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299 La diffusion de l’oléiculture dans les vallées du Moyen Atlas, un moyen pour protéger et restaurer les forêts (Khénifra, Maroc) par Samuel PERICHON et Zerhoune MESSAOUDI Introduction D’après des recherches récentes en phytogéographie, la forêt clima- cique couvrait 30% de l’actuel territoire marocain, soit près de 21 mil- lions d’hectares (MHIRIT,BENCHEKROUN, 2006). La croissance démogra- phique et l’essor économique des villes telles que Marrakech, Fès et Salé, ont été à l’origine des premiers déboisements de grande enver- gure (BLEROT, 1999). Pour l’approvisionnement en combustible ligneux (charbon de bois et bois de feu), des incendies ont ainsi été utilisés dans les forêts du Gharb et des alentours de Rabat et Casablanca, dès le Moyen Age. Si la déforestation n’est pas un fait récent dans le pays, la vitesse avec laquelle certaines régions sont déboisées depuis une cin- quantaine d’années, inquiète les pouvoirs publics (AUCLAIR, 1999). Entre 1966 et 1986, plus de 35% des surfaces forestières du Rif et jusqu’à 50% dans la province de Tetouan, ont été réduites en cendres (ANON., 2000). Dans le Moyen Atlas, les forêts s’inscrivent également dans une phase de régression même si, selon les chiffres officiels, seule- ment 18,4% des surfaces de parcours (incluant la forêt) sont considé- rées comme « fortement dégradées » contre 12,7% à l’échelle nationale (LAOUINA et al., 2004). Une fois de plus, à travers cet article, nous pouvons percevoir à quel point les interactions sont fortes entre la forêt et les activités humaines. On y découvre une population rurale marocaine, à la fois attachée à la forêt qu’elle voit disparaître, mais aussi dans l’incapacité de renoncer aux délits qui en sont la cause. A ce titre, et pour préserver les ressources forestières, les autorités ont mis en place des campagnes de plantations d’arbres fruitiers à travers tout le Maroc. forêt méditerranéenne t. XXXI, n° 3, septembre 2010

La diffusion de l’oléiculture dans les vallées du Moyen

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Page 1: La diffusion de l’oléiculture dans les vallées du Moyen

299

La diffusion de l’oléiculturedans les vallées du Moyen Atlas,

un moyen pour protégeret restaurer les forêts

(Khénifra, Maroc)

par Samuel PERICHON et Zerhoune MESSAOUDI

Introduction

D’après des recherches récentes en phytogéographie, la forêt clima-cique couvrait 30% de l’actuel territoire marocain, soit près de 21 mil-lions d’hectares (MHIRIT, BENCHEKROUN, 2006). La croissance démogra-phique et l’essor économique des villes telles que Marrakech, Fès etSalé, ont été à l’origine des premiers déboisements de grande enver-gure (BLEROT, 1999). Pour l’approvisionnement en combustible ligneux(charbon de bois et bois de feu), des incendies ont ainsi été utilisés dansles forêts du Gharb et des alentours de Rabat et Casablanca, dèsle Moyen Age. Si la déforestation n’est pas un fait récent dans le pays,la vitesse avec laquelle certaines régions sont déboisées depuis une cin-quantaine d’années, inquiète les pouvoirs publics (AUCLAIR, 1999).Entre 1966 et 1986, plus de 35% des surfaces forestières du Rif etjusqu’à 50% dans la province de Tetouan, ont été réduites en cendres(ANON., 2000). Dans le Moyen Atlas, les forêts s’inscrivent égalementdans une phase de régression même si, selon les chiffres officiels, seule-ment 18,4% des surfaces de parcours (incluant la forêt) sont considé-rées comme « fortement dégradées » contre 12,7% à l’échelle nationale(LAOUINA et al., 2004).

Une fois de plus, à travers cetarticle, nous pouvons percevoir

à quel point les interactions sontfortes entre la forêt et les activités

humaines. On y découvre unepopulation rurale marocaine,

à la fois attachée à la forêt qu’ellevoit disparaître, mais aussi dans

l’incapacité de renonceraux délits qui en sont la cause.

A ce titre, et pour préserverles ressources forestières,

les autorités ont mis en placedes campagnes de plantations

d’arbres fruitiers à traverstout le Maroc.

forêt méditerranéenne t. XXXI, n° 3, septembre 2010

Page 2: La diffusion de l’oléiculture dans les vallées du Moyen

Trois facteurs sont, semble-t-il, responsa-bles de ce repli constant des surfaces fores-tières : la pression du bétail, l’augmentationdes prélèvements de bois et la sécheresse. Lasécheresse agirait de manière plus ou moinsdirecte, par un allongement du temps derésilience de la forêt (CARRIÈRE, 1996) et parune accélération du dépérissement du cou-vert végétal (ZINE EL ABIDINE, 2004). Si ledahir du 20 septembre 1976, second pilier dela législation forestière au Maroc, imposel’investissement d’au moins 20% des recettesforestières dans l’amélioration sylvo-pasto-rale (rotation des parcours, fertilisation,plantations, traitements phytosanitaires), ilautorise dans le même temps le droit de par-cours, à titre exceptionnel, dans des forêts deprotection 1. Et c’est à ce titre qu’en 1995, lesdégâts ont été considérables, toutes les forêtsautour de Khénifra ayant été mises enpâture. Les riverains jouissent d’autresdroits particuliers comme l’énonce le dahirdu 10 novembre 1912 : « […] Les forêts danstoute l’étendue de l’Empire appartiennent auMakhzen, sous réserve des droits d’usage(pâturage de troupeaux, ramassage de bois)que pourraient avoir les tribus voisines »(MHIRIT, BENCHEKROUN, 2006) ; et ils y sontd’autant plus attachés que la paupérisationdes populations rurales leur fournit uneexcuse pour les outrepasser.Les conséquences de la déforestation sont

redoutées depuis longtemps par les autori-tés, sans doute parce qu’une forêt reste le

meilleur rempart pour stopper l’avancée dudésert (TROIN, 2006). Ce n’est donc pas unhasard si les premières plantations institu-tionnelles, qui remontent à 1918, ont été ins-tallées pour fixer les dunes d’Essaouira etplus tard celles d’Agadir (MHIRIT, 1999). Enmars 1951, le reboisement devient uneaction d’intérêt public dans la lutte contrel’ensablement et la dégradation des sols àvocation agricole. A partir de cette date, lesEaux et Forêts peuvent intervenir quel quesoit le statut légal des terrains. En 50 ans,un demi million d’hectares de terres ontainsi été restaurés, dont 261 000 ha par l’ins-tallation de vergers et 121 000 ha par desboisements de protection. Entre 1980 et1996, plus de 8 millions d’oliviers et 5 mil-lions d’amandiers ont été distribués auxagriculteurs (ibid.). Mais le choix d’installerdurablement l’arbre dans les champs netransforme pas les planteurs en arboricul-teur, surtout lorsque ce sont des éleveurs !Cette question apparaît comme la plus cru-ciale pour l’avenir des paysages boisés dansle pays.À partir des témoignages recueillis auprès

d’une soixantaine d’éleveurs résidant dansdeux communes rurales (objets de la pré-sente étude) de la province de Khénifra, nousavons d’abord eu l’ambition d’évaluer l’im-pact des facteurs énoncés dans le deuxièmeparagraphe. Nous avons ensuite abordé laquestion de l’efficacité des politiquespubliques en faveur du reboisement, ainsique la place de l’arbre champêtre dans lespratiques agraires locales. Ce travail d’en-quête devait permettre de valider ou nonl’opportunité d’une action de plantationsdans les communes de Sebt Aït Rahou etMoulay Bouâzza.

Les causes de la déforestation

Les deux communes étudiées rassemblentun peu plus de 15 000 habitants, et sontsituées à environ 2h30 de route au sud-est deMeknès dans une région au relief accidenté(Cf. carte 1). L’élevage extensif d’ovins et decaprins associé à une petite céréaliculture enbour (c’est-à-dire sans irrigation) qui selimite au blé et à l’orge (Cf. Photo 1), est laprincipale source de revenu de la populationlocale. La superficie cultivable ne représenteque 23% de la superficie totale, l’essentiel duterritoire étant occupé par des forêts et desterrains de parcours à usage collectif.

300

1 - « […] L’admission auparcours, à titre excep-

tionnel du bétail de frac-tions ne possédant sur la

forêt aucun droit d’ori-gine mais pour qui latranshumance serait

considérée comme unenécessité vitale du fait de

la calamité d’originemétéorologique ayant

frappé leur territoired’élevage »

Carte 1 :Localisation des sites

d’étude dans la partiecentrale des forêts du

Moyen Atlas (d’après uninventaire réalisé par le

Service des Eaux et Forêts)

Page 3: La diffusion de l’oléiculture dans les vallées du Moyen

301

Dans cette première partie, nous condui-rons une analyse diachronique du couvertforestier dans l’oued Jab’ou ; puis, à partirdes relevés pluviométriques de la stationmétéorologique d’Aguelmous (1971-2009),nous dégagerons des tendances décennaleset saisonnières, nous porterons une attentionparticulière à l’identification des années de« sécheresse agricole », à leur intensité et àleur fréquence ; enfin nous détaillerons leprotocole d’enquête et analyserons le profildes enquêtés.

La disparitionde la strate arborescenteet la banalisation du cortègefloristique dans la régionde l’Oued Jab’ou(Sebt Aït Rahou)Les travaux de numérisation effectués sur

la base de clichés aériens mettent en lumièreune très nette dégradation des couvertsforestiers durant le demi-siècle écoulé (Cf.carte 2). Le terrain sélectionné pour la carto-graphie par SIG (Système d’information géo-graphique) couvre presque la totalité de lasuperficie du douar Ichi (Cf. Photo 1).

En 1955, la forêt occupait 41% du terri-toire soit 460 hectares (Cf. Tab. I). Sur plusde 40% de cette surface, le recouvrement dusol par la strate arborescente dépassait 85%.Une dizaine d’années seulement après la

Recouvrement par la strate 1955 1991arborescente

> 85% 189,5 ha 41,2% 15,6 ha 3,4%45 à 65% 186 ha 40,4% 143,1 ha 31,1%

< 15% 84,7 ha 18,4% 301,5 ha 65,5%

Tab. I (ci-dessus) :Evolution du couvertforestier entre 1955et 1991

Carte 2 :Evolution du couvertforestier dans l’ouedJab’ou 1955-1991

Photo 1 :Céréaliculture sur «bour »La photographie a été réalisée en janvier 2009 dans le douar d’Aït Ichi, au pied dumont Bou Ighar Mane (alt. 960 m). Au premier plan, des parcelles non encore embla-vées sont visibles, quelques touffes de jujubier et des oléastres sont présents en bor-dure ou en plein champ. Au second plan, une ferme domine un cours d’eau bordépar des lauriers roses. En arrière plan (au centre), une petite plantation de pin a étéréalisée au pied du mont Zokch.

Photo S.P.

Page 4: La diffusion de l’oléiculture dans les vallées du Moyen

sédentarisation des familles, l’impact desactivités agricoles et pastorales est déjà per-ceptible sur tous les versants forestierssitués en deçà de 650 mètres d’altitude, ainsique sur certaines lignes de crêtes des massifsde Zokch et de Tamimayt.Dans les quatre décennies qui suivent, la

régression de la forêt est impressionnante.Le constat est fort inquiétant, car il signalemoins la dégradation d’un milieu que sa dis-parition. Environ 40% des terrainsaujourd’hui peu pourvus d’arbres (recouvre-ment < 15%) étaient abondamment boisés aumilieu des années cinquante. Le cas du mas-sif el Hamed (à l’est de la carte) est triste-ment représentatif. Notre inquiétude estd’autant plus grande que la mise à nu d’unsol paraît marquer un point de non-retourpour les arbres. A moins que les services del’Etat n’interviennent par l’installation depinèdes comme cela fut le cas en 1972 àTamimayt ou plus tard à Zokch.Parmi les espèces pérennes du couvert

végétal, nous trouvons principalementQuercus ilex (chêne vert), Olea europaea(oléastre), Tetraclinis articulata (thuya deBerbérie), Rhus pentaphylla (sumac à cinqfeuilles), Ziziphus lotus (jujubier deBerbérie), Juniperus phoenicea (genévrier),Pistacia lentiscus (pistachier lentisque) etChamaerops humilis (palmier nain). Lastrate herbacée (associée à la chênaie verte)dont la production fourragère en année agri-cole normale est estimée à environ300 UF/ha (NAGGAR, 2000), est surtout com-posée d’espèces annuelles comme : Medicago

laciniata (luzerne laciniée), Malva hispanica(mauve d’Espagne), Plantago sp (des plan-tains), Astragalus sp (des astragales) et desErodium.La régression forestière décrite précédem-

ment s’accompagne d’une modification de lacomposition floristique. D’une manière trèsschématique, un taux de recouvrement fores-tier supérieur à 85% est propice à une plusgrande diversité végétale, même si le chênevert, l’oléastre, le genévrier et le sumac àcinq feuilles (tizra) dominent. Le Thuya deBerbérie, essence emblématique de l’Atlas,était également présent dans les forêts deSebt Aït Rahou et Moulay Bouâzza, mais iln’a pas survécu aux exploitations impor-tantes réalisées pendant la guerre de 1939-45 pour couvrir les besoins en charbon des-tiné aux gazogènes, alors que les effectifsd’agents de surveillance étaient réduits etque les jeunes pousses produites par ce rési-neux qui rejette assez vigoureusement ontété détruites par les abus de pâturage. Lessouches de thuya de Berbérie encore visiblesdans le sous-bois et les témoignages relevéslors des enquêtes l’attestent indiscutable-ment. Avec des valeurs entre 45 et 65%, lerecouvrement au sol du chêne et de l’oléastrediminue fortement, et le tizra laisse peu àpeu la place au pistachier lentisque. En deçàd’un taux de 15%, le couvert végétal est sur-tout composé de buissons de lentisque, dejujubier et de nappes de palmier nain oudoum, plante qui bénéficie par ailleurs demesures de protection particulières relativesà la production et à la commercialisation ducrin végétal (dahir du 24/10/1962). Onassiste en fait à une banalisation du cortègefloristique au profit des plantes toxiques ouépineuses refusées par le bétail (QUÉZEL,1999).

Des sécheressesexceptionnelles alternentavec des annéesexceptionnellement arrosées…La sécheresse agricole se définit comme :

« un déficit pluviométrique marqué pouvantcauser une réduction significative de la pro-duction agricole » (BOOTSMA et al., 1996).Pour BARRAKAT et al. (1998), la sécheresseagricole est certaine si le déficit pluviomé-trique dépasse 38%, ce qui représente, pournotre site d’étude, moins de 345 mm/an.Entre 345 mm et 447 mm, c’est-à-dire undéficit de 18,9 à 38 %, la caractérisation de la

302

Photo 2 :L’érosion des solspar la destruction

de la couverture forestièrea amené le Service

des Eaux et Forêts à initierdes programmes

de plantation d’arbres.Ces opérations de

restauration écologiques’accompagnent d’un

dispositif de protectionplus ou moins efficace.Il se matérialise, entre

autres, par la pose d’uneclôture avec plusieurslignes de fil barbelé.

Photo S.P.

Page 5: La diffusion de l’oléiculture dans les vallées du Moyen

303

sécheresse dépend de l’écart entre l’évapo-transpiration réelle et potentielle, du déficiten eau dans le sol et surtout de la distribu-tion saisonnière des précipitations. Ainsi,dans la région de Settat, toutes les annéesdéficitaires en automne et en hiver, exceptél’année 1949-1950, ont été des années desécheresse (YACOUBI et al., 1998).A partir des données enregistrées par la

station météorologique d’Aguelmous 2, nousavons identifié 13 années de sécheresse surla période 1971-2009, soit une tous les troisans contre une tous les cinq ans entre 1940et 1995 (BARRAKAT et al., 1998). Durant ladécennie 1970, une décennie où la moyennedes précipitations était supérieure de 20% àla normale (658 mm/an), aucune année desécheresse n’a été enregistrée : l’année lamoins arrosée étant 1972-1973 avec 517 mm.La sécheresse s’installe dès le début de ladécennie suivante et pour plusieurs années :1980-1981, 1982-1983 (– 40%), 1983-1984 et1984-1985. Au cours du siècle dernier, unesuccession d’années de sécheresse avait déjàfrappé le Maroc entre 1930 et 1935 (MOKSSITet al., 2001). Depuis septembre 1992, leMoyen Atlas a connu quatre des cinq séche-resses les plus sévères rencontrées au coursdes quarante dernières années, dont celle de1992-1993 (287 mm) et celle de 1994-1995(307 mm) considérée comme la plus sévèredu siècle. Pourtant les moyennes décennalespour 1990 et pour 2000 sont conformes à lanormale : 558 mm. En réalité, aux annéesexceptionnellement sèches comme 1992-1993, 1994-1995, 1998-1999 ou 2004-2005,répondent des années exceptionnellementpluvieuses. Au cours des quinze dernièresannées, la pluviométrie a atteint à quatrereprises des hauteurs d’eau jamais enregis-trées depuis au moins quarante ans :951 mm en 1996-1997, dont 473 mm pour leseul mois de décembre ; 940 mm en 1995-1996, dont 305 mm en janvier 3 ; 923 mm en2008-2009 et 796 mm en 2003-2004. Il fautremonter à l’année 1976-1977 pour que lapluviométrie dépasse le seuil de 750 mm.En pondérant les variations interan-

nuelles, la moyenne décennale mobile desprécipitations permet de dégager troispériodes (Cf. Fig. 1). La première période(1971-1981 à 1978-1988) met en évidenceune baisse régulière des apports pluviomé-triques : – 17,6%, l’équivalent de 110 mm.Entre 1988 et 1995 4, les précipitations sontstables : plus ou moins 20 mm. A partir de1995, une courbe en dents de scie se dessinealternant, des valeurs hautes proches de la

moyenne décennale 1971-1981 et des valeursbasses inférieures à 500 mm. Ces tendancesn’apparaissent pas forcément dans la distri-bution saisonnière des pluies (Cf. Fig. 1). Lesprécipitations automnales par exemple ontaugmenté quasiment sans interruption pas-sant de 120 mm à près de 160 mm, soit ungain de 30%. Les pluies estivales diminuentdepuis 1996, pour retrouver un niveauproche de la décennie 1971-1981. Mais latendance à la baisse est surtout perceptiblepour le printemps : – 40%. Jusqu’en 1984, lamoyenne décennale est supérieure à215 mm. En 1986, elle chute à 150 mm.Hormis les décennies 1987-1997 et 1988-1998, les valeurs resteront comprises entre135 et 160 mm. La pluviométrie d’hiver sui-vrait, elle, des cycles de 7 à 10 ans alternantdes décennies pluvieuses (230 à 260 mm) etdes décennies moins arrosées (175 à200 mm).

57 éleveurs de moutons et dechèvres ont été interrogésL’enquête d’opinion a été réalisée au début

de l’année 2008 lors des marchés hebdoma-daires de Sebt Aït Rahou (le samedi) etMoulay Bouâzza (le mercredi). Les question-naires ont tous été lus à voix haute, et rem-plis sur place par trois enquêteurs de l’Ecolenationale d’agriculture de Meknès (ENAM)ou de l’Amicale des associations de chasseursdu Moyen-Atlas (AACMA). Les éleveurs

2 - Pour la période posté-rieure à 1983-1984, lesrelevées pluviométriquesnous ont été fournis parle responsable de la sta-tion météorologique. Lesrelevés antérieurs à 1983-1984 ont été estimés parsuperposition des don-nées enregistrées par lastation météorologiquede Khénifra. La stationd’Aguelmous est distanted’une trentaine de kilo-mètres, à vol d’oiseaux,de notre terrain d’étude(Cf. carte 1).

3 - Au cours de l’annéecivile 1996, la stationd’Aguelmous a enregistré1 248 mm d’eau.

4 - C’est-à-dire lapériode : 1978-1988à 1985-1995.

Fig. 1 :Les moyennes mobilesdécennalesdes précipitations(Aguelmous, 1971-2008)

Page 6: La diffusion de l’oléiculture dans les vallées du Moyen

interrogés, au nombre de 57, étaient tous ori-ginaires de douars situés dans les deux com-munes mentionnées : Aït Ichi, Aït Rahou OuYahya, Aït Ali Ou Yahya, Aït Bourâoud, AïtIchou Abbi, Aït Ahmed Ou Ourahou, ElBouâzzaouiyine et Aït Boukhayyou. Lesquestions posées portaient principalementsur la place des ligneux dans les modes d’ex-ploitation du milieu en distinguant lesplantes installées sur des terrains privatifs,des plantes de parcours ou de forêt doma-niale. L’analyse a été conduite sous plusieursangles : les fonctions agricoles et domestiquesdes arbres et arbustes, les revenus directs etindirects, la dynamique spatiale et les poli-tiques publiques de replantation (boisementsde protection, vergers). Le présent question-naire s’intégrait dans une étude d’avant-pro-jet pour l’implantation de petites oliveraies 5.L’enquête a été complétée en avril 2009 parune série de douze entretiens semi-directifsavec des éleveurs ayant participé au projet 6.

La plupart des enquêtés se sont sédentari-sés au début des années 1940. Par tradition,plusieurs générations vivent ensemble,jusqu’à quatorze personnes sous un mêmetoit. Cette coexistence semble se prolonger enraison de la précarisation des jeunes et de lapaupérisation des ménages. Les familles dis-

posent en moyenne de 12,7 ha de terre sur dessols pauvres, dont 8,2 sont occupés par descéréales (blé et orge) ou de la luzerne et 4,5sont laissés au repos (jachère). Comme lescéréales ne fournissent jamais plus de 8 quin-taux par hectare en année agricole normale,le revenu des ménages est surtout assuré parla vente de bêtes à laine. Le gardiennage destroupeaux, les travaux de labour et les mois-sons restent la principale activité de la popu-lation masculine. Les femmes participentaussi aux travaux des champs. En outre, ellesassurent une activité d’artisanat et diversestâches ménagères dont la recherche de l’eauet du combustible. L’habitat est dispersé aumilieu des petites exploitations émiettées àl’intérieur de vastes étendues de parcours.L’organisation sociale est toujours fondée surle système tribal patriarcal avec peu d’organi-sations coopératives ou associatives.

L’adaptation à la surexploita-tion des ressources forestières

Les résultats seront organisés en trois par-ties. Dans une première partie, nous montre-rons à travers les usages de la forêt combienson exploitation est indispensable au main-tien des populations locales (MERLO,CROITURO, 2006). La deuxième partie seraconsacrée à cette rupture paysagère rurale(DONADIEU, 2009) et aux raisons qui parais-sent justifier la déforestation. Enfin, nousnous interrogerons sur l’avenir des paysagesarborés dans cette région de moyennes mon-tagnes et proposerons des pistes pour la pré-servation des ressources forestières.

Peut-on stopper le dépérisse-ment des couverts forestiers ?Les éleveurs interrogés accordent deux

fonctions à la forêt (Cf. Tab. II) : une fonc-tion de production (combustible ligneux,fourrage, gibier, fruits) et une fonction deprotection (sol, vent).

304

nulle faible forte essentielle

Combustible ligneux 7 50 87,7%Fourrage 9 48 84,2%Protection des sols 1 8 48 84,2%Gibier 1 7 49 86,0%

Tab. II :Les principales ressources de la forêt.Les chiffres correspondent au nombre d’enquêtés ayantrépondu : nulle, faible, forte, essentielle, à la question :“quel est le degré d’utilité de la forêt pour l’approvision-nement en : combustible ligneux, fourrage, protectiondes sols et gibier ? Les pourcentages correspondent aunombre d’enquêtés ayant répondu “essentielle” parrapport à l’échantillon (57 éleveurs).

5 -Le projet (Wad Zokch) aété conduit par l’association

française Un arbre pourdemain en partenariat

avec l’ENAM, l’AACMAet les Pépinières Chaymae

(Meknès).6 - Une restitution sous laforme d’un clip vidéo est

téléchargeable sur :www.dailymotion.com/video/

x93466_projet-wad-zokch-2009_travel

Photo 3 :La surexploitation des res-

sources ligneuses poursatisfaire la demande en

énergie se vérifie par la pra-tique du charbonnage sur

des terres de parcours.L’étendue du foyer

(7 mètres de diamètre)témoigne de la quantité

sans doute importante decharbon de bois produite

lors de cet exercice. Le boiscarbonisé provient de

coupes pratiquées sur unpeuplement de chêne vert

âgé de 30 à 40 ans.Photo S.P.

Page 7: La diffusion de l’oléiculture dans les vallées du Moyen

305

Au Maroc, le régime forestier général(dahir du 10/10/1912) autorise le ramassagedu bois mort gisant, des bois verts et desperches pour la construction ou la répara-tion des habitations (ou pour le chauffageen cas de pénurie de bois sec). Il permetégalement le ramassage des fruits pour unusage domestique. En période de sécheresseprolongée ou d’enneigement, la coupe debranches et l’écimage sont tolérés pour ali-menter le bétail. Compte tenu de la raretérelative de cette ressource, les usagers seplacent aujourd’hui dans l’illégalité en pra-tiquant des ébranchages sauvages parfoismême des coupes à blanc pour du charbon-nage. L’étendue des parcours dans les forêtsdomaniales et le nombre d’usagers à SebtAït Rahou et Moulay Bouâzza, rendent lescontrôles particulièrement difficiles pour lesquatre gardes forestiers en poste. En théo-rie, ces infractions devraient être sanction-nées par des peines allant d’une amendeforfaitaire à un emprisonnement sans pré-judice de dommages et intérêts. La loi fores-tière requiert par exemple le paiement autrésor public de 100 à 480 dirhams (l’équi-valent de 10 à 50 euros) pour le défriche-ment d’un hectare de forêt, et 5 à 15 joursde prison pour une condamnation en réci-dive. Or l’absence de poursuite des délitspar les forestiers contribue à la banalisationde pratiques d’autant plus destructrices quele recouvrement du sol par les arbres estfaible. Ainsi, soir après soir et souvent auvu des forestiers, des femmes redescendentdes massifs le dos plié sous la charge debois (Cf. Photo 4). Pour une journée dedéplacement, jusqu’à 60kg de petit bois parpersonne peuvent être prélevés (BLEROT,1999). Le combustible ligneux estconsommé dans le secteur domestique et lecharbon peut donner lieu à des ventes encircuit court : la bourgade de Sebt AïtRahou étant le principal débouché de cetteactivité délictueuse. Selon les chiffres four-nis par l’administration, on estime les pré-lèvements locaux de bois à 2,6 stères parhabitant et par an.

Avec une surface disponible d’une dou-zaine d’hectares de terre, les éleveurs doi-vent nourrir en moyenne 50 moutons, 30chèvres et 5 vaches. Aussi l’alimentation desanimaux est-elle fortement tributaire de labiomasse végétale des terres des parcours. Ilest difficile d’estimer cet apport même s’ilévolue vraisemblablement entre 60 et 85%en fonction des variations pluviométriques etde la charge animale (12 têtes/ha en 2007-2008). Quand une sécheresse s’installe, lecoût prohibitif du fourrage implique unallongement de la durée de pacage, l’ébran-chage systématique des arbres (pour fournir

Photo 4 :Trois jeunes femmesregagnent leur foyeraprès quelques heurespassées en forêt à ramas-ser du bois mort. Deuxd’entre elles marchentpéniblement, le dos pliésous une charge de 30 à40 kg, la femme ouvrantla marche porte unenfant sur son dos.Photo S.P.

Photo 5 : Dans le douar d’Aït Ichi, la première planta-tion financée par les pouvoirs publics remonte à 1972.Le Service des Eaux et Forêts a opté pour l’installationd’une pinède sur des flancs de collines. Quarante ans

plus tard, les plants ont produit des arbres dont la valeursylvicole est faible voire nulle. En revanche, l’incidence

du boisement sur les écoulements superficielset sur la stabilité des sols est plus positif. Photo S.P.

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un fourrage d’appoint), l’ouverture de nou-veaux parcours et/ou une réduction différéemais très significative du nombre d’animauxd’élevage notamment des ovins. La séche-resse s’accompagne d’un recul de la biodiver-sité pastorale par l’avortement du cycle végé-tatif chez certaines espèces (NAGGAR, 2000).Une année pluvieuse ne permettra pas

toujours un rattrapage de la végétation, caril s’en suit une augmentation rapide destroupeaux (MALAGNOUX et al., 2007). Uneétude récente conduite par la Direction pro-vinciale de l’agriculture de Meknès indiqueen effet que le degré d’utilisation de la végé-tation (pour une année agricole normale)dépasse déjà de 60% la limite préconiséepour assurer le bon état des parcours. Dansce cas, le surcoût lié à la dénudation des ter-rains est supporté collectivement, alors quele gain perçu pour chaque bête supplémen-taire revient aux propriétaires. Cette théorieest mieux connue en Europe sous le terme de« tragédie des communs » (HARDIN, 1968). Si

la dénudation des sommets et des pentesréduit souvent la charge animale, le proces-sus favorise aussi le lessivage des sols sque-lettiques jusqu’à l’affleurement de la roche-mère (GAUCHÉ, 2006). L’écoulement des eauxpluviales s’en trouve modifié. Le ruisselle-ment plus intense, creuse des ravines sou-vent larges de plusieurs mètres en bas despentes, ce qui perturbe la conduite des trou-peaux et peut priver les animaux de surfacesd’herbe à brouter.Outre le bois et le fourrage, les usagers

exploitent depuis toujours les ressourcescynégétiques de la forêt. Avant la créationd’associations locales de chasseurs au débutdes années 1980, la pratique était « libre »,on parlait de « chasse banale ». Du fait d’unetrop forte pression exercée sur le petitgibier 7 et des effets de la sécheresse sur lavégétation, le tableau de chasse réalisé abrutalement chuté au grand mécontente-ment des chasseurs. Afin de soutenir dura-blement les effectifs de gibiers, pas moins de23 associations de chasseurs regroupant plus500 adhérents se sont créées dans la région.Ce réseau associatif élabore aujourd’hui desplans de chasse sur des lots amodiés (endéterminant un nombre d’attributions). Ilmet en défens certaines zones de parcourspour garantir la reproduction, la nidificationet la quiétude des populations, et financechaque année plusieurs lâchers de per-dreaux.

Le souhait d’une gouvernanceparticipativeSans la forêt, l’activité agricole se limite-

rait à des cultures céréalières aux rende-ments très incertains (BIROT, 2000). La sub-sistance d’une population encore trèslargement agricole ne serait sans doute plusassurée. C’est pourquoi, la forêt demeure lacomposante première d’une agriculturerémunératrice, et la diversité des pratiquessociales en est révélatrice. Or comme évoquéprécédemment, les surfaces boisées dispa-raissent sous nos yeux. Les riverains ont unelarge part de responsabilité. En fait, la forêtest devenue un vaste parcours où des trou-peaux bien trop nombreux cherchent à apai-ser leur faim et où les usagers prélèvent sansrestriction du bois pour cuisiner, pour sechauffer voire pour être carbonisé etrevendu. Mais en invoquant de manièreincantatoire que la sécheresse est la cause detous les maux, la population ne perçoit plusque son impact est non négligeable. Moins

306

7 - Perdreaux, lièvres,pigeons, tourterelles

et cailles.

Nombre d’enquêtés Suffrages Suffrages exprimés(en %) (en %)

confiants 7 12,3 20,6prudents 13 22,8 38,2pessimistes 14 24,6 41,2indifférents 23 40,4

Tab. III :Perception de la politique

en faveur de la forêt(reboisement)

Photo 6 :La mise en forme de cet

oléastre est révélateur de laforte pression qui s’exercesur les plantes fourragères

dans cette région tradition-nellement dédiée à l’éle-

vage de bêtes à laine.L’arbre constitue en effet

une réserve utile en périodede soudure ou de disette,

ainsi est-il ébranché etécimé de manière très

régulière. Le produit de lataille gît sur le sol, les

branches une fois effeuil-lées par le bétail seront uti-lisées comme combustible.

Photo Z.M.

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d’un enquêté sur cinq évoque l’impact del’homme et sa réticence à modifier les pra-tiques en place. Certaines personnes, fata-listes, vont même jusqu’à accepter la dispari-tion totale de leurs forêts, probablementparce qu’ensuite la tentation sera granded’effectuer des labours. Cela dit, l’argumen-taire sur lequel s’appuie la dynamiquerégressive de la forêt est assez bienconstruit : en retardant la pousse du couvertvégétal, la sécheresse accentue la pressionsur les ressources sylvo-pastorales. Pour évi-ter un trop grand amaigrissement ou laperte des animaux, les éleveurs sontcontraints d’acheter du fourrage ou du graince qui enchérit le coût d’élevage. Comme laperte de revenu ne peut pas être compenséepar la vente des excédents céréaliers car lesblés et l’orge subissent, eux aussi, les effetsde la sécheresse, l’extension des surfacesemblavées au détriment des parcoursdevient une variable d’ajustement en l’ab-sence d’intensification des pratiques agri-coles.La remise en question de l’équilibre agro-

sylvo-pastoral a conduit les services de l’Etatà opter pour des structures de conservationdont l’efficacité reste toutefois limitée(QUÉZEL, 1999). Le manque d’effectifs dans lafonction territoriale et surtout la pauvretédes usagers de la forêt sont en effet denature à compromettre la réussite de l’actionpublique. Ainsi, un peu plus de 40% des éle-veurs interrogés et jusqu’à 60% parmi lesmoins de 40 ans, ne souhaitent pas s’expri-mer sur cette question. Et une majorité,dans la classe des plus de 50 ans, estime quedans tous les cas de telles initiatives se sol-deront par un échec. En revanche, les per-sonnes âgées de 40 à 50 ans, surtoutlorsqu’elles envisagent d’abandonner l’éle-vage, se réjouissent de voir les pentes boiséespar des pinèdes (Cf Tab. III).Exprimer sa confiance voire son enthou-

siaste pour le reboisement n’empêche pasd’apporter des réserves sur une action, impo-sée souvent, ressentie comme étant tropautoritaire. Ce sentiment est largement par-tagé puisque 90% des enquêtes expriment lanécessité d’une gouvernance participativedes projets d’aménagement de la forêt.L’implication de la population dans la ges-tion de ce patrimoine serait un gage de suc-cès (MELHAOUI, 2002), car comme ils le men-tionnent, ils sont les dépositaires d’un savoirempirique pour le sylvo-pastoralisme enmontagne (COURLET, 2006). Les éleveurs jus-tifient leur pessimisme en raison des difficul-

tés économiques auxquelles la région faitface depuis 1980. Assurer la sécurité alimen-taire du cheptel est devenue si probléma-tique que le moindre terrain enherbé, fût-ilinscrit dans un périmètre de protection ouplacé sous une pinède financée par l’Etat,n’échappe pas à la vue des jeunes bergers ;patiemment ils attendront la tombée de lanuit pour y faire paître leurs troupeaux. Lesdégâts causés vont bien sûr au-delà de ladestruction du tapis herbacé avec l’accroisse-ment de l’érosion des sols et des risquesd’inondation des plaines et vallées.

Les forêts dépérissent,les campagnes se boisent…L’effondrement des revenus céréaliers et

l’évolution chaotique des revenus de l’élevageplacent désormais l’arboriculture comme unealternative crédible dans la lutte contre lapauvreté dans les campagnes. Sur une sur-face de 724 ha de plaine et de piedmont 8,près de 2 800 arbres fruitiers ont été recen-sés, soit une densité de 3,8 arbres/ha. Lesplantations sont surtout composées d’oliviers(83%), mais aussi d’amandiers (11%) et defiguiers (5%). L’olivier est présent sur plus70% des exploitations, mais les arbres sontjeunes (moins de 15 ans) et en nombre trèslimité : 35% des exploitations possèdentmoins de 10 pieds. Les rendements moyensen olives varient entre 5 et 25 kg/arbre avecune moyenne de 11 kg/arbre, ce qui estconforme à la moyenne nationale :12 kg/arbre (MAPM, 2009). Cette variations’explique par le matériel végétal utilisé, et

8 - Surface accumuléedes 57 exploitationsenquêtées.

Photo 7 :La surexploitationde la forêt détruit lepotentiel agricole decette région du MoyenAtlas en transformantles terres de parcoursen des terres pelées.Sur certaines portions duterritoire, les arbres ontdisparu. La végétation seréduit à quelques plantestoxiques ou épineusesrefusées par les animauxd’élevage. Le sentimentd’être face à un désertprend toute sa dimensionavec la répétitiondes sécheresses.Photo S.P.

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l’importance et la fréquence des irrigationsd’appoint. Le profil variétal choisi, très large-ment dominé par la variété Picholine maro-caine, est connu pour son alternance. Lacompétition en été entre, d’une part, lesfruits en croissance et développement et,d’autre part, la formation des bourgeons flo-raux qui donneront la production de la sai-son suivante, en est la raison majeure.L’alternance peut également être accentuéelorsque les arbres sont soumis à une séche-resse pendant leur croissance et/ou lorsqu’ilsne sont pas entretenus correctement :absence d’une taille de fructification appro-priée, manque d’apport de fumure organiqueou minérale et sols non travaillés.A l’issue d’une étude d’avant projet, une

opération de plantations portant sur 5.000oliviers a été finalisée. En mars 2009, lesplants ont été répartis entre 72 familles descommunes de Sebt Aït Rahou et MoulayBouâzza (Cf. Photo 8). Un inventaire desplantations à année +1 a été pratiqué surl’ensemble des exploitations du douar Ichi.Sur 2 141 plants d’olivier installés, seule-ment 191 faisaient défaut au moment del’enquête, soit une perte de 8,9%. Plusieurscauses dont certaines peuvent être liées, ontété évoquées par les planteurs pour expli-quer la mortalité : l’asphyxie, le dessèche-ment, la défoliation par des insectes, l’abrou-tissement par le bétail, le passage de grandgibier. Dans deux tiers des cas, la mort de laplante est imputable à un excès d’eau (inon-dations de décembre 2009 et janvier 2010).Aucun lien n’a été établi entre les taux demortalité enregistrés et les variétés propo-sées : Picholine marocaine, Menara et

Haouzia (deux nouvelles variétés sélection-nées par l’INRA de Marrakech).Ces très bons résultats (91,1% de réussite)

ont été obtenus grâce à la qualité des plantsfournis et à l’encadrement de l’ENAM, en par-ticulier lors de la préparation du sol. Ilsrécompensent aussi l’investissement et lesérieux des planteurs : pose de clôtures,apports de matière organique, paillage, irriga-tion d’appoint. Il faut souligner le courage decertaines familles qui, faute de système d’irri-gation, ont apporté dès le mois d’avril et à dosd’âne, l’eau nécessaire à la croissance desjeunes oliviers (Cf. Photo 9). En réponse aumouvement collectif suscité par la premièrecampagne de plantation, il a été décidé derenouveler l’opération en mars 2010 avec lalivraison de 3 000 oliviers supplémentaires 9.

Conclusion

Dans les années 1940, les forêts du MoyenAtlas pouvaient supporter des épisodes secset répétitifs, car la pression du pâturagen’était pas suffisante pour enlever la possibi-lité d’une résilience aux systèmes écolo-giques. Cet immense territoire était par-couru par des tribus nomades pratiquantl’élevage extensif et la transhumance d’ovinset de caprins. Dans les communes de SebtAït Rahou et Moulay Bouâzza, la sédentari-sation des éleveurs coïncide avec une régres-sion des surfaces forestières. Dans certainsdouars comme Aït Ichi, près de 70% du cou-vert arborescent a disparu du paysage enmoins de 50 ans ou est fortement dégradé.Pourtant, des plantations institutionnelles(forestiers) ont ponctuellement reverdi lespentes soumises à une érosion intense. Leséleveurs estiment que ces actions ne peuventêtre efficaces que si les autorités optent pourune démarche impliquant leur participation.Il serait abusif d’en conclure que le devenir

des forêts repose uniquement sur la capacitédes éleveurs à gérer en commun les res-sources sylvo-pastorales ou sur leur intégra-tion dans le dispositif décisionnel du servicedes Eaux et Forêts. Une nouvelle piste pour-rait être explorée localement : celle du déve-loppement de l’arboriculture fruitière dans lesvallées. Cette piste a déjà fait ses preuves àmaintes reprises et dans de nombreusesrégions. Une action de grande envergure estmenée depuis 2003 dans le pays par une ONGaméricaine (High Atlas Fondation). L’objectifest de financer un million d’arbres fruitiers à

308

Photo 8 :Quelques minutes après

l’arrivée des 5 000 plantsd’olivier, les premiers

éleveurs du douar Ichiréceptionnent leurs com-

mandes. Une participa-tion de 3 dirhams par

plant a été demandée auxplanteurs, la somme a

ensuite été versée à uneassociation locale pourassurer la maintenanced’un puits financé par

l’ambassade du Japon.Photo Z.M.

9 - Les 3 000 plants ontété offerts par les

Pépinières Chaymae(Meknès). La première

campagne avait été finan-cée par le Conseil généraldes Côtes d’Armor et des

parrainages d’arbres(entreprises

et particuliers).

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travers le Maroc : 150 000 plants ont déjà étélivrés. Il est vrai qu’avec les revenus du com-merce des fruits, les éleveurs pourraient nonseulement vivre mieux, mais aussi se détour-ner du pastoralisme. Pour les plus optimistes,la conjoncture économique (et climatique) estune chance, car elle oblige les éleveurs à valo-riser la place de l’arbre champêtre et cela auxdépens d’autres activités agricoles dont onconnaît l’impact négatif sur ce milieu.Contre toute attente, les éleveurs de Sebt

Aït Rahou et Moulay Bouâzza ont largementadhéré au programme de plantation d’oli-viers ; ils ont clôturé et entretenu leursjeunes oliveraies, ils ont investi dans l’acqui-sition de système d’irrigation par goutte-à-goutte. Autant d’éléments qui traduisent unevolonté locale de répondre aux nouveauxenjeux de l’agriculture du Moyen Atlas. Surles deux communes étudiées, l’évolution durecouvrement du sol par les arbres met enévidence une dynamique paysagère trèscontrastée, avec une forêt qui partout semble(encore) régresser et des champs labourésqui se ferment progressivement à la faveurdu développement de l’oléiculture.

S.P., Z.M.

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Photo 9 :Un apport régulier d’eau est indispensable pour la bonne pousse des plantsSi 85% des oliveraies sont aujourd’hui dotées de système d’irrigation par goutte-à-goutte, certains planteurs sont contraints, faute de moyens financiers, d’assurer unapport d’eau à dos d’ânes. A partir d’avril et jusqu’en septembre, chaque plant reçoiten moyenne15 litres d’eau par passage. En période de sécheresse (juin, juillet, août),l’opération est effectuée plusieurs fois par semaine.Photo S.P.

Samuel PERICHONLaboratoire Espaceset Sociétés, UMR-CNRS 6590, Universitéde Rennes 2 Haute-Bretagne, Maison dela Recherche enSciences Sociales,Place du RecteurHenri Le Moal, 35043Rennes cedexMél : [email protected]

ZerhouneMESSAOUDIDépartementd’Arboriculture et deViticulture, EcoleNationaled’Agriculture deMeknès, km10 routeHaj Kaddour, boîtepostale : S/40,Meknès, MarocMél : [email protected]

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La sédentarisation des populations semi-nomades dans les communes de Sebt Aït Rahou et MoulayBouâzza (Moyen Atlas, Maroc) s’accompagne d’une régression rapide des surfaces forestières. Danscertains douars comme Ichi, près de 70% des terrains boisés ont été détruits au cours des dernièresdécennies ou sont fortement dégradés. Trois facteurs expliqueraient ce repli : le surpâturage, les prélè-vements délictueux de bois et depuis 1992, la répétition des sécheresses. Pour préserver les ressourcesforestières, le Haut Commissariat des Eaux et Forêts et à la lutte contre la désertification restaure dessols érodés en installant des pinèdes, prend en charge la gestion des forêts de protection et finance descampagnes de plantation d’arbres fruitiers à travers tout le pays. L’objet du présent article est de mieuxcomprendre les relations entre les populations locales et leurs forêts, et de s’interroger sur l’efficacitéressentie des politiques publiques en matière de protection des ressources forestières.

Mots clés : Déforestation, éleveurs, perception, arboriculture, Maroc.

forêt méditerranéenne t. XXXI, n° 3, septembre 2010

Résumé

Summary

Riassunto

Olive growing in the valleys of the Middle Atlas: an additional means of protectingand restoring forests (Khenifra, Morocco)The loss of forest cover in Sebt Aït Rahou and Moulay Bouâzza results from the settlement during the1940s of previously nomadic shepherds. In some hamlets, as for example in Aït Ichi, nearly 70% ofwooded areas have been destroyed or highly degraded. This destruction has occurred for three reasons:the establishment of sheep pasture with over-grazing, the illegal collection of wood for use as fuel,and, since 1992, recurring drought. The Moroccan government is, however, taking measures to protectforest resources. In particular, the High Commission for Water and Forests works to rehabilitatedegraded soils by planting pine trees, supports management of protected forests, and financescampaigns to plant fruit trees and saplings throughout Morocco. The objectives of this article are toanalyze local perceptions about forestry and forest structures and to question the efficiency of publicpolicies pertaining to natural and forest resources.

Key words: deforestation, sheep farmers, perception, fruit trees, arboriculture, Morocco.

La diffusione dell’olivicoltura nelle valle del Medio-Atlante, un modo supplementare per pro-teggere e restaurare le foreste (Khenifra, Marocco)La sedentarizzazione delle popolazioni seminomadi nei comuni di Sebt Aït Rahou e Moulay Bouâzza siaccompagna di una regressione rapida delle superficie forestali. In alcuni villagggi come Ichi, circa 70%dei terreni boscosi sono stati distrutti nell corso degli ultimi decenni o sono fortemente degradati. Trefattori spiegherebbero questo ripiegamento : il sovrapascolo, i prelievi delittuosi di legno e dal 1992, laripetizione delle siccità. Per preservare le risorse forestali, l’Alto Commissariato delle Acque e Foreste ealla lotta contro la desertificazione restaura suoli erosi installando pinete, prende in carica la gestionedelle foreste di protezione e finanzia campagne di piantagione di fruttiferi attraverso tutto il paese.L’oggetto del presente articolo sarà di capire meglio le relazioni tra le popolazioni locali e le loroforeste, di interrogarsi sull’efficacia risentita delle politiche pubbliche in materia di protezione dellerisorse forestali.

Parole chiavi : deforestazione, allevatori, percezione, arboricoltura, Marocco.