Upload
charaf-adam-laassel
View
230
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
1/365
Thse en vue de lobtention du Doctorat de lUniversit de Toulouse
Dlivr par :
Universit Toulouse 2 Le Mirail (UT2 Le Mirail)
Discipline ou spcialit :
Sciences de lInformation et de la Communication
Prsente et soutenue par
Emmanuel MARTY
Le 5 novembre 2010
Journalismes, discours et publics : une approche comparative
de trois types de presse, de la production la rception de
linformation
Directeurs de thse
Anne BURGUET (Matresse de Confrences, Universit Toulouse 3)
Pascal MARCHAND (Professeur des Universits, Universit Toulouse 3)
Rapporteurs
Patrick CHARAUDEAU (Professeur Emrite, Universit Paris 13)Franck REBILLARD (Professeur des Universits, Universit Paris 3)
Autre membre du jury
Pierre MOLINIER (Professeur des Universits, Universit Toulouse 2)
Ecole doctorale Arts, Lettres, Langues, Philosophie, Communication (ALLPH@)
Laboratoire dEtudes et de Recherches Appliques en Sciences Sociales
(LERASS) Equipe PSYCOM
tel00542750,
version1
3Dec2010
http://hal.archives-ouvertes.fr/http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00542750/fr/7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
2/365
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
3/365
3
Remerciements
Le premier merci, qui est un grand merci, va Annette Burguet pour ses conseils et sontravail constant daiguillage, qui mauront permis de ne pas mgarer en chemin, dans deslectures sans fin ou dans les labyrinthes de lexprimentation.Un second merci, non moins grand, Pascal Marchand pour sa confiance, son engouementcommunicatif pour la lexicomtrie (y compris pour les corpus dmesurs !) et sa disponibilit
pendant ces trois annes, apprcis leur juste valeur.Les conditions dans lesquelles jai travaill tout au long de ma thse mont prouv que rigueur
pouvait rimer avec bonne humeur (et effectivement, a rime !). Une nouvelle fois, un grandmerci vous deux pour cet environnement de travail idal.
Je tiens galement remercier trs sincrement :
Patrick Charaudeau, Pierre Molinier et Franck Rebillard davoir accept de faire partie demon jury.Toute lquipe Psycom, dont les sminaires mont chaque fois nourri (y compris au sens
propre, avec de dlicieux gteaux).Viviane Couzinet, directrice du LERASS, pour son accueil et son souci dintgration desdoctorants dans le laboratoire.Cathy Malassis, documentaliste au CDRSHS, pour son enthousiasme et lefficacit de sontravail.Le CIES Midi-Pyrnes et lcole doctorale ALLPHA, pour la formation dont jai bnfici
pendant ces trois ans.Lquipe du bureau jumel du 2e tage, particulirement Valrie et Nikos, dont laccueil
sans faille aura souvent anim mes pauses et enrichi ma culture scientifique et musicale.Jessica Mange, pour son aide prcieuse en statistiques, envisageant des post-hoc ds le
petit-djeuner.Raymond Borraz pour avoir propos son expertise de lecteur aguerri et avoir plus que tenu
parole.Tous ceux qui, de prs ou de loin, mont aid un moment ou un autre, en particulier les lecteurs et non-lecteurs qui ont bien voulu maccorder un peu de leur temps.
Et puis, lorsquon est seul devant son ordinateur, cest quand mme rassurant de savoir quonest bien entour :Merci celle qui partage mes jours et mes nuits, qui a parfois dfait mes certitudes, souventdissip mes doutes et ma support dans tous les sens du terme, dans les bons et les mauvaismoments.Merci ma petite famille pour son soutien inconditionnel, qui me touche beaucoup. Mentionspciale maman et papa, pour leur relecture mticuleuse de mes rdactions, bravant lesnologismes et les phrases sans fin.Merci aussi aux copains de ne pas mavoir abandonn ma thse ! Grce vous jai pusouffler autour dun verre ou dun repas, dans un cano ou devant un match de foot (mmecalamiteux). Merci ceux qui ne manquaient pas de me demander dabord Cest sur quoi, tathse, dj ? puis, plus tard : Alors, a avance ? ou encore Et la finalit de tout a ? .Si jai enfin des rponses peu prs simples ces questions, cest un peu grce vous.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
4/365
4
Sommaire
Introduction 11
PARTIE 1
Fondements pistmologiques et thoriques de la recherche 17
Chapitre I. Thories de la communication, approches du discours et
recherche du sens : la question fait la mthode 17
I.1. Comprendre la communication : entre technique et socit 18
I.1.1. Lhtrognit des premires modlisations 18
I.1.2. Lmancipation des SIC : interroger grce au media la rencontre entre
technique et socit 20
I.1.3. Etudier la communication de masse : des enjeux politiques 23
I.2. Le discours dans la communication sociale 25I.2.1. Lapproche communicationnelle, linteraction sociale et le systme 25
I.2.2. Linteraction discursive dans les conventions sociales 26
I.3. Le discours et le sens 28
I.3.1. La pragmatique : identifier les normes pour faire merger le sens 28
I.3.2. Comptence et intention communicationnelles : la ncessit de cooprer, la
libert de ngocier 30
Chapitre II. La notion de contrat ou le fondement de la
communaut politique, dans le discours et par la communication 35
II.1. Le contrat social ou la comptence polit ique 35
II.1.1. Contrat, dmocratie et communication 35
II.1.2. Les origines du politique : laptitude cooprer dans labstraction du langage 36
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
5/365
5
II.1.3. Contrat et rpublique moderne 38
II.2. Le contrat de communication ou la conscience sociale dans
le discours 40
II.2.1. La communication dans le paradigme contractuel 40
II.2.2. Le contrat dans le code civil : la filiation juridique 41
II.2.3. Le contrat de communication comme partage dune ralit dans linteraction 43
II.2.4. Du given-new contract limplicite cod : la co-construction du sens 45
II.2.5. Le contrat de parole : des acteurs dans le temps, lespace et le symbolique 49
II. 3. Le contrat de communication de linformation mdiatique 54
II.3.1. Intentionnalit et reconnaissance dans la communication 54
II.3.2. Le mdia ou linstitutionnalisation du dialogue social 55
II.3.3. Linstitution mdiatique et la ncessit de la reconnaissance 58
II.4. Le contrat de lecture dans la presse crite 60
II.4.1. La cration dune relation par lobjet journal 60
II.4.2. Le contrat de lectorat 64
Chapitre III. Le cadrage : la construction dun rapport au monde 67
III.1. Cadrages et recadrages, de lindividu au mdia et inversement 67
III.1.1. Lexprience et ses cadres 67
III.1.2. Les cadres mdiatiques : un recadrage de lexprience 69
III.1.3. Les recherches nord-amricaines : les media frames comme reconstructions
biaises de la ralit sociale 71
III.1.4. Media frames et framing effect : les cadres comme rfrents communs dun
systme o interagissent sources, journalistes, textes et rcepteurs 75
III.2. Les discours de presse : des contrats, des cadres et des
stratgies dinteraction 80
III.2.1. Le contrat comme partage de cadres 80
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
6/365
6
III.2.2. Lobjectivit ou la dissimulation du cadrage 82
III.2.3. Discours rapports et stratgies de recadrage 84
III.3. Cadrer les questions denvironnement : le combat des mots 86
III.3.1. De lcologie la gestion environnementale 86
III.3.2. Le dveloppement durable : consensus et dissidences 89
III.3.3. Information mdiatique et modalits dinstitutionnalisation de
l'enjeu cologique 91
PARTIE 2
La presse en recomposition : acteurs, pratiques et discours 95
Chapitre I. La presse : entre dmocratie et march 95
I.1. Le journalisme dans lespace dmocratique : libert et
responsabilit de la presse 95
I.1.1. Aux fondements de la presse contemporaine : le partage du pouvoir et
la libert dexpression des opinions 95I.1.2. La presse contemporaine et sa responsabilit auprs du grand public 98
I.2. Journalisme et march du discours 101
I.2.1. La presse crite dans le march mdiatique 101
I.2.2. Le double march de la presse crite et la logique du marketing 102
I.2.3. Editorial et publicitaire : mariage forc dans les rdactions 105
I.3. Journaliste : une profession fragilise 110
I.3.1. De la littrature la manutention : les risques du mtier 110
I.3.2. LAFP : de la politique lconomie 114
I.3.3. La communication : de la contrainte lidologie 116
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
7/365
7
Chapitre II. Des modles conomiques aux contrats de communication :
de nouveaux modes de structuration de lobjet journalistique 122
II.1. Contrat de lecture et march de la discursiv it soc iale 122
II.1.1. Linterdpendance de lconomique et de lditorial 122
II.1.2. Vers des types de contrat 123
II.2. La crise de la Presse Quotidienne Nationale : mutation des pratiques
et apparition de modles conomiques et ditoriaux polariss 124
II.2.1. Des titres de PQN la recherche dun modle conomique et ditorial viable 124
II.2.2. Le contrat de la PQN : statut de linformation et lecteur idal 128II.2.3. Mutations et mergence de modles polariss 132
II.3. La Presse Quotidienne Gratuite 134
II.3.1. La Presse Quotidienne Gratuite ou la polarisation vers le produit presse 134
II.3.2. La structuration financire de Metro et de 20 minutes 136
II.3.3. De nouvelles pratiques de production hautement industrialises 137
II.3.4. Le contrat de la PQG : statut de linformation et lecteur idal 139
II.4. La Presse Indpendante en Ligne 142
II.4.1. Internet et le projet de la contre-culture 142
II.4.2. La Presse Indpendante en Ligne ou la polarisation vers un projet politique 144
II.4.3. Les pure-players, entre professionnels et amateurs 146
II.4.4. Le contrat de la PIL : statut de linformation et lecteur idal 148
Chapitre III. Analyse dun corpus de presse sur la hausse du prix
du ptrole 153
III.1. Questions de recherche et pis tes danalyse 153
III.1.1. Des modles socio-conomiques aux modles ditoriaux 153
III.1.2. Des types de presse aux panoplies interprtatives 154
III.1.3. Des stratgies diffrencies de construction des cadres 155
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
8/365
8
III.2. Mthodologie danalyse du corpus ptrole 155
III.2.1. La constitution du corpus 155
III.2.2. Mthodes et outils danalyse du discours 158
III.3. Rsultats 162
III.3.1. Des modles socio-conomiques aux modles ditoriaux : vers des typologies
discursives 163
III.3.2. Une reconstruction diffrencie des cadres dapprhension de la ralit 166
III.3.3. Les stratgies de cadrage et le marquage-masquage de la construction
discursive 184
III.4. Discussion 190
PARTIE 3
La rception des discours dinformation : pratiques, traitements
et appropriation de linformation par le lecteur 196
Chapitre I. La rception : entre mcanique cognitive et slectivit des
pratiques sociales 196
I.1. Cadrage, amorage et processus cognit ifs 196
I.1.1. La rception des cadres mdiatiques 196
I.1.2. Les effets de cadrage : une diversit des traditions de recherche 198
I.1.3. Amorage et effet de cadrage : vers les heuristiques de jugement 202
I.1.4. Framing et priming comme thories des effets mdiatiques 205
I.2. La slectivit, ou le retour dun rcepteur actif 210
I.2.1. Vers lintgration de processus socio-cognitifs dans des pratiques slectives 210
I.2.2. Le lecteur : du texte lusage du texte 212
I.2.3. Pratiques, usages, et typologies de lectorats 214
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
9/365
9
I.3. Contrats de communication et traitement de linformation 223
I.3.1. Les modles duaux du traitement de linformation : des dimensions cognitives et
motivationnelles 223
I.3.2. Le rle du contrat de lectorat dans le traitement de linformation en rception 229I.3.3. Mmorisation et comprhension des messages textuels 235
Chapitre II. Reprsentations, traitement et appropriation de
linformation : la rception des types de presse en question 240
II.1. Une enqute sur les attentes et reprsentations des lectorats 240
II.1.1. Questionnements et hypothses 240II.1.2. Mthodes et outils 241
II.1.3. Rsultats 243
II.1.4. Discussion 247
II.2. Exprimentation : la nature du traitement du message est-elle
contractuellement inst itue ? 250
II.2.1. Ltude exprimentale de la rception dans le paradigme contractuel : points
thoriques et mthodologiques 250
II.2.2. Variables et indicateurs 254
II.2.3. Hypothse gnrale 258
II.2.4. Hypothses oprationnelles 260
II.2.5. Procdure 262
II.2.6. Rsultats 263
II.2.7. Discussion 268
II.3. Du cadrage au recadrage : une seconde analyse
des restitut ions 271
II.3.1. Questions de recherche et hypothses 271
II.3.2. Mthode et oprationnalisation 272
II.3.3. Rsultats 274
II.3.4. Discussion 288
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
10/365
10
Conclusion 291
Bibliographie 301
Index des auteurs 320
Annexes 324
Annexe 1 : Questionnaire denqute Mdias et information 325
Annexe 2 : Matriel pour lexprience Contrats et traitements 328
Annexe 3 : Statistiques descriptives, validation des profils et rsultats
complmentaires de lexprience Contrats et traitements 343
Annexe 4 : Restitutions des lecteurs de chaque type de presse, issues delexprience Contrats et traitements 346
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
11/365
11
Introduction
En 1910, Francfort, il y a exactement un sicle, le sociologue Max Weber prononce
une allocution loccasion des Premires Assises de la Sociologie Allemande. Cette
allocution, traduite par Gilbert Musy en 1992 dans la revue Rseaux, se rvle tre lexpos
dun vritable programme dinvestigation sur la presse, que le sociologue naura
malheureusement pas la possibilit de mener bien, stopp par la Premire Guerre Mondiale
puis emport par la maladie quelques annes plus tard, en 1920. Le programme que Weber
propose alors est celui dune tude globale de la presse, de sa production sa rception, en
passant par ltude de son contenu jusque dans ses aspects quantifiants, comme le prcise
Bastin (2001) dans un article consacr lanalyse et la traduction du Vorbericht1 du
sociologue. Bastin (op. cit.) sest largement pench sur la porte du projet de recherche de
Weber sur la presse, nous rappelant que luvre scientifique du sociologue est
transversalement marque par un questionnement central : la problmatique de la
rationalisation, avec la modernit et le capitalisme, des organisations et des comportements
(Ibid. p.186). Cette question a anim une grande partie des travaux de Max Weber, et son
projet dinvestigation sur la presse ny fait pas exception. Cette dimension est longuement
dtaille et trs explicitement pose dans son Vorbericht (Weber, 1910).
Un sicle de recherches plus tard, la voie ouverte par Weber a largement t investigue par
les sciences humaines et sociales2. La presse sous toutes ses formes a t et demeure un objet
de recherche privilgi, et la connaissance scientifique de cette dernire sest affine au sein
de diffrentes disciplines, chacune delles menant ses recherches avec ses propres approches
et outils. La recherche sur la presse sest donc souvent dveloppe dans des paradigmes
spcifiques relevant dhritages disciplinaires segments. Cette spcialisation des recherches,
1 Vorbericht ber eine vorgeschlagene Erhebung ber die Soziologie des Zeitungswesens ou Rapportprliminaire pour une proposition denqute sur la sociologie de la Presse . Il sagit dun plan crit et dtailldes hypothses et stratgies de recherche relatives au projet de Weber sur la presse. Lallocution de Webertraduite par Musy, datant elle aussi de 1910, est connue quant elle sous le nom de Geschftsbericht . Lesdeux documents sont troitement lis, lallocution (ou Geschftsbericht) constituant une synthse orale durapport (ou Vorbericht). Pour une traduction du Vorberichtet une analyse dtaille du projet, voir Bastin (2001).2 Le projet de Max Weber a contribu poser les fondements de ce travail, par sa richesse et son -propos. On adordinaire coutume dopposer thories Webriennes et thories Marxistes. Toutefois ce prtendu clivage desclassiques doit sans doute plus aux spculations des exgtes qu de relles et irrductibles divergences de vueentre Marx et Weber. Des auteurs tels que Pierre Bourdieu revendiquaient dailleurs une double filiation. Ontentera ici, sinon de dpasser le clivage, tout au moins de ne pas lentretenir. Sur le sujet, voirMax Weber et
l'histoire de Catherine Colliot-Thlne (1990) aux Presses Universitaires de France, ou encore le concept de marxisme Webrien dvelopp par Merleau-Ponty (1955) dansLes aventures de la dialectique, rd. EssaisFolio.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
12/365
12
si elle a permis dtablir une masse de connaissances dune grande richesse, comporte
nanmoins un inconvnient, inhrent toute spcialisation : lclatement des connaissances.
Cet clatement rend difficile la vision transversale de lobjet, laquelle serait pourtant de nature
donner de la perspective aux diffrents champs de recherche.
On peut alors se demander sil nest pas du ressort des Sciences de lInformation et de la
Communication, en tant quinterdiscipline, doprer les ncessaires rapprochements
thoriques et mthodologiques aptes dresser une sorte de panorama du fonctionnement de la
presse comme systme mdiatique, en articulant ses diverses manifestations observables dans
le monde social. Il sagit bien sr dun projet colossal ne pouvant se concevoir qu lchelle
dune discipline et auquel le travail qui suit ne saurait tre autre chose quune contribution.
Son ambition sur le plan thorique est nanmoins de jeter des ponts entre des approches
parfois cloisonnes de la presse, tentant en cela dtre fidle la vocation globalisante du
projet de Weber, en y injectant certaines des thories et mthodes contemporaines. Pour ce
dernier, en effet, ltude de la presse devait passer dabord par lidentification des conditions
socio-conomiques de production de son discours, ensuite par lanalyse de la nature
linguistique de celui-ci et enfin par linterrogation de ce que ce discours est en mesure de
susciter chez ses lecteurs. Ces points sont numrs dans son allocution et plus clairement
dtaills encore dans son rapport prliminaire. Y sont voques les questions de linsertion
des journaux dans des marchs structurs, du caractre largement industriel de leur activit, de
la relation des journaux la langue, la science et au savoir, ainsi que le rle de la presse sur
ses lecteurs, en termes dopinion et de morale, de modes de vie et de pense, de rapport la
langue et la culture. Pour Weber, en effet, si lon en croit Bastin (2001), la presse exerce une
influence globalisante , uniformisante et rifiante sur la culture et l tat sensitif
de lhomme moderne.
Cest aussi un sicle de presse qui nous spare de ces deux documents, et les interrogations
souleves par Max Weber constituent des enjeux essentiels pour linformation mdiatiquecontemporaine, rsonant dune tonnante actualit lheure o la presse papier traditionnelle,
en grande difficult, est la recherche de nouveaux modles, la fois conomiques et
ditoriaux, dont dpend sa survie. La reconfiguration contemporaine du paysage de la presse
dinformation et les problmes quelle pose ne sont trangers ni aux notions de march,
dindustrie et de concurrence, ni celles dopinion, de langage et doutil sociopolitique. Ds
1910, ces deux versants de la presse ont t identifis par Weber comme potentiellement
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
13/365
13
contradictoires, le sociologue pointant les difficults affrentes au double march3 de la
presse.
Plus rcemment, dautres approches ont tent de construire des passerelles entre diffrentes
dimensions de ltude de la presse, notamment entre ses conditions socio-conomiques de
production et ses conditions psychosociales de rception (Charaudeau & al. 1988), ou entre
analyses conomique, sociotechnique et smiolinguistique de la production et de la
consommation du discours dinformation, dans un contexte qui est alors dj celui de la
redfinition des acteurs et des pratiques (Ringoot & Utard, 2005). Mais parce que ces
ouvrages collectifs constituent avant tout des tentatives de croiser des regards diffrents sur
un objet de recherche commun, et bien quelles aient effectivement favoris des mariages
disciplinaires qui depuis ont montr leur pertinence, ces tudes nont pas ncessairement
systmatis larticulation des diffrentes dimensions de la presse au sein dune seule et mme
analyse. Loin dtre une critique, ce constat invite plutt suivre la voie trace par ces tudes
en tentant, pour filer la mtaphore, den baliser les carrefours. Cest prcisment larticulation
explicite de ces approches que la prsente tude souhaite apporter. Depuis la production du
discours de presse, jusqu sa rception, en passant par le discours lui-mme, il sagit
dtudier la manire dont peuvent se structurer les relations dinterdpendance entre une
socit et sa presse. Cette question transversale constituera la colonne vertbrale de ce travail.
Il sagira donc de dterminer dans quelles conditions socio-conomiques de production, sous
quelles formes linguistiques dapparition et selon quelles modalits psychosociales de
rception un support de presse peut construire son propre rapport au lecteur, ce rapport
sorganisant lui-mme comme un certain mode de relation la socit. Dans ce que lon
nomme le systme mdiatique, comment ces diffrents lments peuvent-ils sarticuler et
sinter-dterminer ? Pour rpondre cette interrogation, lapproche synchronique comparative
de plusieurs titres de presse diffremment structurs pourra tre riche denseignements. Elle
permettra dtablir si des correspondances existent ou non de manire significative entre lesmodalits de production du discours, la nature de celui-ci et ses modes dappropriation en
rception.
La thmatique environnementale et nergtique constitue cet gard un terrain
particulirement intressant. Elle suscite en effet de nombreux discours se donnant
lapparence de la cohrence et du consensus, alors quune attention focalise sur les logiques
auxquelles ces discours obissent, rvle la grande htrognit des valeurs et visions de la
3 Voir Partie 2, paragraphe I.2.2. pour une dfinition dtaille du terme.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
14/365
14
socit vhicules par ceux-ci, dont lidentification a fait lobjet dun prcdent travail (Marty
& al., 2008). La thmatique de lenvironnement sest impose dans lagenda mdiatico-
politique comme une urgence et un problme digne dtre trait par ces institutions (politiques
et mdiatiques). Les questions dcologie, et particulirement les questions nergtiques lies
la fois lpuisement des ressources et au rchauffement climatique, sont extrmement
prsentes dans la presse contemporaine, parfois mme jusqu provoquer dans les esprits une
certaine perplexit, voire une lassitude, face linflation des discours. Pourtant lenjeu est
lourd. Si la communication sur lenvironnement est source dune grande diversit de discours
porteurs de valeurs et de reprsentations htrognes, on est en droit de se demander ce quil
en est du ct de linformation, et plus prcisment de la presse. La fonction sociale de cette
dernire est en effet de servir non pas des buts et intrts particuliers (ce qui est lapanage de
la communication), mais de concourir lintrt gnral en clairant les membres dune
socit sur les faits qui surviennent dans le monde. Juridiquement, la presse quotidienne
dinformation politique et gnrale4 a pour objet d apporter de faon permanente sur
l'actualit politique et gnrale, locale, nationale ou internationale, des informations et des
commentaires tendant clairer le jugement des citoyens , de consacrer la majorit de [sa]
surface rdactionnelle cet objet et de prsenter un intrt dpassant d'une faon
manifeste les proccupations d'une catgorie de lecteurs . La presse est dabord, au moins
historiquement, une entit populaire, un quatrime pouvoir institu par les citoyens au
moment o ceux-ci fondaient, lors de la Rvolution Franaise, la dmocratie moderne. Elle
garde, depuis, son aura doutil dexpression du peuple au peuple.
Mais compte tenu des volutions de la presse lors du sicle pass, on peut se demander dans
quelle mesure elle peut, lheure actuelle, jouer son rle dinstitution dmocratique vis--vis
de cette thmatique nergtique. Permet-elle au public daccder une information libre,
diversifie et exhaustive, formulant et alimentant dans ses instances un dbat social
contradictoire lchelle de son audience ? Quest aujourdhui devenue sa fonction sociale etcomment peut-elle contribuer la redfinir ? Quelle est la nature des cognitions offertes au
public par la presse sur les questions nergtiques, dont il est certain que lenjeu est de
constituer un matriau des communications inter-individuelles quotidiennes ? Une piste de
rflexion, en guise dimmersion dans le rle dmocratique de la presse, peut tre lance par
Barthes (1973) : La dmocratie est le lieu dune ambivalence insoluble : le contrat social, en
principe, laisse vivre les diffrences. De plus il esquive les formes grossires et physiques de
4 Dfinie larticle D.19-2 du Code des postes et tlcommunications.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
15/365
15
la violence ; mais son ressort reste loppression de la Majorit, de la Masse, de la Loi, de la
Normalit sur les minorits. (p.189). A travers le concept de contrat social, on peut avec
Barthes questionner pareillement lambivalence de la dmocratie et celle de la presse.
Quelles peuvent alors tre les manifestations et les consquences dune rationalisation de la
presse annonce voil un sicle par Weber, presse dont linsertion dans un march industriel
et hyperconcurrentiel est aujourdhui criante ? Comment cette rationalisation intervient-elle
dans lorganisation de la production du discours de la presse ? Peut-elle se rpercuter dans son
discours sur lenvironnement et, si oui, selon quelles modalits ? Exerce-t-elle, in fine, cette
influence uniformisante, moins sur les opinions que sur les outils dapprhension du monde
mis quotidiennement en uvre par les membres dune socit ? Concevoir la presse
comme une entit une et indivisible semble cependant assez peu pertinent : ny a-t-il dans ce
systme aucune place pour des dissidences ? Voil les questions auxquelles nous allons tenter
de rpondre, en articulant les questions et les mthodes au sein dun paradigme mme de
construire cette image globalisante du systme : celui du contrat. Il sagira dabord de le
resituer dans les premires thorisations de ce quest la politique, et de le dfinir
pistmologiquement dans le champ des thories sociales de la communication. Le concept de
cadre dinterprtation, central pour lanalyse du produit mdiatique, sera galement
questionn de manire dtaille, notamment dans ses relations avec le contrat. Cette dfinition
des fondements thoriques sur lesquels repose notre dmarche sera lobjet dune premire
partie de ce travail, qui sattachera ensuite tudier la presse dans les trois ples qui
constituent linteraction sociale communicationnelle : la production du discours, ses formes
en tant que cristallisation dun rapport commun au monde et sa rception par le public. Une
revue de la littrature sur les conditions socio-conomiques de production du discours crit
journalistique permettra daborder les mutations luvre dans le domaine de la presse
quotidienne dinformation, et den saisir les enjeux. Plus prcisment, les rcentes volutions
des modles conomique et ditorial de la Presse Quotidienne Nationale seront interroges auregard de lmergence de nouveaux modles polariss, qui sont ceux de la presse gratuite
dune part et dune certaine presse en ligne dautre part. Les formes des discours
journalistiques attenants ces modles seront apprhendes par l'analyse d'un corpus d'articles
traitant de la hausse du prix du ptrole. En s'articulant, l'analyse des formes du discours et
l'identification des conditions de sa production s'claireront mutuellement. Mais le discours
mdiatique est avant tout destin tre reu et peru par un certain public, lequel est
apprhend par les diffrents organes de presse. Ce public effectue quotidiennement unedmarche d'information dans laquelle il slectionne activement les sources et les messages
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
16/365
16
auxquels il se confronte. La rception de ces discours devra donc enfin tre apprhende par
l'analyse des pratiques, des reprsentations et du traitement cognitif de l'information propres
aux diffrents publics mdiatiques.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
17/365
17
PARTIE 1
Fondements pistmologiques et thoriques de la recherche
Chapitre I. Thories de la communication, approches du discours et
recherche du sens : la question fait la mthode
Lambition de ce travail est dtudier un objet communicationnel particulier : le discours
dinformation de la presse. Il sagit dapprhender ce qui motive le discours, pour circonscrire
les modalits selon lesquelles le pour quoi de la communication, cest--dire ses buts, peut
agir sur le commentdu discours. Il parait donc difficile de faire lconomie dune dfinition
pralable du discours et de la communication. Par dfinition , nous entendons la fois
clarifier notre apprhension des concepts de discours et de communication et valuer la porte
que peut revtir ltude dun objet discursif particulier au sein des disciplines concernes par
la communication. Comment faire parler le discours ?
Ce premier questionnement thorique, autour duquel voluent beaucoup dautres, est celui de
la valeur de lanalyse du discours dans ltude des communications mdiatiques. Cette valeur,
lvidence, nest, lintrieur dune mme discipline, jamais fige et demeure toujours
sujette dbat. Or lanalyse du discours nest pas lapanage dune discipline, mais le fruit de
convergences disciplinaires, si bien quelle constitue elle seule une sorte dinterdiscipline
informelle. Nous reviendrons de manire plus approfondie sur les diffrentes mthodologies
danalyse. Retenons pour le moment que toutes les apprhensions du discours ne se
ressemblent pas, car les questions qui motivent lanalyse sont souvent diffrentes, le discours
noccupant alors pas le mme statut pistmologique.
Est-il rvlateur dintentions ? Marqueur dune identit sociale? Vecteur de persuasion ? Face
visible dinteractions plus complexes ? Est-il le fruit de la pense ou son support ? Est-il unoutil dexpression et dmancipation ou larme implacable des idologies dominantes ? Une
rponse constructiviste consisterait dire quil est tout cela la fois, car seule la construction
dun objet dtude est capable de lui donner un sens, lui aussi forcment reconstruit. Nous
nous en contenterons pour le moment, en gardant lesprit la ncessit de trancher sur
certains points fondamentaux au regard de la problmatique particulire qui est la ntre.
Revenons aux diverses apprhensions du discours : certaines disciplines effectuent leur
analyse de la communication depuis lextriorit du phnomne, dautres depuis lintrioritde ses protagonistes. Toutes traitent de lensemble des lments constitutifs de la
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
18/365
18
communication, et ce titre les mariages disciplinaires ont enrichi les diffrentes sciences de
nouvelles mthodologies. Mais leurs ancrages respectifs demeurent par exemple le processus
de communication dans sa dimension systmique pour les Sciences de lInformation et de la
Communication5, lobjet discursif pour les Sciences du Langage et le sujet communiquant
pour la Psychologie Sociale.
Or, discours et communication sont deux concepts distincts mais troitement lis, si bien quil
est pratiquement impossible de parler de lun sans parler de lautre. Cest pourquoi toutes les
disciplines traitant soit de la communication soit du discours se sont intresses, des degrs
divers, aux thories du contrat de communication. On peut essentiellement citer Rodolphe
Ghiglione (1985, 1986) pour la psychologie sociale, Eliseo Veron (1983, 1988) pour les SIC
et Patrick Charaudeau (1983, 1988, 1997a) pour les sciences du langage. Le contrat repose sur
lide dune rciprocit norme entre les acteurs de toute situation de communication, agissant
sur la teneur des discours qui y sont produits. Nous verrons par la suite de manire dtaille
comment6. Pour donner du sens aux discours dans lanalyse globale de la communication, ces
disciplines ont t amenes apprhender les autres composantes de la communication, celles
dont elles ne sont pas spcialistes, avec plus ou moins de difficults et plus ou moins de
succs. Or, la thorie du contrat, parce quelle est globalisante, a opr de ncessaires
rapprochements disciplinaires, souvent prcieux, parfois problmatiques. Un des objectifs de
cette premire partie est de resituer lapparition de ces thories dans les volutions thoriques
de diffrents courants disciplinaires, principalement les SIC, la Psychologie Sociale et les
Sciences du Langage. Cela dit, il ne sagit pas de dpeindre une histoire des diffrentes
disciplines, mais plutt dinterroger ce qui a pu, dans celles-ci, prparer ou motiver
lmergence dune sorte de paradigme contractuel, dans une relative convergence de leurs
approches du discours. Ce qui est en jeu ici, rappelons-le, cest le statut de ce dernier dans
ltude de linteraction communicative, et par consquent la porte de son analyse.
I.1. Comprendre la communication : entre technique et socit
I.1.1. Lhtrognit des premires modlisations
Comment reprer, dans lvolution des thories scientifiques, la manire dont ceux qui ont
uvr dans les diffrentes disciplines ont progressivement affin leur apprhension des
5 Dornavant, les Sciences de lInformation et de la Communication seront toujours dsignes par le sigle SIC.6 Voir paragraphesII.2.1. II.2.5. dans cette mme partie.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
19/365
19
multiples interactions entre les individus et le discours, la socit et les mdias ? Une
premire piste pourrait tre emprunte : celle de lhistoire des SIC, qui dbute souvent avec la
thorie cyberntique de Wiener (1948), systmique, et la thorie de linformation de Shannon
(1948), plus linaire. On occulte par contre souvent lantriorit des travaux de lEcole de
Chicago, dans laquelle figurent principalement Charles Cooley (1907), George-Herbert Mead
(1934) et John Dewey (1922). Lazar (1992) prcise que leur tude est centre sur le rle de la
communication dans la vie sociale. La notion dinteraction sociale est pour ces auteurs
fondamentale, et ils seront lorigine du courant de linteractionnisme symbolique. La
sociologie de Cooley (op. cit.), notamment via la notion centrale de social consciousness
donne un clairage tout fait particulier larticulation individu-communication-socit : il
suggre que le Moi individuel, comprenant des attitudes et des opinions, se forme comme
une entit sociale au travers des communications . Il ajoute que la conscience de soi rsulte
de lintuition des perceptions de soi par autrui, que permet notamment la communication.
(Lazar, op. cit.). Sa thorie place donc la communication au centre du rapport entre lindividu
et la socit. Cest une conception qui reste trs prgnante aujourdhui, et qui suscite de
nombreuses recherches contemporaines, principalement en psychologie sociale de la
communication. Mead (op. cit.) aura dvelopp cette approche dans une psychologie sociale
qui donne au langage et la communication une place centrale en tant quobjet dtude.
Jusquaux annes 1960, la modlisation de la communication est principalement le fait de
psychologues, de sociologues, de mathmaticiens ou de politologues, dsireux de tester leurs
thories dans le champ communicationnel (Lazar, op. cit.). Do le caractre extrmement
htrogne des premires thorisations de la communication. Mais cest prcisment la
collaboration des mathmatiques avec les sciences sociales qui aura t extrmement
fructueuse dans les annes 1930 1950, avec les figures de pres fondateurs tels que
Lazarsfeld le sociologue-mathmaticien, Hovland le psychologue exprimental et Lasswell le
politologue. Leurs problmatiques fondamentales sont la question de linfluence, de lapersuasion et plus largement du rle des diffrents discours mdiatiques (politiques ou autres)
dans la formation des attitudes et opinions, et par l mme leur place au sein de la socit. On
peut considrer quici se situent les bases des thories de la communication et de leurs
interrogations corollaires sur la place du discours publicis dans la socit.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
20/365
20
I.1.2. Lmancipation des SIC : interroger grce au media la rencontre entre technique et
socit
Il semble ds prsent ncessaire de prciser que si lhistoire des SIC telle quelle est
aujourdhui traditionnellement prsente nous renvoie au dbut du XXe sicle (si ce nest
avant), la discipline nexiste en France de manire institutionnelle et autonome que depuis
1975. Boure (2002) ne manque dailleurs pas de nous rappeler que Si Lazarsfeld, Katz,
Habermas ou Luhmann peuvent tre considrs comme dincontestables thoriciens de la
communication, [il faut] admettre quils ont puis une partie de leur inspiration et de leur
savoir en dehors des sciences humaines et sociales (dans la philosophie, par exemple), et bien
souvent en de de la priode des SHS. (p.29). Do le caractre problmatique de certaines
filiations thoriques et mthodologiques entre les SIC et certaines disciplines mres . On
pourrait voquer la thorie du dterminisme technologique de McLuhan (1970), thorie selon
laquelle le mdia dominant dans une socit dtermine la manire de rflchir et de se
comporter des individus qui la constituent. Les rapports entre techniques de communication et
socits resteront au cur des interrogations fondamentales des SIC, et lintuition de
McLuhan, dont on critiquera sans doute juste titre lexcessivit, donnera nanmoins
naissance en France des courants de pense tels que la mdiologie, porte par Rgis
Debray7.
Il est certes difficile de circonscrire les thories de la communication du point de vue des SIC
franaises, nombre dauteurs tant soit trangers, soit antrieurs 1972, ventuellement les
deux, tout en ayant t (par le pass et pour certains aujourdhui encore) fort influents dans la
discipline. Pour comprendre lvolution des thories de linformation et de la communication
en France, il parat ncessaire de la mettre en perspective avec celle de linstitutionnalisation
de la discipline. Sur ce dernier point, nous nous sommes appuys sur le travail de Boure (op.
cit.), qui donne un clairage prcieux sur les origines et lmergence institutionnelle de celle-ci. Si nous dcidons dintroduire ici mme cet aspect, cest que lauteur prcise que la
constitution des SIC en 1975 sest effectue dans le souci dinterroger les thories alors
dominantes (empirico-fonctionnalisme, thorie de linformation, cyberntique.) . Ce qui
signifie que ces thories, parmi dautres que nous voquerons galement, ont t mobilises
par et intgres dans les SIC franaises, ne serait-ce que pour tre discutes, modifies,
affines. Mais elles lui sont antrieures, et en un sens extrieures. Do le souci des SIC de se
7 Pour une dfinition dtaille de la mdiologie, voir le texte fondateur : Debray, R. (1991). Cours de mdiologiegnrale. Bibliothque des Ides. 395p.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
21/365
21
distinguer, que ce soit par le terrain, la mthode ou les objectifs, de disciplines la fois plus
anciennes et plus visibles parmi lesquelles figurent les disciplines littraires, les sciences du
langage ou encore les disciplines sociologiques.
Le dveloppement de ce que lon nomme la smiotique est venu ajouter une dimension
supplmentaire cette problmatique. De par son autonomisation progressive vis--vis des
sciences du langage, la smiotique entretient avec les SIC des relations complexes et
ambigus, lobjet discursif y tenant une place prpondrante. Car se distinguer ne signifie pas
ncessairement se couper, et nombre de chercheurs sont aujourdhui daccord pour qualifier
les SIC dinterdiscipline, de par la diversit dobjets et dapproches quelles rassemblent (les
deux tant troitement lis) et la grande richesse de thories dont elles se nourrissent.
Si les SIC peuvent prtendre un champ dinvestigation privilgi, cest naturellement celui
des mdias, au sens large du terme, cest--dire tout support de production et de diffusion du
sens. La question du rle des mdias est celle pose par la thorie fonctionnaliste voque
plus haut, mene principalement par Merton, Wright et Lasswell. Mucchielli (2001) prcise
que ce quils tudient alors, ce sont les "fonctions" et les "dysfonctions" remplies par les
mdias : surveillance de lenvironnement, mise en relation des acteurs de la socit dans leur
rponse lenvironnement, transmission de lhritage social, distraction . Lasswell
dveloppe en 1945 une thorie de laction de communication et propose daborder toute
communication par les questions suivantes : qui dit quoi, par quel canal, qui, avec quels
effets ? (Mucchielli, op. cit.).
Si basiques que soient ces thories fonctionnalistes, elles reposent sur le prsuppos dune
lgitimit sociale des mdias. Quelles que soient les fonctions qui leur sont assignes (et
indpendamment de ltude des dysfonctions), celles-ci sont conues comme des missions
dont sont investis les mdias par et pour la socit. La notion de lgitimit sociale des mdias
est tout fait centrale dans notre questionnement et nous aurons loccasion dy revenir.
Notons quelle prsidait dj plus ou moins implicitement aux premires thorisationsrelatives loutil mdiatique, mis ds lors en rapport avec la constitution des socits
dmocratiques contemporaines. Les SIC se sont dabord dveloppes sur la question du rle
des mdias dans la socit, bien avant den analyser le discours. Tout un pan de lorigine
historique des thories de la communication est constitu des thories critiques de lcole de
Francfort, fonde en 1923, notamment par Horkheimer, Adorno, Lowenthal, Fromm, Pollock
et Marcuse (Mucchielli, 2001). LEcole de Francfort entend tudier les mdias de masse, mais
avec le souci constant de les insrer dans une thorie totale de la socit. Lcole dite critique , largement influence par la pense marxiste, pose la question du contexte social,
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
22/365
22
politique et conomique dans lequel a lieu cette communication (Lazar, op. cit.). Leurs
interrogations sont celles de savoir Qui contrle la communication ? Pourquoi ? Au bnfice
de qui ? (Ibid.). Lenjeu est didentifier les possesseurs des mdias et le contrle des
institutions de communication.
Aussi, on voit se profiler une certaine coexistence de deux paradigmes diffrents, celui des
usages et celui des effets8. Dans tous les cas la psychologie sociale exprimentale est au cur
de ces premires tudes sur la communication. Les deux paradigmes vont se dvelopper
conjointement, dabord de manire conflictuelle avant de progressivement tenter une
conciliation. Mais une chose est certaine : les rapports entre innovations techniques et
transformations de lordre social sont au cur du questionnement des SIC. Mige (1989)
considre quelles sont lintersection du technologique et du social.
La notion dintersection nest pas anodine : elle signifie que les innovations technologiques
constituent un phnomne, et que la vie sociale en est un autre. Mais si on peut fonder une
discipline sur leur point dintersection, cest que ces deux phnomnes sont, bien que
distincts, interdpendants. Comme ils sont distincts, toute approche scientifique doit en
privilgier un ; comme ils sont interdpendants, cette mme approche ne peut pas ignorer
lautre. Et lon retrouve la dualit des recherches en SIC, bien synthtise par Attalah (1991).
Pour ce dernier, lobjet des SIC est dune part de sinterroger sur limpact social de formes de
communication lies la technologie, dautre part dtudier les contextes sociaux et
historiques qui donnent naissance ces appareils, () les intrts sociaux dont ils sont
porteurs, les rapports et les relations de pouvoir quils prolongent et instituent. (p.313-314).
Si la notion dimpact social relve principalement du paradigme des effets, la seconde est la
fois plus riche et plus ambigu. Parler de contextes socio-historiques et dintrts sociaux,
cest voquer clairement lusage, lutilit sociale des mdias. Mais interroger les rapports de
pouvoir auxquels ils sont lis, cest rendre aux mdias leur statut central doutils sociaux en y
introduisant lide dun pouvoir institu. Nous ne discuterons pas dans ce paragraphe lanotion de pouvoir (qui implique des dtenteurs et des asservis, ventuellement une lutte pour
son obtention), nous contentant de remarquer que cette dernire dfinition a le mrite de
replacer le mdia dans un rle central de facilitateur de linteraction humaine et sociale.
Une telle conception interdit de placer, au niveau thorique, toute technologie de
communication en bout de chane , cest--dire comme point de dpart ou comme rsultat
dun phnomne. Cette conception est, prcisons-le, la base de la systmique prne par
8 Voir Marchand (2004) pour des repres historiques dtaills.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
23/365
23
Morin (1990), logique aujourdhui largement rpandue en SIC. Attalah (op. cit.) poursuit
dailleurs sa rflexion en prcisant bien que la communication, technologie ou pas, reste une
affaire dindividus. Les questions lies la communication peuvent alors tre celles de
lidentit de ceux qui communiquent, des conditions de linteraction, de ses moyens ou de ses
fins. Mais pour lauteur, ce quon interroge dans tous les cas, cest le statut de la subjectivit
humaine. Les conditions de production du discours et la subjectivit humaine sont deux
notions tout fait fondamentales pour quiconque veut interroger le rle du mdia et les
discours qui le traversent (Pcheux, 1969). Elles seront centrales dans notre apprhension du
discours de la presse. Mais prcisons demble que l encore, la lgitimit sociale des mdias
apparat comme un prsuppos ncessaire ltude des enjeux sociaux dont ils sont porteurs.
On passe en effet de la notion de fonction sociale celle de pouvoir institu. Cette lgitimit
est donc acquise comme principe fondateur du mdia dans la socit, et il sera alors plutt
question den tudier soit le fonctionnement interne (notamment les mcanismes luvre en
production), soit le discours dans ses usages et ses effets en rception, ou encore ses relations
avec dautres acteurs sociaux tels que les pouvoirs politiques et conomiques.
Cest ainsi quen 1993 le Comit National dvaluation dfinit les SIC comme ltude des
processus dinformation ou de communication relevant dactions organises, finalises,
prenant ou non appui sur des techniques, et participant des mdiations sociales et
culturelles . Mais, ajoute Mucchielli (op. cit.), le mme passage prend bien soin de prciser
que les SIC ne concernent pas ltude spcifique de linteraction langagire ou sociale . Ni
sciences du langage ni psychologie sociale, donc, mais sciences des processus de
communication auxquels ces deux disciplines ne sauraient tre trangres.
I.1.3. Etudier la communication de masse : des enjeux politiques
Ltude de la communication de masse constitue un pan essentiel de la recherche encommunication, depuis son origine jusquaux thories contemporaines. Agenda-setting
(McCombs & Shaw, 1993) ou encore spirale du silence (Noelle-Neumann, 1974), les
chercheurs commencent modliser des processus sociaux entre mdias et individus en
intgrant la notion de pouvoir. Car tout instrument de pouvoir contient deux faces : des
potentialits dmancipation et des potentialits dasservissement. On peut se figurer la
communication de masse comme une institution sociale, cest--dire un moyen par lequel les
interactions sociales communicatives sorganisent grande chelle et acquirent le statutdentits collectivement et lgitimement construites. Cest une conception largement admise,
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
24/365
24
de lcole de Francfort Bourdieu en passant par les thories de Palo Alto. De nos jours,
devant la diversification de loffre et des publics, lhtrognit et lhybridation des modes
dexpression mdiatique, la notion de communication de masse est parfois conteste au motif,
principalement, dun clatement des audiences et dune segmentation sociale croissante. Mais
comment dfinir cette communication de masse, telle quelle aurait exist et nexisterait
plus ?
La massification ralise par les mdias, nous dit Mucchielli (op. cit.), cest
lagrgation artificielle dindividus de divers origines sociales, sexes et ges, genres et
niveaux de vie, professions, lieux dhabitation, cultures qui sont exposs la mme
communication (quelle soit sociale, politique, publicitaire ou autre). . De ce point de vue,
tout en concdant lexistence dune segmentation des audiences, et le risque quelle fait
courir, on peut difficilement considrer que la communication de masse a disparu, ne serait-ce
quen constatant laudience dun journal tlvis. Mais linterrogation sur son existence nest
pas vaine, elle pose une question ne pas ngliger : celle de lrosion du lien social associ
la segmentation des publics. Une des caractristiques de la communication de masse est
quelle se droule dans lespace public. Son aspect marchand en est la deuxime
caractristique fondamentale, quil est absolument ncessaire de garder lesprit, tant cette
dimension est elle aussi constitutive du discours mdiatique, comme Weber la indiqu voil
un sicle.
Pour lheure, notre objectif thorique est double : circonscrire la place de la communication
mdiatise dans la socit dune part, clarifier les rapports entre analyse de discours et thorie
de la communication dautre part. Nous nous associons en cela la proposition de Mige
(2000), pour qui ce que les SIC ont en propre cest de pouvoir appliquer des mthodologies
inter-sciences des problmatiques transversales, permettant dapprhender linformation et
la communication non de faon globale mais dans ses manifestations marquantes . La
conception systmique de la communication un niveau thorique nexclut donc pas ltudeempirique de ses manifestations quotidiennes, empruntant une grande varit de mthodes
danalyse.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
25/365
25
I.2. Le discours dans la communication sociale
I.2.1. Lapproche communicationnelle, linteraction sociale et le systme
Nous lavons dj voqu, une thorie de la communication ne doit pas placer le
mdia comme point de dpart ou comme rsultat dun processus, mais toujours dans une
place centrale lintrieur dun systme, celui de la socit. Pour reprendre les termes de
Flichy (1991), tout changement se situe ncessairement dans un cadre sociotechnique. Pour
Mucchielli (op. cit.) comme pour beaucoup dautres, tels Louis Qur (1999) ou encore Edgar
Morin (1990), les phnomnes communicationnels doivent tre apprhends par cette
conception systmique. Cette approche a t adopte principalement pour se distinguer des
analyses sociologiques et psychosociologiques, mais ces deux approches sont
complmentaires et non exclusives, puisquelles se situent des niveaux dabstraction
diffrencis. A ce propos, la mtaphore de Bateson (1988), qui rsume la position du
chercheur pour le constructivisme de Palo Alto, est dune grande clart : On peut comparer
sa position celle dun visiteur de muse qui ne parvient jamais voir en mme temps la face
et le dos dune statue ; plac derrire la statue, par exemple, il ne sera pas capable de prvoir
lexpression du visage jusqu ce quil lait vue de face. Pour obtenir une impression
complte, il lui faut tourner autour de la statue et, tandis quil se dplace, une nouvelle
perspective souvrira chaque pas jusqu ce que la combinaison de toutes les impressions
mette ce visiteur en tat de construire en lui-mme un modle rduit du personnage en
marbre. Les choses se compliquent si lon considre que tous les visiteurs ne vont pas au
muse avec les mmes intentions. (p.39). Ds lors on peut considrer que toute
apprhension de la matire empirique constitue un point de vue, au sens premier du terme, et
que seule la combinaison mthodique et raisonne de ces diffrents points de mire peut
aboutir une thorisation solide de lobjet dans son systme. La question est donc de parvenir articuler la notion dephnomne systmique (la communication dans la socit) et celle de
subdivision raisonnablement observable (Bateson, Ibid.) de celui-ci (par exemple, le discours
dun individu et dun support mdiatique). Dailleurs lapproche systmique des phnomnes
communicationnels a t largement dveloppe par lEcole de Palo Alto (dite de la
Nouvelle Communication ), dont deux des plus grandes figures sont Paul Watzlawick,
psychiatre et sociologue, et Gregory Bateson, psychologue et anthropologue. La conception
systmique du processus de communication revient, chronologiquement, la cyberntique deWiener. Cette thorie mathmatique de la communication, comme nous le rappellent Larame
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
26/365
26
et Valle (1991), considre que tous les lments de la chane communicationnelle sont
interdpendants. Lorsquun maillon de cette chane se trouve modifi, cette modification se
rpercute alors sur tous les autres lments. Cette conception, au fondement de lapproche
communicationnelle, a en quelque sorte t transpose par Palo Alto dun univers
mathmatique vers une conception sociale du systme. Pour ces auteurs, la communication
est la matrice dans laquelle sont enchsses toutes les activits humaines. (Bateson &
Ruesch, 1988). En effet, les phnomnes communicationnels sont avant tout des phnomnes
sociaux, sinsrant toujours de manire complexe dans des contextes socio-historiques
dtermins, comme le rappelle Boure (op. cit.). Citant ensuite Mattelart et Mattelart (1995), il
souligne que la communication est une invention intellectuelle, pour ne pas dire une
reprsentation qui parle la langue de plusieurs sciences, arts, et mtiers . Pour autant,
lapplication de la thorie mathmatique des systmes semble extrmement fertile en SIC,
menant lide que mdias et socit sont en co-dtermination rciproque.
Parmi les pr-requis les plus importants des thories dveloppes par Palo Alto figure une
mme ide-force, qui luttait lpoque contre une vision trop mcaniste ou technicienne du
mdia : la communication, encore une fois, est une affaire dindividus. Pour Bateson (op. cit.),
par exemple, la communication est une interaction fondamentalement sociale, prise en charge
par des individus, et sa nature peut ds lors tre change. Cest encore le discours de
Mucchielli (op. cit.), pour qui la dimension technologique ne doit pas tre tudie pour elle-
mme, mais du point de vue de sa finalit sociale, de ses usages, des dispositifs dans lesquels
elle sinsre. Pour lcole de Palo Alto, mme une discussion anodine entre deux personnes
constitue une situation de nature sociale. Cest dautant plus vrai pour la communication de
masse. Selon Bateson et Ruesch (op. cit.), la communication de masse sinsre dans un
systme social complexe. Lindividu engag dans une communication de masse entre en
interaction avec ce systme, prenant part une entit dont il sait quelle le dpasse et dont il
ne peut que construire une reprsentation. Il a nanmoins gnralement conscience de fairepartie de cette entit lorsquil entre en contact avec un moyen de communication.
I.2.2. Linteraction discursive dans les conventions sociales
Bateson et Ruesch (1988) nous clairent ensuite sur la manire dapprhender la
question du sens dans lanalyse de cette interaction : Connatre le rle dune personne dans
une situation sociale permet de jauger correctement la signification de ses paroles et de sesactions. () Dans le contexte de la communication, on peut considrer les rgles comme des
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
27/365
27
directives qui orientent le flux des messages dune personne lautre. Dans la mesure o les
rgles sont habituellement restrictives, elles limitent les possibilits de communication et, par-
dessus tout, elles restreignent les actions des personnes qui y participent. (p.41-42). Les
chercheurs dfendent donc la thse selon laquelle toute interaction communicationnelle est
rgie par des rgles qui contraignent le champ daction des protagonistes. Ces rgles, issues
du systme de valeurs sociales partages par une communaut, ne sont pas exclusivement
discursives, mais le discours nen est pas moins la face visible et privilgie. Habermas
(1984) parle ce propos de communaut intersubjective . Une prcision de Bateson le
rapproche de Charaudeau, dont nous exposerons galement la thse : la ncessaire conscience
partage quont les protagonistes de ces rgles en situation de communication. Cest
uniquement parce que les protagonistes ont conscience de ces rgles et quils les appliquent (a
priori) dans linteraction que celles-ci existent. Autrement, elles ne seraient que pures
chimres. Voil pourquoi on peut chercher des traces discursives de lintriorisation
rciproque des rgles de communication institues par la situation particulire dans laquelle
les protagonistes sont engags. Bateson et Ruesch (op. cit.) nous disent que lhomme
acquiert sa conception du monde par linteraction sociale et par la communication, et cette
acquisition est le fondement sur lequel repose lorganisation ultrieure de son
environnement. () A la racine de tous les vnements qui sont provoqus par lhomme se
trouve son aptitude communiquer, base sur laquelle se construit la coopration. La
coopration est en rapport troit avec les caractristiques qui font de lhomme une crature
grgaire. Lhomme ne vit donc pas seul. (p.50-51). Cette conception de lhomme politique
et du langage est directement inspire de la philosophie des Lumires, et notamment de la
notion de contrat social, sur laquelle il sera ncessaire de revenir avec attention.
Poursuivant la rflexion sur ce que peut tre la communication, on ne peut alors passer ct
de son sens tymologique de mise en commun . Sur ce point, Bateson et Ruesch (op. cit.)
mnent une rflexion sur le sens qui converge largement vers les sciences du langage. Poureux, la vrit dun nonc nest jamais tablie en soi, mais dpend toujours dun accord entre
les interlocuteurs pour le considrer comme vrai. Le langage nest quun code, un ensemble
de conventions, relevant de la phontique, du vocabulaire et de la syntaxe comme du rythme,
du ton et des modalits plus larges de la communication verbale et non verbale. Lide de
conventions partages dans la communication irrigue lensemble des recherches sur
linteraction communicative. De ce point de vue, linteractionnisme de Goffman (1991) est
riche denseignements. Ancien lve de lcole de Chicago, Goffman sappuie sur les travauxde Mead et de Cooley, pour dvelopper sa thorie des cadres. Pour lui, les cadres dfinissent
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
28/365
28
et rgulent les activits humaines, dont la communication. Goffman adhre la notion de
systme, et pour lui tout comportement dun acteur social sinsre dans celui-ci et se plie donc
des rgles de fonctionnement dtermines par lappartenance ce systme. Larticulation
entre lindividuel et le social est explicitement lobjet de la psychologie sociale,
particulirement lorsquelle sattache la communication. Goffman (Ibid.) dfinit dailleurs
son travail de la manire suivante : Je ne moccupe pas de la structure de la vie sociale, mais
de la structure de lexprience individuelle de la vie sociale. (p.22)
On peut alors considrer que lobservation et lanalyse des interactions communicatives
doivent se faire sur deux plans distincts et complmentaires : au niveau oprationnel,
lapprhension, guide par les thorisations existantes, des matriaux discursifs et de leurs
acteurs, pour effectuer des comparaisons, tablir des liens, mettre en lumire convergences et
divergences des formes, intentions, dterminations et logiques ; au niveau thorique,
lenrichissement (renforcement, nuanciation ou modification), par les donnes empiriques,
des modles dj tablis pour figurer les rapports entre communications, individus et socits.
Les plans empirique et thorique semblent donc bien, eux aussi, en co-dtermination
rciproque, ncessitant un va-et-vient constant dun plan lautre. Ds lors, lexamen du
discours et de son insertion dans le systme des conventions sociales prend une dimension
centrale pour ltude de la communication lintrieur dune socit donne.
I.3. Le discours et le sens
I.3.1. La pragmatique : identifier les normes pour faire merger le sens
Si lon devait rsumer lide force de la pragmatique, on pourrait dire quelle
considre la parole ou le discours comme un acte, et qu ce titre elle considre celui-ci
comme tant insr dans un espace-temps donn, ce dernier tant structurant. Il sagit de
considrer que le contexte nest pas autour du message, mais fait partie du message. La
pragmatique se situe donc dans le prolongement pistmologique des considrations voques
plus haut. Le sens du message merge de la confrontation dun individu avec une situation
donne. La situation pse sur le champ des possibles offerts lindividu, mais en contrepartie
lindividu tend accrotre sa prise sur les situations, et la communication est le vecteur de ce
double processus.
La pragmatique nonce une loi fondamentale qui tend redfinir la communication du point
de vue de lacte de discours. En dcoule lide que lon superpose un nonc rfrentiel une
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
29/365
29
mta-communication, portant sur la relation interpersonnelle que lon engage avec
linterlocuteur et dans laquelle le contenu propositionnel dun nonc peut tre compris et
accept. Cest le sens de la force illocutoire dAustin . Selon Qur (1984), cette mta-
communication a pour fonction de rduire l'indtermination du contenu propositionnel du
message en spcifiant la relation interpersonnelle dans laquelle les interlocuteurs s'engagent,
c'est--dire, en dfinitive, en actualisant un jeu de rles socialement institu. (p.67). Pour
lauteur, tout nonc est dialectique, faisant forcment intervenir une reconnaissance
rciproque, une entente entre les interlocuteurs.
La communication comme change social situ doit ds lors tre conue sous langle de la
pragmatique. Les sujets sociaux n'accdent une comprhension rciproque
qu'indirectement, par l'entremise de quelque chose d'objectif qui n'est pas eux-mmes (et qui
n'est pas non plus simplement le langage en tant que systme de signes). En ce sens
l'interaction sociale met ncessairement en jeu un "tiers symbolisant", le ple extrieurd'un
neutre, qui, n'tant ni (pour) l'un, ni (pour) l'autre, et occupant une position de rfrence
possible pour l'un et l'autre, les conjoint dans leurs diffrences. Bref, disons que ce
mtaniveau correspond au ple institutionnel. (Qur, op. cit., p.69). Cette notion de mta-
niveau institutionnel introduite par lauteur traduit lintervention dune sorte dentit sociale
fondatrice dans lacte dchange.Qur prend la peine de prciser que ce mta-niveau nest ni
fig, ni donn davance, mais construit en permanence dans lchange. Ces considrations
sont trs proches des thories de la psychologie sociale de la communication, notamment des
premires thorisations du contrat de communication de Ghiglione (1986), dans lesquelles
toute communication sinscrit dans un contrat initial rengoci en permanence par les
interlocuteurs dans linteraction langagire. Il sera par la suite ncessaire de sarrter plus
longuement sur la notion de contrat et sur ses diffrentes variantes et acceptions. Pour lheure,
retenons lide dune communication semblable un jeu de rle social.
Tout jeu, quel quil soit, suppose des rgles communes. Cest lide dHabermas (1984), pourqui la tche de la pragmatique est prcisment de reconstruire le systme de rgles que les
locuteurs doivent matriser pour communiquer de manire satisfaisante. Pour lui, la notion de
comptence communicationnelle renvoie cette capacit des locuteurs de matriser la
simultanit de la communication et de la mta-communication. La notion de comptence est
charnire pour la pragmatique, cest autour delle qua pu se construire une relle mulation
transdisciplinaire mlant SIC, linguistique, psychologie sociale, philosophie du langage ou
encore smiologie. Ainsi, pour Qur (op. cit.), la comptence communicationnelle ne reposepas seulement sur la matrise dun ensemble de rgles linguistiques, mais aussi sur une
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
30/365
30
capacit dvaluation, donc dinterprtation des situations, laide dun certain nombre de
moyens de classement et de repres extrieurs. (p.72). Charaudeau (1983) prfrera parler
de comptence smio-linguistique , quil dfinira comme une aptitude
reconnatre/manipuler la matire langagire en circonstances de discours . Si la terminologie
diffre, lide est la mme : la matrise des outils linguistiques ne suffit pas au bon
droulement de linteraction communicative, la prise en compte des lments de nature
sociale mis en jeu dans lchange est une ncessit. Reste identifier ces lments, travail
central de toute approche pragmatique du discours.
I.3.2. Comptence et intention communicationnelles : la ncessit de cooprer, la libert de
ngocier
Prenons comme point de dpart cette assertion dHabermas (1984) : Jappelle
intentionnel un comportement rgul par des normes ou qui soriente en fonction de rgles.
Les rgles ou normes ninterviennent pas comme des vnements ; elles sont en vigueur en
vertu dune signification intersubjectivement reconnue. Les normes ont un contenu
smantique, autrement dit un sens, qui, chaque fois quun sujet se conforme elles, se change
en raison ou mobile de comportement, et cest alors que nous parlons dune action. Au sens
de la rgle correspond lintention dun acteur qui oriente son comportement en fonction
delle. (p.8). Selon Habermas, les normes et rgles rgissant lchange nont lieu dtre que
parce qutant intersubjectivement reconnues, on ne pourrait infrer lintention dun acte de
parole que par rapport elles. Cette notion dintersubjectivit est centrale dans la pense de
lauteur, car toute communication est rgie par des attentes de comportements rciproques,
qui doivent tre mutuellement comprises et reconnues par les sujets. Cette rciprocit de
lchange est le cur de la conception sociale de lacte de communication. En tant que
dimension constitutive de la socit, elle suppose rciprocit et coopration. Si communiquerrevient mettre en commun, un jeu dattentes rciproques se met en place dans cet acte
intrinsquement communautaire, selon des modalits quHabermas (op. cit.) qualifiera de
co-originaires . Trs proche est la thorie des jeux de langage de Wittgenstein. Habermas
nous dit que ce qui intresse Wittgenstein dans le modle du jeu, cest le consensus sur les
rgles en vigueur qui doit exister entre les joueurs. () Dans la mesure o elles sont les
lments dun jeu de langage, les nonciations linguistiques sont intgres des interactions.
En tant que composantes de lactivit communicationnelle, les nonciations linguistiques sontelles aussi des actions. (p.66). Voil pourquoi on peut parler dacte de langage. Pour
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
31/365
31
Wittgenstein, les situations psent sur les formes expressives employes, linverse se produit
galement puisque la nature des situations est toujours redfinie dans le langage. Les
individus ne sont prisonniers des contraintes situationnelles que dans les limites quils
simposent eux-mmes, ventuellement dans celles fixes par la rflexivit de leurs propos
vis--vis de leur interlocuteur. Car tout manquement la coopration suppose (et attendue)
peut entraner des sanctions, pouvant aller jusqu la rupture de communication, comme nous
le verrons plus loin. Cest une des raisons pour laquelle la notion de contrat de
communication a t dveloppe : la ncessit de cooprer simpose trs souvent avec la
force dune loi.
Lide dune ncessaire coopration nous vient de la philosophie du langage de Grice (1979),
avec ses maximes conversationnelles, ayant pour fonction de veiller au respect du principe de
coopration. Il dfinit son principe de la manire suivante : que votre contribution
conversationnelle corresponde ce qui est exig de vous, au stade atteint par celle-ci, par le
but ou la direction accepte de lchange parl dans lequel vous tes engag. (p.61). Ses
maximes sont regroupes en quatre catgories : quantit, qualit, relation et modalit. A la
quantit correspond la ncessit de ne donner ni plus ni moins dinformations que ce qui est
requis par linterlocuteur. A la qualit, Grice rattache la notion de vridicit. A la relation
correspond la recommandation de parler -propos. A la modalit, enfin, il raccroche la notion
de clart dans la forme du discours. On voit bien comment, selon lui, toute conversation
langagire reposerait sur un ventail de principes normatifs, les maximes, mutuellement
connus du locuteur et de lauditeur. Le respect de cette morale conversationnelle, comme
lappellent Ghiglione et Trognon (1993), est pos comme un pralable lchange parl, et
tout cart ses principes normatifs pourra tre interprt, en vertu du principe de coopration,
comme porteur dune intention particulire que le locuteur cherche faire comprendre son
auditeur. En dautres termes, nul nest cens ignorer les lois communment adoptes vis--vis
de la communication. Grice (op. cit.) fonde lexistence de ce principe de coopration sur unargument philosophique majeur : lexpression dune conscience rationnelle de lutilit
rciproque quil y a, pour les individus, cooprer. Il affirme en effet que lobservance du
principe de coopration et des autres rgles est raisonnable (rationnelle) dans la mesure o
toute personne que les buts essentiels de la conversation/communication ne laissent pas
indiffrents (par exemple, donner ou recevoir de linformation, influencer et tre influenc par
les autres) est cense trouver de lintrt une participation des changes dont elle ne
retirera profit qu condition que ceux-ci soient mens en accord gnral avec le principe decoopration et les autres rgles. (p.63-64).
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
32/365
32
On sait donc prsent que la communication est une affaire de coopration norme, un jeu de
rle social, et que pour prendre part ce jeu, les participants doivent tre comptents pour
celui-ci, cest--dire en connatre les diffrentes rgles. Mais alors quen est-il de la libert de
lindividu ? Linteraction communicative nest-elle quun chemin balis ou une liste
doprations ncessairement pr-codes ? On rpondra videmment par la ngative, mais une
ngative nuance. Laspect ngoci et mouvant de cette normativit sociale a t voqu
prcdemment. Aussi Charaudeau (1997a) pourrait-il rpondre que libert il y a, mais quil
sagit dune libert surveille , en ce sens que toute stratgie de discours, tout espace de
libert, ne peut se raliser, pour tre correctement peru, que dans un cadre de normes et de
contraintes dordre social, cest--dire communment partages. Grice (op. cit.) a propos un
modle de communication qui rpond une logique similaire : le modle infrentiel. Il sagit
de considrer que communiquer revient produire et interprter des indices. Des indices de
quoi ? De lintention communicationnelle qui nous a pousss dire ce quon a dit de la
manire dont on la dit. Si lon suit la logique infrentielle de Grice (op. cit.), on peut
considrer que vouloir dire quelque chose par un nonc revient avoir lintention que celui-
ci produise un certain effet sur des interlocuteurs au moyen de la reconnaissance de cette
intention. Emettre des indices pour exprimer son intention, interprter ces indices pour
reconnatre lintention mise, voil une conception de la communication qui rend le jeu de
coopration sinon plus risqu, tout au moins plus complexe, la fois pour les interlocuteurs et
pour lventuel observateur ou analyste du discours. On conoit ds lors lvidente ncessit
du tiers symbolisant de Qur (1984), de la reconnaissance intersubjective
dHabermas (1984) ou encore de la comptence smiolinguistique de Charaudeau (1983).
Il sagit l de terminologies diffrentes dsignant un mme phnomne : la manifestation
quotidienne de la dimension profondment sociale de lhomme, de son langage et de sa
capacit sadapter aux situations auxquelles il est confront.
A ce titre, Bakhtine (1977) apparat comme un prcurseur de la vision pragmatique dudiscours avec sa philosophie dialectique du langage. Pour lui linteraction verbale constitue
la ralit fondamentale de la langue. (p.136). Loutil linguistique est donc inconcevable sil
est dissoci de ce qui lemplit de sa substance, savoir linteraction. Lauteur nonce ensuite
des lois rsumant sa pense sur le statut de la langue. Il pose notamment que lide dune
langue comme systme stable de formes nest quune abstraction savante , incapable de
rendre adquatement compte de la ralit concrte de la langue . Il soppose en cela la
linguistique Saussurienne, qui interdit selon lui le questionnement sur linfluence mutuelleentre le signe et ltre. Pour Bakhtine (op. cit.), cet tre , dans le signe, fait de la langue un
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
33/365
33
processus dvolution ininterrompu qui se ralise travers linteraction sociale verbale des
locuteurs . Cette volution est ds lors lie des lois sociologiques et renferme
obligatoirement une valeur idologique. Toute nonciation est intrinsquement sociale, et
pour Bakhtine le fait de parole individuel est en soi une contradiction. Le sens dun nonc
nest donc jamais ni donn, ni fig : Seul le courant lectrique de la communication verbale
fournit au mot la lumire de sa signification. . Aussi, Ceux () qui sefforcent, pour
dterminer la signification du mot, datteindre sa valeur infrieure, celle qui est toujours
stable et gale elle-mme, cest comme sils cherchaient allumer une lampe aprs avoir
coup le courant. (p.147). En cela, Bakhtine (op. cit.) doit tre considr comme un
vritable prcurseur de la pragmatique, de par sa vision profondment dialectique de la langue
et sa volont dapprocher au plus prs sa ralit concrte dans ses manifestations les plus
simples et les plus quotidiennes. Mais la richesse de la dialectique Bakhtinienne ne sarrte
pas l : en tant que phnomne interactif, la communication a t apprhende par lui jusque
dans le processus de comprhension de la parole du locuteur et de son intention
communicative. Pour lui, la comprhension est une forme de dialogue ; elle est
lnonciation ce que la rplique est la rplique dans le dialogue. Comprendre, cest opposer
la parole du locuteur une contre-parole. (p.146). Cette conception de la comprhension,
mettant au premier plan lactivit psychique intense de linterlocuteur, sa dimension critique
et crative, aurait confisqu toute validit aux thories bhavioristes qui se construisaient
paralllement aux Etats-Unis9.
Si la coopration parait tre une dimension ncessaire de la communication, on se rend
prsent bien compte quelle nen est pas lunique. Si les individus engags dans linteraction
communicative sont tenus de cooprer et de baser leur interaction sur des rfrents supposs
communs (pour rendre cette communication possible), il nen demeure pas moins que chaque
individu, dans cette mme interaction, possde un grand nombre de caractristiques qui lui
sont propres et quil met en jeu dans celle-ci. Cette notion denjeu (de mise en jeu) dans lacommunication, est une notion centrale pour la pragmatique linguistique comme pour la
psychologie sociale. Dailleurs, pour Ghiglione et Trognon (1993) lindividu ne sera en
mesure de [] reconnatre [une intention] que sil a identifi lenjeu (ou les enjeux) qui
le lie linterlocuteur. . Cet enjeu est lui-mme fortement li aux rles assums par les
interlocuteurs et la relation qui se noue dans linteraction. Ces notions sont celles du contrat
de communication de Ghiglione (1986), sur lequel nous reviendrons. Gardons pour linstant
9 Louvrage de Bakhtine a t publi en 1929 Leningrad sous le nom de son lve Volochinov.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
34/365
34
lesprit que lide dassocier le discours aux notions denjeu et didentit, au sein dun cadre
situationnel normatif (fait de rgles et de conventions sociales) apparat extrmement fconde.
Elle met en exergue le fait que communiquer est tout la fois un processus norm et un acte
de libert, toujours risqu ; la fois un processus intrinsquement dialectique et une opration
singulire porteuse de spcificits identitaires. Cest la dfinition de ces composantes
antithtiques et ltude de leur point dintersection que travaillent des disciplines telles que
la sociolinguistique et la psychologie sociale de la communication, sappuyant sur la
pragmatique linguistique. Il sagit didentifier les liens et les nuds qui se forment entre
lindividu, la socit et le langage, lequel se situe linterface des deux premiers. La notion
dinterface dsigne une limite commune deux systmes, permettant des changes entre
ceux-ci. Le langage, linterface entre groupe et individu, peut donc tre considr comme
leur plus petit dnominateur commun. Indpendamment des diffrences de langues, il apparat
comme le fondement de la capacit politique de lhomme, le lieu et le moyen de rencontre
entre individus et groupes sociaux.
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
35/365
35
Chapitre II. La notion de contrat ou le fondement de la communaut
politique, dans le discours et par la communication
II.1. Le contrat soc ial ou la comptence polit ique
II.1.1. Contrat, dmocratie et communication
La thse que nous souhaitons dfendre ici est la suivante : le concept de contrat social,
au fondement de lide de dmocratie, ne peut senraciner concrtement dans la socit que
par le langage, permettant la communication de ses membres. A ce titre, ce que Charaudeau
(1997a) notamment, a nomm contrat de communication, serait une manifestation visible et
quotidienne du contrat social ; sa face discursive. On peut en effet avancer quil rsulterait du
mariage entre une situation, correspondant lextrioritde linteraction communicationnelle
(des interlocuteurs, des enjeux, un objet rfrentiel, des outils linguistiques, des circonstances
matrielles) ; et la conscience dun contrat social. Cest ce dernier qui donne du sens aux
lments situationnels, au sein de lintrioritde chacun des protagonistes, dans une socit
constitue dans le langage et norme par la recherche dune entente rciproque. Barthes
(1975) souscrit cette ide lorsquil nous dit que Le signe, le rcit, la socit fonctionnent
par contrat, mais comme ce contrat est le plus souvent masqu, lopration critique consiste dchiffrer lembarras des raisons, des alibis, des apparences, bref tout le naturel social, pour
rendre manifeste lchange rgl sur quoi reposent la marche smantique et la vie collective.
(p.63). Cest bien parce que la plupart de ces rgles sont supposes tre communes tous,
dans le cadre du contrat social, quune tierce personne (le chercheur ou lanalyste, par
exemple), extrieure linteraction qui se droule ou sest droule, peut partir de
lobservation de lextrioritde cette communication mettre des hypothses surlintriorit
vcue de lun ou de lautre des protagonistes, en termes dintentions, de ractions, etc.Cest de ce prsuppos que dcoule la pertinence de notions telles que reconnaissance des
enjeux, comptences linguistiques et communicationnelles, rgles et contraintes
situationnelles et discursives, stratgie, intentionnalit et bien dautres encore, que nous
avons voques, ou que nous utiliserons, et quil sagit prsent de considrer travers cette
lucarne du mariage entre un contrat social et des situations de communication.
La notion de contrat, bien avant le contrat de communication, renvoie aux grandes thories
sociales issues du sicle des Lumires, qui a vu lmergence de lide dun contrat - ou pacte -
social, fondateur de la civilisation rpublicaine. En ralit ce principe remonte, sous des
tel00542750,
version1
3Dec2010
7/27/2019 Journalismes Discours Et Publics E. MARTY
36/365
36
formes parfois embryonnaires, lAntiquit et aux philosophes grecs. Au del de leur seule
proximit lexicale, rapprocher contrat de communication et contrat social nous semble une
dmarche fertile. Nous postulons en effet que le second entretient avec le premier, dans sa
nature et dans ses manifestations quotidiennes (voire dans les polmiques quil soulve), des
rapports de continuit et dinclusion quil nous semble opportun de spcifier. En bref, il sagit
de saisir pleinement, selon une formule qui serait chre Rousseau et ses
contemporains, lesprit du contrat. En effet le contrat social a vocation conceptualiser les
rapports sociaux, dans une perspective dapprhension de lhomme la fois comme entit
individuelle autonome et comme membre dun tout, dans lequel il sinscrit et qui le
surdtermine sans pour autant le priver de sa libert individuelle. Un projet pistmologique
dlicat en cela quil se risque intgrer dans une mme modlisation deux facettes
antithtiques de lhumain, rvlatrices de lapparent paradoxe de la vie en socit.
II.1.2. Les origines du politique : laptitude cooprer dans labstraction du langage
Lide du pacte remonte lantiquit grecque avec lthique politique dEpicure : La
justice n'existe pas en soi. Elle n'existe que dans les contrats mutuels, et s'tablit partout o il
y a engagement rciproque de ne point lser et de ne point tre ls. (in Janet, 1887). Ici
apparat dj lide dun engagement de chacun vis--vis de chacun, une rciprocit
garantissant lataraxie , labsence de trouble ou la tranquillit intrieure. Il affirmait
encore : La justice est fonde par la convention et la convention a pour objet l'utilit
rciproque. . Le contrat social se dfinit donc comme un ensemble de conventions cres par
lHomme et lon voit apparatre les notions dutilit et de rciprocit. Dans ses maximes10,
Epicure fait preuve dun pragmatisme dune tonnante actualit. Dune part, il introduit lide
dune ncessaire pratique () conforme ce qui est utile la communaut mutuelle des
hommes , lutile tant pour lui la mise en pratique du juste , dautre part, il voque lancessaire adaptation de lindividu aux diffrentes circonstances auxquelles il est confront.
Ainsi lutile est-il toujours le juste en situation. Pour cela, il avance le concept de
prnotion , sorte dempreinte sensorielle laisse en nous par lexprience, par la rptition
de situations, et cense guider intuitivement laction. Le contrat dEpicure exige donc des
individus mmoire et conscience, mme diffuses, de la nature des situations auxquelles ils
sont confronts, qui doi