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Us assassins financim, &:rit John Perkins. SOnt des professionnels payés qui escroquem des milliards de dollal'l à divers pays du globe. UUI'l armes principales: les r.lpporu fin<lnciel'l frauduleux, les truqUI!cs, les pots-de-vin, l'o:tol'lion, k 5o:e ct k ... John Perkins Ail Irh bien de quoi il pule.. Il a été lui-même un a.w.ssin fimmcicr. Son lravail consiSQit Il convaincre certains pays nr.utgiquemem impor- lants pour les J:tats-Unis, comme le Panam:i ou l'Indonésie, d'accqncr d'énormes prêts pour le dévdoppe'lllellt de kul'l infrastructures, et à s'muru que tOUS les pro- jets lucratifs m.ient confiés à des CflIrq>riSCS arnéric:a.ines. Ainsi affiigés: de lourdes dcrtes, ces pays se mrouvaiellt alors sous le conlrÔle du gouvernement américain, de la Banque mondiale ct d':lUtro: organisations humanirairo: dominl!cs pou les ËtaU- Unis, qui sc: comporraiem envcrs eux comme des usuriers, leur dictam les condilions de remboursernem ct forçant leurs gouvernements Il la soumission. Cel rUit véridique dbui le la corruptÎon CI les inrrigues interna- tionales, ainsi que des activü6: gouvernementales ou peu connues, qui ont de graves conséquences pour la démocratie aml'ricaine el le monde emier. • Une bombe. Voici que qudqu' un de profondément engagé dans gouvernementale Ct ose en révél er sa ns équivoque [es rouages interndi. Un ouvrage d'une grande vis io n CI d'un grand courage moral .• - John E. M:lck, professeur Ha M m CI auteur de A Pri,/f't' olOur Disordn-: TIN Lift oiT E u,wm/f't', prix Pulirzcr Combinant la brillanct ct le SUSpe'nse d'un thriller de Graham Grtt ne vec l'aulorité de l' open , Perkins raconte une vrn ie, puisan ,révél atrice" ct terrifiante, il ci le des noms et établit des liens ...• Dav}d Kanen , au teu r du best-seller W1Nn CorpomlÎons Ruk lIN lf fJr/d vocueur CI troublant ... Ce [ivre rtussit Il b-eiller [e [mcut, qu i ne peut ,' cmpkher évaluer son propre CI de fC'SS("nt ir \e besoin d'un changement .• - R. Paul Shaw, o-&o nomiste en chef ct" conseiller progr.lmme du Grou pe' dt cr..vàl du dévdoppe'ment humain de l'Institui de la mondiale l"hkin$ nous apporte [a preu ve &:la [3.nte que [a démocrat Î(' esl incompatible avec J'Empire .... - Robert Jasmin, président de ATTAC-Qulbtr(Association pour \a taxation des transacti ons financières ct t'aide aux ci toyens) Lauccur amène [e lecteur les portes doses des grandes corporations el institutions financièro: Un témoignage bouleversant sur l es de la mondialisation . - Michel Chossudovsky, directeur. Ce ntre de recherche sur la mondialisation, el autcur de lA MOl/diltlilatÎol/ tU la pnuvrrtl ISBN: 2-89626-001-3 VI s::: ... CIl a. s::: .s::: o ..., .. CIl illY == CI l'CI .- = li .... = = :a John Perkins Les confessions d'un assassin financier Révélations sur la manipulation des économies du monde par les États-Unis d TERRE

John Perkins_Les Confessions d'Un Assassin Financier Capital is Me, Imperial is Me USA, FMI, Tiers Monde Colonial is Me)

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Us assassinsfinancim, &:rit JohnPerkins. SOntdesprofessionnels paysquiescroquemdesmilliardsde dollal'l diverspaysduglobe.UUI'larmes principales: lesr.lpporufinSANCfD'UNA SSA SSI .'III NANC I FR11 isolduPanama ; ilavaitt conduit l' aroportparlapolicepana-menne et misdans unaviona destination destats-Unis. cVoslettres m'indiquent quevousne craignez pas de prendre des ri sques,mmeenl'absenced' informationssres.tantdonnvos conditionsdevieenquateur,jecroisquevouspourri ezSUlVi vre n'importeo. Ilmeditqu' ilavaitdjcongdil'undecesco-nomistesetqu'iltaitprtcongdierlesdeuxautressij'acceptais l'emploi. C'est ainsi qu'en janvier 197 1 l'on m'offrit un poste d'conomiste MAIN.Je venais d'avoir vingt-sixans,l'gemagique auquel onne peut plus trerecrutpar J'arme. Je consultai lesparents d'Ann, qui m'encouragrentaccepterl' emploi,etjeprsumaiqueceserait galementl'attitudedel'oncleFrank.Je me souvinsqu' ilavaitmen-tionnlapossibilitquejefinissepartravaillerpourunecompagnie prive.Rienne futjamais tabli ouvertement , maisiln'y avait aucun doutequemonengagementparMAINrsultaitdesarrangements faitspar l'oncleFranktroisansauparavant,ainsiquedemesexp-riences enquateur et de mon enthousiasme criresur lasituation politique et conomique dece pays. J 'enfuseuphoriquedurantdessemainescar j'avaisuntrsgros ego.Jenepossdaisqu'unelicencedel'universitdeBoston,ce quinesemblaitnullementgarantirunposted'conomistedansune firmedeconsultationaussiprestigieuse.Jesavaisqueplusieursde mes confrres quiavaient trejetspar l'armeet s'taient ensuite misen qute d'une matrise degestionou d'autres diplmes seraient jalouxdemoi.Jemevoyaisdjcommeunintrpideagentsecret voyageantdansdespayslointainsoumeprlassantaubordd'une piscine d' htel en buvant unmartini , entour demagnifiques femmes enbikini. Bienqueceneftlqu' unfantasmeclassique,j'allaiSbientt dcouvrirqu' ilcontenaitunfonddevrit.Einarm'avaitengag comme conomiste, mais je m'aperus rapidement que mon vritable travail allait beaucoup plus loinet s'apparentait beaucoup plus celui de JamesBondque jen'auraispu l'imaginer. 12 PARTI{:1963- 1971 2 C'estpour la vi e En jargon juridique, MAINserait qualifie de compagnie troitement contrle;environcinqpourcentdesesdeuxmilleemploysen taientpropritaires. Onlesdsignait souslenomdepartenaires ou d'associs et leur position tait trs envie.Non seulement exeraient-ilsunpouvoir sur tous, maisilsrecevaient aussilesplusgros salaires. Ilstaientladiscrtionmme;ilsngociaientavecdeschefsd' tat et des cadres supri eurs, lesquels attendent de leurs consultants, qu'il s' agisse d'avocats ou depsychothrapeutes,qu'ils obselVent une con-fidentialitabsolue.Touterelationaveclapresseleurtaitinterdite. Enconsquence,presquepersonnel'extrieurdeMAINn'avait entenduparlerdenous,bienquenoscomptiteurs,commeArthur D. Little.Stone&Webster,Brown&Root ,Hal1iburtonetBechtel , fussentbienconnus. J 'utiliseicilemot ccomptiteur- ausenslarge, car, en fait , MAIN constituaitunecatgorieenelle-mme.Notrepersonnel profession-neltaitconstituenmajeurepartied' ingnieurs, etpourtantnous ne possedions aucun quipement et n'avions mme jamaisriencons-truitpasmmeunhangar.Plusieursemployestaientdesanciens militaires ;cependant ,nousn'avionspasdeconlratavecleminis-tredelaDfenseniavecaucunselVicedel'arme.Nosactivits s'cartaient tellement de lanorme que.les premiers mois.je ne savais pas rellement en quoi ell es consistaient. Je savais seulement que ma premire vraie mission devait s'effectuer en Indonsie et que je ferais partie d'une quipe de onze hommes quiiraient y concevoir une stra-tgie nergtique globale pour l'le de Java, Jesavaisaussiqu'Einaretlesautresquim'avaientparldemon travaildsiraientmeconvaincrequel'conomiedeJavaconnatrait unboom et que, sijevoulaisme distinguer en tant que pronostiqueur (etdoncmequalifierpouruneventuellepromotion),jedevaispro-duiredesprojections quiledmontreraient. c avadfoncerleplafond! )I disait-il.Ilfaisaitplanersesdoigts dans les airsjusqu'au-dessus de sa tteen ajoutant:cL'conomie va monter en flchecomme unoiseau! Einarfaisaitsouventdecourtsvoyagesdedeuxoutroisjours, Personnen'en parlaitbeaucoup nine semblaittrop savoir o ilallait. Quand iltait aubureau, ilm'invitait souvent prendreuncaf avec lui.11 me posait des questions sur Ann, sur notre nouvelappartement etsurlechatquenousavionsramendel'quateur,Quandjele connus unpeu mieux, je m'enhardis l'interroger sur lui-mme et sur ce qu'on attendait de moi.Ilne m'a cependant jamais rpondu d'une manire satisfaisante;il taitpass matre dans l'art de dtourner les conversations, Unjour,ilmeregardad'unefaoninhabituelle,cTun'aspas t'inquiter,mediHI.Nousattendonsbeaucoup detoi.Je suisall Washingtondernirement". >1 Ils'interrompitetsouritlonguement. Entoutcas,tusaisquenousavonsungrosprojetauKowet.Tu n'iras pas en Indonsie avantunpetitmoment.Je teconseille dete documenter unpeu surleKowet.Tutrouverasbeaucoup de choses laBibliothquepubliquedeBoston,etnoustefournironsdes laissez-passerpourlesbibliothquesdel' Institutdetechnologiedu Massachusetts et de l'universit Harvard." J 'aidoncpassplUSieursheuresdanscesbibliothques,particu-lirementcelledeBoston,quisetrouvaitquelquesrues peine du bureauettoutprsdemonappartementdeBackBay.Jemesuis familiarisavecleKowetainsiqu'aveclesstatistiquesconomiques publies par les Nations unies,leFonds montaireinternational (FMI) et laBanquemondiale,Comme jesavais que j'aurais produire des modles conomtriquespour Javaetl'Indonsie,jeme suis ditque jepouvais tout aussibien en commencer un pour leKowet. 14Pu"-u t R[PARl ll:1963 - 1971 Cependant, malicence d'administration commercialenem'ayant pasprparl'conomtrie,jemesuisdemandlongtempscom-ment je me dbrouillerais.J 'aimme suivideuxcours sur le sujet.J 'y aidcouvertquel'onpeutmanipulerlesstatistiquesdefaonpro' duire tout un ventailde conclusions, y compris celles qui dmontrent lesprfrences del'analyste. MAINtaitunecompagniemacho.En197 1,quatrefemmes seulement y occupaient despostesprofeSSionnels,alors qu'ily avait environdeuxcentssecrtaires - unepour chaquevice-prsidentet directeurde service-et stnographes,lesquellestaientauservice des autres employs. Je m'tais habitu cette discrimination sexuelle et jefusdoncparticulirementahuripar cequiseproduisitunjour dans lasection derfrence delaBibliothquepubliquedeBoston. Unetrsjoliebrunette vints'asseoir en facede moi,latableo je lisais.Vtue d'un complet vert fonc , eUesemblait trs sophistique. J 'estimai qu'elle avaitquelques annes deplus quemoi.Je m'efforai toutefoisdenepasluiprter attention,dejouerl'indiffrence.Au boutde quelquesminutes,sansdireunmot,ellemeglissaunlivre ouvert,quicontenaitunetablecomportantdel'informationqueje cherchais surleKowet, ainsiqu'unecarte d'affairesportantlenom deClaudineMartin,consultantespcialedeChas.T.Main,Inc,Je regardai ses beaux yeuxvertset ellemetendit lamain. Onm'ademanddevousaiderdansvotreentranement ,me dit-elle.Je n'en croyaispas mesyeuxnimes oreilles. Ds lelendemain, nousnoussommesvussonappartement de BeaconStreet,quelquesruesdusigesocialdeMAIN,situau Prudential Center.Pendantlapremireheure,ellem'expliquaque monpostetaitinhabitueletquetoutdevaitdemeurerconfidentiel. Ellemeditquepersonnenem'avaitdonndeprcisionssurmon travail tout simplement parce qu'elletait laseulepersonne autorise lefaire.Ellem'informa ensuite que son rle consistait fairedemoi un assassin financier. Ce seulnomrveillames vieuxrves d'espionnage.J' eusunrire nerveuxquim'embarrassa.Ellesouritet m'assuraquecenomavait tchoisipourdesraisonsd'humour,cQuipeutprendrecelaau srieux? " demanda-t-elle, C'r.STPOURt AVIf.15 J 'avouaimonignorance quant aurledes assassinsfinanciers . Vous n'tes pas le seul, dit-elle en riant.Nous sommes une espce rareet nous faisonsunesalebesogne.Personnenedoit tre aucou-rant devotreengagement,pasmmevotrepouse.)}Puisellerede-vint srieuse . Je serai trs franche avec vous et je vais vous enseigner toutcequejepeuxpendantlesprochaines semaines.Ensuite,vous devrezchoisir,Votredcisionserafinale.Quandons'embarquel-dedans, c'est pourlavie. Par lasuite,elleneprononaplus jamais lenom au complet;nous tions tout simplement des EHM. JesaismaintenantqueClaudineati rprofitdesfaiblessesde personnalitrvlespar mon profil tabli par laNSA.Je ne sais pas qui luiavaitfournicesinformations- Einar,laNSA,leservicedu personnel de MAIN ou quelqu'un d'autre-mais elle les a utilises fort habilement.Son approche,unmlange desductionphysique elde manipulation verbale, tait faitesurmesurepour moi et pourtant elle correspondaitauprocessusd'oprationclassiquequej'aivuutiliser depuisparplusieurscompagnieslorsquelesenjeuxsont detailleet quelapressionestfortepourconcluredesententeslucratives.Ell e savaitdepuisledbutquejen'oseraispasmettremonmariageen prilendivulguantnosactivitsclandestines.Etellefutd'unefran-chise brutale quand vintlemoment de me dcrire l'aspect sombre de mes futures activits. J ene saispas quiluipayait sonsalaire, bien que jen'aieaucune raisonde souponnerquecen'taitpasMAIN,telqu' inscritsursa carte d'affaires.l'poque,j'tais lafoistrop naf , trop intimid et tropfascinpourposer desquestionsquiaujourd' huimesemblent videntes. Claudinemeditquemontravailcomportaitdeuxobjectifsprinci-paux.Premirement ,jedevraisjustifierd'normesprtsinternatio-naux dontl'argentseraitredirigversMAIN et d'autres compagnies amricaines(commeBechtel ,HaHiburton,Stone&Websteret Brown &Root)parlebiaisdegrandsprojets de construction et d'in-gnierie.Deuximement, je devrais mener labanqueroute lestats quirecevraient ces prts (aprs qu'ils auraient pay MAIN et les autres entreprises amricaines, videmment), de sorte qu'ils seraient jamais redevables leurscranciers et constitueraient donc des ciblesfaciles 16PItLMllltll'AR I IE:1 963-197'1 quandnousaurionsbesoind'obtenirleursfaveurssouslaforme de basesmilitaires,devotes auxNationsunies ou del'accs auptrole et d'autresressourcesnaturelles. Montravail,medit-elle,seraitdeprvoirleseffetsqu'auraitln-vestissementdemilliardsdedollarsdansteloutelpays.Plusspci-fiquement , jedevraisproduiredes tudes tablissant desprojections decroissanceconomiquepourlesvingtouvingt-cinqprochaines annes et valuantlesconsquencesdediversprojets.Par exemple, si['ondcidaitdeprter uncertainpays unmilliarddedollars afin de lepersuader denepas s'aligner sur l'Unionsovitique, je devrais comparer les bnfices que rapporterait l'investissement de cet argent dans des centrales lectriques avec ceux d'uninvestissement dans un nouveau rseau ferroviaire nationalou un systme de tlcommunica-tions. Ou encore on offrirait cepays d'y installerunsystme d'lec-tricitpubliemoderneet jedevraisalorsdmontrer quecesystme auraitpourrsultatunecroissanceconomiquesuffisantepourjus-tifierleprt.Danschaquecas,lefacteurcritiquetaitleP.N.B.Le projetayant pourrsultatlaplusfortecroissanceannuellemoyenne duP,N.B.l'emporterait.Siunseulprojettaitenvisag,jedevrais dmontrer quesaralisation apporterait desbnfices suprieurs au P.N.B. L'aspectclandestinde chacundecesprojets,c'estqu'ilsavaient pourbutdegnrerd'normesprofitspourlesentreprisesetde rendre heureuses unepoigne de famillesriches et influentes du pays rcipiendaire, tout en assurant la dpendance financire longterme et donc laloyautpolitique de plusieurs gouvernements duglobe.Le montantduprtdevaittreleplusgrospossible,Onnetenaitnul compte dufait que le fardeau de dettes du pays rcipiendaire priverait sespluspauvrescitoyens desoins de sant,d'ducationeld'autres services sociauxpendant des dcennies. Claudine et moi avons discut ouvertement de lanature trompeuse duP.N.B.Par exemple, celui-cipeutcrotremme sicelaneprofite qu'une seulepersonne,telunindividupossdant une entreprise de services,etmmesilaplusgrandepartiedelapopulationestacca-ble de dettes.Les riches s' enrichissent et les pauvres s'appauvrissent. Pourtant , les statistiquesrvlentunprogrs conomique. C'f S IPOURLAVit.17 Toutcommelescitoyensamricainsengnral,laplupartdes employs deMAIN croyaient quenous accordions des faveursces paysenyconstruisantdescentraleslectriques,desautorouteset desinstallationsportuaires.L'coleetlapressenousontappris percevoir ces actions comme altruistes.Au cours des ans, j'ai souvent entendu des commentaires comme celui-ci: - S' ils manifestent devant notre ambassade et brlent le drapeau amricain. pourquoi ne quittons-nous pas leurfichupays et ne les laissons-nouspas croupir dans leur pauvret? -Bienquelesgens quitiennent detelspropos soient souventdes diplms,doncdesindividusbienduqus,ilsnesaventpasque notreprincipaleraisond'tablirdesambassadesl'trangerest deservirnospropresintrts,cequi,durantlasecondemoitidu )(Xe sicle,voulaitdiredetransformerlarpubliqueamricaineen unempire global.Malgrleurs qualifications, ces gens sont aussipeu duquSquelescolonialistesduXVIIIe sicle,quicroyaientqueles Amrindiensquisebattaientpourdfendreleurterritoiretaientau service dudiable. Dansquelquesmois,jepartiraisdoncpourl'ledeJava,en Indonsie, que l'on dcrivaitl'poque comme lapropritfoncire lapluspeupledelaplante.Cepaystaitaussiunenationmusul-mane ri che en ptrole et unfoyerd'activit commlllliste. - Ceseraleprochaindominotomber aprsleVitnam,medit Claudine.NousdevonsgagnerlesIndonsiens.S'ilssejoignentau bloc communiste, ehbien ... - Ellefitlegeste de se trancher lagorge avecundoigt, en souriant doucement."Disons quevous devrezfour-nirdesprvisions conomiquestrsoptimistes, dcrivantl'essor qui rsulteradelaconstructiondenouvellescentraleslectriqueset de nouvelleslignesdedistribution.Celapermettra USAID et auxban-quesinternationalesdejustifierleursprts.Vousserezbienrcom-pens, videmment, et vous pourrez passer d'autres projets ailleurs. Vous n'en avezpas finidevoyager. Ellepoursuivit en meprvenant quemon rle serait difficile."Les experts des banques s'en prendront vous.C'est leurtravailde trouver en dfaut vosprvisions iilssont payspour a.Celalesfaitbienparatre devousfairemalparatre. ~ 1 8PUMII.RE l'AIITlt:1963-1971 Unjour,jerappelaiClaudinequeJ'quipedeMAINquiserait envoyeJ avacomprendraitdixautreshommeset jeluidemandai s'ilsrecevaienttouslemmeentranementquemoi.Ellem'assura que non. - Ce sont desingnieurs, dit-ell e.Il s conoiventdes centrales lec-triques,deslignesdetransmissionetdedistribution,ainsiquedes ports et des routes pour apporter le carburant. C'est vous quiprdisez l'avenir.Vospronosticsdterminentl'ampleurdessystmesqu' ils conoivent et lemontant desprts quisont allous.Vousvoyezbien que vous jouez unrle-cl. -Chaquefoisqueje quittaissonappartement, jeme demandais si j'tais dans ledroit chemin. Mon cur me disait quenon.Mais j'tais hantpar mes frustrationspasses et MAINsemblait m'offrir tout ce quim'avaitmanqujusque-ldansmavie.Pourtant , jecontinuais me demandersiTomPainem'etapprouv.Finalement,jemedis que,si j'en apprenais davantage par l'exprience,jepourrais ensuite toutdvoiler.Je me rfugiaisdanslavieillejustificationdeceluiK qui avuleschoses de l'intrieur. Quandj'enfispartClaudine,ellemejetaunregardperplexe. - Nesoyezpas ridicule.Unefoisque l' on s'est embarqU.on ne peut plusdbarquer. JecQmpristrsbiencequ'ellevoulaitdireetses paroles me firentpeur.Sorti de chez elle, je descendis Commonwealth Avenue et je m'engageai dans DartmouthStreet en me disant que je n'taispas comme les autres. Quelquesmoisplustard, unaprs-midi ,j'tais assisavecellesur soncanapetnousregardionstomberlaneigesurBeaconStreet. Nousconstituonsunpetitclubexclusif,medit-elle.Noussommes pays, et fort bien,pour escroquer des milliards de dollars divers pays duglobe. Unebonne partie de votretravailconsiste encourager les dirigeants dediverspayss' intgrer unvasterseaupromouvant lesintrts commerciaux destats-Unis.Aubout ducompte, ces diri-geants se retrouvent cribls de dettes, ce qui assure leur loyaut.Nous pouvonsalorsfaireappeleuxn'importequandpournosbesoins politiques,conomiquesoumilitaires.Deleurct.ilsconsolident leur position politique en crantpour leurpeuple des zones industriel-les, descentrales lectriquesetdesaroports.Lespropritaires des C ' r STPOUl! lAVIE .19 Il compagnies amricaines d'ingnierie et de construction s'enrichissent ainsi fabuleusement ,. Cet aprs-midi-l, assis dans le dcor romantique de l'appartement deClaudineetregardanttourbillonnerlaneigel'extrieur,j'ap-pris lesorigines delaprofession que j'allais bientt exercer.Claudine meracontacomment ,danstoutel'histoire.lesempi ress'taient construitsparlaforce ou lamenacemilitaire,Mais, aveclafinde la DeuximeGuerremondiale. l'mergence del'Union sovitiqueet le spectredel'holocaustenuclaire,lasolutionmilitairetaitdevenue trop risque. Lemomentdcisifestsurvenuen1951,quandl'Iranserebella contre une compagnie ptrolire britannique qui exploitait ses ressour-ces naturelles et son peuple. Cette compagnie allait devenir plus tard la British Petroleum, aujourd'hui laBP. Letrs populaire Premier minis-tre iranien Muhammad Mossadegh, dmocratiquement lu (etnomm l' homme de l'anne1951 par lemagazineTime) , ragit en nationali-sant touslescapitauxptroliers,Outrage, [aGrande-Bretagnecher-cha le soutien de son grand alli de laDeuxime Guerremondiale.les tats-Unis.Cependant, les deux pays craignaient que des reprsailles militairesneprovoquent une actionsovitiqueen faveur de l'Iran. Aulieud'envoyer lesmarines.Washington dpchadoncl'agent Kermit Roosevelt (petit-filsde Theodore),de laCIA,Ce dernier uvra brillamment, russissant rallier des gens par des menaces et des pots-de-vin,Illesengagea ensuitepour organiserunesrie d'meutes et de dmonstrations violentes qui crrent l'impression que Mossadegh tait impopulaire et inapte, Finalement , legouvernement futrenvers et Mossadegh fut condamn trois ans de prison,Le shah Muhammad Reza.proamricain , devintledictateurincontest,KermitRoosevelt avait tablilesbases d'unenouvelleprofession, celle quejem'appr-tais exercer 1. LesmanuvresdeRooseveltontchangl'histoireduMoyen-Orienttoutenrendantdsuteslesanciennesstratgiesutilises pourtablirdesempires,Ellesconcidrentaussiavecledbutde certaines expriences d''' actions militaires non nuclaires quifinirent par mener lestats-Unisl'humiliation en Core etauVitnam.En 1968. l'anne o jefusinterviewpar laNSA,il tait devenu vident 20P ltlMltnPARTIr.:1963-197 1 quesilestats-Unisvoulaientraliserleurrved'empireglobal(tel quedfiniparlesprsidentsJ ohnsonetNixon),ilsdevaientutiliser des stratgiescalqUessurlemodledel'interventiondeRoosevelt enIran,C'taitlaseulefaondebattrelesSovietssansrisquerde dclencher uneguerrenuclaire. Ily avait toutefois unproblme.KermitRoosevelt tait un employ de laCIA,Ilavait orchestr lapremire opration amricaine destine renverser un gouvernement tranger, et ily en aurait vraisemblable-ment d'autres, mais ilfall aittrouverune approche quin'impliquerait pas Washington directement. Heureusementpourlesstratges,lesannes 60ontaussivu apparatreunautretypedervolution:l'augmentationdupouvoir descompagniesinternationales etdesorganisationsmultinationales comme laBanque mondialeet leFMI.Ce dernier tait fi nanc princi-palement par lestats-Unis et par ses allis europens constructeurs d'empire.Unerelation symbiotique se dveloppa alors entrelesgou-vernements.[escompagnies et lesorganisations multinationales. Aumoment o jem' inscrivais!'cole decommercedel'univer-sitdeBoston,onavait djtrouvunesolutionauproblmepos parl'appartenancedeRooseveltlaCIA.Lesagencesderensei-gnements amricaines" y compris laNSA, dnicheraient d'ventuels assassinsfinanciers,quiseraientalorsengagspar descompagnies internationales.Ceshommesneseraientpaspays par legouverne-ment, mais pluttpar le secteur priv.Ainsi, leur saletravail.si jamais il tait dcouvert, seraitattribu lacupidit entrepreneurialeplutt qu'lapolitiquegouvernementale.Deplus,lescompagniesquiles engageraient,bienquepayesparlesagencesgouvernementales etleurscontrepartiesbanqUiresinternationales(avecl'argentdes contribuables), seraient l'abride lasurveillanceduCongrs et de la curi osit dupublic,grce desinitiativeslgislatives deplus enplus nombreuses,tellesquelesloissurlesmarquesdecommerce, surle commerce international et surlalibert del'information 2. Vousvoyez,conclutClaudine, noussommes simplementlanou-vellegnrationd'uneminentetraditionqui adbutquandvous tiez lapetitecole . C'l S IPOURlAVIF .21 3 Premire mi ssionl'Indonsie Enplusd'apprendrelesficellesdemanouvellecarrire,jelisais aussidesouvrages surl' Indonsie. Plusvousensaurez sur unpays avant de vousy rendre, plusvotretravailen serafacilit ,m'avait dit Claudine.J 'avaispris ses parolesau srieux. QuandColombaprislameren1492,ilessayaitd'atteindre l'Indonsie, connue alorssouslenomd'lesauxpices.l'poque coloniale,cesterrestaientconsidrescommebeaucouppluspr-cieuses quelesAmriques.Java, avecsesrichestissus, sesclbres pices et ses royaumes opulents,tait lafoisle joyau de la couronne etlascned'affrontementsviolentsentrelesaventuriersespagnols, hollandais, portugais oubritanniques.LesPays-Basen sortirent vain-queurs en 1750, mais,mme si les Hollandais contrlaient Java, il leur fallutencore unsicleet demipour soumettre les lesextrieures. QuandlesJaponais envahirentJ'IndonsiependantlaDeuxime Guerre mondiale, les forces hollandaises opposrent peu de rsistance. Enconsquence, lesIndonsiens.particulirement les Javanais, souf-frirentterriblement.Aprs laredditiondu Japon,unleader charisma-tique dunom deSukarno proclama l'indpendance.Le27 dcembre 1949, aprs quatre ans de combats, lesPays-Basbaissrent leur dra-peauetrendirent sa souverainet unpeuple quin'avait connu que lutteet dominationpendantplusdetroissicles.Sukarno devintle premier prsident de lanouvellerpublique. Gouvernerl' Indonsies'avratoutefoisunetcheplusdi ffi cile quedevaincrelesHollandais.Loind'trehomogne,cetarchipel d'environ17500 lestaitunamalgamedetribalisme,decultures divergentes,denombreuseslanguesetdialectes,etdegroupeseth-niquesnourrissantlesunsenverslesautresuneanimositsculaire. Lesconfl itsytaientaussifrquentsquebrutaux,etSukarnoles rprima.Il suspendit le Parlement en1960 etfut nomm prsident vieen1963.Ilformad'troites alliances avec diversgouvernements communistes, en change d'quipement et d'entranement militaires. IlenvoyaenMalaisie,unpaysvoisin,destroupesarmesparles Sovitiques, dansune tentativepour rpandrelecommunisme dans toute J'Asiedu Sud-Est et gagner l'approbation des leaders socialistes dumonde entier. Uneoppositionseforma ,quifomentauncoupd' taten1965. Sukarnon' chappa lamort quegrceauxastuces desamatresse. Sesofficiersmilitairessuprieursetsesprochesassociseurent moins de chance.Ces vnementsrappelaient ceux d' Iranen1953. Finalement,leparticommunisteenfutjugresponsable,particuli-rementlesfactionsalignessurlaChine.Lorsdesmassacressusci-tsensuitepar l'arme,troiscentmillecinqcentmillepersonnes prirent.Lechef desmilitaires,legnralSuharto, devintprsident en19681 En1971, l'issue de la guerre duVitnamsemblant incertaine, les tats-Unis devinrent encore plus dtermins sduire l'Indonsie pour l'loigner du communisme.Leprsident Nixon avaitamorc leretrait destroupesJ't1969etlesstratgesamricainscommenaient adopteruneperspectiveplusglobale.Lastratgiefutconcentre sur laprventiond'un effet d'entranement par lequel plusieurspays tomberaient l'un aprs l'autre sous ladomination communiste etl' on s' intressaplusparticulirement deuxd'entre eux:l'Indonsie tait le pays-cl.Leprojet d'lectrification de MAIN faisaitpartie d'unplan globalvisantassurer ladomination amricaine en Asie du Sud-Est. Lapolitiquetrangreamricaines'appuyaitsurlaprsomption queSuhartoserviraitWashingtondelammemanirequeleshah d' Iran.Lestats-Unisespraientaussiquel' Indonsieserviraitde modle aux autres pays de largion.Washington basait partiellement PR EMl tREMISSION:t ' l.'>IooNEslf23 sa stratgiesur l' espoirqueles gains effectus enIndonsie auraient des rpercussions positives dans tout le monde islamique, particulire-ment au Moyen-Orient, o la situation tait explosive.Et si cela n'tait pasunincitatifsuffisant ,l'Indonsieavaitduptrole.Personnene connaissaitvraimentl'ampleurnilaqualit desesrserves,maisles sismologues des compagniesptrolires taient enthousiastesquant aupotentiel qu'ellesrecelaient. Plong dans leslivresdelabibliothque del'universitdeBoston, jedevinsdeplusenplusexcitparlesaventuresquim'attendaient. Entravaillantpour MAIN, je me trouverais troquer lerude mode de viedesPeaceCorpscontreuneexistenceplusdouceetattrayante. Letemps pass avec Claudinereprsentait djlaralisation del'un demesfantasmes;loulcelasemblaittrop beaupour trevrai.Mon douloureuxpassagel'coledegaronss' entrouvaitpartiellement compens. Ilsepassaitaussi autrechosedansma vie: Annetmoi ,nousne nous entendionsplus.Elleavaitd deviner quejemenaisune double vie.Jeme disaisquec'taitllaconsquencelogiquedemonres-senti mentenverselleparcequ'ellem'avaitforc aumariage.Mme siellem'avaitsoutenufinancirementetautrementtoutaulongde mon affectation enquateur au seindes Peace Corps, elle perptuait mes yeux ma soumission aux caprices de mes parents.videmment , aveclerecul, je suissr quemarelationavecClaudinefutunfacteur majeur.Jene pouvais en parler Ann,mais ellesentait bien qu'ilse passait quelque chose.Quoi qu'ilen soit , nous avons dcid d' habiter sparment. Unjourde1971,environunesemaineavantmondpartpour J'Indonsie,j'allaichezClaudineet,enarrivant,jevisquelapetite tabledelasallemanger taitcouverte depain e t defromages.Ily avaitaussiunebonnebouteille deBeaujolais.Claudinemeportaun toast. Tuasrussi,medit-elleensouriant.Tuesmaintenantl' undes ntres. Toutefois ellenemesemblaitpas tout faitsincre. Nous avons caus de choses et d'autres pendant environune demi-heure.puis,alorsquenousterminionslabouteille.ell emeregarda d'une faon vraiment inhabituell e.Ct Ne parle jamais de nos rencontres PREMI[ML~.... ItTlr:1 963 - 1971 personne, dit-elled'une voix grave. Je ne te lepardonnerais jamais etjenieraistout. JI Mefixantalors danslesyeux,elleajoutaen riant froidement: JIseraitdangereuxpourta viedeparler denousqui-conque. C'est laseulefoiso jeme suis sentimenac par elle. J 'taisahuri.J emesentaismal.Mais.plustard,enm'enretour-nantauPrudentialCenter, jedusadmettrel' habiletduplan.Nous nenoustionstoujoursvusqu'sonappartement.Notrerelation n'avait laiss aucune trace et personne de chez MAINn'tait impliqu d'aucunefaon.D'une certainemanire, j'apprciais son honntet; ellene m'avai tpas trompcomme mes parents l'avaientfaitau sujet de Tilton et deMiddlebury. PltlMIt!I[ MISSION:L' I NDON{Slf2S 4 Sauver unpaysdu communisme DeJ' Indonsie, ce pays o jevivraispendant les trois prochains mois, j'avaiSunevisionpluttromantique.Dansleslivresquej' avaiscon-sults,j'avaisvudejoliesfemmesvtuesd'unsarongauxcouleurs vives,des danseuses balinaises.des shamans cracheurs de feuet des guerrierspagayantdansunlongcanocreusdansuntronc,sur des eaux couleur d'meraude aupied d'un volcan aucratrefumant. J 'avais tparticulirementimpressionnpar une sri edephotogra-phies montrant les magnifiques galions auxvoilesnoires des clbres piratesbOgis,quisillonnaienttoujourslesmersdel'archipeletqui avaienttellement terroris les premiers marins europens que ceux-ci , revenuschez eux,disaientleursenfants:Si tun'espassage,les BOgisvont venirte chercher! ~Ces images m'mouvaient beaucoup. L'histoireetleslgendesdecepaysabondentenpersonnages dmesurs:dieuxcolriques,dragonsdeKomodo,sultanstribaux; deshistoiresqui ,longtemps avantl'rechrtienne,onttraversles montagnes d'Asie,les dserts dePerse etlaMditerranepour s'im-planter au plus profond de notre psych collective.Les noms mmes de ces les lgendaires-Java, Sumatra, Borno, Sulawesi-sduisaient monimagination.C'taituneterredemysticisme,demytheet de beautrotique ;untrsorqueColombacherch,maisn'ajamais trouv ;uneprincesseconvoite,maisjamaispossde,nipar l'Espagne.nipar laHollande,nipar lePortugal ,nipar le Japon: un rveetunfantasme. J 'avaisd'immensesespoirs.quirefltaientsansdouteceuxdes grandsexplorateurs.CommeColomb,toutefois,j' auraisdOsavoi r modrermesfantasmes.Peut-tre aurais-je d deviner queledestin nes'accomplitpastoujourscommenousleprvoyons.L'Indonsie recelait effectivement des trsors,mais ce n'taitpas lecoffre pana-cesquejem'attendai s d'ytrouver.Enfait,lespremiersjoursque j'aipasss Jakarta, latrpidantecapitale decepays, l't1971, furenttraumatisants. Labeaut tait certes au rendez-vous.Ily avait des femmes magni-fiquesen sarong multicolore, de luxuriants jardins defleurstropicales, de sduisantesdanseusesbalinaises,descyclopoussesavecdejolies images peintes sur lect des siges des passagers, des manoirs colo-niauxhollandais etdesmosquestourelle.Maislavilleavaitaussi unct laid et tragique.Ily avait des lpreux tendant leurs moignons saignants,des jeunesfillesoffrant leur corpspour quelques sous, des cloaques laplace dessplendides canauxhollandais d'autrefois,des taudis de carton abritant des familles entires le long des rives, encom-bres de dtritus, desriviresnoires.untintamarre deklaxons et des fumessuffocantes.S'y ctoyaientlabeautetlalaideur,l'lgance et lavulgarit, le spirituel et leprofane. Tel tait J akarta. o l'enivrant parfum des girofliers en fleurset des orchides se mlait aux miasmes des gouts cielouvert. Ce n'taitpas monpremier contact avec lapauvret.Certains de mescamaradesd'cole,auNewHampshire,neportaientenhiver qu'unminceblouson etdestennislims;sanseauchaudepour se laver,ilsempestaientlasueur scheet lefumier.J 'avaisvcudans les cabanes de boue depaysans andins ne se nourrissant que de pata-tesetdemassch,ounnouveau-navaitautantdechances de mourir que de survivre. J 'avais donc dj vu lapauvret, maisrien de comparable celledeJ akarta. Bien sOr,notre quipe tait loge danslemeilleurhtel delaville, J' IntercontinentalIndonesia.Proprit de Pan American Airways tout commelesautrestablissementsde cettechaneparpillesurtout leglobe,cet htelsatisfaisaitles caprices deriches trangers,particu-lirementlesdirecteursdescompagniesptroliresetleursfamilles. SAUVfRUNPAYSDUCOMMUNISMI27 Lepremiersoir,notre di recteurdeprojet , CharlielIlingworth,nous invitadner dans lechic restaurant dudernier tage. Charlietait unexperten matiredeguerre ; iloccupaitpresque toussestempslibresliredeslivres d'histoireetdesromanshisto-riquesportantsurlesgrandschefsmilitairesetlesbataillesimpor-tantes. Iltait letypeparfait dusoldat desalonpartisan delaguerre duVitnam.CesOir-l,commed'habitude,ilportaitunpantalon kaki et une chemise de lamme coul eur, garnie d'paulettes de style militaire. Aprsnousavoiraccueillis,ils'allumauncigare,puisillevason verre dechampagne en murmurant : labelle vie ! Nousrptmes aprslui,enentrechoquantnosverres:la bellevie! . traverslafumedesoncigare,Charliejetaunregarddansla salle.u Nousseronstrsbientraits ici, dit-ilenhochant latted'un air approbateur. Les Indonsiens vont prendre bien soinde nous.les gens del'ambassade amricaineaussi.Maisn'oubli ons pas quenous avons une mission accomplir. IlIlregarda ses notes, inscrites sur une sriedepetitescartes.Eneffet,noussommesicipourdvelopper unestratgieglobalepourl'lectrificationdeJ ava,laterrelaplus populeuse dumonde. Mais ce n'est lquelapointe de l'iceberg. Il Son visage devintsrieux;il me filpenser George C.Scott dans lerledugnral Patton,l'unde seshros.Noussommes icipour sauver ce pays de l'empri se du communisme, rien de moins. Comme vous le savez, J'Indonsie a une longue et tragique histoire. Maintenant , alors qu'ell e s'apprte entrer dans leXXe sicle, elleest encoreune foisprouve.Nous avons laresponsabilit de nous assurer qu'ellene suivepas lestraces de ses voisins duNord, leVitnam, leCambodge et leLaos.UnsystmelectriqueintgrestJ'lment-cldenotre succs.Voilcequi , beaucoupplus quen'importequelautrefacteur l'exceptionpeut-treduptrole,assuralergne ducapitalismeet de ladmocratie. Parlant duptrole, dit-ilen tirantuneautrebouffede son cigare et en tournant ses cartes de notes, nous savons tous quelpoint notre proprepaysenestdpendant.L'Indonsiepeutconstituerunpuis-santallicetgard.Parconsquent , alorsquevousdvelopperez 28PIUMlt RE PARTIr.:1963- 1971 cettestratgieglobale,veuillez fairelemaximumpourvousassurer quel'industrieptrolireettouteslesautresquiladesservent - les ports,lespipelines,lescompagniesdeconstruction-obtiendront toutel'lectricitdontell esaurontbesoinpendanttouteladurede ceplan de vingt-cinqans. Il Illevales yeux et me regarda.Mieuxvaut fairel'erreur d' une sur-valuationquelecontraire.Vousne voulez certainement pas avoirles mains souilles dusang des enfants indonsiens ou des ntres. Vous nevoulezcertainementpas qu'ilsvivent sous lafaucilleetlemarteau ou sous ledrapeau rouge delaChine!. Cesoir-l,alorsquejereposaisdansmonlit ,bienenscurit danscettesuitedepremireclassed'unhteldeluxedominantla vi lle,levisagedeClaudines'imposa moi.Sesdiscourssurladette trangremehantaient.J 'essayaidemerassurerenmerappelant lesleonsdemescoursdemacroconomieItcoledecommerce. Aprs tout, me diS-je, je suis icipour aider l' Indonsie se sortir d'une conomiemdivaleet prendresaplacedanslemondeindustriel moderne.Maisjesavais qu'aumatin, enregardantpar lafentre,je verrais, au-del de l'opulence des jardins et des piscines de l'htel, les taudisquis'tendaientsurdeskilomtres.Jesavaisquedesbbs ymouraientparmanquedenourritureetd'eaupotable,etqueles enfants comme lesadultesy vivaientdans deterribles conditions et y souffraient d'horriblesmaladies. Dansmoninsomnie,ilm'taitimpossibledenierqueCharlieet tousles autresmembres denotre quipe taienticipourdesraisons gostes.Nous promouvions les intrts delapolitiquetrangre des tats-Unisetdescompagniesamricaines.Noustionsanimspar lacupiditpluttqueparledsird'amliorerlaviedelamajorit desIndonsiens.Unmotmevintl'esprit :corporatocratie.J ene savaispas sije l'avais dj entendu ou sije venais deInventer, mais je trouvais qu'ildcrivait parfaitement la nouvelle lite qui avait dcid de dominer laplante. C'tait une fraternittrsunie de quelques hommes auxbuts com-muns, et dontles membrespassaientfacilement desconseils d'admi-nistrationdecompagniesdespostesgouvernementaux.J eme rendis compte queRobertMcNamara, alorsprsidentdelaBanque SAU'It kUNPAYSOUCOM MUNISM(29 mondiale, en taitl'exempleparfait.Iltaitpassdupostedeprsi-dent de FordMotor Company celuidesecrtaire laDfense sous les prsidences de Kennedy et de Johnson,et il occupait maintenant leposteleplusimportantdelapluspuissanteinstitutionfinancire dumonde. Jemerendiscompteaussiquemesprofesseursd' universit n'avaient pas compris lavritable nature de la macroconomie.Dans plusieurscas,aiderlacroissanceconomiquedunpaysnefait qu'enrichir les quelquespersonnes setrouvant ausommet de lapyra-mide,toutenappauvrissantdavantageceuxquisetrouventaubas. En effet , lapromotionducapitalisme asouventpourrsultatunsys-tme quiressemble auxsocits fodalesduMoyen-ge.Simes pro-fesseurslesavaient,ilsne l'avaient pas avou, sans douteparce que lesgrandescompagniesetceuxquilesdirigentsubventionnentles universits. Dvoiler lavritleur aurait faitsans aucun douteperdre leur emploi , tout comme moi. Cespensescontinurenttroublermonsommeilpendanttout monsjour l'htelInterContinental.Finalement, ma principalejus-tificationfuttrspersonnelle : j'avaiSrussisortirdemonvillage duNewHampshireetdel'coleprive,etchapperauservice militaire.Parunesriedeconcidencesainsiqueparmespropres efforts,jem'taistaillunebelleplacedanslavie.Jemeconfortais aussienmedisant que jefaisaisce qu'i!fallaitfairedanslecontexte demaculture.J'tais en voiededevenirunconomisteprospreet respect.Jefaisaiscequel'coledecommercem'avaitprpar faire. Je contri buaisau dveloppement d'unmodlesanctionnpar lesplusgrands esprits des meilleurs groupes derflexiondu monde. Nanmoins, je devais souvent me consoler au milieudelanuit par lapromessequ'unjourjedvoileraislavrit. JepalVenaisensuite m'endormiren lisantlesromans deLouisL'Amour sur lesbandits arms duFarWest. 3 0 l'ART IE:1963-1971 5 J'aivendumon me NotrequipedeonzehommespassasixjoursJakarta,aucours desquelsnousnoussommesenregistrsl'ambassadeamricaine, avonsrencontrdiverspersonnagesofficiels,organisnotresjour et. ..trouvletemps de nousprlasser autour delapiscine del'htel. J 'tais tonn dugrandnombre d'Amricains quilogeaient l'Inter-Continental.J'avaisduplaisirobselVerlesbellesjeunesfemmes, pousesdesdirecteurs decompagniesptrolireset deconstruction amricaines, quipassaient leurs journes lapiscineetleurs soires dans l'un desrestaurants hupps de l'hteloudesenvirons. Charlie emmena l'quipe dans la villede montagne deBandung.Il y rgnait unclimatplusdouxqu' Jakarta,lapauvret y taitmoins visibleet les distractions y taient moins nombreuses.On nous fournit unemaisondepensiongouvernementaleappeleWisma,compor-tantlesselVicesd'unegrante, d'uncuisinier, d'unjardinier etd'une quipede domestiques.Ils'agissaitd'unrefugeconstruitpendantla priode coloniale hollandaise.De la spacieuse vranda,on voyait des plantationsdeths'tendantdanslescollinesetsurlesflancsdes volcansde Java.Enplusdulogement , onnousfournitonzevhicu-lestout-terrainToyota,avecchauffeuretinterprte.Enfin,onnous donnadescartesdemembres duclubslectdegolfetdetennisde Bandung,puis onnous logea dansune suitedebureaux de lasuccur-salelocaledelaPerusahaanUmumlistrikNegara(PLN),lacompa-gniedeselViceslectriques publics grepar legouvernement. Aucoursdespremiersjours,ilmefallutrencontrerquelques reprisesCharlieetHowardParker.Charlie,unseptuagnaire,tait l' ex-chef pronostiqueur de charge du New England Electronic System. Son travailconsistaitprvoir laquantitd'nergie et lacapacit de production(lacharge)dontauraitbesoinl'ledeJ avaaucoursdes vingt-cinqannes suivantes, ainsi qu'intgrer ces donnes dans les pronosticsmunicipauxetrgionaux.Puisquelademanded'lectri-citesttroitementlielacroissanceconomique,sespronostics dpendaientdemesprojections conomiques.Lerestedel'quipe dvelopperai t lastratgie globale enfonctionde ces pronostics,loca-lisantet concevant les centrales lectriques,leslignes detransmission et de distributionainsique lessystmes detransport decombustibles demanire sati sfaire leplus efficacement possible nos projections. Lors de nos rencontres, Charlie ne cessa d'insister sur l'importance de monrle,me disant plusieurs reprisesquemespronostics devaient absolument tre trs optimistes. Claudine avaitraison : j'occupais une positiond dans cette stratgie. Pendantlespremiressemaines,il s'agit derecueillir des donnes 11, m'expliqua Charlie. Noustionsassis,lui ,Howardetmoi,surdegrosseschaisesde rotindanssonluxueuxbureaupriv.Lesmurstaientdcorsde batiksill ustrantdespassagesduRmayana ,untrsvieuxpome pique sanscrit.Charli efumait unnorme cigare. c Lesingnieurs vonttracer untableau dtailldusystmelectri-queactuel ainsiquedescapacitsportuaires,routiresetferroviai-res. \1 pointasoncigareversmoi.tt Tudevras agirrapidement.Ds lafindupremiermois,Howardaurabesoind'avoirunetrsbonne ide del'ampleur des miracles conomiques quiseprodui ront quand lenouveaurseauserainstall.lafindudeuximemois,ilaura besoin de dtails spcifiques sur lesrgions.Pendant ledernier mois, on s'occupera decombler les vides.Ce sera crucial.Nous y mettrons ensembletousnos efforts.Ainsi,ilfautqu'enrepartantnous soyons absolument certains de possder toute l'information dont nous aurons besoin.J eveuxquenousrentrionsaupayspour l'Actiondegrces. Nousne reviendronspas ici. Bienqu'ileOt l'air d'ungentilgrand-pre, Howardtait en ralit unvieilhomme amer quiconsidrait que lavie avait t injuste son 32PR[MI (WlPAW lll:1 963-1971 endroit.Iln'avaitjamaisatteintlesommetdelahirarchieduNew England Electric System etilen nourrissait du ressentiment.On m'a cartparce quej'avaisrefusd'entrinerlaligne deconduitedela compagnie ,m'a-t-ilrptsouvent.Onl'avaitforcprendresa retraite.Nepouvant supporter derester lamaison avec son pouse, ilavaitacceptunemploideconsultantMAIN.Ilentaitsa deuxime mission, et autantEinar que Charlie m'avaientprvenu de memfier delui car c'tait , disaient-ils,unhomme entt, mesquin et vindicatif JO . Ils'avratoutefois queHowardfutl'un de mes plussagesprofes-seurs,bien que je nefussenullementprt l'admettre cemoment-l.Iln'avaitjamaisbnficidugenred'entranement queClaudine m'avait dispens.Je prsume qu'onleconsidrait comme trop vieux ou peut-tre trop ttu.Oupeut-tre ne devait-il jouer qu'unrletem-poraire en attendant que l'on dniche unpermanent plus docile.Quoi qu'il en soit, il tait problmatique pour eux.Ilvoyait trs clairement la situation et refusait d'tre unpion.Tousles adjectifs utilisspar Einar etCharliepourledcriretaientappropris,maissonenttement taitdOaumoinspartiellementsavolontdenepasleurobir servilement.Jedoutequ'ilaitjamaisentendul'expressionassassin financier ,maisilsavaittrsbienqu'ilsdsiraientl'utiliserpourpro-mouvoir uneformed'imprialisme qu'ilne pouvait accepter. Aprs rune de nos rencontres avec Charlie. ilme pri t part.Ilpor-tait un appareilauditifetilen rglalevolume aumoyendelapetite boteplace sous sa chemise. cCeci doitrester entrenous- , medit-ilvoixbasse.Deboutprs delafentre du bureau que nous partagions, nousregardions lecanal stagnant quiserpentait prs de l'difice de laPLN.Une jeune femme sebaignaitdansceseauxinfectes,vtueuniquementd'unsarong lchement enroul autour de son corps,pour conselVerun semblant de pudeur.Ils vont tenter de te convaincre que l'conomie de ce pays vamonterenflche ,medit-il.Charlieestimpitoyable.Netelaisse pas avoir par eux. Ses paroles me bouleversrent , mais, en mme temps,ellesm'in-citrentlecontredire.Macarrirenedpendait-ellepasdemon obissance mes patrons deMAIN? J'AI\ ' ~ - ' : D UMON"'Ml33 BiensOrque l'conomie vagrimper, d i s ~ j een regardant la jeune femmequisebaignait dans lecanal.C'est invitable . Ilmurmura alors, toutfaitindiffrent lascne quise droulait sous nos yeux:Donc,tuas djachet leur salade! 11Unmouvementattirasoudainmonattentionsurlecanal.Un vieillard tait descendu de laberge, avait enlev son pantalon et s'tait accroupidansJ'eaupourrpondre\' appeldelanature.la jeune femme l'aperut,mais ellen'en fitaucun cas et continua se baigner. Je tournai ledos lafentreet fixaiHoward dans lesyeux. . J 'aifaitduchemin,luidis-je.Je saisquejesuisjeune,maisje viens de passer trois ans en Amrique du Sud. J 'aivu ce qui se produit quand on dcouvre duptrole.Lasituationchangerapidement. . Oh!moi aussi,j'aifaitdu chemin,rpliqua-t-il d'un ton moqueur. Pendantdenombreusesannes.J evaistedireunechose,jeune homme.J emefouscompltementdevosdcouvertesptrolires et detoutlereste.J 'aipronostiqulescharges d'lectricitpendant toute ma vie: la dpression des annes 30, laDeuxime Guerre mon-diale,despriodesdeprospritcomme despriodesdecrise.J'ai vules effets qu'aeus sur Boston laroute128, ce prtendu miracle du Massachusetts.Etjepeux direquejamaisunecharge lectriquen'a connuunaccroissementsoutenudeplusde7 $ 9 $ enunan.Et a, c 'tait dans le meilleur des cas.Plus couramment, l'accroissement tait de 6 $. 11Je leregardai en me disant qu'ilavaitpeut-tre raison , mais j' tais sur ladfensive. Jedevaistenter deleconvaincre qu'ilavaittort, car mapropre conscience avaitgrandement besoin d'une justifi cation. Howard, l'Indonsien'est pasBoston.Jusqu'maintenant , dans cepays,personnenepouvaitavoirdel'lectricit.Lasituationest trs diffrente. Ilmetournaledos enfaisantungeste delamainquim'envoyait au diable.Vas-y, grogna-t-il, vends ton me. Je me fichede ce que tu inventeras. ]]tiralachaise de sonbureau et s'y laissachoir.J evais basermespronosticsd'lectricitsurcequejecroisetnonsurune tudeconomiquefantaisi ste. Ilprit alorssoncrayonetcommena griffonner sur unbloc-notes. 34PIIlMrtllll'Allrrl: 1963-1971 Nepouvantignorerledfiqu' ilvenaitdemelancer,j'allaime planter devant sonbureau. Vousaurezl'airbienstupidesijeprdis ce quoitout lemonde s'attend, c'est--direunboom de J'ampleur de celuiquifutcauspar larueversl' orenCalifornie,etquevouspronostiquezunecrois-sancelectriqued'untauxcomparableceluideBostondansles annes 60 . Illaissatombersoncrayonetmefixa . Sans scrupules!Voilce quevoustes! .Dsignantd'ungestevaguelesautresbureauxse trouvantdansl'difice,ils'cria: Vousaveztousvenduvotreme au diable.Seull'argentvousintresse .Puis,feignantunsourire,il mitlamain sous sa chemise etmedit:Je fermemon appareil et je continue travailler. li Extrmement choqu,jesortisrapidement de ce bureaupour me diriger vers celui de Charlie. Je m 'arrtai toutefois mi-chemin,incer-tain de ce que j'allaiS faire.Je me retournai et descendisplutt l'esca-lier pour aller dehors, dans lalumire de l'aprs-midi.La jeune femme sortait ducanal , enserre dans sonsarong.Levieillardavait disparu. Quelques jeunesgaronsjouaient dansl'eau, criantets'arrosantles uns les autres,Une femme d'ge moyen, dans l'eau jusqu'aux genoux, sebrossait les dents tandis qu'uneautre lavaitdes vtements. J 'avaisunebouledanslagorge.Jem'assis surunblocdebton endommag, en essayant d' ignorer l'odeur ftide du canal. J 'avais du mal rprimer mes larmes. J 'essayai de comprendre pourquoi j'tais si malheureux. .SeulJ'argentvousintresse . Cesmots deHowardrsonnaient sans cesse dans ma tte.11 m'avaitpiqu auvif. Lesgaronnetscontinuaients'aspergerenpoussantdescris joyeux. Jemedemandaiscequejedevaisfaire.Quememanquait-ilpourdeveniraussiinsouciantsqu'eux?Cettequestionmehantait tandisquejelesregardaiSs'amuser entouteinnocence,apparem-ment inconscients durisque qu'ils prenaient ainsien jouant dans l'eau pollue.Unvieillardbossu s'appuyant sur une canne noueuse s'avan-aitenboitillantsurlabergesurplombantlecanal.Ils'arrtapour regarder lesgaronnets, levisagefendupar unsourire dent. J'ArVlNDUMONAME35 Peut-tre que sije me confiais Howard, nous trouverions ensem-bleune solution.Je me sentisimmdiatementsoulag.Jelanaiun cailloudanslecanal.Moneuphoriedisparuttoutefoisaussirapide-ment que les ondulations de l'eau. Je ne pouvais pas fairea.Howard tait vieuxet aigri.Ilavaitdjlaisspasser des occasions d'avance-ment.Ilne cderait pas. Moi , j'tais jeune, je dbutais, et je ne voulais certainement pasfinircomme lui. Plongeantmonregarddansl'eau dececanalputride,jerevisen pense l'cole prive duNew Hampshi reo j'avais pass mes vacan-cespendantquelesautresgaronsallaientleurbaldedbutants. Ladureralits'imposapeupeumonesprit :jenepouvaisme confier personne. Ce soir-l, dansmonlit, jepensailonguement tous les gens qui faisaientpartiedema vie- Howard,Charlie,Claudine,Ann,Einar, l'oncleFrank -, enmedemandantcequeseraitmonexistencesi jenelesavaisjamaisrencontrs.Ovivrais-je?SOrementpasen Indonsie. Je m' interrogeai aussisur mon avenir.Je soupesai ladci-sion qu'ilmefallaitprendre. Charlie avaitt trs clair:il s'attendait que Howard et moiluifournissionsuntauxdecroissance d 'au moins 17 $ par an.Quel genre de pronostic allaiS-jeproduire? Ilme vintsoudainunepense quimerconforta.Maispourquoi doncnem'entais-jepasrenducompteplustt ?Ladcisionne m'appartenait pas.Howardm'avait dit qu'ilferaitce qu' ilconsidrait comme correct, quelles que soient mes conclusions. J e satisferais mes patrons enleurprsentantunpronosticconomiqueoptimisteetil prendraitsapropredcisiondesonct;montravailn'affecterait aucunementlastratgieglobale.Toutlemondesoulignaitl'impor-tancedemonrle,maisilsavaienttort.Soulagd'unnormefar-deau, jesombraidans un sommeilprofond. Quelquesjoursplustard,Howardfutatteintd'unemaladieami-bienneettransportl'hpitaldesmissionnairescatholiques.Le mdecinluiprescrivit des mdicaments et luirecommandafortement deretourneraussittauxtats-Unis.Howardnousassuraqu' ilpos-sdaitdjtouteslesdonnesdontilavaitbesoinetqu' ilpourrait facilementcomplter sonpronosticde chargeBoston.Ilme quitta en me ritrant son avertissement prcdent. 36 !' ARTll:1963-1971 Inutiledegonflerleschiffres,medit-il.J eneparticiperaipas cettesupercherie,quoiquevousdisiezsurlesmiraclesdelacrois-sance conomique! 37 l, ; 1i ,1~ DEUXIMEPARTIE 1971-1975 \ 6 Monrle d'inqui siteur Selon nos contrats avec legouvernement indonsien, la Banque asia-tique de dveloppement et USAID,un membre de notre quipe devait allervisitertouteslesimportantesagglomrationsdelargionqui seraienttouchespar lastratgieglobale.C'estmoiquifusdsign pour cette tche. Charlie me dit : "Tu as survcu ['Amazonie ; tu sais comment chapper auxinsectes, auxserpents et ['eau pollue. En compagnie d'un chauffeur et d'un interprte, jevisitaiplusieurs endroitsmagnifiquesetlogeaidans desmaisons plutt lugubres.J 'ai rencontrdesdirigeantspolitiquesetcommerciaux,etrecueillileur opinionsurleschancesdecroissanceconomique.Ilssemblaient toutefois intimidspar maprsenceetrticents partager cesinfor-mationsavecmoi.Invariablement,ilsmedisaientquejedevraisles vrifierauprsdeleurspatrons,desagencesgouvernementalesou des siges sociaux, Jakarta. J'avais parfois l'impression qu'il existait une conspirationcontremoi. Cesvoyages taienthabituellement trsbrefs,ne durantpasplus dedeuxoutroisjours.Entre-temps,jeretournaislaWismade Bandung.Lagranteavaitunfilsunpeuplusjeunequemoi ,qui s'appelaitRasmon,maisquetoutlemondesaufsamreappelait Rasy. Comme iltudiait J'conomie dans une universitlocale, ils' in-tressaimmdiatementmontravail.Enfait , jecroyais qu' ilfinirait parmedemanderunemploi.Ilentrepritdem'enseignerlebahasa indonsien. La plus grandepriorit du prsident Sukarno aprs que l'Indonsie eutobtenusonindpendancedelaHollandefutlacrationd' une languefacileapprendre.On parle environtrois cent cinquantelan-gues et dialectes dans tout l'archipel et Sukarno comprit que son pays avait besoin d'une langue commune afin que les gens de toutes les les et de touteslesculturespuissent communiquer facilemententreeux. Ilrecrutadoncunequipeinternationaledelinguistes,etlebahasa indonsienfutl'heureuxrsultat deleurtravail.Bassur lemalais,il viteplusieurs changements de temps, lesverbesirrguliers et diver-ses autres complications quicaractrisent laplupart des langues.Ds ledbutdesannes70,lamajoritdesIndonsienslepariait,tout encontinuantutilisercourammentlejavanaisetd'autresdialectes locauxdansleurscommunauts.Rasytaitunexcellentprofesseur, plein d'humour, et, comparativement au shuar ou mme l'espagnol , lebahasa indonsien tait facileapprendre. Comme ilpossdait un scooter, ildcida de l'utiliserpour me faire connatresavilleetsonpeuple.- J evaistemontrerunaspectde l'Indonsiequetun'asjamais vu ll,mepromit-ilunsoirenm'exhor-tant m'asseoir derrireluisur sonmotocycle. Nouspassmesdevantdesspectaclesd'ombreschinoises,des musiciensjouant des instrumentstraditionnels, descracheurs de feu, des jongleurs, et des vendeurs de rue offrant unventail de marchan-dises inimaginable, allant des cassettes amricaines de contrebande deraresartefactsindignes.Finalement,nousnoussommes arrts dansunpetitcafdontlesjeunesclients,tousindonsiens,taient vtuset coiffscomme lesspectateurs des concerts desBeatles dans les annes 60.Rasymeprsenta ungroupe d'amis installs autour d' une tableetnous nous sommes assisavec eux. Tous pariaient l'anglaisplus ou moins bien, mais ilsm'encourag-rent dans mes efforts pour communiquer aveceuxen bahasa.Ils me demandrent pourquoi les Amricains n'apprenaient pas leur langue. Je ne susquerpondre.J enepouvais leur expliquer nonpluspour-quoi j'taisleseulAmricain, voireleseulOccidental.prsentdans cette partie delaville, alors qu' ils'en trouvait plusieurs au club de golf etdetennis, danslesrestaurantshupps,danslescinmaset dans lessupermarchs. 4 2Oluxlt .l.n~ " I ( T l r:1971 -1975 Jen'oublieraijamaiscettesoire,oRasyetses amismetrait-rentcomme l'un desleurs.Partagerleur nourritureetleurmusique, sentir l'odeur de girofle deleurs cigarettes ainsi que les autres armes quileurtaientcoutumiers,blagueretrireaveceux.celamerendit euphorique.C'taitexactement comme danslesPeaceCorps etje medemandaipourquoij'avaisprfrvoyagerenpremireclasse, spar de ces gens-l.Alors quela soire avanait, ilss'intressrent davantage mes opinions surleurpays et sur laguerre quefaisaitle mien au Vitnam.Chacun d'eux taithorrifipar ce qu'ilsappelaient uneinvasionillgaleetilsfurentsoulagsd'apprendrequejepar-tageais leur sentiment. Quandnousretournmeslapension,iltaittrstardet toutes les lumires y taient teintes. Je remerciai vivementRasy de m'avoir invitdans sonmonde et ilme remercia de m'tre ouvert ses amis. Aprs nous trepromis de rcidiver,nousnous donnmes l'accolade et nous dirigemes versnos chambres respectives. CetteescapadeencompagniedeRasymedonnalegotde passerdsormaisplusdetempsloindel'quipedeMAIN.Lelen-demainmatin.aucoursd' unerencontreavecCharlie, jeluidisque j'avaisbeaucoupdedifficultsobtenirdesinformationsdesgens deJ'endroit.Deplus,laplupartdesstatistiquesdontj'avaisbesoin pourtablirmespronosticsconomiques,jenepourraislestrouver qu'aux bureaux gouvernementaux de Jakarta. Nous nousmmes donc d'accord sur lefait qu' ilme faudrait allerpasser une semaineou deux dans lacapitale. Comme je semblais rpugner quitter Bandung pour ce sjour dans latrpidantemtropole,ilm'exprimasasympathie.Secrtement , cependant,j'taistrsheureuxd'avoirJ'occasiond'explorer Jakarta tout seulet derester au chic htellnlerContinental lndonesia.Rendu danslacapitale,toutefois, jem'aperusquejevoyaismaintenantla vie diffremment.La soire passe avecRasy et ses jeunes amis, tout commemesvoyagestraverslepays,avaitchangmaperception. Jevoyaismescompatriotessousunautrejour.Jenetrouvaisplus aussibelleslesjeunespouses deshommesdaffaires.Laclture de chane autour delapiscine de l' htel et lesbarreaux d'acier aux fen-tresdurez-de-chausse.quej'avaispeineremarqusauparavant . M ONR6uO'INQUISI H UI!43 mesemblaientmaintenantmenaants.Mmelanourrituredesl-gants restaurants de l'tablissementme semblaitinsipide. Je remarquaiaussiautre chose.Aucours de mes rencontres avec les di rigeants politiques et lesprsidents de compagnies, je pris cons-cience de la subtilit avec laquelle ils me traitaient. Je ne m'en tais pas aperu auparavant, mais maintenant je voyais bien que plusieurs d' en-tre eux n'aimaient vraiment pas ma prsence.Par exemple, quand ils meprsentaient l'un d'eux, ilsutilisaientsouvent des termes baha-sasqui , d'aprsmondictionnaire,signifiaient. inquisiteuret inter-rogateur . J eleurcachaisvolontairementmaconnaissancedeleur langue ; mmemoninterprte croyait quejenesavais que quelques phrases types.Je m'tais procur un bon dictionnaire bahasa/anglais, que je consultais d'ailleurs souvent aprs cesrencontres. Cesappellationsn'taient-ellesquedesconcidenceslangagi-res?Oubieninterprtais-jemalmon dictionnaire?J'essayaideme convaincre que c'taitle cas.Pourtant,plus je passais de temps avec ceshommes,plusj'taispersuadquej'taisunintrusavecquiils avaient reu l'ordre de cooprer et qu' ilsn'avaient pas lechoix.J e ne savais pas sicet ordre tait venu d'un ministre du gouvernement , d'un banquier, d'un gnralou de l'ambassadeamri caine. Je savais seule-mentque,mme s'ilsm'invitaient dansleursbureaux, m'offraient du th, rpondaient poliment mes questions et semblaient tre heureux demaprsence,larsignation etlarancur leshabitaient. En consquence, je me mis douter de leurs rponses mes ques-tions et de lavaliditdes donnes qu'ilsmefournissaient.Par exem-ple,jamaisjenepouvaismerendresimplementunbureauavec mon interprte pour y rencontrer quelqu' un.Ilfallaitd'abordfixer un rendez-vous.Celan'avaitrienensoid' inusit,saufquec'taitune normepertedetemps.Commelestlphones fonctionnaienttrs mal ,nousdevionsnousdplacertraversdesembouteillagesdans unrseau devoies si compliqu qu'ilfallaituneheure pour se rendre quelquesrues plus loin.Rendus l,nous devions remplir plusieurs for-mulaires.Finalement,unsecrtairearborantleclbresourirecour-toisdes Javanais venaitm'interrogersurlegenre d'informationque je dsirais,puis il fixaitladate durendez-vous. 44D W XltM[PARTIE :1971-197S Ce rendez-vous tait toujourstablipourplusieurs jours plustard, et quand larencontre avaitfinalementlieu, on meremettait une che-misede documents.Les industriesmefournissaientleursplans quin-quennauxoudcennaux,lesbanquesprsentaientdestableauxet desgraphiques, etlegouvernement ,lalistedesprojetssurlepOint dequitterlesplanchesdessinpourdevenirdesmoteursdecrois-sance conomique.Toute cette information fourniepar les capitaines d' industrieetlegouvernement , ainsiquecell equimefuttransmise de vivevoix, indiquait que Java connatrait un essor conomique sans prcdent.Personne, absolument personne, nemettait en doute cette prmisse nine m'ajamais fourniaucuneinformationngative. Alors que je m'en retournais Bandung, je m' interrogeai toutefois surtoutesces expriencescar ily avaitlquelquechose deprofon-dmenttroublant.JecomprisquetoutesmesactivitsenIndonsie relevaientplusdujeuquedelaralit.C'taitcommeunepartie depoker.Nouscachionsbiennotrejeu.Nousnenousfaisionspas mutuellement confianceninecomptions sur lafiabilitdel'informa-tion quenous partagions.Pourtant, il s'agissait d'un jeu extrmement srieux, dontl'issue aurait des consquences sur laviede millionsde personnes pendant des dcennies. M ON 4S 7 la civilisation en jugement Je t'emmne voirun datong, me ditRasy.Ily enaun trs granden villecesoir.Lesdalangssontlesclbresmatresmarionnettistes indonsiens.Mon jeune ami tait manifestement heureux que je sois revenu Bandung. Sursonscooter,nous avonstraversdes secteursdelavillequi m'taienttotalementinconnus,desquartiersremplisdecesjolies maisonstraditionnellesjavanaisesappeleskampong,quimesem-blaientuneversionpauvredespetitstemples autoitdetuiles.Iln'y avaitlaucunetracedesmajestueuxmanoirscoloniauxhollandais nidesimmeublesbureauxquejem' taishabituvoirpartout. Manifestement,cesgenstaientpauvres,maisilssemblaientfiers d'eux-mmes.Ilsportaient des sarongs de batik lims, maispropres, desblouses de couleurs vives et des chapeaux de palle largebord. NousfOmesaccueillispartoutpardesriresetdessourires.Quand nousnousarrtmes,desenfantss' empressrentdetouchermes jeans.Unefillettepiqua unefleurde frangipanier dansmes cheveux. Nousavonsranglescooterprsdutrottoird' unthtreo s'taientrassemblesquelquescentainesdepersonnes,certaines debout , d'autresassisessur deschaisesportables.Ilfaisaituntemps superbe.Mme sinous nous trouvions au cur duplusvieuxsecteur deBandung,iln'yavaitpasdelampadairesetnousvoyionsdonc parfaitementbrillerlestoiles.L'airtaitremplid'uneodeur de feu de bois.d'arachides et de giroflier. Ray disparutdanslafouleetrevntbienttavecplusieursde ses jeunes amis que j'avais prcdemment rencontrs au caf.Ils m'offri-rent du th chaud,des petits gteaux et dusate, des petits morceaux de viande cuits dans l'huile d'arachide.J 'ai sans doutehsitunpeu avantd'acceptercederniermets,carl'unedesfemmesmediten riant,undoigtpointverslefeu:Viandetrsfrache.Onvientde la cuire. Puislamusiquecommena.Jefussduitpar lesonmagiquedu gamalong,uninstrument quivoqueles cloches des temples. " Ledalangjouetoutelamusiquelui-mme,murmuraRasy.Il actionne aussilesmarionnettes et lesfaitparler enplusieurs langues. Nous tetraduirons leursparoles. Cefutunspectacleremarquable,combinantdeslgendestradi-ti onnellesavecdesvnementsactuels.J 'apprisplustardqueJe da longestunshamanquitravailleentatdetranse.Ilavaitplus d'une centaine de marionnettes,pour chacune desquelles ilemprun-tai!unevoixdiffrente.Jamais jen'oubli eraicettesoire,l'unedes plusmarquantes dema vie. Aprsavoirmisenscnequelquespassagesclassiquesdu Ramayana ,ledalangexhibaunemarionnettedeRi chardNixon, trsressemblanteavecsonlongnezcaractristiqueetsesbajoues pendantes.LeprsidentamricaintaitvtuenOncleSam,avec saetsonhaut-de-formedcordelabanniretoile. Iltaitaccompagnd'uneautremarionnette,encostumeray,qui portait d'une main un seau dcor du symbole du dollar, et , de l'autre, faisaitflotterun drapeau amricain au-dessus de latte de Nixon, la manire d'unesclave ventant sonmatre. Unecarte duMoyen-Orientetdel'Extrme-Orientapparutalors derrirelesdeuxpersonnages,aveclesdiverspays suspendus des crochets, dans leurposition respective.Nixons'approcha aussitt de lacarte, enleva leVitnam de son crochet et lefourradans sa bouche. Ilcria quelque chose quimefuttraduitainsi: C'est dgueulasse!Un dchet!Onn'apasbesoinde a! Puisillejetadansleseau etse livraau mmemange avec lesautres pays. Je fustonn devoirquelespays dominosdeJ'AsieduSud-Est nefaisaientpaspartie de sescaptures suivantes.Ilapluttpristous L A lNIUClMENl4 7 lespays duMoyen-Orient;laPalestine,leKowet , l'Arabie saoudite, l' Irak, laSyrieetl'Iran.Ensuite, ilaprislePakistanetl'Afghanistan. Chaque fois, lamarionnettecriaitunepithte avant de jeter lepays dansleseau,et,chaquefois,sespropostaientantHslamiques: Chiensdemusulmans!,MonstresdeMahomet!, Dmonsisla-miques! . Lafouleest devenuetrsexcite.Latensionaugmentaitchaque foisqu'un pays seretrouvait dans le seau.Lesspectateurs semblaient partagsentrelerire,l'indignationet larage.Parfois,jelessentais offenssparlelangagedumarionnettiste.J 'taisgalementmal l'aise.Plusgrandquetoutlemonde,j'taistrsvisibledanscette fouleet jecraignais qu'ellenereportesa colre sur moLPuisNixon ditquelquechose quimecausa despicotements dans lecuir chevelu quandRasymeletraduisit. Donnezcelui-cilaBanquemondiale.Allonsvoirsil'onpeut faireunpeud'argentavecl'Indonsie. H arrachal'Indonsiedela carte et ils'apprtait lajeter dansleseau quandune autremarion-nette surgit soudain de lapnombre.Ellereprsentait unIndonsien, vtu d'une chemise de batik et d'unpantalon kaki , et portant uncri-teau sur lequelsonnomtait inscrittrs clairement. C'est unpoliticienpopulaire deBandung, m'expliqua Rasy. LamarionnetteseprcipitaentreNixonetl'hommeauseau,et levalamain. Arrtez!cria-t-il.L'Indonsieestunpays souverain. Lafouleapplaudittrsfort.L'homme au seaulevaalorsson dra-peauetleprojetacommeunelancesurl'Indonsien,quichancela etconnutunemortaffreuse.Lesspectateurssemirentrugiren brandissant lepoing.Nixonet ['homme au seau nousregardaient.Ils s'inclinrent et sortirent descne. Jecrois que je devraism'en aller,diS-jeRasy. M'entourantl'pauled'unemainprotectrice,ilmedit:ava. Ilsnet'en veulentpaspersonnellement. Je n'en tais pas aussicer-tain. Plustard,nousnous sommes tousrendus aucaf, oRasyetses amism'assurrentqu' ilsnesavaientpasl'avancequeledQIQng 48D lUXlhHPA RTI[: 1971-197 5 feraitcetteparodiedeNixon.Onnesaitjamaisquois'attendre aveccemarionnettiste, meditJ'undes jeuneshommes. Jemedemandaitouthautsicelan'avaitpastexpressment organisenmonhonneur.Quelqu'unclata derireet ditquej'avais untrsgrosego.C'esttypiquedesAmricains,ajouta-t-i1enme tapant surledos amicalement. LesIndonsienssonttrspolitiss,meditmonvoisindetable. LesAmricainsnefontpas despectacles de cegenre? Unejeunefemmetrsbelle,quitudiaitl'anglaisJ'universit, s'assit alors en face de moi.Vous travaillez pour laBanque mondiale, n'est-cepas? medemanda-t-elle. Je luirpondis que j'tais prsentement en mission pour laBanque asiatique de dveloppement et \' Agence amricainepour ledvelop-pement international. Nesont-ellespas toutes semblables?)} Sans attendre derponse, ellepoursuivit;N'est-ce pas comme dans lapice dece soir? Votre gouvernement traite l' Indonsie et d'autres pays comme s' ilsn'taient qu'une vulgairepoigne de .. . Ellechercha ses mots. Deraisins ,ditl'une deses amies. C'estexactement a.Unepoigne deraisins. Onpeut cueilliret choisir.ConselVermanger laChine et jeter l'Indonsie.)} Aprs avoirprisnotreptrole, prcisa une autrefemme. Jevoulusmedfendre,maisjen'taispasdutoutlahauteur. J 'taisfierd'trevenudanscettepartiedelavilleetd'ytrerest pour assister ce spectacle antiamricain,que j'aurais pu considrer comme uneattaque personnelle.Je dsirais qU'ilsserendent compte demoncourageet qu'ilssachent que j'tais leseulmembredemon quipe quiseftdonn lapeine d'apprendre lebahasa et desefami-liariser avecleurculture, et aussileseultranger avoirassistce spectacle.Jejugeaitoutefoisplusprudentdenerienleurlivrerde cespenses et jetentaipluttdedtournerlaconversation, enleur demandant pourquoi , selon eux, le dQIQngn'avait choisi que des pays musulmans, mispart leVitnam. Labe!letudiante d'anglaisclata derire.Parce que c'est lleur plan." L ACIVI LI SAllONf. NIUGEMENT49 LeVitnamn'estqu'uneoprationdemaintien,fitl'undes hommes, commelefutlaHollandepour lesnazis.Un tremplin.-cLavraiecible, poursuivitl'tudiante, c'est lemondemusulman.-Jedevaisabsolumentrpondrecela.c Lestats-Unisnesont srementpas anti-islamiques", rpli quai-je. c Non? s'exclama-t-elle.Depuis quand?Ilfautquevouslisiezl'un devospropres historiens, unBritannique dunom de Toynbee.Dans les annes 50, il a prdit que la vraie guerre du prochain sicle n'aurait pas lieuentreles communistes et les capitalistes, maisentre les chr-tiens et les musulmans. " Arnold Toynbee acritcela?- J'tais ahuri. "Oui.LisezLacivilisationenjugementetLemonde et"Occi-dent. Mais pourquoi y aurait-ilunetelleanimosit entrelesmusulmans et les chrtiens? demandai-je. Mesinterlocuteursseregardrent.Il ssemblaientavoirdeladiffi-cult croire quejepuisse poser une question aussistupide. "Parce que, rpondit-ellelentement comme sielles'adressait un malentendant , l'Occident, particulirement son leader, lestats-Unis, dsire contrlerlemondeentier, pour crer leplusgrandempire de l'histoire.Ila d'ailleurspresque russi.L'Union sovitique l'en emp-che actuell ement,maisles Soviets ne durerontpas.Toynbee acom-pris cela.Il s n'ont ni foinireligion, et leur idologie est sans substance. L' histoiredmontrequelafoi.c'est--direl'cme _.lacroyanceen unepuissance suprieure, est essentielle.Nous, lesmusulmans, nous l'avons.NousJ'avonsmmeplusquetoutlemonde,ycomprisles chrtiens.Alors,nous attendons.Nousnous renforons.-"Nousprendronsnotretemps,intel"Vintl'undeshommes,puis nousfrapperonscomme unserpent. Quelle idehorrible!Que pouvons-nous fairepour que celan'ar-rivepas? J 'avais dumal me contenir. L'tudiante d'anglaisme fixadans les yeux.Cessez donc d'tre si cupides et gostes,rpondit-elle.Rendez-vous compte qu"ily a autre chose danslemonde que vosgrossesmaisons et vosjolismagasins. Desgenssouffrentdelafaimetvousvousinquitezduptrolequi faitfonctionnervosvoitures.Desenfantsmeurentdesoifetvous 50D wxlt/ooll"AIIIll: 1971 - 1975 cherchez laderniremode dans des magazines.Desnations comme lantresontenlisesdanslapauvret,maisvotrepeuplen'entend mmepasnosappelsausecours.Vousfermezl'oreilleceuxqui tententdevousenparler.Vouslestiquetezcommeradicauxou communistes.Ilfautouvrir votre cur auxpauvres et aux opprims, au lieu d'accrotreleur pauvret et leur selVitude.Letemps presse.Si vousnechangezpas, vous tes condamns. _ Quelques joursplustard, lepoliticienpopulaire deBandung dont lamarionnette avaitdfiNixonetavaittempaleparl'homme auseau futfrappmortellementpar unchauffardquiaensui tepris lafuite. L AC!vILISArrONlNJUGl M f NI51 8 Une vision diffrente de Jsus J enepouvaisoublierlespectaclequ'avaitdonnledalangniles paroles de labelletudiante d'anglais. Cette soire que j'avais passe Bandungmefitnormmentrflchiretme renditbeaucoupplus sensible au sort de ces gens.Bien sr,avant cette exprience, j'tais loind'ignorerlesimplicationsdenotreactionenIndonsie,etmes ractions avaient toujours t domines par les motions, mais j'avais pu jusque-lfaireappel la raisonpour les calmer, en me gUidant sur l'histoireetsurlesimpratifsbiologiques. Jejustifiaisnotreimplica-tionen me disant qu'el!e faisaitpartie de lacondition humaine et que, au fond,Ei nar,Charlieettouslesautresnefaisaient quece queles hommes avaient toujours fait , c'est--dire prendre soin d'eux-mmes et deleurfamille. Madiscussionavec ces jeunesIndonsiensmeforacependant voir lasituation sous unautre angle.Grce eux,j'ai compris qu'une approchegosteenpolitiquetrangrenesertnineprotgeles futuresgnrations de quelquepaysquece soit.C'est delamyopie, toutcommelesrapportsannuelsdescompagniesetlesstratgies lectorales des politiciens quiformulentcettepolitiquetrangre. Ilsetrouvaquelesdonnesdontj'avaisbesoinpourmespro-nostics conomiques ncessitaient defrquentesvisites Jakarta.J e profitai de ces moments de solitude l-baspour rflchir toutes ces questionsetlestraiter dansmon journal.J 'errais danslesruesdela ville, faisantl'aumneauxmendiants et tentant d'engagerlaconver-sation avec des lpreux, desprostitues et des voyous. Entre-temps,jerflchislanaturedeJ'aideinternationaleainsi qu'aurlelgitimequelespays dvelopps(PD., danslejargon de laBanque mondiale)pourraient jouer dans lesoulagement de lapau-vret et de lamisre des pays moins dvelopps (P.M.D. ). J e commen-aipar me demander quandl'aide internationaletait authentique et quandelletaitintresse,c'est--dire motive par [acupidit.Cette aide tait-elle vraiment altruiste? Et , sielle ne l'tait pas, pouvait-on y changer quelque chose? Autant j'tais certain que lespays comme le mien devaient poser des gestes dcisifspour aiderlesmaladeset les affams de cemonde, autant j'tais certaingalement que cen'tait pas souvent , sinon jamais,laprincipaleraison de notreintervention. Je revenais toujours cette question fondamentale : sil'aide tran-greapourbut!'imprialisme,est-cevraimentunmal?J 'enviais souvent les gens comme Charlie, qui croyaient tellement en notre sys-tme qu'ilsvoulaient!' imposerparlaforceau mondeentier.Je dou-taisfort que lesressources limites du globepermettraient au monde entier de vivre dans lamme opulence que les tats-Unis, alors mme que des millions de citoyens amricains vivaient dans lapauvret.De plus, il n'taitpastout .faitvidentpour moiquelesautresnations veuillentvivrecommenous.Nospropres statistiquessurlaviolence, la dpression,J'abus des drogues, le divorceet lecrime dmontraient quenotresocit taitl'une des moins heureuses,mme si elletait aussi l'une des plusrichesdel'histoire.Pourquoi les autres devraient-ilsnous imiter? Claudine m'avait peut-treprvenu de tout cela.Jene savaisplus tropcequ'elleavaitessay demedire. Quoiqu'ilen soit , tout argu-mentintel!ectuelmispart,ilm'taitdevenudouloureusementvi-dentquej'avaisperdujamaismoninnocence.J 'criviscecidans mon journal: ya-t-ilunseulAmricainquisoitinnocent?Bienquece soientceuxquisetrouventausommetdelapyramidequiy gagnent leplus, nous sommes des mil!ions dpendre, directe-ment ou indirectement , pour vivre, de l'exploitation des P.M'o. U N EVISIONl)IHf lt lNTED ~) tsus53 Lesressourcesetlamain-d' uvrebonmarchquialimen-tent presque toutes nos industriesproviennent de pays comme J'Indonsie, et trs peu de ce qu'elles produisent y retourne. Les prts del'aide trangre assurent quelesenfants d'aujourd' hui etleurspetits-enfants seronttenusen otages.Ceux-ci devront permettrenoscompagniesdepillerleursressourcesnatu-relleset ilsdevront sepasser d'ducation.de soinsde sant et d'autresservicessociaux,simplementpournousrembourser, Lefaitquenosproprescompagniesaientdjreulaplus grandepartiede cet argentpour construiredes centraleslec-triques,desaroportsetdeszonesindustriellesn'estpasun facteur inclus dans laformule. Est-cede l'innocence que dene pastreconscient decettesituation?LesAmricainsnesont pasinformsetilssontmmevictimesd'unedsinformation dlibre, mais sont-ils innocentspour autant? videmment ,jedevaisadmettrequejefaisaismaintenantpartie activement des dsinformateurs. Bien quel' ide d'une guerre saintemondialeme troublt , plus j'y pensais et plus elle me paraissait possible. Ilme semblaittoutefois que, sijamais ce djihadseproduisait , ce neseraitpas tellement entre les musulmans et les chrtiens qu'entrelesP.O. et les P.M.O.,avecpeut-treles musulmans au premier rang.Nous, des P.O., ti ons les utilisa-teurs des ressources, alors que lesP.M.O.en taient lesfournisseurs. C'taitencorellebon vieuxsystmemercantile colonial, conu de faonpermettrefacilementauxpays quipoSsdenttout lepouvoir, mais des ressources naturelles limites, d'exploiter ceux qui possdent beaucoup de ressources, maisn'ont aucun pouvoir. J en'avaispasd'exemplairesdeslivresdeToynbeesouslamain, maisjeconnaissais suffisammentl' histoirepour comprendrequeles fournisseursquisefontexplOiterassezlongtempsfini ssentparse rebeller.J en'avaisqu'prendrel'exempledeTomPaineetdela rvolutionamricaine.L'Angleterrejustifiaitsestaxesena!lguant qu'ellefournissaitauxcoloniesuneprotectionmilitairecontreles FranaisetlesAmrindiens,maislescolonsavaientuntoutautre point devue. 5 4D LUlu[M(PAWlll:1971 - 1975 Ce quePaine offritses compatriotes, dans son brillant pamphlet intitulLesenscommun,c' tai tjustementcetteme "laquelle avaientfaitallusionmes jeunes amisindonsiens: uneide, unefoi enlajusticed'unpuissancesuprieure,etunereligiondelibertet d'galit,quitaitdiamtralementoppose lamonarchiebritanni-que et son systme de classes litiste. Ce qu 'offraient les musulmans tait similaire: lafoi en une puissance suprieure, et lacroyance que lespaysdvelopps n'avaientpas ledroit desubjuguer et d'exploiter lerestedu monde. Comme lesvolontaires delaguerre de l'Indpen-dance amricaine, les musulmans taient prts combattre pour leurs droits,et,commelesAnglaisdecesannes1770,nousqualifiions leurs actes deterroristes.L'histoire semblaitserpter. Jemedemandaicequeseraitlemondesilestats-Uniset leurs allisutilisaienttoutl'argentengloutidanslesguerrescoloniales, commecelleduVitnam,pourradiquerlafaimoupourrendre disponibles tous,y compris leurproprepeuple,une ducationet des soins desantlmentaires.Je me demandai comment lesgn-rationsfutures en seraient affectessinous soulagions lescausesde lamisreetprotgionslescours d'eau,lesfortsetlesautresli eux naturelsquinousassurentdel'eauetdel' airnonpollus,ainsique tout ce quinourrit autant notre esprit quenotrecorps.Je ne pouvais pascroirequelespresfondateursn' avaientenvisagledroitla vie, lalibertet lapoursuite dubonheur quepour les Amri cains. Pourquoidonctablissions-nousmaintenantdesstratgiespromou-vantlesvaleurs imprialistes qU' ils avaient combattues? LorsdemadernirenuitenIndonsie,jemesuisfaitrveiller parunrve.Jem'assisaussittdansmonlitetj'allumailalampe. J 'avaisl'trangeimpression de ne pas tre seul dans ma chambre. Je regardailemobilier, lestapisseries debatik,les silhouettes encadres suspendues auxmurs,et jeme souvins soudaindemonrve. J 'avaisvuleChrist quelquespas demoi.Ilressemblait auJ sus avecqui , chaquesoirdemonenfance,jepartageaismesrflexions aprs avoir faitmes prires habituelles.Laseulediffrence, c'est que leJ sus de mon enfance avaitlescheveux blonds et lapeau blanche, tandis que celui-ciavait des cheveuxnoirs friseset leteintfonc.Ilse baissa et souleva quelquechose qu'ilmit sur ses paules.Au lieu dela UNtVISIONDli rrRENl lDEjf sus55 croix laquelle je m'attendais, je visunessieu de voiture avec la jante derouedpassantau-dessusdesattecommeunhalomtallique. Delagraisse coulait comme dusang sur son front.Ilse redressa,me fixadans lesyeuxetmedit:Sijedevaisrevenirmaintenant,tume verraisdiffremment.Jeluidemandaipourquoietilmerpondit ceci : Parce que lemonde achang. Ilfaisaitpresquejour.Commeiltaittroptardpourquejeme rendorme, jem'habillai , prist'ascenseur jusqu'auhaitet allai mepro-menerdanslesjardinsentourantlapiscine.Lalunebrillaitsurles orchides, dont ledouxparfumremplissait l'atmosphre.Je m'assis dansunfauteuilet jemedemandaicequejefaisaisl.Pourquoiles hasardsdelaviem'avaient-ilsmenjusqu'enIndonsie?Jesavais quemonexistencen'taitpluslamme, maisjeneme doutaispas quelpoint. Enrouleverslestats-Unis.jerevisAnnParispourtenterune rconciliation.Mmependantcesjourdanslacapitalefranaise , nousavonscontinunous quereller.Bienquenousy ayonsvcu aussiplusieursmomentsheureux,nousconvnmestousdeuxque nousnoustionstropdisputsjusque-lpourpouvoircontinuer ensemble.Deplus, ily avant tantde choses que jene pouvais luidire. Je nepouvais enparler qu'avecClaudine, quijepensais d'ailleurs constamment. Aprs notre atterrissage l'aroport Logan de Boston, nous prmes chacun untaxipour retrouver nosappartements respec-tifsdeBackBay. 5 6Df.UXlf MEPARTI E :197 1-1975 9 Une occasion unique C'estMAINquejefusvraimentmisl'preuvedansmamission indonsienne.M'tant rendu ausige social duPrudentialCenter en dbutdematine,jemeretrouvaidansJ'ascenseuravecungrand nombred'employs,desquelsj'apprisqueMacHall.l'nigmatique P.O.G.octognaire,avaitpromuEinaraupostedeprSidentdu bureau dePortland, dans l'Oregon. En consquence, je devrais dsor-maismerapporter officiellementBruno Zambotti. Surnommler e n ~ r dargent enraisondelacouleurdeses cheveux et de son trangehabilet djouer quiconque s'opposait lui , Bruno Zambotti tait aussibelhomme quel'acteur Cary Grant.Il taitloquentettrssoigndesapersonne.Titulaired'undiplme d' ingnierieetd'unematrisedegestion,ilcomprenaittoutesles subtilitsdel'conomtrie.Vice-prsidentchargdeladivisionde l'lectricitdeMAINetdetousnosprojetsinternationaux,iltait aussilecandidatleplusplausiblelaprsidencedelacompagnie. pour succder son mentor, Jake Dauber, quand ce dernier prendrait saretraite.CommelaplupartdesemploysdeMAIN,jecraignais BrunoZambotti. Justeavantlelunch,jefusconvoqusonbureau.Aprsune cordiale conversationsur l' Indonsie, ilmedit quelquechose quime fitbondir de mon sige. JevaiscongdierHowardParker.Nulbesoind'entrer dansles dtails,saufpour dire qu'ilaperducontact aveclaralit.Ilsouriait d'unefaondconcertante en tapant d'undoigtcontreune liassede papierssursonbureau.Huitpourcentparanne!C'estsonpro-nostic decharge!Incroyablepour unpayspossdant lepotentiel de l'Indonsie! ))Sonsourires'estompaetilmeregardadansleblancdesyeux. CharlieIllingworthm' aditquevotrepronosticconomiquetait parfaitementconformeauxobjectifsprvusetqu' iljustifieraitune croissance decharge de17 $ 20 $.Est-ce exact? J 'acquiesai. Ilse levaet me tendit lamain.Flicitations.Vousvenez d'obtenir unepromotion. J 'auraispeut-tredallerclbrerceladansunchicrestaurant avecd'autresemploys,oummetoutseul,maisjen'avaisdepen-ses quepour Claudine. J'avais hte de luiannoncer cette promotion et de luiparler de mes expriences en Indonsie.Comme elle m'avait demand de ne pas luitlphoner de l'tranger, je m'en tais abstenu. Lorsque je composai son numro, je fus dconcert de dcouvrir qu' il n'tait plusen serviceet qu'aucunautreneleremplaait.Je memis donc sarecherche. C'est unjeune couple quiavaitemmnag dans son appartement. Bien que ce ft l'heure du lunch, j'ai d les tirer du lit car ils semblaient tresennuysparmavisite.IlsnesavaientriendeClaudine.Jeme suisalorsrendul'agenceimmobilire,ojemeprsentaicomme l'undesescousins.Selonleursdossiers, aucunappartementn'avait jamais t lou aucune Claudine et ledernier locataire avoir quitt sonlogementavaitdemandgarderl'anonymat.Jeretournai au PrudentialCenter,olesprpossaubureaudel'emploideMAIN medirentqu'onn'ypossdaitaucundossiersurelle.Ilsadmirent toutefoisqu'ilexistaitundossierde consultants spciaux auquel je nepouvais avoiraccs. Verslafindel'aprs-midi , j'taispuisetjemesentaisvid.Je commenaisaussisentirleseffetsdudcalagehoraire.Jerentrai chezmoi.Dans ledsert demonappartement , jeme sentis dsesp-rment seul et abandonn.Mapromotion me semblait dpoulVUe de sens,ou,pire,meparaissaitunercompensepourmacapitulation. Jemejetaisurmonlit,en proieaudsespoir.Dtermincependant 58D EUXll M lPA l/ liE :1971 - 197 5 nepascderl'angoisse, jerefoulaimesmotions.Jecroisbien avoirpass desheures regarder lesmursdema chambre. J 'aifinipar me ressaisir. Je mesuis lev,j'ai bu une bire, puis j'ai fracasslabouteillevidecontreunetable.J 'airegard ensuite par la fentre.Au bout de larue, unefemme s'en venait . Croyant que c'tait elle,jeme dirigeaiverslaporte,puisjeretournailafentrepour laregarderencore.EUes'taitapproche.Elletaitbelleet avaitla mme dmarche que Claudine, mais ce n' taitpas eUe. J 'eus lecur serr.Je cdailacolre,puislarvolteet lapeur. J 'eus soudain la vision de Claudine s'affaissant dans larue, lecorps cribldeballes.Jerepoussaicetteimage,prisdeuxcomprimsde Valiumet sombrailourdement dans lesommeil. Lelendemainmatin,jefusrveillparunappeldudirecteurdu servicedupersonneldeMAIN,PaulMormino.Ilcomprenaitmon besoin derepos, maisildsiraitme voir dans l'aprs-midi. J'aidebonnes nouvelles, me dit-il.a vateremonter. Iln'avait pas menti.Quand je meprsentai son bureau, il m'ap-pritquej'avaistpromul'ancienpostedeHoward.Jeporte-raisdsormaisletitre d'conomisteen chefetrecevraisunmeilleur salaire.ame remonta unpeu, en effet. Je pris cong pour l'aprs-midi et j'allai me promener lelong dela rivireCharlesenbuvant unepinte debire. M'assoyantensuitesur unbanc, je regardaipasser lesvoiliersen tentant demeremettre du dcalage horaire et des motions delaveille.Je me disque Claudine avaitremplisamissionettaffecteailleurs.Elleavaittoujours insistsurlancessitdusecret.Ellemetlphoneraitbientt,j'en taissr.Jemesentismieux;leseffetsdudcalageainsiquemon anxitse dissiprent. Lessemainessuivantes, j'essayai denepluspenser elle.Je me plongeaidanslardactiondemonrapportsurl'conomiedel' In-donsieetlarvisiondespronosticsdechargedeHoward.Jepro-duisislegenred'tudequemespatronsdsiraient,prvoyantune croissancemoyenne de lademande d'lectricit de19 $ par anpour les douzepremires annes suivant l'installation du nouveau systeme, puisde17 $ pourleshuitannessuivanteset de15 $ pourlereste decetteprojections'talant sur vingt-cinq ans. U NEOCCAS I ONUNIQUE59 Je prsentaimes conclusions lors de rencontres formelles avec les agences de crditinternationales,Leurs quipes d'experts m'ont ques-tionnlonguementetimpitoyablement.J 'avaistoutefoisretrouvla farouchedtermination quiautrefoism'avaitpermis d'exceller plutt quedemerebeller,quandjefrquentaisl' coleprive,Nanmoins, lesouvenir de Claudinerevenait souvent me hanter,Lorsqu'unjeune conomiste gonfl, quine cherchait qu' se faireun nom laBanque asiatiquede dveloppement, me cuisinapendanttout unaprs-midi , je me souvins d'un conseil que m'avait donn Claudineplusieurs mois auparavant , dans sonappartement deBeacon Street. {{Quidoncpeut voirvingt-cinqans d'avance? m'avait-elledit.Tes pronosti cs sont aussivalables quelesleurs.Ce n'est qu'une question de confiance." Jemepersuadai quej'taisunexpert,merappelantquej'avais vcuplusd'expriences dans despaysen dveloppement quelaplu-partdeceshommesquijugeaientmaintenantmontravailetdont certains avaient le double de mon age. J 'avais vcu en Amazonie et je m'taisrendu dans des secteurs de Java opersonne d'autre ne vou-lait aller. J 'avais suivi quelques cours intensifs destins familiariser les cadres avec les subtili ts de l'conomtrie, et je me disais que je faisais partiedecetteracenouvelledejeunesprodigesaxssurlesstatisti-queset friandsd'conomtriequisduisaientRobertMcNamara,le respectableprsident delaBanquemondiale,ancienprsident dela compagnie FordMotor et secrtaire laDfense de l'administration deJohnKennedy.Cethommeavaitconstruitsarputationsurles chiffres,surlaloi desprobabilits et surtesmodlesmathmatiques, ainsique, sans doute, sur l'audace associe untrsgros ego, J 'essayaisd'imiterlafoisMcNamaraetmonpatron,Bruno. J 'adoptailafaon deparler dupremier etladmarche arrogante du second, qui se dplaait en balanant son attach-case au bout de son bras.Avec lerecul , je suis tonndemon culot.Envrit, j'avais une expertiseextrmementlimite,maismonaudacecompensaitmon manque de connaissances et d'exprience. aafonctionn.L'quiped'expertsfinitparapprouvermes rapports. 60D wxl t "'HPAKHI.:1971-1975 Au cours des mois suivants, j'ai assist des rencontres Thran, Caracas, Ciudad Guatemala, Londres, Vienne et Washington. J 'aifaitlaconnaissancedediversespersonnalitsclbres,comme leshahd' Iran,lesanciensprsidentsdeplusieurspaysetRobert McNamaralui-mme,ToutcommeJ'coleprivedemajeunesse, c'taitexclusivement unmonde d'hommes.Je fusstupfaitdecons-taterquelpointmonnouveautitreainsiquemesrcentssuccs devantlesagences decrditinternationalesinfluenaientlecompor-tement des gens mon endroit. Audbut ,toutecetteattentionqueJ'onm'accordaitmemonta latte.JemevoyaiscommeuneespcedeMerlinl'enchanteur quin'avaitqu' tendrelamainsurunpayspourqu' ilsoitsoudain lectrifiet que desindustriesy poussentcommedeschampignons. Puis jeme dsillusionnai.Je m' interrogeai sur mes motifs et sur ceux detousles gens avec quijetravaillais,IIm'apparut videntqueni un titreimpressionnantniundiplmeuniversitairenepouvaientaider quiconque comprendrele sort des lpreux vivant prs des cloaques deJakarta,etqu'untalentpourlamanipulationdesstatistiquesne pouvaitpermettre personne deprdirel'avenir. Plus jefrquentais lesgensquiontlepouvoirdetransformerlemondeparleursdci-sions, plus je devenais sceptique quant leurs aptitudes et leurs buts. En observant leurs visages autour des tables de confrences, je devais souventfairedes effortspour rprimer macolre. Monpointdevuefinittoutefoisparvoluer.J ecomprisquela plupartdeceshommescroyaientsincrementfairepourlemieux. Comme Charlie, ilstaient convaincus quelecommunisme et leter-rorismetaient des forces dumalplutt que des ractionsprvisibles leurs dcisions et celles de leurs prdcesseurs, et qu' iltait de leur devoirenversleurpays,enversleurs descendantset enversDieude convertir lemonde au capitali sme.Ils s'accrochaient aussi au principe delasurvieduplusfort ;puisqu'ilsavaienteulachancedenatreau seind'une classe privilgieplutt que dansunbidonville, ilsavaient l'obligation detransmettrecet hritage leurs descendants. Cesgensformaient-ilsunevritableconspirationoun' taient-ils qu'une simple fraternit encline dominer lemonde? J'hsitais entre les deux,Avec letemps, Jen vins les comparer auxpropritaires de U NfOCCAS I ONUN IQUl 61 plantationsduSudd'avantlaguerrecivile.Ceshommesformaient uneassociationinformellefondesurdescroyancesetdesintrts communs,plutt qu'ungroupefermse runissant clandestinement pour ourdir de sinistres complots.Les despotes des plantations avaient grandi avec des selViteurs et des esclaves, et on leur avait inculqu que c'tait leur droitet mmeleurdevoirdeprendresoindes barbares enles convertissant lareligion et au mode de viedespropritaires. Mme sil'esclavage leurrpugnait sur leplanphilosophique, ilspou-vaient ,toutcommeThomas J efferson,lejustifiercomme tantune ncessit. vuque sa disparitionet entraninvitablementlechaos conomiqueetsocial.Les leadersdesoligarchiesmodernes,queje voyaismaintenantcommeunecorporatocratie,mesemblaientfaits sur lemme moule. Jemedemandaiaussiquiprofitaientlaguerreetlaproduction massived'armements,laconst ructiondebarragesetladestruction d' habitats etde cultures indignes.Qui donc bnficiait de lamort de centaines de personnes par manque de nourriture et d'eau potable ou encore par des maladies quipouvaientse soigner? J 'en vins raliser peupeuqu'auboutducomptepersonnen'en profitait ,maisqu' courtterme ceux quioccupaient lesommet de lapyramide, soitmes patrons et moi-mme, semblaient en bnficier, tout aumoins sur le planmatriel. Celasoulevaplusieursautres questions.Pourquoicettesituation persistait-elle?Pourquoi durait-ell edepuis silongtemps? Larponse setrouvait-elletoutsimplementdanslevieiladagequiditque"[a raison duplusfort est toujours lameilleure,que ceux qui possdent lepouvoir perptuent lesystme? Jenepouvaiscroirequelapersistancedecettesituationtait dueuniquementaupouvoir.Bienquelaraisonduplusfort expli-qutbiendeschoses,j'avaisl'impressiondevoirl'uvreiciune forceplusirrsistible. J eme souvins d'unprofesseur d'conomie qui m'enseignaitl'cole de commerce.Originaire dunorddel'Inde, il discourait sur lesressources limites de laplante, surlebesoincons-tant de croissance de l'humanit et sur le principe du travail d'esclave. Selon lui , toutes les socits capitalistes quiavaientrussiledevaient unestructurehirarchiquebientablie:unepoigned' hommes 62DLUX I .!: ME197 1 - 1975 ausommet ,contrlantlesdiverschelonsdesubordonns,etune armemassivedetravailleursaubas, qui ,conomiquementparlant , pouvaient vritablement tre qualifis d'esclaves.Rnalement , j'acquis laconviction quenous encourageons cesystme parce que laratocratie nous apersuads queDieu nous adonn ledroit deplacer quelques individus au sommet de lapyramide capitaliste et d'exporter notresystme partout danslemonde. Nous ne sommes videmment pas les premiers agir ainsi.La liste de ceux quinous ontprcds dans cettevoieremonteauxanciens empires d'AfriqueduNord, duMoyen-Orientetdel'Asie ; elle com-prendaussi laPerse,laGrce,Rome,lescroisadeschrtiennes,et touslesbtisseursd'empi redel'repostcolombienne.Lapulsion imprialiste a t et continue d'tre lacause de laplupart des guerres, des gnocides, des famines , delapollution et del'extinction desces.En outre, elle a toujours eu des effets nfastes sur laconscience et ledes citoyens de ces empires, contribuant au malaise social et rsultant en cette situation absurde o les cultures les plus riches de l'histoirehumaine sont affliges des plushaut tauxde suicide, d'abus de drogues et deviolence. J erflchislonguementcesquestions,maisj'vitaistoujours deconsidrermonproprerledanstoutcela.Jeprfraismevoir comme unconomisteen chef pluttquecommeunassassinfinan-cier.Montitremesemblaittrslgitimeet,s'il m'enfallaitlapreuve, je n'avais qu'regardermestalons dechques depaye,tous libells par MAIN, une compagnie prive.Jamais jen'avaisreu un seulsou delaNSAnid'aucuneagencegouvernementale.C'estainsiqueje me convainquis Enfin, presque. UnBrunomeconvoquasonbureau.Auboutd'un moment,ilvintseposterderriremachaiseetmetapota["paule. "Tu as faitunexcellent travail,me susurra-t-il.Pour temontrer quel pointnousnoussommes satisfaits,nousallonst'offriruneoccasion uniquequiestfournietrspeud'hommes.mmedeuxfoisplus gs quetoi. JOUNrOCt:ASIONUNIQUl63 10 l ' hroqueprsident du Panama J 'aiatterril'aroportinternationalTocumendePanamaunsoir d'avril1972,enpleindlugetropical.Commec'taitlacoutume J'poque,jepartageaiuntaxiavecd'autrescadres,et,puisqueje parlaisl'espagnol , jemeretrouvaiassissur lesigeavant, ct du chauffeur.travers lepare-brise battu par lapluie, j'aperus soudain, surunpanneaud'affichageclairparlespharesdelavoiture,le portrait d'unbelhomme aux yeux vifset auxsourcilsprominents.Il portait unchapeau largesbords dont unct tait relev, ce quilui donnait unair dsinvolte.J ereconnus lehros duPanama moderne, Omar Torrijos. Je m'tais prpar pour ce voyage de lamme faonquepour les prcdents, en frquentantlasection derfrence delaBibliothque publique de Boston. Je savais que Torrijos tait trs populaire auprs de son peuple parce qu' iltait un ardent dfenseur du droit du Panama l'autonomieainsiquedesesrevendications de souverainetsurle canal dePanama. Iltait dtermin viter son pays les embches ignominieuses que celui-ciavaitconnues par lepass. LePanama faisait partie de laColombie quand l'ingnieur franais FerdinanddeLesseps,quiavaitdiriglaconstructionducanalde Suez, dcida deconstruireuncanaltraversl'isthme del'Amrique centraleafindefairecommuniquerl'ocanAtlantiqueavecl'ocan Pacifique.Cettetchecolossale,quifutentrepriseparlesFranais en1881,futmarqueparunesriedecatastrophesetsetermina parundsastrefinancier,en1889.Elleavaittoutefoisinspirun rve Theodore Roosevelt.Dans les premires annes du )(Xe sicle, lestats-UnisdemandrentlaColombiedesigneruntraitlivrant l'isthme unconsortium nord-amricain.Ellerefusa. En1903,leprsidentRooseveltyenvoyalenaviredeguerre Nashville.Lessoldatsamricainsdbarqurent,capturrentettu-rentunpopulairecommandant delamilicelocale,puisdcrtrent l'indpendanceduPanama. Aprsl'installationd'ungouvernement fantoche, un premier trait futsign, tablissant unezone amricaine desdeuxctsdufuturcanal,lgalisantl'intelVentionmilitairedes tats-Unisetaccorda