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ISSN : 2111-4307 Naissance, divergences et perspectives de l’islamisme politique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient dimanche 7 mars 2021,par Antoine MILOT Citer cet article / To cite this version : Antoine MILOT , Naissance, divergences et perspectives de l’islamisme politique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, Diploweb.com : la revue gĂ©opolitique, 7 mars 2021. Hum... Vous semblez apprĂ©cier le DIPLOWEB.COM. Nous vous en remercions et vous invitons Ă  participer Ă  sa construction. Le DIPLOWEB.COM est LE media gĂ©opolitique indĂ©pendant en accĂšs gratuit, fondĂ© en l'an 2000. Nous vous proposons de participer concrĂštement Ă  cette rĂ©alisation francophone de qualitĂ©, lu dans 190 pays. Comment faire ? Nous vous invitons Ă  verser un "pourboire" (tip) Ă  votre convenance via le site https://fr.tipeee.com/diploweb . Vous pouvez aussi rĂ©diger un chĂšque Ă  l'ordre du DIPLOWEB.COM et l'adresser Ă  Diploweb.com, Pierre Verluise, 1 avenue Lamartine, 94300, Vincennes, France. Ou bien encore faire un virement bancaire en demandant un RIB Ă  l'adresse [email protected]. Avec 5 000€ par mois, nous pouvons couvrir nos principaux frais de fonctionnement et dĂ©gager le temps nĂ©cessaire Ă  nos principaux responsables pour qu'ils continuent Ă  travailler sur le DIPLOWEB.COM. Avec 8 000€ par mois, nous pouvons lancer de nouveaux projets (contenus, Ă©vĂ©nements), voire l'optimisation de la maquette du site web du DIPLOWEB.COM.

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ISSN : 2111-4307
Naissance, divergences et perspectives de l’islamisme politique en Afrique du Nord
et au Moyen-Orient dimanche 7 mars 2021,par Antoine MILOT
Citer cet article / To cite this version : Antoine MILOT, Naissance, divergences et perspectives de l’islamisme politique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, Diploweb.com : la revue gĂ©opolitique, 7 mars 2021.
Hum... Vous semblez apprécier le DIPLOWEB.COM. Nous vous en remercions et vous invitons à participer à sa construction.
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Avec 5 000€ par mois, nous pouvons couvrir nos principaux frais de fonctionnement et dĂ©gager le temps nĂ©cessaire Ă  nos principaux responsables pour qu'ils continuent Ă  travailler sur le DIPLOWEB.COM. Avec 8 000€ par mois, nous pouvons lancer de nouveaux projets (contenus, Ă©vĂ©nements), voire l'optimisation de la maquette du site web du DIPLOWEB.COM.
A l’heure de la diffusion croissante de thĂ©ories complotistes, l’islamisme ne dĂ©roge pas Ă  cette rĂšgle. Selon ses dĂ©tracteurs, les islamistes seraient tous mĂ» par l’établissement d’un califat islamique mondial. Du simple sympathisant d’un parti se revendiquant des valeurs de la religion musulmane Ă  l’activiste djihadiste violent, tous seraient, de maniĂšre plus ou moins assumĂ©e, poussĂ©s Ă  Ă©tablir un État islamique reposant sur une interprĂ©tation fondamentaliste du Coran et de la Sunna.
Antoine Milot entend dĂ©montrer de façon documentĂ©e que la situation est plus complexe et qu’elle ne doit pas omettre de prendre en compte les fragmentations qui traversent depuis plus d’un siĂšcle l’islamisme politique. En se penchant sur ces clivages, l’auteur peut extraire du trĂšs fantasmĂ© « hydre islamiste » des courants plus modernistes que d’autres, des projets antagonistes et des agendas divergents. En se penchant plus encore, on constate surtout que les mouvements dits « islamistes » avancent Ă  des rythmes diffĂ©rents, ceux de leurs tempos locaux et nationaux, et qu’ils sont en rivalitĂ© structurelle a plusieurs Ă©chelles, locales, nationales et rĂ©gionales. IllustrĂ© d’une carte inĂ©dite.
DANS la rĂ©gion Afrique du Nord et Moyen-Orient (ANMO), une notion semble cristalliser toutes les attentions : l’Islamisme. Courant politique souvent simplifiĂ© Ă  l’état de bloc monolithique, il serait le grand coupable de l’obscurantisme social, des politiques autoritaires et du passage Ă  l’activisme violent ou djihadisme. Si ces accusations ont une indĂ©niable part de vĂ©ritĂ©, elles sont aussi trĂšs rĂ©ductrices en cela qu’elles ne dĂ©cortiquent pas les diffĂ©rentes ondes qui constituent le spectre islamiste. Face Ă  cela, l’objet de cette note visera Ă  comprendre la nature des divergences qui existent entre les courants de l’islamisme. Nous verrons que les Ă©manations nationales de la confrĂ©rie des FrĂšres musulmans d’un cĂŽtĂ© et que le courant salafiste d’un autre cĂŽtĂ© sont les deux principales formes abouties de l’islamisme politique en ANMO. Pour autant, malgrĂ© leurs interactions et les influences qu’elles ont pu avoir l’une sur l’autre, la rupture semble dĂ©sormais en passe d’ĂȘtre consumĂ©e entre ces deux pĂŽles de l’islamisme tant d’un point de vue idĂ©ologico-religieux qu’en terme politique et gĂ©opolitique. AprĂšs avoir dressĂ© ce constat dans sa complexitĂ© et ses nuances, nous verrons quelles sont les potentielles dynamiques des islamismes prĂ©sents dans la rĂ©gion ANMO.
I. Dissemblances idéologico-religieuses, ruptures politiques et rivalités géopolitiques entre le salafisme et les FrÚres musulmans
ConsidĂ©rons comment dĂšs l’origine, les FrĂšres musulmans se dĂ©marquent du rigorisme salafiste par leur rapport Ă  l’ijtihad (A) ; puis de quelles façons les interactions et confusions
entre les FrÚres musulmans et les salafistes préfigurent leurs rivalités politiques (B) ; enfin pourquoi les printemps arabes cristallisent les rivalités géopolitiques entre les FrÚres musulmans et les salafistes (C).
A. DĂšs l’origine, les FrĂšres musulmans se dĂ©marquent du rigorisme salafiste par leur rapport Ă  l’ ijtihad
1. Si la confrérie des FrÚres musulmans est bien issue du mouvement salafi réformiste

A la fin du XIXĂšme siĂšcle, le premier mouvement se dĂ©crivant comme salafi se dĂ©veloppe parmi les historiens et intellectuels musulmans dits rĂ©formistes dont les figures de proue sont le Persan Jamal Al-Din Al-Afghani, l’Égyptien Mohammed Abduh et le Syrien Rachid Ridha. Ils prĂŽnent un retour aux sources de l’islam afin de s’opposer Ă  une double menace existentielle : la colonisation europĂ©enne et la prĂ©sence ottomane [1]. Élitiste et rĂ©solument moderniste, ce premier courant salafiste est Ă  l’origine de la crĂ©ation de la confrĂ©rie des FrĂšres musulmans par Hassan al-Banna en 1928.
Ainsi, les FrĂšres musulmans se veulent ĂȘtre dans la continuitĂ© des rĂ©formateurs des dĂ©cennies prĂ©cĂ©dentes [2]. En cela, ils soutiennent que l’islam doit fixer des lignes directrices de leur sociĂ©tĂ© et qu’ils s’opposent Ă  l’imitation aveugle du modĂšle europĂ©en [3]. Ils se sont voulus novateurs, non pas en inventant un nouvel islam, mais en faisant un islam vivant, actuel, dans la suite de cette vague de rĂ©formisme islamique [4]. Pour ce faire, le mouvement accorde une place significative Ă  l’ijtihad, effort de rĂ©flexion pour l’interprĂ©tation des textes religieux. L’ijtihad dĂ©pend en grande partie de la jurisprudence islamique adoptĂ©e [5] (fiqh) et permet, ou pas, d’aller vers certaines innovations (bid’a). Enfin, si les FrĂšres sont restĂ©s longtemps proches du soufisme, leur doctrine les a peu Ă  peu Ă©cartĂ©s du piĂ©tisme au profit de l’engagement politique et social [6]. Ils s’inscrivent notamment en faux contre le mouvement de laĂŻcisation qui s’affirme alors en Égypte [7].
Les principales lignes directrices du mouvement se fixent au cours du XXĂšme siĂšcle pour s’articuler autour de trois caractĂ©ristiques. Un islam conservateur, qui se rĂ©clame du salafisme rĂ©formisme Ă©voquĂ© plus haut. Un programme d’islamisation par le bas avec un prosĂ©lytisme reposant sur les valeurs sociales de l’islam : Ă©galitĂ©, charitĂ©, partage. Enfin, le lĂ©galisme et la condamnation de la violence.
2. 
 elle diffùre du salafisme contemporain qui est en tout point un courant fondamentaliste
En parallĂšle, le salafisme voit le jour en Arabie Saoudite Ă  partir des annĂ©es 1920. Ce dernier, rejetant le rationalisme, voue une antipathie aux thĂ©ologiens de la salafi du XIXĂšme siĂšcle, avec lesquels il ne doit pas ĂȘtre confondu. Il revendique ĂȘtre l’hĂ©ritier de la pensĂ©e du thĂ©ologien du XIIIĂšme siĂšcle, Ibn Tamiyya, ainsi que de celle du fondateur du wahhabisme, Mohammed Ben Abd Al-Wahhab (XVIIIĂšme siĂšcle). DĂšs 1936, les autoritĂ©s saoudiennes revendiquent le terme de « salafisme » au dĂ©triment du « wahhabisme ». Ce second salafisme est appelĂ© « contemporain » dans la mesure oĂč c’est ce dernier qui est Ă  l’origine que ce que l’on entend aujourd’hui par salafisme.
Les deux principaux courants de l’islamisme sunnite naissent donc Ă  la fin du XIXĂšme et au dĂ©but du XXĂšme siĂšcle et, dĂ©jĂ , des divergences idĂ©ologico-religieuses significatives sont visibles. Pour comprendre son caractĂšre fondamentaliste ou moderniste, l’étude d’un courant
de pensĂ©e en islam requiert de se pencher sur la place qu’il accorde Ă  l’Ijtihad. Il s’agit de l’effort de rĂ©flexion que les croyants entreprennent pour interprĂ©ter les textes fondateurs de l’islam. LĂ  oĂč les salafistes modernistes de la fin du XIXĂšme siĂšcle plaidaient pour une rĂ©interprĂ©tation du Coran et de la Sunna en accord avec les principes de rationalitĂ© scientifique et de gouvernance libĂ©rale [8], les salafistes contemporains, rejetant le rationalisme, sont rĂ©putĂ©s suivre l’école hanbalite, laquelle prĂ©conise une lecture littĂ©rale rigoriste et non interprĂ©tĂ©e des textes [9].
Ainsi, si les FrĂšres musulmans incarnent dĂšs 1928 un mouvement islamiste comme l’illustre leur cĂ©lĂšbre slogan « le Coran est notre constitution », ils n’en demeurent pas moins pragmatiques. Hassan Al-Banna n’était pas un doctrinaire, sa pensĂ©e n’était pas figĂ©e. Sa vision Ă©tait dynamique et en perpĂ©tuelle Ă©volution [10]. Ce socle idĂ©ologique permet aux FrĂšres musulmans de faire Ă©voluer au fil des dĂ©cennies leurs discours en fonction de la transformation des espaces et des sociĂ©tĂ©s auxquelles ils appartiennent. Cela leur vaut encore aujourd’hui de nombreuses critiques de la part des salafistes qui dĂ©noncent ces « modernisations » comme autant de « concessions ». Pour ces derniers, il faut refuser certaines conceptions occidentales islamisĂ©es par les frĂšres comme la formation de partis, la participation aux Ă©lections, l’accĂšs des femmes Ă  l’espace politique ou professionnel.
B. Interactions et confusions entre les FrÚres musulmans et les salafistes préfigurent leurs rivalités politiques
1. Le Qutbisme trouve un Ă©cho particulier chez les salafistes et pose les bases du djihadisme moderne
Tout au long du XXĂšme siĂšcle, le courant frĂ©riste s’inscrit progressivement dans le paysage politique des diffĂ©rents pays de l’espace musulman. Leur intĂ©gration politique se fait Ă  plusieurs Ă©chelles, selon des ancrages territoriaux variĂ©s et au moyen d’acteurs nombreux [11]. AprĂšs une pĂ©riode d’expansion dans de nombreux pays voisins de l’Égypte (La FraternitĂ© musulmane en Irak, la Jamaa Islamiyya au Liban, l’Association des FrĂšres musulmans de Jordanie, FrĂšres musulmans en Syrie, FrĂšres musulmans soudanais), leur rĂ©pression croissante par les rĂ©gimes locaux provoque la division des frĂšres musulmans en plusieurs groupes. D’un cĂŽtĂ©, les pacifistes ou lĂ©galistes, fidĂšles Ă  la vision du fondateur Hassan al-Banna - assassinĂ© en 1949 sur ordre du roi Farouk - et, de l’autre, les partisans de la lutte armĂ©e [12]. A la tĂȘte de l’organisation, c’est la ligne lĂ©galiste de Hassan Al-Hudaybi (1951 – 1972) qui l’emporte. Face Ă  cela, la branche radicale se dĂ©croche de l’idĂ©ologie initiale des frĂšres et s’écarte vers une radicalitĂ© religieuse qui passe par l’activisme violent pour certains sous-groupes. C’est autour des thĂšses du pakistanais Sayyid Abdul Ala Maududi et de l’égyptien Sayyid Qutb que cette nouvelle radicalitĂ© s’enracine et prospĂšre. A partir des annĂ©es 1950, alors que la confrĂ©rie subissait la rĂ©pression sanglante du rĂ©gime nassĂ©rien en Égypte, l’Arabie Saoudite devient la principale terre d’accueil des idĂ©es de Qutb consacrant ainsi une certaine « salafisation » de certains FrĂšres musulmans.
La pensĂ©e nouvelle de Qutb s’oppose aux principes du fondateurs Hassan Al-Banna et de ses successeurs. Le point de rupture introduit par Qutb est qu’il considĂšre que les sociĂ©tĂ©s et les États musulmans sont sortis de l’islam. DĂšs lors, la notion de « Takfir » (« excommunication ») apparaĂźt et lĂ©gitimise l’activisme violent au nom du djihad. Ce discours trouve un Ă©cho particulier auprĂšs des jeunes FrĂšres qui veulent en dĂ©coudre et des salafistes saoudiens qui y
voient un moyen de mobilisation efficace. Les bases du djihadisme moderne sont posĂ©es. Le diplomate Yves Aubin de la MessuziĂšre soutient que « Ă  la suite de la dĂ©faite de 1967, qui sonne le glas du nationalisme arabe, l’Islam politique s’est dĂ©veloppĂ© dans ses deux logiques antagonistes, dont la deuxiĂšme - l’alliance des thĂšses qutbistes avec le wahhabo-salafisme saoudien - a conduit au radicalisme et au terrorisme [13] ». Selon Gilles Kepel, l’alliance des deux mouvances consacre la naissance du « pĂ©tro-islam » [14]. Pour Xavier Ternisien, « la synthĂšse entre la pensĂ©e qutbiste et le puritanisme wahhabite est appelĂ©e Ă  une postĂ©ritĂ© durable Ă  travers le terrorisme international ».
Il est important de constater que les dirigeants des FrĂšres musulmans ne restent pas inactifs face Ă  cette pensĂ©e qu’ils considĂšrent comme dĂ©viante et dangereuse. De sa prison, Ă  partir de 1969, le guide suprĂȘme Hudaybi Ă©crit un ouvrage important, PrĂ©dicateurs, pas juges. A cette date, la pensĂ©e de Qutb n’est plus considĂ©rĂ©e comme faisant partie du corpus des FrĂšres musulmans [15]. Le successeur de Hudaybi Ă  la tĂȘte du mouvement, l’avocat Umar Al-Tilmisani (1972 - 1986), confirme cette vision pacifiste et lĂ©galiste. La vieille garde, qui dĂ©fend l’orthodoxie, maintient un cap conservateur-pacifique. Pourtant, longtemps encore, les adversaires des FrĂšres musulmans continuent d’amalgamer Qutb avec les FrĂšres Ă  des fins tacticiennes et politiques [16]. Ainsi, une partie des islamistes se dĂ©tache de l’organisation et choisit la violence contre le « pouvoir impie ». Les premiers groupe Ă  voir le jour sont les Gama’at islamiyya, groupes Ă©tudiants salafistes qui naissent en 1973, et le Takfir - ou SociĂ©tĂ© des musulmans - qui apparait en 1971. Cette tendance s’exporte alors dans le monde musulman ou la montĂ©e des islamismes radicaux s’amorce. La pensĂ©e de Qutb a eu une influence trĂšs importante sur les futurs cadres du djihad comme le palestinien Abdullah Azzam, maillon essentiel du lien de cette excroissance violente des FrĂšres musulmans avec le djihadisme international. Cette rupture au sein de la confrĂ©rie dĂ©montre alors la faible centralisation du bureau de la guidance, l’organe exĂ©cutif des FrĂšres musulmans. Il ne peut empĂȘcher qu’une frange radicale s’autonomise et se dĂ©veloppe tantĂŽt en marge de la confrĂ©rie, tantĂŽt en profitant de sa renommĂ©e.
2. De la politisation des salafistes
Originellement courant fondamentaliste de prĂ©dication comme peut l’ĂȘtre le Talbigh [17], le salafisme opte pour un rapprochement de sa doctrine avec le pouvoir politique [18]. La prĂ©sence des FrĂšres musulmans en Arabie Saoudite est dĂ©terminante dans cette Ă©volution. Leur rĂ©pression en Égypte qui commence en 1954 [19] pousse de nombreux frĂšres Ă  l’exil. Beaucoup vont trouver refuge en Arabie Saoudite ou ils sont Ă  l’origine d’une politisation d’une branche des salafistes saoudiens, jusqu’alors majoritairement quiĂ©tistes et opposĂ©s Ă  toute implication dans le champ politique. Cette hybridation des mĂ©thodes des FrĂšres musulmans avec l’idĂ©ologie rigoriste des salafistes saoudiens aboutit au mouvement du RĂ©veil islamique (la Sahwa). Ce dernier milite activement auprĂšs de la jeunesse pour la mise en place de rĂ©formes politiques pacifiques trĂšs conservatrices et anti-occidentales. La Sahwa est rĂ©primĂ© par le pouvoir saoudien dans les annĂ©es 1990. En rĂ©sumĂ©, en adoptant la mĂ©thode militante des frĂšres musulmans, le salafisme s’est rĂ©formĂ© pour investir l’espace public dĂšs les annĂ©es 1980 [20].
Ainsi, la pensĂ©e des FrĂšres apporte au wahhabo-salafisme les outils politiques qui lui faisait dĂ©faut pour prendre position idĂ©ologiquement face au nationalisme et au socialisme. Cette tendance Ă  l’éveil politique du courant salafiste se poursuit ensuite et permet l’émergence de
partis politiques salafistes, dont certains sont proches de l’activisme violent, dans les dĂ©cennies qui suivent : parti Al-Nour en Égypte, Ansar-Al-Charia en Tunisie, mais aussi le Front Al-Nosra (futur Hayat Tahrir al-Sham) en Syrie. Sans pour autant s’ouvrir Ă  la doctrine des FrĂšres musulmans, qui se caractĂ©riserait par un ijtihad plus poussĂ©, le wahhabo-salafisme s’approprie les mĂ©thodes de la confrĂ©rie. Plus encore, outre une appropriation des sujets d’ordre politique, ils offrent aux idĂ©es radicales de l’idĂ©ologue Sayyid Qutb, marginalisĂ© par la branche lĂ©galiste de la confrĂ©rie, un accueil bien plus chaleureux.
3. De l’influence du salafisme, principal outil de la politique Ă©trangĂšre saoudienne, sur l’islam politique
Alors que le projet de rĂ©formes dĂ©fendu par les FrĂšres musulmans s’impose comme la matrice intellectuelle dominante de l’islamisme politique, il est confrontĂ©, Ă  partir de la fin des annĂ©es 1970, Ă  l’émergence d’un discours contre-hĂ©gĂ©monique salafiste, venu de l’Arabie saoudite, qui prĂŽne une vision alternative de la sociĂ©tĂ© et se livre Ă  une lutte symbolique en termes de reprĂ©sentation et de construction de la rĂ©alitĂ© [21].
Les annĂ©es 1970 consacrent l’avĂšnement des vellĂ©itĂ©s de puissance de l’Arabie Saoudite. Les chocs pĂ©troliers de 1973 et de 1979 prodiguent au royaume saoudien un poids gĂ©opolitique jusqu’alors insoupçonnĂ© et une marge de manƓuvre financiĂšre lui permettant de mettre en Ɠuvre une stratĂ©gie d’influence inĂ©dite. Pour accroĂźtre son rayonnement, asseoir sa lĂ©gitimitĂ© religieuse [22], s’imposer comme la puissance rĂ©gionale du Moyen-Orient et contrer la toute jeune RĂ©publique islamique d’Iran dont les idĂ©aux rĂ©volutionnaires risquent d’infuser dans la rĂ©gion, Riyad mise sur la promotion et l’exportation du salafo-wahhabisme dans les communautĂ©s musulmanes du monde entier [23]. Alliant prĂ©dication et actions sociale et humanitaire, les ONG islamiques, les organisations transnationales musulmanes comme la Ligue islamique mondiale et les fondations saoudiennes investissent financiĂšrement et idĂ©ologiquement les espaces ou les populations sont musulmanes pour imposer leur interprĂ©tation conservatrice de l’islam, outil par excellence de la « diplomatie religieuse » des Saoud [24].
Outre cette stratĂ©gie d’influence relevant du soft power, Riyad joue Ă©galement du hard power en soutenant des groupes armĂ©s en Afghanistan pour faire face Ă  l’invasion du pays par l’armĂ©e soviĂ©tique en 1979. L’exportation et la diffusion de cette idĂ©ologie s’accompagne donc du soutien de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration de djihadistes, les moudjahidines afghans et la myriade de combattants Ă©trangers qui, au nom d’un internationalisme islamiste, ont ralliĂ© l’Afghanistan pour dĂ©fendre l’Oumma [25] face Ă  l’URSS. De retour dans leur pays d’origine aprĂšs le retrait des troupes soviĂ©tiques d’Afghanistan en 1988, ces djihadistes aguerris participent activement Ă  la diffusion du salafo-djihadisme.
La diffusion du salafo-wahhabisme saoudien touche donc l’ensemble du monde musulman. Cette idĂ©ologie infuse aussi au sein des FrĂšres musulmans participant ainsi Ă  une certaine « salafisation » de la confrĂ©rie. Cela est facilement observable au niveau de la forme. Alors que de nombreux frĂšres n’y prĂȘtaient pas attention avant les annĂ©es 1970, le port de la barbe, initialement propre au salafisme, se « dĂ©mocratise ». En outre, ce phĂ©nomĂšne peut Ă©galement s’observer par l’attention plus particuliĂšre portĂ©e par certains membres de la confrĂ©rie aux questions de mƓurs. Enfin, cette « salafisation » s’illustre aussi Ă  travers une certaine prise de distance avec le chiisme et le soufisme, courants avec lesquels les FrĂšres musulmans n’avaient
jusqu’alors pas d’hostilitĂ© particuliĂšre.
MalgrĂ© ces interactions et les influences rĂ©ciproques, l’islamisme des frĂšres et le salafisme demeurent bien distincts. Les attentats du 11 septembre 2001 constituent d’ailleurs une rupture dĂ©finitive et fatale entre la monarchie saoudienne et la confrĂ©rie. Alors que le monde dĂ©couvre brusquement le djihadisme, chacun accuse l’autre courant islamiste d’ĂȘtre la source de cette idĂ©ologie afin de s’attirer les faveurs de l’administration amĂ©ricaine. Ainsi, les frĂšres mettent en avant la lutte contre le « salafisme » [26] tandis que l’Arabie proclame publiquement que « tous les problĂšmes du monde islamique viennent des FrĂšres musulmans ». [27]
C. Les printemps arabes cristallisent les rivalités géopolitiques entre les FrÚres musulmans et les salafistes
1. DĂ©mocratisation et participation des FrĂšres musulmans au pouvoir
L’Islam politique Ă©tait dĂ©jĂ  reprĂ©sentĂ© avant l’émergence des rĂ©voltes arabes par des formations politiques que l’on peut qualifier d’islamo-conservatrices. Cette qualification avait Ă©tĂ© retenue pour dĂ©signer le parti de Recep Tayyip Erdoan, le Parti de la justice et du dĂ©veloppement (AKP), parfois source d’inspiration pour certaines formations dans les pays arabes [28]. En Égypte, avant 2011, si elle n’est pas autorisĂ©e Ă  participer directement aux scrutins Ă©lectoraux, l’Organisation des FrĂšres musulmans est reprĂ©sentĂ©e au Parlement Ă  travers d’autres formations d’inspiration frĂ©riste dans les Ă©lections lĂ©gislatives (en 2005, cette mouvance emporte 20 % des siĂšges). Au Maroc, le Parti pour la Justice et le DĂ©veloppement (PJD) s’inscrit dans la mĂȘme mouvance idĂ©ologique, mais se prĂ©sente comme un parti national. Il participe aux scrutins lĂ©gislatifs depuis 1997 et devient le premier parti d’opposition quelques annĂ©es plus tard. En AlgĂ©rie, le Mouvement de la SociĂ©tĂ© pour la Paix (MSP) devient le principal parti d’opposition. Il se rĂ©clame de l’idĂ©ologie frĂ©riste et participe Ă  diffĂ©rents gouvernements dans les annĂ©es 2000. Au YĂ©men et en Libye, des formations islamistes entrent dans le jeu politique, sans devenir majoritaires. Enfin, Ă  Gaza, le Hamas, crĂ©Ă© en 1987, s’inscrit dans la mouvance des FrĂšres musulmans. Il emporte des Ă©lections parlementaires en 2006.
Les FrĂšres musulmans s’imposent donc comme un pĂŽle de stabilitĂ© lors des printemps arabes. La vieille confrĂ©rie est alors bien implantĂ©e dans la plupart des pays de la rĂ©gion et elle a une expĂ©rience politique voire une expĂ©rience du pouvoir pour certaines branches. La dĂ©mocratisation induite par les printemps arabes porte assez logiquement les partis qui s’inscrivent dans la mouvance frĂ©riste au pouvoir dans de nouveaux pays : au Maroc, en Tunisie et en Égypte. Un constat semble s’imposer partout, il paraĂźt impossible de dĂ©mocratiser sans insĂ©rer les FrĂšres musulmans dans le jeu politique.
Cette prise de pouvoir par les frĂšres est soutenue par l’axe turco-qatarie. Il bĂ©nĂ©ficie alors de l’assentiment de Washington sous la prĂ©sidence d’Obama pour qui l’AKP, conjuguant l’éthique musulmane et esprit du capitalisme, fait rĂ©fĂ©rence [29]. Pour l’émirat gazier, richissime mais peu peuplĂ©, c’est l’opportunitĂ© de disposer de relais dĂ©mographiques qui lui permettront de tenir tĂȘte au puissant voisin saoudien, lequel voit au contraire dans la confrĂ©rie son rival majeur pour l’hĂ©gĂ©monie du sunnisme arabe. Pour Ankara, le soutien aux FrĂšres musulmans rĂ©pond Ă  une double logique. D’une part, il s’agit de favoriser l’émergence de gouvernements islamistes, rĂ©pondant Ă  un socle de valeurs communes. D’autre part, c’est un moyen d’avoir un
relai d’influence rĂ©gional capable de favoriser les vellĂ©itĂ©s hĂ©gĂ©moniques de la Turquie. On est entrĂ© dans un jeu de rivalitĂ©s de puissances rĂ©gionales qui a conduit Ă  une rupture diplomatique et Ă©conomique entre Doha et Riyad Ă  partir de juillet 2017.
2. Les salafistes, principal outil de la contre-révolution réactionnaire
Une contre-offensive se met rapidement en place pour contrer cet axe « frĂ©riste » sous la houlette de Riyad et de Abou Dhabi. Cette contre-rĂ©volution s’appuie sur les hiĂ©rarchies militaires et Ă©galement sur une vaste mouvance salafiste bien que les allĂ©geances de cette derniĂšre au rĂ©gime saoudien soient Ă  gĂ©omĂ©trie variable et que la porositĂ© du milieu aux thĂšses djihadistes pose problĂšme.
Les salafistes sont donc mis Ă  contribution par les forces contre-rĂ©volutionnaires pour rĂ©duire oĂč cela est possible l’influence des FrĂšres musulmans. La confrĂ©rie est dissoute dans plusieurs pays (Égypte en 2014, Jordanie en 2020) ou les rĂ©seaux salafistes peuvent occuper un espace politique devenu vacant. Si l’Arabie saoudite exerce une influence diffuse auprĂšs de la nĂ©buleuse salafiste dans le monde arabe et musulman, la mainmise de Riyad sur eux reste limitĂ©e, ce qui explique le risque de « djihadisation » des terreaux salafistes. A titre d’exemple, le salafisme est doublement reprĂ©sentĂ© en Tunisie, d’une part, par de petites formations reprĂ©sentĂ©es Ă  l’AssemblĂ©e nationale et d’autre part par des dissidents d’Ennahdha qui ont crĂ©Ă© une organisation qui prĂŽne la violence, Ansar al-charia, inscrite dans la liste des organisations terroristes.
Ensuite, selon l’ONG amĂ©ricaine Coptic Solidarity (2017), l’Égypte devient de plus en plus un « Ă©cosystĂšme » favorisant la violence djihadiste. Le PrĂ©sident Sissi autorise les salafistes Ă  dominer la sphĂšre publique, Ă  rĂ©pandre leurs discours de haine dans les mĂ©dias Ă©tatiques et les programmes scolaires. Cela mĂšne Ă  des violences croissantes contre la minoritĂ© chrĂ©tienne copte d’Égypte. L’éradication des fĂȘtes et lieux de culte des chrĂ©tiens Ă©tant une constante de la doctrine salafiste, les djihadistes la mettent Ă  Ɠuvre simultanĂ©ment dans tous les territoires qu’ils contrĂŽlent (Syrie, Lybie, Irak, Égypte). On constate que sous le rĂ©gime du MarĂ©chal Sissi, le djihadisme s’est remis Ă  prolifĂ©rer, notamment dans la pĂ©ninsule du SinaĂŻ [30].
Face aux Printemps arabes, la rĂ©action s’articule donc autour des autocrates militaires ou civils (Sissi, Haftar, Hadi) et des partis politiques salafistes. Ils sont soutenus par l’Arabie saoudite et ses alliĂ©s qui voient dans la confrĂ©rie des FrĂšres musulmans un pĂ©ril existentiel. En effet, elle est susceptible de remettre en cause la lĂ©gitimitĂ© religieuse et politique de la monarchie saoudienne. Proche de ses concurrents rĂ©gionaux, les FrĂšres musulmans prĂŽnent un modĂšle politique qui menace la pĂ©rennitĂ© du pouvoir hĂ©rĂ©ditaire monarchique saoudien. En outre, ils contestent la lĂ©gitimitĂ© de la monarchie saoudienne Ă  rĂ©gner sur les lieux saints de La Mecque et de MĂ©dine.
II. Quelles perspectives pour l’islamisme politique ?
Il importe d’abord d’apprĂ©hender la dynamique des Printemps arabes dans le temps long (A) ; puis d’étudier les Ă©volutions nationales et la prospective rĂ©gionale (B).
A. Appréhender la dynamique des Printemps arabes dans le temps long
1. Vers une approche nationale de l’islam politique
Le champ religieux politique dans le monde arabe s’est donc diversifiĂ© et une approche internationaliste de l’Islam politique a de moins en moins de sens. Comme le souligne le diplomate français Yves Aubin de la MessuziĂšre « si le monde arabe se dĂ©cline au pluriel, il en va de mĂȘme pour l’Islam politique. Il y a bien des nuances de vert dans l’Islam politique ». L’illusion d’une internationale islamiste qui regrouperait sous la mĂȘme banniĂšre des structures islamiques internationales reconnues (comme le Secours islamique international), la confrĂ©rie des FrĂšres musulmans, le wahhabo-salafisme, le Talbigh et le djihadisme international est un raccourci intellectuel rĂ©ducteur et contre-productif.
S’agissant de la confrĂ©rie des frĂšres musulmans, elle se construit bien dĂšs l’origine dans une logique fondamentalement internationaliste face Ă  l’émergence des mouvements nationalistes arabes. Elle entend transcender des frontiĂšres tracĂ©es par les Occidentaux qui divisent l’Oumma. La doctrine des FrĂšres entrait alors en rivalitĂ©s avec la constitution des identitĂ©s nationales et des États bĂątis sur les ruines de l’empire Ottoman et des Empires coloniaux. Cependant, les FrĂšres se retrouvent trĂšs vite confrontĂ©s Ă  la question nationale. AprĂšs une rivalitĂ© avec les partis nationalistes, ils doivent s’adapter au caractĂšre inĂ©luctable de l’État- Nation. Ainsi, la progressive intĂ©gration politique des FrĂšres musulmans fait passer l’agenda national au premier plan des partis frĂ©ristes au dĂ©triment de leur agenda internationaliste originel. Dans l’ensemble de ses territoires d’implantation, les enjeux nationaux imprĂ©gnent le discours, les prĂ©occupations, les actes, et les objectifs des partis d’inspiration frĂ©riste. L’hyper nationalisme palestinien du Hamas et le nationalisme turc de l’AKP en sont les exemples les plus Ă©loquents.
Pour autant, l’argument d’un « agenda international cachĂ© » des formations frĂ©ristes fait encore l’objet de nombreuses interrogations. Largement mis en avant par leurs adversaires laĂŻcs, cet argumentaire soutient que le projet des partis frĂ©ristes est exactement le mĂȘme que celui des salafistes et des djihadistes mais que leur mode opĂ©ratoire pour y parvenir est diffĂ©rent. L’ensemble des Ă©volutions doctrinales des partis d’obĂ©dience frĂ©riste et leur modernisation ne seraient qu’une diversion, une dissimulation (taqĂźya) pour conquĂ©rir le pouvoir. Cette hypothĂšse est notamment alimentĂ©e par les dĂ©rives autoritaires du prĂ©sident Erdoan, le maintien des « principes de la charia » dans la constitution proposĂ©e par Mohammed Morsi en 2012, la proximitĂ© du mouvement yĂ©mĂ©nite Al-Islah, affiliĂ© aux FrĂšres musulmans, avec les salafistes yĂ©mĂ©nites et l’Arabie saoudite, et la grande opacitĂ© qui rĂšgne quant Ă  la rĂ©alitĂ© des liens internationaux qui unissent les rĂ©seaux frĂ©ristes.
Nous avons identifiĂ© dans la premiĂšre partie de cette note la triple rupture idĂ©ologico- religieuse, politique et gĂ©opolitique entre l’islamisme des FrĂšres musulmans et le wahhabo- salafisme. L’intense rivalitĂ© et ces divergences anciennes semblent acter l’incompatibilitĂ© d’une alliance entre ces grandes tendances de l’islamisme. La rupture cristallisĂ©e par Sayyid Qutb et accentuĂ©e par le djihadisme moderne est consommĂ©e. Si des passerelles existent encore du fait du parcours de certains individus, les projets semblent, eux, s’éloigner.
L’organisation des FrĂšres musulmans n’étant ni pyramidale, ni centralisĂ©e, ni hiĂ©rarchisĂ©e, chaque Ă©manation locale s’inspire de ses principes mais jouit d’une autonomie quasi-totale lui permettant de s’adapter aux rapports de forces nationaux. Sa capacitĂ© Ă  Ă©pouser la diversitĂ© des contextes socio-politiques auxquels elle est confrontĂ©e est une des clĂ©s de la rĂ©ussite de la
confrĂ©rie. Aujourd’hui, on peut facilement se rendre compte que le MSP algĂ©rien, Ennahdha en Tunisie, le Hamas palestinien ou l’AKP turc sont trĂšs diffĂ©rents aussi bien dans leur expĂ©rience du pouvoir que dans leur projet politique bien qu’ils soient tous issus d’une inspiration commune. Cette autonomie rend tout Ă  fait possible de retrouver dans des contextes de guerre un rapprochement des FrĂšres musulmans avec le concept de « djihad » et la mouvance salafiste. Ainsi, les FrĂšres musulmans libyens se sont alliĂ©s Ă  des mouvements djihadistes lors de la chute de Kadhafi en 2011. Le Hamas fait rĂ©guliĂšrement rĂ©fĂ©rence au « djihad » dans le contexte de guerre face Ă  l’État d’IsraĂ«l. En Syrie, ils ont combattu tantĂŽt contre, tantĂŽt aux cĂŽtĂ©s des brigades salafistes opposĂ©es au rĂ©gime de Bachar al-Assad. De la mĂȘme maniĂšre, la branche armĂ©e du parti frĂ©riste yĂ©mĂ©nite Al-Islah a combattu contre les houthis aux cĂŽtĂ©s des fantassins salafistes soutenus par la coalition saoudienne avant de se retrouver engagĂ©e contre le groupe salafiste de Abou al-Abbas Ă  Taez en 2018 [31]. Ces alliances sont le fruit de situations spĂ©cifiques de conflits armĂ©s et violents qui exigent une certaine dose de pragmatisme. Elles attestent bien du caractĂšre avant tout local de la prise de dĂ©cision de ces mouvements.
Peu d’indicateurs semblent aujourd’hui attester d’une internationale frĂ©riste qui dissimulerait son vĂ©ritable agenda. A ce titre, le Qatar a tentĂ© Ă  partir de 1995 de rassembler plusieurs leaders islamistes issus des FrĂšres musulmans. Cette initiative rĂ©pondait alors plus Ă  un objectif de rayonnement gĂ©opolitique du richissime Ă©mirat gazier qu’une adhĂ©sion inconditionnelle de la monarchie familiale et clanique de Doha aux idĂ©es des frĂšres.
Pour conclure, l’intĂ©gration dans le champ politique des partis d’inspiration frĂ©riste s’opĂšre Ă  des Ă©chelles diffĂ©rentes, selon des ancrages territoriaux variĂ©s et au moyen d’acteurs hĂ©tĂ©rogĂšnes. Dans la plupart des pays de la rĂ©gion, les partis frĂ©ristes deviennent une force politique locale et nationale sur laquelle il faut dĂ©sormais compter dans le champ politique lĂ©gal.
2. Les Ă©volutions doctrinales des FrĂšres musulmans
Preuve de la place plus importante que les FrĂšres musulmans accordent Ă  l’Ijtihad, la confrĂ©rie a procĂ©dĂ© au fil des dĂ©cennies Ă  un certain nombre d’évolutions doctrinales. Ces derniĂšres cristallisent bien les diffĂ©rences avec le salafisme, hostile Ă  toute concession Ă  l’égard de la modernitĂ©. Si le leitmotiv originel de tous les islamistes est bien de fondre dans un seul projet l’islam comme religion, l’islam comme culture et l’islam comme idĂ©ologie, les FrĂšres ont procĂ©dĂ© Ă  des Ă©volutions pragmatiques qui correspondent historiquement Ă  leurs deux grandes phases, le passage de la prĂ©dication Ă  la politique d’une part, puis Ă  l’accĂšs au pouvoir d’autre part.
L’usage de rĂ©fĂ©rences Ă©trangĂšres telle que la Constitution, et, progressivement, la dĂ©mocratie, s’impose progressivement dans la conception politique des courants frĂ©ristes. Face Ă  cela, les salafistes rejettent pendant longtemps catĂ©goriquement ces conceptions politiques occidentales islamisĂ©es par les FrĂšres musulmans telles que la formation de partis ou de structures organisationnelles et la participation aux Ă©lections. Avec le temps, ils s’en approprient les codes afin de mieux concurrencer la confrĂ©rie, vue comme un concurrent thĂ©ologique.
Ensuite, la seconde Ă©volution significative des islamistes proche des frĂšres concerne l’accĂšs
des femmes Ă  l’espace politique et professionnel [32]. DĂšs 1933, l’organisation des SƓurs musulmanes est crĂ©Ă©e en Ă©cho Ă  la confrĂ©rie mise sur pied cinq annĂ©es auparavant par Hassan al-Banna. Si les valeurs conservatrices prĂŽnĂ©es par les FrĂšres musulmans ne permettent pas une Ă©mancipation des femmes sur le terrain de mƓurs et d’égalitĂ©, les partis d’inspiration frĂ©ristes font depuis plusieurs annĂ©es une place de plus en plus importante aux femmes dans leurs rangs. Certes, on est encore loin d’une Ă©galitĂ© entre les sexes, toutefois, cet accĂšs des femmes Ă  l’espace politique contraste vivement avec l’immobilisme des salafistes sur cette question. A titre d’exemple, l’AKP dispose en 2020 de 53 femmes dĂ©putĂ©s (sur 289 siĂšges AKP) et de deux ministres (sur 17 ministres) au gouvernement. En Tunisie, Ennahdha est l’un des partis politiques qui donne le plus de postes Ă  responsabilitĂ© Ă  ses cadres femmes [33]. Le PJD marocain et le MSP algĂ©rien [34] promeuvent Ă©galement l’intĂ©gration des femmes dans le champ politique, malgrĂ© les rĂ©sistances de certaines mentalitĂ©s [35]. Toutefois, il ne faut pas s’y tromper, cette meilleure reprĂ©sentativitĂ© n’est en aucun cas synonyme d’avancĂ©es rapides vers l’égalitĂ© des sexes. Elle contraste en revanche avec la grande rĂ©ticence du salafisme Ă  laisser trop d’espace aux femmes dans la sphĂšre publique.
Enfin, on observe une dynamique de sĂ©cularisation de plusieurs partis issus des FrĂšres musulmans. Si cela peut apparaĂźtre rĂ©siduel Ă  nos yeux, l’acceptation d’un Ă©tat de droit qui ne soit pas officiellement musulman par les partis islamistes constitue un pas significatif dans une rĂ©gion oĂč la plupart des dictatures nationalistes ne se sont pas risquĂ©es Ă  sĂ©parer l’islam de l’État [36]. Ainsi, certaines formations islamo-conservatrices d’inspiration frĂ©riste se sont clairement dĂ©tachĂ©es de l’influence originelle de la confrĂ©rie et ont entamĂ© un mouvement de sĂ©cularisation, comme on l’a constatĂ© en Tunisie, au Maroc et mĂȘme chez les FrĂšres musulmans syriens qui Ă©voquent dans leurs rĂ©flexions sur la Syrie de demain la constitution d’un État civil [37]. A propos d’Ennahdha Thierry BrĂ©sillon Ă©crit ceci : « Le vrai double langage est celui interne au parti : les cadres font croire Ă  leur base qu’ils sont encore islamiques alors que la rĂ©alitĂ© c’est qu’ils sont dĂ©jĂ  sĂ©cularisĂ©s » [38]. On pourrait arguer, Ă  juste titre, que la rhĂ©torique trĂšs islamique du PrĂ©sident turc, Recep Tayyip Erdoan, reprĂ©sente un recul de la sĂ©cularisation en Turquie. Si la laĂŻcitĂ© est indĂ©niablement en rĂ©gression en Turquie, il convient de rappeler ici que la laĂŻcitĂ© turque, imposĂ©e d’une main de fer par Mustapha Kemal AtatĂŒrk, Ă©tait trĂšs en avance par rapport aux autres pays musulmans et que les pratiques d’Ankara restent, Ă  l’échelle de la rĂ©gion, plus sĂ©culaires que la moyenne.
Ce phĂ©nomĂšne de sĂ©cularisation, principalement Ă  l’Ɠuvre en Tunisie et dans une moindre mesure au Maroc, n’est certainement pas le fruit d’une dynamique interne aux partis islamistes. C’est une tendance sociĂ©tale lourde au sein de la jeunesse de nombreux pays musulmans. C’est ce qu’analyse l’islamologue Adrien Candiard pour qui plus les sociĂ©tĂ©s deviennent islamistes, plus les individus, surtout des jeunes, rompent avec la religion et dĂ©cident de ne plus pratiquer l’islam. C’est le cas en Égypte oĂč beaucoup de jeunes gens s’éloignent de l’islam face Ă  la forte poussĂ©e salafiste encouragĂ©e par l’Arabie Saoudite. Cette sĂ©cularisation des sociĂ©tĂ©s est donc Ă  l’origine de l’amorce d’une sĂ©cularisation des partis frĂ©ristes qui, pragmatiques, acceptent, non sans rĂ©ticences, cette nouvelle donne sociĂ©tale. Ainsi, la nouvelle constitution tunisienne, Ă©laborĂ©e entre autres avec Ennahdha, proclame la libertĂ© de conscience. Au Maroc Ă©galement on constate les prĂ©mices d’une sĂ©cularisation [39]. Ces deux partis d’inspiration frĂ©riste ont cette tendance commune Ă  suivre la relative sĂ©cularisation qui est Ă  l’Ɠuvre au sein de leurs sociĂ©tĂ©s. D’ailleurs, cela aboutit Ă  des ruptures souvent dĂ©finitives avec leur frange la plus extrĂ©miste.
3. Printemps arabes et processus de démocratisation
Du fait du grand chaos qu’ils ont engendrĂ© dans la rĂ©gion, les printemps arabes ont Ă©tĂ© assez rapidement considĂ©rĂ©s comme un Ă©chec [40]. Hormis l’exception notable de la Tunisie, ces rĂ©voltes ont dĂ©bouchĂ© sur des guerres civiles (Syrie, Libye, YĂ©men) ou des stricts retours de bĂąton autoritaires (Égypte, BahreĂŻn). Aux yeux des Occidentaux, ils auraient mĂȘme eu le mauvais goĂ»t de mettre les sociĂ©tĂ©s de la rĂ©gion face au dilemme suivant : dictature autoritaire ou dĂ©mocratie islamiste ? Toutefois, cette analyse trop rĂ©ductrice mĂ©rite d’ĂȘtre nuancĂ©e dans la mesure ou les printemps arabes mĂ©ritent d’ĂȘtre apprĂ©hendĂ©s dans le temps long.
Les printemps arabes dĂ©butent fin 2010. Ils sont issus de la demande des jeunesses libĂ©rales de rĂ©former en profondeur l’appareil politique de leur pays et d’une partie des populations d’amĂ©liorer le dĂ©veloppement Ă©conomique et la justice sociale. DĂšs lors et jusqu’à l’étĂ© 2011, le processus aboutit Ă  trois scĂ©narii diffĂ©rents. Les timides mouvements de contestation en Arabie saoudite, Ă  BahreĂŻn, en Jordanie ou en AlgĂ©rie sont rapidement jugulĂ©s. Ailleurs, les rivalitĂ©s communautaires explosent dans les États oĂč la cohĂ©sion sociale n’est que façade : au YĂ©men, en Syrie et en Libye. Enfin, les printemps arabes mĂšnent Ă  une transition dĂ©mocratique qui aboutit Ă  l’intĂ©gration politique des partis islamistes dĂ©rivĂ©s des FrĂšres musulmans en Tunisie, en Égypte et au Maroc. En une annĂ©e, les Ă©lections dĂ©mocratiques sont mises en place dans ces trois pays. Cependant, la culture dĂ©mocratique n’est pas encore acquise car la pratique Ă©lectorale ne suffit pas Ă  l’instaurer. En Égypte, les islamistes s’imposent Ă  tous les Ă©chelons et remportent les Ă©lections lĂ©gislatives de janvier 2012 puis la prĂ©sidentielle en juin. Mais leur inexpĂ©rience du pouvoir et leur absence de vision stratĂ©gique leur coĂ»tent leur lĂ©gitimitĂ© : ils sont renversĂ©s en juillet 2013. À l’inverse, les partis islamistes obtiennent durablement la majoritĂ© parlementaire en Tunisie et au Maroc : sans jamais gouverner, Ennahdha est devenue la premiĂšre force politique tunisienne, tandis que le PJD est Ă  la tĂȘte du gouvernement marocain depuis 2011.
MalgrĂ© le retour et la modernisation des modĂšles autoritaires (« dĂ©mocratures ») couplĂ©s Ă  l’utilisation du conservatisme religieux salafiste comme outil de maĂźtrise des revendications d’émancipation, le processus de dĂ©mocratisation initiĂ© par les printemps arabes n’a pas disparu pour autant. De nouveaux espaces de contestation visibles ou clandestins existent aujourd’hui, et « l’expĂ©rience rĂ©volutionnaire continue d’agir grĂące Ă  une gĂ©nĂ©ration qui n’a pas consommĂ© sa jeunesse » selon les termes d’Anne-ClĂ©mentine Larroque [41]. La construction d’une culture dĂ©mocratique vĂ©ritable passe notamment par la structuration d’une sociĂ©tĂ© civile, la prise de conscience de sa citoyennetĂ© et le dĂ©passement des clivages ethniques et confessionnels. Ces thĂšmes ont animĂ© les nombreuses manifestations qui ont Ă©mergĂ© de nouveau en Tunisie et au Maroc en 2018, et qui ont secouĂ© l’AlgĂ©rie, l’Irak, le Liban, et le Soudan en 2019 attestant d’un nouveau rapport des populations Ă  la chose publique. Ainsi, le processus de dĂ©mocratisation n’a pas dit son dernier mot. Les printemps arabes infusent dans les sociĂ©tĂ©s de la rĂ©gion et sont amenĂ©s Ă  provoquer de nouveaux bouleversements. C’est pourquoi on ne peut parler d’« Ă©chec » des printemps arabes, comme si le monde arabe pouvait se transformer en quelques mois, en quelques annĂ©es. On s’inscrit vĂ©ritablement dans le temps long, peut-ĂȘtre trĂšs long. L’histoire n’est pas terminĂ©e.
Le mĂȘme constat selon lequel il est impossible de dĂ©mocratiser sans intĂ©grer les FrĂšres musulmans dans le jeu politique s’impose partout Ă  la suite des printemps arabes. Dans ce contexte, les partis issus des FrĂšres musulmans semblent eux aussi s’inscrire dans cette
dynamique dĂ©mocratique. Toutefois, la sincĂ©ritĂ© de leur attachement Ă  la dĂ©mocratie pose parfois question. Et si la dĂ©mocratie n’était qu’un simple moyen de conquĂȘte du pouvoir ?
Les exemples du PJD et de Ennahdha semblent indiquer une acceptation de l’alternance ainsi qu’une capacitĂ© Ă  faire des coalitions, Ă  composer et Ă  trouver des consensus avec les services de sĂ©curitĂ©, les syndicats, les autres formations politiques, les islamistes plus conservateurs... Sans ĂȘtre exemplaire, leur pratique du pouvoir s’éloigne d’éventuels relents autoritaires. En Égypte, la prĂ©sidence de Morsi fĂ»t brĂšve et son manque de sens politique a conduit Ă  sa chute. Si son manque de consensus avec l’opposition libĂ©rale et nationaliste n’allait pas dans le bon sens, rien n’indique que les FrĂšres musulmans allaient rentrer dans une spirale autoritaire. A l’inverse, en Turquie, le virage autoritaire du PrĂ©sident Erdoan est flagrant. Outre la personnalitĂ© intransigeante du chef de l’État turc, ce virage doit sans doute ĂȘtre davantage attribuĂ© Ă  la dĂ©gradation du contexte sĂ©curitaire de la Turquie (guerre civile syrienne depuis 2011, reprise des hostilitĂ©s avec le PKK en 2015, tentative de coup d’État en 2016, nombreux attentats djihadistes sur le territoire turc) qu’au caractĂšre islamiste de l’AKP. Notons Ă  ce titre que les dĂ©rives autoritaires d’Ankara divisent au sein mĂȘme de l’AKP [42] et qu’elles sont dirigĂ©es contre un autre mouvement se revendiquant de l’islam politique : la confrĂ©rie gĂŒleniste.
Certes, les printemps arabes n’ont pas immĂ©diatement gĂ©nĂ©rĂ© une vĂ©ritable culture dĂ©mocratique mais ils ont concrĂ©tisĂ© des pratiques dĂ©mocratiques. Ils ont ouvert un nouvel espace de parole visible ou invisible que les rĂ©gimes autoritaires tentent de juguler par diffĂ©rents moyens. Du cĂŽtĂ© des populations, on observe de maniĂšre croissante une structuration des sociĂ©tĂ©s civiles, une prise de conscience de la citoyennetĂ© et un dĂ©passement des clivages ethniques et confessionnels. La revendication de la citoyennetĂ©, et des droits qui en dĂ©coulent, sont parmi les slogans que l’on entend rĂ©guliĂšrement dans les manifestations de Bagdad Ă  Beyrouth [43]. Le processus de dĂ©mocratisation des sociĂ©tĂ©s et de leur classe dirigeante infuse Ă  des vitesses inĂ©gales au sein des pays de la rĂ©gion. Les formations frĂ©ristes dĂ©veloppent, elles aussi, quand le rĂ©gime politique le permet, leur culture dĂ©mocratique. Le chercheur Abderrahim Lamchichi Ă©crit ceci quelques semaines aprĂšs le 11 septembre 2001 « les tentatives de renouvellement, de recherche d’alliances, opĂ©rĂ©es par les composantes modĂ©rĂ©es de la mouvance islamiste, pour se distancer des courants plus radicaux, peuvent mener un jour Ă  la transformation dĂ©mocratique. Cet islamisme tempĂ©rĂ© et dĂ©mocratique ne pourra alors Ă©viter le processus de sa profonde mĂ©tamorphose ». Ainsi, en s’imprĂ©gnant des principes du jeu dĂ©mocratique, les formations d’inspiration frĂ©riste apprendraient Ă  devenir dĂ©mocrates. Le moment d’accĂšs au pouvoir gĂ©nĂšrerait une distanciation avec l’idĂ©ologie d’origine. Un « post-islamisme » [44] hybride entre son origine islamiste et le systĂšme dĂ©mocratique serait alors en train de trouver sa place dans le sillage des « printemps arabes ».
B. Évolutions nationales et prospective rĂ©gionale
1. A l’échelle nationale : l’autoritarisme, un soutien indirect aux mouvements les plus radicaux
Nous avons vu que lĂ  oĂč des Ă©lections libres ont pu se tenir, leurs rĂ©sultats ont montrĂ© que les formations d’inspiration frĂ©riste sont une force politique significative dans la rĂ©gion. Pour autant, leur intĂ©gration politique ne va pas de soi et, aprĂšs les espoirs suscitĂ©s par les printemps arabes, les rĂ©actions contre les dĂ©mocratisations ont limitĂ© leur intĂ©gration. Actuellement, les FrĂšres musulmans sont considĂ©rĂ©s comme terroristes par l’Égypte, l’Arabie
Saoudite, les Émirats Arabes Unis, la Syrie et BahreĂŻn. En juillet 2020, la branche jordanienne de l’organisation a Ă©tĂ© interdite. Or, il apparaĂźt qu’en fermant la voie de la dĂ©mocratie, les pouvoirs autoritaires apportent un soutien indirect, mais bien rĂ©el, aux organisations les plus radicales.
Le retour et le renforcement de gouvernements dictatoriaux, incarnĂ©s par la figure du MarĂ©chal al-Sissi en Égypte, et la rĂ©pression contre les FrĂšres, risquent d’alimenter un islamisme plus radical. L’assimilation des FrĂšres musulmans Ă  des organisations terroristes djihadistes (État islamique, Al-QaĂŻda) pousse de nombreux militants de la confrĂ©rie Ă  entrer en clandestinitĂ©. Cet amalgame renforce l’argumentaire des mouvements radicaux qui espĂšrent alors recruter parmi les sympathisants frĂ©ristes les plus enclins Ă  se tourner vers la violence. Dans un scĂ©nario plus pessimiste encore, de la mĂȘme maniĂšre qu’avec SaĂŻd Qutb dans les annĂ©es 1960, la confrĂ©rie pourrait voir une scission interne d’une de ses branches prĂȘte Ă  Ă©pouser le djihadisme. L’attitude du chef du rĂ©seau djihadiste al-QaĂŻda, Ayman al-Zawahiri, parle d’elle-mĂȘme. Cet Ă©gyptien a longtemps vilipendĂ© la confrĂ©rie notamment dans un document intitulĂ© « La rĂ©colte amĂšre », dans lequel il qualifie les FrĂšres musulmans de « traitres » et « d’apostats ». Il leur reproche de se rendre complices de rĂ©gimes politiques impies qui acceptent la laĂŻcitĂ© et la dĂ©mocratie. D’ailleurs, en 1992, il rejoint Hassan Al- Tourabi Ă  Khartoum pour tenter de constituer une internationale rivale des FrĂšres musulmans en coalisant tous les radicaux [45]. Al-Zawahiri n’a peut-ĂȘtre pas oubliĂ© ce projet lorsqu’il s’adresse aux FrĂšres Ă©gyptiens au lendemain du coup d’État de Al-Sissi du 3 juillet 2013 en leur disant en substance : nous vous l’avions bien dit, la voie dĂ©mocratique est bouchĂ©e [46].
En dĂ©pit des critiques Ă  l’égard de leurs tendances autoritaires (partagĂ©es avec beaucoup d’autres forces politiques de la rĂ©gion), leur sectarisme, ou encore leur programme Ă©conomique nĂ©olibĂ©ral, il est indĂ©niable que les FrĂšres musulmans font maintenant partie du paysage politique et si les rĂ©primer fait reculer la dĂ©mocratie, cela ne fait pas reculer leurs idĂ©es [47]. Au contraire, Ă  force de les diaboliser, on oublie les difficultĂ©s qu’ils ont eues Ă  gouverner quand ils Ă©taient au pouvoir entre 2012 et 2013 avec Mohamed Morsi Ă  la prĂ©sidence. Ainsi, aux yeux de la population, l’illusion persiste. Plus il y a de rĂ©pression et de diabolisation, plus le mythe, le fantasme des FrĂšres musulmans, reste intact. Selon un sondage [48], un tiers de la population Ă©gyptienne continue Ă  avoir une vision positive des FrĂšres malgrĂ© la communication officielle du rĂ©gime. Si elle s’avĂšre efficace en apparence, la stratĂ©gie d’interdiction, de criminalisation, de rĂ©pression et de diabolisation des FrĂšres musulmans peut se rĂ©vĂ©ler ĂȘtre Ă  double tranchant. D’une part, elle ne rĂ©duit pas l’influence sociale de la confrĂ©rie, et, d’autre part, elle risque de pousser ses membres vers une vision plus radicale de leur engagement.
En parallĂšle, les mouvances salafistes ne sont pas logĂ©es Ă  la mĂȘme enseigne. A l’appel des oulĂ©mas proches du rĂ©gime saoudien, bon nombre de salafistes se dĂ©marquent ainsi des FrĂšres musulmans en dĂ©pouillant leur religiositĂ© de toute expression contestataire. Trouvant ses origines dans l’école de jurisprudence hanbalite, la mouvance salafiste, trĂšs majoritairement quiĂ©tiste, prĂŽne l’obĂ©issance Ă  tout gouvernant, fĂ»t-il « corrompu et autocratique », pour autant qu’il ne refuse pas de se dire musulman. Ainsi, du YĂ©men Ă  l’Égypte ou au Maroc, les salafistes, Ă  bien des Ă©gards moins modernistes que les FrĂšres, ont pu paradoxalement recueillir les faveurs de rĂ©gimes rĂ©putĂ©s modernisateurs qui voyaient dans cette abstinence Ă©lectorale un instrument d’affaiblissement de leur opposition [49].
Enfin, rappelons que si l’interdiction des formes de l’islam politique que les partis frĂ©ristes incarnent est une des conditions menant Ă  l’émergence et au dĂ©veloppement de mouvements djihadistes, ce n’est en aucun cas la seule. Les problĂšmes socio-Ă©conomiques, la frustration gĂ©nĂ©rĂ©e par les grandes inĂ©galitĂ©s et la corruption sont souvent au premier rang des causes de propagation des idĂ©ologies violentes. Face Ă  ce constat, on peut considĂ©rer que l’Égypte actuelle regroupe un certain nombre de facteurs susceptibles de mener Ă  une croissance du risque djihadiste et une dĂ©gradation de sa situation sĂ©curitaire dans les prochaines annĂ©es. Par ailleurs, les pays d’Asie centrale (Tadjikistan, TurkmĂ©nistan et l’OuzbĂ©kistan en tĂȘte) se caractĂ©risent par leur autoritarisme strict, laissant peu de place Ă  des formes d’expression politique, et des Ă©conomies fragiles reposant bien souvent sur la rente aux hydrocarbures. DĂšs lors, Ă  l’heure du « renouveau de l’islam en Asie centrale » [50], ils constituent Ă©galement un potentiel foyer de prolifĂ©ration de l’idĂ©ologie salafo-djihadiste.
2. A l’échelle internationale : vers une convergence stratĂ©gique entre les FrĂšres musulmans et la RĂ©publique islamique d’Iran ?
A la suite des printemps arabes, l’administration Obama avait fait le choix de miser sur les formations frĂ©ristes pour soutenir les dynamiques de transition dĂ©mocratique. En parallĂšle, Washington signait le JCPoA, accord sur le nuclĂ©aire iranien, qui visait Ă  rĂ©intĂ©grer l’Iran dans le concert des nations et Ă  ouvrir son Ă©conomie. Cette politique amĂ©ricaine s’inscrivait alors en relative rupture avec les deux piliers traditionnels de l’équation stratĂ©gique de Washington dans la rĂ©gion : la sĂ©curisation des approvisionnements en hydrocarbures (via le pacte du Quincy avec l’Arabie Saoudite) et la sĂ©curitĂ© de l’État d’IsraĂ«l. Le soutien aux FrĂšres musulmans allait Ă  l’encontre des intĂ©rĂȘts saoudiens et l’accord iranien Ă©tait vivement critiquĂ© par Riyad et Tel Aviv. Cette situation a accĂ©lĂ©rĂ© la convergence d’intĂ©rĂȘt entre plusieurs pays du Golfe (Arabie Saoudite, EAU, BahreĂŻn) et IsraĂ«l.
L’arrivĂ©e de Donald Trump Ă  la Maison blanche en janvier 2017 conforte la formation d’un axe Riyad, Manama, Abou Dhabi, Le Caire, Tel Aviv dont la rĂ©cente normalisation des relations entre IsraĂ«l, le BahreĂŻn et les EAU est une consĂ©quence visible. Cette alliance inĂ©dite s’oppose Ă  l’influence grandissante de l’Iran et des FrĂšres musulmans dans la rĂ©gion. La contre- offensive menĂ©e par Riyad et les EAU consiste Ă  soutenir, lĂ  oĂč cela est possible, les rivaux des partis frĂ©ristes et polarise ainsi la rĂ©gion entre les pro-frĂšres musulmans et les anti-frĂšres musulmans. En juillet 2017, la rupture des relations diplomatiques et Ă©conomiques de l’Arabie Saoudite, des EAU, de l’Égypte et du BahreĂŻn avec le Qatar se cristallise notamment autour de cette question.
Reste Ă  savoir si l’administration de Joe Biden (20 janvier 2021 - ) soutiendra cet axe avec autant d’ardeur. Bien qu’il soit considĂ©rĂ© comme proche d’IsraĂ«l, l’ancien vice-prĂ©sident d’Obama devrait reprendre des nĂ©gociations avec l’Iran et poursuivre le dĂ©sengagement progressif du Moyen-Orient. Si ce dĂ©sengagement ne sera en aucun cas synonyme d’une disparition, il apparaĂźt que les intĂ©rĂȘts des États-Unis vont ĂȘtre amenĂ©s Ă  dĂ©croitre dans la rĂ©gion [51], et que, par consĂ©quent, leur volontĂ© d’implication faiblira Ă©galement. On peut alors lire l’agressivitĂ© de l’administration Trump sur le dossier iranien et le soutien plus net que jamais Ă  IsraĂ«l comme une tentative de prĂ©cipiter unilatĂ©ralement les « derniĂšres volontĂ©s » gĂ©opolitiques de Washington au Moyen-Orient.
Face Ă  cette alliance de fait, on peut lĂ©gitimement ĂȘtre amenĂ© Ă  se demander dans quelle
mesure un rapprochement entre la rĂ©publique islamique d’Iran et les formations d’obĂ©dience frĂ©riste est possible. Si une convergence stratĂ©gique s’observe logiquement entre les acteurs proches des frĂšres musulmans, la rĂ©alitĂ© de leurs contacts avec la RĂ©publique islamique d’Iran reste, quant Ă  elle, difficile Ă  Ă©valuer.
Tout d’abord, l’alliance stratĂ©gique entre la Turquie et le Qatar, qui ont largement soutenu l’Égypte de Mohammed Morsi (2012-2013), le gouvernement d’entente nationale (GEN) de Fayez el-Sarraj en Libye ou Ennahdha en Tunisie, confirme la proximitĂ© gĂ©opolitique qui existe entre les sympathisants de la confrĂ©rie lorsqu’ils accĂšdent au pouvoir. Celle-ci est relativement logique et peut-ĂȘtre comparĂ©e aux accointances qui uniraient des partis d’inspiration nationalistes, socio-dĂ©mocrates ou Ă©cologistes dans le contexte europĂ©en. Toutefois, ces rapprochements s’inscrivent surtout dans les intĂ©rĂȘts stratĂ©giques de chaque État, bien plus que dans un grand projet idĂ©ologique commun. Les proximitĂ©s idĂ©ologiques sont un outil facilitateur plus qu’une vĂ©ritable fin en soi. Les relations en dents de scie des partis frĂ©ristes avec le Hamas palestinien et leur pragmatisme adoptĂ© Ă  l’égard d’IsraĂ«l [52] [53] montrent, Ă  ce titre, que ce sont bien les intĂ©rĂȘts des États qui sont Ă  la manƓuvre.
Ensuite, en toute logique rĂ©aliste face Ă  un ennemi commun, les entitĂ©s frĂ©ristes devraient accroĂźtre leurs liens avec la RĂ©publique islamique d’Iran. Bien qu’il s’agisse d’une confrĂ©rie sunnite et d’une rĂ©publique chiite, TĂ©hĂ©ran et les FrĂšres musulmans ont en rĂ©alitĂ© des valeurs communes. La pensĂ©e originelle des frĂšres, profondĂ©ment rĂ©publicaine et antimonarchiste, se rapproche du modĂšle de rĂ©publique thĂ©o-dĂ©mocratique instaurĂ© en Iran Ă  partir de 1979. Pour Mustapha Zahrani, directeur de l’Institut for Political and International Studies, le centre de recherche du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres iranien, « le rĂ©gime iranien croit dans la dĂ©mocratie islamique et un islam modĂ©rĂ© : tout comme les organisations proches des FrĂšres musulmans [54] ». Historiquement, les affinitĂ©s sont Ă©galement politiques, entre soutien aux Palestiniens et anti-impĂ©rialisme. Dans les annĂ©es 1980, la RĂ©publique islamique est un modĂšle pour d’importants leaders des FrĂšres, du Libanais Fathi Yakan au Tunisien Rached Ghannouchi.
La dĂ©tĂ©rioration des relations entre l’Iran et les FrĂšres musulmans est surtout le fruit de l’hyper-confessionnalisation des tensions rĂ©gionales. Au cours de la derniĂšre dĂ©cennie, la rĂ©gion, ses conflits et ses rapports de forces ne s’apprĂ©hendaient alors plus que par la division entre chiites d’un cĂŽtĂ© et sunnites de l’autre. Le paroxysme de cette confrontation est intervenu dans le conflit syrien. Au cours de celui-ci, les FrĂšres musulmans syriens, insurgĂ©s, ont combattu contre le rĂ©gime et les milices chiites armĂ©es et entrainĂ©es par TĂ©hĂ©ran. C’est notamment sur cette rivalitĂ© confessionnelle que l’État islamique, organisation djihadiste sunnite, a prospĂ©rĂ©, marquant bien sa diffĂ©rence avec Al-QaĂŻda dans son hostilitĂ© et sa violence Ă  l’égard des chiites.
La fin du conflit syrien, qui cristallisait une divergence de point de vue majeur entre les FrĂšres musulmans et la RĂ©publique islamique d’Iran, pourrait permettre Ă  leurs relations de se dĂ©velopper. Si une telle alliance est loin d’ĂȘtre effective, elle sera largement tributaire des contextes locaux auxquels chaque partie prenante est confrontĂ©e. Toutefois, elle serait susceptible de changer les clivages gĂ©opolitiques du monde arabe et musulman. Face Ă  une alliance contre-rĂ©volutionnaire et anti-iranienne s’appuyant sur les rĂ©gimes autoritaires et les partis salafistes, un axe stratĂ©gique regroupant les entitĂ©s frĂ©ristes et TĂ©hĂ©ran pourrait s’ériger dans le temps long. On peut supposer qu’une telle dynamique repositionnerait le
conflit israĂ©lo-palestinien, relĂ©guĂ© au second plan des enjeux rĂ©gionaux, au cƓur des prĂ©occupations de nombreux acteurs. Le conflit, « matrice de la rĂ©gion » selon les mots d’Antoine Sfeir, pourrait potentiellement retrouver un rĂŽle central dans les clivages stratĂ©giques qui scindent la rĂ©gion.
Conclusion
A l’heure de la diffusion croissante de thĂ©ories complotistes, l’islamisme ne dĂ©roge pas Ă  cette rĂšgle. Selon ses dĂ©tracteurs, les islamistes seraient tous mĂ» par l’établissement d’un califat islamique mondial. Du simple sympathisant d’un parti se revendiquant des valeurs de la religion musulmane Ă  l’activiste djihadiste violent, tous seraient, de maniĂšre plus ou moins assumĂ©e, poussĂ©s Ă  Ă©tablir un État islamique reposant sur une interprĂ©tation fondamentaliste du Coran et de la Sunna.
Nous avons pu voir que la situation est plus complexe et qu’elle ne doit pas omettre de prendre en compte les fragmentations qui traversent depuis plus d’un siĂšcle l’islamisme politique. En se penchant sur ces clivages, on peut extraire du trĂšs fantasmĂ© « hydre islamiste » des courants plus modernistes que d’autres, des projets antagonistes et des agendas divergents. En se penchant plus encore, on constate surtout que les mouvements dits « islamistes » avancent Ă  des rythmes diffĂ©rents, ceux de leurs tempos locaux et nationaux, et qu’ils sont en rivalitĂ© structurelle a plusieurs Ă©chelles, locales, nationales et rĂ©gionales.
On comprend alors qu’une simplification du phĂ©nomĂšne islamiste ne rend pas plus simple la lutte contre le djihadisme. Au contraire, elle prive les dĂ©cideurs d’une lisibilitĂ© idĂ©ologique et d’une identification politique de la mosaĂŻque d’acteurs qui participent au « grand jeu » de la rĂ©gion ANMO. Comme un devoir de prise en compte de cette complexitĂ©, il faut prendre garde Ă  ne plus s’envoler aujourd’hui avec des idĂ©es simples vers l’Orient compliquĂ© [55].
Copyright Mars 2021-Milot/Diploweb.com
P.-S.
AprĂšs un cursus Ă  SciencesPo Bordeaux, Antoine Milot suit un master II en GĂ©opolitique au sein de l’École Normale SupĂ©rieure et de l’Institut de GĂ©ographie de l’universitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne. Son parcours l’a amenĂ© Ă  travailler avec diffĂ©rents acteurs institutionnels et privĂ©s prĂ©sents en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Ses sujets d’étude portent principalement sur les dynamiques gĂ©opolitiques Ă  l’Ɠuvre dans la rĂ©gion parmi lesquelles la situation de l’islamisme politique occupe une place importante.
Notes
[1] BONNEFOY Laurent, Salafisme, Orient XXI, 29 septembre 2016.
[2] Le fait que Hassan el-Banna devint l’éditeur de la publication Al Manar a la mort de Rachid Ridha en 1935 tĂ©moigne de l’influence du salafi moderniste de la fin du XIXĂšme siĂšcle dans la crĂ©ation et l’émergence des FrĂšres musulmans.
[4] CARRÉ Olivier, MICHAUD GĂ©rard, Les FrĂšres musulmans (1928-1982), Gallimard/Julliard, 1983.
[5] Les 4 principales écoles juridiques du sunnisme sont le malékisme, le hanafisme, le chaféisme et le hanbalisme.
[6] TERNISIEN Xavier, Les FrĂšres musulmans, Fayard, 2005.
[7] Incarné alors par le Parti politique Wafd.
[8] MAHMOOD Saba, Politics of Piety : The Islamic Revival and the Feminist Subject, Princeton University Press, 2011.
[9] L’école hanbalite est une des quatre Ă©coles juridiques sunnites. Elle se fonde sur la pensĂ©e d’Ibn Hanbal (780-855) qui considĂ©rait inutile d’apprĂ©cier le cadre social dans lequel le savant interprĂšte un verset ou un hadĂźth. Les hanbalites affirment la toute- puissance de Dieu et prĂŽnent l’obĂ©issance totale au chef de la communautĂ©. Les hanbalites sont des ardant opposants aux chiites mais aussi Ă  tous ceux qui recourent au raisonnement pour rĂ©duire les contradictions du texte coranique lorsqu’il doit permettre d’organiser socialement la communautĂ© musulmane. Cette Ă©cole est minoritaire au Xe siĂšcle, se rĂ©pand surtout Ă  partir des XIIe et XIIIe siĂšcles. Sous sa version Wahhabite elle est devenue la doctrine officielle de l’Arabie Saoudite.
[10] TERNISIEN Xavier, Les FrĂšres musulmans, Fayard, 2005.
[11] LARROQUE Anne-clémentine, Géopolitique des Islamismes, Presses Universitaires de France, 2014.
[12] « Organisme secret » : branche armée des FrÚres musulmans, créée en 1945 pour combattre aux cÎtés des arabes en Palestine.
[13] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Évolution de l’Islam politique dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[14] « PĂ©tro-islam » : Il s’agit du dĂ©veloppement de l’interprĂ©tation wahhabo-salafiste de l’islam sunnite dans le monde musulman grĂące aux facilitĂ©es financiĂšres induises par les exportations de pĂ©trole du Royaume saoudien. Le premier choc pĂ©trolier en 1973, qui interrompt l’armĂ©e israĂ©lienne sur ordre de Washington, consacre le dĂ©but de cette hĂ©gĂ©monie.
[15] TERNISIEN Xavier, Les FrĂšres musulmans, Fayard, 2005.
[16] CARRÉ Olivier Olivier CarrĂ©, Mystique et politique. Le coran des islamistes. Commentaire coranique de Sayyid Qutb (1906 - 1966), Cerf, 2004.
[17] Talbigh : mouvement transnational de prĂ©dication de masse. Il nĂ© en Inde en 1927 pour protĂ©ger et revitaliser l’identitĂ© de la communautĂ© islamique indienne.
[18] LARROQUE Anne-clémentine, Géopolitique des Islamismes, Presses Universitaires de France, 2014.
[19] Dissolution de la confrérie par Gamal Abdel Nasser le 12 janvier 1954.
[20] LARROQUE Anne-clémentine, Géopolitique des Islamismes, Presses Universitaires de France, 2014.
[21] LAHOUD TATAR Carine, Les FrÚres musulmans dans les monarchies du Golfe : entre intégration politique et répression, Fondation pour la Recherche Stratégique, novembre 2017.
[22] Mise Ă  mal par la prise d’otage de la grande mosquĂ©e de La Mecque en 1979.
[23] KEPEL Gilles. Sortir du chaos. Les crises en méditerranée et au Moyen-Orient, Gallimard, 2018.
[24] AMMOUR Laurence-Aïda, La pénétration wahhabite en Afrique, Centre Français de Recherche sur le Renseignement, Février 2018.
[25] Oumma : La communautĂ© des musulmans Ă  l’échelle de la planĂšte.
[26] TERNISIEN Xavier, Les FrĂšres musulmans, Fayard, 2005.
[27] MINTZ John, FARAH Douglas, In Search of Friends Among the Foes U.S. Hopes to Work Diverse Groupe, The Washington Post, 10 septembre 2004.
[28] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Évolution de l’Islam politique dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[29] KEPEL Gilles. Sortir du chaos. Les crises en méditerranée et au Moyen-Orient, Gallimard, 2018.
[30] KEPEL Gilles. Sortir du chaos. Les crises en méditerranée et au Moyen-Orient, Gallimard, 2018.
[31] AL-MAQTARI Bushra, Les Ă©volutions du militantisme salafiste Ă  Taez, Classiques Garnier, 2018.
[32] BURGAT François, Salafistes contre FrÚres musulmans, Le Monde Diplomatique, juin 2010.
[33] LAFRANCE Camille, Tunisie : « Comme la plupart des partis, Ennahdha est toujours dominé par des hommes », Jeune Afrique, 15 janvier 2019.
[34] BOUBEKEUR Amel, Les partis islamistes algériens et la démocratie : vers une professionnalisation politique ?, OpenEdition Journals, 2008.
[35] MUNTEANU Anca, Quelle place pour les militantes des partis islamistes en Tunisie et au Maroc ?, The Conversation, 4 juin 2020.
[36] En 2009, l’Islam est dĂ©clarĂ© religion d’État au Maroc, en AlgĂ©rie, en Libye, en Égypte, et en Jordanie.
[37] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Évolution de l’Islam politique dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[38] LARROQUE Anne-ClĂ©mentine, L’islamisme au pouvoir : Tunisie, Égypte, Maroc, Presses Universitaires de France, 24 janvier 2018.
[39] CALVET Catherine, Anne-Clémentine Larroque : « Plus les sociétés deviennent islamistes, plus les individus rompent avec la religion », Libération, 8 juillet 2018.
[40] LACROIX Stéphane, DIECKHOFF Alain, « Le bilan des printemps arabes est clairement négatif », SciencesPo CERI, 25/01/2016.
[41] LARROQUE Anne-Clémentine, Les printemps arabes : un espoir pour la démocrature ?, Pouvoirs n°169, avril 2019.
[42] MINOUI Delphine, Turquie : la fronde contre Erdoan enfle au cƓur mĂȘme de son parti, l’AKP, Le Figaro, 30 mai 2019.
[43] AUBIN DE LA MESSUZIERE Yves, Évolution de l’Islam politique dans le monde arabe, Fondation Res Publica, 7 avril 2020.
[44] LARROQUE Anne-ClĂ©mentine, L’islamisme au pouvoir : Tunisie, Égypte, Maroc, Presses Universitaires de France, 24 janvier 2018. « Post-islamisme » : une tendance de l’islamisme politique qui, une fois dĂ©tachĂ©e de l’obsession du modĂšle de la RĂ©volution iranienne, aurait dĂ©passĂ© la volontĂ© de prise de pouvoir par la force ou par l’imposition de la charia.
[45] TERNISIEN Xavier, Les FrĂšres musulmans, Fayard, 2005.
[46] GRESH Alain, Feu sur les FrĂšres Musulmans !, Orient XXI, 15 mai 2019.
[47] GRESH Alain, Feu sur les FrĂšres Musulmans !, Orient XXI, 15 mai 2019.
[48] POLLOCK David, In Egypt, One-Third Still Like the Muslim Brotherhood ; Half Call U.S. Ties « Important », The Washington Institute, 10 décembre 2018.
[49] BURGAT François, Salafistes contre FrÚres musulmans, ManiÚre de voir n°117, 2011.
[50] BALCI Bayram, Renouveau de l’islam en Asie centrale et dans le Caucase, CNRS Éditions, 2017.
[51] MILOT Antoine, La présence américaine au Moyen-Orient aprÚs le coronavirus, Le Grand Continent, 2 mai 2020.
[52] REDONDO RaĂčl, Le rapprochement entre la Turquie et IsraĂ«l sur les intĂ©rĂȘts mĂ©diterranĂ©ens, Atalayar, 27 mai 2020.
[53] HORCHANI Salah, Tunisie : Qu’y a-t-il de commun entre Ennahdha et IsraĂ«l ?, Mediapart, 15 septembre 2013.
[54] DOT-POUILLARD Nicolas, L’Iran et les Frùres musulmans : les meilleurs ennemis du monde ?, Middle East Eye, 12 mai 2016.