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LA GUERRE

AMÉRICAINE

D'INDOCHINE

1 9 6 4 - 1 9 7 3

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DU MEME AUTEUR

Giap ou la guerre du peuple, Paris, 1972.

© Editions universitaires, 1973.

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GÉRARD LE QUANG

LA GUERRE

AMÉRICAINE

D'INDOCHINE 1 9 6 4 - 1 9 7 3

ÉDITIONS UNIVERSITAIRES 10, rue Mayet 75006 Paris

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LES BASES U.S. ET LA

PISTE HO CHI MINH

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Les bases U.S. de l'escalade

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L'ESCALADE

Jeudi 6 août 1964, il est 4 h 15 du matin. Près de Ninh Binh (Nord- Vietnam) sur la route nationale n° 1, l'ancienne route Mandarine, qui parcourt le pays du nord au sud, une file de paysans avance, le fléau sur l'épaule. Les hommes lèvent la tête avec surprise lorsque surgissent soudain, venant de l'est, cinq avions aux fuselages frappés de l'étoile blanche. Ils volent au ras des arbres, virent vers le nord en direction du delta; ils disparaissent dans la brume.

Dans quelques instants les premières bombes américaines vont tomber sur le Nord-Vietnam; le bruit des explosions et le hurlement des moteurs d'avions réveilleront les habitants de Hon Gai, important port charbonnier du delta et base de la marine de guerre nord- vietnamienne. Pour les paysans nord-vietnamiens, pour les marins et les aviateurs des bâtiments de la septième flotte américaine qui patrouille en mer de Chine, une guerre commence.

Depuis quarante-huit heures à peine, deux porte-avions de la septième flotte des Etats-Unis avancent face à la houle dans cette partie de la mer de Chine que les courants contraires font surnommer par les marins vietnamiens « les entrailles du dragon ». Le « Cons- tellation » (66.500 tonnes, 4.200 hommes) et le « Ticonderoga » (33.000 tonnes, 3.000 hommes) patrouillent non loin de Yankee station, ce point théorique situé à 100 milles des côtes au large de Hué un peu au nord du 17' parallèle. Les porte-avions sont entourés de leurs navires d'escorte, une escorte renforcée constituée de plusieurs des- troyers rameutés prestement de Hong Kong où ils faisaient escale.

Le « Constellation » et le « Ticonderoga » ont eux-mêmes quitté Hong Kong « en catastrophe », il y a trois jours, abandonnant sur les quais du port les marins U.S. surpris par ce départ brusqué, alors qu'ils se trouvaient en permission.

Outre la base de Hon Gai, les quatre-vingt-dix A 4 et F 8 qui viennent de quitter les porte-avions américains ont quatre objectifs à détruire : les ports de Loc Chao, Phu Loi et Quang Khe, où sont basées des vedettes rapides et un dépôt pétrolier près de Vinh. Les appareils ont décollé en pleine nuit, en dépit du mauvais temps qui transforme le golfe du Tonkin en une gigantesque marmite bouillon- nante de vents et de pluies.

Le plafond est bas. De 4 h 30 à 9 heures les vagues d'avions se

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succèdent au-dessus des objectifs. Dès 11 heures on peut faire un premier bilan : vingt-cinq vedettes détruites ou endommagées; des dépôts d'essence détruits à 90 %. Une colonne de fumée haute de plus de 4 kilomètres flotte durant une demi-journée au-dessus des qua- torze réservoirs pétroliers de Vinh. Quatre avions américains abattus. Pour la première fois l'aviation américaine a effectué une opération de bombardement contre le Nord-Vietnam.

A Washington cependant, avec le décalage d'heure, il est encore mercredi minuit lorsque le président des Etats-Unis paraît à la télé- vision. D'un ton grave, Lyndon Johnson s'adresse aux Américains : « Une action aérienne est actuellement en cours contre les bâtiments nord-vietnamiens ». Une heure trente plus tard, John McNamara, ministre de la défense, précise : « Les appareils des porte-avions « Constellation » et « Ticonderoga » ont attaqué les bases nord- vietnamiennes de vedettes lance-torpilles ».

La colère de Johnson.

La décision de déclencher l'opération riposte contre le Nord-Vietnam a été prise à la suite d'une des plus gigantesques colères du président. Le 4 août, Johnson apprend en effet que la septième flotte améri- caine, le plus puissant instrument de guerre du monde, a été tenue en échec au cours de plusieurs escarmouches dans le golfe du Tonkin. Par deux fois, les 2 et 4 août, les destroyers américains « Maddox » et « Turner Joy » ont fait l'objet d'attaques de vedettes lance-tor- pilles nord-vietnamiennes, alors qu'ils se trouvaient au large des côtes. Pour Johnson l'incident prouve que la septième flotte en dépit de sa puissance, de ses fusées, de ses avions et de ses systèmes élec- troniques, peut être harcelée presque impunément par des bâtiments à faible rayon d'action. Le « Maddox », 2 200 tonnes, 20 officiers, 325 hommes d'équipage, 6 canons de 127 mm et 6 tubes lance-torpilles à tête chercheuse « homing torpedoes », n'a réussi à détruire qu'une vedette. Au cours de la deuxième attaque, le « Maddox » et le Turner Joy » (2.870 tonnes, 22 officiers, 316 hommes d'équipage, 3 canons de 127, 4 de 76 et 4 tubes lance-torpilles) n'ont pu qu'éviter les projectiles et alerter les appareils du « Ticonderoga ».

Lorsqu'il apprend le mardi 4 août que ses destroyers ont été attaqués, Johnson donne l'ordre aux unités de la première flotte du Pacifique de renforcer la septième qui multiplie les patrouilles. Il suffit de 48 heures pour que le dispositif de la riposte soit en place.

Sur le plan international, cependant, c'est surtout la crise de Chypre qui attire l'attention dans un monde où, en ce mois d'août, on pense avant tout aux vacances. A Washington c'est la surprise dans les milieux diplomatiques lorsqu'on apprend que le président Johnson

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a décidé de réunir le Conseil National de Sécurité qu'il convoque lorsqu'il a une mesure grave à prendre. Une décision de L.B.J. a d'autant plus d'importance politique à cette heure, que les inci- dents du golfe du Tonkin surprennent les Etats-Unis en pleine fièvre électorale, à trois mois seulement des présidentielles. Johnson lui-même, héritier de Kennedy, est le principal candidat. Le pré- sident doit agir vite et avec habileté, face aux déclarations de Barry Goldwater, son adversaire républicain qui parle tout crûment de larguer des bombes atomiques sur le Vietnam et par la même occa- sion sur la Chine.

L'offensive de Johnson pour casser l'opposition en déclenchant le premier raid aérien de l'aviation américaine contre le Nord-Vietnam, se déroule en quatre temps.

— Premier temps : Johnson rallie à sa décision les membres du Conseil National de Sécurité, c'est-à-dire les principales personnalités du parlement et de l'administration.

— Deuxième temps : Le président assure sa couverture sur le plan international en demandant la convocation immédiate du Conseil de Sécurité de l'O.N.U. Il obtient avec l'accord de l'Union Soviétique que le Conseil entende le Nord-Vietnam. Hanoï répond que l'O.N.U. n'est pas compétente.

— Troisième temps : De son bureau de la Maison Blanche, le pré- sident des Etats-Unis appelle par téléphone son adversaire, Barry Goldwater. Le sénateur est en vacances en Californie. Johnson lui lit le texte de l'allocution qu'il compte prononcer à la télévision. Gold- water est d'accord.

Plus rien n'empêche le président de donner l'ordre de la riposte. Les militaires du Pentagone, qui depuis plusieurs mois préparaient à coups de machines électroniques des plans de raids contre le Nord-Vietnam, sont acquis à l'opération.

— Quatrième temps : Alors que les appareils de reconnaissance photographique de l'aéronavale américaine effectuent le bilan des pre- miers raids, le président pousse son avantage en obtenant du Congrès les pleins pouvoirs pour « faire face à la menace communiste en Asie ». La résolution dite du « golfe du Tonkin », votée le 7 août 1964 par le parlement américain, précise que : « Les U.S.A. considèrent qu'il est vital pour leur intérêt national et pour la paix du monde que la sécurité soit maintenue en Asie du sud-est. En vertu de la constitu- tion des Etats-Unis et de la charte de l'O.N.U., et conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du traité de défense collective de l'Asie du sud-est, les Etats-Unis sont prêts, dans la mesure où en décidera le président, à prendre toutes les décisions nécessaires, y compris le recours à la force des armes pour aider tout membre ou tout Etat figurant dans le protocole du traité de défense collective de

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l'Asie du sud-est, qui sollicitera leur assistance pour défendre sa liberté. »

La mauvaise conscience du Congrès.

Cette résolution, mise au point par William Bundy, spécialiste des problèmes d'Extrême-Orient au Département d'Etat, va constituer le fondement juridique sur lequel s'appuie le président Johnson pour justifier, au cours des années à venir, la poursuite de l'escalade et l'accroissement de l'engagement américain au Vietnam. Obtenue en douceur d'un Congrès que paralysait l'approche des élections, la résolution du golfe du Tonkin va plus tard donner « mauvaise cons- cience » à ceux qui la votèrent. Ainsi le sénateur Fulbright, président de la Commission des Affaires Etrangères du Sénat, obtient l'ouverture d'une enquête sur les « circonstances suspectes » dans lesquelles se serait déroulée toute l'affaire du golfe du Tonkin à la fois sur le plan militaire et politique.

La commission d'enquête entend des responsables de l'adminis- tration et du Pentagone, elle interroge les commandants Robert Bacrnhart (« Turner Joy ») et Herbert Ogier (« Maddox »), des marins et des officiers des deux destroyers. Elle établit que ni la pré- sence de vedettes nord-vietnamiennes à proximité des destroyers amé- ricains, ni les attaques de ces vedettes n'ont été vraiment prouvées. Le commandant Ogier du « Maddox » déclare, à propos des taches suspectes apparues sur le radar du destroyer : « Mon opérateur radar a pu se tromper. Il pouvait s'agir non pas de vedettes, mais d'échos provoqués par les hélices et le gouvernail du Maddox lors d'une manœuvre ». Parlant des circonstances dans lesquelles s'est déroulée la seconde attaque du 4 août contre les deux destroyers alors qu'ils se trouvaient à 65 milles des côtes, le commandant du « Turner Joy » souligne : « Il faisait si noir cette nuit-là que je ne voyais pas le « Maddox » devant moi. » Pourtant Larry Litton, un marin du destroyer, affirme avoir repéré visuellement une torpille à babord. Selon les déclarations officielles, après avoir lancé leurs torpilles, trois vedettes nord-vietnamiennes ont ouvert le feu au canon sur les destroyers. Le seul vestige de cette attaque : une trace de balle de mitrailleuse sur une batterie du « Maddox ». On apprend que cette balle a été tirée par un patrouilleur nord-vietnamien vingt-cinq jours avant l'attaque.

Certains sénateurs américains soulignent que lors de l'incident, le « Maddox » et le « Turner Joy » se trouvaient en mission d'espion- nage : ils protégeaient une opération de la marine sud-vietnamienne contre les installations radars de l'île de Hon Me dans le golfe du Tonkin. A la même période, Hanoï a en effet accusé un navire

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sud-vietnamien d'avoir violé les eaux territoriales de la République Démocratique, sous la protection d'un bâtiment américain.

D'autres sénateurs affirment que les destroyers américains avaient reçu l'ordre de naviguer en zig-zag à la limite des eaux territoriales nord-vietnamiennes afin de tester le système d'alerte côtier.

En février 1968, M. McNamara, ministre de la défense lors des incidents, est entendu par le Sénat. Il reconnaît implicitement que le « Maddox » et le « Turner Joy » étaient en mission d'espionnage et que le commandant Herrick, chef de la patrouille des destroyers, savaient que les Sud-Vietnamiens effectueraient, pendant ce temps, une opération de sabotage contre l'île de Hon Me. Cinq heures avant que le président Johnson ordonne le raid de représailles, le com- mandant Herrick avait câblé au Haut commandement américain du Pacifique à Honolulu (Hawaï) : « Tirs de torpilles nord-vietnamiennes doûteux. Conseillons réévaluation de la situation. >

De là à conclure qu'il y avait eu, sinon une provocation, du moins une volonté délibérée de la part du président Johnson de justifier une intervention préparée de longue, date... c'est en tous les cas ce que laissent entendre les membres de la commission d'enquête. En août 1964, le président Johnson aurait ainsi « trompé le parlement et l'opinion américaine » en organisant volontairement un incident afin de faire voter les pleins pouvoirs. Certains affirment même que la résolution dite « du golfe du Tonkin » était rédigée depuis longtemps par William Bundy et que le plan des raids avait été élaboré bien avant au Pentagone.

Le rapport secret du Pentagone, qui a été publié en juin 1971 par la presse américaine confirme tout à fait cette thèse. Depuis mai 1964, les plans de l'intervention américaine contre le Nord et le projet de résolution, qui devait être présenté au Congrès, étaient prêts. Tous les éléments du scénario qui devait mener à l'escalade contre le Nord- Vietnam avaient été mis en place à l'avance; le « Maddox » avait servi d'appât afin de provoquer une réaction nord-vietnamienne qui entraînerait des représailles.

Pas de surprise à Saïgon.

A Saïgon on n'est pas surpris d'apprendre que le président des Etats-Unis a donné l'ordre de bombarder le Nord. Depuis des mois déjà l'éventualité de raids aériens était à l'ordre du jour dans les milieux gouvernementaux et parmi les militaires de l'état-major. On disait que l'ambassadeur américain Maxwell Taylor avait fait savoir à Washington que le numéro un sud-vietnamien, le général Khanh, en était résolument partisan. Sur les aérodromes de Da Nang et de Tan Son Nhut les hommes en uniforme noir du colonel d'aviation Ky (futur

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vice-président de la République) s'entraînaient. Depuis près d'un an d'ailleurs ils effectuaient pour le compte des services secrets des raids aériens nocturnes contre le Nord-Vietnam, afin d'y larguer des commandos de sabotage et des tracts sur lesquels on indiquait aux Nord-Vietnamiens la liste des objectifs qui seraient rasés bientôt par l'aviation.

Les chasseurs bombardiers sud-vietnamiens ne participent pas aux premières opérations contre les bases de vedettes lance-torpilles. Ils interviennent plus tard, alors que le dispositif de l'escalade est déjà en place.

Il y a en effet six mois de répit pour Hanoï, après les premiers raids. Des mois au cours desquels le président Johnson, élu facilement en novembre, prend conscience de la dégradation de la situation viet- namienne. Dans son bureau de la Maison Blanche, le président dresse la liste de quelques-uns des échecs enregistrés au Sud-Vietnam, échec des expériences politiques qui ont suivi le renversement du président Diem en novembre 1963, échec de la pacification dans les campagnes : 15 000 des 16 000 chefs de villages, nommés par Diem, exécutés par le Vietcong, augmentation des raids de commandos contre les bases américaines, augmentation des infiltrations.

Une guerre coûteuse.

Déjà la guerre a coûté aux Etats-Unis trois milliards trois cents millions de dollars, 262 tués, 1.196 blessés. Au moment de la crise du golfe du Tonkin, Johnson a annoncé l'envoi au Sud-Vietnam de 5 000 hommes de troupes en renfort. Mais en face, soulignent les experts du Pentagone, il y a en réserve 21 divisions nord-vietnamiennes et 3 millions et demi de soldats chinois. Au 31 décembre 1964, 23 000 militaires américains se trouvent au Vietnam. Et pourtant à Saïgon déjà, certains commencent à dire ouvertement : « La guerre est en train d'être perdue. » Car trois jours après Noël, il y a eu Binh Gia...

Le 28 décembre 1964 éclate en effet à 60 kilomètres à peine de la capitale du Sud-Vietnam la bataille la plus acharnée de la guerre. Sur- pris dans une plantation d'hévéas, 200 soldats d'élite de l'armée sud- vietnamienne sont décimés par un régiment vietcong, sorti des jungles du Triangle de fer, ce repaire de guerrilleros qui avance jusqu'aux portes mêmes de la capitale. La bataille pour Binh Gia dure dix jours, 300 soldats sud-vietnamiens et 17 américains sont tués, 36 héli- coptères détruits. A Saïgon on pense tout haut : « Binh Gia c'est le commencement du déclin ».

De jour en jour, embuscades et harcèlements vietcongs se multi- plient autour de Saïgon. Le F.N.L., dit-on, a mis en place autour de la capitale une véritable « ceinture d'acier ». Chaque nuit, ses équi-

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pes d'agitation et de propagande apparaissent dans les bourgades situées en face de la ville, de l'autre côté de la rivière. Dans l'armée nationale sud-vietnamienne (en principe 615 000 hommes sont sous les armes) les désertions augmentent. C'est mauvais signe. Au demeu- rant, cette armée est paralysée par les intrigues politiques. Ainsi, pen- dant la bataille de Binh Gia, presque tous les officiers de l'état-major sud-vietnamien discutaient de problèmes politiques à Vung Tau (ex Cap Saint-Jacques), une station balnéaire située à quelques dizaines de minutes d'hélicoptère de la bataille.

A Washington, Johnson réévalue la situation avec ses conseillers. Débarrassé des élections, le président a les mains libres à présent. Certes il y a la menace chinoise. Mais le raid du golfe du Tonkin a montré que Pékin n'est pas décidé à l'intervention, en dépit de ses menaces (le maréchal Chen Yi déclare que la Chine interviendrait certainement si la guerre se portait vers le Nord). A Moscou, la nou- velle équipe qui, en octobre 1964, a succédé à M. Khrouchtchev, est sans doute trop occupée à renforcer son pouvoir pour s'engager mili- tairement au Vietnam.

Pour les militaires américains c'est du Nord que vient l'aggravation de la situation au Sud. Westmoreland, commandant en chef, cite des chiffres : en 1964, 4 400 cas d'infiltrations confirmés; en fait il y en a eu au moins 3 000 en plus. De 1959 à 1964, au moins 37 000 hom- mes sont passés du Nord au Sud. Ces infiltrés, responsables politiques et militaires, techniciens aussi, encadrent la rébellion. La solution des chefs militaires américains : couper les voies d'infiltration qui pénètrent au Sud-Vietnam par la frontière du Laos et par la zone démilitarisée, mais aussi casser les bases de départ de ces infiltrations : les camps de regroupement et d'entraînement des régions de Dong Hoï et de Vinh Linh, par exemple. C'est là qu'il faut frapper, disent les gens du Pentagone en présentant leur plan à Johnson.

Le brutal réveil des Saïgonnais.

Tout commence le samedi 7 février 1965. Ce matin-là, Saigon s'éveille après une semaine de fièvre, celle du Tet, le nouvel an vietnamien. Les pétard et les cadeaux que, traditionnellement, l'on échange à cette occasion, ont fait un peu oublier la guerre aux Saïgonnais. Le réveil est brutal.

Dans la nuit les commandos du F.N.L. ont attaqué en trois endroits : à Pleiku, à Tuy Hoa et près de Nha Trang. A Thuy Hoa au sud de Qui Nhon, 50 réservoirs pour hélicoptères et des installations militaires sud-vietnamiennes brûlent. A Nha Trang, sur la côte plus au sud, un village a été incendié.

Le plus grave c'est Pleiku. Pleiku, une ville d'environ 100 000 habi-

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tants, c'est pour les américains le Q.G. de la défense des hauts pla- teaux du Centre-Vietnam. A Pleiku il y a 23 000 soldats. Le F.N.L. a attaqué, dans la nuit, le camp Holloway et l'aérodrome où sont basés les hélicoptères des forces d'intervention U.S. contre la piste Ho Chi Minh. Des obus de mortiers de 81 (des mortiers américains) tirés par le Vietcong ont fait 8 tués, et 108 blessés américains; 6 héli- coptères ont été détruits, 16 autres appareils ont été endommagés.

La nouvelle de l'attaque contre Pleiku surprend Washington en plein week-end. Le président reçoit à 17 heures un coup de téléphone de l'amiral Grant Sharp, commandant en chef des forces du Pacifique. L'attaque est annoncée à peu près à la même heure à la télévision. A 18 heures, la Maison Blanche confirme, la qualifiant « d'assez sérieuse ». Peu d'hommes politiques sont présents à Washington ce soir-là. Rusk, secrétaire d'Etat soigne en Floride une grippe ramenée de Londres où il vient d'enterrer Winston Churchill. McNamara, minis- tre de la défense, également malade, est chez lui au lit. Devant la Maison Blanche 300 pacifistes défilent silencieusement pour protester contre la guerre.

Le président décroche son téléphone et prévient Bill Moyers son principal assistant : à 19 h 45 réunion du Conseil National de Sécurité.

Lyndon Johnson ne dispose que de peu de temps pour rallier l'opi- nion à sa décision. Certes il y a les pacifistes devant la Maison Blanche. Il y a ce sondage qui a révélé que 80 % des Américains seraient favorables à une négociation. Mais il y a aussi l'autre camp, celui des « faucons », les républicains au Congrès, les mili- taire au Pentagone et à Saïgon. Le président appelle Saigon. Ce jour-là dans le bureau de l'ambassadeur des Etats-Unis au Sud- Vietnam, M. Thompson, il y a Mc George Bundy (1) l'assistant spécial du président en mission au Vietnam. Mc George annonce qu'il se rend à Pleiku. Lyndon Johnson lui demande de rentrer ensuite d'urgence à Washington.

Un à un les détails de l'attaque parviennent sur le bureau du prési- dent. Johnson est de plus en plus persuadé qu'il faut frapper. Une difficulté peut-être : à Hanoï se trouve actuellement Alexis Kos- syguine, premier ministre soviétique, en visite officielle. Une réaction de l'U.R.S.S. n'est pas exclue, si les Etats-Unis attaquent le Nord- Vietnam pendant cette visite. Il faut rester prudent.

Johnson cependant est persuadé qu'il faut faire quelque chose. Non pas cependant pour punir Hanoï d'avoir attaqué à Pleiku, mais pour lui faire comprendre qu'il doit cesser ses infiltrations, pour l'amener à négocier en lui montrant que les Etats-Unis n'abandonnent pas le Sud-Vietnam. La présence de Kossyguine à Hanoï peut donc être utile.

(1) Frère de William Bundy, du Département d'Etat.

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A 19 h 30 , les m e m b r e s d u « b r a i n t ru s t » d u p r é s i d e n t c o m m e n - c e n t à a r r i v e r à l a M a i s o n B l a n c h e : M c N a m a r a , V a n c e (Défense ) ,

Bal l , W i l l i a m B u n d y (Af fa i r e s E t r a n g è r e s ) , le s é n a t e u r M a n s f i e l d , l es l e ade r s d u p a r l e m e n t , des mi l i ta i res : le g é n é r a l W h e e l e r e t ses q u a t r e chefs d ' é t a t - m a j o r . I l est 19 h 4 5 l o r s q u e le C o n s e i l N a t i o n a l d e Sécur i t é c o m m e n c e ses t r a v a u x .

J o h n s o n e x p l i q u e : l a r i p o s t e d o i t c o r r e s p o n d r e a u x a t t aques . O p é - r a t i o n l imi tée p o u r m o n t r e r a u x R u s s e s e t a u x C h i n o i s qu ' i l n e s ' ag i t p a s d ' u n e p rovoca t i on . Ob jec t i f s r e t e n u s : D o n g H o i , V i n h L i n h , X u a n M a i , S o n T a y , B e n Q u a n g . . . des c a m p s d ' e n t r a î n e m e n t d e m a q u i s a r d s , des l i eux d e r e g r o u p e m e n t s .

A 21 heures , le C o n s e i l N a t i o n a l de Sécur i t é se s é p a r e . I l es t d i m a n c h e 9 h e u r e s d u m a t i n à Sa igon . A 9 h 30 , l ' é t a t - m a j o r a m é - r ica in a u S u d - V i e t n a m reço i t l ' o r d r e d e se t e n i r p r ê t à é v a c u e r d u V i e t n a m tous les civils a m é r i c a i n s q u i s 'y t r o u v e n t ( e n v i r o n 1 5 0 0 p e r - sonnes) . A 15 heu re s , les chas seu r s b o m b a r d i e r s d e l ' a é r o n a v a l e ( A 4 .

e t F 8, soit 4 9 a v i o n s a u to ta l ) déco l l en t des p o r t e - a v i o n s « C o r a l Sea », « H a n c o k » e t « R a n g e r » q u i se t r o u v e n t e n m e r de C h i n e à 1 0 0 mil les d e s côtes . Ils a t t a q u e n t à l a b o m b e e t a u x r o q u e t t e s les ins ta l la t ions n o r d - v i e t n a m i e n n e s d e D o n g H o i . L ' e s c a l a d e à c o m - m e n c é .

T r o i s h e u r e s p lus t a r d , le F . N . L . a t t a q u e à s o n t o u r l ' a é r o d r o m e a m é r i c a i n d e Soc T r a n g , a lo r s q u e M c G e o r g e B u n d y , d e r e t o u r d e P le iku , v i en t d e q u i t t e r S a ï g o n p o u r les E t a t s - U n i s . A 18 h 5 0 , o r d r e d ' é v a c u e r t ous les civils a m é r i c a i n s d u S u d - V i e t n a m . A 19 h 30 , c o m - m u n i q u é c o m m u n a m é r i c a n o - s u d - v i e t n a m i e n : « l ' a v i a t i o n a b o m b a r d é des ins ta l la t ions mi l i ta i res a u N o r d - V i e t n a m ». A W a s h i n g t o n il e s t s e u l e m e n t 9 h e u r e s d u m a t i n d i m a n c h e l o r s q u e la M a i s o n B l a n c h e c o n f i r m e « u n b o m b a r d e m e n t d e représa i l l es a e u l ieu s u r le N o r d - V i e t n a m avec l ' a p p r o b a t i o n d u p r é s i d e n t ». A 15 h 3 0 G . M . T . ( 1 0 h 3 0 à W a s h i n g t o n , 2 2 h 3 0 a u V i e t n a m ) r a d i o H a n o ï a n n o n c e : « l ' av ia t ion a m é r i c a i n e a b o m b a r d é p e n d a n t v ing t m i n u t e s des vi l lages a u t o u r d e D o n g H o i à 7 h e u r e s G . M . T . U n e s e c o n d e v a g u e a a t t a q u é à 7 h 37 . Q u a t r e av ions U .S . o n t é t é a b a t t u s ». A 17 h 3 0 G . M . T . , o n a p p r e n d à W a s h i n g t o n q u e le p r é s i d e n t a d é c i d é l ' envo i i m m é d i a t à D a N a n g , l a g r a n d e b a s e a m é r i c a i n e d u Sud , d ' u n e u n i t é d e fusées an t i - a é r i e n n e s H a w k .

C e p e n d a n t M . M c N a m a r a , m in i s t r e a m é r i c a i n d e l a D é f e n s e , t i en t u n e c o n f é r e n c e d e presse . I l e x p l i q u e : « L e N o r d - V i e t n a m est d i r e c t e m e n t r e s p o n s a b l e des ac t ions d u V ie t cong . L e s in f i l t r a t ions o n t d o u b l é e n 1 9 6 4 . I l é t a i t d o n c nécessa i r e a u x U . S . A . d ' in tens i f i e r l a

r ipos te . »

L ' e s c a l a d e se pou r su i t . L e lund i 8 févr ie r à 11 h e u r e s d u m a t i n , n o u v e a u c o m m u n i q u é d e S a ï g o n : « les a v i o n s a m é r i c a i n s e t s u d - v i e t n a m i e n s o n t b o m b a r d é des objec t i f s mi l i ta i res a u N o r d - V i e t n a m . »

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I l s ' agi t d e 2 4 « S k y r a i d e r s » d u co lone l K y q u i o n t a t t a q u é V i n h L i n h , à 10 k i l o m è t r e s a u n o r d d u 1 7 para l lè le , sous l a p r o t e c t i o n d e c h a s - s eu r s amér i ca ins . 8 0 t o n n e s d e b o m b e s o n t é té l a rguées s u r t ro i s ba se s mi l i t a i res n o r d - v i e t n a m i e n n e s qui , s e lon les av ia t eu r s , o n t é t é dé t ru i tes à 7 0 % . L e co lone l K y a é t é b lessé p a r l a D . C . A .

Q u a r a n t e m i n u t e s p lu s t a rd , o n a p p r e n d à S a i g o n q u ' u n ba t a i l l on s u d - v i e t n a m i e n , t o m b é d a n s u n e e m b u s c a d e a u n o r d d e Q u i N h o n

es t c o n s i d é r é c o m m e p e r d u . C ' e s t l a r ipos t e v ie tcong . D e u x j o u r s p lus t a r d , t o u j o u r s à Q u i N h o n , u n c a n t o n n e m e n t U.S. s a u t e : 3 3 tués. U n r a i d d e c o m m a n d o s dé t ru i t l a c e n t r a l e é l ec t r i que d e la ville. E n représa i l l e s l ' av i a t i on a m é r i c a i n e e t s u d - v i e t n a m i e n n e d é c l e n c h e p l u - s ieurs o p é r a t i o n s c o n t r e des object i fs mi l i t a i res d e l a r ég ion d e T h a n h H o a . 2 8 « S k y r a i d e r s » s u d - v i e t n a m i e n s e t 2 0 chas seu r s a m é r i c a i n s l a r g u e n t l eu rs b o m b e s s u r le c a m p mi l i ta i re e t l ' a g g l o m é r a t i o n d e C h a p L e , t a n d i s q u e le F . N . L . b o m b a r d e a u m o r t i e r l a b a s e d e D a N a n g .

S u r le p l a n i n t e r n a t i o n a l , q u e se p a s s e - t - i l ? T a n d i s q u e H a n o i d é c l e n c h e u n e p r e m i è r e of fens ive p s y c h o l o g i q u e e n p r o m e n a n t à t r a - ve r s t o u t le N o r d - V i e t n a m R o b e r t S h u m a k e r , u n p i lo te a m é r i c a i n a b a t t u lo r s d u r a i d c o n t r e D o n g H o i , P é k i n m e n a c e : « L ' a g r e s s i o n est u n e a g r e s s i o n c o n t r e la C h i n e . N o u s s o m m e s b i e n p r é p a r é s p o u r agir . « P é k i n n e d o n n e c e p e n d a n t a u c u n e p réc i s ion s u r l a f a ç o n d o n t il c o m p t e agir. A H a n o ï o ù il s e t r o u v a i t e n visi te d u r a n t les r a id s amér i ca in s , M . K o s s y g u i n e se c o n t e n t e d e s ' é lever c o n t r e « l ' a t t a q u e b a r b a r e d e l ' av i a t i on a m é r i c a i n e », l a q u a l i f i a n t « d ' a c t e i n c o m p a t i b l e a v e c le d r o i t i n t e r n a t i o n a l e t d a n g e r e u x p o u r l a p a i x ». I l est v r a i q u e s ix m o i s p lu s t ô t s o n p r é d é c e s s e u r , M . K h r o u c h t c h e v , déc l a r a i t lo rs d e la c r i se d u gol fe d u T o n k i n : « L ' U . R . S . S . n ' a p a s d ' i n t é rê t s v i t aux e n A s i e d u sud-es t . » L a visi te d e M . K o s s y g u i n e é ta i t s u r t o u t u n e

r e p r i s e de c o n t a c t . A ins i J o h n s o n a g a g n é son par i . N i l a C h i n e , n i l 'U .R .S .S . n ' o n t b o u g é .

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DIX ANS AVANT : DIEN BIEN PHU

Le jour où commença l'escalade fut pour beaucoup d'Américains le début de la guerre. Pour la première fois des fermiers du Kansas apprenaient à la télévision, en regardant une carte, où se trouvait ce pays d'Asie dont ils avaient tant de mal à prononcer le nom. Peu savaient en revanche que le Vietnam était en guerre depuis vingt ans.

Dix ans et deux mois en effet avant les incidents du golfe du Tonkin, prenait fin la guerre d'Indochine. Le 7 mai 1954 à 18 heures le service d'écoute de l'état-major français à Hanoï captait ce mes- sage : « Les viets sont à 7 mètres ». A 300 kilomètres au nord-ouest de la cité tonkinoise, une tragédie s'achevait dans les montagnes du pays thai proche de la frontière laotienne : après cinquante-cinq jours de combats acharnés, les vagues d'assaut du Vietminh, jaillies de terre, submergeaient les défenseurs de Dien Bien Phu. La chute du camp retranché français marquait la fin d'une guerre qui fit près de 55 000 tués et 80 000 blessés dans les rangs d'un corps expédition- naire, évalué en juillet 1954 à 561 000 hommes. Dien Bien Phu son- nait le glas de près de cent années de présence française en Indochine.

A présent il ne restait plus qu'à négocier. Ce fut la tâche de M. Georges Bidault, ministre français des Affaires Etrangères, puis de M. Pierre Mendès-France qui lui succéda à Genève. La guerre d'Indo- chine avait duré près de huit ans.

Tout commença vraiment le 19 décembre 1946 : à 20 heures. Ce jour-là, les principales villes d'Indochine sont plongées dans l'obs- curité : le Vietminh a fait sauter les centrales électriques. Ses com- mandos passent à l'action et des dizaines de civils français sont mas- sacrés.

Depuis plusieurs mois déjà des incidents opposaient en effet les troupes françaises qui, après la défaite du Japon, tentaient de repren- dre le contrôle du pays, aux partisans de Ho Chi Minh, qui avait pris le pouvoir à Hanoï. L'affaire la plus grave avait été le bombardement de Haiphong par la flotte française le 23 novembre 1946 : il y eut, dit-on, six mille morts vietnamiens.

Le Vietminh (ligue pour la libération du Vietnam) était sorti de la clandestinité à la suite du coup de force japonais du 9 mars 1945 qui avait entraîné la disparition de l'administration coloniale dépendant de

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Vichy et l'élimination de l'armée française qui, jusqu'alors, cohabitait tant bien que mal avec les troupes nippones.

Au lendemain de la guerre, Jean Sainteny, commissaire de la Répu- blique pour l'Indochine du nord, envoyé à Hanoï par le général de Gaulle, et le général Leclerc, commandant en chef des troupes fran- çaises, chargé de rétablir l'autorité de la France en Indochine, enta- mèrent des négociations avec le gouvernement d'Ho Chi Minh installé à Hanoï. Ces négociations aboutirent aux accords préliminaires du 6 mars 1946 : la France reconnaissait la République du Vietnam proclamée par Ho Chi Minh le 25 septembre 1945. Un référendum devait décider par la suite de l'union des trois territoires d'Indochine dont le statut était différent : le Tonkin et l'Annam étaient l'un pro- tectorat français, l'autre royaume protégé depuis 1883, la Cochinchine colonie française depuis 1867. Les négociations sur l'indépendance définitive du pays se poursuivirent à Dalat et à Fontainebleau en avril et août 1946 entre la France et Ho Chi Minh. Elles n'aboutirent pas : à Saïgon s'était constituée en effet une république de Cochin- chine avec l'appui de l'amiral Thierry d'Argenlieu, Haut Com- missaire de France en Indochine, partisan d'une Cochinchine auto- nome au sein d'une fédération indochinoise. Ho Chi Minh ne céda jamais sur l'indépendance et l'unité de son pays. La rupture fut définitive en septembre 1946. La guerre commençait.

A Genève, le Vietnam divisé en deux.

Huit ans plus tard, nouvelles négociations à Genève cette fois entre la France et le Vietminh, avec la participation des représentants de dix-huit pays dont la Chine populaire. La conférence sur les pro- blèmes d'Extrême-Orient règle d'abord la question coréenne (la guerre de Corée s'est terminée en 1953), puis trouve une solution au pro- blème indochinois. Le Vietnam est divisé en deux zones de part et d'autre du 17 parallèle dont le tracé est fixé sur la rivière Ben Hai. Au nord, s'installe la République Démocratique du Vietnam (22 pro- vinces, 13 millions d'habitants); au sud, un Etat indépendant (39 pro- vinces, 12 millions d'habitants) d'abord dirigé par l'empereur Bao Dai (destitué le 23 octobre 1955) puis par M. Ngo Dinh Diem qui pro- clama la République du Vietnam dont il devenait le premier pré- sident.

Les accords de Genève, signés le 20 juillet 1954 après 74 jours de discussion, prévoient que le corps expéditionnaire français quittera progressivement la partie nord du pays, tandis que les maquisards du Vietminh feront de même au sud. Des élections générales devront avoir lieu au plus tard le 20 juillet 1956, afin de trouver un règlement poli- tique au problème vietnamien, en particulier en permettant la réuni-

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fication du pays. Une Commission Internationale de Contrôle composée des représentants de l'Inde, de la Pologne et du Canada est chargée de vérifier l'application des accords.

Mais à Genève les Etats-Unis et le gouvernement vietnamien de Saïgon, qui participent aux discussions, refusent de signer le com- muniqué final de la conférence. C'est ainsi qu'en 1956 le gouverne- ment sud-vietnamien décide de ne pas appliquer un accord qu'il n'a pas signé; pour Saïgon, il n'est pas question d'organiser, comme le demande le Nord-Vietnam des élections générales.

De leur côté, les Etats-Unis publient à la fin de Genève un communiqué dans lequel ils déclarent qu'ils « envisageraient avec une vive inquiétude toute nouvelle agression violant les accords et qu'ils la considéreraient comme une sérieuse menace pour la paix et la sécurité internationale ». En 1962, Washington s'appuie sur cette déclaration pour justifier son intervention au Vietnam.

On peut situer approximativement aux années soixante l'engagement définitif des Etats-Unis au Vietnam. Mais l'intérêt marqué de Washington pour l'Indochine est plus ancien; pour certains il remonte à la seconde guerre mondiale. Ainsi le journaliste américain Bernard Fall rappelle qu'avant l'entrée en guerre des Etats-Unis en 1941, le président Roosevelt avait exprimé la crainte de voir l'Indochine, alors occupée par l'armée japonaise, servir de tremplin à des attaques contre la Malaisie et les Philippines. A plusieurs reprises, le président des Etats-Unis avait d'autre part déclaré qu'il était nécessaire de mettre fin à la colonisation de l'Indochine.

1945 : L'aide U.S. au Vietminh.

Cette thèse, l'administration américaine l'applique sur le terrain dès 1945 en fournissant une aide aux maquisards du Vietminh. En 1946, alors que les armées chinoises pénètrent au Tonkin afin de procéder, comme le prévoient les accords de Potsdam, au désarme- ment des troupes japonaises jusqu'au 1 6 parallèle (les Anglais fai- saient de même au sud), un Américain débarque à Hanoï. C'est le major Archibald Patti, venu implanter une antenne de l'O.S.S. (les services secrets américains). Le major rétablit avec Ho Chi Minh les contacts que ses agents, parachutés à la fin de la guerre dans les jungles du Tonkin, avaient déjà pris avec le Vietminh. A la suite du retour des troupes françaises au Tonkin, l'administration américaine met en veilleuse la mission Patti.

C'est en 1950, lorsque éclate la guerre de Corée, que les Etats-Unis prennent vraiment conscience de l'importance politique et stratégique de l'Indochine (Vietnam, Laos, Cambodge). Depuis plus de trois ans et demi, la France mène contre le Vietminh une guerre qu'à Washington

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on considère comme une opération de caractère colonial. Mais lorsqu'en juin 1950 éclate l'affaire de Corée, les Etats-Unis opèrent en quelques jours une révision totale de leur politique. Pour eux l'action menée en Indochine par l'armée française est directement liée à l'inter- vention des troupes de l'O.N.U. en Corée. Le Vietnam doit en effet obliger la Chine à faire face sur deux fronts, à aider le Vietminh alors qu'elle appuie aussi militairement la Corée du nord. L'Amérique décide donc de fournir une aide en matériel militaire à la France. Washington conclut également un premier accord de coopération éco- nomique avec le gouvernement de Saïgon, et participe à l'équipement de l'armée nationale vietnamienne, qui combat aux côtés du corps expéditionnaire français. Mais il n'est pas question pour le président Truman de cautionner une entreprise coloniale. Washington insiste donc pour que toute l'aide accordée au Vietnam porte la marque : « aide du peuple américain à l'Etat du Vietnam ».

Un an plus tard les premiers conseillers militaires américains arrivent à Saïgon. Ils viennent participer à l'entraînement de l'armée viet- namienne. C'est aussi une période d'intense activité pour le C.I.A. Les agents des services secrets américains multiplient les contacts vietnamiens. La valse des équipes politiques, qui bat son plein sous le règne de l'empereur Bao Dai, provoque à pleusieurs reprises l'inter- vention des hommes de Washington, qui déjà préparent des solutions de remplacement.

Survient Dien Bien Phu. Pour l'Américain moyen c'est la fin d'une épopée. Le jour de la chute du camp retranché, le « New York Times » titre : « Ils furent submergés... ils ne furent pas vaincus ». Une chaîne de télévision présente les dernières bandes d'actualités par- venues, quelques jours avant, du camp retranché dans le cadre d'une émission intitulée « Danger ». En réalité, ce qui préoccupe surtout les Américains en ce mois de mai 1954, ce sont les rebondissements de l'affaire McCarthy. Une commission du Sénat mène en effet une enquête sur les accusations portées contre Roy Cohn, le bras droit de l'inventeur de la « chasse aux sorcières »; Cohn aurait menacé le ministre de la Défense, M. Stevens, de faire des recherches sur ses activités, s'il n'accordait pas un traitement de faveur à l'un de ses amis en service dans l'armée.

Pendant la bataille de Dien Bien Phu, l'état-major américain avait envisagé de dégager le camp en opérant un raid massif de bombar- diers. Finalement la rentabilité de l'opération ne parut pas suffisante aux militaires et aux fonctionnaires du Département d'Etat par rap- port aux risques politiques et au coût de l'opération. Une autre solu- tion avait été envisagée : les Etats-Unis, dit-on, proposèrent au gou- vernement français de lui fournir deux bombes atomiques qui lui auraient permis de frapper un grand coup au Vietnam. Pour le gou- vernement français cela voulait dire que Washington n'envisageait pas

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de s'engager plus avant en envoyant les G.I.'s; l'offre des deux bombes était surtout symbolique. Paris refusa.

« L'Indochine n'est pas essentielle. »

Le 8 mai 1954 cependant, lors de la chute de Dien Bien Phu, une intervention armée des Etats-Unis en Indochine n'était pas encore offi- ciellement écartée. A Genève, Foster Dulles y fait à plusieurs reprises allusion, estimant que c'était là un excellent moyen de faire pression sur les adversaires de la France dans les négociations. Le 9 mai le président Eisenhower convoque le Conseil National de Sécurité en plein week-end et annonce que la septième flotte a reçu l'ordre de patrouiller en mer de Chine. Officiellement, le président doit exa- miner avec les membres du Conseil les mesures à prendre pour aider la France au Vietnam. Mais en dépit des déclarations favorables à la France, le contexte politique américain ne semble pas très favorable à une intervention qui, selon M. Dulles, « coûterait aux Etats-Unis 500 000 tués et blessés ». L'Amérique qui sort à peine de la guerre de Corée vient de réduire son budget de la Défense; elle a ramené ses forces armées de 24 à 17 divisions.

Les membres du Congrès, en particulier ceux qui s'apprêtent à comparaître dans six mois devant leurs électeurs (une partie de la Chambre doit être renouvelée en novembre), sont hostiles à toute nouvelle guerre. Le président ne l'ignore pas, lorsqu'il déclare devant le Conseil National de Sécurité qu'il n'enverrait pas de troupes en Indochine sans l'accord du Congrès. Le parlement lui renvoie la balle : « Nous ne voterons que si le président le demande ». Le 11 mai, Foster Dulles, rentré de Genève où se poursuivent les discussions sur la Corée, déclare : « L'Indochine n'est pas un élément essentiel de la défense du sud-est asiatique ». Le même jour un sondage de l'ins- titut Gallup révèle que 85 % des Américains sont hostiles à l'envoi de troupes au Vietnam.

Les Etats-Unis craignent cependant que le départ des troupes fran- çaises ne crée un vide en Indochine. Foster Dulles fait part de cette inquiétude à M. Mendès-France. Le secrétaire d'Etat américain demande au président du conseil si le gouvernement français est prêt à maintenir le corps expéditionnaire en Indochine. En échange les Etats-Unis proposent de fournir une aide accrue. Mais les Français refusent, considérant que les Etats-Unis ne leur ont pas apporté au cours des derniers mois dans l'affaire vietnamienne tout le soutien qu'ils étaient en droit d'attendre d'un allié. Le 20 juillet 1954, les accords de Genève sont signés sans la participation des Etats-Unis, qui refusent de s'associer à « l'abandon d'une partie du territoire vietnamien au communisme ». Ce jour-là, les journaux américains

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parlent de « capitulation » et concluent : « La France n'a plus la confiance des Etats-Unis ».

Le 27 juillet 1954, le canon cesse de tonner au Tonkin. Le repli des troupes françaises commence. Le 9 octobre l'armée vietminh, fran- chissant le pont Doumer, fait son entrée à Hanoï sous les fleurs et les acclamations.

Moins d'un an plus tard, les Etats-Unis prennent officiellement en charge la totalité de l'aide militaire au gouvernement sud-vietnamien du président Diem. L'arrière-garde des troupes françaises quitte le Vietnam en avril 1956.

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DIEM

Saigon, 9 heures du matin, 26 octobre 1955. Vingt-trois coups de canon tonnent sur la ville; les cloches des églises saluent la proclamation de la première République du Vietnam.

A une majorité massive, 99 % des voix, les Sud-Vietnamiens vien- nent d'élire M. Ngo Dinh Diem à la présidence de la République. Pour l'Asie, pour l'ancienne Indochine, c'est la fin d'un monde. A Cannes, le chef de l'ordre ancien, l'empereur Bao Dai, vient d'appren- dre que les Sud-Vietnamiens ont voté sa déchéance par 5.721.735 voix contre 63.017. Ils ont élu à la tête du pays son propre premier ministre, Ngo Dinh Diem, un homme dont il avait ratifié la nomination en 1954.

Un malaise plane cependant sur ce premier référendum de l'indé- pendance du Sud-Vietnam. Les habitants des villes et des campagnes ont été nombreux aux urnes. Trop nombreux même, affirment cer- tains observateurs politiques. Dans les provinces, le pourcentage des votants a souvent dépassé celui des inscrits. A Saïgon-Cho Lon, il y a eu 605.025 votants pour 450.000 inscrits. A Dalat, il y a eu 600 bul- letins de trop dans les urnes.

Au ministère sud-vietnamien de l'Intérieur on explique ainsi ces étranges résultats : tous les Vietnamiens, y compris ceux qui n'étaient pas inscrits sur les listes électorales, ont fait preuve d'un sens civique développé. D'ailleurs ils n'étaient pas obligés de voter au bureau de leur domicile. Ainsi à Dalat, la station de montagne du Lang Biang, ce sont des touristes venus de Saïgon ou d'autres lieux qui ont voté.

Cependant dans les rues de Saïgon des manifestants, encouragés par des soldats, brûlent un gigantesque mannequin représentant Bao Dai. Sur la poitrine il a la Légion d'honneur... dans la main les trois « symboles » du règne : l'argent, le jeu et les femmes. Sur des bande- roles, les slogans de la nouvelle République : « Pendez celui qui vend sa patrie pour de l'argent ». Sur la place du marché, un groupe de femmes et de militaires enterre dans un cercueil un autre mannequin de l'empereur; on jette sur son corps les effigies de ceux qui l'ont servi : Tam, Huu, les anciens présidents du Conseil qui se sont réfu- giés à Paris.

Au palais Gia Long, où il y a quelques années seulement, résidaient