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HAL Id: hal-02406169https://hal.univ-reunion.fr/hal-02406169
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La didactique dâune langue en contact : quelle formationassurer aux enseignants du français Ă lâĂźle Maurice ?
Rada Tirvassen
To cite this version:Rada Tirvassen. La didactique dâune langue en contact : quelle formation assurer aux enseignants dufrançais Ă lâĂźle Maurice ?. Expressions, Institut universitaire de formation des maĂźtres (IUFM) RĂ©union,2000, Ăles, francophonie, langues vernaculaires et formation dâenseignants, pp.117-142. ïżœhal-02406169ïżœ
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La didactique dâune langue en contact :quelle formation assurer aux enseignantsdu français Ă Maurice ?
Rada TIRVASSENMauritius Institute of Education
&UMR 6058 du CNRS
Introduction
Le titre de cet article annonce une tentative dâĂ©clairage sur unaspect prĂ©cis de la didactique du français Ă Maurice (dĂ©sormais DDFM) Ă partir de quelques outils conceptuels empruntĂ©s Ă la sociolinguistique etaux travaux concernant lâacquisition des langues. En gros, il sâagira de sedemander comment la situation de contact de langues dans laquelle seretrouve le français Ă Maurice pourrait ĂȘtre prise en compte lorsquâestdĂ©finie lâorientation du programme de formation destinĂ© aux stagiairesque lâon forme pour lâenseignement du français dans le cycle primaire. Defaçon plus spĂ©cifique, on analysera le poids du non-dit au sujet deslangues vernaculaires dans la formation des enseignants.
Implicite Ă lâargumentation dĂ©veloppĂ©e dans cet article est la nĂ©ga-tion de la situation sociolinguistique du français Ă Maurice lorsque lâonforme des enseignants chargĂ©s de faire apprendre le français : cet implici-te repose sur des observations rĂ©alisĂ©es depuis une dizaine dâannĂ©es et quifont lâobjet dâune analyse critique dans R. Tirvassen : 1997 et R.Tirvassen : 1998. Cet article se limite donc Ă la question de la prise encompte de la situation de contact de langues dans laquelle se retrouve le
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français Ă Maurice dans le cadre de la formation des enseignants. Le pre-mier volet de notre rĂ©flexion est consacrĂ© Ă une prĂ©sentation de deuxaspects du contact que le français entretient avec les autres langues Ă Maurice. Le premier concerne la rĂ©partition fonctionnelle entre le françaiset les autres langues dans les institutions mauriciennes ainsi que les enjeuxqui dĂ©terminent cette rĂ©partition : en gros, il sâagit de prĂ©senter le contactdes langues Ă Maurice dâun point de vue macro-sociolinguistique. Lesecond porte sur la gestion du multilinguisme mauricien dans les famillesoĂč il y a des enfants scolarisĂ©s. Le second volet de notre analyse est consa-crĂ© Ă ce que nous appelons âle comportement langagierâ des deux acteursmajeurs de lâĂ©cole que sont les apprenants et les enseignants. Nous tente-rons de montrer, en effet, Ă quel point le contact des langues est indisso-ciable de ce comportement langagier. Pour aborder ce point, nous nouscontenterons de juxtaposer des donnĂ©es issues de recherches rĂ©alisĂ©es cesderniĂšres annĂ©es. Les Ă©lĂ©ments saillants qui Ă©mergeront de ces analysesdevront nous permettre dâappuyer notre proposition pour une prise encompte du contact entre le français et les autres langues sur des aspectsconcrets de la rĂ©alitĂ© des langues Ă Maurice.
1.0 - La situation sociolinguistique mauricienne
Ce nâest pas le nombre de langues (en gros, on associe une douzai-ne de langues avec la communautĂ© mauricienne) qui est Ă lâorigine de cequâon appelle la complexitĂ© de la situation sociolinguistique de Maurice.En fait, la situation sociolinguistique mauricienne prĂ©sente la particulari-tĂ© de sâorganiser autour dâenjeux multiples: il y a les pratiques langagiĂšreset leur impact non seulement sur la rĂ©partition fonctionnelle des languesmais aussi sur les valeurs symboliques qui leur sont attribuĂ©es. Parmi cespratiques, il y a celles qui respectent la rĂšglementation officielle, cellesqui sont tolĂ©rĂ©es et celles qui sont ignorĂ©es parce quâelles ne respectentpas les rĂšglements; il y a les rĂšglements officiels ainsi que leur interprĂ©ta-
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tion qui peuvent varier selon les institutions et les acteurs concernĂ©s;enfin, lâon peut aussi Ă©voquer les conflits qui varient selon les acteurs, lapĂ©riode, etc. On se rend compte que dĂ©mĂȘler lâĂ©cheveau de la rĂ©alitĂ© deslangues Ă Maurice nâest pas aisĂ©. Ces constats interpellent toujours lechercheur confrontĂ© Ă la question de savoir par quel biais prĂ©senter cettesituation. La prĂ©sentation Ă laquelle on sâest risquĂ© est limitĂ©e; elle a pourseul objectif de prĂ©senter les grands traits de la rĂ©alitĂ© des langues Ă Maurice et de poser un cadre Ă partir duquel peut ĂȘtre menĂ©e la rĂ©flexiondans laquelle on sâest engagĂ©. Pour une connaissance plus prĂ©cise de cettesituation, le lecteur se reportera avec profit Ă deux Ă©tudes dĂ©taillĂ©es (D. deRobillard : 1991 ; D. Baggioni et D. de Robillard 1991) dont nous noussommes inspirĂ© et qui demeurent fort utiles compte tenu de la qualitĂ© desinformations quâelles fournissent aux lecteurs. Enfin, une place plusimportante sera consacrĂ©e Ă lâanalyse de la rĂ©partition des fonctions deslangues dans le systĂšme Ă©ducatif afin dâoffrir aux lecteurs un maximumdâinformations (dans les limites des contraintes Ă©ditoriales imposĂ©es) surce secteur qui est au centre de notre intĂ©rĂȘt.
1.1 - Les langues Ă lâIle Maurice : aperçu gĂ©nĂ©ral
On commencera cette prĂ©sentation en reprenant Ă D. de Robillard(1991) un tableau synthĂ©tique qui a lâintĂ©rĂȘt de rĂ©sumer de maniĂšre prĂ©ci-se les diverses fonctions quâassument les langues Ă Maurice.
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Tableau 1 : Typologie des langues Ă lâIle Maurice(Source D. de Robillard : 1991 : 16
Le tableau montre bien que quatre langues se partagent les tĂąchescommunicationnelles Ă Maurice : lâanglais, le français, le crĂ©ole et le bho-jpuri. Parmi ces quatre langues, le bhojpuri est une langue de communi-cation ethnique dont le nombre de locuteurs diminue de maniĂšre sensibledâune gĂ©nĂ©ration Ă lâautre alors quâinversĂ©ment, on a tendance Ă attribuerau crĂ©ole le statut dâune langue nationale; le crĂ©ole et le bhojpuri sont deslangues non standardisĂ©es, ce qui les exclut des communications Ă©critesformelles. Ce sont lâanglais et le français qui occupent lâaire des commu-nications formelles; alors que seul lâanglais est employĂ© dans les commu-nications Ă©crites formelles (câest aussi la seule fonction quâil occupe), lefrançais est employĂ© dans les communications formelles Ă lâoral dans lesecteur privĂ©, traditionnellement francophone et dans les communications
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sociales des francophones surtout. Lâhindi, lâurdu, le tĂ©lĂ©gu, le marathi etle gujrathi sont des langues qui ont une fonction identitaire et ne sontemployĂ©es que dans les rituels des cĂ©rĂ©monies religieuses et Ă lâĂ©cole pri-maire oĂč elles sont enseignĂ©es comme une matiĂšre facultative.
1.2 - La question de la langue officielle et les pratiqueslangagiĂšres dans les institutions officielles
LâĂtat mauricien ne sâest jamais donnĂ© de langue officielle (R.Chaudenson : 1979 : 568) mĂȘme si lâon a tendance Ă attribuer ce rĂŽle Ă lâanglais non seulement dans le grand public mais aussi dans des docu-ments Ă©manant des instances officielles oĂč il est question dâamĂ©nagementlinguistique : câest en effet le cas dans le rapport du ComitĂ© dâĂ©lite sur lesLangues orientales, rapport prĂ©sentĂ© au PrĂ©sident de lâAssemblĂ©e natio-nale en 1986. Sâil nây pas de langue officielle, lâEtat sâest contentĂ© dâuncertain nombre de repĂšres car les communications officielles dans les ins-titutions officielles se fondent sur des rĂšglements spĂ©cifiques qui, eux-mĂȘmes sâadaptent, en gĂ©nĂ©ral, aux pressions des besoins communication-nels des Mauriciens. Les usages concrets montrent le poids de la pressionsociolinguistique sur les rĂšglements officiels, les limites et la nature duchangement (par exemple, le poids des facteurs exogĂšnes est dĂ©terminantpour ce qui est des changements dans le domaine de lâaudio-visuel) ainsique la rĂ©sistance de ces rĂšglements, câest-Ă -dire les Ă©lĂ©ments sur lesquelsles acteurs de lâEtat sont intransigeants.
Lâarticle 33 de la Constitution qui dĂ©finit lâanglais comme la languede travail de lâAssemblĂ©e nationale et la maniĂšre dont il est traduit dansles faits illustre ce qui est affirmĂ© ci-dessus. Selon les pratiques langa-giĂšres observĂ©es, lâanglais qui est employĂ© dans 81,6 % des dĂ©bats selonC. Cziffra (1982 : 125) est la langue officielle de la plupart des dĂ©bats delâAssemblĂ©e nationale alors que le français (14,6 % des Ă©changes) est
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tolĂ©rĂ©. Le crĂ©ole est la langue des rĂ©parties humoristiques ou des invec-tives, mais ces Ă©changes ne figurent jamais dans les comptes-rendus offi-ciels. Ainsi quâon sâen rendra compte, seul lâĂ©crit est exempt de toute lapression sociolinguistique que lâĂźle a connue ces derniĂšres dĂ©cennies. Eneffet, dĂšs lors que lâon passe Ă lâĂ©crit, la situation est totalement diffĂ©ren-te. Les textes de loi et les textes administratifs sont exclusivement enanglais.
Si lâAssemblĂ©e nationale nâaccorde quâune place anecdotique aucrĂ©ole, tel nâest pas le cas pour le judiciaire. Le judiciaire illustre le poidssymbolique de lâanglais dans certaines institutions (comme lâAssemblĂ©enationale et les Cours de justice), la pression sociolinguistique, lâoriginede cette pression et les acteurs qui assurent la permanence de lâanglais.Tous les officiers des cours de justice (juges de la Cour suprĂȘme, magis-trats des cours de district, huissiers, officiers de police, etc. ) sâexprimententre eux, en anglais; les membres du public (tĂ©moins, accusĂ©s, etc. ) sâex-priment dans la langue de leur choix, en gĂ©nĂ©ral le crĂ©ole. Des observa-tions rĂ©alisĂ©es par C. Cziffra (1982 : 83) qui affirme que lâensemble desjugements de la Cour est rĂ©digĂ© en anglais avec de longues citations encrĂ©ole ou en français. Si lâon veut rĂ©sumer cette situation, on dira quetoutes les communications officielles entre les officiers des cours de justi-ce se font en anglais ; le français est tolĂ©rĂ© dans les plaidoiries alors quela majoritĂ© des interrogatoires se fait en crĂ©ole.
Lâusage des langues dans lâexĂ©cutif est une autre illustration delâĂ©mergence de rĂšglements situationnels. En gros, seuls les documentsofficiels qui ne concernent pas le grand public rĂ©sistent Ă toutes les formesde pression sociolinguistique. Toutefois, dĂšs lors quâil sâagit de sâassurerde la comprĂ©hension vitale de certains documents ou annonces destinĂ©s augrand public, le recours au français, pour lâĂ©crit et Ă lâoral est obligatoi-re. Ă cet Ă©gard, le formulaire dâimpĂŽt est en version bilingue (anglais et
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français) alors que le message du Premier Ministre lu dans les Ă©coles pri-maires et secondaires Ă lâoccasion des cĂ©lĂ©brations qui marquent lâacces-sion de lâĂźle Ă lâindĂ©pendance est en français.
La permanence de lâanglais Ă lâĂ©crit est illustrĂ©e par le rĂŽle rĂ©servĂ©Ă cette langue dans le secteur privĂ© : lâanglais occupe les fonctions de lalangue de la communication Ă©crite. En revanche, dans les conversationstant formelles que sociales, le français joue un rĂŽle bien plus important.De la mĂȘme maniĂšre, quelques municipalitĂ©s rĂ©digent certains documentsofficiels en français: lâessentiel est toutefois en anglais. DĂšs que lâon passeĂ la communication orale, lâanglais disparaĂźt pratiquement totalementpour laisser la place au crĂ©ole et au français. Par ailleurs, en zone rurale,dans des communications familiĂšres entre fonctionnaires qui se connais-sent, il nâest pas impossible de rencontrer des Ă©changes en bhojpuri, maiscompte tenu de la dynamique des langues Ă Maurice, cette probabilitĂ© estde moins en moins grande. Dans les interactions avec le public, si lesfonctionnaires et le public ont des compĂ©tences en français, la communi-cation peut se faire dans cette langue dĂ©pendant des stratĂ©gies revendi-quĂ©es par les locuteurs. Sans risque dâerreur, on peut affirmer que la majo-ritĂ© des communications orales se fait en crĂ©ole. Cette analyse de la rĂ©par-tition fonctionnelle des aires de communication orale et Ă©crite ne peutesquiver le poids du français dans la presse Ă©crite; si la presse Ă©critesemble faire exception au poids de lâanglais dans la communication Ă©cri-te, en rĂ©alitĂ©, elle confirme tout simplement le fait que lâanglais est surtoutune langue des Ă©crits de type administratif.
1.3 - Lâaudio-visuel et lâimpact de la âmondialisationâ
Parmi lâensemble des institutions officielles, non seulement laradiotĂ©lĂ©vision joue un rĂŽle diffĂ©rent dans la rĂ©partition fonctionnelle deslangues mais aussi elle illustre le poids des facteurs exogĂšnes dans la vie
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culturelle du pays. Selon la rĂ©glementation officielle, la station de radio-tĂ©lĂ©vision nationale doit respecter âlâĂ©quilibre linguistiqueâ de lâĂźle parune rĂ©partition Ă©quitable du temps dâantenne entre les langues. Câest cequâelle a fait dans les premiĂšres annĂ©es de lâaccession de lâĂźle Ă la souve-rainetĂ© nationale. En effet, le gouvernement a toujours tentĂ© de conservercet Ă©quilibre jusquâĂ la rĂ©cente âlibĂ©ralisation des ondesâ qui fut suivie parlâouverture des ondes hertziennes aux Ă©missions de Canal Plus et deSkyvision, une chaĂźne britannique. Par ailleurs, les Mauriciens peuventcapter France Inter et la radio internationale de la BBC, ce dont ne se privepas une partie de la population quâon ne peut chiffrer faute de donnĂ©esprĂ©cises. Ă prĂ©sent, lâĂ©quilibre a Ă©tĂ© totalement bouleversĂ©. En effet :
1) la rĂ©partition du temps dâantenne Ă la tĂ©lĂ©vision et Ă la radio aconnu un profond bouleversement avec lâouverture des ondes hertziennesaux stations de tĂ©lĂ©vision Ă©trangĂšres ; la rĂ©partition âĂ©quitableâ deslangues sur les chaĂźnes nationales est une opĂ©ration essentiellement sym-bolique.
2) le caractĂšre symbolique de cette action est dâautant plus Ă©videntque les programmes en langues orientales sont suivis, en gĂ©nĂ©ral, unique-ment par les adultes. Les enfants et les jeunes ont tendance Ă leur prĂ©fĂ©rerles programmes en langues europĂ©ennes.
3) par ailleurs, les radios dont les Ă©missions sont vraiment suiviessont RM1 et FM1 ; enfin, les principaux bulletins dâinformations sont tousen français.
1.4 - Les langues orientales: le poids des symboles
La religion est Ă la fois un indicateur de lâespace rĂ©duit quâoc-cupe les langues orientales ainsi que la fonction uniquement identi-taire quâelles assument. En effet, si lâon associe le français au catho-licisme, religion de 30 Ă 35 % des Mauriciens, lâanglais au protes-tantisme (le pourcentage de la population pratiquant cette religion est
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extrĂȘmement rĂ©duit), les langues orientales et en particulier lâhindi Ă lâhindouisme, et lâurdu ou lâarabe Ă lâislam qui est la religion de 16-17 % de la population, les observations rapides montrent que ceslangues se limitent aux rites. Câest en fait le crĂ©ole qui assume lâen-semble des communications orales dans les lieux de culte. En gros,câest lui qui est la langue la plus employĂ©e dans les Ă©changes verbauxdes lieux de culte.
1.5 - Le marchĂ© de lâemploi
Sans jeu de mots, le marchĂ© de lâemploi constitue un indice dumarchĂ© des langues Ă Maurice. Un Mauricien monolingue crĂ©olo-phone a les compĂ©tences linguistiques minimales pour une intĂ©gra-tion professionnelle (et sociale) limitĂ©e aux emplois rĂ©servĂ©s auxouvriers non qualifiĂ©s. La mobilitĂ© professionnelle nâexiste pas pources ouvriers. Une compĂ©tence active minimale surtout en françaisoffre des possibilitĂ©s de promotion professionnelle. Si Ă cette maĂźtri-se minimale du français sâajoute une compĂ©tence mĂȘme trĂšs limitĂ©een anglais, ces possibilitĂ©s peuvent devenir rĂ©elles. Ce sont les com-pĂ©tences Ă©crites dans les langues europĂ©ennes et notamment enanglais qui ouvrent la voie aux emplois Ă col blanc. On peut doncassocier les langues europĂ©ennes Ă la rĂ©ussite sociale et profession-nelle. Si les diplĂŽmes obtenus dans les pays europĂ©ens et en Indesont considĂ©rĂ©s comme Ă©quivalents, une maĂźtrise de lâanglais utilisĂ©dans les affaires est une nĂ©cessitĂ© pour les postes de responsabilitĂ©.Cette Ă©volution vient en quelque sorte stabiliser la situation de lâan-glais en raison du nombre de plus en plus important de Mauriciensqui font leurs Ă©tudes dans des universitĂ©s françaises. Les languesorientales offrent, elles, dâautres types de possibilitĂ©s. La maĂźtrise deces langues permet dâobtenir certains postes, notamment dans lâĂ©du-cation nationale.
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1.6 - LâĂ©ducation
Le secteur Ă©ducatif confirme que:1° le cadre posĂ© par lâEtat peut faire lâobjet dâune interprĂ©tation
dans des â: limites acceptablesâ;2° les pressions sociolinguistiques qui pĂšsent sur les acteurs sont Ă
lâorigine de lâĂ©mergence de rĂšglements situationnels;3° assez paradoxalement, le systĂšme Ă©ducatif montre que ce nâest
pas la seule efficacité de la communication qui fait émerger les pratiquesobservées; les représentations que se font les acteurs constituent un deséléments majeurs déterminant les choix.
Selon lâEducation Ordinance de 1957, loi qui contient toute larĂ©glementation concernant le choix des langues dâenseignement et leslangues Ă enseigner dans les cycles primaire et secondaire, les enseignantspeuvent utiliser les langues de leur choix pour la communication pĂ©dago-gique. Ă partir de la quatriĂšme annĂ©e du primaire, seul lâanglais doit ĂȘtreutilisĂ©. En effet, si les instituteurs peuvent utiliser la langue qui, selon eux,transmet le plus efficacement le message, Ă lâĂ©crit, la seule langue utilisĂ©eest lâanglais. Tous les manuels de mathĂ©matiques et des sciences dâĂ©veil(environmental studies) sont exclusivement en anglais. Par consĂ©quent, lamarge de manoeuvre offerte aux enseignants est rĂ©duite compte tenu desĂ©lĂ©ments suivants :
1) les reprĂ©sentations que les enseignants se font au sujet deslangues ; certains considĂšrent le crĂ©ole comme âun patoisâ, dâautrescomme une langue impropre Ă la communication pĂ©dagogique ;
2) les reprĂ©sentations que se font les parents et les directeurs dâĂ©ta-blissements scolaires ou mĂȘme les inspecteurs ; de nombreux enseignantsse plaignent du fait quâon leur impose lâusage obligatoire des langueseuropĂ©ennes alors que la rĂ©glementation officielle leur offre une libertĂ© dechoix au moins jusquâĂ la quatriĂšme annĂ©e du primaire ;
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3) les difficultĂ©s quâentraĂźne lâemploi du crĂ©ole : cette langue nâapas Ă©tĂ© instrumentalisĂ©e et, par exemple, il est difficile aux enseignants detrouver des Ă©quivalents lexicaux de termes techniques employĂ©s en mathĂ©-matiques et en sciences.
On peut rĂ©sumer, sous forme de tableau, quelques uns des traitsessentiels des langues dâenseignement :
Tableau 2 : SynthĂšse des traits essentiels des languesdâenseignement
Si lâon tente de faire le point sur lâusage des langues dâenseigne-ment, on peut affirmer que parmi les trois langues utilisĂ©es, lâanglaisoccupe une place bien plus importante que les deux autres. Dâabord,selon la rĂ©glementation officielle, câest la seule langue acceptĂ©e Ă par-tir de la quatriĂšme annĂ©e du primaire. Ensuite, concrĂštement, lâanglaisest la langue unique des manuels. Pour ce qui est des communicationsorales, on peut raisonnablement affirmer que les trois langues, lâan-glais, le français et le crĂ©ole sont plus ou moins Ă©galement utilisĂ©es.Ainsi quâon lâa affirmĂ© ci-dessus, ce sont les phĂ©nomĂšnes de reprĂ©sen-tation des enseignants qui dĂ©terminent, au moins pour partie, les choixconcrets effectuĂ©s.
Lâenseignement des langues vivantes Ă©trangĂšres commence, demaniĂšre formelle et systĂ©matique, dĂšs la premiĂšre annĂ©e du primaire.Tous les Ă©lĂšves des Ă©coles publiques mauriciennes apprennent lâanglaiset le français qui sont deux langues non maternelles pour pratiquementtous les enfants mauriciens. Pour ĂȘtre plus prĂ©cis, on peut penser que
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pour 10 Ă 15 % dâenfants, le français est une L1 ou une L2. Si lâanglaiset le français sont les deux langues obligatoires au primaire, le coeffi-cient de lâanglais aux examens de fin de cycle primaire est supĂ©rieur Ă celui du français : lâanglais compte pour trois cents points et le françaispour deux cents seulement. Par ailleurs, dans le secondaire, le françaisest perçu comme une langue obligatoire aux examens de SchoolCertificate (B.E.P.) et optionnel aux examens de Higher SchoolCertificate (baccalaurĂ©at) : en fait le français nâest guĂšre obligatoiredans le secondaire alors que lâĂ©chec en anglais est Ă©liminatoire.
Outre les langues europĂ©ennes, les langues orientales sontaussi enseignĂ©es dans le cycle primaire. Selon les statistiques offi-cielles, 70 % des Ă©lĂšves mauriciens apprennent une langue orientale.Le gouvernement mauricien tente dâailleurs de valoriser ces languesen trouvant une formule acceptable pour que les notes obtenues dansune de ces langues aux examens de fin de cycle primaire soient prisesen compte pour le classement des Ă©lĂšves Ă©tabli Ă lâissue de ces exa-mens. Ce classement dĂ©termine, en effet, lâaccĂšs aux Ă©coles secon-daires qui sont hiĂ©rarchisĂ©es en fonction de la qualitĂ© de leur ensei-gnement.
Il est important de souligner quâil existe Ă Maurice cinq Ă©colesprimaires privĂ©es et deux Ă©coles secondaires privĂ©es oĂč lâon enseigneune des deux langues europĂ©ennes comme L1 et oĂč lâon offre la deuxiĂš-me langue europĂ©enne comme langue Ă©trangĂšre Ă partir de la troisiĂšmeannĂ©e du primaire. Si le nombre total dâenfants scolarisĂ©s dans ces Ă©ta-blissements est peu Ă©levĂ© (5 000 au maximum), la ruĂ©e vers ces Ă©colesdont les frais de scolaritĂ© reprĂ©sentent la moitiĂ© du salaire moyen dâunMauricien, peut constituer une indication que les Mauriciens sont prĂȘtsĂ sacrifier le bilinguisme (dans les langues europĂ©ennes) approximatifau profit dâune bonne maĂźtrise dâune langue europĂ©enne.
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Conclusion
LâIle Maurice est une communautĂ© multilingue Ă laquelle on asso-cie une douzaine de langues. Ce multilinguisme est gĂ©rĂ© sur le mode de larĂ©partition des divers types de fonctions communicationnnelles (lâĂ©crit etlâoral; formelles et sociales, etc.) et symboliques que remplissent deslangues dans une sociĂ©tĂ© multi-ethnique oĂč les stratĂ©gies de revendicationidentitaire sont constitutives de la vie Ă©conomique, politique et culturellede lâĂźle. Comme toutes les langues, le français a son espace social et sym-bolique, un espace contigu Ă celui dâautres langues, en particulier le crĂ©o-le et lâanglais. La description de la rĂ©alitĂ© sociolinguistique que nousavons effectuĂ©e offre une idĂ©e de ce contact dâun point de vue macro-sociolinguistique. Nous tenterons maintenant de rendre compte de cer-taines enquĂȘtes qui ont portĂ© sur lâenvironnement linguistique des enfantset sur les phĂ©nomĂšnes de gestion de langues en milieu familial pour quela photographie proposĂ©e soit plus complĂšte.
Au-delĂ de ces constatations Ă caractĂšre gĂ©nĂ©ral, il est nĂ©cessaire desouligner que seuls le crĂ©ole, le français et le bhojpuri assurent les fonc-tions de langues vernaculaires si par langues vernaculaires on entend âleslangues utilisĂ©es dans les Ă©changes informels, entre proches du mĂȘmegroupeâ (L. J. Calvet: 1997:292).
2.0 - Lâenvironnement linguistiquedes enfants mauriciens
Cette partie se limite Ă un survol de donnĂ©es issues dâenquĂȘtes deterrain et se veut complĂ©mentaire Ă la prĂ©sentation rĂ©alisĂ©e dans la partieprĂ©cĂ©dente. Elle prĂ©sente, nous le pensons, trois intĂ©rĂȘts :
-elle offre quelques informations générales sur le profil linguistiquedes enfants en début de scolarisation ;
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-elle montre que le multilinguisme mauricien se rĂ©sume, pour lesenfants, Ă un trilinguisme actif (crĂ©ole-français-anglais) qui, lui-mĂȘmesâoppose au bilinguisme crĂ©ole-français de lâenvironnement familial(lâanglais Ă©tant surtout la langue de lâĂ©cole) et au tĂ©tralinguisme (crĂ©ole,français, anglais et une langue orientale classique) des enfants apprenantune langue orientale Ă lâĂ©cole ; il est Ă noter quâil existe aussi un penta-linguisme oĂč des enfants qui sont en contact avec ces quatre langues peu-vent aussi ĂȘtre en contact avec le bhojpuri ;
-elle donne quelques informations sur la gestion linguistique desparents, câest-Ă -dire sur les choix des parents, leurs dĂ©sirs, etc.
2.1 - Les compétences linguistiques des enfantsmauriciens en début de scolarisation
Il existe trĂšs peu dâĂ©tudes rĂ©alisĂ©es sur lâenvironnement lin-guistique des enfants mauriciens. Une des premiĂšres enquĂȘtesmenĂ©es sur cette question (R. Tirvassen : 1993) a surtout portĂ© sur ladescription et lâanalyse des compĂ©tences linguistiques des enfants endĂ©but de scolarisation dans le primaire. Des trois langues que peuventmaĂźtriser les enfants Ă ce stade de leur scolarisation, deux (le crĂ©oleet le français) ont Ă©tĂ© retenues dans cette Ă©tude en raison de leurimportance dĂ©mo-linguistique (le crĂ©ole est parlĂ© par tous les enfantsmauriciens) et, surtout, qualitative : dans la plupart des Ă©coles prĂ©-pri-maires, la langue associĂ©e avec la scolarisation est le français. LâĂ©tudea consistĂ© Ă rĂ©aliser des enquĂȘtes sur les compĂ©tences linguistiques etcommunicationnelles dĂ©veloppĂ©es par les enfants au tout dĂ©but deleur scolarisation dans le primaire. Elle a permis de constater quâen-viron 85% des enfants arrivent Ă lâĂ©cole avec la seule maĂźtrise ducrĂ©ole. Environ 15% dĂ©veloppent une compĂ©tence de comprĂ©hensionet dâexpression Ă©lĂ©mentaire en français qui sâajoute Ă leur compĂ©ten-ce dans ce qui est pour la grande majoritĂ© des enfants mauriciens leurL1.
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2.2 - La répartition fonctionnelle des languesen milieu familial
Une deuxiĂšme enquĂȘte permettant dâobtenir quelques renseigne-ments sur lâenvironnement linguistique des enfants a surtout Ă©tĂ© consacrĂ©eĂ la gestion des langues, par les parents, en milieu familial. Cette enquĂȘtea Ă©tĂ© menĂ©e auprĂšs dâun premier groupe dâenseignants qui prĂ©parent undiplĂŽme de Teacherâs Diploma (une formation professionnelle dâunedurĂ©e de trois ans Ă temps partiel destinĂ©e Ă des enseignants dĂ©tenteurs duHigher School Certificate, lâĂ©quivalent du baccalaurĂ©at) et qui ont, enmoyenne, 40 ans. Le deuxiĂšme groupe est constituĂ© de cinq enseignantslicenciĂ©s en lettres modernes. Enfin, nous avons interrogĂ© deux plantons.Deux aspects de la gestion des langues en milieu familial nous ont intĂ©-ressĂ©s : nous avons tentĂ© dâobtenir des informations sur lâusage deslangues entre ces tĂ©moins et leurs parents (quand ils Ă©taient enfants), leursconjoints et, enfin, leurs enfants; ensuite, nous avons intĂ©rrogĂ© les tĂ©moinssur leurs rapports subjectifs avec les langues et sur les langues quâils vou-draient faire acquĂ©rir Ă leurs enfants.
Les rĂ©ponses obtenues Ă la suite de ces enquĂȘtes offrent quelquesĂ©lĂ©ments dâinformations sur la nature de la dynamique sociolinguistiquemauricienne. DĂšs lors quâil sâagit des attributs sociaux des langues, ilsemble exister un rapport Ă©troit entre certains traits (appartenance eth-nique, appartenance gĂ©ographique et appartenance Ă une classe socio-pro-fessionnelle) et lâusage des langues de la gĂ©nĂ©ration des parents de nostĂ©moins qui, ont, eux, en moyenne 40 ans. Pratiquement tous les parentsdes tĂ©moins hindous des rĂ©gions rurales employaient le bhojpuri entreeux ; le seul tĂ©moin sino-mauricien affirme que ses parents employaient lehakka alors que les CrĂ©oles de milieu bourgeois employaient le français.
Si maintenant lâon analyse la dynamique des langues sur trois gĂ©nĂ©-rations on peut faire les constatations suivantes :
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-plus de deux tiers de ces tĂ©moins issus de familles bhojpurophonesnâemploient pas le bhojpuri avec leurs conjoints ; pratiquement tous ceuxissus de familles bhojpurophones qui ont employĂ© le bhojpuri Ă la maisonnâemploient pas le bhojpuri avec leurs enfants.
Sâagissant des tĂ©moins qui affirment que leurs parents employaientle crĂ©ole, il existe deux tendances. La plus forte est marquĂ©e par lâusagedu crĂ©ole avec le conjoint et lâutilisation du crĂ©ole et du français avec lesenfants. Lâautre est caractĂ©risĂ©e par un usage du crĂ©ole avec tous lesmembres de la famille.
DĂšs lors quâil sâagit des prĂ©fĂ©rences linguistiques des tĂ©moins, lesrĂ©ponses obtenues montrent une hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© de points de vue. Des quin-ze tĂ©moins qui ont rĂ©pondu Ă cette question, six affirment aimer le coupleâfrançais-crĂ©oleâ ; sinon, deux tĂ©moins affirment quâils aiment le coupleâanglais-françaisâ, deux le crĂ©ole et le bhojpuri, deux autres le crĂ©ole, lebhojpuri et le français, deux lâanglais et le crĂ©ole ; un tĂ©moin dit avoir uneprĂ©fĂ©rence pour lâanglais, le français et le crĂ©ole et enfin un prĂ©tend quâilaime uniquement le français. En revanche, lorsquâil sâagit des languesquâils veulent que leurs enfants maĂźtrisent, sur les seize rĂ©ponses obte-nues, sept veulent que leurs enfants connaissent lâanglais et le français ;ces deux langues se retrouvent ensuite dans les autres rĂ©ponses oĂč lestĂ©moins souhaitent que leurs enfants apprennent trois langues.
Ces rĂ©ponses montrent que dĂšs lors quâil sâagit dâexprimer despoints de vue subjectifs, les sentiments exprimĂ©s peuvent ĂȘtre divers. Enrevanche, lorsquâil sâagit de lâavenir, de la dimension fonctionnelle deslangues, les choix sont fondĂ©s sur des Ă©lĂ©ments rationnels, câest-Ă -direquâils peuvent ĂȘtre expliquĂ©s. Ces rĂ©ponses permettent de voir pourquoi,alors que les rĂšgles du jeu de la vie socio-Ă©conomique sont claires, il estdifficile de rĂ©concilier les points de vue des acteurs dâune communautĂ©multilingue pour ce qui est de leurs choix subjectifs.
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Conclusion
Le français nâest pas la premiĂšre langue quâacquiĂšrent lesenfants mauriciens, ni dâailleurs la seule quâils apprennent pendant lestoutes premiĂšres annĂ©es de leur scolarisation. Cette langue est une destrois langues qui font partie de lâenvironnement linguistique desenfants mauriciens (ceux qui apprennent une langue orientale sont encontact avec quatre langues). Le processus dâappropriation de cettelangue, la nature des Ă©noncĂ©s produits par les enfants dans cettelangue, la gestion des frontiĂšres du français, pour nous limiter Ă cesaspects sont indissociables de cette rĂ©alitĂ©. Câest en tout cas ce quenous montrerons dans les pages qui suivent. Si maintenant lâon analy-se la question qui constitue le fil conducteur de ce projet Ă©ditorial, onpeut conclure que le crĂ©ole est la langue vernaculaire pour la quasi-totalitĂ© des enfants mauriciens, le français assumant ce rĂŽle pour unetoute petite minoritĂ©.
3.0 - Du contact des langues aux pratiques âlangagiĂšresâdes acteurs de la didactique du français
JusquâĂ prĂ©sent, les observations dont nous avons rendu compteportaient sur le contexte extra-scolaire. Nous allons maintenant Ă©voquerdes enquĂȘtes rĂ©alisĂ©es sur les âpratiques langagiĂšresâ de deux catĂ©goriesdâacteurs concernĂ©s par lâenseignement et lâapprentissage du français,câest-Ă -dire les enseignants et les apprenants. Nous montrerons commentces pratiques (dans le cas des enseignants, il sâagit de leur gestion desfrontiĂšres entre le français et le crĂ©ole) sont indissociables du contact entrele français et, surtout, le crĂ©ole. En mĂȘme temps, il sera aussi question duchoix dâoutils adĂ©quats car lâusage du terme âinterfĂ©renceâ peut entraĂźnerdes perceptions biaisĂ©es concernant le rĂŽle de la L1 lors de lâappropriationde la L2.
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3.1 - La gestion des frontiĂšres
La premiĂšre enquĂȘte sâinscrit dans le cadre dâune recherche menĂ©epar lâUPRES A de lâunivesitĂ© de la RĂ©union sur le problĂšme de lâinsĂ©cu-ritĂ© linguistique (Bavoux: 1997). Nous avons soumis deux rĂ©dactions Ă deux groupes dâenseignants qui prĂ©paraient, en 1998, des diplĂŽmes de for-mation professionnelle au Mauritius Institute of Education. Le premierĂ©tait dĂ©jĂ dĂ©tenteur du Teacherâs Diploma (en gros lâĂ©quivalent duD.E.U.G.) et prĂ©parait un diplĂŽme dâenseignement qui est lâĂ©quivalent dela licence-Ăšs-lettres. Le second Ă©tait dĂ©tenteur du baccalaurĂ©at et prĂ©paraitle Teacherâs Diploma pour pouvoir enseigner lâanglais et le français en finde cycle secondaire.
Les enquĂȘtes ont montrĂ© que les enseignants nâarrivent pas toujoursĂ Ă©tablir de maniĂšre systĂ©matique les frontiĂšres entre les variĂ©tĂ©s de fran-çais. Cette constatation est confirmĂ©e par une Ă©tude qui porte sur lâutili-sation, par des journalistes mauriciens, des marques indiquant les fron-tiĂšres des langues (D. de Robillard :1993. Il arrive Ă la conclusion quâilnây a pas, chez les journalistes, une perception claire des frontiĂšres entreles diverses variĂ©tĂ©s de français employĂ©es Ă Maurice. En fait, ces com-portements sâexpliquent par le fait que tous les mauricianismes (en gros,des termes frĂ©quemment employĂ©s dans le français rĂ©gional mauricien)ont un statut ambigu. Toujours selon lâenquĂȘte rĂ©alisĂ©e, deux catĂ©go-ries de termes Ă©chappent Ă la rĂ©action nĂ©gative des tĂ©moins: ce sont lestermes dont la prĂ©sence est attestĂ©e en français standard (âpistacheâ) maisqui ont en FRM un sens partiellement diffĂ©rent de celui quâils ont en fran-çais standard. Il y a aussi le cas des termes qui ont Ă©tĂ© assimilĂ©s sur le planphonique et graphique (ârotisâ, âsamoussasâ). En fait, les termes couram-ment employĂ©s compte tenu des besoins communicationnels desMauriciens sont lĂ©gitimĂ©s par tous les locuteurs. Toutefois, ces termespeuvent faire lâobjet dâune attitude de rejet dĂ©pendant des compĂ©tences,en français, du locuteur et de lâidentitĂ© quâil veut revendiquer.
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On peut donc conclure quâen zone franco-crĂ©ole, le lien de parentĂ©gĂ©nĂ©tique entre le crĂ©ole et le français ainsi que les contacts quotidiensque ces deux langues entretiennent permettent un passage frĂ©quent determes dâune langue Ă lâautre, mĂȘme si lâon sait que ce passage ne se faitde la mĂȘme maniĂšre et nâa pas la mĂȘme signification selon quâon emprun-te au français (la langue prestigieuse) ou au crĂ©ole. En gĂ©nĂ©ral, les locu-teurs se mĂ©fient des termes qui sont empruntĂ©s au crĂ©ole. Compte tenu dela situation particuliĂšre dans laquelle se trouvent les enseignants puis-quâils doivent confronter les productions langagiĂšres avec âlaâ norme, ilssont souvent dans une situation particuliĂšrement inconfortable eu Ă©gard Ă lâabsence dâune codification dâune variĂ©tĂ© de langue qui est employĂ©ecouramment. Ceci est Ă©vident dans la maniĂšre dont certains enseignantssanctionnent les Ă©carts. Il est donc Ă©vident quâen lâabsence dâun amĂ©na-gement du FRM, la nĂ©cessitĂ© dâoffrir aux enseignants quelques outils leurpermettant de gĂ©rer, de maniĂšre aussi rationnelle que possible, les pro-ductions langagiĂšres des apprenants (et, sans doute aussi, les leurs) consti-tue une prioritĂ© si la formation ne veut pas ignorer les exigences du ter-rain.
3.2 - Une interview rĂ©alisĂ©e auprĂšs dâun apprenanten dĂ©but de scolarisation
Lâextrait ci-dessous est une partie dâune interview rĂ©alisĂ©eauprĂšs dâun apprenant du français qui a le crĂ©ole comme L1 et qui vit ensituation de bilinguisme. Nous nous livrons Ă une petite analyse de cetextrait qui a Ă©tĂ© soumis Ă des stagiaires que le Mauritius Institute ofEducation forme pour enseigner le français dans le cyle primaire. Notreobjectif est de montrer que si le contact entre le français et, en particulierle crĂ©ole, ne peut ĂȘtre ignorĂ© dans tout programme de formation des ensei-gnants, une absence dâoutils adĂ©quats permettant aux enseignants dâana-lyser les productions langagiĂšres des apprenants de maniĂšre prĂ©cise peutconduire Ă des interprĂ©tations inexactes.
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Extrait dâune enquĂȘte rĂ©alisĂ©e en 1999 auprĂšs dâun apprenant ayant4 ans.
Quand tu arrives Ă la maison, quâest-ce que tu vas faire?E - Je vais jouer⊠CĂ©drick, elle mâa battĂ© âŠR - Et toiE - Moi je lâai pas battĂ© moi âŠR - Pourquoi il lâa battĂ©?E - Elle mâa griffĂ© lĂ âŠR - Quâest-ce que la maman a fait?E - Ma maman a battĂ© CĂ©drick.R - Aujourdâhui, tu vas jouer avec CĂ©drick?E - Avec Chrystel je vais jouerâŠ.R - A quoi vous aller jouer?E - A le mĂ©decinâŠR - Ce matin quand tu tâes rĂ©veillĂ©e, quâest-ce que tu as faitâŠE - Câest toutR - Et hier Ă la mer?E - Jâai nagé⊠AprĂšs jâai parti jardin dâenfants âŠ.E - Ma maman a regardé⊠aprĂšs jâai glissĂ© âŠR - Il y a balançoir ⊠balançoire bĂ©bĂšte est cassĂ©e âŠ
Si lâon se limite Ă lâanalyse des syntagmes verbaux produits, lors delâenquĂȘte, par le tĂ©moin, on peut dire quâils sâinscrivent dans la mĂȘmedynamique que celle qui caractĂ©rise des systĂšmes linguistiques en voiedâacquisition:
1° il a tendance Ă surgĂ©nĂ©raliser lâauxiliaire avoir au dĂ©triment delâauxiliaire ĂȘtre; si lâon replace lâanalyse dans le cadre de lâensemble de lâen-quĂȘte, on peut dire que sur seize Ă©noncĂ©s contenant des auxiliaires, il emploiecorrectement lâauxiliaire avoir neuf fois; il emploie correctement lâauxiliaireĂȘtre quatre fois mais la substitue Ă lâauxiliaire avoir Ă trois reprises;
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2° il nâemploie pas la tournure pronominale et substitue la formeactive Ă la forme passive :
balançoire bébÚte est cassée.
3° il y a une variation prĂ©positionnelle oĂč la prĂ©position Ă alterneavec la prĂ©position zĂ©ro:
jâai parti jardin dâenfants;
Au niveau des dĂ©sinences verbales du passĂ© composĂ©, le tĂ©moinmaĂźtrise la forme de la premiĂšre personne des verbes Ă une base verbale,et Ă deux bases sauf pour le verbe battre pour lequel elle emploie la dĂ©si-nence dâun verbe Ă une base:
Moi je lâai pas battĂ©; elle mâa battĂ©.
Sans entrer dans les dĂ©tails, on peut dire que les Ă©carts que contien-nent les productions langagiĂšres de cet apprenant peuvent, au pire, ĂȘtreclassĂ©s dans un âfatras de faits alĂ©atoiresâ (Jo Arditty: 1986:19) ou, aumieux, ĂȘtre catĂ©gorisĂ©s comme des erreurs quâil faut corriger. Toutefois,les instruments les plus appropriĂ©s pour rendre compte de ce genre de pro-ductions langagiĂšres sont issus des travaux rĂ©alisĂ©s sur lâacquisition deslangues. En effet, les productions langagiĂšres de cet apprenant :
-sont marquĂ©es par une certaine rĂ©gularitĂ© et une systĂ©maticitĂ©;-renvoient Ă ses compĂ©tences individuelles;-sont de nature transitoire puisque câest un apprenant en situation
dâapprentissage. En fait, le concept le plus appropriĂ© pour modĂ©liser ce type de pro-
ductions langagiĂšres est le concept dâinterlangue.
Cet extrait, ainsi que dâautres caractĂ©risĂ©s par les mĂȘmes traits, a Ă©tĂ©soumis, dans divers cours de formation, Ă des enseignants. DĂšs quâilsvoient des structures marquĂ©es par la simplification de structures com-
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plexes ou la surgĂ©nĂ©ralisation, ils ont systĂ©matiquement tendance Ă lesmettre sur le compte de lâinfluence de la L1 en employant dâailleurs leterme dâinterfĂ©rence que les spĂ©cialistes de lâacquisition des langues veu-lent Ă tout prix Ă©viter (Corder:1994). Ceci nous permet dâavancer que si lagestion des frontiĂšres des langues appelle une prise en compte du contactentre le français et les autres langues, il est nĂ©cessaire de fournir les ins-truments adĂ©quats aux enseignants pour que les Ă©carts dans les produc-tions des apprenants ne soient apprĂ©hendĂ©s quâĂ partir dâoutils inadĂ©quatsqui offrent une explication biaisĂ©e de la maniĂšre dont le français estappris.
Pour revenir Ă la question plus spĂ©cifique de la place des languesvernaculaires dans le dispositif de formation des enseignants, on peut direquâelle a une prĂ©sence implicite: on ne nie pas leur prĂ©sence dans lâenvi-ronnement sociolinguistique des apprenants et dans leur parcours dâap-prentissage. On les pose, en particulier le crĂ©ole, comme un obstacle Ă lâappropriation du français.
Conclusion
Le survol de la rĂ©alitĂ© des langues Ă Maurice, de quelques aspectsde lâenvironnement linguistique des enfants mauriciens et des pratiqueslangagiĂšres des acteurs directement concernĂ©s par lâenseignement dufrançais, rĂ©vĂšle quelques faits incontournables :
-au plan linguistique, le contact, au sens presque littéral du terme,entre le français et les autres langues entraßne une difficile gestion desfrontiÚres entre le français et le créole surtout; les enseignants, investis dela mission de transmettre une langue normée sont les premiers concernéspar cette difficulté;
-au plan sociolinguistique, le français ne peut ĂȘtre dissociĂ© desenjeux symboliques constitutifs de la vie communautaire: on peut penser,
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que pour partie, les choix quâeffectuent les enseignants quand ils gĂšrentles questions linguistiques Ă partir de leurs propres reprĂ©sentations sontdĂ©terminĂ©s par ces enjeux;
-Ă lâĂ©cole, le processus acquisitionnel appelle une capacitĂ© Ă apprĂ©-cier les productions langagiĂšres des apprenants en Ă©vitant de les associerde maniĂšre systĂ©matique avec la L1.
Il est alors Ă©vident que la formation des enseignants ne peut igno-rer la nĂ©cessitĂ© de transmettre des outils adĂ©quats qui permettent de sai-sir la vraie nature des productions des apprenants et qui leur offrent desinformations les aidant Ă mieux assurer la difficile gestion des frontiĂšresentre le français et les autres langues. Deux Ă©lĂ©ments doivent caractĂ©riserces outils : la prise en compte du contact entre le français et les autreslangues constitue une nĂ©cessitĂ© incontournable; ce nâest pas sur le modede la culpabilisation linguistique quâil faut aborder (implicitement, certes,mais le non-dit est toujours puissant) le rĂŽle que jouent les langues verna-culaires sur lâappropriation des L2. Sinon, lâĂ©cole continuera Ă vĂ©hiculerdes stĂ©rĂ©otypes peu propices au respect de lâidentitĂ© de lâapprenantâŠ
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