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L’Hirondelle trouvera-t-elle le printemps ? Marie Baxerres Ce texte a obtenu un prix Beaumarchais-SACD pour l’écriture Pièce pour spectacle tout public. (Dès 7 ans)

L hirondelle 2eme version

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L’Hirondelle trouvera-t-elle le printemps ? Compagnie DRÜ

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L’Hirondelle trouvera-t-elle le printemps ?

Marie Baxerres

Ce texte a obtenu un prix Beaumarchais-SACD pour l’écriture

Pièce pour spectacle tout public. (Dès 7 ans)

« Lorsque l’enfant était enfant, Il marchait les bras ballants, Il voulait que le ruisseau soit rivière Et la rivière, fleuve, Que cette flaque soit la mer. »

Peter Handke dans « Les ailes du désir »

A Romain et François A la 5 fois Belle A William Shakespeare, Stig Dagerman, Antonin Artaud et Wim Wenders.

Personnages

Le Comte Musique, le Poète, le Sorcier, la Sorcière :

Acteur-F

Le Clown Navitsk, le Tsar Dakantala, le Vagabond :

Acteur-X

La Princesse :

Actrice-M

Préambule

5 valises (de tailles différentes) et une grande malle sont installées sur le plateau. Les valises constituent le décor. La grande malle abrite tous les costumes et accessoires dont les acteurs vont se servir pour jouer.

2 acteurs entrent sur scène. Ils sont en lien direct avec le public.

Acteur-F, Acteur-X: Bonjour, Bonjourno, Hola, Wilkommen, Hey !...

Ils jouent avec le public, peuvent apprécier la particularité de leur public... ce sont de vrais gai-lurons ! Ils installent les valises au fur et à mesure du prologue. Celles-ci s'éclairent quand ils les ouvrent. Acteur-X : Nous sommes partis en voyage, un tour du monde

Acteur-F : De l'espace

Acteur-X : De la stratosphère

Acteur-F : De l'univers intersidéral qui nous entoure !

Acteur-X : De cette aventure, nous aurions pu ramener toutes sortes d'objetstouristiques, des jouets en plastique,

Acteur-F : Des petits chapeaux bien typiques

Acteur-X : Des denrées exotiques

Acteur-F : Des fruits d'Amériques

Acteur-X : Des poupées mécaniques...

Prolonger à l’envi ce petit jeu entre les 2 acteurs-F et acteur-X. Le jeu des rimes en –ique. C’est une sorte de jeu/défi qu’ils se lancent entre eux. Exemple :…chamanique, …élastique, …mécanique, … pathétique, … pique-nique, … flics… crotte de bique... comment le jeu cesse... ? L'un prend le dessus ? Physiquement ? Par la parole... ?

Acteur-X : MAIS ! Voilà ce que nous avons décidé de ramener :

Acteur-X sort de sa poche une main magique et la dirige vers la coulisse tout en regardant Acteur-F. Il lui ordonne d'aller chercher la princesse.Acteur-F s'exécute et ramène sur scène la princesse endormie. Acteur-X contrôle la somnambule grâce à sa main magique.

Acteur-X : C'est la princesse Hirondelle.

Acteur-F : Elle est incroyable.

Acteur-X : Vous allez voir... Pour l'instant elle est endormie mais elle va bientôt se réveiller.

D'un geste de sa main magique il l'allonge au sol.

Acteur-F : Dans son royaume, tout est bleu !

Acteur-X : Son arbre... (il fait signe à Acteur-F d'ouvrir la valise arbre) elle passe ses journées en dessous, sur sa petite branche. (il retourne la petite valise branche) Elle lit ou elle rêve aux oiseaux ou... (il fait signe à Acteur-Fd'aller chercher quelque chose en coulisse. Acteur-F revient, fier, avec une boule d'argile, et la dépose au pied de l'arbre.)

Acteur-F : Elle fait des choses bizarres avec sa boule.

Acteur-X : Voilà son jardin (même procédé : il fait signe à Acteur-F d'ouvrir la valise jardin) et voilà son palais (Acteur-F ouvre la valise palais).

Acteur-F : C'est bien fait n'est-ce pas ? (il se rengorge sur sa réalisation artistique pendant que Acteur-X trace un espace avec la poudre magique.)

Acteur-X : Nous entourons l'espace de jeu d'un mur magique. La Princesse ne peut ni voir, ni entendre ce qu'il se passe derrière.

Acteur-F mime le phénomène : « elle voit ... hop ! Elle ne voit pas ! »La Princesse montre un signe d'éveil.

Acteur-X : Chut... La Princesse va bientôt se réveiller !L'effet de la potion de frère Laurent va bientôt disparaître...Vite ! Replongeons-là dans son histoire ! Bouboutchko, Acteur-F : Le - tzar - Boubouchko…

Acteur-X : La Princesse a eu 19 ans. Et pour son anniversaire, son père…

Acteur-F : Ce fameux Bouboutchko…

Acteur-X : A décidé qu’elle devait tomber amoureuse.

Acteur-F : Mais on ne tombe pas amoureux comme on tombe par terre…

Acteur-X : Ou comme on tombe des nues

Acteur-F : Ou comme on tombe dans les pommes

Acteur-X : Ou comme on tombe malade

Acteur-F : Ou comme on tombe nez à nez

Acteur-X : Ou comme on tombe d’accord.Donc, Bouboutchko a passé une annonce dans tout le pays… (à l'Acteur-F) Vas-y fais Bouboutchko !

Acteur-F : Non tu le feras mieux !

Acteur-X : Non, fais le... (une petite dispute, et X a le dessus... ! F s’exécuteet passe derrière le palais faire Bouboutchko)

La Princesse montre un second signe d'éveil.

Voix de Bouboutchko (sortant de la bouche du palais) : Ma fille ! Va chercher du pain à la pharmacie !

Acteur-X : Mais non, c'est nul ! Replongeons-là dans son histoire ! L'annonce !

Voix de Bouboutchko : Celui qui réussira à se faire aimer de ma fille, celui qui d’amour arrivera à faire rougir ses joues, celui-là pourra se marier avec elle, qu’il soit prince ou mendiant.

La voix de Bouboutchko est de plus en plus inquiétante. On entre peu à peu dans le cauchemar de la Princesse. Elle est très agitée dans son sommeil. Acteur-X jette sur la Princesse sa cape de nuit.

1

Jour

La Princesse se réveille, elle a mal au cœur. Pendant son monologue on voit Acteur-F, derrière le mur magique, se transformer en Comte Musique. Acteur-X observe.

La Princesse: «Faire rougir ses joues d’amour»... comme une mignonne petite babouchka... Bonjour la ringardise!Quel genre d’arriviste va bien pouvoir se prêter au jeu du prince charmant...?Je ne suis pas enfermée dans un donjon; aucun effroyable dragon ne me surveille; qui combattre...? Sur quel malheur composer une petite sérénade au clair de lune? Où est la lune?Pfff...Mon vieux papa est bien gentil mais il ferait mieux de sortir de son palais et de voir dans quelle époque on vit maintenant! Il est évident que ce n’est pas sur les beaux yeux de sa princesse que se fonde l’espoir des futurs prétendants...!Et pourquoi s’est-il mis dans la tête que pour être heureuse, il fallait que je tombe amoureuse…? Qui pourrait me dire pourquoi, tout d’un coup, cette idée le poursuit?Je serai amoureuse quand je serai amoureuse ! Et puis si je ne suis pas amoureuse, qu’importe !(Comme un secret):Moi ce que je voudrais c’est être libre, comme un oiseau. Pouvoir voler dansle ciel et voir la terre du dessus.

Le Comte Musique (Acteur-F) entre sur scène. Il va près de la Princesse, la fait asseoir sur sa petite branche et lui sort le grand numéro. Il devient chef d'orchestre et fait jouer toute une invisible symphonie à un invisible orchestre. Lui-même peut jouer de la flûte traversière avec les instruments.La Princesse l'écoute quelques instants puis se met à travailler sa boule d'argile.Après tous les efforts de Comte Musique pour endiabler sa musique, après avoir rajouté maints et maints instruments, jusqu'à saturation, il tombe d'épuisement.

Comte Musique : Jolie princesse, que se passe-t-il ?Tu n'entends pas ma musique?

La Princesse : Si, je "l'entends".

Comte Musique : Et bien quoi ? Elle ne te plaît pas ?Cela ne te fait pas plaisir que je joue pour toi ?

La Princesse : Ton instrument produit un joli son, et manifestement, tu sais t'en servir.

Comte Musique : Et bien quoi !?

La Princesse : Et bien… je préfère le chant des oiseaux.Ce chant-là est pur et n'existe que pour lui même.Comte Musique est perplexe. La mer porte les bateaux, mais ce n'est pas sa fonctionLa mer EST, toute entière, pure et sans aucune volonté.Le vent gonfle les voiles des bateaux, mais ce n'est pas sa fonctionGrâce au vent les bateaux avancent sur la mer mais s’il n'y avait pas de bateauxLe vent soufflerait quand mêmeParce que le vent EST, tout entier, pur et sans aucune volonté.Les oiseaux ont un chant magnifique, qui fait plaisir à mon cœurSi je n'étais pas là, les oiseaux chanteraient quand mêmeCe chant existerait sans moiIl EST, tout entier, pur et sans aucune volonté.Ta musique, elle, a pour seul but de me distraire. Sans moi, tu n'aurais jamaisjoué ici et maintenant.Ta musique n'est pas pure et entière. Elle est volontaire, elle cherche à me plaire. Donc elle ne me plaît pas.(Le Comte Musique bégaie. Il ne sait que dire.)Ta musique ne fait que dire à mes oreilles : « Aime-moi. Je suis là pour toi. Écoute-moi, écoute-moi. » Au contact de ta musique, je ne suis en aucun cas comblée. Je suis juste pa-ra-si-tée !Tandis qu'avec la musique des oiseaux, je suis, tout simplement.(Le Comte Musique ne sait que faire. Il semble tétanisé. La Princesse hurle.)

Va-t’en !Mais tu n’as rien à dire ! Va-t’en ! Mais va-t’en !

Le Comte Musique sort, abasourdi.Acteur-F se retrouve seul en hors jeu, derrière le mur magique. Pendant le monologue de la Princesse, Acteur-X s'est retiré en coulisse.

Une fois seule sur le plateau, la Princesse se remet à travailler sa boule d'argile. Elle a formé un oiseau. La nuit tombe.La Princesse s'étire, baille, et va se coucher.

NOIR.

Nuit

Le palais a disparu.Rien ne semble artificiel comme dans la journée. La nuit est onirique ; et comme dans un rêve, elle a la puissance du réel. Mais c’est un rêve.La mer envahit l'espace. Entre les vague, on distingue la Princesse endormie.On entend une musique de flûte traversière endiablée. Le Comte Musique apparaît, comme un prince. Il est beaucoup plus beau, beaucoup plus fort, beaucoup plus viril que dans la journée. La musique est folle, mais lui est statique et tient sa flûte à la main. La mer disparaît. La Princesse ouvre les yeux et voit le Comte Musique. Ellese lève, va vers lui, il part en courant, elle tente de le rattraper, il se cache derrière l’arbre. Elle se place contre l’arbre, comme si elle sentait le Comte Musique dans son dos. Elle sourit. Le Comte Musique sort de derrière l’arbre avec des grandes ailes d’oiseau et emporte la Princesse avec lui.

Cette atmosphère onirique/cauchemardesque de la nuit devra être créée sur le plateau. L’univers visuel et l’univers sonore ont un rôle très important dans ces nuits.

NOIR.

2

Jour

LUMIERE.

La Princesse se réveille, tombée du lit. Elle se dirige vers son arbre, encore empreinte de sa nuit. Elle voit sa sculpture-oiseau et l'écrase. Elle regarde son livre, posé au pied de l'arbre. Elle le prend délicatement, comme un objet précieux, s'assoit sur sa branche, et l'ouvre. Une poupée/marionnette àson effigie tombe du livre. Elle la chausse et écoute la voix qui sort du livre (est-ce sa voix intérieure, la voix de son ange gardien, la voix de sa conscience...?) :

« Lorsque l’enfant était enfant, il marchait les bras ballants, il voulait

que le ruisseau soit une rivière et la rivière un fleuve, et que cette flaque soit

la mer… Lorsque l’enfant était enfant, il ne savait pas qu’il l’était, enfant ;

tout pour lui avait une âme et toutes les âmes étaient une. Lorsque l’enfant

était enfant ce fut le temps des questions suivantes : pourquoi suis-je moi, et

pourquoi pas moi ? Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ? Quand

commence le temps et où finit l’espace ? La vie sous le soleil n’est-elle pas

qu'un rêve ? Ce que je vois, entend, sens, n’est-ce pas simplement

l’apparence d’un monde devant le monde ? Le mal existe-t-il vraiment ? et

des gens qui sont vraiment les mauvais ? Comment se fait il que moi, qui

suis moi, avant de devenir je n’étais pas, et qu’un jour moi, qui suis moi, je

ne serai plus ce moi que je suis ? »

Durant tout le texte de la voix, elle repose le livre, se lève et regarde la marionnette d'elle-même, la fait exister, la fait voler... Elle erre un peu dans l'espace et va s'allonger sur son lit. Elle dépose la poupée sur son ventre et se couvre de sa cape de nuit. La nuit arrive progressivement et la voix s'arrête.

NOIR.

Nuit

Acteur-X entre en scène, transformé en clown. Il s'approche de la Princesse et la réveille en soufflant sur son nez une poudre rouge. Envoûtée, elle se lève et, suivant les indication du clown, se déplace sur le plateau jusqu'à s’asseoir au sol pour regarder le spectacle duclown.Comme dans la première «Nuit », l’univers visuel et l’univers sonore ont un rôle très important. Cela crée l’atmosphère du rêve.Ambiance cauchemardesque du cirque. Le Clown. Il fait peur et il est attirant.Il fait apparaître toutes sortes d'objets (dont une chaussure à paillettes...), joue avec, les fait voler, les fait disparaître. Parfois le visage du clown devient une tête de corbeau.Il demande à la Princesse de venir l’assister. Elle le suit, fascinée. Il lui prend la main et allonge démesurément son bras, jusqu'à l'arracher.

3

Jour

LUMIERE.

La Princesse se réveille en sursaut. Elle observe sa main, son bras. Elle voitla chaussure à paillette de son cauchemar chaussée sur son pied gauche. Prise de terreur, elle tente d'enlever la chaussure, mais son pied, possédé, sedérobe. Pendant plusieurs secondes elle lutte avec son pied, puis arrive à l'attraper et à le retirer de la chaussure. Elle la jette au sol.

Tzar Bouboutchko : Mesdames, Messieurs, bonjour ! Sous vos yeux ébahis et à cet instant même, vous allez voir : un clown. Le clown le plus drôle de la Terre, celui qui a réussi à faire se tordre de rire le plus raide des tzars du pays… Ce clown est là pour toi, ma chérie… Pour tonplaisir et pour ta joie.J’ai nommé : Le Clown Navitsk !

Le Clown Navitsk (Acteur-X) entre sur scène.Il semble inoffensif, au contraire de la nuit. Il s'approche timidement de la princesse qui est restée tétanisée au sol, sans le regarder. Il voit la chaussure et la prend gentiment pour la rendre à la princesse. A ce moment là, elle le regarde et se met à hurler.Le clown, sort, terrorisé. Acteur-F, transformé en Poète Souski se dépêche d'entrer sur scène et va directement à la princesse.

Le Poète Souski : Oh, toi! Jolie princesse du jour!Entends ce poème plein d'amour. (Acteur-F doit respecter les alexandrins, même si cela l’oblige à faire des césures en milieu de mot ou à ne prononcer qu’une syllabe sur un mot où il faudrait en prononcer deux.)Tes yeux sont d'un bleu profond, si aquatiqueQu’on n’y trouvera jamais un seul moustique!Tes lèvres sont comme deux pétales de roseJe ferais tout pour que, sur moi, elles se posent.Tes cheveux sont ondulés comme un désert,

S'ils inondaient la terre, Adieu toute misère!Et ce sacré soleil a une chance inouïe,Tous les jours, il caresse ta peau cet impoli!(Temps.)Tiens ma belle, prend cet oiseau, il est pour toi!Il lui tend un oiseau en papier.

La Princesse : Quelle tristesse ce poème!Mes yeux, mes lèvres, mes cheveux, ma peau... Et mes épaules ? Elles te plaisent mes épaules ? Et mes fesses ? Tu les aimesmes fesses ?

Le Poète Souski (bégaie, mal à l’aise) : Mais oui… bah… Oui.Euh, enfin non…Enfin si…! La Princesse (Le singeant) : Que fais-tu de mon cœur ?Ne sens-tu pas que c'est lui qui pleure ?Que fais-tu de mon âme ? Espèce d’hippopotame !Que fais-tu de mon esprit ? Ouistiti rikiki !Que fais-tu de mon intelligence ? Espèce de quignon rance !(Reprenant sa voix.)Va-t’en avec tes rimes. Elles me dépriment… Blague à part, pique à part ; ton poème sonne creux ! Une coquille vide ! Et tes rimes… elles ne sont que carcasses.En dedans, il n'y a rien.(Le Poète, outré, va pour sortir...)Pareil pour ton oiseau ! Pantin sans vie ! Bout de papier ! (Elle lui jette son oiseau à la figure. Elle a des sanglots dans la voix.)Tiens ! Reprend-le!Il ne vole pas, il ne sera donc jamais libre...(Le Poète Souski sort.)Comme moi...

La Princesse reste prostrée, malaxant, de façon inconsciente, sa boule d'argile. Elle se roule dedans. Elle essaie de se transformer en oiseau. Elle se fabrique un bec, bouge de façon très spéciale...

Le Poète Souski (hors de l'espace de jeu, à Acteur-X) : Qu’est-ce que tu faislà ? Vagabond ! Disparais, ou je te dénonce ! Tu n’as pas le droit d’espionner

par-dessus les murs ! Disparais, ou j’appelle les gardes ! Gardes!

Acteur-X : Oh ! Redescend là ! C'est très inquiétant, la Princesse se transforme en oiseau! Qu'est-ce qu'elle a ? Qu'est ce qu'on va raconter avec ça ?

Les deux acteurs observent, très embarrassés, la princesse.

Acteur-F : Je sais ! Son mal vient de plus loin. Il lui donne le costume de Dakantala et sa palinka.

La Princesse s'est endormie.

Le tzar Dakantala apparaît à jardin. Il est d’apparence assez impressionnante et parle avec un fort accent russe. Durant toute cette scène,Dakantala verse dans la bouche/palais de Bouboutchko des lampées de palinka. Ceci en signe d’amitié, et aussi, pour lui délier la langue...

Dakantala : Salut vieux Boubok… Bou…Bou…Boutchak…Boubenko…

Bouboutchko (le coupant) : Bouboutchko.(Temps.)Dakantala ! Vieux bouc ! Depuis toutes ces années… Que me vaut cette visite ?

Dakantala : Ton défi vieux Bou !

Bouboutchko : Ha… tu imagines pouvoir faire rougir d’amour les joues de ma fille…?

Dakantala : C’est qu’c’est oune sacré fortoune qu’i va s’mettre dans la poche çoui qui va la rendre toute chaude la p’tite ! C’est qu’elle est pas née dou plou pauvre ! Hé !

Il lui donne une grosse claque amicale dans le dos/palais.

Bouboutchko : Ouff ! Mais heu… vu ton âge… et… enfin tu crois vraiment… avoir une chance de…

Dakantala : Ah ! Lou fric donne beaucoup d’espouar… et l’espouar, donne

des ailes !Mais dis-moua, pour satisfaire ma couriosité : ta fille vient de fêter ses 19 ans… elle a lou temps pour tomber amoureuse ! Pourquoi tou te presses d’uncoup ?

Bouboutchko : C’est une vieille histoire qui me glace encore les os…

Dakantala : Confie toua à ton ami.

Bouboutchko : Il y a vingt ans… ma fille chérie naissait… Et simultanément à cette joie, mon grand malheur… ma douce épouse… Au moment où il va finir sa phrase, un grand bruit de tonnerre ou de dégringolade, cache sa voix.Je me retrouvais tout seul avec ma toute petite Princesse.J’étais perdu. Je suis parti dans la forêt et j’ai marché, marché, marché…Tu vas voir ce que j’ai vu.

Bouboutchko crache de sa bouche/palais une sorcière (belle brune, andalouse), dans un nuage de fumée.Dakantala semble avoir un peu peur, il hésite à avancer vers l’apparition.

Va ! Regarde ce que j’ai vu…

La Sorcière : Hé hé… tu m’as l’air bien perdu pauvre Bouboutchko.

Dakantala : Ce n’est pas moua, vous confondez, (désignant le palais) il est là Bouboutchko.

Bouboutchko : Ecoute ! Ce n’est qu’une image. Tu revois ce que j’ai vu.

La Sorcière exécute une petite danse de charme aux accents orientaux en direction de Bouboutchko-Dakantala, tout en chantant sur l’air de « c’est le lion de Cléopatre, c’est le roi des animaux », les paroles suivantes:

La Sorcière : Tu comprends ta grande erreur, tu ne m’as pas choisie moi !Suis-je vraiment une sorcière, ou la plus belle femme qui soit ?Tu t’es trompé mon mignon, et ça tu le regretteras ! (Arrêtant de chanter) C’est dommage, tu es vraiment bel homme !

Dakantala (se réjouissant du compliment) : Ah, heum…

Bouboutchko : c’est à moi qu’elle parle ! Et c’était il y a 20 ans…

La Sorcière (se remettant à chanter) : Malgré ta grande beauté, tu vivras toujours caché.Tu n’avais qu’à réfléchir, tu n’avais qu’à mieux choisir.C’est ta fille qui paiera, cette grande erreur-là !(La Sorcière arrête de chanter et devient alors terrifiante.)Tu ne soupçonnes pas à quel point une sorcière bafouée par un humain, un mortel de ton espèce, peut se révéler terrible. Alors écoute-moi, imbécile !

Dakantala (agressif) : Ho !

Bouboutchko (dépité par la bêtise de Dankantala) : C’est à moi qu’elle parle… Et c’était il y a vingt ans…

La Sorcière : Si, à son vingtième anniversaire, la Princesse n’a pas rougi d’amour, elle se transformera en oiseau. Mais pas en un petit oiseau virevoltant autour de tes bouclettes ! En un gros oiseau aux ailes cassées dont tu devras t’occuper jusqu’à la fin de tes jours !(Elle se remet à chanter)Au caractère bien trempé, elle ne rougira pas comme « ça », Elle rêvera de liberté, mais son temps il est compté.Et avec son beau plumage, elle finira dans une cage ! Ha ha ha ha !

La Sorcière disparaît par la bouche/palais, telle qu’elle est apparue, dans un nuage de fumée.

Dakantala (battant l’air de ses bras et ses jambes) : Satanée vision !

Petit éclaircissement de jeu : La Sorcière est complice avec Bouboutchko dans la mise en scène qu’il présente à Dakantala. Elle est consciente qu’elle n’est qu’une image et qu’elle ne fait que rejouer une scène qui s’est produite il y a 20 ans. Elle approuve Bouboutchko lorsqu’il explique à Dakantala : « c’est à moi qu’elle parle… ». Elle réagit physiquement, comme une rupture dans son

jeu, donnant un coup sur la tête de Dakantala et lui disant : « c’est pourtant pas compliqué ! » puis elle repart dans l’illusion. Dakantala, bien sûr, ne comprend jamais le procédé.

Dakantala (à Bouboutchko) : Et après toua as continoué à marcher dans la forêt ? tou as vou la fée clochette qui est venou te guérir de tes malheurs grâce à sa poudre magique ? Ha ha ha !

Bouboutchko : Non mon vieux. J’ai couru, couru, couru jusqu’au palais, j’ai serré fort dans mes bras mon tout petit bout de princesse. Et depuis je ne l’ai plus jamais quittée. Je lui ai donné toute ma tendresse, tout mon amour. Mais ça ne suffit pas… Ses belles mèches ondulées se transforment déjà en plumes.Il faut qu’elle tombe amoureuse !

Dakantala : Ne t’inquiète pas, jou vais lui montrer la magie. Ta Princesse varougir d’amour pour moi !Mais quand même, elle était ploutot pas mal la sourcière… je sais pas pourquoi tou as fait des histoires, toua.

Bouboutchko : Mais parce que j’aimais …

Bruit de tonnerre ou de dégringolade.

Dakantala : Mon pauvre ami, jou tou laisse ma palinka, jou ne voua que ça !

Il lui verse la fin de la bouteille de Palinka dans la bouche.

Dakantala/Acteur-X attend, adossé au mur du palais. Acteur F sort de derrière le palais, complètement ivre.

Acteur X : Tu as vraiment bu ? … (soupir)

Ils regardent la Princesse dormir. Elle semble aspirée dans son cauchemar. Ils se demandent que faire... La réveiller ? Continuer à jouer tous les deux... ? Cependant Acteur-F semble un peu trop ivre pour quoi que ce soit...La Princesse se réveille, Acteur-X fait sortir Acteur-F de l'espace de jeu et s'approche de la Princesse.

La Princesse (effrayée, étonnée, surprise) : Hé !

Dakantala : Jou viens pour tou sédouire.Tou té laisses aller par la mousique, par la transe de mes mots et tou vas vouar les serpents dé sous la terre sourgir...Avec moua tou né t'ennouiras jamais!C'est la magie que tou vas vouar!Des langues inconnou se révèlent en mon corps...Pour TOUA...!(Il se met tout droit. Dans le silence on le voit devenir tout rouge et d'un coup, les glossolalies surgissent.)Shout uks kom leksi naet uks kom uksvaDa Kantala da kis ta kelsTa re dabaTare da belnaet uks kom uksva… Il scande plusieurs fois ces paroles incantatoires, entre en transe et finit en crise d'épilepsie au sol. Prise de terreur, la princesse se cache derrière son arbre et observe, terrorisée, le phénomène.Le tzar Dakantala revient à lui. Il se lève, cherche la princesse autour de lui,et sort, énervé, en criant. Les 2 acteurs rient de leur jeu, du personnage abject de Dakantala, jusqu'à ce que les cris de la Princesse les interpellent.La Princesse grimpe dans son arbre et, perchée sur la plus haute branche, s’adresse à son père. Elle hurle en direction du palais, puis, au fur et à mesure, se radoucit.

La Princesse : Papa ! Papa ! Papa !Je sais que tu m’entends ! Tu es fou ! Vous êtes tous fous ! Le monde est fou ! Rien ne va ! Laissez-moi ! Laisse-moi ! Les bêtes envahissent les villes, le ciel s’obscurcit de nuages artificiels, la nature se débat avec le béton, les oiseaux ne se montrent pas, et toi, le tzar Bouboutchko, de quoi t’inquiètes-tu ?D’offrir à ta colombe le plus racorni au cuir tanné ! Le plus horrible du genre ! La terreur de la poésie et de l’amour ?Papa, mon cœur est d’acier. Je crois qu’il faudrait le chauffer avec la patience du maréchal ferrant pour qu’il se transforme, comme le fer doit rougir et se déformer au sabot du cheval qui le porte.

Mais si tu imagines trouver chaussure à mon pied, je t’en prie Papa, que ce ne soit pas une lourde botte Russisante d’un siècle de plus que moi! Et pour aujourd’hui, ça suffit, laisse-moi.

Elle descend de son arbre, va se blottir contre le tronc, puis s'endort.

Durant tout ce monologue Acteur-X et Acteur-F ont observé la Princesse, émus. Sur les derniers mots de la Princesse, Acteur-X est en larme, tendu vers elle. Il veut aller la consoler mais ne peut pas sortir du jeu. Acteur-F peut le retenir dans son élan...La Princesse s'endort. Acteur-X, sérieux et concentré, se transforme en Vagabond.

NOIR.

Nuit

Le Vagabond escalade le mur du palais, la voit. Quelques fois il regarde le public et fait « chut ».

Le Vagabond (Découvrant la Princesse) : Que vois-je…? La Princesse qui sommeille sous un arbre... Clair de lune ! Est-ce un rêve ?(Il se donne une claque et saute dans le jardin.) Cette princesse tant courtisée, qui dort à la belle étoile...?Impossible !(Temps.)Nuit, mère des apparences trompeuses,Nuit, réveille-moi ! Nuit,Toi qui sais si bien changer l’aspect de toute chose,Ne te joue pas de moi.(La Princesse prend une grande respiration de sommeil. Le Vagabond s’approche.)Cette apparition semble dotée du souffle de la vie !Vision nocturne, rêve éveillé… Cela ne se peut pas !Les chimères de la nuit exaltent mes sens.Ce que je crois voir ne peut être ce que je vois.Les princesses ne sommeillent pas dans les jardins, Elles dorment à poings fermés dans des lits à baldaquin.(Il l’observe attentivement. La Princesse a un léger mouvement.)Oh ! Elle a bougé. Quelqu’un l’a vu ?Mais non, c’est impossible. Je dors !(Il se donne une claque.)Mais si, elle a bougé ! Nuit noire ! Quelle splendeur !Ce que je lis en elle semble aussi clair que les glaciers de la mer des Tchouktches; j’ai l’impression de tout connaître ! Ses songes et ses tourments, sa brûlure et…Oh, mes yeux, ne me trompez pas!Clair de lune, soleil de ma liberté,

Tu viens de me faire entrevoir ma prison…J’aime voler libre entre les branches, mais qu’il doit être bon de se sentir prisdans les ailes de cette princesse... Les parfums de la forêt, le goût des baies sauvages,Le bruissement des feuilles dans les arbres,La douceur d’un lit de mousse,Tout semble s’évanouir et tomber dans l’oubli,Et tout renaît d’un seul coup !(La Princesse bouge à nouveau.)Mais cachons-nous. Si elle me voyait, ce pourrait être pour la dernière fois.

Il sort.Acteur-F entre sur le plateau, comme une ombre. Il murmure les mots du livre « Lorsque l'enfant était enfant... » et, grâce à la main magique, emmène la princesse au lointain.

Nuit

Est-ce un rêve ou juste la nuit… ? La lumière sombre, croissant de lune, se lève sur Le Vagabond.Il avance dans la nuit, contre le vent. Bruits de chouettes, de loups, de choucas, de corbeaux...

NOIR.

Lumière orangée, tamisée (genre bougie). Le Vagabond arrive chez Le grand Sorcier.

Le Vagabond (assez impressionné) : Bonsoir... heu... j'ai fait tout ce chemin pour vous trouver... parce que je voudrais...

Le Sorcier : Oui... je sais pourquoi tu es là...Tu aimerais savoir comment faire pencher le cœur de la fille du Grand Bouboutchko...

Le Vagabond : Heu... oui... comment le savez-vous...?

Le Sorcier (mystérieux, signifiant au Vagabond "pas de questions") : Té té.Premièrement, dis-moi pourquoi veux-tu faire pencher le cœur de La Princesse ?

Le Vagabond : Ce n’est pas exactement ça… Je voudrais qu’elle m’aime.

Le Sorcier : Oui, que ses joues rougissent d’amour… on connaît la chanson.

Le Vagabond (comme si sa peur s’était tout à coup dissipée) : Oui, mais ce n’est plus une chanson !Ce n’est pas pour les bonnes raisons que je voulais séduire la Princesse. Devenir prince, vivre dans un grand palais, avoir les plus beaux habits et manger ce qu’on veut, quand on veut… Quel ennui s’il n’y a pas d’amour.

La Princesse nous le prouve bien d’ailleurs !

Le Sorcier : Bien… explique-toi mon p’tit.

Le Vagabond : Bon. Comme tout le monde, j’ai entendu parler du défi que lançait le Tzar Bouboutchko.Comme tout le monde, je suppose, j’ai voulu remporter le défi pour devenir prince et bénéficier de tous les avantages que cette position sociale assure.Mais tout de même, pas à n’importe quel prix!Pourquoi la Princesse ne trouvait-elle pas un prince par elle-même ? Était-elle laide ? Insupportable ? Malade et contagieuse…?

Le Sorcier (lui frottant la tête) : C’est que ça réfléchit là-dedans !

Le Vagabond (en écartant sa tête) : Rhoo !

Le Sorcier (attendri, amusé par le Vagabond) : Continue mon p’tit !

Le Vagabond : J’ai donc décidé de l’observer. Je voulais voir à quoi ressemblait cette Princesse !Une nuit, j’ai escaladé le mur de son jardin …

Le Sorcier (jouant l’offusqué) : Tu as escaladé le mur !? Bien… Le Vagabond (agacé) : Oui bon, je suis le Vagabond, celui qui n’a pas de sous, qui vole pour se nourrir, qui escalade les murs et qui a un grand cœur. Vous voyez le genre quoi.

Le Sorcier (très amusé) : Ha ha ha… ! (Tout à coup sec et autoritaire) Tu asescaladé le mur et puis ?

Le Vagabond : Et puis, je la vis.Je crus d’abord à un mirage ; je pensai que les champignons ramassés dans la journée me jouaient quelque tour démoniaque.Mais non. Elle était bien réelle !Je la regardai, endormie sous son arbre, et c’était comme si je l’avais toujours connue !(Temps.)La Princesse est belle et fragile, comme la tulipe enivrée de la rosée du

matin.Elle semble très affirmée, comme le soleil de midi, sans concession et qui brûle tout. Et à la fois, elle peut s’enflammer à tout moment comme la pailleexposée au soleil.Je crois qu’elle peut blesser, parce qu’elle est elle-même blessée.Je la comprends sans même lui avoir parlé !Je… je... Je vois qui elle est !Elle est le jour et je suis la nuit.Quel magnifique paradoxe…Je l’aime !Et tous ces hommes qui défilent devant elle et qui ne la regardent mêmepas...Chacun expose son petit savoir-faire, et elle, elle doit gentiment assister à ces petits spectacles…Mais ce qu’elle veut, c’est être dans le spectacle ! Et ce qu’on lui propose àchaque fois, c’est de regarder, de juger, mais jamais d’être. Dehors les gens sont trop agités. Tout le temps ils bougent, ils parlent, ils sedébattent, et jamais ils n’observent, jamais ils ne s’arrêtent.Elle, dans son palais, c’est l’inverse. Tout ce qu’elle peut vivre c’est dansson imagination, dans les histoires qu’elle se raconte, ou dans ses rêves.(Bref silence.)Voilà ce que je sais, mais je ne sais pas ce que je peux faire.

Le Sorcier (amusé, moqueur) : Tu sais que tu peux gagner beaucoup d’argent avec de telles analyses…

Le Vagabond (interloqué, il regarde le public l’air de penser « qu’est-ce qu'il raconte ce vieux fou?». Puis, s'énervant) : Mais je ne sais pas quoi faire !Si au moins je pouvais l’emmener dehors, la faire voyager avec moi, elle envivrait des choses !Mais tant qu’elle n’est pas ma Princesse, je ne peux pas !

Le Sorcier (tout à coup sévère) : Bon hé, on se calme, là !(Froid.)Effectivement, tu t'y prends mieux que tous ces autres petits crétins qui sont allés courtiser la Princesse... Ils ne comptaient que sur leur talent personnel ou leur petite beauté, aucun d'entre eux ne s'est vraiment posé de questions. Tu sembles moins vaniteux.(Le Sorcier commence à trifouiller dans ses sacoches et marmites.)

Tu es un malin, comme le veut ton rôle…Tu essaies de comprendre les choses par toi-même, et aussi, grâce à celui quia de l’expérience, celui qui en sait plus que toi : le grand Sorcier ! La sagesse!C’est bien, je vais t’aider.(Le Vagabond soupire, mi soulagé, mi en reproche, l’air de dire : « enfin… »)Tu as visiblement bien observé la Princesse.Aime-t-elle quelque chose en particulier…?

Le Vagabond : Les oiseaux.

Le Sorcier : Bien ! Peut-être es-tu devin…

Le Vagabond : Bien sûr j’y ai pensé ! Lui capturer un oiseau et lui offrir. Mais un oiseau en cage… Je crains sa réaction. Le Sorcier (avec désapprobation) : Té té. On cherche souvent comment guérir un mal avant de connaître la cause réelle de ce mal...

Le Vagabond : ...

Le Sorcier (sérieux, grave) : Alors écoute-moi bien. Je vais te dire pourquoi,tu trouveras peut-être comment. Tu es sur la bonne voie. Les oiseaux...Approche…

Le Sorcier jette dans la marmite de la poudre qui produit de la fumée. Des images se mettent alors à exister, en ombre chinoise. Une ambiance encore plus énigmatique se crée sur le plateau. Le paysage sonore est de plus en plus présent. Le Sorcier raconte quelque chose au Vagabond mais le public ne peut pas l’entendre. Cependant, au fur et à mesure du récit du Sorcier, lesombres chinoises s’animent. Tout d’abord on voit deux oiseaux qui virevoltent ensemble, puis l’un des deux tombe, comme foudroyé. Il se retrouve dans une cage. L’autre oiseau se jette alors contre un mur et meurt.On comprend que l’histoire que le Sorcier adresse au Vagabond est racontéeen ombre chinoise.Le Vagabond, impressionné, entièrement happé, regarde/écoute l’histoire.Quand les ombres disparaissent et que le silence se fait...

Le Vagabond (avec de grands yeux ébahis et la bouche bée) : ...

Le Sorcier : Allez, vite, reprends ta route jeune homme !

NOIR.

Nuit

La lumière sombre, croissant de lune, se lève sur le Vagabond.Il avance dans la nuit, contre le vent. Bruits de chouettes, de loups, de choucas, de corbeaux...

Pendant ce temps, dans le jardin du palais…

La Princesse est vêtue de sa cape de nuit, comme si elle allait fuir. Mais elle reste dans son jardin, tournoyant dans ses doutes.

La Princesse : Je dois partir.Je dois partir.Mon père. Ce palais. Il m’étouffe !Je l’aime mais je dois partir.Où sont les oiseaux ?Et tous ces hommes qui défilent le jour viennent hanter mes nuits si violemment que je ne sais plus ce qu’est le jour, ce qu’est la nuit, et si la nuitme libère du jour ou si le jour me sauve de la nuit.Je dois partir.Mais où ? Qu’y a-t-il dehors ?Je serai seule, vraiment seule.Et je deviendrai folle.Déjà en moi, quelque chose a changé.Je sens mon sang plus lourd…L’oiseau libre pourrait-il m’emporter sur ses ailes ? Ses grandes ailes légères, légères, légères…

Elle répète plusieurs fois ces dernières paroles, mais ne s’envole pas…

Au bout d’un moment, épuisée, elle s’effondre au sol et s’endort.

NOIR.

Cauchemar

La Princesse se transforme en oiseau. Un gros oiseau qui n'arrive pas à s'envoler. On distingue la main magique sur le palais.

4

Jour

La Princesse erre sur le plateau, toute empreinte de son cauchemar. Le Vagabond arrive et tente de la rassurer. D'abord il imite gentiment le chant de l'hirondelle, puis quand il se rend compte de son échec, observe mieux. Elle se réfugie sur son bloc d'argile, le malaxe. Par le biais de l'argile le vagabond tente d'établir un contact avec elle. Il essaie de lui ressembler, de faire un jeu de miroir avec elle. Elle est surprise par ce jeu, elle le suit. Ils se mettent à jouer ensemble.

Au bout d'un moment, la Princesse le regarde droit dans les yeux et lui dit :

La Princesse : Qui es-tu ?

Le Vagabond : Oh ! Ma belle hirondelle. Souviens-toi ! Nous étions des oiseaux. … On ne se quittait jamais ! On passait tout notre temps à voler côte à côte et à effectuer toutes sortes de pirouettes aériennes. Nous étions libres... Légers... Comme l’air… Nous nous aimions tant.

(Temps.)

Un jour, alors que nous jouions à cache-cache à travers les nuages... je suis tombé.Une bande de gamins s'amusait à tirer à la fronde sur tout ce qui passait au-dessus de leurs têtes.J’ai été blessé.Une pierre dans l’aile.Ils m’ont ramassé. Ils m’ont mis dans une cage.Ils ont mis la cage dans la maison d'un des enfants.Et toi, mon hirondelle, tu me voyais, moi, ton amour, enfermé, prisonnier

dans la cage, derrière la fenêtre de la maison.Tu te souviens ?Folle de rage, tu t'es élancée à tire d'ailes contre la vitre.Mais la vitre n’a pas cédé. Ce sont tous tes petits os d'hirondelle qui se sont brisés sous le choc.Tu est morte. Instantanément.Et moi, derrière les barreaux de ma cage, je me suis laissé mourir.De tristesse, Et de chagrin.Peut-être que nous nous sommes rejoints dans la mort… un temps…

Et dans cette vie-là... ?

La Princesse le regarde, l'observe, très attentivement, physiquement. La façon dont elle le scrute est presque un peu inquiétante . Elle lui met de l'argile partout. Elle rit. Elle l'observe, elle lui dit « oui, oui, c'est bien toi ». Elle l'embrasse.Il se laisse faire, un peu dépassé, mais ne se retire pas. Il est subjugué. Il l'aime.

Une musique commence à s'élever, une musique de joie, indiquant que c'est la fin. Le Vagabond, plein d'amour pour cette Princesse, ne peut plus supporter cette mise en scène, ce jeu dans lequel la Princesse semble plonger à tire-d'ailes...

Le Vagabond (hurlant) : Non! Non !Stop la musique !(Hurlant de plus belle) Ça suffit ! Ça suffit les mensonges ! Stop !

La musique s'arrête, la Princesse est interloquée.

Le Vagabond : Je ne suis pas du tout ton oiseau!C'est le sorcier Kiditou qui m'a raconté ton histoire! Je ne suis qu'un imposteur! Je ne suis qu'un menteur!Je ne suis pas ton oiseau!Je ne sais même pas si j'ai déjà eu une vie avant celle-là!

La Princesse : Moi non plus je ne sais pas si j'ai eu une vie antérieure ! Cette histoire d'oiseaux fous d'amour m'a plu mais je ne sais pas du tout si

c'est mon histoire.Tu l'as très bien racontée, comme si c'était la tienne ! Alors je l'ai crue, comme si c'était la mienne !Je l’aime ton histoire, je l’aime, je t’aime !

Le Vagabond (en larmes) : Oh ! Je t'aime ! Pardon ! Pardon !

Acteur-X commence à refermer la valise arbre.

Regarde ! Rien n'est réel, rien ! Regarde ! Tout est inventé ! Tout !

Il efface la ligne magique.La Princesse voit tout, le public, le théâtre...Elle reste figée. Lui, continue à fermer les valises. Il est bien obligé de saisir la main magique en fermant le palais. Il la dépose délicatement, un peu songeur, surla valise fermée.

Après un suspens :

La Princesse : Il est où l'autre ?

Le Vagabond (bégayant) : L'... l'... l'autre ? Qu... quel autre ?

La Princesse (joueuse) : L'autre !

La Princesse prend dans sa main la main magique, et d'un geste large, elle ouvre une grande porte sur le dehors.

Allez viens ! Là bas, tout sera réel à nouveau.

Elle se dirige vers le fond de la scène puis se retourne pour adresser un clin d’œil au public et à la régie.Une musique s'élève dans le théâtre.Un grand ciel bleu s'ouvre dans le fond de la scène. Deux oiseaux, en ombre, montent dans le ciel. La Princesse prend Acteur-X par la main et ils se dirigent tous les deux vers le ciel.Acteur-F sort du public et leur court après : « Attendez-moi ! Attendez-moi ! ».

FIN