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INTRODUCTION À L’ŒUVRE DE ROBERT BATEMAN
Robert Bateman (né en 1930) est un artiste canadien de renommée internationale qui compte des admirateurs partout dans le monde. Bien que sa réputation à titre de peintre naturaliste ne soit plus à faire et que ses homologues du monde entier estiment qu’il représente l’un des artistes les plus influents de tous les temps, Robert Bateman peint une vaste gamme d’autres sujets, allant des paysages à l’architecture, en passant par les figures et les portraits humains, les moyens de transport et les natures mortes.1 Bateman recourt également à d’autres moyens d’expression, principalement les estampes originales. Le concept et la raison d’être de la présente exposition exemplifient la largeur et la profondeur de l’œuvre de Robert Bateman.Robert Bateman, 2006
L’art et l’histoire naturelle font leur entrée dans la vie de Bob Bateman
dès sa tendre enfance. Ainsi, à l’âge de huit ans, sa mère l’inscrit au
club des jeunes naturalistes du Musée royal de l’Ontario à Toronto,
où il apprend à faire des esquisses sur le terrain sous l’égide de
l’aquarelliste Terence Shortt (1911-1986). Ensuite, au fil de ses études
secondaires et collégiales, Bateman suit des cours d’art au
parascolaire. Carl Schaefer (1903-1995), formé à l’Ontario College
of Art en compagnie d’Arthur Lismer et
de James E.H. MacDonald, tous deux
membres du Groupe des Sept, est son
instructeur principal. Le Groupe des Sept
est généralement méconnu des Américains,
mais il n’en reste pas moins qu’il revêt une
importance singulière au Canada en raison
de son patrimoine national et artistique.
Les membres de ce groupe sont connus
pour leurs reproductions de lieux
distinctivement canadiens représentés
au moyen d’effets stylistiques variés, comme le parc Algonquin.
À l’adolescence, Bateman fait preuve d’une intelligence remarquable
sur le plan artistique et il ne manque pas d’idolâtrer les membres
du Groupe des Sept. Dans le cadre de son emploi d’été au parc
Algonquin, juste après la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était
toujours à l’école secondaire, Bateman entreprend de suivre les traces
des membres du Groupe des Sept : « Dès que j’en avais l’occasion,
j’empruntais un canoë pour aller tracer des esquisses et peindre. Pour
moi, c’était un honneur que de faire une peinture à l’huile au même
endroit qu’eux ».2
Vers les années 1950, les attitudes se mettent à changer dans le
monde des beaux-arts, où l’on délaisse les valeurs traditionnelles –
comme l’importance du dessin – pour épouser un style non figuratif.
Dès lors, la peinture naturaliste subit la métamorphose des
modernistes avant-gardistes qui se détournent des modes réalistes.
De nombreux artistes embrassent
alors le passage à l’abstraction et
aux modes non figuratifs, et Robert
Bateman n’échappe surtout pas à
cette tendance. Façonné par le
monde artistique qui l’enveloppe,
Bateman fait ses premières armes
dans le domaine de l’abstraction.
Il en résulte une gamme d’œuvres que Bateman réalise au cours
d’une dizaine d’années, œuvres qu’il caractérise lui-même
d’éclectiques et d’à la mode.
En 1963, après avoir assisté à une exposition rétrospective de l’œuvre
d’Andrew Wyeth (né en 1917), réaliste américain, à l’Albright-Knox
Art Gallery à Buffalo, dans l’État de New York, Bateman fixe son style
en se rendant compte que l’art figuratif, à l’instar de l’art de Wyeth
plus particulièrement, offre de merveilleuses possibilités au genre
naturaliste.3 Sans tarder, Bateman transforme cette constatation
en réalité : quelques mois après cette exposition, il inscrit le tableau
d’une gazelle de Thompson à un concours artistique parrainé par
l’East Africa Esso Company. Du point de vue technique, Bateman
accomplit cette transformation en appliquant la technique
de détrempe à l’œuf à demi-
couverture de Wyeth à l’acrylique,
son médium de prédilection. Cette
combinaison donne à l’art de
Bateman l’apparence d’une
richesse texturale spontanée,
même si ses peintures dérivent
d’esquisses en plein air et sont
assorties d’une composition et de
relations de couleurs étoffées dans l’intimité de son studio afin
d’intensifier l’expérience visuelle originale.
Bien entendu, la différence fondamentale entre l’œuvre de Wyeth
et celle de Bateman réside dans la géographie et le sujet. L’imagerie
de Wyeth prend sa source dans l’Amérique rurale, tandis que celle
de Bateman s’aventure bien au-delà des lieux ordinaires, allant de
l’équateur en Afrique jusqu’aux floes du Cercle Arctique. Par ailleurs,
tandis que les tableaux de Wyeth exemplifient les dimensions
littéraires de la vie rurale, les peintures de Bateman illustrent l’écologie
de la faune et parfois, les humains sur la Terre. Hormis les différences
d’emplacement et de genre, chaque artiste explore par le truchement
de son art les réalités mondaines et métaphysiques de son univers
respectif et, parfois, imprègne son imagerie de sens. Comme le fait
observer un de ses critiques : « À son meilleur, Bateman explore un
territoire qui s’étend bien au-delà
des limites normales de « l’art
naturaliste », et nous convainc que
ses paysages naturels, voilés et
débordants de vie, correspondent
à quelque chose résidant dans
l’esprit de l’artiste. Et, peut-être,
dans le nôtre. »4
Misant sur son succès, Bateman se met à pousser les limites de l’art
naturaliste en créant des peintures braves et puissantes pour
dénoncer l’exploitation forestière commerciale et les méthodes de
pêche de l’époque. Le premier segment de ce que Bateman appelle
sa « série environnementale » de 1989 s’intitule Carmanah Contrasts.
Il s’agit d’images disparates réalisées dans des styles contrastants
recouverts de sens. Dans un sens, les œuvres de Carmanah Contrasts
représentent l’imagerie de manière figurative tandis que dans l’autre
sens, elles imbibent le style figuratif traditionnel d’un style avant-
gardiste portant le nom de peinture tachiste, qui prend racine dans
le mouvement d’art abstrait des
années 1960, également appelé
minimalisme. Par conséquent,
Carmanah Contrasts attire
l’attention des gens sur les
éléments et les principes
artistiques purement pour ce
qu’ils sont, de même que sur les
préoccupations qu’a Bateman pour l’environnement.
De pair avec d’autres tableaux comme le Vancouver Island Elegy,
Carmanah Contrasts est le fruit de l’effort collectif d’artistes qui
se rassemblent sur l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique,
en 1989, pour sensibiliser les gens et offrir une certaine résistance
à la coupe à blanc de la vieille forêt de Carmanah.5 Bateman fait
suivre cette série d’autres images qui frappent fort, notamment le
Self-portrait with Big Machine, puis
Ancient Sitka et Driftnet (Pacific White-
sided Dolphin & Lysan Albatross) en
1993. Histoire de ne pas laisser passer
cette œuvre inaperçue, Bateman
recouvre Driftnet d’un vrai filet de pêche
commercial non biodégradable, soit le
genre de filet qui peut facilement lacérer,
coincer et tuer de pauvres victimes.
Puisque Robert Bateman a poussé les limites de l’art naturaliste
au-delà de l’histoire naturelle pour se jeter dans l’activisme
environnemental, tant l’auteur que son œuvre revêtent de
l’importance sur le plan de l’histoire de l’art. Sa stature est évidente
chez ses adeptes qui imitent ses œuvres et ne manquent pas de
s’épanouir. Aujourd’hui encore, Robert Bateman se veut un voyageur
intrépide et un porte-parole ardent qui ne rate pas une occasion de
faire part de ses connaissances et de ses idées aux autres. Certes,
sa versatilité, son mode de pensée, sa raison d’être, son bon
entendement du lieu et du temps dans le contexte de l’histoire de
l’art de même que son engagement ont permis à Robert Bateman
de se démarquer des autres, mais c’est la profondeur de son talent
et de son art par-dessus tout qui lui ont permis de s’implanter dans
le peloton de tête.
David J. Wagner, Ph. D.,
conservateur et directeur de l’exposition itinérante
Backyard Birds, 1944
Dragonfly Country, 1961
Thompson’s Gazelle, 1963
Gentoo Penguins and Whale Bones, 1979
Carmanah Contrasts, 1993
Driftnet, 1993
NOTES
1. Sondage réalisé par David J. Wagner pour le compte de The Material Culture of SLEWAPs: Signed Limited Edition Wildlife Art Photolithographs, Ph. D. dissertation, Université de Minnesota, département des études américaines; résumé des résultats du sondage publiés dans Natural Habitat: Contemporary Wildlife Artists of North America, William H. Gerdts et David J. Wagner (New York: Spanierman Gallery, L.L.C., 1998) p. 29.
2. Ramsay Derry, The Art of Robert Bateman (New York: The Viking Press, 1981) p. 32–33.
3. Andrew Wyeth possédait un style ayant évolué non pas du naturalisme américain mais plutôt de l’illustration littéraire, style qui lui avait été transmis par son père, N.C. Wyeth (1882–1945), illustrateur d’ouvrages et de revues renommé qui avait lui-même suivi sa formation à Wilmington, au Delaware, sous l’égide d’Howard Pyle (1853–1911), l’un des illustrateurs les plus anciens et les plus influents de l’Amérique.
4. Mark Abley, « The Painted Bird », Saturday Night, juin 1984: p. 61.
5. Carmanah: Artistic Visions of an Ancient Rainforest, (Vancouver, C.-B. : Western Canada Wilderness Committee, 1989)
MENTIONS DE SOURCES
Backyard Birds © 1944 Robert Bateman (collection privée); Dragonfly Country © 1961 Robert Bateman (collection privée); Thompson’s Gazelle © 1963 Robert Bateman (collection privée); Gentoo Penguins and Whale Bones © 1979 Robert Bateman (collection privée); Carmanah Contrasts © 1989 Robert Bateman (collection privée); Driftnet © 1993 Robert Bateman (collection privée)