ISSN : 2111-4307
Naissance, divergences et perspectives de lâislamisme politique en
Afrique du Nord
et au Moyen-Orient dimanche 7 mars 2021,par Antoine MILOT
Citer cet article / To cite this version : Antoine MILOT,
Naissance, divergences et perspectives de lâislamisme politique en
Afrique du Nord et au Moyen-Orient, Diploweb.com : la revue
géopolitique, 7 mars 2021.
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A lâheure de la diffusion croissante de thĂ©ories complotistes,
lâislamisme ne dĂ©roge pas Ă cette rĂšgle. Selon ses dĂ©tracteurs, les
islamistes seraient tous mĂ» par lâĂ©tablissement dâun califat
islamique mondial. Du simple sympathisant dâun parti se
revendiquant des valeurs de la religion musulmane Ă lâactiviste
djihadiste violent, tous seraient, de maniĂšre plus ou moins
assumĂ©e, poussĂ©s Ă Ă©tablir un Ătat islamique reposant sur une
interprétation fondamentaliste du Coran et de la Sunna.
Antoine Milot entend démontrer de façon documentée que la situation
est plus complexe et quâelle ne doit pas omettre de prendre en
compte les fragmentations qui traversent depuis plus dâun siĂšcle
lâislamisme politique. En se penchant sur ces clivages, lâauteur
peut extraire du trÚs fantasmé « hydre islamiste » des courants
plus modernistes que dâautres, des projets antagonistes et des
agendas divergents. En se penchant plus encore, on constate surtout
que les mouvements dits « islamistes » avancent à des rythmes
diffĂ©rents, ceux de leurs tempos locaux et nationaux, et quâils
sont en rivalité structurelle a plusieurs échelles, locales,
nationales et rĂ©gionales. IllustrĂ© dâune carte inĂ©dite.
DANS la région Afrique du Nord et Moyen-Orient (ANMO), une notion
semble cristalliser toutes les attentions : lâIslamisme. Courant
politique souvent simplifiĂ© Ă lâĂ©tat de bloc monolithique, il
serait le grand coupable de lâobscurantisme social, des politiques
autoritaires et du passage Ă lâactivisme violent ou djihadisme. Si
ces accusations ont une indéniable part de vérité, elles sont aussi
trĂšs rĂ©ductrices en cela quâelles ne dĂ©cortiquent pas les
diffĂ©rentes ondes qui constituent le spectre islamiste. Face Ă
cela, lâobjet de cette note visera Ă comprendre la nature des
divergences qui existent entre les courants de lâislamisme. Nous
verrons que les émanations nationales de la confrérie des FrÚres
musulmans dâun cĂŽtĂ© et que le courant salafiste dâun autre cĂŽtĂ©
sont les deux principales formes abouties de lâislamisme politique
en ANMO. Pour autant, malgré leurs interactions et les influences
quâelles ont pu avoir lâune sur lâautre, la rupture semble
dĂ©sormais en passe dâĂȘtre consumĂ©e entre ces deux pĂŽles de
lâislamisme tant dâun point de vue idĂ©ologico-religieux quâen terme
politique et géopolitique. AprÚs avoir dressé ce constat dans sa
complexité et ses nuances, nous verrons quelles sont les
potentielles dynamiques des islamismes présents dans la région
ANMO.
I. Dissemblances idéologico-religieuses, ruptures politiques et
rivalités géopolitiques entre le salafisme et les FrÚres
musulmans
ConsidĂ©rons comment dĂšs lâorigine, les FrĂšres musulmans se
dĂ©marquent du rigorisme salafiste par leur rapport Ă lâijtihad (A)
; puis de quelles façons les interactions et confusions
entre les FrÚres musulmans et les salafistes préfigurent leurs
rivalités politiques (B) ; enfin pourquoi les printemps arabes
cristallisent les rivalités géopolitiques entre les FrÚres
musulmans et les salafistes (C).
A. DĂšs lâorigine, les FrĂšres musulmans se dĂ©marquent du rigorisme
salafiste par leur rapport Ă lâ ijtihad
1. Si la confrérie des FrÚres musulmans est bien issue du mouvement
salafi rĂ©formisteâŠ
A la fin du XIXÚme siÚcle, le premier mouvement se décrivant comme
salafi se développe parmi les historiens et intellectuels musulmans
dits réformistes dont les figures de proue sont le Persan Jamal
Al-Din Al-Afghani, lâĂgyptien Mohammed Abduh et le Syrien Rachid
Ridha. Ils prĂŽnent un retour aux sources de lâislam afin de
sâopposer Ă une double menace existentielle : la colonisation
europĂ©enne et la prĂ©sence ottomane [1]. Ălitiste et rĂ©solument
moderniste, ce premier courant salafiste est Ă lâorigine de la
création de la confrérie des FrÚres musulmans par Hassan al-Banna
en 1928.
Ainsi, les FrĂšres musulmans se veulent ĂȘtre dans la continuitĂ© des
réformateurs des décennies précédentes [2]. En cela, ils
soutiennent que lâislam doit fixer des lignes directrices de leur
sociĂ©tĂ© et quâils sâopposent Ă lâimitation aveugle du modĂšle
européen [3]. Ils se sont voulus novateurs, non pas en inventant un
nouvel islam, mais en faisant un islam vivant, actuel, dans la
suite de cette vague de réformisme islamique [4]. Pour ce faire, le
mouvement accorde une place significative Ă lâijtihad, effort de
rĂ©flexion pour lâinterprĂ©tation des textes religieux. Lâijtihad
dépend en grande partie de la jurisprudence islamique adoptée [5]
(fiqh) et permet, ou pas, dâaller vers certaines innovations
(bidâa). Enfin, si les FrĂšres sont restĂ©s longtemps proches du
soufisme, leur doctrine les a peu à peu écartés du piétisme au
profit de lâengagement politique et social [6]. Ils sâinscrivent
notamment en faux contre le mouvement de laĂŻcisation qui sâaffirme
alors en Ăgypte [7].
Les principales lignes directrices du mouvement se fixent au cours
du XXĂšme siĂšcle pour sâarticuler autour de trois caractĂ©ristiques.
Un islam conservateur, qui se réclame du salafisme réformisme
Ă©voquĂ© plus haut. Un programme dâislamisation par le bas avec un
prosĂ©lytisme reposant sur les valeurs sociales de lâislam :
égalité, charité, partage. Enfin, le légalisme et la condamnation
de la violence.
2. ⊠elle diffÚre du salafisme contemporain qui est en tout point
un courant fondamentaliste
En parallĂšle, le salafisme voit le jour en Arabie Saoudite Ă partir
des années 1920. Ce dernier, rejetant le rationalisme, voue une
antipathie aux théologiens de la salafi du XIXÚme siÚcle, avec
lesquels il ne doit pas ĂȘtre confondu. Il revendique ĂȘtre
lâhĂ©ritier de la pensĂ©e du thĂ©ologien du XIIIĂšme siĂšcle, Ibn
Tamiyya, ainsi que de celle du fondateur du wahhabisme, Mohammed
Ben Abd Al-Wahhab (XVIIIÚme siÚcle). DÚs 1936, les autorités
saoudiennes revendiquent le terme de « salafisme » au détriment du
« wahhabisme ». Ce second salafisme est appelé « contemporain »
dans la mesure oĂč câest ce dernier qui est Ă lâorigine que ce que
lâon entend aujourdâhui par salafisme.
Les deux principaux courants de lâislamisme sunnite naissent donc Ă
la fin du XIXÚme et au début du XXÚme siÚcle et, déjà , des
divergences idéologico-religieuses significatives sont visibles.
Pour comprendre son caractĂšre fondamentaliste ou moderniste,
lâĂ©tude dâun courant
de pensĂ©e en islam requiert de se pencher sur la place quâil
accorde Ă lâIjtihad. Il sâagit de lâeffort de rĂ©flexion que les
croyants entreprennent pour interpréter les textes fondateurs de
lâislam. LĂ oĂč les salafistes modernistes de la fin du XIXĂšme
siÚcle plaidaient pour une réinterprétation du Coran et de la Sunna
en accord avec les principes de rationalité scientifique et de
gouvernance libérale [8], les salafistes contemporains, rejetant le
rationalisme, sont rĂ©putĂ©s suivre lâĂ©cole hanbalite, laquelle
préconise une lecture littérale rigoriste et non interprétée des
textes [9].
Ainsi, si les FrĂšres musulmans incarnent dĂšs 1928 un mouvement
islamiste comme lâillustre leur cĂ©lĂšbre slogan « le Coran est notre
constitution », ils nâen demeurent pas moins pragmatiques. Hassan
Al-Banna nâĂ©tait pas un doctrinaire, sa pensĂ©e nâĂ©tait pas figĂ©e.
Sa vision était dynamique et en perpétuelle évolution [10]. Ce
socle idéologique permet aux FrÚres musulmans de faire évoluer au
fil des décennies leurs discours en fonction de la transformation
des espaces et des sociétés auxquelles ils appartiennent. Cela leur
vaut encore aujourdâhui de nombreuses critiques de la part des
salafistes qui dénoncent ces « modernisations » comme autant de «
concessions ». Pour ces derniers, il faut refuser certaines
conceptions occidentales islamisées par les frÚres comme la
formation de partis, la participation aux Ă©lections, lâaccĂšs des
femmes Ă lâespace politique ou professionnel.
B. Interactions et confusions entre les FrĂšres musulmans et les
salafistes préfigurent leurs rivalités politiques
1. Le Qutbisme trouve un Ă©cho particulier chez les salafistes et
pose les bases du djihadisme moderne
Tout au long du XXĂšme siĂšcle, le courant frĂ©riste sâinscrit
progressivement dans le paysage politique des différents pays de
lâespace musulman. Leur intĂ©gration politique se fait Ă plusieurs
échelles, selon des ancrages territoriaux variés et au moyen
dâacteurs nombreux [11]. AprĂšs une pĂ©riode dâexpansion dans de
nombreux pays voisins de lâĂgypte (La FraternitĂ© musulmane en Irak,
la Jamaa Islamiyya au Liban, lâAssociation des FrĂšres musulmans de
Jordanie, FrĂšres musulmans en Syrie, FrĂšres musulmans soudanais),
leur répression croissante par les régimes locaux provoque la
division des frĂšres musulmans en plusieurs groupes. Dâun cĂŽtĂ©, les
pacifistes ou légalistes, fidÚles à la vision du fondateur Hassan
al-Banna - assassiné en 1949 sur ordre du roi Farouk - et, de
lâautre, les partisans de la lutte armĂ©e [12]. A la tĂȘte de
lâorganisation, câest la ligne lĂ©galiste de Hassan Al-Hudaybi (1951
â 1972) qui lâemporte. Face Ă cela, la branche radicale se dĂ©croche
de lâidĂ©ologie initiale des frĂšres et sâĂ©carte vers une radicalitĂ©
religieuse qui passe par lâactivisme violent pour certains
sous-groupes. Câest autour des thĂšses du pakistanais Sayyid Abdul
Ala Maududi et de lâĂ©gyptien Sayyid Qutb que cette nouvelle
radicalitĂ© sâenracine et prospĂšre. A partir des annĂ©es 1950, alors
que la confrérie subissait la répression sanglante du régime
nassĂ©rien en Ăgypte, lâArabie Saoudite devient la principale terre
dâaccueil des idĂ©es de Qutb consacrant ainsi une certaine «
salafisation » de certains FrÚres musulmans.
La pensĂ©e nouvelle de Qutb sâoppose aux principes du fondateurs
Hassan Al-Banna et de ses successeurs. Le point de rupture
introduit par Qutb est quâil considĂšre que les sociĂ©tĂ©s et les
Ătats musulmans sont sortis de lâislam. DĂšs lors, la notion de «
Takfir » (« excommunication ») apparaĂźt et lĂ©gitimise lâactivisme
violent au nom du djihad. Ce discours trouve un Ă©cho particulier
auprÚs des jeunes FrÚres qui veulent en découdre et des salafistes
saoudiens qui y
voient un moyen de mobilisation efficace. Les bases du djihadisme
moderne sont posées. Le diplomate Yves Aubin de la MessuziÚre
soutient que « à la suite de la défaite de 1967, qui sonne le glas
du nationalisme arabe, lâIslam politique sâest dĂ©veloppĂ© dans ses
deux logiques antagonistes, dont la deuxiĂšme - lâalliance des
thĂšses qutbistes avec le wahhabo-salafisme saoudien - a conduit au
radicalisme et au terrorisme [13] ». Selon Gilles Kepel, lâalliance
des deux mouvances consacre la naissance du « pétro-islam » [14].
Pour Xavier Ternisien, « la synthÚse entre la pensée qutbiste et le
puritanisme wahhabite est appelée à une postérité durable à travers
le terrorisme international ».
Il est important de constater que les dirigeants des FrĂšres
musulmans ne restent pas inactifs face Ă cette pensĂ©e quâils
considÚrent comme déviante et dangereuse. De sa prison, à partir de
1969, le guide suprĂȘme Hudaybi Ă©crit un ouvrage important,
PrĂ©dicateurs, pas juges. A cette date, la pensĂ©e de Qutb nâest plus
considérée comme faisant partie du corpus des FrÚres musulmans
[15]. Le successeur de Hudaybi Ă la tĂȘte du mouvement, lâavocat
Umar Al-Tilmisani (1972 - 1986), confirme cette vision pacifiste et
lĂ©galiste. La vieille garde, qui dĂ©fend lâorthodoxie, maintient un
cap conservateur-pacifique. Pourtant, longtemps encore, les
adversaires des FrĂšres musulmans continuent dâamalgamer Qutb avec
les FrĂšres Ă des fins tacticiennes et politiques [16]. Ainsi, une
partie des islamistes se dĂ©tache de lâorganisation et choisit la
violence contre le « pouvoir impie ». Les premiers groupe à voir le
jour sont les Gamaâat islamiyya, groupes Ă©tudiants salafistes qui
naissent en 1973, et le Takfir - ou Société des musulmans - qui
apparait en 1971. Cette tendance sâexporte alors dans le monde
musulman ou la montĂ©e des islamismes radicaux sâamorce. La pensĂ©e
de Qutb a eu une influence trĂšs importante sur les futurs cadres du
djihad comme le palestinien Abdullah Azzam, maillon essentiel du
lien de cette excroissance violente des FrĂšres musulmans avec le
djihadisme international. Cette rupture au sein de la confrérie
démontre alors la faible centralisation du bureau de la guidance,
lâorgane exĂ©cutif des FrĂšres musulmans. Il ne peut empĂȘcher quâune
frange radicale sâautonomise et se dĂ©veloppe tantĂŽt en marge de la
confrérie, tantÎt en profitant de sa renommée.
2. De la politisation des salafistes
Originellement courant fondamentaliste de prédication comme peut
lâĂȘtre le Talbigh [17], le salafisme opte pour un rapprochement de
sa doctrine avec le pouvoir politique [18]. La présence des FrÚres
musulmans en Arabie Saoudite est déterminante dans cette évolution.
Leur rĂ©pression en Ăgypte qui commence en 1954 [19] pousse de
nombreux frĂšres Ă lâexil. Beaucoup vont trouver refuge en Arabie
Saoudite ou ils sont Ă lâorigine dâune politisation dâune branche
des salafistes saoudiens, jusquâalors majoritairement quiĂ©tistes et
opposés à toute implication dans le champ politique. Cette
hybridation des mĂ©thodes des FrĂšres musulmans avec lâidĂ©ologie
rigoriste des salafistes saoudiens aboutit au mouvement du RĂ©veil
islamique (la Sahwa). Ce dernier milite activement auprĂšs de la
jeunesse pour la mise en place de réformes politiques pacifiques
trÚs conservatrices et anti-occidentales. La Sahwa est réprimé par
le pouvoir saoudien dans les années 1990. En résumé, en adoptant la
mĂ©thode militante des frĂšres musulmans, le salafisme sâest rĂ©formĂ©
pour investir lâespace public dĂšs les annĂ©es 1980 [20].
Ainsi, la pensée des FrÚres apporte au wahhabo-salafisme les outils
politiques qui lui faisait défaut pour prendre position
idéologiquement face au nationalisme et au socialisme. Cette
tendance Ă lâĂ©veil politique du courant salafiste se poursuit
ensuite et permet lâĂ©mergence de
partis politiques salafistes, dont certains sont proches de
lâactivisme violent, dans les dĂ©cennies qui suivent : parti Al-Nour
en Ăgypte, Ansar-Al-Charia en Tunisie, mais aussi le Front Al-Nosra
(futur Hayat Tahrir al-Sham) en Syrie. Sans pour autant sâouvrir Ă
la doctrine des FrÚres musulmans, qui se caractériserait par un
ijtihad plus poussĂ©, le wahhabo-salafisme sâapproprie les mĂ©thodes
de la confrérie. Plus encore, outre une appropriation des sujets
dâordre politique, ils offrent aux idĂ©es radicales de lâidĂ©ologue
Sayyid Qutb, marginalisé par la branche légaliste de la confrérie,
un accueil bien plus chaleureux.
3. De lâinfluence du salafisme, principal outil de la politique
Ă©trangĂšre saoudienne, sur lâislam politique
Alors que le projet de réformes défendu par les FrÚres musulmans
sâimpose comme la matrice intellectuelle dominante de lâislamisme
politique, il est confrontĂ©, Ă partir de la fin des annĂ©es 1970, Ă
lâĂ©mergence dâun discours contre-hĂ©gĂ©monique salafiste, venu de
lâArabie saoudite, qui prĂŽne une vision alternative de la sociĂ©tĂ©
et se livre à une lutte symbolique en termes de représentation et
de construction de la réalité [21].
Les annĂ©es 1970 consacrent lâavĂšnement des vellĂ©itĂ©s de puissance
de lâArabie Saoudite. Les chocs pĂ©troliers de 1973 et de 1979
prodiguent au royaume saoudien un poids gĂ©opolitique jusquâalors
insoupçonnĂ© et une marge de manĆuvre financiĂšre lui permettant de
mettre en Ćuvre une stratĂ©gie dâinfluence inĂ©dite. Pour accroĂźtre
son rayonnement, asseoir sa lĂ©gitimitĂ© religieuse [22], sâimposer
comme la puissance régionale du Moyen-Orient et contrer la toute
jeune RĂ©publique islamique dâIran dont les idĂ©aux rĂ©volutionnaires
risquent dâinfuser dans la rĂ©gion, Riyad mise sur la promotion et
lâexportation du salafo-wahhabisme dans les communautĂ©s musulmanes
du monde entier [23]. Alliant prédication et actions sociale et
humanitaire, les ONG islamiques, les organisations transnationales
musulmanes comme la Ligue islamique mondiale et les fondations
saoudiennes investissent financiÚrement et idéologiquement les
espaces ou les populations sont musulmanes pour imposer leur
interprĂ©tation conservatrice de lâislam, outil par excellence de la
« diplomatie religieuse » des Saoud [24].
Outre cette stratĂ©gie dâinfluence relevant du soft power, Riyad
joue également du hard power en soutenant des groupes armés en
Afghanistan pour faire face Ă lâinvasion du pays par lâarmĂ©e
soviĂ©tique en 1979. Lâexportation et la diffusion de cette
idĂ©ologie sâaccompagne donc du soutien de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration de
djihadistes, les moudjahidines afghans et la myriade de combattants
Ă©trangers qui, au nom dâun internationalisme islamiste, ont ralliĂ©
lâAfghanistan pour dĂ©fendre lâOumma [25] face Ă lâURSS. De retour
dans leur pays dâorigine aprĂšs le retrait des troupes soviĂ©tiques
dâAfghanistan en 1988, ces djihadistes aguerris participent
activement Ă la diffusion du salafo-djihadisme.
La diffusion du salafo-wahhabisme saoudien touche donc lâensemble
du monde musulman. Cette idéologie infuse aussi au sein des FrÚres
musulmans participant ainsi à une certaine « salafisation » de la
confrérie. Cela est facilement observable au niveau de la forme.
Alors que de nombreux frĂšres nây prĂȘtaient pas attention avant les
années 1970, le port de la barbe, initialement propre au salafisme,
se « démocratise ». En outre, ce phénomÚne peut également
sâobserver par lâattention plus particuliĂšre portĂ©e par certains
membres de la confrĂ©rie aux questions de mĆurs. Enfin, cette «
salafisation » sâillustre aussi Ă travers une certaine prise de
distance avec le chiisme et le soufisme, courants avec lesquels les
FrĂšres musulmans nâavaient
jusquâalors pas dâhostilitĂ© particuliĂšre.
MalgrĂ© ces interactions et les influences rĂ©ciproques, lâislamisme
des frĂšres et le salafisme demeurent bien distincts. Les attentats
du 11 septembre 2001 constituent dâailleurs une rupture dĂ©finitive
et fatale entre la monarchie saoudienne et la confrérie. Alors que
le monde dĂ©couvre brusquement le djihadisme, chacun accuse lâautre
courant islamiste dâĂȘtre la source de cette idĂ©ologie afin de
sâattirer les faveurs de lâadministration amĂ©ricaine. Ainsi, les
frÚres mettent en avant la lutte contre le « salafisme » [26]
tandis que lâArabie proclame publiquement que « tous les problĂšmes
du monde islamique viennent des FrÚres musulmans ». [27]
C. Les printemps arabes cristallisent les rivalités géopolitiques
entre les FrĂšres musulmans et les salafistes
1. DĂ©mocratisation et participation des FrĂšres musulmans au
pouvoir
LâIslam politique Ă©tait dĂ©jĂ reprĂ©sentĂ© avant lâĂ©mergence des
rĂ©voltes arabes par des formations politiques que lâon peut
qualifier dâislamo-conservatrices. Cette qualification avait Ă©tĂ©
retenue pour désigner le parti de Recep Tayyip Erdoan, le Parti de
la justice et du dĂ©veloppement (AKP), parfois source dâinspiration
pour certaines formations dans les pays arabes [28]. En Ăgypte,
avant 2011, si elle nâest pas autorisĂ©e Ă participer directement
aux scrutins Ă©lectoraux, lâOrganisation des FrĂšres musulmans est
reprĂ©sentĂ©e au Parlement Ă travers dâautres formations
dâinspiration frĂ©riste dans les Ă©lections lĂ©gislatives (en 2005,
cette mouvance emporte 20 % des siĂšges). Au Maroc, le Parti pour la
Justice et le DĂ©veloppement (PJD) sâinscrit dans la mĂȘme mouvance
idéologique, mais se présente comme un parti national. Il participe
aux scrutins législatifs depuis 1997 et devient le premier parti
dâopposition quelques annĂ©es plus tard. En AlgĂ©rie, le Mouvement de
la Société pour la Paix (MSP) devient le principal parti
dâopposition. Il se rĂ©clame de lâidĂ©ologie frĂ©riste et participe Ă
différents gouvernements dans les années 2000. Au Yémen et en
Libye, des formations islamistes entrent dans le jeu politique,
sans devenir majoritaires. Enfin, à Gaza, le Hamas, créé en 1987,
sâinscrit dans la mouvance des FrĂšres musulmans. Il emporte des
Ă©lections parlementaires en 2006.
Les FrĂšres musulmans sâimposent donc comme un pĂŽle de stabilitĂ©
lors des printemps arabes. La vieille confrérie est alors bien
implantée dans la plupart des pays de la région et elle a une
expérience politique voire une expérience du pouvoir pour certaines
branches. La démocratisation induite par les printemps arabes porte
assez logiquement les partis qui sâinscrivent dans la mouvance
frériste au pouvoir dans de nouveaux pays : au Maroc, en Tunisie et
en Ăgypte. Un constat semble sâimposer partout, il paraĂźt
impossible de démocratiser sans insérer les FrÚres musulmans dans
le jeu politique.
Cette prise de pouvoir par les frĂšres est soutenue par lâaxe
turco-qatarie. Il bĂ©nĂ©ficie alors de lâassentiment de Washington
sous la prĂ©sidence dâObama pour qui lâAKP, conjuguant lâĂ©thique
musulmane et esprit du capitalisme, fait référence [29]. Pour
lâĂ©mirat gazier, richissime mais peu peuplĂ©, câest lâopportunitĂ© de
disposer de relais dĂ©mographiques qui lui permettront de tenir tĂȘte
au puissant voisin saoudien, lequel voit au contraire dans la
confrĂ©rie son rival majeur pour lâhĂ©gĂ©monie du sunnisme arabe. Pour
Ankara, le soutien aux FrÚres musulmans répond à une double
logique. Dâune part, il sâagit de favoriser lâĂ©mergence de
gouvernements islamistes, répondant à un socle de valeurs communes.
Dâautre part, câest un moyen dâavoir un
relai dâinfluence rĂ©gional capable de favoriser les vellĂ©itĂ©s
hégémoniques de la Turquie. On est entré dans un jeu de rivalités
de puissances régionales qui a conduit à une rupture diplomatique
et Ă©conomique entre Doha et Riyad Ă partir de juillet 2017.
2. Les salafistes, principal outil de la contre-révolution
réactionnaire
Une contre-offensive se met rapidement en place pour contrer cet
axe « frériste » sous la houlette de Riyad et de Abou Dhabi. Cette
contre-rĂ©volution sâappuie sur les hiĂ©rarchies militaires et
également sur une vaste mouvance salafiste bien que les allégeances
de cette derniÚre au régime saoudien soient à géométrie variable et
que la porosité du milieu aux thÚses djihadistes pose
problĂšme.
Les salafistes sont donc mis Ă contribution par les forces
contre-rĂ©volutionnaires pour rĂ©duire oĂč cela est possible
lâinfluence des FrĂšres musulmans. La confrĂ©rie est dissoute dans
plusieurs pays (Ăgypte en 2014, Jordanie en 2020) ou les rĂ©seaux
salafistes peuvent occuper un espace politique devenu vacant. Si
lâArabie saoudite exerce une influence diffuse auprĂšs de la
nébuleuse salafiste dans le monde arabe et musulman, la mainmise de
Riyad sur eux reste limitée, ce qui explique le risque de «
djihadisation » des terreaux salafistes. A titre dâexemple, le
salafisme est doublement reprĂ©sentĂ© en Tunisie, dâune part, par de
petites formations reprĂ©sentĂ©es Ă lâAssemblĂ©e nationale et dâautre
part par des dissidents dâEnnahdha qui ont crĂ©Ă© une organisation
qui prĂŽne la violence, Ansar al-charia, inscrite dans la liste des
organisations terroristes.
Ensuite, selon lâONG amĂ©ricaine Coptic Solidarity (2017), lâĂgypte
devient de plus en plus un « écosystÚme » favorisant la violence
djihadiste. Le Président Sissi autorise les salafistes à dominer la
sphÚre publique, à répandre leurs discours de haine dans les médias
Ă©tatiques et les programmes scolaires. Cela mĂšne Ă des violences
croissantes contre la minoritĂ© chrĂ©tienne copte dâĂgypte.
LâĂ©radication des fĂȘtes et lieux de culte des chrĂ©tiens Ă©tant une
constante de la doctrine salafiste, les djihadistes la mettent Ă
Ćuvre simultanĂ©ment dans tous les territoires quâils contrĂŽlent
(Syrie, Lybie, Irak, Ăgypte). On constate que sous le rĂ©gime du
MarĂ©chal Sissi, le djihadisme sâest remis Ă prolifĂ©rer, notamment
dans la péninsule du Sinaï [30].
Face aux Printemps arabes, la rĂ©action sâarticule donc autour des
autocrates militaires ou civils (Sissi, Haftar, Hadi) et des partis
politiques salafistes. Ils sont soutenus par lâArabie saoudite et
ses alliés qui voient dans la confrérie des FrÚres musulmans un
péril existentiel. En effet, elle est susceptible de remettre en
cause la légitimité religieuse et politique de la monarchie
saoudienne. Proche de ses concurrents régionaux, les FrÚres
musulmans prÎnent un modÚle politique qui menace la pérennité du
pouvoir héréditaire monarchique saoudien. En outre, ils contestent
la légitimité de la monarchie saoudienne à régner sur les lieux
saints de La Mecque et de MĂ©dine.
II. Quelles perspectives pour lâislamisme politique ?
Il importe dâabord dâapprĂ©hender la dynamique des Printemps arabes
dans le temps long (A) ; puis dâĂ©tudier les Ă©volutions nationales
et la prospective régionale (B).
A. Appréhender la dynamique des Printemps arabes dans le temps
long
1. Vers une approche nationale de lâislam politique
Le champ religieux politique dans le monde arabe sâest donc
diversifiĂ© et une approche internationaliste de lâIslam politique a
de moins en moins de sens. Comme le souligne le diplomate français
Yves Aubin de la MessuziÚre « si le monde arabe se décline au
pluriel, il en va de mĂȘme pour lâIslam politique. Il y a bien des
nuances de vert dans lâIslam politique ». Lâillusion dâune
internationale islamiste qui regrouperait sous la mĂȘme banniĂšre des
structures islamiques internationales reconnues (comme le Secours
islamique international), la confrérie des FrÚres musulmans, le
wahhabo-salafisme, le Talbigh et le djihadisme international est un
raccourci intellectuel réducteur et contre-productif.
Sâagissant de la confrĂ©rie des frĂšres musulmans, elle se construit
bien dĂšs lâorigine dans une logique fondamentalement
internationaliste face Ă lâĂ©mergence des mouvements nationalistes
arabes. Elle entend transcender des frontiÚres tracées par les
Occidentaux qui divisent lâOumma. La doctrine des FrĂšres entrait
alors en rivalités avec la constitution des identités nationales et
des Ătats bĂątis sur les ruines de lâempire Ottoman et des Empires
coloniaux. Cependant, les FrÚres se retrouvent trÚs vite confrontés
à la question nationale. AprÚs une rivalité avec les partis
nationalistes, ils doivent sâadapter au caractĂšre inĂ©luctable de
lâĂtat- Nation. Ainsi, la progressive intĂ©gration politique des
FrĂšres musulmans fait passer lâagenda national au premier plan des
partis fréristes au détriment de leur agenda internationaliste
originel. Dans lâensemble de ses territoires dâimplantation, les
enjeux nationaux imprégnent le discours, les préoccupations, les
actes, et les objectifs des partis dâinspiration frĂ©riste. Lâhyper
nationalisme palestinien du Hamas et le nationalisme turc de lâAKP
en sont les exemples les plus Ă©loquents.
Pour autant, lâargument dâun « agenda international cachĂ© » des
formations frĂ©ristes fait encore lâobjet de nombreuses
interrogations. Largement mis en avant par leurs adversaires laĂŻcs,
cet argumentaire soutient que le projet des partis fréristes est
exactement le mĂȘme que celui des salafistes et des djihadistes mais
que leur mode opĂ©ratoire pour y parvenir est diffĂ©rent. Lâensemble
des Ă©volutions doctrinales des partis dâobĂ©dience frĂ©riste et leur
modernisation ne seraient quâune diversion, une dissimulation
(taqßya) pour conquérir le pouvoir. Cette hypothÚse est notamment
alimentée par les dérives autoritaires du président Erdoan, le
maintien des « principes de la charia » dans la constitution
proposée par Mohammed Morsi en 2012, la proximité du mouvement
yéménite Al-Islah, affilié aux FrÚres musulmans, avec les
salafistes yĂ©mĂ©nites et lâArabie saoudite, et la grande opacitĂ© qui
rÚgne quant à la réalité des liens internationaux qui unissent les
réseaux fréristes.
Nous avons identifié dans la premiÚre partie de cette note la
triple rupture idéologico- religieuse, politique et géopolitique
entre lâislamisme des FrĂšres musulmans et le wahhabo- salafisme.
Lâintense rivalitĂ© et ces divergences anciennes semblent acter
lâincompatibilitĂ© dâune alliance entre ces grandes tendances de
lâislamisme. La rupture cristallisĂ©e par Sayyid Qutb et accentuĂ©e
par le djihadisme moderne est consommée. Si des passerelles
existent encore du fait du parcours de certains individus, les
projets semblent, eux, sâĂ©loigner.
Lâorganisation des FrĂšres musulmans nâĂ©tant ni pyramidale, ni
centralisĂ©e, ni hiĂ©rarchisĂ©e, chaque Ă©manation locale sâinspire de
ses principes mais jouit dâune autonomie quasi-totale lui
permettant de sâadapter aux rapports de forces nationaux. Sa
capacité à épouser la diversité des contextes socio-politiques
auxquels elle est confrontée est une des clés de la réussite de
la
confrĂ©rie. Aujourdâhui, on peut facilement se rendre compte que le
MSP algĂ©rien, Ennahdha en Tunisie, le Hamas palestinien ou lâAKP
turc sont trÚs différents aussi bien dans leur expérience du
pouvoir que dans leur projet politique bien quâils soient tous
issus dâune inspiration commune. Cette autonomie rend tout Ă fait
possible de retrouver dans des contextes de guerre un rapprochement
des FrÚres musulmans avec le concept de « djihad » et la mouvance
salafiste. Ainsi, les FrÚres musulmans libyens se sont alliés à des
mouvements djihadistes lors de la chute de Kadhafi en 2011. Le
Hamas fait réguliÚrement référence au « djihad » dans le contexte
de guerre face Ă lâĂtat dâIsraĂ«l. En Syrie, ils ont combattu tantĂŽt
contre, tantÎt aux cÎtés des brigades salafistes opposées au régime
de Bachar al-Assad. De la mĂȘme maniĂšre, la branche armĂ©e du parti
frériste yéménite Al-Islah a combattu contre les houthis aux cÎtés
des fantassins salafistes soutenus par la coalition saoudienne
avant de se retrouver engagée contre le groupe salafiste de Abou
al-Abbas Ă Taez en 2018 [31]. Ces alliances sont le fruit de
situations spécifiques de conflits armés et violents qui exigent
une certaine dose de pragmatisme. Elles attestent bien du caractĂšre
avant tout local de la prise de décision de ces mouvements.
Peu dâindicateurs semblent aujourdâhui attester dâune
internationale frériste qui dissimulerait son véritable agenda. A
ce titre, le Qatar a tenté à partir de 1995 de rassembler plusieurs
leaders islamistes issus des FrĂšres musulmans. Cette initiative
répondait alors plus à un objectif de rayonnement géopolitique du
richissime Ă©mirat gazier quâune adhĂ©sion inconditionnelle de la
monarchie familiale et clanique de Doha aux idées des frÚres.
Pour conclure, lâintĂ©gration dans le champ politique des partis
dâinspiration frĂ©riste sâopĂšre Ă des Ă©chelles diffĂ©rentes, selon
des ancrages territoriaux variĂ©s et au moyen dâacteurs hĂ©tĂ©rogĂšnes.
Dans la plupart des pays de la région, les partis fréristes
deviennent une force politique locale et nationale sur laquelle il
faut désormais compter dans le champ politique légal.
2. Les Ă©volutions doctrinales des FrĂšres musulmans
Preuve de la place plus importante que les FrĂšres musulmans
accordent Ă lâIjtihad, la confrĂ©rie a procĂ©dĂ© au fil des dĂ©cennies
Ă un certain nombre dâĂ©volutions doctrinales. Ces derniĂšres
cristallisent bien les diffĂ©rences avec le salafisme, hostile Ă
toute concession Ă lâĂ©gard de la modernitĂ©. Si le leitmotiv
originel de tous les islamistes est bien de fondre dans un seul
projet lâislam comme religion, lâislam comme culture et lâislam
comme idéologie, les FrÚres ont procédé à des évolutions
pragmatiques qui correspondent historiquement Ă leurs deux grandes
phases, le passage de la prĂ©dication Ă la politique dâune part,
puis Ă lâaccĂšs au pouvoir dâautre part.
Lâusage de rĂ©fĂ©rences Ă©trangĂšres telle que la Constitution, et,
progressivement, la dĂ©mocratie, sâimpose progressivement dans la
conception politique des courants fréristes. Face à cela, les
salafistes rejettent pendant longtemps catégoriquement ces
conceptions politiques occidentales islamisées par les FrÚres
musulmans telles que la formation de partis ou de structures
organisationnelles et la participation aux Ă©lections. Avec le
temps, ils sâen approprient les codes afin de mieux concurrencer la
confrérie, vue comme un concurrent théologique.
Ensuite, la seconde Ă©volution significative des islamistes proche
des frĂšres concerne lâaccĂšs
des femmes Ă lâespace politique et professionnel [32]. DĂšs 1933,
lâorganisation des SĆurs musulmanes est crĂ©Ă©e en Ă©cho Ă la
confrérie mise sur pied cinq années auparavant par Hassan al-Banna.
Si les valeurs conservatrices prÎnées par les FrÚres musulmans ne
permettent pas une Ă©mancipation des femmes sur le terrain de mĆurs
et dâĂ©galitĂ©, les partis dâinspiration frĂ©ristes font depuis
plusieurs années une place de plus en plus importante aux femmes
dans leurs rangs. Certes, on est encore loin dâune Ă©galitĂ© entre
les sexes, toutefois, cet accĂšs des femmes Ă lâespace politique
contraste vivement avec lâimmobilisme des salafistes sur cette
question. A titre dâexemple, lâAKP dispose en 2020 de 53 femmes
députés (sur 289 siÚges AKP) et de deux ministres (sur 17
ministres) au gouvernement. En Tunisie, Ennahdha est lâun des
partis politiques qui donne le plus de postes Ă responsabilitĂ© Ă
ses cadres femmes [33]. Le PJD marocain et le MSP algérien [34]
promeuvent Ă©galement lâintĂ©gration des femmes dans le champ
politique, malgré les résistances de certaines mentalités [35].
Toutefois, il ne faut pas sây tromper, cette meilleure
reprĂ©sentativitĂ© nâest en aucun cas synonyme dâavancĂ©es rapides
vers lâĂ©galitĂ© des sexes. Elle contraste en revanche avec la grande
rĂ©ticence du salafisme Ă laisser trop dâespace aux femmes dans la
sphĂšre publique.
Enfin, on observe une dynamique de sécularisation de plusieurs
partis issus des FrÚres musulmans. Si cela peut apparaßtre résiduel
Ă nos yeux, lâacceptation dâun Ă©tat de droit qui ne soit pas
officiellement musulman par les partis islamistes constitue un pas
significatif dans une rĂ©gion oĂč la plupart des dictatures
nationalistes ne se sont pas risquĂ©es Ă sĂ©parer lâislam de lâĂtat
[36]. Ainsi, certaines formations islamo-conservatrices
dâinspiration frĂ©riste se sont clairement dĂ©tachĂ©es de lâinfluence
originelle de la confrérie et ont entamé un mouvement de
sĂ©cularisation, comme on lâa constatĂ© en Tunisie, au Maroc et mĂȘme
chez les FrĂšres musulmans syriens qui Ă©voquent dans leurs
rĂ©flexions sur la Syrie de demain la constitution dâun Ătat civil
[37]. A propos dâEnnahdha Thierry BrĂ©sillon Ă©crit ceci : « Le vrai
double langage est celui interne au parti : les cadres font croire
Ă leur base quâils sont encore islamiques alors que la rĂ©alitĂ©
câest quâils sont dĂ©jĂ sĂ©cularisĂ©s » [38]. On pourrait arguer, Ă
juste titre, que la rhétorique trÚs islamique du Président turc,
Recep Tayyip Erdoan, représente un recul de la sécularisation en
Turquie. Si la laïcité est indéniablement en régression en Turquie,
il convient de rappeler ici que la laĂŻcitĂ© turque, imposĂ©e dâune
main de fer par Mustapha Kemal AtatĂŒrk, Ă©tait trĂšs en avance par
rapport aux autres pays musulmans et que les pratiques dâAnkara
restent, Ă lâĂ©chelle de la rĂ©gion, plus sĂ©culaires que la
moyenne.
Ce phĂ©nomĂšne de sĂ©cularisation, principalement Ă lâĆuvre en Tunisie
et dans une moindre mesure au Maroc, nâest certainement pas le
fruit dâune dynamique interne aux partis islamistes. Câest une
tendance sociétale lourde au sein de la jeunesse de nombreux pays
musulmans. Câest ce quâanalyse lâislamologue Adrien Candiard pour
qui plus les sociétés deviennent islamistes, plus les individus,
surtout des jeunes, rompent avec la religion et décident de ne plus
pratiquer lâislam. Câest le cas en Ăgypte oĂč beaucoup de jeunes
gens sâĂ©loignent de lâislam face Ă la forte poussĂ©e salafiste
encouragĂ©e par lâArabie Saoudite. Cette sĂ©cularisation des sociĂ©tĂ©s
est donc Ă lâorigine de lâamorce dâune sĂ©cularisation des partis
fréristes qui, pragmatiques, acceptent, non sans réticences, cette
nouvelle donne sociétale. Ainsi, la nouvelle constitution
tunisienne, élaborée entre autres avec Ennahdha, proclame la
liberté de conscience. Au Maroc également on constate les prémices
dâune sĂ©cularisation [39]. Ces deux partis dâinspiration frĂ©riste
ont cette tendance commune à suivre la relative sécularisation qui
est Ă lâĆuvre au sein de leurs sociĂ©tĂ©s. Dâailleurs, cela aboutit Ă
des ruptures souvent définitives avec leur frange la plus
extrémiste.
3. Printemps arabes et processus de démocratisation
Du fait du grand chaos quâils ont engendrĂ© dans la rĂ©gion, les
printemps arabes ont été assez rapidement considérés comme un échec
[40]. Hormis lâexception notable de la Tunisie, ces rĂ©voltes ont
débouché sur des guerres civiles (Syrie, Libye, Yémen) ou des
stricts retours de bĂąton autoritaires (Ăgypte, BahreĂŻn). Aux yeux
des Occidentaux, ils auraient mĂȘme eu le mauvais goĂ»t de mettre les
sociétés de la région face au dilemme suivant : dictature
autoritaire ou démocratie islamiste ? Toutefois, cette analyse trop
rĂ©ductrice mĂ©rite dâĂȘtre nuancĂ©e dans la mesure ou les printemps
arabes mĂ©ritent dâĂȘtre apprĂ©hendĂ©s dans le temps long.
Les printemps arabes débutent fin 2010. Ils sont issus de la
demande des jeunesses libérales de réformer en profondeur
lâappareil politique de leur pays et dâune partie des populations
dâamĂ©liorer le dĂ©veloppement Ă©conomique et la justice sociale. DĂšs
lors et jusquâĂ lâĂ©tĂ© 2011, le processus aboutit Ă trois scĂ©narii
différents. Les timides mouvements de contestation en Arabie
saoudite, à Bahreïn, en Jordanie ou en Algérie sont rapidement
jugulés. Ailleurs, les rivalités communautaires explosent dans les
Ătats oĂč la cohĂ©sion sociale nâest que façade : au YĂ©men, en Syrie
et en Libye. Enfin, les printemps arabes mĂšnent Ă une transition
dĂ©mocratique qui aboutit Ă lâintĂ©gration politique des partis
islamistes dĂ©rivĂ©s des FrĂšres musulmans en Tunisie, en Ăgypte et au
Maroc. En une année, les élections démocratiques sont mises en
place dans ces trois pays. Cependant, la culture dĂ©mocratique nâest
pas encore acquise car la pratique Ă©lectorale ne suffit pas Ă
lâinstaurer. En Ăgypte, les islamistes sâimposent Ă tous les
échelons et remportent les élections législatives de janvier 2012
puis la présidentielle en juin. Mais leur inexpérience du pouvoir
et leur absence de vision stratégique leur coûtent leur légitimité
: ils sont renversĂ©s en juillet 2013. Ă lâinverse, les partis
islamistes obtiennent durablement la majorité parlementaire en
Tunisie et au Maroc : sans jamais gouverner, Ennahdha est devenue
la premiĂšre force politique tunisienne, tandis que le PJD est Ă la
tĂȘte du gouvernement marocain depuis 2011.
Malgré le retour et la modernisation des modÚles autoritaires («
dĂ©mocratures ») couplĂ©s Ă lâutilisation du conservatisme religieux
salafiste comme outil de maĂźtrise des revendications
dâĂ©mancipation, le processus de dĂ©mocratisation initiĂ© par les
printemps arabes nâa pas disparu pour autant. De nouveaux espaces
de contestation visibles ou clandestins existent aujourdâhui, et «
lâexpĂ©rience rĂ©volutionnaire continue dâagir grĂące Ă une gĂ©nĂ©ration
qui nâa pas consommĂ© sa jeunesse » selon les termes
dâAnne-ClĂ©mentine Larroque [41]. La construction dâune culture
dĂ©mocratique vĂ©ritable passe notamment par la structuration dâune
société civile, la prise de conscience de sa citoyenneté et le
dépassement des clivages ethniques et confessionnels. Ces thÚmes
ont animé les nombreuses manifestations qui ont émergé de nouveau
en Tunisie et au Maroc en 2018, et qui ont secouĂ© lâAlgĂ©rie,
lâIrak, le Liban, et le Soudan en 2019 attestant dâun nouveau
rapport des populations Ă la chose publique. Ainsi, le processus de
dĂ©mocratisation nâa pas dit son dernier mot. Les printemps arabes
infusent dans les sociétés de la région et sont amenés à provoquer
de nouveaux bouleversements. Câest pourquoi on ne peut parler dâ«
échec » des printemps arabes, comme si le monde arabe pouvait se
transformer en quelques mois, en quelques annĂ©es. On sâinscrit
vĂ©ritablement dans le temps long, peut-ĂȘtre trĂšs long. Lâhistoire
nâest pas terminĂ©e.
Le mĂȘme constat selon lequel il est impossible de dĂ©mocratiser sans
intĂ©grer les FrĂšres musulmans dans le jeu politique sâimpose
partout Ă la suite des printemps arabes. Dans ce contexte, les
partis issus des FrĂšres musulmans semblent eux aussi sâinscrire
dans cette
dynamique démocratique. Toutefois, la sincérité de leur attachement
Ă la dĂ©mocratie pose parfois question. Et si la dĂ©mocratie nâĂ©tait
quâun simple moyen de conquĂȘte du pouvoir ?
Les exemples du PJD et de Ennahdha semblent indiquer une
acceptation de lâalternance ainsi quâune capacitĂ© Ă faire des
coalitions, Ă composer et Ă trouver des consensus avec les services
de sécurité, les syndicats, les autres formations politiques, les
islamistes plus conservateurs... Sans ĂȘtre exemplaire, leur
pratique du pouvoir sâĂ©loigne dâĂ©ventuels relents autoritaires. En
Ăgypte, la prĂ©sidence de Morsi fĂ»t brĂšve et son manque de sens
politique a conduit Ă sa chute. Si son manque de consensus avec
lâopposition libĂ©rale et nationaliste nâallait pas dans le bon
sens, rien nâindique que les FrĂšres musulmans allaient rentrer dans
une spirale autoritaire. A lâinverse, en Turquie, le virage
autoritaire du Président Erdoan est flagrant. Outre la personnalité
intransigeante du chef de lâĂtat turc, ce virage doit sans doute
ĂȘtre davantage attribuĂ© Ă la dĂ©gradation du contexte sĂ©curitaire de
la Turquie (guerre civile syrienne depuis 2011, reprise des
hostilitĂ©s avec le PKK en 2015, tentative de coup dâĂtat en 2016,
nombreux attentats djihadistes sur le territoire turc) quâau
caractĂšre islamiste de lâAKP. Notons Ă ce titre que les dĂ©rives
autoritaires dâAnkara divisent au sein mĂȘme de lâAKP [42] et
quâelles sont dirigĂ©es contre un autre mouvement se revendiquant de
lâislam politique : la confrĂ©rie gĂŒleniste.
Certes, les printemps arabes nâont pas immĂ©diatement gĂ©nĂ©rĂ© une
véritable culture démocratique mais ils ont concrétisé des
pratiques démocratiques. Ils ont ouvert un nouvel espace de parole
visible ou invisible que les régimes autoritaires tentent de
juguler par différents moyens. Du cÎté des populations, on observe
de maniÚre croissante une structuration des sociétés civiles, une
prise de conscience de la citoyenneté et un dépassement des
clivages ethniques et confessionnels. La revendication de la
citoyenneté, et des droits qui en découlent, sont parmi les slogans
que lâon entend rĂ©guliĂšrement dans les manifestations de Bagdad Ă
Beyrouth [43]. Le processus de démocratisation des sociétés et de
leur classe dirigeante infuse à des vitesses inégales au sein des
pays de la région. Les formations fréristes développent, elles
aussi, quand le régime politique le permet, leur culture
démocratique. Le chercheur Abderrahim Lamchichi écrit ceci quelques
semaines aprÚs le 11 septembre 2001 « les tentatives de
renouvellement, de recherche dâalliances, opĂ©rĂ©es par les
composantes modérées de la mouvance islamiste, pour se distancer
des courants plus radicaux, peuvent mener un jour Ă la
transformation démocratique. Cet islamisme tempéré et démocratique
ne pourra alors éviter le processus de sa profonde métamorphose ».
Ainsi, en sâimprĂ©gnant des principes du jeu dĂ©mocratique, les
formations dâinspiration frĂ©riste apprendraient Ă devenir
dĂ©mocrates. Le moment dâaccĂšs au pouvoir gĂ©nĂšrerait une
distanciation avec lâidĂ©ologie dâorigine. Un « post-islamisme »
[44] hybride entre son origine islamiste et le systÚme démocratique
serait alors en train de trouver sa place dans le sillage des «
printemps arabes ».
B. Ăvolutions nationales et prospective rĂ©gionale
1. A lâĂ©chelle nationale : lâautoritarisme, un soutien indirect aux
mouvements les plus radicaux
Nous avons vu que lĂ oĂč des Ă©lections libres ont pu se tenir, leurs
rĂ©sultats ont montrĂ© que les formations dâinspiration frĂ©riste sont
une force politique significative dans la région. Pour autant, leur
intégration politique ne va pas de soi et, aprÚs les espoirs
suscités par les printemps arabes, les réactions contre les
démocratisations ont limité leur intégration. Actuellement, les
FrĂšres musulmans sont considĂ©rĂ©s comme terroristes par lâĂgypte,
lâArabie
Saoudite, les Ămirats Arabes Unis, la Syrie et BahreĂŻn. En juillet
2020, la branche jordanienne de lâorganisation a Ă©tĂ© interdite. Or,
il apparaĂźt quâen fermant la voie de la dĂ©mocratie, les pouvoirs
autoritaires apportent un soutien indirect, mais bien réel, aux
organisations les plus radicales.
Le retour et le renforcement de gouvernements dictatoriaux,
incarnĂ©s par la figure du MarĂ©chal al-Sissi en Ăgypte, et la
rĂ©pression contre les FrĂšres, risquent dâalimenter un islamisme
plus radical. Lâassimilation des FrĂšres musulmans Ă des
organisations terroristes djihadistes (Ătat islamique, Al-QaĂŻda)
pousse de nombreux militants de la confrérie à entrer en
clandestinitĂ©. Cet amalgame renforce lâargumentaire des mouvements
radicaux qui espĂšrent alors recruter parmi les sympathisants
fréristes les plus enclins à se tourner vers la violence. Dans un
scĂ©nario plus pessimiste encore, de la mĂȘme maniĂšre quâavec SaĂŻd
Qutb dans les années 1960, la confrérie pourrait voir une scission
interne dâune de ses branches prĂȘte Ă Ă©pouser le djihadisme.
Lâattitude du chef du rĂ©seau djihadiste al-QaĂŻda, Ayman
al-Zawahiri, parle dâelle-mĂȘme. Cet Ă©gyptien a longtemps vilipendĂ©
la confrérie notamment dans un document intitulé « La récolte amÚre
», dans lequel il qualifie les FrÚres musulmans de « traitres » et
« dâapostats ». Il leur reproche de se rendre complices de rĂ©gimes
politiques impies qui acceptent la laïcité et la démocratie.
Dâailleurs, en 1992, il rejoint Hassan Al- Tourabi Ă Khartoum pour
tenter de constituer une internationale rivale des FrĂšres musulmans
en coalisant tous les radicaux [45]. Al-Zawahiri nâa peut-ĂȘtre pas
oubliĂ© ce projet lorsquâil sâadresse aux FrĂšres Ă©gyptiens au
lendemain du coup dâĂtat de Al-Sissi du 3 juillet 2013 en leur
disant en substance : nous vous lâavions bien dit, la voie
démocratique est bouchée [46].
En dĂ©pit des critiques Ă lâĂ©gard de leurs tendances autoritaires
(partagĂ©es avec beaucoup dâautres forces politiques de la rĂ©gion),
leur sectarisme, ou encore leur programme économique néolibéral, il
est indéniable que les FrÚres musulmans font maintenant partie du
paysage politique et si les réprimer fait reculer la démocratie,
cela ne fait pas reculer leurs idées [47]. Au contraire, à force de
les diaboliser, on oublie les difficultĂ©s quâils ont eues Ă
gouverner quand ils Ă©taient au pouvoir entre 2012 et 2013 avec
Mohamed Morsi à la présidence. Ainsi, aux yeux de la population,
lâillusion persiste. Plus il y a de rĂ©pression et de diabolisation,
plus le mythe, le fantasme des FrĂšres musulmans, reste intact.
Selon un sondage [48], un tiers de la population Ă©gyptienne
continue à avoir une vision positive des FrÚres malgré la
communication officielle du rĂ©gime. Si elle sâavĂšre efficace en
apparence, la stratĂ©gie dâinterdiction, de criminalisation, de
répression et de diabolisation des FrÚres musulmans peut se révéler
ĂȘtre Ă double tranchant. Dâune part, elle ne rĂ©duit pas lâinfluence
sociale de la confrĂ©rie, et, dâautre part, elle risque de pousser
ses membres vers une vision plus radicale de leur engagement.
En parallĂšle, les mouvances salafistes ne sont pas logĂ©es Ă la mĂȘme
enseigne. A lâappel des oulĂ©mas proches du rĂ©gime saoudien, bon
nombre de salafistes se démarquent ainsi des FrÚres musulmans en
dépouillant leur religiosité de toute expression contestataire.
Trouvant ses origines dans lâĂ©cole de jurisprudence hanbalite, la
mouvance salafiste, trÚs majoritairement quiétiste, prÎne
lâobĂ©issance Ă tout gouvernant, fĂ»t-il « corrompu et autocratique
», pour autant quâil ne refuse pas de se dire musulman. Ainsi, du
YĂ©men Ă lâĂgypte ou au Maroc, les salafistes, Ă bien des Ă©gards
moins modernistes que les FrĂšres, ont pu paradoxalement recueillir
les faveurs de régimes réputés modernisateurs qui voyaient dans
cette abstinence Ă©lectorale un instrument dâaffaiblissement de leur
opposition [49].
Enfin, rappelons que si lâinterdiction des formes de lâislam
politique que les partis fréristes incarnent est une des conditions
menant Ă lâĂ©mergence et au dĂ©veloppement de mouvements djihadistes,
ce nâest en aucun cas la seule. Les problĂšmes socio-Ă©conomiques, la
frustration générée par les grandes inégalités et la corruption
sont souvent au premier rang des causes de propagation des
idéologies violentes. Face à ce constat, on peut considérer que
lâĂgypte actuelle regroupe un certain nombre de facteurs
susceptibles de mener Ă une croissance du risque djihadiste et une
dégradation de sa situation sécuritaire dans les prochaines années.
Par ailleurs, les pays dâAsie centrale (Tadjikistan, TurkmĂ©nistan
et lâOuzbĂ©kistan en tĂȘte) se caractĂ©risent par leur autoritarisme
strict, laissant peu de place Ă des formes dâexpression politique,
et des Ă©conomies fragiles reposant bien souvent sur la rente aux
hydrocarbures. DĂšs lors, Ă lâheure du « renouveau de lâislam en
Asie centrale » [50], ils constituent également un potentiel foyer
de prolifĂ©ration de lâidĂ©ologie salafo-djihadiste.
2. A lâĂ©chelle internationale : vers une convergence stratĂ©gique
entre les FrĂšres musulmans et la RĂ©publique islamique dâIran
?
A la suite des printemps arabes, lâadministration Obama avait fait
le choix de miser sur les formations fréristes pour soutenir les
dynamiques de transition démocratique. En parallÚle, Washington
signait le JCPoA, accord sur le nuclĂ©aire iranien, qui visait Ă
rĂ©intĂ©grer lâIran dans le concert des nations et Ă ouvrir son
Ă©conomie. Cette politique amĂ©ricaine sâinscrivait alors en relative
rupture avec les deux piliers traditionnels de lâĂ©quation
stratégique de Washington dans la région : la sécurisation des
approvisionnements en hydrocarbures (via le pacte du Quincy avec
lâArabie Saoudite) et la sĂ©curitĂ© de lâĂtat dâIsraĂ«l. Le soutien
aux FrĂšres musulmans allait Ă lâencontre des intĂ©rĂȘts saoudiens et
lâaccord iranien Ă©tait vivement critiquĂ© par Riyad et Tel Aviv.
Cette situation a accĂ©lĂ©rĂ© la convergence dâintĂ©rĂȘt entre plusieurs
pays du Golfe (Arabie Saoudite, EAU, Bahreïn) et Israël.
LâarrivĂ©e de Donald Trump Ă la Maison blanche en janvier 2017
conforte la formation dâun axe Riyad, Manama, Abou Dhabi, Le Caire,
Tel Aviv dont la récente normalisation des relations entre Israël,
le Bahreïn et les EAU est une conséquence visible. Cette alliance
inĂ©dite sâoppose Ă lâinfluence grandissante de lâIran et des FrĂšres
musulmans dans la région. La contre- offensive menée par Riyad et
les EAU consiste Ă soutenir, lĂ oĂč cela est possible, les rivaux
des partis fréristes et polarise ainsi la région entre les
pro-frĂšres musulmans et les anti-frĂšres musulmans. En juillet 2017,
la rupture des relations diplomatiques et Ă©conomiques de lâArabie
Saoudite, des EAU, de lâĂgypte et du BahreĂŻn avec le Qatar se
cristallise notamment autour de cette question.
Reste Ă savoir si lâadministration de Joe Biden (20 janvier 2021 -
) soutiendra cet axe avec autant dâardeur. Bien quâil soit
considĂ©rĂ© comme proche dâIsraĂ«l, lâancien vice-prĂ©sident dâObama
devrait reprendre des nĂ©gociations avec lâIran et poursuivre le
désengagement progressif du Moyen-Orient. Si ce désengagement ne
sera en aucun cas synonyme dâune disparition, il apparaĂźt que les
intĂ©rĂȘts des Ătats-Unis vont ĂȘtre amenĂ©s Ă dĂ©croitre dans la rĂ©gion
[51], et que, par consĂ©quent, leur volontĂ© dâimplication faiblira
Ă©galement. On peut alors lire lâagressivitĂ© de lâadministration
Trump sur le dossier iranien et le soutien plus net que jamais Ă
Israël comme une tentative de précipiter unilatéralement les «
derniÚres volontés » géopolitiques de Washington au
Moyen-Orient.
Face Ă cette alliance de fait, on peut lĂ©gitimement ĂȘtre amenĂ© Ă se
demander dans quelle
mesure un rapprochement entre la rĂ©publique islamique dâIran et les
formations dâobĂ©dience frĂ©riste est possible. Si une convergence
stratĂ©gique sâobserve logiquement entre les acteurs proches des
frÚres musulmans, la réalité de leurs contacts avec la République
islamique dâIran reste, quant Ă elle, difficile Ă Ă©valuer.
Tout dâabord, lâalliance stratĂ©gique entre la Turquie et le Qatar,
qui ont largement soutenu lâĂgypte de Mohammed Morsi (2012-2013),
le gouvernement dâentente nationale (GEN) de Fayez el-Sarraj en
Libye ou Ennahdha en Tunisie, confirme la proximité géopolitique
qui existe entre les sympathisants de la confrĂ©rie lorsquâils
accĂšdent au pouvoir. Celle-ci est relativement logique et peut-ĂȘtre
comparĂ©e aux accointances qui uniraient des partis dâinspiration
nationalistes, socio-démocrates ou écologistes dans le contexte
europĂ©en. Toutefois, ces rapprochements sâinscrivent surtout dans
les intĂ©rĂȘts stratĂ©giques de chaque Ătat, bien plus que dans un
grand projet idéologique commun. Les proximités idéologiques sont
un outil facilitateur plus quâune vĂ©ritable fin en soi. Les
relations en dents de scie des partis fréristes avec le Hamas
palestinien et leur pragmatisme adoptĂ© Ă lâĂ©gard dâIsraĂ«l [52] [53]
montrent, Ă ce titre, que ce sont bien les intĂ©rĂȘts des Ătats qui
sont Ă la manĆuvre.
Ensuite, en toute logique réaliste face à un ennemi commun, les
entités fréristes devraient accroßtre leurs liens avec la
RĂ©publique islamique dâIran. Bien quâil sâagisse dâune confrĂ©rie
sunnite et dâune rĂ©publique chiite, TĂ©hĂ©ran et les FrĂšres musulmans
ont en réalité des valeurs communes. La pensée originelle des
frÚres, profondément républicaine et antimonarchiste, se rapproche
du modÚle de république théo-démocratique instauré en Iran à partir
de 1979. Pour Mustapha Zahrani, directeur de lâInstitut for
Political and International Studies, le centre de recherche du
ministÚre des Affaires étrangÚres iranien, « le régime iranien
croit dans la démocratie islamique et un islam modéré : tout comme
les organisations proches des FrÚres musulmans [54] ».
Historiquement, les affinités sont également politiques, entre
soutien aux Palestiniens et anti-impérialisme. Dans les années
1980, la RĂ©publique islamique est un modĂšle pour dâimportants
leaders des FrĂšres, du Libanais Fathi Yakan au Tunisien Rached
Ghannouchi.
La dĂ©tĂ©rioration des relations entre lâIran et les FrĂšres musulmans
est surtout le fruit de lâhyper-confessionnalisation des tensions
régionales. Au cours de la derniÚre décennie, la région, ses
conflits et ses rapports de forces ne sâapprĂ©hendaient alors plus
que par la division entre chiites dâun cĂŽtĂ© et sunnites de lâautre.
Le paroxysme de cette confrontation est intervenu dans le conflit
syrien. Au cours de celui-ci, les FrĂšres musulmans syriens,
insurgés, ont combattu contre le régime et les milices chiites
armĂ©es et entrainĂ©es par TĂ©hĂ©ran. Câest notamment sur cette
rivalitĂ© confessionnelle que lâĂtat islamique, organisation
djihadiste sunnite, a prospéré, marquant bien sa différence avec
Al-QaĂŻda dans son hostilitĂ© et sa violence Ă lâĂ©gard des
chiites.
La fin du conflit syrien, qui cristallisait une divergence de point
de vue majeur entre les FrĂšres musulmans et la RĂ©publique islamique
dâIran, pourrait permettre Ă leurs relations de se dĂ©velopper. Si
une telle alliance est loin dâĂȘtre effective, elle sera largement
tributaire des contextes locaux auxquels chaque partie prenante est
confrontée. Toutefois, elle serait susceptible de changer les
clivages géopolitiques du monde arabe et musulman. Face à une
alliance contre-rĂ©volutionnaire et anti-iranienne sâappuyant sur
les régimes autoritaires et les partis salafistes, un axe
stratégique regroupant les entités fréristes et Téhéran pourrait
sâĂ©riger dans le temps long. On peut supposer quâune telle
dynamique repositionnerait le
conflit israélo-palestinien, relégué au second plan des enjeux
rĂ©gionaux, au cĆur des prĂ©occupations de nombreux acteurs. Le
conflit, « matrice de la rĂ©gion » selon les mots dâAntoine Sfeir,
pourrait potentiellement retrouver un rĂŽle central dans les
clivages stratégiques qui scindent la région.
Conclusion
A lâheure de la diffusion croissante de thĂ©ories complotistes,
lâislamisme ne dĂ©roge pas Ă cette rĂšgle. Selon ses dĂ©tracteurs, les
islamistes seraient tous mĂ» par lâĂ©tablissement dâun califat
islamique mondial. Du simple sympathisant dâun parti se
revendiquant des valeurs de la religion musulmane Ă lâactiviste
djihadiste violent, tous seraient, de maniĂšre plus ou moins
assumĂ©e, poussĂ©s Ă Ă©tablir un Ătat islamique reposant sur une
interprétation fondamentaliste du Coran et de la Sunna.
Nous avons pu voir que la situation est plus complexe et quâelle ne
doit pas omettre de prendre en compte les fragmentations qui
traversent depuis plus dâun siĂšcle lâislamisme politique. En se
penchant sur ces clivages, on peut extraire du trÚs fantasmé «
hydre islamiste » des courants plus modernistes que dâautres, des
projets antagonistes et des agendas divergents. En se penchant plus
encore, on constate surtout que les mouvements dits « islamistes »
avancent à des rythmes différents, ceux de leurs tempos locaux et
nationaux, et quâils sont en rivalitĂ© structurelle a plusieurs
échelles, locales, nationales et régionales.
On comprend alors quâune simplification du phĂ©nomĂšne islamiste ne
rend pas plus simple la lutte contre le djihadisme. Au contraire,
elle prive les dĂ©cideurs dâune lisibilitĂ© idĂ©ologique et dâune
identification politique de la mosaĂŻque dâacteurs qui participent
au « grand jeu » de la région ANMO. Comme un devoir de prise en
compte de cette complexité, il faut prendre garde à ne plus
sâenvoler aujourdâhui avec des idĂ©es simples vers lâOrient
compliqué [55].
Copyright Mars 2021-Milot/Diploweb.com
P.-S.
AprĂšs un cursus Ă SciencesPo Bordeaux, Antoine Milot suit un master
II en GĂ©opolitique au sein de lâĂcole Normale SupĂ©rieure et de
lâInstitut de GĂ©ographie de lâuniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne.
Son parcours lâa amenĂ© Ă travailler avec diffĂ©rents acteurs
institutionnels et privés présents en Afrique du Nord et au
Moyen-Orient. Ses sujets dâĂ©tude portent principalement sur les
dynamiques gĂ©opolitiques Ă lâĆuvre dans la rĂ©gion parmi lesquelles
la situation de lâislamisme politique occupe une place
importante.
Notes
[1] BONNEFOY Laurent, Salafisme, Orient XXI, 29 septembre
2016.
[2] Le fait que Hassan el-Banna devint lâĂ©diteur de la publication
Al Manar a la mort de Rachid Ridha en 1935 tĂ©moigne de lâinfluence
du salafi moderniste de la fin du XIXÚme siÚcle dans la création et
lâĂ©mergence des FrĂšres musulmans.
[4] CARRĂ Olivier, MICHAUD GĂ©rard, Les FrĂšres musulmans
(1928-1982), Gallimard/Julliard, 1983.
[5] Les 4 principales Ă©coles juridiques du sunnisme sont le
malékisme, le hanafisme, le chaféisme et le hanbalisme.
[6] TERNISIEN Xavier, Les FrĂšres musulmans, Fayard, 2005.
[7] Incarné alors par le Parti politique Wafd.
[8] MAHMOOD Saba, Politics of Piety : The Islamic Revival and the
Feminist Subject, Princeton University Press, 2011.
[9] LâĂ©cole hanbalite est une des quatre Ă©coles juridiques
sunnites. Elle se fonde sur la pensĂ©e dâIbn Hanbal (780-855) qui
considĂ©rait inutile dâapprĂ©cier le cadre social dans lequel le
savant interprĂšte un verset ou un hadĂźth. Les hanbalites affirment
la toute- puissance de Dieu et prĂŽnent lâobĂ©issance totale au chef
de la communauté. Les hanbalites sont des ardant opposants aux
chiites mais aussi Ă tous ceux qui recourent au raisonnement pour
rĂ©duire les contradictions du texte coranique lorsquâil doit
permettre dâorganiser socialement la communautĂ© musulmane. Cette
école est minoritaire au Xe siÚcle, se répand surtout à partir des
XIIe et XIIIe siĂšcles. Sous sa version Wahhabite elle est devenue
la doctrine officielle de lâArabie Saoudite.
[10] TERNISIEN Xavier, Les FrĂšres musulmans, Fayard, 2005.
[11] LARROQUE Anne-clémentine, Géopolitique des Islamismes, Presses
Universitaires de France, 2014.
[12] « Organisme secret » : branche armée des FrÚres musulmans,
créée en 1945 pour combattre aux cÎtés des arabes en
Palestine.
[13] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Ăvolution de lâIslam politique
dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[14] « PĂ©tro-islam » : Il sâagit du dĂ©veloppement de
lâinterprĂ©tation wahhabo-salafiste de lâislam sunnite dans le monde
musulman grùce aux facilitées financiÚres induises par les
exportations de pétrole du Royaume saoudien. Le premier choc
pĂ©trolier en 1973, qui interrompt lâarmĂ©e israĂ©lienne sur ordre de
Washington, consacre le début de cette hégémonie.
[15] TERNISIEN Xavier, Les FrĂšres musulmans, Fayard, 2005.
[16] CARRà Olivier Olivier Carré, Mystique et politique. Le coran
des islamistes. Commentaire coranique de Sayyid Qutb (1906 - 1966),
Cerf, 2004.
[17] Talbigh : mouvement transnational de prédication de masse. Il
nĂ© en Inde en 1927 pour protĂ©ger et revitaliser lâidentitĂ© de la
communauté islamique indienne.
[18] LARROQUE Anne-clémentine, Géopolitique des Islamismes, Presses
Universitaires de France, 2014.
[19] Dissolution de la confrérie par Gamal Abdel Nasser le 12
janvier 1954.
[20] LARROQUE Anne-clémentine, Géopolitique des Islamismes, Presses
Universitaires de France, 2014.
[21] LAHOUD TATAR Carine, Les FrĂšres musulmans dans les monarchies
du Golfe : entre intégration politique et répression, Fondation
pour la Recherche Stratégique, novembre 2017.
[22] Mise Ă mal par la prise dâotage de la grande mosquĂ©e de La
Mecque en 1979.
[23] KEPEL Gilles. Sortir du chaos. Les crises en méditerranée et
au Moyen-Orient, Gallimard, 2018.
[24] AMMOUR Laurence-Aïda, La pénétration wahhabite en Afrique,
Centre Français de Recherche sur le Renseignement, Février
2018.
[25] Oumma : La communautĂ© des musulmans Ă lâĂ©chelle de la
planĂšte.
[26] TERNISIEN Xavier, Les FrĂšres musulmans, Fayard, 2005.
[27] MINTZ John, FARAH Douglas, In Search of Friends Among the Foes
U.S. Hopes to Work Diverse Groupe, The Washington Post, 10
septembre 2004.
[28] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Ăvolution de lâIslam politique
dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[29] KEPEL Gilles. Sortir du chaos. Les crises en méditerranée et
au Moyen-Orient, Gallimard, 2018.
[30] KEPEL Gilles. Sortir du chaos. Les crises en méditerranée et
au Moyen-Orient, Gallimard, 2018.
[31] AL-MAQTARI Bushra, Les Ă©volutions du militantisme salafiste Ă
Taez, Classiques Garnier, 2018.
[32] BURGAT François, Salafistes contre FrÚres musulmans, Le Monde
Diplomatique, juin 2010.
[33] LAFRANCE Camille, Tunisie : « Comme la plupart des partis,
Ennahdha est toujours dominé par des hommes », Jeune Afrique, 15
janvier 2019.
[34] BOUBEKEUR Amel, Les partis islamistes algériens et la
démocratie : vers une professionnalisation politique ?, OpenEdition
Journals, 2008.
[35] MUNTEANU Anca, Quelle place pour les militantes des partis
islamistes en Tunisie et au Maroc ?, The Conversation, 4 juin
2020.
[36] En 2009, lâIslam est dĂ©clarĂ© religion dâĂtat au Maroc, en
AlgĂ©rie, en Libye, en Ăgypte, et en Jordanie.
[37] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Ăvolution de lâIslam politique
dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[38] LARROQUE Anne-ClĂ©mentine, Lâislamisme au pouvoir : Tunisie,
Ăgypte, Maroc, Presses Universitaires de France, 24 janvier
2018.
[39] CALVET Catherine, Anne-Clémentine Larroque : « Plus les
sociétés deviennent islamistes, plus les individus rompent avec la
religion », Libération, 8 juillet 2018.
[40] LACROIX Stéphane, DIECKHOFF Alain, « Le bilan des printemps
arabes est clairement négatif », SciencesPo CERI, 25/01/2016.
[41] LARROQUE Anne-Clémentine, Les printemps arabes : un espoir
pour la démocrature ?, Pouvoirs n°169, avril 2019.
[42] MINOUI Delphine, Turquie : la fronde contre Erdoan enfle au
cĆur mĂȘme de son parti, lâAKP, Le Figaro, 30 mai 2019.
[43] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Ăvolution de lâIslam politique
dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[44] LARROQUE Anne-ClĂ©mentine, Lâislamisme au pouvoir : Tunisie,
Ăgypte, Maroc, Presses Universitaires de France, 24 janvier 2018. «
Post-islamisme » : une tendance de lâislamisme politique qui, une
fois dĂ©tachĂ©e de lâobsession du modĂšle de la RĂ©volution iranienne,
aurait dépassé la volonté de prise de pouvoir par la force ou par
lâimposition de la charia.
[45] TERNISIEN Xavier, Les FrĂšres musulmans, Fayard, 2005.
[46] GRESH Alain, Feu sur les FrĂšres Musulmans !, Orient XXI, 15
mai 2019.
[47] GRESH Alain, Feu sur les FrĂšres Musulmans !, Orient XXI, 15
mai 2019.
[48] POLLOCK David, In Egypt, One-Third Still Like the Muslim
Brotherhood ; Half Call U.S. Ties « Important », The Washington
Institute, 10 décembre 2018.
[49] BURGAT François, Salafistes contre FrÚres musulmans, ManiÚre
de voir n°117, 2011.
[50] BALCI Bayram, Renouveau de lâislam en Asie centrale et dans le
Caucase, CNRS Ăditions, 2017.
[51] MILOT Antoine, La présence américaine au Moyen-Orient aprÚs le
coronavirus, Le Grand Continent, 2 mai 2020.
[52] REDONDO RaĂčl, Le rapprochement entre la Turquie et IsraĂ«l sur
les intĂ©rĂȘts mĂ©diterranĂ©ens, Atalayar, 27 mai 2020.
[53] HORCHANI Salah, Tunisie : Quây a-t-il de commun entre Ennahdha
et Israël ?, Mediapart, 15 septembre 2013.
[54] DOT-POUILLARD Nicolas, LâIran et les FrĂšres musulmans : les
meilleurs ennemis du monde ?, Middle East Eye, 12 mai 2016.