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HAL Id: tel-00259505https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00259505v1
Submitted on 28 Feb 2008 (v1), last revised 5 Mar 2008 (v2)
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La place des budgets dans le dispositif de contrle degestion: une approche contingente
Iliya Komarev
To cite this version:Iliya Komarev. La place des budgets dans le dispositif de contrle de gestion: une approche con-tingente. Gestion et management. Universit Montesquieu - Bordeaux IV, 2007. Franais.
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00259505v1https://hal.archives-ouvertes.fr
UNIVERSITE MONTESQUIEU - BORDEAUX IV Ple Universitaire de Sciences de Gestion
Institut dAdministration des Entreprises
LA PLACE DES BUDGETS DANS LE DISPOSITIF DE CONTROLE DE GESTION : UNE APPROCHE
CONTINGENTE INTERPRETER LE PASSE POUR COMPRENDRE ET MODELISER LE PRESENT
Thse pour le Doctorat s Sciences de Gestion
Prsente par
Iliya KOMAREV et soutenue publiquement le 30 novembre 2007
Membres du Jury :
Monsieur Nicolas BERLAND Professeur lUniversit Paris Dauphine, Rapporteur Monsieur Serge EVRAERT Professeur lUniversit Montesquieu Bordeaux IV Directeur de lIAE de Bordeaux, Directeur de thse Monsieur Grard HIRIGOYEN Professeur lUniversit Montesquieu Bordeaux IV Directeur du Ple Universitaire de Sciences de Gestion, Suffragant Monsieur Pierre MVELLEC Professeur lUniversit de Nantes, IAE de Nantes, Rapporteur Monsieur Grald NARO Professeur lUniversit de Montpellier I, Suffragant Monsieur Christian PRAT DIT HAURET Professeur lUniversit Montesquieu Bordeaux IV, Suffragant
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REMERCIEMENTS
Si le lecteur pouvait trouver des qualits ce travail ce serait en grande partie grce aux prcieux conseils et la direction agrable mais prcise du Professeur Serge Evraert. Cest lui que je dois galement les bonnes conditions de travail au sein de lIAE de Bordeaux et du Centre de Recherche en Contrle et Comptabilit Internationale o jai ralis mes recherches.
Mes trs vifs remerciements vont aussi lgard de Professeur Grard Hirigoyen qui ma accueilli au sein du DEA Sciences de Gestion et mas donn got la recherche et la pdagogie.
Je voudrais galement remercier les Professeurs Nicolas Berland et Pierre Mvellec davoir accept, malgr leurs emplois du temps chargs, de se pencher sur cette recherche et dy apporter un regard critique. Mes remerciements vont aussi lgard du Professeur Grald Naro qui a accept de lire et dvaluer la qualit de ce travail.
Je voudrais exprimer galement mon sentiment de gratitude lgard du Professeur Christian Prat dit Hauret. Il a t dun prcieux conseil sur un ensemble de sujets lis aussi bien au contenu de la thse qu la mthodologie de recherche ou la vie de chercheur. Et tout cela avec un humanisme et une considration rares.
Je suis trs reconnaissant galement lgard de tous les enseignants-chercheurs qui mont conseill et aid lors de ce long priple pour rviser le questionnaire et prciser certains point thoriques et mthodologiques : Laila Benras, Stphane Trbucq, Christophe Germain.
Jacques Isnard a t la personne du monde professionnel qui a pris le temps de mcouter et de sintresser la porte pratique de ce travail. Il ma aid rcolter les derniers questionnaires ainsi que deffectuer une des tudes approfondies.
Je voudrais remercier enfin le personnel de lIAE de Bordeaux et en particulier Anne Legrand de mavoir propos une ambiance de travail agrable et mavoir soutenu moralement lors de ces dernires annes.
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INDEX DES ABREVIATIONS
ABB.................. Activity Based Budgeting (Budgets par activits)
ABC.................. Activity Based Costing (Comptabilit par activits)
BBZ................... Budget Base Zro
CAM-I............... Computer Aided Manufacturing - International, puis renom Consortium of Advanced Management International
ddl ..................... degrs de libert
GM ................... General Motors
IPE ................... Incertitude Perue de lEnvironnement (Perceived Environmental Uncertainty)
LBDQ................ Leader Beahaviour Description Questionnaire (Questionnaire pour la Description du Comportement du Leader)
RAPM .............. Reliance on Accounting Performance Measures (Utilisation de Mesures Comptables de Performance)
ROI ................... Return On Investment (Retour sur Investissement)
TB...................... Tableaux de bord
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S O M M A I R E INTRODUCTION GNRALE ................................................................................... 9
PREMIRE PARTIE : LE BUDGET COMME OUTIL PRINCIPAL DU CONTRLE DE GESTION : VOLUTIONS ET RVOLUTIONS................................................. 27
Chapitre 1. La conception traditionnelle de loutil budgtaire................................. 29
Chapitre 2. Lutilit des budgets mise en question .................................................... 95
DEUXIME PARTIE : LA NOUVELLE PLACE DU BUDGET AU SEIN DU DISPOSITIF DE CONTRLE DE GESTION : PROPOSITION DUN MODLE EXPLICATIF........................................................................................................... 163
Chapitre 3. Vers un modle gnral de la place relative des budgets dans le
dispositif de contrle de gestion ................................................................................. 165
Chapitre 4. La prparation du test du modle thorique travers une tude
quantitative .................................................................................................................. 270
TROISIME PARTIE : LA VALIDATION DU MODLE THORIQUE : PRSENTATION ET INTERPRTATION DES RSULTATS DES TESTS.......... 329
Chapitre 5. La validation du modle dquations structurelles.............................. 331
Chapitre 6. Linfluence de la mthode de modlisation sur les rsultats obtenus et
leur interprtation ....................................................................................................... 439
CONCLUSION GNRALE................................................................................... 517
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................... 526
LISTE DES TABLEAUX......................................................................................... 548
LISTE DES GRAPHIQUES.................................................................................... 551
LISTE DES SCHMAS .......................................................................................... 552
TABLE DES MATIRES........................................................................................ 554
ANNEXES .............................................................................................................. 557
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INTRODUCTION GNRALE
budgeting has always fascinated me. Why? Because it manifests the essence of management accounting, the blending of accounting and management.
Charles T. Horngren (2004)
Le budget, en mme temps plbiscit et rejet par les praticiens du contrle de gestion,
est devenu lobjet dune importante controverse depuis le milieu des annes 1990. En Effet,
daprs une enqute europenne mene par lIFOP et la DFCG en 19941 la quasi-totalit des
entreprises europennes utiliseraient cette technique traditionnelle de planification et de
contrle mais trs peu dentre elles se dclareraient compltement satisfaites de leurs budgets.
Lenqute rvle que presque un tiers des entreprises expriment une volont de rformer leurs
pratiques budgtaires en allgeant et en acclrant les procdures. Dix pour cent des
entreprises se montrent mme prtes abandonner le budget. Cette volont de rformer le
contrle de gestion a stimul la rflexion de deux consultants Hope et Fraser (1997; 1999c)
qui, par un article dans le magazine professionnel Management Accounting, ont donn llan
un mouvement prnant la gestion sans budgets 2. Celle-ci repose essentiellement sur le
Balanced Scorecard (Tableau de bord prospectif), les Rolling forecasts (Prvisions
financires glissantes), le benchmarking (talonnage sur des rfrences externes) et dautres
outils nouvellement apparus ou revisits dans les annes 1990. Le slogan fort ambitieux de la
gestion sans budgets a vite t rcupr par un groupe de discussion au sein du CAM-I, le
promoteur de la mthode Activity Based Costing, ce qui a permis au projet dattirer plusieurs
entreprises multinationales comme SKF, Svenska Handelsbanken, Boralis, Volvo Car
Corporation, British Petroleum, General Electric, Rhodia, Bull, Ikea, Microsoft3. Lide
1 tude discute dans le magazine lExpansion par Collomp et Deschamps (1994). 2 Le terme en anglais utilis par les auteurs est beyond budgeting (au-del de la budgtisation) que nous traduisons par gestion sans budgets . 3 Liste non exhaustive tire de Berland (2002a) et comprenant des entreprises qui appliquent la gestion sans budget ou sont en train de rflchir sa mise en place.
10
daller au-del des budgets est entre ainsi dans le mouvement gnral de modernisation
des outils de gestion et de rforme en profondeur du contrle de gestion en tant que fonction
du management.
Quelques annes plus tard la rflexion sur la gestion sans budgets a fait natre une
organisation autonome Beyond Budgeting Round Table (BBRT) o lon compte aujourdhui
ct des deux initiateurs Hope et Fraser, les noms dautres consultants adeptes de la
mthode, mais aussi de grandes entreprises et des cabinets de conseil sponsors de
lorganisation, voire mme les noms de certains chercheurs issus des milieux acadmiques :
Michael Bromwich, Michel Lebas, David Otley, Robert Shaw, Charles Horngren et Thomas
Johnson1. Plusieurs autres chercheurs acadmiques ont engag leurs efforts dans ltude de la
gestion sans budgets et surtout dans des programmes de recherche sur la meilleure
comprhension des pratiques actuelles en termes de gestion budgtaire (Berland, 1999a; 2000;
2002a; 2004; Bescos et al., 2004; Ekholm et Wallin, 2000; Hansen et al., 2003; Hansen et
Van der Stede, 2004; Thomas, 2003; Villesque-Dubus, 2005)
Les critiques adresses aux budgets par Hope et Fraser mais aussi par les praticiens du
contrle sont multiples : des procdures trop lourdes et trop chres pour peu de valeur cre ;
un manque chronique de lien entre les budgets et la stratgie ; cration de conditions pour des
comportements opportunistes ; inadaptation la structure organisationnelle en forme de
rseau et par l la nouvelle re conomique de linformation ; touffement de linitiative et
de lapprentissage individuel et organisationnel ; un caractre purement financier de la
technique et donc une impossibilit de cerner des facteurs non financiers de la performance ;
une inadaptation lincertitude caractrisant lenvironnement conomique actuel etc. Tous
ces inconvnients doivent-ils nous amener jeter les budgets aux oubliettes ? Les praticiens
rpondent majoritairement de manire ngative trs peu sont les entreprises qui ont
rellement abandonn leurs budgets car les critiques avances ne sont pas applicables avec la
mme importance dans toutes les circonstances et toutes les entreprises (Bescos et al., 2004;
Ekholm et Wallin, 2000; Hansen et al., 2003; Thomas, 2003; Villesque-Dubus, 2005).
Dans cette bataille entre sauvegarde et abandon des pratiques budgtaires un constat
met daccord un trs grand nombre de chercheurs et de praticiens du contrle de gestion : au
dbut du XXIe sicle lon ne devrait plus utiliser loutil budgtaire comme il y a quatre-vingt-
dix ans lpoque de son introduction dans les pratiques des gants industriels amricains. Le
budget ne devrait plus rester, pour toutes les entreprises, loutil principal de planification et de 1 Source le site Internet de lorganisation : http://www.bbrt.org/bbrtteam.htm (aot 2007)
INTRODUCTION
11
contrle dans le systme formel de contrle de gestion. De nouveaux outils doivent le
complter, voire mme le remplacer dans les circonstances o les carences budgtaires se font
ressentir au plus fort.
Objet de la recherche Malgr lengouement pour les nouvelles techniques de gestion, on observe aujourdhui
que les pratiques budgtaires sont loin dtre disparues. Complt et parfois subordonn
dautres outils de planification et de contrle, le budget reste toujours loutil principal pour la
prvision et le contrle de lquilibre financier et de la performance comptable de lentreprise
(Ekholm et Wallin, 2000; Hansen et al., 2003; Hansen et Van der Stede, 2004). Les budgets
ont, certes, perdu de leur importance dans des circonstances o la performance financire
court terme nest pas lobjectif premier de lorganisation, ils sont alors intgrs dans un
tableau de bord stratgique ou un Balanced Scorecard. Cependant, leur rle demeure toujours
primordial dans les cas o lquilibre financier reste un objectif de premier ordre.
Ainsi, lensemble des fonctions - planification, coordination, contrle, valuation des
performances, motivation etc.1 - que lon associait traditionnellement au budget ne doit plus
lui tre attribu demble. Ces fonctions dpendent de multiples facteurs de contingence
comme la turbulence de lenvironnement (Berland, 2001; Gervais et Thenet, 1998) ou le style
de gestion stratgique (Berland, 1999a). De plus, certaines dentres elles ne sont pas
compatibles les unes avec les autres (Barrett et Fraser, 1977) alors que dautres fonctions sont
mieux accomplies, dans certaines situations, par les nouveaux outils de gestion. Enfin, dans
dautres circonstances, le budget est aujourdhui utilis non plus dans son rle conomique
traditionnel mais pour son action psychologique et sociale sur les hommes et les femmes dans
lorganisation (la scurisation des individus, lorientation des comportements) (Gignon-
Marconnet, 2003).
Force est de constater alors qu la suite de ces transformations la place de loutil
budgtaire dans le dispositif de contrle de gestion nest plus celle qui lui a t attribue dans
la thorie classique un rle central de transformation des stratgies et des plans daction en
objectifs chiffrs de gestion et le contrle de cette gestion. Cest justement cette nouvelle
place des budgets au sein du contrle de gestion moderne qui est au cur des proccupations
de la prsente recherche.
1 Pour une synthse sur le sujet voir Berland (1999a).
12
En partant de lide gnrale que la nature des choses (des budgets dans notre cas)
nest pas fige jamais mais reprsente plutt le rsultat dune volution passe et qui
continuera dans lavenir1, trois questions peuvent tre poses et permettront de mieux cerner
lobjet de la recherche :
Pourquoi assiste-t-on aujourdhui une crise de confiance concernant lutilit de
loutil budgtaire et des techniques traditionnelles de contrle de gestion ?
En quoi consiste cette crise et comment affecte-t-elle la conception de la place de
loutil budgtaire dans le contrle de gestion ?
Enfin, quelle tait la place des budgets dans le contrle de gestion traditionnel et
comment sinscrivent-t-ils dans le contrle de gestion moderne ?
La dernire interrogation, qui par ailleurs constitue lintrt principal de la recherche,
peut tre divise en trois autres questions afin de faciliter la construction dune rponse
adquate. Du fait quaujourdhui les budgets sont utiliss dans un ensemble doutils
complmentaires de contrle de gestion o certaines fonctions budgtaires traditionnelles sont
accomplies par les tableaux de bord ou par dautres systmes dindicateurs financiers et non-
financiers, cette dernire question peut tre reformule en trois tapes :
Comment la place du budget au sein du dispositif de contrle de gestion est-elle
conue traditionnellement ? Quel est son rapport traditionnel avec les autres outils de
contrle ?
Quels sont les facteurs qui dterminent limportance des outils de contrle de gestion
et leur adquation certaines configurations organisationnelles ?
Quelle est aujourdhui limportance des budgets dans ces configurations par rapport
aux autres outils de contrle de gestion ?
Les rponses aux deux premires questions gnrales supposent une tude dans le
temps des caractristiques de la technique budgtaire et de son contexte depuis ses premires
utilisations dans lentreprise industrielle jusqu nos jours. La rponse la troisime question
gnrale et ses lments constitutifs exige dabord une revue de la littrature acadmique sur
loutil budgtaire et les facteurs qui conditionnent son rle dans le contrle de gestion.
Ensuite, un nouveau modle explicatif de la place des budgets par rapport aux autres outils de
1 Cette ide philosophique est dveloppe plus loin dans les explications de la posture pistmologique de la recherche.
INTRODUCTION
13
contrle pourrait tre construit compte tenu du paradigme contemporain du contrle de
gestion et des nouvelles conditions dans lesquelles voluent aujourdhui les entreprises.
Compte tenu de la contingence du budget rvle dans les tudes antrieures, mais
aussi de la contingence des critiques envers les budgets, la description que nous envisageons
de la place actuelle des budgets au sein du dispositif de contrle de gestion se fera travers un
modle comportemental qui tiendra compte des contingences mises en vidence par les tudes
antrieures. Il mettra en exergue dune part les principaux facteurs de contingence et dautre
part les caractristiques du systme budgtaire et son rapport avec les autres outils de
contrle. Lon pourrait enfin comparer le niveau de performance des entreprises pour les
diffrents degrs dadquation de leur systme de contrle aux facteurs de contingence, afin
de proposer les configurations doutils de contrle les plus performantes.
Lintrt de la recherche serait alors double. Dun point de vue thorique, elle tente de
resituer le budget par rapport aux autres outils de planification et de contrle en le plaant
dans un modle qui tient compte des divers facteurs de contingence. Or, les recherches
antrieures ne se concentraient gnralement que sur les indicateurs et non pas sur les outils.
Du point de vue de la pratique du contrle de gestion, la recherche propose de relativiser
lengouement pour la gestion sans budgets en mettant en exergue des cas de figure o la
prdominance de loutil budgtaire mne gnralement de meilleures performances et bien
videmment dautres o il serait plutt judicieux de construire le contrle de gestion autour
des outils de contrle non comptables.
Dfinitions Il est ncessaire, avant dexpliquer la manire dont lobjet de la recherche sera abord,
de prciser dabord la signification que nous attachons aux termes cls utiliss dans la thse.
La premire notion quil convient de dfinir est celle doutil de contrle de gestion.
Bien que largement utilis sous diffrentes formes1 la signification du terme outil de
contrle de gestion est trs rarement dfinie explicitement sauf dans quelques ouvrages
gnraux mais qui sintressent plutt lensemble des instruments de gestion. Ainsi, Gervais
(2005) propose une liste de sept outils informationnels utiliss par le contrle de gestion : les
plans long et moyen terme, les informations engendres par les oprations courantes, la
comptabilit gnrale, la comptabilit analytique, les outils de suivi de la qualit et des dlais,
1 On rencontre ainsi dans les crits acadmiques et professionnels les termes doutil, instrument ou technique de contrle (de gestion) en franais et management control tool, management control technique en anglais.
14
les tableaux de bord et enfin le systme budgtaire. Cette liste, pourtant mise jour depuis
ldition de louvrage en 1983, nest toujours pas accompagne dune dfinition du terme
outil. De mme, Meyer (1983) prsente les prix de revient, les ratios, les tableaux de bord et
la gestion budgtaire comme tant les instruments par lesquels se dfinit le contrle de
gestion, mais la notion dinstrument nest pas explique. Bouquin (2004), quant lui, intitule
la dernire partie de son ouvrage Les outils du contrle en y distinguant trois titres : 1) le
cycle de planification, 2) les plans daction et les budgets et 3) le systme de suivi comprenant
le contrle budgtaire, les tableaux de bord et le reporting. Lapproche de la notion doutil, on
le voit, est diffrente mais la dfinition du terme nest toujours pas explicite.1
Par ailleurs, les sources anglo-saxonnes ne sont pas plus formelles sur le sujet. Les
expressions management control tool ou management control technique2 semblent intgrer
les mots outil (tool) et technique (technique) dans un sens dpourvu de toute signification
spcifique au domaine de la gestion. De plus, trs souvent lobjet des recherches nest pas
loutil en tant que pratiques structures mais son contenu - le type dinformations (comptable
et financire ou non) ou le type dindicateurs de performance utiliss. Ce nest que rcemment
que certaines recherches anglo-saxonnes mettent les outils de contrle de gestion au centre de
leurs proccupations3.
Pour trouver des dfinitions des termes outil, technique et dispositif de gestion il faut
donc recourir aux ouvrages spcialiss en la matire. Jean-Claude Moisdon, par exemple
propose la dfinition suivante dans lintroduction dun ouvrage collectif sur les outils de
gestion dont il est le coordinateur :
ensemble de raisonnements et de connaissances reliant de faon formelle un certain nombre de variables issues de l'organisation, quil sagisse de quantits, de prix, de niveaux de qualit ou de tout autre paramtre, et destin instruire les divers actes classiques de la gestion, que lon peut regrouper dans les termes de la trilogie classique : prvoir, dcider, contrler. (Moisdon, 1997: p. 7)
1 Par ailleurs, une certaine confusion sur le sens du terme doutil sinstaure quand la page 87 de louvrage dans le tableau 3 on lit que les tableaux de bord sont le systme dinformation du contrle de gestion, les budgets sont le mcanisme de planification du contrle de gestion, et enfin, les logiciels de prvision sont prsents comme tant les outils daide la dcision au sein du contrle de gestion. 2 Pour donner quelques exemples, V. Sathe (1978) prsente le budget comme un outil important pour la planification et pour lallocation des ressources. Moores et Yuen (2001) tudient les outils de contrle de gestion (informations financires classiques, analyse des cots, budgets, gestion par centres de responsabilit, contrle de la qualit, tudes de lenvironnement) utiliss dans les diffrents tapes du cycle de vie dune organisation. Ferreira et Otley (2006) parlent eux de techniques de contrle et tudient le lien entre le design et les modes dutilisation des systmes de contrle de gestion. 3 Voir ce sujet Moores et Yuen (2001) et Ferreira et Otley (2006)
INTRODUCTION
15
Cette dfinition convient tout particulirement ce que nous entendons par outil de
contrle de gestion : elle transmet clairement lide de la conception rationnelle de loutil de
gestion en tant que modle reprsentatif des variables organisationnelles. Cependant
lutilisation du terme outil ne fait pas lunanimit. Gilbert (1998) par exemple fait la
distinction entre outil et instrument de gestion. Le terme dinstrument serait alors plus
appropri car outil suggre que lon a affaire un instrument passif qui sert agir sur
la matire, fabriquer une famille dobjets concrets (ibid. p. 22). De plus, les praticiens de
la gestion auraient tendance dsigner avec le terme outil de gestion des ralits extrmement
diverses. Il est vrai que la premire signification du mot outil est objet fabriqu qui sert
agir sur la matire, faire un travail et que dans ce sens instrument est plus gnral et
moins concret que outil (Le Petit Robert, 2002). Cependant, le deuxime sens du mot outil
est : ce qui permet de faire (un travail) (ibid.). Les exemples donns dans le dictionnaire
sont clairs il sagit dun sens trs gnral qui va nettement au-del de laspect matriel de
loutil et de son action. De surcrot, la trs large utilisation de ce terme dans les milieux
professionnels nous parat plus un avantage quun inconvnient pour son adoption dans le
langage scientifique. Nous retiendrons, par consquent, le terme doutil de contrle de gestion
en y mettant le sens propos par Moisdon.
Par ailleurs, selon Gilbert (1998: p. 25) lensemble des instruments de gestion
dsignes par le terme instrumentation de gestion se dfinit sous deux aspect : (1) en
termes de contenu et (2) en termes de processus. Cette dcomposition est particulirement
approprie dans lanalyse et la dfinition des outils individuels de contrle de gestion et nous
y ferons rfrence par la suite.
Dans un sens plus large, le concept de dispositifs de gestion dsigne selon Moisdon
des types darrangement des hommes, des objets, des rgles et des outils [qui] paraissent
opportuns un moment donn (1997: pp. 10-11) Lauteur donne ici lexemple des cercles
de qualit. Ainsi, nous dsignons par dispositifs de contrle de gestion lensemble des moyens
humains et organisationnels, formels (rgles, outils) ou informels (croyances, valeurs)
mis en uvre par le contrle de gestion dans la poursuite de la mission qui lui est assigne.
Cest en respectant ces significations que nous nous interrogeons ici sur la place actuelle des
budgets parmi les outils et dans les dispositifs du contrle de gestion.
Le terme budget mrite ici une attention particulire. La signification de ce mot est
assez gnrale et sa dfinition dautant plus difficile quil est entr dans le langage courant
avec un sens parfois trs restrictif :
16
tat prvisionnel et limitatif des recettes et dpenses d'une priode donne. Budget familial, domestique. Budget mensuel. Boucler son budget. Par extension : somme dont on peut disposer pour une dpense prcise. (Le Petit Robert, 2002)
Cette dfinition nvoque que laspect prvisionnel du budget. Cependant, dans un
sens plus large le budget sert galement contrler les prvisions et surtout aider la prise
de mesures correctives. Dailleurs, le premier ouvrage sur les budgets en langue franaise de
Robert Satet (1936) reprend la traduction du terme amricain Budgetary control et parle de
contrle budgtaire en y incluant naturellement la phase de planification. Lauteur cite et
sapproprie la dfinition donne par la Commission de Terminologie de lInstitut
dOrganisation Commerciale et Industrielle (prs de la Chambre de commerce de Paris) ;
dfinition la mise au point de laquelle il a particip (ibid.: p. 5) :
Le Contrle Budgtaire qui sappuie sur lexamen trs exact de tout ce qui peut sexprimer par les chiffres dans lentreprise, quelle quen soit la nature, la forme et limportance, consiste en une analyse rigoureuse des faits passs dans la prvision des faits probables, afin dtablir un programme rationnel daction.
La caractristique du Contrle Budgtaire est que la comparaison entre la prvision et lexcution [] se fait dune manire mthodique et rgulire, des poques aussi rapproches que la nature de lentreprise lexige.
Cette comparaison permet, non seulement de se rendre compte si lentreprise se maintient bien dans la ligne de conduite trace, mais aussi de modifier constamment les prvisions selon les expriences rcentes.
On remarque dabord le caractre trs complet de cette dfinition qui prsente aussi
bien la substance du terme que le processus qui le traduit. De surcrot, le lecteur attentif
remarquera quelle fait rfrence tout indicateur chiffr, quelle quen soit la nature. On
pourrait supposer alors que le budget inclura aussi bien des indicateurs financiers et
comptables que des indicateurs physiques reprsentatifs du programme rationnel daction .
Or, la ralit des pratiques tmoigne surtout de lutilisation du premier type dindicateurs.
Cest ce que Meyer (1988) appelle la dformation financire mais qui sexplique aisment
avec les caractristiques des valeurs montaires, les seules capables dassurer une prsentation
agrge et comparable des informations conomiques. En effet, un des principes du systme
budgtaire est quil doit couvrir la totalit des activits de lentreprise (Gervais, 1983). Or, le
seul systme dinformation formel qui est capable denglober de manire synthtique tous les
aspects de lactivit dune entreprise est videmment le systme comptable. Le mariage entre
le systme comptable et le systme budgtaire semble, par consquent, tout fait naturel1.
1 M. Gervais (1983) sexprime lencontre de ce lien, J. de Guerny et J.-C. Guirec ( Principes et pratiques de gestion prvisionnelle , Delmas, 1976) sy opposent galement. Pourtant, les dveloppements rcents de la mthode Activity Based Budgeting suite lexpansion progressive de lActivity Based Costing en comptabilit de
INTRODUCTION
17
Lanciennet et la sophistication de la comptabilit au moment de ladoption des budgets par
les entreprises mais aussi labsence dun autre systme formel dinformation cette poque
font de la comptabilit la doctrine la mieux adapte pour donner forme et structure aux
prvisions conomiques. Ainsi, dans la thorie classique du contrle de gestion ce lien est
parfaitement intgr et le budget est prsent comme lexpression comptable et financire
des plans daction (Bouquin, 2004: p. 352). Le budget est ainsi vu comme un systme
dinformation de nature comptable et financire mais qui, la diffrence de la comptabilit
traditionnelle, prsente la situation conomique et financire de lentreprise aprs application
des plans daction envisags (a priori) et non pas comme rsultat des actions passes (a
posteriori).
Dans la dfinition de Satet les budgets sont galement dfinis comme un processus. De
mme, la dfinition de la procdure budgtaire de Meyer (1988) nenvisage que laspect
processus de la technique budgtaire en la divisant en trois tapes : la prvision, la
budgtisation et le contrle.
Il est noter que lon recense une multitude de termes dans les travaux thoriques :
systme budgtaire, procdure budgtaire, processus budgtaire, budgtisation, contrle
budgtaire, budgets. Nous retenons de cette panoplie laspect technique de la chose et le
dnomons avec un des synonymes suivants : budget, outil budgtaire ou technique budgtaire.
En rsum, en utilisant la mthode danalyse des instruments de gestion propose par
Gilbert (1998), le budget peut tre dfini sous deux aspects : un aspect matriel (le contenu de
loutil) et un aspect processuel (le processus de son application). Quand on parle de budgets
dans un sens matriel il sagit en effet de plusieurs documents qui ont les deux
caractristiques suivantes: (1) une forme emprunte la technique comptable et (2) un
contenu chiffr projet dans lavenir. Dans un sens processuel, la notion de technique
budgtaire comprend les activits dlaboration des documents budgtaires, le calcul des
carts entre les chiffres budgts et les ralisations, lanalyse des origines des carts et la prise
de dcisions correctives. Dans ce sens le budget devient un processus circulaire de deux
phases planification budgtaire et contrle budgtaire effectues sur la base de documents
comptables. Arriv sa phase finale, le processus recommence et se rpte sur une nouvelle
priode. Cest finalement cet ensemble documents budgtaires et processus budgtaire que
gestion corroborent lhypothse de la relation troite entre le systme comptable et le systme budgtaire. De surcrot, les pratiques dans les entreprises vont elles aussi dans ce sens.
18
nous dsignons avec les termes doutil ou de technique budgtaire ou tout simplement de
budget.
Les principales notions tant dfinies, il convient maintenant daxiomatiser lespace de
la connaissance qui va servir de fondement pistmologique de la recherche.
Positionnement pistmologique Lors du Tutorat collectif des IAE de fin juin 2003 Professeur Marc Nikitin appelait les
jeunes doctorants tenir compte de la temporalit de leurs recherches et les conseillait
dindiquer clairement le moment ou la priode laquelle ces recherches et leurs conclusions
se rapportent. Aussi, avons-nous pris conscience de limportance du temps historique sur les
pratiques de gestion mais galement de lhistoire et du pass en gnral sur ltat actuel des
choses. Nous proposons donc dans ce travail de modliser la place actuelle de loutil
budgtaire dans le dispositif de contrle de gestion aprs une prise en compte des
enseignements de lvolution dans le temps des pratiques et des thories en matire
dutilisation des budgets. Dans cette tude temporelle nous adoptons une approche dialectique
inspire par les travaux du philosophe allemand Georg W.F. Hegel.
De la dialectique
Le terme dialectique provient de la Grce antique o il a souvent t utilis dans des
sens diffrents. Les Sophistes, par exemple, enseignaient deux disciplines aux candidats la
vie politique : la dialectique - lart de largumentation logique, et la rhtorique - lart du
discours persuasif. La dialectique est ainsi vue comme une technique de rfutation des propos
adverses dans un dbat politique qui na pas ncessairement pour but la dcouverte dune
quelconque vrit. Cette conception de la dialectique a t vigoureusement critique par
Socrate, Platon et Aristote, qui se sont attachs lui donner un sens plus noble en puisant
dans les ides de leur prcurseur Znon dle. Znon, lauteur des clbres Paradoxes et
surnomm aussi par Aristote linventeur du raisonnement dialectique conoit la
dialectique comme une mthode de raisonnement qui permet de rsoudre les contradictions.
Ainsi, pour Socrate la dialectique permettrait datteindre la Vrit en partant de propositions
que lon soumet une discussion et un questionnement afin que ces propositions et leurs
consquences soient confrontes aux faits rels connus, pour tre soit retenues, soit rfutes.
Platon prolongea la rflexion de son matre et dclara la dialectique comme linstrument
permettant de sapprocher de la Vrit en mettant en vidence tout ce contre quoi trbuche la
pense pour latteindre. Ainsi la dialectique platonicienne vise faire lever lme vers la
INTRODUCTION
19
sphre des ides intelligibles au-del du monde des ralits sensibles. Enfin, Aristote se
distingue de Platon en rduisant la dialectique lart de la discussion qui propose des rgles
de la pense dialogue mais ne fait au fond que vrifier des opinions caractre probable. Il
loppose ainsi lanalytique qui procde dductivement partir de principes certains, fonds
sur lexprience et lobservation prcise. La mthode dialectique a ensuite t radicalement
critique par Descartes et par Kant pour tre enfin compltement revisite par Hegel.
La dialectique hglienne revt un sens diffrent de celui propos dans lantiquit. Elle
nest pas une mthode scientifique mais une phnomnologie, prcisait lauteur. Dans
Leons dhistoire de la philosophie (1820) Hegel trouve les origines de la dialectique, telle
quil la conoit, dans la pense du philosophe grec Hraclite. Mme si ce dernier na jamais
fait usage du terme en question cest lui qui a introduit selon Hegel lide du dpassement des
oppositions travers le conflit, la contrarit et la contradiction, dune part, et le devenir,
dautre part. Ainsi, la dialectique est considre par Hegel comme la marche propre la
Pense. Elle se distingue de la logique pure par lacceptation des conflits internes et leur
dpassement grce au passage un autre niveau plus lev qui englobe les contradictions et
les explique1. La dialectique permet ainsi de comprendre lhistoire du rel observable et des
ides qui le meuvent. En sopposant aux prjugs de la mtaphysique classique qui explique
les choses par ce quelles sont et de manire immuable, Hegel considre que les choses
deviennent ce quelles sont. De surcrot, au moment mme o lon parle dune chose elle est
en train de se transformer en autre chose, en la ngation delle-mme. Aussi, Hegel (2001)
explique-t-il lhistoire humaine travers la dialectique entre le matre et lesclave qui devrait
mener lide ultime de libert. Cette dialectique historique a t appele idaliste car elle
part de lhypothse que lhistoire humaine se droule de manire rationnelle et que les ides
(ou lEsprit absolu qui apparait travers la pense) voluent dans le temps grce leurs
contradictions internes, pour faire voluer ainsi le monde matriel.
Reprenant avec un regard critique les ides de Hegel, Karl Marx dfend la position
contraire concernant la relation entre le monde matriel et celui des ides. Pour Marx ce sont
les conditions du monde matriel qui crent les ides ; le dpassement des contradictions dans
le monde matriel fait voluer le monde des ides. De l, la dialectique quil proclame est
1 Cette dmarche a t trs souvent rsume par la triade thse-antithse-synthse, bien que Hegel lui-mme nait jamais utilis ces termes - voir ce sujet G.E. Mueller (1958), "The Hegel Legend of Thesis-Antithesis-Synthesis", Journal of the History of Ideas, Vol. XIX, No 3, June, p. 411
20
dfinie comme matrialiste le contraire direct de la dialectique hglienne1. Pour le
matrialisme dialectique, lEsprit est conditionn par la ralit matrielle dont il est le reflet.
Les arguments exposs par Hegel et Marx font penser quil est difficile et dans notre
cas peu pragmatique de prendre position sur ce point philosophique. Cest pourquoi nous
considrons que les deux approches dialectiques matrialiste et idaliste se compltent
dans le temps et dans lespace en expliquant successivement et diffrents endroits les divers
phnomnes. Les deux peuvent, par consquent, tre adoptes simultanment dans une
approche philosophique densemble. Nous nous distanons dune telle manire de tout
mouvement politico-social que ces ides philosophiques aient pu engendrer lors des deux
derniers sicles. Nous renonons bien videmment lide de Hegel que lhistoire de
lhumanit sarrte lpoque de la rvolution franaise et des guerres napoloniennes o
lesprit humain aurait enfin trouv lultime solution pour la sortie du conflit dialectique entre
lesclave et le matre et atteint lide de la libert absolue. Nous renonons galement aux
ides marxistes sur le conflit dialectique entre le capital et le travail dans les relations
conomiques et le besoin de rvolution libratrice pour le dpasser. Ce que nous retenons
pour la suite, de manire pragmatique, cest lapplication du raisonnement dialectique pour
linterprtation de lvolution du contrle budgtaire jusqu nos jours, la modlisation de son
tat actuel et la prvision de son dveloppement dans un futur proche.
Dans ce sens, les fondements pistmologiques de notre pense se rapprochent
galement des ides de Gaston Bachelard (1991), bien que ce dernier ait appuy ses
inductions essentiellement sur des exemples des sciences dures. Pour Bachelard la science
contemporaine ne devrait plus faire la distinction entre les approches purement rationalistes
(fondes sur le travail de lesprit) et celles purement ralistes (ou empiristes) car les avances
scientifiques se font grce la confrontation dialectique entre lexprience et la raison, le
phnomne et le noumne. Pour lauteur, la connaissance rationnelle nest pas complte si
elle narrive pas expliquer les observations empiriques. La connaissance empirique est,
quant elle, galement incomplte car elle ne peut tre valorise dans des conditions autres
que celles o elle a t acquise.
La connaissance du rel est une lumire qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n'est jamais immdiate et pleine. Les rvlations du rel sont toujours rcurrentes. Le rel n'est jamais ce qu'on pourrait croire mais il est toujours ce qu'on aurait d penser. La pense empirique est claire, aprs coup, quand l'appareil des raisons a t mis au point. En revenant sur un pass d'erreurs,
1 Selon Marx lui-mme dans la postface de la deuxime dition du Capital .
INTRODUCTION
21
on trouve la vrit en un vritable repentir intellectuel. En fait, on connat contre une connaissance antrieure, en dtruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui dans l'esprit mme fait obstacle la spiritualisation. (Bachelard, 1993: pp. 13-14)
Nous allons ici au-del de ce que Hegel dclare travers la fameuse phrase : le rel
est rationnel et le rationnel est rel , car le lien-mme entre le rel et le rationnel est prsent
par Bachelard dune manire dialectique. De surcrot, lauteur conoit la connaissance comme
produite par lesprit humain et donc sujette aux inerties et aux instincts qui le
caractrisent. Rien ne va de soi. Rien n'est donn. Tout est construit. , dclare-t-il1.
Cette posture pistmologique souple est, nous semble-t-il, particulirement adapte
aux sciences de gestion dont lobjet est certes mouvant mais tout de mme sujet de
connaissance et modlisable lchelle dune priode rduite. De plus, le sujet qui sait
pourrait dans cette posture pistmologique construire des modles pour expliquer et prdire
lobjet de son tude mais ne fera avec cela que des approximations ponctuelles de la ralit.
Dialectique et connaissance de loutil budgtaire
Compte tenu des dveloppements prcdents, nous considrons loutil budgtaire dans
le cas de la prsente recherche comme une construction sociale, un artefact mais qui, pour
reprendre les mots de Hegel, est rel parce quil est rationnel. Mais le contraire est galement
frai : la ralit des expriences matrielles en termes de pratiques budgtaires engendre une
rationalit propre ces phnomnes. En tant quobjet rationnel, le budget obit donc des
rgles de la logique qui restent toutefois circonscrites dans le cadre social, conomique et
organisationnel qui a dtermin son devenir, sa construction. Autrement dit, ce qui peut tre
observ aujourdhui en termes de pratiques budgtaires est le rsultat dun dveloppement
historique rationnel de la technique envisage dans son contexte matriel des conditions
conomiques et organisationnelles. Cependant, la description et la comprhension de
lutilisation contemporaine de loutil budgtaire ne pourraient pas se contenter uniquement
dune interprtation du pass et des ides qui en dcoulent mais devraient galement
promouvoir des explications dun niveau de prcision acceptable concernant les pratiques
actuelles et permettre une certaine vision de lavenir.
Nous utiliserons donc la phnomnologie dialectique hglienne pour expliquer, dans
un premier temps, comment dans un dveloppement historique avec de multiples interactions
conflictuelles dans la pratique et les ides thoriques le budget est devenu ce quil tait pour le
1 (ibid. p. 14)
22
contrle de gestion avant les derniers changements conomiques et doctrinaux des annes
1990. Nous pourrons ensuite analyser ces changements et retracer, encore une fois grce une
approche dialectique, les lignes hypothtiques de ce que la technique budgtaire reprsente
aujourdhui. Le tableau ne serait pas complet si nous ne confrontions pas, toujours dans un
esprit dialectique mais propos maintenant par Gaston Bachelard, nos hypothses et la ralit
vcue au quotidien dans les entreprises, afin de pouvoir dessiner, en dfinitive, une image la
fois raliste et logique de lexistant.
Enfin, il est dusage, dans les thses de gestion, de positionner sa posture
pistmologique dans la bien connue opposition entre pistmologie positiviste et
constructiviste1 (Martinet, 1990). Compte tenu des dveloppements prcdents nous
considrons nous inscrire dans une philosophie plutt positiviste de la science. Nanmoins ce
positivisme peut tre caractris d volu car il suppose un caractre local et temporel de
la vrit concernant lobjet de connaissance. Cette vrit locale et temporelle peut tout de
mme tre modlise et les faits empiriques constats a postriori peuvent rfuter ou pas le
modle propos. Ainsi, si lon sappuyait sur la dfinition quAuguste Comte donna la
philosophie positive par opposition aux philosophies thologique et mtaphysique, il faudrait
nuancer lide dinvariabilit absolue des relations entre les phnomnes observs par
lacceptation dune invariabilit circonscrite dans lespace et dans le temps :
dans ltat positif, lesprit humain, reconnaissant limpossibilit dobtenir des notions absolues, renonce chercher lorigine et la destination de lUnivers, et connatre les causes intimes des phnomnes pour sattacher uniquement dcouvrir, par lusage bien combin du raisonnement et de lobservation, leurs lois effectives, cest--dire leurs relations invariables de succession et de similitude. (Comte, 1830: pp. 4-5)
Dans cet esprit de positivisme volu nous admettons galement la construction de la
connaissance de lobjet par le sujet connaissant mais nadhrons pas lide que la ralit
elle-mme est construite par ces reprsentations. La ralit peut ainsi tre prdite et le critre
de rfutabilit de Popper, symbolisant le positivisme, reste applicable pour nous2.
Si dans lexplication de notre posture pistmologique nous avons prcis la vision
que nous adoptons concernant la notion de connaissance scientifique et son rapport avec la
1 Certains auteurs comme Perret et Sville (2003) proposent denrichir cette classification en rajoutant le courant interpretativiste lintermdiaire des pistmologies positiviste et constructiviste. 2 Pour Karl Popper ( Conjectures et rfutations , Payot, Paris, 1985) un ensemble de connaissances, pour tre qualifi de science, doit non seulement tre vrifi ou vrifiable, mais doit de plus s'exposer d'avance tre rfut par l'exprience (par le rsultat d'une confrontation avec la ralit). Ce critre peut tre subdivis en deux conditions : (1) la ncessit pour une thorie scientifique de faire une (des) prdiction(s), (2) la ncessit que cette prdiction concerne une exprience nouvelle susceptible de rfuter la thorie.
INTRODUCTION
23
ralit et la vrit, il convient maintenant de prciser de manire plus pragmatique la
mthodologie que nous mettons en uvre pour appliquer cette vision de la science dans
ltude de lobjet de la recherche pos prcdemment.
Mthodologie de la recherche Du positionnement pistmologique adopt dcoule tout naturellement la
mthodologie de recherche que nous adaptons. Lacceptation de lexistence dune ralit en
dehors du sujet connaissant suppose, nous lavons prcis, la possibilit de formuler des
thories et de les tester. Par un travail rationnel nous pouvons ainsi formuler des thories
visant expliquer les enchainements des faits dans la ralit qui nous entoure pour ensuite
tester ces thories en les confrontant la ralit. Il sagit donc ici dune dmarche
hypothtico-dductive o le raisonnement thorique servira dduire des hypothses que lon
va tester ensuite en les confrontant la ralit observable et observe (Charreire et Durieux,
2003). La thse sinscrit ainsi dans le courant principal (mainstream) des recherches en
contrle de gestion qui sappuie sur les thories conomiques et organisationnelles et utilise
une mthodologie de test dhypothses et de modles (Ryan et al., 2002). Aussi est-il
considr qu la maturation suffisante dun domaine scientifique caractrise par
lacceptation que les fondements thoriques existants permettent dexpliquer les principaux
phnomnes observs, les recherches doivent adopter une mthodologie hypothtico-
dductive consistant tester les hypothses mises sur la base de ces thories dominantes
(Royer et Zarlowski, 2003b). Cependant, une originalit mthodologique de la prsente
recherche consiste dans le fait que la dduction des hypothses sera effectue travers un
raisonnement thorique fond sur une analyse historique en mme temps des thories et des
pratiques expliques par ces thories. En effet, puisque nous acceptons le caractre temporel
de la connaissance notre raisonnement ne sera pas guid uniquement par les thories actuelles
en matire de budgets. Ces thories tant annonces en crise par certains auteurs, nous
proposons dutiliser ltude historique comme fil conducteur permettant de dmler les
raisons de la crise et de modliser lutilisation actuelle de loutil budgtaire sur des
fondements thoriques solides vrifis par lhistoire et susceptibles dagir dans le prsent.
Ltude historique stablira sur des documents secondaires comprenant deux composantes :
1) une revue des recherches purement historiques puisant elles mme dans des sources
primaires, 2) une revue des recherches fondamentales avec une mise en perspective des
conditions historiques dans lesquelles elles ont tabli leurs conclusions.
24
Nous allons ainsi commencer linvestigation par une analyse historique des thories
concernant les budgets et des pratiques budgtaires. Cela permettra ensuite de formuler un
modle thorique expliquant ltat actuel des pratiques en tenant compte des changements
intervenus durant ces dernires dcennies. Ce modle sera ensuite confront la ralit
travers des tests empiriques qui permettront dapprcier ses capacits explicatives. Les tests
empiriques seront raliss travers une tude quantitative visant observer les
comportements en termes de pratique budgtaire dans un chantillon dentreprises franaises.
Cest ce canevas qui guidera galement le droulement de la prsentation dans le reste
de la thse.
Plan de la thse En sappuyant sur la mthodologie prcdemment nonce le corps de lexpos
sorganisera en trois parties. Dans un premier temps (Partie 1) nous tudions les volutions (et
les rvolutions) du budget comme outil de contrle de gestion en commenant par la priode
de ses premires utilisations dans les entreprises industrielles pour arriver aux conditions de
son application actuelle dans une conomie de linformation. Les facteurs du dveloppement
historique des budgets sont mis en vidence par cette analyse. Les diffrentes propositions
thoriques sur la place actuelle des budgets dans le contrle de gestion sont envisages. Pour
dpasser la confrontation entre le budget outil unique et la gestion sans budget
lintrt dune approche moins universaliste est discut. Cette approche devrait pouvoir
expliquer le diffrentiel dans les pratiques actuelles en termes de budgets en tenant compte
des influences ingales dans les diffrentes entreprises des facteurs de dveloppement
historique de loutil.
Il est argument ensuite que les caractristiques de lapproche recherche se trouvent
dans les thories comportementales en gnral et la thorie de la contingence en particulier
(Partie 2). Nous proposons ainsi une modlisation des conditions contingentes dutilisation
contemporaine des budgets en exploitant les conclusions de ltude historique des pratiques et
des thories en la matire. Le modle prsent tente de formaliser les configurations des
facteurs de contingence dans lesquelles les budgets doivent tre utiliss au centre du dispositif
de contrle de gestion afin dassurer une meilleure performance, ainsi que les situations dans
lesquelles il convient de les utiliser dans une moindre mesure soit en les compltant, soit en
les remplaant par de nouveaux outils comme les tableaux de bord ou le Balanced Scorecard.
INTRODUCTION
25
Un modle principal assumant la linarit des relations entre les variables est dabord
propos. Il est complt par un modle alternatif des relations systmiques (ou non-linaires).
La seconde moiti de cette deuxime partie est consacre au choix des mesures des variables
impliques dans les modles et aux aspects techniques de la mise en uvre de ltude sur le
terrain. Sont dfinies, enfin, les modalits du test du modle thorique principal travers sa
transformation en modle statistique dquations structurelles.
Le dernier volet de la thse (Partie 3) est consacr lexpos des tests statistiques
effectus et la discussion de leurs rsultats. Sont dabord discuts les aspects de la validit
externe des tests statistiques compte tenu des paramtres de lchantillon global observ.
Ensuite, nous prsentons et discutons les rsultats des tests du modle linaire dquations
structurelles dans ses deux formulations modle de mdiation, modle de comparaison par
groupes de performance. Certaines insuffisances de la validit des modles linaires sont
ensuite expliques travers lexistence de relations non-linaires rvles par le modle
systmique. La mthode principale est enfin complte par des entretiens approfondis dont le
but est de mettre la lumire sur certains rsultats de ltude quantitative ainsi que de formuler
des hypothses thoriques utilisable par les recherches futures.
26
PREMIERE PARTIE :
LE BUDGET COMME OUTIL PRINCIPAL DU CONTROLE DE GESTION : EVOLUTIONS ET REVOLUTIONS
28
Loutil budgtaire, nous lavons indiqu, fut lobjet dune importante controverse au
cours des dix dernires annes. Certains consultants et praticiens du contrle de gestion
bannirent cette pratique obsolte et inadapte, disaient-ils, lentreprise contemporaine et
son environnement. Selon eux, la gestion sans budget serait la panace pour la gestion de
lentreprise moderne. Des recherches acadmiques sur ces pratiques ont dgag des rsultats
plutt dplaisants aux yeux des rvolutionnaires du contrle. Toutefois, des conclusions
importantes ont t tires et plusieurs voies de recherche ont t ouvertes la suite de ces
expriences.
Il est noter que loutil budgtaire a toujours fait lobjet de critiques, mais les
dernires sont peut-tre diffrentes car elles sinscrivent dans une nouvelle logique et
proposent une nouvelle conception du contrle de gestion. Dans cette premire partie nous
nous fixons pour but dtudier la confrontation entre la vision traditionnelle du contrle
budgtaire et les critiques son gard. Nous abordons cette tude avec le constat que certaines
de ces critiques datent de la priode de consolidation de la thorie traditionnelle des budgets.
Elles ont suscit des travaux importants qui ont abouti des propositions damlioration de
loutil, assez adquates pour leur temps. Ces critiques font donc partie intgrante de la
conception traditionnelle qui place les budgets au centre du dispositif de planification et de
contrle (Chapitre 1).
Un second groupe de critiques lgard des budgets se construit dans les annes 1990.
Il concerne cette fois le fondement thorique de leur utilisation et propose des formules
assouplies ou mme alternatives comme la gestion sans budget . Il est noter,
cependant, que ltude approfondie de la gestion sans budget montre peu darguments la
hauteur du caractre radicalement innovant revendiqu par ses concepteurs. Nanmoins, elle
pose la question de la place que lon accorde (ou que lon doit accorder) aujourdhui au
budget par rapport aux autres outils de contrle de gestion (Chapitre 2).
lissue de cette premire partie, nous dmontrerons le besoin de concevoir un
nouveau modle explicatif de la place des budgets au sein du contrle de gestion qui tient
mieux compte des autres outils de planification et de contrle.
LE BUDGET COMME OUTIL PRINCIPAL DU CONTROLE DE GESTION : EVOLUTIONS ET REVOLUTIONS
29
Chapitre 1. La conception traditionnelle de loutil budgtaire Historiquement, le premier outil de contrle utilis par les entreprises industrielles est
le systme de calcul et danalyse des cots de revient. Daprs Anne Loft (1986) pour le cas
de la Grande Bretagne, la technique de calcul des cots a t rellement rpandue dans les
pratiques pendant la priode de la Premire guerre mondiale1. Selon dautres auteurs ces
pratiques existaient dj au cours du XIXe sicle au sein des entreprises franaises et
britanniques mais trs peu de travaux crits de lpoque les tudiaient (Boyns et Edwards,
1997; Boyns et al., 1997). Par ailleurs, ces auteurs remarquent que le dveloppement des
pratiques de comptabilit des cots est fortement li lavancement de lindustrialisation des
pays et la concurrence sur le march ; la comptabilit financire, dveloppe pour (et par)
les commerants, demeurant incapable de dcrire le cot des produits manufacturs. En
revanche, pour Carmona et al. (1997) le dveloppement prcoce des techniques de
comptabilit et contrle des cots dans les fabriques royales de tabac en Espagne du XVIIIe
sicle est plutt li au besoin de discipliner les hommes, de limiter les vols et de maximiser
les revenus du fisc royal. Enfin, H.T. Johnson (1981) constate effectivement que les pratiques
de calcul des cots existaient dj au cours du XIXe sicle aux tats-Unis, en Angleterre et
dans dautres pays mais affirme que ces pratiques ne se sont structures que vers la fin de
cette priode avec lorganisation et lexpansion de lindustrie.
Quant au dveloppement de la technique des budgets, il peut tre rattach plutt aux
annes 1920 et 1930. En effet, les premiers budgets ont probablement t pratiqus de
manire systmatique aux tats-Unis chez Dupont de Nemours dans les annes 1903-1910
(Chandler Jr., 1989; Chandler Jr. et Daems, 1979). Cependant, le vritable dploiement des
budgets dans les grandes entreprises amricaines ne sest produit que pendant les annes
1920. Il tait suivi dun dploiement similaire en Europe continentale dont le dbut est
marqu par la Confrence de Genve en 1930 (Berland, 1999b; 2002b).
En France, plusieurs publications de praticiens et de consultants, des confrences et
des missions de formations aux tats-Unis contribuent un fort dveloppement de la
technique budgtaire dans les annes 1930. Ce processus sacclre aprs la Deuxime guerre 1 T. Boyns (2005) conteste cette thse. En revenant aux sources primaires de A. Loft, il souligne que ce qui a vu le jour ( came into the light ) pendant la Premire guerre mondiale dans les propos de H.G. Jenkins cits par A. Loft nest pas la comptabilit des cots de revient mais la profession de comptable des cots (cost accountant). La comptabilit des cots tant rpandue dans de nombreuses entreprises britanniques bien avant la guerre.
30
mondiale pour donner aux budgets le statut de premier outil du contrle de gestion dans les
annes 1960 - 1970 (Gervais, 1983). Ainsi, selon J. Meyer (1988) le budget est une parmi les
quatre techniques disponibles dans le systme de contrle les prix de revient, les ratios et les
tableaux de bord tant les trois autres mais il est de loin la plus importante. Selon Gervais
(1983) les autres techniques de contrle stablissent et se jugent par rapport aux budgets. Par
ailleurs, selon Berland (1999b; 2002b) cest prcisment pendant la priode de laprs guerre
que se dveloppe la doctrine thorique du contrle de gestion plaant les budgets dans un
cadre thorique solide (Section 2), les travaux antrieurs tant consacrs prioritairement au
dveloppement de la technique des budgets (Section 1).
1.1. Les premires utilisations et le dveloppement de la technique budgtaire
Le contrle budgtaire a longtemps t considr comme loutil principal du contrle
de gestion au point dtre parfois confondu avec la fonction. Cette confusion contre laquelle
H. Bouquin met en garde dans lintroduction de son ouvrage La matrise des budgets dans
lentreprise (Bouquin, 1992) nest pas sans raison.
En effet, la technique budgtaire avec le calcul des cots et les ratios de rentabilit
conomique et financire (ROI, ROA) sont les premires outils qui ont servi contrler les
performances des grands conglomrats industriels structure divisionnelle du dbut du XXe
sicle (Johnson et Kaplan, 1987). Dvelopp historiquement dans les structures publiques, le
budget a montr cette poque une excellente capacit dadaptation la structure
bureaucratique et la dlgation du pouvoir quexigeaient les grandes organisations prives.
De plus, les budgets et le contrle budgtaire ont montr dans les firmes prives lavantage de
pourvoir englober lensemble des aspects faisant lobjet en mme temps du contrle des cots
et du contrle de la rentabilit conomique (Parker, 2002). Le contrle budgtaire pourrait
permettre deffectuer aussi bien le suivi des cots que le suivi dautres aspects de la
performance comme le chiffre daffaires, le rsultat net et le total de lactif conomique
trois lments qui composent le fameux ROI de Sloan-Brown1.
Il est ncessaire de considrer cette premire priode dapparition et de dveloppement
de loutil budgtaire sous deux aspects. Tout dabord, il serait opportun dtudier le contexte
organisationnel qui a suscit le transfert de la technique budgtaire du secteur public au
secteur priv et assur les conditions favorables son dveloppement. Ces conditions
1 voir sur le sujet H. Bouquin (2004) page 275 et suivantes
LE BUDGET COMME OUTIL PRINCIPAL DU CONTROLE DE GESTION : EVOLUTIONS ET REVOLUTIONS
31
pourront ainsi, dans une des sections suivantes, tre compares avec celles qui caractrisent le
contexte de lentreprise moderne. Dans un deuxime temps, il convient denvisager la
propagation de la technique budgtaire comme un processus social dans un environnement
conomique particulier. Cela permettra de mieux comprendre les promoteurs de la technique,
les conditions sociales et conomiques qui ont accompagn son dveloppement, mais aussi les
paradigmes et les valeurs qui ont conditionn le processus de sa propagation. Cela dans un but
ultime de comparer, dans une des sections suivantes, ces valeurs et paradigmes historiques
avec ceux que lon observe ou qui sont en train de stablir aujourdhui.
Mais avant daborder ces deux points trs importants, il serait judicieux dtudier les
grandes lignes et les conditions gnrales du dveloppement de la technique budgtaire dans
la gestion des finances publiques. La technique budgtaire tant transfre du secteur public
au secteur priv, nous pourrons aprs cette tude faire des parallles entre les deux, et peut-
tre mieux comprendre les raisons dtre du budget dans le secteur priv.
1.1.1. Les raisons de la naissance des budgets et du contrle budgtaire : une possibilit dtablir des parallles entre les secteurs public et priv
Selon les historiens de la comptabilit la technique budgtaire nest pas une invention
du XXe sicle mais a des racines bien plus anciennes. Ainsi, T. Boyns (1998), se rfrant aux
travaux de D. Solomons1, voit ses origines dans lEmpire des Pharaons. Quant lhistoire
plus rcente, D. Solomons (cit par Boyns) donne comme exemple le gouvernement
Britannique qui utilise les budgets et le contrle budgtaire depuis plus de deux sicles
comme technique du financement public (financial procurement). Pour Fleischman et
Marquette (1986) ce sont les dispositions de la Magna Carta vote en 1215, qui jetrent les
bases dun contrle des finances publiques travers lapprobation par le Grand Conseil du
Royaume de limpt peru par le roi dAngleterre. Nanmoins, ce fut bien plus tard la fin du
XVIIIe sicle que le premier ministre britannique William Pitt le Jeune, inspir par les travaux
dAdam Smith, mit en place une vritable politique financire appuye par une planification
et un contrle budgtaire rigoureux. Par ailleurs, dans son dictionnaire tymologique de la
langue franaise de 1829 B. de Roquefort2 assimile le terme franais fisc (dorigine latine -
fiscus - signifiant panier) avec le terme anglais budget (dorigine franaise signifiant sac de
1 Solomons, D. (1952) The historical development of costing, in Solomons, D. (ed.) Studies in Costing, London: Sweet & Maxwell, pp. 152. 2 B. de Roquefort (1829), Dictionnaire tymologique de la langue franoise, o les mots sont classs par familles : contenant les mots du dictionnaire de l'Acadmie franoise... avec dissertation sur ltymologie de J.-J. Champollion-Figeac., Dcourchant Imprimeur-diteur, Paris. Disponible sur : http://www.europeana.eu
32
cuir). Dans un autre ouvrage du XIXe sicle P. Larousse1 affirme que le mot anglais budget
utilis trs frquemment dans le franais de lpoque dans sa signification anglaise provient
en ralit du mot franais bougette, dont le primitif [...] est le mot celtique bolga, bourse,
petit sac de cuir (p. 154).
En France, lutilisation de la technique des budgets est galement ancienne. Boyns cite
pour preuve la rfrence la technique dans un travail de lauteur franais et propritaire
terrien De Cazaux qui date de 1824 et dont lobjet est la comptabilit agricole. Selon
Mattessich (2003), qui cite Solomons (1968 : p. 42)2 De Cazaux fut le premier auteur [...]
stre intress la comptabilit pour le futur . On peut ajouter la liste des premiers
auteurs franais ayant crit sur le budget le nom de H. Fedou (1883). Dans son ouvrage sur la
comptabilit des Fabriques (les entits locales autogres de lglise) la prsentation de la
technique budgtaire prend une partie entire. Fedou cite pour fondement lgal du budget des
Fabriques un dcret gouvernemental du 30 dcembre 1809, ce qui fait remonter la pratique
budgtaire de lglise au moins au dbut du XIXe sicle. Les prmisses du contrle
budgtaire moderne y apparaissent dores et dj car daprs le dcret cit par lauteur le
budget dune Fabrique doit tre dress par le bureau des marguilliers, rgl par le Conseil
[de Fabrique] et arrt par lvque. (ibid.: p. 5) Le projet prpar par le bureau des
gestionnaires de la Fabrique (les marguilliers) qui tablit lquilibre entre les recettes et les
dpenses de lexercice suivant est soumis au vote du Conseil de Fabrique. Il y a l un
formidable exemple de contrle de la gestion. Un contrle que le Ministre des cultes trouve
ncessaire afin de surveiller lutilisation des fonds des Fabriques mis disposition par ltat.
Un travail thorique remarquable sur les pratiques budgtaires de ltat est propos
par Leroy-Beaulieu (1906) dans le deuxime tome de son Trait de la science des
finances . En proposant une analyse thorique et historique approfondie, lauteur fait des
conclusions importantes concernant les conditions qui font natre le besoin pour un tat
dutiliser un tat de prvoyance 3 pour contrler ses finances. Le premier facteur mis en
vidence est le montant considrable de recettes et de dpenses gres par ltat. Car plus ce
montant est considrable, plus il peut prter [] aux mcomptes, aux entranements, aux
1 P. Larousse (18...) Jardin des racines latines : l'usage des coles normales et suprieures, des lyces, des pensionnats de jeunes filles de l'enseignement primaire suprieur : livre de l'lve , Librairie Larousse, Paris. Disponible sur : http://www.europeana.eu 2 Solomons, D. (1968) The historical development of costing, in D. Solomons (ed.) Studies in Cost Analysis, Sweet and Maxwell, London, UK: pp. 3-49. 3 Expression utilise selon lauteur sous lancienne monarchie et qui a t remplace par le terme budget qui nous est venu des Anglais, lesquels lavaient emprunt notre langue populaire (Leroy-Beaulieu, 1906: p. 2)
LE BUDGET COMME OUTIL PRINCIPAL DU CONTROLE DE GESTION : EVOLUTIONS ET REVOLUTIONS
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gaspillages (ibid. : p. 3). Do le fait que les particuliers qui matrisent aisment la totalit
de leur fortune tablissent rarement ce type dtats de prvoyance.
La dlgation des responsabilits de gestion des finances publiques un gouvernement
est un deuxime facteur trs important :
un particulier est matre absolu de ses recettes et de ses dpenses ; il na de compte rendre qu lui-mme [] Il a un intrt si direct viter les dficits quil est, sil a du bon sens, peu susceptible dentranement. Au contraire, les gouvernements reoivent et dpensent pour le compte dautrui, cest--dire des contribuables. Ayant un intrt moins immdiat lconomie, ils sont plus exposs pcher par la profusion. (ibid. : p. 3)
En effet, lauteur remarque judicieusement que dans les royaumes o le souverain (ou
son gouvernement) na pas de compte rendre au peuple, aux autres membres de la noblesse
ou du moins au parlement, le contrle budgtaire na pas t peru comme ncessaire. Cest
bien pour cela que les premires vraies pratiques budgtaires apparaissent en Grande Bretagne
et que celles que lon observait au cours du XIXe sicle en Russie ntaient que des
simulacres (ibid. ). Selon Leroy Beaulieu les pratiques budgtaires apparaissent ainsi pour
la premire fois dans les tats parlementaires (les pays anglo-saxons : Grande Bretagne,
Hollande, Etats-Unis) car le gouvernement y est tenu de demander lautorisation au
reprsentant de la nation le parlement pour ce quil va prlever la nation en termes
dimpt pour financer les besoin de ltat. Lide de la dlgation dun pouvoir dcisionnel et
le besoin de contrler les actions de lagent qui ce pouvoir a t dlgu sont donc parmi les
premiers facteurs qui accompagnent la naissance du contrle budgtaire public.
Enfin, selon Leroy-Beaulieu, le troisime facteur qui conduit un tat utiliser la
technique budgtaire est le caractre fluctuant de ses recettes qui doivent tre ajusts la
politique conomique mise en place. La conduite dune politique conomique volontariste
exige ltablissement des plans de rpartition des moyens financiers dans les domaines o
laction du gouvernement sera prioritaire. Par ailleurs, le financement des projets
gouvernementaux impose des calculs minutieux du niveau des diffrents impts, de
lensemble des recettes collectes et au final de lquilibre gnral entre les recettes et les
dpenses. Le constat de cet quilibre ex post tel quil a dj t pratiqu au Moyen ge grce
au dveloppement de la comptabilit ne constitue pas une application de la technique
budgtaire (Leroy-Beaulieu, ibid.). Il manque l leffort de prvision et de programmation des
actions futures. Le budget est donc intimement li la constitution des projets et la mise en
uvre dune politique volontariste.
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Ces trois raisons dtre des budgets dans la gestion et le contrle des finances
publiques constituent ce que nous appelons les trois fonctions primitives : la synthse dun
grand nombre dactivits diverses et engageant de moyens importants dans un plan financier
succinct ; le contrle de la dlgation des responsabilits sur la conduite des activits et enfin
la prvision et la gestion des plans dactions politiques par la personne qui les activits sont
dlgues. Nous verrons, dans ce qui suit, que ces raisons de la mise en place dun contrle
budgtaire au niveau de ltat semblent bien proches de celles qui ont pouss les entreprises
industrielles adopter la technique.
Quant lutilisation de la technique budgtaire dans le secteur priv, on sait que ds
1871 le professeur de comptabilit viennois Joseph Schrott envisage lide de combiner la
logique du contrle budgtaire appliqu par la comptabilit publique avec la partie double
rpandue dans la comptabilit prive (Mattessich, 2003). Le but tait dintroduire un systme
de contrle comptable dans les organisations prives, mais cette ide trop novatrice pour son
poque a t alors nglige. On peut considrer que la technique budgtaire prend racines
dans les pratiques des entreprises franaises et europennes sous la forme que lon connat
aujourdhui pendant les annes 1930 (Berland, 1999b; Berland et Boyns, 2002; Boyns, 1998).
Malgr les informations sur les premiers dveloppements trs prcoces de la technique dans
les grandes entreprises amricaines Du Pont de Nemours et General Motors on ne peut pas
supposer son adoption massive par lensemble des entreprises outre-Atlantique (Berland,
2002b). Selon Berland on peut affirmer que, l aussi, la propagation massive sest droule
pendant la priode 1930-1940 mais avec une rapidit probablement plus importante.
1.1.2. Les conditions organisationnelles des premires utilisations des budgets dans le secteur priv
Selon Boyns (1998) le dveloppement de la technique budgtaire dans le secteur priv
aux Etats-Unis et en Angleterre est intimement li au dploiement des systmes de calcul et
de contrle des cots de revient. Toutefois, lauteur prcise que lon dispose de moins
dinformations sur le premier phnomne que sur le second. Il est, par consquent, ncessaire
de faire un rapprochement entre le dveloppement de la comptabilit de gestion et le
dveloppement des pratiques budgtaires, ce qui permettra dutiliser les connaissances sur le
premier phnomne pour mieux comprendre le second. Nanmoins, Boyns alerte sur le fait
que la mise en place dun systme de cots standards nest pas toujours lie ltablissement
de budgets et encore moins un processus de contrle budgtaire complet.
LE BUDGET COMME OUTIL PRINCIPAL DU CONTROLE DE GESTION : EVOLUTIONS ET REVOLUTIONS
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Concernant les systmes de calcul et de contrle des cots, les documents montrent
que son apparition dans les entreprises amricaines et britanniques du secteur du textile date
du XIXe sicle. D'aprs Johnson (1981) ces premires apparitions ne sont pas tellement lies
laugmentation des dpenses caractre dinvestissements et par l des cots indirects1, qu
laugmentation de la taille des entreprises et la complication de leur organisation interne.
Cest justement ce problme organisationnel pos par la croissance de la taille des
entreprises et le besoin de contrler les divisions dcentralises quest lie en grande partie
lapparition du contrle budgtaire (Boyns, 1998; Chandler Jr. et Daems, 1979). Le besoin de
prvoir, de mettre en place et doptimiser les politiques de lentreprise (ou de la division) est
une autre raison pour dadoption de loutil budgtaire (Boyns, 1998).
Nous avons cit prcdemment Leroy-Beaulieu pour qui les facteurs dadoption de la
technique budgtaire par les gouvernements nationaux sont la diversit des activits et le
volume important des moyens financiers grs, lobligation de rendre compte devant celui qui
dlgue le pouvoir et les moyens financiers (le peuple ou ses reprsentants dans le parlement)
et le besoin denvisager, de mettre en place et de contrler des politiques volontaristes sur le
dveloppement conomique du pays. Ces facteurs sont tout fait similaires ceux ayant
amen la grande entreprise divisionnelle du dbut du XXe sicle adopter la technique
budgtaire2. Il convient, par consquent, denvisager plus en dtail lapparition du contrle
budgtaire dans le secteur priv par le prisme de ces trois facteurs.
1.1.2.1. La croissance de la taille des entreprises et la diversification des activits comme facteur de la mise en place du contrle budgtaire
Le dveloppement au cours du XIXe sicle de la comptabilit managriale dans les
entreprises de textile est li selon Johnson (1981) lintgration au sein de la structure
organisationnelle de multiples processus dont la coordination tait contrle jadis par le
march. Ainsi, au lieu dacheter les tissus auprs de plusieurs manufactures individuelles et de
ne grer que la commercialisation, les nouveaux entrepreneurs ont commenc organiser tout
1 Lhypothse que la comptabilit des cots sest dveloppe en raison de limportante augmentation des cots caractre dinvestissement est soutenue par S.P. Garner, ( Evolution of Cost Accounting to 1925 , University of Alabama Press, 1954) et M. Chatfield ( A History of Accounting Thought , The Dryden Press, 1974), cits par H.T. Johnson (1981) 2 Ce parallle entre les pratiques budgtaires de lEtat et celles des entreprises prives est galement prsent dans une discussion thorique propose par Arrow (1964). Cette similarit, bien prsente dans linterprtation des faits, nest peut-tre pas lie lintention des acteurs de transfrer la technique budgtaire du secteur public au secteur priv. Des preuves de cette intention dlibre manquent dans les propos des dirigeants des pionniers dans le domaine General Motors et Du Pont de Nemours. Si nous faisons ici rfrence ces similarits dans les facteurs ayant amen la mise en place des budgets par les tats et par les entreprises prives, cest pour souligner les fonctions primitives que lon attribuait la technique budgtaire ds son apparition.
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le processus ds lachat de la matire premire jusqu la vente du produit fini. Les
informations concernant le cot du travail et les autres frais de production, fournis avant par le
march ntaient plus disponibles aux nouveaux entrepreneurs industriels. Dans ces
conditions o les prix de march ne fournissaient plus toutes les informations ncessaires
pour la prise de dcision et le contrle (op. cit. : p. 512) la mise en place dun systme de
calcul des cots simposait. Cest justement ce systme de cots qui permettait alors au
dirigeant de contrler de lefficience organisationnelle.
La croissance de la taille des entreprises et la forte diversification de leurs activits
conduit au dbut du XXe sicle lapparition de la structure divisionnelle (la forme-M), ce qui
a complexifi davantage le contrle organisationnel1. ce sujet, les cas les mieux
documents et les plus illustratifs restent ceux des deux gants amricains de lpoque
General Motors (GM) et de Du Pont de Nemours. Dans ce organisations employant des
milliers de personnes o les diffrentes divisions ont des marchs, des produits, des business
modles et des stratgies trs diffrents, lomniprsence et lomnipotence du dirigeant-
patriarche tel quon le connat dans lentreprise activit unique devient impossible
(Bouquin, 2004; Chandler Jr., 1989; Chandler Jr. et Daems, 1979). Le contrle par les seuls
cots de revient ne suffit plus. Il faut alors partager les diffrents domaines dactivits en
divisions et dlguer au responsable de chaque division lentire responsabilit de lactivit
dont il est en charge. Le manager de division tant responsable aussi bien des dpenses que
des recettes ou encore des investissements de son entit, un nouvel instrument de contrle
englobant tous les aspects de lactivit simpose. Ce nouvel instrument cest le budget.
Ainsi, les modes de contrle traditionnels assurant la coordination et la cohrence des
activits dans lentreprise industrielle centralise et de petite taille le contrle par les actions
et le contrle personnel2 deviennent eux aussi inappropris. Grce lautonomie des
divisions et la prvisibilit des rsultats, elle-mme rendue possible par un environnement
stable et des processus de transformation clairs, lidologie du contrle est dsormais fonde
sur la dlgation des responsabilits et le contrle par les rsultats (Berland, 1999b).
Quail (1997) par exemple, admet que le contrle budgtaire peut trs bien servir aux
petites entreprises structures aplaties mais souligne que le budget devient de plus en plus
1 La forme-M dcrite par lhistorien Chandler (1989) est considre par Williamson (1985) comme la structure optimale dans une conomie o les comportements opportunistes et le risque moral gnrent des cots de transaction. Cette optimalit de la forme-M, conteste par certains, ne fait pas lobjet de la prsente tude. Nous nous limitons ici dmontrer limportance de cette structure pour le dveloppement du contrle budgtaire. 2 Nous faisons rfrence ici la classification des modes de contrle propose par K.A. Merchant (1985a) : contrle par les rsultats, contrle par les actions et contrle personnel.
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important au fur et mesure que la varit et le volume de la production ainsi que la taille de
lorganisation augmentent (p. 618). Selon lauteur faisant son tour rfrence Alfred
Sloan, le clbre dirigeant de General Motors du dbut du XXe sicle, la diversification et la
croissance de General Motors auraient t trs risqus si les outils adquats les budgets, le
contrle des cots et le reporting sur le ROI navaient pas t mis en place.
Cest donc la cration de structures divisionnelles complexes et de tailles importantes,
trs semblables lorganisation des activits dcentralises de ltat, qui a probablement
conduit au transfert de la technique budgtaire du domaine public vers le domaine priv.
1.1.2.2. Le budget comme outil de contrle du management dlgu dans la structure divisionnelle
Il est noter que la relation de causalit entre la croissance et la complexification de la
structure des entreprises dune part et la mise en place de la technique budgtaire dautre part
est ambivalente. Berland et Boyns (2002) font ce constat pour le cas des entreprises
europennes.
Quant aux entreprises amricaines, nous venons de le montrer plus haut, le budget et
lindicateur de rentabilit des investissements - le ROI - apparaissent en mme temps que les
grandes transformations organisationnelles et sont, on peut laffirmer, le rsultat de ces
transformations car ils ntaient pas employs avant. General Motors a ainsi utilis la
technique budgtaire pour permettre la mise sous contrle dune structure
organisationnelle complexe quest celle de la forme-M. Les managers des divisions
sengeaient fournir un rsultat en termes de ROI qui a ensuite t dcompos, selon la bien
connue formule de Brown, en indicateurs budgtaires comptables1. En effet, lautonomie
stratgique et oprationnelle des divisions laissait la direction du conglomrat le seul levier
financier pour les contrler.2 Lentreprise stait ainsi transforme en un vaste march
financier interne o la direction gnrale dcidait dinvestir dans un tel ou tel projet des
divisions en fonction du ROI engendr3. Le suivi et le contrle du ROI seffectuait ensuite
1 Voir au sujet de la formule de Donaldson Brown la reproduction de la formule originale dans Macintosh et Scapens (1991: p. 140) et lanalyse de Bouquin (2004: p. 276) 2 Il faut noter ce sujet que daprs ltude documentaire de Freeland (1996) lautonomie des managers divisionnels chez GM telle quelle a t perue par Chandler et Williamson serait un mythe. En effet, selon lauteur la sparation entre la stratgie gnrale au niveau du groupe et les politiques oprationnelles individuelles des divisions proclam par Williamson dans son analyse de la forme-M nexistait pas pour le cas de GM. La principale famille dactionnaires Du Pont faisaient pression sur Alfred Sloan pour dfinir les politiques des divisions, qui a son tour faisait participer les directeurs des divisions dans la dfinition de la stratgie gnrale du groupe afin de les motiver agir de la manire voulue. 3 Voir ce sujet les dveloppement de Bouquin (2004: p. 276 et s.). Limportance du ROI semble justifie par la grande autonomie stratgique et oprationnelle accorde aux divisions dune part et par le fait que, dautre part,
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grce sa dcomposition en indicateurs budgtaires plus prcis concernant le chiffre
daffaires, les charges, la marge oprationnelle et les actifs investis (Bouquin, 2004). Alfred
Sloan sen rappelle ainsi :
Lobjectif ntait pas ncessairement datteindre le plus haut niveau possible de retour sur capitaux propres mais le niveau de retour le plus lev pour un volume de ventes possible, laccent tant mis sur la capacit de chaque volume supplmentaire de ventes assurer un profit au moins gal au cot du supplment de capital ncessaire pour les raliser. 1
Le contrle budgtaire a donc t mis en place pour assurer la prvision dtaille des
indicateurs comptables composant le ROI et pour permettre le contrle dtaill de la
performance financire des divisions de GM. Les indicateurs financiers sont perus par Sloan
comme le meilleur moyen pour tenir sous contrle le comportement des managers des
divisions :
Cest dans la partie financire o se trouvait la dernire cl ncessaire la ralisation de la dcentralisation avec contrle coordonn... si nous avons les moyens dtudier et de juger de lefficacit des oprations, nous pourrions sereinement confier la ralisation de ces oprations aux hommes qui en sont chargs. 2
Toutefois, la relation de causalit entre structure organisationnelle et utilisation des
outils de contrle adquats peut sinverser. En tudiant ladoption du contrle budgtaire par
les entreprises franaises N. Berland (1999b) constate que pour le cas de Pechiney la mise en
place dun systme de contrle budgtaire dans les annes 1947-1951 conduit des
changements organisationnels profond