuer la lignée. Ces noms sont pour les Luba-Kasaï, les

vrais noms, les noms intérieurs, les noms de la vie et du bonheur partagé ; les noms d’être

qui identifient et authentifient l’individu en définissant son appartenance et son attachement

à une communauté de vie. Dans cette optique, chaque individu apparaît comme un véritable

chainon, comme un chainon des forces vitales, mais un chainon vivant, actif ou passif,

agissant et influençant, un chainon de vie entre l’ascendance et la descendance, chainon de

la lignée, y compris, évidemment, tous ceux qui en dépendent.

La lignée qui fonde cette relation, on s’en doute, n’est pas une allégeance juridique, encore

moins une simple parenté, mais plus fondamentalement une véritable communauté d’être et

de destin ; lieu d’épanouissement et de bonheur partagé. La communauté d’être, chez les

Luba-Kasaï, est moins une entité clanique ou un simple regroupement des individus, des

membres, elle est un ensemble d’individus bien spécifiques et identifiés. Elle est comme

une sorte de « nous profonds », ou encore mieux, de « nous internes » toujours déjà

48 A. Tieron, Le nom africain ou langage des traditions, Paris, Maisonneuve et Larose, 1977, p. 79-102.

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commencée par les ancêtres qui l’ont léguée à leurs descendants, et qui en sont dans le cas

d’espèce les fondateurs, mais aussi un lieu d’éclatement du véritable bonheur partagé.

En tout état de cause, on peut dire que, dans l’univers luba-kasaï, chaque individu qui naît

porte toujours le nom qui est tiré de la série des noms des ancêtres, des fondateurs des clans,

des pères ou des parents morts « Batatu Bafua », ou comme le dit Mpunga, « Des

individualisations qui forment ensemble un clan (Diku) »49. Porter un pareil nom est non

seulement un signe de reconnaissance aux ancêtres et aux fondateurs des clans, mais

également une sorte de manifestation du plein bonheur partagé.

La deuxième catégorie est constituée des noms qui sont en rapport avec les circonstances qui

entourent la naissance d’un enfant. Cela revient à dire que, dans la tradition luba-kasaï, en

venant au monde chaque individu reçoit un ou plusieurs noms en rapport avec sa propre

personne et les circonstances qui entourent sa naissance. Le nom qui est attribué à un individu

a la fonction de décrire l’être du nommé ainsi que la nature des rapports qui existent entre le

nommé, le monde, la communauté et le genre du bonheur. C’est la conception dite

circonstancielle du nom. Par exemple le nom de « Ntumba wa Kulu », un enfant venu du haut

du ciel. Ce nom explique qu’à la conception, la maman voyait encore ses périodes, et qu’elle

ne s’était pas rendu compte qu’elle avait déjà conçu. La joie des parents et de la communauté

qui entoure cet enfant présage à coup sûr le bonheur de l’enfant. Un chant dédié à cet

évènement accompagne cet enfant à la naissance pour marquer cette circonstance et entrevoir

son bonheur une fois atteint l’âge adulte :

Ntumba Kabeya, Ntumba wani, Ntumba biyamba yamba, wakalua munda mua

butuku, tshiakamania diakalua Yee.

Ce qui signifie : Ntumba mon enfant est venu en pleine nuit, je ne savais même pas à quel

moment.

49 J.B. Mpunga, « La valeur culturelle du nom de famille dans la conception bantoue luba », Dialogue et Culture

2/4(1973), p.8-19 ; Ngandu Mwamba Nzambi, « La philosophie du nom chez les Baluba », Afrique et

Philosophie 3(1979), p. 97-108 ; Tempels, Placide, La philosophie bantoue, p. 82.

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Il y a également bien d’autres noms qui traduisent différentes circonstances ou évènements

qui ont marqué les parents ou la communauté :

Tshiela Makasa : un enfant qui à la naissance est sorti avec les pieds au lieu de

sortir avec la tête comme les autres enfants.

Ngalamulume ou Ngalamukaji : un enfant (garçon ou fille), qui vient juste après

les naissances consécutives de trois filles ou de trois garçons.

Mbuyi ou Kanku, les jumeaux (garçon ou fille) : ces derniers sont souvent

accompagnés à leur naissance de grandes cérémonies de fête et de joie, parce que

ce sont des enfants dits souvent « Spéciaux », et qui bénéficient d’une attention

particulière aussi bien de la part des parents que de la communauté. La

manifestation de la joie présage bien le bonheur de ces enfants spéciaux.

D’autres noms expliquent les événements douloureux ou heureux qui ont marqué les

parents dans leur vie :

Buloko, la prison. Explique que les parents, ou mieux l’un des parents peut avoir

été en prison, et pendant ce temps d’épreuve un enfant est né. On lui donne ce

nom.

Makenga, les souffrances ou le malheur traduit des temps de douleurs pendant

lesquels ils ont eu un enfant.

Lufuluabo, la mort. La mort peut avoir frappé une famille emportant un être cher,

ou encore qui avait détruit le clan (Diku).

Lupetu, les avoirs ou les richesses.

Bana tshini, quand il s’agit des naissances consécutives des filles : quels enfants

ou Bakaji bantu biabo, les femmes sont aussi des humains. Au sujet de ces

derniers noms donnés aux filles, on peut souligner qu’il s’agit des familles qui

n’ont eu que des filles et qui sont souvent prises en mal. C’est ainsi que les parents

en souffrance peuvent éterniser cette souffrance en donnant à leurs enfants ces

différents noms.

Il s’ensuit que, dans la philosophie luba du nom, les noms donnés aux enfants reflètent

deux idées. D’un côté, les noms qui évoquent la joie et les noms qui font référence aux

richesses, aux avoirs et au pouvoir. Ces noms font allusion au bonheur que les individus

ont eu à un moment précis de leur histoire ou de leur vie. De l’autre, les noms qui font

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référence aux souffrances, aux malheurs, à la prison ou aux mépris par exemple la naissance

des filles. Ces noms ne présagent pas un avenir de joie et de bonheur partagé pour les

enfants. En général, on peut dire que malgré certaines circonstances de douleur ou de

souffrances qui marquent la naissance d’un enfant, le nom apparaît dans cette culture non

seulement comme le lieu du dévoilement de la personne, mais aussi comme une expression

de l’idée du bonheur partagé des parents et de l’idée du futur plus heureux de l’enfant qui

le porte.

La troisième catégorie comporte des noms dits métaphoriques, qui traduisent les transferts

de sens en exprimant la force vitale d’un personnage, son identification à un élément de la

nature. Il s’agit des noms qui par substitution évoquent un objet matériel, une idée ou un

personnage qui a marqué l’histoire d’une famille ou d’une communauté clanique bien

connue. Ces noms sont souvent scandés par les parents à diverses occasions exprimant une

joie, une réussite, un bonheur partagé, un événement particulièrement marquant. Dans

d’autres cas, ces noms traduisent la relation d’appartenance de l’individu à une

communauté de vie. Ces noms sont souvent appelés chez les Luba du Kasaï « Mena a

Bukole » ou « Mena a nsobo », les noms de puissance ou de force, noms qui expriment une

force vitale ou encore qui renforcent la puissance vitale de l’individu. Par exemple :

Kapongo ka bitala ; Ngumbu wa ludia nsengu ; Kangenene kendenda baladi

balala. Ce qui se traduit littéralement : Kapongo, un ancêtre qui se promène tard

dans la nuit ou qui rentre chez lui au premier chant des coqs (bitala) ; Ngumbu

wa ludia nsengu, trou ou un fossé qui mange des cornes des animaux.

Ce qui revient à dire que, probablement cet ancêtre était un assassin qui tuait tous ceux

qu’il rencontrait sur son chemin et qui n’appartenaient pas à son clan, et dont il coupait la

main droite ; « Kangenene kendenda baladi balala », un insecte qui était actif, toujours

éveillé et qui se promenait en pleine nuit pendant que tout le village ou le clan dormait

encore. Bref, ces expressions attribuées à l’individu expriment la bravoure ou la férocité et

orientent le comportement de l’enfant, mais n’envisage pas nécessairement son bonheur

partagé.

En fait, les noms métaphoriques, chez les Luba, traduisent tantôt une idée abstraite du

bonheur tantôt le bonheur comme une réalité vivante et désirée. Les deux donnent sens à

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l’existence chez les Luba, à savoir le réel vécu. Selon eux donc, les noms expriment un fait,

présentent un personnage bien connu, qui a réellement vécu parmi les hommes et dans la

communauté et, dont les souvenirs et les exploits restent encore vifs parce que connus et admirés

par tous les membres dans cette communauté clanique, mais aussi ils expriment une idée du

bonheur. En donnant un tel nom à l’enfant, on présage son bonheur, on oriente sa vie et son

comportement. Mais si ce nom est lié à la nature ou encore mieux évoque la nature, il renforce la

force vitale de l’enfant. Ainsi que l’affirme Alexandre Mbandi : « Les noms métaphoriques

évoquent bien également un élément de la nature. Et de ce fait, ils sont susceptibles de renforcer

la vie de par leur puissance »50. En témoignent ces différents noms donnés aux individus :

Nkashama, le Léopard, évoque la férocité de l’animal.

Ntambue, le Lion, exprime la fougue et la férocité.

Ngandu, le Crocodile, exprime la férocité.

Lombe, le Pangolin exprime la manière dont l’animal détruit par la jalousie.

Kapumbu, l’Éléphant, évoquant la masse ou la grandeur, mais surtout le désordre

et la destruction.

Des petits animaux expriment tous ensemble le triomphe de l’intelligence et du bon sens à l’instar

de :

Kabundi, le renard.

Kabuluku, la gazelle.

Katende, l’hirondelle, un petit oiseau.

Nyoka, le serpent.

50 A. Mbandi Esongi, La dialectique de la dénotation et de la connotation dans la nomination. Éléments pour

une sémiologie structurelle et pragmatique des anthroponymes bantu Ngombe-genza, Kinshasa, Facultés

Catholiques de Kinshasa, 1992, p. 65-66. Thèse. Voir aussi : Karima, L., « Hydronymes kanyok », les Annales

Equatoria 5 (1984), p.152.

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En outre les autres animaux comme :

Munkanku, un grand oiseau exprimant la force ou la puissance du bec.

Dikangala wa Makalu, un oiseau multi couleurs c’est-à-dire un être changeant.

Kaniuniu mpuku, la chauve-souris, traduisant une sorte d’ambiguïté,

d’inconstance d’opinion, de comportement, ou mieux encore d’identité. De fait,

pour cette dernière catégorie de noms, on peut émettre un doute sur leur identité,

leur appartenance à la communauté clanique51.

Cette série des noms métaphoriques n’exprime pas directement le bonheur de l’individu, mais

bien la puissance qui se traduit par la force physique et la capacité d’influencer la vie, ou

encore par la dissimulation de son identité. Or, dans le contexte luba-kasaï, la puissance ou

l’intelligence d’agir tout en se cachant semble se lier à l’aspiration au bonheur partagé.

Un individu puissant est celui qui est capable de s’adapter dans les situations difficiles, mais qui

malgré toutes ces circonstances, trouve tout de même son bonheur ; un individu intelligent et

malin est celui qui sait chercher dans des situations des plus compliquées de la vie le chemin du

progrès, et donc du bonheur.

Par ailleurs, tout en faisant également allusion aux éléments de la nature, la quatrième catégorie

comprend les noms dits attributifs exprimant généralement un attribut, une qualité ou un défaut.

En témoignent les noms comme :

Ngondo, la lune.

Kalengela, Kalenga ou Tshitelu signifiant la beauté ou l’élégance.

Dibondo, palmier à vin, qui peut signifier celui qui reçoit avec joie ou encore un

enfant né ou ramassé dans les palmiers.

Luendu, la personne qui se promène tant, qui ne reste pas sur place.

51 Ngandu Mwamba Nzambi, « La philosophie du nom chez les Baluba », p.96-108 ; R. Ceyssens, Les

Lubaphones nomment les oiseaux. Essai de nomenclature de la faune ornithologique du Kasaï Occidental

(Tshiluba, français, anglais, latin), Kananga, Université Nationale du Zaïre-Institut Supérieur Pédagogique,

1972, p. 37-41.

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Lungenyi ou Meji, qui désignent l’intelligence ou la sagesse.

Mulunda, qui exprime l’amitié que le parent avait eue avec tel ou tel personne.

Tshidima, qui fait les travaux de champ.

Bupela, la pauvreté, la précarité, la misère, etc.

Or, la sagesse, l’intelligence, la beauté, l’élégance, l’abondance, le travail, le champ, le loisir ou

encore l’amitié semblent constituer, chez les Luba-Kasaï, des éléments essentiels du bonheur

partagé. Les individus qui portent ces noms sont déjà rassurés d’un avenir plein de puissance,

d’intelligence et de bonheur partagé.

En définitive, on peut déduire que le nom dans la philosophie luba-kasaï réfère à l’ascendant, à une

métaphore, à un attribut ou à un élément de la nature. Ils jouent un rôle important dans

l’identification de l’individu et la détermination de son bonheur. C’est par le nom que l’individu se

dévoile, se laisse saisir. Il fait survivre aussi bien les Bankambua (les ancêtres), les Bakulu (les

ainés), que les « Ba Tatu Bafua » (les Pères morts), mais aussi constitue un véritable langage

symbolique de la tradition et de la culture. À ce niveau, on est loin de l’idée de l’être-là de

Heidegger qui exprime une location, mais bien de la personne concrète vivant-avec. Ce qui signifie

que, par le nom, l’individu s’insère et s’intègre dans un réseau de relation et d’harmonie aussi bien

avec ses ancêtres, sa communauté qu’avec la nature. C’est dans le cadre relationnel que l’individu

trouve son épanouissement et son bonheur. Mais de tous les noms attribués à l’individu, seul le

nom patronymique tiré de la série des noms des ancêtres identifie le mieux l’individu, fait connaître

l’homme intérieur et présage même son véritable bonheur et explique le lien d’appartenance à la

communauté d’être. Comme nous l’avons montré, chez le peuple Luba-Kasaï, l’individu ne peut

pas vivre en dehors de ce cadre relationnel et communautaire. C’est donc ce cadre qui donne sens

à sa vie ; il est un lieu ontologique d’expression de l’être, d’intégration, d’épanouissement et de

communion avec les forces de la nature et du véritable bonheur partagé.

3. La membralité et sa symbolique

En conjuguant la vie et le bonheur partagé au mode relationnel et communautaire, les Luba-Kasaï

attestent que, de fait et de droit, l’individu qui naît dans cette communauté est déjà un membre. Sa

« membralité » est ainsi ontologique dans la mesure où elle le lie à sa descendance et l’introduit

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dans une spirale de relations éternelles. Les membres qui l’y ont précédé l’accueillent dans la joie

et le portent comme l’un d’eux. Ensemble, ils forment cette membralité qui n’apparaît que comme

une sorte de toile d’araignée qui vibre quand on touche à un fil. Dans tous les cas de figure, ce que

semble traduire la symbolique luba-kasaï de la membralité est, comme le dit Faîk Nzuji, un

ensemble de « vertus de la solidarité, de l’unité des hommes, de l’union entre les membres d’une

même communauté, de la chance qu’on se souhaite pour une meilleure vie et de rencontre des

humains, ayant la même origine, mais restant en même temps distincts, et de la communion

spirituelle aussi bien avec Dieu Maweja qu’avec les ancêtres »52.

a) La symbolique de l’univers

Selon les Luba-Kasaï, dans son évolution ininterrompue la part de l’origine première, le centre

indique que tout dans l’univers est relié, qu’aucune créature ne fonctionne de façon isolée. Il y a

dans l’univers une sorte de relation cosmique qui fait de chaque créature un élément participant de

plein droit à l’épanouissement de l’ensemble. Cet univers comprend bien les choses organiques,

les animaux ainsi que les humains. Dans cet imaginaire, les éléments constitutifs de l’univers sont

considérés comme des membres qui vivent dans une expérience unique de communion et

d’interdépendance. Cela revient à dire que dans ce contexte, les créatures ne peuvent être séparées

de la vie des humains, elles y jouent un rôle prépondérant pour le bonheur de l’homme. Cette

perception de l’origine du monde inspire aussi le respect qu’ont les Luba du Kasaï pour la nature.

Car la nature ne manque rien qui ne puisse nourrir le bien-vivre de l’humanité.

b) La symbolique de la toile d’araignée

En effet, les Luba représentent l’octogone de la toile d’araignée avec les quatre oreilles. Celles-

ci sont des oreilles attentives des ancêtres qui symbolisent leur disponibilité à rendre service, à

porter secours aux vivants et à partager le bonheur avec tous. Cet exemple des ancêtres doit

être non seulement suivi comme principe de vie, mais également vécu de manière à ce que

personne ne reste sans jouir de la présence des uns et des autres membres. On est donc lié

comme des fils qui vibrent ensemble quand l’un d’eux est en souffrance, quand l’un des

52 C.M. Faîk Nzuji, Le dit des signes, (Musée canadien des civilisations), Canada, Hull (Québec), 1966, p.211.

Il rend hommage à tous ceux qui ont élaboré ces signes et qui s’en servent. Ces signes, selon lui, sont un don

reçu de Dieu Maweja comme outil pour lire d’une autre manière des vérités cachées. Nous nous inspirons

largement de cette symbolique présentée par l’auteur, en présentant ses éléments essentiels.

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membres est en perdition ou quand l’un d’eux est attaqué. La membralité se traduit ici comme

une sorte de solidarité, d’unité et d’union de cœur et de force. Puisque tous les membres

viennent d’un même et seul ancêtre, ils sont tous tenus de rester ensemble, quelles que soient

les difficultés de la vie courante.

c) La symbolique du cercle avec des anneaux

Le cercle est un ensemble qui réunit les différents membres de la famille, du clan ou encore de

la grande communauté. Les anneaux invitent les membres au vivre-ensemble, sans se heurter,

sans se mordre les uns les autres, sans s’attaquer et sans se dresser les uns contre les autres. De

cette manière, vécue intensément dans la communion, la membralité concourt au renforcement

du bonheur individuel et collectif, au vivre-ensemble et au savoir-être. Elle implique tous les

membres à une meilleure prise de la responsabilité partagée, à la prise en charge du destin commun.

Bref, être membre, c’est donc se sentir comme un coresponsable de la vie, c’est assumer sa part de

responsabilité historique dans la rechercher du bonheur et de la joie de vivre pour tout un chacun,

c’est prendre un engagement pour favoriser la participation de tout un chacun à l’assomption et au

rayonnement de la communauté ou de la famille clanique et pour donner un sens à la vie. Cette

symbolique explique aussi le sens de l’union et de la solidarité des membres de la même

communauté ou de la même famille clanique (Diku). Elle invite à se serrer les coudes et à se

soutenir devant les pires situations de la vie, mais surtout à se porter secoure devant un ennemi

commun. Il faut éviter de se trahir et de dire des mensonges ou des propos diffamatoires des uns

contre les autres membres de la famille.

d) La symbolique de la chance

Cette symbolique se présente chez les Luba comme un carrefour de la chance qu’on se

souhaite. Pour bénir leurs enfants et leur souhaiter un bon départ dans la vie, les parents

marquent du signe du carrefour (la croix) leur fontanelle en prononçant les paroles de

bénédiction. Ce point du corps est souvent considéré comme le siège même du discernement

des choses et événements à venir. Les membres de la même famille sont tous invités à se

souhaiter la chance dans les différentes entreprises. La chance et les bénédictions expliquent

aussi le lien de fraternité, d’amitié et même le sentiment d’appartenir une même lignée de

chance et de vie. En leur qualité de membres de droits, les ancêtres sont censés y jouer un

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rôle important. Ils posent leur regard et accompagnent l’individu qui reçoit de ses parents

pareil signe, car ils s’y reconnaissent.

e) Le carrefour de purification

Cette symbolique prend tout son sens à l’occasion de l’initiation. En effet, au terme de

l’initiation le Maître initiateur trace au kaolin le signe du carrefour sur le front de chaque

initié en prononçant une parole forte de bénédiction et de purification : « le carrefour est à la

fois le tambour de l’au-delà et le pas de la danse du monde ». Le jeune homme ainsi identifié

devient semblable au carrefour, lieu par excellence de rencontre entre les vivants membres

de la même famille ou du même clan et les esprits. À ce titre, il est investi du pouvoir d’éviter

le mal, de conjurer la mort et de favoriser le bien et le vivre-ensemble. De même, il laisse

tomber son passer pour naître de nouveau comme membre dans une communauté de vie dans

laquelle et pour laquelle il cherchera la promotion du bonheur partagé.

f) La symbolique du nombril noué

Cette symbolique donne trois explications. D’abord, elle signifie le germe de la vie, sa fécondité et

sa promotion. Comme nous l’avons montré, la vie est l’élément fondateur de tout bonheur, c’est

même le bonheur. Cette vie nous a été donnée gratuitement par Dieu et les ancêtres. Pour cela, les

hommes sont tenus à la protéger et à la promouvoir. Ensuite, la symbolique dit aussi l’ouverture

des hommes entre eux et l’ouverture à l’obéissance. Car selon eux, rien ne reste caché sous le soleil

et que pour mieux commander les autres dans la vie, il faut accepter de se soumettre et d’obéir. Il

est bon de s’ouvrir pour obtenir un soutien moral, spirituel ou matériel. Elle invite les hommes à

dire ce qui les pousse au mal de telle sorte que le remède leur soit apporté, c’est-à-dire les conseils.

Enfin, ce signe symbolise l’idée de l’attachement des humains à l’origine, à la source première,

Dieu Maweja et aux ancêtres. Les hommes sont ainsi invités à rester attacher les uns aux autres et

à se reconnaître comme venant d’une même origine.

Au demeurant, la membralité définit la personne comme faisant partie d’une communauté de

destin. À sa naissance, la personne se trouve accueillie par les autres membres qui l’y ont précédé.

Ceux-ci l’initient aux valeurs de la solidarité, de l’attachement et de l’unité aussi bien avec Dieu

qu’avec le cosmos, les esprits et les ancêtres qui protègent la communauté et tous ses membres.

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Désormais, c’est dans sa communauté de vie qu’il acquiert tous les biens pour son épanouissement

et son bonheur.

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Conclusion

Cette première partie cherchait à définir la position de la personne par rapport à l’idée qu’elle

se fait de la vie et du bonheur. Ainsi, en descendant dans les profondeurs de la culture luba-

kasaï, nous nous sommes rendus à l’évidence que la personne se décline comme un vœu

infatigable de la surabondance de la vie et du bien-vivre. Toute son existence est une lutte

entre la vie et la mort. Être présent ici-bas, c’est vivre et vivre pleinement et abondamment.

Dès lors, la vie apparaît aux yeux de ce peuple comme un bien suprême, un don précieux de

Dieu fait aux hommes et un bien toujours désirable par les humains. Mais cette vie et ce

bonheur ne s’acquièrent pas par une pure contemplation des réalités mystiques, mais par une

vie de travail et de recherche du bien-vivre basé sur les choses réelles qui sont autour de soi,

qui sont au-dessus et en dessous de soi. Ces choses sont en fait, les femmes, les enfants, les

richesses abondantes, les honneurs et les pouvoirs, les arbres de la forêt, les rivières, les

champs, les terres et les troupeaux des bêtes. La personne, dans ce contexte, en tant qu’être

de besoins se doit de s’aviser que le bonheur ne saurait être possible sans intégrer cette

dimension matérielle. La personne n’est pas que l’esprit, mais aussi l’ensemble des besoins

qui la rendent plus épanouie et plus heureuse. Dans cette perspective, elle est tenue de

posséder des biens matériels comme éléments constitutifs de la vie. Tout en maintenant ces

signes réels du bonheur, la personne est en même temps tenue de vivre une vie juste comme

garantie nécessaire du bonheur perpétuel. Vivre une vie juste, c’est suivre les principes

généraux de la sagesse de la vie pratique léguée aux générations par les ancêtres. En parlant

des principes généraux, on veut montrer qu’ils concernent tous les membres de la

communauté, et qu’ils ne laissent aucune question sans réponse : ils disent les relations et les

influences vitales entre les êtres et entre eux avec Dieu ; ils participent à l’équilibre de la vie

sociale en formulant des prohibitions et interdits comme des principes régulateurs de la vie

dans la communauté d’être. Mais sur cette terre des hommes, la personne fait une expérience

douloureuse en constatant que sa vie est éphémère, fragile et précaire. Cette situation

inconfortable de la vie terrestre suscite la conscience que nous sommes toujours déjà des

voyageurs ; que notre vraie demeure est auprès de Dieu Maweja a Nangila, le Dieu de toute

bonté ou le Dieu aimant. La mort qui s’interpose, qui est imprévisible et qui concerne tous

les humains, marque une fin qui ouvre la voie à une autre fin, à savoir la vie qui dure et qui

ne peut pas mourir. En ceci, le mortel apparaît comme un être de désir, mais un désir

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permanant de vivre pleinement, sans jamais cesser de connaître le bonheur. En se mettant sur

cette difficile route pour la quête de la vie et du bonheur sans fin, le mortel chemine envers

celui qui seul peut exaucer ce vœu. Il recherche ainsi une présence de plénitude de celui qui

s’est toujours révélé à ses ancêtres et qui se révèle à lui à travers de cette expérience de la fin

provisoire. Ce Dieu qui s’est révélé et qui se révèle en ce moment du dernier voyage est celui

qui s’est créé lui-même et qui a tout crée pour le bonheur de l’homme. La bonté de ce Dieu

créateur dépasse nos mesures, car il est le mat qui donne abondamment à tous, à qui il veut

et chacun à son tour et même aux arbres de la forêt. Il ne reste plus qu’à l’homme à magnifier

cette bonté infinie de Dieu, cette gratuité dans l’intensité de son dynamisme relationnel en

tant que personne liée à une communauté de vie, à une famille, à un clan et à une ascendance.

Mais cette personne reste toujours aussi un mystère inépuisable, une grande inconnue. La

voie par laquelle elle se dévoile est le nom qui fait d’elle un individu vivant dans une véritable

relation avec ses ancêtres, ceux qui ont fondé sa lignée et son clan, à qui il est tenu de rendre

hommage par une progéniture plus abondante et plus forte. Car c’est par cette progéniture

abondante que le nom fait survivre la lignée des Bankambua (les ancêtres). Posséder le nom

tiré de la série des noms des ancêtres est un bonheur sans pareil.

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DEUXIÈME PARTIE

LA COMMUNAUTÉ DE DESTIN ET LA VISÉE DU BIEN-

VIVRE

Introduction

Cette deuxième partie cherche à montrer que, dans la culture luba-kasaï, le destin de

l’individu est toujours déjà lié à celui de sa communauté. Vivre c’est promouvoir sa vie et

celle de la communauté, c’est être coresponsable du destin commun et du bonheur de tous.

Cette philosophie conduit l’individu à s’identifier au groupe, à cultiver un sentiment

d’appartenance à la communauté et d’attachement aux autres membres. En découlent ainsi

les manifestations de la sollicitude : la solidarité, la générosité, l’hospitalité. Toutes ces

pratiques exigent le bon usage de la parole, ferment qui rend effective la vie commune et

moyen pragmatique de la rendre bonne et juste, de l’amener à son plein épanouissement. En

effet, dans la culture luba-kasaï, adresser une bonne parole à l’autre, rester fidèle à sa parole

ou dire la vérité à quelqu’un reviennent à lui offrir les possibilités d’être lui-même et de se

sentir intégrer dans la communauté de destin. En ce sens, la parole de la bienveillance et celle

de la vérité révèlent la véritable dimension d’être coexistant et d’être copartageant d’un

bonheur dans une relation qui ne finit pas de dévoiler les manières d’être et de vivre. C’est

également faire de la parole elle-même un véritable instrument d’expression de liberté,

d’autonomie, mais surtout de communication et de communion. En plus de la parole, et

participant d’elle, l’institution du mariage et de la vie conjugale constitue un espace de

communication et de communion où s’épanouissent la vie en commun, les relations

interpersonnelles, l’éthique de la responsabilité et de la reconnaissance mutuelle de la dignité.

C’est aussi le cadre où les humains acquièrent la maturité sexuelle dans une reconnaissance

réciproque d’humanité. Pour que cette pragmatique du bonheur dans la vie commune soit

complète, nous en présenterons aussi un autre pilier, à savoir, le travail. En effet, chez les

Luba-Kasaï, le bien-vivre ne s’acquiert que par l’effort d’un travail persévérant et assidu, car

le véritable bonheur est toujours parsemé d’embuches, d’épines et de ronces. Enfin, nous

relierons à cette notion du travail les vertus de la prudence et de la patience, du triomphe du

bon sens et de l’usage de l’intelligence dans les choix à faire et dans les prises de décisions

ou de responsabilité à assumer dans la communauté de destin. Tous ces moyens contribuent

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à l’épanouissement de chacun des membres et au savoir-être, au vivre-ensemble, bref à

l’édification des structures sociopolitiques et socioéconomiques justes et meilleures.

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CHAPITRE PREMIER

LES EXIGENCES ÉTHIQUES DE LA VIE BONNE

1. Le sentiment d’appartenance et d’attachement

a) L’attachement fusionnel

Dans l’univers luba-kasaï, la relation de parenté reste sacrée. L’individu ne peut vivre dans

l’isolement ; il n’est pas une personne indépendante vivant dans un vase clos sans

communication avec son entourage. Dès lors, on peut comprendre que la vie de l’individu ne

peut qu’être rattachée dans la communauté. Car en vivant dans une relation ontologique,

profonde et éternelle avec les membres de sa famille, de son clan ou de sa tribu, il se réalise

pleinement et jouit d’un véritable bonheur. Par communauté de vie, on peut entendre un

ensemble d’individus identifiés parmi lesquels on trouve les ancêtres d’abord, les fondateurs,

les ascendants, les terres et tout ce qui y vit et respire. Dans un tel contexte, l’individu exprime

une sorte d’attachement fusionnel envers sa communauté et envers tous ses membres. Ainsi,

comme le dit aussi Mutombo Huta, « La communauté devient le lieu de sens et des

significations de la vie et de tout bonheur »53. Cet attachement fusionnel éternel de l’individu

à sa communauté est codifié à travers les chants, les proverbes, les dictons et les récits de

l’histoire millénaire luba. En témoignent des proverbes tels que :

Nshindi wa pa monji Muntu wendenda amu pa wabo : De même que l’écureuil

ne peut se déplacer que sur une liane, l’homme ne peut relâcher qu’en famille.

Ngulungu biwenda mumpata muenu mmuitu : Antilope, même si tu passes des

années dans la savane, chez toi c’est dans la forêt.

Ngulungu, biwaja waja, watangila kuenu : Antilope, que tu danses bien et que tu

sois admirée n’oublie pas de tourner le regard vers chez toi d’où tu viens.

53 M. Mutombo Huta, Approches dialectologiques des textes luba-kasaï, Lubumbashi, Centre de linguistique

théorique et appliquée, (CELTA), 1975, p.26-27. Les chants, les proverbes ou encore les mythes constituent un

véritable texte à partir duquel on peut saisir l’idée luba-kasaï de l’attachement et d’appartenance à son clan, à

sa famille et à sa communauté de destin.

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Batu wadia watangila kuenu : Tout en mangeant, il est bon que tu regardes chez

toi ou encore tout en mangeant n’oublie pas que tu as des gens derrière toi qui

comptent sur toi.

Mbuyi utu wafua kua ba Mbuyi katu wafua kua ba bende : Mbuyi ne meurt que

chez les autres Mbuyi, dans sa communauté et non ailleurs.

Kebe nkakulu : Seul le tien peut te rendre bienheureux, ou encore tu ne peux

t’appuyer que sur les tiens. Maximes de la sagesse populaire qui rappelle aux

individus chaque fois qu’ils sont dans le besoin.

Ces proverbes expriment donc le sentiment d’attachement et de destin commun qui anime

tout temps et partout les Luba-Kasaï. Ceux-ci nourrissent un amour et une affection

inconditionnels envers les frères et les sœurs, les oncles et les tentes, les pères et les mères et

tous les autres membres du clan, qui cultivent eux aussi le même sentiment et s’engagent

résolument à préserver l’identité culturelle et l’héritage traditionnel de la communauté de vie.

b) L’identité narrative

À l’instar de ces proverbes, les récits millénaires racontés de génération en génération

permettent d’inscrire l’identité collective de manière indélébile dans le temps. On dirait que

cette identité narrative luba-kasaï construit et se perpètre comme celle, biblique, du peuple

d’Israël qui, au fil des temps et à travers les générations, a toujours cultivé cette appartenance

à sa terre et à ses traditions. Ainsi, est-il écrit dans les Psaumes : « Mais on peut dire de Sion :

en elle, tout homme est né, et c’est le Très-Haut qui la consolide. Le Seigneur inscrit dans le

livre des peuples : à cet endroit est né tel homme, mais ils dansent et ils chantent : toutes mes

sources sont en toi » (Ps.86, 57) ou encore : « Comment chanter un chant du Seigneur en terre

étrangère ? Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite sèche, que ma langue colle à mon palais,

si je ne pense plus à toi, si je ne fais passer Jérusalem avant autre joie » (Ps. 137, 4-6). Il

s’agit pour ce peuple de préserver son identité culturelle.

Dans « Temps et récit », Paul Ricœur illustre cette identité narrative en évoquant, justement,

le cas de l’identité du peuple d’Israël, de son appartenance et de son attachement à sa terre et

à son histoire telle qu’elle apparaît dans la Bible. Selon lui, c’est en racontant des récits tenus

pour le témoignage des événements fondateurs de sa propre histoire que l’Israël biblique est

devenu la communauté historique et éthique qui porte ce nom. Ainsi, souligne-t-il :

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Les événements historiques tirent leur signification spécifique de leur pouvoir de

fonder ou de renforcer la conscience d’identité de la communauté considérée, son

identité narrative, ainsi que celle de ses membres. Ces événements historiques

engendrent des sentiments d’une intensité éthique considérable, soit dans le

registre de la commémoration fervente, soit dans celui de l’exécration, de

l’indignation, de la déploration, de la compassion, voire de l’appel au pardon54.

L’attachement à sa communauté de destin et l’engagement à préserver l’identité culturelle

constituent pour les Luba-Kasaï, des vertus fondamentales de la vie. Aussi tout membre est-

il tenu de garder cette relation et ce lien qui rendent heureuse la vie. On est là dans une sorte

de mystique de la relation ontologique et éthique qui conditionne la vie et dicte les

comportements. C’est que la relation avec la communauté se réduit à l’attachement en tant

que « Muena » ou « Mukua », fils de, homme de telle ou telle famille, tel ou tel lignage. De

ce point de vue, la personne se saisit essentiellement comme membre à part entière. Lorsque

les Luba-Kasaï disent « Buena Muntu », la relation, ils veulent dire que cette relation ne peut

être de solidarité et de fraternité entre tous ceux qui se savent issus d’une même ascendance.

Cette solidarité et cette fraternité sont aussi cosmiques, car elles concernent également toutes

autres choses qui entourent les humains. On dirait même que les Luba-Kasaï ont la

conscience de vivre synchroniquement et diachroniquement cette relation fraternelle.

Synchroniquement, dans la mesure où la personne s’éprouve comme un membre

responsable sur qui les autres membres peuvent compter, et diachroniquement comme un

membre dont la mission primordiale est, d’une part de transmettre la vie reçue de Dieu à

travers les ancêtres, de raconter les récits constitutifs de l’histoire du peuple, et d’autre part,

de conserver, de promouvoir et de renforcer tous les liens. C’est dans l’exercice de cette forte

relation que la personne trouve son épanouissement autant que sa liberté qui est celle d’un

membre responsable et coresponsable d’une tâche commune, d’un destin commun à savoir :

faire aboutir ensemble la vie et le bonheur.

c) La fraternité humaine et l’amitié

Pour les Luba, la relation ne reste pas seulement au niveau de la famille clanique (Diku), ils

la vivent aussi au-delà, à travers une bonne parole adressée aux autres, et qui s’ouvre sur des

relations humaines où se tisse la grande étoffe de la fraternité humaine. Les Luba récusent

54 P. Ricœur, Temps et récit III. Le temps raconté, Paris, Seuil, 1985, p.352-359.

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toute vie solitaire et solipsiste. C’est que par le fait d’être membre, « Muena » ou encore

mieux « Mukua », « fils de… », la personne vit toujours déjà avec ; elle n’est pas un

« Tshienda nkaya », un promeneur solitaire, un sans liens ni un « Tshiasa nkaya », qui vit

seul, une sorte de misanthrope vivant en marge de la communauté de destin. Cela signifie

que l’individu Luba est naturellement inconcevable en dehors de son être-avec-la-vie qui le

relie à sa famille, à son clan, à ses ancêtres, à toute la communauté de destin, mais aussi aux

autres êtres et à Dieu-Maweja a Nangila (Dieu aimant ou Dieu de toute bonté) lui-même. De

la sorte, l’amitié avec les autres témoigne de son refus à vivre cloisonné, loin des autres. Le

Luba sait que l’amitié est un lieu d’éclatement et de rencontre avec les autres ; il voit dans

cette relation la présence de ses ancêtres ou plutôt il est convaincu que, les hommes et les

femmes qui le fréquentent sont envoyés par ses ancêtres pour lui porter un meilleur message

de vie et de progrès. Dans la vie pratique, le Luba entretient ses relations amicales comme

une réalité liée complètement à sa vie ; il partage et soutient ceux qui sont souvent dans le

besoin, car il y va aussi de son bonheur.

Mais d’un regard critique, on peut dire que pareille attitude débouche souvent sur une sorte

de naïveté, car l’ami peut se donner à lui comme un ange de lumière, mais après un certain

nombre d’années il peut lui tourner aussi le dos en l’accusant de tous les maux. Les amitiés

qui durent longtemps ne sont pas toutes les meilleures, il y a eu d’autres qui frisent la trahison

et la désolation. L’histoire de l’ouverture à l’amitié est aussi une histoire de guerre et de

trahison. Il vaut bien user de la sagesse dans la relation amicale. Ce bémol ne détruit en rien

la moindre sympathie qu’affiche un Muluba à l’égard du sentiment solitaire et du repli sur

soi. La vie n’a de sens pour lui que dans la rencontre et la connaissance des autres humains.

d) L’harmonisation de la relation

Les Luba tiennent à la vie en communauté, mais surtout à exprimer en tout lieu leur sentiment

d’appartenance et d’être fils de tel ou tel ou fils de tel appartenant à telle famille, ce qu’ils

appellent Diku. Même quand quelqu’un décide de vivre ailleurs, l’harmonisation de la

relation et l’entente avec les membres de la famille clanique (Diku) ou avec les autres

membres de la grande communauté constituent une véritable garantie de la réussite de la vie.

Un comportement qui ne répondrait pas aux normes de respect et d’harmonisation de la

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relation provoque la désolation, entraîne l’échec et même amenuise drastiquement les

chances d’une vie bonne. À ce propos, les Luba-Kasaï renseignent :

Washiya panshi pimpe waya muitu wela monso : laisse l’entente, tu pourras aller

dans la forêt et y siffler, allusion faite à la joie de la réussite, et donc au bonheur.

Umuangala muangala kutudi njilu wadiakapingana muebe munkolo : Tu peux

bien déménager et aller loin, n’arrache pas ou jamais les souches d’aubergines,

car tu pourras un jour revenir.

Bulela kabuena kona nansha muditua ne Bulela mu Mayi, wabika ne Bulela

pabobo : la relation humaine n’est pas à gâcher, même si tu te trempe dans l’eau

avec la relation relève-toi avec elle.

Pour le même proverbe, les Luba-Kasaï modernes donnent la variante : Bulela

kabutu kona, nansha mufua muya nabo Kubajangi : la relation n’est pas à gâcher,

même si tu meurs gardes toujours la relation avec les autres vivants.

Mvula wa kaleja Kalume kuabo (Mvula ulejela Kalume kuabo) : la pluie a fini

par indiquer à l’individu la direction de chez lui. On peut aussi interpréter ce

dicton dans ce sens : la souffrance que l’individu endure loin de chez lui l’amène

à reconnaître la valeur des liens de relation avec sa communauté de destin.

e) L’attachement à l’espace mythique originel

Les luba tiennent à leur espace de vie, c’est-à-dire à leur terre d’origine. C’est ainsi qu’ils

pensent que vivre ailleurs n’est pas une réelle garantie du véritable bonheur. Par exemple, les

Luba-Kasaï qui ont décidé de vivre ailleurs maintiennent toujours ce lien vital avec leur

communauté de destin qui, pour eux, n’est à nulle autre comparable. À ce sujet ils disent :

Kua bende nkulu kua mutshi : vivre chez les autres, c’est comme être perché sur

un arbre, c’est-à-dire être dans une position inconfortable, avec l’obligation d’en

descendre pour retrouver sa bonne place dans sa communauté.

Kua bende Kakuena bu kuetu : chez les autres, ce n’est pas comme chez nous (la

différence sera toujours source de malaise, sinon de frustration).

En disant que chez les autres on reste étranger, ils expriment le sentiment d’être toujours prêt

à repartir, à prendre le chemin de leur communauté pour retrouver leurs descendants et la

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terre de leurs ancêtres, qu’ils ne sont pas prêts à oublier. D’où ce fameux refrain devenue leur

hymne :

Kamana kamana mémé nyaye. Kamana kamana mémé nyaye. Kamana kamana

mémé nyaye kuetu ! Ce qui signifie : quel que soit le temps que je peux prendre,

je finirai par retourner chez nous.

Ou encore l’expression tout aussi célèbre :

Kuetu Kundela nansha bakuamba nzala : c’est chez moi où je suis né même si on

y meurt de faim et de misères, j’y retournerai.

Cet attachement à leur terre et ce sentiment d’appartenance des Luba-Kasaï à leur

communauté de destin s’expriment aussi dans leur désir ardent de revenir et d’être enseveli

dans la terre de leurs ancêtres, dont ils gardent le souvenir le plus vivace, car ce lieu, cette

terre et cette communauté leur sont dus. Dans cette perspective, rien ne peut ébranler ce

profond sentiment identitaire et communautaire qui justifie le sens même du bonheur et la

détermination à se réaliser à la fois comme individu et comme communauté. Ce sentiment

identitaire a traversé le temps et les générations si bien que les Luba-Kasaï d’aujourd’hui y

font toujours référence comme pour s’affirmer comme communauté, et en tant que peuple,

ainsi que le soulignent les recherches actuelles sur cette communauté.

Mais on peut se demander si ce sentiment d’appartenance et d’attachement des Luba à leur

communauté et à leur terre ne frise-t-il pas le repli sur eux-mêmes et le rejet des autres

communautés ? Il n’y’a rien de tel pour autant que les Luba ont tissé des meilleures relations

avec les autres tributs et ethnies qui peuplent le grand Kasaï. Par exemple, beaucoup de

membres de la communauté luba se sont liés avec les autres communautés claniques du Kasaï

par les liens du mariage ou des alliances politiques. Ces liens ont toujours favorisé une

coexistence pacifique entre ces communautés. Ce qui laisse penser à l’ouverture de leur

culture et de leur communauté à d’autres. Ainsi que le confirme Kalulambi Mpongo : Pour

le Luba-Kasaï, « La signification de son identité exprime fondamentalement une culture et

une communauté (…), mais c’est sans pervertir nécessairement l’élan humain d’ouverture

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vers les autres cultures et les autres pensées »55. On peut dire qu’aujourd’hui la première

urgence pour chacun ou pour chaque homme est de se situer, de savoir où l’on peut se trouver

et où on peut le trouver. On peut même affirmer que dans les temps actuels, l’existence de

l’homme s’est transformée en machine à se cacher, à se dissimuler pour éviter qu’on soit

qualifié de tribalisme ou d’ethnicisme. Revenir à soi, à ses origines, nous semble-t-il, est

donc une authentique conversion vers l’autre et vers l’Autre. Car c’est en me différenciant

que je pourrais le mieux m’accorder à l’autre et même à me rendre plus proche de l’autre.

Pareille affirmation reste juste aussi pour les Luba-Kasaï, dont la vie est ouverture aux

cultures et traditions des autres peuples du Kasaï tels que : les Bindi, Kuba, Kanyoka, Kete,

Tetela, Songwe, Chokwe, Salanpasu, Bindji, Pende, etc. Bref, loin d’amener au repli

identitaire, la conscience historique des Luba d’être un « Muena », ou encore mieux un

« Mukua » ouvre à l’interdépendance et à la solidarité positive, à la relation humaine féconde,

à la sollicitude, à la reconnaissance de l’autre, et donc à la recherche commune du bonheur.

2. La réciprocité et la sollicitude

a) L’idée de la réciprocité et de la sollicitude

Le Grand Robert définit la réciprocité comme un sentiment qu’on peut mutualiser. Selon lui,

la réciproque est souvent vraie quand on aime et on attend de l’autre le même geste : « il aime

tout le monde, et il est aimé de tous »56. Quant à la sollicitude, le même dictionnaire la décrit

comme une attention, un intérêt affectueux porté à quelqu’un de plus cher. De la sorte, on

peut l’écouter avec sollicitude et tendresse, et même lui venir en aide en répondant à ses

besoins ou en évaluant pour lui-même sa situation de telle sorte qu’il y trouve la joie et le

bonheur. Ceci se fonde sur une sorte de relation entre les agents en présence qui se portent

mutuellement et réciproquement57.

55 M. Kalulambi Mpongo, Production et signification de l’identité kasaïenne au Zaïre : Revue Nkruse en tant

qu’instrument d’action et témoin 1890-1990, Québec, Université Laval, 1993, p. 67-69. Thèse. Dans Soi-même comme un autre, Ricœur répond à la question fondamentale de l’identité à soi comme un véritable chemin qui

conduit vers les autres. On retrouve la même idée chez M. Buber, Le chemin de l’homme, Paris, Éd. Du Rocher,

1977, p. 62-64. 56 J. Rey-Délove et A Rey, Le Grand Robert, Dictionnaire de la langue Française, Paris, Les dictionnaires Le

Robert, 2002, p. 1073 et p.1198. 57 Ibidem, p. 1099.

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Pour Aristote, la mutualité exige l’amitié et la bonté. D’un côté, l’amitié exige une dose de

réciprocité d’affection. De l’autre côté, l’amitié est médiatisée par la référence au « bon ».

Pour lui, les amis qui se souhaitent réciproquement ou pareillement du bien les uns aux autres

le font en tant qu’ils sont tous bons, et ils le sont par eux-mêmes. Car un homme bon en

devenant un ami, il ne peut souhaiter que ce qui est bien pour son ami. Mais Aristote s’avise

tout de même qu’on ne peut avoir un cœur ouvert à tous les amis de la même façon. C’est-à-

dire on ne peut avoir une multitude d’amitiés : la « Polyphilia ». Car « ceux qui ont beaucoup

d’amis et se lient intimement avec tout le monde passent pour n’être réellement amis de

personne »58. Il y a là une sorte d’inégalité qui s’installe, car il faut à un certain moment de

la vie faire un choix d’un vrai ami avec qui on peut partager réciproquement le bien, le

bonheur : « Nul ne peut avoir la force de se partager entre des amis en nombre illimité ni

entretenir une amitié solide avec beaucoup de gens »59. Bref, ici Aristote ne cède pas à

l’ambiguïté : « On ne peut pas avoir pour une multitude de gens cette sorte d’amitié basée

sur la vertu et sur la considération de la personne elle-même »60.

Allant dans la perspective d’Aristote, J.C. Fraisse soutient l’idée d’une intimité nécessaire à

la philia, qui fait de cette dernière un bien privilégié, et que l’on ne saurait étendre

indéfiniment sans le dénaturer61. De son point de vue, justement, la véritable marque d’amitié

et de bonté ne s’exprime et se vit qu’entre deux personnes qui s’aiment réellement et

s’associent. Pareille amitié permet, sans aucun doute, une vraie sollicitude et une meilleure

réciprocité envers la personne qu’on aime réellement et qu’on apprécie à sa juste valeur.

Pour Ricœur, l’amitié aristotélicienne liée à la mutualité semble ne constituer « qu’un point

d’équilibre fragile » entre un donner et un recevoir : « Il y aura deux types de disparités

inverses entre le donner et le recevoir »62. Mais pour ne pas tomber dans l’un ou l’autre

extrême, Ricœur élabore un concept beaucoup plus englobant, à savoir la Sollicitude. Ainsi,

58 Nico VIII, 4, 1156 b 8-9. 59 Nico IX, 10, 1171 a 15. 60 Nico IX, 10, 1171 a 18-19 61 J.C. Fraisse, Philia. La notion d’amitié dans la philosophie antique. Essai sur le problème perdu et retrouvé,

Paris, Vrin, 1974, p. 195 et 200-201. La notion d’amitié dans le contexte luba revient au sens de la relation entre

les membres de la même famille ou de la communauté de destin. 62 P. Ricœur, P., Soi-même comme un autre, p. 220-226 ; IDEM, Lecture 1. Autour du politique, Paris, Seuil,

1991, p. 258 ; IDEM, « Approche de la personne », Esprit 3/4(1990), p. 115-130 ; E. Levinas, Totalité et infini.

Essai sur l’extériorité, La Haye, Martinas Neuhoff, 1971, p.172.

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en empruntant à Levinas « l’idée du visage », Ricœur évoque le cas de l’injonction et de la

sympathie. Selon lui, c’est autrui qui me sollicite et s’impose à moi. Autrui m’apparaît sous

la forme d’un visage, et ce visage se refuse à la possession. Le visage d’autrui échappe à ma

prise et offre une résistance absolue à une emprise. Le visage est l’expression de l’autre-

homme dans son « extrême précarité »63. Le visage d’autrui parle, s’exprime et par ce fait

même inspire la sympathie et le respect. C’est donc ce visage de l’autre-homme qui m’invite

à l’amitié, à la sollicitude réciproque, mais surtout à la reconnaissance de sa vie et au respect

de sa dignité et de ses droits. Que signifie cette sorte d’amitié et de réciprocité pour le Luba-

Kasaï ?

b) La réciprocité luba

Dans l’univers luba-kasaï, ce visage d’autrui peut être étendu aux autres membres et à la

communauté de destin tout entière dans la mesure où mon attachement et mon appartenance

à cette communauté de vie est une responsabilité, une coresponsabilité assumée, qui vise le

bonheur de tout un chacun. Nous sommes tous égaux dans cette expérience éprouvante de la

réciprocité généreuse et de la recherche du bonheur partagé. Dans ce contexte, la

« Polyphilia » est possible en tant que responsabilité et amour attachant envers ses parents,

ses frères, son clan (Diku) et sa communauté de destin. Dans la société luba-kasaï, la

réciprocité est une source de joie, d’équilibre et d’harmonie dans la relation au sein de la

communauté. Par le réseau de relation que créent la réciprocité et l’amitié, l’individu se

réalise lui-même comme un membre parmi les autres membres de la communauté. En

s’identifiant ainsi à la communauté et en appréciant le rôle et la place que tiennent aussi bien

les autres que soi-même, l’individu luba-kasaï veut participer avec les autres à la réalisation

du bonheur. À ce niveau, la sollicitude vient ajouter une valeur réelle dans cette relation

réciproque. L’apport de chacun devient ainsi indispensable à l’épanouissement et au bonheur

de tous. Les membres de la communauté sont là pour pourvoir, chacun à sa manière, à ce

qu’on est incapable de se procurer soi-même. La réalisation du bien passe par la générosité-

sollicitude ou l’altruisme de chacun. Dès lors, il apparaît inconcevable qu’un membre

63 P. Ricœur, « Sympathie et respect. Phénoménologie et éthique de la seconde personne », Revue de

Métaphysique et de morale 59(1954), p. 381-397. Voir aussi : Th. De Koninck, Dignité de la personne et

primauté du bien commun, p. 33-36.

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choisisse d’avoir ou de posséder pour lui-même les biens de ce monde pour en jouir tout seul.

C’est ainsi que les Luba-Kasaï disent :

Kua Mukulu kantu kua Muakuni kantu nanku bulanda buadisanga : il sied qu’il

y ait quelque chose chez l’ainé et quelque chose chez le puis-né, alors seulement

la rencontre ou la relation sera bien équilibrée et le bonheur sera partagé à tous.

La réciprocité consiste à vouloir du bien aux autres, une manière de traduire et d’exprimer

un sentiment profond d’attachement mutuel, de sincère bienveillance mutuelle et où chaque

membre souhaite le bien de l’autre. On peut préciser ici que dans la pratique, autant la

réciprocité et la sollicitude, chez les Luba-Kasaï, constituent une même chose et/ou une

même vertu, autant l’égalité et l’altruisme vont ensemble. Celui qui donne espère

réciproquement le même geste d’altruisme et de reconnaissance de l’égalité dans l’amitié.

C’est ainsi qu’ils disent :

Ku lualua mulambu kakuena nzala ani ? Celui qui offre ou donne n’a-t-il pas

faim lui aussi ?

On ne peut pas être éternellement receveur. Celui qui reçoit de quelqu’un doit donner aussi

aux autres d’une autre manière. On ne peut pas croire que celui qui donne n’a pas de besoin.

Quand on a la possibilité de lui offrir quelque chose, il ne faut surtout pas hésiter. Car, comme

le dit Caeneghem, pour les Baluba « Donner à autrui ou faire du bien à autrui est une autre

manière d’être heureux, ou pour le dire autrement une joie de vivre et de partager le

bonheur »64. Cette sorte de réciprocité et de sollicitude, les Luba-Kasaï l’expriment souvent

dans le langage ordinaire à travers les proverbes, les dictons, les fables et les chants. Pour

eux, c’est donc une manière de vivre et d’aimer ceux qui leur sont proches et qu’ils

apprécient.

Mais une pratique de la sollicitude et de la réciprocité qui ne s’exercerait que pour ceux qui

sont proches, qu’on aime et qu’on apprécie reste à nos yeux, limitée et même naïve. Elle

gagnerait si elle s’ouvrait aux tierces personnes qui ne sont pas nécessairement de sa famille,

64 R. Van Caeneghem, « Donner à autrui dans les proverbes Luba », Congo 18 (1937), p. 377-411. Selon lui,

les Luba-Kasaï expriment leur amitié, leur sollicitude et surtout le fait de donner à travers une multitude de

proverbes et dictons.

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de son clan ou de sa communauté de destin. À ce point, il y a lieu de dire que la pratique de

la réciprocité et de la sollicitude, chez les Luba-Kasaï, semble friser le repli sur leur

communauté de destin sans trop se soucier de sortir de leur carcan d’action et de recherche

du bonheur partagé. Mais en regardant les choses de plus près, on peut avoir l’impression

que la pratique de ses vertus va au-delà de leur communauté. Comme nous l’avons montré,

les Luba entretiennent des relations d’alliances et de convivialité avec les autres peuples de

la région. Si bien que le partage de la vie et du bonheur concerne aussi leurs alliés. La prise

de repas en plein air est une manière d’inviter à la table les autres passants. Ce fait culturel

montre l’esprit de sollicitude et de partage. La considération que l’autre humain possède les

mêmes droits et la même dignité témoigne de leur pratique de la vertu de réciprocité en tant

que recherche de l’égalité dans la distribution et le partage de joie et de bonheur. Car donner

à autrui, c’est un don et un geste d’hommage rendu à Dieu et aux ancêtres qui envoient ce

passant vers moi. En témoigne l’adage :

Tudila Mutapi wa ngaji, Muemi wa dipanda katumudila : on se soucie moins de

la mort du cueilleur de vin que du coupeur des noix de palme.

Le cueilleur de vin de palme représente l’individu soucieux de son bonheur propre et de ceux

qui lui sont proches, sa famille en l’occurrence. Le coupeur des noix, même sans le vouloir,

partage son bonheur avec les autres, aussi bien de sa famille que les inconnus. Son geste de

partage exprime un don reçu de Dieu. Il est donc bien clair que, d’un côté, on ne pense qu’à

soi et de l’autre on s’ouvre au passant qui peut, lui aussi, jouir de la bienveillance.

c) La reconnaissance du bienfait

La réciprocité va aussi ensemble avec l’attitude de reconnaissance du bienfait. Dans la société

luba-kasaï, tout geste de bonne volonté envers quelqu’un exige une manifestation de la

reconnaissance de la part du bénéficiaire. Tout manquement à cette règle est sévèrement

critiqué et même qualifié de mauvaise foi. En témoignent les proverbes et dictons tels que :

Wananga/Wanyisha didimba kupola kumanya buloba buakaluadi : tu aimes

didimba (fruit délicieux), mais tu ne reconnais pas la terre qui l’a produit. Ici on

reproche à celui qui aime le fruit sans se soucier de la terre sur laquelle a poussé

la plante productrice du fruit.

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Kudia Nsua kutombokela kamonya ne Ngondo : manger les fourmis, puis se

rebeller contre la résine et la lune. Il s’agit du manque de reconnaissance à celui

qui t’a rendu service ou qui t’a donné quelque chose de précieux. Sans la lune et

la résine, le mangeur de fourmis (Nsua) ne peut rien attraper.

On peut faire remarquer que ces maximes reprochent naturellement l’ingrat qui est souvent

content de jouir d’un bienfait, mais qui oublie — voire se moque de celui (ou de ceux) qui

l’a aidé à parvenir à cette jouissance, à ce bonheur :

Kapingu na kusonga, wangata tuisu watonona : la statuette ne peut s’insurger ou

se rebeller contre celui qui l’a sculpté. Ce qui traduit un manque de

reconnaissance et de gratitude de la part de celui ou de celle qui a reçu un bienfait

et tous les soins nécessaires lui apportés pour être aussi beau (belle) et aussi

rayonnant(e).

De toutes les façons, les luba tiennent à la reconnaissance du bienfait comme ils tiennent au

partage de joie et de bonheur. Certes, on ne peut pas faire du bien à quelqu’un sans espoir de

recevoir de lui une reconnaissance, mais la reconnaissance du bienfait n’est pas du tout un

vice. Par contre, elle renforce la relation et l’amitié et encourage les bonnes volontés. De

l’autre côté, il y a des gens qui agissent pour le bien, mais n’attendent rien du bénéficiaire.

Cette marque de générosité est la meilleure chose, mais elle est souvent critiquée comme une

sorte de naïveté dans cette culture. Ainsi, un homme ou une femme qui ne s’exerce pas à la

vertu de la gratitude et de la reconnaissance du bienfait est sévèrement critiqué(e) et même

placée parmi les personnes avares.

Forts d’une telle perception de la relation, les Luba-Kasaï récusent toute exploitation de

l’autre basée sur l’intérêt ou le plaisir. Car on ne peut pas souhaiter le bonheur de l’autre ou

de la communauté en raison de l’avantage attendu. Dès lors, que cet avantage disparaît, la

bienveillance peut, elle aussi, se disloquer. Ce genre d’attitude et de comportement peut

fragiliser cette quête du bonheur partagé entre les membres. Mais l’homme vertueux a lui

aussi besoin de cette relation harmonieuse avec les autres pour recevoir à son tour ces

marques de générosité et de réciprocité. Comme le dit encore Caeneghem, « L’avarice

constitue l’un des défauts récusés par la société luba-kasaï, une tare qui déséquilibre la

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communauté et éloigne le bonheur de tous »65. On dirait même qu’elle est une source de

querelles et de conflits, ou encore de mort violente parmi les membres de la communauté.

Les proverbes et dictons expriment cette récusation :

Kuimini mukupala tshianana busuma nebutungunuke : donne à celui qui est

radin, si non en lui refusant des choses, tu perpétues l’avarice.

Kuimini Mukute apo neudi ne tshienda munsapu : ne refuse pas des choses ou

des vivres à celui qui est déjà rassasié, peut-être il a plus que toi.

Kuimini Mukute ne kasuila kubidia : ne refuse pas à manger à celui qui est

rassasié. Il se peut qu’il n’accepte pas de manger. On encourage à inviter à sa

table toute personne que l’on reçoit au moment du repas. Certaines personnes

déclinent l’invitation même si elles ont faim. Mais si on ne les invite pas, on

risque d’être traité de Muena tshitu, c’est-à-dire un ignoble avare.

Mukupa ndibanza. Mukupala mmuanenu : celui qui te donne t’endette

nécessairement. Celui qui ne te donne pas, reste tout de même ton frère, ta sœur.

Dans l’ensemble, ces dictons visent à déconsidérer les avares et à les décourager. Au vrai,

quand quelqu’un te donne ou te rend un service, tu te sens dans l’obligation de lui rendre

aussi un service un jour. Mais si tu as à faire à un avare, tu n’as aucune obligation morale,

aucune responsabilité de lui donner quelque chose. Bref, l’avarice est une chose détestée dans

la société luba-kasaï parce qu’elle ne participe pas au principe de la réciprocité du bonheur.

d) Le mode utilitaire

La réciprocité généreuse est celle qui est pratiquée par les hommes et les femmes, membres

de la communauté, qui sont semblables en vertu. Pareille réciprocité résiste à l’épreuve du

temps, et reste à l’abri des traverses parce que stable. C’est cette sorte de réciprocité

sollicitude et bienveillante que les Luba s’efforcent de rendre opérante et agissante. Les

gens de bien sont en fait utiles à eux-mêmes et à la communauté de destin. Par contre, ceux

dont la réciprocité a pour source l’utile n’œuvrent pas pour le bonheur de tous les membres,

et encore moins pour la promotion de la communauté de destin, mais en tant qu’il y a

65 R. Van Caeneghem, « L’avarice dans les proverbes Luba », Congo 16/2 (1935), p. 376-388. En langue

Tshiluba, l’avarice est aussi appelée Tshitu : Muena tshitu ou Buimini. Un avare : Muimini, Muena tshitu ou

encore Muena Minu mikola.

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quelque bien qu’ils retirent l’un de l’autre. Cette perception est véhiculée par quelques

adages, souvent instrumentalisés dans les chants populaires par certains individus :

Kutu kuaya monji wa Mbuji kutu kulua mukuabo : là où on envoie une chèvre,

là aussi peut venir une autre chèvre.

Kupa nkuteka ou Kupa nkukudika dinga dituku wadiakuya kutulula : donner

c’est faire garder.

Kupa nkukudika diakukuata bualu wadiakuya kukulula : donner, c’est suspendre

ou épargner quand tu auras un problème ou une difficulté, tu iras reprendre ce

que tu avais suspendu.

Kupa nkuteka nansha mupa kapumbe : donner, c’est épargner, quand bien même

tu auras donné à un sot, et quand tu auras un problème ou une difficulté, tu

pourras toujours recourir à lui pour reprendre ce que tu avais suspendu ou

épargné.

Tout cela revient à dire : tu ne peux pas considérer comme une perte, un gaspillage, ce que

tu donnes aux autres. Tu peux par contre le considérer comme une épargne déposée ou

consignée en lieu sûr, car celui à qui tu as donné quelque chose avec joie peut bien te rendre

un grand service à son tour. Aussi, quand tu manges, sache que ton repas intéresse les

autres, qui te voient manger et leur donnent l’envie de manger à leur tour. Cela signifie que,

quand on en a la possibilité et les moyens, il faut songer à partager avec les autres. Car la

bouche est souvent bien envieuse : Mukana mudi ne tshiela moyo.

Cette autre marque de réciprocité et de sollicitude peut sembler utilitaire dans la mesure où

elle invite à rendre ce qu’on a reçu des autres ; c’est comme s’il n’y a pas en fait une

véritable marque de générosité, mais il n’y a apparemment rien de tel. On dirait que la

réciprocité d’affection induit à la bienveillance mutuelle, mais si on espère qu’un jour on

peut être reconnu et servi par celui ou celle à qui on a rendu un service ou à qui on a donné

quelque chose :

Kanza ka kupela, wa kapa peba : donne aussi généreusement à la main qui te

donne.

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Biakusua mukuenu wa disua nende : si quelqu’un t’aime, montre-lui aussi les

mêmes marques d’amour et d’affection. S’il te supporte, donnes-lui aussi ce

même soutien.

Ici la mutualité et la gratuité exigent la médiation de la bonté, car en donnant, en aimant et

en étant bienveillant on souhaite pareillement et sans compter le bonheur aux uns et aux

autres en tant qu’ils sont tous bons et qu’ils le sont aussi par eux-mêmes.

e) La bonté

Jusqu’ici, nous n’avons pas fait référence au prédicat « bon », mais à l’utile. Or, pour

montrer qu’ils perçoivent les idées de réciprocité et de générosité dans leur profondeur, les

Luba-Kasaï soutiennent qu’en aimant leur communauté d’être, en souhaitant le bonheur à

tous les membres, ils aiment pour eux-mêmes ce qui est bon, la vie bonne et la vie heureuse.

Cette pratique luba-kasaï suggère que la réciprocité et son corollaire l’égalité impliquent

que les membres de la communauté soient des gens de bien, de rang égal, chacun des

membres ayant à rendre à tous les autres membres l’égal qu’il reçoit. Car le bonheur reste

à tous les égards un bien commun. Comme l’affirme aussi Tengeneza : « Tous dans un élan

de solidarité considèrent le bonheur comme un bien commun qu’ils acceptent volontiers de

distribuer en toute bonté entre eux et même au-delà de leur communauté de vie »66. De ce

point de vue, il est important de souligner que, dans l’univers luba-kasaï, tous les membres

de la communauté de destin retirent les mêmes avantages et se souhaitent ainsi

réciproquement d’avoir le véritable bonheur.

Cependant, on peut relever que cette communauté connaît aussi des phases d’inégalité

d’autant plus que le défaut de l’inégalité est consubstantiel à la nature humaine. Cette

inégalité s’exprime dans bien des situations. Par exemple, la situation d’un adulte par

rapport au jeune, d’un mari envers sa femme, ou encore d’un riche envers le pauvre. La

différence des fonctions entraînant une différence dans les attachements,

proportionnellement aux avantages que chaque membre de la communauté en retire.

66 Tengeneza Kilonda, « Le bonheur comme bien commun chez Aristote », Raison Ardente 45 (1990), p. 9-27.

Lire aussi : Kazadi Tshikolo, « La recherche morale du bonheur », Raison Ardente, 31 (1989), p. 11-27.

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Au-delà de ces apories, et en creusant les choses en profondeur, l’on s’aperçoit que

l’individu Luba aimant sa communauté et la communauté qui attend de celui-ci, donnent

autant qu’ils reçoivent. Ainsi par la voie de la gratitude et de la reconnaissance, l’individu

Luba reçoit de la communauté de vie ce qu’il donne en bienfaisance ou en bienveillance et

en vraie sympathie. De la sorte, se trouvent établies une réciprocité et une générosité dans

l’échange mutuel et humain en dépit de l’inégalité constitutive des positions initiales de

l’individu qui aime et la communauté qui l’accueille. À ce niveau, on ne peut que soutenir

que le bonheur chez les Luba du Kasaï est fondé sur cet échange mutuel entre les membres

de la communauté de vie, lequel échange traduit la véritable marque de bonté et de gratuité.

f) La marque de gratuité

À côté de l’échange mutuel, les Luba appliquent aussi une autre marque de générosité qui

n’attend rien en retour. Il s’agit de la marque de gratuité. Dans cette nouvelle forme, la

gratuité et la bonté semblent avoir le même sens lorsque dans le langage tout comme dans

les gestes, les Luba les identifient à la main « Tshianza », qui dispense sa générosité à tous

sans compter ; elle apporte son soutien à la tête qui souffre ; elle donne des remèdes aux

pieds dans le besoin ; elle lave et console les yeux qui pleurent, et surtout elle nettoie les

orifices (narines, bouche, anus) dont le fonctionnement s’accompagne de mauvaises

odeurs. Mais elle-même ne reçoit aucune attention des autres. La gratuité des gestes de la

main est d’autant plus remarquable et appréciable qu’elle transcende les contextes et les

conjonctures. D’où la belle expression luba-kasaï :

Tshianza kyla nansha butuku upapa. Ce qui signifie littéralement : même la nuit

ou même quand il fait sombre, la main donne toujours à celui qui est dans le

besoin.

De là on comprend aussi que les hommes bienveillants et généreux bien qu’ils soient en

nombre insuffisant, marquent la communauté de destin et sont souvent considérés avec

admiration et reconnaissance. La marque de gratuité telle qu’elle est vécue chez les Baluba

apparaît comme une sorte de quête morale du bonheur humain, mais elle exige aussi la

vertu de gratitude. Ainsi que l’affirme également Kazadi Tshikolo, pour les Luba-Kasaï,

« L’éthique du bonheur partagé se fonde sur la gratuité du geste et l’altruisme de celui qui

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fait le geste. Vivre-ensemble pour eux, c’est accepter de vivre non seulement avec les

autres, mais aussi pour les autres et de partager le bonheur »67.

Reste qu’au cœur même de la réciprocité et de cette marque de gratuité et de générosité se

dessinent comme creux les dérives liées à toute pratique interactive surtout quand il s’agit

de la relation d’hommes à hommes. Ici, en effet, il y a un agent qui prend l’initiative de

faire du bien ou d’agir en faveur de l’autre, mais il y a également et au même moment celui

qui reçoit le bienfait. Ainsi le pouvoir que l’on exerce sur l’autre peut facilement entraîner

des abus que tente de conjurer le respect dans l’acte même de la bienveillance. À ce niveau,

la sagesse de la vie pratique luba-kasaï exige que l’on recoure à la bonté de manière à éviter

la propension à la violence inscrite en chacun des membres de la communauté d’être. La

bonté vient compenser la question d’inégalité, de violence et de mépris par la mise en

commun des biens et par la pratique de la bienveillance. Car c’est par la pratique de ces

vertus qu’on peut conjurer les perversions de l’agir humain en établissant la solidarité

positive et le partage des biens et des services là où la réciprocité et la sollicitude viennent

à faire défaut.

3. La solidarité positive et le partage

a) Le profil de la solidarité

Reliés aux vertus de la réciprocité et de la générosité, la solidarité et le partage des biens,

des pensées et des sentiments se constituent comme une solution pour remédier à la

question d’injustice, d’inégalité et de violence dans la communauté de destin. En effet, dans

l’imaginaire populaire luba-kasaï, la solidarité consiste en une sorte d’interdépendance

entre les hommes ; elle est une vertu qui pousse les hommes et les femmes à s’accorder une

attention et une assistance mutuelle. Pareille solidarité, les Luba-Kasaï la veulent active et

opérante dans la mesure où elle fait que les uns ne peuvent être heureux que si les autres le

sont aussi, qu’un homme ne peut se sentir libre et jouir du bonheur que si tous les autres

membres de la communauté jouissent eux aussi de ce même bonheur. À ce niveau, la valeur

fondamentale de la pratique de la solidarité marche en corrélation avec les autres vertus

que sont : la responsabilité, le respect de l’autre, la reconnaissance mutuelle et la recherche

67Kazadi Tshikolo, « La recherche morale du bonheur », p.11-27.

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de l’altérité de l’autre. Dans ce sens, on peut parler de la solidarité positive, c’est-à-dire

une solidarité qui permet à l’individu de conserver ce qu’il est et de promouvoir son identité

sans pervertir la relation vitale avec la communauté. La solidarité positive recherche la

justice sociale pour tous et raffermit l’identité culturelle pour tous les membres de la

communauté d’être. En ce sens, elle reste complètement éthique.

Chez les Luba-Kasaï, le paradigme fort qui exprime le mieux cette solidarité positive est le

dicton :

Tshiadima wumua tshiadia bangi : C’est cultiver par un seul, c’est manger par

plusieurs, ou un seul cultive, nombreux mangent. De fait, si quelqu’un a plus de

bien, il doit savoir les partager avec ceux qui n’ont rien, faire bénéficier son

bonheur aux autres membres de la communauté de destin.

De ce dicton, on peut dégager deux nécessités impérieuses. D’abord, le profil de la

solidarité positive luba se pose comme objet d’une quête laborieuse celui d’une

responsabilité responsable, faite de sollicitude et de promotion mutuelle, sans calcul ni

profit. La dépendance mutuelle qui s’instaure entre les hommes repose dès lors sur le fait

que les uns ne peuvent être heureux et se développer que si les autres le peuvent aussi. Ce

qui en réalité explique le progrès solidaire, la promotion commune de la dignité, la

reconnaissance mutuelle des droits, la créativité participative, le partage non seulement des

joies, mais aussi de la douleur et des peines. Ensuite, la signification de la logique de la

solidarité positive luba et l’efficacité de son action dépendent en effet d’une compréhension

existentielle du fait que la dépendance mutuelle conduira toujours déjà au bonheur et au

développement social et individuel seulement dans la mesure où il y a appartenance

participative et responsable. Car la solidarité est authentique, généreuse et positive quand

elle est nécessairement vécue et pensée comme une force universelle et organisatrice de la

réalité sociale. Comme l’affirme aussi A.J. Smet, « La solidarité dans les langues africaines

exprime souvent le sens réel de la responsabilité et de la générosité réciproque des uns

envers les autres »68.

68 A.J. Smet, La solidarité et la réciprocité dans les proverbes du Zaïre, Université de Lubumbashi, Faculté des

Lettres, 1974 Recueil des travaux pratiques des Étudiants. Voir aussi : G. Van Houtte, Proverbes africains.

Sagesse imagée, Kinshasa, Éd. Épiphanie, 1986, p. 11-13 ; L. Bourgeois, La philosophie de la solidarité, Paris,

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Outre le paradigme et ses nécessités, la pratique de la solidarité positive se traduit par des

proverbes et des contes tels que :

Muemi wa dipanda uvua Muntu umue banua ba maluvu batu babungi : c’est un

seul qui a recueilli du vin de palme qu’un grand nombre boira.

Nkunde ya ba bungi yakaboba ne mata. Littéralement, le haricot d’un grand

nombre finit par cuire avec la salive. Ce qui signifie : si on est nombreux et

solidaire, si chacun apporte sa contribution à l’œuvre commune, celle-ci sera

achevée avec un moindre effort.

Lukanu lumue kalutu ludila ku diboko to : un seul bracelet ne peut sonner, ne

peut faire du bruit ou ne se fait pas entendre ; il faut se serrer les coudes.

Munu umue kautu usukula mpala to : un seul doigt ne peut jamais laver le visage

ou le corps.

Bungi mbulobo ou Bungi mbukitu : le nombre l’emporte toujours sur (ou vaut

mieux que) la bravoure. Ceci ressemble à la devise belge « L’union fait la force ».

Ces proverbes montrent la nécessité d’être nombreux et solidaires ; car, ainsi, on est

courageux et efficace. Quand on est seul, on est perdant. Il faut être ensemble, solidaire et

nombreux pour faire face à une situation ou à une autre, ou encore mieux pour se faire sentir.

Le profil de la solidarité dans l’action reste une sorte de garantie de la réussite et de bonheur,

mais comme un véritable projet social.

b) Le projet social de la solidarité

Dans le contexte luba, la solidarité positive favorise l’équilibre social, l’harmonie dans la

relation, la justice et la paix ; elle est aussi une meilleure garantie de bonheur pour tous.

Cette sorte de solidarité ne laisse personne en dehors du champ de la vie. Même un vieillard

grabataire a droit à cette solidarité et au partage dans la mesure où il fait non seulement

partie de la communauté, mais aussi parce qu’il y est considéré dans son rang d’aîné comme

PUF, 1887, p. 87-89 ; E. Durkheim, De la division du travail social, Paris, PUF, 1973, p. 73 : il s’agit d’une

cohésion dont la cause est dans une conformité des consciences particulières à un type commun (la solidarité

mécanique).

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un sage, qui garde en lui les secrets des ancêtres et des fondateurs de la communauté

clanique (Diku).

Au-delà de la sollicitude d’homme à homme, la présence auprès de la personne qui se meurt

témoigne non seulement de la solidarité, mais aussi de l’harmonie entre les hommes, entre

les générations. Il incombe aux bien-portants de prendre la responsabilité de soulager les

tourments de ceux qui sont accablés par le poids de l’âge, de la maladie, ou encore des

personnes invalides et qui sont en proie à l’anxiété et à l’angoisse causées souvent par la

souffrance ou par la mort. Plus les hommes s’appliquent dans la solidarité positive et au

partage du bonheur, plus ils offrent aux autres membres et à eux-mêmes l’espoir et la

chance de croire à la délivrance de la crainte d’être laissés à l’abandon. Sans aucun doute,

les hommes vertueux ont le devoir de faire justice aux plus pauvres et de rester solidaires

avec tous ceux qui souffrent du manque.

Si la solidarité ne s’engage pas dans la promotion de la paix et de la justice, elle demeure

vide de signification. Les luba sont ainsi convaincus que la pratique de la solidarité positive

est une autre manière de rendre la paix dans leur communauté et de faire justice à ceux qui

souffrent. Ils recherchent toujours à rapprocher socialement et à intégrer les hommes et les

femmes qui se sentent éloigner par le poids de la solitude. Comme le dit aussi Kahang’a

Rukonkish, « La solidarité négro-africaine n’a d’autre fondement que la vertu de la justice

et le pouvoir de la paix sociale »69. On dirait donc, pour les luba, le projet social de la

solidarité est une sorte d’option préférentielle qui ne vise que le bien-vivre des plus petits

de la communauté, à savoir : les veuves, les orphelins et les personnes âgées. La

communauté est ainsi conviée à la conscience de l’inconditionnel devoir de se porter et de

se donner une assistance mutuelle.

69 Kahang’a Rukonkish, « Solidarité négro-africaine et sens de la justice et de la paix », in Philosophie africaine.

Paix-Justice-Travail. Actes de la 10e semaine philosophique de Kinshasa, Kinshasa, Facultés Catholiques de

Kinshasa, 1988, p.174. Pratiquer la vertu de la solidarité et de partage est une manière de faire la paix et de

rendre justice à ceux qui sont dans le besoin. Voir aussi. E. Durkheim, De la division du travail social, p. 149 ;

B. Jacob, Devoirs, Paris, PUF, 1978 : spécialement le chapitre 9 : Justice et solidarité. Selon lui, ce sont ces

deux vertus qui constituent l’éthique du devoir.

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c) Les apories de la solidarité

La philosophie de la solidarité luba laisse aussi entrevoir quelques difficultés relatives aux

situations sociales des uns et des autres. Dans bien des cas se sont des personnes désœuvrées

qui sont souvent appelées « Bena lulengu », les paresseux qui jettent un discrédit sur la

pratique de la solidarité. Au nom de cette solidarité, plus souvent, ils recourent à ceux qui ont

des moyens, et c’est sur ceux-ci qu’ils s’appuient pour régler leurs conditions sociales. Ainsi

que l’affirme également Mutunda Mwembo :

La solidarité positive récuse le parasitisme organique où les hommes dépendent

de celui qui occupe un rang social. La solidarité implique certes une générosité,

mais aussi invite à un engagement réel en faveur du développement et du bien-

vivre de tout un chacun. Les hommes solidaires sont appelés à la responsabilité

mutuelle, à une prise en charge mutuelle des uns par les autres ou des autres par

les uns. Il est temps que l’Afrique comprenne que la solidarité doit se mettre au

service du progrès. Pour cela, tous doivent s’y engager sérieusement70.

En outre au nom de la pratique de la solidarité, celui qui a plus de moyens est tenu à recevoir

chez lui les autres membres de la famille et même de la famille élargie. On est souvent surpris

de recevoir un oncle, une tente, un cousin ou une cousine. Souvent aussi, ceux-ci arrivent

sans avertir. Le moindre refus ou le renvoi peut coûter très cher. L’hôte est tenu de l’accepter

malgré lui. Souvent les problèmes de cohabitation et de mentalité se posent et déstabilisent

la vie sociale. Le partage de moyen ou le soutien financier de ceux qui sont restés causent

aussi beaucoup de difficultés sociales, puisqu’on n’est pas souvent en mesure de satisfaire

tout le monde de la même manière et dans les mêmes proportions. Le refus de satisfaire à

une demande est souvent source de malentendu et de querelles. On est souvent critiqué et

jugé d’avarisme et de séparatisme, surtout si cela s’adresse à un membre lointain qui n’est

pas de sa propre famille (un cousin, une cousine, un oncle ou une tante, etc.). Pour ne pas

l’oublier, celui qui se sent offenser recourt à ce dicton :

Matenga a kapanda mimbu, ce qui signifie que les fesses ont toujours une tracée

qui les sépare.

70 P. Mutunda Mwembo, « Rapport général », in Procès de la solidarité. Actes des journées philosophiques de

S. Pierre Canisius, avril 2002, Kinshasa, Éditions Loyola, 2002, p.116.

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On observe aussi dans la pratique de la solidarité luba une absence de la solidarité mécanique.

Les hommes et les femmes ne se regroupent pas en fonction de la nature particulière de

l’activité sociale à laquelle ils se consacrent, leur milieu naturel et nécessaire n’est pas le

milieu professionnel, en l’occurrence le champ, la chasse ou la pèche commune, mais le

milieu natal, leur communauté de vie. Il faut donc qu’un seul réussisse et se mette au service

des autres, de la communauté. Cette manière de voir les choses est souvent à la base du sous-

développement et de la pauvreté qui frappe les communautés.

Mais en dépit de ces apories, on peut tout de même conclure que, la notion et la pratique de

la solidarité positive dans la société luba-kasaï n’est pas seulement un fait social, mais aussi

la sève de régulation des relations entre les membres de la communauté de destin. De cette

manière, la solidarité positive pose l’homme au centre de la vie communautaire comme une

valeur irremplaçable, et la communauté devient elle-même donc le lieu de la réalisation du

bonheur. Tout individu est appelé à conformer son agir à l’éthique du partage, en évitant que

ses intérêts compromettent ceux de la communauté de destin. Il s’agit de vivre dans la paix

et la tranquillité. Mais cette sorte de solidarité gagnerait en efficacité si elle intégrait la

dimension mécanique. Le développement est aussi le fait de ce regroupement d’intérêts

personnels, de travail et de réussite individuelle.

En tout état de cause, la question cruciale est celle des enjeux sociaux de la pratique de la

solidarité telle qu’elle est vécue par les Luba. Le premier enjeu consiste dans la conscience que

le bonheur s’acquiert comme un bien que l’on doit partager. À ce point, l’effort et la

participation des membres deviennent une nécessité. Ensuite, la solidarité apparaît comme une

réponse à la situation sociale de chacun des membres. On dirait qu’elle est une sorte de justice

sociale envers les plus démunies, les invalides et les personnes âgées, etc. Enfin, cette pratique

va au-delà de la communauté ; elle concerne aussi les étrangers, ceux qui ne font pas partie de

la communauté, mais qui peuvent bénéficier du bienfait, car ils sont considérés comme porteurs

du message de Dieu et des ancêtres. De ce fait, elle n’est pas organique basée seulement sur les

liens consanguins, mais aussi sur l’altruisme et l’égalité des chances.

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CHAPITRE DEUXIÈME

L’ÉTHIQUE DU DISCOURS ET LA QUÊTE DE

L’ALTÉRITÉ

1. La constance et la cohérence

a) Le discours comme lieu de la socialité

Le grand mérite que l’histoire a attribué à Aristote est d’avoir reconnu la parole ou le discours

comme une propriété constitutive de l’homme. Cette propriété marque toute la différence

entre l’homme et l’animal grégaire : « Seul d’entre les animaux, l’homme a la parole »71. De

la sorte, la parole devient le lieu de la révélation de son être, ou encore comme le dit Nkombe

Oleko, « La maison de l’être »72. C’est que dans l’acte de parler, l’homme se manifeste, se

dévoile comme une totalité et se réalise comme une présence ouverte au monde et aux

humains. Le discours, écrit Heidegger, « est articulation signifiante de la structure

compréhensible de l’être au monde »73. Dans ce sens, on peut déduire que, l’homme en tant

qu’être au monde est tendu à communiquer son être et surtout à communiquer les vertus. Dès

lors, le sens du discours se modifie et devient l’effort constant pour communiquer le bien ou

le mal, le juste ou l’injuste. C’est en percevant ces valeurs ou ces vices que l’homme se réalise

la famille, ou mieux la communauté de vie. Seul le dire présuppose, postule et anticipe la

socialité humaine comme étant régie par d’authentiques normes éthiques et non simplement

par quelque contrat ou convention. Comme le dit aussi Tshiamalenga Ntumba, « L’homme

est par nature créateur de la socialité, de la communauté de vie et de destin, et par le fait

même, il se rend disponible à exprimer l’ensemble des questions existentielles et réponses

qu’une communauté humaine se pose »74

Parler apparaît donc, chez les Luba-Kasaï, comme une manière d’articuler des questions, des

problèmes relatifs au bien-être et au mieux-être de la communauté de destin. Car la visée

71 Aristote, La politique, Trad. de Tricot, 7e tirage, Paris, Vrin, 1995, 1. I.8. 72 F. Nkombe Oleko, Métaphore et métonymie dans les symboles parémiologies. L’intersubjectivité dans les

proverbes Tetela, Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1975, p.174. 73 M. Heidegger, Être et temps, Trad. de l’Allemand par François Vérin, Paris, Gallimard, 1986, p.155-207. 74 Tshiamalenga Ntumba, « Langage et socialité. Primat de la Bisoïté sur l’intersubjectivité », in Philosophie

africaine et ordre social. Actes de la 9e semaine philosophique de Kinshasa, Kinshasa, Facultés Catholiques de

Kinshasa, 1988, p. 60-61.

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éthique du discours ou de la parole parlée reste la possibilité de communiquer les valeurs et

de faire en sorte que les hommes traduisent dans la vie communautaire de tous les jours les

meilleurs sentiments du vivre-ensemble, du savoir-être et de la recherche commune du

bonheur.

b) La fidélité à la parole donnée

Dans le contexte luba-kasaï, le discours ne requiert tout son sens que quand il répond avec

satisfaction au principe éthique du respect de la parole donnée et quand il peut braver le

temps. C’est que le discours reste le meilleur modèle de la permanence dans le temps ; il

représente la fidélité à soi dans le maintien de la parole donnée. Parler ou dire une chose,

c’est se mettre dans l’obligation de rester constant et de faire demain ce que l’on déclare

aujourd’hui que l’on va faire. Pareille prise de parole devient un véritable engagement qui

nous lie à tous. On est dans l’obligation de répondre à la confiance de l’autre et de la

communauté de destin. Le maintien de la fidélité à la parole donnée rend justice à l’objectivité

et à l’universalité des propos tenus. Ce qui revient à dire que les propos tenus deviennent de

fait perfectibles, vérifiables et s’apprêtent à l’usage de tous les membres de la communauté

de destin. Dans cette perspective, les Luba-Kasaï désignent l’individu qui tient parole et y

reste fidèle par l’expression :

Mukaba wa disundu mu wakuamba mudinda, dilolo wamuamba kabidi : comme

un fort et dur nœud, ce que tu as dit le matin, le soir tu redis la même chose sans

rien modifier. On conseille à l’individu de demeurer constant dans ses humeurs

des jours et sans flotter dans ses promesses faites aux autres. Car il y va de sa

crédibilité.

L’individu est ainsi appelé à demeurer fidèle à lui-même, quel que soit le changement du

temps et des aléas de l’humeur. Ricœur y souscrit aussi lorsqu’il affirme : « La fidélité à la

parole donnée paraît bien constituer un défi au temps, un déni au changement quand bien

même mon désir changerait, quand bien même je changerais d’opinion, d’inclinaison, je

maintiendrais »75. Le maintien de la fidélité à la parole donnée en dépit des vicissitudes du

cœur constitue, chez les Luba-Kasaï, le meilleur modèle de préexcellence de la forte

75 P. Ricœur, Soi-même comme un autre, p. 149. Voir aussi IDEM, « Avant la loi morale : l’éthique », in

Encyclopaedia Universalis. Supplément II : Les enjeux, Paris, Seuil, 1985, p.42-45 ; IDEM, « Approches de la

personne », p. 115-130.

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personnalité, mais également de l’estime qu’on attire, de l’amour que l’on partage avec les

autres dans la vie et de la responsabilité que l’on assume dans la communauté d’être, la

recherche du bonheur que l’on entreprend.

Les Luba-Kasaï illustrent cette fidélité à la parole donnée à travers une expression

couramment utilisée dans les transactions, dans des procédures d’alliance ou de respect des

engagements pris :

Pete Pete, vuluka petu patuakashiyila Diyi : Pete Pete, souviens-toi de la parole

donnée et de l’engagement pris entre toi et moi ou entre nous et toute la

communauté d’être. Il s’agit d’établir la relation entre la promesse de

l’engagement pris et la cohérence de la parole donnée.

Dans ce contexte aussi, faire une fausse promesse, dire le mensonge ou dissimuler la vérité

constitue en pratique une violence aussi bien envers soi-même qu’envers autrui. C’est aussi

un manque de respect dû à autrui ; c’est utiliser la personne d’autrui pour faire aboutir ses

propres desseins. C’est en réalité une manière de violer, de léser l’humanité de l’autre. Ainsi

que le confirme Kant : faire une promesse mensongère, c’est « une violation du principe de

l’humanité dans les autres hommes »76. Promettre sans avoir l’intention de respecter sa parole

et de dire la vérité, c’est pratiquement léser la dignité de la personne d’autrui. On peut alors

affirmer que la promesse est une des propriétés essentielles de la personne : elle est un animal

capable de promesse, donc capable de compter à l’avance sur elle-même et sur les autres ;

elle acquiert la durée d’une volonté bien normée dans le chaos temporel de ses appétits.

Bref, le respect dû aux autres et la fidélité à sa parole sont, d’une part, une reconnaissance

mutuelle, car c’est toujours à quelqu’un que l’on promet ; et d’autre part, c’est parce que

quelqu’un compte sur moi, attends de moi que je tienne ma promesse, que je me sens moi-

même lié.

76 E. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, p.63. Promettre sans tenir son engagement est une sorte

de violation de la dignité humaine. Dans le langage de l’homme de la rue, la promesse est souvent considérée

comme une dette qu’on a envers une personne. La promesse est une dette dit-on ! Elle est comme un engagement

qu’on prend vis-à-vis de l’autre. Voir aussi : G. Gusdorf, La parole, Paris, PUF, 2013, p. 57-65.

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c) La cohérence de la parole

Prise dans sa dimension éthique, la cohérence qui vient renforcer le principe de la fidélité à

la parole dite, en intégrant la promesse faite à autrui et même à sa communauté comme un

véritable problème métaphysique. En contexte luba-kasaï, l’imputation que scelle la

promesse rend l’individu comptable de ses actes. De la sorte, promettre et s’engager c’est

pareil au même. À ce propos G. Marcel affirme : « Promettre, ce n’est pas tenir compte des

changements d’humeur à venir, en ce sens, je me situe au-dessus de mes désirs présents et à

venir »77. C’est en fait, le « quand dire, c’est faire » d’Austin qui trouve un écho favorable

dans le contexte de la vie pratique luba-kasaï. Dans cet univers, celui qui cède à ses désirs et

à ses humeurs est pris avec réserve et même avec méfiance, et de ce fait, on le qualifie de :

Mukaba wa mfinuinu, mudinda Diyi, dilolo dinga. Il est comparé à un nœud

fragile, qui dit une parole le matin et le soir une autre ; un individu flottant et

oscillant dont on ne peut saisir la vraie face et la prise de position.

Un tel individu reste aux yeux des Luba indésirable parce que son ardeur à flotter détruit de

fait la socialité et trouble l’équilibre de la vie commune. La communauté le disqualifie et lui

prive de toutes possibilités de promotion et de responsabilisation. Il est aussi et souvent vu

comme un :

Kaniuniu mpuku : une personne qui ne ressemble ni à un oiseau ni à une souris,

et donc comme une chauvesouris (sans position).

Mwena mpala ibidi : un individu à double face n’ayant aucune vraie identité,

aucune couleur, et finalement comme quelqu’un qui manque de personnalité.

Dikangala dia Makalu makalu : un oiseau multicouleur dont on ne peut saisir sa

personnalité et son identité. Il est considéré comme quelqu’un sans mérites et

sans perspectives de vie.

Muena tshididi : en contexte général congolais par exemple, on parle de

quelqu’un qui dit « les politiques », c’est-à-dire qui dit le mensonge, qui

dissimule la vérité, et de fait, trouble la paix sociale.

77 G. Marcel, Être et Avoir, Paris, Aubier-Montaigne, 1935, p. 56 : il en fait un problème métaphysique :

comment puis-je promettre et en même temps engager mon avenir ? Voir aussi : G. Gusdorf, La parole, p. 57-

65.

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La cohérence de la parole donnée dans le contexte luba-kasaï vise donc le bonheur tandis que

céder à ses humeurs pour fausser la promesse et dissimuler la vérité entraîne le déséquilibre

social et parfois amène les querelles dans la communauté et entre les individus.

d) La consistance du discours

À l’exigence éthique de la fidélité à la parole donnée, on peut relier également le principe de

la consistance. En disant que le discours est cohérent ou constant, on veut aussi dire qu’il

communique un sens, qu’il a un sens. C’est que dans l’univers luba, la prise de parole suppose

la transmission d’un message de vie et de bonheur. On peut objecter en y opposant l’humour

comme une sorte de communication, un des meilleurs moyens de communication. Mais dans

la sagesse de la vie pratique, l’humour ne s’oppose pas à la consistance de la parole donnée,

par le seul fait que l’humour lui-même livre un message de sens. On peut même dire que dans

ce contexte luba-kasaï, l’humour comme tout autre symbole ou tout proverbe donne à penser.

Les Luba semblent récuser toute prise de parole pour rien. La pratique de la parole consiste

à livrer à la communauté un message porteur des significations, porteur des réponses aux

questions existentielles, porteur de bonheur. Le verbiage ou le bavardage agace parce qu’il

n’apporte rien à la parole parlée ; il ne permet pas à ceux qui l’écoutent de l’intégrer dans

l’ordinaire de leur vie commune. Celui qui prend la parole devant sa communauté d’être et

qui n’est pas capable de communiquer un message de sens et de bonheur en fait un mauvais

usage. Du coup, il est considéré comme un dissimulateur de la vérité et de la vertu. De ce

fait, il indigne sa communauté de destin et amenuise sa chance d’acquérir le bonheur. Il est

traité avec réserve et méfiance ; il est considéré comme un irresponsable parce que n’ayant

pas de racines solides. On dit de lui :

Muntu mupepele : un individu léger n’ayant aucune conscience de sa

responsabilité.

Muntu wa patupu : un individu vide et inconsistant sans personnalité.

Muntu wa tshianana kayi ne bua nsongo ne buimpe : un homme vide n’ayant rien

à communiquer aux autres, à la communauté.

Tout compte fait, dans l’univers luba-kasaï, la pratique de la fidélité à la parole donnée, de la

constance, de la cohérence et du respect de l’engagement semble donner au discours sa

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meilleure position dans la communauté de destin, mais également toute sa rigueur, son

objectivité et son universalité, qui font de lui un véritable acte humain et un meilleur

instrument de communication. Le discours, cet acte humain, amène à la vie et au bonheur,

mais également s’ouvre à la vérité et à la pluralité des pensées et des perspectives.

2. Le discours et l’épreuve de la vérité

a) La vérité comme acte de libération

Le principe de fidélité à la parole donnée nous a amené à considérer comme un manque

préjudiciable vis-à-vis de l’obligataire envers qui l’on s’est engagé lorsqu’on a fait une fausse

promesse. L’abus de confiance est une figure du mauvais usage de la parole donnée. Aussi,

si on prend en compte la règle de la réciprocité généreuse que nous avons laissée en suspens

dans les paragraphes précédents, on peut se rappeler que, pour le peuple Luba-Kasaï, l’attente

que place chaque membre de la communauté dans l’engagement de chacun est une sorte

d’harmonisation de la relation et du maintien de l’équilibre social. Ne pas tenir la parole

donnée, c’est trahir cette requête venue de la communauté et de tous les autres membres avec

qui on forme cette même communauté de vie. Pour parvenir au bonheur et au meilleur vivre-

ensemble, il est important de faire un bon usage du langage, dans l’exploitation mixte du

discours cohérent et de son corolaire la vérité. Ceci revient à dire que, dans la sagesse de la

vie pratique luba-kasaï, dire la vérité est un acte de libération et de maintien de l’équilibre de

la vie commune. Ne dit-on pas que la vérité libère ! La vérité ne détruit pas la vie, au contraire

elle l’affirme et la renforce, la rend pleine et abondante, et de ce fait, elle harmonise la relation

dans la communauté d’être. À ce sujet, les Luba disent :

Kuambilangana mutudi ki mbulanda kufua to : il faut se dire la vérité, et la vérité

ne tue pas l’amitié ou ne détruit pas la relation, par contre elle la renforce.

Kuleja (kuamba) bulelela Kuleja dinanga : dire la vérité, c’est montrer l’amour

et la fraternité.

Mukana mudi bulelela, mudi diakalenga : la bouche qui dit la vérité acquiert le

bonheur.

Mais cette vérité qui féconde l’acte de dire reste tranchante et intransigeante chez les Luba-

Kasaï au point qu’elle peut devenir agaçante. Une fois dite avec fermeté, la vérité apparaît

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comme une figure sublime d’objectivité et d’universalité de la parole parlée. Cette vérité

s’impose éthiquement quand bien même elle entrainerait la mort d’hommes :

Buikale buamba nansha bufua Bantu : mieux vaut dire la vérité, même si elle peut

provoquer la mort d’hommes.

Dans ce contexte, la vérité de la parole ou la parole de la vérité semble être bonne à dire. Cela

signifie que, dans la sagesse de la vie pratique, les Luba récusent toute falsification du

langage ou tout autre usage du mensonge. Car l’imposture et le monde ténébreux des paroles

falsifiées font du langage le verbe de la violence. La langue de bois et le mensonge font partie

du mauvais usage de la parole parlée, et que l’on peut assimiler aux maximes rebelles de

Kant. Ces maximes rebelles rétrogradent la puissance de la vie et la coexistence commune,

amènent le désordre, faussent l’équilibre social et amenuisent l’assomption du bonheur. En

témoignent les proverbes et dictons tels que :

Tshitelu kushimashima bualu kushima kua Tshitelu nkuvuambuka : un homme

de bien ne ment pas ; s’il ment, il perd sa renommée.

Muananyi washima Dibondo kushimi Dipanda bualu Dipanda kadiena bule

buebe : Mon fils, trompe le Dibondo (palmier à vin), mais ne trompe pas le

Dipanda (un autre palmier à vin), car le Dipanda n’est pas à ta hauteur.

Nkobo wa Kabisekele dishima kadikupitshi kulua kudibuejela lufu munzubu :

Nkobo fils de Kabisekele, ne sombres pas dans le mensonge, sinon tu introduiras

la mort dans ta maison.

Wa ludimi kushimi kabidi dinga dituku ne bakujungulula : toi qui mens toujours

ou qui as l’habitude de mentir ne continue pas, car un jour tu seras au découvert.

Kalaba wakadisuma menu ku ludimi : celui qui parle trop ou qui n’a pas de

retenue finit toujours par mentir.

Wa ludimi lutue mmuena dishima : celui qui parle trop et partout (sans retenue),

finit toujours par mentir.

Ces proverbes traduisent donc l’intransigeance et la rigueur de la parole de la vérité, et

invitent chacun des membres à faire un bon usage de la parole parlée. En restant honnête, en

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disant la vérité et en respectant l’éthique de la promesse, on participe au meilleur vivre-

ensemble, au savoir-être et au bonheur de tout un chacun.

b) Le refus du meilleur argument

Le refus du meilleur argument mérite également de figurer sur ce tableau du mauvais usage

de la parole parlée. Dans l’univers luba-kasaï, tout refus du meilleur argument ou le simple

refus de dire la vérité est considéré comme une violence qui parle, une violence qui cherche

à tout prix à avoir raison. Comme le dit aussi Paul Ricœur, « L’acte de dissimuler la vérité

dans l’exercice du langage est une violence qui se déplace dans une orbite de la raison et qui

commence déjà et même de fait à se nier comme violence »78. Par une fausse argumentation

ou par la manifestation de la mauvaise foi et le mensonge, un tel individu est considéré chez

les Luba comme un danger public, car il peut provoquer le déséquilibre dans la vie de la

communauté et biaiser l’élan de la recherche commune du bonheur. À ce sujet les Baluba

disent :

Mukana mudi mvita tshilumbu tshidimu : dans la bouche où il n’y a que de la

violence, il y a également un faux argument, un mensonge ou un faux

témoignage.

Buapua Buapua mukana mua muenabo : c’est de la bouche de celui qui l’a

prononcée qu’il faut juger. Sur ce même dicton : il faut juger celui qui dit le

mensonge et biaise l’argument.

Les Luba pensent aussi que celui qui parle trop, qui cherche à justifier ses actes ou autre

comportement en dissimulant la vérité et en avançant un faux argument est un manipulateur

des hommes, et par conséquent il fait un mauvais usage de la parole. En langue Tshiluba,

pareille personne n’est désignée du nom de « Kalaba ». Une personne qui intervient à tout

moment et, à toute prise de parole dit le mensonge et fausse l’argument :

Muntu mulabakana : qui parle beaucoup (un beau parleur), un menteur.

78 P. Ricœur, Lecture 1. Autour du politique, p. 132. Lire aussi : IDEM, Histoire et Vérité, Paris, Seuil, 1964,

p.225.

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Wakula bia bungi : un individu qui ne se gêne pas, qui intervient dans tout et dans

toute conversation. Pareil individu finit toujours par mentir et fausser l’argument.

Muakudi wa dilambu : un individu qui visiblement donne un faux argument ou

prétend toujours dire la vérité, alors que son argument est faux.

Ka mukana muebe kakupa dibanza : c’est ce qui sort de ta bouche qui te nuit toi-

même, qui te souille. Pareille personne est assimilée au menteur, Muena dishima.

L’idée qui ressort de ces dictons est qu’il faut un meilleur argument qui traduit la vérité, être

correct dans le langage, le comportement et les gestes, pour ne pas se nuire à soi-même et au

bonheur des autres membres ; il faut éviter de se créer des problèmes ; il faut rester véridique

et transparent. Pour les Luba-Kasaï, la perversion de la vérité est un motif sérieux non

seulement de condamnation de l’individu incriminé, mais également de mépris ou de rejet

total.

Pour tenter de conjurer cette tendance, les Luba-Kasaï ont codifié, d’une part, l’usage de la

parole de la bienveillance comme un acte de promotion de la vie et du bonheur partagé, et

d’autre part, la finitude structurelle inhérente à toute parole parlée comme une ouverture à

l’émergence des diverses formes de pensées et de visions particulières, de la recherche de

l’altérité. En plus bref encore, l’acte de dire dans l’univers luba demeure ontologiquement

non seulement l’acte de la parole de la vérité, de la parole de sens, mais aussi et surtout l’acte

d’ouverture et de la pluralité des perspectives.

3. Le discours et la pluralité des rationalités

a) La circularité ontologique

Mis à l’épreuve de la vérité, le discours dans la sagesse de la vie pratique luba-kasaï s’ouvre

sur la pluralité des perspectives et des pensées. C’est que dans l’univers luba, la pratique de

la parole parlée se fonde ontologiquement sur, d’une part, la prétention de tout savoir, de tout

connaître et, d’autre part, la reconnaissance de ses limites, la conscience de tout ignorer. C’est

dans cette circularité ontologique que le discours devient une réalité sociale et un véritable

instrument de communication.

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Toute prétention à l’universalité de son discours ou de sa parole implique un partenaire qui

écoute et qui peut prendre position, une position qui atteste ou qui réfute la chose du discours.

De l’autre côté, la reconnaissance de ses limites suppose également la présence d’un autre

interlocuteur qui se prête déjà à donner son point de vue. Dans l’un ou l’autre cas, ce qui

compte c’est la possibilité d’acquiescement ou de contestation qui n’apparaît que comme

consubstantielle ou contemporaine au discours ou à l’acte même de dire. Le discours apparaît

en fait comme une sorte d’appel à l’autre, à son jugement, à son évaluation, à son verdict, ou

encore mieux à une médiation qui sollicite jusqu’au-delà de sa communauté de langage.

Comme l’affirme aussi Jean Onaotsho : « Constitutivement suspendu à la médiation des

autres, l’acte de dire fonde et féconde la pluralité des pensées, des points de vue, des

perspectives et des modes de vie, qui s’actualisent et se manifestent dans le vrai dialogue »79.

Pareille circularité donne à la pratique de la parole l’allure d’une parole réellement discutée,

réellement partagée et réellement distribuée. Il y a là comme une sorte de liberté de parole

qui fait que celui qui prend la parole dit ce qu’il pense et ce qu’il juge prometteur de son

propre bonheur et celui de sa communauté de destin. Les Luba traduisent ce principe à travers

les expressions telles que :

Lungenyi kapebu wa Muntu Muena luende wu lua mbamba : chacun a un don

d’intelligence, quitte à l’exprimer, à donner sa vision ou sa pensée.

Lungenyi mponde wa pa tshisasa : l’intelligence est comme le millet gardé au

grenier, celui qui le possède peut l’exprimer dans le respect des autres points de

vue.

Bidi ntuilu bidi mpelula kadi kabiena ndambilu mumua : on peut avoir les mêmes

produits, mais on ne les prépare pas de la même façon. Chacun a sa vision des

choses, quitte à l’exprimer tout en respectant l’opinion de l’autre.

De cette manière, parler c’est prendre conscience à la fois de la possibilité de la présence de

l’interlocuteur et de la possibilité d’une autre perspective ou d’autres modes de vie ; et

79 J. Onaotsho Kawende, « Fondation ontologique et élucidation logique de la rationalité dialogique. Pour une

rationalité pluraliste », in Buasa Mbadu, (dir.), Philosophie et conflits des cultures en terre africaine, Kinshasa,

Centre de Recherche et de Documentation Africaines, (2002), p. 259-280. Dans la note 1 : la raison critique

n’est pas un état pur de toute souillure historique. Dans quelque abstraction qu’elle se réfugie, elle reste située.

Elle ne peut ainsi se prévaloir de lumière totale et parfaite.

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s’ouvrir en acceptant d’une certaine manière la possibilité d’émergence d’autres formes de

pensées et de discours. La parole parlée fait ainsi éclater les diverses possibilités de pensées,

de connaissances, mais également d’ignorance. On est de plain-pied dans une sorte de société

entendue comme un véritable système de communauté dialogale idéale, dans une sorte

d’intelligence dialogique et palabrique, ou encore dans une forme de gouvernement

démocratique communautaire, où chacun jouit pleinement du droit d’expression de ses

talents et de ses pensées, mais également de liberté individuelle inaliénable, de connaissances

et de possibilités d’être copartageant de la vie et du bonheur.

Dans cette forme de démocratie, on s’en remet à l’altérité plurielle, en acceptant la libre

discussion, l’antagonisme positif et la critique par les autres de ses propres modes de pensée,

de ses possibilités d’être. Le jeu de la parole parlée dans cette culture suppose la raison

critique qui consiste non seulement dans la cohérence et la constitution de sens, mais aussi

dans l’examen de la validité de ce sens par rapport à la visée du bonheur partagé, qui ne cadre

pas avec sa propre vision et encore moins avec celle de la communauté de destin. Dans cette

perspective, contester ou remettre en question une version de la vérité est une autre possibilité

de dire la vérité et de faire le sens, de donner sens à l’autre possibilité de vie et de recherche

du bonheur. C’est un droit qui consiste à s’exprimer et à dire son point de vue là où un autre

point de vue ne semble pas satisfaire aux exigences éthiques du bonheur en commun.

b) La limitation de l’esprit critique

Le dogmatisme ou l’absolutisme reste, dans tous les cas de figure, une pratique que les Luba-

Kasaï récusent, car personne ne peut prétendre tout connaître et tout savoir à la perfection :

Muntu mu manya bionso mpala ne nyima, littéralement un individu qui connaît

tout devant et derrière le dos. C’est-à-dire à la perfection.

Car il y a bien des choses qui échappent. Toute prétention à tout savoir s’apprête à la critique

et à l’épreuve de la vérité. Ce qui revient à dire que dans le dialogue les interlocuteurs ne

vivent ni dans des horizons fermés, ni dans un horizon unique. Cela suppose que sa vérité est

perfectible, et donc sujette à caution. Car c’est l’entente critique des subjectivités présentes

et la reconnaissance de leurs limites qui garantissent l’objectivité, la rationalité et

l’universalité de la vérité du discours.

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En clair, on est loin de croire que l’esprit critique est lui-même exempt de toute limitation.

Car en voulant soumettre à la critique les points de vue des autres, on s’ouvre soi-même à la

même critique. La conscience du critique n’échappe pas elle-même à la limitation

consubstantielle à la nature humaine. Tous les locuteurs et tous les interlocuteurs en présence

(tous les membres de la communauté de destin), se trouvent ainsi dialoguant, et sont tous mis

à l’épreuve de la vérité. Car ils sont tous sujets à la limitation ontologique. De cette manière,

on peut dire que leurs visions, leurs pensées, ou encore mieux leurs perspectives s’éprouvent

ainsi dans la véritable parole partagée, ou encore dans le dialogue et par des âpres et longues

discussions rationnellement menées. Dans le même ordre d’idée, toute raison critique ne peut

prétendre posséder le monopole du savoir, de l’intelligence, de la connaissance, et encore

moins de la lumière parfaite ; elle reste, dans le clair-obscur où finalement la flamme de la

raison ne laisse en réalité que dans un clair-obscur où rien ne se donne dans la pure

transparence absolue. Car la lumière du dialogue éclaire au-delà même des prétentions d’une

conscience solipsiste et nomologico-solitaire, dogmatique et auto-transparente.

Enfin de compte, dans cet univers luba-kasaï, la pluralité des perspectives qui fait irruption

dans le dialogue permet à chacun des membres de la communauté de destin d’élargir son

horizon toujours limité et d’affermir la visée du bien-vivre et du vivre-ensemble. La lumière

infinie de la parole parlée éclaire au-delà des prétentions d’une conscience insulaire et

absolutiste. On supprime l’horizon d’une pensée unique à la faveur d’un pluralisme

d’horizons où les pensées contradictoires s’affrontent et se fécondent mutuellement et

positivement. Dès lors, on comprend que dans l’univers luba, la prétention à la validité et à

l’universalité du discours reste le fait d’un large et vrai consensus au bout d’un long dialogue

discursivement muri et fructueux, visant par-delà tout l’assomption de la vérité, de l’équilibre

social et du véritable bonheur de chaque membre de la communauté. La médiation de la

communauté frise pour ainsi dire l’objectivité et suscite la confiance et la sécurité des

possibilités d’être de chacun. Il s’agit de la médiation institutionnelle qui apparaît comme

étant codifiée dans une autre forme d’éthique du bonheur, celle de la responsabilité politique.

Dans cette optique la parole parlée se prête à être au service de la vie, du bonheur partagé et

de l’harmonisation de la relation parmi les différents membres.

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4. La parole de la bienveillance

a) L’expression de la fraternité

Dans l’univers luba, lorsqu’on adresse une bonne parole à quelqu’un, on fait de lui un proche,

un Muanetu, un Mulunda wani, un Muinanyi, c’est-à-dire un frère, une sœur ou un ami avec

qui on partage le destin commun. Par ce geste fraternel et amical, l’individu luba-kasaï se

lance dans la quête commune de la reconnaissance mutuelle et de partage de bonheur.

L’autre et lui-même se disent avec joie « Wetu au, betu abu », toi le mien, toi le nôtre ou vous

les nôtres. Pareille prise de parole n’est pas seulement une reconnaissance physique de l’autre

membre, mais aussi une communion spirituelle de ce que les membres possèdent en commun

et de ce qu’ils sont tous dans la vie. En même temps que la communion devient une référence,

la parole de la bienveillance porte aussi en elle-même toute la marque de la gratuité de l’acte

de dire, l’expression de la bonne relation fraternelle et amicale. D’où la célèbre formule luba :

Diyi dimpe mbulanda, nansha kumpele kantu : la parole de la bienveillance est

une expression de la bonne relation, de la fraternité et du bien-vivre même si tu

ne me donnes rien.

Cette formule dépasse les limites de la relation clanique, tribale et régionale, ou encore

communautariste ; elle va au-delà même des communautés spécifiques. Elle affirme une

véritable relation intersubjective et fraternelle entre les humains. Dans ce sens, même

l’étranger y est totalement impliqué parce qu’il est considéré comme faisant partie de la

communauté ; il a lui aussi droit à la reconnaissance et à la bienveillance de tous les membres.

Il y est considéré comme un allié, un ami ou une amie avec qui on reste dans cette relation

féconde et réciproque. Pour les Luba-Kasaï donc, une pareille bienveillance répond non

seulement au principe du savoir-être, du vivre-ensemble et de la recherche commune du

bonheur, mais aussi incite à la pratique de la sympathie et à la compassion des uns envers les

autres.

b) La sympathie et la compassion

La parole de la bienveillance est une marque de sympathie qu’on exprime à l’endroit d’un

autre. Souffrant ou bien portant, tous ont droit à notre sympathie et à notre compassion. Par

la parole de la bienveillance, le compatissant reçoit de celui qui pâtit ce qu’il donne en

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bienfaisance et en vraie sympathie. Dans ce sens, la sympathie apparaît chez les Luba-Kasaï

comme une sorte de compassion compréhensive, une manière de partager le bonheur, la vie,

les joies et les peines. Dès lors, on peut déduire que, dans la pratique de la parole de la

bienveillance, la sympathie et la compassion disent la même chose ; elles fondent en raison

le mouvement qui va du plus faible au plus fort. Cela veut dire que le mouvement de ma

sympathie et de ma compassion va en sens unique, c’est moi qui cherche à me rendre utile à

celui qui souffre, qui est faible et qui a besoin de mon assistance. Pareil mouvement ne tient

pas compte de la fréquentation de mon geste, de ma présence dans le service à rendre. Je ne

cesse de me répéter et de répéter mon affection, ma compassion ; ma conscience d’aller vers

lui est quasi-automatique, on dirait involontaire et même inconsciente. Dans un tel

mouvement, l’indifférence est regardée dans cette société comme un vice d’orgueil et de

mépris des autres. Or, rester indifférent à la souffrance des autres, c’est leur nier la possibilité

de vie et de bonheur. Pourtant, le bonheur partagé est aussi dans ce geste de compassion,

dans le « Diyi dimpe », la parole de bienveillance qui n’exige que la présence souriante de

celui qui compatit et qui sympathise avec le souffrant. Pareil mouvement de sympathie et de

compassion n’a rien de commun avec la pitié « Luse ». Celle-ci est souvent discrète et parfois

même renie en l’homme son humanité et sa position d’être. Les luba disent de celui qui a

pitié :

Muntu muena luse ou Muntu wa luse, un homme de pitié.

Udi ne luse lua bungi ne bakuabu, il a pleinement pitié des autres.

Mais le Muntu muena luse reste souvent à distance, et même parfois il est indifférent  ; sa

pitié est théorique et sans un impact concret sur la personne pour qui on sent de la pitié (luse).

La parole de la bienveillance dans ses composantes s’adresse à une personne concrète, en

chair et en os, présente dans son humanité. C’est cette personne agitée sur le sol de la misère

et dépourvue de sa dignité que les Luba se soucient de rencontrer. Ce mouvement est aussi

appelé « Buimpe » ou « Buakana », non dans le sens de la beauté physique, mais de la beauté

intérieure de l’homme, c’est l’équivalent de ce qu’on peut appeler « Agape », l’âme même

de la parole de la bienveillance. Les Luba désignent une personne qui pratique cet Agape de :

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Muntu wa Mutshima Muimpe, littéralement un homme de bon cœur, un homme

de bien.

Muntu wa Malu Mimpe ou Muntu Muimpe, un homme de bien, un homme

toujours prêt à compatir et à sympathiser avec ceux qui souffrent surtout

disponible à faire du bien.

Muntu Muakana, Muntu Mulenga, un bienfaisant et toujours prêt à servir.

Muntu wa Diyi dimpe, un homme qui a une bonne parole, une parole de

bienveillance.

Bref, la parole de la bienveillance chez les Luba ne fait pas de calcul ; elle est une action

spontanée et sans intention intéressée. Elle ne cherche pas à prédire l’action. La sympathie et

la compassion de l’homme de bien prennent le parti de celui qui souffre et agissent au plus

pressé, et en même temps lui rassure dans la durée.

c) Les dérives de l’interaction

On peut reconnaître que la parole de la bienveillance connaît quelques dérives dans sa phase

d’exécution. C’est que dans le mauvais usage du langage, certains membres de la

communauté peuvent aller à la dérive en tenant des propos qui peuvent traduire la violence

et causer beaucoup de peines à autrui. Autant l’homme a la possibilité de dire le sens et de

chercher le sens, autant il est le seul qui exprime la violence par son langage. Il est également

le seul à conserver, au fond de lui-même, la capacité de dire non à l’insensé, à l’absurde, mais

également à le conjurer. Les paroles de malédictions ou les jurons par exemple peuvent avoir

un impact négatif sur la personne à qui on s’adresse directement ou indirectement.

On peut aussi évoquer le cas des invectives ou des insultes, d’éclat de voix, de menaces de

mort, des paroles méchantes et brutales, des paroles exprimant le mépris, l’humiliation, la

médisance ou encore le rejet de la personne. Les effets de ces langages pervers se greffent

sur l’absence d’amour et de bienveillance. L’action initiée par l’individu à travers l’usage du

langage est ici porteuse de germes d’anéantissement. C’est dire que chaque parole ainsi

prononcée exerce un réel pouvoir sur celui à qui on s’adresse, et de ce fait, acquiert une

véritable force sur lui. Cette force de la parole, ce pouvoir sur l’autre à qui on s’adresse est

souvent à l’origine de la mort dans cette communauté luba-kasaï : les paroles de malédictions

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ou d’insultes exercées entre les membres de la communauté déstabilisent l’élan du bonheur

partagé et l’équilibre social, et dans la situation extrême, elles peuvent provoquer la mort

d’hommes. Ne dit-on pas que la parole tue !

Les paroles de contraintes psychiques, de menaces ou de chantage peuvent causer de la

souffrance. Or, dans toute souffrance provoquée par ce genre de paroles ce qui est visé au

bout du compte, c’est l’annihilation d’autrui. Cette douleur éprouvée peut même prolonger

ses effets jusque dans les attitudes de mésestime de soi ou de détestation de soi ou de l’autre

au risque d’estomper la recherche commune du bonheur. Les visées de l’individu qui fait le

mauvais usage du langage ne sont pas exemptes d’amères pensées allant dans ce sens. Pour

les Luba-Kasaï, le renoncement à sa propre dignité d’homme atteint son comble dans

l’humiliation. La volonté de violenter et d’humilier par l’usage de la parole s’accompagne de

multiples sévices dont la cruauté peut se révéler sans limites, la haine entretenue, le désir de

vengeance ou encore la brutalité n’ont qu’une seule finalité, à savoir : l’effritement de l’élan

du bonheur partagé. Ce geste devient effectif dans le meurtre prémédité et mis en exécution

à travers un langage aussi pervers que diabolique. Mais pour sortir de ce renferment, les

Luba-Kasaï recourent toujours à la sagesse de la vie pratique qui dans le fond célèbre le

triomphe de la vie et la recherche du bonheur de tout un chacun.

En posant un regard critique sur la pratique de la parole chez les Luba-Kasaï, on se trouve en

face d’une forte idéalisation de cette pratique. Qu’elle tienne pour valeurs la fidélité à la

parole, la constance, la cohérence et la consistance, la pratique de la parole ne prend pas en

compte l’autre dimension de l’homme, à savoir son inclination vers le mal. Or, le mal est le

côté obscur et absurde de l’homme qui se résume par le mensonge, la falsification et la

violence, etc. La vérité dans l’acte de dire est-elle toujours bonne à dire même si elle peut

provoquer la mort d’hommes ? Ne faut-il pas aussi user de la sagesse pour dire la vérité en la

cachant comme cela apparaît souvent dans les proverbes et les fables ? La bienveillance

poussée jusqu’à la gratuité tient-elle lorsque les hommes se montrent ingrats ? Dans la vie

conjugale, garantit-on souvent la reconnaissance mutuelle des droits et de dignité des

partenaires ? La recherche du bonheur partagé qui est souvent l’aboutissement de la pratique

de la parole garantit-elle le partage de la parole et le droit de donner son point de vue et

l’assomption de la démocratie à travers la libre discussion, l’antagonisme et le débat ? La

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société luba-kasaï a-t-elle réussi à maintenir ses valeurs sans basculer dans l’imposture du

pouvoir fort ? Autant des questions qui montrent que l’univers luba-kasaï n’est pas toujours

le meilleur des mondes. Mais à bien voir les choses, la pratique de la parole dans ses aspects

éthiques reste un idéal visant la réalisation du bonheur individuel et communautaire. Cette

recherche du bien-vivre implique aussi le respect réciproque comme corollaire de la parole

de la bienveillance.

5. Le respect mutuel

a) Une règle sociale et un droit d’aînesse

La parole de la bienveillance va jusqu’à imposer le respect comme l’une des garanties de la

vie commune. Pour les Luba-Kasaï, vivre en communauté c’est savoir respecter la personne

d’autrui, ses aspirations profondes, ses droits fondamentaux et sa dignité inaliénable. Dans

la vie pratique, cette vertu du respect considère la personne dans toutes ses dimensions. Elle

la considère comme la sève sans laquelle la vie commune perd toute son ardeur et tout son

sens. Indistinctement, cette vertu semble s’appliquer à toutes les catégories des membres de

la communauté de destin. Jeunes comme adultes sont tenus à la pratique rigoureuse du

respect. Dans le langage tout comme dans les gestes, la vertu du respect mutuel reste de

rigueur. En témoigne le dicton tel que :

Buta bunemeka Mpanda Mpanda unemeka Buta. Littéralement, Buta l’aîné,

respecte le puiné et Mpanda le puiné, respecte l’aîné.

Cette règle tire sa source dans la considération du rang qu’occupe l’aîné dans la famille, elle

constitue un facteur majeur d’union et de communion. C’est ainsi que l’aîné est à la place

d’honneur ; il est en quelque sorte le chef naturel et garant de l’unité de la famille. Comme

le suggèrent les proverbes et dictons tels que :

Kua Mukulu nku diba nansha bakuamba kaana : Même si l’aîné a une intelligence

moyenne, il mérite bien ce respect.

Menji nkabuji ka Kapumbu, pa apanga Mukulu Muakuni wa muleja : la sagesse

est comme un bouc, si l’aîné le manque le puiné les lui donne, ou lui montre.

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Mais pour mériter ces égards, le Mukulu, l’aîné, est tenu de remplir adéquatement son rôle,

en respectant les autres, en les écoutant, en s’oubliant soi-même et en pardonnant. Il doit faire

doublement attention pour ne pas décevoir les attentes de la communauté. Le respect du droit

d’aînesse scelle aussi la hiérarchie dans la pratique de cette vertu :

Tshitunji katshitu tshipita nshingu bule : les épaules ne dépassent jamais le cou.

Matshio ka atu apita mutu bule : les oreilles n’atteignent jamais la hauteur de la

tête.

Cette règle est de rigueur, la déroger c’est déroger à une règle sociale nécessaire, c’est être

vide de l’éthique même de la réciprocité et de la bienveillance. Particulièrement, le puiné est

appelé à intégrer cette règle sociale dans sa vie de tous les jours, à avoir des égards par rapport

à ceux qui ne sont pas de son époque. Par exemple, les enfants sont tenus à regarder non

seulement leurs parents avec respect, mais également à suivre les recommandations qui leur

sont données. Les parents et les aînés pour autant qu’ils soient considérés comme des garants

de la vie et de la relation, ils prennent le respect qui leur est donné comme un droit. En effet,

il n’existe pas de classes sociales dans la société baluba. Mais au sein de chaque famille, de

chaque clan, Diku, l’ordre de naissance confère à certaines personnes plus de privilèges et

d’avantages que les autres. Il s’agit là du droit d’aînesse qui est fondé sur l’ordre naturel des

choses : les hommes n’étant pas nés le même jour, l’aîné de la famille ou Muana-a buta,

Muana Mukulu occupe une position privilégiée par rapport à ses frères et sœurs puînés.

Ce droit d’aînesse est donc héréditaire. Il n’est pas nécessairement lié à l’âge. Il peut revenir

au jeune frère au sein de la famille (Diku). De la sorte, l’enfant peut détenir son droit

d’aînesse de son père ou de sa mère. Cela revient à dire que les enfants nés du père détenteur

du droit d’aînesse obtiendront le même droit à leur naissance par rapport au reste de la famille

clanique (Diku). Avec leurs descendants, ils constituent la lignée aînée. Toutefois, parmi eux,

certains enfants ont traditionnellement plus d’autorité et de privilèges que les autres. En

l’absence du père, c’est le fils aîné qui le remplace. L’aîné de la lignée vient en première

position par rapport à ses frères et sœurs puînés et au reste de la famille. De même, en cas de

polygamie, la première femme qu’on appelle « Muadi-Mukulu » ou encore « Mukaji Muadi »

a la préséance sur ses coépouses. Ses enfants viennent en première position par rapport aux

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enfants d’autres femmes (nés du même père). Une sorte de hiérarchie de respect s’établit

entre les enfants en fonction de l’ordre d’arrivée de leur mère dans la famille. Mais cette

hiérarchie n’est pas visible dans les rapports entre les enfants qui doivent se respecter

mutuellement en fonction de leur âge. Elle ne se fait sentir que dans les rapports entre les

vivants et les morts et dans toutes les manifestations où les ancêtres sont censés intervenir.

Dans ces manifestations, c’est l’aîné qui doit présider toutes les cérémonies des « Milambu »

offèrent aux ancêtres et aux morts. On lui offre également les dots des filles des frères ou

sœurs puînés :

Biuma bia Mulambu ou Milambu, c’est-à-dire les dots de l’offrande.

b) Le respect dû aux plus jeunes et aux personnes âgées

Inversement, les parents et les aînés sont eux aussi tenus à la pratique de la vertu de respect

par rapport aux plus jeunes. Ceux-ci bénéficient aussi des mêmes droits et de la même

considération. Car il y va de l’harmonisation de la relation et de l’équilibre social dans

l’ensemble de la communauté. C’est une sorte de marque du savoir-vivre-ensemble, du

savoir-être et de la recherche du bonheur partagé. Cette marque s’étend aussi au respect de

toute personne vivant dans une situation délicate selon son âge avancé ou selon qu’elle a une

malformation physique ou mentale. Il s’agit du respect dû aux personnes âgées et aux

personnes vivant avec une certaine déficience. La personne âgée du fait du trésor de la

sagesse qu’elle incarne et qu’elle possède mérite une attention particulière. Pour le peuple

Luba-Kasaï, la vieillesse n’est pas une raison de maltraitance, mais une raison de

reconnaissance et de bienveillance. Il en va de même pour toute autre personne ayant une

sorte de déficience. Ici il est strictement interdit d’insulter, de maltraiter ou de s’en moquer.

Dans les gestes comme dans les paroles, celui qui manque de respect à cette catégorie de

personnes encourt une malédiction de la part de Dieu Maweja et des ancêtres. Ainsi que le

confirme ce dicton :

Kuseki Mulema upanga kufua disu wa tshibuka mokolo : ne te moque pas ou ne

rit pas d’une personne âgée ou d’une personne avec déficience, si tu ne perds pas

ton œil, tu finiras par te casser la jambe.

La pratique de la vertu de respect en faveur de cette catégorie de personnes semble demeurer

une règle rigoureuse, intransigeante, universelle et imposable à tous les individus. Ceux-ci

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sont conviés à leur apporter secours dans les différentes circonstances et à leur garantir tous

les droits et toute la dignité. Au regard du caractère impératif de cette règle, on peut dire qu’il

s’agit d’une perspective déontologique de l’agir luba. Elle vise aussi bien l’humanité de

l’homme que la personne elle-même. Il s’agit du respect de l’humanité de la personne. Celle-

ci commande par sa nature propre le respect. Le respect dû à la personne âgée, aux malades

ou à une personne vivant avec un handicap, répond ici, chez les Luba évidemment, à la règle

d’Or : « Ne fais à autrui ce que tu détesterais qu’il te soit fait ». La vertu du respect interdit

de faire du mal à autrui, de lui faire un tort ou de lui enlever la vie. Cette règle sociale est

donc intransigeante à telle enseigne qu’elle apparaît comme l’un des fondements

indispensables de la morale luba visant l’équilibre social et le bonheur, partant le maintien

naturel de l’harmonie des rapports entre les membres avec toute la communauté de destin.

Elle est une marque de sollicitude, de sympathie, de bienfaisance et d’affection. Car elles

sont toutes un seul et même vécu. Cette vertu s’applique aussi dans l’exercice de la parole

d’autorité.

6. La parole d’autorité

a) Les prérogatives du tenant lieu

À la parole de la bienveillance et de respect se relie aussi le discours d’autorité. Il s’agit,

d’une part, de la parole d’une personne qui est qualifiée et qui est revêtue du pouvoir d’agir

soit pour son compte, soit sur quelqu’un d’autre, soit sur sa communauté ou soit encore sur

quelque chose, et d’autre part, c’est la parole de quiconque qui est en droit de jouir d’un

traitement respectueux et digne de la part de celui qui a autorité sur lui. Dans l’univers luba,

cette tâche revient souvent à un individu adulte qui s’engage librement vis-à-vis des tiers ou

de la communauté en respectant scrupuleusement la sagesse de la vie pratique et les règles

morales. Le mari, le père, l’ainé, le propriétaire, le groupe social dont on fait partie

représentée par son chef ou encore par les tenants lieux possèdent des droits et l’autorité sur

d’autres personnes, sur la communauté ou encore sur les choses. Les parents ont pouvoir sur

leurs enfants, les maris sur leurs femmes, les aînés sur les puinés, les propriétaires sur leurs

biens, les groupes sociaux et les chefs sur leurs sujets. Ceci revient à dire que ce sont ces

responsables qui ont la parole à dire :

Bobo ke badi ne Diyi kuamba : les tenants ont la parole d’autorité.

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Ba Mfumu ke badi bafunda ne balombola : ce sont des responsables qui ont la

parole d’autorité et ordonnent.

Dans ce sens, prendre la parole ou mieux parler signifie d’une part, rappeler ces prérogatives

et, d’autre part, les revendiquer lorsqu’elles ne sont pas reconnues par tous les membres de

la communauté de destin. Dans le même ordre d’idée, ceux qui sont placés sous l’autorité

peuvent eux aussi prendre la parole et parler pour revendiquer à leur tour d’être bien traités.

On dirait même qu’Il y a là une sorte de dialectique qui reflète un trait essentiel de l’éthique

de la responsabilité partagée et partant du vivre-ensemble. Ainsi que les Luba-Kasaï le disent

eux-mêmes :

Muena Bula wa sama, kulua kudia bufuku ou butuku. Ce qui revient à dire que

celui qui a la parole d’autorité a en même temps la lourde responsabilité de dire

le droit, de faire régner l’ordre et le respect de la vie en commun, de restaurer la

paix là où il y a des conflits, de restaurer la justice là où il y a l’injustice.

Dès lors, un membre qui est investi de cette autorité, mais qui n’est pas capable de l’exercer

correctement inquiète toute la communauté qui est prête à le destituer. C’est en fait l’idée de

l’aîné espéré que nous avons évoquée toute à l’heure qui semble exprimer l’inquiétude : En

témoignent les dictons tels que :

Mukulu muindila walua ditapa nsesu : l’aîné attendu, mais qui n’est pas capable

d’assumer correctement son rôle, sa responsabilité, son autorité.

Mukulu tshipungulu ou Muana a bute tshipungulu : l’aîné qui n’est pas sage, qui

n’assume pas adéquatement sa responsabilité, et qui finalement n’a pas une

parole d’autorité au sein de la famille ou encore dans la communauté clanique

(Diku).

On peut donc déduire que la parole d’autorité a un rapport direct avec les prérogatives du

tenant lieu, mais aussi avec la responsabilité et le respect de la dignité, des droits et libertés

politiques individuelles des membres pour qui on assume cette même responsabilité.

b) Le mauvais usage de la parole d’autorité

Dans le contexte luba, la parole de l’autorité se doit de s’exercer en public ou dans la

communauté de destin. Le tenant est invité à être ouvert à tous. Car une parole non exprimée

(le repli sur soi) donne lieu à l’émergence des sentiments de dureté, de haine, de vengeance

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et de destruction. Ainsi ceux qui les entretiennent développent le « Kaninganinga » ou « Le

dijita », une sorte de nœud. Le « Kaninganinga » crée, en effet, chez l’individu qui l’entretient

une sorte d’état de dépérissement pouvant entraîner l’amaigrissement ou des graves maladies

psychosomatiques, et même la mort dans certains cas comme le suicide. Alors que le

« Dijita » est une sorte de rancune qui dans bien des cas peut pousser l’individu à la vengeance

ou à la volonté de nuire à autrui ou encore à lui-même.

Les Luba-Kasaï assimilent ces deux attitudes au Buloji, au Mupongo ou au Bulowa, c’est-à-

dire à la sorcellerie dans la mesure où elles peuvent causer la mort d’hommes. Aussi, prises

du point de vue des conséquences qu’elles entraînent dans la vie des individus, les deux

attitudes constituent également l’expression du mauvais usage de la parole d’autorité.

Ce mauvais usage de la parole d’autorité peut amener l’individu tenant lieu, au nom de son

autorité, à prononcer des paroles de malédictions ou des anathèmes contre l’un ou l’autre

membre de la communauté. Dans la langue Tshiluba, ces paroles sont appelées :

Mutshipu (singulier) ou Mitshipu (pluriel) : les malédictions.

Mulawu (singulier) ou Milawu (pluriel) : les anathèmes ou les jurons.

Tel est le cas d’un père sur son enfant, d’un mari sur sa femme, d’un chef sur ses sujets ou

d’un aîné sur un puiné. Mais l’inverse se produit aussi souvent. Les victimes présumées

innocentes mais qui se sentent lésées peuvent, elles aussi, prononcer des anathèmes, des

Mitshipu ou des Milawu contre leurs protecteurs pour abus de pouvoir. Les anathèmes ainsi

prononcés par les uns ou par les autres ont le même impact, ou mieux les mêmes effets

pervers sur les personnes en question.

En réalité, ces Milawu ou ces Mitshipu sont généralement conditionnelles et visent celui qui

a mal fait ou qui a commis une faute : ce sont des paroles par lesquelles on souhaite du mal

à quelqu’un en appelant sur lui la colère de Dieu, ou encore une sorte de condamnation au

malheur prononcée par celui qui a autorité. Malheur auquel on semble se vouer ou vouer sa

destinée. Dans ce cas d’espèce, si un malheur survient à la suite d’un Mutshipu, on se

convainc que le Mutshipu wa ku mukuata : la malédiction l’a effectivement atteint ou un

malheur lui est effectivement arrivé. Il en va de même du Mutshipu prononcé par celui qui

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prétend être innocent, mais qui semble être injustement condamné par l’autorité. Ici aussi, la

conditionnalité est nettement appliquée. L’individu qui se sait innocent prononce les paroles

que l’on peut désigner par l’expression : Lusanzu, lamentations, les Jurons :

Pa Ngikala muenza bibi nfua. Pa Ngikala tshiyi ne bualu (tshiyi muenza tshilema,

faute) wewa ufua : Si j’ai mal fait (commis la faute), si j’ai détruit la vie d’autrui

que je meurs. Si je suis innocent au cœur immaculé, que le malheur et la mort

s’abattent sur toi-même, sur tes enfants et sur ta famille. C’est-à-dire sur l’autorité

du chef et de toute sa progéniture.

Il existe aussi le Mutshipu collectif, qui s’adresse à un ensemble des situations qui viennent

déséquilibrer la vie de la communauté. Il s’agit de « Tshipumba ou Tshifingu ». Il est souvent

utilisé dans le but de conjurer les catastrophes naturelles, les famines, les graves maladies,

les malheurs, les graves épidémies, les attaques des ennemis ou encore les mauvaises

récoltes, dont on ignore précisément l’origine. De ce point de vue, on peut dire que les Luba

attribuent toutes les situations de malheur aux sorciers ou aux malveillants jeteurs des

mauvais sorts. Pour conjurer ces malheurs et détruire les pensées perverses des sorciers, les

hommes organisent les différentes formes de Mutshipu (singulier), Mitshipu (pluriel). Pour

exécuter ces Mitshipu, on recourt aux femmes. Celles-ci sont censées être investies d’un

pouvoir surnaturel et irrésistible en vertu de leur rôle de source de la vie et de gardienne de

secrets de la communauté de destin. Ainsi mises à l’avant-plan et à moitié nues, elles circulent

dans tous les villages, dans toutes les rues ou dans les lieux publics prononçant des

malédictions sur les pervers.

Le « Mulawu », lui, s’adresse à un individu reconnu réellement coupable ou ainsi présumé.

Une fois que celui-ci reconnaît lui-même sa culpabilité, il est tenu de se blanchir soit par un

aveu, soit en s’acquittant d’un paiement symbolique auprès de celui qui lui a proféré la

malédiction ou auprès de quelqu’un de la famille qui a le même rang et qui peut jouer le

même rôle, soit encore il s’adresse directement à l’ensemble des membres de la communauté

de destin. Un enfant dont le comportement est jugé indigne, et qui a été victime du Mulawu

de son père ou de sa propre mère est sommé de s’acquitter d’un paiement d’une amende aux

parents à l’égard desquels il a manqué de respect. Il va de même pour tout enfant qui aurait

affiché un comportement indigne à l’égard de ses oncles ou de ses tantes paternels ou

maternels. Mais il peut arriver que le père qui a proféré le Mulawu succombe. Dans ce cas,

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l’enfant s’adressera à son oncle ou à sa tante, qui sont considérés, chez les Luba du Kasaï,

comme des ayants droits et héritiers du défunt père. L’enfant s’acquittera de ses obligations

à l’égard de ceux-ci. Le pacte de sang ou le lien de sang étant plus fort et plus important, la

sœur du père est considérée comme le père, de même que le frère de la mère est mère. Ceux-

ci représentent, sans aucun doute, les parents en cas de disparition. Chez les Luba-Kasaï,

lorsqu’on est membre on se sent lié à la famille, au clan ou au village. Chacune de ces

différentes communautés incarne un pouvoir collectif sur tous leurs membres ; ceux-ci sont

tenus de respecter les règles de la vie et de s’y soumettre.

En fait, la visée éthique de ces genres de pratiques consiste d’un côté à freiner le mal et de

l’autre à promouvoir le bonheur de toute la communauté. Pour cela, il faut éviter tout ce qui

peut amener le désordre et la désolation :

Tshipumba kosesha Nkusu muadi, muadi wa Nkusu kalua kutukebela bilumbu :

Tshipumba (ici gros arbre), arrête les jérémiades du perroquet ou du faucon qui

risquent de nous attirer des ennuis.

Lufu luakafua Nkusu, Tshipumba ne Mutumba biakaluangata : la mort du

perroquet (faucon) avait emporté aussi bien le Tshipumba (gros arbre), que la

souris qui avait sa cachette sous ce gros arbre.

Le mal fait à une personne est fait à toute la communauté d’être. Ce qui induit à affirmer que

le mal commis par un individu est une affaire publique qui concerne tout un chacun d’autant

que le destin de chacun des membres est lié à celui de la communauté :

Lusua lumue lua kabolesha Nsua yonso : une seule fourmi avariée a fini par faire

pourrir toutes les autres.

C’est dans cette optique aussi que le mal s’avoue en public et les sanctions ou encore les

conseils se donnent au vu et au su de tous. D’où la belle expression luba-kasaï :

Tshikuyi tumukuluila musenga, Muntu wa tshilema tumuambila pa bantu :

Tshikuyi (un arbre) dont on peut extraire certains ingrédients, les conseils et les

correctifs à un fautif ne peuvent lui être administré qu’en public, et donc dans la

communauté.

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L’individu incriminé est tenu non seulement de reconnaître et d’avouer sa faute, mais

également de se conformer aux conseils et aux règles sociales. Car il y va de la survie et du

bonheur partagé aussi bien de lui-même que de toute sa communauté de destin.

Au demeurant, la parole d’autorité qu’elle soit directement prononcée par un père, une mère,

un oncle paternel, un chef ou encore par l’ensemble des membres vise l’équilibre social,

l’harmonisation de la relation humaine et la promotion du bonheur de tout un chacun et de la

communauté de destin. Les malédictions ont certes un impact négatif sur l’individu, mais

elles sont prononcées pour freiner le mal ; si le tenant lieu abuse de la parole d’autorité, il est

désavoué par l’ensemble de la communauté ; les conseils qui se donnent en public ne visent

pas l’humiliation de l’individu, mais le rétablissement de l’harmonie et l’intégration du

coupable dans la communauté. Tout cela n’a qu’un seul objectif : promouvoir la vie et le

bonheur partagé. Reste que cette parole joue un rôle important dans les rapports

interpersonnels entre l’homme et la femme unis par un lien matrimonial vital.

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CHAPITRE TROISIÈME

L’ÉTHIQUE SEXUELLE ET LA FAMILLE CONJUGALE

1. L’institution du mariage et la promotion du bonheur

a) Le mariage : cadre idéal de la pratique de la sexualité

Dans la culture luba-kasaï, la sexualité est une chose à la fois interdite et permise, sacrée et

profane, dangereuse et bénéfique. En ce sens, il n’est pas question de l’approcher ou de la

pratiquer librement hors des règles sociales et coutumes établies. À cause de ces règles, les

jeunes n’ont accès à la sexualité que dans le seul cadre de l’institution du mariage. En d’autres

termes, la pratique de la sexualité dans cette culture passe par le dressage de l’instinct à

travers la discipline rigoureuse de l’institution. Paul Ricœur souscrit entièrement à cette règle

lorsqu’il affirme : « Nulle société moderne pourtant n’envisage de renoncer à canaliser tant

bien que mal et à stabiliser le démonisme d’Éros par l’institution de la famille conjugale »80.

C’est au sein du mariage que l’homme et la femme se donnent l’un à l’autre pour le meilleur

et pour la vie, et se réalisent pleinement comme personnes dans le respect mutuel et l’amour

réciproque. Cela revient à dire que la pratique de la sexualité chez les Luba-Kasaï ne vise pas

la jouissance éphémère du plaisir, elle va au-delà en instituant le lien conjugal comme le lieu

d’émergence de la vie. Quand bien même on peut supposer que le plaisir par l’usage

réciproque des facultés sexuelles en serait l’unique fin, le contrat de mariage ne serait pas

chose arbitraire, mais au contraire un contrat nécessaire d’après la loi de l’humanité.

Autrement dit, chez les Luba, si l’homme et la femme veulent jouir de leurs facultés

sexuelles, ils doivent nécessairement se marier et ceci est nécessaire d’après les lois

juridiques de la raison pure.

Le mariage reste donc le cadre idéal où les partenaires, les époux peuvent avoir le sentiment

d’appartenir totalement l’un à l’autre sans être hantés par l’angoisse du provisoire où on sait

qu’il ne s’agit peut-être que d’un bonheur de quelques heures ou de quelques jours (le rapport

80 P. Ricœur, Histoire et vérité, p.203. Voir aussi les textes de : Mvumbi Ngulu Tsasa, « Esquisse d’une éthique

sexuelle fondée sur le caractère relationnel de la sexualité », in Éthique et Société. Actes de la 3e Semaine

philosophique de Kinshasa, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1980, p. 117 ; Wola Bangala,

« Sexualité et politique », Pensée Agissante 4/7(janvier-juin 1988), p.47-52. (La sexualité, une communauté à

deux) ; W. Trobisch, Ma femme m’a rendu polygame, Allemagne, Éd. Trobisch, 1978, p. 28, 47-48. Les raisons

de la polygamie sont multiples et complexes : la jalousie, l’exhibitionnisme, le snobisme, etc.

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sexuel entre deux amis, entre deux amants et maitresses, ou encore entre-deux fiancés). Dans

ce cadre aussi, la pratique de la sexualité devient ainsi fondamentalement une communauté

à deux, dans la mesure où on ne peut la vivre en toute dignité, en tant que partage et

communion à l’intimité profonde d’autrui. C’est de là qu’est venue l’institution du

mariage qui, dans toutes les sociétés civilisées d’aujourd’hui, est du reste monogamique.

b) Le Dibaka, une tâche et une exigence

Le pari de l’éthique sexuelle luba en dépit des risques qu’une telle règle peut entraîner, le

mariage reste la meilleure chance de la tendresse, le seul lien normal où peut se réaliser la

promotion du bonheur, la règle de justice, de respect, de réciprocité, d’égalité des droits et de

reconnaissance mutuelle. Aussi, l’éthique sexuelle luba tout en intégrant la procréation dans

la pratique de la sexualité, montre que la finalité du mariage et de l’activité de la sexualité

elle-même est la perfection de la relation humaine et interpersonnelle, la réalisation de la

stabilité et l’épanouissement non seulement des partenaires, mais également de toute la

communauté de destin. C’est en fait cela que semble traduire le Lexème luba « DIBAKA »

que l’on peut décliner de la manière suivante :

DI : Dinanga (Amour).

BA : dia Babidi (de deux).

KA : bua Kashidi (pour toujours).

Il revient à dire que DIBAKA (Mariage) est « l’amour de deux pour toujours ». C’est par la

médiation ontologique de cette institution que l’homme et la femme honorent la

communauté, atteignent pleinement leur humanité et humanisent en même temps la pratique

de la sexualité à travers une discipline aussi coûteuse à bien des égards. Il se noue là un

certain pacte tout à fait précaire entre l’Éros et l’institution du mariage qui n’est pas sans

contrepartie, sans grand sacrifice, sans abnégation, sans souffrances ou même parfois sans

destruction d’humanité.

En tout état de cause, le mariage reste le pari cardinal de la culture luba-kasaï quant à l’éthique

et la pratique de la sexualité. Mais ce pari n’est pas entièrement gagné, sans aucun doute ne

peut-il être entièrement gagné. C’est pourquoi le procès de l’institution du mariage et de la

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vie conjugale reste une tâche possible et utile, légitime et bénéfique, exigeante et urgente.

Les règles socioéthiques sont indispensables pour éduquer et autodiscipliner l’inclination

sexuelle des hommes en vue de la réalisation du bonheur. Ces règles sociales constituent

une sorte de spiritualité africaine du mariage qui, dans le contexte luba-kasaï, privilégie

ainsi la vie conjugale et l’institution du mariage dans son rapport avec l’amour et le partage.

2. Les règles sociales et la transmission de l’éthique sexuelle

a) Les prohibitions

Pour éduquer les jeunes générations à l’usage sexuel, les Luba-Kasaï ont institué des rites,

contes, chants, interdits, proverbes, croyances et même des arts plastiques. Car la sexualité

est de l’ordre du sacré, et ce, dans la mesure où elle est étroitement liée au mystère de la

vie et de la procréation. D’où elle tombe sous le coup de la prohibition et n’est permise que

dans des conditions suffisamment réglementées par la loi, dont les ancêtres et en deçà

d’eux, les génies sont les garants. Par voie de conséquence, la sexualité est positivement

présentée comme une affaire des adultes, mais à préparer, à initier et à apprêter depuis

l’enfance puisqu’affaire de toute la communauté de destin. Comme l’affirme aussi

Demaison : « La sexualité n’est pas faite dès la naissance. Nous devenons hommes et

femmes au terme d’une longue maturation autant culturelle que physiologique, par des

conduites apprises et par des identifications en partie conscientes et plus ou moins réussies,

aux images et aux modèles que les sociétés imposent en les légalisant et parfois en les

sacralisant »81.

Grâce aux règles et prohibitions, les mœurs restent intactes et saines. On peut même dire

que les avortements provoqués, l’immoralité, les débauches ou la prostitution, la précocité

sexuelle des jeunes filles et des jeunes gens, l’homosexualité, la pédophilie ou le viol des

femmes et des jeunes filles, tout cela semble être inconnu dans cette société luba-kasaï.

81 M. Demaison cité par G. Buakasa Tulu Kia Mpasu, « La sexualité d’une culture à l’autre », p.66. La pratique

de la sexualité est un baromètre de la maturité de la personne.

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b) Le paradigme de la virginité de la fille

Dans cette culture, les filles sont censées se garder vierges et les jeunes gens sont tenus au

respect de l’intégrité physique de la jeune fille, à la continence jusqu’à l’âge de maturité.

Étant en honneur, l’intégrité physique de la jeune fille est considérée par ses proches

comme une sorte de dignité aussi bien pour la fille elle-même que pour toute la

communauté de destin. Par l’observation de ces règles sociales et éthiques et par une vie

exemplaire et digne, elle attire l’estime des membres de la communauté, et de ce fait, elle

est présentée en exemple aux autres jeunes générations. Aux antipodes, une fille déjà

déflorée avant de s’engager dans le mariage fait non seulement sa propre honte, mais aussi

celle de sa famille et de toute la communauté de destin. Ici c’est plus la mère de la fille qui

souffre grandement pour autant que sa fille lui fait perdre la face et la récompense réservée

aux mamans, ce que les Luba-Kasaï désignent par l’expression :

Mbuji wa Nyima : la chèvre du dos, signe manifeste de la sauvegarde de

l’intégrité physique de la jeune fille, signe du bonheur.

La mère, les tantes, les sœurs et les grands-parents se trouvent dans ce cas, malgré leurs

stricts conseils, indignés et déçus. Ainsi pour éviter tout désagrément ou encore mieux les

possibles tentations de la jeune fille, les mythes, les contes, les proverbes et les croyances

sont abondamment utilisés dans l’enseignement, tandis que le sens et le contenu des

interdits et même des arts sont expliqués aux jeunes générations. En les regroupant, la

substance de toutes ces choses traduit à la fois l’inquiétude et l’espoir que les parents et au-

delà d’eux les ancêtres et les fondateurs peuvent avoir. Cette règle de la virginité de la jeune

fille constitue un critère essentiel du bonheur de la vie conjugale et de l’espérance de

l’institution du mariage. Son intransigeance est un fondement pour l’équilibre et la stabilité

de la fille une fois engagée dans la vie conjugale. Cette règle ou plutôt ce paradigme de la

virginité de la jeune fille semble se réduire non seulement à une morale rigoureuse de

commandement, mais également à une éthique de la responsabilité. La fille est tenue à se

comporter avec responsabilité en évitant de se compromettre par un acte sexuel hors du

mariage. Le Cardinal Joseph Malula traduit ce principe en ces termes : « Ne connaître des

rapports sexuels qu’avec ton mari, car tu ne peux pas nous faire perdre la face, ni la chèvre,

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ni la poule, signe que nous t’avons bien gardé »82. La sexualité de la jeune fille est une

valeur pour la communauté luba-kasaï, qui voit en elle la vie à transmettre et le bonheur à

promouvoir.

Cependant, ce critère de virginité de la jeune fille avant le mariage ne rencontre pas souvent

l’approbation de bien d’auteurs et penseurs africains ou Luba-Kasaï. On peut citer en

exemple le point de vue de Tshibanda, qui croit trop peu à ce principe éthique luba-kasaï

qu’il considère comme étant un moyen subtil d’aliénation de la femme en général et de la

jeune fille Luba-Kasaï en particulier. Ainsi avec humour il affirme : « Quand le Muluba du

Kasaï préfère pour fiancée une fille vierge, nul homme du Tibet ne prendrait pour femme une

fille pucelle, disant qu’elle ne vaut rien du tout si on ne s’en est jamais servi et si elle n’est

pas accoutumée à coucher avec les hommes »83. Mais comme pour dire son désaccord vis-à-

vis de Tshibanda, Jacques Rytinx cite, pour sa part, les Baluba du Kasaï en exemple parmi

les peuples bantous, qui sont stricts sur la question épineuse de la virginité des jeunes filles

avant le mariage, principe éthique qu’il semble apprécier à sa juste valeur : « Si vous voulez

des enfants, allez-vous marier chez les Baluba où la virginité est un préalable et une

garantie »84. En allant dans le même sens que Jacques Rytinx, Monseigneur Bakole wa Ilunga

souligne lui aussi : « Dans la tradition luba, la femme était hautement respectée, la virginité

des fiancés était réellement considérée comme étant un honneur et un bonheur pour le clan.

Que l’on se souvienne de la chèvre de la virginité »85.

De toute évidence, malgré la polémique et les divergences des points de vue entre les

moralistes africains ou autres penseurs sur la question de la virginité, l’intégrité physique de

la jeune fille avant le mariage reste un véritable pari d’honneur et de bonheur bien gagné chez

le peuple Luba-Kasaï. Considérée comme source de la vie, gardienne du secret de la vie et

82 J. Malula (Cardinal), Je m’engage à rester chaste. Lettre pastorale, Kinshasa, Éd. Lindongue, 1986, p.6. Voir

aussi : J.F. Thiel, « Éléments d’anthropologie culturelle relatifs à l’institution du mariage », Concilium 55

(1970), p. 13-23 ; L. Frobenius, Mythes et contes populaires des riverains du Kasaï, Bruxelles, Louvain-la-

Neuve, 1934, p. 60-61. 83 W.B. Tshibanda, Femmes libres, femmes enchaînées : la prostitution au Zaïre, Lubumbashi, Éd. Saint Paul, 1986, p.79. 84 J. Rytinx, La morale bantoue et le problème de l’éducation morale au Congo, Bruxelles, Éd. De l’Institut de

sociologie, 1968, p.79-81. 85 M. Bakole wa Ilunga (Mgr.), L’assassinat de l’amour. Lettre pastorale n°23, Kananga, Éd. L’Archidiocèse

de Kananga, 1980, p. 99. Voir aussi C. Yezi, C., « La structure du mariage coutumier des Baluba », Problèmes

sociaux congolais 82 (1968), p.3-92. Les prohibitions permettent une meilleure vie conjugale.

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de la culture, la femme dans cette communauté est tenue à se regarder elle-même comme une

valeur intrinsèque. C’est aussi pourquoi son intégrité physique devient une affaire de la

communauté de destin. Cette pratique éthique luba-kasaï offre à la communauté les

meilleures raisons pour élaborer des règles, des lois et des prohibitions qui non seulement

structurent le mariage, mais également orientent les individus, plus encore les générations

nouvelles à l’équilibre et à la maturité dans la pratique sexuelle et la vie conjugale.

c) Les aspects des règles sociales

Dans la pratique, les Luba relèvent deux aspects des règles sociales et éthiques qui illustrent

le sens même de l’enseignement sur la pratique de la sexualité telle qu’elle est vécue dans la

communauté. D’abord, les interdits impliquant la vie du couple lui-même. Dans cet univers,

le lien de sang est sacré. Ce sang, comme le dit Ngandu Nkashama, ne peut être mélangé

c’est-à-dire « Mashi Masambakaja »86. De la sorte, les frères et les sœurs de la femme sont

d’office apparentés au mari. Ils ont tous le même sang. Par conséquent, un rapport sexuel

avec l’un d’eux tombe sous le coup de « Tshibindi », l’inceste. En ce sens, même les parents

de la femme deviennent aussi les parents de l’époux. Avoir des relations sexuelles avec l’une

des tantes de sa femme équivaut à avoir ces mêmes relations sexuelles avec ses propres tantes.

Car il n’est pas du tout exclu que les effets pervers provoqués par le Tshibindi de l’inceste

s’étendent au-delà du groupe social auquel ils se réfèrent le plus directement, débordant ainsi

le champ de son action. Ainsi que l’illustrent ces principes :

Ne gaspille pas ta virginité (fille ou garçon).

Garde-toi des relations sexuelles hors du mariage (fille ou garçon).

Tu n’auras pas des relations sexuelles avec tes frères ou tes sœurs, tes cousins ou

encore tes cousines.

Tu n’auras pas des relations sexuelles avec le conjoint ou la conjointe de ton frère

ou de ta sœur, de ton cousin ou de ta cousine.

86 Ngandu Nkashama, « La parole africaine et la métaphore cosmique », Cahiers des Religions Africaines

13/25(1979), p.41-88 ; 15/29 (1981), p.5-40. Dans cet univers, le mélange de sang provoque toujours des

situations de mort dans la famille clanique. Le mariage entre les membres d’une famille proche ou lointaine est

prohibé.

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Tu ne connaîtras pas sexuellement ton père ou ta mère, ton oncle ou ta tante.

Tu ne connaîtras pas sexuellement ton beau-père ou ta belle-mère, ni aucun

parent (tante, oncle) de ton conjoint ou de ta conjointe.

La transgression de toutes ces règles sociales et éthiques constitue ce que les Luba-Kasaï

appellent le « Tshibindi », l’inceste qui, dans bien des cas, engendre des effets néfastes.

C’est autant dire que le Tshibindi-inceste peut entraîner la naissance des enfants avec une

malformation physiologique chez les individus qui l’auraient contracté ou plus fort encore

peut causer la mort d’un membre de la famille, étant donné qu’il revêt une sorte de force

maléfique ou une sorte de sorcellerie. Pour pallier à ces situations, la communauté luba-kasaï

a prévu des rites de purification, de réparation et de restauration, qui consistent à sauvegarder

la vie des infortunés et à préserver l’équilibre social. Certains rites de purification par le sang

d’une chèvre ou d’une poule se passent en public sous le regard de l’ensemble des membres.

Ensuite, il existe aussi dans cette communauté des lois sociales qui concernent la

communauté et obligent tous les membres d’avoir un comportement digne et irréprochable

vis-à-vis de l’éthique sexuelle. Ces interdits visent plus l’attitude de l’époux ou de l’épouse à

l’endroit des beaux-parents. Car chez les Luba, les beaux-parents sont considérés avec

beaucoup d’égards comme des « rois » :

Mukalenga Kena ne Mfumwende, wende Mfumu Mmuku wende : le chef n’a pas

de supérieur, sinon ses beaux-parents.

Il s’agit là du respect dû à ses beaux-parents, qui se traduit sous la forme de lois. En témoignent

des restrictions telles que :

Il est interdit de déstabiliser sa femme en public, c’est un affreux affront à la

femme et à sa famille (belle-famille).

Il est interdit d’appeler ses beaux-parents par leurs noms, sous peine d’amandes.

Il est interdit de s’asseoir près de ses beaux-parents ou de les regarder dans les

yeux, on risque la désapprobation ou l’amende.

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Il est interdit de saluer ses beaux-parents par la main ou par un geste de la tête,

on risque une désapprobation ou une amende. Ici, la règle concerne plus la belle-

mère ainsi que toutes les tantes de l’épouse, mais il n’y a pas de sanctions bien

connues.

Il est interdit d’insulter ses beaux-parents. C’est un geste indigne qui entraîne la

désapprobation sociale ou l’amende.

Il est interdit d’insulter ou de diffamer le nom de son gendre ou de sa bru. C’est

un comportement immoral qui entraîne la désapprobation sociale ou l’amende.

Il est interdit d’entrer dans la maison des jeunes mariés avant l’invitation

officielle, on risque une amende pour avoir violé l’intimité des mariés et le

respect de l’engagement contracté dans le temps et l’espace, malgré les

circonstances aléatoires qui peuvent arriver.

Il est interdit aux beaux-parents de se retrouver ou de s’amener tous deux au

même moment dans la maison ou dans la cour des mariés, on risque une amende.

Il est interdit à la belle-mère de séjourner dans la même maison que son gendre

au motif qu’elle est venue assister sa fille « Kukola Muana ».

Il est strictement interdit au beau-père de plaisanter avec sa bru, on risque la

désapprobation et l’amende. Ici l’idée de fond est d’éviter au beau-père de tomber

amoureux de la femme de son fils.

Comme toutes les autres règles sociales et éthiques luba, ces interdits servent à la promotion

du bonheur partagé, au maintien de l’équilibre social et à favoriser une vie humaine

respectueuse dans la communauté. Comme le dit Tshibalabala Kankolongo, par l’observation

stricte de ces règles sexuelles, on a même l’impression que les Luba du Kasaï ont opéré un

passage intelligent « De la morale de commandement à la véritable éthique de la

responsabilité partagée »87.

d) Les canons de transmission

L’éthique sexuelle luba non seulement se vit dans un cadre institutionnel bien connu, elle se

transmet aussi aux générations à travers les proverbes, les contes, les chants, les fables, les

87 A-B. Tshibalabala Kankolongo, Les interdits traditionnels africains luba-kasaï, p. 238-245. Ces règles et

interdits constituent ce qu’il appelle « la morale de commandement », laquelle morale doit être traduite en une

sorte de « morale de la responsabilité ».

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énigmes-nshinga, les jeux et les arts plastiques et vise par-dessus tout le bonheur partagé de

chacun des membres de la communauté de destin. En témoignent les proverbes tels que :

Dibaka nkasaka kambuila Muena menji kambuila Kapumbe kitshikila mu Mayi :

le mariage est une petite corbeille qui ne peut être portée que par un sage, le sot

la renverserait dans l’eau.

Mukaji wa diandalala kansombela bidimu mu Dibaka : une femme agitée et

envieuse ne reste pas longtemps dans le mariage.

Badiadia, badiadia wa ka fuisha Bayende muitu : une femme qui envie trop les

choses d’autrui, finit toujours par faire mourir son conjoint.

Mukaji wa tshiya kuabo ne ba muelela nsengelu kuabo : pour une femme mariée

qui à la moindre brouille avec son conjoint rentre chez elle, on finira par lui faire

construire un grenier. Ici l’idée de fond est qu’elle finira par retourner

définitivement chez ses parents.

Mukaji nkaseba ka Kabundi kabatu ba pa somba babidi to : la femme est comme

la peau du petit renard, on ne peut s’y mettre à deux. Ici l’allusion est faite au

respect de la loi de la fidélité de la femme dans le mariage.

Mukaji ntshitutu tshia bowa, katshitu tshikuama pa mikolo ibidi to : la femme ne

peut avoir deux hommes ou deux époux à la fois. C’est une règle de vie laissée

aux générations par les ancêtres.

Mukaji nkambele wa sungula kadi kakole : la femme est comme une arachide, il

faut choisir celle qui a déjà atteint la maturité.

En définitive, dans cet univers, la femme doit être mature avant son engagement dans le

mariage et la vie conjugale. Il s’agit en réalité du sens de responsabilité que peut assumer

la femme aussi bien dans son foyer que dans la communauté. La règle de la fidélité et les

interdits favorisent l’équilibre social, mais aussi permettent aux uns et aux autres d’assumer

la responsabilité pour une meilleure existence commune. Bref, on peut dire que toutes ces

choses consistent encore aujourd’hui, du moins en théorie, à contraindre les jeunes

générations au respect de la vie et à la pratique sexuelle. La vie conjugale paraît dans ce

contexte comme un lieu nécessaire de la réalisation de la vie et du véritable bonheur

partagé. Cependant, on peut reconnaître que dans cette culture, on connaît également des

diverses situations comme le divorce, la maladie ou le décès qui sont souvent à la base de

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la vie célibataire, la vie austère, solitaire ou l’indifférence de certains individus vis-à-vis

du lien conjugal.

Mais aussi à voir la rigidité de cette culture en matière de la pratique sexuelle, on peut dire

qu’elle nie les droits des individus à faire le choix du mode de vie. De l’autre côté aussi,

on peut observer que les Baluba n’ont pas cherché à imposer des prohibitions ou des

interdits comme pour sévir les humains, mais plutôt pour établir un équilibre social et

communautaire. Il s’agit d’une meilleure prise de conscience de la responsabilité commune

pour maintenir le respect de la pratique sexuelle comme un acte humain et orienter les

jeunes générations à la maturité, à la responsabilité et à la recherche du bonheur partagé.

Car on n’est pas adulte à la naissance, on le devient à travers les étapes d’apprentissage et

de mûrissement. Certes, cette culture n’est pas la meilleure des cultures, mais elle reste

tendue vers une sorte d’organisation et de protection de la société à travers des lois et une

pratique saine de la sexualité.

3. Le Gage d’alliance et la dignité de la femme

a) La structure bipolaire de la nature humaine

Le combat mené par les féministes et les différentes organisations de défense des droits des

femmes a toujours consisté à restituer à la femme toute sa dignité et toute sa place dans la

société en tant que personne. Ce combat est souvent dirigé contre une conception

traditionnelle et rétrograde, qui considère la femme comme étant un être inférieur au service

de l’homme, refusant par ce fait même toute complémentarité. Pourtant, en considérant

l’humanité dans sa structure bipolaire, à savoir l’homme et la femme, on peut affirmer que

l’un a besoin de l’autre et vice versa. Du fait que tout être humain est sexué, c’est-à-dire

structuré particulièrement dans son être relationnel, dans son besoin radical de rencontre, de

don de soi et d’amour, on ne peut plus parler de ce besoin propre à la personne comme d’un

besoin abstrait, sans lien avec le sexe affectif de l’individu. En effet, chaque sexe spécifie

l’activité de la personne, donne une coloration, une impulsion et une affectivité propre à son

mode d’aimer et de vivre en société. Ce qui s’affirme ici, nous semble-t-il, c’est l’harmonie

du vivre-ensemble qui repose naturellement sur la complémentarité de deux sexes. Pareille

complémentarité défie toute banalisation de la dignité de la femme et du beau sexe. De ce

point de vue, on ne peut que se rendre à l’évidence du tort du courant traditionnel qui, du fait

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d’avoir privilégié de façon absolue le point de vue masculin, qui n’est qu’un point de vue

particulier, qu’un mode particulier, en ne voyant pas en lui un mode sexué, ait nié la sexualité

comme une structure bipolaire ou alternative.

L’absolutisme du point de vue de l’homme nie la nature même de l’homme dans la mesure

où il fait de celui-ci un monstre qui ne peut vivre que comme un être unique. Or, lorsqu’on

conjugue la vie de l’homme au mode sexuel, en tant que personne, ce point de vue ne tarde

pas à se fondre dans la structure sociale qu’implique son existence. Dans cette perspective,

les Luba-Kasaï ne peuvent qu’affirmer l’harmonie et la complémentarité des sexes comme

d’un véritable accomplissement de l’acte même de la création qui élèvent à son comble toute

l’humanité. Selon la cosmogonie luba, Dieu Maweja créa l’homme et la femme, et leur confia

tout l’univers, et il créa toute chose en paire, masculin et féminin, droit et gauche, l’eau et la

terre ferme, etc. La discrimination d’un sexe par rapport à un autre est vue dans cette

communauté comme un acte ignoble de répugnance.

Les affirmations qui sont de nature à dégrader la femme et l’institution du mariage contrastent

avec la perception africaine du rapport de l’homme avec la femme. Comme nous l’avons

montré auparavant, dans la culture luba particulièrement, la femme est à la source de la vie et

du bonheur aussi bien pour elle-même, pour l’homme que pour toute la communauté de destin.

À ce titre, elle jouit pleinement de sa dignité, du respect et de la protection. La vie sexuelle

devient ainsi un moment de la rencontre des humanités, de l’assomption de la relation

interpersonnelle, de l’harmonie des êtres humains et du bonheur partagé. Étant donné que le

destin de l’homme est toujours lié à celui de la femme, la discrimination ou la dégradation de

la femme est considérée comme une violation de l’acte même de la création. La femme est

l’égal de l’homme en droits et en dignité ; sa dignité est la dignité humaine et non une dignité

de second rang. Elle vaut ce que vaut celle de l’homme.

b) La dot comme gage d’alliance

Les Luba considèrent la dot non seulement comme un gage d’alliance, mais également comme

un moment de la reconnaissance de la fonction créatrice de la femme et du dynamisme

relationnel engendré par ce lien affectif entre elle et son partenaire égal à elle. Dans cette

culture, la dot est d’une part, un geste symbolique de reconnaissance posé par le jeune homme

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et les membres de sa famille à l’endroit de la famille de sa fiancée et, d’autre part, elle est un

gage d’alliance entre les deux familles. Ensemble, les deux familles forment une communauté

de vie et de destin, et en faisant ainsi elles participent et partagent le bonheur des jeunes unis

dans l’amour et l’affectivité pour toujours. Loin d’être une sorte de prix d’achat de l’épouse,

comme pour « Tshintufier » la femme, c’est-à-dire rendre la femme comme une chose qu’on

achète, la dot offerte et acceptée de bonne foi constitue la prise de possession juridique de la

fécondité de l’épouse au profit du clan de son époux, c’est-à-dire une appropriation de la

source de vie et de bonheur que porte toujours en elle la jeune femme. En fait, l’enjeu de la

dot ne consiste pas à se faire de la fortune comme dans un trafic ou dans un commerce de

marchandises, mais à créer une alliance durable entre les familles et de permettre la

transmission de la vie et du bonheur. À ce propos Yezi affirme :

Lors de la donation de la dot, il se scelle une alliance dont l’enjeu et le fruit

escomptés sont une question de vie à transmettre et une relation communautaire

à (r) établir plus que des richesses à augmenter ou de deux conjoints à unir en

société privée et solipsiste, fermée sur elle-même. Par la dot, l’homme et la

femme se sentent ainsi reconnus comme deux êtres égaux en dignité et en droits,

et forment une sorte de cellule de vie et de bonheur88.

De ce fait, ils sont désormais adultes et coresponsables pour transmettre la vie aux autres,

aussi abondante que possible. En bref, ce qui reste important à souligner ici, c’est l’attention

et l’assistance que toute la communauté de destin offre à la femme comme des véritables

garanties, comme des meilleures possibilités d’épanouissement et de promotion d’une vie

totalement heureuse et digne de son nom. Elle lui permet de jouir réellement de son bonheur,

de sa dignité et de ses droits.

4. La polygamie sous la forme polygynique

a) La polygamie reconnue comme une valeur

À la question de la dignité et de l’émancipation de la femme s’ajoute également la délicate

question de la polygamie. Prise dans le contexte moderne actuel, la pratique de la polygamie

ne semble pas faire le poids, et de ce fait, elle apparaît minoritaire. Aussi, considérée souvent

88 C. Yezi, « La structure du mariage coutumier des Baluba », p.43-44 ; Voir aussi Mbuyi Beya, « Faire la

théologie dans la perspective des femmes africaines, la théologie africaine d’ici au synode continental africain.

Assumer la culture et transformer la vie », Nouvelles Rationalités Africaines 4/14 (avril-juin1989), p.56.

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comme une pratique rétrograde qui détruit la vie et « chosifie » la femme, la pratique de la

polygamie semble être sous-estimée à partir de l’enseignement par les missionnaires de

l’Évangile et des lois reposant sur la monogamie et le respect de l’engagement juridique et

religieux du mariage. La diabolisation de cette pratique a amené certains chercheurs à

considérer comme anathème toute personne qui s’y apprête et qui s’y engage. On établit une

nette différence entre le mariage monogamique qu’on tient pour la meilleure forme de vie et

de bonheur, et la polygamie qu’on tente d’exclure de la trame de vie de l’homme. En effet,

on soutient souvent que l’homme étant un être imprévisible, se doit de respecter les

exigences de la pratique de la sexualité. Celle-ci ne peut s’épanouir que dans le cadre du

mariage monogamique. Car le mariage monogamique réussi apparaît comme un acte de

vertu, révélateur de la personnalité d’un individu. Il révèle la capacité d’un homme à

imposer un frein à son infatigable faculté de désirer, en élisant un partenaire de vie à vie et

en prenant ainsi le risque d’enfermer l’absolu (la féminité) dans le relatif (la féminité de

son élue). C’est là, donner la preuve que l’on peut assumer les valeurs transcendantes dans

une hiérarchisation humaine humanisant. Et cela fait grandir l’homme qui y consent.

Quant à la polygamie, on montre souvent une maigre sympathie en considérant l’homme

polygame comme un vorace et un glouton. Car, pense-t-on, dans la polygamie, l’homme

recourt à ce que l’on pourrait appeler la « ruse de l’amour », un filet dans lequel tombent

tous les friands d’une vie sans épaisseur. On se demande même comment un homme pétri

de finitude pourrait-il prétendre être capable d’aimer véritablement plusieurs épouses et

dire à toutes — à tour de rôle — les mêmes mots d’amour avec la même dose de sincérité

et sans qu’il n’ait l’intention d’abuser aucune ou qu’il ne trahisse l’unité de son cœur. On

va plus loin en soulignant que le polygame est l’époux qui a perdu la saveur d’un premier

lien et qui en contracte d’autres, s’exposant ainsi à la voracité, à la gloutonnerie et à

l’impermanence des désirs. De là, on observe la frivolité dans ses choix, l’instabilité dans

sa personnalité, le manque de rigueur dans ses engagements. Le polygame est donc léger.

Placées chacune dans leurs contextes modernes, ces opinions ne sont pas fausses. Mais

ramenée dans le contexte luba-kasaï, la pratique de la polygamie revêt un sens éthiquement

différent ; elle est considérée comme un lieu d’éclatement de joie, d’épanouissement et de

bonheur, lieu où la femme garde toute sa dignité et toute sa place aussi bien dans sa cellule

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familiale que dans la grande communauté de vie. Comme le constate aussi Pozzoz, « La

polygamie chez les indigènes du Congo est une réalité inhérente à leur mode de vie, mais

reste dans bien des cas un choix personnel. Ce choix personnel, souvent difficile à opérer,

est toléré particulièrement dans la communauté luba-kasaï sous la forme polygynique

comme une autre possibilité de vie et de bonheur »89. Cela revient donc à dire que, le

mariage polygamique est non seulement toléré, mais elle est aussi considérée comme une

valeur dans cette communauté luba-kasaï. Mais il y a bien des raisons qui le justifient.

b) Les raisons de la pratique de la polygamie

Plusieurs raisons justifient ce choix et cette tolérance. La raison la plus probable est le désir

d’une progéniture. Dans l’univers luba-kasaï, donner la vie aux autres ou mieux avoir des

enfants, c’est répondre à la volonté de Dieu Maweja et des ancêtres qui s’en trouvent ainsi

honorer. Comme nous l’avons montré précédemment, le bonheur devient total lorsqu’on a la

possibilité de donner naissance et de perpétuer sa propre mémoire et celle des ancêtres. Pour

cette raison, le couple qui se trouve dans l’impossibilité de réaliser ce pari s’offre l’occasion

d’une deuxième épouse. Ce choix n’est pas nécessairement le choix du mari seul, mais le

choix consenti du couple en quête de la progéniture. Dans bien des cas, le mari se confie à sa

femme qui, après concertation se décide de répondre à la requête de son conjoint. Le couple

se berce de l’idée que les enfants qui naîtront de cette union, désormais à trois, sont les enfants

de toutes les deux mères. Ceci est difficile à entendre et même à expliquer. Trobisch, lui,

semble s’accrocher « aux raisons de crise de jalousie ou de trouble de comportement de la

femme, qui poussent les hommes à la pratique de la polygamie »90.

Pourtant, dans le contexte luba-kasaï, cette pratique apparaît comme une réalité éthiquement

intégrée dans la sagesse de la vie pratique et de la quête du bonheur. Au nom de ses vertus

d’accueil, de gentillesse éprouvée, de force de travail ou de la fougue de la jeunesse, la

89 E. Possoz, « La polygamie chez les indigènes du Congo », Aequatoria 2(1939), p.49-53. La polygynie est un

cas particulier de la polygamie, dans lequel un homme peut avoir plusieurs épouses. Caractère des sociétés

d’insectes, bourdons, guêpes des régions tropicales, comportant plusieurs reines, c’est-à-dire femelles fécondes. Dans l’histoire de la polygynie humaine, on trouve des cas bien célèbres comme de Guillaume le conquérant, à

savoir Guillaume le batard. Plusieurs exemples sont relevés dans l’Ancien Testament et le Judaïsme. La Torah

permet explicitement la polygynie comme un mode de vie idéal : le cas d’Abraham, Jacob et Salomon. Dans

l’islam, le Coran fait également référence à la polygynie. Le prophète Mahomet semble avoir eu au total quinze

épouses. 90 W. Trobisch, Ma femme m’a rendu polygame, p. 67-78.

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conjointe peut amener son époux à opérer ce choix difficile. En fait, ce qui apparaît

surprenant, c’est la manière dont la dignité de la femme demeure intacte. Ainsi chaque épouse

a un rôle précis à jouer non seulement pour le bonheur de l’homme, mais également pour

celui des épouses elles-mêmes et de toute la communauté de destin.

Le mari érige alors le « Lupangu », une sorte de haie ou un enclos qui est en fait une rangée

d’habitations construites pour les épouses ayant le même époux. Les Luba-Kasaï donnent à

la première femme, le nom emblématique de :

Mukaji Muadi Mukulu ou tout simplement « Muadi ». Ce qui signifie la première

femme, la première épouse, la principale par rapport à sa position de mère de la

communauté ; elle occupe ainsi une place de prédilection.

La seconde épouse reste toujours reconnue dans son rôle de mère pour avoir donné

naissance, mais également pour bien d’autres vertus qui lui sont reconnues dans la

communauté. On l’appellera désormais :

Mutu wa Lubanza ou Muadi-Muakuni, c’est-à-dire celle qui occupe une

meilleure place à l’entrée même du domaine. Elle joue le rôle d’intendante.

La troisième Tshitumbatumba ; d’autres Bakaji bashisha ou bakuabu et la toute

dernière est appelée : Mukala.

Dans ce Lupangu, il n’y a qu’un seul maître de la cour, l’époux, appelé aussi Muena Bula,

alors qu’il n’y a qu’une seule cour et avec une seule sortie pour toutes les épouses mères :

« Mushiku wa Lupangu ».

Toute cette organisation montre bien que dans les cultures africaines, bantoues en

l’occurrence, la pratique de la polygamie n’est pas nécessairement un vice. Elle est

reconnue comme une valeur. Comme l’affirme aussi Dirven : « Dans les sociétés africaines,

la polygamie est plutôt admise comme une vie humaine complète d’épanouissement et de

bonheur »91. Certes, le désir d’une abondante progéniture peut amener l’individu à opérer

plusieurs choix, mais ce cas précis peut être placé du côté de l’instrumentalisation abusive,

du bradage, du snobisme béat et de l’exhibitionnisme des richesses ou encore des avoirs.

91 E. Dirven, « La polygamie admise par la philosophie », Revue du Clergé Africain 22 (1972), p.43-81.

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Tous ces vices, si on peut les désigner ainsi, éclaboussent et lancent un véritable discrédit

sur cette pratique luba-kasaï de la polygamie. Les lois fondamentales des États y jouent

aussi un rôle important en interdisant et en pénalisant sa pratique. Ce qui aujourd’hui

semble expliquer la méfiance vis-à-vis du régime de la polygamie ainsi que son rejet par la

communauté qui en est agacée.

c) Le phénomène de la bureaugamie

Dans le contexte actuel, le régime du mariage polygamique a considérablement changé.

L’usage devient ainsi abusif pour autant que certaines populations luba modernes se soient

lancées dans cette pratique sur la base de leurs richesses ou de leur position sociale. Cette

coutume matrimoniale est vite remplacée par ce que bien des observateurs appellent

aujourd’hui « Le phénomène de la Bureaugamie »92. Différente ou opposée à la pratique

éthique de la polygamie, la Bureaugamie vise essentiellement le plaisir et la grandeur. Car

en prenant une seconde ou une troisième épouse, l’individu ne cherche pas nécessairement à

vivre une vie conjugale équilibrée, mais à faire prévaloir sa puissance financière. Cette

nouvelle forme de polygamie semble avoir des conséquences néfastes aussi bien pour la

femme que pour l’homme lui-même. Elle est à bien des égards un facteur d’épuisement et

d’appauvrissement. L’homme engagé dans cette pratique est à peine pris avec considération

dans la communauté moderne luba-kasaï qui voit en lui un facteur déstabilisateur des foyers,

de la valeur de l’institution du mariage et de la recherche réelle du bonheur partagé. Quant à

la femme, les Luba considèrent que son engagement dans cette sorte d’union ne consiste pas

à vivre une vie conjugale épanouie et heureuse ; elle est plus attirée par le souci de se mettre

à l’abri des besoins essentiels, c’est-à-dire à la recherche des moyens de subsistance. Sitôt se

retire-t-elle si son compagnon n’a plus assez des ressources. Dans cette sorte d’union, il n’y

a vraiment pas de place pour un sincère amour, pour la liberté et la dignité, pour la jouissance

et pour la joie de vivre, et encore moins pour le bonheur.

En outre, la Bureaugamie rend la femme ridicule et la condamne à la prostitution. Car la

communauté ne lui reconnaît aucun statut. Méconnue et rejetée par la communauté, elle perd

92 Izia Mpey et Mpiutu ne Bodi, « Les comportements des filles instruites envers le phénomène 2ème bureau »,

Cahiers Zaïrois de Recherche en Sciences Humaines 1 (1989), p. 51-76.

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toute sa dignité ; elle est sans perspectives. Dans bien des cas, ce sont les parents qui poussent

leurs filles à s’engager dans ce genre de lien conjugal en vue d’un profit matériel ou financier,

pire à la prostitution. Ainsi que l’observe aussi K. Tshiomba :

Pour de l’argent, la pratique sexuelle devient un gagne-pain chez les jeunes filles

Luba. On peut sans hésiter attester les cas au village comme dans des centres

urbains, où les parents cèdent leurs filles aux plus offrants, les poussent à

marchander leurs corps, et même leur demandent de divorcer si leurs maris ne

fournissent plus rien. À cause de l’argent, filles et garçons se livrent à la débauche

ou à la prostitution sans pudeur et sans perspectives d’une possibilité

d’engagement dans la famille conjugale93.

On peut donc dire que dans la société congolaise en général et luba-kasaï en particulier, à

cause de l’argent le corps de la jeune fille n’est plus seulement le sujet de beauté, mais aussi

un objet de rentabilité financière. À cause de l’argent, on assiste aussi aux pertes massives de

virginité des filles qui se multiplient presque partout et à des âges sans cesse décroissants.

Elles sont, dans tous les cas de figure, perpétrées par des adultes parfois avec la complicité

de leurs parents qui s’engagent dans un trafic avec ceux qui ont un rang social convenable.

Ces pratiques de marchandage du sexe et de l’exploitation de la femme ou de la jeune fille

détruisent le sens même de l’acte humain et du magnifique projet de la vie conjugale et de la

quête commune du bonheur. À cause de l’argent, les familles luba-kasaï perdent de plus en

plus la valeur de la dot comme gage d’alliance. Ces familles modernes, sous l’influence

diabolique de l’argent, monnaient la dot et exigent même le paiement de celle-ci en dollar,

ce que semble dénoncer encore K. Tshiomba lorsqu’elle souligne : le mariage se réduit à « la

dollarisation de la dot et du gage d’alliance dans des familles luba-kasaï »94.

93K. Tshiomba, Les changements de comportements sexuels chez les Baluba Lubilanji, Université de

Lubumbashi, Université Nationale du Zaïre, 1980, p. 245. Thèse. Voir aussi Mvumbi Ngulu Tsasa, « Esquisse d’une éthique sexuelle fondée sur le caractère relationnel de la sexualité », p. 166-178. 94Ibidem, p. 216 ; S. Mbumba Tshikoji, S., « L’aujourd’hui de l’éthique sexuelle Luba-Kasaï », Pensée

Agissante 2/4 (juillet –décembre 1996), p. 121-134, et 4/7 (janvier-juin 1998), p. 39-46. La polygamie contraste

avec la pratique actuelle de la « Bureaugamie ». Cette dernière est devenue une pratique courante

particulièrement dans les milieux urbains africains. Elle est aussi considérée comme une règle de vie pour ceux

qui ont un bon rang social.

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d) La polyandrie

Dans la culture luba-kasaï, on pratique à la fois la monogamie et la polygamie. C’est ainsi

que les Luba disent :

Mukaji umue disu difua. Ce qui signifie qu’un monogame est un borgne.

Mais aussi, de l’autre côté, ils reconnaissent que le fait d’avoir plusieurs femmes à la fois

peut devenir une source inévitable de souffrances ou une cause fatale de la mort au sein de

la communauté clanique ou familiale. Ils invitent à la prudence et à la juste mesure :

Sela babidi ufua lukasa : marie-toi à deux femmes et tu meurs vite ou un

avertissement : prendre une seconde est une manière certaine de signer sa mort.

En revanche, la Polyandrie, l’état d’une femme simultanément mariée à plusieurs hommes

reste complètement inconnu dans cette culture luba-kasaï, et donc un non-sens, si non une

situation anormale. Du moins, la coutume luba tolère « l’isogamie », une pratique selon

laquelle les mariages se contractent uniquement entre les membres des clans différents ou

des espaces familiaux différents. Dans cette communauté, on semble avoir érigé cette

coutume et cette tradition en règle générale de la vie bonne pour éviter le mélange de sang

qui dans bien des cas provoque la mort d’hommes. Alors que « l’endogamie » reste moins

une obligation générale. Sont également tolérés et pratiqués dans la coutume luba-kasaï, le

Lévirat, qui oblige la veuve d’épouser le frère (frère de lait ou cousin) du défunt, et le Sororat,

qui oblige une sœur d’accepter ce lien juste en cas de divorce prononcé par les deux familles

et accepté par tous les membres de la communauté de destin.

Somme toute, on ne peut que constater que toutes ces pratiques ou encore mieux toutes ces

formes de vie conjugale visent l’équilibre de la vie sociale et la réalisation du bonheur des

individus. Aussi, tout en reconnaissant certaines dérives, les coutumes et la tradition luba-

kasaï retiennent à la fois la monogamie et la pratique de la polygamie comme deux meilleures

formes de vie conjugale et de recherche du bonheur partagé. Dans les deux cas, la femme y

garde une place privilégiée, c’est-à-dire toute sa dignité de personne, pour autant qu’elle soit

à la source de la vie et du bonheur. À ce titre, elle jouit d’une protection particulière d’auprès

de la famille ou de la grande communauté clanique, elle est également respectée, honorée et

même élevée à sa véritable dignité humaine. Reste qu’en dépit de quelques difficultés dues

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aux besoins immédiats, les Luba croient toujours à la valeur de la dot comme gage d’alliance

et de la dignité de la femme. Celle-ci est ainsi reconnue comme le pivot de la vie et du

bonheur partagé. C’est donc autour d’elle que se construit le foyer, ou mieux la famille(Diku).

e) La responsabilité partagée

Qu’il s’agisse de la vie conjugale monogamique ou de l’union polygynique, ce qui reste

remarquable c’est le partage de responsabilité entre les conjoints. C’est que, pour les Luba-

Kasaï, le choix d’une femme mature apparaît comme une garantie d’une vie conjugale

assumée et même assurée aussi bien pour elle-même, pour l’époux que pour les enfants. Ce

choix n’est pas laissé uniquement à la discrétion du fiancé, il revient aussi aux parents qui

s’engagent pour le bonheur du jeune homme. Cette manière d’agir n’enfreint en rien la liberté

des fiancés désormais sous le regard bienveillant de deux familles. Quand bien même la

femme serait choisie par le jeune homme lui-même, elle devrait être présentée aux parents

pour approbation. Car dans cet univers, on ne se marie pas uniquement à la femme, mais bien

également à la famille qui forme avec la famille du fiancé une alliance sacrée, et donc une

véritable communauté de vie. Par cette affirmation, on ne perd pas de vue que les Luba ne

font pas de la maturité humaine l’apanage de la femme. Elle est également exigée de

l’homme. Pour s’engager dans le mariage, le jeune homme se doit de se construire une

maison, c’est un signe manifeste de maturité, d’autonomie et de responsabilité. L’étape

d’initiation aussi bien de la jeune fille que du jeune homme est à l’ordre du jour. Aussi, en

affichant un comportement digne et responsable, le jeune homme inspire confiance et

reconnaissance de la part de la communauté de vie. Une fois dans le mariage, il est tenu au

respect de son épouse et d’œuvrer à la promotion de celle-ci. Dans cette optique, la famille

conjugale ne tient que quand les deux conjoints s’engagent avec sagesse à promouvoir la vie

et le bonheur du foyer, et bien sûr aussi de la communauté de destin.

D’un côté, la femme est « une arachide qui a déjà atteint sa maturité », et de l’autre, l’homme

qui s’engage dans le mariage se doit d’être « Muena menji », l’homme sage. La

coresponsabilité s’avère ainsi complète et féconde. Ces deux aspects de la maturité et de la

responsabilité fondent en raison les règles éthiques de la vie conjugale et de l’institution du

mariage que les Luba-Kasaï semblent assumer dans la vie ordinaire. En un mot, lorsque

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l’homme et la femme s’engagent dans le mariage, ils se sentent appelés à maintenir cet

équilibre social fragile de l’institution du mariage et à promouvoir le bonheur des enfants.

f) L’éducation des enfants

La responsabilité partagée s’étend aussi jusqu’au niveau des enfants. Comme membres de la

famille conjugale, les enfants sont également tenus à bien assumer leur responsabilité filiale

vis-à-vis de leurs parents et de la communauté de destin. Chez les Luba-Kasaï, les parents

inculquent à leurs enfants encore à bas âge le sens de cette responsabilité filiale. L’éducation

qui se donne souvent à l’aide de proverbes, contes, mythes, fables, chants ou récits

historiques, vise le sens à donner à l’engagement et à l’amour que les parents ont assuré pour

le bonheur de leurs enfants.

Mais une interprétation peu critique de cette responsabilité filiale partagée peut en conclure

à la nécessité d’une progéniture abondante visant la recherche de l’utile, le profit que les

parents attendent tirer de leurs enfants. Pareille affirmation semble passer à côté de

l’ontologie luba-kasaï du bonheur, qui se fonde sur le dynamisme relationnel et la visée

éthique de la vie communautaire.

Chez les Baluba donc, l’éducation de l’enfant s’entend comme une sorte de préparation à la

vie adulte. C’est une œuvre de longue haleine. Elle est permanente et complexe. Elle implique

aussi bien les parents de l’enfant, sa famille clanique (Diku) que son entourage immédiat.

Dans ce processus, les contes et les proverbes sont mis à profit pour orienter l’enfant vers le

bien et la justice. Parmi les vertus recherchées dans l’éducation de l’enfant, il y a la sagesse,

la justice sociale, l’honnêteté, la sincérité, la solidarité (positive), le partage, l’amour, le

respect de l’autre, le respect du bien commun, le respect de la parole donnée, la responsabilité

partagée, etc.

Toute cette anthropologie culturelle ramène au principe que, les enfants ne vivent pas

indépendamment de leurs parents, ils partagent avec eux la vie et les responsabilités. Devenus

adultes, les enfants assument par amour et par devoir la responsabilité aussi bien de la famille

que de la communauté clanique (Diku). C’est pourquoi les enfants apportent à leurs parents

les prémisses de leur travail « Milambu ». Ces prémisses apportées aux parents sont non

seulement considérées comme un signe de reconnaissance et de gratitude, mais aussi comme

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une sorte de prise de conscience de la responsabilité filiale assumée. Ces prémisses apportent

la bénédiction et le bonheur aux enfants qui s’en acquittent correctement. L’éthique luba du

mariage et de la vie conjugale est ainsi ramenée à son premier niveau, celui de la vie

commune et de la recherche du bonheur partagé pour tous les autres membres de la famille.

Le principe d’intégration et de mutualisation de la bienveillance en constitue le fondement.

Finalement, autant la communauté de destin est invitée à assumer la même responsabilité vis-

à-vis de la famille conjugale en les encourageant, en leur apportant le soutien moral et

matériel, autant la famille conjugale s’intègre en se sentant aimée et portée par l’ensemble

des membres de cette même communauté. La famille conjugale n’appartient plus au seul

couple, mais à la grande famille, c’est-à-dire à toute la communauté de destin qui se sent, elle

aussi, portée par le couple. La pratique de la responsabilité partagée vise le bonheur, le vivre-

ensemble et le savoir-être. La sagesse luba-kasaï place l’institution du mariage et la famille

conjugale au cœur même de la vie humaine comme lieu d’assomption du bonheur partagé.

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CHAPITRE QUATRIÈME

QUELQUES VERTUS ET PRATIQUES SOCIALES

1. Le travail et la persévérance

a) Le travail : un principe d’autonomie

Autant pour toute question existentielle, autant les questions du travail et de la vertu de la

persévérance se trouvent exprimées à travers les contes, les proverbes, les chants et les arts.

Les Luba attachent une importance au travail, car selon eux, le travail est une garantie de la

vie, de l’autonomie et du bonheur partagé. Le travail dans ce contexte est lié non seulement

à la vie individuelle, mais également à l’épanouissement de toute la communauté de destin.

Les Luba-Kasaï pensent que c’est un manque de responsabilité pour un adulte qui ne

s’engage pas à produire par son travail. Ne dit-on pas que le travail anoblit l’homme ! La

tradition luba-kasaï propose que l’on compte avant tout sur ses propres forces. Elle stimule

le goût du travail, l’esprit de mieux faire, d’être utile, de produire pour être pris avec

considération et pour accéder au bonheur. Elle récuse la paresse et la dépendance comme le

témoigne ce proverbe :

Bidi muetu tenta wikale ne tshieba bieba : Même s’il y a l’abondance dans ta

famille, mais tu devras avoir ce qui t’est propre.

Les Luba-Kasaï ont aussi prévu des enseignements pour former les jeunes générations à la

conscience de la valeur du travail et à celle de la persévérance à travers les fables et les contes.

En témoigne le conte populaire de « Kadima Ntonko et de Kadima Minu ».

Le conte met en présence deux individus dont l’un est paresseux et l’autre assidu

au travail, qui nourrissaient du projet de bonheur. Seulement, à la différence que

le premier était, lui, réellement engagé à cultiver son champ bien qu’à petits pas

alors que le second était resté dans le projet sans aucun engagement concret sur

le terrain. À la récolte, conclut le conte, le Kadima Ntonko récolta autant des

vivres alors que le Kadima Minu qui, lui, en resta au projet qui n’en finissait

pratiquement pas. Le Kadima Ntonko était donc arrivé à réaliser son bonheur et

le Kadima Minu gisait dans la misère et la pauvreté.

Le conte met en exergue non seulement l’idée de la valeur du travail assidu et persévérant,

mais également celle du pragmatisme. Ceci revient à dire que dans cette culture, le bonheur

n’est pas un acquis, mais une réalité qui exige de l’effort, de l’engagement physique,

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intellectuel ou spirituel, de l’endurance. Comme le montrent ces quelques expressions

proverbiales :

Bilengele mbiasa mukelende : les bonnes choses (le bonheur) sont entourées des

ronces et d’épines.

Kutshini mukuna bule, bualu kumutu kua mukuna ke kudi Njila : ne crains pas

des yeux la hauteur de la montagne, car c’est au sommet que tu trouveras le

chemin, c’est-à-dire le bonheur.

Tshisululu tshia budimi, mbudikadidi : la sueur du front (travail) est une marque

d’autonomie, d’indépendance, de liberté et de bonheur.

Malgré l’exaltation de la valeur du travail on observe tout de même que, dans la société luba,

il existe des hommes et des femmes adultes sans engagement au travail passant leur temps à

l’oisiveté. La paresse et la dépendance existent autant qu’il y a des hommes. Pourtant, la

conscience que le travail est la clé de voûte du développement humain, de la meilleure

existence et du bonheur partagé reste aussi vive. En témoigne également cet autre conte

populaire de « Kakaji Kakulu », la vielle femme ou encore de « Tshiluma Tshikulukulu », le

vieil homme grabataire.

Le conte met en scène un jeune homme désireux d’avoir le trésor et qui s’engagea

dans un long et pénible voyage. Après plusieurs jours et au bout du chemin, il

rencontra une ignoble petite vieille femme. Celle-ci paraissait sale parce qu’elle

était vêtue des linges, et qui apparemment était restée autant des jours sans

prendre un bain. Le jeune homme lui exposa son désir de trouver le trésor. Cette

dernière lui répondit qu’il n’était pas si simple d’y accéder. Le jeune homme

insista de plus belle. Ainsi, après avoir constaté le courage, l’endurance et le sens

de responsabilité du jeune homme, la vieille femme lui proposa de la laver de sa

langue : Shi shi shi ku ulaka, balakila ki mbafua, disait-elle. Le jeune homme

brava cette conditionnalité avec détermination. Arrivé ce point, le conte conclut

que la porte du trésor, c’est-à-dire du bonheur, s’ouvrit et le jeune homme en sorti

satisfait.

Tout comme le conte de Kadima Ntonko et de Kadima Minu, le conte de Kakaji Kakulu ou

Tshiluma Tshikulukulu, traduit également la conscience du travail et de la pratique des vertus

de l’endurance, de la persévérance et du courage pour affronter des besognes répugnantes,

au bout desquelles on attend une meilleure récompense, c’est-à-dire le véritable bonheur. La

conscience du travail est un engagement à donner un véritable sens à sa propre vie et à celle

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de sa communauté. On peut même dire que les Luba-Kasaï ont cette conscience que rien sur

la terre des hommes n’est aussi facile : Panu apa mpakole ; tout bonheur et tout honneur

exigent nécessairement de l’effort et de la détermination. Dans ce sens, il n’est pas une

corvée, mais bien une nécessité humaine naturelle et sociale, un destin à la fois commun et

individuel qu’il convient de transformer en véritable destinée.

b) La sensibilisation au travail à travers les chants

Comme dans toutes les situations, la conscience de la vertu du travail passe aussi à travers

bien des chants. Les parents sont en première ligne, car il s’agit de la survie de la

communauté. En témoignent les chants populaires tels que :

Bua Muntu kupeta tshiakudia akuata mudimu anianga mashi ende : si tu veux

gagner la vie et le bonheur, il convient de travailler.

Tshisululu tshia budimi tshia ka ndisha. Mema Kukola, kusela ne kulela anu

bualu bua budimi : le travail du champ m’a fait grandir, m’a permis de fonder

une famille et m’a amené le bonheur.

Cette sensibilisation au travail de la terre traduit aussi leur attachement et leur communion

avec la terre et même avec toute la nature comme une véritable source de bonheur. Les Luba

évoquent les animaux pour exprimer cette valeur du travail et du pragmatisme :

Nkashama udi wende mudima ke udi unianga tshienda tshiseba : le Léopard qui

cherche trouve toujours une proie, un bonheur.

Nsolo wendenda ngudiadia musuasua : la poule qui gratte trouve toujours de quoi

se nourrir, son véritable bonheur.

On peut donc dire que, les proverbes-nshinga ou les chants populaires évoqués dans cette

situation expliquent deux types d’individus. D’un côté, l’individu paresseux qui crève de

faim, de misère et de pauvreté et, de l’autre, l’individu qui cherche avec détermination,

courage et persévérance trouve nécessairement de quoi vivre, le Tiakani, c’est-à-dire le

bonheur. Ainsi vivre pour les Luba-Kasaï, c’est avoir un travail. Celui-ci est considéré non

seulement comme un signe de stabilité, une sorte de maturité et de responsabilité, mais

également comme un véritable destin qui bien assumé peut-être transformé en véritable

destinée, et donc en véritable bonheur. Ceci revient à dire que pour demeurer dans la vie et

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connaître le véritable bonheur, les jeunes générations ont le devoir d’assumer aussi cette

leçon de la sagesse luba-kasaï de la vie, car leur destinée en dépend énormément. Mais en

dépit de cette sagesse, on observe qu’il existe dans cette communauté des personnes adultes

qui sont oisives, qui se contentent du moindre effort pour vivre ou qui dépendent plus de leur

famille. Autant qu’on trouve des paresseux dans cette société traditionnelle, autant le Luba

moderne a perdu tout le sens de l’effort et du travail. Le sous-développement du continent

noir et la pauvreté s’expliquent aussi par ce manque de conscience de l’importance du travail.

Pourtant, c’est par le travail qu’il peut être possible d’accéder à la meilleure vie, au bonheur

partagé et au véritable développement des peuples et des nations africains.

2. La loi de l’hospitalité

a) L’hospitalité envers l’étranger

Dans l’univers luba-kasaï, la relation intrafamiliale ne va pas aux dépens de l’hospitalité à

l’égard de l’étranger, ainsi que nous l’avons montré plus auparavant en soulignant

l’importance de la parole de la bienveillance, qui occasionne les bonnes relations où se tisse

la grande étoffe de la fraternité et de la solidarité humaine. Dans cette perspective, les Luba-

Kasaï considèrent l’étranger comme un allié avec qui on peut partager le bonheur. Dans la

pratique, lorsqu’un Luba voit un passager qui manifeste la fatigue ou semble être affamé, il

cherche à l’héberger et à le nourrir gratuitement. Ce qui explique le sens anthropologique du

repas, qui se prend au su et au vu de tous. On peut dire qu’en agissant ainsi, les Luba-Kasaï

répondent aux règles de la sagesse de la vie pratique, qui exigent le respect et la protection

d’un étranger :

Mueni wa mu Nsubu katu wafua : un étranger ou un réfugié dans une maison ne

doit pas être livré à la mort.

Ce principe éthique signifie que, dans la tradition luba-kasaï, le Mueni est un « Muntu wa

Bende wa Mvidi Mukulu » : l’étranger est un autrui de Dieu. Peut-être est-il porteur de

quelque message de bonheur venant de loin, et qui sait, de très loin, des ancêtres ou de Dieu

Maweja. Chez les Luba-Kasaï, l’étranger est sacré ; il est inviolable. D’ailleurs, en langue

Tshiluba le mot étranger au sens d’inconnu, sans lien politique, familial ou amical avec moi,

différent de moi, et envers qui je serais hostile et méchant n’existe pas. Ainsi quand un

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Muluba dit « Ndi ne Mueni » : je suis avec un hôte, il veut tout simplement dire qu’il est là

avec un hôte et non avec un étranger ni non plus « je suis avec de la visite ».

L’inconnu venant d’autres horizons n’est pas un « étranger », c’est un Mueni, un hôte qui

mérite respect et considération. L’accueillir et lui donner son hospitalité n’est pas seulement

une manière de partager le bonheur, mais de vivre son propre bonheur. Ainsi avant même

qu’il ne dévoile ou qu’il ne délivre son message, on l’accueille d’abord, on s’occupe de lui,

on lui donne de l’eau et on le sert un repas chaud. Bref, on lui offre déjà en priorité de

l’hospitalité. C’est cela que semble également traduire en substance cette expression

proverbiale luba-kasaï :

Mueni wa Muntu wanji kudia nanku alua kuamba adi mudifu : que l’hôte mange

d’abord avant qu’il ne livre le message de bonheur qui l’amène.

Comme le dit Van Caeneghem, « Ce geste hospitalier que pose les Baluba entre dans la ligne

droite de leur mode de vie. Car donner à autrui est ici considéré comme une reconnaissance

et un hommage rendu aussi bien à Dieu Maweja qu’aux ancêtres qui envoient cet hôte, mais

également c’est le droit de celui-ci de participer et de jouir lui aussi de leur bonheur »95.

La loi de l’hospitalité luba apparaît donc dans ce contexte comme une réalité totalisante de

la relation fécondatrice de la vie, une sorte d’éthique de la reconnaissance de la valeur

intrinsèque et de l’intégration de l’autre comme un proche, et dans le même temps elle est

une expression de son propre bonheur.

b) Quelques apories

Comme dans toutes les relations interpersonnelles, la loi de l’hospitalité ne s’applique pas

dans tous les cas. Les luba pensent aussi que l’étranger qui vient vers la communauté est à la

fois une chance et un danger. Une chance, dans la mesure où il peut être porteur d’un message

de la vie et de bonheur venant des ancêtres ou peut-être encore de Dieu lui-même. Pour cela,

il convient de le recevoir avec joie et de lui montrer ainsi toutes les marques de notre

hospitalité et de notre générosité. Un danger, parce qu’il peut être porteur d’un malheur. En

95 R. Van Caeneghem, « L’hospitalité proverbiale des Luba », Congo, 20/1 (1939), p. 295-310 et p. 412-432. Lire IDEM, « Donner à autrui dans les proverbes Luba », p.377-411.

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venant chez moi, il peut être animé des mauvais sentiments, qui consisteraient à envahir mon

espace de vie, à troubler ma paix et à prendre ma place, à confisquer mes droits, ma liberté,

ma dignité d’homme et mon droit de vivre et de jouir de mon bonheur ; il peut occuper mon

univers et occasionner des peines, des souffrances ou des troubles, et user d’une mauvaise

influence sur moi et même briser l’harmonie et l’équilibre dans ma communauté de destin.

À côté de cet aspect hésitant, il y a aussi le mauvais usage de cette loi de l’hospitalité qui vise

non pas le bonheur partagé, mais l’utilité, le profit. C’est que l’étranger ou le Mueni (l’hôte)

peut être reçu au nom de ce qu’il a, de ce qui peut remplir mon désir d’avoir plus, de tirer

profit de lui. On l’exploite, on ne fait pas de lui un allié, un Muanetu, un Mulunda wani avec

qui on peut partager le bonheur. Les Luba expriment cette forme biaisée de la loi d’hospitalité

en disant :

Mueni Muimpe ngua tshisaka, wa tshibombi mmana bidia : le meilleur hôte est

celui qui amène avec lui un sac bien garni de biens ou de vivres, non pas celui

qui se pointe-là sans rien apporter du tout.

Cette nouvelle aporie montre les limites de la nature humaine qui peine à atteindre la

perfection. Dans ce cas précis, on peut encore parler des « maximes rebelles » qui, elles,

détruisent le sens même de l’humanité de l’homme et de la recherche commune du bonheur.

Mais tout en gardant ces apories ou ces maximes rebelles, on peut souligner que, dans

l’univers luba-kasaï, tout hôte est un Muanetu, et de ce fait, ne peut souffrir de la

discrimination, de l’exploitation, de la maltraitance ou encore de la négation de ses libertés

et droits. On est ramené à la tactique d’épuration qui récuse tout principe d’utilité. C’est cet

homme comme valeur que le Luba-Kasaï se propose, ou mieux se procure le plaisir de

recevoir ou d’accueillir, de couvrir de manteau quand il apparaît nu, à qui il donne à manger

et à boire quand il a faim et soif, à qui il offre un abri quand il n’a pas où aller, pour qui il

s’engage de défendre quand il se sent bafouer dans ses droits, dans sa dignité et dans ses

libertés individuelles.

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3. L’anticipation et la prévention

a) L’obsession de l’avenir

Dans l’imaginaire luba-kasaï, la notion d’anticipation joue un rôle important soit pour

prévenir des choses, des situations bonnes ou mauvaises et leurs conséquences, soit pour dire

les possibilités de vie et de bonheur à venir. En ce sens, les Luba se conforment à leur

croyance relative à l’avenir, au futur attendu. Ils ont la conviction d’avoir des connaissances

sur l’ensemble des préconceptions relatives aux situations de famine, de guerre, de

catastrophes ou de maladies que l’on redoute ravageuses. Ils ont la conscience d’un jugement

judicieux et a priori visant la maîtrise du bonheur qu’il faut promouvoir et le malheur qu’il

faut conjurer. On peut même dire qu’il y a là une sorte d’obsession de l’avenir qui tient à la

croyance à une vie heureuse. En témoignent les proverbes et dictons tels que :

Kutua ne Munia nkudimukila Mvula : piller le maïs ou le manioc à l’heure (à

temps), c’est prévenir la pluie.

Katshidi kutshibalabala wajima. Kuindidi mukuta munene : il faut éteindre le feu

quand il est encore à son début, sinon il sera trop tard tant qu’il aura consumé une

bonne partie.

Lua Mulema nkudianjila : pour être à l’heure, l’infirme se doit de partir à temps.

Kuambika nshima peku bualu tutshidi tuluila maboko : il n’est pas prudent de

commencer à mettre la marmite sur le feu avant d’avoir ce qu’on doit préparer.

Watapa katshi washiya katshi : il est malin et sage de couper une branche d’arbre

tout en laissant bien d’autres, car tu pourras t’en servir plus tard.

Kasela kepe kepa kakuena lubilu lua tamba mvula : il n’y a en effet personne qui

peut courir à l’allure de la pluie, il convient donc de sortir et de partir à temps.

Watala mayi watala bukula : il est intelligent et prudent de tenir compte aussi

bien de la proportion d’eau que de celle de la farine avant de commencer à

malaxer.

Ces proverbes et dictons traduisent non seulement l’acte d’anticiper des choses ou des

situations, mais aussi une obsession pour l’avenir, c’est-à-dire l’intelligence pratique qui

consiste à prévenir et à prendre des précautions nécessaires.

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b) La précaution

Dans la pratique, le processus d’anticipation suppose celui de précaution, de prévention et

même de prospection. Pour lever l’équivoque entre ces notions, on peut dire que dans la

langue Tshiluba, la précaution apparaît comme une sorte de prudence qui vise d’exclure les

possibilités de l’indésirable, ou encore mieux, prendre des précautions c’est réduire la

probabilité d’une situation inattendue qui peut advenir, et qui peut à tout moment créer un

malheur. Cette intelligence pratique vise la sauvegarde de la communauté de destin contre

l’impensable. Elle implique un véritable sentiment de responsabilité non mesurable à l’égard

de la communauté. Il ne s’agit pas ici de minimiser les risques, mais de prendre la

responsabilité comme une gestion urgente et rationnelle des risques qui peuvent effriter les

chances du bien-vivre. À ce niveau, on peut souligner qu’autant pour le principe

d’anticipation, autant la précaution tient également à leur croyance au bonheur et à la

surabondance de la vie. Cependant, on ne peut pas affirmer avec certitude que les Luba-

Kasaï, en pratiquant cette intelligence pour gérer et conjurer des risques et des situations

indésirables ne connaissent pas des moments les plus durs qui surviennent et perturbent le

cours normal de la vie et de l’élan de la quête du bonheur. Par exemple, la sorcellerie et la

mort sont considérées par les Luba comme un mal radical qui est imprévisible. C’est pourquoi

la précaution apparaît, chez le peuple Luba-Kasaï, comme une meilleure intelligence pour

garder la communauté de destin dans la quiétude, dans l’espoir et dans la paix perpétuelle.

c) La prévention et la protection

On peut aussi relever la parenté entre l’anticipation et la prévention que semblent traduire les

différents proverbes précédemment mentionnés, dans la mesure où l’une et l’autre visent de

limiter les risques ou de les prévenir. Mais spécifiquement, la prévention, elle, apparaît

comme un ensemble des mesures à prendre afin d’éviter qu’une épidémie, une guerre, ou

encore une situation déplorable survenue dans le passé ne revienne. Il s’agit, en fait, non

seulement de prévenir, mais aussi de protéger la communauté contre une situation

quelconque réputée dangereuse. La prévention, chez les Luba, est donc une manière de

combattre à la fois le sinistre s’il survient et de réduire la probabilité de son occurrence. Entre

en ligne de compte l’idée de la protection. Cela revient à dire que, lorsque les Luba parlent

du principe d’anticipation, de prévention ou de précaution, ils pensent à la protection des

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hommes et de leur communauté. Car on anticipe pour agir et agir veut dire prévenir. En

réalité, il s’agit d’un exercice d’intelligence, de jugement et d’imagination des mécanismes

de protection qui débouche sur une sorte de responsabilité partagée que chaque membre porte

sur lui pour le bonheur de tous. Chaque membre est tenu de prendre des dispositions

nécessaires pour protéger ou pour sécuriser ceux qui lui sont proches, et peut-être au-delà

tous les autres membres de la communauté de destin. Or, pour imaginer des manières de

protection et pour mettre en place des meilleures dispositions de prévention, on est censé

s’identifier à la fois à l’autre et à sa communauté. C’est en réalité le sentiment d’attachement

et d’appartenance à sa communauté qui constitue le motif essentiel de cette capacité

imaginative. S’attacher à sa communauté, se sentir plus proche et imaginer les mécanismes

de protection est une manière d’exprimer le bonheur. On est heureux lorsqu’on est capable

de protéger les siens.

Somme toute, dans l’univers luba-kasaï, c’est au niveau de l’identification de chaque citoyen

que le principe d’anticipation et de prévention apparaît comme une sorte d’intelligence

pratique qui vise la promotion du vivre-ensemble et du bonheur partagé. En clair, il s’agit de

la conscience de la responsabilité politique et éthique de chaque individu vis-à-vis d’un autre

membre ou de la communauté de destin. C’est cette responsabilité politique que les Luba-

Kasaï semblent avoir cristallisé dans le temps à travers des différentes structures et

institutions sociopolitiques comme un véritable culte.

4. La prudence et la patience

a) La prudence : un art de jugement

Dans les paroles comme dans les comportements, la prudence et la patience semblent traduire

une manière de vivre, de savoir-être et de penser. Car pour vivre bien et demeurer réellement

dans l’existence, les Luba pensent qu’il est nécessaire d’être prudent et surtout de garder une

forte dose de patience. En fait, la vertu de la prudence est une marque d’intelligence, une

manière de vivre et d’être ; c’est un art de jugement en situation qui tient non seulement à la

complexité de la vie en communauté, mais aussi au fait de l’obsession d’une meilleure vie. En

témoignent ces proverbes et dictons :

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Wenda pa kani kabishi kuendi pa kani kume : marche prudemment sur une feuille

toute fraîche et non sur une feuille sèche. Ce qui veut dire que la prudence doit

être de mise dans toute entreprise.

Kumudilu bakuamba Nyoka wangata dikasa ufila : on signale qu’il y a un danger

mortel. Et toi tu mets le pied. Ce qui signifie : on ne s’aventure pas à s’introduire

là où il y a un danger mortel.

Kumutunda bakuamba Nyoka wangata dikasa ufila : on signale qu’il y a un

serpent dans une termitière. Et tu y introduis ton pied : quand on apprend qu’il y

a un danger, il faut y renoncer si on ne veut pas tomber dans un malheur.

Bamudila umulomba kapia : on ne peut pas demander du feu dans une maison où

l’on pleure au risque d’en être la prochaine victime, c’est-à-dire il n’est pas

prudent de déranger celui qui est en colère ou qui a de l’amertume.

Kulonda mipua nkumona tunvi : il n’est pas prudent de suivre les sentiers obscurs

et déjà tracés, on risque gros et/ou on risque de connaître des déboires.

Kulambakana ne mateya nkukuata Shaditu : à trop tendre des pièges on risque

gros. En fait, ce proverbe conseille de ne pas poursuivre trop les êtres humains.

Muteya wa dilambu kaba kakamukuma ku disu : le prétendant meilleur chasseur

a fini par se crever l’œil.

Luvila kupitshi kuenda, neuya kupia Tshibanda tshidi budimbu : Luvila (l’oiseau),

sois prudent et modéré dans tes sorties, tu risques de tomber sur une vallée à

piège. Il s’agit de modérer ses ardeurs et de rester prudent.

Tshialula masua waluila Nyoka : celui qui poursuit trop les affaires finit par

tomber sur des pièges. Il faut être prudent et modéré dans ses ardeurs.

Budimu mbupita Buanga : la prudence vaut plus que le fétiche ; si on est prudent,

on peut éviter n’importe quel risque. Il faut être prudent pour sauvegarder sa vie.

Bela nshiba mua matshi Mesu ne ngimana mmona : on siffle dans les oreilles.

Mais les yeux veulent attendre voir : quand on donne un signal d’un danger, il

faut prendre des dispositions pour l’éviter au lieu d’attendre de s’en assurer, au

risque d’y être confronté directement.

Banfufu (bampofu) tubadia bintu. Patabalabu, tubaya lubilu : profitons des biens

des aveugles. Fuyons-les dès qu’ils commencent à voir. Les Luba-Kasaï ne se

moquent pas des aveugles, des infirmes ou des personnes âgées, ils veulent tout

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simplement dire qu’il faut se méfier des flatteurs dont l’unique objectif est de

profiter de tes biens. Dès que tu n’as plus rien, ils t’abandonnent.

Katende watumbila muenu. Mua ba Luvila mudi diyoyo : Katende, l’oiseau,

amuse-toi chez toi. Si tu le fais chez autrui, tu auras certainement des problèmes :

il faut être sages et surtout prudent, faire attention à tout ce qu’on fait, à ses

paroles et gestes quand on est chez autrui, encore moins d’y provoquer des gens.

Katelema katabale : il faut être éveillé et prudent.

Muena bisela katu watamba kapia to : celui qui est vêtu d’étoffe de raphia ne

s’aventure pas à sauter la flamme de feu, il y a risque d’être brûlé. Il est conseillé

à celui qui se sent fragile de rester prudent.

Bitshinte bia kabumbula nkila : il est prudent de prendre des dispositions devant

la digue, car elle peut céder et causer un malheur. On conseille de rester prudent

en gardant une distance vis-à-vis de la personne qui est déjà en colère ou qui a

déjà trop de problèmes avec toi ou un autre membre de la famille.

Muendi wa butuku katu wabinga : celui qui a l’habitude de se promener la nuit

n’a jamais eu raison, mieux vaut donc être prudent en restant chez soi pour éviter

d’être incriminé pour des actes que vous n’avez pas commis.

Kapanga bilala, bualu kakupita luniani : celui qui se promène trop manque

toujours à manger, il est prudent de manger avant de sortir.

Tuikale badia bualu katuakumania diafua ngesu : il est prudent de se servir et de

bien manger, car on ne sait pratiquement pas à quand tout sera fini.

Mvita midimuja ke itu yafua bilobo : c’est dans une guerre aussi prévenue que

tombent souvent les héros, les grands guerriers, il faut donc rester prudent. Il

s’agit de rester prudent ou de rester vigilant pour éviter la surprise et l’inattendu.

Dans toutes ces situations, l’individu Luba est tenu de porter un jugement, de délibérer

avant d’opérer un choix. C’est qu’en réalité l’individu se trouve continuellement soumis à

un exercice d’intelligence pratique qui vaut sa vie et celle de sa communauté. Il est appelé

à faire des choix raisonnables et suffisamment muris. La recherche du bonheur partagé

exige de mesurer les risques, d’imaginer les meilleures stratégies en tenant compte des

conséquences qui peuvent advenir. Car, comme le dit si bien Fagot-Largeault, « Là où les

décisions se prennent sous incertitude, les stratégies d’investigation et d’intervention

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incluent par la force des choses un art de négocier les risques, de tenir compte de la valeur

des conséquences possibles, et de prendre des parties raisonnables (une sagesse

prudentielle) »96.

Mais tout en considérant la pratique de la prudence comme un véritable moment

d’intelligence, de jugement et d’investigation pour le bonheur partagé, les Luba-Kasaï ne

perdent pas de vue qu’il n’y a pas davantage de délibération sur les choses qui se produisent

par nature, toujours de la même façon ou par quelque autre cause. Ils sont aussi conscients

qu’il n’existe pas non plus de délibération et de négociation des risques sur les choses qui

arrivent tantôt d’une façon, tantôt d’une autre. À ce sujet, on peut citer en exemple les cas

de la mort, de la pluie, de la sécheresse, des éruptions volcaniques ou d’autres catastrophes

naturelles dont ils savent qu’elles dépendent absolument de la nature ou de la volonté de

Dieu Maweja. Ainsi devant la mort, l’homme manifeste un sentiment d’impuissance et se

remet totalement à Dieu. Les moyens utilisés pour conjurer la mort restent souvent

dérisoires. De cette manière, ils arrivent prudemment à la conclusion que le jugement ou la

délibération est inutile quand il s’agit des choses ou des situations qui ne peuvent pas être

autrement qu’elles ne sont. Dans ce cas donc, seul Dieu Maweja peut en être capable.

b) La vertu de la patience

Les Luba ont aussi la conscience qu’il y a des situations qui adviennent dans l’existence,

dont le résultat n’est pas toujours le même, ou encore les choses dont l’aboutissement est

incertain et à l’issue indéterminée, même si elles arrivent avec fréquence. Pour sortir de ce

piège, les Luba-Kasaï s’accrochent à la patience comme une sorte de solution palliative qui

amène à l’existence une véritable signification sur les choses. Dans ce sens, posséder la vertu

de la patience et pratiquer le principe de la délibération devant toute situation est une marque

de bonheur et de connaissance des secrets de la vie. Ils recourent à la sagesse de la vie

pratique, c’est-à-dire aux proverbes, aux mythes, aux dictons, aux chants et aux arts

96 A. Fagot-Largeault, « Normativité biologique et normativité sociale », in Fondements naturels de l’éthique,

Paris, Odile Jacob, 1993, p. 222. La sagesse prudentielle se pratique dans des situations imprévues ou dans des

situations délicates.

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plastiques, pour expliquer cette manière de vivre, d’être, de faire et d’agir. En témoignent ces

quelques proverbes et dictons :

Kudia lukasa nkupia mukana : qui mange trop vite se brûle la langue (la bouche).

Kabua ka lubilu kakashiya nyama panshi : le chien qui ne cesse de courir finit

par laisser le gibier aux environs.

Bitekete biakatamba bikole : celui qui est patient finit toujours par gagner ou par

l’emporter, rien ne sert de courir très vite.

Bipiapia mbiebe lekela kutaka : il n’est pas nécessaire d’être agité, car ce qu’on

prépare te revient de fait et de droit.

Nuaku Mayi matalala upeta lutulu : prends un verre d’eau frais et reste patient.

Kunangidi bifuelele bualu bilenga bitshilualua (bitshivuavua) : sois patient bien

des bonnes choses ne tarderont pas d’arriver.

Lutulu nlupita bionso : la vertu de la patience dépasse tout autre chose.

Diudiadia Tshiula ke ndiudi umena mpusu to : ce n’est pas le jour même où tu

manges le crapaud que tu attrapes des boutons. Ici il faut préciser que les Luba-

Kasaï ne mangent pas le crapaud, mais ils veulent montrer les conséquences qui

viennent même plusieurs années après avoir posé un acte odieux.

Kamua, kamua ngua ba dikumi : d’une chose après une autre et on en arrive à

amasser dix. Il faut user de la patience dans la recherche du bonheur.

Tuya lumua ne tufika : suivons une seule route ou voie, nous arriverons à la

destination. Il faut user de la patience pour arriver au véritable bonheur.

Tuya lumua butuku ne butshia : quel que soit la longueur de la nuit le jour finira

par apparaître. Quel que soit les souffrances, la patience amène toujours au bien.

Pawaya ku Bakuba kudianza kuteya wamona Bakuba muteyateyabu : si tu

arrives chez les Bakuba (une ethnie apparentée aux Luba), ne te mets pas

immédiatement à tendre les pièges. Observe d’abord attentivement pour voir et

comprendre comment ils tendent leurs pièges. En d’autres mots, partout où on

est étranger, il faut d’abord observer comment ses hôtes se comportent, comment

ils agissent, avant de prendre une quelconque initiative. Sinon on risque de se

causer des ennuis. Le bonheur se cherche dans la prudence et la patience.

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Ntupuu ne mu ntelelu mu mbelu kudiatshi : d’un seul bond, tu te trouves déjà au

fond de la maison sans même piétiner le seuil de la porte ou encore : tu ne peux

pas atteindre le sommet sans passer par la base. Il faut toujours donc aller

patiemment étapes par étapes si tu veux réussir ta vie et connaître le bonheur.

Batamina wakakuata/ukuatshila lunzenza : c’est celui qui avait de la patience de

bien observer les choses qui avait fini par attraper ce qu’il pourchassait, c’est-à-

dire le bonheur.

Wabomba Mutanga nenku wamona mua ku mukuata : il faut amadouer le rebelle

pour parvenir à l’attraper ou à le maîtriser. Il faut user de la sagesse prudentielle

et de la patience pour mieux gouverner ses sujets.

Devant les situations délicates de la vie et dans la recherche individuelle ou communautaire

du bonheur partagé, la sagesse de la vie pratique recommande la vertu de la patience. Celle-

ci consiste non seulement à discerner, mais également à supporter avec calme et sérénité les

aléas de la vie. Avec la pratique de la patience, l’individu Luba est convaincu de la réalisation

en douceur du véritable bonheur, le sien propre et celui de toute la communauté de destin.

En ce sens, la patience est à tenir ou mieux à garder jusqu’au bout sans céder à l’humeur et à

la surprise. Pareille vertu s’acquiert non pas par une sorte de pure méditation spirituelle, bien

que celle-ci reste une dimension essentielle de la mystique luba-kasaï, mais par une

connaissance réelle des règles sociales, et surtout par le sentiment d’appartenance à une

communauté qui renseigne et enseigne l’art de vivre et de savoir-être.

La patience contribue aussi à rétablir et à maintenir l’harmonie et la concorde entre les

hommes et entre eux avec la communauté tout entière. Car c’est par la patience que les

individus apprennent à se supporter mutuellement et à rendre possible le bonheur pour tous.

Par la pratique de la patience, l’individu évite tout sentiment de haine, de jalousie, de mépris,

de rejet ou le regard impropre sur les autres. Bref, autant pour d’autres vertus, autant la

pratique de la patience donne la leçon du triomphe de la vie, des manières d’être, de vivre-

ensemble, de rechercher le bonheur partagé et de faire la paix aussi bien avec soi-même

qu’avec sa propre communauté de destin.

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5. L’intelligence et le triomphe du bon sens

a) Le cycle de Kabundi le sage

Dans la sagesse de la vie pratique luba-kasaï, on découvre un certain nombre de proverbes et

de dictons qui traduisent les rapports que l’homme entretient avec la nature, les

représentations qu’il en fait et l’identification à certains animaux qu’il affiche.

Ainsi outre le Lion, le Léopard, l’Éléphant, l’Hippopotame, l’Antilope et autres grands

animaux, les petits animaux comme le Lièvre, le Renard, la Gazelle, le Singe, le Serpent, etc.

désignent non seulement l’intelligence, mais aussi la malignité et le bon sens. L. Heursch y

souscrit entièrement lorsqu’il affirme : « le cycle de Kabundi, le Renard, considéré comme

un sage-philosophe dans les traditions africaines, semble exalter la malignité comme une

sorte de vertu qui est nécessaire pour arracher quelque chose ou pour tromper la vigilance

d’un autre, mais qui se termine par le véritable triomphe du bon sens et la condamnation

formelle du mensonge ou du mal »97. Dans l’imaginaire luba, le Kabundi-Renard est

considéré comme l’un des chefs des animaux que Dieu Maweja a institué dans la nature. Il

est le plus grand, non pas par sa fougue ou sa force physique, mais par la puissance de son

intelligence. Ce qui explique le cycle des exploits qui lui est attribué par les Luba-Kasaï et

auquel on a consacré bien des recherches et thèses98.

Le cycle met souvent en scène le Kabundi, le Renard, qui trompe la horde animale en faisant

tuer les mères, voulait se faire passer pour le plus fort en faisant tirer la corde l’Éléphant

(Kapumbu) et l’Hippopotame (Tshiboko). Kabundi fût découvert et finit par prendre la fuite.

Le cycle présente également Kabundi comme quelqu’un qui a eu des grandes richesses et qui

a su domestiquer des prestigieux animaux. Les Luba expriment cette situation par

l’expression :

Kabundi nkakuatakuata Makangala : c’est le Kabundi qui domestique les grands.

97 L. De Heursche, « Le renard et le philosophe », L’homme 1/8(1968), p.70-79. 98 P. Mufuta Kabemba, Les contes de Kabundi. Matrice reproductrice du patrilignage chez les Luba-Kasayi,

Québec, Université Laval, 1990, Thèse en arts et traditions populaires. L’auteur présente les différents cycles

de Kabundi à travers lesquels il affirme le fond producteur de la relation des lignées dans la culture luba-kasaï.

Voir aussi T.A. Fourchet et H. Morlighem, Une bible noire, p. 234.

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Dans cette expression, on exalte la puissance de l’intelligence de ce petit animal qui par sa

ruse ou son intelligence est capable de tendre des pièges à des proies de grande valeur. Il est

aussi une matrice productrice du patrilignage.

Un autre cycle de Kabundi (Renard) et Ngulungu (Antilope), raconte que Ngulungu avait eu

un différend avec un autre ami Mbudi, dont il avait décidé de supprimer la vie, et il alla

consulter le devin qui n’était autre que le fameux Kabundi. Alors que Mbudi était caché sous

les raphias par le devin. Celui-ci s’adressa à Ngulungu en lui disant que les cornes qu’il tenait

étaient celles de Mbudi. Le conte relève le manque d’intelligence pratique et de bon sens de

la part de Ngulungu, mais affirme aussi en même temps la présence de ces mêmes vertus

chez Kabundi qui a su déjouer les deux protagonistes et gagner bien des choses précieuses.

b) Le cycle de Kabuluku : les preuves de bon sens

Le cycle de Kabuluku, la Gazelle fait allusion à la malignité et au mensonge-vérité, ce qu’on

appelle en langue Tshiluba « Mabingila a Kabuluku ». En effet, le conte raconte que

Kabuluku avait tendu son piège dans la forêt, alors que Ngulungu (l’antilope) voulait

s’accaparer injustement du gibier trouvait dans le piège. Il s’était passé plusieurs jours où le

piège de Kabuluku attrapait bien d’autres proies. Au premier jour, Kabuluku y avait vu un

insecte, au second le serpent qui avait avalé l’oiseau et au dernier jour il y avait trouvé le

gibier qui avait l’apparence d’avoir été mordu par le serpent attrapé dans le piège auparavant.

Tous ces moments échappaient au grand animal Ngulungu. Était ainsi arrivé le grand jour de

la sentence. Il avait fallu que chacun présente ses arguments et ses preuves matérielles ou

comme on le dit en droit moderne les pièces à conviction. Le grand Ngulungu n’avait que la

force physique et voulait à tout prix s’imposer sur ce qui apparemment ne lui appartenait pas.

Kabuluku prouva avec conviction tous ces moments. Le conte conclut aux « Mabingila a

Kabuluku » : les preuves de bon sens et de l’intelligence. En l’appelant aussi « Kabuluku wa

Mamdimba », les Luba-Kasaï veulent affirmer la puissance sapientielle de ce personnage qui

dit la vérité en la cachant sous la forme du mensonge. Car le maître sage ne peut être que

l’homme capable de dire la vérité en la couvrant dans des énigmes-nshinga compliquées qui

ne se dévoilent qu’après un exercice d’intelligence, d’analyses critiques et d’effort

d’interprétation qui demeure toujours déjà plus long.

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c) Le conte du Crapaud et de l’Épervier

À l’opposé de deux contes précédents, les luba introduisent le conte du crapaud pour montrer

que la malignité, l’intelligence et la sagesse doivent être au service du bien, non pour le mal

et la destruction de la relation interpersonnelle. Ainsi le conte raconte que l’Épervier avait

contracté une dette des biens précieux d’auprès du Crapaud en vue de conclure son mariage.

Mais après quelques semaines, l’épervier se faisait rare et ne semblait plus tenir sa promesse

de restituer les biens empruntés. Constatant la mauvaise foi de l’Épervier, le Crapaud

s’organisa et implora sa communauté de l’aider à rentrer dans ses droits. Le conte conclut

que partout où l’épervier-Kabemba posait ses pieds, il entendait quelqu’un lui réclamer ses

biens en disant :

Manseba Kabemba mpesha nkanu yani : Oncle Kabemba, donnes-moi mes biens.

La leçon à tirer de ce conte est que, le respect du bien d’autrui est ici une règle de vie en

commun et du savoir-être, car le bonheur partagé ne s’acquiert pas dans la malhonnêteté.

L’intelligence ne peut s’exploiter que dans le sens du bien aussi bien pour soi-même que pour

les autres. La ruse ou la perversion ne donne pas nécessairement droit à s’accaparer des biens

d’autrui, à la destruction de la relation et du vivre-ensemble.

d) Le sage philosophe

Comme on vient de le montrer, dans la recherche du bonheur partagé, les Luba-Kasaï

identifient le Kabundi, ou encore le Kabuluku à un homme réduit à son diminutif. Ils parlent,

en effet, d’un petit homme admirablement sage et habile :

Kalume kaka. Ce qui signifie : ce petit homme-là est intelligent et a des capacités

rarement rencontrées dans la communauté.

Kalume ka Mukaba : ce petit homme-là possédant ainsi des grands biens, des

terres, des femmes et des enfants, choses qui reflètent le véritable bonheur.

Ce petit homme comblé de bonheur suscite de l’admiration, de l’étonnement et parfois aussi

de la jalousie ; un homme qui a réussi à réaliser son bonheur malgré les difficultés et les

épreuves. L’on se demande alors comment ce petit homme perdu et même inconnu a pu avoir

autant de richesses et de bonheur ; ce qui dépasse l’entendement humain. Bref, chez les Luba-

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Kasaï, posséder une pareille intelligence, c’est un signe qu’on est comblé de véritable

bonheur. L’intelligence et le bon sens permettent de saisir ou de découvrir les choses cachées,

les secrets humains qui entourent le bonheur partagé.

Sous un autre registre, les Luba-Kasaï présentent ce petit homme comme un sage capable de

résoudre des énigmes-nshinga et de donner des réponses appropriées aux questions

existentielles que se pose la communauté de destin. Pareil personnage ne peut être vu que

sous l’étiquette du sage philosophe au même titre que le sage grec Socrate. Ce qui explique

le rapport établi par certains philosophes africains entre le sage africain et le philosophe

occidental. Ils ont même parlé de la philosophie de « Ilunga Katulushi »99. Par son

intelligence dialogique et palabrique, Ilunga Katulushi est souvent présenté comme le

symbole représentatif du philosophe africain. Il est un sage « menteur », qui dit les vérités en

les dissimilant ou en les cachant dans des proverbes et énigmes-nshinga apparemment

insensés et compliqués à comprendre et à interpréter. Comme le dit aussi Octave Kamwiziku,

il s’agit là du « Comprimé sapientiel de Ilunga Katulushi »100. Au total, la palabre en Afrique

précisément chez les peuples luba-kasaï ne se tranche véritablement qu’en se référant aux

vérités des ancêtres. En ce sens, les sages finissent toujours par dire les vérités à travers les

proverbes, les fables, les contes et les mythes.

e) La réserve langagière, l’écoute et le silence

Chez les Luba, le triomphe de l’intelligence et du bon sens prend aussi le sens de la réserve

langagière face à bien des situations dont on ne se sent pas vraiment concerné. Car se mêler

de tout peut induire aux querelles ou mieux aux conflits, à la déstabilisation de l’harmonie et

de l’équilibre social. En témoignent les proverbes tels que :

Tshienda nkupela, kulua kutula Nshindi tshibelu : celui qui est en visite ne doit

pas se mêler de ce qui ne le regarde pas au risque de provoquer querelles.

99 P. Mufuta Kabemba, « Ilunga Katulushi », Colloque international de la philosophie africaine, Lubumbashi, Université Nationale du Zaïre, 1982, p. 45-46 ; IDEM, « Ilunga Katulushi parmi les philosophes », Le point en

sciences sociales 1/2-3 (1981-1982), p. 64-85. 100O. Kamwiziku Wazol’Apangi, « Éthique et société dans la discursivité africaine. Le cas de Ilunga

Katulushi », Pensée Agissante 2/3 (1995), p. 47-64 ; IDEM, « Le village philosophique. Essai sur le

fonctionnement parémiologiques de la palabre africaine », Revue Philosophique de Kinshasa 13(1994), p. 107-

121 ; IDEM, « Palabre et justice sociale en Afrique », Pensée Agissante 9(février 2000), p.25-37.

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Wewa mpela malu, upelapela malu abakuabu lelu tuakomona ebe : toi qui parles

trop, tu parles même des affaires d’autrui, aujourd’hui tu es pris au dépourvu.

Mpela malu, batakapela ebe : toi qui parles des affaires des autres, on finira par

parler de toi aussi si tu ne cesses pas avec les mauvaises habitudes.

Ndi muendela kota kapia, tshiena muendela mulubu to : je suis venu chercher du

feu, je ne suis pas venu parler des autres.

Mesu mbukenji : il faut seulement regarder et pas se mêler des affaires d’autrui.

Wende ne meso kuendi ne matshio : juste regarde avec les yeux, ne cherche pas

à tout entendre.

Comme mode de persuasion, la réserve langagière ou la retenue devant certaines situations

apparaît comme une technique dialogique dans la vie palabrique luba-kasaï. Lorsqu’on prend

une pause ou on se retient après avoir entendu quelque chose ou après avoir dit un proverbe,

un dicton, une fable ou un mythe on attend que se dévoile un sens, que se donne une

signification qui souvent traduit une situation, une réalité référentielle souvent bien connue

dans la communauté. On cherche sagement à persuader et à amener à la raison l’individu ou

ceux qui sont engagés dans le dialogue ou dans le procès palabrique. Dans l’univers luba-kasaï,

adopter une attitude de réserve langagière et pratiquer la technique de persuasion devant des

situations compliquées de la vie, ou encore devant des personnes de mauvaise foi, c’est une

manière de rechercher la paix et le bonheur. On est heureux quand on possède ces vertus. On

ne peut pas se mêler des affaires des autres, on risque de se détruire et de détruire son propre

bonheur et celui de sa communauté de destin.

À ce couple on peut également relier celui « d’écouter-se taire » qui, lui aussi, révèle

l’émergence du triomphe de l’intelligence et du bon sens dans la vie dialogique et palabrique

luba-kasaï. Dans ce nouveau contexte, le sage n’est pas celui qui parle beaucoup, mais celui

qui sait écouter et qui sait se taire. Pareille attitude marque naturellement le rapport

fondamental ou plutôt ontologique du sage avec sa communauté d’être et particulièrement

avec chacun des membres. Il chemine avec l’individu à la découverte du bien. Pareil rapport

ne recherche pas à exhiber ses capacités d’orateur, ce n’est pas que l’on soit en mesure de

produire la meilleure parole, ou encore la parole de sagesse, mais qu’on reçoive la parole de

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l’autre, de celui qui s’ouvre à soi. C’est cela que confirme également Heidegger lorsqu’il dit :

« L’ouïr est constitutif du discours »101. Cette nouvelle propriété de l’écoute marque le

rapport fondamental de la parole à l’ouverture au monde et à autrui. En ce sens, le discours

est d’abord un effort pour se taire et écouter, non une production abusive des mots ou

d’expressions. Produire un discours, c’est avant tout un silence profond, une intériorisation

du message et une attention soutenue devant les faits et les événements. Le discours, c’est

finalement l’écoute des expressions de l’être au monde, des expressions de la situation

ontologique de l’homme. C’est en réalité, une meilleure intelligence des questions et des

réponses qu’une communauté éthico-historique se pose effectivement, et dont elle exige

responsabilité, engagement et compréhension.

Les Luba-Kasaï semblent s’apprêter à l’écoute de toute autre personne qui a envie de dire ses

angoisses, ses inquiétudes, ses peines et ses joies. C’est dans cette optique qu’ils disent :

Bubi mbua matshio, Buimpe mbua matshio : bon ou mauvais soit le message,

l’essentiel reste d’abord de le recevoir et de l’écouter avant d’en proposer une

quelconque réponse ou solution.

Ainsi le meilleur moment de la rencontre avec l’autre est l’attention soutenue qu’on lui prête,

l’oreille qu’on lui tend et le regard de bienveillance qu’on pose sur lui. Accorder de l’attention

à l’autre, écouter ses peines et ses joies, est non seulement un moment de bonheur, mais aussi

une manière de partager ce bonheur.

Tout compte fait, de la vérité-mensonge, de la pause ou de la réserve-persuasion, de l’écouter-

se taire ou du silence stratégique, ce qui semble ressortir de l’éthique luba-kasaï, c’est

l’attitude philosophique qui marque le triomphe du bon sens et de l’intelligence. Cette

attitude traduit des manières d’être, de vivre et de recherche commune du bonheur. Ceci vaut

autant pour tout un chacun, mais aussi et surtout pour tous ceux qui assument ou qui

s’apprêtent à assumer une quelconque autorité ou une responsabilité politique. Le

responsable politique ou le chef est tenu à faire preuve de maturité et d’intelligence pratique

en usant dans toute leur profondeur et dans toutes les circonstances le bon sens et le jugement.

101 M. Heidegger, Être et Temps, 1986, p.155 et p.207-208. Lire aussi : IDEM, Du Texte à l’action, Paris, Seuil,

1986, p.88-100. L’écoute en contexte Luba est une ouverture ontologique et implique la compréhension de

l’homme.

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Cette attitude qui est une recommandation formelle, le chef est invité à l’assumer et à

l’appliquer devant des situations compliquées de la vie ; il se trouve en même temps dans

l’obligation d’écouter avant d’émettre un jugement, de délibérer et de prendre des décisions

adéquates et mesurées pour le bonheur de ses administrés. En langue Tshiluba on dit :

Kuikala ne Bumfumu ou Bukalenga, signifie assumer le pouvoir ou la

responsabilité politique. Car le pouvoir ne peut être assumé que par un homme

sage, attentif aux sollicitations et capable de réaliser le bonheur de sa

communauté de destin.

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Conclusion

Dans le contexte luba du Kasaï, l’individu est toujours déjà membre de la communauté de

destin dans ce sens que son destin est lié à celui de sa communauté, car c’est en elle qu’il

acquiert sa vie et son bonheur. Ceci explique le sentiment d’attachement et d’appartenance

de l’individu à sa communauté, aux membres de son clan et à sa terre. Ce sentiment est un

signe de bonheur et de vie. Vivre, c’est entretenir un réseau de relation avec les membres de

sa communauté. En tant que membre, le Luba-Kasaï a la conviction que la vie et les biens

matériels (signe de bonheur) qu’il possède sont éphémères, et de ce fait, il ne peut pas en

jouir tout seul. Ainsi la solidarité et le partage, les marques de générosité réciproque et de

sollicitude, la pratique de l’hospitalité deviennent des règles nécessaires pour une vie bonne

et épanouie en communauté. La vie interpersonnelle et communautaire ordinaire exige aussi

un bon usage de la parole. Car en adressant une parole de bienveillance et de bienfaisance,

en disant la vérité, ou encore en restant fidèle à sa parole, on traduit ce sentiment de bonheur

partagé et de vivre en communauté. De la sorte, la parole devient un véritable instrument de

communication et de réalisation du bonheur. Mais cet instrument n’est pas l’apanage d’un

seul, il revient à tout membre qui sait communiquer et qui sait accepter que les autres ont

aussi droit à l’expression. Car toute prétention à l’absolutisme et au dogmatisme de sa vérité

est un contre témoignage de la recherche commune du bonheur. L’expression de la vie

individuelle est une reconnaissance de la vie des autres, des différentes formes de pensées et

de perspectives, car personne ne peut prétendre tout connaître, tout savoir « mpala ne

nyima ». Toute connaissance est perfectible et sujette à caution. L’autorité plus que les autres

est conviée à être sage en usant de bon sens et de bon jugement dans la prise des décisions et

dans la quête du bonheur de sa communauté. Par la pratique du bon sens, des vertus de

l’anticipation et de prévention, l’autorité se montre à la hauteur de la lourde tâche qui lui

incombe. Elle est tenue à faire prévaloir l’interdépendance et le respect de chacun des

membres, même le vieillard grabataire a droit à cette reconnaissance. Cette reconnaissance

de la dignité et cette recherche de l’altérité et du bonheur marquent l’institution du mariage

et de la vie conjugale, cadre idéal de l’apprentissage de la vie et d’acquisition de la maturité

sexuelle.

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TROISIÈME PARTIE

L’ÉTHIQUE POLITIQUE ET LA MÉDIATION

INSTITUTIONNELLE

Introduction

Notre analyse de la quête du bonheur partagé au courant de deux premières parties a semblé se

limiter dans le rapport de la personne face à son propre bonheur et de la relation

interpersonnelle et communautaire. Mais en scrutant davantage la sagesse de la vie pratique

luba-kasaï, nous nous sommes rendus à l’évidence que la visée du bonheur partagé n’arrête pas

sa trajectoire dans les vertus de la solidarité, de la bienveillance, du partage, de la réciprocité

généreuse, de la pratique de l’hospitalité ou encore dans le discours et le triomphe du bon sens ;

elle va au-delà en englobant ainsi de nombreux individus. Désormais, le champ de la quête du

bonheur partagé devient la communauté historique et politique. Cela revient à dire que, dans

ce nouveau contexte, la recherche du bonheur partagé que poursuit la personne dans son activité

individuelle n’atteint sa pleine signification que lorsqu’elle rejoint sa dimension politique et

institutionnelle, c’est-à-dire lorsqu’elle est relayée par un engagement relatif à l’instauration

d’un ordre public et le vivre-ensemble. Cette quête du bien public s’inscrit sur la trajectoire de

l’accomplissement non seulement de l’individu, mais également de la communauté de destin.

Car les capacités d’un individu ne peuvent s’éclorent que par la médiation d’une communauté

d’appartenance, mais cette communauté doit aussi présenter les caractéristiques qui favorisent

cet épanouissement. Ceci constitue le pôle éthique de la médiation institutionnelle et de la

responsabilité politique. C’est ce pôle, ce socius éthique et impersonnel qui sera au cœur de

toutes nos investigations au courant de cette troisième partie. À cette occasion, nous

chercherons à revisiter tour à tour le contenu et le sens que les Luba-Kasaï donnent à la notion

de la responsabilité politique et à la gestion du pouvoir, à l’autorité et aux principes politiques,

à la justice et au respect des droits de la personne. Il sera surtout question de voir comment

toutes ces valeurs concourent au maintien de l’équilibre social et à la promotion du bonheur à

travers des institutions sociopolitiques établies. Comme dans toutes les situations, nous ferons

intervenir les proverbes, dictons, fables, mythes et chants populaires, etc. Car c’est en

approfondissant ces modes de pensée que nous pénétrerons davantage dans les secrets du savoir

et de l’art de la gouvernance des Luba.

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CHAPITRE PREMIER

L’ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ POLITIQUE

1. Les aspects de la notion de la responsabilité

a) L’aspect moral

La sagesse de la vie pratique luba-kasaï révèle trois aspects fondamentaux de la

responsabilité, à savoir l’aspect moral, juridique et éthique ou politique. D’un point de vue

strictement moral, la responsabilité d’un agent consiste à répondre ou à rendre compte, en

toute conscience et devant Dieu, de ses actes en vue d’en subir les conséquences. La

responsabilité morale ainsi définie s’applique aux seuls actes conscients et librement

exécutés. L’agent ne reconnaît que les actes dont il se sent pleinement cause, c’est-à-dire des

actes qui sont réellement siens et qui dépendent de lui. Pareille responsabilité coïncide avec

l’idée de l’agent volontaire en tant que point d’ancrage de la responsabilité avec la nécessité

de considérer comme imputable les conséquences non voulues des actes. Ici l’agent

responsable répond à quelqu’un de quelque chose ; il s’en porte garant ou encore mieux il

répond de son bonheur personnel. On dirait même que chaque individu se sent responsable

de sa destinée, la communauté de vie et Dieu Maweja sont considérés comme étant innocents.

Cette reconnaissance apparaît comme un geste d’aveu qui permet à l’individu de se recentrer

sur son intériorité et, en même temps, de se restaurer vis-à-vis de l’autre et de la communauté

de destin. Aussi, elle lui permet d’une part de décliner sa responsabilité et, d’autre part, elle

l’enferme dans une sorte d’intériorité qui interdit toute ingérence extérieure ou toute

appréciation des autres ou de la communauté. L’agent fait preuve de bonne foi et s’apprête à

y remédier.

Cette prise de conscience est généralement pratiquée dans le contexte luba-kasaï comme une

manière de vivre un certain degré de mort à soi qui permet à l’individu de se réinsérer dans

la communauté de vie. C’est ainsi que les Luba déclinent leur responsabilité des suites

indésirables de leurs actes en disant :

Ndi ne bualu Ndi ne bualu butambe bunene : J’ai un grand problème, j’ai commis

une grande faute.

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Ndi muenza bibi, ndi muenza tshilema tshinene : j’ai commis une grave faute.

Il s’agit d’un acte de contrition par lequel l’individu se reconnaît fautif, et se trouve dans

l’obligation de dire sa faute ou d’avouer sa faute et de laisser de manière à se restaurer :

Kutonda tshilema (singulier) ou bilema (pluriel) ne kulekela.

Dans les chants populaires tout comme dans les dictons, on trouve traduite cette forme de

contrition et d’obligation morale :

Watonda ne walekela ne asungidibue : celui qui avoue sincèrement, et qui

abandonne sa faute, ou encore qui opère un véritable changement dans sa vie,

sera pardonné et restaurer par l’ensemble des membres de la communauté de vie,

et de ce fait, il connaîtra le bonheur.

Le pardon est sans doute lié à l’aveu du mal commis. Il y a là une démarche qui induit à la

communion des membres de la communauté et à la recherche du bonheur partagé.

Mais dans certains cas, l’individu peut se refuser de se livrer ou de s’avouer responsable de

ses actes au motif que personne ne l’a vu. En ce sens, on peut dire que l’individu ne prend

conscience de ses actes que s’il est réellement vu par quelqu’un d’autre. On peut même dire

que c’est le regard de l’autre qui amène l’auteur à une prise de conscience. En d’autres termes,

la faute commise ne devient réellement fautée et interpelle la conscience de l’agent causal

que s’il est irrévocablement attrapé en flagrant délit. Dans le cas du vol du bien d’autrui ou

de l’adultère, par exemple, l’agent qui l’a commis peut rejeter ou peut méconnaître sa

responsabilité. Mais une fois ramené à la conscience, l’individu peut se rendre compte de son

mal et avouer sa faute en disant qu’il a été trompé par son cœur :

Mutshima wani wa ku nshima (wa nshimi) : mon cœur m’a trompé.

Par cet acte de contrition, il se restaure, rétablit la communion et l’intégrité et se réconcilie

aussi bien avec sa famille qu’avec toute la communauté de destin. L’homme qui se dit trompé

par les allures de son cœur n’est pas innocent, il reste coupable, après coup et

rétrospectivement, eu égard à sa transgression simplement objective, indépendamment de

toute responsabilité subjective, car il a détruit objectivement et réellement sa famille (Diku),

son élan de bonheur. C’est pourquoi il doit en restaurer l’intégrité.

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On peut en conclure que, le geste de reconnaissance de sa faute et de la restauration de

l’intégrité procure un sentiment de bonheur. L’individu redevient membre de la communauté

et se met comme les autres à la recherche du bonheur partagé, le sien propre et celui de sa

communauté politique.

b) L’aspect juridique

On peut se demander à quel point peut-on faire confiance à la personne qui se dit consciente

de ses actes. Aussi, dans bien d’autres cas certains gestes de reconnaissance des actes commis

par soi et leurs conséquences peuvent être dictés par des agents extérieurs. Dans ce sens, le

peuple Luba-Kasaï se trouve dans une impasse dans la mesure où on ne peut plus contrôler

ou attester que la faute a été réellement commise par tel ou tel autre agent. Car on ne sait pas

à qui on peut faire confiance, à l’agent incriminé ou à celui qui lui dicte de reconnaître ses

actes. Plus souvent aussi, pareille situation entraîne les conflits et déstabilise la vie et l’élan

de la recherche commune du bonheur. Pour sortir de ce piège, les Luba-Kasaï ont aménagé

un cadre juridique non seulement pour amener l’individu à accepter sa responsabilité, mais

également pour préserver l’harmonie, l’élan du bonheur et les relations interpersonnelles

dans la communauté politique.

Dans ce nouveau cadre institutionnel, l’agent est soumis à un certain nombre de lois, et il a

l’obligation de s’y conformer. L’individu décline sa responsabilité non devant sa conscience

et devant Dieu, mais devant les cours et les tribunaux. Cette nouvelle sorte de reconnaissance

suppose plus la connaissance et l’intégration dans la vie de tous les jours des lois, mais aussi

des règles générales de la sagesse de la vie pratique. Dans cette optique, le coupable avoue

avoir transgressé les :

Meyi ne Mikandu mishiya kudi Bankambua : les lois, les règles et les

prescriptions léguées par les ancêtres.

Mikenji mishiya kudi Bakulu ne Bankambua : les lois laissées par les anciens.

Dans tous les cas de figure, l’individu ainsi reconnu coupable est tenu pour responsable des

conséquences qui adviennent et le cas échéant on lui en fait porter toute la responsabilité. Le

dommage causé doit être réparé.

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181

c) L’aspect civil et politique

À l’idée de la compensation juridique, on peut mêler celle de la punition et du châtiment, qui

a une signification morale et qui qualifie l’acte causal comme étant moralement coupable. Ici

c’est l’acte qui est le plus visé et puni que les conséquences. Dans le cas du crime, par

exemple, on s’avise de l’évaluer en lui-même et pour lui-même avant de prendre des mesures,

ou encore mieux avant de procéder au châtiment. Mais une fois amené à la conscience des

conséquences de sa faute, l’individu se repend et accepte de laver sa faute et de dédommager

la victime. C’est en fait une responsabilité civile, qui va au-delà même des actes

consciemment et librement exécutés. On peut même dire que l’individu est tenu responsable

non seulement des actes que lui-même a posé, mais également des conséquences qui touchent

l’ensemble des membres et l’élan du bonheur partagé de la communauté politique. L’individu

se rend ainsi à l’évidence qu’il est civilement ou publiquement ramené à sa propre

responsabilité. C’est en fait sur cette responsabilité civile que se fonde la responsabilité

politique. Autrement dit, outre les aspects moral, juridique, civil et leurs apories, la notion de

la responsabilité prend un autre sens en vertu duquel l’individu est responsable non en

premier lieu de son comportement et de ses conséquences, mais de la chose qui revendique

son agir. Dans cette perspective, la responsabilité pour son propre accomplissement ou de

son propre bonheur partagé n’envisage pas seulement des projets d’actions donnés du point

de vue de leur acceptabilité morale, mais elle oblige à entreprendre des actions, qui ne

poursuivent pas d’autre but que le bonheur de chacun des membres de la communauté

historique et politique. Pareille responsabilité est appelée dans la langue Tshiluba

« Bukokesha ». On dit de celui qui a la charge de sa famille :

Mmukokesha ou Mmukumbane : il convient à prendre la responsabilité.

Udi ne bujitu : il a une charge, une responsabilité.

Udi muambula bujitu bua Muanende ou bua Muanabu : il a pris sur lui toute la

responsabilité juridique et morale des actes posés ou ainsi commis par ses

enfants, par son frère, sa sœur, sa femme, sa mère, par son père ou par un autre

membre proche ou lointain de la famille ou du Clan (Diku).

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Ces expressions signifient que l’individu porte sur lui toute la charge ou tout le poids, la

lourde responsabilité. Pareille responsabilité n’est pas une corvée, mais une recherche

commune du bonheur.

Mais le « Bukokesha » peut également aller jusqu’au niveau le plus large possible des grands

ensembles, des grandes entités politiques ou des grandes structures sociopolitiques. Dans ce

cas précis, par exemple, on peut alors être responsable de son village, de son pays, d’un

groupement politique quelconque, d’une organisation sociale, d’une association à but non

lucratif ou à utilité publique. Cette autre sorte de responsabilité peut être dite : responsabilité

citoyenne, civique, ou encore mieux responsabilité politique ou éthique. Chez les Luba-

Kasaï, assumer une pareille responsabilité, une telle « Bukokesha », c’est viser à réaliser son

propre bonheur et celui de la communauté politique. Il semble même que, c’est ce genre de

responsabilité engageante que les Luba du Kasaï semblent avoir en vue lorsqu’ils parlent de

l’éthique de la responsabilité politique. Cette éthique de la responsabilité politique est ancrée

dans leur mode de gouvernance ; elle prend aussi en compte la gestion de la chose publique.

2. Les pôles de référence politique

a) Le citoyen

Dans le contexte de la sagesse de la vie pratique luba-kasaï, la responsabilité politique qui

incombe à celui qui, par mandat est le tenant lieu, vise d’abord l’accomplissement, le bonheur

du citoyen. Comme nous l’avons montré dans la première partie de ces réflexions, la

personne recherche son bonheur comme un bien suprême en vertu duquel elle s’engage à le

rendre historique et éternel. Conscient de cette réalité, le Mukalenga ou le Mfumu, le

responsable politique considère ainsi le citoyen comme le pôle de référence de l’exercice de

son Bukalenga ou de son Bumfumu, le pouvoir. En ce sens, la responsabilité politique, le

Bukalenga, apparaît comme un véritable ordre qu’on lui intime, et en même temps, qui

l’oblige de faire quelque chose, de s’engager réellement pour le bonheur de l’individu. Ce

quelque chose est la garantie de sécurité pour la personne et pour tout ce qui lui appartient.

C’est en garantissant aux individus les possibilités d’accomplissement, de réalisation du

bonheur, de sécurité et de protection que le Mukalenga acquiert réellement son statut de

Mfumu, de Mukalenga wa bantu, c’est-à-dire le statut du chef et responsable politique digne

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de son nom, et qui par-dessus tout appartient au peuple. C’est ainsi que les Luba-Kasaï

recommandent à tous ceux qu’ils élèvent à cette charge de garder les :

Bantu ne bintu biabo, de veiller aussi bien sur les hommes que sur leurs biens.

Cette tâche est fondamentale qu’elle est tenue comme primordiale dans la hiérarchie des

priorités et de la gestion des institutions politiques. Agir autrement entraîne la sanction et

partant la déchéance du Mukalenga. Dans les gestes comme dans les paroles, le Mukalenga

wa bantu ne s’autorise pas la colère envers ses sujets. Car sa parole revêt une sorte de force,

de puissance qui peut nuire à ceux-ci. Dans cette optique, les Luba recommandent au

Mukalenga wa bantu d’éviter toute attitude susceptible de déstabiliser la vie des citoyens :

Mukalenga wa bantu katu wa lama tshinji : l’autorité ou le responsable politique

ne garde pas longtemps la colère envers ses sujets.

Mukalenga umbusha tshinji mumpala uteka munshingu : débarrasse-toi de ta

colère ou fait descendre ta colère, soit plutôt sage, réconciliant, cherche plutôt à

réaliser le bonheur de tes sujets.

Le Mukalenga qui abuse de son autorité provoque ce que les Luba appellent :

Le Kaninganinga ou le Dijita, la colère et la haine de la part des individus et

même de toute la communauté politique.

Donc, le Mukalenga a comme première tâche la promotion du bonheur de l’individu, du

citoyen. Mais dans le cas où le Mukalenga arrive à poser des actes odieux contraires à

l’aspiration au bonheur de son sujet, il peut être considéré comme étant l’ennemi de son

propre peuple ou de sa communauté politique. Il est tenu d’être exemplaire et sage en suivant

les règles de la sagesse de la vie pratique, dont il est le garant. En ce sens également, il

s’engage à travailler au maintien de l’équilibre social et de la promotion du bonheur de tout

un chacun.

b) La communauté politique

Certes, la responsabilité qui incombe au Mukalenga ou au Mfumu, l’autorité, est d’abord

celle envers le citoyen, il reste aussi vrai que le premier commandement dans l’exercice

même de la responsabilité politique est l’existence de la communauté historique et politique.

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L’existence de la communauté politique signifie chez le peuple Luba-Kasaï que, les hommes

et les femmes ainsi que tout ce qui existe en dessous et au-dessus vivent dans le bonheur et

dans la paix. Ceci constitue, pour ce peuple, le commandement absolu. De cette manière, la

finalité de l’action politique devient la réalisation satisfaisante du bonheur partagé des

membres ou des citoyens. L’autorité est désormais un véritable Mukalenga wa bantu au

service de tous, de la communauté politique avec laquelle il partage le destin et l’humanité.

Ce rang n’est pas à la portée de tous, il revient à la personne qui est jugée digne, vivant le

regard tourné vers la constitution d’une conscience citoyenne commune qui se reconnaît dans

chacun et qui vise la réalisation du bonheur. En réalité, le Mukalenga wa bantu apparaît ici

comme un véritable artisan d’une communauté où l’action politique renvoie à une fin commune

qui se détermine en fonction d’elle-même, c’est-à-dire le bonheur partagé. Or, le bonheur

partagé, chez les Luba-Kasaï, est tout ce qui contribue à l’épanouissement et à la réalisation de

la personne prise dans sa triple dimension : individuelle, communautaire et institutionnelle.

Mais le Mukalenga wa bantu n’est pas nécessairement le géniteur de la communauté politique,

dont il peut s’attribuer la responsabilité. Au contraire, c’est le fait même que celle-ci existe déjà

qui est une des raisons fondamentales pour lesquelles il le fait et se procure le pouvoir de le

faire. Il n’est pas non plus sa source nourricière, encore moins au-dessus d’elle, mais au mieux

le protecteur, l’organisateur et le serviteur. À ce sujet, les Luba disent :

Mulamba katu watamba ditunga, bualu ditunga ndidi dimuteka : Mulamba

(l’autorité) n’est pas au-dessus de la communauté politique et historique, car c’est

cette communauté qui le nomme et lui donne tout le pouvoir de rechercher le

bonheur pour tous les citoyens ; sa tâche est de la protéger et de la promouvoir.

En agissant ainsi, le chef ou l’autorité politique prouve son mérite.

Au regard de cette position de serviteur, le Mukalenga wa bantu (le chef, l’autorité),

développe ainsi en lui un vif sentiment affectif à l’égard de la communauté politique, dont il

souhaite influencer le destin. Car c’est sa communauté en un sens plus originaire que la

communauté d’intérêt. Il est issu d’elle et devenu lui-même grâce à elle. De cette manière, il

n’est sans doute pas le père, mais le membre et le fils de son peuple. Il est lié à sa communauté

par les liens de la fraternité et de la solidarité à tous les autres fils qui en font partie, les

vivants, les morts et les ancêtres, ceux qui viendront et même ceux qui y ont déjà été. C’est

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ainsi que les Luba-Kasaï désignent le chef, le Mfumu ou le Mukalenga (singulier), (Bamfumu

ou Bakalenga, pluriel), selon leur appartenance au clan, à la famille (Diku) ou au groupement

politique :

Mfumu wa bakwa Kayembe : le Chef du clan dont l’ancêtre est Kayembe.

Mfumu wa Mwa Nkashama : le Chef dont l’ancêtre est Nkashama.

Mfumu wa bena Mulamba : le Chef dont l’ancêtre est Mulamba.

Cette désignation ou cette appartenance explique le caractère héréditaire du pouvoir dans le

contexte luba-kasaï. Dans tous les cas de figure, dans l’univers luba, cette appartenance fonde

plus qu’une simple relation d’obligation, à savoir cette identification émotionnelle avec

l’ensemble de la communauté politique, la solidarité ressentie qui est analogue à l’amour à

l’égard de l’individu. La solidarité de destin qui, du point de vue du sentiment d’attachement

et d’appartenance, prend la place de l’origine commune. Le fait du sentiment d’attachement,

d’appartenance et d’amour rend alors le cœur du Mukalenga wa bantu (le chef), réceptif à

l’obligation qui de soi ne le demande pas, mais l’assume librement et même dégagé de toute

impulsion. Il est certes difficile de porter la responsabilité de quelque chose qu’on n’aime

pas, de sorte à susciter en soi-même cet amour plutôt que l’obligation de la faire libre de toute

inclination. Ainsi dans l’univers luba-kasaï, le Mukalenga wa bantu a l’obligation morale

d’aimer sa communauté politique, non seulement en intégrant les intérêts vitaux et

existentiels dans l’exercice de son pouvoir, mais également en coordonnant de façon

harmonieuse la recherche commune du bonheur, les aspirations profondes, mais

contradictoires de chacun des citoyens. Il assume pour cette même raison le rôle dont les

responsabilités ressemblent à celle d’un bon père de famille, bien que la parenté clanique,

familiale (Diku) ici n’ait rien à voir avec la véritable pratique de la responsabilité politique

luba-kasaï.

Par ailleurs, la communauté politique que constituent les citoyens ou les « Bantu wa

Mukalenga » n’en demeurent pas moins active et engagée. Elle est également responsable de

son destin d’abord et de celui de Mukalenga wa bantu (le chef) ensuite. Elle participe aussi

bien à l’action politique de Mukalenga qu’à la solidarité de destin manifestée par lui et à la

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recherche du bonheur partagé. Dans ce contexte, le Mukalenga wa bantu, l’autorité politique,

est convié à considérer qu’il a affaire à des citoyens adultes ayant des capacités de jugement

et de décision, et de ce fait, ils peuvent subsister sans lui et peuvent même assumer le rôle de

contrôle de son action politique et de promotion de leur bonheur. Pareille vision trace les

bases d’une responsabilité politique partagée que les Luba-Kasaï traduisent par l’expression

devenue emblématique :

Mukalenga wa bantu, bantu wa Mukalenga : il n’y a de chef que là où se trouve

une communauté.

Le chef est donc convié à tenir compte d’abord de l’avis de la communauté politique, car il

ne peut gouverner tout seul et selon ses propres idées et pensées, il doit viser le bonheur

partagé. En témoigne cet autre dicton :

Baakafinga bantu kabakafinga nsona : on gouverne les hommes et non les

chaumes, car ce sont les hommes qui lui donnent sa valeur et son pouvoir.

Cet aphorisme ainsi que ses variantes signifient, dans leur dimension politique, que le chef

se soumet au peuple et le peuple se soumet au chef. Il puise dans sa communauté la vie elle-

même ; tout chef qu’il est, il a des obligations à l’égard de ses proches, de sa communauté ;

il est soumis à un tissu de relation qui l’oblige parfois à s’incliner devant quelqu’un d’autre.

Le peuple Luba semble assumer cette dialectique couteuse à bien des égards, mais qui traduit

la manière de gouverner pour la promotion du bonheur partagé. Il s’agit pour le peuple

d’assumer le contrôle de l’action politique de Mukalenga par la base démocratiquement

organisée. Il s’agit surtout de rendre possible l’exercice du pouvoir et impossible toute sorte

d’abus en se constituant en véritable rempart contre toute tendance du Mukalenga wa bantu

à l’omnipotence ou à l’omniprésence et de trouver un instrument institutionnel garant de la

dignité, de la liberté et des droits des citoyens au bonheur. Ceux-ci, c’est-à-dire les Bantu wa

Mukalenga, par le fait même de leur résistance ou encore de leur vigilance permanente et

tenace sauvegardent la communauté des dérives et empêchent le Mukalenga de prendre des

décisions sans consultation de la grande majorité de la population et de sa cour. Chez les

Luba-Kasaï, par la volonté exprimée du vivre-ensemble, d’agir-ensemble et de savoir-être,

les citoyens (Bantu wa Mukalenga) s’engagent à préserver leur communauté des excès du

pouvoir, de l’arbitraire et à œuvrer dans l’harmonie pour la promotion du bonheur de chacun.

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Ainsi que le confirme Tshibasu Mfuadi : « Dans cette culture, le chef ne peut jamais prendre

tout seul des décisions importantes intéressant toute la communauté sans consulter ses

notables. Son pouvoir n’est pas absolu. Il l’exerce en tenant compte des avis des notables et

de la grande majorité des habitants du village. Une décision non approuvée par la quasi-

totalité de la population ne passe pas »102.

Ce que le peuple Luba-Kasaï semble donc viser ici, c’est la participation du plus grand

nombre possible des citoyens au processus de prise de décision concernant la gestion du bien

commun et la réalisation du bonheur partagé. Il s’agit aussi de travailler à la réduction

sensible de l’écart entre le Mukalenga wa bantu (le chef), c’est-à-dire le gouvernant et les

bantu wa Mukalenga, les gouvernés. Les citoyens et le responsable politique deviennent des

véritables partenaires devant les choses qui engagent leur mutuelle responsabilité politique

dans la quête du bonheur partagé, le gouvernant l’assumant un peu plus sur le plan de

l’exercice et de l’effectivité du pouvoir par rapport aux Bantu wa Mukalenga, les citoyens.

c) La gestion du bien public

Prise ainsi au premier niveau de l’éthique du bonheur partagé, cette responsabilité politique

étend ses racines jusque dans la gestion du bien commun ou du bien public. Ce dernier, on

s’en doute, complète la triade de l’éthique de la responsabilité politique, mais aussi et surtout

pose au cœur même de la quête du bonheur partagé la question institutionnelle de la gestion du

pouvoir et de l’autorité politique. Pour le peuple Luba-Kasaï, les affaires du bien commun ou

du bien public ne marchent pas toutes seules, elles ont besoin d’une direction, d’une autorité et

d’une décision délibérée. Elles ont besoin d’être suivies et améliorées pour le bonheur de tous.

Cette direction est assumée en premier lieu par le Mukalenga wa bantu, l’autorité qui, lui, est

le seul qui y croit en ce moment précis et qui sait le mieux ce qui est le meilleur choix pour

tous. Il est celui qui peut traduire en acte concret le consensus correspondant déjà existant. Mais

le bien commun ou le bien public dans le contexte luba-kasaï n’est pas une réalité abstraite. Il

s’agit des troupeaux de bétails appartenant à la collectivité, des routes, des champs, des biens

mobiliers et immobiliers, des cours, des places publiques, des lieux de rencontre, des marchés,

des lieux de culte, de danse, de loisir ou de palabre, des terres, des forêts et des rivières, des

102 Tshibasu Mfuadi, Coutumes et tradition baluba, Paris, L’Harmattan, 2004, p.32.

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libertés individuelles et des droits des citoyens, etc. À ce propos Mabika Kalanda affirme :

« Outre le bien d’autrui, la tradition Luba reconnaît la terre, le chemin et le marché public

comme seuls biens collectifs. On ne peut les voler à proprement parler, car ils sont inaliénables.

Les biens que les modernes appellent biens publics ou biens de l’État sont réputés res nullius,

car n’appartenant à personne »103. La violation ou le vol de ces biens communs est considéré

comme un crime entrainant le Tshibawu (la condamnation) et, est même sévèrement

sanctionnée.

La sanction ou le Tshibawu concerne également le manque de respect de la vie et des biens

d’autrui, des terres des clans ou des tribus, des arbres plantés dans une parcelle privée, des biens

meubles et immeubles personnels ou à usage collectif. Les individus sont tenus de protéger le

bien collectif et d’œuvrer pour sa promotion. Agir ainsi reste une bonne manière de se

conformer à la sagesse de la vie pratique, aux lois de la vie en commun, d’honorer Dieu Maweja

et de participer à la quête commune du bonheur. Ces règles sont indérogeables et s’imposent à

tous. Car il s’agit d’établir le véritable ordre public, l’équilibre social, la pratique de la justice

sociale et la paix durable dans la communauté politique. Personne ne peut prétendre avoir un

droit sur les biens qui n’appartiennent à personne et même ceux qui appartiennent aux

particuliers. Ainsi les forêts, les rivières et les routes restent des biens publics protégés.

Cette perception du pouvoir et de la gestion du bien commun pose également l’épineuse

question de la violence légitime exercée par l’autorité publique visant au respect strict de ce

qui n’appartient à personne.

d) La violence légitime

Dans la culture politique luba, la gestion du bien commun implique la présence indispensable

de l’autorité politique. Ceci semble être un véritable plaidoyer en faveur de l’autorité

politique, qui n’est pas un mal en soi, même si elle peut donner lieu à des passions perverties.

Elle est aussi la contrepartie de l’obligation issue de son appartenance à un espace politique,

à savoir l’obligation d’obéir aux règles communes qui sont une des conditions du

103 A. Mabika Kalanda, La révélation du Tiakani, p.73-75.

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développement des capacités et en vertu desquelles l’homme se considère comme un être

humain.

Dans le processus du vouloir-vivre-ensemble et de la recherche du bonheur, l’autorité

politique n’a pas besoin de recourir à la contrainte pour obtenir l’adhésion des citoyens. Face

au respect du bien commun, elle en appelle à la conscience de chacun. Car elle sait que le

commandement et la violence ne peuvent être que les résultantes des dérives maléfiques du

pouvoir. Oui, il est aussi possible d’avoir une autorité qui se proposerait d’exercer le pouvoir

sans s’appuyer systématiquement sur la force. Mais puisque les individus ne sont pas

autorisés à se faire justice, il appartient à l’autorité politique d’user de la violence légitime

pour établir la paix et la justice. Comme l’affirme aussi Peter Kemp : « Une certaine violence

contrôlée, et pas seulement celle de l’État, peut être justifiée pour protéger la vie humaine

contre les démons qui saisissent certains individus »104. Les individus sont invités à en appeler

et à s’en remettre à l’autorité politique, c’est elle qui exécute la sentence prononcée par le

juge ; c’est elle, en dernière instance qui punit et qui pénalise du fait qu’elle détient la

puissance coercitive.

Cette sorte de violence est en réalité une violence restauratrice qui ne vise que le bonheur

partagé de l’ensemble des citoyens. Mais à cause de cette contingence et de cette historicité,

il incombe aux citoyens d’exercer leur devoir de vigilance vis-à-vis de la menace permanente

de résurgence de l’arbitraire consubstantiel à la nature même de l’autorité politique.

Mais en parlant de l’usage de la violence légitime par l’autorité politique, on a l’impression

qu’il s’agit là des dérives dictatoriales de celui qui est mandaté par le peuple. Il est plutôt

question de ce qui constitue un État purement moderne. Celui-ci instituant une police, une

administration, une instance judiciaire, cherche non pas à instaurer la paix dans la cité en

faisant recours à la force, mais à promouvoir cette paix et cet ordre par l’exercice de ses

fonctions. L’autorité politique incarne ces objectifs et s’en serve pour le bonheur de chacun

des citoyens et de toute la communauté politique. D’ailleurs, l’État, c’est le recours à la force

104 P. Kemp, « Pour une éthique narrative : un pont entre l’éthique et la réflexion narrative chez Ricœur », in

Paul Ricœur. Les métamorphoses de la raison herméneutique. Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle, (1-

11/8/1988), sous la direction de Jean Greisch et Richard Kearney, Paris, Cerf, 1991, p. 337-356. Se référant à

Machiavel, il parle de la « violence restauratrice » de l’État.

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légitime en dernière instance. C’est tout de même à cela que l’on voit réellement s’il y a ou

non un État. Chez les Luba donc, la violence de l’État ne vise pas la destruction des citoyens,

mais bien une meilleure coexistence, une vie pacifique entre les citoyens et le bonheur de

chacun ; la violence de l’État fait l’État dit-on ! C’est une prise de responsabilité politique.

En fait, chez les Luba, la contrainte ou le châtiment du fautif par l’autorité de l’État n’est pas

nécessairement une action morale soumise à la critique morale, mais une prise de

responsabilité légitime par l’État. Dans ce sens, parler du pouvoir de l’État, c’est parler du

pouvoir de contrainte.

Certes, l’autorité légitime a la capacité de sanctionner et la puissance de contrainte, mais elle

ne peut exceller au risque de commettre des bavures. La sagesse luba-kasaï recommande à

l’autorité de rationaliser, de limiter et de mesurée cette violence pourtant nécessaire dans la

gestion des biens communs. À ce niveau, on peut parler du paradoxe constitutif du pouvoir

politique. Celui-ci apparaît lier au mal — une première fois parce qu’il n’apporte un remède

aux passions que par le moyen de sa violence corrective. L’autorité doit doser la violence, il

doit faire preuve de maîtrise et de compréhension. En témoignent les dictons tels que :

Biosha muana Nsubu kabatu ba moshelamu to : bien que l’enfant ait brûlé la

maison, on ne peut l’y introduire pour qu’il brûle lui aussi.

Mashi a mumenu, wa tuila amu washiya makuabo : on ne crache pas tout le sang

de sa bouche.

Mvua mua kushipa Nyoka, kadi Nyoka udi ku tshilowa : j’aurais bien voulu tuer

le serpent, mais il est juste en dessous de la calebasse. Il y a donc risque

évidemment de la casser en même temps.

e) L’allégeance des citoyens à la communauté politique

Dans l’univers politique luba, la sagesse recommande une meilleure coopération entre

l’autorité publique et les citoyens. Car à trop insister sur la violence du pouvoir, le risque est

grand de voir les Bantu wa Mukalenga (les citoyens) se désintéresser de la gestion commune

du bien public, de la quête du bonheur et même de la vie de Mukalenga (de l’autorité

politique). Pareille attitude de prise de distance semble aller à l’encontre même de la position

médiane entre les extrêmes. C’est autant dire que, le Mukalenga, l’autorité a intérêt à inviter

les citoyens à la participation, à la gestion du bien public et à la réalisation du bonheur

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partagé, en tant que partenaires. Elle doit offrir aux individus les conditions requises au

bonheur et au développement de leur autonomie, et en contrepartie ils assument leur « dette »

vis-à-vis de la communauté politique sous forme d’allégeance à valeur d’obligation, plutôt

que de manière conditionnelle ou optimale. Dans ce contexte, l’individu se fait un véritable

point d’honneur en contribuant à la bonne marche de la communauté politico-historique, à la

recherche du bonheur en lui faisant bénéficier de ses talents et de ses capacités. Il n’est pas

conforme à la sagesse de la vie pratique luba-kasaï que l’individu membre de la communauté

politique tire avantage de son appartenance à une communauté sans en assumer la

responsabilité. C’est bien cela que Reef appelle : « La culture politique luba »105. Ce que la

sagesse luba-kasaï veut éviter ici, c’est que l’individu ne tienne pas la communauté politique

et toute la responsabilité qui en découle pour un simple instrument de sécurité à l’abri duquel

il poursuivra ses buts égoïstes et solipsistes et considérera sa participation à la quête du

bonheur partagé comme conditionnelle, partant révocable. Il est donc logique que l’individu

se considère comme coresponsable et, par le fait même, se sente obliger à l’égard de la

communauté historique et de la gestion du destin commun. Car sans la médiation de chaque

individu et de l’autorité politique établie (plus que les autres), la quête du bien-vivre demeure

dérisoire et compromise.

Cette participation politique des citoyens est une sorte d’obligation morale, ou encore mieux

un véritable devoir civil qui incombe à tous sans exception, une sorte d’allégeance que

chacun fait à la communauté politique. Les Luba-Kasaï tiennent à ce devoir civil comme

primordial parce qu’il y va du destin commun et de l’assomption de leur société. Comme le

dit aussi Aristote, la communauté politique est « L’englobant de toutes les sphères

d’appartenance à l’égard desquelles nous faisons allégeance »106.

Au total, dans la pratique politique luba-kasaï, la stabilité du projet commun du vivre-

ensemble, de l’ordre social et du bonheur partagé requiert, certes, la protection de l’autorité

politique, mais également exige l’engagement des citoyens dans la communauté politique et

historique qui, tout en s’y référant, se sentent comme des véritables garants. Car le bonheur

105 T.Q. Reef, The Luba political culture, 1500 C- 1800, Enquêtes et documents d’histoire africaine, Berkeley,

University of California, 1978, p.127. 106 Aristote, La politique, I, 1, 1252 a, 1-7.

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étant un bien suprême désirable par tous, il exige une vigilance accrue aussi bien de l’autorité

politique que des citoyens. Ceux-ci sont censés avoir une maturité politique nécessaire pour

dire ou dénoncer ce qui ne semble pas être cohérent et qui ne réponde pas à leurs aspirations.

Mais puisque les citoyens ne peuvent se rendre justice eux-mêmes, l’autorité politique est

appelée à l’usage de la violence légitime pour établir la paix et l’ordre public. Mais cette

violence ne doit pas aller au-delà des limites, elle doit être responsable et dosée en vue du

bien-vivre de la communauté politique. En cela, on n’est donc pas loin de l’exercice du

pouvoir démocratique qui intègre les principes politiques fondamentaux d’alternance,

d’organisation des institutions publiques, du débat politique et du projet du vivre-ensemble.

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CHAPITRE DEUXIÈME

LES PRINCIPES POLITIQUES ET LA GESTION DU

POUVOIR

1. La participation et le partage du pourvoir

a) Le pouvoir : un bien à repartir

Malgré les passions qui sont inhérentes au pouvoir, celui-ci reste une bonne chose aussi bien

pour tous les citoyens que pour l’ensemble de la communauté historique. Les Luba-Kasaï

considèrent que le pouvoir est un bien parmi d’autres biens à partager et auquel tous les

membres ont droit de participer. Comme le suggère ce dicton :

Bukalenga tshinsangansanga, Mukulu mukuata Muakuni mukuata : le pouvoir

est un bien commun que tiennent ensemble aussi bien l’aîné que le puiné.

Ce partage et cette participation se font selon les règles instituées sur la base d’un véritable

consensus établi et révisable. C’est que pour le peuple Luba-Kasaï, l’activité politique tient

sa crédibilité et sa durabilité que comme une pratique relative à la distribution du pouvoir

politique et à la forte participation, en toute égalité, des membres de la communauté politique

en vue du bonheur de tous. On a même l’impression que, dans cette culture, la gestion du

pouvoir va à l’encontre du fameux principe de conquête et de domination politique. Mais en

disant que l’activité politique est un exercice de distribution du pouvoir, on veut tout

simplement montrer le côté rationnel de la gestion du pouvoir qui privilégie le pouvoir-en

commun par rapport à la relation de domination et à l’accaparement. Dans ce contexte luba-

kasaï, les institutions politiques fonctionnent sur la base des règles et lois bien établies et

invitent les citoyens à participer à leur meilleur équilibre. Ainsi le chef n’est chef ou autorité

politique que comme citoyen et membre de la communauté politique à qui on confie les

charges de serviteur, d’organisateur et de défenseur des intérêts communs. Il est, en fait, le

« Mukalenga wa bantu » (l’autorité politique) celui qui, avec tous les autres citoyens « Bantu

wa Mukalenga », concoure à la réalisation du bonheur partagé. En réalité, c’est au nom de ce

bonheur partagé que tous les citoyens (Bantu wa Mukalenga) participent et accomplissent

leurs actes, leur devoir, au mieux leur responsabilité politique.

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Il en résulte donc que, si tous les citoyens visent un bonheur partagé, l’autorité politique

visera un plus haut bien, à savoir la sauvegarde et la constitution de la communauté comme

communauté politique et historique. Car c’est dans cette cité politique que le pouvoir en tant

que bien à repartir devient spécifiquement une institution détentrice de la souveraineté.

b) La justice politique

Dans la praxis politique luba, on assigne à la communauté politique entre autres charges

celles de faire régner la justice sociale, de faire valoir la reconnaissance mutuelle des libertés

politiques individuelles et de rechercher le bonheur pour tout un chacun. De ce fait, elle

devient le lieu où émerge la pratique de la justice politique. Cette dernière vise avant tout

l’instauration des conditions de vie humainement acceptables, surtout équitables pour chaque

citoyen. Désormais, c’est la cité politique qui exerce l’arbitrage et donne à chacun des

citoyens son dû. Mais c’est aussi elle qui assume la charge de fixer un ordre de priorité à

instaurer entre les catégories des biens à redistribuer à tous les citoyens. À cet égard, nous

pouvons déduire que, dans l’univers politique luba-kasaï, la justice distributive et politique

est appliquée de manière à permettre à chaque citoyen et membre de droit de s’accomplir, ou

encore d’atteindre le bonheur. Tout en tenant compte du sens de l’égalité, cette sorte de

justice se fait selon les aptitudes, le rang qu’on occupe et la tâche qu’on assume, c’est-à-dire

qu’on remet à chacun selon son travail et selon ses besoins. Cela ne détruit en rien le droit à

la différence.

Dans le même ordre d’idée, on peut considérer que, dans la praxis politique luba, la justice

politique consiste dans la formulation et la réglementation de la communauté politique. Cette

justice s’applique à tous les citoyens sans exception. On peut même dire qu’il s’agit là

d’établir une sorte de « consensus iuris », sous-tendu par la justice des citoyens, comme

critère de l’existence de la communauté politique et historique, ce qui signifie que le droit de

participer au partage du pouvoir politique provient d’un accord et de l’autodétermination des

citoyens et de l’autorité politique en charge de la cité. Mais cette justice politique connaît

aussi certaines dérives dans la mesure où les exigences de tous les citoyens ne peuvent pas

être toutes satisfaites, ni dans le même temps ni dans la même proportion.

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c) La dimension horizontale du pouvoir

En contexte luba-kasaï, le pouvoir est une sorte de conjonction des volontés et avec une

instance de direction. Ce qui signifie que toute gestion du pouvoir ou le fonctionnement des

institutions politiques accorde la primauté à la dimension horizontale du consensuel, du

partage et de la participation. C’est en réalité ce que les modernes appellent « le projet

démocratique » qui se décline comme l’ensemble des dispositions qui sont prises pour que le

rationnel prévale sur l’irrationnel, mais simultanément pour que le lien horizontal du partage

du destin commun et de la participation prenne irréductiblement le dessus sur la volonté de

puissance ou sur la domination. En fait, la société baluba a une organisation polit ico-

administrative particulière fondée sur les coutumes et la tradition, où l’on trouve un chef qui

dirige dans le respect mutuel et réciproque de ses sujets. Comme le témoigne l’adage

précédemment évoqué :

Mukalenga wa bantu, bantu wa Mukalenga. Ce qui signifie littéralement le chef

des hommes, les hommes du chef.

Cet adage indique bien ce que représente le chef pour les Baluba : le serviteur de ses sujets.

Et les sujets sont impliqués et ont même le devoir de servir leur chef, de lui obéir, de lui être

fidèle, de le respecter ; certes le respect n’étant pas synonyme de servitude. Ceci traduit l’idée

même de la participation des membres de la communauté politique non seulement à la prise

de décision, mais aussi à la réduction de l’écart entre le Mukalenga wa bantu (le chef) et les

Bantu wa Mukalenga (les sujets). Dans ce contexte, tous les citoyens se réalisent à la fois

comme sujet et souverain, législateur de la loi du partage, de la participation et du consensus

auquel ils se soumettent eux-mêmes. C’est le régime démocratique, cette manière de vivre-

ensemble et de gouverner-en-commun que les Luba du Kasaï ont su traduire et même

cristalliser dans le temps.

Dans la pratique politique luba-kasaï, la dimension horizontale du pouvoir établit d’abord le

Mulopwe (le roi) comme le dirigeant. Celui-ci ne vivait pas seul et ne gérait pas seul son

État. Il avait recours, comme il se doit, à toute une administration tenue par des notables. La

gestion des régions revenait à des dignitaires terriens. Certains titres s’obtenaient de plusieurs

manières : soit on les conférait aux chefs locaux qui acceptaient la suprématie du Mulopwe

(le roi) ; ils demeuraient responsables de leurs chefferies intégrées dans l’administration, soit

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le souverain nommait certains d’autres à partir de la capitale et il les envoyait à la tête d’une

province, ou mieux d’une région bien connue. Aucun de ces responsables politiques ne

pouvaient se passer des citoyens, c’est à eux que tous venaient rendre des comptes.

Chez le peuple Luba-Kasaï, le partage du pouvoir passait par les représentations de la

tendance décentralisant. Il fallait qu’elles soient contrôlées et que d’autres instances fassent

le contrepoids. C’est pourquoi il y avait des agents chargés de percevoir les tributs et qui

constituaient des véritables sphères de contrôle du pouvoir central dans les régions. De loin,

le Mulopwe (roi) pouvait s’appuyer sur des conseils des notables qui l’épaulaient dans ses

fonctions suprêmes, mais qui le contrôlaient également. Il s’agissait en réalité de :

Tshidye : conseil des notables.

Tshipangu : Cour suprême de justice.

Le voisinage du Mulopwe (le roi) correspondait à toute une cour composée notamment des

grands dignitaires :

Twite : principal dignitaire ou premier notable.

Luaba : héritier présomptif.

Tshikala : intermédiaire entre le chef et le peuple ou le porte-parole.

Muadia Mvita : général des armées.

Kalala ka Mvita : chef de police.

Les chargés de la gestion au cours de l’interrègne.

Les gardiens des emblèmes sacrés et du pouvoir.

Le procureur général : Nzuji munene

Les juges (Magistrats) : ba Nzuji banene.

Les griots : les chargés de la culture et de la communication.

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Les historiographes : les grands intellectuels de la cour, les archivistes ou

conservateurs des emblèmes du pouvoir.

La reine mère.

Les médecins : Ba minganga.

Dans tous les cas de figure, bien que ces titres diffèrent d’une région à une autre, le principe

de partage et de participation à la gestion du pouvoir reste fondamentalement le même. Il y

a d’un côté, le Mulopwe (le roi) et tous les autres possibles successeurs qui détiennent le

pouvoir, le Bukalenga ou le Bulopwe par héritage et, de l’autre côté, les représentants et le

peuple qui participent totalement à la gestion du pouvoir. Pareille conception de la

gouvernance et pareil fonctionnement des institutions politiques traditionnelles luba-kasaï

visait l’épanouissement et le bonheur des populations. Mais aussi augure déjà le principe

de l’alternance politique et démocratique qui ne pouvait que s’appliquer aux représentants

législateurs, aux chefs locaux, aux dignitaires de la cour du roi, ou encore mieux aux

responsables politiques régionaux ou provinciaux.

2. L’alternance politique

a) La voie optimale du bien-être

La question de l’alternance politique fait partie des grandes préoccupations quant à la

gestion de la communauté politique chez les Luba-Kasaï. Considérée comme un processus

d’interchangeabilité des rôles, l’alternance politique dans le contexte luba se traduit dans

le langage proverbial tel que :

Kutua nkushilangana minshi : piller le maïs ou le manioc, c’est alterner les coups.

Mvula utua waloka wa shila minanga : la saison de pluie finit toujours par

alterner avec la saison sèche.

Diba ditu diashila Ngondo : le soleil luit le jour et la lune éclaire la nuit.

Munya utua washila bufuku ou butuku : le jour passe et la nuit prend le relai.

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Ces expressions traduisent l’idée que, la gestion politique est une scène où chaque acteur

joue son rôle dans un temps limité et laisse la place aux autres. Pareille vision suppose que,

sous quelque prétexte que ce soit, personne ne peut s’octroyer le droit de confisquer la

gouvernance de la communauté politique et y demeurer éternellement. La gestion du

pouvoir suppose d’abord la reconnaissance mutuelle des libertés politiques individuelles

en vue du bonheur de tous et de l’équilibre social. L’agir politique apparaît dans cet univers

comme une sorte d’ascèse qui consiste à accepter que d’autres citoyens aient aussi le droit

de jouir de leurs libertés politiques individuelles. C’est en réalité la capacité qu’a le

Mukalenga wa bantu (l’autorité politique) d’exprimer son droit à la liberté tout en

reconnaissant aux autres les mêmes droits. Le Mukalenga wa bantu est appelé à une

autodiscipline ou à « une Autodomestication » de ses instincts s’il veut rester dans la

communauté historique et œuvrer pour son bonheur et celui de tous les citoyens. Par

l’autodomestication, on peut entendre le fait que chaque responsable politique se fasse

violence en retenant son inclination naturelle à opprimer les autres citoyens et à s’accaparer

du pouvoir. Elle est comme une sorte d’exigence qui prélude à l’instauration d’une gestion

partagée de la chose publique, à la participation de tous les citoyens au projet commun de

la réalisation du vivre-ensemble et du bien-être, c’est-à-dire du bonheur de tous, à

l’élaboration des lois et à l’édification des institutions politiques fortes et démocratiques,

économiques et sociales justes et bonnes émanant, pour le dire ainsi, d’eux-mêmes et

reflétant leurs profondes et légitimes aspirations.

Les Luba croient donc à l’alternance politique comme la meilleure voie pour parvenir au

mieux-être collectif. D’ailleurs, pour eux, la réalité de ce mieux-être exige le partage de la

parole et du pouvoir, voie optimale pour réaliser ce mieux-être. De toute manière,

l’alternance politique induit au fait que le pouvoir est un bien commun qui n’appartient

pratiquement pas à personne, qui ne reconnaît aucune figure sublime ou absolue, aucune

dernière source ou instance de décision. De la sorte donc, il reste un bien à partager et à

gérer dans l’harmonie, la cohérence et en commun.

b) L’indétermination du projet sociétal

La praxis politique luba-kasaï veut rendre la gestion du pouvoir totalement inappropriable,

et même fondamentalement infigurable. Cela revient à dire que les institutions

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traditionnelles luba-kasaï possèdent un sens de la démocratie comme le meilleur régime

politique susceptible d’accueillir les contradictions et d’assumer les paradoxes. Le vivre-

ensemble et la gestion consensuelle du pouvoir qui constituent la finalité même du politique

dans cette communauté n’est jamais définie une fois pour toutes, et la société qui la

détermine continuellement n’est jamais identifiable. Le projet sociétal demeure ainsi

indéterminé. Certes, le Mfumu, le Mukalenga (autorité politique) ou le Mulopwe (roi),

représente le pouvoir, mais il le représente comme serviteur non pas comme un maître

absolu ayant les privilèges de l’unique décision. Il est tenu à l’ouverture et non à

l’appropriation de la souveraineté du peuple et de l’État.

L’indétermination s’applique à deux niveaux. D’abord, au niveau du projet sociétal lui-même

et de la finalité politique et ensuite au niveau des acteurs politiques devant définir le projet

ou la finalité même de la chose politique. Au niveau du projet politique, les Luba pensent

que la gestion du pouvoir doit viser l’assomption de la communauté politique et

l’épanouissement des citoyens (les Bantu wa Mukalenga). C’est à ceux-ci qu’il revient

souverainement la décision et la détermination de faire de leur communauté un espace

politique de vie et de bonheur. Au niveau des acteurs politiques, les Luba leur confient la

charge de la sauvegarde de la communauté politique et de sa souveraineté. Aucun acteur

politique ne peut s’octroyer le droit d’incarner le pouvoir pour son bien personnel et d’y

demeurer. Agir autrement revient à vicier le projet même du vivre-ensemble et de la

recherche du bonheur. Comme le relève aussi si bien Claude Lefort, « La souveraineté, la

nation, l’autorité, la volonté générale, la loi qui en est jugée l’expression, sont présentés de

telle manière qu’elles s’avèrent soustraites à toute appropriation. La souveraineté est dite

résider dans la nation, mais celle-ci, nul ne peut désormais l’incarner »107.

Mais tout en affirmant que l’alternance politique est une voie nécessaire pour atteindre le

mieux-être, la praxis politique luba-kasaï reconnaît en même temps dans le chef de certains

107 C. Lefort, L’invention démocratique. Les limites de la domination totalitaire, Paris, Fayard, 1981, p.112-

121. Voir aussi : IDEM, Essai sur le politique, XIX- XXe siècle, Paris, Seuil, 1986, p.46-47 ; P. Manent, Cours

familier de philosophie politique, Paris, Fayard, 2001, p. 67-89 ; S. Mbumba Tshikoji, « De l’alternance

politique au Congo-Zaïre. Difficultés et perspectives », Pensée Agissante, 10(février 2001), p.87-106 ; S.

Mbumba Tshikoji, Multipartisme politique en Afrique résurgence des rivalités ethniques, Allemagne, Éditions

Universitaires Européennes, 2015, p. 67-78.

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responsables politiques, les velléités de domination et de confiscation du pouvoir. Comme

dans les autres communautés politiques bantoues, les Luba-Kasaï connaissent aussi des

épisodes marqués par la domination de certains souverains qui avaient toujours cru ou qui

croient encore aujourd’hui au pouvoir absolu et sans partage. L’histoire des guerres, des

grandes migrations, ou encore des conquêtes de pouvoir de ce peuple montrent combien

certains souverains ont pu s’imposer sur les autres communautés en déviant le bon

fonctionnement des institutions et en réduisant les autres peuples à l’esclavage, en les

soumettant aux travaux forcés et en prenant arbitrairement leurs richesses. On peut même

rattacher certaines pratiques despotiques aux migrations, à l’expansion et à l’introduction

des cultures par quelques souverains conquérants Luba. Ainsi que l’affirme également

Burton :

Sur le plan de l’organisation sociopolitique interne luba, ce principe d’alternance

politique connaît quelques difficultés par le fait de l’existence d’ensembles

ethniques homogènes ou des communautés de langues d’usage, des coutumes et

traditions, mais qui ne constituent pas nécessairement des entités politiques

(Tshisa). C’est justement le cas des Kondji, Luntu, Lulwa et des Luba-Lubilanji

qui se sont imposés sur les autres peuples de la région108.

Cette difficulté de domination tient aussi au fait que chaque chef possède une série de

chefferies (Bisamba) d’importance variable, mais se réclamant d’un fondateur et d’un

itinéraire historique précis et qui entend s’imposer sur les autres. C’est ainsi que, pour se

démarquer clairement de toutes les autres chefferies, les luba se sont constitués deux grandes

instances politiques notamment :

Le Tshisamba : qui constitue l’unité politique la plus pertinente, qui regroupe

sous un même pouvoir les différentes aristocraties peuplant les villages dont la

vocation est de s’imposer sur les autres.

Le Tshifufu : le clan, une structure qui se glisse entre le village et la chefferie. En

effet, le Tshifufu représente l’instance de transition entre le champ familial

(Diku) et le champ politique. Si le Tshifufu est d’une part, le lieu de

regroupement de tous les lignages (Biota) qui se considèrent comme apparentées,

108 W.F. Burton, « L’organisation sociale des Baluba », in Bulletin des Juridictions Indigènes du Droit

Coutumier Congolais (Bruxelles), 1957, p.150-153. Voir aussi : R. Cole, Les Baluba, p. 96 ; IDEM « Origine

et explication du pouvoir chez les chefs dans l’Uruwa », Congo 2/1 (1910), p. 58-68 ; IDEM, Organisation

politique des Bashi, Congo 3/3 (1922), p. 337-352.

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il est, d’autre part, soumis à une certaine hiérarchisation au sein de la chefferie, à

telle enseigne que l’on peut facilement estimer d’une certaine façon que le

Tshisamba est un regroupement des Biota109.

En fait, la chefferie représente habituellement une gamme des clans hiérarchisés entre eux.

Les clans ainés censés détenir le « Bukalenga », le pouvoir, ont en général pour fondateurs

les fils de la première femme du héros fondateur du Tshisamba dans lequel on se situe. Car

le village doit être dirigé par un descendant de la lignée des Meku regroupés.

Les clans cadets sont ceux qui sont issus des fils des autres épouses du héros fondateur. S’ils

ne peuvent pas régner, ils constituent du moins les instances inférieures dont le rôle est de

conférer le pouvoir.

Viennent enfin, les ainés et les cadets qui se distinguent d’une troisième série des clans

« Basangana » représentant ainsi les autochtones, les peuples qui avaient précédé et occupé

un espace, et qui avaient été trouvés sur place par les conquérants avant l’occupation des

terres. D’où l’expression bien rependue et devenue aussi emblématique chez le peuple Luba

du Kasaï :

Musangana mmuenapu : le premier occupant, celui qui a été trouvé sur le

territoire, et qui est de fait et de droit le propriétaire des terres.

Mfumu Muena maloba : Chef des terres.

Mais en dépit des dérives dues à l’esprit de domination des autres peuples, cette

schématisation ou cette structuration institutionnelle atteste non seulement du principe du

partage et de la distribution du Bukalenga, pouvoir, au sein de la chefferie, mais aussi de la

possibilité de l’alternance politique. Au niveau des titres politiques, on peut faire remarquer

que, dans le contexte actuel, le Mulopwe, le pouvoir royal, est resté une référence de

l’organisation prestigieuse de l’empire. Ce titre n’est guère repris pour qualifier d’autres

réalités politiques. L’autorité publique ou le responsable politique du Tshisamba sera plutôt

le Mukalenga wa bantu parce qu’il détient le Bukalenga ou le Bumfumu, le pouvoir

109 Th. Kanyinda Lusanga, « Les institutions traditionnelles Luba. Structures et fonctionnement », Zaïre-Afrique

(1969), p. 187-196 ; Voir aussi : IDEM, « Le nouveau régime et l’organisation politico-administrative du milieu

rural. Morphologie d’une chefferie et d’un secteur », Zaïre-Afrique, 1970, p.485-499.

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républicain et non le Bulopwe, le pouvoir royal. Il est entouré, comme on l’a dit, d’une vraie

cour des notables qui l’assistent dans sa lourde tâche. Comme l’affirme également Malengu :

Bien que la filiation par rapport à la cour du Bulopwe (le pouvoir royal) demeure

évidente, le contexte nouveau du Bukalenga ou du Bumfumu (le pouvoir

républicain) incarne plus les principes politiques du partage du pouvoir et de la

responsabilité, de la participation des citoyens par la décentralisation, de

l’alternance politique et démocratique, et également de l’organisation intelligente

de la vie des citoyens dans la communauté politique luba110.

En définitive, on peut observer que beaucoup de chercheurs et historiens africains en général

et Congolais en particulier ont tendance à expliquer ou mieux à confirmer encore aujourd’hui

ce passage intelligent opéré par le peuple Luba-Kasaï. On peut même soutenir que ce passage

au « Bumfumu » ou au « Bukalenga » avec l’idéal de l’ouverture politique, de la

décentralisation, de l’alternance du pouvoir et des règles de contrôle marque, sans aucun

doute, une perspective fondamentale de la modernité démocratique (participative et

citoyenne), mais qui demeure toujours encore à préciser.

3. Le pouvoir et l’organisation

a) La trilogie : volonté-pouvoir-ordonnancement

Dans l’univers luba-kasaï, la télos du pouvoir Bumfumu ou Bukalenga, vise avant tout le

Bulongolodi, c’est-à-dire l’organisation de la cité ou de la communauté historique et

politique, mais l’organisation qui a en vue le bien-vivre ou le bonheur des citoyens. Car un

pouvoir qui envisage autre chose que l’ordre et l’accomplissement des citoyens gesticule à

vide. Pareille perception part d’une philosophie explicite qui en détaille le processus et les

manières à partir de l’émanation du monde suivi de son organisation spatio-temporelle.

110 M. Malengu, Histoire de Bena Mulenga. Contribution à l’étude des chefferies chez les Baluba- Lubilanji,

(1655- 1941), Lubumbashi, Université Nationale du Zaïre, 1975, p.48-51. Voir aussi : A. Mabika Kalanda,

Baluba et Lulwa, p. 42-45. On peut citer d’autres chercheurs comme : I. Ndaywel è Nziem, Histoire du Zaïre,

p.146-148 ; P. Mufuta Kabemba, Le chant Kasala des Luba, Paris, Julliard, 1969, p. 27-29 ; E. Torday et T.A.

Joyce, Notes ethnographiques sur les peuples communément appelés Bakuba ainsi que sur les peuplades apparentées : les Bushongo, Bruxelles, Tervuren, 1911 ; G. Lusangu, Structures parentales et développement

au Congo, Paris, 1971, Thèse ; M. Kalulambi Mpongo, Être Luba au XXe siècle, Paris, Karthala, 1997;

Mubabinga Bilolo et E. Kabongo Kanundowi (Mgr.), Conception bantu de l’autorité, Paris, Présence Africaine,

Section VI, Sciences, Publications Universitaires Africaines, 1994, p. 215. Tous ces auteurs semblent être

unanimes sur la question du changement et de la mutation que connaissent les coutumes et traditions africaines

en général et luba-kasaï en particulier au contact de la modernité.

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Dans la langue Tshiluba, le terme « Bukole » est polysémique en ce sens qu’il signifie à la

fois l’homme ayant par initiation la volonté de domination « Lusua lua Bukokesha », de lui-

même et vise une manière d’être, de vivre et de gouverner que les Luba-Kasaï désignent par

l’expression « Buadi », Dieu étant « Buanga Buadi » et les bons esprits « Mpakila ou Buanga

Buadividye », et une manière d’organiser le monde quel qu’il soit « Bulongolodi »,

l’organisation. Le « Mwena Bukole » transcende l’espace et le temps. À ce niveau, l’élément

« Volonté » joue un rôle capital dans l’accession au Bukole. Car celui dont la volonté fait

défaut ou qui est effrayé devant les situations compliquées de la vie ou encore un aboulique

hésitant toujours dans la prise de décision importante ne peut devenir un « Mwena Bukole ».

Dès lors, l’exercice du « Bukole » n’est pas du tout une vanité ou un passe-temps. Il fait donc

partie intégrante d’une éternelle trilogie mystique luba-kasaï, à savoir :

Lusua, Bukole, Bulongolodi : ce qu’on peut traduire par « Volonté, Pouvoir et

Ordonnancement ».

On peut donc déduire que, la sagesse pratique luba-kasaï veut montrer que toute gestion du

pouvoir implique une volonté déterminée, un pouvoir d’action ou d’agir, un sens de

responsabilité, une capacité d’organisation et de gestion de la société, des biens et des

hommes. Bref, toute prise de pouvoir dans cette culture semble se fonder sur ces principes.

Dans l’enseignement oral des anciens, tout comme dans l’expérience de la vie, on montre

que tous les humains ne disposent pas de ces trois forces de la même manière et au même

degré. Il y a ceux qui y parviennent. Ceux-ci sont par voie de conséquence dits des hommes

d’élite, des élus, c’est-à-dire :

Bantu basungula ou Bantu basunguluka, ceux qui sont en réalité investis de

puissance ou encore de force magique incontestable.

En fait, il s’agit des personnes qui sont appelées à gérer le pouvoir et ayant par nature la

volonté, la puissance et possédant les aptitudes nécessaires pour organiser leur communauté

politique. Leur pouvoir consiste dans une force de parole et d’action.

En conséquence, un Mukalenga wa bantu, un chef est déjà par le fait de cette position et de

cette force mystérieuse responsable de l’organisation de sa communauté historique et de la

quête du bonheur partagé. Il est considéré comme un « Muntu musunguluka », qui voit les

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choses cachées ; il est souvent assimilé au « bon sorcier ». Son exercice du pouvoir est fondé

sur cette mystique. Ce n’est pas n’importe qui ; il est censé être en communication avec les

mânes ou les bons esprits (Mpakila), avant toute prise de décision regardant la gestion de la

communauté politique. Mais comment on acquiert ce pouvoir ? Et où se trouve son siège ?

b) Le siège du pouvoir

La praxis politique luba révèle que le cœur de l’homme est le siège de l’esprit, de la volonté,

de l’intelligence et de la sagesse et de tous les pouvoirs sur les autres êtres. En effet, un mythe

luba de la création de la nature primordiale de l’homme raconté par T.A. Fourchet et H.

Morlighem, suggère que, l’esprit de l’homme circule dans tout son corps ; mais son siège

principal est le Cœur d’où ses pouvoirs remontent à sa Bouche, à sa langue et à ses mains.

Le cœur parle la langue. Ce pouvoir distingue l’homme de tous les animaux et le rend

comparable aux Esprits. Au sujet de ce pouvoir, certains disent que ceux des fontanelles sont

les dixièmes, et que celui du Creux Épigastrique ou du Cœur, siège de l’Esprit, qui y réside,

est le pouvoir suprême et douzième. Sa grande Fontanelle était ouverte, lui donnant le

onzième pouvoir (et suivant d’autres, le dixième), qui est attaché à cet orifice du Cerveau,

par lequel l’Esprit manifeste l’intelligence et la sagesse : celui de percevoir et de discerner

les choses invisibles et occultes qui se trouvent en avant. Sa fontanelle d’Arrière ou Occiput

était ouvert, lui donnant le douzième pouvoir (et suivant d’autres, le onzième), qui est attaché

à cet orifice du Cerveau : celui de percevoir et de discerner les choses invisibles et occultes

qui se trouvent en arrière. On nomme donc la Voyance double la réunion de ces deux

pouvoirs111.

De ce mythe, on peut déduire que, Dieu Maweja a Nangila a doté le Luba-Kasaï de ces

différents pouvoirs : la volonté, le pouvoir et l’organisation ou l’ordonnancement en vue du

bonheur partagé des humains. Cela revient à dire que le « Bukalenga ou le Bumfumu » émane

de Dieu Maweja, qui se choisit un voyant capable de l’assumer et de l’organiser non

seulement pour le distribuer, mais également pour le mettre à la recherche et au service du

bonheur de tous les hommes et de tout l’univers.

111 T.A. Fourchet et H. Morlighem, Une bible noire, p. 118-123. Voir aussi : Mubabinga Bilolo et Kabongo

Kanundowi, E. (Mgr), Conception bantu de l’autorité, p.76-78.

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Mais cette perception de Bukalenga (pouvoir) divise les chercheurs. Pour les uns, le

Bukalenga chez les Luba est une émanation de Dieu Maweja-a-Nangila lui-même. Pour

d’autres, certes, le Bukalenge est une émanation de Dieu, mais il reste aussi que le vrai

Bukalenge ne s’acquiert pas en dehors de la loge d’initiation « Mu Tshianda ». Celle-ci est

en fait l’image même de la communauté luba-kasaï qui reconnaît et même consacre les

mérites. L’expression connue pour désigner ces mérites est :

Nkasa wa mu Tshianda : la loge d’initiation d’où on reçoit le pouvoir occulte.

Ce pouvoir occulte est un bon pouvoir dans la mesure où il cherche la protection et la

promotion de la communauté politique ; il est lui-même l’œuvre de Dieu. Il gouverne non

seulement la haute science de la Cité, mais il dirige aussi les trois stades de

l’enseignement Secret, de même que Maweja gouverne les deux côtés de toutes les choses,

et les trois grandes places secrètes. Par le bon esprit Mpakila qui l’inspire et s’exprime par sa

voix, le pouvoir occulte est à l’image de Dieu Maweja, le Grand Maître de toute la science.

Pour d’autres encore, le pouvoir dans le contexte luba-kasaï reste héréditaire. Les chefs

héréditaires sont en même temps les chefs des terres. Les autres sont des Balopwe, c’est-à-

dire des gérants du pouvoir royal attribué aux membres du lignage. Au sujet de ce dernier, il

convient de retenir que le pouvoir se fonde sur le concept « Bulopwe », une qualité sacrée

inhérente au sang du porteur, transmis par les hommes, et qui donne conséquemment le droit

et les moyens surnaturels pour régner et pour organiser le royaume ou l’empire. Ce pouvoir

héréditaire est appelé chez les Luba :

Bukalenga bua Batatu ou Bumfumu bua Batatu : le pouvoir des pères.

Bumfumu bua Kabukulu : le pouvoir traditionnel.

Comme on l’a dit, ce pouvoir traditionnel des pères se repose sur la puissance mystique ou

surnaturelle ayant comme objectif majeur le maintien de l’ordre public, la justice, la paix et

la promotion du bonheur.

De toutes les manières, ce qui importe ici c’est le fait du lien implicatif et naturel que les

Luba-Kasaï établissent entre le pouvoir et l’organisation de la communauté politique en vue

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du bonheur partagé. En réalité, qu’entendent les Luba-Kasaï lorsqu’ils parlent du pouvoir et

de l’organisation de la cité politique ? Dans une communauté luba de plus en plus

décentralisée et de plus en plus diversifiée, le bien-être de tous les citoyens et membres de la

communauté politique constitue le motif de l’organisation et même du bon fonctionnement

de l’ensemble des institutions et des services. Dans une telle perspective, on peut dire que,

chez le peuple Luba-Kasaï, assumer une responsabilité politique, c’est d’abord afficher une

ferme volonté politique visant à donner aux citoyens des raisons de croire au bonheur partagé,

et qui en même temps constitue pour ces mêmes raisons, les instruments de combat pour une

société libre, juste, équilibrée, organisée et socialement accomplie. Un tel pari ne peut être

atteint que si le Mukalenga wa bantu, le chef, le porte dans son cœur et s’engage réellement

à promouvoir un cadre politique consensuel de dialogue, de discussion, de compromis

politique et de concertation entre les citoyens et les responsables politiques.

4. La discussion et l’antagonisme positif

a) L’espace public démocratique

Dans la culture politique luba, le Mukalenga ne prend le pouvoir pour rien. Il a la

responsabilité d’organiser la cité et d’œuvrer pour la promotion du dialogue et de

l’antagonisme positif entre le pouvoir et les citoyens. Il organise et encourage la discussion

et garantit la publicité du débat politique et démocratique. Dans cette optique, on peut dire

que les Luba ont tendance à inviter le Mukalenga à se rappeler que l’exercice du pouvoir ne

lui donne pas l’accès à une sorte de vérité qui serait privée uniquement pour lui seul. Ils

l’appellent à se subordonner au dialogue et au consensus politique auxquels participent les

citoyens. Car selon eux, ce sont ces instances qui fondent en raison un véritable espace public

d’apparition où les citoyens recherchent en toutes circonstances le meilleur argument. Cette

pratique relève de la conviction que, c’est dans un dialogue vrai et par la force de la discussion

mûrement coordonnée que la vérité et la justice pour tous peuvent devenir un instrument de

promotion de la vie et du bien-vivre.

Il s’agit de la meilleure forme de gouvernement qui est celle de la démocratie dans le

dialogue, dans la symétrie des rôles sociaux, le primat du peuple étant sauf. Ici le peuple et

le gouvernement s’engagent dans un jeu d’échange d’arguments, un moyen plus efficace non

seulement pour gouverner ensemble, mais aussi pour résoudre certains conflits qui

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adviennent dans la communauté politique. Dans un tel procès, le meilleur argument peut

emmener les hommes en dialogue au vrai consensus sur toutes les questions d’intérêts

communs. Pour être menée à bien, la dialogique palabrique se refuse le règlement de comptes

par l’élimination physique ou par l’effusion du sang. Ceci est d’autant vrai aussi bien chez le

peuple Luba-Kasaï que la culture du sang est peu connue. Seule une opinion libre et éclairée

peut contribuer à la résolution des inévitables conflits que suscite la gestion politique de la

communauté. Ce que les Luba-Kasaï veulent réellement exprimer en privilégiant la

discussion, c’est la reconnaissance des situations conflictuelles qui restent permanentes parce

qu’elles sont aussi inhérentes à la fois à la vie en commun, à la recherche du bonheur partagé

et à la pratique politique.

b) La vertu du conflit

Les Luba intègrent dans la pratique politique toutes les situations de conflit non pas comme

des malheurs, comme des tares dangereuses, encore moins comme des accidents. Elles

découlent non seulement du caractère dogmatique de la gestion du bien commun, mais

également de la nature fragmentaire du Bukalenga, du pouvoir. Ce serait viciée la praxis

politique en diabolisant les conflits ou en escomptant un consensus qui viendrait y mettre un

terme. Il importe, selon eux, de trouver les règles nécessaires d’arbitrage et les procédures de

négociation jouissant d’un assentiment plus large lorsque s’affrontent des revendications

rivales. Il n’est certainement pas malsain de voir ces affrontements s’exprimer publiquement

tout en restant ouverts aux négociations. C’est en réalité ici que les Luba semblent

comprendre que le conflit appelle le consensus, autant que le consensus rend possibles et

même fructueux la discussion, la négociation et l’antagonisme. Dès lors, la discussion

politique apparaît comme une issue sans une réelle conclusion, bien qu’elle ne soit pas sans

décision. Comme le disent Hunyadi et Simmel, « le conflit apparaît comme une sorte de point

nodal de l’approche du fait social et communautaire, avec, (évidemment), son mélange

d’harmonie et de discorde. Empédocle ne parlait-il déjà pas de la figure de neikos comme de

l’envers de la philia ? Il faudra, par la force des choses, découvrir la vertu du conflit »112.

112 M. Hunyadi, La vertu du conflit. Pour une morale de la médiation, Paris, Cerf, 1995, p. 9-31. Le conflit en

politique permet une meilleure ouverture vers un consensus et un compromis politique. La vertu du conflit est

une nécessité politique pour gérer le mieux la pratique de la démocratie sociale.

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La praxis politique luba considère donc la discussion et le conflit politique comme des

fondements nécessaires d’un véritable État de droit. Car c’est la discussion qui peut brider

les abus et les dérives du Mukalenga. On a même l’impression que les trois notions

s’appellent, se complètent et se fécondent mutuellement. Mais toute décision peut être

révoquée selon les procédures acceptées et elles-mêmes tenues pour indiscutables. Le

responsable politique est invité à organiser des lieux publics et des instances de rencontre où

le débat et l’antagonisme s’ouvrent à tous les citoyens sans discrimination ni incrimination.

c) Les instances de discussion

Dans l’univers luba-kasaï, pour être efficace et servir les intérêts de la communauté et la

recherche du bonheur partagé, la discussion doit s’organiser dans des cadres et structures

politiques bien définis, mais aussi elle doit mettre des limites à l’action de l’autorité politique

qui, à un certain moment de la vie politique, peut confondre ses intérêts et ceux de la cité en

usant de son influence pour obstruer la libre discussion et la course au poste de commande.

Ce qui, en fait, semble être visé par ce peuple, c’est la possibilité ou la manière de freiner la

volonté de Mukalenga ou de Bukalenga de s’incruster à des fins de propagande, de

marchandage, de mensonge, de parole falsifiée ou d’extorquer l’adhésion par des moyens

autres que la vérité et la discussion. Les Luba-Kasaï semblent avoir la conscience que le

Mukalenga (l’autorité politique), ne résiste que rarement à user du langage pour justifier sa

domination. En clair, ils établissent un lien entre l’usage de la parole et la tyrannie. La force

ne réussit pas sans un exercice de persuasion confié aux personnes habiles de la vie publique.

Pour prévenir ce dérapage, ils ont organisé leur société en différentes entités politiques

indispensables à la discussion et au conflit politique, à la sauvegarde de l’unité organique et

politique de la communauté. Il s’agit notamment de :

Tshifufu ou Tshipangu tshia Diku, le conseil de famille.

Tshifufu ou Tshipangu tshia Musoko, le conseil du village.

Tshifufu ou Tshipangu tshia Tshiota, le conseil des villages.

Tshifufu ou Tshipangu tshia Tshisamba, le conseil de regroupements.

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Dans l’une ou l’autre entité politique, les hommes se mettent ensemble, discutent,

argumentent et palabrent dans le souci de dégager un consensus politique. Au-delà de ce

consensus politique, il y a aussi une réelle recherche de l’unité politique que les Luba

semblent souvent dégager devant des situations difficiles qui exigent l’autodépassement de

chacun des citoyens. On dirait même que le consensus et l’unité politiques vont ensemble.

d) L’unité et le consensus politique

Chez les Luba, tout débat politique induit au consensus et à l’unité. Ainsi devant les famines,

les épidémies, les catastrophes naturelles de grande envergure ou devant les guerres

meurtrières, les Luba-Kasaï se mettent ensemble, s’accordent, trouvent un consensus et une

unité pour les braver. On trouve bien des expressions d’unité et du consensus politique chez

les Lulua, les Luntu ou les Luba-Lubilanji (peuples apparentés ayant les mêmes coutumes et

traditions). Ces expressions sont souvent transformées en cri de guerre.

D’abord, chez les Luba-Lulua :

Ditunga Diyi ! Diyi dimue !

Cela revient à dire que, malgré les divergences de vue et la diversification des arguments, ce

qui compte dans pareilles circonstances c’est la survie de la communauté politique et la

recherche du bonheur partagé. Le chef en charge de la communauté politique se met ainsi

débout et scande avec détermination :

Ditunga Diyi ! : Que le village ait une seule parole et parle d’une seule voix. Les

autres citoyens en dialogue répondent : Diyi dimue ! : Que cela soit ainsi, une

seule et même voix.

En ce moment-là, ils prennent conscience que rien ne peut leur résister. Tout est ainsi bravé ou

même conjuré sans problème. Ici aussi, la croyance en la présence et en l’intervention mystique

de Dieu Maweja (Dieu aimant) et des ancêtres est incontestablement visible. Ils pensent que

chaque fois qu’ils sont confrontés aux situations difficiles ou chaque fois que leurs ennemis

s’organisent pour les exterminer, ils cessent leurs divisions pour se mettre ensemble devant

l’ennemi commun qu’ils finissent par l’emporter sur lui. Les légendes racontent aussi que les

guerres sont venues, les ennemis n’ont vu que les forêts et les mers et non les hommes.

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210

Sur la base de ces croyances, les Luba semblent s’obstiner à croire qu’ils sont souvent protégés

par le seul fait de leur consensus et de leur unité politique. Cette unité politique apparaît comme

une sorte de « Ndondo wa Mashi » : un pacte de sang qui a été conclu entre les ancêtres et Dieu

Maweja en vue de protéger la communauté de destin et de promouvoir la recherche du bonheur.

Chacun est donc tenu de s’y conformer. Les Luba-Kasaï sont tenus de faire passer au-devant

de toute chose l’intérêt essentiel et le destin commun, c’est-à-dire la survie de la communauté

politique. Comme le suggère Mubabinga Bilolo, dans le souci de protéger leur communauté

politique et de réaliser le bonheur pour tous, « les Luba-Kasaï sont tenus d’observer le principe

du Diyi dimue ne diuvuangana, principe qui consiste à préserver l’unité organique, l’entente et

la paix dans la cité »113.

Ensuite, chez les Luntu, une ethnie apparentée au Luba-Lubilanji et Luba-Lulua, cette unité

politique se traduit par l’expression devenue plus tard une simple et courante salutation :

Sangayi Wabo ! Qui signifie soyez les bienvenus, soyez unis ou rassemblez-vous

et ayez une seule et même voix.

Bref, chez les Luntu, l’unité politique de la tribu est garantie :

Par le sentiment d’appartenance à son ancêtre commun Luntu ou Luntu wa

Mutunda Mukunza), qui signifie la termitière d’où sortent les fourmis à la tête

rouge (allusion faite souvent à la peau claire de la plupart des membres).

Par une salutation particulière, « Sangayi wabo ! », qui signifie à la fois soyez les

bienvenus, soyez unis, heureux de vous voir, et qui est souvent utilisée à côté de

la salutation générale des Baluba « Moyo ou Moyo weba (individu) ou encore

Mioyo yenu ayo (deux ou plusieurs) : bonjour ou bonsoir, mais qui en réalité

renferme un souhait de bonheur partagé, de vie, d’énergie, de bonne santé à

la/aux personne(s) à laquelle ou auxquelles l’on s’adresse.

Enfin, chez les Luba-Lubilanji, l’expression historique « Nkonga ! », rassemblez-vous,

traduit également cette unité politique entre les peuples, et même entre les protagonistes

d’hier. Située dans son contexte historique, cette salutation est apparue à l’occasion des

113 Mubabinga Bilolo, « Le Muntu avec le Diyi : parole et intersubjectivité. Essai d’approche structuro-

herméneutique à partir des symboles parémiologiques luba et lulua », Special Amical Culturel 1(1976), p.98-

123. Voir aussi : Mubabinga Bilolo et Kabongo Kanundowi, E. (Mgr), Conception bantu de l’autorité, p. 45-

47 ; Tshibasu Mfuadi, Coutumes et tradition baluba, p.31.

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rivalités survenues entre les Luba-Lulua (Kasaï central) et les Luba-Lubilanji (Kasaï-sud).

Alors que pour ces derniers, la meilleure manière de se distinguer des autres est « Nkonga »,

les Lulua eux pratiquent la salutation « Ditunga Diyi dimue ! ».

Au bout du compte, qu’il s’agisse de « Diyi dimue », de « Sangayi wabo » ou de « Nkonga »,

ce qui importe, en dépit des divisions apparentes issues de la discussion et de l’antagonisme,

c’est l’unité politique affichée devant les situations des plus compliquées ou des plus

compromettantes de la vie de la communauté politique. Cette unité politique est la sève sans

laquelle les instances politiques et leur mode de fonctionnement ne peuvent paraître que

comme chimériques. Et assumer le Bukalenga, le pouvoir, c’est organiser ces instances de

débat et d’antagonisme pour un meilleur vivre-ensemble et un véritable partage de bonheur.

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CHAPITRE TROISIÈME

L’INSTITUTION ET LA PROMOTION DU VIVRE-

ENSEMBLE

1. L’institution et l’équilibre social

a) Le sens et le contenu de l’institution

Les analyses que nous avons faites à différents niveaux de cette partie ont ressorti en plusieurs

éléments définitionnels ce que peut représenter le sens même de l’institution et de ses

mécanismes de promotion. De l’éthique de la responsabilité politique aux principes de

gestion du pouvoir, en passant par l’autorité politique et le respect du bien commun ou du

bien public, la question de l’institution a été évoquée. Ce point en est une simple illustration.

En prenant en compte l’idée du pouvoir comme un bien à répartir parmi tant d’autres, nous

pouvons affirmer que l’institution est un ensemble d’opération de distribution, non seulement

du point de vue économique, mais aussi politique. L’application de la règle de justice aux

interactions humaines suppose qu’on puisse tenir la société pour un vaste système de

distribution, c’est-à-dire de partage de rôles, de charges, de tâches bien au-delà de la simple

distribution au plan économique de valeurs marchandes. En déterminant le sens et le contenu

du bien commun ou du bien public comme l’entendent les Luba-Kasaï, nous pouvons

également dire que l’institution comme système de distribution porte sur les choses

marchandes réelles (les femmes, les enfants, les terres, les troupeaux de chèvres, vaches, etc.)

et non marchands (la sécurité des personnes et de leurs biens, la paix, la santé publique, le

bonheur, les richesses, le pouvoir, les droits, les libertés, etc.). Comme le suggère encore

Aristote : « La quantité incalculable de tous ces biens et les difficultés de partage et de

satisfaction des besoins exprimés de tous les membres de la communauté politique posent

déjà l’épineuse question de la médiation des structures institutionnelles »114.

Chez les Luba, l’institution prend également le sens de la justice bidimensionnelle, c’est-à-

dire justice distributive et rétributive. En effet, une justice distributive vise à repartir

subjectivement entre les personnes, les biens, les droits et les devoirs, les honneurs, en

114 Nico V, 5, 1130 b 30-33. Voir aussi : P. Ricœur, Le juste, Paris, Esprit, 1995, p. 38.

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fonction de la valeur de chacun. Quant à la justice rétributive, on peut souligner que les

prohibitions instaurent cette forme de justice afin de sanctionner par leur force coercitive les

actions bonnes ou mauvaises des membres de la communauté politique. Ils accordent à cette

justice rétributive son devoir de justicier par l’application d’une stricte équité, en tant que

norme éthique, dont l’essence consiste dans la régulation humanisant des rapports sociaux.

b) L’équilibre social

Certes, la pratique de la justice sociale concerne l’application des règles d’harmonisation des

relations, mais aussi en priorité l’équilibre social et le vivre-ensemble d’une communauté

politique. Cela implique nécessairement la médiation institutionnelle. On peut dire que, la

conception luba de l’institution comme instance de participation, de partage et de gestion

commune du bien public, privilégie l’idée du vivre-ensemble et du savoir-être, et surtout de

la relation d’interdépendance durable et objective entre les citoyens. S’impose alors, non

seulement le bonheur de la personne comme bien suprême, mais également celui d’un tiers

inconnu et de tous les autres citoyens qui partagent ensemble l’humanum, et par le fait même

coexistent au sein des mêmes entités politiques et structurelles.

À ce point, les objections sont possibles relativisant le caractère clanique de l’idée qu’ont les

Luba-Kasaï de l’institution, ou celles stigmatisant la limitation de la pratique de la solidarité

positive ou encore de la justice bidimensionnelle comme étant communautaire visant un petit

nombre d’individus. Pareilles objections se tardent sur la complexité des sociétés modernes

et la pluralité des personnes sous la diversité culturelle. De fait, on n’y apporte pas de réponse

parce qu’il ne se pose aucun problème. Dans les structures modernes ou anciennes, ce qui

importe c’est la personne qui semble être au centre même de la distribution et de la répartition

équitable et équilibrée des rôles, des services et des biens. La solidarité positive comme

valeur humaine reste intemporelle, et de ce fait, elle s’applique encore aujourd’hui dans les

sociétés dites modernes et multiculturelles, et cela sans rien enlever de sa force éthique. Reste

donc d’aller voir au plus concret pour expliquer et comprendre davantage la dimension

sociétale à travers l’organisation politique et le fonctionnement des structures

institutionnelles luba-kasaï avant d’aborder l’épineuse question relative au système du droit

et des droits de l’homme.

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2. Les structures institutionnelles

a) La structure familiale comme base institutionnelle

Dans l’univers luba-kasaï, la base de l’organisation institutionnelle semble être la structure

sociale familiale (Diku). Celle-ci considère d’abord le Nsubu, la maison comme fondement

de toute organisation socio-politique. Le Nsubu est composé de :

Tatu a Nsubu, le père de la maison, qu’on appelle aussi « Sha a Bana », le père

des enfants ou « Muena Bula », le maître de la cour.

Mamu a Nsubu, la mère de la maison ou « Nyina a Bana », mère des enfants,

« Muena Nsubu », « Nyina Lubanza », la maîtresse de la maison.

Baana, les enfants filles et garçons.

Ces appellations déterminent les responsabilités sociales de l’homme et de la femme au sein

de cette structure familiale. Apparemment, l’homme s’occupe des questions extérieures,

tandis que la femme se charge de l’administration domestique. Chez les Luba-Kasaï, le Tatu

a Nsubu est considéré comme le seul chef de la société domestique. Néanmoins, les grands-

parents et les anciens participent à l’autorité paternelle, le fils-ainé, déjà majeur et marié, y

participe aussi, mais souvent par procuration. Le Muena Bula (le père) a la responsabilité de

protéger les siens, de s’occuper de leur entretien et de travailler à la réalisation du bonheur

pour tous. Il a aussi la charge d’initier les garçons aux métiers utiles pour la famille, il leur

prodigue des conseils en référence avec les lois et les coutumes. Aucune disposition de

mariage, de dot ou des prémices du travail de ses enfants ne peut être prise sans son avis.

Quant à Nyina a Bana, Nyina Lubanza ou encore Mamu a Nsubu (la mère), on peut dire

qu’elle administre le foyer, elle est la première conseillère du père de la maison, la première

éducatrice des enfants ; elle inculque à ceux-ci les lois et les règles générales laissées par les

ancêtres ; elle cultive en eux les meilleurs sentiments et les bonnes manières de vivre-

ensemble, de savoir-être, de la recherche commune du bonheur et de respect des biens publics

ou privés. Elle se charge particulièrement de la préparation de la nourriture pour toute la

maison. Les enfants, eux, sont appelés non seulement à assister leurs parents dans leurs tâches

quotidiennes, mais également à leur rester soumis, obéissants, amoureux et affectueux. On

peut même affirmer que les membres de la cellule familiale « Nsubu ou Diku » ont le devoir

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sacré de s’aimer, de prouver leur attachement et leur solidarité, mais surtout de promouvoir

le bonheur pout tout un chacun.

b) Les structures socio-politiques

L’organisation domestique ou familiale (Diku) a eu un impact indéniable sur l’organisation

des structures sociales et politiques luba. Ces dernières sont donc hiérarchisées de la manière

suivante :

Tshifufu ou Tshipangu tshia Diku, qui représente le conseil familial, est

généralement présidé par le chef de famille.

Tshifufu ou Tshipangu tshia Tshiota, le conseil du village est présidé par le chef

du village élu et reconnu par l’ensemble des membres.

Tshifufu ou Tshipangu tshia Tshisamba, le conseil de groupements où siège tous

les chefs des différents Biota : les chefs de famille, les chefs des villages, les

chefs des grands foyers et les notables.

Il existe également des :

Bifufu ou Bipangu, des conseils qui se réunissent généralement pour régler les

conflits sociaux entre les membres de la communauté politique ou pour réprimer

les contraventions coutumières et les crimes. Ces conseils de justice apparaissent

sous une étiquette comme l’équivalent de la Cours suprême de justice.

Souvent, le conseil familial est divisé en deux entités politiques. L’une est féminine dirigée

par une femme, ou mieux l’épouse du fils ainé, et l’autre masculine sous la direction de celui-

ci ou du père lui-même. Les réunions sont souvent publiques, et traitent des questions

sociopolitiques et les voies et moyens susceptibles à la réalisation du bonheur partagé. En

langue Tshiluba, ces réunions ou ces rencontres s’appellent les « Masambakani a Bula ».

Dans tous les cas de figure, dans l’univers politique luba-kasaï, le chef est toujours une

personne jugée digne, sage et agrée d’avance par Dieu Maweja et par les ancêtres. Et assisté

par les juges et les conseillers qui sont des membres choisis parmi les personnes adultes,

matures et responsables. Ses tâches sont ainsi reparties :

Garantir le respect des lois publiques et des règles de la sagesse de la vie pratique.

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Présider à la recherche commune du bonheur. En ce sens, il devient le centre de

la puissance au sein de la société et assume toutes les fonctions nécessaires à

l’organisation et à l’orientation de la communauté politique et historique.

Tenir la direction des affaires économiques et le commerce.

Présider des assemblées populaires.

Garder le bien commun ou le bien public.

Exercer la justice, organiser la défense et faire appliquer tous les principes

d’équité, d’égalité et de respect des droits.

Mais comme nous l’avons déjà montré précédemment, le chef n’a pas le droit absolu pour

décider tout seul unilatéralement sur des questions importantes d’intérêt commun sans

consulter ses notables et la grande majorité de ses sujets. Une décision non approuvée par

l’ensemble de la population ne peut être appliquée. Les notables sont choisis dans chacun des

Meku (familles) qui constituent le village ou encore le chef choisit lui-même ses

collaborateurs parmi les sages du village recrutés auprès de tous les Meku (familles). À sa

mort, l’un de ses fils le remplace. Si ces derniers sont encore mineurs, l’un de ses frères lui

succède. Mais à la mort de celui-ci, le pouvoir revient de fait et de droit aux fils de son

prédécesseur. Ce qui pose souvent d’épineux problèmes politiques et sociaux, car le dernier

chef régnant préférant se faire succéder par ses propres fils.

Ces structures socio-politiques ne sont pas restées à ce niveau, elles ont connu une

émancipation au contact des maîtres colonisateurs. Certes, elles se sont modernisées, mais

elles ont gardé leur véritable âme, à savoir : la recherche du bonheur partagé et la

reconnaissance de la dignité et du droit de la personne. Particulièrement, ce droit a été codifié

sous la forme juridique que l’on a finalement reconnu sous le titre du « Droit coutumier », et

qui reprend l’essentiel des droits de l’homme, des droits politiques et civils, des droits

économiques et sociaux, publics ou individuels. On peut donc dire que les institutions

traditionnelles luba-kasaï, par le fait de leur organisation et de leur enracinement dans la

philosophie de l’être et de la vie communautaire, ont pu inscrire au cœur de la pratique

politique la personne humaine comme la norme du droit et de tous les droits de l’homme,

comme finalité de toute quête du bonheur partagé. La loi commune qui apparaît comme le fil

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conducteur du vivre-ensemble demeure le fait de l’ordre du divin. Car c’est de Dieu Maweja

a Nangila (Dieu de toute bonté ou Dieu aimant), et de lui seul que procèdent tous les droits

et tout bonheur. Mais avant d’aborder ce chapitre de droit, il convient de dire un mot sur les

critères essentiels qui déterminent le profil du candidat à la responsabilité politique suprême.

3. Les critères d’éligibilité pour être Chef (Mukalenga)115

Dans l’univers politique luba, les structures politiques exigent une autorité ayant les capacités

pour diriger les hommes, la communauté clanique et politique, et d’organiser les différents

niveaux de la gestion du pouvoir et de la quête du bonheur. Ces capacités lui permettent de

répondre aux attentes des populations. C’est ainsi qu’avant de l’accepter au trône, les notables

et la majorité de ses sujets (les Bantu wa Mukalenga), cherchent à savoir le profil de l’homme

qu’il faut pour les conduire à un avenir meilleur, au bonheur. Ainsi, pour être éligible, le

candidat au Bumfumu ou au Bukalenga, c’est-à-dire à la responsabilité politique suprême se

doit donc de :

Savoir partager : partager et manger avec les autres, penser aux autres membres qui n’en ont

pas, c’est-à-dire il doit être sociable. Car s’il n’est pas sociable et affable, les gens peuvent

se demander ce qu’il pourrait faire pour les autres s’il se trouvait devant les biens plus

importants. Or, dans cette société, les avares et les gourmands sont classés en bas de l’échelle

sociale. Si un prétendant au Bumfumu, à la responsabilité suprême, fait partie de ce lot, il est

d’office écarté au profit de son jeune frère qui répond peut-être le mieux à cette exigence.

Savoir écouter et comprendre : le chef dans la société luba-kasaï est considéré comme le

serviteur de son peuple. Il est tenu d’écouter les doléances des Bantu wa Mukalenga, ses

sujets, et de toute personne qui recourt à lui. En cas de litige, il doit donner à chacun

l’occasion et le temps nécessaire de s’exprimer, sans pouvoir précipiter le jugement, tout en

se référant chaque fois aux notables, et en examinant avec eux avant de trancher. Il doit être

au-dessus de la mêlée et avoir présent à l’esprit le principe selon lequel : « Badi baya kua ba

muanda ; kabena baya kua ba wenu » : on va du côté de la justice, on ne va pas du côté de la

fraternité clanique. Car en matière de justice, on n’a pas de frère ; ce qui compte c’est la

115 Nous commentons les critères présentés par Tshibasu Mfuadi, Coutumes et tradition baluba, p. 45-65.

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vérité. Bref, il doit rester impartial dans son jugement comme dans son comportement, c’est-

à-dire éviter à tout prix la pratique du népotisme.

Être honnête : le chef doit avoir un comportement exemplaire, sachant que ses sujets essayent

de se conduire comme lui. Il doit être respectueux de la sagesse de la vie pratique, c’est-à-

dire avoir une maîtrise des coutumes et traditions ainsi que de tous les autres principes sur

lesquels est fondée la société qu’il dirige. Sa moralité doit être irréprochable dans sa conduite.

Savoir tenir parole et honorer ses engagements : il doit faire preuve du savoir-vivre en société

et être d’une grande intégrité morale. Au vrai, il doit suivre une éthique de la promesse en

restant fidèle à sa parole car c’est en respectant les promesses faites à sa communauté ou à

quelqu’un d’autre qu’on peut dire de lui qu’il a agi avec responsabilité, qu’il a un véritable

sens de responsabilité.

Être droit et vrai : il ne peut pas mentir, il doit toujours dire la vérité et rester ferme sur ce

qui favorise la meilleure cohabitation sociale et la promotion du bonheur partagé pour tous

les citoyens (Bantu wa Mukalenga). Car dire le mensonge à son peuple, c’est susciter les

querelles entre les citoyens. Or, en suscitant les querelles, le Mukalenga wa Bantu non

seulement déstabilise son propre pouvoir, mais aussi met en danger sa propre communauté

politique.

Avoir particulièrement de la reconnaissance, de la considération et du respect pour les autres

membres, en vue de mériter, sur le plan moral et selon les valeurs de la société, la

considération et l’estime de ces derniers. Les Bantu wa Mukalenga, les citoyens, ne peuvent

faire confiance qu’à une autorité politique capable de tenir compte des autres en leur donnant

une place de choix dans son projet politique.

Être le meilleur juge, l’équité : le chef est le premier et meilleur juge du village et de toutes

les autres instances politiques. C’est lui qui doit trancher en dernier lieu. Pour que ses

jugements soient respectés et exécutés, il faut qu’il soit lui-même respectable. Sa parole ne

doit pas être chancelante : dire une chose le matin et une autre le soir ; il doit rester constant

et cohérent ; il doit être en mesure d’analyser avec la rigueur qu’il faut avant de prendre une

quelconque décision. Il doit aussi savoir que ses sujets ne sont pas ses ennemis, encore moins

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des personnes sans maturité. Il doit les traiter avec tendresse, même en cas où l’un ou l’autre

se montre fautif, il ne doit pas se mettre en colère. Il doit tenir compte de l’humanité qui se

trouve aussi bien en lui que dans d’autres que lui. Mais surtout dire le droit et rendre justice.

Être aîné de la lignée du pouvoir : dans le contexte luba-kasaï, la transmission du pouvoir

suit la lignée. Dans ce sens, le pouvoir doit être donné à celui qui est premier par naissance.

Cela revient à dire que le Bumfumu ou le Bukalenga étant héréditaire, le Chef ne peut être

que l’aîné de la communauté clanique. À ce titre, il doit jouir du droit d’aînesse, car le village

doit être dirigé par un descendant de la lignée de Meku regroupés, c’est-à-dire de la lignée

même du pouvoir. Finalement, il ne peut pas se conduire de n’importe quelle façon.

En conclusion, ces critères sont tenus pour des garanties nécessaires en vue de placer à la tête

de la communauté politique un chef digne, ayant des qualités répondant aux besoins des

citoyens et à la recherche commune du bonheur. C’est ainsi que l’élévation au trône prend

du temps, car il faut s’assurer qu’aucun critère n’a été laissé sans vérification. Après avoir

réuni tous ces critères, l’heureux élu est magnifié par ses sujets au cours de l’intronisation, et

on lui assigne la tâche d’amener les hommes au bonheur. Ces critères donnent ici l’image

d’un chef idéal qui ne peut en aucun cas compromettre son pouvoir et la vie de sa

communauté politique. Mais on peut aussi se demander si la communauté politique luba-

kasaï n’a pas, elle aussi, connu des cas des responsables politiques autoritaires qui ont vicié

la gestion de la communauté ? De toute évidence, dans les villages tout comme dans des

chefferies bien des chefs ont soumis à la servitude leurs sujets et même refusé de céder le

pouvoir. Comme nous l’avons souligné auparavant, le chef qui a succédé au pouvoir au

moment où les enfants du tenant légitime sont encore mineurs se refuse de céder le pouvoir

à ceux-ci une fois devenus adultes. Cette situation est fréquente et induit au comportement

despotique de certains responsables politiques Luba. Cela montre bien que la société luba-

kasaï n’est pas le meilleur des mondes, il y a bien en son sein des velléités qui n’œuvrent pas

pour la promotion des droits et ne servent pas nécessairement la cause de la recherche

commune du bonheur.

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CHAPITRE QUATRIÈME

LE DROIT ET LES DROITS DE LA PERSONNE

1. L’essence du droit

a) Le Bende : une nature primordiale de l’homme

Les Luba pensent que les droits humains sont issus d’une volonté qui met une norme. Mais

la norme du droit à la vie est déduite d’une autre norme, celle qui dit que l’homme doit

exister. Sans aucun doute, ce raisonnement nous paraît être la prémisse fondamentale de la

théorie même des droits de la personne que semble traduire la sagesse de la vie pratique Luba

du Kasaï. Mais comment expliquer et clarifier ce principe ? Comment en retirer les dits-droits

humains ?

On peut expliquer ce principe à partir de l’origine mythique d’un personnage qu’on appelle

« Bende ». Ce personnage est une nature primordiale de l’homme. Selon le mythe de la

création du monde, Maweja a Nangila créa l’Homme ou Maweja a Nangila créa les Hommes.

Il créa l’aîné ou l’ancêtre de tous les hommes, et qu’il créa par jumelage, c’est-à-dire

l’Homme mâle ; et aussitôt ensuite la Femelle : couple humain que l’on nomme « Bende ».

En expliquant ce mythe luba, L. De Brandt, lui aussi, affirme : « Le Bende signifie

« d’autrui », et Muntu-wa-Bende signifie Homme-d’autrui. Ce Bende est en réalité une

nature primordiale de qui dépend tout homme. Dans ce sens, le principal emploi de cette

formule est Muntu wa Bende wa Maweja, l’homme d’autrui de Dieu »116. Interprétant

également ce mythe de la naissance du monde, T. A. Fourchet et H. Morlighem soutiennent

que le Bende est, avec Mikombo wa kalowa, l’intime de Dieu et presque son rival. Les Baluba

placent généralement trois ancêtres à l’origine de leur ethnie. Il s’agit de Mutombo wa Nkole,

Nkole wa Bende, Bende wa Mvidi Mukulu, ce qui signifie : Mutombo né de Nkole, Nkole

né de Bende et Bende né de Dieu. Ainsi Bende fut la première créature mi-spirituelle mi-

corporelle, ou simplement le fils ainé de Dieu. Partant de cette formule, Tshiamalenga

116 L. De Brandt, « Contes en Tshiluba sur l’Origine de l’homme et de l’univers », Congo, 2/1 (1921), p. 24-28

et 3/2 (1922), p. 50-64. Voir aussi : T. A. Fourchet et H. Morlighem, une bible noire, p. 112. On trouve les

mêmes idées chez R. Van Caeneghem, La notion de Dieu chez les Baluba du Kasaï, p. 98-99 : selon lui, entre

Dieu et les hommes il ya des êtres mi-esprits, mi-hommes tels que Mikombo wa kalowa (émissaire maweja)

qui, pour avoir entêté Bende, le premier couple humain, fut précipité dans la profondeur de la terre et porte

depuis le nom de « Kavidievidie » (Antidieu).

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Ntumba pose aussi que, « l’homme a sa référence originaire dans une altérité appelée

mythiquement « Bende » et, dans une altérité absolue appelée « Mvidye Mukulu Maweja a

Nangila ou Maweja »117.

En nous basant sur ces explications, nous pouvons affirmer que, tout homme est radicalement

et originairement toujours déjà un homme-d’autrui-de-Dieu. Puisque la personne appartient

à Dieu, son caractère est sacré et inviolable ; on ne peut donc pas disposer de lui comme on

dispose de la chose. Le Muntu-wa-Bende-wa-Maweja est inviolable non pas seulement

comme autonomie absolue, mais aussi en tant qu’il émane de Bende et de Dieu. Dans cette

perspective, on peut déduire que puisque la personne appartient à Dieu, elle doit par

conséquent être respectée dans sa dignité et dans ses droits et libertés.

Mais fonder le caractère sacré et inviolable de la personne humaine en Dieu ne prouve rien,

encore faut-il que la personne elle-même élève à son comble la prétention à des droits et

libertés inviolables et imprescriptibles. Dieu est mieux le fondateur, mais il n’est pas

forcément le fondement des droits subjectifs de l’homme. Encore moins la norme du droit et

des droits. Alors il nous faut trouver le véritable fondement de ces droits et libertés

individuelles auxquels l’homme Luba-Kasaï cherche toujours à postuler.

b) Dieu : Nzuji munene contre l’injustice ambiante

Comme nous l’avons déjà montré, les Luba sont convaincus qu’il existe quelqu’un au-dessus

de la volonté de la personne qui, dans toutes circonstances décide, apprécie et juge. C’est ce

quelqu’un qui reste le dernier recours contre les décisions prises par les hommes. Ce

quelqu’un est bien sûr Dieu Maweja a Nangila (Dieu de toute bonté). C’est de lui que

l’homme a reçu la puissance d’émettre un jugement et de décider. Ainsi pour dire le droit et

accepter toute décision prise par un ainé ou par un père de famille ou encore par un chef, les

Luba-Kasaï font appel à ce Dieu comme le véritable et le grand juge :

Anu yeye Maweja muina, que cela se réalise comme Dieu l’entend lui-même.

117 Tshiamalenga Ntumba, « Les droits de l’homme dans la tradition éthico-anthropologique luba », in

Philosophie et droits de l’homme. Actes de la 5e semaine philosophique de Kinshasa, Kinshasa, Facultés

Catholiques de Kinshasa, 1982, p.307.-309.

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Amu Mvidi Mukulu yeye muina : comme Dieu lui-même le veut ainsi.

Bienzeka anu mudi yeye musua : que cela se fasse selon sa volonté.

Bingezekela anu ku disua dia muena kuulu : que tout ce qui m’arrive soit

réellement la volonté de Dieu du ciel ; que tout se passe selon sa bonne volonté.

Ces expressions traduisent trois choses. D’abord, la conviction que les Luba ont de leurs

propres droits et de l’injustice ambiante. Ensuite, ils les revendiquent en invitant Dieu à dire

le droit et à faire justice pour la personne qui, en dernière instance, n’appartient qu’à lui seul.

Enfin, ils considèrent le jugement rendu par le juge comme un jugement humain. Ils

s’adressent ainsi à l’homme qui a arbitrairement rendu justice en disant :

Nzuji Munene udi Mvidi Mukulu, Mufuki wa Matunga, yeye ki mukoshi wa

tshilumbu pa tshithio (Muanda pa wowo). Wewa udi Muntu mutuma kudi yeye

muina. Nkosela weba wa muanda udi wa ba panu pa buloba, wa Muntu ki wa

Mvidi Mukulu to.

Ce qui signifie que : toute véritable justice revient à Dieu seul et créateur des sociétés, tu n’es

pas la norme du droit, tu n’es qu’un délégué qui n’a qu’un mandat limité. Ton jugement n’est

rien d’autre qu’un jugement humain fondamentalement basé sur l’intelligence humaine.

Mais on peut encore se demander si cet appel à Dieu fonde réellement les droits humains. De

l’autre côté, on a l’impression que ce recours à Dieu comme l’ultime juge apparaît comme

une sorte de carence d’un véritable système de droit. On peut même aller plus loin en

soutenant que les Luba-Kasaï ne semblent pas avoir l’intelligence d’un système de justice

cohérent basé sur des faits objectifs. Pourtant, cet appel à Dieu fonde pour ce peuple et pour

cette raison les droits à la fois subjectifs et objectifs dans la mesure où ils font référence à la

loi naturelle, au Bende et à Dieu. En reconnaissant que Dieu est la source de la vie, les Luba-

Kasaï affirment par ce fait même le vouloir divin qui est en réalité l’ordre naturel des choses

et l’essence même du droit. Protéger la vie, la fortifier et la promouvoir est un bien suprême

désirable et un droit.

c) Les coutumes et les us

Pour les Luba-Kasaï, les coutumes et les us constituent l’un des fondements de leur système

de justice et de droit. Comme le dit aussi Tempels : « Le droit coutumier est fondé en valeur

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sur la philosophie des primitifs. (…). C’est dans la défense de son droit, que le non-civilisé

apparaît le mieux en tant que personnalité, parce que son droit (tout comme sa religion

d’ailleurs) repose sur l’essence intime de son humanité, sur sa conception du monde et sur sa

philosophie »118. De la sorte, les règles, dont l’ensemble constitue les us et coutumes des

Baluba, peuvent être considérées comme un code de conduite sociale. Pour ceux qui les ont

mises à l’écrit et rassemblées dans un livre, elles ont donné des volumineux ouvrages à

l’instar du code civil qu’on voit dans bien des pays modernes. Les Luba connaissent dans les

détails leurs traditions, leurs coutumes et leurs lois, et de ce fait, on peut dire qu’ils ont la

maîtrise des normes ancestrales. Comme on peut le voir dans la déclaration de Van

Caeneghem :

Leurs lois et leurs coutumes sont connues dans les menus détails par les

personnes responsables du groupe (…). Aussi chétive et insignifiante que soit

l’apparence de ce chef ou de ce notable, aussi terre à terre que soit sa vie courante,

dès qu’on lui parle de justice et d’injustice, de condamnations et de sanctions, il

se revêt immédiatement d’un caractère sérieux et de solennité. Après avoir

patiemment écouté une palabre jusque dans ses moindres circonstances, le

verdict jaillira comme s’il était lu dans un code. Toute la législation est gravée

dans leur tête. Ils sont, eux, le code vivant de leur société119.

On peut déduire que l’essence du droit et des droits est d’abord Dieu, ensuite ils sont

enracinés dans les coutumes et les us. Les deux aspects constituent ce qu’on peut appeler

la loi morale luba. Pour les Luba-Kasaï donc, une coutume est tout d’abord bonne

ontologiquement, en suite et pour cette même raison, est bonne dans les mœurs et les

comportements de la vie pratique de tous les jours, et enfin bonne en droit subjectif ou

objectif. C’est sur cette loi morale qu’ils ont construit leur système juridique, politique et

économique. C’est aussi cette loi morale qui justifie le lien implicatif entre le droit et la loi.

118 P. Tempels, La philosophie bantoue, p.82-83. 119 R. Van Caeneghem, « Étude sur les dispositions pénales coutumières contre l’adultère chez les Baluba et les

Bena Lulua du Kasaï », Bulletin du Centre d’Études des problèmes sociaux Indigènes 8 (1949), p.5-46.

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2. Le droit et la loi commune

a) La théorie clanique

La perception luba de la loi et de la liberté se fonde sur une philosophie clanique qui scrute

le caractère même de l’homme, lieu d’émergence de tous les paradoxes. Parmi ces

paradoxes on peut, entre autres, relever que :

L’homme est essentiellement un être bon et excellent de par sa nature.

Il est un être méchant et destructeur de la vie.

Il est un individu tout particulier, enclin à développer sa particularité en s’écartant

des autres.

Il est un être faible et dépendant du secours des autres.

Pour mieux saisir la portée de cette philosophie clanique luba, il n’est pas nécessaire de

chercher à faire une reprise de ses éléments traditionnels au risque de tomber dans

l’éclectisme, on peut plutôt les refondre dans une théorie originale et cohérente de la liberté.

En les organisant on peut former deux couples paradoxaux :

L’homme est à la fois méchant et bon.

L’homme est social et asocial.

Bref, on peut déduire que les Luba ont cette conscience que l’homme est un être

contradictoire. Toutefois, on peut faire remarquer ici que ces éléments caractéristiques de

l’homme ont un dénominateur commun, à savoir : la liberté.

À la différence des êtres physiques ou des animaux, l’homme est doté de cette capacité,

sous son aspect moral, de dire non ou de dire oui, de faire le choix du bon ou du mauvais.

Et sous un aspect sociologique, il peut chercher ou repousser l’autre. En réalité, cette

philosophie clanique luba-kasaï met au cœur de la quête même du vivre-ensemble et du

bonheur partagé la liberté humaine comme fondement du droit. Mais on peut se demander

si cette liberté n’est pas une notion aussi équivoque que compliquée ? Si la liberté a

réellement besoin de la loi et du droit pour se régler ?

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En nous référant à cette théorie clanique luba, nous pouvons encore affirmer que la notion

même de liberté reste ambiguë. Et étant donné cette ambiguïté, la question du rapport entre

la liberté et le droit se pose de la manière suivante : est-ce que la liberté a besoin de la loi

commune ? Est-ce qu’une liberté sans restriction est souhaitable dans une communauté

politique et historique démocratiquement organisée ? Est-ce que la liberté doit-elle être

responsable pour permettre à l’homme de mieux vivre ses droits et son bonheur ? À quel

moment précisément peut-on dire que tel ou tel individu a mieux assumé sa liberté ?

En réponse à cette série des questions, nous pouvons donc dire que, chez les Luba, la

liberté de l’homme ne peut s’épanouir sans une restriction, elle ne doit pas être laissée à

l’état sauvage ; elle doit être bien limitée, bien encadrée et bien établie. Dans ce sens, la

loi commune apparaît comme une condition nécessaire si non indispensable au vivre-

ensemble et à la recherche commune du bonheur. À ce sujet, la formule de Pufendorf

semble judicieuse : « Sois sociable, sois libre et sois raisonnable »120. Donc, chez les

Luba, pour mieux vivre en communauté, l’homme doit conjuguer sa liberté avec la

responsabilité ; il doit être sociable en s’ouvrant aux autres ; il doit être rationnel et

raisonnable dans ses actions.

b) La loi comme garantie de la liberté

La sagesse pratique luba lie la loi et le droit à la nature même de la personne. D’un côté, la

nature de la personne est de vivre en société. De ce fait, elle recherche à vivre en paix avec

les autres citoyens et promouvoir son bonheur. De l’autre côté, elle est appelée à s’épanouir

à travers l’exercice de ses droits fondamentaux, de sa dignité et de ses libertés. C’est autant

dire que la loi garantit la vie des hommes en société et le droit garantit aux individus la

plénitude de la vie et le vivre-ensemble. La culture luba-kasaï semble assumer cette

dialectique à bien des égards. Ce qui remet en scène le rôle politique de l’autorité publique.

Celle-ci a une double tâche à assumer, à savoir d’une part, faire en sorte que les individus

120 Cité par A. Neschke-Hentschke, « Nature de l’homme, nature du droit. Les fondements des droits de

l’homme dans le De iure naturae et gentium (1972) de Samuel Pufendorf », in Humanité humanitaire, Bruxelles,

Publications des Facultés Universitaires de Bruxelles Saint Louis, 1998, p.123-124. Lire aussi : P. Laurent,

Pufendorf et la loi naturelle, Paris, Seuil, 1982 ; A. Dufour, « Jus naturalisme et conscience historique. La

pensée politique de Pufendorf », in Cahier de philosophie politique et juridique II : Des théories du droit

naturel, (Caen 1987), p. 103-125.

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respectent scrupuleusement la loi commune, mais aussi de les protéger contre l’arbitraire et

les abus et, d’autre part, permettre aux citoyens de jouir du bonheur partagé sans contrainte

de leurs droits fondamentaux, de leur dignité et de leurs libertés politiques individuelles. Or,

par l’affirmation du double rôle de l’autorité publique, on pense particulièrement à la liberté

de l’homme que les Luba-Kasaï semblent mettre en exergue dans la praxis politique. Pour

eux, la liberté humaine ne peut atteindre sa plénitude sans la restriction de la loi. Comme

manifestation du bonheur partagé, la liberté doit être responsable, assumée et restreinte en

même temps par la loi. Une liberté assumée et responsable est celle qui tient compte de la

liberté des autres et du sens de la vie en commun. Ricœur y souscrit entièrement lorsqu’il

dit : « Ta liberté vaut la mienne »121. Dans cette optique, les Luba-Kasaï pensent que le

respect de la liberté de l’autre est une règle commune qui s’impose à tous et reste

indérogeable à tous les points de vue. Ils expriment ce principe au moyen des dictons tels

que :

Bukenji bua diboko diebe mbua kuenda, kadi ki bua kututa ku diulu dia mukuenu

to : ta liberté de balancer le bras s’arrête là où commence le nez d’un autre.

Bilela bidi ku nshingu wa Nkuadi kabiena ku Nsolo wa bende to : on ne plaisante

pas autour de la poule d’autrui. La poule représente ici le bien propre à quelqu’un

d’autre, c’est-à-dire sa liberté comme une réalité intouchable et même inviolable.

Kunima kua tshianza tshia mukuenu ki nkutua bidia to : on ne s’aventure pas à

recueillir la sauce qui coule de la main d’un autre, ou encore on ne touche pas à

ce qui est propre et intime à un autre, c’est-à-dire ses droits et libertés

individuelles.

Ces expressions affirment donc le rôle de la loi commune, qui consiste à mettre une limite

formelle à la nature humaine qui parfois connaît quelques débordements. Dès lors, nous

pouvons soutenir que dans l’univers luba-kasaï, le respect de la loi commune commence par

assumer sa propre liberté.

121 P. Ricœur, Histoire et vérité, p. 312.

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c) La loi comme garantie de la dignité

La culture luba-kasaï révèle que la dignité a aussi besoin de la loi qui lui sert d’appui. Par cet

appui, l’homme se rend digne et devient une personne en humanisant sa vie et celle des autres.

Cette culture renseigne aussi que pour une existence commune et apaisée, pour une meilleure

recherche du bonheur partagé, le caractère méchant ou violent de l’individu se doit d’être

réprimé par la loi. Mais quant à la tendance au particularisme ou à la diversification, la loi

donne la règle et l’unité, elle est à la fois constructive et restrictive. Aussi, eu égard à la

faiblesse de la personne, la loi commune devient la condition nécessaire pour établir et

maintenir la paix dans la communauté politique, dont l’homme dépend pour sa survie et la

poursuite de son bien-être. Ainsi l’observation de la loi permet aux individus de se regarder

comme des égaux ayant tous les mêmes droits et la même dignité. C’est donc le respect de la

personne, de ses droits inaliénables qui fait d’elle la vraie mesure du droit positif ou subjectif.

Bref, seule la loi humanise la liberté et la dignité de l’homme.

En définitive, le système juridique luba-kasaï rattache les fonctions du droit et de la loi à la

nature humaine. Car il n’y a pas de droit ou de loi qui ne prenne en compte l’aspect animal

de l’être humain et qui ne recherche en même temps son bonheur. Mais au-delà de ce lien

implicatif entre la loi et la liberté humaine, on peut observer que la culture luba-kasaï n’a pas

fait ressortir davantage la manière dont la loi commune peut être manipulée soit pour

supprimer la vie, soit pour violer cette liberté et cette dignité humaine. Comme nous ne

cessons de le souligner, l’univers luba-kasaï n’est pas le meilleur des mondes, car il y a aussi

de la part de certains gestionnaires politiques des velléités qui reflètent des formes de

manipulation de la loi et de l’usage abusif de l’autorité. Mais la vigilance des Bantu wa

Mukalenga, des citoyens, comme nous l’avons également explicité reste de mise. C’est ainsi

que, bien qu’elle reste dure et sévère, la loi commune concerne aussi bien le Mukalenga wa

bantu (l’autorité politique) que les Bantu wa Mukalenga (les citoyens). De cette manière, on

peut conclure que, le critère d’universalité, d’objectivité, de vérité ou encore de justice

équitable et équilibrée que pose et impose la loi commune, institue au cœur même du système

socioéconomique, sociopolitique, judiciaire et du corpus des droits de l’homme, la personne

comme la norme des normes, et donc la mesure sans mesure.

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3. La norme du droit et des droits

a) La personne comme norme

Dans le système juridique luba, la personne est la norme du droit comme elle l’est des

structures politique et du bonheur partagé. Pareille affirmation peut paraître aléatoire,

pourtant elle relève de la visée éthique luba-kasaï qui place la personne au cœur de tout. C’est

en fonction de cette norme et à partir d’elle seulement que le bien est dit bien et le mal est

mal. La personne reste, pour les Luba, le point de convergence de tout corps de droit positif

et objectif. Et cela d’un triple point de vue :

D’abord, eu égard à la volonté de Dieu Maweja ou à l’ordre naturel des choses : les Luba

considèrent que la personne est sacrée et inviolable.

Ensuite eu égard aux semblables et aux individus, c’est-à-dire par rapport à la relation avec

son semblable : ils pensent à l’égalité de la dignité et de droits.

Enfin eu égard à la communauté politique, ils pensent à une vie apaisée et au bonheur.

Cette logique justifie en raison la ténacité que les membres de cette communauté expriment

souvent quant à la défense de leurs droits. Car c’est dans la défense de son droit que le Luba

montre mieux sa personnalité, parce que son droit tout comme l’ensemble de ses croyances,

lui sont consubstantiels. Renoncer à son droit, c’est renoncer à soi-même comme personne,

c’est renoncer à ses croyances comme philosophie, c’est renoncer à ses obligations morales,

politiques et économiques comme responsabilité, c’est renoncer à l’élan du bonheur partagé.

Le Luba refuse de se contenter seulement des devoirs civils, sociaux ou économiques alors

qu’il peut les exiger comme des vrais droits qui lui reviennent. Il possède en lui une

conviction et une conscience des droits humains dont il se croit être la seule norme.

Autant il a la conscience inaltérée du caractère humain du droit et des droits, autant il voue

un profond respect aux droits d’autrui, au même titre qu’il en professe pour les siens propres.

Cette obstination dans la poursuite et dans la conscience de son droit, devient, à la lumière

de cette meilleure compréhension de la mentalité luba, une qualité appréciable de grandeur

humaine. Jouir de ses droits est un bonheur. S’engager à les défendre quand ils sont violés

est une manière d’assumer sa responsabilité politique. Ainsi donc, il devient absurde sinon

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un non-sens d’en rester à la considération de l’obstination indélébile qu’on traduit souvent, à

tort ou à raison, comme une sorte d’agacement.

b) La sémantique éthique luba du droit

La vision du droit telle qu’elle se présente prend sa racine dans une sémantique éthico-

anthropologique luba-kasaï, à savoir : « Kuikala ku » et « Kuikala ne »122.

En anthropologie luba-kasaï, la donnée fondamentale de l’homme est Udi ku : « être-là ».

Lorsque les Luba disent : Ndi ku, ils veulent dire : Je suis-là présent parmi vous ou parmi les

autres. Il s’agit donc de « l’être-là » parmi d’autres « étant-là ».

L’homme comme tous les autres « étant-là » y compris évidemment Dieu Maweja, n’est pas

le seul à « être-là » comme le pense Heidegger, substantivement en tant que : « être au

monde ». Chez Heidegger, on voit que ce « être-là » sent une sorte de localisation, tandis que

chez les Luba-Kasaï il est une condition de localisation parce que le « là » est constitutif de

l’existence-même de l’homme. Quelques exemples valent la peine d’être donnés :

Mukendi udi ku-bantu, c’est-à-dire Mukendi est là en vie parmi les hommes.

Kanku udi ku ne Moyo, ce qui signifie Kanku est-avec la vie.

Luc Langlois udi ku, signifie Luc Langlois est là, il existe, etc.

Ces exemples montrent bien qu’il s’agit de l’existence avant et après la mort, mais sans une

quelconque connotation de localisation.

Chez les Luba-Kasaï donc, le fait d’être-là, « Kuikala ku » apparaît être comme une liberté

créatrice devant les choses compliquées de la vie. Il est une tâche vitale, c’est-à-dire une

capacité de survivre, de médiatiser son environnement, de le rendre humain en évitant la

violence et de rechercher le bonheur partagé. Bref, « Kuikala ku » est une tâche. Or, une

tâche est aussi un devoir d’être libre d’accomplir ou non quelque chose pour soi-même ou

pour l’autre que soi. À ce titre, on peut dire que pour les Luba, « Kuikala ku », est une

122 Nous commentons les idées de Tshiamalenga Ntumba, « Les droits de l’homme dans la tradition éthico-

anthropologique luba », p. 302-315.

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exigence originaire de liberté et d’ouverture vers les autres et de création des espaces de

réalisation du bonheur partagé. On ne peut pas être-là sans rien faire, sans réellement exister.

Cette exigence de liberté, de recherche de bonheur et d’ouverture trouve un sens dans le

second lexème, à savoir : « Kuikala ne », être-avec. Dans la langue Tshiluba dire que : « Ndi

ne » ne signifie pas « posséder » ou encore « avoir », mais c’est « être-avec », y compris avec

Dieu lui-même. Dans ce sens, on peut dire que :

Jules-udi ne Moyo, Jules est-avec la vie.

Luc Langlois-udi ne Bankambua bende, Luc Langlois est-avec ses ancêtres.

Thomas De Koninck-udi ne Muena kuende, Thomas De Koninck est-avec son

épouse.

Jean-François-udi ne Mulunda wende, Jean-François est-avec son ami, etc.

De ces exemples on peut déduire que, chez les Luba-Kasaï, l’être-avec est une relation

originaire et constitutive de la personne. Être-là, l’étant-là, « être au monde-avec-les autres »,

signifie s’engager dans un réseau de rencontre, de relation avec la vie, les choses, les biens

et avec l’autre homme semblable, c’est rechercher réellement le bonheur. Pour les Luba-

Kasaï, c’est donc de ce vaste réseau de relation cosmique que découlent tous les droits : les

droits humains, les droits de la nature, les droits des animaux, les droits des mers, les droits

des forêts, etc.

Ceci nous amène à un troisième lexème : « Muntunanyi », l’autre homme avec moi. Ici

« l’étant-là » qui se présente devant moi, ou qui vient vers moi est déjà un « Muntunanyi »,

« un homme-avec-moi ». Il n’est pas un homme comme moi « Muntu bu Mema » , parce que

je ne suis pas une référence, un modèle pour lui, il est un homme-avec-moi, mon partenaire

et mon allié avec qui je partage l’humanité et le bonheur. Ce « Muntunanyi » est tout homme

en tant qu’il est mon égal : enfant, jeune, vieux, blanc, noir, jaune, femme ou homme, etc.

Ainsi plusieurs appellations qualifient le « Muntunanyi » des différentes manières :

Muinanyi : un allié.

Mukuanyi : un frère, une sœur.

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Muanetu : un frère ou une sœur.

Mukuetu : un allié, un frère ou une sœur, etc.

C’est donc le lexème « Muntunanyi » qui est la matrice fondatrice d’où coule tous les droits

de l’homme et sur lequel se base toute quête du bonheur partagé : la liberté, l’égalité, la

fraternité, la solidarité, etc. Cette matrice fondatrice permet aussi de rejeter toute violation

des droits et libertés, toute discrimination raciale ou tribale, tout intégrisme ou tout fanatisme

religieux et dangereux, etc. Cette matrice fondatrice des droits confirme la personne humaine

comme la mesure sans mesure, la norme de tous les droits de l’homme et de tout système

économique, politique ou social, bref de tout projet de bonheur partagé. Pareille philosophie

nous amène, sans aucun doute, à scruter les principes essentiels qui fondent en raison les

droits de l’homme (politiques et civils, économiques, sociaux et culturels des individus ou

des communautés politiques).

4. Les principes fondamentaux des droits

a) Les préceptes éthico-juridiques

L’éthique du bonheur partagé luba-kasaï retient quatre préceptes éthico-juridiques

fondamentaux :

Tu ne tueras ni ne blesseras l’Homme-d’autrui de Dieu.

Tu ne mangeras pas l’Homme-d’autrui par sorcellerie maléfique.

Tu ne te rendras pas coupable d’adultère envers ton mari.

Tu ne prendras pas ni la femme ni le bien d’autrui.

Ces quatre principes juridiques non seulement constituent pour le Luba-Kasaï un garde-fou,

une garantie nécessaire de la vie, de l’intégrité et de la promotion du bonheur partagé, mais

permet aussi de découler autant que possible une gamme de droits humains. Ces principes

ressemblent fort bien à « l’impératif catégorique kantien » dans la mesure où ils touchent

aussi bien le for intérieur qu’extérieur. Comme nous l’avons montré dans les paragraphes

précédents, dans bien des cas il s’agit de la prise de conscience et le regret de la faute

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commise. On peut également voir que dans ces principes la morale se confond quand même

aussi bien avec le droit subjectif qu’objectif. Dans tous les cas de figure, ce qui importe ici à

soulever, c’est que les quatre préceptes correspondent non seulement aux droits de l’homme,

mais aussi aux principes majeurs qui fondent en raison les droits de l’homme eux-mêmes.

b) L’aphorisme politicojuridique

Les droits de l’homme découlent également de cet autre principe éthicopolitique auquel nous

avons déjà fait allusion auparavant dans des différents contextes, à savoir :

Mukalenga wa Bantu, Bantu wa Mukalenga : Il n’y a véritablement de chef que

là où il y a le peuple, ou encore mieux : Le chef est soumis au peuple et le peuple

est soumis au chef.

Cet aphorisme est un principe qui relève : –de la justice légale, de la philosophie politique et

sociale. Mais comment tirer les conséquences de cet aphorisme ?

D’abord, en ce que concerne la justice légale les quatre principes et l’aphorisme Mukalenga

wa bantu, bantu wa Mukalenga, induisent à l’idée que : –le chef ou l’autorité politique et les

citoyens ont des droits égaux et symétriques. Toutefois, il reste que le peuple a de

l’ascendance sur le chef, car c’est le peuple qui a le dernier mot sur toutes les questions

d’intérêt commun et de la promotion du bonheur partagé.

Au niveau de la philosophie politique et sociale, ils induisent à l’idée de la meilleure forme

de gouvernance ou de gouvernement qui est celle de la démocratie citoyenne et participative.

Celle-ci ne réussit son pari que si elle se pratique dans l’échange, la communication, la

symétrie des responsabilités ou des rôles sociaux. Ici aussi le peuple demeure l’épicentre de

toutes décisions, bonnes ou mauvaises, —l’autorité politique ne peut en aucun cas prescrire

ni prendre des décisions sans se référer au peuple et sans fédérer la majorité de la population.

Il doit tenir compte de l’expression des préoccupations de la majorité des citoyens. C’est

donc le peuple qui a l’autorité suprême devant les choses et les situations qui engagent sa vie

et la recherche du bonheur pour la communauté politique tout entière. L’autorité politique ne

peut s’octroyer le droit de violer les droits des citoyens puisque c’est des citoyens qu’il détient

son pouvoir et reçoit le mandat de l’exercer. La tâche qui lui revient de fait et même de droit

est de garantir à tous les citoyens la jouissance de leurs droits et libertés individuelles.

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c) Le caractère inaliénable des droits

Certes, les droits de l’homme sont naturels mais ils ne sont pas le résultat d’un raisonnement,

et par ce fait, ils sont inaliénables. Nul homme ne peut les perdre. Garantissant le bonheur

partagé, ils n’ont que ce bonheur partagé comme contour et horizon. Cependant, tout en

reconnaissant que les droits de l’homme sont inaliénables, les Luba-Kasaï ont aussi

conscience que la possession effective de ces droits est limitée. Cela revient à dire que, au

plan de la possession, les droits sont inaliénables, mais au plan de l’exercice, ils comportent

tout de même des limites. Celles-ci proviennent dans bien des cas des conditions sociales et

individuelles dans lesquelles l’homme se trouve et recherche son bonheur. Certaines

conditions peuvent conduire à l’aliénation totale de certains droits, comme en cas de la

personne qui a de la mauvaise influence sur le bonheur des autres membres de la communauté

politique, ou mieux encore le cas de la personne qui cherche à détruire la vie et à amenuiser

les chances de progrès de sa communauté. Dans les deux cas, l’autorité peut envisager des

restrictions et même procéder à l’éloignement de la personne incriminée. À ce point, on peut

parler de la progression de la perception des droits de l’homme dans la société luba-kasaï,

c’est-à-dire que les droits de l’homme dans la tradition luba-kasaï sont à l’image de

l’évolution socioculturelle de cette société traditionnelle. Il n’est pas nécessaire de chercher

toute la finesse que comporte le corpus des droits de l’homme dans des sociétés occidentales

modernes. Mais on peut tout de même trouver les germes des droits de l’homme tels qu’ils

sont vécus et appliqués dans les sociétés actuelles dites modernes. En dépit de cette

progression, la société luba affirme le caractère sacré et inviolable de la personne comme

l’un des principes fondateurs des droits de l’homme.

d) La respectabilité de la vie et de la dignité humaine

Au-delà de la loi naturelle, la sagesse luba pose la reconnaissance de la dignité humaine, la

vie, l’égalité et la respectabilité de l’homme comme principes fondateurs des droits de

l’homme. En considérant la personne humaine comme la norme du droit, la sagesse luba-

kasaï du bonheur partagé remet en scène la valeur de la vie. Selon eux, la vie n’apparaît à la

fois que comme le premier fondement et le droit primordial qui ne peut être aliéné d’aucune

façon, et sans lequel il n’y a pas des droits humains. Le Luba-Kasaï pense que l’homme a

l’obligation de vivre dans une communauté politique dans laquelle lui et les autres citoyens

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234

assument leur devoir de protéger la vie des hommes. La vie demeure un droit à assumer sans

conditionnalités. La violation de ce droit écroule tous les autres fondements.

En outre, la culture luba-kasaï affirme la dignité humaine comme préexistant aux institutions,

aux structures et à toutes les législations. Les Luba intègrent ce principe dans la recherche du

bonheur partagé, dans l’exercice du pouvoir et les codes ou les lois. Ils pensent aussi que

l’origine et la justification de ce principe de dignité sont antérieures ou même en dehors du

cadre légal. Cela revient à dire que la dignité de la personne et tous les autres droits humains

ne sont pas la création du droit objectif ou du législateur, encore moins de l’autorité politique,

ils n’existent pas seulement du fait que les chefs ou les autorités politiques (Bakalenga), les

décrètent. Ils relèvent plutôt de l’ordre naturel, de la création de l’homme par Dieu Maweja.

Les Luba-Kasaï considèrent que la dignité de la personne demeure une réalité sacrée eu égard

aux lois qui régissent la communauté politique. Autant pour le viol du droit à la vie, autant

le viol de la dignité humaine apparaît aux yeux de la communauté politique luba-kasaï

comme un délit exécrable et même condamnable à plus d’un titre.

Il en va de même pour les principes de l’égalité et de la respectabilité des droits de tous les

autres individus. Le droit à la vie et le respect de la dignité de la personne, en vertu de leur

inhérence à la nature même de l’homme, reviennent de fait et de droit et à part égale à tous

les citoyens. Quel que soit la situation sociale des individus, chacun a droit, au moins en

principe, aux mêmes droits à la vie, à la considération de sa dignité et à la liberté. L’idéal de

l’égalité amène à récuser la pratique de la discrimination en imposant la loi de l’hospitalité

et du respect comme un principe fondamental des droits humains. En clair, la sagesse de la

vie pratique luba-kasaï reconnaît à chaque citoyen tous les droits fondamentaux et toutes les

libertés par le seul fait de la position de chaque personne comme créature de Dieu-Maweja.

e) L’interdépendance des droits

L’éthique du bonheur partagé luba intègre non seulement le principe d’interdépendance des

membres de la communauté politique dans la recherche du bonheur, mais également

l’interdépendance des droits. Dans cette perspective, tous les droits de l’homme sont liés et

restent indivisibles. Cette conviction se base aussi sur l’idée d’un Dieu unique qui a créé

toutes choses. Ainsi procéder à la catégorisation des droits selon les conditions sociales des

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individus n’apparaît que comme une entreprise incommode et une méconnaissance de l’acte

de création. Par le fait de la nature même de l’homme et de ces principes fondamentaux, il

est évident que les droits de la personne restent indivisibles et interdépendants dans la mesure

où les Luba considèrent que l’humanité qui est en l’homme est en tous les autres hommes.

En dépit de tous ces principes, les droits de l’homme et la qualité de les posséder pleinement

demeure toujours comme une tâche et une exigence, mieux une sorte de détermination, de

vœu des citoyens qui luttent inlassablement à les promouvoir et à les protéger.

5. Les droits de la personne

a) Le corpus des droits humains

Dans l’univers luba, le corpus des droits de l’homme est ancré dans le code éthico-juridique.

Il contient des différents droits politiques et civils, sociaux et économiques, individuels ou

collectifs que nous nous employons dans ce paragraphe de ressortir tout en les restructurant :

Le droit de jouir de sa liberté, de son opinion et de la prise de parole.

Le droit à la paix et à la sécurité.

Le droit de tout homme à la vie et à l’intégrité physique contre l’agression.

Le droit de tout homme à la vie et à l’intégrité physique contre toute agression

« magique », maléfique ou sorcière.

Le droit de tout foyer conjugal d’exercer la fonction sexuelle ou génitale à

l’exclusion des tierces personnes ou étrangères au couple.

Le droit du mari à la fidélité de son épouse.

Le droit de l’épouse à la fidélité de son époux (Ici ce droit doit être nuancé pour

autant que dans cette société, l’époux peut avoir plusieurs femmes, selon la loi

de la polygamie, mais il y a une évolution significative).

Le droit de tout homme ou de toute femme d’aimer, d’épouser et d’avoir une

progéniture abondante.

Le droit de divorcer si rien ne va plus.

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Le droit au respect de sa réputation, à la justice sociale équitable et équilibrée

dans toute son étendue.

Le droit de tout homme à l’hospitalité, à la solidarité, à la bienveillance et au

respect de sa réputation.

Le droit de toute personne au bien-être et au bonheur, etc.

Outre ces droits civils, le code juridique luba-kasaï présente aussi les droits politiques

suivants :

Le droit du peuple de se donner un chef en le mandatant.

Le droit du peuple de contrôler son chef et, le cas échéant de le destituer.

Le droit du peuple de faire valoir et de faire respecter ses droits (droit à la liberté,

droit à la vie, à la sécurité, à la paix, à l’honneur, au respect, au travail, à la

mobilité sociale, au progrès, au bonheur, à l’éducation, à l’information objective,

etc.).

Le droit du peuple de refuser l’obéissance en cas des lois injustes et contraires

aux droits légitimes du peuple.

Le droit du peuple de créer les institutions justes et meilleures susceptibles de

garantir ses droits.

Le droit du peuple de former les associations privées, la famille, les cultes, l’État

(exécutif, législatif et judiciaire, pouvoirs autonomes et séparés).

Le droit du chef de gouverner conformément aux droits du peuple.

Le droit du chef à l’obéissance du peuple en matière de lois justes.

Le droit du chef à une vie décente digne de sa fonction.

Le droit du chef aux égards dus à son rang, etc.

Relevant de la praxis politique luba et de la morale, ces droits sont couverts par le principe

de l’inviolabilité du droit de toute personne. Pour que ce principe s’applique dans toute sa

rigueur, les Luba se réfèrent à la gestion rationnelle des institutions politiques et judiciaires.

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L’autorité politique est tenue de veiller au bon fonctionnement de ces institutions de manière

à permettre à tous les citoyens de jouir de leurs droits.

b) Les dispositions garantissant le vivre-ensemble

Le code juridique luba a aussi prévu quelques dispositions nécessaires à une vie en commun

et au mieux-être de tous les citoyens. Notamment :

Le droit d’exprimer et de promouvoir ses opinions, ses perspectives ou ses points

de vue.

Cette disposition peut donner lieu à ce que les modernes appellent « la liberté d’expression ou

de la parole », qui implique aussi bien l’épanouissement des individus que des organes de

presse ou de communication. Il s’agit de la promotion de la force de l’argumentation ou de

l’expression de ses propres idées qui participe de la formation d’une véritable communauté

dialogale idéale où chaque citoyen a droit au débat, mais au véritable débat qui vise

l’épanouissement et le bonheur partagé de tous les citoyens. La liberté de la parole ne reste

dans cette culture que comme une sorte de garantie du projet du savoir-être et du vivre-

ensemble.

Le droit à la libre participation à la gestion et à la direction des affaires publiques

de la communauté politique et historique.

Cette disposition fonde les principes de la démocratie sociale et participative, d’alternance et

de justice politique. Dans cette perspective, la personne ne peut souffrir de la discrimination ou

de l’isolement au nom de son état social, de ses convictions religieuses, politiques ou de ses

déficiences physiques ou mentales étant entendu que l’individu, chez le peuple Luba-Kasaï, est

toujours déjà membre appartenant à la communauté de destin, et sa valeur reste de fait

irremplaçable.

Par l’affirmation de la valeur de l’institution du mariage ou encore de la reconnaissance de la

femme comme source de la vie et de bonheur, la culture luba-kasaï inscrit au cœur de son code

des droits humains les droits relatifs au mieux-être de la femme. Notamment :

Le droit au respect de la dignité de la femme comme une dignité particulière.

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Le droit à l’égalité des chances.

Certes, ces dispositions s’appliquent à tous les citoyens. Mais elles sont plus particulièrement

pour la femme. En effet, par ces dispositions on a l’impression que la culture luba-kasaï scelle

le pacte de l’égalité et de la participation de la femme à l’organisation de la vie politique, civile,

économique et même culturelle. Désormais, la femme est regardée, comme l’affirment Dubry

et Perrot : « Non seulement comme copartageant du bonheur, mais également comme

coresponsable dans la quête même de ce bien-être »123.

Le droit de la femme au choix du régime matrimonial.

Les Luba-Kasaï considèrent comme obsolète toute forme de discrimination dans les choix à

faire en faveur de l’un ou l’autre régime conjugal ou matrimonial. Mais en dépit de cette

ouverture, ils restent attacher fondamentalement à la promotion de l’institution du mariage

et à ses règles de vie, qui conduisent à l’équilibre social, à l’harmonie, à la promotion du

bonheur partagé et à l’apprentissage, par les jeunes générations, de la pratique sexuelle.

Le droit de la femme d’avoir des enfants uniquement dans le cadre du mariage.

Ce droit pose problème dans la mesure où il limite les choix de la femme. Car elle peut choisir

de vivre sans enfants. Mais sans enfants, il n’y a pas de réelle garantie d’une bonne vie dans

cette communauté.

c) Les droits économiques

Le code de l’organisation de l’économie va de pair avec l’organisation politique et sociale de

la communauté. Les Luba intègrent la propriété foncière, immobilière et mobilière comme

fondement économique et, en même temps, ils les convertissent en véritables droits collectifs

humains. Ainsi :

123 G. Dubry et M. Perrot, Histoire des femmes africaines, Tome IV, Paris, Plon, 1991, p.204-214. Lire aussi :

A. Lebœuf, « Le rôle de la femme dans l’organisation politique des sociétés africaines », in Palme, D., Femmes

d’Afrique noire, 1980, p.42 ; S. Mbumba Tshikoji, « L’aujourd’hui de l’éthique sexuelle Luba-Kasaï », p. 32-

34 ; M. Bala-Bala, « Éthique et sexualité en Afrique », Pensée Agissante 7/13 (janvier-juin 2004), p. 81-92.

Dans le code de droit luba, le régime reste monogamique. Le célibat et l’homosexualité sont inconnus. La

polygamie est presque abolie.

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239

Les terrains situés dans la limite du village sont une propriété commune.

Le sol est partagé entre les différents membres de la communauté villageoise.

Les cours d’eau et les forêts vierges restent la propriété de la communauté

historique.

Pour eux, la propriété commune est celle qui touche toutes les possessions immobilières non

exploitées, telles que les forêts vierges, les arbres, les lianes et les fruits de palmes qui s’y

trouvent. Cette propriété commune exprime la considération de la récolte des produits

provenant des terres inexploitées comme des biens communs et autorisés à tous les membres

de la communauté politique, de même la chasse et la pêche sont un droit collectif inaliénable.

Par ailleurs, le droit collectif cesse effectivement d’exister lorsque l’un ou l’autre membre de

la communauté cultive une parcelle de terrain. De la sorte, on passe du droit collectif au droit

individuel :

Le droit d’avoir un terrain privé.

Le terrain cultivé devient ipso facto la propriété foncière d’un individu bien

déterminé, membre d’une famille ou d’une communauté villageoise.

La jachère également reste propriété individuelle, à l’exemple des arbres sur une

parcelle de terrain exploitée.

Les terrains de culture ne font pas l’objet des transactions, mais interviennent dans la

succession. Ce qui revient à dire que le fait d’exploiter un terrain entraîne le droit foncier

individuel comme : cultures, arbres, palmiers, bananes, ananas, manioc, maïs, légumes, etc.

Le droit aux terres : un membre d’une communauté familiale ou villageoise

possède en propriété personnelle des terres qu’il exploite ou qu’il a exploitées,

ou encore dont il a hérité.

Le droit de louer ou de vendre une propriété individuelle. Ce droit doit être

nuancé parce qu’en réalité la location ou la vente d’une propriété foncière privée

est une qui apparaît inconnue. Elle reste un héritage pour les générations. Il y a

cependant une évolution.

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240

Quant à la propriété mobilière et immobilière, les Luba-Kasaï semblent reconnaître le Tatu a

Nsubu, l’homme ou le mari comme le seul principal propriétaire de la maison, des cases, des

terres, etc. La femme, elle, possède en propre un nombre restreint d’objets ou des biens

servant uniquement au ménage. L’enfant n’est pas propriétaire, ses objets ou ses biens restent

de fait une propriété de son père. Mais il y a une grande évolution. Les enfants et l’épouse

peuvent hériter des biens laissés par le père.

Au-delà des aspects économiques, la communauté luba-kasaï considère le travail et le travail

pour tous comme un droit humain, si bien que les individus ou les communautés sont appelés

à remplir leurs propres obligations au sein de la maison, de la famille ou du village, et ce,

dans un esprit d’interdépendance, de solidarité et de recherche commune du bonheur. Cela

revient à dire que dans le cadre de l’organisation structurelle du travail ou de la philosophie

du travail, les principes de solidarité et de partage du bonheur sont appliqués, et cela permet

à tous les individus de trouver non seulement de quoi manger, mais aussi de quoi s’occuper.

Le travail est ainsi considéré comme un droit et une cage de dignité humaine et de bonheur.

d) Les droits successoraux

Les Luba connaissent aussi les droits de succession. En effet, le père est propriétaire de tout.

L’enfant (ou les enfants) ne possède rien en propre. Il dépend totalement de ses parents. Mais

il peut tout hériter à la mort de ceux-ci. En particulier, il hérite tout de son père. Car l’héritage

demeure dans cet univers luba-kasaï un droit successoral naturel indéniable aux enfants, et

finalement non marchand ou commercial. En revanche, les produits des cultures reviennent

à part égale à l’homme et à la femme, en vertu du principe de l’égalité devant le travail, car

si l’abattage est réservé au mari, l’épouse, elle, s’occupe de la récolte. Le droit successoral

revient aux enfants et aux frères du défunt. Mais en cas du décès de l’épouse, le mal veuf

hérite de tout. Cela signifie que les héritiers de la propriété mobilière de la femme sont le

mari et les enfants. Toutefois, l’application du principe d’équité coutumière reconnaît aux

oncles paternels et maternels de l’épouse défunte le droit successoral pour une partie des

propriétés de celle-ci. Les oncles paternels et maternels restent les principaux héritiers d’une

défunte célibataire. Parmi les héritiers d’un défunt, le fils ainé, appelé « Muana bute ou

Muana Mukulu a bantu », possède un droit successoral absolu de la propriété mobilière

laissée en héritage, viennent ensuite les frères du défunt qui ont aussi droit à une partie de

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241

cette propriété. En outre, l’épouse du défunt peut être reprise sur une demande exprimée par

la famille soit par le frère, soit par le cousin de celui-là. Bref, dans cette culture, le droit

successoral consiste à assurer la continuité du bonheur acquis par le père ou par la mère

pendant leur séjour sur la terre.

En ce que concerne le testament que les Luba appellent « Meyi mashiya », on peut relever

qu’on fait souvent appel aux témoins, au chef du village et aux membres de la famille afin

d’écouter les dernières volontés du mourant qui du reste sont transmises oralement. Ces

volontés sont suivies, respectées et exécutées scrupuleusement parce qu’elles revêtent une

sorte de puissance qui, en cas de non-exécution, peuvent agir sur le récalcitrant. Personne ne

peut s’en passer. La communauté politique en devient de fait le garant et veille au respect de

ces volontés et que les biens reviennent sans condition à celui à qui ils sont réservés en droit

successoral. Le bénéficiaire n’a qu’un devoir, celui de conserver ce même bonheur et d’en

assurer la pérennité pour sa propre descendance.

e) Les droits culturels

Les Luba ont aussi une vie culturelle intense qui contribue à l’épanouissement de la

communauté politique et de ses citoyens. Ils recourent souvent à leurs coutumes, aux

traditions et aux croyances, aux modes de vie et de danse, aux arts plastiques et aux

comportements particuliers. Tout cela constitue, d’un côté l’élément fondamental de la

recherche de loisir et du bien-être, et de formation intellectuelle de l’autre côté. En ce que

concerne la formation intellectuelle, les Luba utilisent les métiers et les processus d’initiation

pour éduquer et former leurs progénitures. Dans bien des cas, cette formation se donne dans

la famille ou dans des cercles culturels traditionnels organisés par la communauté. Comme

le constate Katanga Tshitenge : « L’éducation des enfants se donne en famille. Les métiers

s’apprennent par pratique et par méthodes directes procédant des différents initiateurs.

L’objectif à atteindre est le bonheur, l’accomplissement personnel et communautaire »124.

124 Katanga Tshitenge, Les grandes périodes éducatives chez les Baluba. Essai d’étude du système éducationnel

chez les Baluba du Kasaï, Kinshasa, IMPREDECO, 1969, p. 61-62. Voir aussi : Kadioto Kabanda, Procès du

travail dans la tradition luba-kasaï : Effort de compréhension du Mudimu face au développement humain,

Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1977. p. 45-46. Mémoire de maîtrise ; Kadioto Kabanda, « La

philosophie du travail en milieu africain selon Atangana », in Philosophie et développement. Actes de la 8e

semaine philosophique de Kinshasa, Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1984, p. 325-338.

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242

Certes, la formation intellectuelle des nouvelles générations luba constitue un droit, mais elle

reste aussi une meilleure manière de façonner un Luba complet, bien capable de faire face à

toutes les situations et de s’adapter en toutes circonstances. Pareille éducation passe à travers

une littérature orale abondante telle que : les contes, proverbes, paraboles, fables, énigmes-

nshinga, chants, légendes et mythes, etc.

Ces instances de communication et d’enseignement constituent des sources de la sagesse de

la vie pratique et de la culture luba. Participer à la culture apparaît à leurs yeux comme un

droit inaliénable. Les Luba exercent ce droit au cours des rencontres culturelles qu’ils

appellent « Masambakani ». Au cours de ces Masambakani, les orateurs se font remarquer,

se mettent à donner des messages de vie, de bonheur et des droits et s’engagent dans un jeu

des questions et réponses en évoquant des situations qu’ils expriment à travers des proverbes

et des contes.

Quant à la musique, on peut affirmer qu’elle possède des qualités spécifiques et variées. Elle

a un véritable pouvoir émotionnel et actif ; elle a un rôle particulier dans la vie sociale, rituelle

et aussi à l’occasion des grandes cérémonies culturelles ou religieuses des populations Luba-

Kasaï. Elle reste le lieu de rencontre non seulement des humains, mais aussi avec Dieu et les

ancêtres. On ne tient pas compte nécessairement de celui qui l’a produit ; elle n’est pas un

bien commercial ; elle est considérée comme un droit commun pour autant qu’elle procure le

plaisir à tous. En témoignent les chants héroïques tels que :

Le Kabobo, le Kasala, les Makonko ou le Kankunduiluila.

Ces chants sont souvent exécutés à l’occasion des deuils ou des grands événements ; elles

font couler d’abondantes larmes et peuvent même inciter au crime. En parlant

particulièrement du chant héroïque Kasala, P. Mufuta Kabemba affirme : « L’exécution du

Kasala est un moment unique susceptible de susciter une forte émotion de la part de

l’assistance et des personnes qui se sentent plus interpeller. Dans bien des cas, le Kasala

reprend une chronique des événements, évoquant des lignées des ancêtres morts souvent

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censés être là présents avec l’ensemble du clan »125. Tout comme le Kasala, le

« Kankunduiluila » joue également un rôle important au moment des événements de joie, de

triomphe ou de réussite d’un membre de la famille clanique ; il provoque aussi une forte

émotion et peut faire couler d’abondantes larmes chez certains individus hypersensibles.

On peut donc dire que le chant procure la joie et le plaisir, mais il est également considéré

comme un droit. Cependant, il reste que l’auteur du chant ne bénéficie d’aucun droit d’auteur.

En ce sens, on peut reproduire son chant sans inquiétude.

L’État est également absent et ne garantit aucun droit aux producteurs. Pourtant, produire un

chant reste aussi un droit pour l’auteur. À ce point, l’obsession de revendication des droits de

l’homme connaît quelques limites. Cela vaut autant pour ceux qui construisent des principaux

instruments de musique pour rendre agréables les moments et les événements

communautaires. Dans bien des cas, la commercialisation de ces instruments de musique est

limitée. Les instruments tels que : Madimba, xylophones ; tambours ; Makasa, cymbales ;

Bishashi, corddophone ; Lukombe ou Lunsense ; Nkumbi, harpe et Ngoma, etc. jouent le rôle

de divertissement de la communauté et de loisir. Tandis que d’autres comme Tshiondo, tam-

tam et Lushiba, flûte jouent le rôle de moyens de communication. Les messages passent

rapidement en alertant les populations par :

Kuela Diyi ne Kuela Kabobo ou encore Kukuma Tshiondo ne Ngoma

Se procurer ces instruments de fête et de communication est un droit de chacun. Mais il se

pose encore la question du droit du fabriquant. L’État semble être également absent. Le

système juridique luba ne semble pas avoir des dispositions garantissant ces droits.

On peut conclure à la suite de Lufuluabo Mizeka que, « Par nature, le Kasaï tout comme

l’ensemble de l’Afrique, est une terre de chant. La musique imprègne la vie culturelle dans

toutes ses manifestations. Cette vie culturelle implique tout le monde, et de ce fait, elle se

125 P. Mufuta Kabemba, Le chant Kasala des Luba, p.117. Voir aussi : CM. Falk Nzuji, Kasala. Chant héroïque

luba, Lubumbashi, Presses Universitaires du Zaïre, 1974, p. 23-25 ; Tshibasu Mfuadi, Coutumes et tradition

baluba, p.70-92.

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constitue en un droit inaliénable de chaque citoyen et membre de la communauté de

destin »126.

Les Luba-Kasaï ont également une organisation sportive qui regroupe les communautés

autour de Dipatangana, la course ; Difuilangana ; Kansokomasokoma : jeu de cache-cache,

Tshisolo ou Mibela, jeu de check, Nkusu, jeu au clair de la lune ; Ngondo, Musa, danses au

clair de la lune, ou le Dibanda, la lutte, etc.

Tout est ainsi rythmé par le chant. Ces moments sportifs sont non seulement des moments de

rassemblement des citoyens, de partage de joie et de véritable bonheur, mais également

participent à la formation de la conscience morale des citoyens. Participer à ces événements

sportifs ou y jouer un rôle est un droit de chacun.

En histoire, nonobstant la datation imprécise, les Luba-Kasaï se réfèrent cependant à des

événements connus et frais dans la mémoire tels que : le voyage, le mariage, l’alternance des

saisons, les récoltes, les décès, l’apparition de la lune, la prise ou la fin du pouvoir de tel ou

tel autre chef, etc. Ils ont aussi un système médical bien organisé. Pour eux, avoir une

meilleure connaissance des faits et événements constituent un droit. Et mettre ces

connaissances au service de la communauté politique constitue un bonheur partagé aussi bien

pour l’individu que pour tous les concitoyens. Les Luba-Kasaï connaissent la valeur curative

ou nocive de certaines plantes. Ils appliquent quelques procédés médicaux, tel que le

« Lusumu », ventouse pour retirer du mauvais sang ou du venin. Ils ont également des sages-

femmes, des infirmiers et des médecins qui assurent des soins de santé à tous. On les appelle :

Munga (singulier), Ba mingaga (pluriel). Bénéficier de ces soins est un droit. Parfois des

personnes n’ayant pas assez des moyens jouissent de l’assistance médicale comme un droit

naturel. Car l’assistance sociale dans cette communauté est considérée comme une justice.

Bref, toute cette science, cette formation intellectuelle et tous ces services sociaux concourent

à la promotion du droit, mais également à l’augmentation de la vie et du bonheur partagé.

126 F.M. Lufuluabo Mizeka, « La notion luba bantoue de l’être », in Philosophie africaine. Textes choisis I (par

A.J. Smet), Kinshasa, Presses Universitaires du Zaïre, 1975, p. 128-144.

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245

En tout état de cause, au-delà des droits humains tels que nous les avons structurés, on peut

soutenir que toutes les valeurs ainsi que toutes les structures sociopolitiques,

socioéconomiques et socioculturelles visent la promotion du bonheur partagé de chaque

individu et de la communauté politique. C’est une sorte de justice sociale rendue à tous les

citoyens sans discrimination. Elles reflètent également tout le système juridique, le corpus

des lois et des droits inaliénables et indérogeables de la personne humaine, dont le devoir de

la justice et de la promotion du bonheur partagé restent le meilleur objectif. Bien qu’il soit

organisé, le système juridique luba connaît aussi quelques limites. Il restreint les droits et

libertés à certaines personnes sur la base d’un jugement hypothétique telle que l’intention

malveillante ou la mauvaise foi. Pourtant on ne peut pas juger l’intention pour établir les

degrés de culpabilité et restreindre le droit. L’État ne semble pas garantir le droit d’auteur

pour les compositeurs et chanteurs de musique, encore moins pour les fabricants des

instruments majeurs de musique. Les interdits sexuels tels qu’ils apparaissent dans le code

du droit coutumier luba ne favorisent pas nécessairement l’épanouissement des individus.

Par exemple la recommandation faite aux jeunes filles de demeurer vierge jusqu’au mariage

restreignent les libertés et le droit à la jouissance. Certes, ces interdits participent à former

les jeunes à la responsabilité et à la conscience morale, mais dans bien des cas ils limitent le

mouvement vers plus de liberté et d’épanouissement. Ce qui explique le relâchement des

jeunes. Le Tshibawu (la condamnation) qui survient à la suite de l’adultère commis par la

femme ne nous semble pas être une meilleure justice, car elle sanctionne plus la femme seule

que l’homme. Au pire, la femme est même répudiée, et de ce fait, elle perd ses droits et ses

libertés. La loi du mariage qui autorise la femme et l’homme de divorcer dans le cas où la

vie conjugale devient impossible à vivre ensemble s’applique plus à la femme qu’à l’homme.

Dans bien des cas, c’est l’homme qui a droit de répudier sa femme. Celle-ci est souvent

contrainte d’accepter ce divorce au bénéfice de l’homme. À la séparation, la femme ne

bénéficie pas des indemnités ou de dommage de la part de l’homme. Les enfants reviennent

de fait et de droit à l’homme. La femme est souvent privée de droit de visite de ses enfants.

Le droit successoral bénéficie à l’homme qu’à la femme. Comme on l’a montré, à la mort de

l’homme c’est bien souvent la famille de l’homme qui s’accapare de l’héritage laissé par le

mari. Les enfants s’ils sont encore mineurs n’ont pas souvent le droit à l’héritage de leurs

parents. Les oncles et les tantes se réclament de ce droit et héritent de tous les biens. Bref, à

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voir toutes ces injustices, on peut donc dire que le système juridique luba a bien des limites,

et par le fait même, montre encore une fois que l’univers luba n’est pas nécessairement le

meilleur des mondes.

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CHAPITRE CINQUIÈME

LE DEVOIR DE LA JUSTICE ET DE LA RESTAURATION

1. Le code de justice

a) La loi première

Comme nous l’avons montré auparavant, pour établir un véritable système de justice les Luba

se fondent sur la conscience morale. Celle-ci consiste à faire le bien et à refuser le mal. C’est

à partir d’elle qu’ils considèrent tout acte comme étant bon ou mauvais. Cette conscience

morale est aussi et surtout considérée comme une loi première parce qu’elle fait souvent

référence à la volonté divine. Cela revient à dire que le bien qu’on fait on le fait au nom de

Dieu et le mal offense non seulement la personne, mais aussi Dieu lui-même. En ce sens, elle

prend l’allure d’une loi morale intérieure. En tant que loi première, un ordre juste, elle doit

donc être observée par tous les citoyens. L’individu qui, de l’une ou de l’autre façon, ne s’y

conforme pas est considéré comme un danger public parce que profanant l’ordre juste :

Kuenza bimpe ne kubenga bibi : faire le bien et refuser ou éviter le mal.

Cette conscience morale est renforcée par l’idée que toute action entreprise dans le but de

détruire la personne, la communauté ou le bonheur d’un autre a des répercussions sur sa

propre vie et sur celle de sa famille ou de sa communauté clanique. Les Luba pensent que

Dieu a fait que l’ordre naturel se venge par lui-même sur celui qui exprime la méchanceté

envers les autres et brise l’équilibre social. Pour eux, le mal ne doit pas prendre le dessus sur le

bien. Il faut donc faire le bien dans toute circonstance. Pour que les hommes parviennent à faire

toujours le bien et à maintenir cet élan, les Luba ont institué un cadre juridique qui regroupe

les multiples prescriptions et règlements qu’ils ont systématisés sous la forme d’un code pénal.

Comme l’affirme Mabika Kalanda : « C’est dans ce cadre déjà imprégné des lois et des règles

relatives au bien à faire et au mal à répugner, à la vie à promouvoir et à la mort à conjurer, au

bonheur à poursuivre et à la malchance à refuser qu’émerge un système de justice pénale » 127.

127 A. Mabika Kalanda, La révélation du Tiakani, p. 99.

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Ce sont donc ces règles que les Luba intègrent dans leur vie de tous les jours qui les poussent,

d’une part, à la préservation de leur communauté, et d’autre part, à l’acceptation de la société

et ses valeurs.

b) Le code pénal

Parmi les valeurs que les Luba-Kasaï tentent d’intégrer dans leur vie quotidienne, il y a le code

pénal. Celui-ci comprend trois instances, à savoir : les Mikiya, les Bibawu et les Bibindi.

Les Mikiya sont généralement des rites que l’on accomplit par des gestes, des paroles ou par

des actes concrets ponctuant certains moments de la vie pour (ré) créer les droits et les devoirs

individuels, le bonheur partagé ainsi que des relations sociales équilibrées. À l’instar des rites

tels que : les rites de mariage, des premières nuits de noce, de la naissance d’un enfant, de la

mort, de l’amitié, des alliances politiques ou des alliances entre les familles à l’occasion de

la donation de la dot, de la réconciliation à la suite des conflits interpersonnels, des graves

guerres entre les groupes voisins ou encore au sein de la communauté clanique (Diku), des

longs voyages à risque, des catastrophes naturelles, des famines et des maladies, etc. Le

recours à ces rites vise la recherche du bonheur et de la paix dans la communauté politique.

On parle de Tshibawu (singulier) ou des Bibawu (pluriel), quand il s’agit des transgressions

graves des règles de la morale sociale appelées « Bijila ». La transgression des Bijila induit

aux sanctions qui maintiennent chacun des membres dans le respect des règles de la vie et de

recherche commune du bonheur. Ne pas suivre ces règles sociales, c’est en fait « Ku bunda

Tshibawu », subir la pénalité. Il y a plusieurs sortes des Bibawu, mais les plus connus sont :

Les Milambu : les présents.

Les dots des filles prises en mariage.

Les prémices du travail des enfants.

La destruction de la vie d’autrui.

Le vol du bien d’autrui (individuel ou collectif).

Les dettes accumulées et non payées.

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L’intégrité physique et morale d’autrui (dignité, liberté, honneur, bonheur).

Le fait de causer la mort d’un autre.

Le fait d’aller avec la femme d’autrui.

L’adultère de la femme : buendenda bua masandi, etc.

Le refus de payer par exemple les Milambu est souvent cause de mort mystérieuse. C’est

qu’avant d’en arriver à la mort, on exige la réparation. C’est-à-dire « Ku Luka Biuma bia

mushika », littéralement vomir la dot d’une fille offerte à un ayant droit (un oncle, un frère

ainé ou autre). Les membres de la famille sont convaincus que le refus de donner la dot

exigée à celui à qui la fille est destinée ou le refus de donner les prémices du travail aux

parents ou à un oncle entraîne soit la mort de celui qui s’en est emparé indûment, soit la

mort de ses propres enfants, soit encore les deux à la fois ou encore la stérilité de la jeune

femme offerte comme Mushika à un membre de la famille. La mort qui en résulte n’est pas

le fait d’une condamnation formelle d’un tribunal, mais elle est réputée venir tout droit du

tribunal des ancêtres qui tiendraient de cette manière à préserver, par l’échange des

Milambu, la vie et le bonheur partagé, la concorde et l’unité du clan ou de la famille.

Kasanda Lumembu semble le confirmer aussi lorsqu’il écrit : « Cette sanction a des

pouvoirs bénéfiques ou maléfiques, ontiquement explicables dans le contexte précis de

Buloji-Mupongo des Luba-Kasaï »128.

Autant pour la question de la dot ou des prémices du travail, autant le fait d’attenter à la

vie d’autrui, surtout avec préméditation et d’obstruer son élan de bonheur partagé, est puni

de mort (la peine capitale). La décision procède d’un jugement, sauf si un règlement de

comptes intervient au moment même où on attend la sentence. L’exécution de celle-ci se

fait ouvertement et publiquement. Dès l’instant même, le coupable est pendu. Mais pour ne

pas trop choquer, la condamnation à la peine capitale peut se faire discrètement en utilisant :

128 L. Kasanda Lumembu (Mgr), Le Buloji-Mupongo des Luba du Kasaï (Zaïre). Les pouvoirs d’actions

bénéfiques et maléfiques et leur signification ontique, Paris, 1979, Thèse, p. 69-81. Voir aussi : A. De Clercq,

« La peur (Bowa) et la honte (Bundu) chez les noirs Baluba », Congo 2/9 (1928), p. 17-46.

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Le Tshipapa : un poison mortel.

Le Kuba : une foudre.

Le fait de causer la mort d’un autre membre est également considéré comme un « Tshibawu »

qui exige réparation, ce qu’on appelle en langue Tshiluba :

Ku kula Tshibawu : arracher la pénalité par un bien matériel symbolique.

L’homme adultère habitué à aller avec les femmes d’autrui est puni de mort. On peut aussi

le rendre impuissant par un procédé technique dit souvent de « Kuela Lusala », c’est-à-dire

on vide le contenu du cordon spermatique. La femme adultère, si le mari l’aime encore, est

humiliée publiquement et sa famille paie une forte amende aux poules, ou encore aux chèvres

aux proches du mari. Dans ce cas aussi, on peut faire recours à la foudre pour punir l’homme

adultère. Le chef du village du coupable donne le « Lupemba », le kaolin blanc, au Muadia

Mvita, le détenteur de la foudre. Celui-ci le présente au Chef du village offensé129. Au

moment où le coupable est « foudroyé », il a le sexe coupé, c’est-à-dire le coupable subit de

multiples mutilations.

Le vol des biens d’autrui ou des biens publics est puni et suivi d’une exigence de restitution.

Mais si jamais il arrive que le voleur ne soit pas connu, on espère fortement que les Mitshipu

ou les Milawu, les proférations des malédictions, peuvent au fil du temps avoir raison du

coupable présumé. On peut soit espérer le voir se faire attraper ou mourir d’une mort violente.

De même, les dettes reconnues mais qui restent impayées par mauvaise foi, malgré les

promesses répétées et les rappels, sont assimilées au vol et aussi punies sévèrement. Le

coupable peut subir la sentence de la foudre, après avoir évidemment échangé le Lupemba

(kaolin blanc) entre les chefs. Les Luba renseignent au fautif :

129 Lupemba est une sorte de Kaolin blanc qui joue un rôle important dans les pratiques sociales. Dans le

contexte de la foudre, il signifie une permission ou une autorisation donnée par un chef ou un membre de la

famille du coupable à un représentant du chef du village de la victime. –Le kaolin rouge ou blanc signifie que

tout va bien, et est utilisé à l’occasion des fêtes, de l’intronisation du chef ou de la mort d’un proche adulte. Les

femmes l’utilisent comme une expression de joie. Voir aussi : A. De Clercq, « Le grand esprit, mourir et les

esprits. Vertus et vices dans les proverbes luba », Onze Congo 2/1 (1911-1912), p. 1-18 ; p.81-101.

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Futa dibanza nenku umona mua kumuna : paie la dette d’autrui et tu verras le

bonheur.

L’intégrité physique de chaque citoyen signifie qu’il dispose librement de son corps sans

contrainte, sauf peut-être dans l’intérêt général de la communauté politique ou de la santé de

l’individu concerné. L’individu qui se permet d’attaquer sans raison, de nuire ou de détruire

l’élan du bonheur d’autrui par mauvaise foi est sévèrement puni et peut même connaître une

déchéance de son être ou de la puissance de son être par une mise à mort (la peine capitale).

Il en va de même pour l’intégrité morale de chacun qui requiert le respect de son honneur et

de sa dignité. Une fois attenter à ces droits fondamentaux de la personne par la médisance ou

par la mauvaise propagation des fausses nouvelles sur le compte d’autrui ou sur le compte de

la famille de celui-ci est considéré comme un Tshibawu. L’individu ainsi incriminé ou

reconnu coupable est puni et sommet à la réparation. Le tort causé par la langue à l’honneur

et au bonheur d’autrui peut subir aussi la sentence de la foudre (la peine capitale). Alors, le

coupable aura donc au moment même de la foudre la langue complètement coupée.

Le code pénal luba-kasaï inscrit aussi les Bibindi. Ceux-ci sont des transgressions mineures

relatives aux relations interdites entre les membres d’une même famille ou entre les familles

alliées du fait du même sang. Il s’agit, comme le dit Van Caeneghem, « de violer le principe

de Kusambakaja Mashi, le mélange de sang qui provoque souvent la mort ou la naissance

des enfants avec une sorte de défiance physiologique ou de malformation physique »130. On

parle de Tshibindi (inceste) au singulier et de Bibindi (incestes) au pluriel. Dans le cas où le

Tshibindi est consommé, les Luba ont prévu des procédés ou encore des rites de réparation

et des amendes pour sauver les infortunés ou les coupables ainsi présumés. Ces transgressions

deviennent plus graves quand elles sont commises par les membres de la même famille ou

quand la femme mariée souille le lit conjugal. Par exemple, un frère qui va avec sa belle-

sœur ou sa tante. Cette sorte de Tshibindi provoque souvent des situations de mort. On pense

aussi que cette mort est le fait de la loi naturelle qui s’est vengée sur le coupable ou sur la

130 R. Van Caeneghem, « Des dispositions pénales coutumières chez les Baluba et Bena Lulua du Kasaï », Aide

médicale aux missions 1/21 (1949), p. 13-17 ; 2 (1950), p.18-29 ; IDEM, « Les dispositions coutumières contre

l’adultère chez les Baluba et les Bena Lulua du Kasaï », p. 5-46. Voir aussi : A. Mabika Kalanda, La révélation

du Tiakani, p.93 ; A-B. Tshibalabala Kankolongo, Les interdits traditionnels africains luba-kasaï, p. 79-106.

Ces auteurs considèrent l’adultère comme une cause nécessaire de divorce chez les Luba.

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personne avec laquelle il a commis cette faute. Dans bien d’autres cas, ce sont leurs

progénitures qui en subissent les conséquences.

On peut donc déduire que les trois principes de Bijila qui constituent le code pénal luba-kasaï

se fondent sur une sorte de morale commune et une conception originale du sacré. Ils

induisent (les Bijila) à la formation du devoir de justice, de la conscience du vivre-ensemble

et de la quête commune du bonheur. Celui qui s’y conforme vit dans l’harmonie et dans la

véritable paix ainsi que les Luba-Kasaï le disent eux-mêmes :

Ku somba ku matshi talala : demeurer dans la paix.

Ku somba mu dikisha ne muditalala : demeurer dans la tranquillité et la paix.

Wa lala ne nzala kuladi ne muanda : mieux vaut dormir avec un ventre vide que

de dormir avec un ventre plein de problèmes.

Par là le bonheur partagé devient synonyme de la paix en soi-même, autour de soi et dans

toute la communauté politique.

D’un regard critique, on peut observer que le cas de l’adultère de la femme qui est devenu

une simple cause de divorce est souvent dénoncé comme une loi sévère et couteuse des

libertés des femmes. Avec l’évolution de la question des droits de la femme, certaines

femmes peuvent exiger le divorce lorsque la vie devient intenable. Aussi avec le brassage

culturel, surtout dans des milieux urbains, les femmes Luba ont tendances à prendre ces

interdits pour trop coûteuses et restrictives de leur liberté. La foudre est une puissance qui

agit sur le coupable de façon mystérieuse, mais sa pratique doit être considérée comme une

mise à mort ou une condamnation à la peine capitale. Aujourd’hui avec la progression du

monde occidental et ses influences sur le monde africain dans le sens de l’abolition de la

peine capitale, cette pratique ancienne est aussi abandonnée dans les sociétés luba-kasaï.

Mais que visent réellement ces multiples Bijila et Bibawu ? A première vue, on peut dire que

ces règlements cherchent à étouffer les droits des individus en leur imposant des mesures

intenables. Ou comme on le soupçonne souvent, les lois et les coutumes luba sont sévères à

telle enseigne qu’on peut penser qu’elles enfreignent les droits et les libertés des personnes.

Mais à bien voir les choses dans le cadre du vivre-ensemble, ces Bijila et ces Bibawu ne

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visent pas à punir les hommes, à rendre la vie invivable dans la communauté politique. Elles

recherchent plutôt la promotion de l’élan du bonheur partagé, de l’équilibre social et de la

paix durable, surtout la restauration de la vie. Ne dit-on pas que la loi est dure et sévère, mais

c’est la loi ! Sans la loi, il n’y a pas nécessairement une vie commune fiable et viable. Comme

nous l’avons déjà montré, les libertés humaines ont besoin de la loi commune pour

s’épanouir. La vie en commun exige que tous dans un élan de solidarité tiennent au respect

des règles et des lois.

2. Les situations aggravantes ou atténuantes

a) Les situations aggravantes

Le code de justice luba-kasaï comprend également des situations qui peuvent entraîner une

condamnation allant jusqu’à la peine capitale ou qui peuvent alléger la peine du coupable,

voire sa libération. Ce système vise avant tout la préservation de la vie et le maintien de

l’ordre public et la paix. Pour cela, il donne à tous les citoyens les chances de se défendre.

Ce système se table sur deux sortes de fautes pour émettre un jugement. En premier lieu, il

y a des fautes qui sont graves parce qu’elles sont inhérentes à la nature perverse de la

personne, qui s’extériorise à travers une sorte de méchanceté et de volonté foncièrement

mauvaise susceptible de nuire à la vie des autres et de perturber la paix et le bonheur partagé

dans la communauté politique. Un tel cas ne peut bénéficier ni du droit de la présomption

d’innocence ni des situations atténuantes. Car la plus grande condamnation résulte de la

volonté d’attenter à la vie d’autrui, à l’ordre naturel des choses et à la recherche commune

du bonheur.

La volonté d’attenter à la vie d’un autre est souvent assimilée à la sorcellerie « Buloji,

Bulowa ou Mupongo ». Celle-ci est considéré comme un mal absolu, le pire crime, la plus

cynique des violations de l’ordre divin. Pareille violation ne peut trouver grâce aussi bien

devant le juge que devant la communauté politique. C’est-à-dire personne ne peut se

permettre de défendre l’ignoble acte en évoquant l’allègement de la peine. Par conséquent,

le coupable présumé subit la sentence de la marginalisation et de l’éloignement, et même

de la peine capitale. Le coupable présumé y est condamné à trois niveaux. D’abord eu égard

à Dieu ; ensuite eu égard à l’ordre naturel des choses et, finalement, eu égard au droit positif

humain et au projet du bonheur de tout homme. La communauté dûment représentée par le

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juge ou l’autorité politique exige des comptes à tous ceux qui expriment une telle aversion,

qui répandent la terreur, la mort et déstabilisent l’équilibre social. Dans pareilles

circonstances, le juge, ou encore mieux l’autorité politique ainsi que l’ensemble de la

communauté n’y voient pas de raison suffisante pour justifier cette volonté destructrice de

la vie et de l’élan du bonheur.

b) Les situations atténuantes

Les Luba-Kasaï reconnaissent aussi certaines circonstances atténuantes de l’aversion. Ils

savent qu’une personne peut être excitée par quelqu’un d’autre, qu’il peut l’amener à agir et

à commettre, sans le vouloir, une grave faute au point de détruire la vie et le bonheur d’autrui.

On peut éprouver autant d’injustice ou de souffrance de la part d’autrui qu’on peut être amené

à réagir à telle enseigne que, malgré sa bonne volonté, on arrive à supprimer la vie d’autrui.

Devant une telle situation, le code judiciaire luba-kasaï recommande le recours à la

jurisprudence qui veut qu’un tel cas bénéficie des situations atténuantes. Autrement dit, par le

fait que la personne a été excité à agir contrairement à sa propre volonté, elle peut bénéficier

de la grâce ou de l’allègement de sa peine. Dans la vie pratique, les Luba-Kasaï considèrent

celui qui est poussé à l’excitation, à la colère et à l’indignation comme un être troublé, assombri

ou obscurci qui ne voit plus clair :

Qui est dans les « Midima », les ténèbres.

Qui a « Mu mesu mufika fitutu », qui voit noir.

Qui est un « Muntu mutolokesha », un « Muntu mutuma kudi bena Mupongo »,

une personne poussée par les sorciers et trompée par son cœur.

Un tel individu n’est pas nécessairement en faute ; il n’a pas détruit la vie et briser

intentionnellement l’équilibre social et l’élan du bonheur partagé ; il est ni juridiquement ni

moralement responsable de ses actes de destruction et de déstabilisation du bonheur et de la vie

sociale : parce que ce qui lui arrive vient de l’extérieur ; parce qu’il n’a pas cherché lui-même

à faire du mal à autrui ; parce qu’il n’a pas prémédité ses actes et planifier de commettre ce

crime. Bref, il n’a pas agi par perversion. Pour toutes ces raisons, il ne peut pas subir la sentence

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de l’exclusion, de l’éloignement, ou encore le rejet de la part de la communauté. Comme le dit

si bien aussi Tshibalabala Kankolongo, « il est gracié et se réconcilie avec la communauté »131.

Mais si après, par les influences extérieures reconnues, il continue de faire du mal ou s’obstine

de détruire la vie et de perturber l’élan du bonheur partagé dans la communauté politique, il ne

peut plus être toléré. On en conclut qu’il y a en lui cette sorte de volonté perverse. Pareille

obstination ne peut désormais s’expliquer, car visant la destruction de la vie bien qu’il y ait été

conduit par les agents extérieurs. De ce fait, il est placé au même rang que le pervers habituel.

Il en va de même pour un individu qui surexcité par la colère prononce des paroles de

malédiction ou des paroles de méchanceté qui peuvent être nuisibles à la vie de l’un ou de

l’autre membre de la communauté politique. Étant entendu que la colère est une lueur qui peut

passer, l’individu peut dans ce cas aussi bénéficier de la compréhension de la communauté, car

comme le disent les Luba-Kasaï :

Tshinji ntshilungilu : la colère est une lueur et elle peut passer.

Mais si également on observe que l’individu s’obstine, demeure dans sa colère et continue de

causer de malheurs, la mort des autres membres et de déstabiliser les élans du bonheur partagé

et l’équilibre social, il est condamné et assimilé au « Muloji », il est de fait un « Muena

Mupongo » le sorcier, le pervers ou le méchant. Par voie de conséquence, il est exclu et éloigné

loin de la communauté clanique (Diku).

c) La résignation de l’individu incriminé

Dans la pratique du code judiciaire luba, malgré l’existence des situations atténuantes, un

individu qui a consciemment ou inconsciemment causé la mort d’un autre est condamné et

subit la sentence de l’éloignement et de rejet, au pire la condamnation à la peine capitale.

Autant la pratique des situations aggravantes et atténuantes, autant il existe des cas insolites

où on juge les individus par le seul fait qu’ils sont accusés d’avoir causé la mort d’un autre

et perturbé l’équilibre social et le projet du bonheur partagé. Le sorcier par exemple est

souvent accusé d’avoir tué. Ainsi devant les juges, l’individu incriminé est sommé d’avouer

131 A-B. Tshibalabala Kankolongo, Les interdits traditionnels africains luba-kasaï, p. 90-91.

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sa culpabilité et d’accepter de subir le jugement prononcé alors qu’en réalité il n’y a pas de

preuves matérielles, des faits objectifs. On dirait même qu’il se résigne devant l’accusation

de mauvaise influence vitale, alors qu’il sait dans son for intérieur qu’il n’a pas tué ou qu’il

n’a pas eu d’intentions malveillantes et destructrices de la vie et du bonheur d’autrui. Ici on

a l’impression que c’est l’intention qui est a priori jugé. On ne cherche même pas à prouver

la culpabilité du sorcier présumé.

Mais à bien voir la chose d’un point de vue positif, on peut dire que pareille culpabilité se

justifie par rapport à l’ontologie luba-kasaï. Les Luba se basent sur le principe d’influence

sur les autres et sur l’ordre des choses. Selon eux, un homme peut, de l’une ou de l’autre

manière, par l’un ou l’autre état de sentiment dont il n’a pas réellement conscience, violer le

cours normal de la vie, l’ordre des choses et perturber l’élan du bonheur partagé dans sa

communauté politique. Cette violation se venge sur l’individu porteur des troubles et de la

mort. L’individu se sent lui-même comme étant l’auteur du malheur qui s’abat sur l’autre ou

sur la communauté politique. L’individu présumé coupable est considéré comme étant un :

Tshishi tshibi : un insecte nuisible.

Tshishi Tshia malu mabi : un insecte pervers destructeur de la vie et de l’élan du

bonheur.

Pareil individu est de fait condamné sans procès équitable. Il peut même subir la sentence de

de l’éloignement de la communauté politique, ou alors dans le pire des cas la peine capitale.

Mais en dépit de ces explications, la question du droit se pose : Qui de la communauté

politique ou de l’individu a le droit de se défendre ? Faut-il juger l’intention alors qu’il n’y a

pas des faits objectifs ? À quel niveau faut-il atténuer ou aggraver la peine du coupable

présumé ? À quel moment peut-on dire que la justice est réellement rendue de façon équitable

et équilibrée ? Que vise, en définitive, pareille justice ?

3. La restauration et la réconciliation

a) Les conditions de la restauration

Dans le droit coutumier luba-kasaï, la communauté a le droit de se défendre dans la mesure

où elle considère qu’un citoyen membre de la communauté politique n’a pas le droit d’exercer

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une mauvaise influence sur l’ordre naturel des choses, perturber le projet du bonheur partagé

et causer la mort des autres citoyens. À ce titre, l’individu jugé coupable est un véritable anti-

ontologique, et doit par conséquent subir la sentence de l’exclusion et de l’éloignement, au

pire la peine capitale. Pourtant, la communauté politique reconnaît en même temps que :

Muena Mupongo Muntu wa bende kumumuni kumubanda : le Sorcier, le Muloji

est un Muntu-d’autrui-de Bende et d’autrui de Dieu, si tu ne l’as pas vu ou attrapé

en flagrant délit ne le calomnie pas, car il a lui aussi droit au respect et au bonheur.

Mais tout en s’inclinant devant un tel jugement, l’individu peut à la faveur de ce principe clamer

son innocence, mais encore doit-il prouver qu’il n’a pas en lui une force malveillante et

destructrice du bonheur et de la vie. S’il persiste à clamer son innocence, les juges peuvent

prendre en compte ces appels ou ces réclamations et se montrer indulgents en faisant boire à

l’individu incriminé le « Tshipapa », un poison mortel dont nous avons expliqué le sens

auparavant.

Avant de prendre ce poison, l’individu prononce le « Lusanzu », ce qu’on appelle en langue

Tshiluba « Kuela Lusanzu », les lamentations ou encore les dernières volontés du condamné :

Pa ngikala mudia muntu ku mupongo, ani munianga nsombelu, Tshipapa etshi

tshinshipa. Kadi pa ngikala meme tshiyi ne bualu mu mutshima wani amu

Nzambi yeye muina akosa tshilumbu tshiani : Si j’ai tué ou si je suis la cause des

malheurs, si j’ai gâché la relation et le vivre-ensemble, en buvant ce poison que

je meurs, mais si je suis innocent, au cœur immaculé que j’en sorte vivant132.

Si alors la personne s’en sort miraculeusement bien, les juges le déclarent qu’il est « Mutoke

bu Lupemba », il est blanc comme le Kaolin blanc ou il a un cœur immaculé, car il a surmonté

l’épreuve du poison mortel. Dans ce cas, la justice est définitivement rendue. L’individu

déclaré blanchi, immaculé peut exiger le rétablissement ou la restauration de sa dignité et de sa

vie, c’est-à-dire des indemnisations, souvent matérielles et symboliques, qui lui permettent de

se sentir restaurer. Les biens matériels qu’il reçoit lui reviennent désormais de fait et de droit.

Indemnisé et restauré ou réhabilité, l’individu se sent entièrement réintégré ; il redevient

132 A. De Clercq, « Deux textes. Le premier texte : Malu a tshinji tshia lukinu, scène de colère et de jalousie » ;

IDEM, « Le second texte : Lusanzu, les lamentations et le deuil d’une femme Luba », Congo 10/1 (1929),

p. 126.

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membre et citoyen de la communauté politique jouissant ainsi de tous ses droits, de toute sa

dignité humaine et de toutes ses libertés et participe à la recherche commune du bonheur ; il se

réconcilie avec sa communauté politique.

Somme toute, le code du droit luba est, en fait, un code de la restauration de la vie, du

rétablissement et de l’intégration sociale de l’individu fautif, de la restitution de l’être dans sa

plénitude, dans sa dignité et dans sa fierté et du renforcement de l’entente. Le droit accompagne

toujours la récréation de l’harmonie, de la relation humaine et solidaire, de l’équilibre social,

du sentiment vif du vivre-ensemble, du savoir-vivre et aussi de la restauration de la vie de tous

les citoyens. Ceci explique la consommation collective des biens offerts comme prix du pardon,

tels que les poules et les chèvres, etc. La punition à l’exclusion ou à l’éloignement de la

communauté vise l’éducation de la personne aux vertus et à la sagesse de la vie pratique ; elle

n’est pas vindicative. Elle est une thérapie du fait qu’elle est la récupération du coupable en

tant que malade physique ou moral. Les indemnités qu’il reçoit sont pratiquement symboliques.

b) Le règlement pacifique des conflits

Pour les Luba, autant la personne est la norme du droit et de la loi, autant elle est la norme

de la réparation et de l’indemnisation matérielle. Il s’agit de restaurer la vie par des gestes

symboliques posés par le coupable. Cette forme de justice rendue à la victime contraste

fondamentalement avec la vengeance qui, elle, se réfère à la loi de talion (dent pour dent œil

pour œil). La sentence est prononcée par le juge et non par les membres de la famille de la

victime. De la sorte, la famille de la victime ne peut en aucun cas se faire justice elle-même,

elle s’en remet à l’autorité. Ce qui justifie l’absence de la pratique de la loi de vengeance ou

le règlement de comptes, on peut même dire qu’elle est inconnue dans cet univers. Car en

toute chose, dans toutes les circonstances et de tous les temps, les Luba célèbrent le triomphe

de la vie, et donc c’est cette vie qui constitue la norme de l’injustice commise, du jugement,

de la réparation et de la restauration de l’ordre ontologique, de la valeur de la vie qui a été

entamée.

Pour éviter la vengeance ou le règlement de comptes, « Kuepela didisombola », les Luba

utilisent également dans un procès des contes pour amener les belligérants à un règlement

pacifique des différends. En témoignent les contes tels que : — « Budimunda Mulobi ne

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Muena Menji » : le conte du pécheur et de l’esprit et — « Dibue ne Dibondo », le conte du

palmier à huile et du palmier à vin ».

Le conte du pécheur et de l’esprit renseigne que, dans le filet d’un pécheur, vint

un jour un vase qu’il s’empressa d’ouvrir ; il en sortit un Esprit qui voulut tuer le

pêcheur, mais celui-ci dans son intelligence, trouva l’astuce de faire revenir

l’Esprit dans le vase et de le remettre dans l’eau. La vengeance, conclut le conte,

ne fait que perpétrer la haine.

Le conte de « Dibue ne Dibondo », conte du palmier à huile et du palmier à vin,

raconte que la palabre entre les deux frères tourna au désastre, mais avec

l’intervention du vent contre le palmier à huile, l’ordre et l’harmonie des relations

entre les frères ont été rétablis.

Il s’agit d’une part, de ramener les hommes au règlement pacifique des conflits sociaux qu’on

appelle en langue Tshiluba : « Bilumbu mu nsombelu ne Nkosela wabio muakana ou encore

Mulenga » et, d’autre part, de l’intervention des chefs ou autorités et des juges qui vise le

rétablissement des relations, de l’ordre public, de la paix et la recherche commune du

bonheur, en exigeant à chacun d’être heureux des dons particuliers reçus de Dieu Maweja.

Car la haine et la vengeance enveniment la relation et provoquent la mort d’hommes.

Dans tous les cas, ce qui ressort de ces contes, c’est le rôle que jouent les juges et les autorités

politiques qui consiste non seulement à déclarer tel ou tel autre individu immaculé en

confirmant ses exigences de rétablissement de la vie et des indemnisations matérielles,

souvent symboliques, mais aussi d’éviter aux individus de se rendre justice eux-mêmes et de

perpétrer le mal. Les décisions qui sortent de ce jugement sont strictes et imposables aussi

bien au coupable qu’à la famille de la victime.

c) La sanction ou la démarche de redressement

Comme dans toutes les sociétés africaines traditionnelles, dans l’univers luba-kasaï il n’existe

pas de prison comme tel. Tout règlement des conflits sociaux passe par un rite de

réconciliation et de réparation. Mais en cas de récidive, l’individu fautif peut être exclu de la

communauté et même éloigné loin de celle-ci. Là, son cas peut être considéré comme une

sorte de mauvaise influence qui consiste à détruire la vie et la quête du bonheur de la

communauté. De l’autre côté, la communauté se donne la tâche de ramener l’individu à la

raison de manière à obtenir sa conversion. Pour cela, des sanctions correspondant à son mal

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peuvent lui être imposées. On peut dire que, cette démarche de la communauté est une

démarche d’amour, de pardon, de redressement et de l’entente, et qui cherche aussi bien le

bonheur de l’individu que celui de toute la communauté politique.

Cette démarche se trouve intégrée dans le droit coutumier luba-kasaï, et de la sorte, il rivalise

avec tout système juridique et de droits de l’homme universellement connu. Certes, on peut

arguer qu’un tel système ne se fonde que sur une vision limitée à la vie et à la recherche du

bonheur partagé, et ignore la volonté de l’individu fautif de se repentir, ce qui semble être

peu crédible. Mais à bien voir les choses, on peut affirmer qu’il reste tout de même aussi

valable que les droits inscrits dans cette philosophie sont essentiellement les droits des

humains. Le droit est au service de l’humain et de la société et non ceux-ci au service du droit

pourrait-on dire ! Pour mieux comprendre la portée humaine et le fonctionnement

philosophique d’un tel système, il sied de revenir aux différents degrés d’injustice et même

à leurs propres modes de réparation.

4. Les niveaux d’injustice et les modes de réparation

a) Les niveaux d’injustice

Dans l’univers juridico-éthique luba-kasaï, il y a quatre niveaux essentiels d’injustice. Le

premier est celui qui touche Dieu, les fondateurs et les ancêtres ou les ainés encore vivants.

Cette injustice consiste dans une méconnaissance du rang qu’occupent Dieu de qui on tient

la vie, des ancêtres par qui cette vie est parvenue aux humains et des ainés qui sont les

intermédiaires et gardiens des lois et des droits. Pareille méconnaissance ou pareil trouble

causé dans l’ordre de la hiérarchie ontologique induit à une condamnation, mais aussi exige

une réparation. L’individu incriminé est appelé à reconnaître cet ordre ontologique à travers

des offrandes et des purifications offertes. Cette reconnaissance du mal commis est une

manière de revenir dans la communauté, mais aussi de se réconcilier aussi bien avec elle

qu’avec Dieu qui sait tout du comportement de l’individu fautif. Ici l’individu est tenu à

avouer sa faute, mais également à offrir un sacrifice « Mulambu ». Celui-ci se fait par la

donation de Nsolo, poule ou de Mbuji, chèvre. Le rite de demande de pardon à Dieu et aux

ancêtres se passe en communauté représentée par un ancien (le chef de la famille-Diku). Ce

dernier prononce des paroles d’expiation et implore la bonté de Dieu Maweja et des ancêtres

sur l’individu et sur les autres membres.

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261

Le deuxième niveau est celui du respect dû à la communauté politique. Ce niveau implique

directement le comportement de l’individu. Cela signifie que, comme l’individu est membre

de la communauté politique, celle-ci se sent indignée par le comportement malsain de

l’individu qui se traduit soit par : son irresponsabilité, sa négligence ou par les actes de

sabotage et de déstabilisation de l’ordre public et de l’élan de bonheur des autres. Pareil

individu peut subir la colère de Dieu Maweja et des ancêtres. Puisque l’individu est membre

d’une famille, cette colère peut aussi entamée toute sa famille. Cette colère se traduit souvent

par des catastrophes, des famines, des maladies, ou encore des morts répétées dans la famille.

Pour réparer une pareille injustice désormais communautaire, les Luba-Kasaï instituent un

foyer de feu « Kapia ka Tshiota », sur lequel ils offrent ce qu’ils appellent « Nsolo wa

Bakishi », un coq ou un coucou offert aux ancêtres pour obtenir l’apaisement de leur colère.

Dans bien d’autres cas, si le malheur entame tout le village à la suite du comportement de

certains individus, ils organisent l’offrande collective (Milambu) et une cérémonie de

purification ontologique communautaire. L’offrande collective consiste à immoler une

chèvre ou une poule. On évoque les ancêtres qui sont liés directement à cette situation

d’indignation. La cérémonie de purification consiste à se laver les mains ou tout le corps. Ce

Mulambu et cette cérémonie constituent une médiation entre le sacrificateur, c’est-à-dire le

chef du foyer, du lignage et du clan d’une part et, Dieu et les ancêtres, d’autre part. Le but de

ce sacrifice est d’apaiser la colère aussi bien de Dieu que des ancêtres devant l’acte incivique

qui déshonore toute la communauté, qui peut aboutir à des calamités naturelles et

supranaturelles. Particulièrement, le Mulambu permet d’opérer un véritable transfert collectif

qui vise à apaiser les tensions et les dissensions au sein de la communauté politique et à

redonner du sens à la recherche commune du bonheur. En cela, les Luba-Kasaï recherchent,

par le versement du sang (Mashi), à orienter la mort vers les animaux domestiques. Car c’est

par le sang de ces victimes expiatoires, de ces boucs émissaires que sont rétablies les relations

rompues soit avec les ancêtres, soit avec la famille ou le clan (Diku) et l’équilibre social.

Le troisième niveau consiste dans la relation que gardent les Baluba avec leurs pères morts

« Batatu Bafua », qui sont censés vivre avec eux, et qui, dans toutes les circonstances peuvent

avoir une influence bonne ou mauvaise sur leur vie et sur leur bonheur. Ces « Batatu Bafua »

ne sont pas du rang des ancêtres, mais ils sont plus proches des vivants. Pour se prévenir de

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leur colère, les Luba-Kasaï se gardent de toute sorte d’outrages ou de mépris à leur endroit.

Cela signifie que la restauration et la réparation de la vie sera une sorte d’allégeance renouvelée

ou ré-adoptée par les vivants pour éviter toute forme de rupture des relations ontologiques qui

les lient aux pères morts, « Batatu Bafua », et la perte de l’élan de la recherche du bonheur

partagé. Évidemment, leur présence et leur participation à la vie des humains ne sont pas

matérielles comme telles, mais plutôt spirituelles qui les réconfortent dans leurs activités.

On peut relier aux pères morts le statut des aînés. Le respect qui leur est dû tient au fait qu’ils

sont des gardiens de la loi et des règles de la vie de tous les jours. Leur vie doit être

irréprochable et exemplaire. En cela, ils ne sont permis d’entamer la vie de leurs descendants

à la faveur de leur rang ontologique. Comme nous l’avons déjà montré, dans l’univers luba,

l’ainé qui agit de telle sorte à détruire la vie et le bonheur partagé des autres citoyens, par un

comportement indigne ou par l’usage abusif de son autorité, agit contre l’ordre divin, contre

les ancêtres et contre sa propre vie et son propre bonheur. La réparation de cette sorte d’injustice

ou la restauration de la vie en communauté consiste à prendre conscience de sa propre place,

de son rang ontologique et de ses propres responsabilités politiques et sociales en revenant sur

ses paroles de malédiction ou de méchanceté, geste que les Baluba appellent « Kupingulula

Meyi », ou encore « Kutshipulula Meyi », et ce, en ré-adoptant un comportement responsable

vis-à-vis des siens. Au-delà de cette nouvelle prise de conscience, l’ainé jugé coupable doit

offrir un sacrifice de poules ou de chèvres aux ancêtres et à la communauté politique pour

rétablir sa relation et son rang dans la hiérarchie ontologique.

b) Le statut juridique de la réparation

À considérer ces quatre niveaux d’injustice, on peut affirmer que les Luba-Kasaï ont une

conscience de la hiérarchie ontologique qu’ils mettent en rapport direct, d’une part avec

l’influence bonne ou mauvaise de la vie et, d’autre part, avec les mécanismes appropriés de

restauration et de réparation de la vie des individus et de la recherche commune du bonheur.

Mais un pareil rapport ne peut pas être établi, car il ne peut pas être possible que ceux qui ont

reçu tout par gratuité et par la bonté infinie de Dieu Maweja et des ancêtres intentent un

quelconque procès contre ces forces éternelles et inégales. Cela revient à dire que, chez les

Luba, Dieu-Maweja ne peut être pris en procès avec l’humain. Autant pour les ancêtres, aucun

procès ne peut leur être intenté. Car ils constituent les forces surnaturelles qui dépassent

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l’entendement humain. Aussi, les pères morts ne peuvent pas être confrontés à leurs enfants ;

leur respect est un droit et ils ne peuvent pas être pris en procès. Ce sont donc les premiers-

ainés vivants ou les pères qui peuvent être repris par les ainés du clan, presque leurs égaux

lorsqu’ils menacent par leur conduite et leur influence de diminuer la vie et les élans du bonheur

partagé de la communauté politique. Bref, le statut juridique de Dieu, des ancêtres et des pères-

morts est intouchable.

Entre les citoyens égaux en droits, il y a également des mauvaises influences, ce que nous avons

appelé « le mal juridique » en faisant allusion au Buloji ou au Mupongo (la sorcellerie), à la

volonté perverse de destruction de la vie et de l’élan du bonheur de la personne, à l’atteinte de

l’intégrité corporelle d’autrui, à l’accaparement des biens et des femmes d’autrui, c’est-à-dire

le vol et l’adultère de l’homme, l’adultère de la femme, l’irrespect à l’endroit des parents,

beaux-parents, mari, ainés du clan, etc. Là aussi, et dans tous les cas de figure, on voit que le

mal peut être réparé et la vie complètement restaurée.

Tout compte fait, ce qui reste à retenir ici c’est le caractère juridique que ces diverses influences

et leurs mécanismes de réparation et de restauration revêtent. Le respect de la hiérarchie est un

droit et une obligation, qui font justice à ceux qui occupent une position politique supérieure et

assument des responsabilités dans une société humaine. Alors que l’universalité et la force de

la loi imposent le respect de la vie des autres et de la communauté politique. Les sanctions

compromises dans le sens de la restauration ou de la réparation, les purifications, les peines,

les amendes et les compensations n’apparaissent que comme des expressions d’un véritable

système juridique bien raffiné, qui vise le bien-vivre, mais un bien-vivre qui ne passe que par

l’organisation politique et la médiation des institutions justes et bonnes. À chaque situation

correspond un mode de vie, un comportement, un rituel de réparation, de restauration de la vie,

de l’entente et de la promotion du bonheur partagé.

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Conclusion

Notre analyse au courant de cette partie nous a conduit à établir que la quête du bien-vivre

dans le contexte luba-kasaï ne se limite pas seulement à la dimension personnelle et à l’aspect

interpersonnel ou communautaire, mais elle englobe également la dimension politique et

institutionnelle. Pour être explicite, la quête du bonheur n’atteint sa finalité qu’à travers la

médiation institutionnelle qui ouvre son champ aux tiers et aux citoyens membres de la cité

historique et éthique. Il s’agit de la restauration de l’ordre public et de la justice sociale. Car

c’est grâce à cet ordre public que les citoyens expriment l’épanouissement de leur vie, de

leurs droits, de leurs libertés politiques individuelles, de leurs talents et s’appliquent à la

recherche commune du bonheur. Sur ce fond de droits, viennent se greffer les grands

principes de la culture et de la praxis politique luba qui privilégient la participation de tous à

la gestion du pouvoir et du bien commun, le devoir de la justice et du respect des droits et

des libertés de chaque citoyen. De cette manière, l’autorité politique est appelée non

seulement à promouvoir la bonne organisation des institutions publiques et l’ordre social,

mais aussi à garantir aux citoyens la sécurité et à favoriser l’émergence de la pratique de la

justice sociale et l’élan du bonheur partagé. Cependant, il reste que la bonne organisation

politique dépend aussi de l’attitude des citoyens à l’accepter de bonne foi sans la pervertir au

risque de détruire l’ordre naturel et social. C’est que dans ce contexte luba-kasaï, les individus

participent à l’activité sociale et politique ; leur perversion et leur volonté de destruction aussi

bien du bien public, de la vie que du bonheur des hommes sont considérées comme de la

sorcellerie, le Buloji, le Mupongo. Mais pour se prévenir de la volonté malveillante et

destructrice de la vie, les Luba ont institué un cadre juridique nécessaire au maintien de

l’ordre et du respect de la loi commune. La perversion ici ne concerne pas seulement la

volonté de détruire les vies et le bonheur, mais aussi la méconnaissance de la hiérarchie

ontologique et de l’ordre naturel. Cette méconnaissance va du refus du droit de Dieu Maweja

a Nangila (Dieu aimant ou de toute bonté), comme essence de la vie, des ancêtres et des pères

morts (Ba Tatu Bafua), par qui cette vie est arrivée aux humains jusqu’aux droits des ainés

vivants qui, eux, sont des garants de cet ordre des choses. La méconnaissance de cet ordre

ontologique est une injustice que les Luba-Kasaï assimilent à la mauvaise influence qui a des

conséquences néfastes sur les individus et sur toute la communauté politique et historique.

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Qu’il s’agisse de la perversion, des mauvaises influences ou de la méconnaissance de l’ordre

ontologique, ce qui compte c’est le caractère juridique que revêtent les différents mécanismes

de restauration de la vie, de l’élan du bonheur partagé et de la réparation de la faute commise.

Nous sommes arrivés à tirer les conséquences de cette organisation institutionnelle que le

respect de l’autorité établie et du bien public est un droit et une obligation ; le respect des

droits et des libertés des autres est non seulement une manière d’être, mais également de

promouvoir le bonheur partagé et de vivre-ensemble dans la communauté politique. Alors

que les amendes ainsi que les sanctions fondent et justifient l’idée de l’universalité de la loi

commune qui n’apparaît que comme une vérité imposable à tous. Tout cela débouche

essentiellement sur la formation d’un véritable système de droit et de justice qui caractérise

la marche d’un peuple. Il a suffi de nous recentrer de manière décisive sur la sagesse de la

vie pratique luba-kasaï, en allant puiser dans des proverbes, des dictons, des contes, des

fables, des chants populaires ou encore dans des arts et des mythes, pour découvrir la réalité

historique et politique non seulement du savoir et de la connaissance des Baluba, mais aussi

de leur véritable art de gouvernance. Reste donc à voir de plus prêt quel est l’impact ou

quelles sont les incidences directes ou indirectes que peuvent avoir pareille organisation

politique, économique, sociale ou culturelle et tous ses mécanismes de promotion sur les

communautés, les sociétés et les générations africaines contemporaines en pleine mutation

technoscientifique. Un tel pari ne peut être atteint qu’à condition qu’un véritable procès de

l’éthique luba-kasaï du bonheur partagé, qui semble s’idéaliser soit mené avant que son

universalisme ne soit établi. Et qu’une critique réflexive de la tradition et de la modernité soit

initiée et que le rôle de la philosophie dans le dialogue entre la tradition et la modernité soit

défini. Car c’est de cette manière qu’il peut être possible de sortir du piège de l’ethnologie,

de la philosophie implicite pour une philosophie explicite avant d’appeler à la réflexion sur

une nouvelle anthropologie philosophique susceptible de sortir le Luba-Kasaï et les peuples

d’Afrique et pourquoi pas du monde des dérives de l’ordre mondial actuel.

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QUATRIÈME PARTIE

L’ÉTHIQUE DU BONHEUR PARTAGÉ LUBA-KASAÏ, LA

TRADITION ET LA MODERNITÉ

Introduction

Cette dernière partie vise à planter au cœur du débat philosophique la question du rapport

entre l’éthique du bonheur partagé luba-kasaï, la tradition et la modernité occidentale dans

tous ses schèmes de penser, notamment la philosophie, les arts, les sciences et les techniques.

Concrètement, nous commencerons cette partie par un procès de la tradition et coutumes

africaines en discutant des différentes théories soutenues et défendues par les spécialistes des

questions africaines. À l’issu de ce débat théorique, nous montrerons que l’homme africain,

le Luba-Kasaï qui tient à la tradition et aux coutumes est aussi celui qui veut vivre dans la

modernité. D’une part, il s’agit de montrer les contradictions internes des traditions et

coutumes africaines et, d’autre part, de montrer la nécessité de ces coutumes et traditions

dans le processus du progrès de l’Afrique moderne. Dans le deuxième chapitre, nous

chercherons à prendre la mesure de la force du choc et les réactions que la rationalité et la

civilisation de l’Occident ont provoquées chez l’homme africain, le Luba-Kasaï et la

réorientation que cela a suscitée. Nous montrerons également les difficultés d’adaptation de

l’homme africain, le Luba-Kasaï dans le monde moderne qu’il ne semble pas maîtriser et

assumer. Ici aussi, il sera question de relever les contradictions internes de la modernité

occidentale par rapport aux valeurs africaines. À la fin de cette démarche, nous nous

emploierons à définir le rôle de l’herméneutique philosophique pour établir un dialogue entre

la tradition et la modernité. Car l’homme africain, le Luba-Kasaï d’aujourd’hui est au

carrefour du passé et du présent. Ce qui nous permettra dans le troisième chapitre de poser

que toute tradition, tant qu’elle se fixe comme objectif le bonheur humain, est universalisable.

De la sorte, la théorie du bonheur partagé luba-kasaï est universalisable et peut jouer un rôle

médiatique dans le développement de l’Afrique et donner peut-être quelques pistes de

réponses aux défis contemporains auxquels font face l’Afrique et toute l’humanité.

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CHAPITRE PREMIER

LA CRITIQUE DE LA TRADITION ET DE LA MODERNITÉ

1. Le procès de la tradition africaine

a) L’héritage spirituel

Pour mieux mesurer l’importance du choc de la modernité sur la tradition africaine, il semble

logique de déterminer de l’intérieur de cette tradition et coutumes, sa spécificité et entrevoir

l’originalité de l’ordre nouveau qui s’impose à l’Afrique : l’ordre de la rationalité moderne

qui se concrétise par l’organisation contractuelle de la société, par l’organisation technique

de la nature et par l’interprétation sémiotique du réel. Essayant de caractériser l’héritage

spirituel de la tradition africaine, beaucoup d’auteurs, après observations, arrivent à

l’affirmation selon laquelle la vie est la réalité fondamentale et première, arrimée à l’utopie

d’appartenance et d’attachement à la communauté de destin, au rapport de l’homme à la

nature, aux ancêtres et à Dieu. L’homme africain lui voue ainsi un culte réel :

La vie qui est mienne est aussi fondamentalement ma vie après la mort. C’est

notre vie dans le clan, notre communion substantielle avec les ancêtres, avec les

vivants et avec les générations à venir. La vie est aussi notre participation aux

autres vies de l’univers naturel, aux autres forces de la nature. La vie est enfin

notre union à la source de vie, le Père de tout, Dieu133.

Il s’ensuit que les visions traditionnelles de l’homme, de la société, de la nature et de Dieu

expriment cet attachement à la vie comme un bonheur suprême ; elle est le trait d’union, le

sacré central et fondamental. Et tout cela engendre une culture connaturelle : elle est

fondamentalement éthico-religieuse ; une culture communautaire : elle est fondée sur la

communion au-delà même des individus et des groupes d’individus, elle se fonde sur une

quête commune du bonheur des communautés humaines. Pour sortir de cette vision

connaturelle, en vue de son développement, l’Afrique est appelée à opérer une véritable

rupture ; elle doit quitter le sacré central qui le renferme, la communauté et les ancêtres qui

133 A. Elungu pene Elungu, Tradition africaine et rationalité moderne, p.23. Nous exposons tout au long de ce

paragraphe sa pensée de manière à expliciter et à valoriser mieux cette critique de la tradition africaine avant

de donner notre propre position. A la souveraine valeur de la vie se rattache également les autres valeurs, qui

constituent cet héritage spirituel de la tradition africaine : la solidarité positive, l’hospitalité, le partage, la

sollicitude, la bienveillance, la réciprocité généreuse, le vivre-ensemble, le savoir-être, etc.

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lui dictent les lois et Dieu Maweja qui lui impose des comportements. Le salut de l’Afrique

tient à sa conversion à la vie de la raison.

b) La rupture et la vie de la raison

Les conditions dans lesquelles les Africains, les Luba-Kasaï vivent actuellement sont

essentiellement des conditions de rupture. Une société nouvelle surgit, qui doit puiser son

dynamisme ailleurs que dans le culte de la vie et la recherche commune du bonheur. Mais

cette rupture n’est pas la première de l’histoire. Elle s’est déjà produite dans la Grèce antique

par le passage de la vision mythologique des cosmologies à la vision philosophique des

anthropologies ; ce changement s’est produit en Occident, par le passage des systèmes

théocentriques du Moyen âge aux conceptions anthropocentriques de l’âge moderne. Ce

changement est en train de s’opérer encore aujourd’hui en Afrique, où les conditions et les

contraintes actuelles de l’existence matérielle, tant individuelle que sociale, nous font passer

tous les jours du culte de la vie à la vie de la raison.

La vie de la raison n’est rien d’autre que l’existence de raison et de rationalisation. Elle

s’oppose à tout système prenant comme fondement autre chose que l’homme : le cosmos

chez les Grecs, Dieu au Moyen âge, la vie en Afrique traditionnelle. La vie de la raison pose

comme réalité première l’homme. L’homme capable de s’interroger, de rechercher et de

créer. L’homme conscient de sa finitude et du caractère partiel et provisoire de la vérité, du

savoir et du bonheur. L’homme est fini, mais il est libre de créer et de transformer la nature.

La vie de la raison voudrait traverser l’homme et toute son existence. Elle se manifeste par

la science, le travail technique, la constitution juridique et morale réglant les mœurs. Cela

pousse l’homme africain, le Luba-Kasaï à chercher à réorienter sa vie. Mais que signifie pour

les Africains, les Luba-Kasaï d’aujourd’hui, l’impératif vivre la vie de la raison ?

Cela signifie d’abord rompre avec la vie conçue tout entière de façon mythique. Cesser de

vouer un culte à la vie, cela signifie aussi s’accepter comme liberté recréatrice et assumer son

destin. Tout cela s’accompagne d’une triple révolution : matérielle, spirituelle et morale due

à la science, à la nouvelle religion et à la nouvelle organisation de la société. Toutes les

transformations sont vécues par l’homme africain d’abord comme une contrainte venant de

la colonisation. Mais peu à peu, il reprend à son propre compte la religion, la science, les

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techniques, les écoles et l’État-Nation de l’Occident. L’homme africain, le Luba-Kasaï

accepte le développement et le projet du bonheur partagé. Mais malheureusement à ce corps

matériel en transformation on ajoute une âme ancienne, traditionnelle, une vie matérielle se

colle encore souvent à une spiritualité surannée.

Ensuite, la vie de la raison se trouve ainsi limitée à la sphère de la vie matérielle que l’on

accepte de modifier de fond en comble, mais dans la vie spirituelle et morale, le fil conducteur

est recherché dans une sphère extrarationnelle, celle des mythes, d’ailleurs en perdition. La

nouvelle aspiration, c’est la constitution d’une société organisée rationnellement, libre et

démocratique. Bref, pour réaliser son bonheur, l’homme africain, le Luba-Kasaï doit se

convertir à cet esprit, adopter le rationalisme ouvert comme principe de vie, comme loi de la

société, comme règle de gouvernement. Ceci paraît être la condition sine qua non de la survie

de l’Afrique moderne par la mise sur pied des sociétés démocratiques et développées, où la

liberté réelle de tous est assurée par une solide organisation rationnelle.

Ainsi donc, opérer une rupture avec la vie mythique et assumer en même temps la vie de la

raison permet d’assurer aussi l’originalité de l’homme africain, le Luba-Kasaï : une

originalité dynamique qui se reconnaîtra par la contribution positive au progrès scientifique

et technique, par l’organisation morale des sociétés africaines modernes, qui seront

responsables de leurs propres échelles de valeurs et aussi, enfin par l’environnement matériel.

c) Le procès de la tradition

Plusieurs auteurs africains soutenus, pour la plupart, par les philosophes occidentaux ont

amorcé des critiques contre l’héritage spirituel africain. Ces critiques ont pris aujourd’hui

l’allure d’un véritable procès de la tradition africaine. Ce procès prend en compte plusieurs

aspects. Le premier se fonde sur le chef d’accusation selon lequel la sagesse de la vie pratique

africaine est demeurée attachée à la vie concrète sans trop s’engager dans un mouvement

d’objectivation de l’homme, de la société, de la nature et de Dieu. La conceptualisation

scientifique est restée mêlée à une conception magico-religieuse, mystique de l’existence et

de la nature. Son assomption est demeurée insuffisante, sinon limitée bien qu’elle ne soit pas

totalement absente.

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270

Cette insuffisance se caractérise par une très faible emprise de l’homme sur le milieu, aussi

bien naturel que social. Le milieu naturel n’a jamais été rationalisé, révolutionné et

transformé en un environnement. Par exemple l’habitat dans bien des pays africains est resté

rudimentaire ; la culture des champs, peu intensive ne répond juste qu’aux besoins immédiats

de subsistance ; le milieu social apparaît prisonnier d’une structure familiale, clanique ou

communautaire, et que toute activité ne prend sens que dans la promotion de sa propre vie,

de son bonheur et de celui de la communauté de destin. Le pouvoir traditionnel n’est pas

réellement étatisé pour donner lieu à des grandes cités politiques et historiques ; il est resté

familial et héréditaire, et toujours légitimé par les ancêtres. L’attachement à la vie ne trouve

sa signification que comme un don suprême, sacré et un bien désirable de tous les biens. La

personne, elle-même, est norme de tout, de la création, de la vie, du droit, de la morale, de

l’agir humain, et donc la mesure sans mesure. C’est aussi dans ce sens que Dieu Maweja a

Nangila (Dieu aimant) n’est perçu que dans cette expérience totalisante de la vie et de la

personne134.

Le second aspect du procès préconise l’idée que les sociétés africaines manquent

essentiellement la conscience d’une possibilité de changement de structures de vie et de

création par l’effort et a fortiori la volonté et la liberté humaines, tant collectives

qu’individuelles. Les plus radicaux de ce procès relèvent que la philosophie comme exercice

théorique et critique n’est pas propre à l’Afrique traditionnelle. Son histoire est suggestive,

émotionnelle, étroitement liée à la tribu, l’expression est poétique et religieuse et non

scientifique, enfin, cette histoire est concrète et factuelle. Les symboles artistiques, les

mythes, les proverbes, les fables, la religion, la philosophie, etc. n’ont aucune rationalité135.

Bref, l’Afrique est amorphe, privée d’initiative historique, de pensée agissante et incapable

d’un décollage conceptuel. Pour eux, d’une part, l’enchevêtrement du culte de la vie avec la

modernité occidentale constitue un frein au décollage à la fois matériel et spirituel de

l’Afrique, c’est-à-dire au bonheur. D’autre part, les traditions africaines, les religions, les

arts, le système de droit, l’organisation politique traditionnelle africaine constituent une

obstruction au progrès et au bonheur partagé. L’homme africain, le Luba-Kasaï est appelé à

134 A. Elungu pene Elungu, Tradition africaine et rationalité moderne, p. 89-90. 135 M. Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle, p. 88-89.

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assumer la modernité en adoptant la vie de la raison dans sa totalité. Pour s’en sortir, les

Africains doivent emprunter à l’Occident le secret de son progrès et de son développement.

Les Africains se doivent donc de comprendre que sans la philosophie, la science et la

technique et leurs modes de promotion, le développement et le bonheur de l’Afrique

attendront encore plus longtemps.

d) Notre (pro) position

À considérer ces critiques négatives, on peut relever que les philosophes africains ont manqué

à leur devoir de critique. Ils auraient mieux fait s’ils avaient compris que l’Afrique et les

Africains sont des sujets historiques ; ils ne subissent pas nécessairement les affres de

l’histoire, mais ils sont partis prenant de l’histoire même de l’humanité. Car l’Africain est le

premier théoricien du destin dévolu à son agir et à ses productions. Ces penseurs critiques se

doivent de se ressaisir en remplaçant le désir de domination et de subordination par le désir

de changement et de libération. L’acte révolutionnaire du philosophe africain d’aujourd’hui

et peut-être encore celui de demain doit susciter une pensée bien élaborée, engageante,

agissante, triomphante et neutre. Les philosophes critiques africains en lisant les traditions et

coutumes africaines ne doivent pas chercher à y déceler une spécificité figée, momifiée, mais

à travers une synthèse herméneutique à proposer leur universalité, car elles sont comme

toutes les autres traditions du monde porteuses des valeurs humaines nécessaires et

universalisables, c’est-à-dire partageables par tous les peuples qui constituent l’humanité.

Notre interprétation de la tradition et des coutumes luba-kasaï offre un autre regard en

affirmant l’existence de la rationalité organisationnelle de la société, les principes de vie, de

bonheur partagé et du vivre-ensemble qui n’envient en rien la rationalité de Kant, de David

Hume ou encore de Heidegger. Il nous semble donc difficile de croire au vide de la pensée,

de la philosophie dans les traditions africaines. La pensée africaine a aussi marqué l’histoire

de la philosophie et des sciences occidentales. Ainsi que le confirme aussi Benoît Okolo :

« La philosophie grecque est au croisement des philosophies venant de l’Afrique et d’Asie.

Et la philosophie et la science ne seraient pas ce qu’elles sont sans l’apport du Nord-Africain

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Augustin, d’Euclide qui longtemps vécu en Alexandrie et le marocain Ibn Rushdie

(Averroès), le grand commentateur d’Aristote, etc. »136.

Dans ce procès des cultures et traditions africaines, bien d’autres penseurs et philosophes

africains ne font que vouer un culte à la philosophie occidentale comme à l’unique rationalité

valable, oubliant que cette rationalité-ci et cette irrationalité-là constituent deux pièces d’un

même puzzle et qu’elles sont construites sur base des mêmes préjugés. Les rapports de

nécessité qui unissent philosophie, science, technique et autres instances consacrent la

supériorité de l’Occident et ne donnent pas de chance de développement à l’Afrique

autrement qu’en se subordonnant et qu’en s’inscrivant dans le schéma préétabli. On ne peut

donc que soutenir que la science, les arts, la religion, le droit et la philosophie sont des

éléments de la tradition que chaque peuple rend vivants et concrétise dans des formes

symboliques particulières. Comme le dit encore Benoît Okolo : « Le destin épouse l’histoire

et pointe vers le jugement du monde. Il s’incarne dans les destins particuliers des peuples et

des individus où l’Esprit use des passions provoquant une tension entre le fini et l’infini, la

liberté et la nécessité. Le destin est une donnée implacable d’un peuple, d’un individu »137.

Reste cependant qu’en dépit de ce plaidoyer en faveur de la pensée africaine traditionnelle,

les générations africaines montantes en général et Luba-Kasaï en particulier, veulent vivre

dans la modernité, elles se veulent modernes, elles ne jurent que sur les bienfaisances de la

rationalité moderne. Pareil désir ne fait que ressortir des contradictions internes des coutumes

et traditions africaines.

2. La crise morale africaine

a) Les contradictions internes des coutumes

S’il nous faut tenter une définition de la coutume, nous dirions qu’elle est une manière

permanente d’agir et de se comporter qui prend sa source ou se fonde dans les pratiques

répétées bien connues de la société, mais qui dicte d’agir toujours de la même façon. Dans le

136 B. Okolo Okonda, Hegel et l’Afrique. Thèses, critiques et dépassements, Paris, Le Cercle Herméneutique

Éditeur Argenteuil, 2010, p. 74-77. Voir aussi : L. Emongo, La tradition comme articulation ambiguë, p. 92-

112. 137 Ibidem, p. 82.

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sens juridique, la coutume est un droit non écrit, basé sur les manières de se comporter et

d’agir de la communauté d’être, qui est reconnu par le législateur. De la sorte, elle requiert

toute la force de la loi. Bref, la coutume est une valeur légale qui ne vient pas de la

communauté elle-même, des actes présents et répétés qu’elle a posés mais du consentement

du supérieur légitime qui veut donner force à la manière d’agir humain.

Dès lors, le bonheur partagé voulu et accepté par tous les membres de la communauté d’être

fonde en raison la coutume. Mais de l’autre côté, on peut se rendre à l’évidence qu’avec

l’apparition et l’application du droit civil par l’administration coloniale, les coutumes ont

perdu de leur valeur. Du moins, elles n’ont plus le monopole ; elles ne servent plus à régler

les affaires et les conflits dans des sociétés émergeantes modernes. Ceci se justifie dans la

mesure où elles ont été remplacées et changées de fond en comble. De toutes les manières,

les coutumes africaines pour qu’elles répondent aux besoins des peuples doivent être bonnes

et raisonnables. Car toute coutume préjudiciable au bien public, doit être nécessairement

rejetée. Appelée à devenir une loi, elle doit sauvegarder l’intérêt moral et matériel du peuple.

À bien voir, les coutumes africaines ne répondent plus aux besoins et à l’idéal du bonheur

partagé des peuples africains, des Luba-Kasaï d’aujourd’hui. On ne nie pas que ces coutumes

ont servi hier, mais elles ne le sont dans l’aujourd’hui du monde que de manière relative.

Quelques exemples valent la peine d’être donnés :

La coutume de la polygamie n’est plus reconnue comme une valeur ; la femme

n’est plus une chose, elle est une valeur irremplaçable au même titre que

l’homme.

Le marchandage perpétuel de la dot par les parents de la femme devient une

aberration aux yeux de la femme et de la société africaine en général et luba-kasaï

émergeante en particulier.

La rigueur de la coutume qui tient absolument au versement perpétuel de la dot

aux parents, oncles, tantes paternels ou maternels, tout cela devient un non-sens.

Le choix de la fiancée par les parents du jeune homme ou de la jeune fille est

considéré comme une atteinte au droit humain et à la liberté individuelle.

Le refus d’occasionner entre les jeunes filles ou les jeunes gens de cultures

différentes, ce qu’on appelle en langage ordinaire « le mariage mixte », induit au

concubinage et au désordre.

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Les restrictions selon lesquelles la fille doit absolument être vierge pour qu’elle

soit acceptée dans la famille du jeune homme est encore et toujours une bavure.

L’ingérence intempestive des parents et des autres membres de la famille (Diku)

dans la vie du couple au motif qu’ils sont des protecteurs attitrés, violant ainsi

son intimité apparaît aux yeux des jeunes générations africaines et luba-kasaï

comme une sorte de délit de violation des droits et de l’intimité.

Dans bien d’autres cas, les parents et la famille acceptent le mariage de leur fille

avec un homme socialement bien placé, nanti même s’il n’est plus capable de

rien faire sur le plan sentimental nous paraît être un non-sens, etc.

Toutes ces choses montrent sans aucun doute les réelles contradictions internes des coutumes

et traditions dans la vie des sociétés africaines émergeantes en général et luba-kasaï

d’aujourd’hui en particulier. On peut même dire que les coutumes africaines ne servent pas

toujours le bonheur des peuples. L’homme africain, le Luba-Kasaï d’aujourd’hui est dans

l’angoisse et le désarroi qui le désorientent complètement. Il ne sait pas où jeter la dent et le

caillou : Keena mumania kua kuela dinu ne kua kuela dikala.

b) Les incohérences de la tradition africaine

Quant à la tradition africaine, on peut dire qu’au-delà des belles théories philosophiques

avancées par les uns et nourries à la science occidentale par les autres, elle reste une profonde

histoire pour les peuples et les communautés africaines de vie. Car elle est en l’homme

africain, elle encombre sa vie et son comportement. Elle lui indique les meilleures voies de

la vie, du vivre-ensemble et du bonheur partagé. Elle porte l’idéal même de son émancipation

et de sa liberté auquel s’assimile aussi bien son bonheur que son progrès. On dirait même

que, dans son dynamisme créateur, la tradition africaine porte en elle-même l’exigence de

l’accomplissement par sa volonté d’assurer la survie et le bien-vivre des peuples et des

communautés. Comme le dit J. Onaotsho Kawende « Tout bien considéré, l’histoire du

développement d’un peuple coïncide avec l’histoire de sa tradition »138. Aussi par les valeurs

qu’elle regorge (la solidarité, l’hospitalité, la vie en communauté, etc.), la tradition africaine

offre à l’individu les instruments nécessaires dans la recherche du bonheur partagé. Comme

l’affirme aussi Le Thanh Khoi, « elle révèle la capacité de penser par soi-même et de trouver

138 J. Onaotsho Kawende, « Le développement comme œuvre de la tradition », p. 159-168.

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des solutions appropriées à ses problèmes en comptant principalement (mais non

exclusivement) sur ses propres forces »139. Par conséquent, la tradition africaine ne doit pas

être considérées comme étant en contradiction avec le projet de développement et de bonheur

des peuples et des nations.

Mais une conception statique de la tradition africaine, emparée par l’esprit de la modernité,

la présente globalement comme étant incompatible au bien-vivre et au progrès. Ce jugement

prend, en effet, en compte certains mauvais usages qu’on en fait. L’analyse de la tradition

luba-kasaï a montré le caractère positif de la volonté d’assomption d’un peuple au bien-être.

Reste cependant que, certains mauvais usages laissent transparaître quelques incohérences

de la tradition africaine en général et luba-kasaï en particulier. Ce sont donc ces éléments

d’incohérence que nous voulons suggérer ici. En effet, défendant, justifiant et même en

idéalisant sa tradition, l’homme africain, le Luba-Kasaï a souvent tendance à se faire passer

pour le meilleur par rapport aux autres qu’on considère comme des sauvages. L’arrogance,

le snobisme et la vantardise n’apparaissent que comme des manières de comportement

dictées par sa tradition. Ce qui induit aux dérives inattendues telles que :

Le tribalisme et l’ethnicisme : en effet, pour mieux comprendre ces deux aspects de la dérive

des traditions africaines, il sied d’établit une nette différence entre l’idée de la tribu, de

l’ethnie et du tribalisme. La tribu est le groupe représentant généralement une unité politique,

linguistique et culturelle dont les membres vivent le plus souvent sur un même territoire. En

Afrique, la tribu fut longtemps considérée comme un sous-groupe de l’ethnie caractérisé par

l’usage d’un même dialecte. L’ethnie doit être comprise comme un regroupement humain

caractérisé par une même culture, une même langue. Le tribalisme, à son tour, représente une

tendance à faire prévaloir l’appartenance et l’attachement à l’ethnie sur l’appartenance à

l’État ou à la nation. Comme le dit Bukasa-Muteba, « En Afrique, c’est une tendance qui

139 Le Thanh Koi, Culture, créativité et développement, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 218, cité par J. Onaotsho

Kawende, « Le développement comme œuvre de la tradition », p. 165-167. Consulter aussi : Ndumba Y’oole

L’ifefo, « La tradition comme lieu herméneutique du développement », in Tradition, Spiritualité et

Développement, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1993, p. 113-118.

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consiste à avantager les membres de sa famille, de son ethnie, de sa tribu ou mieux encore de

sa région (province) d’origine »140.

S’il faut réellement reconnaître que les tribus ou les ethnies sont des réalités sociologiques,

pour ne pas dire naturelles, parce qu’elles confèrent des valeurs identitaires et constituent une

richesse multiculturelle, le tribalisme demeure malheureusement un corolaire dangereux, une

doctrine nébuleuse, nuisible, persistante et aux contours mal tracés par les traditions

africaines en général et la tradition luba-kasaï en particulier. Ce concept de tribalisme est

souvent confondu à la tribu afin d’ériger des barrières psychologiques entre les peuples

ressortissants d’un même État ou d’une même nation. Cette doctrine de division aveugle

souvent les personnes qui détiennent une parcelle de pouvoir politique, créant par là un cercle

vicieux de revanche qui, dans son attente de réalisation future, empoisonne le milieu à travers

la suspicion et la méfiance, de telle sorte qu’on observe une cristallisation des mentalités.

L’instabilité chronique des régimes politiques en Afrique est une preuve éloquente à ce sujet,

même pour ceux prétendument élus au suffrage universel141. Quoi de plus sinon de dire que

la tradition n’est pas toujours le bouclier de l’idéal du bonheur partagé tel qu’il est voulu ou

souhaité par les peuples d’Afrique et Luba-Kasaï d’aujourd’hui. Reste donc que la tradition

n’a plus de contrôle sur les hommes et les sociétés d’aujourd’hui. Ceux-ci la regardent

d’ailleurs avec méfiance et doute.

Le mal africain : le mal souvent attribué aux Congolais, ce que l’on a appelé le « Mal

congolais » est aussi le « Mal africain ». Ce mal africain est volontier mis sur le compte des

bourgeoisies montantes, les cadres des régimes et des gouvernements, les universitaires

parvenus à des postes enviables dans la hiérarchie politique et par conséquent, économique.

Ces personnages connaissent des clivages internes qui s’ajoutent à des rivalités personnelles,

inévitables dans un tel climat de compétition. L’enjeu de ces rivalités est la promotion

politique et économique. Il s’agit d’être au pouvoir pour amasser le plus possible de l’argent,

de manière à survivre à des périodes de disgrâce ou pour reconquérir le pouvoir dans les

140 P.K. Bukasa-Muteba, Le tribalisme. Analyse des faits et comportements en République Démocratique du

Congo, Paris, L’Harmattant, 1997, 112. 141 M. Kalulambi Mpongo, Être Luba au XXe siècle, p. 18-35.

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délais raisonnables. Et dans bien des cas, ces mêmes personnages ne travaillent pas

nécessairement pour le bien des nations et des peuples, mais bien pour leur propre bonheur142.

En fait, ce mal africain provient d’une perversion de l’ordre social par les régimes politiques

les plus habiles qui légitiment leurs actions politiques à partir des mandats qu’ils se donnent

eux-mêmes ; il constitue un vide éthique et lance un discrédit aux traditions. Pourtant, les

traditions renseignent le partage et le sens de la responsabilité des uns et des autres.

La crise de modèle de référence : la pauvreté et la carence des textes légaux insistant et

conditionnant le citoyen à la responsabilité sont des facteurs qui détruisent l’Afrique et

induisent à la crise et aux conflits. La perte du sens du bien commun y contribue énormément.

Et tout cela parce qu’il y a gravement manque d’un modèle de référence. L’adulte ou l’ainé

(Mukulu) qui est censé encadrer et orienter l’agir et le comportement des jeunes et des enfants

a démissionné. C’est bien le cas des hommes politiques et des cadres intellectuels qui se

livrent aujourd’hui à la recherche du bonheur en amassant de l’argent et beaucoup d’argent

pour leur survie politique. Détaché de l’éthique du bien-vivre et du service laissée par les

ancêtres, et s’étant embourbé dans l’aliénation de sa propre conscience, l’homme africain, le

Luba-Kasaï gît dans une pauvreté morale sans précédent. Car il ne suit plus les règles de la

sagesse de la vie pratique et de l’éthique du bonheur partagé, tout comme il n’intériorise

même pas les lois de la modernité, c’est-à-dire de la rationalité. Cela a aussi des conséquences

déplorables ou plutôt néfastes dans tous les compartiments de la vie de la société. Bref,

l’homme africain, le Luba-Kasaï d’aujourd’hui n’a plus de conscience morale, et par

conséquent, il devient un danger public aussi bien pour son entourage, son pays, son continent

que pour le monde et toute l’humanité.

La crise de la notion du bien public : la confusion entre les biens de l’État et les biens privés

est entretenue à dessein par les hommes politiques. Ces derniers passent tout leur temps à se

disputer le positionnement politique générateur de l’argent et des avantages matériels. A

défaut de rationalité ou de bon sens, c’est toujours la tribu ou l’ethnie qui est mise en vedette

142 I. Ndaywel è Nziem, Histoire du Zaïre, p. 131. Lire aussi : Mayola Mavunza Lwanga, Le mal zaïrois et

culture managériale. Pour un patriotisme de développement partagé, Kinshasa, Presses Universitaires de

Kinshasa, 1997, p. 62-65 ; « Le mal zaïrois. Genèse théoriques et prospectives thérapeutiques », Pensée

Agissante 10(février 2001), p. 123-133.

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pour justifier l’obligation du leader d’être présent là où se prennent les décisions et là où se

manipulent la rareté. L’économie qui a mission d’organiser la production de la circulation

des biens rares et qui devrait être mise au profit de toute la population, elle est toujours au

profit de la catégorie sociale dominante, celle qui manipule la rareté et avec des mécanismes

mis en place, se montre totalement sourde aux douleurs et aux lamentations des exclus. Ces

hommes et ces femmes politiques africains, une fois dans les rênes du pouvoir, se comportent

comme s’ils étaient l’État-lui-même. Pillant sans relâche les biens publics et distribuant des

prébendes à leurs proches sans se soucier de l’état de la misère et de la pauvreté de la majorité

de la population. Avec des régimes politiques africains, la notion de bien de l’État n’a pas la

même considération que celle de bien privé, et sans foi ni lois, la personne qui représente

l’État se voit comme étant l’État en personne, et se place au-dessus de tout le monde.

La personne-État, à l’instar du parti-État peut se permettre de prendre des biens de l’État sans

crainte et sans scrupule. Entre temps, les repères et les indices économiques sont plongés

dans un cycle infernal de crise, malgré les richesses naturelles dont Dieu Maweja a Nangila

(Dieu aimant) a doté les pays et les peuples africains. Pourtant, les traditions africaines

prêchent la solidarité, le partage et la participation à la gestion commune de la chose publique.

La culture de l’impunité : le respect des droits de l’homme et l’instauration de l’État de droit

constituent l’un des facteurs majeurs de la réalisation du bonheur partagé des peuples dans la

culture luba-kasaï. Mais dans des pays où l’État de droit n’existe pas, les mécanismes

permettant la meilleure administration de la justice ont bien souvent disparu aussi. Même

dans des pays où fonctionnent encore quelques institutions, on peut tout de même observer

un certain degré d’impunité face aux agissements criminels aussi bien des pouvoirs publics

que des populations, et ce, à des niveaux variés. Cette culture de l’impunité occasionne des

crimes odieux qui se commettent au quotidien sans souvent susciter d’investigation et sans

que ne soient imposées des sanctions, des réparations légales ou des compensations pour les

victimes. Dans de nombreux cas, les législations nationales ferment sadiquement les yeux

face à ces injustices ambiantes, qui contribuent même aux violations de la dignité, des droits

et libertés individuelles des personnes. À tous les niveaux de la vie pratique et publique,

l’impunité semble s’installer durablement au point où on peut dire que la crise morale dans

des différents pays africains d’aujourd’hui est le fait même de cet autre démon de la dérive.

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La liste des exemples donnés ci-dessus n’est pas exhaustive, mais elle nous a permis tout de

même de montrer les incohérences internes des traditions africaines. Ces incohérences se

traduisent donc par une crise morale sans précédent. Certes, les traditions africaines

constituent le fondement d’une meilleure réussite de la vie dans ce contexte nouveau. Mais

il y a certains éléments de ces traditions qui ne servent plus le projet du bonheur des peuples.

Ces éléments peuvent être abandonnés de manière à éviter le désordre et la crise morale qui

rongent davantage les sociétés africaines. Que faire : en rester là, se résigner et attendre ?

c) Les choix responsables

Vivre pour les Luba-Kasaï, c’est aussi s’accommoder avec le temps qui évolue et change,

qui produit le besoin d’adaptation aux réalités bénéfiques, c’est-à-dire la correction de ce qui

n’a pas rencontré la convenance, et qui risque d’augmenter les difficultés sociales, politiques

ou économiques. Dans les situations aussi incertaines pour l’avenir, on peut opérer des

changements considérables, parfois en termes d’ajouts en proposant des choix responsables.

Ainsi au vu du mode de vie actuel, on peut faire les choix de l’innovation ou de la créativité

et la seconde incarnant l’éducation aux valeurs.

Le choix de l’innovation et du changement : les États africains qui sont confrontés à la

multiethnicité et aux problèmes conséquents, il est de bon sens d’aller dans la direction de

l’innovation et du changement profond des systèmes de gouvernement, de justice ou de

pratique de la loi, de gouvernance économique et de l’éclosion du progrès social, en évitant

tout relativisme qui met en danger la démocratie, toute détermination brutale, à travers un

bellicisme qui occasionne la domination des uns sur les autres, et le rejet par le fait de la

hantise des démons de la dérive tels que : le tribalisme, l’ethnicisme, l’occultisme et le trafic

d’influence, l’impunité, le détournement des biens publics, la violation des droits, de la

dignité humaine et des libertés politiques individuelles, etc.

L’éducation aux valeurs de la vie : pour dompter et réinventer l’Afrique d’aujourd’hui et

peut-être encore celle de demain, il est nécessaire de revenir à l’éducation civique et morale

des enfants et des populations jeunes adultes. Ces deux supports éducatifs impriment sur

l’enfant, sur les jeunes adultes et sur les intellectuels les valeurs qui concourent à la formation

positive de l’esprit. Le civisme apprend à l’enfant les droits et obligations du citoyen, la fierté

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d’appartenir à la nation, le sens de la responsabilité, la recherche commune du bonheur, le

vivre-ensemble, le savoir-être, la pratique de la solidarité avec ceux qui souffrent, l’amour et

le respect de la chose publique. La morale, elle, inculque les valeurs ayant un lien avec la

distinction du bien et du mal, la croyance en un être suprême qui est Dieu Maweja a Nangila,

Un Dieu de toute bonté, Un Dieu aimant qui sait récompenser les bonnes œuvres et châtier

tous ceux qui affectionnent le mal par le non-respect du commandement de l’amour de l’autre

et du vivre-ensemble.

En conclusion, les sociétés africaines ont le devoir de (ré) apprendre aux jeunes générations

que la nationalité n’engendre pas que des droits, mais également des obligations. Cette

nationalité a primauté sur la tribu, l’ethnie et la province ou la région, sans ignorer la valeur

de ces dernières. La construction d’un État de droit fortement moderne bien organisé permet

l’ouverture et le service, surtout la prise de conscience de la responsabilité individuelle et

communautaire, la pratique de la justice et de la solidarité. Car les défauts d’un peuple ou

d’une génération sont aussi le fruit d’une tradition, d’une éducation des parents à l’enfant,

d’une génération à l’autre. Elle nourrit donc notre être, notre corps et notre esprit. Elle choisit

aussi les antivaleurs que nous héritons. Elle est aussi insuffisante à l’accomplissement de

l’homme, du bonheur de l’homme africain, le Luba-Kasaï. La tradition porte toujours déjà

les germes mêmes de la relation menacée au sein même de son propre mouvement

d’affirmation sociale. Aujourd’hui, l’homme africain, le Luba-Kasaï est un homme de

tradition, il tient à ses coutumes, mais également il veut vivre dans la modernité. La tradition

et la modernité sont pour lui l’histoire concrète et présente qui le constitue. Il lui est donc

plus difficile de s’en détacher. D’où la nécessité de passer au crible de la critique de la

modernité.

3. La critique de la modernité

a) L’image de la modernité

Avant de procéder à la présentation des réactions africaines contre la modernité, il sied de

nous donner une image de cette modernité. La modernité est l’abandon de l’ancien ordre pour

embrasser le nouvel ordre. L’ancien ordre est l’affirmation de la toute-puissance divine et de

l’autonomie de la nature. Tandis que le nouvel ordre est la découverte de soi, libre et

souverain, source de pouvoir et d’ordre, de positions et de relations. Et la nature est niée

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comme autosuffisante. L’affirmation de soi constitue la déclaration de guerre contre la

nature. Tout est médiatisé par la raison. L’histoire aussi. L’homme est acteur, sujet, objet et

auteur de son ordre, de son identité contre la société, contre la nature et contre la surnature.

Maître de soi, libre, il est maître de l’association qui crée la société. L’homme libre

s’acculture en devenant propriétaire et en préservant cette propriété par la légalité. De là

naissent les sociétés États et finalement les États-Nations. Les États-Nations sont l’expression

du libéralisme individuel se dotant d’une constitution et créant un ordre politique conforme

à l’idée de l’homme sujet, libre, auteur de ses lois. États-Nations se donnent un espace, un

territoire et une population soumise à la loi. D’abord en Europe, ensuite en Amérique et

maintenant partout à travers le monde. L’individualisme libéral s’impose comme modèle et

impose son ordre politique : la démocratie, et son ordre économique : le capitalisme libéral.

Bref, la modernité a bouleversé la condition humaine. L’ancien ordre stable et permanent

entre l’homme et la nature a été remplacé par un nouvel ordre fondé sur les sujets libres, en

relation politique, sociale et économique, et fondant leur pouvoir sur le monde et sur soi.

b) La critique africaine

La critique africaine de la modernité s’amorce par un constat : l’Afrique entre enchaînée et

asservie dans un monde avide de conquérir. Entrée enchaînée et asservie au monde moderne,

l’Afrique voit son esclavage se métamorphoser : au lieu de s’abolir, s’amplifier, au lieu de

diminuer, s’intensifier. L’Afrique se trouve arrachée de façon brutale et violente de son ordre

ancien et se trouve insérer de force d’abord, de façon consentante ensuite, dans l’histoire de

l’autre, homme moderne, maître et possesseur de la nature. L’esclavagisme, la colonisation

ensuite, suivie de l’impérialisme et de la mondialisation. Voilà les étapes d’un même

enchaînement de l’Afrique subordonnée au monde des hommes libres, qui affermissent

leur liberté par cette domination de l’Afrique. Cela entraîne l’aliénation à tous les niveaux

et une modernité minimale par opposition à la modernité maximale des maîtres-système

du monde. Ce qui fait le progrès de la modernité maximale de l’Occident constitue une

contradiction pour la modernité minimale de l’Afrique. Comme réactions, il s’en est suivi

des révoltes des esclaves, des rébellions matées dans le sang  ; affirmation de l’humanité

par la négritude, acculturation sans conceptualisation, sans projet radical, total et/ou

global ; État-nation à l’occidental, modèle assumé sans discussion ni critique ni mise en

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question préalable ; essaie de réconciliation de l’ancien et du moderne ; indépendance

signifiant l’entrée au paradis du monde « libre », volonté d’un homme singulier incarnant

l’absolu de l’État, État comme synthèse ethnique ou tribal, tout cela débouche sur un

cuisant échec politique, économique et social, un fiasco total mettant en cause l’existence

même de l’État. Espérons que le recours à la démocratie participative et citoyenne trouve

des remèdes appropriés aux épineuses questions du développement et du bonheur partagé

des peuples et des communautés africaines.

c) La valeur de la critique africaine

Quelle est la valeur de cette critique africaine de la modernité  ? Sa valeur provient du fait

que la modernité elle-même prend conscience de cette condition et de ce malheur comme

d’un fait humain historique global. Un fait où le maître se sent intimement lié à l’esclave.

Au nom de la liberté, au nom de l’autonomie, la modernité exerce sa critique globale,

radicale et totale sur la réalité. La critique de la modernité par elle-même mène l’homme

à l’impasse : la liberté absolue conduit à de nouveaux asservissements, la maîtrise absolue

de la nature mène à sa manipulation et même à sa destruction entraînant la destruction de

l’homme. En identifiant la modernité à la science et à la technologie, Jean Ladrière

confirme cette destruction de l’homme : « Les valeurs mêmes qui sont véhiculées par la

science et la technologie, semblent bien rendre celles-ci incapables de fonder une

destinée. Ces valeurs, en effet, comportent (…) un aspect d’autonomisation qui, sans

doute, exalte la maîtrise de l’homme, mais en même temps, le détache de toute

inhérence »143. Il s’agit là de la maîtrise qui marque la réussite d’un système et qui parvient

à se donner ses propres conditions de croissance et à se développer par ses seules ressources

internes, elle ne contribue pas, en tout cas comme telle et de façon directe, à inscrire

l’existence vécue dans une totalité de sens.

On peut alors rechercher de nouveau l’homme et pour cela trouver un nouveau départ, un

nouvel appui. Et d’abord établir des éléments africains modernes capables de constituer une

critique radicale de l’individualisme libéral ou du libéralisme individualiste. Il s’agit, comme

143 J. Ladrière, Vie sociale et destinée, (Sociologie nouvelle : théories 7), Gembloux, Duculot, 1973, p.314. La

modernité technologique a détruit les valeurs traditionnelles. Voir aussi : P. Diagne, Introduction à la culture

africaine, Paris, Union générale, 1977, p.287-288.

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le dit Elungu pene Elungu, « De la critique du monde africain tel que transformé, tel que

façonné par la modernité maximale »144. Les effets de cette histoire-épopée de l’individu

absolu montrent bien qu’il y a défectuosité dans l’idéologie de base et que la colonisation

continue de façon permanente. Bref, la mondialisation de la liberté colonisatrice de la nature

a détruit les mondes africains traditionnels, détruit le sens même de la modernité, réduit

l’homme au statut d’objet par et pour le sujet, l’individu absolu. L’homme africain, le Luba

devient ainsi l’esclave sans perspectives du bonheur partagé. Que faut-il faire ? Faut-il

continuer à nourrir les ambitions de la modernité maximale dont l’odeur se fait sentir dans

tous les modes de penser et de gouvernance des sociétés africaines ? Doit-on accepter de

vivre sans alternative et sans perspective d’un monde meilleur où l’homme africain, le Luba-

Kasaï peut se prendre en charge ? Quelle option est la meilleure : tuer le père pour vivre

réellement de son bonheur ou accepter le fatalisme occidental ?

d) L’option radicale : le meurtre du père

La critique radicale consiste à s’opposer à la conception idéologique de l’homme, à l’idée de

l’homme pure et individualité absolue, maître de l’univers, pour la remplacer par l’idée de

l’homme incarné, enraciné et capable d’instaurer un ordre nouveau à partir de l’ordre déjà

établi à contester et à dépasser vers un autre ordre à la suite des débats, discussions et

harmonisation des vues et des perspectives. Bref, l’homme libre et son monde restent à

chercher et à former dans cette perspective et stratégie de la libération continue par

l’affirmation de l’autonomie et la formation à l’autonomie de l’homme et de son monde, et

cela dans et par le respect de la condition générale de l’homme et de son monde dans le

monde réel de la nature.

Mais plus radicale que jamais n’est l’option qui consiste à s’éloigner du fatalisme occidental

hérité de la légende grecque du complexe d’Œdipe. C’est-à-dire un père trop sévère qui refuse

toute émancipation et tout bonheur à ses enfants. Face aux diktats de leur père, les enfants se

défendent jusqu’à organiser le meurtre de leurs parents. Mais en quoi consiste ce meurtre du

père ? Comme le dit Benoît Okolo, « Ce meurtre est symbolique. Car il ne s’agit pas

144 A. Elungu pene Elungu, Modernité africaine : critique de la modernité, Kinshasa, Éditions Antenne sud,

2012, p.89-91 et p. 164. Il est l’un des pionniers de la critique africaine de la modernité.

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nécessairement de couper le cordon ombilical qui nous lie au père. Il est plutôt question de

ne point suivre servilement les traditions »145. Le meurtre du père, c’est une attitude

herméneutico-critique vis-à-vis des traditions, en l’occurrence africaine et occidentale.

L’attitude herméneutico-critique va au-delà d’une attitude négative accusant de tous les maux

les idéologies dominantes. Mais qui est le père, peut-on encore se demander ? Le père, c’est

à la fois le passé colonial qui fait fonction d’Œdipe et le double passé ancestral (dans sa

structuration périmée) et colonial. Le père qu’il faut assassiner est aussi bien la tradition

africaine que la tradition occidentale, lesquelles traditions sont héritées de la colonisation et

présentées comme la véritable modernité. Le meurtre du père est la condition nécessaire de

l’épanouissement même de l’Afrique moderne et de son développement. Non seulement il

faut la mort du père encombrant et gênant, mais aussi il est intelligent de prendre distance de

son odeur, de son esprit, qui plane encore et toujours sur les modes de vie, de comportement

et sur les schèmes de conception africains. Comme les Luba-Kasaï le disent eux-mêmes :

« Mukishi mubi », « Kavidye vidye » : un mauvais esprit mérite d’être éloigné

loin des humains.

Bien que radicale, cette prise de position reste symbolique. Elle prend une orientation moins

fatale pour l’homme africain, le Luba-Kasaï, plus responsable et équilibrée. Elle présage, en

réalité, la transformation profonde de l’exercice philosophique en Afrique, mais aussi la

transformation de l’organisation sociale et économique des États africains actuels. La

philosophie africaine qui, elle, est demeurée comme un corps de doctrine inamovible, vécu

unanimement par tous, fondée sur la différence entre la tradition et les coutumes africaines

et la tradition et les coutumes occidentales, soit comme un discours de médiation et de

traduction, ayant recours à la philosophie occidentale monolithique, dogmatique,

triomphante, unique rationalité valable et universelle pour la tradition africaine, ou plutôt

pour les africains. De même pour l’organisation sociale et économique qui est demeurée

comme une copie conforme à l’organisation politique des Maîtres-système, mais qui ne

corresponde pas aux réalités africaines, à l’organisation socio-politique des sociétés

145 B. Okolo Okonda, Hegel et l’Afrique, p. 115. Il pose la question fondamentale de la pluralité des philosophies

africaines autant qu’il existe une pluralité des traditions en Afrique.

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traditionnelles africaines. Pourtant, à l’image de l’éthique luba-kasaï du bonheur partagé, le

mode de gestion de la cité et de la production devrait inspirer et même façonner les contextes

de vie actuelle.

e) Vers la nouvelle modernité

Loin de nous l’idée d’adopter complètement la vie de la raison moderne occidentale supposée

universelle et d’abandonner le culte traditionnel de la vie et de la recherche commune du

bonheur. On ne critique pas la modernité pour un retour à la tradition africaine, mais bien

pour chercher un nouvel homme, une nouvelle humanité, au-delà de l’individualisme absolu

et de l’universalisme dogmatique secrétés par la modernité occidentale. Ni à gauche ni à

droite, mais au-delà de ce qui existe d’un côté comme de l’autre. On voudrait ouvrir une

perspective de salut pour l’homme africain, le Luba-Kasaï, chercher un nouveau point

d’appui, une nouvelle référence commune à tous les hommes, à tout homme, une nouvelle

relation de l’homme au monde réel de la nature. La modernité n’apparaît plus monolithique,

sans faille, elle se découvre minée de l’intérieur par une certaine volonté de puissance. La

modernité se cherche dans les méandres d’une critique rejoignant celle des postmodernes qui

brouillent les pistes et les repères. À l’exemple de Nietzche, Marx, Adorno, Heidegger,

Marcuse, etc. La rationalité moderne et tout l’ordre qui s’en suit décèle en elle une volonté

absolue qui se meut vite en dictature, assujettit et aliène les hommes et les peuples. Et

prétendant libérer l’homme par l’instrumentalisation de la nature, la rationalité moderne se

mue en obstacle à la libération du fait qu’elle tourne à sa déification. Elle dresse un mur

opaque entre l’homme et sa propre nature. Elle absolutise, défend, légitime et justifie sa

domination à travers les sciences et les technologies. Ainsi que le confirme également

Herbert Marcuse :

La méthode scientifique (identifiée à la modernité), qui a permis une maîtrise

toujours plus efficace de la nature en est venue à fournir aussi les concepts purs

de même que les instruments pour une domination toujours plus efficace de

l’homme sur l’homme au moyen de la maîtrise de la nature. Aujourd’hui la

domination se perpétue et ne s’étend non pas seulement grâce à la technologie,

mais en tant que technologie, et cette dernière fournit sa grande légitimation à un

pouvoir politique qui prend de l’extension et absorbe en lui toutes les sphères de

la civilisation. Dans cet univers, la technologie fournit aussi à l’absence de liberté

de l’homme sa grande rationalisation et démontre qu’il est techniquement

impossible d’être autonome, de déterminer soi-même sa propre vie. Car ce

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manque de liberté n’apparaît ni comme irrationnel ni comme un fait politique, il

se présente bien plutôt comme la soumission à l’appareil technique qui donne

plus de confort à l’existence et augmente la productivité du travail. Ainsi, la

rationalité technologique ne met pas en cause la légitimation de la domination,

elle la défend plutôt, et l’horizon instrumentaliste de la raison sur une société

rationnellement totalitaire146.

Entre la modernité maximale totalitaire des maîtres et la modernité minimale des africains,

on prône une nouvelle modernité fondée sur un homme nouveau agissant selon le principe

d’autonomie et selon le principe de la réalité, tenant compte de tout et réconcilié avec les

autres et avec la nature tel que la sagesse du bonheur partagé luba-kasaï le perçoit. On

voudrait une modernité libérée du complexe d’Œdipe du colonisé et du fatalisme occidental,

une modernité où l’homme africain, le Luba-Kasaï devient un être engagé en la cause

africaine et capable de se réconcilier avec des traditions dynamiques et critiques où s’exprime

la pluralité des pensées, des sagesses et des philosophies. Car la modernité aujourd’hui

semble être en crise. Sa rationalité constitutive se trouve brisée, mais multiforme ou même

multidimensionnelle. Elle revêt un caractère évanouissant, trop rapidement changeant et

même insaisissable. Elle voudrait s’ancrer sur une tradition dynamique comme celle des Luba

du Kasaï, pour un nouveau développement, un nouveau mieux-être, pour une quête commune

du bonheur, fondée sur une nouvelle éthique. C’est là qu’on peut voir le véritable rôle de

l’herméneutique philosophique. Mais bien avant cela, il est nécessaire de relever les

paradoxes de cette modernité maximale occidentale.

4. Les antinomies de la modernité maximale

a) La mission évangélisatrice et modernisatrice

Pour relever les antinomies de la modernité maximale, il convient de se référer à la mission

d’évangélisation de l’Afrique comme un exemple typique et historique telle qu’elle est

exposée par M. Kalulambi Mpongo et P. Mukuna Mutanda147. En effet, avec la mission

146 H. Marcuse, L’homme unidimensionnel, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 181-182. Lire aussi : J. Habermas, La technique et la science comme idéologie, Paris, Gallimard, 1973, ou encore Le discours

philosophique de la modernité, Paris, Gallimard, 1988, p. 68-71. Le projet philosophique est la critique des

valeurs de la modernité. 147 Nous commentons tout au long de ce paragraphe les idées de M. Kalulambi Mpongo, Être Luba au XXe

siècle, p. 17-41; et de P. Mukuna Mutanda, « La question des esclaves d’Église détenus par les pères Capucins

AU Congo et en Angola (1645-1835), Revue Africaine de Théologie 15/30 (octobre 1991), p. 163-179.

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évangélisatrice et modernisatrice du pays (la République Démocratique du Congo), le

christianisme occidental s’est imposé aussi bien au Kasaï que dans d’autres régions

d’Afrique-noire comme lieu de recherche du bonheur partagé, de dignité humaine, du progrès

social, et finalement comme cadre identitaire nouveau sur le plan spirituel, culturel et

politique. Cette situation va se consolider à travers la réinterprétation des certitudes des

peuples sur la base des symboles et langages proprement chrétiens. La mission

évangélisatrice et civilisatrice se convient sur deux régimes de vérité, l’un autochtone dit

païen, c’est-à-dire regorgeant les coutumes et tradition ancestrales, et l’autre chrétien.

Désormais, les nouveaux convertis doivent évoluer au sein des espaces dont les usages

sociaux, symboliques, culturels et matériels sont adaptés à des contextes, des conjonctures et

des enjeux liés à la situation de l’indigène. Au Kasaï, particulièrement, où le nouveau

christianisme colonial s’est implanté fortement aussi bien en ville qu’au village, la modalité

chrétienne s’est accompagnée de nouveaux récits, coutumes et tradition. En tant qu’objets

culturels et sociologiques, ces récits, coutumes et tradition ont été greffé par toutes sortes

d’images et ont créé des nouvelles configurations. Mais il va falloir planter un cadre

d’expansion du christianisme et de la modernisation en recourant aux modèles occidentaux.

La répétition de ces modèles signifie aussi le transfert des connaissances, des savoirs et des

symbolismes chrétiens. Ces modèles étaient constitués de rituels, de portraits, de tableaux ou

d’une cohorte de saints intercesseurs en faveur d’un peuple et d’une langue conçus comme

entité organique. Ces représentations visaient à substituer l’imaginaire colonial chrétien à

l’imaginaire ancestral africain, luba-kasaï et à permettre aussi l’implantation des modèles

modernes occidentaux. Le message d’évangélisation et de modernisation qui accompagnait

ce transfert ne renvoyait pas nécessairement à la question de la compatibilité entre la vie

terrestre et l’Au-delà, encore moins du rapport entre les coutumes et tradition luba-kasaï et

le christianisme ; il interrogeait l’homme et l’ordre social, mettait seulement l’accent sur la

responsabilité morale et spirituelle de l’individu devant Dieu et cherchait conséquemment à

rompre la continuité entre les ancêtres (Bankambua), les pères (Ba Tatu Bafua) et les vivants.

Par l’introduction de l’idée de la responsabilité individuelle des actes et en proposant, au

niveau symbolique, une vision du monde divisé en sauvés et en damnés, c’est-à-dire une

vision en termes d’inclusion et d’exclusion sur laquelle un tissu social peut facilement se

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greffer, le Christianisme occidental et son projet de modernisation maximale des populations

et de leurs sociétés ont eu un impact majeur aussi bien sur la structure de la personnalité que

sur la structure sociale luba-kasaï. Ainsi que l’observe aussi Émile Durkheim : « La division

du monde en deux domaines comprenant, l’un tout ce qui est sacré, l’autre tout ce qui est

profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse »148.

Dans la philosophie du bonheur partagé luba-kasaï, les structures sociales entre le sacré et le

profane ont inscrits deux ordres de réalités qu’on peut désigner comme deux espaces : l’un

étant celui du raisonnable et l’autre de l’irraisonnable. Mais en introduisant des nouvelles

distinctions, l’Église Catholique, en l’occurrence, impose une nouvelle manière de se voir et

d’envisager la quête du bonheur partagé. L’espace du raisonnable est désormais celui des

convertis et des baptisés devenus « les beena nkristo », c’est-à-dire les gens de la lignée du

Christ ou les chrétiens, tandis que celui de l’irraisonnable regroupe naturellement les non-

baptisés, « les beena diabolo » ou « les baampagano », les sujets du diable ou les païens. Les

premiers sont en effet les élus de Dieu et se veulent être les modèles de la nouvelle société

luba-kasaï, tandis que les seconds sont des damnés de la terre et refoulés en marge de la même

société.

Par cette division, le religieux civilisateur et modernisateur établit les nouvelles notions de

l’idéal du bonheur partagé luba-kasaï, de l’avenir et de la nouvelle historicité. C’est en réalité

sur ces notions que seront faits des ajustements pratiques contribuant à modifier les attitudes

personnelles et collectives et à mettre en place des projets collectifs d’action sur les

communautés luba-kasaï. Ces distinctions d’appellation et d’ajustement de pratiques

donneront naissance à une identité sociale chrétienne constituée d’individus divers et de

toutes catégories confondues. Le langage devient également ambigu semant à la fois le doute

et la confusion dans les têtes des adeptes. Dans la pratique, on observe que la typologie

sociale entre les bena nkristo (chrétiens) et les bena diabolo (païens), c’est-à-dire la

civilisation maximale moderne, a été concrétisée par la mise sur pied de trois types de

conditionnements :

148 E. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Félix-Alcan, 1960, p. 50, cité par M.

Kalulambi Mpongo, Être Luba au XXe siècle, p.25. Voir aussi : P. Mukuna Mutanda, « La question des esclaves

d’Église détenus par les pères capucins au Kongo et en Angola (1645-1835) », p. 163-179.

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Le conditionnement géographique (de l’espace) : pour répondre efficacement aux objectifs

de la mission civilisatrice et de la modernisation, on procède à l’isolement des villages

chrétiens ainsi que les individus nouvellement christianisés et convertis à la modernité

maximale de toute influence locale, c’est-à-dire païenne. Ces villages chrétiens étaient situés

autour des postes de missions qui, elles-mêmes, étaient implantées en marge des postes de

l’État.

Le conditionnement mental et sociopolitique des nouvelles communautés : la nouvelle

identité dévoile des comportements individuels et collectifs qui marquent la transformation

de la personnalité collective. En effet, les réunions collectives sont organisées uniquement

entre les beena nkristo (les chrétiens) ; la fraternité, la loi de l’hospitalité, le respect de l’autre,

le respect de la parole donnée, le partage, le vivre-ensemble, la sollicitude généreuse et la

solidarité positive clanique, l’éthique de la recherche commune du bonheur devenaient

chrétiennes ; le baptisé même s’il était un ennemi hier une fois converti devient un frère ; le

frère d’hier, membre de la même tribu, du même clan ou de la même famille (Diku), demeuré

païen, se transforme en ennemi.

Le conditionnement symbolique : on voit aussi émerger le port des chapelets ou des médailles

au cou, pose de petites croix sur la poitrine, sur les portes ou dans des champs, récital des

prières des saints accompagnés de leurs images, participation quotidienne à la messe,

l’obligation de faire le signe de croix avant et après le repas, avant de se coucher et au lever,

ou à l’occasion de toutes autres activités, etc., marque la distinction dans la vie quotidienne

des Luba-Kasaï. Les noms des lieux ou des individus prennent l’épithète chrétienne ou sont

doublés de toponymes chrétiens, etc.

Toutes ces transformations visaient d’ancrer dans la conscience collective des Luba-Kasaï

devenus chrétiens et modernes leur nouvelle identité et leur nouvelle façon de vivre et de

rechercher le bonheur partagé ainsi que le changement du contexte socioculturel dans lequel

ils allaient évoluer. Les Luba-Kasaï devenus chrétiens et modernes devaient se montrer à la

hauteur de leur nouvelle vie par un sentiment d’attachement et d’appartenance culturelle et

sociale de manière à répondre aux normes de l’institution civilisatrice et modernisatrice. La

statuette fétiche, Buanga est remplacée par la médaille, une figurine, les Bijimba, les

ingrédients servant dans la confection du Buanga pour acquérir la force, la puissance ou le

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pouvoir sont remplacés par la prière et les cérémonies traditionnelles luba-kasaï sont

également remplacées par d’autres cérémonies religieuses comme les fêtes de communion,

de Baptême, de Noël, de la Toussaint, de Pâque, la fête patronale de tel ou tel autre saint,

l’Assomption de la Vierge Marie, les anniversaires des prêtres, ou encore des chrétiens, etc.

Dans ces confinements mental, géographique et socioculturel, la désignation des autorités a

aussi changé. Désormais, la seule autorité politique valable n’est plus le chef du clan

(Tshiota) ou de la famille (Diku), mais l’autorité spirituelle du nouvel ordre chrétien et

moderne. Comme on l’a vu, dans la culture luba-kasaï, les particules de référence « muena »

(singulier), « beena » nkristo ou « beena » diabolo, (pluriel), sont des schèmes de perception

qui signifient « fils ou fille de », « Bakua », c’est-à-dire l’appartenance et l’attachement à une

communauté de vie ou à un espace géographique commun. Comme on peut l’observer dans

ces particules :

Beena Mutombo, Beena Tshilenga, Beena Nshimba, Beena Mpuka, Beena

Lubembu, etc.

Bakua Katawa, Bakua Mbuyi, Bakua Mbalayi, Bakua Longo, etc.

Beena mua Nkashama, Beena mua Kalamba, Beena mutu a mukuna, etc.

Mais dans la nouvelle configuration et dans la représentation de l’image mentale, on ne

recourt plus à ces entités ancestrales claniques ou familiales luba-kasaï, mais aux structures

identitaires fictives qui, dans tous les cas de figure, cherchent à marquer une différence de

comportement et des frontières entre les adeptes chrétiens et les autres catégories sociales

dites païennes. L’idéal du bonheur partagé luba-kasaï ne fait plus référence à Dieu Maweja a

Nangila (Dieu aimant) et aux ancêtres, Bankambua, mais au Christ et aux Saints du ciel,

Bansantu baa mudiulu baa malu mempa. Bref, la logique de la mission d’évangélisation et

de modernisation maximale construit la communauté des beena nkristo (chrétiens) sur une

structure de parenté généalogique ancestrale luba-kasaï, elle distincte les beena nkristo

(chrétiens) par le symbole d’identification qui, pour eux, est le Christ, et en vertu duquel les

prêtres blancs étaient présentés comme des parents proches et des ancêtres spirituels. Les

ancêtres blancs ne pouvaient pas souffrir d’une quelconque concurrence ni des Bankambua

(ancêtres) ni des parents morts (Batatu Bafua) qui, tous, sont désormais considérés comme

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des païens, des sujets du diable morts dans le péché. Dès lors, le Christ devient de fait et de

droit le nouvel ancêtre des communautés luba-kasaï. Comme le confirme Kalulambi

Mpongo : « Le Christ, symbole de la nouvelle communauté, peut être considéré comme

ancêtre éponyme au nom duquel les beena nkristo (chrétiens) s’engageaient à signifier aux

beena diabolo (sujets du diable) la fonction sociale diabolique qui leur était assignée »149.

En tout état de cause, cette action de modernisation et d’évangélisation a laissé transparaître,

d’une part ses propres contradictions internes et, d’autre part, deux attitudes majeures. Du

côté de la mission de la modernisation : il s’agit de l’impact des marques chrétiennes de

distinction sociale sur la personnalité des individus, sur la structure sociopolitique et sur la

recherche commune du bonheur. Du côté des Luba eux-mêmes : la résistance culturelle et/ou

philosophique contre la vérité de la mission évangélisatrice et de la modernité maximale.

b) La résistance des Luba contre la mission évangélisatrice

Après tant d’efforts fournis par les missionnaires de la modernité maximale pour faire des

évolués, des modernes et des chrétiens, l’homme Africain, le Luba-Kasaï est resté attaché à

sa philosophie de vie et à son éthique du bonheur partagé. Cela pour entre autres raisons :

Parce qu’il vit de son fonds traditionnel de théodicée et d’ontologie, qui embrasse toute sa

vie et qui lui fournit une solution complète du problème vital : la vie et le bonheur partagé.

Parce qu’il ne parvient pas à s’assimiler la vérité occidentale de la modernité maximale, que

les missionnaires se sont efforcés de lui faire adopter avec le christianisme.

Parce qu’il n’a pas réussi par lui-même à mettre son nouveau mode de vie et sa nouvelle

éthique du bonheur partagé en rapport avec ses valeurs ancestrales, avec sa philosophie

propre.

149 M. Kalulambi Mpongo, « Christianisme et image de l’Autre en Afrique belge. Les catégories de langages

dans les stratégies de dénominations », Cahiers d’études africaines 130/2(1993), p. 275-293. Voir aussi : P.

Mukuna Mutanda, « La questions des esclaves d’Église détenus par les pères capucins au Kongo et en Angola »,

p. 163-179.

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Parce que son éthique du bonheur partagé a été rejetée en bloc avec tous les usages

nécessaires par les missionnaires de la modernité maximale.

À partir de ces raisons, on peut conclure que :

La philosophie de vie et l’éthique du bonheur partagé constituent la caractéristique de

l’homme africain, le Luba-Kasaï ; il tenait à sa propre essence. L’abandonner a pour lui la

valeur d’un suicide intellectuel, culturel et spirituel. On ne peut vraiment pas s’étonner pour

autant que la mission de la modernisation et de la christianisation idéologique des Africains,

des Luba-Kasaï n’était qu’un vernis. Le fond de leur art, de leur religion, ou encore mieux de

leur philosophie de vie et de recherche commune du bonheur est resté intact et inaltéré. À ce

propos Tshibasu Mfuadi affirme : « Malgré l’existence de ces nombreuses communautés

religieuses dont l’origine est surtout chrétienne, beaucoup de Baluba continuent à se

comporter conformément à la tradition de leurs ancêtres et à prier comme eux »150.

Au demeurant, les missionnaires de la modernité maximale n’ont rien changé de l’éthique du

bonheur partagé, de la pratique religieuse et de la conception de Dieu chez les Luba du Kasaï.

À l’origine monothéiste, le peuple Luba a adhéré sans barguigner à la religion chrétienne,

introduite par la colonisation et la mission de la modernisation maximale. La pratique

religieuse luba-kasaï enseigne aussi les valeurs semblables à celles que les missionnaires

prêchaient : la solidarité positive, l’amour du prochain, l’hospitalité, la bienveillance, le

partage, le pardon, le respect des ainés, le respect des parents et des biens publics et d’autrui.

Comme le dit si bien Jean Marc Ela : « Un siècle d’action missionnaire n’a pu convertir

totalement. Pendant longtemps, il a considéré le christianisme comme la religion de la ville,

de l’Occident. Il y a un pied, et l’autre est placé dans le milieu rural, plus fétichiste »151.

Malgré cette résistance culturelle et philosophique, on peut reconnaître que la mission de

modernisation maximale a réussi tout de même à déstabiliser la vie et les structures

150 Tshibasu Mfuadi, Coutumes et tradition baluba, p.192. La résistance culturelle et philosophique des

Africains, des Luba montre bien les antinomies de la mission de modernisation des espaces et la transformation

des projets de vie des peuples. 151 J.M. Ela, « Symbolique africaine et mystère chrétien », in Les Quatre Fleuves, (Paris), n°10 (1979), p. 91-

109. Voir aussi : O. Bimwenyi Nkweshi, O., Le discours théologique négro-africain, p. 217.

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sociopolitiques à telle enseigne que l’homme africain, le Luba-Kasaï d’aujourd’hui est tombé

dans l’errance et la confusion sans précédent.

c) Les conséquences directes de l’action de la modernité

On peut encore dégager des nouvelles conséquences de cette action de la modernité

maximale. En effet, entre la modernité et la tradition africaine, l’homme Africain, le Luba-

Kasaï a choisi « l’entre traditions » au point qu’il ne sait pas aujourd’hui où jeter la braise et

la dent. Cela revient à dire que, n’ayant pas intériorisé la référence occidentale de la

modernité maximale, l’homme Africain, le Luba se retrouve dans l’errance. Le langage

devient ambigu, il doute de tout parce qu’il vit dans la confusion semée par la nouvelle

éthique du bonheur partagé. La référence à Dieu Maweja, aux valeurs et aux prohibitions

s’est effritée. Il vit sans une réelle référence au sacré, il se donne les règles et les lois qui ne

répondent qu’à ses besoins immédiats. La modernité maximale semble à ce point avoir

dépouillé l’homme Africain, le Luba-Kasaï de son désir de Dieu ; elle semble avoir démantelé

la culture et les valeurs. Aussi obstruant la véritable voie à la transcendance, la modernité

maximale a plongé l’homme Africain, le Luba-Kasaï dans un espace mental et sociologique

fictif qui le rend non seulement instable, mais également inconscient de ses capacités de

transformation de l’espace.

Face à ce vide des valeurs, il se réoriente vers les sectes, les églises messianiques,

prophétiques et millénaires. Dans ces messes, on ne cherche pas Dieu, on cherche à se créer

un bonheur matériel. Pour cela, on revient aux pratiques traditionnelles et en même temps on

applique les rites religieux chrétiens dans un contexte de misère et de pauvreté de la plupart

des personnes. Ce qui revient à dire que l’effervescence religieuse qui embrase aujourd’hui

les villes et les villages africains conditionnent les comportements et les modes de vie. Les

parents en quête du bonheur se trouvent emporter par les promesses du pasteur. Celui-ci se

faisant passer pour le porte-parole de Dieu offre ses services d’exorcismes aux parents hantés

par l’idéal d’une vie meilleure. Ces derniers doivent se débarrasser des démons qui risquent

d’effriter les chances de la réussite. Dans cette situation, les enfants font les frais en endossant

la lourde responsabilité des malheurs de leurs parents. Ils sont (les enfants) désignés par les

pasteurs comme des sorciers, et se retrouvent finalement dans la rue. Ce qui, entre autres,

explique le phénomène dit « des enfants de la rue » ou encore « des enfants sorciers » dans

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bien des pays africains. Dans la rue, ces enfants sont ouverts à tout y compris à la libre

pratique de la sexualité, voie optimale de la propagation de la maladie, du vol et du désordre.

Beaucoup d’enfants désertent l’école pour s’occuper de leurs parents réduits forcément au

chômage. Ils s’engagent dans la recherche du travail pour bien gagner de l’argent et apporter

de la nourriture sur la table familiale. Cette tendance fait peser une pression particulièrement

forte sur les jeunes filles, qui va jusqu’à leur imposer de se prostituer ou d’accepter de se

marier à un très jeune âge. La prostitution des jeunes filles devient alors un instrument de

production de moyens de survie. Ces filles ou plutôt ces enfants, une fois qu’elles ont quitté

l’école il est rare qu’elles y retournent, ce qui a pour effet majeur de limiter leur évolution,

de réduire leur chance d’une vie meilleure et d’obstruer leur relation à la transcendance.

Les femmes adultes ne sont pas épargnées. À la recherche du bonheur, elles se livrent en

proies aux prophètes millénaires et aux pasteurs. Ceux-ci s’en servent en pratiquant des rites

religieux, mais qui au fond font référence aux rites traditionnels, promettant la félicité à court

et moyen termes. Dans cette confusion, elles se laissent emporter par le prophète, alors que

celui-ci est reconnu marier. Ceci explique en partie le phénomène exacerbé de la prostitution,

de divorce et de tant d’autres situations de crise morale et de la véritable spiritualité. La

modernité chrétienne occidentale a mis dans la vie des peuples africains, des Luba-Kasaï la

crise même de Dieu et des valeurs de la vie.

Les femmes n’ont plus de règles de vie, elles se livrent au nom de la modernité maximale

aux multiples partenaires. Ce mode de vie vise l’accumulation et la recherche du bonheur

hypothétique. Par ces agissements, elles perdent leur dignité et leur place de source de la vie

et du bonheur. Les coutumes et les traditions sont relativisées. La femme ou l’homme peut

se prostituer sans crainte ni de Dieu ni de la communauté.

Tout cela est une conséquence de la perte de référence à la transcendance et aux valeurs

traditionnelles provoquée par la mission de la modernité maximale. Pourtant, la religion était

ou est encore aujourd’hui, du moins en théorie, le fondement de la morale et de l’éthique du

bonheur partagé. L’homme Africain, le Luba-Kasaï a tout perdu, il se retrouve dans le gouffre

infernal de la mort spirituelle, morale, psychologique et même physique. À tous les niveaux,

les hommes et les femmes recourent aux fétiches, à l’occultisme et aux pratiques

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démoniaques pour trouver la protection et le bonheur partagé. Bref, l’homme Africain, le

Luba-Kasaï se sent complètement dans l’errance et dans l’incertitude de la vie, mais dans le

même temps il veut vivre pleinement, il veut le bonheur. Pour cela, il se tourne vers la

rationalité moderne, la technologie et la science auxquelles il voue un culte, qu’il considère

comme la panacée, la matrice du bonheur. Mais son engouement pour les technologies laisse

planer également le doute, le désarroi et l’impasse.

5. La mutation technologique

a) L’engouement pour les nouvelles technologies

L’engouement des générations africaines pour les technologies nouvelles est une

conséquence non seulement de l’évolution normale du monde, mais aussi de l’influence

exercée sur les sociétés africaines par la vie de la raison. Les nouvelles technologies

représentent un ensemble des apports des Occidentaux dans leur rencontre avec l’homme

africain. Comme un être intelligent, l’homme cherche toujours à soumettre la nature pour la

mettre à son service. Il recherche les nouvelles technologies pour améliorer sa santé, ses

moyens de déplacement, son logement, son habillement, etc. Bref, pour sa survie.

Dans le souci de rendre meilleure sa vie, l’homme Africain, le Luba-Kasaï est aussi

convaincu que ces technologies ont une place importante dans la vie des hommes, un impact

sur le bien-être. D’où l’émergence des initiatives plus favorables qui répondent aux

aspirations des jeunes générations africaines. Celles-ci comprennent que les nouvelles

technologies constituent désormais des atouts importants pour lutter contre la pauvreté et la

misère en Afrique contemporaine. Ces atouts se reposent sur les piliers majeurs tels que :

L’internet : il contribue à l’émergence des nouveaux types d’emploi, mais aussi pour la

diffusion du savoir, des connaissances et la création des espaces matériels et virtuels pour la

communication sociale. Les nouvelles générations africaines considèrent qu’avec l’arrivée

de l’internet, l’enseignement à distance offre aux populations africaines des meilleures

opportunités d’acquérir la science et le savoir. Comme le dit Cook, « L’électronique est

devenu un commerce en Afrique. Les écoles et les universités y découvrent un véritable

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marché, et y investissent énormément d’énergie et de fonds »152. On peut même parler d’une

école globale qui enseigne et instruit le monde. Il en va de même dans le domaine de la santé

où les médecins peuvent accéder aux informations de première main sur les médicaments ou

sur les nouvelles découvertes, grâce à des revues en ligne, ou encore procéder aux

consultations de leurs patients. En outre, on assiste à une augmentation vertigineuse de

connexion à l’internet et aux réseaux sociaux.

On peut donc déduire que l’essor de l’internet dans les pays africains est devenu un enjeu

important. C’est une nouvelle ère qui marque aussi bien les jeunes générations africaines que

les responsables politiques. On a même l’impression que tous les pays du continent noir

peuvent aujourd’hui se connecter à l’internet alors que les nouvelles tendances se font jour.

Ce qui explique en partie les investissements de certains gouvernements africains dans les

domaines des infrastructures de télécommunication.

Le système de télécommunication, de sous-marin des fibres optiques ou des anneaux à

capacité d’auto rétablissement : lient les pays africains les uns aux autres ainsi qu’au réseau

mondial de télécommunication. Ceci assure non seulement une place pour l’Afrique sur

l’autoroute mondiale de l’information, mais également lui permet de devenir compétitif au

niveau du commerce mondial et de propulser son développement. Ce qui induit à affirmer

que les sociétés africaines émergentes sont en profonde mutation technologique et

scientifique. Cette affirmation apparaît beaucoup plus vraie qu’aujourd’hui l’humanité peut

se rendre à l’évidence qu’aucune information ou aucun événement ne peut passer inaperçue

parce que traitée et diffusée avec une telle précision et une pareille rapidité dans le même

temps et dans tous les milieux à travers des réseaux sociaux en plein essor. Ce progrès

technologique et scientifique, comme le dit si bien Gilbert Hottois, « est un enjeu du siècle

152 L.D. Cook, « Electronic commerce in Africa », in World Economic Forum, The Africa competitiveness

Report 2000/2001, p. 22-25. Voir aussi : J. Hellemans, « Internet, un nouveau mode de transmission des

connaissances », in Revue Africaine de communication sociale, vol. 2, 2 (juin-décembre 1997), p. 109-127;

Banque Mondiale, Gouvernance and developement, Washington D.C., 1982 ; Banque Mondiale, L’Afrique Sub-

saharienne. De la crise à une croissance durable ; Banque Mondiale, Le développement accéléré en Afrique du

sud du Sahara. Programme indicatif d’action, Washington D.C., 1981.

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qui est aujourd’hui regardé de façon impressionnante comme une vérité absolue, c’est-à-dire

comme une réalité incontournable à bien des égards »153.

Les réseaux sociaux : en effet, les systèmes de communication et les connexions à l’internet et

aux réseaux sociaux donnent des réponses au besoin de liberté qui devient de plus en plus

nécessaire et crucial. Ces réseaux favorisent les échanges et la communication de l’information.

C’est le canal par lequel les générations d’aujourd’hui s’ouvrent les unes aux autres. On a

même l’impression qu’avec les réseaux sociaux, le monde devient un village global où tous les

citoyens du monde se connaissent et se côtoient. Les réseaux sociaux permettent également

aux plus jeunes générations de voyager dans l’espace, de visiter les divers endroits de l’univers

et du monde de manière virtuelle.

Au total, on peut dire que ces piliers technologiques deviennent de plus en plus la meilleure

voie pour connaître et se faire connaître dans le monde. Ces réseaux semblent donner la

meilleure image d’une culture d’ouverture et de la rencontre des cultures, des traditions et des

civilisations, de la communion des humains et des peuples, de la pratique intense de la solidarité

positive par les sociétés montantes. Mais, en dépit de cette image positive, ces technologies

baignent également dans la crise de l’excès de liberté et dans la propagation des antivaleurs.

b) La crise des technologies nouvelles

Se fondant sur le principe de liberté, ces réseaux communiquent aussi les antivaleurs et les

contrevérités telles que :

Le viol des parcelles d’identité, des espaces d’intimités et offrent des spectacles

de nudité des femmes sans se soucier de la moindre morale et du respect du beau

sexe.

L’émergence des réseaux organisés des prédateurs et pédophiles, qui détruisent

les vies des enfants et déstabilisent les foyers entiers.

153 G. Hottois, Le signe et la technique. La philosophie à l’épreuve de la technique, Paris, Aubier-Montaigne,

1984, p.110. Voir aussi : J. Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, Paris, PUF, 1982, p. 61; D. Walton, Une

théorie critique des nouveaux médias (champ), Paris, Flammarion, 2001, p. 79-118.

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Les scènes des guerres exhibées à travers les jeux en ligne et relayées par des

discours populistes et racistes conduisant souvent les jeunes à poser des actes

odieux de tueries en série des personnes innocentes.

La propagande du terrorisme international qui a réussi à intégrer ce mode de

communication pour opérer et détruire les vies humaines à grande échelle.

La désacralisation de l’humanité qui fait qu’il n’y a plus de mystère, de référence

à quelque transcendance que ce soit.

La dévaluation du langage symbolique du point de vue de la mentalité religieuse

parce que les réalités religieuses ne sont accessibles qu’à travers un langage qui

utilise les signes et les symboles. Et du point de vue de la communication de la

vérité parce qu’il n’y a pas moyen de parler de la réalité religieuse dans le langage

de la technologie.

L’extraversion de l’homme hors de lui-même, le substituant à l’ordre des choses,

déconstruisant l’humanité par les mécanismes technologiques, et en la mettant

sur un chemin qui ne mène nulle part.

Le discrédit lancé sur les cultures qui constituent pour tout homme et davantage

l’homme africain, le Luba-Kasaï un lieu d’inhérence, les détruisant dès qu’elles

émoussent la croyance en l’homme comme valeur sacrée et maître de la nature,

mais aussi en robotisant l’homme jusqu’à faire de lui un holocauste nucléaire.

La destruction de l’être même de l’homme et des valeurs par lesquelles il y a

réellement les sociétés.

Toutes ces manières, que l’on peut qualifier de peu éthiques, montrent la fragilité des

nouvelles technologies ou plutôt de la modernité maximale au point où elles sont arrivées,

mais qui pourtant apparaissent aux yeux de ces nouvelles générations africaines comme la

clé de voûte de l’avènement même d’un nouveau monde et du bien-être humain et social.

c) Les conséquences directes de la crise

Pour dégager les conséquences directes des avancées des nouvelles technologies, il est

important d’établir ce que l’on pourrait appeler leur « religion ». En effet, les avancées des

nouvelles technologies se fondent sur une fausse religion qui n’est autre que l’efficacité

technique des machines, des appareillages de communication et de la rentabilité financière.

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Cette fausse religion, c’est également leur propre volonté auto-référée à elles-mêmes sans

ouverture à une autre dimension.

De ce constat, nous pouvons déduire :

Le fait que ces rationalités se présentent comme le lieu de la plus grande ambiguïté qui ait

jamais assailli l’homme comme être autonome. Plus exactement, alors qu’elles prétendent

servir l’homme par leurs dispositifs afin de lui apporter la sécurité d’une vie meilleure, c’est-

à-dire du bonheur partagé, elles l’exproprient de ce qui le constitue : le plus sacré de tous les

biens, à savoir, le langage comme l’habitation pensante et poétique de l’être. L’homme ne se

découvre plus en ce qu’il a d’authentique. Il n’est plus une présence qui s’approprie son être,

mais qui vit en retrait. Par voie de conséquence, la vérité n’est plus « a-letheia », dé-

couvrement, dévoilement de l’être dans son authenticité. Elle s’est pervertie en pratique

utilitaire et transformatrice des conditions matérielles.

La méconnaissance et la dépersonnalisation de l’homme lui enlèvent ce qu’il a de plus intime

et de plus humain, l’amour de l’autre. Cela signifie que ces technologies exploitent l’homme,

l’aliènent et le portent à l’état d’une bête. Aliéné, l’être humain s’impose à l’homme comme

à tout être qui pense et réfléchi.

La manipulation des technologies et des techniques conduit l’homme à détruire l’homme ; il

manipule les armes nucléaires pour tuer les êtres humains dans des zones de conflits : en

République Démocratique du Congo, au Mali, au Soudan du Sud, en Somalie, au Kenya, en

Ukraine, en Iraq, en Syrie, en Lybie, au Tchad, etc. Bref, les technologies telles qu’elles sont

utilisées aujourd’hui font de l’homme africain, du Luba-Kasaï un véritable loup pour

l’homme.

Les nouvelles technologies affectent la vie morale et religieuse. L’homme africain moderne,

le Luba-Kasaï moderne se trouve aujourd’hui dans une société, dans un monde sans garanties,

sans bouclier pour lutter contre les nouvelles créations technologiques. Les valeurs se

confondent au point qu’on peut dire qu’elles n’ont aucun sens pour lui. Il vit dans

l’indifférence et la différence. L’homme africain, le Luba-Kasaï est en crise profonde : il est

capable de mensonge quand bien même il sait qu’il ne dit pas la vérité. L’homme africain, le

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Luba-Kasaï en usant de la technique et de la science, et en les manipulant à sa guise, détruit

effectivement la vie, il proclame la disparition totale de l’homme, de sa culture, de ses

coutumes et tradition.

L’utilisation par les sectes islamistes et intégristes africaines des armes lourdes, la

construction des bombes artisanales et les pratiques de suicide induisent à détruire

massivement les vies humaines ; en utilisant les médias, l’internet et les réseaux sociaux pour

exhiber leurs actes d’horreur, ces sectes islamistes lancent un discrédit sur les nouvelles

technologies qui, pourtant offrent l’image d’un instrument de liberté, de paix, de sécurité et

de développement harmonieux des peuples et des nations.

Au regard des incohérences des traditions et des coutumes africaines, des excès, des crises et

des conséquences des nouvelles technologies, on peut être amené à renier leurs bienfaits.

Mais pour ne pas tomber dans ce piège, il est nécessaire et même indispensable d’établir un

équilibre intelligent par une réflexion philosophique entre les traditions africaines et ces

rationalités technologiques modernes.

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CHAPITRE DEUXIÈME

LA FONCTION DE L’HERMÉNEUTIQUE

PHILOSOPHIQUE

1. Le procès herméneutique

a) La philosophie comme réflexion et appropriation

La philosophie est fondamentalement considérée comme un acte de penser et de réfléchir ;

elle est une appropriation et réappropriation de notre effort d’exister et de notre désir d’être

à travers les traditions et les coutumes. Différente de l’intuition, la réflexion philosophique

est plus qu’une simple critique du jugement moral. De ce point de vue, elle devient une tâche,

une quête toujours recommencée ; comme le dit Ricœur, elle n’est pas « gegeben », mais

« aufgegeben »154. Mais cet acte de réfléchir reste tributaire d’un processus de lecture, de

déchiffrage, d’une exégèse, et donc du procès herméneutique. Or, réfléchir, penser,

argumenter, palabrer, tout cela constitue un acte de profonde intériorisation de la parole, du

discours initialement oral et qui a pu être fixée par écrit. La parole intériorisée est elle-même

une instance dialogique de l’oralité. Comme le dit si bien Buakasa, le dialogue, « le langage

ordinaire, est l’instance ultime et incontournable de toute argumentation »155. Il y a d’une

part, un texte à lire et un langage à décoder ou à déchiffrer. C’est le domaine médiatisé des

actions, des institutions politiques, économiques ou sociales, des œuvres, de l’ordre de la

signification qui est latent, impensé, caché. Et d’autre part, le texte visible, celui qui est là

devant moi est une transposition codée, enfouie dans des signes et symboles, dans des

métaphores et des actes, des monuments, des arts et littératures, des processus sociaux et

culturels. On passe ainsi de la lecture de l’explicite à l’impensé du texte implicite ou encore

mieux du discours implicite.

Sur ce fond, on peut, à la suite de Ricœur, établir une nette différence entre la phénoménologie

du symbole et l’herméneutique philosophique. La première cherche à comprendre le symbole

154 Tout au long de ce paragraphe, nous exposons et commentons les idées de P. Ricœur : La symbolique du

mal, Paris, Aubier, p. 328-335. Voir aussi : J. Grondin, L’universalité de l’herméneutique, Paris, PUF, 1993,

p.207. 155 G. Buakasa Tulu Kia Mpasu, Les sciences de l’homme. Approche de deux mondes, Kinshasa, PUZ, 1977,

p. 90 cité par A-B. Tshibalabala Kankolongo, Des interdits traditionnels africains Luba-Kasaï, p.321. Voir

aussi G. Buakasa Tulu Kia Mpasu, Réinventer l’Afrique, Paris, L’Harmattan, 1996, P. 72-74.

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par le symbole. Elle est une intelligence du symbole dans le symbole, qui aboutit à une vérité

sans croyance, une vérité à distance réduite d’où surgit la question de la croyance et de l’action

que j’entreprends des symboles qui se présentent là devant moi : est-ce que je crois à ces

symboles et qu’est-ce que je fais réellement des significations qu’ils dégagent ?

Le phénoménologue qui se pose ces questions ne cherche pas nécessairement à dégager les

liens qui l’impliquent à son entreprise, mais il se les pose comme un spectateur curieux qui

observe les choses de loin, à distance. Dans ce sens, l’effort de comprendre devient une sorte

de répétition de ce qu’il connaît, de ce qu’il sait des symboles et des récits que lui raconte le

passé, la tradition. En réalité, ce qu’il recherche c’est de donner une certaine forme, une certaine

cohérence. On peut même dire que son effort d’interprétation des symboles se limite à dégager

la cohérence et non le sens réel que cachent ou renferment ces signes, ces récits et ces symboles.

La réflexion philosophique, elle, se veut une interprétation engageante, créatrice de sens et

de significations en vue d’une transformation qualitative de la conscience réflexive, une

interprétation appliquée chaque fois à un texte singulier, à un symbole, à un mythe, à un

proverbe et un dicton, un chant populaire, une histoire millénaire d’un peuple, un art

plastique, etc. On s’éloigne donc de sa position du spectateur passif, de l’observateur

indifférent et désintéressé pour s’approprier un symbolisme singulier. Le problème ici est du

sens à écouter, à restaurer et à s’approprier, bref le problème de la vérité même du texte, du

symbolisme pour nous. Cette démarche intellectuelle n’est pas une démarche spontanée

fondée sur les émotions, sur des suppositions ou sur des comparaisons insensées des cultures,

mais une démarche permanente qui s’ancre dans la durée, qui épouse et féconde son époque.

Certes, les éléments de la culture ne sont pas nécessairement de la philosophie réflexive, mais

il reste aussi vrai qu’une réflexion intéressée posée sur ces éléments, une démarche

d’appropriation de ces éléments peut devenir une véritable philosophie. On peut même parler

de la philosophie des symboles ou des signes. Comme l’affirme Gadamer : « Je ne veux pas

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nier toutefois que dans le contexte universel des éléments constitutifs de la compréhension,

j’ai mis pour ma part l’accent sur l’aspect d’appropriation du passé et de la tradition »156.

Bref, la réflexion philosophique permet d’effectuer un double mouvement. D’abord, celui

consistant dans l’appropriation du passé et de la tradition à travers les symboles et les mythes,

la rationalité organisatrice de la société et la recherche commune de la félicité. Ensuite, celui

visant l’ouverture et le dialogue entre les traditions et les diverses rationalités du monde.

b) La contingence culturelle

La réflexion philosophique sur les éléments de la culture n’acquiert toute sa dimension que

dans la mesure où, d’une part, elle m’inscrit à l’intérieur même de mes présupposés

épistémologues, lesquelles définissent ma modernité, modernité qui se caractérise par l’oubli

du sacré, d’autre part, elle me permet de m’ouvrir à l’ensemble des symboles, des mythes,

des arts, des philosophies du monde et de n’importe quelle religion. Il s’agit là d’une prise

de distance réflexive de ma culture pour m’insérer dans la culture des autres, dans n’importe

quel symbolisme du monde. Ce paradoxe apparent que dégage la réflexion philosophique

nous incite à déterminer le contexte, le point de vue à partir duquel on peut faire la lecture

des mythes. Car c’est en assumant son propre symbolisme qu’on peut être capable de

comprendre et d’interpréter les symbolismes des autres. Ricœur y souscrit en affirmant :

Ce cercle, je l’ai assumé dès que j’ai professé que je lisais l’ensemble mythique

de quelque part, que l’espace était pour moi un espace orienté et que mon angle

de perspective était la prééminence de la confession juive des péchés, de son

symbolisme et de sa mythique. À partir de cette adoption d’un mythe,

l’appropriation de tous a été possible, du moins jusqu’à un certain point157.

On perçoit cette contingence culturelle non seulement dans sa situation actuelle propre, mais

aussi dans son univers de discours et de symboles, historique ou géographique. C’est de ce

156 G.H. Gadamer, Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, Paris, Seuil,

1976, p.19. On attribue à la pensée de Gadamer le titre d’Herméneutique des traditions en vertu de sa position

sur l’appropriation de la tradition. 157 P. Ricœur, La symbolique du mal, p. 14 et p.328 ; P. Ricœur, Le conflit des interprétations. Essai

d’herméneutique, Paris, Seuil, 1969, p.293 ; Soi-même comme un autre, p.236. Voir aussi : F. Nkombe Oleko,

Métaphore et métonymie dans les symboles parémiologiques, p. 98-120 ; B. Okolo Okonda, Tradition et destin.

Essai sur la philosophie herméneutique de P. Ricœur, M. Heidegger et de H.G. Gadamer, Lubumbashi,

Université Nationale du Zaïre (UNAZA), 1979, p.14. Thèse ; B. Okolo Okonda, Pour une philosophie de la

culture et du développement, p. 56-59.

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« quelque part » que l’on peut se poser la question philosophique de l’homme ou de l’être, et

bien sûr de la quête du bonheur partagé. Cette question peut avoir été grecque, l’histoire peut

sans aucun doute le confirmer. Mais ce qui reste important ici, c’est que tout philosophe doit

se poser la même question à partir de son espace culturel, comme un exercice intellectuel de

fusion des horizons, comme une rencontre historique et symbolique des cultures et des

civilisations. Il devient absurde de tenter d’échapper de cet espace culturel pour se mettre

hors-jeu, il faut donc l’assumer si réellement on est porté par le souci de donner du sens à la

vie.

2. La responsabilité historique

a) La conscience de la responsabilité historique

La contingence culturelle est aussi une manière de s’assumer et d’assumer son passé culturel

qu’on voudrait rendre actuel dans un monde aussi ouvert que complexe. Or, assumer son

espace culturel et son passé c’est prendre conscience de la responsabilité historique qui

incombe à chacun pour sa culture, sa tradition qu’il prétend ouvrir à l’universel et qu’il

propose en même temps comme instrument d’unité. Comme l’affirme encore Benoît Okolo,

« J’assume heurs et malheurs de mes ancêtres ; je porte le fardeau de mes faiblesses

historiques et la gloire de mes hauts faits, et dans mon agir actuel, je voudrais être le digne

fils de mon père et confirmer la réputation dont témoignent mes faits et gestes du passé en

même temps que je voudrais y apporter un correctif au besoin »158.

La responsabilité historique devient le lieu privilégié où la conscience de l’histoire rencontre

dignement l’éthique. Il ne s’agit pas de cette sorte d’éthique de la conscience qui obstrue et

limite la responsabilité à mes intentions d’agir en reniant les conséquences de mon propre

agir et celui de mes parents, de mes ancêtres et de toute ma communauté de destin qui

m’accompagnent positivement ou négativement. Il s’agit plutôt d’une éthique de la

responsabilité historique où le moi agissant s’assume pour son passé, son présent et son

avenir. Dans cette optique, l’humanité apparaît dans son histoire comme une communauté de

destin commun et ouverte qui porte le projet du bonheur partagé qui tend dans cette unité

confirmée vers un horizon de paix, de sécurité et de développement. Car nous comprendre et

158 B. Okolo Okonda, Hegel et l’Afrique, p.107-108.

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nous assumer, c’est nous recentrer sur ce qui nous constitue et nous justifie devant les aléas

de notre existence, à savoir notre histoire commune. Or, notre histoire commune est l’histoire

de ma famille, de mon clan et de ma tribu, de mon pays et de mon continent, mais aussi

l’histoire du monde qui nous façonne aujourd’hui et nous dicte des nouvelles histoires et des

nouvelles formes de vie et de bonheur partagé. Comme le dit encore Gadamer :

« Comprendre, c’est saisir d’abord ce qui nous saisit, à savoir la tradition. En vérité, ce n’est

pas l’histoire qui nous appartient, c’est nous qui lui appartenons. Bien avant que nous

accédions à la compréhension de nous-mêmes par la médiation réflexive, nous sommes déjà

compris de manière irréfléchie dans la famille, la société et l’État où nous vivons »159.

Dès lors, on peut déduire deux types de responsabilité historique : La première consiste à

nous approprier notre passé, à l’assumer pour un meilleur futur. Certes, Heidegger est le

premier à avoir déterminé le caractère universel du Dasein, de l’être-là tourné vers le futur.

Mais il reste tout autant vrai que l’être-là a son origine, il est issu d’un passé d’où il vient, il

est conditionné par une tradition, une culture et un monde. L’origine de tout « être-là »

humain revêt une signification herméneutique particulière, car c’est en vertu de cette origine

que la précompréhension est nourrie par la tradition et par la culture. La deuxième, elle,

consiste en ceci que : l’éthique du bonheur partagé luba-kasaï est pour nous cette culture qui

nous a façonné et qui nous façonne encore dans ce monde nouveau ; elle nous invite à une

meilleure prise de conscience de notre histoire. La responsabilité historique devient ainsi une

tâche et une exigence qu’il convient d’assumer et de transformer en véritable destinée pour

l’humanité. Cette contingence culturelle n’est donc pas à prendre pour un luxe ni même pour

une sorte d’indigence ; elle est celle qui suscite en nous des interrogations et rend possible

notre compréhension du double monde dans lequel nous nous trouvons. Ainsi notre

interprétation a tenu compte de la structure de notre système de penser, de notre espace

culturel (luba) sur lequel nous avons appliqué une méthode qui lui est propre. Cette

interprétation nous permet de comprendre les autres systèmes de penser, condition nécessaire

à l’élaboration d’une anthropologie philosophique africaine authentique du futur. D’où la

159H.G. Gadamer, Vérité et méthode, p.115

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nécessité d’établir un équilibre intelligent entre les sagesses africaines et les sagesses

modernes.

b) L’équilibre entre les sagesses

Des controverses apparentes entre les sagesses du passé et les sagesses nouvelles, il nous

semble nécessaire de trouver un équilibre intelligent en instituant au cœur même de ces

débats l’idéal du bonheur partagé de l’homme tel que la sagesse luba-kasaï le suggère.

Pour que les nouvelles technologies soient réellement utiles à l’épanouissement de l’homme

et davantage de l’homme africain, le Luba-Kasaï et les communautés d’aujourd’hui, elles ne

peuvent que prendre en compte aussi bien les cultures que les valeurs africaines qui, dès le

départ sont déjà bien ouvertes à l’intégration. Il s’agit de procéder à une sorte d’inculturation

de ces nouvelles technologies qui consisterait à se les approprier, à les interpréter et même à

les adapter ou à les réadapter aux réalités ou aux situations existentielles africaines. Par cette

appropriation, on les rend alors moins destructrices de l’homme africain, le Luba-Kasaï et de

toutes ses valeurs. Car dans cette Afrique en profonde mutation, le développement se fera à

la fois dans la maîtrise de la rationalité de ces technologies et des valeurs africaines. Malgré

les excès et les dérives de ces nouvelles technologies, on ne peut pas d’emblée les rejeter

comme étant totalement perverses. L’efficacité des nouvelles technologies au niveau de

ressources matérielles invite l’homme africain, le Luba-Kasaï à intégrer les progrès

technologiques dans son univers pour se préserver de l’infra-humanité, sans cependant

aliéner sa personnalité et son identité. Car il est révolu le mythe d’une tradition africaine

méprisant le matérialisme de la science et de la technique, ayant vocation d’apporter au

monde le supplément d’âmes, de religion ou de spiritualité qui lui manque et qui dérouillerait

les membres d’acier de l’homme occidental et des pays industriels n’est qu’une belle légende.

C’est donc en conjuguant à la fois la rationalité traditionnelle africaine et la rationalité

technoscientifique moderne que l’homme africain, le Luba-Kasaï forgera une nouvelle

modernité, une nouvelle destinée. Une meilleure communication et un renouvellement des

valeurs africaines requiert aussi la maîtrise de la technique et de la science. Cependant, il

serait incertain de ne considérer que la rationalité moderne comme la meilleure culture et la

meilleure méthode en décrétant l’exclusion brutale de l’apport des valeurs africaines. Il est

vrai que la raison technicienne peut marquer l’organisation politique, les projets économiques

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et sociaux de développement et la quête du bonheur partagé, mais il serait tout de même

impensable que cette rationalité ne se sert pas aussi des réalités et des cultures africaines

comme un instrument. Dans ce sens, la création dans des pays africains des écoles

professionnelles à vocation technologique peut être l’une des meilleures perspectives.

L’analyse de l’éthique du bonheur partagé luba-kasaï a montré les possibilités de

rationalisation de la société, de l’organisation étatique et de la pratique de la justice sociale.

Les méthodes de communication entre les peuples ont favorisé les rapprochements et la

solidarité entre les entités claniques et communautaires. Cette praxis sociopolitique et ces

méthodes de communication peuvent être améliorés et organisés techniquement afin d’élargir

les réseaux de rencontre et des cercles de rapprochements des civilisations et des cultures.

L’élan du travail intense des anciens peut être pris en compte et amélioré par des nouvelles

techniques de production des biens et des services à grande échelle. De l’autre côté, face aux

profondes mutations actuelles, l’homme africain, le Luba-Kasaï responsable cherchera à

instaurer partout où il se trouve, un dialogue profond et permanent entre les sagesses du passé

et les sagesses nouvelles. C’est à ce prix que s’édifiera en Afrique un monde digne de

l’homme moderne charriant ainsi tout ce qui est valable dans les différentes traditions du

monde. Seront ainsi intégrées dans son parcours, valeurs et audaces nouvelles porteuses de

vie, de bonheur et d’humanité. Mais quels sont alors des critères ou plutôt des conditions

nécessaires et susceptibles d’œuvrer à ce dialogue et à ce rapprochement des rationalités ?

c) Les conditions de l’équilibre

Le principe de l’équilibre et de dialogue responsable entre les sagesses ne peut être réalisable

que dans les conditions telles que :

L’effort de mourir à soi. L’éthique luba-kasaï du bonheur partagé exige de l’homme africain,

le Luba d’aujourd’hui le dépouillement de toutes les catégories qu’il absolutise et idéalise

comme critère de reconnaissance de l’autre, en s’ouvrant aux apports technologiques et au

prochain, pour faire de lui un Muntunanyi, un Muanetu, un frère ; un Mulunda, un ami et un

Muinanyi, un allié avec qui le vivre-ensemble et la quête commune du bonheur constitueront

la matrice de la règle d’or.

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Le devoir de renoncer à la passivité et à la résignation devant les forces hostiles de la nature,

de créer tout un arsenal de moyens techniques en vue de répondre aux problèmes d’ordre

matériel, dont l’ampleur ne cesse de croître.

L’émergence de l’esprit de création, d’invention ou d’innovation des machines et des services

en vue du progrès harmonieux du continent noir. Autrement dit, l’homme africain, le Luba-

Kasaï est appelé à redéfinir ses rapports avec la nature en la transformant de façon cohérente

et raisonnée, afin de la rendre de moins en moins hostile.

L’humanisation des structures nationales ou internationales de distribution des technologies

de manière à permettre et amener les hommes, tous les hommes à les utiliser. Car accessibles

à tous, ces technologies peuvent contribuer à l’amélioration de la qualité de la vie et au

bonheur, et même au meilleur rendement dans bien des domaines. Pour cela, les

gouvernements sont tenus, d’une part, d’engager des politiques raisonnables et rationnelles

pour imposer des services et des accès gratuits des populations à la connaissance et à la

maitrise de ces techniques et, d’autre part, de reformer le système éducatif des pays en

introduisant les études sur les coutumes et les traditions. Car c’est de la maîtrise de sa culture

que peut sortir une meilleure connaissance des productions technologiques en plein essor.

L’exigence pour les dirigeants africains de changer des modes de gouvernement en favorisant

la libre expression pour permettre aux populations de se procurer les meilleures

connaissances dans les domaines de communication et d’implantations des technologies dans

les coins des plus reculés dans différents pays. Le projet de bonheur partagé et de progrès

tient aussi à cette politique de libéralisation des espaces de débat et d’échange.

En définitive, l’herméneutique philosophique nous permet d’une part de (r) établir le dialogue

entre l’éthique luba-kasaï, la tradition et la modernité, mais aussi elle a comme tâche

d’amener les hommes à la meilleure compréhension de leur contingence culturelle et la

nécessité de l’ouverture à d’autres modes de comportement, de penser et d’agir, et à la

meilleure politique pour rendre accessible l’acquisition des connaissances et la redistribution

équitable et équilibrée des technologies nouvelles.

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CHAPITRE TROISIÈME

L’UNIVERSALISME ÉTHIQUE ET LA MÉDIATION

CRITIQUE

1. L’universalité comme unité plurielle

a) L’universalité : réalité partagée, forme et esprit

Les incidences que nous avons relevées à l’occasion du débat entre les partisans de la vie de

la raison et ceux de la tradition africaine ont laissé entrevoir deux tendances essentielles. La

première tendance est celle qui singularise les universalités. La seconde, elle, universalise les

singularités. Les singularités demeurent les faits de l’histoire, tandis que les universalités sont

des conditions de possibilité de l’existence effective de l’homme (de l’humanité). Ainsi

histoire et conscience de l’histoire appartiennent à ces conditions et à ces postulats. Mais

pour lever toute équivocité, il nous semble nécessaire d’entreprendre une réflexion sur ce que

l’on peut entendre par l’universalité avant de tirer toutes les conséquences en contextes

africains et luba-kasaï d’aujourd’hui.

Le Grand Robert définit le concept d’universalité d’un double point de vue160. D’abord, il

situe le sens de l’universalité en rapport étroit avec son origine : la logique ancienne et la

philosophie. Ici l’universalité se rapporte à ce qui a trait à l’universel. Ce qui revient à dire

que tout ce qui est universel est considéré comme étant plus général, ce qui se rapporte au

caractère commun. On va ainsi du plus général au particulier : « Tout homme est mortel »,

« Thomas est un homme », « Donc Thomas est mortel ». Dans le langage ordinaire, on s’avise

que, pour être précis, il faut éviter les termes plus généraux, un jugement qui engage tout le

monde ou encore une vérité qui prend les allures d’un absolu. Pourtant, c’est cette forme de

généralité ou d’universalité qui semble être au fondement même de tout savoir, de toute

connaissance et de toute sagesse humaine. Aristote ne dit-il pas qu’il n’y a de science que du

général ? Ainsi tout homme a naturellement tendance à rendre universelles ses pensées, ses

idées ou encore ses convictions. Il veut que ses paroles soient à portée universelle, qu’elles

soient entendues et partagées par tous les peuples, c’est-à-dire par tous les humains.

160 J. Rey-Délove et A. Rey, Le Grand Robert, Dictionnaire de la langue française, p. 2720.

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L’universalité est donc une réalité bien partagée et aussi bien discutée par les humains. C’est

cela que confirme Benoit Okolo lorsqu’il écrit :

Tout homme quelles que soient sa provenance, ses convictions, lorsqu’il porte

des jugements sur les choses, lorsqu’il énonce des vérités, tente d’exprimer

l’universalité, c’est-à-dire non seulement la généralité des choses, mais

également la prétention à la validité pour tous ses jugements et de ses énoncés.

Le philosophe européen, le sage africain ou le gourou indou formulent tous des

thèses à portée universelle même si leurs regards ne vont peut-être pas au-delà

des limites des Pyrénées, de la Ruwenzori ou de l’Himalaya, au-delà des limites

de culture, de religion ou de civilisation. Autrement dit, l’universalité paraît la

chose la mieux partagée161.

Le second sens se réfère au caractère même de l’esprit d’universalité. Il s’agit d’avoir une

connaissance sur tout et un regard ouvert à tous les humains. Ici l’esprit universel signifie

avoir de la considération pour tout ce qui est, mais aussi reconnaître l’égalité des humains et

la relativité universelle de leurs connaissances, croyances et actes, principe fondé sur leur

commune nature et leur destin commun. Car la pensée prétendue absolue et unique conduit

au sectarisme de la pensée elle-même, tandis que le relativisme universel, lui, conduit en

revanche à l’universalité. L’esprit universel s’oppose donc à celui qui est renfermé sur lui-

même, qui s’idéalise et qui ne s’intéresse qu’à ce qui a de l’importance pour lui, qui n’accepte

pas les divergences de nature, de culture, de religion ou encore de civilisation. En fait, c’est

cet esprit d’universalité qui justifie l’unité plurielle de l’espèce humaine.

b) L’universalité de fait et la vocation à l’universel

Pour mieux saisir la teneur de l’universalité comme unité plurielle, il nous semble aussi

nécessaire d’établir une différence entre l’universalité de fait et la vocation à l’universel.

L’universalité de fait se fonde sur le fait que ma singularité me différencie de tous les autres

individus ; et mon aspiration, ma vocation à l’universel m’identifie à tous les autres hommes.

Il s’agit ici d’un rapport dialectique entre l’universel, fondé sur la nature rationnelle de

l’homme et le particulier, issu de ses conditionnements socioculturels. Nous pouvons donc

ressortir cette cohérence à travers des exemples tels que :

161 B. Okolo Okonda, Hegel et l’Afrique, p.102-103. Voir aussi : Voltaire, Contes, Paris, Les Éditions de Bordas,

1968, p.99-104.

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Le respect des droits de l’homme reconnu à toute personne. Ceci signifie que, par

leur caractère formel, les droits de l’homme revêtent la marque d’universalité.

La dignité de la personne humaine : sa caractéristique fondamentale c’est sa

prétention à l’universalité.

La primauté du bien commun : sa prétention à l’universalité consiste dans le

service et la distribution du bien-vivre à tous les humains sans discrimination de

race, de culture ou de religion.

De ces exemples, nous pouvons déduire quelques nécessités :

Le relativisme universel débouche sur la cohérence de l’universalité proprement

dite comme une unité plurielle.

L’universalité comme unité plurielle désigne le caractère de ce qui concerne

l’ensemble de l’espèce humaine.

L’universalité comme unité plurielle exprime la communauté des hommes, au-

delà des cultures, des religions, d’arts ou des races.

L’universalité comme unité plurielle apparaît comme une sorte de recherche de

l’altérité, de l’unité des hommes et des cultures, de l’universel partagé : le

bonheur.

Sur base de ces nécessités, on peut conclure que la véritable logique de la recherche de

l’universel est sans conteste l’ouverture vers l’autre. Pareille détermination se réalise non pas

au prix de sacrifice, mais au prix d’une ascension philosophique, créatrice de sens et de

signification. Par exemple, une catastrophe comme le Tsunami de 2004 en Asie sud-est, ou

en Haïti en 2012, le séisme de magnitude 7, 8 qui a frappé le Népal (Katmandou), en 2015,

ou encore mieux le terrorisme international qui frappe un peu partout dans le monde, se sont

dotés eux-mêmes du caractère d’universalité, par le seul fait qu’ils ont non seulement éclairé

le destin humain commun, mais aussi ils ont amené l’humanité à la conscience de son unité

plurielle. Pareille unité récuse la prétention d’une humanité supérieure destinée au

ravalement des autres humanités, à une humanité qui ne voit qu’autour d’elle, à l’intérieur de

sa culture, sa civilisation, sa religion, ses exploits technologiques, ses arts et sa philosophie.

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Cela revient à dire donc qu’une universalité qui prétendrait à l’idéalisation, au dogmatisme

et au solipsisme de sa culture ou de sa tradition serait elle-même figée d’abord, ensuite elle

ferait obstruction aux autres et refuserait l’interdépendance pacifique des peuples et des

cultures.

c) Le caractère universel de l’éthique luba du bonheur

L’universalisme de l’éthique luba du bonheur partagé peut se justifier en trois temps.

D’abord, puisqu’elle se refuse toute idéalisation, tout dogmatisme et tout solipsisme, elle

s’ouvre aux autres et reste susceptible à toute intégration. Car une culture ne dure,

s’enrichisse et se renouvelle qu’à la rencontre des autres. Les lois morales et les principes

sont peut-être rigides, mais la rigidité n’a rien d’inhumanité, elle vise l’abondance de la vie

et le vivre-ensemble des êtres humains. À ce titre, elles restent ouvertes à l’amélioration.

Ensuite, l’universalité de l’éthique luba se fonde sur le principe selon lequel tant qu’elle porte

en elle les valeurs humaines, toute culture a une vocation à l’universel. Ainsi donc,

puisqu’elle porte des objectifs humains, l’éthique du bonheur partagé luba-kasaï, qui est,

justement, au départ tribal, peut :

S’étendre à l’ensemble des tribus et devenir intertribale, aux régions et devenir interrégionale,

aux différentes nations et devenir internationale, aux continents et se hisser au niveau

intercontinental, pratiquement au rang mondial, et finalement, être tout simplement humaine.

Permettre d’affronter les aléas de la mondialisation et les défis contemporains auxquels font

face les régimes et les peuples africains.

Se convertir en un projet politique de développement susceptible de prendre en charge, dans

les court et moyen termes, les aspirations profondes des populations africaines d’aujourd’hui

et peut-être encore celles de demain. Il s’agit de matérialiser le projet de développement de

l’Afrique pour devenir une réalité. Comme l’affirme aussi Mukendi wa Nsanga : « Les us et

coutumes des Baluba sont évidemment plus intensément vécus sur leur territoire traditionnel,

mais dans les régions non baluba de la République Démocratique du Congo (RDC), cette

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culture rayonne d’un éclat particulier : les valeurs baluba vont au-delà des simples racines

culturelles d’une population pour constituer des valeurs sociales largement universelles »162.

Enfin, à travers des formes symboliques et culturelles du travail constitutif de l’univers

public, interindividuel et interculturel et concrétisé par le langage, l’art, les médias, la

littérature et la philosophie et par un effort de communication, l’universalisme de l’éthique

du bonheur partagé luba-kasaï peut aussi :

Amener les humains à sauvegarder les différences individuelles et culturelles, et à

promouvoir une mondialisation culturelle en tant que coopération pacifique des identités

culturelles.

Susciter le désir philosophique de connaître et de s’ouvrir à l’autre, de reconnaître et

d’accepter certaines valeurs qui restent éternelles et communes, à savoir : la vie, la justice

sociale et la paix, la sécurité, la liberté et la dignité, la primauté du bien commun, le droit et

les droits, le vivre-ensemble et le bien-être de toute personne humaine.

Favoriser la coopération entre les savants et entre les peuples comme une meilleure garantie

de l’élaboration de cette éthique planétaire. L’éthique planétaire ne peut se faire que pour la

paix entre les cultures, les traditions et les religions. Elle est la voie par laquelle on peut

espérer qu’advienne dans le monde actuel la joie de la vie, du vivre-ensemble et du bonheur

partagé pour tous les humains sans discrimination ni incrimination.

2. La médiation critique et le projet pour l’humanité

a) La médiation critique

La médiation critique est un mouvement qui consiste à penser à partir de la tradition ou de la

culture pour se comprendre et comprendre l’histoire du monde. Elle est une manière de

réfléchir sur soi-même en se regardant et en regardant ses contradictions internes, c’est-à-

dire une manière de s’interpréter en se reconstruisant et en construisant l’histoire de sa vie.

Pareille reconstruction se réalise au moyen des éléments de la discursivité que contient son

162 Mukendi wa Nsanga, « Préface », in Tshibasu Mfuadi, Coutumes et tradition baluba, p.7. Ce qui fait la

différence des cultures c’est la manière de vivre ses valeurs.

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histoire, sa tradition. Cela aide non seulement à comprendre l’histoire du monde, mais aussi

à rendre présente à elle-même sa propre histoire en la reconstruisant dans l’élément de la

pensée. Il s’agit de quitter l’immédiateté de notre histoire pour rejoindre la raison dans

l’histoire. Les cultures africaines en général constituent cette médiation critique sans que la

rationalité qui les porte ne soit la même partout. Aussi la médiation critique nous permet de

nous ouvrir à l’actualité du monde moderne et de nous pénétrer de façon critique nos

traditions dans leur vérité, dans leurs certitudes. Il s’agit ici aussi de découvrir les vertus du

progrès et du bonheur partagé par une critique de son passé et de son présent. Un tel

engagement permet de récuser tout qui vient de l’extérieur et qui empiète sur sa vie et détruit

son humanité, de manière à vivre de l’intérieur. Mais comme nous l’avons montré

auparavant, vivre de l’intérieur n’exclut pas l’effort d’intégration dans l’universel par

l’accueil de l’autre. Ainsi considérée dans ce double mouvement, la médiation critique ne se

limite pas aux raisons du passé et du présent, mais se projette, à partir d’un passé et d’un

présent, dans un futur non encore advenu, de bonheur et de développement où l’égalité entre

des humains constitue le meilleur fond de l’universel.

En cela, la médiation critique devient un moment de réajustement conscient et historique

visant à éviter les contradictions et à rendre la pensée, la critique plus claire et l’action plus

efficace. C’est un moment qui consiste à se libérer tout en se remettant soi-même en question.

En d’autres termes, la médiation critique que nous proposons ici est un mouvement qui

consiste à épouser l’histoire aussi bien du monde que sa propre histoire, et en même temps

ouvre la pensée, la réflexion vers un jugement critique du monde et de son histoire. Comme

le dit Benoît Okolo, elle est donc « la réalité qui dépasse et englobe le sujet et l’objet de

lecture »163, de critique ; elle est le lieu de l’interprétation.

L’importance que nous accordons à la tradition luba-kasaï comme une sorte de médiation

critique ou réflexive ne relève ni d’un regret ni d’une nostalgie vis-à-vis du paradis perdu des

valeurs à la rencontre de la modernité, mais du souci scientifique ou du désir philosophique

de nous inspirer d’elle pour non seulement élaborer un discours critique et de dépassement

163 B. Okolo Okonda, « La tradition comme médiation et symbole du sacré », in Médiations africaines du sacré.

Actes du 3e colloque international, Kinshasa 16-22 novembre 1986, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1987,

p. 69.

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de nous-mêmes, mais aussi de tenter une médiation qui nous permette d’inventer une

nouvelle pensée susceptible de répondre aux questions existentielles d’aujourd’hui et peut-

être encore celles de demain. Il s’agit d’inventer une nouvelle anthropologie susceptible de

faire converger les peuples africains et ceux du monde à la récréation d’une nouvelle

humanité soucieuse du bien-vivre et du vivre-ensemble, de faire fléchir les cercles

concentriques de décision et des systèmes de gestion des hommes à différentes échelles, de

briser les croutes de peur de l’autre et de conservatisme dogmatique de manière à rendre

accessible le bonheur pour tous les peuples. Créatrice de signification, la médiation critique

de la tradition luba-kasaï est appelée à se convertir en un programme pour l’Afrique et pour

l’humanité ou plutôt en un programme pour une humanité plurielle plus juste et égale en

droit, en dignité et en responsabilité. Elle a aussi comme tâche de remettre à niveau les

détours de l’ordre mondial actuel pour une meilleure assomption des peuples et des nations.

b) Un projet pour l’humanité

L’esprit de l’universalité comme unité plurielle amène un éclairage sur le destin commun de

l’humanité. Bien qu’elle accompagne l’identité narrative d’un peuple, l’éthique du bonheur

partagé refuse la clôture de l’esprit et de la vie ; elle est ouverte et concerne tous les peuples

du monde. Elle joue un rôle de médiation réflexive en laissant émerger une autre forme de

mondialisation différente de celle des maîtres-système et globalistes, mais celle d’un nouveau

commencement où la responsabilité de demain part d’un partage équitable et équilibré du

bonheur, des libertés, des droits, de dignité et des moyens d’exister, après une réconciliation

avec un passé, une tradition pas toujours glorieuse pour l’homme et son histoire. Le destin

responsable décrété par l’éthique du bonheur partagé luba-kasaï s’ouvre à l’universel et au

monde comme réconciliation de l’histoire commune et comme élaboration d’un projet, d’un

programme pour l’humanité, c’est-à-dire comme le dit Galbraith, « Un programme pour une

société meilleure, unique et plurielle à la fois »164. Le destin responsable ne cherche pas

seulement à assumer son histoire, mais aussi les histoires des autres, les cultures et les

traditions des autres ; il va à la rencontre des vies particulières. Ici la tâche du philosophe

164 J.K. Galbraith, Pour une société meilleure. Un programme pour l’humanité, Paris, Seuil, 1997. Voir aussi

du même auteur : L’ère de l’opulence, Paris, Calmann-Lévy, 1986, p.101 ; S. Mbumba Tshikoji, Les questions

africaines de la mondialisation. Préface à une éthique de la solidarité universelle, Kinshasa, Centre de

Recherche et de Documentation Africaines, 2007, p. 103-117.

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africain n’est plus celle d’un agent médiateur d’un discours venant d’ailleurs et qu’il fait

simplement admirer. Il retrouve son identité en assumant de façon critique sa tradit ion et les

autres traditions.

Mais pour sa réalisation dans l’histoire du monde et dans des vies particulières des hommes

et des peuples africains, pareil projet ou pareil programme pour l’humanité se doit de se

fonder sur des nouvelles théories de l’éthique de la responsabilité, de l’action et de la

discussion suggérée par Hans Jonas, Peter Kemp, Michael Walser, Karl Otto et Habermas,

et qui cherche à donner des réponses aux défis contemporains auxquels font face les

générations d’aujourd’hui. Pour Hans Jonas, par exemple, une éthique de la responsabilité

du destin commun doit prendre en compte l’être dans sa globalité et dans ses finalités

internes. Il s’agit là de fonder le bien ou la valeur dans l’être, cela veut dire enjamber le

prétendu gouffre entre l’être et le devoir. Car le bonheur partagé, pour autant qu’il soit de son

propre fait et non du fait d’un désir, d’un besoin ou d’un choix est, justement, d’après son

concept, ce dont la possibilité contient l’exigence de sa réalité et ce qui devient ainsi un devoir

à condition qu’existe une volonté capable de percevoir l’exigence et de la traduire en agir165.

Le vouloir et le devoir devaient aller de soi compte tenu de la jouissance que l’être a de lui-

même lorsqu’il accomplit sa finalité. Mais c’est la liberté et le savoir de l’homme qui creusent

la distance entre l’être, le vouloir et le devoir et rendent urgent l’agir pour la conservation de

l’être en face de la menace du non-être. Néanmoins, dans l’agir humain, la cause n’est pas

l’homme mais le bonheur partagé, c’est-à-dire la finalité en soi de l’être pour autant que ce

bonheur partagé constitue la cause finale du devoir-agir et indirectement la cause efficiente.

Ainsi donc, le devoir s’inscrit en ligne directe à partir de l’être lui-même.

La trilogie luba-kasaï « Pouvoir, vouloir et agir (ou ordonnancement) » remplit ici son

contrat, elle se conforte à la suite de cette philosophie nouvelle de l’agir et de la valeur

proposée par Jonas. Comme philosophie du « Tiakani », c’est-à-dire de la félicité humaine,

165 J. Hans, Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Cerf, 1995, 155. Il

invite à la responsabilité vis-à-vis des risques insoupçonnés de la technologie moderne présents dans tous les

compartiments de la vie de tous les jours, mais plus encore pour les sociétés de demain, et pour la planète elle-

même par l’épuisement des ressources sur lesquelles se fonde le succès de la pratique de la technologie moderne.

Bref, les pouvoirs de la pratique de la technologie doivent interpeller et impliquer les vivants de demain, ceux

des générations futures.

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l’éthique luba-kasaï du bonheur partagé prend place parmi les philosophies nouvelles. Le

bonheur partagé ou la valeur rend l’homme comme un être irremplaçable car digne de liberté

et de droits indescriptibles et inaliénables166.

Ce projet du bonheur pour l’humanité peut concrètement se traduire dans la recherche de :

La réalisation d’une paix durable, perpétuelle des peuples et des nations. Il s’agit d’une

pacification cosmopolitique de l’état de nature entre les États, entre les peuples et entre les

religions, etc.

La globalisation (l’universalisation) des risques et des menaces. Il s’agit en effet des risques

et des menaces que provoquent le dérèglement climatique, les évolutions des sciences

biologiques ou des technologies nouvelles, le terrorisme international, etc. Car

l’universalisation des risques et des menaces affirme toujours l’unité du genre humain et

invite à assumer sa responsabilité historique devant les choses qui touchent le monde. Ceci

apparaît comme une nouvelle perspective pour une vie humaine digne de son nom.

La promotion de la discussion alimentée par le souci de la communication des formes

symboliques culturelles à la fois universelles et individuelles. Il s’agit comme le dit

Habermas, de la promotion de « L’agir communicationnel et de la discussion »167, qui joue

un double rôle, d’abord en permettant de traduire le bonheur partagé en valeur universelle.

Pareille valeur ne se consomme pas dans le renfermement sur soi, mais dans l’ouverture aux

cultures, aux traditions et aux civilisations du monde. Ensuite, en offrant des fondements

nécessaires, c’est-à-dire des fondements philosophiques à l’éthique du bonheur partagé luba-

166 P. Kemp, L’irremplaçable : une éthique de la technologie, Paris, Cerf, 1997, p. 98-103. Désireux de donner

à la pratique de la technologie moderne une signification éthique, il souligne que même si la technologie

moderne offre des possibilités à l’humanité, elle ne sera jamais en droit de traiter l’homme comme un moyen.

Les manipulations technologiques appellent nécessairement une réflexion éthique pour fixer les limites de ce

qui est acceptable. La question de l’éthique de la technologie moderne touche aussi bien l’essence même de l’homme qu’une certaine vision de la vraie vie, c’est-à-dire du bonheur partagé au sein d’une communauté

politique et historique. Bref, la technologie moderne doit servir à la promotion du bonheur de l’homme non à

sa destruction : une technologie doit bonne et non mauvaise et destructrice de la vie et des communautés. 167 J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel. I. Rationalité de l’agir et rationalisation de la société,

Paris, Fayard, 1981, p. 118-126 ; IDEM, Tome II, Critique de la raison fonctionnaliste, Paris, Fayard, 1987.

Lire aussi IDEM, La technique et la science comme idéologie, p.67-78.

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kasaï de s’accomplir dans l’ordinaire de la vie des hommes et des peuples aussi bien de

l’Afrique que du monde.

Reste qu’un projet pour l’humanité doit aussi offrir aux humains les mêmes chances de vie

et de bonheur. C’est-à-dire un programme pour une humanité égale aussi bien en droit qu’en

responsabilité.

c) Pour une humanité égale

La démocratie, la culture des droits de l’homme, l’exigence de la paix perpétuelle et la

communication sont des lieux où le monde peut vivre la solidarité positive, à travers des

engagements divers, ramenés au développement de tous les peuples. La solidarité entre les

continents et les peuples, avant de se calculer en données chiffrables et mesurables, passe par

un regard sur la vie humaine et le cours de l’histoire. Ce qui revient à briser le cercle mental

de la puissance et de la supériorité, de la recherche de l’opulence et de plus de développement

d’un côté, et de la paupérisation toujours croissante de l’autre. Dans la quête de l’universel,

c’est-à-dire du bonheur partagé, il n’y a pas, d’un côté, des hommes matériellement riches et

spirituellement pauvres de l’autre côté, c’est-à-dire une humanité riche de valeurs morales

dans une pauvreté et une misère matérielle. Ce que recherche l’éthique de la responsabilité

du destin commun ou de l’éthique de l’universel, c’est d’engendrer au monde une humanité

égale en droits, en liberté, en dignité et en développement, mais aussi égale en responsabilité

pour les générations d’aujourd’hui et celles de demain. Le rôle de la médiation de l’éthique

du bonheur partagé luba-kasaï est d’établir des rapports ou des corrélations dans la recherche

du bien-vivre de tous tels que :

Les droits égaux ayant pour corollaire une égale responsabilité des personnes et des nations

envers les autres personnes et les autres nations, une égale responsabilité de chaque

génération envers les générations futures.

L’accès des autres communautés humaines à un niveau de développement humain qui ne

peut être équivalent qu’au sien propre.

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La poursuite du développement économique. Il s’agit, comme le dit Jacques Généreux, de

« l’accès au bonheur des générations d’aujourd’hui qui ne peut correspondre qu’à l’accès des

générations futures à un niveau de développement au moins équivalent »168.

L’accès des pays les plus pauvres, en l’occurrence les pays africains, aux moyens d’assurer

les droits fondamentaux de leurs ressortissants qui ne peut pas se constituer pour les pays

riches, un objectif prioritaire par rapport à l’élévation de leur propre niveau de vie.

La recherche de la qualité de la vie des hommes et des femmes ne peut que correspondre à la

distribution équitable et équilibrée du bien-être et du bonheur pour tous.

Bref, la médiation de l’éthique de l’universel consiste dans la mondialisation de la

responsabilité pour une égale humanité répondant équitablement aux besoins de tous de la

même manière. Car l’humanité actuelle se présente comme une unité plurielle, c’est-à-dire

comme une toile d’araignée. Pareille médiation prend le visage d’une anthropologie nouvelle.

d) Vers une anthropologie nouvelle

La philosophie nouvelle que nous proposons ici consiste dans l’idée que, l’humanité est

appelée à voir ses entreprises comme étant le bien matériel, culturel, spirituel et moral de

tous les peuples sans distinction de race ou de culture. Cette philosophie fait converger tous

les peuples et toutes les nations qui aspirent au bonheur partagé, et qui ont à s’identifier et à

s’authentifier les uns en face des autres. Elle marque ainsi une nouvelle ère de l’homme et

veut faire participer à la récréation de l’humanité, de l’homme nouveau responsable de ce

qu’il crée et désire. Car tout ce qui est humain ne peut échapper à la conscience humaine

collective et historique. Ceci ouvre la voie à la reconnaissance mutuelle et à l’engagement

des uns et des autres pour l’assomption de l’humanité nouvelle que nous constituons tous.

La philosophie nouvelle vise non seulement de construire des liens entre l’économie, la

morale et la politique en se basant sur la pratique de la justice, mais aussi permet de repenser

168 J. Généreux, « Manifeste pour une économie humaine », Esprit (juillet 2001), p. 110-172. Voir aussi : IDEM,

Les vraies lois de l’économie, Paris, Seuil, 2001, p. 123-127. L’économie humaine est celle qui répond aux

besoins non seulement de l’homme riche, mais aussi à ceux qui sont dans les pays les plus pauvres de la planète.

Selon lui, la monnaie n’est pas neutre, la justice sociale n’est pas un concept creux, c’est même la condition de

l’existence d’une société, le marché ne suffit pas à faire le bonheur des humains et la concurrence à assurer

l’efficacité, l’impôt n’est pas un prélèvement obligatoire. Ce qui compte, c’est la vie de l’homme.

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nos systèmes nationaux et internationaux de la pratique de la démocratie, de gestion de droits

humains et des libertés individuelles, d’interprétation du droit international, du commerce

mondial et du partage solidaire des richesses. L’homme africain, le Luba-Kasaï en a les

capacités et la raison pratique pour s’engager réellement dans cette nouvelle marche pour

qu’advienne dans le monde actuel une meilleure reconnaissance de l’homme par l’homme.

La philosophie nouvelle consiste aussi dans le renouvellement et la réhabilitation de nos

cultures comme une donnée essentielle du devenir de l’homme et de l’humanité ; elle opère

un passage critique de la pré-philosophie à la philosophie ; elle sert de base à une meilleure

élaboration de la philosophie, de la science et de la technique en Afrique moderne ; elle donne

à la raison humaine les moyens pour la transformation historique de la face du monde.

La philosophie nouvelle est également un engagement pour la préservation de nos cultures

et traditions. Celles-ci ne s’accomplissent pas seulement de façon naturelle en vertu de la

force de préservation de ce qui se trouve exister ; mais elles demandent à être affirmées,

saisies et entretenues par la pensée. La philosophie nouvelle est essentiellement préservation

pensante. Comme telle, on la retrouve à l’œuvre dans toute transformation historique. Mais

la préservation est un acte de raison, de réflexion qui passe souvent inaperçu. Cela veut dire

que, pour que nos cultures et traditions se préservent, nous devons les innover, les raisonner,

leur donner un sens. De la sorte, elles peuvent résister et se maintenir mêmes dans les périodes

de turbulences. L’innovation ou la préservation pensante signifie aussi l’acquisition des

nouvelles pensées, des nouvelles vitalités, qui se fait dans un dialogue entre notre passé et la

modernité.

La philosophie nouvelle se repose finalement sur la loi de la fidélité et de la loi du scandale.

Comme l’affirme Ricœur : « Une culture meurt dès qu’elle n’est plus renouvelée, recréée ; il

faut que se lève un écrivain, un penseur, un sage, un spirituel pour relancer la culture et la

risquer à nouveau dans une aventure et un risque total »169. Or, le renouvellement de la culture

ne va pas sans scandale : il faut d’abord que soient brisées les fausses images qu’un peuple

ou un régime se fait de lui-même ; la loi du scandale répond à la loi de la fausse conscience.

Ainsi il est nécessaire qu’il y ait effectivement des scandales. L’Afrique est appelée à

169 P. Ricœur, Histoire et vérité, p. 297.

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accepter de se mesurer devant les scandales des prouesses technologiques modernes. Car

c’est par là qu’elle va se donner elle-même une image avantageuse dans le concert

technologique mondial. Elle peut rejoindre ce fond culturel en brisant les croûtes des

apparences d’une culture mythique et mystique. Elle peut elle-même se contester, car c’est

dans la contestation et même dans l’incompréhension qu’elle fera surgir quelque chose qui

d’abord choquera, et qui longtemps après, sera retenue comme l’expression véridique des

peuples et du continent. C’est bien là qu’émerge la loi tragique de la création d’une culture,

d’une tradition. L’Afrique ne peut pas continuer à avoir peur des montées de la modernité

ambiante car elles ne l’absorberont guère, au contraire elles pourront l’aider à contribuer à la

récréation positive de sa propre culture, de sa propre tradition et à affirmer sa propre identité

dans ce nouveau cadre marqué profondément par la mondialisation des cultures et des

connaissances. Elle ne peut pas répéter servilement le passé, les coutumes et les traditions,

mais s’y enraciner et épouser son temps pour inventer sans cesse.

Cette philosophie nouvelle a aussi comme tâche d’assumer la responsabilité d’éclairer les

peuples et les gouvernements sur les problèmes que posent à la fois nos traditions et coutumes

sur certaines pratiques, les innovations technologiques et les défis contemporains. Cette tâche

est fondamentale dans la mesure où elle procède de l’idée même que le développement et le

bonheur partagé des peuples africains et la libération du continent passent, d’une part, par la

critique de nos cultures et de la modernité et, d’autre part, par la maîtrise des mécanismes

modernes de production des biens, des services et des outils indispensables à la vie de tous

les jours, et donc à la maîtrise des procédés technologiques modernes. Pour cela, le

philosophe africain est invité à penser cette maîtrise, mais surtout à aider à résoudre le

problème d’équité dans le partage de ces innovations technologiques avec l’ensemble des

citoyens.

La nouvelle philosophie se repose sur la pureté de l’esprit de recherche. L’esprit de recherche

est celui qui est capable de prendre distance de toute idéologisation de la tradition et de la

modernité. Cela revient à dire que les philosophes africains sont appelés à aiguiser leur

intelligence de manière à ne pas confondre la conceptualisation avec l’idéologie. Pour les

distinguer, ils doivent être capables de scruter l’intention qui les anime : une intention de

vérité pour la philosophie et une intention de profit pour la sophistique. Car les deux

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intentions se confondent souvent. Cet exercice reste certes difficile, mais il n’est pas

impossible de le réaliser. Et tant qu’elle n’aura pas fait preuve de sa pureté, aucune

philosophie ne peut échapper au soupçon. Sans aucun doute, tout le monde peut succomber

à la tentation sophistique ou idéologique dès qu’il cède lui-même à la scolarisation des

concepts ou à la mécanisation de la pensée. Or, l’idéologisation est le danger permanent qui

guette le philosophe dès qu’il cesse de tenir il renonce en ce moment-là à son élan de critique

et de dépassement, mais il doit toujours se battre, tenir bon pour demeurer dans la pureté,

pour se recréer et pour jouer son rôle prophétique et médiatique, car il n’y a rien de plus

avilissant et de plus ignoble que l’idéologie, et avec elle toute interrogation, toute critique

s’arrête complètement.

La philosophie nouvelle se refuse tout fonctionnalisme délibéré qui consiste à se mettre au

service du pouvoir en étoffant pour lui les principes de direction. Le temps n’est-il pas venu

aujourd’hui pour faire de la philosophie autrement en interrogeant nos alliés, en poussant les

peuples à se prendre en charge, à penser au projet du bonheur partagé, à prendre des

meilleures décisions et à faire de la politique autrement, en les accompagnant et en les

éclairant dans leur entreprise d’élaboration des nouvelles politiques de gestion, de la

recherche technologique, de la mise en place d’un meilleur régime de gouvernement de nos

pays ?

La nouvelle philosophie devient efficiente qu’en s’engageant dans le dialogue permanent

avec les sciences et les innovations technologiques. Car au risque de s’auto-exclure, aucun

discours philosophique aujourd’hui ne peut se passer du réel, du symbolisme technologique.

Les innovations technologiques de ces derniers temps se constituent, pour le philosophe

africain, le Luba-Kasaï comme un cheminement obligé. Le philosophe africain contemporain

est invité à s’engager réellement et résolument pour intégrer dans son activité philosophique

la rationalité technologique et ses résultats avec lesquelles il peut désormais vivre, car il les

croisera toujours partout sur ses propres chemins et aussi sur ceux de la vie de son peuple.

Ceci ne détruit en rien la conscience de l’histoire et de la tradition qui l’encombrent dans le

présent. Au contraire en assumant la tradition et la modernité technologique, il élève son

activité pour le bien de son peuple et des nations africaines, pourquoi pas celles du monde.

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La philosophie nouvelle peut favoriser la participation des chercheurs au travail d’élaboration

des projets de paix, de sécurité, du vivre-ensemble, de la bonne gouvernance, du respect des

principes de la démocratie citoyenne et participative et des nouvelles politiques de gestion de

la recherche fondamentale et scientifique. Par sa participation à ces projets, le philosophe

africain prend réellement sa place de prophète, de médiateur averti et d’éveilleur des

consciences ; il renforce la détermination des populations à s’engager et à participer à la

résolution de leurs propres problèmes, mais surtout à se prendre en charge et à participer à la

création des institutions républicaines justes et meilleures. Car il n’y aura pas de véritable

bonheur partagé et de réelle indépendance ou de souveraineté pour les sociétés africaines tant

que les solutions aux problèmes auxquelles elles font face seront pensées ailleurs et que les

biens indispensables à leur bonheur et à leur vie seront produits sous d’autres cieux.

La philosophie nouvelle en tant qu’intention créatrice de sens se double aussi d’un vouloir-

faire et d’un vouloir-agir dont l’insertion dans son monde suppose la connaissance du monde

en question, c’est-à-dire la tradition ou la modernité. Ainsi elle ne trouve son sens que dans

un contexte de crise à plusieurs visages et d’écroulement de la société africaine et même

mondiale. Devant ces situations de crise, la nouvelle philosophie se doit de devenir un

véritable engagement non seulement réflexif, mais aussi et surtout politique, économique,

social et culturel. Car le philosophe africain de ces temps nouveaux qui veut changer la face

de ce continent ne doit pas marcher les pieds en l’air et la tête en bas. Il doit s’impliquer

réellement dans les schémas de développement, d’organisation des espaces de liberté et

d’expression des droits humains susceptibles de permettre l’entrée du continent dans les

traditions modernes et de l’amener à affronter avec sérénité et détermination les défis

contemporains auxquels font face aussi bien les peuples africains que les peuples du monde.

L’anthropologie nouvelle ne peut pas se passer de la question du déréglément climatique. Le

philosophe africain doit prendre en considération les jeux et enjeux des questions des énergies

renouvelables pour fonder en raison les perspectives économiques du développement du

continent et du bonheur partagé des populations africaines. On ne peut pas rester en marge

de cette réalité qui hante les communautés scientifiques et les politiques du monde

d’aujourd’hui. Dans ce concert de l’intelligence et du savoir-faire, le philosophe africain a

son mot à dire, en amenant sur la table de la pensée, les connaissances et les créations

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technologiques africaines inspirées des cultures et traditions africaines pour qu’elles soient

interrogées, améliorées et intégrées positivement dans les girons des innovations

technologiques et des nouvelles formes d’énergies. C’est de cette manière que l’Afrique

contemporaine émergente peut sortir de son isolement et peut aussi répondre au rendez-vous

du siècle des innovations technologiques.

Une anthropologie philosophique nouvelle à l’allure ambitieuse et universaliste certes, mais

qui demeure aussi réaliste et à la portée de tout chercheur africain de ces temps nouveaux.

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Conclusion

Articulée autour de la personne, de la communauté et de l’organisation institutionnelle,

l’éthique du bonheur partagé luba-kasaï peut avoir un impact évident sur les sociétés

africaines d’aujourd’hui et même se proposer comme un instrument politique de progrès et

de développement des peuples et des nations. Car tout développement est toujours déjà le

résultat d’un cheminent culturel assumé par un peuple. La cohérence du système

éthicopolitique des Luba-Kasaï est telle qu’on peut le proposer sans un moindre changement.

Mais ce serait prendre le risque sans tenir compte des aléas de l’histoire africaine marquée

par la colonisation, l’évangélisation, la décolonisation, les autonomies politiques et les

indépendances, et aujourd’hui par la mondialisation et la technoscience toujours en plein

essor. Il est nécessaire dans une entreprise scientifique de se regarder en face, d’amorcer une

autocritique pour dégager ses propres contradictions internes et ses déficits. Car il y a bien

des choses dans les cultures et traditions africaines qui ne répondent plus aux besoins et qui

ne contribuent plus au progrès et au bonheur des peuples d’aujourd’hui. Certaines valeurs

ont été perverties et même extraverties au point d’engendrer une crise morale sans précédent.

Au contact de la civilisation occidentale, le choc a été fort, si bien qu’il a exercé une sorte

d’action d’usure ou d’érosion aux dépends du fonds culturel africain qui a fait en Afrique des

grandes civilisations du passé. Ce choc se traduit par la diffusion d’une civilisation de

pacotille qui est la contrepartie des cultures et traditions africaines. La vie de la raison

s’impose ainsi sur les peuples et sur les traditions au point qu’on a eu l’impression que les

cultures et traditions africaines s’arrêtent au profit de la rationalité occidentale. Et les peuples

en accédant à cette rationalité, les leurs s’arrêtent en masse au niveau de sous-cultures. Reste

cependant une question fondamentale : Faut-il entrer dans la modernité en jetant par-dessus

bord le vieux passé culturel qui a été la raison même d’être d’un peuple, des communautés

africaines ? Comment alors entrer dans la civilisation moderne et retourner aux sources

africaines anciennes ? Comment réveiller les cultures et traditions, les systèmes politiques

africains et entrer dans la modernité ? La réponse attendue à cette série des questions n’est

pas évidente. Du moins un fait reste vrai. C’est que malgré le choc et les réactions que cela a

provoqué, l’humanité ne se constitue pas dans un style culturel fermé et solipsiste, mais bien

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dans des figures historiques et symboliques ouvertes au dialogue et à la critique, à savoir :

les cultures et les traditions.

La tâche de l’herméneutique philosophique consiste, d’une part, dans la reconnaissance de

l’ampleur de la rationalité moderne dans la marche des cultures et traditions, d’autre part,

dans un appel aux cultures de se renouveler. Or, la recréation de la culture n’est possible que

si celle-ci brave le scandale et la fausse image qu’elle se fait d’elle-même. De ce fait,

l’objectif de l’herméneutique philosophique est d’amener l’Afrique à se mesurer devant le

scandale de la modernité, de la technoscience et de la mondialisation. Car c’est par là que la

culture sera capable de se donner une autre image, une autre vie, un véritable bonheur.

L’herméneutique philosophique est aussi appelée à jouer son rôle en aidant l’Afrique à

s’enraciner dans la profondeur de la tradition, mais aussi à épouser son temps, à faire une

meilleure lecture du temps présent. Certes, l’Afrique doit rester elle-même, mais en même

temps elle doit s’approprier la rationalité moderne ; elle doit s’insérer dans la marche de

l’histoire, en proclamant la désacralisation de la nature et de la tradition. Seule une culture

qui favorise le temps, le changement et l’intégration des autres cultures, qui met l’homme en

position de maître face au monde, à l’histoire et à sa vie, est en état de survivre, de durer et

de se recréer. Et par le fait qu’elle porte en elle les objectifs humains, les valeurs humaines ;

par le fait de son symbolisme et de l’effort de communication assumé par les philosophes, la

culture luba-kasaï est en instance de renouvellement et d’universalisation.

Son universalisme éthique peut conjurer les divisions entre les peuples, les nations, les

cultures et les races ; elle peut participer à l’émergence d’une solidarité universelle

susceptible de rapprocher les solitudes et d’emmener les hommes à l’unité plurielle, à la

sauvegarde des différences individuelles et culturelles et à créer une véritable mondialisation

culturelle en tant que coopération pacifique des identités culturelles. Il pourra aussi susciter

le désir philosophique visant non seulement la transformation des certitudes et des dogmes,

mais aussi de reconnaître et d’accepter certaines valeurs constantes et universelles telles que

la justice pour tous, l’égalité de la dignité humaine, le respect des droits et de la vie humaine.

Et aussi face aux défis du temps présent, l’universalisme de l’éthique du bonheur partagé

luba-kasaï peut jouer un rôle médiatique. Cela exige l’engagement d’un spirituel, d’un sage

qui peut se lancer dans une aventure et prendre un risque complet. L’anthropologie nouvelle

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n’a donc d’autre tâche que celle d’un engagement dans une aventure d’ouverture, de

récréation et de renouvellement.

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Conclusion générale

Plusieurs démarches sont possibles au terme de cette recherche scientifique sur l’éthique du

bonheur partagé luba-kasaï. Faut-il résumer ce long parcours pour aider le lecteur à en retenir

les articulations essentielles ? Ou faut-il approfondir certains chapitres, choisis en fonction

de leur teneur et leur impact sur l’aspiration profonde au bonheur des peuples africains, des

Luba-Kasaï et de leur implication dans l’invention même de l’avenir, ou mieux du futur ?

Toutes ces préoccupations sont certainement dignes d’intérêt. Mais il nous paraît de bon

augure de restituer d’abord la problématique, la méthodologie appliquée ainsi que les

résultats escomptés avant de se tourner vers le futur. En effet, l’importance que revêt

aujourd’hui la question du bien-vivre et du développement des peuples d’Afrique, la crise de

la raison pratique ainsi que les discussions théoriques engagées par nos devanciers nous ont

suggéré l’interrogation sur les dynamiques de nos cultures et traditions comme lieu

d’émergence et de dévoilement d’une discursivité, d’une rationalité, et comme creuset du

développement. En effet, une conception statique présente la tradition africaine et le

développement comme des réalités incompatibles. Et pourtant, en son sens dynamique la

tradition façonne le bien-vivre et le développement. Si nous considérons que le

développement est une figure d’accomplissement du destin d’un peuple à travers heurts et

contradictions de sa marche historique, la tradition porte l’exigence de développement par sa

volonté d’assurer la survie et le bien-être d’une communauté de destin. Pour réaliser son

destin, chaque peuple met sur pied, construit, déconstruit, reconstruit et affine des techniques

de communication, de culture, de construction, de chasse, etc., conçoit, révise et renouvelle

des institutions, des structures, des croyances et des idées susceptibles de l’aider à cette fin.

La construction de ce corps des institutions, des savoirs-faire et des croyances est en principe

dictée par le sens du bonheur partagé, du développement et du destin d’un peuple. Sens lui-

même flottant parce que sujet à des remises en question qu’entrainent les bouleversements

du système social. Le dynamisme de ce corps, qui définit au fond le dynamisme de la

tradition, exprime l’effort de réalisation du développement d’un peuple, c’est-à-dire sa

volonté de vivre le bonheur partagé. C’est ce corps d’éléments définis qui prend en charge

le désir et le projet du bonheur partagé et du développement. Mais la tradition n’est-elle pas

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tout ce corps constitué dans son mouvement de construction -déconstruction-

reconstruction?170

Dès lors, la question centrale de la recherche était de savoir comment prouver le dynamisme

de la tradition à partir d’un peuple, d’une tribu : les Luba-Kasaï. Cette interrogation tenait

pour une bonne part dans sa consistance au fait que, chez le peuple Luba-Kasaï, la visée

éthique de l’existence humaine est le bonheur. Le bonheur demeure non seulement une quête

individuelle, mais il concerne aussi les autres membres, ainsi que les médiations

institutionnelles et symboliques. Car pour être possible, le bien-vivre doit dépasser le face à

face des relations individuelles et s’étendre à la dimension transpersonnelle, sociale et

institutionnelle. Cette perception du bonheur régit l’organisation sociale, en permettant à

chaque membre de s’accomplir socialement, en favorisant la participation de tous à la gestion

de la Cité. Ce qui nécessite l’instauration des structures politiques et sociales adéquates,

respectueuses des droits, de la dignité humaine et des libertés politiques individuelles.

Cette recherche avait aussi un autre objectif, celui de montrer que, d’une part, l’avènement

du bien-être de l’Afrique ne dépend pas uniquement du processus de conversion au modèle

occidental comme le seul dont l’Afrique ait besoin pour son bonheur et son développement.

Il s’agit de montrer la nécessité de la voie de la réconciliation capable d’articuler

dynamiquement la modernité occidentale et la tradition africaine, le principe d’ouverture,

d’intégration et d’universalisation permettant l’enrichissement dans la réciprocité, et d’autre

part, de montrer, à partir de la culture luba-kasaï, que dans les pays africains, chaque culture

doit trouver les socles éthicophilosophiques du développement harmonieux et d’une heureuse

organisation étatique. La thèse a confronté le débat théorique entre les philosophes africains

sur la question du rapport entre la tradition et la modernité au pragmatisme à travers une

interprétation des faits empiriques tirés de la culture luba-kasaï avec comme perspective une

praxis du développement et du bien-vivre des peuples d’Afrique. Elle a analysé les reprises

et les discontinuités de régulation de la question par une ouverture à l’universel de la tradition

africaine et de l’intégration de la vie de la raison dans son projet de développement.

170 J. Onaotsho Kawende, « Le développement comme œuvre de la tradition », p. 164-165.

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Ce faisant, notre recherche s’est située dans un ensemble important des matériaux

bibliographiques disponibles et même indispensables à cette élaboration. Ces matériaux

colligés nécessitaient une analyse, une critique et une interprétation. En conséquence, la

méthodologie que nous avons adoptée est une reprise des données empiriques de type

ethnologique et anthropologique tirées nécessairement de la tradition luba-kasaï dans une

perspective d’une herméneutique philosophique héritée de Paul Ricœur, et dont la visée

éthique reste celle d’une appropriation et réappropriation de l’effort même d’être et d’exister

d’un peuple. La caractéristique d’une pareille démarche est d’être une catégorie pragmatique

et non métaphysique. Elle répond à la question du qui, en déterminant un enchainement

d’événements, d’actions et portant en lui des perspectives nouvelles et des projections pour

l’avenir, pour un meilleur bien-vivre. Comme un moment d’enchainement d’une série

d’actions et de perspectives, la pragmatique est une sorte de voyage vers un accomplissement

d’une praxis de progrès et d’épanouissement.

La pragmatique nous a permis de déterminer non pas le sujet métaphysique (idem), mais

celui-là même qui est l’auteur de cet enchainement de volonté, d’actions, d’ordonnancement

et des rêves (ipse), le véritable auteur de l’histoire de sa vie. Il s’agit d’une détermination

d’un auteur et de son histoire qu’il insère lui-même dans des configurations et refiguration

de toutes les autres histoires de sa vie.

Deux moments cruciaux ont accompagné cette approche pragmatique. Le premier a consisté

dans une lecture de la tradition et de la culture luba-kasaï à partir des données ethnologiques

en vue d’en dégager une synthèse éthique et politique. Ce fut tout l’intérêt des analyses des

données empiriques réalisées dans les trois premières parties. Le souci majeur était de

dépassé le cadre purement ethnologique et anthropologique, sous un mode descriptif pour

poser la question de l’existence et de l’universalisme éthique, au regard des théories

philosophiques de P. Ricœur, H.G. Gadamer, H. Jonas, P. Kemp, K.O. Appel et J. Habermas,

etc. Cet aspect nous a introduit dans la dimension herméneutique, où le qui de l’histoire

assume son passé, son présent et son avenir. Un moment où il assume son histoire comme

sujet et comme communauté ouverte aux autres histoires et aux histoires des autres.

Le deuxième moment de la pragmatique est la recherche des incidences et des perspectives

modernes. Pour ce faire, nous avons réalisé une synthèse de grands interprètes de l’Afrique

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moderne de manière à trouver les points d’ancrage pour une fécondité réciproque entre la

tradition, la modernité et la culture luba-kasaï, sur ce projet précis du bonheur partagé. Il a

été question d’interpréter le monde africain, ici l’univers luba-kasaï de s’imprégner de ses

valeurs et d’en tirer une éthique du bonheur partagé (le Tiakani en langue Tshiluba). Cette

démarche consistait à expliquer et à comprendre les problèmes existentiels des sociétés

traditionnelles, ceux des hommes et de leurs démarches pour une société heureuse, ainsi que

leur vécu dans le monde moderne actuel. Ce mouvement est apparu également comme un

mouvement introspectif, une sorte de « médiation critique » pour une communauté humaine

pluraliste de destin commun.

En plus d’aider la recherche à avancer, ce choix méthodologique a configuré notre posture

essentiellement comme une appropriation, une interprétation et une récriture des travaux de

nos devanciers. Notre approche méthodologique a dès lors emprunté ses outils à la

pragmatique et à l’analyse critique des discontinuités épousées par des spécialistes de la

philosophie africaine. La démarche de la recherche a reposé sur le principe d’inférence

descriptive et a développé une relation interactive entre la description et l’explication,

l’analyse et l’interprétation. Cette double approche que nous avons alimenté par la facticité

des faits et leur identification non comme des données a eu pour conséquence d’ordonner la

matière de la thèse autour de deux axes, à savoir le procès de la tradition africaine et la critique

de la modernité.

Cette recherche a touché aussi plusieurs disciplines scientifiques dont les sciences sociales,

l’anthropologie, la sociologie, la morale, le droit, la linguistique, la psychanalyse, la

psychologie, l’histoire, la théologie et la philosophie. En nous rendant à l’évidence de leur

originalité et de leur fécondité, nous avons opté de faire intervenir toutes ces disciplines en

recourant à « la méthode architectonique et triangulaire », proposée par W. Bongo-Pasi

Sangol et A-B. Tshibalabala Kankolongo, comme une particularité méthodologique en

philosophie africaine. Car, vue l’immensité du champ de recherche, la seule méthode

philosophique ne pouvait suffire. C’est pourquoi, il nous est apparu nécessaire de recourir à

cette autre méthode qui visait une analyse épistémique des différentes sciences en présence.

Grâce à elle, nous sommes arrivés à coordonner et à utiliser plusieurs perspectives

constructives et structuralistes, appropriées à chaque discipline impliquée dans cette

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recherche, pour ensuite remobiliser l’herméneutique philosophique, qui est une approche

théorique, critique et contrôlable, dans le souci de faire plier la technique et la science aux

objectifs proprement humains, ceux des sociétés et des communautés africaines montantes

d’aujourd’hui et, d’autre part, à s’appuyer sur la pragmatique qui invite à une conscience de

la responsabilité historique aussi bien des Africains que des autres peuples du monde.

Ce dispositif de recherche articulé fondamentalement sur l’analyse critique et l’interprétation

des données empiriques en vue d’une praxis du bonheur et du développement, forme un

moment épistémologique de la recherche, qui vise à lui donner une pertinence scientifique a

été récompensé par les résultats obtenus.

Ainsi adossé à des auteurs de référence et encrée dans la pragmatique, notre protocole de

recherche nous a permis à entreprendre un véritable voyage philosophique et épistémique en

analysant et en interprétant les données anthropologiques tirées de la culture luba-kasaï, à

partir des faits et phénomènes, événements et situations historiques, actions et rêves d’un

peuple, d’une communauté ou d’un individu. Ce voyage a abouti à quatre acquis essentiels.

Une meilleure intelligence du projet d’existence du peuple luba-kasaï, à travers la

pragmatique de communication. Renonçant à définir a priori le concept du bonheur partagé,

nous l’avons construit en analysant et en interprétant, mais surtout en dégageant les

concordances et les discordances, les reprises et les discontinuités, les continuités et les

ruptures de l’identité narrative du peuple Luba. Ces moments de configuration nous ont

amené à établir une corrélation entre la narration des récits, des contes, des proverbes, des

dictons, des mythes, etc., avec les sujets, les personnages de ces faits et événements de

l’histoire du peuple Luba-Kasaï.

Une meilleure lecture de l’identité personnelle, de l’histoire de la vie d’un peuple. Si la

configuration de l’identité personnelle détermine l’unité de signification, de sens à son

histoire, à sa culture, à sa tradition, les faits et les événements racontés dans un conte ou dans

un mythe, ne peuvent se comprendre que quand ils laissent transparaître une signification.

Ce moment de refiguration devient intelligible que lorsque la lecture du récit brise sa clôture

et oriente le pas vers les autres sujets et les autres récits. Sa contingence culturelle ouvre

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toujours vers les contingences culturelles des autres. Ceci donne sens au destin commun de

l’humanité.

La meilleure conscience de la responsabilité historique. Il s’agit d’une responsabilité éthique

où le sujet de l’histoire lui-même s’assume pour son passé, son présent et son avenir. Ici,

l’humanité apparaît comme une communauté ouverte, une communauté du destin commun.

Ce destin responsable et ouvert n’est pas le destin d’un seul peuple. Il est le destin de tous les

peuples. C’est ici qu’émerge l’idée de l’équilibre des sagesses du passé et d’aujourd’hui,

d’une nouvelle anthropologie engageante et de la vraie mondialisation, non pas celle des

maîtres-système globalistes, mais celle d’un nouveau commencement où la responsabilité de

demain part d’un partage équitable et équilibré des libertés politiques individuelles, des

droits, de dignité et de bonheur, après une réconciliation de chaque peuple avec son passé.

La volonté d’avenir revendique et exige de se tourner vers le futur pour l’interroger, le

dompter et le réinventer. Car, comme le dit R. Garaudy, « La chance du futur, c’est qu’il

succède au présent et au passé, et en même temps, il s’en encombre et s’en constitue »171. Il

s’agit, comme le dit aussi H. Jonas, de poser des véritables bases « pour une éthique du

futur »172. Les analyses critiques réalisées dans ce travail doivent avoir inscrit une

contribution majeure à l’invention du futur, de l’avenir.

Édifier l’avenir, le futur pour l’homme africain, le Luba-Kasaï, c’est aussi porter un projet

clair et bien étoffé qui prenne en compte, dans les court et moyen termes, les aspirations

profondes des peuples au bonheur et au développement ; qui détermine les contours et le

contenu des axes prioritaires du développement, mais surtout qui remette en cause toutes les

idéologies dominatrices et inutiles qui obstruent et empêchent le décollage du continent noir.

1. Le piège des idéologies inutiles

La question de l’intégration de la rationalité technoscientifique dans le processus du

développement de l’Afrique implique une nouvelle prise de conscience de la responsabilité

à assumer et des choix politiques à faire. Mais il est paradoxal de constater que, face à la

171 R. Garaudy, Parole d’homme, Paris, R. Laffont, 1975, p.87-102 172 J. Hans, Pour une éthique du futur, Paris, Rivages Poches, 1997, p. 56-58.

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question du développement du continent et du bonheur des peuples, les responsables

politiques africains opèrent des choix qui cadrent peu ou pas du tout avec les objectifs du

progrès. Dans bien des cas, ces choix ne sont pas préférentiels dans la mesure où ils ne servent

que les intérêts des régimes et des hommes qui les régentent. Pourtant, un nombre important

des projets de développement a été présenté et d’énormes sommes d’argent ont été engagées

aux « Aides au développement » et aux « Plans d’action pour le développement » du

continent. Rien de tout cela n’a servi le progrès et le bonheur des peuples. Les raisons sont

autant multiples que diverses. D’abord, du fait que ces plans étaient mal conçus et mal

exécutés, les hommes au pouvoir ont trouvé l’occasion d’accumuler les richesses. C’est

autant dire que les Aides au développement sont souvent détournées et placées dans des

banques étrangères servant ainsi à l’achat des grands palais et des voitures de luxe ; à la

formation des milices du régime et à la sécurité du chef de l’État et de son clan politique. Les

besoins pour lesquels ces capitaux sont octroyés sont bien souvent relégués au second plan.

Ce dysfonctionnement est souvent imputé au mode de gestion calamiteux des responsables

politiques africains. Ceux-ci semblent s’habituer à biaiser les perspectives de progrès de leurs

pays. Ce qui fait dire à Kä mana : « En en amont comme en aval, la crise du développement

en Afrique est le résultat des idéologies inutiles »173. Ce piège éclabousse aussi bien les pays

donateurs que des organisations financières internationales, en l’occurrence la Banque

Mondiale et Le FMI. Les Aides au développement sont souvent soumises aux diktats

imposant des modes d’emplois et l’austérité. Les responsables politiques africains, souvent

soupçonnés de corruption et entamés par la malversation financière, se prêtent à accepter les

ordres et les choix qui ne répondent que peu aux perspectives politiques du développement.

Aussitôt perçues, ces aides servent à la construction des grands palais dans le village du chef

de l’État, à l’achat des armes, à l’organisation des somptueuses fêtes du parti et des

indépendances, à célébrer des mariages, à la location des avions luxueux pour des voyages

privés du chef et des membres de son clan politique, au soutien financier des campagnes de

173 Kä mana, Destinée négro-africaine. Expérience de la dérive et énergétique du sens, Paris, L’Archipel, 1987,

p. 48-51. Voir aussi : Kä mana, L’Afrique va-t-elle mourir ? Essai d’éthique politique, Paris, Karthala, 1993, p.

78-79 ; S. Mbumba Tshikoji, L’humanité et le devoir d’humanité. Vers une nouvelle destinée pour l’Afrique,

Paris, L’Harmattan, 2010, p. 216-217.

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leurs amis occidentaux dans le souci de trouver des garanties nécessaires pour le pouvoir et

pour garder leur image de marque.

Le dysfonctionnement de ces idéologies inutiles est également le fait de l’installation des

grandes machines industrielles et des technologies à la mode qui, malheureusement, ne

peuvent pas être gérées adéquatement par les Africains faute de formation et d’éducation

dans la matière. Ce modèle de développement a fini par être qualifié de « Développement

d’en haut », dont l’échec est à la hauteur de la mauvaise conception du projet de

développement. Pourtant, le développement d’un peuple est avant tout une culture, un

cheminement culturel bien assumé, une vision du monde dont la visée éthique reste le

bonheur partagé. Pareil projet exige l’implication et la participation des populations, non

d’une frange des cadres du régime, dont l’extraversion sert leurs propres intérêts. Pour être

réel et durable, le projet du développement de l’Afrique est à assumer, d’une part, comme

une histoire et une culture et, d’autre part, à intégrer dans l’imaginaire des peuples africains

comme un idéal et un mode de vie. C’est cette perspective du « Développement d’en bas »

qui aurait dû être comprise comme une véritable destinée des populations. L’idéal du bonheur

partagé et du progrès relève de la meilleure connaissance de soi, de ses principes de vie et de

sa propre culture et tradition. Car la vitalité de la culture et de la tradition est le plus grand

soutien des peuples dans leur lutte pour la libération et l’édification d’une société capable

d’affronter les problèmes de notre temps. La médiation critique de la culture et de la tradition

constitue pour ainsi dire le paradigme nouveau du développement et de la quête du bonheur

partagé des peuples et des États africains.

La formalisation mathématique ou cartésienne du processus du développement de l’Afrique

reflète également davantage un produit idéologique qui colle à une doctrine occidentale. Ceci

revient à dire que relié aux pratiques de la démocratie, de respect des droits de l’homme et

d’un État de droit, le processus de progrès n’est possible que s’il s’accorde à ces

conditionnalités politiques et idéologiques. Ce réductionnisme n’a fait qu’éloigner le

véritable développement et obscurcir la destinée des peuples. Le développement de l’Afrique

doit devenir une histoire et une culture. L’idéologisation de ce processus n’est pas de nature

à amener le continent noir au progrès tant espéré. S’obstiner à imposer ce schéma entraîne la

méfiance et le doute sur les autres plans d’actions. Certes, l’invention du futur tient aussi à

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l’ouverture de l’espace politique, mais cette conditionnalité ne peut pas demeurer rigide au

point d’en faire dépendre tout projet de développement. La démocratisation de l’espace

politique ne peut pas être érigée en condition ultime. Agir de cette manière, c’est rendre cette

démocratie impossible, c’est tomber dans le piège de l’idéologie. Car, nous semble-t-il, c’est

la pauvreté et la précarité qui maintiennent encore les populations africaines dans

l’indifférence vis-à-vis des questions politiques. L’essentiel aujourd’hui reste la prise en

charge de ces aspirations profondes en évitant toute idéologisation du processus de progrès.

2. Les aspirations profondes

L’édification de la vie future passe par un nouveau projet politique de développement basé

sur les réelles aspirations des peuples. Les multiples besoins qui sont à la base des

revendications sociales est une conséquence logique d’une carence d’un projet cohérent et

réaliste. La difficulté est que, bien des gouvernements africains tournent autour des

idéologies qui ne servent que peu l’évolution, l’innovation et l’audace d’une vision tournée

vers l’avenir. Dans un tel contexte de crise de la raison pratique, le bonheur de l’Afrique étant

demeuré une question irrésolue, les revendications sociales deviennent des expressions de

ces besoins. Ceux-ci semblent être diversifiés. Il est donc plus que nécessaire de les

restructurer, de les regrouper à trois niveaux de manière à les rendre plus compréhensibles.

Il s’agit des besoins d’ordre politique, social et communautaire. En effet, face à l’évolution

du monde actuel, les générations africaines montantes expriment le besoin de changement

dans la manière de gouverner et d’administrer les États. Par changement de mode de

gouvernement, on peut entendre l’idée du respect des droits et libertés politiques

individuelles de la personne. Car une meilleure administration est celle qui prend la mesure

de la libération de la parole et de l’exercice des droits fondamentaux des peuples. En dépit

des incidences que le dynamisme démocratique peut avoir sur le mode de vie, ces aspirations

demeurent l’épine dorsale d’une vie épanouie dans une société démocratique à visage

humain. Les sociétés africaines d’aujourd’hui et du futur exigent des responsables politiques

la réalisation même minime de la libéralisation de l’espace public comme lieu d’émergence

d’un meilleur vivre-ensemble et d’un savoir-être. Bref, il s’agit des besoins du pluralisme

politique et démocratique ; lequel pluralisme peut permettre la mise en place des institutions

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fortes, justes et meilleures. Pareil rêve exige un engagement aussi bien des peuples que des

élites politiques et intellectuelles.

Outre les besoins politiques et institutionnels, les aspirations sociales deviennent dans ce

cadre de la mondialisation, de plus en plus cruciales. Les populations africaines de ces temps

nouveaux exigent des responsables politiques, qu’à défaut d’inscrire leurs aspirations à une

meilleure vie, au bien-être dans un projet politique à long terme, ils puissent donner à ces

populations un minimum de bonheur. Par un minimum de bonheur, on peut entendre la

possibilité d’une existence digne qui intègre à la fois :

Le travail rémunérateur pour tous ceux qui sont en mesure de travailler.

Les soins de santé appropriés.

L’accès facile à l’eau potable.

L’amélioration de la qualité de l’enseignement et l’accès à l’éducation de tous

les enfants sans discrimination ni de sexe ni de rang social.

L’accès facile et sans discrimination des hommes et des femmes aux postes de

responsabilité, il s’agit de faire la promotion de l’équité et de l’égalité de chance

pour tout citoyen.

L’assistance sociale aux personnes invalides.

La disponibilité des produits de première nécessité sur les marchés.

L’amélioration de la qualité de la vie des personnes vivant dans des villages.

L’urbanisation rationnalisée pour éviter les constructions anarchiques qui

s’accompagnent souvent des glissements des terrains qui emportent les maisons

et les vies humaines lors des pluies diluviennes.

L’assainissement de l’environnement pour le rendre plus fiable pour les

populations, mais surtout entrevoir le projet de protection de la nature pour

répondre efficacement à la question du dérèglement climatique, et de faire la

promotion d’une économie moderne basée sur les énergies renouvelables :

l’économie verte.

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Ces besoins sociaux prennent aujourd’hui le visage de ce qu’on désigne à juste titre par « La

justice sociale ». C’est ce désir de justice sociale qui semble justifier les revendications, les

révolutions populaires et les indignations des populations sur le continent noir. L’autorité

politique censée être rationnelle et raisonnable non seulement se propose la justice sociale

comme l’élément détonateur de son action politique, mais également comme la sève sans

laquelle son programme politique est voué à l’échec. Par l’application de cette justice sociale,

l’autorité politique fédère autour d’elle-même et de son projet l’ensemble du peuple.

D’ailleurs tous les bénéfices politiques lui reviennent à travers l’adhésion massive des

populations à l’idéal de son projet de progrès et de bonheur partagé.

Les sociétés africaines émergentes d’aujourd’hui et du futur, représentées souvent par les

mouvements civils de défense des droits et libertés, expriment le besoin de la paix durable et

de la sécurité, de l’indépendance des instances judiciaires et des administrations publiques.

En garantissant l’autonomie judiciaire et en entrevoyant la justice équitable pour tous les

citoyens, on lutte contre l’arbitraire de la loi, des hommes et des systèmes. Ces besoins

communautaires s’imposent dans toute entreprise politique et dans toute forme

d’administration. Or, on observe encore que les dirigeants politiques africains ont tendance

à privilégier les élites politiques en leur garantissant au maximum la sécurité, la justice et la

paix sans se soucier des populations entières. L’avènement des meilleures sociétés africaines

du futur ne peut être possible que si les responsables politiques d’aujourd’hui élaborent un

projet politique qui se fonde sur ces aspirations sociales et communautaires de la paix et de

la sécurité. Cette paix et cette sécurité sont à promouvoir, à renouveler comme un

commandement auquel doit répondre toute responsabilité politique. Étant entendu que la

violence est inhérente à la nature même du pouvoir, il devient particulièrement urgent, pour

un meilleur futur des peuples, d’établir l’autonomie de la loi et son caractère universel en

l’imposant à tout citoyen comme un principe de souveraineté et de progrès social. Car sans

le respect de la loi commune, il ne peut y avoir l’ordre public. Le fait que la justice est

seulement garantie aux riches et aux élites politiques entraîne souvent des crises

communautaires et constitutionnelles, qui dégénèrent en subversion et révolution populaires.

Cet état de chose qui devient malheureusement chronique en Afrique, contraste

fondamentalement avec l’idéal de la protection de la vie, du vivre-ensemble et de l’équilibre

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social dans la communauté politique et historique. Il est donc nécessaire, pour un meilleur

avenir des sociétés africaines, de se recentrer pour revenir à une meilleure organisation, à une

modernisation des instances judiciaires et à donner à la loi commune toute sa rigueur et son

autonomie de manière à éviter toute corruption et tout bradage de l’appareil étatique.

3. Les axes prioritaires du bonheur et du développement

La construction de l’avenir de l’Afrique passe par des choix stratégiques et prioritaires. Ces

choix concernent les domaines tels que : l’éducation, la recherche fondamentale et

scientifique, l’agriculture et l’eau potable, la modernisation et la simplification de

l’administration publique, l’assainissement de l’environnement, la protection de la nature et

la construction des infrastructures. Pareils axes deviennent exigeants et urgents eu égard à

l’ampleur du sous-développement du continent noir.

D’abord, l’éducation. Selon les estimations du Programme des Nations Unies pour le

Développement, le PNUD, et des experts indépendants, la pression démographique est un

facteur essentiel dans le processus de développement des pays en voie de développement174.

La croissance démographique rapide des populations africaines qu’on observe aujourd’hui

est du jamais vu dans l’histoire de l’humanité. Une extrême jeunesse de moins de vingt ans

représente plus de cinquante pour cent des habitants et de la population active du continent

noir. Malheureusement, c’est la population qui reste analphabète ne sachant ni lire ni écrire.

Pourtant, les dernières statistiques de l’OCDE de 2007 et de 2010 affirment que la jeunesse

du monde reste africaine. Se pose ainsi la question de l’éducation de cette jeunesse africaine.

À en croire ces statistiques, on peut dire que la carence d’une politique africaine en matière

d’éducation de la jeunesse constitue un frein majeur au développement du continent. On a

même l’impression qu’aucun effort de la part de certains pays pour prendre en compte ce

secteur ne semble être entrepris, et aucune mesure nécessaire ne paraît être prise pour

procéder à la reforme, à l’amélioration de la qualité de l’enseignement et à la construction

des infrastructures. L’enseignement est resté trop théorique et inadapté aux besoins des pays

et aux réalités du monde moderne en perpétuelle mutation. Pourtant, l’éducation dans les

174 S. Mbumba Tshikoji, Le pouvoir de la paix en Afrique en quête du développement, Paris, L’Harmattan, 2013,

p. 123-127.

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sociétés africaines traditionnelles en général et luba-kasaï en particulier était organisée non

seulement de manière à répondre aux besoins des populations, mais aussi elle constituait un

lieu de croissance et d’acquisition de la maturité humaine. Aujourd’hui, tout ne semble pas

coller à la réalité et à l’évolution des situations africaines et du monde. Pour un meilleur futur,

les responsables politiques africains peuvent imaginer des reformes substantielles en

garantissant l’accès universel à un système éducatif de bonne qualité ; en augmentant le

budget alloué à ce système ; en favorisant l’accès gratuit aux études pour les primaires et les

secondaires ; en rendant fiables et viables les universités nationales ; en améliorant les

conditions sociales du personnel enseignant, plus particulièrement pour assurer la prise en

charge des déficits budgétaires qui en résulteraient. Bref, les responsables politiques des pays

africains peuvent, dans le cadre de l’Union Africaine ou des organisations régionales,

procéder à une mise en place d’une politique globale de la réforme du système éducatif adapté

aux besoins réels du développement et aux mutations technologiques en plein essor. Ceci est

la voie royale de l’avènement du bonheur partagé pour les générations africaines du futur

À la question de l’éducation est rattachée celle de la recherche fondamentale et scientifique.

En effet, la recherche apparaît à tout point de vue, comme le lieu où se célèbre la grande fête

de l’universalité. Ce, dans la mesure où elle caractérise l’homme, tout homme dans son

besoin naturel de connaître et de savoir. La recherche fondamentale et scientifique, dans ses

aspects science et technologie, reste ouverte à tous les peuples et à toutes les cultures. En ce

sens, la recherche devient un bien universel et même universalisable. Avec le développement

industriel et technique, les frontières se sont brisées au bénéfice de l’interdépendance et de

la naissance du village global de la recherche. Et du fait que la science et la technologie

constituent la scène du rendez-vous de l’universalité de l’humanité, les chercheurs se trouvent

amener à vivre dans une double communauté d’appartenance et d’attachement. D’une part,

l’appartenance à la communauté nationale qui les accueille, leur donne les moyens

nécessaires d’effectuer leurs recherches, de réaliser leurs travaux et de les interroger sur ces

derniers. D’autre part, l’appartenance à la communauté scientifique et culturelle mondiale

qui leur donne la possibilité de vérifier, de valider le niveau des résultats de leurs recherches

et d’amplifier l’éclosion de leurs idées. C’est sur ce double fond d’appartenance que nous

pouvons tirer les implications au développement de l’Afrique du futur. Au niveau de chaque

nation, les responsables politiques ont la charge d’intégrer la question de la recherche

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fondamentale et scientifique non seulement en élaborant des plans de recherche, mais aussi

en affectant des moyens financiers conséquents à la promotion et à l’émergence des nouvelles

générations des chercheurs et de la nouvelle culture de la recherche scientifique. Reste aussi

que la meilleure perspective politique de la recherche doit être orientée dans le champ de la

protection de la nature, du réchauffement climatique et de l’adaptation de l’économie à

l’énergie nouvelle dite verte. Au niveau international, en interchangeant des expertises et des

connaissances dans les domaines des technologies de communication, de la science

biomédicale, des énergies renouvelables, des technologies de traitement des déchets, de l’eau

potable et de l’agriculture. Car l’avènement du progrès et du bonheur partagé ne sera possible

qu’à travers une appropriation des connaissances technologiques d’aujourd’hui d’abord, et

par le biais d’une politique cohérente et soutenue en matière de recherche et de

développement, par la suite. En mettant en œuvre une telle politique, les responsables

politiques des pays africains se rendront compte du bon niveau de la recherche scientifique

et de l’éducation qu’ils auront réalisé et de freinage de l’exode massif des cerveaux et de la

jeunesse qui traversent les forêts, les mers et les océans à la recherche d’un bonheur

hypothétique dans des pays occidentaux.

Les successifs sommets des altermondialistes soulignent l’importance des énergies vertes et

des conséquences néfastes provoquées par le manque d’eau potable dans les pays du Sud. En

ce que concerne les énergies renouvelables, les scientifiques et les mouvements sociaux

révèlent qu’elles sont nécessaires pour résoudre l’épineuse question de la pollution et du

dérèglement climatique. Pour les sociétés africaines de demain, les énergies vertes

deviennent une chance pour la croissance et la promotion d’une nouvelle forme d’industrie.

En considérant la carence de l’eau potable sur le continent, en l’occurrence dans les pays de

l’Afrique de l’Ouest et de l’Est, on peut dire que cette crise est une bombe à retardement.

Beaucoup de pertes en vies humaines sont le fait des microbes souvent charriés par des eaux

insalubres que consomment les populations. Le réchauffement climatique constitue l’une des

causes de la pénurie de l’eau dans ces pays. La sécheresse occasionne la mort des plusieurs

milliers des personnes et des bétails, détruit les écosystèmes, la flore et la faune et pollue

l’environnement. Ce constat incite à imaginer une nouvelle perspective politique en en

mesurant le coût pour un meilleur développement du continent. Car on ne peut pas envisager

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le bonheur partagé des générations africaines du futur sans prendre en compte ce secteur de

l’eau potable.

Les impasses des cycles de négociation sur le commerce international et les subventions ont

élevé la question de l’agriculture au rang des grandes préoccupations de ce 21ème siècle. Dans

des pays développés et même dans des pays émergents, l’agriculture devient le levier du

développement. Pour maintenir le cap de cette activité, ces pays érigent des lois pour protéger

leurs fermiers et leurs paysans. Ce qui explique l’octroi massif des subventions accordées à

ces activités agricoles. Pourtant, ces subventions quantitativement accordées aux agriculteurs

occidentaux posent d’énormes problèmes aux économies africaines : le ralentissement des

capacités de production, le rejet sur le marché mondial des produits africains, la hausse des

tarifs douaniers, le gel des mesures de protection agricole, etc. Cette situation interpelle et

incite à prendre des mesures pour imaginer une nouvelle politique agricole visant la

protection des paysans africains, la relance des négociations pour l’accès des produits

africains sur le marché international, la diminution des subventions offertes aux

multinationales occidentales, la campagne de sensibilisation des populations à la prise de

conscience de l’impact de l’agriculture sur leur bonheur et à la modernisation du secteur.

Autant le secteur de l’activité agricole, autant l’administration publique exige, elle aussi, une

nouvelle organisation. Il s’agit d’un projet visant l’amélioration de la qualité des services de

l’État, mais surtout de la préserver de toute inféodation politique. Or, on observe encore que

l’administration publique dans bien des pays africains est politisée, inféodée et réduite aux

besoins des dirigeants. En plus, ce secteur est demeuré inadapté à cause de la vétusté de son

appareil, du vieillissement de son personnel, du dysfonctionnement et des situations

éternelles d’impaiement des agents de l’État, de la corruption et de manque des programmes

de formation continue.

Au regard de ces difficultés, l’autorité politique a la lourde responsabilité d’imaginer des

reformes du secteur pour le rendre plus efficient et plus efficace. Car il reste un des leviers

du développement et du bonheur partagé pour les sociétés africaines de demain. Une stratégie

politique d’échange des connaissances, d’expertises et de formation des agents peut être

préconisée en concertation avec des pays amis qui ont une longue histoire d’organisation et

de renouvellement.

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Il n’est un secret pour personne que l’état de délabrement des infrastructures en Afrique ne

choque que peu ou pas du tout les responsables politiques. Pourtant, le développement et le

bonheur partagé des peuples se mesurent aussi à l’aune de meilleures infrastructures. Ici

aussi, il est important d’envisager une nouvelle politique visant le renouvellement des

anciennes et la construction des nouvelles infrastructures. Il s’agit de la nécessité de lancer

des grands travaux de construction des routes, écoles, hôpitaux, aéroports, bâtiments

administratifs et sportifs, etc. Car l’épanouissement des peuples en dépend énormément. Il

est important d’adopter, au niveau régional et continental, une ligne politique commune qui

peut présider à la coopération bilatérale ou multilatérale avec différents partenaires

occidentaux qui désirent investir dans ce domaine. Il s’agit de privilégier l’aspect de la

solidarité entre les continents.

En définitive, nous pensons que pour le meilleur futur des populations africaines, ces axes

prioritaires constituent un véritable moteur du développement et du bonheur partagé.

Pareilles perspectives ne peuvent avoir toute leur rigueur que si elles se fondent sur des

philosophies de l’action et de la responsabilité. L’éthique du bonheur partagé luba-kasaï est

l’une de ces philosophies qui misent sur la raison pratique, sur l’action et la responsabilité

politique.

Au terme de cette conclusion, nous voudrions rappeler que notre recherche s’est inscrite dans

un champ bibliographique indispensable à l’analyse, à la critique et à l’interprétation, mais

également dans un immense champ des données anthropologiques de la culture luba-kasaï.

Le dispositif méthodologique que nous avons mis en œuvre nous a permis de frayer notre

propre voie en orientant notre recherche dans la perspective herméneutico-philosophique

héritée de Paul Ricœur, se fondant sur une dialectique d’appropriation et de réappropriation

de notre désir d’exister et de notre désir d’être. J’ai donc voulu redire la philosophie à

l’échelle du vécu anthropologique, en nous basant sur une pragmatique en vue d’une praxis

du développement de l’Afrique contemporaine.

Comme toute œuvre humaine, notre travail a ses limites, mais nous avons aussi foi qu’il

contribuera à l’éclosion d’une nouvelle mentalité, de nouvelles rationalités, d’une nouvelle

politique de développement et du bonheur partagé, d’un nouveau type d’hommes, de

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responsables politiques et de sociétés répondant aux aspirations des populations et des

générations africaines d’aujourd’hui et aussi de demain.

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ANNEXES

CARTE GÉOPOLITIQUE : République Démocratique du Congo

Source : CIA World Factbook: Congo, Democratic Republic of the par United States Central Intelligence Agency

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CARTE-LINGUISTIQUE :

Représentant les quatre langues nationales : Lingala, Kikongo,

Tshiluba et Swahili.

Ces langues sont aussi parlées sur l’ensemble du territoire de la République à cause de la

mobilité de la population. Elles sont également enseignées à tous les niveaux d’études.

La République Démocratique du Congo a aussi le français comme langue officielle, c’est-à-

dire une langue de l’administration et de l’enseignement héritée de l’administration coloniale.

Source : Map of major languages of the Democratic Republic of the Congo par Denis Jacquerye sous license : Creative

Commons Attribution-Share Alike 2.5 Generic

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