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37 Santé conjuguée - janvier 2005 - n° 31 CAHIER Malaise en maisons médicales ? JE T’AIME, MOI NON PLUS

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CAHIER

Malaise en maisons médicales ?

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Le nombre de maisons médicales croît régulièrement, leurs lieux d’implantation se diversifient,elles emploient toujours plus de professionnels, et la population couverte s’étend sans discontinuer.Les deux premières maisons médicales ont été créées en 1972 à Tournai puis à Bruxelles. En1980, veille de la fondation de leur Fédération, elles étaient vingt-quatre et aujourd’hui, elles sontsoixante-neuf, disséminées sur la Wallonie (37) et Bruxelles (29). Parti d’une poignée de rêveursà l’origine, le mouvement employait 451 travailleurs en 1997 et près du double (852) en 2004. Ensix ans, le nombre de généralistes exerçant en maison médicale a quasi doublé, passant de 157 en1997 à 281 en 2004. Sur cette même période, le nombre de kinésithérapeutes est passé de 56 à 97,celui des infirmier(e)s de 38 à 85 et celui des accueillants de 63 à 147. La progression relativementrégulière des vingt-cinq premières années a connu une accélération remarquable au cours de ladernière décade et montre combien le projet des maisons médicales correspond aux attentes de lapopulation et offre aux professionnels un cadre de travail en adéquation avec leurs conceptionsde la pratique.

Mais aucune croissance n’est sans histoire, etl’histoire est faite de petits et grands soubre-sauts. Le mouvement des maisons médicalesn’échappe pas à cette règle. Si de plus en plusde professionnels y entrent, d’autres moinsnombreux en sortent, et parmi eux des jeunesmédecins fraîchement arrivés. Sans doute lesraisons de leur départ sont-elles pour une partd’ordre privé, mais ce serait naïveté de secontenter de cette explication. N’y a-t-il pasdans ces défections une interpellation adresséeaux maisons médicales ? Devons-nous y lireune remise en question de notre identité ? N’yaurait-il aucun enseignement à en tirer ? Untiers de siècle après la naissance des premièresmaisons médicales, marqué de plus de victoiresque de défaites, il est juste et bon de ne pass’endormir sur ses lauriers et de sans cesserepenser le sens de notre engagement et nosconvictions.

C’est pourquoi nous avons choisi de regarderen face la réalité des départs de jeunesmédecins en maisons médicales et de sondermotivations et motifs de satisfaction (oud’insatisfaction) de ceux qui restent. Troisétudes vont nous y aider.

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Le malaise des jeunes médecins en maisons médicalesAnalyse qualitative et perspectives de solutions page 40

Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de santé publique, mention« Promotion de la santé » par Miguelle Benrubi, année universitaire 2003-2004,université Henri Poincaré, Nancy 1, faculté de médecine, école de santé publiqueLe Dr Miguelle Benrubi a interrogé ceux qui restent : qu’est-ce qui les a motivés àpratiquer la médecine générale en maison médicale, qu’y trouvent-ils d’appréciable et demoins appréciable, quelles raisons auraient-ils de vouloir en partir ?

Je suis venu te dire que je m’en vais page 54Gaël Buggenhout, Perrine Eeckhout, étudiants en deuxième licence en travail social,travaux pratiques de sciences sociales appliquées, rapport de stage avec le professeurGuy Lebeer et Jacques Moriau, assistant, université libre de Bruxelles, annéeacadémique 2003-2004Deuxième approche, Gaël Buggenhout et Perrine Eeckhout ont questionné ceux qui sontpartis afin de préciser quelle était leur critique des maisons médicales.

Enquête sur la satisfaction à travailler en maison médicale page 60Janine Adelaire, coordinatrice à l’intergroupe liégeois, Virginie Jurdan,kinésithérapeute, Françoise Goffin, médecin, Maryline Guillaume, assistante sociale,Edwinne Deprez, médecin en maisons médicalesTroisième angle d’attaque du « malaise » au sein des maisons médicales, une enquête« interne » réalisée en région liégeoise par les maisons médicales elles-mêmes.

Quels enseignements pour la Fédération et ses maisons médicales ? page 66Patrick Jadoulle, médecin généraliste à la maison médicale la Glaise, président duconseil d’administration de la Fédération des maisons médicalesSans remettre en cause les principes fondamentaux qui fondent la dynamique desmaisons médicales, les jeunes médecins vivent mal certains de leurs modes defonctionnement. Quelle analyse la Fédération des maisons médicales fait-elle de cemalaise et quelles réponses propose-t-elle d’y apporter ?

Encore vive est la souris page 70Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneLe malaise en maison médicale diffère grandement de ce que l’on nomme « la crise de lamédecine générale » et les enseignements que nous tirons de son étude nous donnerontun nouvel élan.

La nuit est sans étoiles... page 73Jacques Morel et Thierry Wathelet, médecins généralistes et secrétaires généraux de laFédération des maisons médicalesLe « malaise » en maisons médicales n’est pas une maladie qui ronge le modèle maisune invitation à se reposer les questions du sens, de la militance, des modalités degestion de ces centres. Des questions qui nous amènent à ré-affirmer la pertinence desidées fondatrices du mouvement mais aussi à mesurer le chemin qui reste à parcourir.

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En Belgique francophone, les maisonsmédicales constituent depuis le début desannées ‘70 une alternative à l’organisationlibérale des soins de santé primaires. Ce sontdes associations de santé intégrée autogéréesqui se veulent proches de la population. Ellesdispensent des soins primaires continus,globaux, accessibles, en équipe pluridisci-plinaire : médecins généralistes, infirmiers,kinésithérapeutes, travailleurs sociaux, accueil-lants, professionnels de la santé mentale1.Au départ structures très engagées politique-ment et à ce titre marginalisées, les maisonsmédicales ont acquis une certaine reconnais-sance institutionnelle. En 1981, elles se sont

constituées en une fédération, la Fédération desmaisons médicales et des collectifs de santéfrancophones, qui se donne comme vocation lapromotion des soins primaires. En 1982, ellesont négocié avec l’Institut d’assurance maladieinvalidité un règlement pour la mise enapplication du paiement forfaitaire des soins2.Les travailleurs des maisons médicales seréunissent en cinq intergroupes régionaux pouréchanger sur leur pratique et élaborer encommun des projets de santé.La Fédération des maisons médicales et descollectifs de santé francophones compte 66maisons médicales (dont 40 travaillent dans lesystème de financement forfaitaire). Environ5 % des médecins généralistes belges enactivité travaillent en maison médicale (60 %de ceux-là travaillent au forfait). Environ 2 %de la population de la Belgique francophoneest inscrite dans une maison médicale. Lapopulation soignée en maison médicale est unepopulation en majorité défavorisée, alliant denombreuses difficultés psychologiques etsocioéconomiques, et attirée par l’accessibilitéfinancière et géographique3-4-5.

La pratique de la médecine générale en groupe,dont les maisons médicales sont une des formes,fait l’objet de plus en plus d’intérêt. Elle satisfaitaux définitions de la médecine de familleétablies au niveau européen6. Elle est valoriséeet soutenue à un niveau politique7-8. Elle favori-se le développement continu de la qualité9. Enoutre, elle pallie à certaines difficultés liées aumalaise général de la profession. Ainsi, lesmédecins généralistes belges y voient plusieursattraits : pour le patient, une organisation opti-male de la continuité des soins ; pour eux-mêmes, outre la fécondité des échanges d’expé-riences entre pairs, une meilleure qualité devie10.

On trouve dans les maisons médicales un grandnombre de médecins maîtres de stages attachésaux départements de médecine générale desuniversités. De ce fait, les maisons médicales

Le malaise des jeunes médecins enmaisons médicalesAnalyse qualitative et perspectives de solutions

Mémoire présentéen vue del’obtention dudiplôme de santépublique, mention« Promotion de lasanté » parMiguelleBenrubi, annéeuniversitaire2003-2004,université HenriPoincaré, Nancy1, faculté demédecine, écolede santépublique.

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En Belgique francophone, les maisonsmédicales constituent une alternative àl’organisation libérale des soins desanté primaires. Depuis quelquesannées, le mouvement des maisonsmédicales connaît de nombreuxdéparts, en particulier chez les jeunesmédecins. L’étude du Dr Benrubi tentede mettre en évidence les motivationset les difficultés des jeunes médecins àpratiquer dans une maison médicale etde trouver des solutions à certainesdifficultés prioritaires.

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accueillent régulièrement des assistants, jeunesmédecins candidats spécialistes en médecinegénérale, pendant les deux années de pratiqueaccompagnée obligatoire.

Depuis quelques années, malgré ces diversincitants à la pratique de la médecine généraleen groupe, les maisons médicales traversent unecrise manifeste. C’est chez les jeunes médecinsque le malaise est le plus présent. S’il n’est paspossible d’obtenir des données précises concer-nant les décennies précédentes, la Fédérationdes maisons médicales et des collectifs de santéfrancophones s’est penchée sur le problème cesdernières années et a réalisé un rapide recen-sement : depuis 2000, 15 % des médecins ontquitté leur maison médicale, soit pour en rejoin-dre une autre, soit pour quitter définitivementle système. Quant aux assistants, ils hésitent às’engager pour le long terme, ce qui pose unproblème concret de recrutement.

Quelles difficultés rencontrent les jeunesmédecins qui entament leur carrière de médecingénéraliste au sein d’une maison médicale ?Certaines hypothèses méritent d’être confir-mées ou infirmées : qu’en est-il du poids dumalaise général lié à la profession11, de l’idéolo-gie fondatrice des maisons médicales12-13, dumode de fonctionnement en autogestion, dumode de financement, du type de populationsoignée, du travail en équipe pluridisciplinaireet des confrontations qui en découlent14 ?.

La présente recherche est la première às’intéresser aux perceptions qu’ont les jeunesmédecins de leur travail en maison médicale.Elle s’attache à deux objectifs :

• mettre en évidence chez les jeunes médecinsqui pratiquent dans les maisons médicales lesmotivations et les difficultés à travailler enmaison médicale ;

• recueillir certaines pistes de solutions pouraméliorer les conditions de pratique enmaison médicale pour ces jeunes médecins.

Méthodes

Les lecteurs moins intéressés par l’aspect métho-dologique de la recherche pourront se reporterdirectement au chapitre suivant : « résultats ».

L’étude, de nature qualitative, a comporté untemps exploratoire et un temps consacré à larecherche de solutions.

● phase exploratoire

1. La population concernée était celle desjeunes médecins travaillant en maison médicale,répartie en quatre échantillons selon plusieurscritères :

• concernant les médecins : d’une part lesassistants, jeunes médecins en formationauprès d’un maître de stage travaillant enmaison médicale, d’autre part les jeunesmédecins engagés dans une maison médicaledepuis moins de trois ans. Les motivations àtravailler en maison médicale sont diffé-rentes : les assistants trouvent d’abord uneoccasion de compléter leur formationobligatoire en médecine générale, les jeunesmédecins qui ont fait le choix d’entamer unecarrière professionnelle en maison médicaleadhèrent a priori au modèle des maisonsmédicales. Ils ont été interrogés séparément.

• concernant la localisation géographique desmaisons médicales : ont été retenues lesmaisons médicales membres effectifs de laFédération des maisons médicales et descollectifs de santé francophones dans les deuxrégions qui comptent le plus grand nombrede maisons médicales en Belgique franco-phone : Liège et Bruxelles. Pour des raisonsde facilité, d’homogénéité dans le mode defonctionnement des maisons médicales ausein des deux intergroupes concernés (inter-groupe liégeois et intergroupe bruxellois), lesmédecins de Liège et de Bruxelles ont étéinterrogés séparément.

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2. La technique des groupes focalisés étaitbien adaptée pour cette phase de mise à plat.La dynamique du groupe a fait émerger lesproblèmes tout en respectant la libre expressionde chaque participant15-16.Tous les médecins concernés ont été répertoriéspuis conviés à participer à l’un des groupes parl’envoi d’une lettre à l’adresse électroniquepersonnelle ou générale de la maison médicale,un mois avant la date prévue. Ma démarche leurétait brièvement exposée : présentation person-nelle, du contexte de l’étude, des modalités deréalisation : forme, durée, lieu, en ma présenceet celle d’un animateur extérieur, enregistre-ment, garanties de confidentialité. Tous ont reçudeux rappels (mail, message ou contact directsur le téléphone portable) quelques joursauparavant.Une grille d’entretien, testée avec trois méde-cins volontaires extérieurs, a été utilisée pourla conduite des consultations. Elle se composaitde questions très ouvertes :

- Selon vous, qu’est-ce que la médecinegénérale ?

- Qu’est-ce qui vous a motivé à pratiquer lamédecine générale en maison médicale ?

- Maintenant que vous travaillez en maisonmédicale, qu’appréciez-vous ?

- Et que n’appréciez-vous pas ?- Que trouvez-vous difficile au point que

vous pourriez quitter la maison médicale ?

Cette grille a servi de canevas général. Ellecommençait par une question très générale quilaissait à chaque participant une grande libertéd’expression dans sa présentation. Lesquestions suivantes étaient sous-tendues par leshypothèses recueillies au préalable11-12-13-14.Quatre groupes focalisés ont été réalisés selonun protocole identique, en présence desmédecins ayant répondu positivement à l’appel,de l’animatrice extérieure chercheuse à laFédération des maisons médicales et de moi-même. Ils ont eu lieu dans des locaux convi-viaux, dans une ambiance détendue (apéritif etcollation), entre 20h et 23h. Après une présen-tation générale, l’assurance de la confidentialitéet du respect de l’anonymat dans l’analyse desrésultats, l’animatrice extérieure modérait seuleles discussions. L’animatrice laissait le groupes’exprimer le plus librement possible, tout endonnant la parole à chacun et en recadrant la

discussion le cas échéant. En fin de séance, lesparticipants étaient invités à retenir parmi lesdifficultés évoquées, celles qui leur paraissaientprioritaires.Les quatre groupes focalisés ont été enregistrés,retranscrits intégralement et analysés. Aprèsplusieurs lectures de chaque retranscription,l’analyse des groupes focalisés a consisté àidentifier chaque verbatim, à les classer en quel-ques idées forces, à collecter des citations, àidentifier les particularités des différentsgroupes et enfin à choisir un problèmeprioritaire.J’ai confronté mon analyse des résultats à cellede l’animatrice extérieure. Trois médecins ayantparticipé aux discussions ont validé les résultatset ont donné leur accord sur le choix duproblème prioritaire.

● Recherche de solutions

Une cinquième consultation collective en vuede la recherche de solutions a été réaliséequelques mois plus tard. Les résultats obtenusdans les groupes focalisés ont déterminé lechoix des participants et le choix de la méthode.

1. Les participants étaient quelques jeunesmédecins volontaires ayant participé aux grou-pes focalisés, et quelques médecins plus âgés,membres fondateurs de leur maison médicaleou ayant au moins 25 ans de pratique dans unemaison médicale, volontaires eux aussi.

2. Il s’agissait de mettre en présence de ma-nière constructive deux populations d’expertsimpliqués différemment dans l’étude. Un tempsde mise à niveau de tous les participants autourde la problématique centrale était nécessaire engrand groupe. La recherche de solutions pouvaitensuite avoir lieu en laissant à chacun une placepour la confrontation.

Tous les médecins ont été contactés et informéspar téléphone des modalités de la rencontre. Ilsont ensuite reçu par mail un texte préparatoiresynthétisant les résultats de l’analyse des quatregroupes focalisés. Le groupe s’est réuni dansles locaux de la Fédération des maisons médi-cales et des collectifs de santé francophonespendant trois heures, en présence d’un anima-teur extérieur et de moi-même.La séance commençait par une présentation des

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objectifs de la réunion, du contexte, des anima-teurs et des participants, avec la garantie deconfidentialité et d’anonymat. Une présentationdes conclusions des quatre groupes focalisés etdu problème retenu comme prioritaire, sansdiscussion à ce stade, permettait à tous lesparticipants un accord de principe sur la réalitédu problème. Les participants, répartis en sous-groupes hétérogènes « anciens/jeunes », étaientensuite invités à chercher des solutions auproblème retenu en vue d’améliorer la situationexistante. Grâce à un outil efficace, rapide etludique17, ils devaient appliquer à chacun desverbes « Permettre/Ajouter/Modifier/Eliminer/Renverser » trois ou quatre idées en réponse àune question générale au cœur du problème :« Que mettre en place pour que la rencontreentre les générations permette à la fois latransmission et l’adaptation du modèle enfonction du contexte social et politique ? ».

De retour en grand groupe, l’animateur récoltaitet affichait les différentes idées. Une discussiona permis de clarifier et de débattre chaquesolution proposée, d’amener d’autres idées etde regrouper les idées communes. La séances’est terminée par un vote individuel pour lestrois meilleures idées.L’analyse de cette consultation a consisté àrécolter les idées proposées, les classer engrands thèmes, leur donner un ordre de priorité.Les notes prises en parallèle au déroulementde la séance ont apporté un matériel intéressantpour la compréhension de l’importance accor-dée à chaque idée, de leur catégorisation, dupoids du discours de chaque groupe d’experts.L’animateur de la séance et deux médecinsayant participé au groupe ont marqué leuraccord sur les conclusions de l’analyse.

Résultats

● Les participants

➢ Aux groupes focalisés : 28 médecins (sur62 concernés) travaillant dans 18 maisonsmédicales (sur 46 concernées) qui fonctionnenttoutes dans le système de financement for-faitaire des soins. Les participants ont touseffectué au moins un an d’assistanat dans unemaison médicale.

➢ A la cinquième consultation : 13 partici-pants. 4 des 5 médecins plus âgés sont médecinsfondateurs de leur maison médicale. Les 11maisons médicales représentées fonctionnentdans le système forfaitaire de financement dessoins.

jeunesassistants médecins

Liège (11 maisons médicales) 12 7Bruxelles (7 maisons médicale) 5 4

médecinsen MMdepuis

jeunes au moinsassistants médecins 25 ans

Liège (6 maisons méd.) 2 2 3Bruxelles (5 maisons méd.) 1 3 2

● Motivations

➢ Les raisons de pratiquer la médecinegénérale pour les jeunes médecins de maisonsmédicales sont :

• Individuelles : s’épanouir, être utile, appren-apprendre, chercher, être créatif, être auto-nome, donner le meilleur de soi, être sonpropre chef ;

• Relationnelles : être proche des patients et desfamilles, par amour des gens, avoir un rôlede référent. « En médecine générale, ongrandit avec le patient » ;

• Politiques : être observateur de la société, témoigner.

➢ Certains participants, actuellement assis-tants, ont commencé à pratiquer dans unemaison médicale par hasard ou par opportunité.La plupart des autres, assistants et médecinsconfirmés, ont délibérément choisi de travaillerdans une maison médicale.Motivations et satisfactions à travailler enmaison médicale se recouvrent totalement :

• Le travail en équipe pluridisciplinaire est lamotivation essentielle. Comparé à la pratiqueen « solo », il permet une meilleure qualitéde travail grâce à la possibilité d’échanges

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permanents entres pairs, mais aussi avec lesautres travailleurs de la santé, infirmières,kinésithérapeutes, travailleurs sociaux. Letravail à plusieurs est gratifiant, stimulant,rassurant. Il permet des remises en questions,il favorise la démarche de recherche. Lecuratif n’est pas la seule préoccupation. Lesprojets de prévention et d’éducation à la santéparaissent être des atouts majeurs pour unevision globale de la santé. « On découvre quela santé n’est pas toujours centrée sur lesmaladies, comme on l’a toujours appris.

C’est un bien-être qui inclut beaucoupd’autres facteurs ». L’organisation du travailet du temps dans une équipe pluridisciplinaireaméliore le confort et la qualité de vie. Lafonction d’accueillante en particulier estvalorisée : elle supporte et elle soulage lesmédecins. Le plaisir du travail en équipe,le côté humain, chaleureux, joyeux sontautant de facteurs favorisant la qualité dutravail. « A plusieurs, on construit une qualitéglobale supérieure ».

• Les participants insistent sur l’importance duprojet politique des maisons médicales. Ilsaiment se sentir dans un mouvement d’idées,interpeller la société, travailler en prenant enconsidération les déterminants socio-écono-miques de la santé. « La santé devrait êtregratuite ».

• La population des usagers des maisons médi-cales motive aussi les participants. Ils sontattirés par la diversité culturelle et sociale :« on transmet à certains ce qu’on a apprischez d’autres ». Ils trouvent important de« s’implanter dans les quartiers pour mieuxsoigner les défavorisés ». « On voit des gensqu’on ne côtoierait pas ailleurs ». « Noussommes là pour dire : « Ils existent » ».

● Difficultés

Les difficultés ont été évoquées en des termesparfois rudes. Dans certains groupes, l’émotiona parfois débordé la discussion.« Assez vite on exprime ses problèmes. Ça c’estdur, c’est significatif…, même si je re-signeraisà deux mains ». Cette phrase exprime à elleseule l’ambivalence entre l’adhésion rationnelleau projet dans son ensemble et les difficultésrencontrées dans la pratique quotidienne. Voiciles difficultés les plus souvent évoquées, dansl’ordre croissant de priorités. Les dernièrespourraient faire quitter la maison médicale auxparticipants :

➢ La lourdeur du travail

• La profession de médecin généraliste estvécue comme extrêmement exigeante. Elleimpose des compétences dans des domainesvariés, elle implique une gestion constantedu doute et une disponibilité maximale. « Ondoit avoir réponse à tout », « on est le premieret le dernier recours ».

Le malaise des jeunes médecins en maisons médicalesAnalyse qualitative et perspectives de solutions

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• Le travail en équipe pluridisciplinaire estvécu comme une exigence supplémentaire etparfois une contrainte : « On doit être telle-ment pluridisciplinaire à l’intérieur de soiqu’on ne sait plus très bien qui on est ».D’une part, le médecin « est tributaire desautres », il doit rendre des comptes, il estconfronté à « la différence des conceptionsdans le travail ». D’autre part, dans leséquipes où les fonctions et les compétencesde chacun ne sont pas claires, le médecin al’impression de devoir tout gérer. « La priseen charge globale, c’est bien mais c’est troplourd ». Certains participants expriment leurmalaise face à une « fonctionnarisation » destravailleurs, ce qui ne correspond pas à leuridéal professionnel.

• Dans certaines équipes, la non-reconnais-sance du travail spécifique du médecin estune difficulté supplémentaire : « Le maladeest illogique. On veut le nier. On [les autrestravailleurs de l’équipe] nous dit : « organi-sez-vous », mais ce n’est pas faisable ».

➢ La population des usagers

Les participants supportent mal la dérive queconnaissent certaines maisons médicales,liégeoises en particulier, quant au type depopulation inscrite ces dernières années : « Larichesse en maison médicale, c’est l’ouverture :si on ne soigne plus que les défavorisés et lespsychotiques, le projet perd de sa force ». Lapopulation est mouvante : « C’est difficile, dansma conception de médecin de famille, de ne passuivre des patients chroniques ». Les patientssont vécus comme des utilisateurs exigeants quine se préoccupent pas du sens du projet : « Lepatient est roi, on doit le servir ». Ces difficultéssont mises en relation par certains avec le modede fonctionnement, comme le financement dessoins au forfait. Les participants ne se sententpas reconnus à l’extérieur de la maisonmédicale dans le travail qu’ils font pour unepopulation marginalisée : « C’est très embêtantd’être les bouche-trous du système : ils sontsoignés et ça ne dérange plus personne ».

➢ les conflits relationnels préoccupentbeaucoup les participants, en particulier ceuxqui en ont vécu dans leur équipe. Ces conflitsne sont pas réductibles à des dynamiquespersonnelles, mais relèvent de difficultés plus

profondes, liées à des divergences d’opinions,d’investissement, des défaillances profession-nelles. « L’équipe, si ça se passe mal, c’estl’enfer », « C’est le projet d’une vie qui foire ».

➢ Les difficultés liées à la transmission duprojet des maisons médicales sont discutées partous les participants. Elles sont de plusieursordres, mais inextricablement liées.

• L’adhésion au mode de fonctionnement desmaisons médicales pose beaucoup de ques-tions aux jeunes médecins : « L’autogestion,l’égalité salariale, les grandes idées institu-tionnelles, ça ne touche plus ». Et puis,« C’est beau en théorie, mais c’est très lourdau quotidien ». Ils se plaignent d’un manquede définitions des compétences, qu’ils met-tent en relation avec le travail en autogestion.Ils vivent les « pressions, sans pouvoirformel » et expriment que « c’est difficile decomprendre les coalitions, les personnes quiont le pouvoir ». Pour eux, « il manquel’autorité du père, le grand manitou qui dit :« C’est comme ça et c’est pas autrement » ».De plus, le modèle n’est plus porteur d’uneréflexion générale « pour un monde plusjuste ». « Il faudrait », disent-ils, « être moinsexigeant envers nous, mais plus promouvoirà l’extérieur, afficher son mode de fonction-nement quelque part ».

• Les relations avec les aînés sont source d’in-compréhensions et de souffrances. Les réfé-rences à un passé lointain ne parlent plus. Lasociété a changé, les valeurs aussi : « Mai 68,désolé, mais moi je l’attends, c’est bien beaude voir ce qui a été, mais il faut réactualiser,il faut redire tout ça avec mes mots », « Laliberté individuelle de penser, c’est impor-tant ». Les jeunes médecins expriment dessentiments ambivalents entre reconnaissancepour tout ce que les anciens ont mis en placeet animosité face à leur emprise : « Lesanciens, la maison médicale c’est leur bébé,ils ont peur de lâcher », « Remettre en ques-tion ce qui est là encroûté depuis des années,c’est difficile ». Ils se sentent incompris etjugés par les anciens : « Ce qu’on apporteleur paraît moins fort », ou abandonnés :« Les vieux décrochent avant de transmettrele projet ». Ils voient des avantages à « êtreun dinosaure dans sa propre maison médi-cale ». Ils ont des inquiétudes pour l’avenir

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du projet : « La Fédé [Fédération des maisonsmédicales] arrive à un stade où la transitionest difficile », « Il risque d’y avoir les maisonsmédicales de ’68 à 2004, et puis quelquechose de tout à fait différent ». Pourtant, ilsne manquent pas de dynamisme : « C’estimportant de défendre la médecine qu’onpratique, mais ce n’est pas facile de prendresa place ». « Avant de monter une maisonmédicale, il faut d’abord monter son projet,réfléchir à ses propres valeurs ».

● Particularités dans les différents groupes

➢ Les assistants éprouvent des difficultésliées à leur statut. Ils revendiquent la mêmeplace que les autres pour les prises de décisionspar exemple. Ils estiment pouvoir donner desavis pertinents et constructifs sur le fonction-nement de la structure, mais se sentent peuécoutés. Ils critiquent particulièrement lefonctionnement des grosses maisons médicales,dans lesquelles les aînés prennent toute la place.Dans leur travail, ils se sentent parfois utilisés,pour ménager les autres médecins, surtout lesplus âgés. « On est médecin comme les autres,mais on nous demande plus. On est là pour fairetout ce qui reste à faire. Derrière, y’a pluspersonne ».

➢ Les jeunes médecins liégeois éprouventdes difficultés liées au mode de rétribution enégalité salariale, qui a disparu ailleurs. Ils fontclairement le lien avec une non-reconnaissancede leur travail au sein de l’équipe : « C’est quoil’égalité salariale ? C’est pas possible d’êtreégaux », et des sources de tension au sein del’équipe : « On est toujours minorisés parrapport à cela ». Ils se sentent en porte-à-fauxdans une société qui a évolué : « Personne nesait qu’on travaille en égalité salariale… »,« …et ceux qui le savent, ils nous prennent pourdes dingues ».De plus, ils sont confrontés de manière accrueau problème de la paupérisation de la popula-tion inscrite en maison médicale, et exprimentplus que leurs confrères bruxellois, des signesde lassitude face à cette situation : « Les pa-tients, ils sont envoyés par les services sociauxqui leur disent : « Allez là-bas, c’est gratuit » ».

➢ Les jeunes médecins qui ont créé leurpropre maison médicale ne se sentent pas

suffisamment soutenus au démarrage : « C’estde la tradition orale... on copie les anciennesmaisons médicales ». Ils sont confrontés à destâches qui les dépassent. Le temps consacré àla gestion de la maison médicale leur paraîtdémesuré. « C’est pas normal de s’improvisercapable de faire fonctionner une ASBL ».

● Solutions proposées

Il est intéressant de noter que quelques anciensmédecins participant à la cinquième consulta-tion ont vivement réagi - étonnements, remisesen questions - lors de la présentation des résul-tats recueillis dans les groupes focalisés. Lesanimateurs ont du repréciser l’objectif de laréunion, centré sur les perceptions liées aumalaise de leurs jeunes confrères dans lesmaisons médicales. Dans un des sous-groupesconstitués ensuite pour la recherche desolutions, les jeunes médecins ont eu beaucoupde mal à se faire entendre.

Les solutions étaient des réponses à une ques-tion centrée sur les difficultés liées à la transmis-sion du modèle des maisons médicales. Ellessont énumérées en annexes (tableaux 1 et 2).

Les idées appliquées au verbe « éliminer »témoignaient de la force de conviction desparticipants pour un changement. Certainsparticipants ont suggéré « oser requestionnerle modèle,... même dans ses bases », pour« éliminer le mythe de la structure idéale ». Ungroupe a proposé d’« éliminer l’emprise de laFédé sur le modèle ». Les idées appliquées à« renverser » avaient trait au désir de changerles discours idéologiques. Les participants ontproposé d’« ajouter » des structures ou de les« modifier », et cela autour de plusieursthèmes :

• autogestion, pouvoir : professionnaliser letravail de gestion, répartir les responsabilités,avec délégation claire et transparente dupouvoir, sans pour cela abandonner le modèleautogestionnaire ;

• relations entre jeunes et anciens : le par-rainage d’un plus jeune par un plus ancien aretenu l’attention de beaucoup de partici-pants ;

• temps, histoire : « une lecture commune dela réalité » a semblé essentielle, grâce à la

Le malaise des jeunes médecins en maisons médicalesAnalyse qualitative et perspectives de solutions

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mise en place de moments et de lieux derencontres propices aux échanges.

Et surtout, une majorité des participants a insistésur l’importance de « permettre la différence »,qu’elle soit en relation avec le choix des activi-tés dans lesquelles chacun désire investir au seinde la maison médicale ou avec la reconnais-sance de différentes formes d’engagement.« Investir du temps à la maison médicale, c’estêtre militant » ont ajouté les jeunes lors de ladiscussion.

Discussion - perspectives

D’une manière générale, les jeunes médecinsadhèrent aux idéaux qui ont présidé au mouve-ment des maisons médicales : justice sociale,respect et autonomie du patient, approcheglobale. Ils ne remettent pas fondamentalementen cause les choix qui ont motivé leur engage-ment dans une maison médicale. Ils apprécientleur travail en équipe pluridisciplinaire pour laqualité de la médecine, la qualité de vie et laqualité des relations professionnelles. Ellescorrespondent aux avantages que les médecinsbelges « solo » entrevoient à la pratique engroupe : qualité de vie, continuité des soins,échanges d’expériences10.Certaines difficultés sont liées à la pratique auquotidien qui ne répond pas à leurs espoirs.Leurs discours expriment des divergences entrela quête d’une pratique idéale et la réalitéquotidienne : l’exigence et la lourdeur du travailde médecin généraliste, l’impuissance et ladésillusion face à une population mouvante etdéfavorisée, le poids du travail en équipepluridisciplinaire avec ses contraintes, sesconflits et ses inévitables conciliations. Lacrainte des conflits, des contraintes, la perted’indépendance sont aussi les difficultés queles médecins belges « solo » entrevoient à lapratique de groupe10.Les difficultés retenues comme prioritaires parles participants sont celles qui concernent lesprincipes de fonctionnement des maisons médi-cales et les relations avec leurs confrères plusâgés. Elles ont été regroupées en un thèmecommun : le défaut de transmission du modèle.C’est dans cette perspective qu’il faut com-prendre le discours des jeunes médecins, oscil-

lation permanente entre la recherche d’un idéalet l’impuissance face à une réalité insatis-faisante. Cette oscillation n’est pas expriméecomme telle, elle est implicite mais se manifestesans cesse au fil des discussions :

• Les jeunes ont des idées mais ils ne trouventpas d’ouverture dans le discours des aînés,en particulier des fondateurs. C’est d’autantplus difficile à vivre quand certains anciensse reposent sur eux dans leur pratiquequotidienne ;

• Les jeunes veulent être autonomes, ils aspi-rent à plus de liberté individuelle. Pourtantils font le choix de travailler en équipe et d’enaccepter les exigences ;

• Quand ils décident de créer une maisonmédicale, ils ont du mal à changer le modèle,à trouver adéquation entre leurs valeurs et unepratique qui leur corresponde ;

• Les jeunes supportent mal l’autorité de leursaînés, mais ils sont demandeurs de plus dehiérarchie ;

• Ils ont un réel souci de démocratie qui s’oppo-se à leur perception de la lourdeur des proces-sus démocratiques mis en place et del’investissement que cela suppose ;

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• Ils veulent travailler en faveur d’une sociétéplus juste, mais ne reconnaissent plus lesstructures non hiérarchiques des maisonsmédicales comme une traduction institution-nelle de cette aspiration ;

• De la même manière, ils expriment leurintérêt pour le travail de la Fédération desmaisons médicales et des collectifs de santéfrancophones, mais déplorent son emprise surle modèle ;

• Ils aspirent à une meilleure qualité de vie queleurs aînés, mais craignent la fonction-narisation du système ;

• Ils sont favorables au principe d’accessibilitéet à la pratique du forfait, mais supportentmal le succès de ce mode de financement etl’image de « médecine au rabais » qui y estassociée.

Toutes ces ambivalences sont le témoin d’unerecherche de sens. Le défaut de transmissiondu modèle par les aînés le laisse comme figédans le temps et l’histoire, et ce de manièreimperceptible au quotidien.Le projet n’appartient pas aux jeunes qui« sentent bien qu’en s’y conformant, ils obéis-sent à un modèle dépassé, qui ne leur permettrapas de se réaliser pleinement comme individu ».« Ils s’efforcent d’y croire, tout en conservantune certaine distance critique, parfois mêmecynique »18. Et sans doute le projet échappe-t-il aux anciens : la réaction de quelques anciensmédecins face aux perceptions des jeunes surleur malaise en maison médicale lors du démar-rage de la cinquième consultation collective estun témoin de leur propre malaise par rapport àune remise en cause du modèle.La Fédération des maisons médicales constituéeen très grande part de travailleurs des maisonsmédicales, est elle aussi mise en cause. Pour-tant, depuis quelques années, elle réfléchit surla cohérence du projet : elle exhorte toutes leséquipes à une lecture critique de la « charte desmaisons médicales », elle sollicite l’avis desociologues et philosophes12-13. Une étude surle système autogestionnaire en maison médicalea révélé la grande disparité dans la mise en prati-que du concept au sein des différentes maisonsmédicales19. Une enquête par questionnaires,actuellement en cours, s’intéresse aux causesde départ des médecins de leur maison médi-cale. La Fédération des maisons médicales et

des collectifs de santé francophones se souciedes résistances et des mécanismes de transition.Il n’empêche qu’elle mesure sans doute mall’importance de son emprise symbolique : lestravailleurs des maisons médicales - en parti-culier ici les jeunes médecins - ne trouvent pasdans ses analyses de réponses à leurs malaiseset à leurs questionnements implicites.

Les solutions apportées par les participants dela cinquième consultation collective témoignentdes difficultés liées à la transmission et de lanécessité d’adapter le modèle au contexte ac-tuel : parrainage d’un jeune par un aîné, lecturecommune de l’histoire de la maison médicale,critique du modèle jusque dans ses fondements,octroi d’un temps d’adaptation. Et cela enprenant en considération les différences indivi-duelles.

Les consultations collectives ont été très appré-ciées par les jeunes médecins, mais aussi parleurs aînés, ce qui rencontre la nécessité —retenue dans les solutions — de la mise en placede lieux de dialogues. Les groupes étaient con-stitués d’une population homogène, indispen-sable à la qualité des discussions. Un échantil-lonnage par sexe n’a pas semblé nécessaire :une réelle mixité dans le travail existe dans lesmaisons médicales depuis leur création.

Cette étude admet certaines limites. Le recrute-ment des jeunes participants à Bruxelles a étéplus laborieux qu’à Liège. On peut y voir deuxexplications : le projet a, d’une part, d’embléeconvaincu les participants liégeois qui connais-saient mon existence, et, d’autre part, il a sansdoute interpellé les participants les plus en diffi-cultés. La cinquième consultation s’est consti-tuée de manière plus aléatoire, avec des partici-pants volontaires, disponibles et ayant montréde l’intérêt pour l’étude. Il aurait été intéressantd’avoir des participants travaillant dans desmaisons médicales ayant conservé un mode definancement à l’acte : aucun n’a répondu àl’appel ; leur non-participation est en soi unequestion. Les chercheurs étaient les animateurs,avec comme avantage une bonne connaissancedu terrain pour l’animation et l’approfondis-sement des thèmes à discuter, et comme limitescertaines difficultés à s’extraire du contexte lorsde l’analyse du contenu.

Il serait intéressant, pour une étude ultérieure,

Le malaise des jeunes médecins en maisons médicalesAnalyse qualitative et perspectives de solutions

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de mettre en présence des médecins - qui onttoujours bénéficié d’une place particulière liéeà leur présence indispensable au sein desmaisons médicales - avec les autres travailleursdes maisons médicales.

On peut envisager l’intérêt de cette étude pourd’autres structures de soins qui, comme les mai-sons médicales, se sont construites à contre-courant de la société, pour ensuite s’institu-tionnaliser et dans lesquelles les jeunes sont prisen tension entre « besoin de reconnaissancesociale et accomplissement personnel »18.

Ce travail est d’un grand intérêt pour lesmédecins des maisons médicales, les équipeset aussi la Fédération des maisons médicales etdes collectifs de santé francophones. Il a permisd’objectiver chez les jeunes médecins des réti-cences implicites et par ailleurs inexprimablesau quotidien. Les solutions seront présentéeslors d’une prochaine assemblée générale de laFédération des maisons médicales et descollectifs de santé francophones. Elles pourrontaider à repenser le modèle et lui impulser unsouffle nouveau.

Bibliographie

(1) « Les maisons médicales : un outil de santé pourl’avenir », Santé conjuguée, Bruxelles, Fédérationdes maisons médicales et des collectifs de santéfrancophones, 1997 ; n°1 : 13-63.

(2) « Le financement des soins de santé primairesau forfait », Santé conjuguée, Bruxelles, Fédérationdes maisons médicales et des collectifs de santéfrancophones, 1998 ; n°3 : 27-87.

(3) Kesteloot K, Gillet P, Le financement des centresde santé. Description des activités et analysefinancière et économique, Etude commandée parl’INAMI, 3 novembre 2003, 53p.

(4) Burdet D, Denis B, Drielsma P, Quelle popu-lation suivons-nous dans les maisons médicales auforfait ?, Bruxelles, Fédération des maisonsmédicales et des collectifs de santé francophones,juin 2002, 26 p, Document interne.

(5) Wathelet T, « Les maisons médicales : unealternative pour une meilleure accessibilité », Santéconjuguée, Bruxelles, Fédération des maisons

médicales et des collectifs de santé francophones,2004 ; n°27 : 4-7.

(6) La définition européenne de la médecine géné-rale - médecine de famille, WONCA EUROPE 2002,36 pages ; version en ligne : <http ://www.ssmg.ch>.

(7) Décret relatif à l’agrément et au subvention-nement des associations de santé intégrée, 29 mars1993, N 93-1266 [SC-29215], Moniteur Belge - 27-05-1993, n° 12801.

(8) Maisons médicales. 60 000 wallons ont accès àdes soins gratuits, conférence de presse du MinistreThierry Detienne, Lundi 2 février 2004, dossiers depresse, Cabinet du ministre des Affaires sociales etde la Santé de la Région wallonne.

(9) Campbell Sm, Hann M, Hacker J and all.,« Identifying predictors of high quality care inEnglish general practice : observational study »,BrMedJ 2001 ; 323: 1-6.

(10) Feron Jm, Cerexhe F, Pestiaux D and all.,« GPs working in solo practice : obstacles andmotivations for working in a group ? A qualitativestudy », Family Practice, 2003 ; 20: 167-172.

(11) Delbrouck M, Le burn-out du soignant. Lesyndrome d’épuisement professionnel, Bruxelles, DeBoeck, 2003. 280p.

(12) Carton L, « Les maisons médicales dans leurcadre sociopolitique d’hier à aujourd’hui », Santéconjuguée, Bruxelles, Fédération des maisonsmédicales et des collectifs de santé francophones,2001 ; n°15 : 3-11.

(13) Lebeer G, « Les maisons médicales : unmouvement en crise ? », Santé conjuguée, Bruxelles,Fédération des maisons médicales et des collectifsde santé francophones, 2003 ; n°23 : 18-25.

(14) Enquête interne sur la satisfaction à travailleren maison médicale, Travail inédit de l’intergroupeliégeois. 2002.

(15) C. Davister et all., Les groupes focalisés.Fiches méthodologiques, Liège, Apes-ULG, février2004, 4p. (Stop j’agis ; F.1).

(16) Barbour R.S, « Using focus groups in generalpractice research », Family Practice, 1995 ; 12 : 328-334.

(17) L’outil « P.A.M.E.R. » a été mis au point pardes chercheurs de <www.dimension.consultance.be>qui ont aimablement accepté son utilisation pour laprésente étude.

(18) Bajoit G, Le changement social. Approchesociologique des sociétés occidentales contem-poraines, Paris, Armand Colin, 2003 : 128-132.

(19) Ladavid C, Le système autogestionnaire enmaisons médicales : analyse de cas. Louvain-la-Neuve, Cahiers de la FOPES, décembre 2003 ; n°24.54 p.

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Annexes

Solutions suggérées en réponse à la question :« Que mettre en place pour que la rencontreentre les générations permette à la fois latransmission et l’adaptation du modèle desmaisons médicales en fonction du contextepolitique et social ? ».

Le malaise des jeunes médecins en maisons médicalesAnalyse qualitative et perspectives de solutions

Tableau 1Classement des 49 solutions proposées par verbe d’entrée – 39 priorités

Permettre… :

1. de professionnaliser certaines tâches spécifiques, telles la gestion, tout en conservant unsystème de décision collectif

2. de reconnaître l’éventail des activités possibles au sein des maisons médicales3. l’interpellation des anciens par les jeunes4. aux jeunes d’être dans les lieux de décisions : AG, CA, projets…5. de raconter l’histoire de la maison médicale, du projet, sans omettre de raconter ses

problèmes6. la négociation entre l’individuel et l’intérêt de l’équipe7. la différence8. une hiérarchie clarifiée et fonctionnelle9. des lieux et des moments d’échanges10. une délégation des pouvoirs et des compétences avec persistance du contrôle démocratique11. l’évaluation12. l’investissement dans les domaines dont on a envie13. du temps de rencontre et de partage pour évoluer, donner de la place et prendre une place

Ajouter… :

14. du temps formalisé pour le travail autour du paradigme15. de la solidarité dans l’équipe (comme on le fait à l’extérieur)16. du temps pour s’adapter17. un référent formel et expérimenté pour les jeunes médecins18. un système de parrainage 1/1 d’un jeune médecin par un plus ancien (2X)19. du pouvoir aux médecins20. du pouvoir décisionnel, et le nommer21. l’expression et la transparence du pouvoir22. une lecture ensemble de la réalité actuelle pour renverser l’ordre établi23. un système d’information qui assure la pérennité de l’histoire et qui contextualise les

situations actuelles24. de la reconnaissance de l’extérieur25. une réelle fonction de gestion26. des moments de réflexion en dehors du quotidien27. la tolérance, la modestie28. un salaire qui corresponde aux tâches et au contexte social

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MOI NON PLUS

JE T’AIME,

Modifier… :

29. construire l’organigramme avec les jeunes30. la reconnaissance, la valorisation de

toutes les activités31. redéfinir les fonctions, les mandats et les

responsabilités de chacun32. redéfinir la place de chacun33. le « référentiel » travail pour respecter les

besoins, les désirs des jeunes médecins(ex : horaire, temps plein, gardes…)

34. les outils de gestion35. l’expression des valeurs36. la circulation de la parole37. la répartition des responsabilités

Eliminer… :

38. les « de mon temps… »39. le mythe de la structure idéale40. l’illusion et l’utopie que les maisons médi-

cales sont des îles de paix. Elles obéissentaux même lois que les autres groupeshumains

41. l’emprise de la Fédération sur le modèle42. l’égalité salariale

Renverser… :

43. oser requestionner et modifier le modèle, même dans ses bases44. reconnaître l’idée qu’il y a beaucoup de moyens différents d’être militant

(exemple : investissement en temps…)45. l’idée qui porte les valeurs. Au contraire, l’idéologie émergente est à adapter au contexte

local de la maison médicale46. les habitudes, les ronronnements47. l’ordre établi48. les discours purs et durs49. les illusions de l’exception

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Le malaise des jeunes médecins en maisons médicalesAnalyse qualitative et perspectives de solutions

Tableau 2Classement des 49 solutions proposées en 7 thèmes – 39 priorités

A. Temps - Histoire

1. raconter l’histoire de la maison médicale, du projet, sans omettre les problèmes2. permettre des lieux et des moments d’échange3. permettre du temps de rencontre et de partage pour évoluer, donner de la place et prendre une

place4. ajouter du temps formalisé pour le travail autour du paradigme5. ajouter du temps pour s’adapter6. ajouter une lecture ensemble de la réalité actuelle pour renverser l’ordre établi7. ajouter un système d’information qui assure la pérennité de l’histoire et qui contextualise les

situations actuelles8. ajouter des moments de réflexion en dehors du quotidien9. éliminer les « de mon temps… »

B. Autogestion – Pouvoir

10. professionnaliser la gestion11. ajouter une réelle fonction de gestion12. modifier les outils de gestion13. permettre une hiérarchie clarifiée et fonctionnelle14. permettre une délégation des pouvoirs et des compétences avec persistance du contrôle

démocratique15. permettre l’évaluation16. ajouter du pouvoir décisionnel et le nommer17. ajouter l’expression et la transparence du pouvoir18. modifier la circulation de la parole19. modifier la répartition des responsabilités20. ajouter du pouvoir aux médecins

C. Tous différents

21. reconnaître l’éventail des activités possibles au sein de la maison médicale22. permettre la différence23. permettre la négociation entre l’individuel et l’intérêt de l’équipe24. permettre l’investissement dans les domaines dont on a envie25. modifier la reconnaissance, la valorisation de toutes les activités26. redéfinir les fonctions, les mandats et les responsabilités de chacun27. redéfinir la place de chacun28. modifier l’expression des valeurs29. reconnaître l’idée qu’il y a beaucoup de moyens différents d’être militant (exemple investir

du temps…)

D. Entre les anciens et les jeunes

30. permettre l’interpellation des anciens par les jeunes31. permettre aux jeunes d’être dans les lieux de décisions : AG, CA, projets…32. construire l’organigramme avec les jeunes33. ajouter un système de parrainage 1/1 d’un médecin plus jeune par un plus ancien (2X)34. ajouter un référent formel et expérimenté pour les jeunes35. modifier le « référentiel » travail pour respecter les besoins, les désirs des jeunes médecins

(horaire temps plein, gardes…)

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E. Statut du médecin

36. ajouter un salaire qui corresponde aux tâches et au contexte social37. éliminer l’égalité salariale38. ajouter de la reconnaissance de l’extérieur

F. Relations dans l’équipe

39. ajouter la tolérance, la modestie40. ajouter de la solidarité dans l’équipe (comme on le fait à l’extérieur)41. renverser les habitudes, les ronronnements

G. Le modèle

42. éliminer le mythe de la structure idéale43. éliminer l’illusion et l’utopie que les maisons médicales sont des îles de paix. Elles obéissent

aux même lois que les autres groupes humains44. renverser les illusions de l’exception45. oser questionner et modifier le modèle, même dans ses bases46. renverser l’idée qui porte les valeurs. Au contraire, l’idéologie émergente est à adapter au

contexte local de la maison médicale47. renverser l’ordre établi48. renverser les discours purs et durs49. éliminer l’emprise de la Fédération des maisons médicales sur le modèle

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La Fédération des maisons médicales s’inter-rogeait sur la cause des nombreux départs desmédecins des maisons médicales, et princi-palement en région liégeoise. S’agissait-il d’unphénomène intrinsèque aux maisons médicaleset à leur développement ? Ou ne s’inscrivait-ilpas plutôt dans une évolution plus globale del’engagement médical caractérisée par une plusgrande mobilité ? Les deux questions pouvantêtre liées par quelque aspect.

C’est à cette double question que nous avonstenté d’apporter des réponses dans le cadre denotre rapport de stage. Notre méthode a consis-té, d’une part, à envoyer des questionnaires àdes médecins ayant quitté les maisons médi-cales et, d’autre part, à mener des entretiensavec des praticiens de deux maisons médicales,pour avoir une vision éventuellement « encontrepoint », « de l’intérieur » de leur travail.

Les résultats obtenus montrent que c’est au seinmême des maisons médicales et en regard deleur histoire et de leur développement que lescauses des départs des médecins sont à chercher.Certains principes de fonctionnement desmaisons médicales posent aujourd’hui problè-me, comme par exemple l’égalité salariale etl’absence de hiérarchie. Il semble que cesprincipes mis en place il y a une trentained’années sont en perte de sens.

Les maisons médicales reposeraient-elles doncsur des principes dépassés ? Le rôle de transmis-sion des médecins plus anciens aux plus jeunesest-il négligé ? Voilà autant de questions quirésultent de notre recherche et qui méritentréflexion.

Un questionnaire et desrencontres

La demande de la Fédération des maisonsmédicales étant de connaître les causes desnombreux départs de médecins de maisonsmédicales, il nous semblait indispensabled’aller chercher des informations chez lesprincipaux intéressés, à savoir les médecins quiont quitté une maison médicale depuis 2000.

Nous avons opté pour l’envoi de questionnairespour des raisons pratiques. L’objectif fut devérifier notre hypothèse de départ qui peut seformuler dans les termes d’un décalage entredeux logiques.Le médecin qui arrive dans une maison médi-cale en a une certaine image, une certainereprésentation. Il a une vision de l’engagementmédical et de sa mise en pratique dans lesmaisons médicales.De son côté, la maison médicale fonctionned’une certaine manière, en sachant que chaquemaison médicale a son histoire, se caractérisepar une forme d’engagement spécifique. Elle asa logique propre.Nous faisons l’hypothèse qu’il peut exister undécalage entre ces deux logiques d’engagementqui peut amener une rupture si celui-ci n’estpas entendu, reconnu, discuté.

Nous avons donc construit notre questionnairesur la base de cette hypothèse en nous focalisant

Je suis venu te dire que je m’en vaisM

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GaëlBuggenhout,PerrineEeckhout,étudiants endeuxième licenceen travail social,travaux pratiquesde sciencessocialesappliquées,rapport de stageavec le professeurGuy Lebeer etJacques Moriau,assistant,université libre deBruxelles, annéeacadémique2003-2004.

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

L’enquête du Dr Benrubi que vous venezde lire explorait les motivations et lesdifficultés des médecins travaillant enmaison médicale. Le travail dont nousprésentons maintenant de largesextraits aborde le malaise en maisonmédicale sous l’angle inverse : quellessont les raisons qui ont poussé certainsmédecins à quitter la maison médicaleoù ils travaillaient.

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

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sur le vécu quotidien des médecins (part d’enga-gement, investissement personnel, idéaux). Cequestionnaire a été soumis à un pré-test à laFédération des maisons médicales qui a suggéréle rajout d’une question et la reformulation decertains termes. Nous avons reçu de la Fédéra-tion des maisons médicales la liste des médecinsqui ont quitté une maison médicale entre 2000et 2003. Nous avons effectué 46 envois et avonsreçu 18 réponses. Dans l’idée de contextualiserla recherche et afin d’éviter les erreurs d’inter-prétations, nous avons joint deux lettresd’accompagnement au questionnaire. Lapremière, écrite par la Fédération des maisonsmédicales, nous présente et nous situe. Laseconde a été écrite par nous-mêmes sur dupapier à entête de l’ULB afin de nous différen-cier de la Fédération des maisons médicales.Elle explique l’objet de la recherche et garantitl’anonymat.

Pour compléter les informations contenues dansles questionnaires nous avons visité deuxmaisons médicales : une à Bruxelles et une àLiège.Le but de ces visites était de confronter leséléments de réponses des praticiens qui sontpartis d’une maison médicale aux discours deceux qui y sont toujours. Nous avions élaboréun petit guide d’entretien qui reprenait les prin-cipaux thèmes abordés dans le questionnaire.

Les enseignements de notrequestionnaire

● Qui sont nos répondants ?

Dix-huit personnes ayant quitté une maisonmédicale entre 2000 et 2003 ont répondu à notrequestionnaire. La faiblesse de cet effectifn’autorise bien évidemment aucune conclusionsignificative. Les quelques données qui suiventne sont donc mentionnées qu’à titre purementinformatif.

L’effectif est composé de 13 femmes et de 5hommes. La moyenne d’âge des hommes (41ans) est supérieure à celle des femmes (31 ans)Pour ce qui est de la durée moyenne d’enga-gement en maison médicale, nous remarquonsqu’elle est assez courte : 2,5 ans pour les fem-

mes. Un homme ayant travaillé 26 ans enmaison médicale « faussait » les chiffres, aussil’avons-nous retiré de la moyenne masculine :il apparaît alors que la moyenne est assezsemblable chez les hommes et les femmes.

Pour 10 des 18 personnes de notre effectif, lesmaisons médicales représentent le premieremploi ou le choix d’un stage de médecinegénérale.A propos des fonctions occupées après le départd’une maison médicale, on remarque que surles 18 personnes, 7 travaillent encore enmaisons médicales, ce qui montre que celles-cirestent leur premier choix.La moitié des autres (+/- 5) se retrouvent dansdes structures similaires telles que des centresde planning familial, où les médecins« sortants » retrouvent les mêmes motivationsque dans les maisons médicales (travail enéquipe, pluridisciplinaire).Le reste de l’effectif (6) change complètementde contexte : cabinet individuel, médecine dutravail, hôpitaux, ...

● L’évaluation par rapport au travail enéquipe, à l’égalité salariale, à la non-hiérarchie

L’évaluation du travail en équipe varie d’uneéquipe à l’autre. Cela dit, si l’on suit les chiffres,l’item « mauvais » est très présent.

Evaluation du travail en équipe

Excellent : 0Bon : 6Satisfaisant : 5Mauvais : 7

Désaccord avec la politiqued’égalité salariale

Oui : 10/14Non : 4/14Pas en vigueur : 4/18

Il apparaît clairement que la majorité del’effectif marque son désaccord quant à la poli-tique salariale en vigueur dans certainesmaisons médicales. Ce positionnement seretrouve dans les questions qui suivent, confir-mant ainsi cette tendance.

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Si on analyse le discours sur l’égalité salariale,on remarque que celle-ci peut provoquer devives réactions. Plus elle semble non-négocia-ble dans l’équipe, plus elle pose problème etdevient une cause de départ.On peut ici faire un lien entre l’égalité salarialeet l’absence de hiérarchie. En effet, c’est sansdoute plus le caractère immuable du principeet/ou le tabou dont il fait l’objet qui provoquentle départ que le principe lui-même.Par rapport à cela, nous nous sommes demandési, dans certaines maisons médicales, l’égalitésalariale ne serait pas « garante » en quelquesorte de l’égalité de parole et de pouvoir. Onpourrait dire « à salaire égal, parole égale ».Remettre en question l’égalité salariale revien-drait à remettre en question l’égalité de pouvoirde chacun. La question de l’égalité salarialedevient alors le sujet de débat à exclure car ilrenferme d’autres enjeux.

certaines d’entre elles, dévoilent un pouvoirimplicite, un pouvoir informel organisé sur unaxe : « âge/ compétence/expérience ».On remarque aussi que la plupart des médecinsqui ressentent un inconfort vis-à-vis de la non-hiérarchie (à certains moments ou en perma-nence) sont en désaccord avec l’égalité sala-riale.Malgré cela, un certain nombre de médecinschoisissent de rester dans ce type de structure,mais nous y reviendrons.

● Les causes de départs proprement dites

Les causes de départs peuvent se regrouper entrois catégories.

La première catégorie comprend des causesimputées à la gestion, au fonctionnement de lamaison médicale (absence de hiérarchie, enjeuxde pouvoir). On y trouve aussi des causesrelatives aux relations interpersonnelles. Celles-ci peuvent toucher au mode de fonctionnementde l’équipe et aux enjeux de pouvoir. Parmielles, on retrouve par exemple, la gestion del’équipe, le projet commun mal défini, l’absen-ce de hiérarchie, les réunions décrites commeinefficaces.

La deuxième catégorie comprend des causesimputées à des questions d’ordre matériel etpragmatique (salaires, argent, horaires). Onretrouve parmi cette catégorie l’égalité salarialeet son caractère non-négociable, les gardes ...En effet, nous sommes ici dans une formed’organisation qui fonctionne autrement que laplupart des logiques organisationnelles où lesalaire est fonction du niveau de responsabilité,du diplôme, de l’ancienneté.

La troisième catégorie comprend des causespersonnelles et familiales que l’on peut retrou-ver dans tous les milieux professionnels et dontnous ne tiendrons pas compte. Il s’agit parexemple d’incompatibilité d’humeur, de laconciliation entre vie privée et professionnelle,de la difficulté d’intégration ...

● Les difficultés rencontrées lors du travailen maison médicale

En ce qui concerne les difficultés rencontréeslors du travail en maison médicale, nous

Je suis venu te dire que je m’en vais

Inconfort par rapport à la non-hiérarchie

Oui : 4/18

Non : 3/18

A certains moments : 11/18

- Lors de décisions à prendre- Au niveau des tâches, missions et rôle de chacun dans

l’équipe- Au niveau des orientations et des priorités de la maison

médicale- Lors de conflits car absence de responsabilités- Pressions dues aux différences d’âges et d’expérience

qui installent un pouvoir implicite, informel- Veto de certains par rapport à certaines demandes

(horaires, salaires,...)- Au niveau de la clarté de la gestion financière- Prise de décisions en dehors de lieux prévus à cet effet- Remise en questions de décisions prises

L’absence de hiérarchie suscite aussi uninconfort, permanent ou ponctuel. Cet inconfortapparaît principalement lors de décisions àprendre, il peut se rapporter aux lieux danslesquels elles sont censées être prises et semanifester lors de conflits de tous genres.L’inconfort provient aussi d’une absence declarté au niveau des rôles et des tâches dechacun au sein de l’équipe.Ces réponses nous montrent que l’absence dehiérarchie est source de tensions qui, pour

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MOI NON PLUS

JE T’AIME,

retrouvons les trois catégories précitées. Nousavons en outre distingué trois façons de lesgérer.La première façon de gérer les difficultés estde ne rien faire. Il n’y a aucune gestion ou bienelle constitue une cause de départ des médecins(ce qui serait donc admis comme une forme derésolution du conflit).Une autre façon est d’en parler, on cherche à semettre d’accord par le biais de supervisions, etde réunions.Une troisième réponse consiste en la recherchede nouvelles pistes. L’équipe cherche à mettreen place une solution originale à caractère« durable ». Cet ajustement est rare alors que,d’après nos entretiens en maisons médicales, ilpermet d’éviter bien des tensions en leur don-nant une issue.

A la question « étiez-vous satisfait de la manièredont ces situations ont été gérées ? », nousretiendrons que la majorité de l’effectif n’en apas été satisfaite.Tout cela nous montre une correspondanceévidente entre les causes de départ citées et lesdifficultés rencontrées durant le travail en mai-son médicale. Nous pouvons en effet dégagerdans les deux cas les mêmes catégories etremarquer que ce qui a pu faire l’objet d’unedifficulté est une cause de départ (par exemple,l’égalité salariale, une décision à prendre). Lagestion de ces difficultés, la satisfaction àl’égard de cette gestion et le lien difficultésgestion/départ confirment cette correspon-dance.

● Les attentes et la correspondance entreces attentes et le travail en maisonmédicale

Les motivations qui ont poussé les médecins àtravailler en maison médicale sont assezdifférentes d’une personne à l’autre.Cependant, il apparaît que les principalesmotivations sont d’ordre « idéologique », ellestiennent au travail proprement dit et au projetparticulier des maisons médicales : travail enéquipe et pluridisciplinaire, accès gratuit auxsoins, travail social, projet politique, ...Ensuite, on trouve des motivations qu’on pour-rait qualifier de « matérielles », qui tiennentdavantage à la conciliation de la vie privée etde la vie professionnelle, aux horaires, aux

charges administratives moins importantes, àla formation, au salaire.

Il est important de remarquer que pour deuxtiers de l’effectif (12 sur 18), le projet des mai-sons médicales correspond aux attentes desmédecins. Sont souvent cités, le travail enéquipe pluridisciplinaire ainsi qu’un certainidéal. Ces attentes ont été rencontrées durantleur temps de travail.

Il faut attirer l’attention sur le fait que l’absencede hiérarchie n’a jamais été citée au titre demotivation et que l’égalité salariale n’a été citéequ’une seule fois. Ils ont été par contre tousdeux pointés du doigt pour être sources dedifficultés, de conflits, voire de départsLe travail pluridisciplinaire est la motivationinitiale la plus citée. Cela signifie qu’il constituel’attrait essentiel à travailler en maison médi-cale. Et il apparaît que ce qui attire le plus estaussi une des principales sources des difficultéset des départs.

Lorsque les 18 personnes s’expriment au sujetdes manques qu’ils ont rencontrés au sein deleur maison médicale, un lien peut se faire avec

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ce qu’elles disent sur les difficultés rencontréeset les causes de départ. Les principaux manquescités peuvent se regrouper sur le premier axe, àsavoir le fonctionnel. Il s’agit essentiellement,d’une part, du manque de communication et dereconnaissance et, d’autre part, du manque decompétence en gestion de conflits.

Ainsi le caractère non-négociable des rému-nérations constitue aux yeux de certainsmédecins un obstacle à une reconnaissancesymbolique.

Je suis venu te dire que je m’en vais

Quelques réflexions personnelles de ceux quisont partis

Il faudrait mettre en place une structure de décision quigarantisse la démocratie ;

L’autogestion et l’égalité salariale, sont des moyens pourviser une utopie mais ne doivent pas devenir des buts ensoi, contrairement à l’impression que donne la Fédérationdes maisons médicales à ce sujet ;

Le travail en équipe ne s’improvise pas mais se cultive ;

Le système de payement à l’acte est plus serein et plusstimulant car il permet une certaine liberté du médecin quireste indépendant tout en étant dans le projet, les conflitsdiminuent et le regard des non-soignants est différent ;

Il faudrait une coexistence des deux systèmes de payement :la solution idéale serait un forfait de base combiné avec unsystème à l’acte ;

Il y a trop de patients ;

Il est fait maintes fois état d’une admiration pour les médecinspionniers, considérés dans ces cas comme plus militants etprêts à faire des sacrifices que les jeunes ne sont plus prêtsà faire ;

Les maisons médicales est un système qui s’essouffle et quidevient excessif pour exister ;

On s’occupe plus d’objectifs structurels car la confrontationd’idées et des générations fait peur et doit être occultée ;

Les maisons médicales devraient être un lieu où les médecinssont recherchés pour leur apport non curatif et on lesmaintient dans un rôle curatif ;

Il est difficile de soutenir la créativité et la mobilisation surle long terme quand on n’a pas de recul...

Une convergence apparaît entre les manques etles remarques ou réflexions formulées dans lequestionnaire. Celles-ci peuvent être luescomme des propositions pour pallier les man-ques déclarés. Elles nous renvoient aussi auxdifficultés et aux causes de départ. Les remar-ques et les réflexions sont autant positives quenégatives.Elles témoignent d’une certaine ambivalencecar une fascination du système continue d’opé-rer malgré la critique. Les systèmes de paye-ment (à l’acte ou au forfait) sont évoqués etcritiqués et de nouvelles solutions sontproposées.

Un besoin de créativité

Notre analyse porte sur un effectif réduit (18personnes, un tiers des questionnaires envoyés),ce qui ne permet pas une réflexion pointue etcertainement pas fondée quantitativement.Nous n’avons donc pu qu’au mieux dégager destendances, en mettant en relation différentesvariables entre elles. Cette analyse n’est doncpas exhaustive et contient des résultats partielset non définitifs.De plus, même s’il existe une charte, une basecommune à toutes les maisons médicales,chacune a sa personnalité, son fonctionnementsinguliers. Il est dès lors difficile de faire la partdu particulier et du général, de ce qui est propreà un fonctionnement spécifique et de ce quel’on peut généraliser.

La tendance la plus remarquable que nous avonspu dégager est le fait que ce qui est attirant ouséduisant dans le projet des maisons médicalesest aussi la cause des départs.

Nous avons aussi constaté que l’absence dehiérarchie et l’égalité salariale (quand elles sonten vigueur) sont largement remises en cause.En effet, elles sont sources de conflits, de ten-sions, d’autant plus lorsque les rôles de chacunsont mal définis.Cependant, cela ne veut pas dire que la volontédes médecins interrogés est de voir les maisonsmédicales s’organiser selon un modèle hiérar-chique classique. Ils suggèrent un systèmeintermédiaire qui consiste en la mise en placed’un organe décisionnel élu démocratiquement.

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MOI NON PLUS

JE T’AIME,

C’est d’ailleurs comme cela que la maisonmédicale de Liège a pu éviter certains conflitset en désamorcer d’autres.

D’après les résultats de l’enquête, la plupart desmédecins sont motivés par le travail en maisonmédicale et défendent le projet de médecinesociale. Les médecins entrent donc dans cesystème par conviction et y trouvent de l’intérêt.Ils y décèlent des failles mais, malgré cela, pourprès de la moitié, y travaillent toujours ou dansdes structures similaires.

De plus, il existe de jeunes maisons médicaleset des projets en cours qui témoignent del’ambition de certains médecins de se lancerdans un projet de médecine sociale et com-munautaire malgré le contexte néo-libérald’aujourd’hui.Cela ne signifie pas que les jeunes médecinsqui quittent les maisons médicales manquentd’idéalisme ou sont attirés par la médecinelibérale. En témoignent leurs fonctionsactuelles. La petite taille de l’effectif ne nouspermet pas de nous avancer davantage dans cegenre de considération. Ce qui est observé iciest simplement que la tendance des médecinsinterrogés à pratiquer une médecine libérale estminoritaire.

Ceci nous amène à conclure que la cause desdéparts des médecins des maisons médicalesn’est sans doute pas due à l’hypothèse que nousavions formulée. Il n’existe pas de décalage àproprement parler entre la logique des maisonsmédicales et celle des jeunes médecins.S’il existe un décalage, il n’est sans doute pas« idéologique » ou dû à un manque « d’idéalis-me » mais plutôt dû à un idéal d’organisationqui, tel quel, rencontre un déficit de sens aujour-d’hui. C’est donc à chaque maison médicale àtrouver et à mettre en place son mode de gestionen fonction de ses difficultés propres. Place àla créativité !

Il serait en outre intéressant de s’interroger surl’impact de l’institutionnalisation d’un projetqui est au départ idéaliste, un projet politiquealternatif. Le décalage évoqué se situe peut-êtredans l’institutionnalisation d’un projet qui, pardéfinition, ne s’y prête pas aisément. Lesidéaux, les valeurs qui ont toujours animé lemouvement continuent peut-être de s’exprimer

selon des modes, et notamment organisation-nels, qui sont de plus en plus difficilementcompatibles avec le processus et le fait mêmede l’institutionnalisation des maisons médi-cales. Celles-ci sont aujourd’hui partieintégrante de l’ensemble des institutions quicomposent le système de santé. Elles ne sontplus (tout à fait) des projets marginaux, nés desympathies croisées, de sensibilités partagées,d’affinités électives, autorisant des innovationssociales comme l’absence de hiérarchie etl’égalité salariale...

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60 Santé conjuguée - janvier 2005 - n° 31

C A H I E R

Y a-t-il un malaise ou des difficultés quifrappent nos médecins en maison médicale ?Telle est la question qui nous a donné l’envie,il y a quelques mois, de lancer une petiteenquête interne au sujet de la satisfaction dechacun d’entre nous à travailler en maisonmédicale.

L’objectif de l’enquête était de faire une analysecommune et un partage sur les conditions devie et la satisfaction à travailler en maisonmédicale liégeoise. Ceci nous permettaitd’élargir la réflexion initiée par le départ deplusieurs médecins et d’essayer de comprendrece qui motive les travailleurs à quitter lesmaisons médicales de la région liégeoise... ouà y rester !

Le but poursuivi était de fournir une base deréflexion et de débat au sein de chaque équipe,de permettre un débat plus global ensuite, ausein de l’intergroupe liégeois (IGL)1 lors d’uneprochaine plénière, et enfin de faire un lien avecle débat sur l’égalité salariale et sur l’auto-gestion.

Quelques hypothèses, nées de conversationsinformelles, nous ont guidés dans l’analyse del’enquête. Ces hypothèses concernaient

l’autogestion, les relations au sein de l’équipeet toutes les difficultés liées à l’aspect financier.Une autre hypothèse reliait le malaise destravailleurs de santé en maison médicale aumalaise général qui touche le secteur des soinsde santé actuellement. Vous verrez qu’elles seconfirment à des degrés divers.

Méthode

Nous avons reçu 139 questionnaires sur les 211envoyés et l’analyse a été réalisée sur ces ques-tionnaires, qui ne représentent pas néces-sairement les proportions réelles de travailleursdans chaque secteur. Deux équipes ne nous ontpas fait parvenir leurs questionnaires.

Le taux élevé de récolte de questionnaires estdu à la mobilisation des différents délégués del’intergroupe liégeois et du temps consacré ausein de chaque équipe au remplissage duquestionnaire. Nous en avons obtenu un nombresuffisant pour une analyse valable, et reçu desréponses extensives aux questions, ce quitémoigne de l’intérêt de chacun pour l’enquête.

Il n’est pas exclu qu’une certaine réticence aitprévalu lors du remplissage des questionnaires,étant donné que l’enquête et l’analyse se sontfaites de façon interne, rendant peut-êtrel’anonymat relatif.

Les réponses ont été triées, classées et encodéesen vue d’une analyse statistique, afin d’obtenirdes résultats chiffrés et ainsi de réduire nosinterprétations. Pour chaque question, unelecture exhaustive des réponses nous a conduitsà établir des catégories nous permettant l’enco-dage et le traitement statistique des données.Une seule personne a encodé les réponses afinde rester aussi cohérent que possible dans larépartition des réponses. L’encodage s’est faiten utilisant un programme statistique, ce qui apermis de croiser certaines données qui noussemblaient pertinentes et de retenir celles quiétaient à la fois significatives (p<0,05) etintéressantes.

Enquête sur la satisfaction à travailler enmaison médicale

Janine Adelaire,coordinatrice àl’intergroupeliégeois, VirginieJurdan,kinésithérapeute,FrançoiseGoffin, médecin,MarylineGuillaume,assistantesociale, EdwinneDeprez, médecinen maisonsmédiclaes.

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Troisième angle d’approche de laproblématique d’un « malaise » au seindes maisons médicales, une enquête« interne » réalisée en région liégeoisepar les maisons médicales elles-mêmes.

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

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61Santé conjuguée - janvier 2005 - n° 31

MOI NON PLUS

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Résultats

● Profession exercée à la maison médicale

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10 20 30 40 50 60 70

ans

%Age des répondants

Répartition par sexe

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30

25

20

15

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% Profession

Nous avons regroupé les professions en sixcatégories : accueillants et assistants sociaux,médecins, kinésithérapeutes, infirmières,administratifs et, dans un dernier groupe,dentistes, diététiciens, psychologues etpersonnel d’entretien.

● Age

● Sexe

● Age de ma maison médicale<

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21,924,1

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35,1

% Répartition suivant l’âge de la maison médicale

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Concernant les questions suivantes, certainescatégories méritent un petit mot d’explication :

• sous l’aspect financier, on retrouve le salaire,mais également l’égalité salariale.

• sous la rubrique fonctionnement, concernantle côté positif du travail en maison médicale,on entend l’organisation du travail, à savoirle travail d’équipe, la pluri-trans-inter-disciplinarité, la diversité des tâches, l’acces-sibilité aux soins et le forfait, la collaborationet le partage des compétences.Côté difficultés, le terme fonctionnementrecouvre la gestion en général, avec unesubdivision en gestion du relationnel, gestiondu temps et l’autogestion dans tout ce qu’elleentend comme manque d’organisation,lenteur, lourdeur, manque de communication,de collaboration, de responsabilisation.

• la catégorie « politique » n’a été utilisée quelorsque le mot était clairement employé.

• sont reprises sous l’idéologie et la philoso-phie, toutes les réponses ayant trait à la chartedes maisons médicales.

● Quelles sont les principales raisons quim’ont amené(e) à travailler en maisonmédicale ?

Concernant « les raisons qui vous ont amenésà travailler en maison médicale », on peutremarquer qu’un médecin sur quatre choisit d’ytravailler pour des raisons qu’on peut regroupersous le terme de confort : logistique, arrange-ment des horaires, partage des gardes. Lefonctionnement est largement plébiscité,rappelons qu’il signifie dans cette question toutce qui est organisation de travail au sein desmaisons médicale.Le patient n’est pas la première raison quimotive à travailler en maison médicale, maisnous faisons tous, du moins pour les prestatairesde soins de santé et les assistants sociaux unmétier centré par nature sur la personnehumaine, ce qui explique peut-être que nousne le citions pas en premier lieu.

● Actuellement, quels avantages est-ce queje vois à exercer ma profession en maisonmédicale ?

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28,3

90,6

14,5

34,1

%

10,1

Enquête sur la satisfaction à travailler en maison médicale

Raisons principales qui m’ont amenéà travailler en maison médicale

Avantages à travailler en maison médicale

Au sujet des avantages à travailler en maisonmédicale, on peut constater que l’opportunité -mise au travail, proposition d’emploi -, si elleest une raison de travailler en maison médicale,n’est pas repris comme un avantage. Un méde-cin sur deux considère le confort de travailcomme un avantage à travailler en maisonmédicale. Les infirmières, quant à elles, appré-

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63Santé conjuguée - janvier 2005 - n° 31

MOI NON PLUS

JE T’AIME,

cient le type de travail qu’elles sont amenées àprester, qu’il s’agisse de la diversité, de laresponsabilisation, du travail de prévention etde la collaboration non hiérarchique.

● Actuellement, quels avantages est-ce queje vois à exercer ma profession dans lecontexte plus global contemporain ?

Concernant le contexte global contemporain,le souhait était d’élargir le débat et de voir si laproblématique rencontrée par les travailleursen maison médicale était liée ou non àl’actualité des problèmes rencontrés plusglobalement parmi les professionnels de soinsde santé. Malheureusement, cette question a étémoins bien comprise, et le nombre de réponsesest d’ailleurs moindre.A cette question, on retrouve un tiers deréponses non pertinentes par rapport au sensque nous voulions donner à cette question (malrépondu à la question).

● Quelles difficultés est-ce que je rencontredans mon travail dans ma maisonmédicale ?

● Quelles difficultés est-ce que je rencontredans mon travail dans le contexte plusglobal contemporain ?

Une catégorie de cette question, appelée « montravail », nous semblait intéressante pour deuxraisons : d’une part, elle recueille 39% desréponses - sur 119 - et d’autre part, il s’agissaitd’exprimer le malaise ressenti par la professionau sein de la société. Pour cette raison, nousavons effectué un croisement statistique avecla question relative avec la profession, afin devoir si l’une ou l’autre profession éprouvait plusde problèmes dans le contexte contemporain,comme le suggérait une hypothèse de départrelative au malaise ambiant en médecinegénérale. Ce croisement ne s’est pas révéléstatistiquement significatif.

● Qu’est-ce qui fait que je reste en maisonmédicale ?

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18,917,414,4

29,523,5

70,5

%Difficultés à travailler

en maison médicale

Pourquoi je reste

Trois quarts des médecins disent rester pour lefonctionnement, tel que décrit comme organisa-tion globale de travail.

● Quels sont le(s) motifs qui pourrai(en)tme faire quitter la maison médicale ?

Qu’est-ce qui nous ferait quitter les maisonsmédicales ? Le fonctionnement aussi, mais entant que gestion - des relations, du temps, et,last but not least, l’autogestion ! Un change-ment de philosophie, et des problèmes liés au

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64 Santé conjuguée - janvier 2005 - n° 31

C A H I E R

travail en particulier sont les autres raisons.Notons que le burn-out, dans cette questioncomme dans la suivante, ne paraît pas être unevariable majeure (à noter qu’une des caractéris-tiques de ce syndrome est la non-reconnaisancede sa réalité par la personne qui en souffre).

Le burn-out, certes, mais surtout l’envie de faireautre chose, on reconnaît bien là l’esprit vaga-bond et inventif des travailleurs qui s’aventurentdans les maisons médicales !

Commentaires

Quelques idées peuvent être retirées de cetteanalyse... Sans grande surprise, la gestion et enparticulier l’autogestion, reste notre plus grossedifficulté dans le quotidien de nos maisonsmédicales.

Le principal avantage que nous voyons à travail-ler en maison médicale est le type de fonction-nement, en tant qu’organisation globale dutravail, à savoir le travail en équipe, la pluri-trans-interdisciplinarité, l’accessibilité auxsoins, la diversité des tâches.

Le problème financier — en ce qui concernel’égalité salariale — ne prend pas tellement deplace et n’est pas en particulier le fait des méde-cins.

Ces quelques réflexions pourront servir de baseà une discussion au sein de chaque équipe surles véritables enjeux des départs et de lasatisfaction de ceux qui restent, ainsi qu’à undébat plus large au sein de l’intergroupeliégeois. Enfin, il serait intéressant de confronterces résultats avec ceux obtenus auprès des gensayant déjà quitté les maisons médicales (voirarticle précédent) et d’élargir le débat au seinde la Fédération des maisons médicales avec laréflexion déjà initiée là-bas au sujet de l’auto-gestion.

Enquête sur la satisfaction à travailler en maison médicale

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%

(1) Les maisons médicales se rassemblent en groupeslocaux baptisés « Intergroupes ». L’intergroupe nereprésente pas un niveau de pouvoir ou dehiérarchie : il s’agit de lieux d’échange, dediscussions, de coordination et d’initiatives entremaisons médicales de la même région géographique(Liège, Bruxelles, Charleroi, Tournai, etc.). Chaquemaison médicale est représentée au sein de sonintergroupe par un ou plusieurs délégués, quipeuvent être médecins, infirmiers, assistants sociaux,kinésithérapeutes, psychologue ou de toute autreprofession présente à la maison médicale.

Ce qui me feraitchanger de boulot

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37,740

17,7

%Pourquoi je partirais

● Quels sont le(s) motifs qui pourrai(en)tme faire changer de métier ?

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65Santé conjuguée - janvier 2005 - n° 31

MOI NON PLUS

JE T’AIME,

Les moinsMes difficultés :

« Sentiments de frustration si décision à la majorité et qu’on estpas d’accord personnellement avec la décision »

« La façon dont certains collègues portent des jugements limitantsur certains patients sans jamais se remettre eux-même enquestion »

« La politique salariale et l’autogestion amenant à mon sens unnon-discernement des responsabilités, des différences. (Ici, jene parle pas de salaire, même si c’est par ce biais qu’on arriveà en parler...) »

« Débats et réunions qui n’avancent pas, lourdeur et lenteur...évolution assez statique, chacun attend que l’autre fasse le premierpas : état d’esprit comme les fonctionnaires... »

« Les autres secteurs ont du mal à sortir de la dynamique de leurpropre secteur quand il est question de comprendre lesmécanismes d’un autre secteur »

« Egalité salariale pratiquée comme elle l’est dans beaucoupde maisons médicales c’est plutôt une inégalité franche pourcertains secteurs, mais on ne peut pas en parler sinon on estlibéral... »

Ce qui pourrait me faire quitter la maisonmédicale :

« Une certaine volonté de ne pas faire évoluer la maison médicaleen conservant de vieux principes peut-être obsolètes »

« En voilà une enquête intéressante, qui rejoint mes ques-tionnements, et oui, je suis de la tranche jeune médecin, cellequi fout le camp... »

« Connaissant les raisons qui vous ont amenés à réaliser cetteenquête, je pense qu’il n’est pas nécessaire de chercher bienloin les raisons qui poussent les jeunes médecins à quitter lesmaisons médicales. Les salaires totalement ridicules qui sontproposés ne contribuent en rien à souder les équipes et à faireen sorte que tout le monde s’y sente OK, bien au contraire. Entant que jeune médecin on n’est plus respecté ni par de nombreuxpatients ni par ses collaborateurs. On n’a qu’une envie c’est deleur dire : M...... ! »

Les plusAvantages :

« La politique de santé des maisonsmédicales s’inscrit dans une logique desolidarité, de vision globale,d’efficience. Les maisons médicales ontun rôle important à jouer dans leretissage du lien social, des dynamiquesde quartier et d’accessibilité aux soinspour tous »

« Montrer aux regards extérieurs auxmaisons médicales qu’on y fait deschoses chouettes et qu’on peut très bienfonctionner parmi des systèmesbeaucoup plus conventionnels »

Difficultés :

« Le fait que la maison médicales’autogère est un grand avantage maisil faut justement savoir gérer cet avantageen fonction de la responsabilité et despriorités de chacun... »

« Pas plus que dans un autre cadre detravail à mon avis... »

Pourquoi je quitterais :

« J’ai envie de dire aucun, même dansles situations les plus difficiles il y a dessolutions et je veux y croire »

Pourquoi je reste :

« La volonté d’élaborer un projet ensem-ble, quelque chose qui nous ressemble,qui nous permet de nous épanouir »

« Je reste car je crois au projet, j’aimemon travail et l’interactivité entre lesdifférents secteurs. J’aime à croire quecertaines choses peuvent changercomme l’égalité salariale... »

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C A H I E R

Patrick Jadoulle,médecingénéraliste à lamaison médicalela Glaise,président duconseild’administrationde la Fédérationdes maisonsmédicales.

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Après avoir pris connaissance des résultats deces trois travaux, et après en avoir discuté endifférents lieux au sein de la Fédération (assem-blée générale, conseil d’administration, cellulepolitique), il nous semble que les enseignementsgénéraux suivants peuvent être retenus.

Des points forts

Si des jeunes généralistes continuent à vouloirtravailler dans nos maisons médicales, c’estd’abord parce qu’ils sont attirés par une pratiquede groupe, en l’occurrence pluridisciplinaire.Ce type de pratique est en effet perçu commeplus valorisant et intéressant sur le plan profes-sionnel par rapport à la pratique solo classique,mais aussi comme plus compatible avec lerespect d’une vie privée et familiale épanouis-sante. Il est difficile d’apprécier laquelle de cesdeux raisons est la plus déterminante dans lechoix de ce type de pratique, et ce sera d’ailleurssans doute variable d’une personne à l’autre,mais il est important de prendre en compte cetteseconde attente forte en terme d’équilibre entresphères professionnelle et privée, car cetélément n’était guère, voire pas du tout, mis enavant jusqu’il y a une dizaine d’années environau sein de nos équipes.

La pluridisciplinarité et le travail en équipe sontclairement des facteurs attractifs pour les jeunesmédecins, qui semblent par ailleurs adhérerassez largement à la philosophie de travail véhi-culée par le mouvement des maisons médi-cales : approche globale et intégrée des problé-matiques de santé, souci de justice socialeenvers les franges les plus précarisées de nospopulations ...

Des points d’intérrogation

Comme le remarquent les étudiants dans leurstravaux, ni l’autogestion ni l’aspect non-hiérarchique du fonctionnement de nos équipesne sont cités comme des éléments ayant orientéle choix de pratique des généralistes vers laformule maison médicale. Mais par contre lamanière parfois trop informelle dont cesmoyens sont mis en œuvre au sein des équipesa clairement un effet insécurisant : les plusjeunes générations sont demandeuses d’uncadre décisionnel clair, efficace, transparent.Cette aspiration légitime n’est certes pas

Les trois travaux qui viennent d’êtreévoqués étaient attendus avec unecertaine impatience par la Fédérationdes maisons médicales et ses équipes,où l’on se rend bien évidemment com-pte depuis quelques années d’unedifficulté à stabiliser une partie desnouveaux travailleurs, et en particulierles médecins généralistes, au sein desmaisons médicales.

La question cruciale pour nous était desavoir si au-delà du malaise propre quesemble subir actuellement la profession(le fameux « burn out »), les médecinsgénéralistes intégrés dans nos équipeséprouvent des difficultés spécifi-quesqui peuvent expliquer une certainedésaffection pour ce type de pratique.

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Quels enseignements pour la Fédérationet ses maisons médicales ?

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MOI NON PLUS

JE T’AIME,

contradictoire avec le principe de l’autogestion(maîtrise par les travailleurs de leur outil detravail), mais souligne la nécessité de repensersa mise en œuvre, et de tenir compte des risquesinhérents à la joyeuse et idéaliste nébuleuse du« tout le monde est responsable de tout et per-sonne n’est le chef de quoi que ce soit » : risquesde hiérarchie informelle, de leadership nondéclaré, de prises de pouvoir insidieuses et delenteurs dans les prises de décisions, … quipeuvent être sources de tensions et de conflits.

Dans le même ordre d’idées, les jeunes travail-leurs médecins généralistes remettent claire-ment en question le principe de la réduction destensions barémiques entre professionsdifférentes, en particulier lorsqu’il est appliquédans sa forme extrême, à savoir l’égalitésalariale radicale. Ils estiment en effet que celane permet pas la reconnaissance de leur niveaude responsabilité et de la pénibilité inhérente àl’imprévisibilité de leur charge de travail et doncde leurs horaires professionnels avec les réper-cussions au niveau de leur vie privée.

Retenons enfin de ces travaux la difficultépointée par les plus jeunes travailleurs en termede manque de transmission du flambeau idéolo-gique qui préside à la construction du modèlemaison médicale.

En pratique, pour laFédération des maisonsmédicales, ces travauxconfortent une séried’éléments que nousavions déjà plus oumoins bien identifiésdepuis quelques années.

Il apparaît en tout casque des principes quifondèrent depuis ledébut de leur histoire lefonctionnement desmaisons médicalesdoivent pour le moinsêtre redéfinis, évalués,voire remis en question.Les deux notions qui

sont le plus ré-interrogées sont l’égalité salarialeet la non-hiérarchie.

L’égalité salariale, hier etaujourd’hui

Rappelons ici que le principe de l’égalité sala-riale a été mis en avant et souvent appliqué parles fondateurs de nos structures à la fois pourreconnaître l’égale importance de toutes lesprofessions intégrées dans nos équipes et pourfaciliter l’implication de tout un chacun dansla construction et le pilotage du projet. Ils’agissait aussi plus largement de préfigurer unesociété plus globalement égalitaire à l’avène-ment de laquelle on oeuvrait ardemment dansle cadre de luttes sociales plus larges. Force estde constater que ce type de rhétorique n’a plusguère d’échos auprès de nos jeunes collèguesqui ne retrouvent évidemment là aucuneréférence propre à la société environnante, quedu contraire.

On court alors le risque que ce principe deréduction des tensions barémiques, voire d’éga-lité salariale, au départ conçu comme un moyen,devienne un objectif en soi, une sorte de dogme,de plus en plus non signifiant, auquel on se

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Quels enseignements pour la Fédération et ses maisons médicales ?

raccrocherait comme s’il était le garant d’unégal respect de chacune et chacun, d’une égalepossibilité de participation, de prise de parole.Ce risque de rigidification est probablementd’autant plus important lorsque la structurationfonctionnelle de l’équipe n’est pas suffisam-ment transparente et ne garantit donc pas,précisément, la prise en compte de l’avis dechaque travailleur.

Il faut donc envisager une réévaluation de l’outil« diminution des tensions barémiques » (est-ceencore un moyen pertinent ? Pour quelobjectif ?) puisqu’il ne semble pas rencontrerles attentes d’une catégorie professionnelleessentielle au développement de notre modèle,les médecins généralistes, ceux-ci trouvant parailleurs « sur le marché » des possibilités detravail, notamment dans le monde hospitalier,très concurrentielles sur le plan financier.

Et comme de moins en moins de médecins sontprêts à accepter de travailler selon ce principede diminution drastique des différences « sala-riales », les quelques-uns qui accepteraient de

telles conditions de travail dans des équipes quisouhaitent toujours les appliquer risque-raientbien d’acquérir un important pouvoir puisqu’ilsdeviennent quasiment irrem-plaçables.

La conclusion est-elle qu’il faut définitivementabandonner l’objectif d’une diminution desdifférences de revenus entre les différentstravailleurs d’une équipe, et s’aligner sansremise en question aux barèmes légaux envigueur dans le secteur ? Si nous constatons quel’égalité salariale dans ses formes les plus« puristes » actuelles pose problème, nous nepouvons apporter de réponse ferme à cettequestion. Des solutions intermédiaires peuventexister, dont il serait bien utile de faire uninventaire au sein de nos structures...

Structurer l’auto-gestion

En ce qui concerne le mode de fonctionnementautogestionnaire et non-hiérarchique, nouspensons qu’il reste une condition nécessaire,quoique non suffisante, d’une vraie démocratieparticipative au sein des maisons médicales. Lesmédecins interrogés évoquaient d’ailleurs unsouci de justice sociale. On peut espérer quecela s’applique d’abord à l’équipe de travail.Le contrôle de l’outil de travail par les travail-leurs nous paraît favorable au développementd’un projet d’entreprise fondé sur la définitiond’objectifs communs. Mais un effort declarification est certainement à entreprendredans nombre d’équipes pour établir desprocessus décisionnels qui respectent unecertaine hiérarchie fonctionnelle sur base d’unorganigramme défini en commun, clair, connude tous, permettant à chaque travailleurd’assumer une part de la responsabilité globaledu fonctionnement de l’équipe, en fonction desa disponibilité et de ses compétences.Avec l’extension de la structure de l’emploidans les maisons médicales et l’accroissementde leur volume d’activité, des modalités plusrationnelles de pilotage et de fonctionnementdoivent être mises en œuvre, sans quoi, et lesétudes présentées le montrent, les conditionssatisfaisantes d’exercice de la profession ne sontplus réunies et l’efficacité de l’outil risque d’yperdre, au détriment de sa finalité, l’améliora-tion de l’état de santé de la population.

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MOI NON PLUS

JE T’AIME,

Des projets et un défi

Concrètement divers chantiers sont poursuiviset d’autres doivent être entamés.

Le premier, qui est déjà bien avancé et devraitse conclure dans les prochains mois par un voted’assemblée générale, est la réécriture de notrecharte reprenant les valeurs et les principesessentiels sur lesquels nous voulons construirenotre modèle de dispensation de soins de santéde première ligne et défendre une certainevision politique de la société.

Un autre projet qui devrait permettre de rencon-trer en partie la nécessité d’une meilleuretransmission du bagage idéologique entre géné-rations est le congrès que nous préparons pourjanvier 2006 à l’occasion du 25ème anniversairede notre Fédération. A cette occasion noussouhaitons, en partenariat avec d’autres struc-tures associatives du tissu médico-psycho-social, re-penser la question du sens de nospratiques. Ce congrès devrait être l’aboutis-sement d’une démarche réflexive qui s’étaleratout au long de l’année 2005 et au cours delaquelle nous serons particulièrement soucieuxd’intéresser les plus jeunes de nos travailleursen partant notamment de leurs préoccupationsconcrètes, sans pour autant négliger la réflexionpolitique plus globale en vue de poursuivrel’analyse critique de notre société, fidèles encela à notre mission d’éducation permanente.Le thème central visera à la refondation despratiques sociales, c’est-à-dire à leur redonnerdu sens, à les réinscrire dans une stratégiepolitique et dans des perspectives de société.

Pour rencontrer la nécessité d’une gestion plusperformante, plus efficace et dès lors sans douteplus sécurisante au sein de nos équipes, laFédération a décidé de mettre en place d’ici unan un programme « à la carte » d’aide à lagestion en s’appuyant tant sur des ressourcesinternes que sur des compétences externes.Nous comptons également proposer desréférences d’aide professionnelle en matière dedynamique et de supervision d’équipe, plu-sieurs expériences récentes démontrant quederrière des conflits paraissant de prime abordinterpersonnels se cachent souvent desdysfonctionnements d’équipes plus complexes

renvoyant à un manque de clarté dans lesprocessus de prise de décision.

Plus globalement enfin, ces travaux confirmentque nombre de jeunes médecins généralistessouhaitent rencontrer un paradigme renouveléde la médecine générale et de sa place dansl’espace social, et conviennent que cette mis-sion implique de nouveaux modes de pratique,notamment en groupes pluridisciplinaires, pourdes raisons qui tiennent à la qualité et à lasatisfaction professionnelle et à l’équilibre avecla vie privée.

Ceci ne peut que confirmer notre Fédérationdans sa volonté d’encourager les pouvoirspolitiques à mettre en place des incitants audéveloppement des pratiques novatrices, degroupe, pluridisciplinaires ou non, plus oumoins intégrées, d’inciter les groupementsprofessionnels à se pencher davantage sur unaggiornamento des pratiques et la valorisationd’une spécificité généraliste, et d’encouragerles milieux académiques à poursuivre laconstruction d’un modèle scientifique pour lessoins de santé primaires.

Il en va en effet de l’avenir des soins de santéde première ligne dans notre pays, et donc del’avenir de l’état de santé de notre population.A notre niveau, nous devrons donc aussi sansconteste réorienter notre politique d’aide audéveloppement de nouvelles maisons médicalesen décloisonnant beaucoup plus nos processusd’accompagnement des demandes qui nous sontadressées, pour oser des partenariats avecnotamment des centres universitaires demédecine générale, des associations locales desoignants de première ligne, des structurespubliques, …

Les enjeux sont de taille, mais nous sommes prêtset enthousiastes pour relever le défi !

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Et ailleurs ?

Le « malaise en maisons médicales » s’inscritdans un contexte de crise pour la médecinegénérale toute entière : crise d’identité certes1

mais aussi éclaircissement des rangs et desinvestissements. Il n’existe pas à notreconnaissance de statistique exhaustive, mais lesdonnées disponibles convergent. Si lesnouvelles générations d’étudiants ont une idéepositive de la médecine générale, leur désir des’y engager est plus qu’incertain et parmi ceuxqui tentent l’aventure, plus de 10 % quittentrapidement le terrain. Le nombre de généralistesayant une pratique réelle de généraliste diminuelentement2.

Les causes de cette désaffection sont multipleset leur part dans le phénomène est variable.Citons dans le désordre la préséance accordéeaux spécialistes aux yeux du public, la dévalori-sation financière, la lourdeur de l’investis-sement en temps impliqué par la disponibilitéet la continuité des soins, le désintérêt pour lesaspects sociaux et psychologiques indis-sociables de la médecine générale, le dévelop-pement de « mini-spécialités » (environnement,

toxicomanie, généraliste d’hôpital ou de serviced’urgence), la crainte de se laisser envahir parcette profession exigeante au détriment del’épanouissement personnel, et d’autresencore3.Ceux qui s’engagent aujourd’hui dans unepratique privée, hors maison médicale, ont denouvelles attentes. Trois exemples : lespratiques de groupe se multiplient et si leurobjectif principal déclaré est professionnel4, lapossibilité de libérer du temps pour soi n’estpas étrangère à leur essor (explication souventliée, sans argument probant, à la féminisationde la médecine) ; les services de garde éprou-vent de plus en plus de difficultés à remplir leurgrilles, le principe d’une garde publique lui-même est battu en brèche par les prestatairespotentiels ; le burn out qui menacerait près d’ungénéraliste sur deux ne semble pas être àl’origine des départs en maisons médicales : ilest vrai que l’isolement professionnel y estforcément moindre5.

On le voit, ces problématiques ne recouvrentpas exactement celles mises en lumière part lesenquêtes en maisons médicales. Si des méde-cins nous quittent, leur nombre total s’accroîtau rythme des créations de nouvelles maisons.Dès lors, cette situation méritait une analysespécifique.

Danger ?

Il fallait un courage certain pour se remettre enquestion, pour continuer après tant d’années ànourrir la réflexion sur le sens de ce que l’onfait, de ce que l’on avance et de ce l’on défend.C’est dans cet esprit que ce cahier a été conçu,non sans se heurter à des réticences et à descraintes. Les freins ont été de deux ordres.Serons-nous bien compris, n’allons-nous pasarmer ceux qui, depuis la création des premièresmaisons médicales, tirent à boules rouges surle modèle et la philosophie qu’elles incarnent ?Mais sous ce niveau « politique » rampait uneangoisse plus primitive : en parlant de malaise,à souligner nos lignes de faiblesse, ne risquons-nous pas, en tant que maisons médicales,d’ébranler nos convictions, de provoquer desfractures et peut-être de mettre notre existenceen péril ?

Le malaise en maisons médicalesdiffère grandement de ce que l’on nom-me « la crise de la médecine générale »et les enseignements que nous tirons deson étude nous donneront un nouvelélan.

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Axel Hoffman,médecingénéraliste à lamaison médicaleNorman Bethune.

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JE T’AIME,

Le danger était-il réel ? Nous n’oserions direque l’histoire nous a donné raison, parce quecette affirmation nous enfermerait dans le passé,et pourtant ? Le projet d’une société plus justeet plus égalitaire qui sous-tend tout le mouve-ment des maisons médicales est plus que jamaisd’actualité. La question est ailleurs, elle se posedans les concepts, les moyens et les modèlesmis au service de ce projet dans le domaine dela santé : l’autogestion, l’autonomie et la parti-cipation des usagers, l’égalité salariale et la non-hiérarchie, le projet de santé comme état debien-être, dans une perspective globale et inté-grée, le souci de la gestion efficiente du bienpublic et de l’accessibilité des soins, la transdi-sciplinarité, liste non exhaustive6. Enumérationindigeste qui rend compte d’une des difficultésmises en évidence par les études : l’impressiond’un savoir « caché », d’une visée insaisissable,d’une impossible transmission de flambeau, etdonc d’un pouvoir occulte des anciens.L’impression aussi d’un discours dépassé, tropvite catalogué de post-soixante-huitard, pas enprise sur l’aujourd’hui et il est vrai que la réfé-rence à 68 sert trop souvent à clore le débattant de la part des anciens pour imposer uneopinion que de celle des jeunes pour la rejeter.Et pourtant les idées nées du Groupe d’étudepour une réforme de la médecine, GERM, etdu mouvement des maisons médicales, parmilesquelles les nouvelles conceptions de la santé,l’essor des pratiques de groupe, la place dupatient, l’attention à la santé publique, à l’épo-que parfois objet de dédain ou de raillerie,prennent pied dans la réalité ; d’autres consti-tuent encore pleinement un défi de tous les joursque les maisons médicales ne sont pas seules àsoutenir, comme, entre autres, l’accès aux soins.La problématique est alors de continuer uncombat qui est loin d’être achevé alors que leslignes de front ont changé : institutionnalisationrelative des maisons médicales, inscription duprojet dans un monde qui ne se lit plus dans labipolarisation droite-gauche (bye bye est-ouest,hello nord-sud et alter mondialisation) ni dansl’obédience à une idéologie (nous laisseronsaux spécialistes le soin de déterminer si lediscours des maisons médicales constitue uneidéologie), ressourcement difficile de conceptstrop souvent dévoyés par la société néo-capitaliste7, évolution sociologique qui donnela priorité à l’épanouissement personnel etdévalorise le « collectif », etc8.

Revenant à l’entame du paragraphe précédant,il devient clair que le danger n’était pas de seremettre en question, mais de ne pas le faire.L’angle d’attaque de notre cahier était aigu :pourquoi un certain nombre de médecinsquittent les maisons médicales. Il s’est ouvertlargement, repositionnant le débat à un niveauoù c’est la conception des rapports sociaux quise discute. Nous avons vu que si le phénomèneest réel, il demeure marginal. L’intérêt desdifférentes études était donc bien de pointer dudoigt les zones de décrochage, problématiquesvalables aussi pour ceux qui restent en maisonmédicale et pour ceux qui vont un jour nousrejoindre. Nous ne développerons pas ici cesproblématiques : chaque numéro de Santéconjuguée en a résonné et leur champ est loind’avoir vécu son dernier labourage. L’essentielici était de les identifier et d’en prendre acte(voir l’article précédent de Patrick Jadoulle).Prêts pour un nouveau départ ? ●

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Encore vive est la souris

(1) Voir Santé conjuguée numéro 11 : « Etre, maisqui ? Redéfinir la première ligne de soins ».

(2) Voir notamment Activités, fonctions noncuratives et inactivité des médecins, Recherche surles systèmes de santé, Health Systems Research, Pr

Denise Deliège, faculté de médecine, Ecole de santépublique, Université catholique de Louvain.

(3) Extrait du document cité en note précédente :« L’importance du nombre de non agréés constitueun clignotant d’alarme ; indique-t-il un surcroîtd’abandons/reconversions (peut être dus à lapléthore), ou une désaffection liée à des conditionsde vie et de travail difficiles que les jeunes ne tolèrentplus (refus des gardes et astreintes du métier) ou toutsimplement un retard dans l’obtention de l’agré-ment ? Selon la réponse à la question, les perspec-tives d’avenir de l’offre pourraient s’en trouveraffectées : dans le premier cas, le numerus claususpermettra de régulariser graduellement la situationet les jeunes pourront s’orienter à nouveau vers leurpremier choix (en général : les soins) ; dans ladeuxième hypothèse, la raréfaction de l’offre ne feraqu’accentuer la pénibilité du métier, entraînant mêmeun surcroît d’abandons parmi les aînés, spiraleinfernale qui détériore encore plus les conditions detravail ! ».

(4) Voir le Rapport sur les pratiques de grouperéalisé en 1999 par le Groupement belge desomnipraticiens.

(5) Selon V. Claes et P. Selleslagh, près d’un médecinbelge sur deux se trouve dans un zone critiquepropice au burn out (in Le burn out du soignant,Michel Delbrouck, paru chez De Boeck et Larcieren 2004). Nous consacrerons notre prochain cahierde Santé conjuguée au burn out.

(6) Santé conjuguée a déployé une réflexion sur uncertain nombre de ces sujets, notamment dans lescahiers : vous en trouverez la liste en troisième pagede couverture. D’autres seront explorés dans nosprochains numéros (prochainement l’autonomie etla globalité).

(7) Songeons à l’autonomie sournoisement recycléeen flexibilité, à l’individualisme capturé par lemercantilisme, à la « créativité » canalisée dans lescouloirs de la bourse... D’une manière générale, lesélans de 68 ont été « récupérés » (pour utiliser unlangage à la mode à l’époque, bien que ce termesemble désigner un prédateur extérieur, ce qui estloin d’être acquis, mais ceci est une autre histoire).Leur fécondité a donné naissance à des enfants biendifférents les uns des autres. D’où la nécessité demaintenir vive la réflexion.

(8) Sur cette « ligne de front qui a changé », voirles articles de Luc Carton et Guy Lebeer :- Guy Lebeer, « Les maisons médicales : un mouve-

ment critique en crise ? », Santé conjuguée n° 23,p. 18-25, 2003.

- Luc Carton, « Les maisons médicales dans leurcadre socio-politique d’hier à aujourd’hui », Santéconjuguée n°15 p. 3-11, 2001.

- Luc Carton, « Tables rondes : Des perspectives etdes conflits... », Santé conjuguée n°17, p. 101-112,2001. Notes : Débat animé par Luc Carton.

- Luc Carton, « L’adaptation et la résistance :Introduction à la table ronde du forum », Santéconjuguée n° 20, p. 53-54, 2002.

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73Santé conjuguée - janvier 2005 - n° 31

MOI NON PLUS

JE T’AIME,

Malgré les modifications des curriculum deformations et la création des centresuniversitaires de médecine générale (CUMG)sur le plan scientifique, les élections médicalessur le plan politique et la revalorisation desprestations sur le plan financier, la médecinegénérale vit depuis plusieurs années une criseidentitaire.Les options politiques ont du mal à seconcrétiser pour un échelonnement de l’offrede soins et une confirmation des soins de santéprimaires comme base du système de santé.Le nombre important de médecins quittant lamédecine générale après quelques annéesmontre bien, au-delà du burn out, le malaisestructurel persistant.La quête d’un renouvellement des ambitionsde cette profession et les initiatives de réformesde la pratique restent au cœur des dynamiquesde ce secteur « parent pauvre » des soins desanté.

L’art périlleux de concilier lescontraires

Les différentes études réalisées par et pour laFédération des maisons médicales nous donnent

un éclairage nouveau sur la problématique dela médecine générale, voire même de notresociété actuelle. Il est en effet assez intéressantde constater que les conclusions de ces travauxrecoupent largement celles d’une enquêterécente (du bureau du conseil en marketingBBDO) sur les jeunes.« Génération pragmatique à l’horizon » titraità ce propos La Libre Belgique du 11 février 05,avec en sous titre : « les jeunes de 18-30 ans,experts dans l’art de concilier les contraires :ils sont en effet à la fois individualistes etsolidaires, traditionnels et permissifs ».Il n’y a aucune raison de penser que cetteambiguïté ne vienne pas questionner toutel’organisation du travail, et la médecine géné-rale n’y échappe pas. C’est ainsi qu’elle ques-tionne aussi nos structures de façon interpellantemais aussi de façon enthousiasmante.

En effet, depuis trente ans, les maisonsmédicales proposent une alternative et sont unedes réponses à la nécessaire rénovation dusecteur des soins de santé de première ligne.Leur nombre et celui des professionnels qui ytravaillent croit régulièrement : les soixante-neuf maisons médicales en Communautéfrançaise occupent quelques deux cent quatre-vingt médecins et près de six cents autrespersonnes.

La finalité des moyens et outils mis en placeest la qualité de service à la population en vued’améliorer sa santé ; c’est bien cet objectif quidoit guider le renouvellement des pratiques,maisons médicales ou autres alternatives à lapratique solo actuelle.Le souci de professionnaliser et de viabiliserces projets, jusqu’ici initiatives privées associa-tives, l’évolution du statut des maisons médi-cales comme structures agréées par les pouvoirspublics et donc subventionnées, le renforcementdu statut social des travailleurs notamment dufait de la barémisation du secteur non-mar-chand, mais aussi le développement d’un modede financement alternatif (le forfait) pour lessoins de santé impliquant une gestion pluscollective permettant une prise en charge plusglobale, questionnent le choix d’une structuresalariale plus égalitaire et d’une structurationnon-hiérarchique comme mode de fonctionne-ment. Les paradoxes et ambiguïtés relevés tantpar les travaux concernant les jeunes généra-

La nuit est sans étoiles...Jacques Morel etThierry Wathelet,

médecinsgénéralistes et

secrétairesgénéraux de laFédération des

maisonsmédicales.

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aison médicale,

médecin généraliste, société,

soins de santé primaires.

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Reflet des tensions qui traversent nonseulement la médecine générale maisaussi l’ensemble du corps social, le« malaise » en maisons médicales n’estpas une maladie qui ronge le modèlemais au contraire une invitation à sereposer les questions du sens, de lamilitance, des modalités de gestion deces centres. Des questions qui nousamènent à ré-affirmer la pertinence desidées fondatrices du mouvement maisaussi à mesurer le chemin qui reste àparcourir.

Page 38: JE T’AIME, MOI NON PLUS CAHIER - maisonmedicale.org · Santé conjuguée - janvier 2005 - n° 31 39 MOI NON PLUS JE T’AIME, Le malaise des jeunes médecins en maisons médicales

74 Santé conjuguée - janvier 2005 - n° 31

C A H I E R

listes que l’enquête auprès des 18-30 évoquéeci-dessus sont parfaitement intériorisés par lesmaisons médicales. Quoi de plus normal dèslors que, dans le cadre d’une « non politique »des soins de santé de proximité, les maisonsmédicales, qui ne sont pas un objet ou unetechnologie mais une entreprise humaine, soienttraversées de multiples paradoxes ; ceux-citrouvent d’autant plus de force à s’exprimer quel’identité, voire l’existence même du secteur dela médecine générale, est menacée par la (non)structuration du système et la médiatisation duculte de la médecine spécialisée et ne bénéficiepas encore d’un paradigme renouvelé qui auraitforce d’entraînement et de choix.

Les travaux présentés montrent bien ces para-doxes :

• des ambitions pour une médecine générale« revivifiée » mais en pratique un rétrécis-sement de son champ d’intervention ;

• des aspirations à l’autonomie et à l’indépen-dance mais des choix de travail en équipe ;

• le souhait d’une meilleure qualité de la viemais la crainte de la fonctionnarisation ;

• des options favorables à l’accessibilité et àla justice sociale mais la gêne du succès dumode de financement forfaitaire et de l’imagequ’il véhicule...

Une recherche constante

Ces paradoxes ne doivent pas être perçuscomme une impasse, mais au contraire commeune invitation à penser plus loin. L’outil ne doitpas être jeté mais davantage retravaillé, affiné.Un des auteurs les interprète comme la recher-che de sens... Bien évidemment ! !

« Le partage d’un projet est nécessaire à laconstitution d’un sens. Mais pour provoquerune représentation qui donnera un sentimentde bonheur, il faut que ce projet soit durable etdiversifié. Quand une culture n’a pour projetque le bien-être immédiat, le sens n’a pas letemps de naître... à l’inverse, quand une culturene propose pour avenir qu’une société parfaitequi existera dans un autre temps et dans unautre lieu, toujours ailleurs, elle sacrifie le

plaisir de vivre pour n’envisager que l’extaseà venir. » (B.Cyrulnik, Parler d’amour au borddu gouffre, Odile Jacob, page 39).

La pratique de la médecine générale confronteaux aspérités de la vie sociale et à l’impuissanced’y répondre dans bon nombre de situations ;de même, elle nous confronte à une identité àreconstruire depuis la déliquescence de la méde-cine de famille fin des années 50 et l’émergencedu modèle biomédical hospitalier.Ces confrontations conduisent à des aspirationsde recherche d’un nouveau paradigme et de satraduction dans la pratique ; une véritable quête,quasi militante.

Nombre de secteurs ambulatoires sont confron-tés aux même questions : en trente ans, la ques-tion de l’avortement ou de la planificationfamiliale, l’approche de la santé mentale ou dela toxicomanie sont posées autrement. Lesquestions du sens, de la militance, des modalitésde gestion de ces centres sont ré-interrogées.

La place des maisons médicales dans cet espaceest particulière : leur approche globale éclairecrûment l’impact du socioculturel et de l’envi-ronnemental sur la santé des individus. Parti-culière aussi lorsqu’elle articule ouvertementles liens entre des options sociétales et les viséesd’une politique de santé tout en voulantconstruire, en conséquence, un modèle depratique. Le paradigme se complexifie ; lafonction se modifie...L’objectif n’est pas autre que l’amélioration dela santé de la population et de permettrel’émancipation des travailleurs, les médecinset les autres, dans cette perspective. Il faut fairele constat que les maisons médicales ne répon-dent pas complètement à ce malaise ; ellesn’ont, espérons-le, jamais entretenu cette illu-sion.Mais ce défi nous parait de nature à re-dynamiser l’enthousiasme fondateur.

... Très évidemment, une politique plusvolontariste en faveur d’un projet renouvelépour la médecine générale serait de nature àmettre les professionnels en perspective departiciper à une mission ambitieuse et efficiente.Ça aiderait !

La nuit est sans étoiles...