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Les math´ ematiques, c’est fantastique erˆ ome Germoni Maison des math´ ematiques et de l’informatique de Lyon Universit´ e Claude Bernard Lyon 1 INSA de Lyon 13 novembre 2017

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Les mathematiques, c’est fantastique

Jerome GermoniMaison des mathematiques et de l’informatique de Lyon

Universite Claude Bernard Lyon 1

INSA de Lyon13 novembre 2017

Un genre : la litterature fantastique,

un auteur : Jorge Luis Borges,

et des mathematiques ?

Mathematiques et fiction

Dom Juan : Je crois que deux et deux sont quatre,Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.

(Moliere, Dom Juan ou le festin de pierre, III 1)

Les mathematiques sont le lieu des verites universelles.On part d’axiomes qui sont des verites auto-evidentes :

I Par deux points, il passe une et une seule droite.

I � Deux et deux sont quatre, et quatre et quatre sont huit. �

Et pourtant ! On peut changer les regles librement (ou presque) :

I Par un point donne, il passe une infinite de paralleles(respectivement aucune parallele) a une droite donnee.

I Arithmetique modulaire : 2 = 0 (ou 9 = 0).

Mathematiques et fiction

Dom Juan : Je crois que deux et deux sont quatre,Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.

(Moliere, Dom Juan ou le festin de pierre, III 1)

Les mathematiques sont le lieu des verites universelles.On part d’axiomes qui sont des verites auto-evidentes :

I Par deux points, il passe une et une seule droite.

I � Deux et deux sont quatre, et quatre et quatre sont huit. �

Et pourtant ! On peut changer les regles librement (ou presque) :

I Par un point donne, il passe une infinite de paralleles(respectivement aucune parallele) a une droite donnee.

I Arithmetique modulaire : 2 = 0 (ou 9 = 0).

Mathematiques et fiction

Dom Juan : Je crois que deux et deux sont quatre,Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.

(Moliere, Dom Juan ou le festin de pierre, III 1)

Les mathematiques sont semble-t-il le lieu des verites universelles.On part d’axiomes qui sont des verites auto-evidentes :

I Par deux points, il passe une et une seule droite.

I � Deux et deux sont quatre, et quatre et quatre sont huit. �

Et pourtant ! On peut changer les regles librement (ou presque) :

I Par un point donne, il passe une infinite de paralleles(respectivement aucune parallele) a une droite donnee.

I Arithmetique modulaire : 2 = 0 (ou 9 = 0).

Mathematiques et fiction (2)

Aujourd’hui, maman est morte.

Albert Camus, L’Etranger.

Critere de verite dans la fiction : coherence– coherence avec les regles imposees au depart.

Pas si etonnant de trouver des resonances.

Mathematiques et fiction (2)

Aujourd’hui, maman est morte.

Albert Camus, L’Etranger.

Critere de verite dans la fiction et les mathematiques : coherence– coherence avec les regles imposees au depart.

Pas si etonnant de trouver des resonances.

Litterature fantastique

Ne pas confondre avec des genres proches :

I science-fiction (Inception)

I fantasy (Le Seigneur des anneaux)

I merveilleux (Le Chat botte)

Le fantastique reste sur la frontiere entre le reel et le surnaturel.

Exemples :

I Honore de Balzac, La Peau de chagrin

I Prosper Merimee, La Venus d’Ille

I Henri de Maupassant, Le Horla ;Fiodor Dostoıevski, Le Double

I Roman Polanski, Rosemary’s Baby

Jorge Luis Borges (1899-1986)

Auteur de

I poemes,

I fiction, et notamment cuentos : Fictions (1944), L’Aleph(1949), Le livre de sable (1975)...

I essais (critique litteraire, philosophie),

I chansons...

Precurseur du realisme magique : Juan Rulfo (Mex., 1917-1986),Carlos Fuentes (Mex., 1928-2012), Julio Cortazar (Arg.,1914-1984), Adolfo Bioy Cazares (Arg., 1914-1999), Gabriel GarcıaMarquez (Col., 1927-2014), Jaime Saenz (Bol., 1921-1986)...

Jorge Luis Borges : influence

et notoriete...

Borges bouleverse la litterature en langue espagnole (ecrivain etcritique). Il fait du cuento un genre paradigmatique de lalitterature latino-americaine : recit bref ayant une structure fermeeet souvent des elements fantastiques.

Mots-cles : fantastique, paradoxe, heros (pampa, gauchos),erudition, enquete policiere.

�Yo siempre sere el futuro Nobel. Debe ser una tradicionescandinava.�

� Je serai toujours le futur prix Nobel. Ca doit etre une traditionscandinave. �

Jorge Luis Borges : influence et notoriete...

Borges bouleverse la litterature en langue espagnole (ecrivain etcritique). Il fait du cuento un genre paradigmatique de lalitterature latino-americaine : recit bref ayant une structure fermeeet souvent des elements fantastiques.

Mots-cles : fantastique, paradoxe, heros (pampa, gauchos),erudition, enquete policiere.

�Yo siempre sere el futuro Nobel. Debe ser una tradicionescandinava.�

� Je serai toujours le futur prix Nobel. Ca doit etre une traditionscandinave. �

Borges, pas un mathematicien

Je ne crois pas etre un bon mathematicien, mais j’ai lu – j’ai relu,c’etait plus important – Poincare, Russell et quelques autresmathematiciens. [...] Je ne dirai pas que je suis un mathematicienou un philosophe, mais je crois avoir trouve dans lesmathematiques et dans la philosophie des possibilites litteraires, etsurtout des possibilites pour la litterature qui me passionne leplus : la litterature fantastique.

Georges Charbonnier, � Entretiens avec Jorge Luis Borges �, inJorge Luis Borges, Enquetes, Paris, Gallimard, 1967.

Lire Borges comme des mathematiciens

Definition (Jacques Tits)

On appelle R-arbre tout espace topologique dans lequel on ne peutpas injecter le cercle S1.

[Sorte d’arbre avec des points de branchement n’importe ou.]

Lire Borges comme des mathematiciens

Guillermo Martınez W. G. Bloch Floyd MerrellBorges y la matematica The unimaginable math. Unthinking thinking :

(2003-2006) of Borges’ Library of Babel Borges, mathematics

(2008) and the new physics

(1991)

+ nombre non denombrable d’articles !

Lire Borges comme des mathematiciens

Objets totalisants� La bibliotheque de Babel � (Fictions)� Le livre de sable � (Le livre de sable)� L’Aleph � (L’Aleph)

Faire des mathematiques, c’est...� Funes ou la memoire �

� Pierre Menard, auteur du Quichotte �

� Borges et moi �

Pourquoi Borges plaıt-il tant aux mathematiciens ?StyleLe generique et le concretDeux logiques paralleles

� La bibliotheque de Babel � (Fictions)

L’univers (que d’autres appellent la Bibliotheque), se composed’un nombre indefini, et peut-etre infini, de galeries hexagonalesavec au centre de vastes puits d’aeration bordes par desbalustrades tres basses. De chacun de ces hexagones, on apercoitles etages inferieurs et superieurs, interminablement. Ladistribution des galeries est invariable. Vingt longues etageres, araison de cinq par cote, couvrent tous les murs moins deux ; leurhauteur, qui est celle des etages eux-memes, ne depasse guere lataille d’un bibliothecaire normalement constitue. Chacun des panslibres donne sur un couloir etroit, lequel debouche sur une autregalerie, identique a la premiere et a toutes.

Des bibliothecaires voyagent et tachent d’en comprendre lastructure et le sens.

� La bibliotheque de Babel �

Chacun des murs de chaque hexagone porte cinq etageres ; chaqueetagere comprend trente-deux livres, tous de meme format ; chaquelivre a quatre cent dix pages ; chaque page, quarante lignes, etchaque ligne, environ quatre-vingts caracteres noirs. Il y a aussi deslettres sur le dos de chaque livre ; ces lettres n’indiquent ni neprefigurent ce que diront les pages. [...]

Un bibliothecaire de genie [...] observa que tous les livres, quelquedivers qu’ils soient, comportent des elements egaux : l’espace, lepoint, la virgule, les vingt-deux lettres de l’alphabet. Il fitegalement etat d’un fait que tous les voyageurs ont confirme : iln’y a pas, dans la vaste Bibliotheque, deux livres identiques. De cespremisses incontroversables, il deduisit que la Bibliotheque esttotale, et que ses etageres consignent toutes les combinaisonspossibles des vingt et quelques symboles orthographiques (nombre,quoique tres vaste, non infini), c’est-a-dire tout ce qu’il est possibled’exprimer dans toutes les langues.

� La bibliotheque de Babel �

Melange d’elements extremement precis et tres vagues !(nombres, architecture)

� La bibliotheque de Babel �

� La bibliotheque de Babel �

� La bibliotheque de Babel �

� La bibliotheque de Babel �

� La bibliotheque de Babel �

� La bibliotheque de Babel �

� La bibliotheque de Babel �

� La bibliotheque de Babel �

Combien de livres dans la bibliotheque de Babel ?

I Si les livres avaient seulement 3 lettres ?

25× 25× 25 = 253

I En realite : environ

2580×40×410 = 251 312 000 ' 2 · 101 834 097 livres.

(1080 a 1085 particules dans l’univers observable ? !)

� La bibliotheque de Babel �

Combien de livres dans la bibliotheque de Babel ?

I Si les livres avaient seulement 3 lettres ?

25× 25× 25 = 253

I En realite : environ

2580×40×410 = 251 312 000 ' 2 · 101 834 097 livres.

(1080 a 1085 particules dans l’univers observable ? !)

� La bibliotheque de Babel �

Combien de livres dans la bibliotheque de Babel ?

I Si les livres avaient seulement 3 lettres ?

25× 25× 25 = 253

I En realite : environ

2580×40×410 = 251 312 000 ' 2 · 101 834 097 livres.

(1080 a 1085 particules dans l’univers observable ? !)

� La bibliotheque de Babel �

Combien de livres dans la bibliotheque de Babel ?

I Et s’il y avait tous les livres de toutes tailles (finies) ?... autant que des entiers naturels !

I Et s’il y avait tous les livres avec une infinite de pages ?... autant que des nombres reels et strictement plus que des entiers !

� La bibliotheque de Babel �

Combien de livres dans la bibliotheque de Babel ?

I Et s’il y avait tous les livres de toutes tailles (finies) ?... autant que des entiers naturels !

I Et s’il y avait tous les livres avec une infinite de pages ?... autant que des nombres reels et strictement plus que des entiers !

� La bibliotheque de Babel �

Combien de livres dans la bibliotheque de Babel ?

I Et s’il y avait tous les livres de toutes tailles (finies) ?... autant que des entiers naturels !

I Et s’il y avait tous les livres avec une infinite de pages ?... autant que des nombres reels et strictement plus que des entiers !

� La bibliotheque de Babel �

Combien de livres dans la bibliotheque de Babel ?

I Et s’il y avait tous les livres de toutes tailles (finies) ?... autant que des entiers naturels !

I Et s’il y avait tous les livres avec une infinite de pages ?... autant que des nombres reels et strictement plus que des entiers !

� La bibliotheque de Babel �

I � Catalogue des catalogues �...I paradoxe de RussellI impossibilite d’un tel catalogueI information cachee dans l’ordre ?

I � la Bibliotheque est illimitee et periodique. �

(Quelle est la forme de l’univers ?)

I La Bibliotheque de Babel online, creee par Jonathan Basile

� La bibliotheque de Babel �

I � Catalogue des catalogues �...I paradoxe de RussellI impossibilite d’un tel catalogueI information cachee dans l’ordre ?

I � la Bibliotheque est illimitee et periodique. �

(Quelle est la forme de l’univers ?)

I La Bibliotheque de Babel online, creee par Jonathan Basile

� La bibliotheque de Babel �

Note de bas de page finale :Letizia Alvarez de Toledo a observe que cette vaste bibliothequeetait inutile : il suffirait en dernier ressort d’un seul volume, deformat ordinaire, imprime en corps neuf ou en corps dix, etcomprenant un nombre infini de feuilles infiniment minces.(Cavalieri, au commencement du XVIIe siecle, voyait dans toutcorps solide la superposition d’un nombre infini de plans.) Lemaniement de ce soyeux vademecum ne serait pas aise : chaquefeuille apparente se dedoublerait en d’autres ; l’inconcevable pagecentrale n’aurait pas d’envers.

� Le livre de sable � (Le livre de sable)

Je l’ouvris au hasard. Les caracteres m’etaient inconnus. Les pages,qui me parurent assez abımees et d’une pauvre typographie,etaient imprimees sur deux colonnes a la facon d’une bible. Letexte etait serre et dispose en versets. A l’angle superieur des pagesfiguraient des chiffres arabes. Mon attention fut attiree sur le faitqu’une page paire portait, par exemple, le numero 40514 etl’impaire, qui suivait, le numero 999. Je tournai cette page ; auverso la pagination comportait huit chiffres. [...][L’inconnu] me demanda de chercher la premiere page. Je posai mamain gauche sur la couverture et ouvris le volume de mon pouceserre contre l’index. Je m’efforcai en vain : il restait toujours desfeuilles entre la couverture et mon pouce. Elles semblaient sourdredu livre.— Maintenant cherchez la derniere.Mes tentatives echouerent de meme ; a peine pus-je balbutier d’unevoix qui n’etait plus ma voix :— Cela n’est pas possible.

� L’Aleph � (L’Aleph)

Un poete � ami du narrateur � trouve son inspiration dans l’Aleph,dans l’escalier de sa cave...

Alors je vis l’Aleph.

A la partie inferieure de la marche, vers la droite, je vis une petitesphere aux couleurs chatoyantes, qui repandait un eclat presqueinsupportable. Je crus au debut qu’elle tournait ; puis je comprisque ce mouvement etait une illusion produite par les spectaclesvertigineux qu’elle renfermait. Le diametre de l’Aleph devait etrede deux ou trois centimetres, mais l’espace cosmique etait la, sansdiminution de volume. Chaque chose (la glace du miroir parexemple) equivalait a une infinite de choses, parce que je la voyaisclairement de tous les points de l’univers. Je vis la mer populeuse,l’aube et le soir, les foules d’Amerique, une toile d’araigneeargentee au centre d’une noire pyramide, un labyrinthe brise(c’etait Londres), [...]

� L’Aleph � (L’Aleph)

Un poete � ami du narrateur � trouve son inspiration dans l’Aleph,dans l’escalier de sa cave...

Alors je vis l’Aleph.

A la partie inferieure de la marche, vers la droite, je vis une petitesphere aux couleurs chatoyantes, qui repandait un eclat presqueinsupportable. Je crus au debut qu’elle tournait ; puis je comprisque ce mouvement etait une illusion produite par les spectaclesvertigineux qu’elle renfermait. Le diametre de l’Aleph devait etrede deux ou trois centimetres, mais l’espace cosmique etait la, sansdiminution de volume. Chaque chose (la glace du miroir parexemple) equivalait a une infinite de choses, parce que je la voyaisclairement de tous les points de l’univers. Je vis la mer populeuse,l’aube et le soir, les foules d’Amerique, une toile d’araigneeargentee au centre d’une noire pyramide, un labyrinthe brise(c’etait Londres), [...]

� L’Aleph �

[...] je vis les ombres obliques de quelques fougeres sur le sol d’uneserre, des tigres, des pistons, des bisons, des foules et des armees,je vis toutes les fourmis qu’il y a sur la terre, un astrolabe persan,[...] la circulation de mon sang obscur, l’engrenage de l’amour et latransformation de la mort, je vis l’Aleph, sous tous les angles, je vissur l’Aleph la terre, et sur la terre de nouveau l’Aleph et surl’Aleph la terre, je vis mon visage et mes visceres, je vis ton visage,j’eus le vertige et je pleurai, car mes yeux avaient vu cet objetsecret et conjectural, dont les hommes usurpent le nom, maisqu’aucun homme n’a regarde : l’inconcevable univers.

Je ressentis une veneration infinie, une pitie infinie.

Infini, recursivite, inversion...

� L’Aleph �

[...] je vis les ombres obliques de quelques fougeres sur le sol d’uneserre, des tigres, des pistons, des bisons, des foules et des armees,je vis toutes les fourmis qu’il y a sur la terre, un astrolabe persan,[...] la circulation de mon sang obscur, l’engrenage de l’amour et latransformation de la mort, je vis l’Aleph, sous tous les angles, je vissur l’Aleph la terre, et sur la terre de nouveau l’Aleph et surl’Aleph la terre, je vis mon visage et mes visceres, je vis ton visage,j’eus le vertige et je pleurai, car mes yeux avaient vu cet objetsecret et conjectural, dont les hommes usurpent le nom, maisqu’aucun homme n’a regarde : l’inconcevable univers.

Je ressentis une veneration infinie, une pitie infinie.

Infini, recursivite, inversion...

� L’Aleph �

� L’Aleph �

Objets � totalisants �

Exemples :

I l’Aleph

I bibliotheque de Babel, livres infinis

I langue analytique de Wilkins

I poemes d’un mot : � La parabole du palais �, � Le miroir etle masque �, � UNDR �, � L’ecriture du Dieu �

(NB : paradoxe : cf. 4’33”, Carre blanc sur fond blanc...)

Tentation de la concision ultime en mathematiques :

I ex. :

∫∂M

ω =

∫Mdω (La formule de Stokes, roman)

I ex. : axiomes comme � elixir de pensee � (J.-P. Kahane)

I cf. William Boyd, Brazzaville plage

Objets � totalisants �

Exemples :

I l’Aleph

I bibliotheque de Babel, livres infinis

I langue analytique de Wilkins

I poemes d’un mot : � La parabole du palais �, � Le miroir etle masque �, � UNDR �, � L’ecriture du Dieu �

(NB : paradoxe : cf. 4’33”, Carre blanc sur fond blanc...)

Tentation de la concision ultime en mathematiques :

I ex. :

∫∂M

ω =

∫Mdω (La formule de Stokes, roman)

I ex. : axiomes comme � elixir de pensee � (J.-P. Kahane)

I cf. William Boyd, Brazzaville plage

� Funes ou la memoire � (Fictions)

Ireneo Funes a une memoire d’une fidelite absolue.

Funes se souvenait non seulement de chaque feuille de chaquearbre dans chaque parcelle de foret, mais aussi de chacune des foisou il avait percu ou imagine cette feuille. [...]Deux ou trois fois, il avait reconstitue un jour entier ; il ne s’etaitpas trompe une seule fois, mais chaque reconstitution avaitelle-meme pris un jour entier. [...]Non seulement il lui etait difficile de considerer que le symbolegenerique � chien � inclut tous les individus si dissemblables detoutes formes et de toutes tailles, mais cela l’irritait aussi que le� chien � vu de profil a quinze heures quatorze doive etre designedu meme nom que le meme chien vu de face a quinze heuresquinze.

Oui mais...

� Funes ou la memoire �

Il avait appris sans effort l’anglais, le francais, le portugais, le latin.Je soupconne cependant qu’il n’etait pas tres capable de penser.Penser, c’est oublier les differences, c’est generaliser, abstraire.Dans le monde surcharge de Funes il n’y avait que des details,presque immediats.

Henri Poincare, La science et l’hypothese

Faire des mathematiques, c’est donner le meme nom a des chosesdifferentes.

� Funes ou la memoire �

Il avait appris sans effort l’anglais, le francais, le portugais, le latin.Je soupconne cependant qu’il n’etait pas tres capable de penser.Penser, c’est oublier les differences, c’est generaliser, abstraire.Dans le monde surcharge de Funes il n’y avait que des details,presque immediats.

Henri Poincare, La science et l’hypothese

Faire des mathematiques, c’est donner le meme nom a des chosesdifferentes.

� Funes ou la memoire �

Henri Poincare, La science et l’hypothese

Faire des mathematiques, c’est donner le meme nom a des chosesdifferentes.

I Formation de conceptsI En particulier, relation d’equivalence et passage au quotient

pour identifier les objets :I construction de nouveaux objets (nombres, angles, etc.) ;I classification (cubes).

NB : Jean-Claude Ameisen, Sur les epaules de Darwin, 3/12/2011.

� Pierre Menard, auteur du Quichotte �

Le narrateur examine l’œuvre de Pierre Menard, auteur nımois(imaginaire). Il aborde son œuvre non publiee, � la souterraine �.

Cette œuvre, peut-etre la plus significative de notre temps, secompose des chapitres IX et XXXVIII de la premiere partie du DonQuichotte et d’un fragment du chapitre XXII. [...]Il ne voulait pas composer un autre Quichotte – ce qui est facile –mais le Quichotte. Inutile d’ajouter qu’il n’envisagea jamais unetranscription mecanique de l’original ; il ne se proposait pas de lecopier. Son admirable ambition etait de reproduire quelques pagesqui coıncideraient – mot a mot et ligne a ligne – avec celles deMiguel de Cervantes. [...]

Menard aboutit a des chapitres � textuellement identiques � aceux du Quichotte. Ou pas...

� Pierre Menard, auteur du Quichotte �

Comparer le Don Quichotte de Menard a celui de Cervantes estune revelation. Celui-ci, par exemple, ecrivit (Don Quichotte,premiere partie, chapitre IX) :... la verite, dont la mere est l’histoire, emule du temps, depot desactions, temoin du passe, exemple et connaissance du present,avertissement de l’avenir.Redigee au XVIIe siecle, redigee par le � genie ignorant �

Cervantes, cette enumeration est un pur eloge rhetorique del’histoire. Menard ecrit en revanche :... la verite, dont la mere est l’histoire, emule du temps, depot desactions, temoin du passe, exemple et connaissance du present,avertissement de l’avenir.L’histoire, mere de la verite ; l’idee est stupefiante. Menard,contemporain de William James, ne definit pas l’histoire commeune recherche de la realite mais comme son origine. [...]

� Pierre Menard, auteur du Quichotte �

Le contraste entre les deux styles est egalement vif. Le stylearchaısant de Menard – tout compte fait etranger – peche parquelque affectation. Il n’en est pas de meme pour son precurseur,qui manie avec aisance l’espagnol courant de son epoque.

Le meme texte (ou pas ?), deux facons de le considerer.

� Pierre Menard, auteur du Quichotte �

Pas Henri PoincareFaire des math., c’est donner des noms differents a la meme chose !

I Tout calcul consiste a donner des noms differents a un objet :

A = B, ax2 + bx + c = a

((x +

b

2a

)2− b2 − 4ac

4a2

).

I Une methode de preuve redoutable !

I a× b = b × aa× b = b × aa× b = b × aa× b = b × a

I Une matrice symetrique reelle est celle d’un endomorphisme oud’une forme quadratique ; similitude vs congruence.

I Theoreme des deux carres (p premier impair) :

∃a, b ∈ Z, p = a2 + b2 ⇐⇒ p ≡ 1 (mod 4)

Z[i ]/(p) ' Z[X ]/(p,X 2 + 1) ' Z/pZ[X ]/(X 2 + 1).

� Pierre Menard, auteur du Quichotte �

Pas Henri PoincareFaire des math., c’est donner des noms differents a la meme chose !

I Tout calcul consiste a donner des noms differents a un objet :

A = B, ax2 + bx + c = a

((x +

b

2a

)2− b2 − 4ac

4a2

).

I Une methode de preuve redoutable !

I a× b = b × aa× b = b × aa× b = b × aa× b = b × a

I Une matrice symetrique reelle est celle d’un endomorphisme oud’une forme quadratique ; similitude vs congruence.

I Theoreme des deux carres (p premier impair) :

∃a, b ∈ Z, p = a2 + b2 ⇐⇒ p ≡ 1 (mod 4)

Z[i ]/(p) ' Z[X ]/(p,X 2 + 1) ' Z/pZ[X ]/(X 2 + 1).

Palimpsestes

(Palimpseste : manuscrit dont on a fait disparaıtre l’ecriture pour yecrire un autre texte.)

A la reflexion je pense qu’il est legitime de voir dans le Quichotte� final � une sorte de palimpseste, dans lequel doiventtransparaıtre les traces – tenues mais non indechiffrables – del’ecriture � prealable � de notre ami. Malheureusement, seul unsecond Pierre Menard, en inversant le travail de son predecesseur,pourrait exhumer et ressusciter ces villes de Troie.

Palimpsestes

(Palimpseste : manuscrit dont on a fait disparaıtre l’ecriture pour yecrire un autre texte.)

A la reflexion je pense qu’il est legitime de voir dans le Quichotte� final � une sorte de palimpseste, dans lequel doiventtransparaıtre les traces – tenues mais non indechiffrables – del’ecriture � prealable � de notre ami. Malheureusement, seul unsecond Pierre Menard, en inversant le travail de son predecesseur,pourrait exhumer et ressusciter ces villes de Troie.

Palimpsestes mathematiquesn∑

k=1

k3 =

(n∑

k=1

k

)2

.

12 22/2

22

222

32

32 32

42

2

42

2

42

42 42

52

52

52

52 52

Monstrous moonshine de McKay : 196 884 = 196 883 + 1.

� Pierre Menard, auteur du Quichotte �

Chapitre IX du Quichotte :le narrateur dit que l’histoire est ecrite (en castillan) d’apres latraduction par � un Morisque espagnolise � du manuscrit arabeHistoire de don Quichotte de la Manche, ecrite par Cid HamedBen-Engeli 1, historien arabe.

Mise en abyme + miroirs + doubles !

I auteur espagnol reel d’un texte qui n’existait pas(pretendument copie d’un manuscrit imaginaire)

I auteur francais imaginaire d’un texte qui existe(pretendument pas copie d’un texte reel)

I auteur espagnol reel > narrateur imaginaire espagnol

I auteur argentin reel > auteur imaginaire francais

Qui est l’auteur ? Qu’est-ce qu’un auteur ?

1. Proviendrait de la racine iggel ou eggel, � cerf �...

� Pierre Menard, auteur du Quichotte �

Chapitre IX du Quichotte :le narrateur dit que l’histoire est ecrite (en castillan) d’apres latraduction par � un Morisque espagnolise � du manuscrit arabeHistoire de don Quichotte de la Manche, ecrite par Cid HamedBen-Engeli 1, historien arabe.

Mise en abyme + miroirs + doubles !

I auteur espagnol reel d’un texte qui n’existait pas(pretendument copie d’un manuscrit imaginaire)

I auteur francais imaginaire d’un texte qui existe(pretendument pas copie d’un texte reel)

I auteur espagnol reel > narrateur imaginaire espagnol

I auteur argentin reel > auteur imaginaire francais

Qui est l’auteur ? Qu’est-ce qu’un auteur ?

1. Proviendrait de la racine iggel ou eggel, � cerf �...

� Borges et moi � (recueil L’auteur)

C’est a l’autre, a Borges, que les choses arrivent. Moi, je marchedans Buenos Aires, je m’attarde peut-etre machinalement, pourregarder la voute d’un vestibule et la grille d’un patio. J’ai desnouvelles de Borges par la poste et je vois son nom propose pourune chaire ou dans un dictionnaire biographique. J’aime lessabliers, les planispheres, la typographie du XVIIIe siecle, le goutdu cafe et la prose de Stevenson : l’autre partage ces preferences,mais non sans complaisance et d’une maniere qui en fait desattributs d’acteur. [...]

Je ne sais pas lequel des deux ecrit cette page.

� Borges et moi �

Probleme de l’egalite en mathematiques / logique / informatique.

Exemples :I egalite dans un groupe : probleme du mot !I egalite de deux expressions de calcul formel ? forme normale ?I associativite

a isomorphisme (canonique ou pas ?) pres :

(ab)(cd)

a(b(cd)

)a(b(cd)

)(a(bc)

)d (

(ab)c)d

a(bc) (ab)c

� Borges et moi �

Probleme de l’egalite en mathematiques / logique / informatique.

Exemples :I egalite dans un groupe : probleme du mot !I egalite de deux expressions de calcul formel ? forme normale ?I associativite a isomorphisme (canonique ou pas ?) pres :

(ab)(cd)

a(b(cd)

)a(b(cd)

)(a(bc)

)d (

(ab)c)d

a(bc) (ab)c

Pourquoi Borges plaıt-il tant aux mathematiciens ?

Source : Guillermo Martınez, Borges y la matematica

Un texte presque mathematique :

I Concision, sensation de minimalite – cf. Jean-Pierre Serre

I Narration : enonce des regles, puis consequences.I Structures mathematiques recurrentes :

I objets recursifs : l’Aleph, mises en abyme...I jeux avec l’infini : livre de sable, sphere de Pascal 2...I paradoxes d’auto-reference : paradoxe de Russell, doubles...

I Choix d’exemples generiques – ex. : � L’Aleph �.

2. Remonte au moins a Alain de Lille (XIIe), voire Aristote.

Le generique et le concret

Conception du cuento a partir d’une idee, autour d’une idee, pourl’idee ( 6= roman).Primaute du concept, du general, de l’exemple generique

� Historia de la eternidad �

No quiero despedirme del platonismo (que parece glacial) sincomunicar esta observacion, con esperanza de que la prosigan yjustifiquen : “Lo generico puede ser mas intenso que lo concreto”.Casos illustrativos no faltan. De chico, veraneando en el norte de laprovincia, la llanura redonda y los hombres que mateaban en lacocina me interesaron, pero mi felicidad fue terrible cuando supeque ese redondel era “pampa”, y esos varones, “gauchos”. Igual, elimaginativo que se enamora. Lo generico (el repetido nombre, eltipo, la patria, el destino adorable que le atribuye) prima sobre losrasgos individuales, que se toleran en gracia de lo anterior.

Structure logique du cuento (G. M.)

La structure meme du recit est specifique.

Deux logiques paralleles dans un cuento :

I celle de la realite,

I celle du cuento.

Ex. : � La mort et la boussole � (Fictions) :

I recit policier ;

I serie de quatre meurtres situes aux sommets d’un losange ;I deux verites paralleles incarnees par deux detectives :

I Treviranus, detective � terrestre �,I Lonnrot, detective � conceptuel �.

Mathematiques et litteratureTrois idees de Francesco Magris (L’Humanite, 3 mars 2007)

I [la litterature] ne se propose pas une assimilation exhaustive,correcte et didactique de la matiere, se limitant au contraire ades renvois imparfaits, a de vagues analogies, a d’obscursreflets ;

I la tension intellectuelle et imaginative qui sous-tend larationalite mathematique en lui imprimant souvent une chargede passion lucide et febrile peut constituer en soi uneinquietante et stimulante seduction poetique ;

I derriere une complexite parfois trompeuse, cette litterature-laoffre une capacite d’affabulation non moins accessible qued’autres genres litteraires plus usites et plus traditionnels, envertu de sa structure architecturale qui se conforme de faconrigoureuse aux schemes de la logique et de la coherencenarrative.

Ademas no importa leer, sino releer.

� Utopıa de un hombre que esta cansado �, El libro de arena.

L’axiome des paralleles