641
Université de Paris 12 Val de Marne Institut de Recherche en Gestion LA CONFIANCE COMME MODE DE CONTROLE SOCIAL L’EXEMPLE DES CABINETS DE CONSEIL THESE Pour l’obtention du titre de DOCTEUR ES SCIENCES DE GESTION Frédéric BORNAREL Décembre 2004 JURY Directeur de thèse : Isabelle HUAULT Professeur à l’Université de Panthéon Assas Paris 2 Rapporteurs : José ALLOUCHE Professeur à l’IAE de Paris- Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne Patrick JOFFRE Professeur à l’IAE de Caen Suffragants : Julienne BRABET Professeur à l’Université de Paris 12 Val de Marne Bernard RAMANANTSOA Directeur Général du groupe HEC

LA CONFIANCE COMME MODE DE CONTROLE …doxa.u-pec.fr/theses/th0225376.pdf · Le thème de la confiance est l’objet d’un vif engouement en Sciences de Gestion et à l’origine

  • Upload
    phamdat

  • View
    218

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

  • Universit de Paris 12 Val de Marne

    Institut de Recherche en Gestion

    LA CONFIANCE COMME MODE DE CONTROLE SOCIAL

    LEXEMPLE DES CABINETS DE CONSEIL

    THESE

    Pour lobtention du titre de

    DOCTEUR ES SCIENCES DE GESTION

    Frdric BORNAREL

    Dcembre 2004

    JURY

    Directeur de thse : Isabelle HUAULT

    Professeur lUniversit de Panthon Assas Paris 2

    Rapporteurs : Jos ALLOUCHE

    Professeur lIAE de Paris- Universit de Paris 1 Panthon Sorbonne

    Patrick JOFFRE

    Professeur lIAE de Caen

    Suffragants : Julienne BRABET

    Professeur lUniversit de Paris 12 Val de Marne

    Bernard RAMANANTSOA

    Directeur Gnral du groupe HEC

  • 2

    Remerciements

    A mon directeur de thse, Madame le Professeur Isabelle Huault, jexprime ma gratitude.

    Ce travail naurait pu voir le jour sans son prcieux soutien. Sa grande disponibilit, ses

    nombreuses lectures attentives et ses commentaires stimulants, nous ont aid surmonter les

    priodes critiques et achever notre travail de recherche. Je la remercie galement de mavoir

    encadr tout en maccordant sa confiance, et de mavoir laiss libre de conduire mes

    rflexions personnelles.

    Lengagement dans ce travail de recherche est une dcision surprenante, une dcision non

    calcule qui revt la nature dun pari. Parfois, il suffit dune seule rencontre stimulante pour

    voir ses projets professionnels redfinis. Celle-ci eut lieu alors que jtais tudiant dans la

    MSG dirige par Monsieur le Professeur Jos Allouche. Elle mouvrit les portes dun DEA et,

    incapable de rsister au dfaut de curiosit, celles de la thse. Aujourdhui, jai le plaisir de le

    remercier la fois pour cette rencontre mais galement pour avoir accept dtre rapporteur.

    Je remercie galement Monsieur le Professeur Patrick Joffre davoir accept dtre rapporteur

    sur mon travail, ainsi que Madame le Professeur Julienne Brabet et Monsieur le Directeur

    Gnral du groupe HEC Bernard Ramanantsoa de participer en tant que suffragants.

    Enfin, loccasion mest galement permise de tmoigner ma reconnaissance aux diffrents

    chercheurs et professionnels qui, malgr un emploi du temps charg, ont eu lamabilit de me

    recevoir lors de la phase exploratoire de mon tude, en particulier : M. Berry, A. Bounfour,

    G. Forestier, O. Henry, G. Minguet, B. Ramanantsoa, P. Stern, J-M Thirion, F. Vermeulen et

    M. Villette.

  • 3

    Sans la confiance des hommes les uns envers les autres la socit tout entire se

    disloquerait. Rares, en effet, sont les relations uniquement fondes sur ce que chacun sait de

    faon dmontrable de lautre, et rares celles qui dureraient un tant soit peu, si la foi ntait

    pas aussi forte, et souvent mme plus forte, que les preuves rationnelles ou mme

    lvidence ! .

    Simmel

    Les gens qui nous donnent leur pleine confiance croient par l avoir un droit sur la ntre.

    Cest une erreur de raisonnement, des dons ne sauraient donner un droit

    Nietzsche

  • 4

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION 05

    1re

    Partie : LA CONFIANCE : UN INSTRUMENT DANALYSE DU FONCTIONNEMENT INTERNE DES ORGANISATIONS 25

    Chapitre 1. La confiance : un concept ambigu 26

    Chapitre 2. La confiance : traits du comportements et contextes situationnels 75

    Chapitre 3. Formes et niveaux de confiance 121

    Chapitre 4. Confiance, coordination, structure 151

    Synthse de la revue de la littrature 204

    2me

    Partie : LEPREUVE DES FAITS 206

    Chapitre 1. Dmarche mthodologique 207

    Chapitre 2. Cas A. Un univers menaant contraignant linvestissement dans des relations

    de confiance verticales 254

    Chapitre 3. Cas B. Les valeurs : un mecanisme de coordination defavorable

    lapparition rapide des relations de confiance horizontales et verticales 314

    Chapitre 4. Cas C. La confiance : un moyen de contraindre laction en facilitant

    lapparition de nouveaux modes de contrle 377

    Synthse de lanalyse de cas et perspectives pour lanalyse compare 431

    Chapitre 5. Analyse inter-cas. La confiance : une relation contrainte renforant le

    contrle de la direction, lopportunisme du management et facilitant lobtention de gains

    de coordination. 436

    CONCLUSION 486

    BIBLIOGRAPHIE 506 TABLE DES MATIERES 523 LISTE DES TABLEAUX 530

    ANNEXES 535

  • 5

    INTRODUCTION

    Le thme de la confiance est lobjet dun vif engouement en Sciences de Gestion et lorigine

    dune production considrable darticles dans lensemble des domaines de la gestion : finance,

    marketing, ressources humaines, comme lillustre le numro spcial d Economies et

    Socits paru en 1998.

    Cet engouement autour de la question de la confiance nous a profondment interpell, il a t

    llment dclencheur de notre engagement dans ce travail. En effet, notre premire

    interrogation a t la suivante : pourquoi la question de la confiance est-elle dsormais si

    vitale pour lorganisation ? Plus prcisment, pourquoi cette question de la confiance

    apparat-elle alors que les principaux grands courants de la thorie des organisations,

    notamment lapproche scientifique, bureaucratique et, dans une moindre mesure, celle des

    configurations organisationnelles, y accordent peu de considration ?

    Cet intrt pour le concept est, probablement, relier aux changements de lunivers

    concurrentiel de la firme, notamment partir des annes 1980, priode qui voit lmergence

    dun nouveau modle dorganisation dans lequel la gestion des interfaces a un rle

    prpondrant (Velz & Zarifian ; 1993). Les modles traditionnels fonds sur un couplage de

    lautorit et des procdures semblent de plus en plus inadapts au contexte actuel. Les

    critiques, toujours plus toffes, adresses aux principes de la planification collective

    tmoignent de cette volont de dpassement :

    () les textes de management des annes 1960 critiquent, explicitement ou implicitement, le

    capitalisme familial tandis que les textes des annes 1990 ont pour principal repoussoir les

    grandes organisations hirarchises et planifies ( Boltanski et Chiapello ; 1999, p 103).

    Il est intressant de remarquer que les critiques adresses lencontre du capitalisme familial

    perdent en substance au regard des travaux actuels mettant en avant un retour triomphal de

    celui-ci (Allouche & Amann ; 1995), les entreprises familiales se distinguant par un contexte

    favorable lapparition de relations de confiance (Allouche & Aman ; 1998, 2002).

  • 6

    Sinterrogeant sur le rle de la confiance comme explication possible des performances des

    entreprises familiales, Allouche et Amann (1999) rvlent limportance de la nature des liens

    existant entre les dirigeants de lentreprise familiale et ses salaris. Les auteurs mettent en

    vidence le rle clef de la convergence des intrts grce ltablissement dun fort esprit

    de communaut dont lun des principaux avantages est de limiter son maximum les

    risques dopportunisme. Ainsi, les membres de la famille, par le partage des valeurs et

    croyances, sont condamns coordonner leurs actions en recourant la confiance

    rciproque.

    Il semble qu un certain niveau dincertitude, leffort de rationalisation trouve ses limites ou

    plutt met jour, de manire toujours plus prgnante, lincapacit de la logique rationnelle

    rationaliser suffisamment. La recherche dun tout rationnel est alors une qute illusoire

    comme le souligne Mintzberg (1982) :

    La vie est tout simplement trop complexe pour tre compltement rgule. La

    standardisation doit tre accompagne dajustement mutuel, ne serait-ce que pour faire face

    limprvu () Le message est le suivant : il est pratiquement impossible un systme

    totalement rgul de fonctionner, faute de pouvoir recourir la communication informelle .

    (Mintzberg ; 1982, p65).

    La confiance est incompatible avec la vision mcaniste des thories organisationnelles

    classiques dont labsence de considration pour laffectivit et les sentiments dans lanalyse

    des problmes de coopration constitue une critique forte leur gard :

    Du fait que leurs auteurs (des premires thories de lorganisation) pensaient que le

    processus dintgration tait purement mcaniste et entirement rationnel, ils ont ignor les

    sentiments et laffectivit qui sont associs aux efforts de coopration dans lorganisation

    (Lawrence & Lorsch ; 1967, p 30).

    Ds lors que lorganisation nest plus dans les ornires dun effort constant de rationalisation,

    la recherche dune amlioration continue des formes de coordination classiques pour

    affronter lincertitude, la confiance apparat comme le remde aux maux de la coordination en

    permettant la prsence de relations interpersonnelles toujours plus nombreuses :

    La confiance est un lubrifiant important du systme social ; elle est extrmement

    efficiente ; elle vite de se donner la peine davoir apprcier le crdit que lon peut

  • 7

    accorder la parole des autres. Malheureusement, ce nest pas une marchandise que lon

    peut facilement acheter (Arrow, 1974 : p 23).

    Cependant, si la confiance est une question dactualit, il est alors suggr que les avantages

    qui lui sont attribus sonnent comme une rponse aux problmes de lorganisation

    contemporaine.

    Autrefois inutile ou incohrente avec les prsupposs des thories classiques, la confiance

    prsente de nombreux effets positifs (Kramer ; 1999), elle est prsente comme le remde

    de nombreux maux. Dsormais, la confiance est omniprsente dans lorganisation (Usunier &

    Roger ; 1999). Elle influence la qualit des relations et lefficacit du management (Zand ;

    1972, Mishra & Spreitzer ; 1998, Wicks & ali ; 1998), elle agit sur la rapidit de la prise de

    dcision en comblant les espaces dincertitude lorigine dun manque dexhaustivit de

    linformation disponible (Arrow ; 1974, Boisot ; 1987, Nooteboom ; 1993 & Chiles & Mc

    Mackin ; 1996), elle rduit la complexit du systme dinteraction entre les acteurs en

    autorisant le choix parmi un ensemble de solutions acceptables (Luhmann ; 1979) et en

    vitant dinstaurer des dispositifs de contrle coteux (Arrow ; 1974), elle permet la

    construction de services personnaliss (Breton & Wintrobe ; 1986), elle facilite laccs des

    informations difficilement accessibles par la voie du march (Granovetter ; 1985, Uzzi ; 1996,

    1997), elle rduit les cots de transaction (Dyer & Chu ; 2003), elle amliore la mobilisation

    du personnel (Mc Evily & ali ; 2003), elle facilite le transfert des connaissance (Uzzi &

    Lancaster ; 2004), elle est mme un lment dterminant la performance conomique dun

    pays (Fukuyama ; 1994, Usunier & Roger ; 2000).

    Pouvons-nous en dduire que, dans le domaine des sciences de gestion, ce concept na

    dintrt qu travers une application borne lanalyse des nouvelles formes

    organisationnelles ou aux nouvelles relations interentreprises fondes sur des considrations

    non strictement marchandes ?

    Cette interrogation est dautant plus dconcertante que la confiance est un concept tudi dans

    dautres disciplines, notamment la sociologie et la psychologie, depuis plusieurs dcennies.

    Des auteurs de rfrence, comme Durkheim (en sociologie) et Deutsch (en psychologie

    sociale), jusqualors ignors en gestion, sont abondamment cits.

  • 8

    Ainsi, interroger la notion de confiance nous semble sinscrire dans une dmarche paradoxale.

    En effet, analyser la confiance participe, le plus souvent, dune dmarche de rflexion centre

    sur lanalyse de problmes organisationnels contemporains en considrant des arguments ou

    des rflexions thoriques dj mises en vidence par les pres fondateurs de la sociologie

    conomique (Weber, Durkheim, Veblen et Simmel). Des arguments discuts il y a prs dun

    sicle mais sur lesquels se btissent des thories modernes, comme celle de lencastrement de

    Granovetter (1985) par exemple, et contribuent la fondation dune nouvelle cole de

    pense : la nouvelle sociologie conomique.

    Le recours au concept de confiance et, plus largement, la thorie des rseaux, se fonde, en

    partie, sur lincapacit ou la dfaillance des mcanismes de coordination traditionnelle : le

    march et la hirarchie pour rpondre aux problmes de lincertitude et cela, quelles que

    soient les sources de lincertitude, comme le rsume le propos suivant :

    Dans la conjoncture des annes quatre-vingt-dix o lincertitude des marchs, la

    permanence de linnovation technologique et dautres facteurs augmentent limprvisibilit,

    sociologues et conomistes se sont remis tudier le rle des valeurs partages, des relations

    personnelles, de la confiance et des rseaux dans la conduite des affaires (Bagla-Gkalp ;

    1998, pp 16-17).

    Ainsi, la prise en compte du concept de confiance semble sinscrire dans une dmarche

    progressive.

    Dans un premier temps labandon de leffort de rationalisation serait lorigine de

    lapparition marque de la confiance puis, dans un deuxime temps, lefficience prsume de

    son recours, notamment par les conomies de contrle quelle engendre, apparat comme

    largument plaidant en faveur de sa gnralisation dans la typologie des formes de

    coordination. Alors que la confiance est envisage comme une solution de dpit, avec Arrow

    (1974) la perspective change : la confiance est un vecteur defficience.

    De plus, si la confiance suppose des conomies de contrle, elle est galement lorigine

    dune remise en cause des mrites habituellement accords la structure hirarchique :

    () sil est vrai que linternalisation au sein dune entreprise permet effectivement de

    mieux raliser des transactions complexes et idiosyncratiques, il nest absolument pas vident

    que cela sexplique par lorganisation hirarchique ; leffet de linternalisation est peut-tre,

    au contraire, de permettre le dveloppement dun rseau encore plus dense de relations

  • 9

    sociales que celui qui existait auparavant entre des lments indpendants du march

    (Granovetter ; 1985, p106).

    En effet, il semble que lexercice de lautorit devienne plus subtil et sous-entendu plus

    efficace, en se fondant sur lingrdient confiance (1999, p 122) :

    Comme ils (les manageurs) ne peuvent plus sappuyer sur la lgitimit hirarchique, ni,

    comme par le pass, manipuler les esprances de carrire (), les managers sont censs

    simposer par leurs comptences et leur charisme, circonscrire les acteurs grce

    lefficacit de leur rseau de relations personnelles qui leur procure information et aide,

    mobiliser les nergies par la puissance de leur vision et leurs qualits daccoucheurs du

    talent des autres et de dveloppeurs de potentiels. () Lautorit quils acquirent sur leurs

    quipes est lie la confiance qui leur est accorde grce leurs qualits de

    communication et d coute qui se manifestent dans le face--face avec les autres .

    (Boltanski et Chiapello ; 1999, p122).

    Lexercice de lautorit semble dsormais davantage reposer sur laptitude des managers se

    transformer en leaders cest--dire leur capacit dinspirer confiance pour faciliter davantage

    la mobilisation du personnel. Ds lors, cette combinaison autorit confiance nest-elle pas

    un moyen de renforcer la contrainte de laction ?

    En ce sens, le recours la confiance est susceptible de sinscrire dans une dmarche motive

    par la recherche defficience tout, en donnant lillusion que les acteurs sont moins contraints

    car ils semblent jouir de davantage de libert.

    Ainsi, la perspective sinverse. Dsormais, il est rationnel de favoriser la confiance.

    Comprendre la structure de lchange devient essentiel pour comprendre les facteurs

    lorigine de lapparition de la confiance. En effet, si comme lcrit Arrow (1974), les relations

    de confiance sont extrmement efficientes alors il est ncessaire de comprendre comment

    elles apparaissent et de sinterroger sur la question suivante : Existe-t-il des contextes plus

    favorables que dautres lapparition de la confiance ?

    A cette question, lapproche culturaliste rpond positivement. Lhypothse se rsume de la

    faon suivante : le partage des valeurs par les membres dune communaut est la principale,

    implicitement lunique, source de confiance.

  • 10

    La question de linfluence du contexte national sur la production de confiance et, surtout la

    relation confiance / performance du pays a t lobjet dune tude clbre conduite par

    Fukuyama (1995). Selon cet auteur, la performance conomique de nombreux pays est

    directement relie au niveau de confiance rgissant les rapports entre les membres dune

    mme communaut. Fukuyama (1995) considre le contexte comme central dans sa

    dfinition de la confiance :

    La confiance reprsente les attentes qui se constituent, lintrieur dune communaut

    rgie par un comportement rgulier, honnte et coopratif, fond sur des normes

    habituellement partages de la part des autres membres de cette communaut .

    Procdant une vrification empirique des rsultats de Fukuyama (1994), Usunier et Roger

    (1999) confirment, en partie, les rsultats, notamment celui concluant que la France est un

    pays faible confiance et lAllemagne un pays forte confiance. Cependant, le lien entre

    confiance et performance est contredit. Il existe des contextes nationaux davantage favorables

    la confiance que dautres mais un haut niveau gnral de confiance dans un pays nest pas

    lassurance dune performance conomique suprieure, comme le dmontre lexemple de la

    France (Usunier & Roger ; 1999). Lanalyse nignore-t-elle pas lexistence de relations de

    confiance moins globales, plus difficilement perceptibles, mais nanmoins cruciales pour

    prciser la relation entre confiance et performance du pays ?

    Les groupes daffaires analyss par Granovetter (1994, 1995) constituent une rponse cette

    interrogation.

    A linstar de Coase qui sinterrogeait sur lexistence de la firme en 1937, Granovetter poursuit

    la rflexion en y ajoutant la question suivante : pourquoi les groupes daffaires existent-

    ils ?1 . Pourquoi les firmes sorientent-elles vers la coopration et nexercent-elles pas leur

    activit de manire isole ? Quels sont lments clefs permettant cette agglomration de

    firmes ? Lanalyse de Granovetter ne porte pas sur la question du pourquoi, qui par ailleurs

    trouve de nombreuses justifications dans lanalyse conomique (dpendance des ressources,

    conomies dchelle) mais sur la question du comment (Granovetter ; 1995, p94).

    1 A business group is a collection of firms bound together in some formal and / or informal ways (Granovetter ; 1994).

  • 11

    A lappui de Leff (1978), suggrant que les membres dun groupe daffaires sont lis par des

    relations de confiance interpersonnelles, fondes sur des similitudes personnelles ou thiques,

    Granovetter lie la construction des groupes daffaires lexistence pralable dun lien de

    solidarit et dune structure sociale. Ainsi, la convergence dintrts financiers comme

    motivation du regroupement dentreprises nest pas une caractristique majeure du groupe

    daffaires. Lexistence des groupes daffaires ne peut tre rduite des considrations

    strictement marchandes.

    A la diffrence de Fukuyama, en interrogeant la notion de Groupes daffaires, Granovetter

    apporte une explication plus prcise des performances entre pays. Bien que lanalyse des

    groupes daffaires ne soit pas aise (lanalyse est complique par la nature non juridique des

    groupes), elle met en vidence limportance des liens personnels existants entre les

    principaux responsables des entreprises ; ces liens pouvant dailleurs conduire lapparition

    de districts industriels et assurer la vitalit conomique dune rgion (Barabel, Huault &

    Meier ; 2002).

    Ds lors, la lumire des rflexions de Granovetter, lanalyse compare des performances

    inter-pays prsente par Fukuyama est susceptible de sinterprter diffremment. Si les

    Allemands ne sont pas plus performants que les Franais malgr une prdisposition plus forte

    pour tisser leurs relations professionnelles sur des relations de confiance mutuelles (Usunier

    & Roger ; 1999) probablement quen France les relations de confiance sont de nature

    diffrente, moins tangibles ou invisibles (pour reprendre lexpression de Granovetter)

    mais galement concentres entre les mains de personnes clefs. En rsum, lanalyse de

    Granovetter met en vidence que limportant nest pas uniquement le niveau gnral de

    confiance mais la localisation des rseaux de confiance. Des relations interpersonnelles de

    confiance entre quelques acteurs clefs sont susceptibles de faciliter lessor conomique dun

    pays et cela malgr un encastrement dans un cadre o la plupart des relations se caractrisent

    par un faible degr de confiance.

    La question de la localisation met en vidence le rle clef assur par la famille. Selon

    Granovetter (1995), la solidarit plus marque dans les entreprises familiales constitue un

    argument utile pour comprendre lomniprsence du rle important assur par la famille dans

    lconomie mais, il semble que ce rle soit souvent nglig dans les tudes globales qui

  • 12

    accordent une importance plus forte aux grandes organisations et leur expertise pour justifier

    le succs de leur croissance :

    Because the comparative advantage of families in economic life rested on strong trust,

    however, and because it was assumed that this trust did not guarantee technical or

    managerial expertise, this vote of confidence in the role of families in the economy was

    limited (Granovetter ; 1995, pp 108-109).

    Cependant, les liens familiaux et ethniques sont favorables lapparition de relations

    interpersonnelles fortes et empreintes de solidarit. Par exemple, nous explique Granovetter

    (1995), lorsque les affaires sont conduites par des minorits ethniques, cette situation est

    souvent propice lapparition de comportements solidaires. Cette illustration, par le rle de la

    famille et des minorits ethniques, met en vidence que lanalyse globale de la confiance, au

    niveau dun pays par exemple, carte des rflexions linfluence de relations de confiance

    interpersonnelles, parfois marginales, mais pouvant conduire la formation denclaves

    ethniques (Granovetter ; 1995, p110), et permettre dasseoir un positionnement avantageux

    pour lexercice dactivits conomiques particulires ou marginales.

    Lanalyse des relations de coopration observes par Barabel, Huault & Meier (2002) dans

    trois districts industriels franais prsente des rgions dont le dynamisme conomique repose

    sur laptitude dune multitude dorganisation appartenant une mme rgion de dvelopper

    des relations coopratives efficaces, teintes de comptition. Selon les auteurs, le district

    industriel peut tre dfini comme un territoire restreint sur lequel une forte concentration

    dentreprises indpendantes spcialises au sein dune mme filire, sengagent dans une

    coopration de long terme souvent peu formalise, fonde sur des relations de solidarit et de

    confiance entre les membres de la rgion, avec le soutien dacteurs politiques locaux

    (Barabel & ali ; 2002, p94). Les relations entre les membres du rseau sont encastres

    structurellement : les relations conomiques sont insres dans des systmes durables et

    concrets de relations sociales, dans des rseaux de relations de personne personne, qui

    apparaissent au niveau le plus lmentaire, tout en tant relis un niveau plus global

    (Barabel & ali ; 2002, p92).

    Granovetter (1995) prcise lanalyse en tudiant linfluence de la structure hirarchique sur

    les groupes daffaires. Les groupes daffaires sont diviss en distinguant ceux regroupant des

  • 13

    partenaires gaux de ceux ou les relations ne sont pas galitaires afin de prciser lanalyse en

    intgrant la dimension horizontale / verticale :

    In general, groups originating from a single focal firms are likely to be more vertically

    oriented, at least at the outset, whereas those formed from a coalition of roughly equal parties

    will have a much more horizontal character. Whether groups maintain their original

    configuration of vertical and horizontal ties depends on how this configuration meshes with

    the rest of their institutional environments over long periods of time, and so must be

    considered problematic and thus deserving of closer investigation (Granovetter ; 1995,

    p117).

    Par exemple, les Zaibatsu (groupes daffaires japonais) sont davantage organiss

    verticalement. Ainsi, si la performance conomique du Japon est lie la confiance, elle est

    lie une forme de confiance particulire : la confiance verticale.

    En rsum, sinterroger sur la relation entre la performance dun pays et son niveau de

    confiance carte de lanalyse des lments prcieux. Au-del, du niveau de confiance, il

    apparat, qu la lumire des explications de Granovetter (1995), la performance conomique

    est davantage relier la localisation de la confiance, notamment entre les acteurs clefs du

    rseau (les chefs dentreprise par exemple), mais galement ses caractristiques ou sa

    nature. Par exemple dans les groupes daffaires nippons la relation de confiance apparat dans

    un cadre hirarchique. Par ailleurs, il convient dajouter que si les relations interpersonnelles

    de confiance facilitent la coopration, elles favorisent la fois une coopration

    complmentaire (fonde sur la division du travail) et une coopration communautaire (fonde

    sur le partage des valeurs). Deux formes de coopration qui sencastrent comme en tmoigne

    lun des principaux rsultats de lanalyse de Barabel & ali (2002) sur les districts industriels :

    La coopration nat de la dpendance interentreprises, issue de la forte spcialisation des

    acteurs qui oblige les firmes recrer une chane de valeur, sous la forme dune combinaison

    de capacits de production et dexpertises pointues. La concentration gographique et la

    proximit culturelle des entreprises permettent une meilleure circulation de linformation, en

    ce qui concerne les pratiques et les innovations. Mais cette collaboration ne supprime pas la

    comptition qui reste intense et souvent bnfique pour le dynamisme du secteur (Barabel &

    ali ; 2002, p108).

  • 14

    Lanalyse nous suggre que la prsence de relations de confiance de nature diffrente

    (fondes sur des indicateurs diffrents ou diffremment pondrs) accompagnent des relations

    de coopration distinctes dont lentremlement est probablement vecteur dune solidarit

    limite selon lexpression de Granovetter.

    Problmatique

    Cet argument sur la localisation de la confiance est susceptible de se transposer

    lorganisation : discuter de la confiance a davantage de sens, selon nous, si nous considrons

    la forme de la confiance (confiance verticale vs. confiance horizontale), la localisation de la

    confiance dans la structure, le niveau de confiance et par extension, les possibilits lies

    lusage de la relation de confiance.

    En rsum, un contexte organisationnel, o les acteurs partagent les mmes valeurs, est

    favorable lapparition de la confiance mais le dclenchement des relations de confiance se

    fonde, principalement, sur des projets conomiques. Ainsi, si linsertion des transactions

    conomiques dans des rseaux interpersonnels est principalement lorigine de la production

    de la confiance (Huault ; 1999, p 23), linvestissement des acteurs dans des relations de

    confiance peut tre motiv, en partie, par des attentes personnelles mais, celles-ci sont

    soumises au respect de rgles collectives en vigueur dans le rseau.

    Cependant, la confiance nest pas toujours source de performance : son efficacit est limite.

    La confiance apparat comme une relation efficiente, conomiquement parlant mais galement

    comme une relation dangereuse dans le sens o elle est favorable lopportunisme :

    Many new organizational forms (networks, strategic alliances, and joint ventures) and

    management initiatives (team production and total quality initiatives) entail significant

    degrees of interdependence and rely either directly or indirectly () on trust to function

    properly (Wicks, Berman & Jones ; 1999, p108).

    Mais l o cet encastrement fait dfaut, et o beaucoup dindividus semblent tre des

    maximisateurs de profit rationnel trs proches du modle daction sous-socialis que jai

    dcris plus haut, lactivit conomique est souvent inhibe par manque de la confiance

    interpersonnelle ncessaire la dlgation de lautorit []. Mais lorsque ces problmes de

    confiance sont surmonts, cest le problme pris en compte par les thories traditionnelles

  • 15

    qui, effectivement, apparat. Lentreprise naissante se retrouve souvent touffe par les

    revendications des amis ou des parents qui veulent obtenir faveurs et prbendes

    (Granovetter ; 1994, p86).

    La question : jusquo faire confiance ? rvle que la confiance est la fois envisage

    comme une relation efficiente mais galement comme une relation dangereuse (Langfred ;

    2004). De faon simplifie, il est possible de se rfrer aux arguments de deux coles de

    pense.

    A la question faire confiance ou ne pas faire confiance, il est possible de confronter les

    arguments de deux grands conomistes. De faon simplifie, deux coles de pense

    saffrontent : lapproche positive de la confiance suggre par Arrow (1974) et lapproche

    ngative suggre par Williamson (1975).

    Dans lapproche positive, la confiance facilite les transactions et vite la mise en place dun

    dispositif de contrle. Il est suppos que, malgr labsence de contrle, les individus ne cdent

    pas aux tentations de lopportunisme.

    Dans lapproche ngative, la simplification du dispositif de contrle conduit renforcer la

    menace de lopportunisme. En ce sens, la mfiance engendre des cots de contrle mais ces

    cots sont justifis en renforant la protection lgard de la menace opportuniste.

    Ainsi, quelle que soit lapproche, lanalyse du concept de confiance pour les deux auteurs

    senvisage travers les consquences de la confiance sur le dispositif de contrle. Ds lors,

    interroger la confiance conduit sintresser aux interrelations du triptyque confiance /

    contrle / opportunisme.

    Finalement, la focalisation sur lun des concepts est le point dterminant permettant de saisir

    les interrelations entre les concepts. Lanalyse dArrow semble se focaliser davantage sur les

    avantages de la confiance et celle de Williamson sur les inconvnients. Ainsi, en fonction du

    positionnement retenu, la bonne organisation dune mme relation dchange diffre

    radicalement.

  • 16

    De faon simplifie, le tableau suivant (Cf. tableau n1) rsume les grandes relations

    suggres par les deux approches conomiques entre les trois concepts : confiance, contrle et

    opportunisme.

    Tableau n1 : Confiance, contrle et opportunisme : comparaison simplifie de lapproche

    dArrow (1974) et de lapproche de Williamson (1975).

    Confiance Contrle Opportunisme

    Arrow (1974) Relation efficiente La confiance procure des conomies de contrle.

    La menace dopportunisme est envisage comme faible, il nest pas ncessaire de focaliser lattention sur les moyens de lradiquer.

    Williamson

    (1975)

    Relation dangereuse La vigilance est indispensable, il est ncessaire de mettre en place un dispositif de contrle rigoureux

    Limportant est de rduire au maximum la menace opportuniste : faire confiance nest pas une solution envisageable.

    Ainsi, pour analyse la confiance il existe deux grands chemins thoriques qui sopposent :

    Confiance Economie de contrle Menace du risque dopportunisme envisage

    comme faible mais non matrise

    Vs.

    Mfiance Cot de contrle Menace du risque dopportunisme leve mais

    matrise. Peu importe lefficience de la confiance, la menace est trop forte.

    Cependant, il nous semble possible de dpasser lopposition radicale de ces deux grandes

    approches pour poser des nouvelles interrogations comme les deux suivantes par exemple :

    - la confiance peut-elle engager les acteurs dans une relation dchange plus efficiente

    (source dconomie de contrle) sans les exposer un risque dopportunisme plus

    lev ?

  • 17

    - la confiance peut-elle engager les acteurs dans une relation dchange plus efficiente

    en permettant lun des acteurs de convertir la relation de confiance en actions

    opportunistes ?

    Autrement dit, est-il possible de bnficier des avantages de la confiance sans souffrir de ses

    inconvnients ou la confiance facilite-t-elle l'apparition des actions opportunistes ?

    Ces questions posent le problme de lillusion de la confiance ou dune relation de confiance

    fictive visant tre abuse. Elle suggre quune relation de confiance entre deux personnes

    nest pas ncessairement mutuelle (A ne fait pas confiance B mais B fait confiance A) ou

    alors dissymtrique (A fait peu confiance B mais B fait grandement confiance A). Par

    exemple, nous faisons confiance car nous croyons savoir que la personne en qui nous faisons

    confiance mrite cette confiance mais, malgr lexistence de preuves, lerreur de jugement ou

    lincomprhension des motivations de notre partenaire est possible et, par consquent, nous

    pouvons accorder notre confiance une personne qui nen est pas digne et en abuse. Ainsi, un

    acte apparent de confiance peut tre un calcul (Williamson ; 1993) visant renforcer la

    contrainte. Ds lors, il semble possible de dpasser lopposition radicale entre les deux

    approches en nous inscrivant dans une perspective renouvele de la relation confiance /

    contrle / opportunisme (Cf. tableau n2).

    Tableau n2 : Croisement des perspectives thoriques et relations de confiance

    Relation de confiance asymtrique

    ARROW WILLIAMSON Remarques

    Confiance Contrle Opportunisme

    Efficience

    La confiance permet une conomie sur les moyens.

    Economie

    Lconomie sur les moyens peut se traduire par un faible recours des modes de contrle formels.

    Menace faible

    La relation de confiance ne saccompagne pas ncessairement dune baisse de vigilance.

    Constitution et accumulation dun

    capital confiance dont lusage peut

    sexercer des fins opportunistes pour

    satisfaire ses intrts personnels (ou

    ceux de lorganisation) tout en se

    protgeant du risque dopportunisme.

    Exemple : A ne fait pas confiance B mais B ne le sait pas. A a recourt des moyens de contrle moins coteux et, tout en se protgeant de la menace opportuniste de B, il bnficie des avantages de lusage de la relation de confiance de B.

  • 18

    Considrer la relation de confiance sous la forme dune relation dchange dissymtrique

    nous interroge sur les usages du capital confiance. Par exemple : Est-il possible de convertir

    des relations de confiance pour exercer des actions opportunistes discrtes et rptes ?

    Existe-t-il des structures organisationnelles prdisposant, voire contraignant,

    lapparition de relations de confiance et leur conversion en actions opportunistes ?

    Il sagit dinterrogations qui supposent de saffranchir dune approche conventionnelle et qui

    remettent en cause lhypothse fondamentale selon laquelle la confiance rsultant du rseau

    modifie les formes de transaction en donnant lieu la recherche de relations durables et en

    sabstenant de la mettre en pril au dtriment davantages immdiats (Steiner ; 1999, p 89).

    Si llvation du niveau de confiance conduit abandonner des procdures formelles au profit

    de procdures informelles (Ring & Van de Ven ; 1994), la prsence de davantage de relations

    informelles nexclut pas lexistence de mcanismes contraignant laction (Aoki ; 1988,

    Courpasson ; 2001 et Lazega ; 2001) et facilitant l'apparition de relations opportunistes.

    La rgulation par la confiance suppose une coopration non contrainte par des instruments de

    contrle formaliss et lapparition de la confiance dans le systme coopratif suppose un

    abandon progressif du recours des mcanismes de contrle formels. Mais cet abandon

    saccompagne-t-il de la suppression de toute capacit de contrle ?

    En dfinitive, la confiance semble un concept riche pour analyser la coordination dans

    une perspective renouvele . Plus prcisment, nous consacrons notre tude la question

    de recherche suivante :

    La confiance peut-elle tre considre comme un mode de contrle social et un mcanisme

    encourageant les actions opportunistes ?

  • 19

    Le tableau suivant (Cf. tableau n3) rsume les conjectures majeures guidant notre travail de

    recherche ainsi que les principaux enjeux associs un tel questionnement.

    Tableau n3 : Questions de recherche, conjectures majeures et enjeux du questionnement

    Conjectures majeures Enjeux du questionnement

    1.

    La relation de confiance est une relation contrainte.

    La dcision volontaire de faire confiance est une

    illusion.

    La confiance est susceptible dtre

    lobjet dune instrumentalisation, elle

    nest pas spontane.

    2.

    La confiance est un mode de contrle social

    La relation de confiance renforce le contrle des

    personnes en position dinfluence dans la structure.

    La confiance sinsre dans une

    logique de substitution : des modes

    de contrle formels sont substitus

    par des modes de contrle informels.

    La confiance facilite galement

    lapparition de nouveaux modes de

    contrle : des modes de contrle

    sociaux et psychologiques

    3.

    La relation de confiance permet lexpression de

    comportements opportunistes profitables

    lorganisation.

    Il nest pas ncessaire dtre digne de confiance pour

    accumuler de la confiance.

    La confiance conditionne lexistence dune zone

    dopportunisme.

    Lopportunisme motive les acteurs

    sinvestir dans la confiance.

    Le cadre organisationnel exerce une

    contrainte afin que les acteurs

    sinvestissent dans des relations de

    confiance. Les acteurs ont la libert

    de transformer les relations de

    confiance en actions opportunistes.

    Cependant, le contexte exerce

    probablement une contrainte

    (conomique par exemple) pour que

    la confiance soit rellement

    transforme en opportunisme.

    Notre question de recherche tant pose, il convient de dlimiter le champ de ltude.

  • 20

    Dlimitation du champ de ltude

    Confiance et structure hirarchique

    Lmergence des relations de confiance dans le champ des relations interentreprises exprime

    la tendance des organisations une mutation qualitative des relations interentreprisess

    selon lexpression de Baudry (1995, p 101) et un renouvellement de lapproche des relations

    interfirmes partir de considrations non marchandes. Cette mutation sobserve en majeure

    partie dans le cadre de relations interentreprises verticales cest--dire entre deux entreprises

    se situant des stades diffrents du processus de production. La confiance est une troisime

    forme de coordination qui sajoute au march et lautorit. La considration de la confiance

    est envisage sous langle de la combinaison. Ainsi, depuis quelques annes, le contenu du

    lien entre les donneurs dordres et sous-traitants se modifie profondment. Ce changement

    intervient par une remise en cause de lefficacit de la relation stricte dautorit :

    En rsum, la relation dautorit, exerce dans un cadre hirarchique rigide, a bien t le

    modle dominant dorganisation des rapports entre donneurs dordres et sous-traitants

    jusquaux annes quatre-vingt. Construit sur une conception taylorienne de la rpartition des

    tches entre firmes, sur limportance du contrle, et fond sur une relation essentiellement

    marchande, ce modle sest reproduit tant que lenvironnement conomique a t favorable.

    A cet gard, la crise conomique marque bien le dbut de modifications affectant la gestion

    des rapports intrafirmes et interfirmes. Dans les deux cas, la relation stricte dautorit

    montre ses limites et ne peut assurer la reproduction du systme . (Baudry ; 1995, p62).

    Dsormais, dans lexemple dune relation partenariale, lincitation, notamment caractrise

    par lavantage de sinscrire dans un comportement loyal, permet de dpasser les limites dune

    relation strictement marchande et de surmonter le problme de lopportunisme puisque ce

    comportement devient irrationnel : () la tricherie est synonyme de pertes long terme

    suprieures aux gains de court terme (Baudry ; 1995, p89).

    Lanalyse propose par Baudry suggre que lapparition de la confiance est conditionne la

    mise en place dun cadre qui lutte contre lapparition de comportements opportunistes, cette

    approche tant, par ailleurs, considre par Barney & Hansen (1994). Il est donc suggr que

    les individus sont par nature opportunistes ou que tout phnomne de solidarit spontane est

  • 21

    inexistant, mais que le cadre les conduit envisager la confiance comme un comportement

    rationnel.

    Selon nous leffort de rationalisation est toujours en vigueur dans cette approche. Elle intgre

    le concept de confiance pour rpondre aux dfaillances de coordination : lautorit et la

    confiance se combinent pour lever lincertitude (Baudry ; 1995, p93).

    Analyser les relations de confiance dans une structure hirarchique est intressant pour

    vrifier si la confiance est lobjet dune instrumentation par les suprieurs.

    Confiance intra-organisationnelle et interpersonnelle

    Il est ncessaire de considrer la dimension spatiale de la relation de confiance.

    Lorsquelle comble les dfaillances du march et quelle autorise la coordination entre deux

    ou plusieurs entreprises, la confiance est inter-organisationnelle. Par exemple, la confiance est

    requise pour analyser les rseaux dentreprises. Elle est souvent considre comme un

    troisime mcanisme en complment du march et de lautorit. Elle est mobilise pour

    discuter des stratgies dalliance (Gulati ; 1995) et de partenariat (Sako ; 1992).

    Lorsquelle comble les dfaillances de lautorit et quelle autorise la coordination entre deux

    ou plusieurs personnes lintrieur dune mme organisation, la confiance est intra-

    organisationnelle.

    Dans notre tude, nous nous concentrons sur les relations de confiance prsentes lintrieur

    de lorganisation. Par la suite, lorsque nous parlons de confiance, nous nous rfrons la

    confiance intra-organisationnelle.

    Il est possible de distinguer la confiance en fonction dun deuxime critre : la nature du lien.

    Il est ncessaire de considrer la nature du lien de confiance.

    Lorsque la confiance concerne la relation entre une personne et une organisation ou une

    personne et une institution alors la nature de la relation est impersonnelle ; la confiance est

    alors soit une confiance organisationnelle, soit une confiance institutionnelle.

  • 22

    Lorsque la confiance concerne la relation entre deux ou plusieurs personnes alors la confiance

    est interpersonnelle.

    Dans notre tude, nous nous concentrons sur les relations de confiance entre deux individus.

    La rponse ces deux remarques nous aide dlimiter le champ de notre objet dtude.

    Schmatiquement, en croisant la dimension spatiale et la nature des liens, il est possible de

    distinguer six grandes relations de confiance (Cf. tableau n4).

    Tableau n4 : Les six grands types de relations de confiance

    NATURE DES LIENS

    Interpersonnelle Organisationnelle Institutionnelle

    Inter Relations de confiance entre deux personnes nappartenant pas la mme organisation ou institution

    Relations de confiance entre deux organisations

    Relations de confiance entre deux institutions

    DIMENSION

    SPATIALE Intra Relations de

    confiance entre deux personnes appartenant la mme organisation ou institution

    Relations de confiance entre une personne et lorganisation laquelle il appartient

    Relations de confiance entre une personne et linstitution laquelle il appartient

    Notre tude concerne lanalyse des relations interpersonnelles de confiance au sein dune

    structure hirarchique.

    Avec Thompson (1967), la confiance est considre comme un moyen daugmenter la

    ractivit de la structure en facilitant le recours des relations informelles, en particulier la

    coordination par ajustement mutuel.

    Le recours aux rgles nest pas un moyen efficace de coordonner les actions lorsque

    lincertitude est trop forte. Pour se coordonner dans un contexte dincertitude et de

  • 23

    complexit, Thompson (1967) prconise de recourir la coordination par des ajustements

    mutuels. Ce mcanisme est un moyen de surmonter le problme de lincertitude, notamment

    en accordant de lautonomie aux acteurs. Selon Thompson, le recours la coordination par

    ajustements mutuels nest efficace que sil existe un sentiment de confiance entre les acteurs.

    Cependant, ces rflexions sont nuancer. Breton & Wintrobe (1982 & 1986) insistent sur la

    ncessit de distinguer deux grandes formes de relations de confiance dans la structure

    organisationnelle : la confiance horizontale et la confiance verticale. A lappui de cette

    distinction, ils dmontrent que la confiance procure de la ractivit structurelle si les relations

    interpersonnelles de confiance sont verticales et, linverse, renforcent linertie

    organisationnelle si elles sont horizontales.

    Selon leur nature, les effets des relations de confiance sur la structure organisationnelle

    sopposent. Par exemple, selon Breton & Wintrobe (1986), la confiance entre deux personnes

    de mme niveau hirarchique (confiance horizontale) nuit au bon fonctionnement de la

    structure en favorisant lopportunisme collectif alors que la confiance dans le cadre dune

    relation hirarchique (confiance verticale) est un lment clef de lefficacit de la structure.

    Considrant une approche instrumentale du concept de confiance, Breton & Wintrobe

    soulignent quil est de lintrt des responsables de la structure de guider, voire de

    contraindre, lensemble des acteurs produire des relations de confiance favorables

    lorganisation.

    A partir de ces rflexions, nous en dduisons que ltude de la confiance intra-

    organisationnelle est plus prcise si nous dcoupons le concept en plusieurs types de relations

    pour distinguer les relations de confiance horizontales et les relations de confiance verticales.

    Les frontires de la recherche tant poses, il nous est permis de prsenter les grandes tapes

    que nous avons suivies pour conduire notre recherche.

    La revue de la littrature sarticule autour de quatre points (partie 1). Dans un premier temps,

    lanalyse est consacre une discussion critique du concept de confiance, afin de justifier le

    choix de la dfinition retenue au regard de lensemble des dfinitions prsentes dans la

    littrature (chapitre 1). Muni dune dfinition, et de quelques suppositions majeures

    concernant les relations du triptyque confiance, contrle et opportunisme, nous poursuivons

    lanalyse en nous efforant de reprer les facteurs dterminants lapparition des relations de

  • 24

    confiance. Deux grands types de facteurs sont principalement distingus : les facteurs

    comportementaux et les facteurs situationnels (chapitre 2). Grce ces lments, nous

    construisons une grille de lecture nous permettant de dcouper le concept de confiance en

    plusieurs relations de confiance. Cette grille a pour ambition de faciliter une analyse la fois

    globale et locale des relations de confiance (chapitre 3). Dans le dernier point consacr la

    revue de la littrature, nous confrontons la grille de lecture des relations de confiance

    plusieurs formes organisationnelles typiques. Cette confrontation nous permet de constater

    que la confiance peut senvisager comme un moyen pertinent pour analyser le fonctionnement

    interne des organisations (chapitre 4). A partir de la revue de la littrature, nous dgageons un

    corpus de conjectures.

    Lpreuve des faits sarticule autours de cinq points (partie 2). A la suite de la prsentation de

    la dmarche mthodologique (chapitre 1), nous nous consacrons lanalyse individuelle de

    chaque cas (chapitres 2, 3 et 4). A partir de la grille de lecture dgage, nous observons, pour

    chaque cas, plusieurs relations de confiance. La diversit des relations discutes est loccasion

    de corroborer de nombreuses conjectures : linvestissement dans la confiance nest pas

    toujours une dcision volontaire, la relation de confiance nest pas toujours une dcision

    rciproque De faon synthtique, l'analyse compare (chapitre 5) nous permet de dgager

    les principaux rsultats suivants :

    - Il est observ quun haut niveau de confiance entre les membres du sommet

    stratgique renforce le contrle des dirigeants sur lensemble de la structure,

    - Lorsque le dispositif de coordination est favorable lapparition de relations

    interpersonnelles de confiance verticales alors la contrainte de laction est plus forte et

    lopportunisme du management est facilit

    - La confiance renforce leffectivit du dispositif de coordination non seulement en se

    substituant des modes de contrle plus coteux mais galement en facilitant

    lapparition de nouveaux modes de contrle plus socio-psychologiques.

    De manire gnrale, ces rsultats rfutent de nombreuses rflexions thoriques concernant la

    confiance et plaident en faveur dune approche non conventionnelle de la confiance.

  • 25

    Partie 1 :

    LA CONFIANCE : UN INSTRUMENT DANALYSE DU FONCTIONNEMENT INTERNE DES ORGANISATIONS

    Dans un premier temps, lanalyse est consacre une discussion critique du concept de confiance afin

    de justifier le choix de la dfinition retenue au regard de lensemble des dfinitions prsentes dans la

    littrature. Lanalyse critique des dfinitions de la confiance nous permet de retenir une dfinition du

    concept adapte aux exigences de la recherche (chapitre 1).

    Muni dune dfinition, et de quelques suppositions majeures concernant les relations du triptyque

    confiance, contrle et opportunisme, nous poursuivons lanalyse en nous efforant de reprer les

    facteurs dterminants lapparition des relations de confiance. Selon la discipline et lattitude suppose

    de lindividu au travail, il est possible de reprer un clivage entre les partisans de lapproche

    comportementale et ceux de lapproche situationnelle. Malgr les oppositions, il nous est permis de

    procder un croisement fcond des perspectives. Tout en nous assurant de sa cohrence, ce

    croisement nous autorise bnficier de la richesse dune approche pluridisciplinaire. En effet, nous

    considrons que lanalyse du concept de confiance gagne en rigueur intgrer la fois les facteurs

    comportementaux et situationnels (chapitre 2). A lappui de ces lments et de laide de plusieurs

    travaux prsentant des typologies de la confiance, nous construisons une grille de lecture nous

    permettant de dcouper le concept de confiance en plusieurs relations. Cette grille a pour ambition de

    faciliter une analyse la fois globale et locale des relations de confiance (chapitre 3). Dans le dernier

    point, nous confrontons la grille de lecture des relations de confiance plusieurs formes

    organisationnelles typiques. Cette confrontation nous permet de constater que la confiance peut

    senvisager comme un moyen pertinent pour analyser le fonctionnement interne des organisations

    (chapitre 4).

  • 26

    Chapitre 1 :

    LA CONFIANCE : UN CONCEPT AMBIGU

    Analyser la confiance signifie se confronter plusieurs difficults. Trois dentre elles retiennent

    principalement notre attention. La premire difficult consiste lever la confusion entre la confiance, la

    coopration et la coordination (1.1), la deuxime viter le pige dune exclusion mutuelle des

    concepts pour articuler au contraire la confiance avec deux autres concepts clefs : lopportunisme et le

    contrle (1.2) et la troisime surmonter labsence dun consensus sur la dfinition (1.3).

  • 27

    1. LA CONFIANCE UN CONCEPT AMBIGU

    Analyser la confiance signifie se confronter plusieurs difficults. Trois dentre elles

    retiennent principalement notre attention. La premire difficult consiste lever la confusion

    entre la confiance, la coopration et la coordination (1.1), la deuxime viter le pige dune

    exclusion mutuelle des concepts pour articuler au contraire la confiance avec deux autres

    concepts clefs : lopportunisme et le contrle (1.2) et la troisime surmonter labsence dun

    consensus sur la dfinition (1.3).

    1.1 Le triptyque : coopration / coordination / confiance

    La confiance est parfois confondue avec la coopration et la coordination. Par exemple, un

    comportement coopratif sous-entend, sous la plume de nombreux auteurs, lexpression du

    comportement dune personne libre et empreint de bonne volont qui, si elle navait pas

    suffisamment confiance ne serait pas cooprative. Ainsi, Capul (1998, p62), sinspirant de

    Dejours (1993), prsente la dfinition suivante de la coopration :

    On peut donc caractriser la coopration par lensemble des liens que construisent

    volontairement entre-eux des agents afin de faire face une situation nouvelle .

    Cependant, cette approche nous semble tre une vision trop rductrice du concept de

    coopration. En effet, la coopration, notamment dans les crits de Marx, cest--dire dans le

    cadre de lobservation du fonctionnement des grandes manufactures du milieu du 19me sicle,

    dcrit la coopration comme une action totalement contrainte.

    La distinction entre la confiance, la coopration et la coordination nous aide dfinir quelques

    grandes relations entre les concepts et dlimiter plus prcisment les frontires de la

    recherche.

    Coopration et confiance

    La coopration, selon les mots de Cordonnier (1997), est une force dattraction associant

    des individus isols un destin collectif. Sous langle dune lecture conomique, la

  • 28

    coopration est le rsultat dun calcul simple : lefficacit collective est suprieure celle de

    la somme des efficacits individuelles grce un processus dorganisation fond

    principalement sur les principes de la division du travail (Smith ; 1776). Au cur de

    lefficacit de la firme (Marx ; 1867), la coopration, par le partage dune tche commune, se

    fonde sur des relations de dpendance mutuelle favorables lapparition de relations

    solidaires (Durkheim ; 1893). Cependant, il existe des limites la division du travail. Ainsi,

    trop pousse, la spcialisation du travail conduit lalination (Marx ; 1867) et la rvolte

    (Durkheim ; 1893). Comme le rsume Durkheim (1893 ; p348) :

    La division du travail ne saurait donc tre pousse trop loin sans devenir une source de

    dsintgration .

    Le partage et la dpendance mutuelle sont deux attributs clefs de la coopration :

    Parce que la coopration relve de laction collective finalise, elle ncessite de partager

    consciemment entre individus une tche commune dans des relations de dpendance

    mutuelle (Dameron ; 2002, p341).

    Laction collective est organise afin datteindre un but commun ncessitant le concours de

    tous les individus. Cependant, finaliser laction collective suppose dtablir un cadre pour

    orienter les comportements dans le sens dsir. Au sein dune organisation, la coopration se

    traduit par la dfinition dun cadre pour orienter les actions, dune structure organisationnelle.

    La structure organisationnelle est influence par lapproche thorique associe au concept de

    coopration. En effet, si lanalyse selon laquelle la coopration est lorigine de lassociation

    et de lefficacit de la firme est assez consensuelle, son organisation est lobjet de nombreux

    dbats selon les perspectives thoriques considres.

    Schmatiquement, deux visions thoriques sopposent, il sagit de lapproche fonctionnaliste

    et de lapproche critique :

    Alors que pour les fonctionnalistes, lorganisation est considre essentiellement comme un

    systme de coopration, harmonieux et en quilibre, pour les critiques, fortement tributaires

    notamment des thories marxistes et actionnalistes, lorganisation est vue comme un lieu ou

    existent des intrts divergents, des affrontements et des conflits (Chanlat & Seguin ; 1987,

    p 2) .

  • 29

    Selon le positionnement retenu, le cadre est plus ou moins contraignant et la nature des

    relations interpersonnelles plus ou moins conflictuelles. Dans une acception critique, la

    confiance, dans le cadre dune relation hirarchique, est apprhende comme un acte de

    manipulation, germe dun conflit latent qui fleurira lorsque la supercherie sera dcouverte par

    la personne abuse.

    A linverse, Durkheim (1893) soppose cette analyse critique et, plus largement, il soppose

    la vision conomiste qui, selon lui, est rductrice. Elle considre lhomme comme un agent

    uniquement guid par la recherche de la satisfaction de ses intrts personnels :

    Nous cooprons parce que nous lavons voulu, mais notre coopration volontaire nous cre

    des devoirs que nous navons pas voulus (Durkheim ; 1893, p 192).

    En distinguant le concept de solidarit mcanique et le concept de solidarit organique,

    Durkheim met en exergue que les sources de la coopration sont parfois antinomiques. Par

    exemple, la similitude et la complmentarit sont deux notions aux consquences semblables :

    la dissemblance comme la ressemblance peut-tre une cause dattrait mutuel (Durkheim ;

    1893, p18).

    Sil est possible de distinguer la coopration en fonction de lapproche thorique, donc

    denvisager la relation coopration / confiance sous deux perspectives rivales, il nous est

    galement permis de prciser lanalyse en distinguant la nature de la coopration.

    Dameron (2002) distingue deux formes de coopration : la coopration complmentaire et la

    coopration communautaire (Cf. Tableau n 5). Ces deux formes se fondent sur des approches

    thoriques relativement diffrentes. La coopration complmentaire est fonde sur la

    rationalit calculatoire , il est fait rfrence aux thories conomiques sur les contrats et la

    sociologie de lacteur. La coopration communautaire est fonde sur la rationalit

    identitaire , il est fait rfrence lcole des relations humaines et aux travaux de la

    psychosociologie dont lobjet dtude est la dynamique des groupes.

    Lanalyse de Dameron (2000, 2002) rvle que les deux formes de coopration ne sont pas

    permables. Il existe une relation de tension entre la coopration complmentaire et la

    coopration communautaire dans le cadre dune logique de destruction cratrice.

  • 30

    Tableau n5 : Coopration complmentaire et coopration communautaire

    Coopration complmentaire Coopration communautaire

    Fondements Calcul stratgique Identit sociale

    Attributs

    - Intrts individuels

    - Division du travail

    - Engagements internes

    - Objectifs communs

    - Appartenance au groupe

    - Interaction avec des

    groupes externes

    Processus Ngociation Socialisation

    Ambivalence de la

    dynamique cooprative

    La coopration complmentaire

    tend vers la constitution de

    rseaux de confiance, et donc

    vers de la coopration

    communautaire

    La coopration communautaire

    tend vers la diffrenciation des

    membres du groupe et donc

    vers de la coopration

    complmentaire

    Tableau repris de Dameron (2002). La dynamique relationnelle au sein dquipes de conception . Le Travail Humain, tome 65, n4, p347.

    La coopration suppose-t-elle la confiance ?

    En fonction de ce dcoupage du concept de coopration, il nous est plus ais de discuter la

    question suivante : la coopration suppose-t-elle la confiance ?

    Si Smith et Marx donnent des justifications conomiques sur le bien-fond de la coopration

    et Durkheim prcise que la coopration favorise lapparition de relations solidaires ou

    morales, la question de lmergence de la coopration est peu discute. Pour aborder la

    question du comment et comprendre en quoi la coopration est force dattraction , il

    convient de scarter de lapproche conomique selon laquelle lintrt est le seul principe de

    lchange.

    La recherche pure et simple de lintrt personnel est le principal obstacle son atteinte

    (Cordonnier ; 1997). Comme le rsume clairement Caill (1994, p6) :

  • 31

    De mme que les systmes logiques ne parviennent pas tablir logiquement leur logicit,

    de mme laxiomatique de lintrt marchand dbouche sur la mise en lumire du fait que la

    poursuite de lintrt peut-tre elle-mme son pire ennemi .

    Linitiative est un moyen de lever ce paradoxe. Elle apparat comme la seule solution et

    devient un principe de lchange marchand , elle dpasse ce que Cordonnier appelle la

    coopration conditionnelle fonde sur le principe de la rciprocit marchande (coopre si et

    seulement si lautre coopre et vice versa) pour une coopration fonde sur le principe de la

    rciprocit archaque (coopre pour que lautre coopre).

    Nous pouvons citer Weber pour illustrer ce raisonnement.

    Weber : dans Lthique protestante et lesprit du capitalisme (1904) place la confiance en

    amont du dveloppement de la socit marchande et, cette approche semble sinscrire dans la

    logique de la coopration archaque :

    Le premier novateur sest trs rgulirement heurt la mfiance, parfois la haine,

    surtout lindignation morale [] De plus indpendamment de la sret du coup dil et de

    lactivit ralisatrice, ce nest quen vertu de qualits thiques bien dtermines et fortement

    dveloppes quil sest trouv mme dinspirer ses clients et ses ouvriers une confiance

    absolue en ses innovations. Rien dautre ne lui et donn la force de surmonter des obstacles

    sans nombres et, par-dessus tout, dassumer le travail infiniment plus intense qui est exig de

    lentrepreneur moderne (p 71).

    Cette approche de la coopration se fonde sur lanticipation dune relation de confiance

    mutuelle dont linitiative est le premier pas.

    Dans ce contexte, la prise en compte de linitiative est lourde de consquences. Ainsi, elle

    suppose que la confiance nest pas spontane mais motive par un retour et, naturellement,

    que linitiative premire bnficie son auteur. En reprenant lexemple de Weber,

    lentrepreneur a un grand intrt prendre linitiative et espre en retour la confiance de la

    communaut. Dans cet exemple, lentrepreneur est un acteur qui gnre de la confiance.

    Reprenons lexemple de Cordonnier (1997, p195) :

    Si A veut cooprer, il faut quil soit sr que B coopre galement. Ce principe nest donc

    pas applicable lorsquil existe une incertitude concernant le choix du partenaire .

  • 32

    Le principe de la rciprocit archaque pour expliquer le comment de lassociation et de la

    rciprocit plaide en faveur dune approche pluridisciplinaire pour analyser les problmes de

    coopration dans un contexte dincertitude. Dans cet esprit, la socio-conomie fournit des

    points de repres prcis.

    Dans cette perspective, lanalyse des relations conomiques inclut ncessairement une

    dimension morale par la considration du principe de rciprocit archaque mais, pour autant,

    ncarte pas le calcul, par lexistence de la rciprocit marchande. Par exemple, lhonntet de

    lentrepreneur et son honneur se montrer digne de la confiance de la communaut se fonde

    sur une rciprocit archaque pouvant conduire, par la suite, des relations fondes sur la

    rciprocit marchande.

    Une fois la dimension morale considre, alors la confiance sassocie toutes les formes de

    coopration (Thuderoz ; 1999). Elle devient une clef de lecture de lanalyse du systme

    coopratif. Ds lors, nous ne pouvons que souscrire lhypothse selon laquelle la confiance

    est omniprsente dans lorganisation (Usunier & Roger ; 1999). Cependant, cette

    omniprsence suppose des relations de confiance diffrentes, inter-relies et dont lorigine

    peut dpendre de linitiative dun ou de plusieurs individus isols.

  • 33

    Tableau n6 : Le concept de confiance selon lapproche thorique et la nature de la

    coopration

    Approche thorique de la coopration

    Approche fonctionnaliste

    Le systme de coopration est harmonieux et en

    quilibre. La coopration est fonde sur lintrt

    rciproque des individus cooprer. La dpendance

    mutuelle favorise la solidarit

    Approche critique ou marxiste

    Les intrts divergents sont vecteurs daffrontements et de conflits. La coopration est assure par un contrle

    despotique

    Coopration communautaire

    Confiance fonde sur la rationalit identitaire

    Confiance entre individus appartenant la mme classe : mme traits de culture, mme attentes, mme combat.

    Nature de la

    coopration (Dameron ;

    2002)

    Coopration complmentaire

    Confiance fonde sur la rationalit calculatoire

    Dfiance entre des individus appartenant des classes diffrentes.

    REMARQUES

    Relations de confiance sont prsentes mais elles voluent mesure que la nature de la coopration change.

    Le phnomne de lutte des classes repose sur des rapports de dfiance. La lutte est collective car les classes sont des runions de personnes qui agissent en commun. Cette organisation suppose la confiance. Dans cette approche, il semble que les relations de confiance communautaires ou horizontales, engendrent de la dfiance au niveau vertical donc branle en permanence lefficacit de la structure hirarchique.

  • 34

    Selon lapproche de la coopration retenue, la structuration du cadre de lchange diffre. Par

    exemple, un comportement coopratif peut-tre recherche par la voie dun management

    autoritaire ou par celle dun management fond sur lautonomie et lauto-contrle.

    Le dispositif de coordination est un outil qui oprationnalise la coopration. Selon la

    dfinition du Robert, coordonner cest : agencer des lments en vue dobtenir un ensemble

    cohrent, un rsultat dtermin .

    La rfrence ltymologie du mot coordonner nous rvle que lide de coordonner est lie

    lide de commandement (lide de mise en ordre est lie celle de commandement,

    Dictionnaire tymologique et historique de la langue franaise).

    En conclusion, suivant lanalyse retenue de la coopration, la structure organisationnelle, et

    plus prcisment les dispositifs de coordination sappuient volontairement sur des relations de

    confiance ou, linverse, tentent dviter leur apparition.

    Lorganisation du systme coopratif : la coordination.

    Par rfrence Mintzberg (1982), la structure dune organisation, est dfinie comme :

    la somme totale des moyens employs pour diviser le travail entre tches distinctes et pour

    ensuite assurer la coordination ncessaire entre ces tches (p 18).

    Les mcanismes de coordination constituent la colle (Mintzberg ; 1982, p19) ncessaire au

    maintien de lensemble des parties de lorganisation.

    Coopration et coordination sont deux concepts distincts. La coordination est susceptible de

    senvisager comme une instrumentalisation de la coopration cest--dire comme un ensemble

    de moyens contraignant la coopration, mais sans que le rsultat de cette contrainte ne soit

    garanti.

    La coordination, travers la combinaison de plusieurs mcanismes, est lagencement prescrit

    de lagir. Elle est la mise en ordre selon une rationalit ex ante de laction collective

    laide de dispositifs spcifiques (Neuville ; 1998).

    Selon Arrow (1974) la confiance est un lubrifiant du dispositif de coordination.

  • 35

    Ce rle de lubrifiant se peroit travers le rle assur par la confiance pour faciliter les

    interrelations entre des actions formelles et les actions informelles.

    Les rflexions de Dalton (1959) nous permettent de prciser ce rle de lubrifiant.

    En effet, les interrelations entre les actions formelles et les actions informelles sont lorigine

    de lefficacit de la collaboration :

    En rgle gnrale, seul un simple desprit peut penser quune collaboration efficace ne peut

    tre obtenue que par lintermdiaire dune procdure formelle (Dalton ; 1959, p 249).

    Si une forme organisation est considre comme le lieu o se croisent des actions formelles et

    des actions informelles alors les relations de confiance ont un rle clef en assurant la

    coordination entre les actions formelles et les actions informelles.

    Dans lapproche de Dalton, les actions informelles ne sont pas rduites des actes de

    conspiration. Par exemple, elles sont notamment apprcies des cadres : les relations

    informelles facilitent latteinte des buts non officiels sans soulever de discussions (p 249).

    Relations formelles et relations informelles

    Dalton, travers une critique de la dualit formel informel, soutient que le vritable

    problme ne consiste pas choisir une dimension de la structure organisationnelle tudier

    mais de se concentrer sur les interrelations entre les actions formelles et informelles. Ainsi,

    lanalyse perd en substance et, surtout scarte de la ralit, lorsque ces deux types daction

    sont dissocis. En dautres termes, dcouper la structure organisationnelle en deux

    dimensions : la structure formelle et la structure informelle pour mieux comprendre le

    fonctionnement de lorganisation na de sens que si les interrelations entre les actions

    formelles et les actions informelles sont considres. Selon nous, lanalyse de Dalton, en

    dmontrant le rle crucial des interrelations est lune des premires parler du passage dune

    action informelle une action formelle.

    En effet, les relations informelles peuvent tre un moyen de rpondre certaines dfaillances

    de la structure formelle. Si ces actions sont juges efficaces, elles sinscrivent dans la routine

    et terme peuvent faire lobjet dune officialisation. Il sagit dans ce cas de ladoption par le

    formel de pratiques non officielles trs rpandues qui ont fait leurs preuves ou sont devenues

    un fait accompli.

  • 36

    Ainsi, des rgles sont parfois issues de relations informelles dont lefficacit reconnue a

    conduit leur officialisation.

    Lauteur identifie sept mcanismes reliant le formel et linformel (p 251).

    Il sagit : des runions informelles, lordre donn par le suprieur ses subordonns pour

    quils accomplissent une action non officielle, les requtes informelles des subordonns pour

    obtenir lautorisation de sengager dans des actions spcifiques non officielles, les rles de

    transition, le recours aux justifications toutes faites, lemploi dagents de liaison, et ladoption

    par le formel de pratiques non officielles trs rpandues qui ont fait leurs preuves ou sont

    devenues un fait accompli.

    Parmi ces sept mcanismes, trois suggrent le rle crucial assur par des relations de

    confiance interpersonnelles.

    Laction non officielle ordonne : Dans des situations durgence ou inhabituelles, les

    chelons levs de la hirarchie peuvent exiger de la part des subordonns une action non

    officielle limite, et mme illgale () Une exigence restreinte, limite un personnel qui

    a fait ses preuves est un phnomne plus rpandu et plus sr pour atteindre des buts

    formels sans porter atteinte la dignit des personnes (p253).

    Ce mcanisme indique limportance, pour la classe dirigeante par exemple, de produire des

    relations de confiance avec la ligne hirarchique afin de court-circuiter les rgles usuelles et

    les normes pour agir rapidement. Nous nous apercevons que la confiance verticale

    descendante assure au sommet stratgique davantage defficacit dans son pouvoir de

    commandement grce au recours plus marqu lajustement mutuel afin de lever des rgles

    auxquelles sont soumis les subordonns.

    Les dviations autorises : Lorsque la camaraderie est assez forte pour que les

    subordonns ne craignent pas une sanction non officielle de la part des suprieurs, ils

    peuvent demander la permission de rsoudre certains problmes de faon informelle

    (p253).

    Dans ce contexte, la relation de confiance verticale est ascendante. Les subordonns

    bnficient dune souplesse de leur suprieur dans lexercice du commandement et peuvent

    parvenir plus facilement rsoudre leurs problmes.

  • 37

    Les justifications toutes faites : () mcanismes de dfense provisoire prtablis pour

    dissimuler une grande partie de ce qui se passe lintrieur et lextrieur des runions

    (p254).

    Les actions informelles sont parfois utiles au bon fonctionnement mais contraires aux valeurs

    affiches par lentreprise. Efficaces mais illgales, les actions sont camoufles pour viter des

    sanctions. Au niveau des relations interpersonnelles, les justifications toutes faites sont

    susceptibles dviter la destruction de la confiance en vitant de prsenter certaines

    informations. Dans ce cas, lasymtrie dinformations et, par consquent, lincomprhension

    des motivations relles, prserve la confiance et facilite latteinte des objectifs formels grce

    des actions informelles et illgales.

    Les justifications toutes faites contredisent lapproche selon laquelle la confiance se construit

    entre des partenaires honntes et transparents.

    Dans ce cas, lasymtrie dinformations est favorable au maintien de la confiance.

    Par exemple, March (1981) rvle lexistence de nombreux mcanismes (comme le slack),

    pour mieux comprendre le fonctionnement de lorganisation et donner des explications solides

    des phnomnes pouvant paratre occultes. En consquence, concernant la coordination,

    lautorit statutaire est indispensable au commandement mais lefficacit du commandement

    se renforce lorsquil est accept et non subi (autorit charismatique, convention dobissance,

    soumission librement consentie). Ainsi, la nature des relations interpersonnelles entre le

    suprieur et le subordonn, plus prcisment la qualit de la relation de confiance, est

    essentielle pour valuer lexercice du commandement.

    Cependant, admettre que la confiance est un lubrifiant des relations sociales suggre que

    lorganisation soit en mesure de faciliter lapparition de relations de confiance adaptes pour

    viter que le systme ne se grippe.

    Dans ce cas, lenjeu consiste sinterroger sur la capacit de la confiance renforcer

    leffectivit des mcanismes de coordination cest--dire sassurer que les mcanismes sont

    rellement mis en uvre (Nizet & Pichault ; 1999). Par exemple, la confiance du subordonn

    envers son suprieur renforce leffectivit de la supervision directe en facilitant lexercice de

    lautorit hirarchique. A linverse, sans la confiance du subordonn, le suprieur a davantage

  • 38

    de difficult se faire obir et la supervision directe peut apparatre comme un mcanisme

    peu efficace.

    Si les mcanismes de coordination sont la colle et la confiance un lubrifiant alors

    la confiance est un ingrdient susceptible de renforcer leffectivit du dispositif de

    coordination.

    Cette hypothse suggre une vision renouvele de lapproche de Mintzberg, intgrant le

    concept de confiance. Plus prcisment, au niveau de lanalyse dune configuration en

    particulier : ladhocratie. Cependant, dans les systmes les plus formaliss, o le contrle

    est visiblement des plus coercitifs, la confiance est galement prsente. Le fonctionnement de

    la firme sovitique dcrit par Berliner (1952) en confre une illustration. Malgr un systme

    de contrle administratif complexe et minutieux, la firme sovitique, hautement administre et

    centralise, sappuie sur des relations informelles et interpersonnelles fondes sur la confiance

    pour fonctionner.

    La confiance est prsente dans les systmes trs formaliss

    Berliner (1952), aprs avoir interview 26 personnes ayant occup des places de responsable

    dans diverses institutions sovitiques, dnombre la prsence de trois types de comportements

    informels :

    - Un comportement de scurit. Il consiste atteindre les buts fixs par une utilisation

    inefficace, conomiquement parlant, des ressources disponibles. Ladhsion au systme

    est rcompense malgr linefficacit.

    - Un comportement fond sur la simulation. Il consiste manipuler le systme de

    production et laffectation des ressources dtermines en fonction des objectifs et des

    primes affrentes.

    - Lutilisation du rseau, il facilite lobtention de moyen de production par un recours

    efficace au rseau dinfluence.

    Ainsi, lobissance inconditionnelle aux rgles, condition indispensable pour assurer le

    fonctionnement de la bureaucratie selon Weber, est illusoire et la standardisation lextrme

  • 39

    des procds entrave mais nradique pas lapparition de relations de confiance

    interpersonnelles.

    De plus, lincapacit du systme bureaucratique bureaucratiser suffisamment (Perrow ;

    1986) est favorable un espace de libert. Cette marge de libert (Crozier & Friedberg ; 1977)

    peut tre utilis pour battre le systme ou au contraire conduire les individus un

    contournement des rgles profitables lorganisation, les arrangements informels permettant

    dapporter des solutions des problmes non envisags par lorganisation (Bagla-Gkalp ;

    1998, partir de Blau ; 1955). Autrement dit, le contournement des rgles est un signe de

    dysfonctionnement profitable lorganisation qui sappuie sur la bonne volont des acteurs.

    Dailleurs, terme, ce dpassement de la rglementation peut sinscrire dans la routine

    (Dalton ; 1959) et des relations interpersonnelles de confiance de nature officieuse se

    transformer en rgles impersonnelles. Ainsi, les rgles impersonnelles peuvent sanalyser

    comme la cristallisation de relations de confiance interpersonnelles autrefois localises et

    dsormais gnralises.

    En conclusion, les organisations, mme les plus administres, gnrent de la confiance. Il

    semble mme que la confiance soit dautant plus recherche que le systme est rglement,

    les bnfices retirs tant plus levs (Breton ; 1987) car dans un contexte rglement : ()

    la productivit dun individu est troitement lie au rseau de relations quil a avec dautres

    employs (Granovetter ; 1988, p 181) puisque laptitude construire de la confiance agit sur

    la capacit se procurer des ressources (Breton & Wintrobe ; 1982).

  • 40

    1.2 Confiance, opportunisme et contrle

    Selon Usunier (2000 ; p 9) : Faire confiance cest fondamentalement se rendre vulnrable

    lautre pour pouvoir raliser quelque chose de bien avec lui ou avec elle, mais cela

    nempche pas aussi de tout faire pour rduire le risque li cette vulnrabilit .

    Selon cette approche, faire confiance cest permettre celui qui reoit la confiance dtre

    opportuniste mais, faire confiance ne signifie pas sabandonner totalement la bonne volont

    dune tierce personne, faire confiance cest galement contrler.

    Conformment lapproche de Reed (2001), nous considrons que lanalyse de la confiance

    est enrichie lorsque le concept est reli dautres. Ainsi, pralablement au choix dune

    dfinition de la confiance, nous discutons de la relation entre la confiance et deux autres

    concepts : lopportunisme (1.2.1) et le contrle (1.2.2).

    1.2.1 La relation confiance opportunisme

    Selon Bromiley et Cummings (1992 & 1996), confiance et opportunisme ne sont pas des

    comportements incompatibles. En effet, une relation de confiance peut favoriser lexpression

    dun comportement opportuniste. Cependant, pour que le comportement opportuniste ne

    remette pas en cause la relation de confiance existante, il ne doit pas tre peru ou interprt

    comme tel, lopportunisme doit tre modr. Un comportement opportuniste, sil est modr,

    et si lopportuniste ne retire pas un avantage excessif , ne remet pas en cause la relation de

    confiance existante. En ce sens, la relation de confiance, notamment lorsquelle est fonde sur

    lamiti ou lidentification (Bogenrieder & Nooteboom ; 2004), peut saccompagner dune

    baisse de vigilance et compliquer la dtection des actions opportunistes.

    Lapproche de Bromiley & Cummings suggre que la relation de confiance est susceptible de

    soutenir lexpression dun comportement opportuniste.

    Les travaux de Neuville (1998) permettent dclaircir le lien confiance opportunisme. Ils

    senvisagent, selon nous, comme une confirmation empirique de lapproche de Bromiley &

    Cummings.

  • 41

    Dans le cas dune tude sur le partenariat industriel, Neuville met jour la prsence dun

    comportement fond la fois sur une confiance limite et un opportunisme modr.

    Dans le contexte particulier du partenariat industriel, la coopration est soumise la

    contrainte dagir dans lurgence. La coopration sexprime travers une pluralit de

    comportements coopratifs que Neuville rsume par la construction de 3 idaux-types : le

    pouvoir, la confiance et le conflit. Il existe une dynamique de la coopration rvlant le rle

    central de lopportunisme. Dans lanalyse, lopportunisme est envisag comme une variable

    explicative centrale de lvolution dune forme de coopration lautre. Parmi ces trois

    formes, la confiance est dfinie comme une coopration contractualise qui autorise un

    dpassement de la coopration ngocie (pouvoir) puisquil y a cration en commun de

    nouvelles rgles . Le but de ces nouvelles rgles est simple : viter les ngociations pour

    gagner du temps. Mais, et cest ici que la confiance prend tout son sens pour lauteur, viter la

    ngociation conduit chacun dcider seul de couvrir les dfaillances de lautre . La

    confiance est la forme de coopration la plus efficace, conomiquement parlant, car elle rduit

    les cots de transaction ; quatre cots principalement : les cots de contrle, les cots de

    communication, les cots de production et les cots de coordination. Mais si elle rduit les

    cots de transaction elle est galement source de dysfonctionnements. En effet, elle est

    une forme de coopration propice lmergence et la prennit de comportements

    opportunistes.

    Dans le contexte de ltude, ces comportements opportunistes sont rciproques. Ils ne

    remettent pas en cause les relations de confiance puisquils ne sont pas perus (opportunisme

    cach) ou interprts comme tels (opportunisme transfr). En effet, le capital confiance

    dispose dune capacit absorber les comportements dviants (p 88).

    Ainsi, il est possible de suggrer une relation entre llvation du niveau de confiance et

    celui de lopportunisme tel que : plus la confiance slve plus les comportements

    opportunistes sont difficiles reprer et plus les tentations dtre davantage

    opportunistes sont leves.

    Lauteur procde un renversement de logique : le calcul de lacteur ne porte plus sur le

    risque dopportunisme de lautre mais sur le risque que son propre opportunisme soit peru

    par son interlocuteur . Ainsi, les acteurs prennent volontairement le risque de remettre en

  • 42

    cause la confiance pour mieux rsoudre les problmes intra-organisationnels quils

    rencontrent. En ce sens, la confiance savre la figure de coopration la plus vulnrable .

    Pour Neuville, lopportunisme est un ferment de la coopration et la construction de la

    confiance est apprhende comme un calcul : la possibilit de profiter modrment de la

    confiance de lautre . Lopportunisme est rciproquement avantageux, les deux partis ne

    mettant pas en cause la relation de confiance mme sils sont trahis : cest cette possibilit

    de trahir modrment qui permet daccepter dtre soi-mme victime .

    En conclusion, les rsultats de ltude de Neuville confirment lide que linvestissement dans

    des relations de confiance peut tre motiv par lanticipation de lexploitation de la relation de

    confiance des fins opportunistes. Cette situation est profitable lorganisation puisque les

    cots de transaction diminuent grce des logiques de coordination davantage fondes sur le

    principe de la rgulation autonome (Reynaud ; 1989). Lanalyse de Neuville met galement

    en avant lide que lvolution du processus coopratif saccompagne, en partie, dune

    volution de la nature des relations de confiance qui, dans lexemple prsent, favorise

    lmergence de relations de coopration communautaire en se renforant.

    Lewicki, Mc Allister & Bies (1998) proposent galement une approche renouvele de la

    confiance. Ils considrent la confiance et la mfiance comme deux concepts lis. Ainsi, les

    relations de collaboration entre deux personnes peuvent la fois se fonder sur la confiance et

    sur la mfiance, les situations de collaboration tant nombreuses et varies.

    Le cadre propos est construit sur une critique des approches thoriques traditionnelles. Pour

    Lewicki, Mc Allister & Bies (1998) celles-ci saccompagnent, le plus souvent, de plusieurs

    prsupposs inadapts la comprhension des problmes actuels dans lorganisation :

    - Premirement, confiance et mfiance sont considres comme bipolaires, ds lors la co-

    existence entre confiance et mfiance est vacue. Cependant, il semble raisonnable de

    suggrer que deux mmes personnes, en fonction des circonstances de lchange