7
§1 L’Indonésie est un des pays anciennement les plus forestiers du monde, mais dans lequel la chute de la part de la forêt est la plus rapide, puisqu’on estime que sur les 192 millions d’hectares de son sol, 84% étaient encore couverts de forêts avant 1950, alors que seuls 20% le sont à la fin des années 2000. Les fiches, quelquefois très sommaires faute d’informations précises, sont destinées à établir l’atlas de la situation existante au début des années 2000 et 2010 (selon la date des missions disponibles), avant d’immenses projets de concessions qui annoncent une démultiplication de l’espace consacré aux produits de l’agro-industrie, pour l’alimentation ou l’énergie, et dont on verra un exemple dans la fiche spécialement consacrée à la présentation du projet Merauke Integrated Food and Energy Estate Development. Il s’agit donc, ici, d’un atlas de la première colonisation agraire fondée sur l’installation de migrants et sur le développement de cultures agro-industrieelles comme le palmier à huile. Fig. 1 - Les secteurs du front pionnier en Papouasie ou Nouvelle Guinée occidentale (Indonésie).

Integrated Food and Energy Estate Development. Il … · cultures agro-industrieelles comme le palmier à huile. Fig. 1 - Les secteurs du front pionnier en Papouasie ou Nouvelle Guinée

Embed Size (px)

Citation preview

§1 L’Indonésie est un des pays anciennement les plus forestiers du monde, mais dans lequel la chute de la part de la forêt est la plus rapide, puisqu’on estime que sur les 192 millions d’hectares de son sol, 84% étaient encore couverts de forêts avant 1950, alors que seuls 20% le sont à la fin des années 2000. Les fiches, quelquefois très sommaires faute d’informations précises, sont destinées à établir l’atlas de la situation existante au début des années 2000 et 2010 (selon la date des missions disponibles), avant d’immenses projets de concessions qui annoncent une démultiplication de l’espace consacré aux produits de l’agro-industrie, pour l’alimentation ou l’énergie, et dont on verra un exemple dans la fiche spécialement consacrée à la présentation du projet Merauke Integrated Food and Energy Estate Development. Il s’agit donc, ici, d’un atlas de la première colonisation agraire fondée sur l’installation de migrants et sur le développement de cultures agro-industrieelles comme le palmier à huile.

Fig. 1 - Les secteurs du front pionnier en Papouasie ou Nouvelle Guinée occidentale (Indonésie).

§2

La première colonisation de Papouasie Dans ce pays, la situation est cependant contrastée. Un simple examen des couvertures satellitales montre immédiatement de grandes différences entre le développement des concessions et des aménagements agro-industriels et industriels dans les îles de Sumatra et Java, qui réduisent la forêt à l’état de lambeaux, et l’ampleur de la forêt encore en place en Nouvelle Guinée occidentale ou Papouasie (anciennement Irian Jaya). Mais, dans cette île la plus orientale du pays, là où la forêt a été et est de plus en plus transformée par le développement des plantations, elle l’est de façon appuyée, avec une morphologie des villages et des terroirs en chapelets ou en grappes qui répond à l’immensité des terres, et avec des concessions massives par milliers et dizaines de milliers d’hectares de zones forestières ou humides, pour l’agro-industrie. Certains parlent ainsi, à propos de la Papouasie, du dernier grand front pionnier ou de la dernière frontière de l’humanité face à la nature. Au-delà de la formule, qui pourrait être resservie dans d’autres progressions agro-industrielles réalisées au détriment des grandes masses forestières tropicales (par exemple dans le bassin du Congo ou en Amazonie), il est utile de procéder à un inventaire cartographique susceptible d’offrir une base à la réflexion. On estime à environ 5 millions d’hectares les surfaces potentiellement convertibles pour l’agro-industrie, activité qui prend ici, comme en beaucoup d’autres lieux de l’Indonésie, l’aspect d’une monoculture du palmier à huile, ainsi que d’une riziculture irriguée soutenue dans les zones littorales. Le gouvernement indonésien encourage cette conversion, arguant du fait qu’il faut développer cette île et qu’il faut participer à la lutte contre le changement climatique par la production massive d’agrocarburants. Il aide donc à l’implantation de firmes nationales ou étrangères, par la pratique de concessions souvent massives. Cependant ces concessions sont estimées “chaotiques” (Up for Grabs, p. 1) parce que les conditions institutionnelles sont marquées de zones d’ombre qui font que les conditions légales sont quelquefois outrepassées, par exemple lorsque des entreprises commencent l’exploitation avant même d’avoir reçu leur permis d’exploiter. Quand elles sont légales, les concessions peuvent néanmoins ne pas respecter les normes du développement durable. Les droits des populations locales ne sont pas convenablement pris en compte, puisqu’on observe que les engagements de développement promis lors de la signature de contrats ne sont pas tenus, puisqu’on connaît des cas où l’on a fait signer des contrats à des enfants de 4 ans pour garantir la durée de la concession, puisque la répartition des bénéfices n’est pas équitable entre investisseurs, souvent étrangers, et Papouans. §3 Les ONG de défense des populations locales et des milieux forestiers, estiment que la Papouasie est en train de connaître le début d’une exploitation radicale aux méthodes violentes, telle que les îles de Sumatra et Java l’ont connue dans les décennies passées. Elles mettent en avant le caractère de gisement de biodiversité de cette île peu habitée, mais aussi la présence de 250 groupes tribaux, la réserve de carbone qu’elle représente, etc. Les analyses soulignent les divers aspects du phénomène de colonisation : arrivée de migrants nationaux et étrangers, déséquilibre religieux potentiel (migrants musulmans arrivant dans une région à forte majorité catholique), progressive aliénation de la population locale. On estime qu’il faut environ 333 000 ouvriers agricoles pour un million d’hectares de palmiers. Avec un plan de développement portant sur 5 millions d’hectares, la part de la population exogène va considérablement s’accroître dans les années à venir. Il est de fait que le développement des plantations s’est toujours fait en Indonésie au détriment du domaine foncier coutumier des populations locales. Cette transformation induit généralement une accentuation des différences sociales, fragilisant encore un peu plus les personnes déjà vulnérables et renforçant au contraire les élites locales.

Le but des fiches de l’atlas est donc de faire un état des lieux sur une base géographique et cartographique, à partir de la documentation et de l’information disponibles. §4 Les secteurs du front pionnier En cartographiant les villages de lotissement, les clairières de défrichement et les zones d’extension du palmier à huile ou les périmètres irrigués, on peut délimiter onze secteurs et quelques sites isolés. Chaque secteur comprend généralement plusieurs zones de défrichement et de plantations, disposées en chapelets, le long d’une voie ou piste de pénétration, soit en grappes, pour les secteurs les plus importants. Secteur de Sorong et Bamkéri : 26 villages répartis sur 17 secteurs Secteur de Manokwari : 27 villages sur 10 secteurs Secteur de Ransiki : il s’agit de deux vastes plantations agro-industrielles. Secteur de Nabire : 15 villages répartis sur 10 secteurs Secteur de Legari : 5 villages répartis dans deux zones continues Secteur de Kaptiau : 7 villages sur 8 secteurs Secteur de Genyem : 9 villages sur 7 secteurs identifiables Secteur de Jayapura : 31 villages sur 18 secteurs Secteur de Timika : 10 villages sur 8 secteurs Secteur de Muting : 17 villages et 21 secteurs Secteur de Merauke-haut : 7 villages sur 4 secteurs Secteur de Merauke-moyen : 8 villages sur 11 secteurs Secteur de Merauke-bas : 32 villages sur 14 secteurs Secteur d’Asiki : il s’agit d’une grande plantation agro-industrielle en cours d’aménagement. Le total donne 194 villages, mais les conditions actuelles d’observation étant insuffisantes, il est probable que ce chiffre est un minimum. §5 Les conditions sociales de l’exploitation Le développement des grandes plantations agro-industrielles en Indonésie pose des problèmes que les études menées dans diverses autres régions du pays ont très bien pointés : - rémunération économique ou niveau des salaires des ouvriers en relation avec le salaire minimum régional (Upah Minimum Provinsi) ; - dérogations quant au respect des horaires de travail ; - “protection tutélaire” de la compagnie, c’est-à-dire prise en charge d’aspects sociaux par la firme, comme le logement (pondok ou logement des ouvriers), la santé (hôpital ou clinique), la scolarisation des enfants, les lieux de culte, les terrains de sport, les coopératives d’épargne et le crédit bancaire. Tous ces élements sont en quelque sorte le pendant de l’engagement des ouvriers dans le capitalisme de la firme de plantation. - la question des retraites est centrale, car depuis l’adoption du Jamsostek ou système libéral de retraite par fonds de pension, les conditions de prise en charge ont évolué, avec la nécessité de quitter le logement mis à disposition à l’âge de 55 ans, parce que c’est une condition pour pouvoir toucher la retraite. On a, cependant, observé que l’essor des grandes plantations à Sumatra et Kalimantan s’est accompagné d’une paix sociale due au relâchement du contôle, au développement d’un secteur d’activités privées que les salariés pratiquent pour anticiper leur retraite et à l’accession à la propriété privée (Barral 2013, p. 66). Sur ce dernier point, il faut noter que l’absence d’un

marché foncier bien régulé favorise les appropriations de parcelles périphériques aux grandes plantations. §6 Aux secteurs agro-industriels des grandes plantations, il faut ajouter d’assez nombreux exemples de diffusion discrète du palmier à huile dans des zones marginales par rapport aux périmètres agro-industriels. Ces exemples ne sont pas ici cartographiés. La capture suivante, en donne une illustration à titre d’exemple, dans le secteur de Jayapura. On y voit, de gauche à droite de l’image aérienne, et dans un milieu globalement forestier : - un hameau ; - au centre, une petite zone d’agriculture traditionnelle, avec le pointillé des minuscules cultures sur buttes ; - à droite de l’image, une zone de palmiers, d’environ 2 hectares, comprenant approximativement 200 arbres.

Fig. 2 - Un exemple d’association entre un hameau forestier et une petite plantation de palmiers.

§7 Selon les cas, le secteur d’agriculture individuelle peut être tenu de façon fort différente, selon qu’il s’agit de migrants qui ne prennent que progressivement contrôle de la terre, ou d’ethnies locales, connaissant bien leurs milieux, et qui poursuivent leurs modes collectifs et coutumiers de gestion du foncier. On a observé que les populations d’ouvriers agricoles des plantations n’accédaient au foncier qu’au prix de stratégies d’accumulation financières diversifiées, impliquant le travail en dehors de la famille et dans la famille, en lien et hors du lien avec la firme. Mais, à Sumatra et Kalimantan, au terme de longues périodes d’épargne et d’ascension sociale jouant sur deux générations, on a pu parler, de déprolétarisation, et faire de l’accès à la propriété un puissant moteur de cette déprolétarisation (Barral 2013). Est-ce l’évolution qui se dessine dans un front pionnier plus récent comme celui de Papouasie ? §8 Une statistique portant sur l’ensemble de l’Indonésie estime qu’en 2001 la répartition des types d’exploitation était la suivante (J. Clerc dans Burnod et Colin 2012) :

- 1,143 000 ha étaient détenus par de petits producteurs (contre 1000 en 1981) ; - 1,9 million d’ha relèvent d’entreprises privées ; - 534 000 ha sont gérés par des compagnies publiques. Dans la première catégorie, il s’agit de contrats particuliers.

« Contrat de production “plantation clés en main” : l'entreprise réalise la plantation avant de la transférer aux producteurs, avec un remboursement ultérieur par ces derniers des coûts de création, et en ne retournant aux anciens propriétaires fonciers, sous forme de superficie plantée, qu'une partie des terres qui avaient été prélevées sur leur patrimoine foncier. Elle apporte une aide au producteur sous forme d'intrants, de crédit, d'assistance technique, et assure le débouché pour la production. » (J. Clerc dans Burnod et Colin 2012, p. 101).

À défaut d’une étude des variations régionales de ce schéma d’ensemble pour l’Indonésie, on peut néanmoins supposer qu’en Papouasie, la faible densité de l’occupation limite les possibilités d’association entre les entreprises privées et publiques et les petits producteurs. Sur le plan morphologique, les secteurs affectés aux petits producteurs, anciennement installés, se repèrent par la division régulière en lots (par exemple par l’emploi de parcelles carrées de un hectare), et par la microdivision du parcellaire d’exploitation au sein des lots, avec le recours à des formes de drainage, à des planches surélevées pour lutter contre l’humidité. §9

Les nouveaux projets forestiers et agro-industriels Les concessions forestières en Nouvelles Guinée occidentale La carte suivante recense 74 concessions forestières.

Fig. 3 - Carte des concessions forestières en Nouvelle Guinée ocidentale

§10 Les entreprises concernées Sensibles entre 2000 et 2005, la croissance des exploitations agro-industrielles est très forte depuis les années 2005-2006, parce qu’on assiste à une accélération du plan gouvernemental de développement des biocarburants. L’un des objectifs est de faire de l’Indonésie le premier producteur d’huile de palme au monde, devant la Malaysie. Cette accélération ne peut se produire qu’en Nouvelle Guinée occidentale, là où se trouvent des espaces “disponibles” potentiellement exploitables et en raison de la saturation des autres îles de l’archipel indonésien. Alors que chaque compagnie est autorisée à pouvoir exploiter entre 20 000 et 100 000 ha par province, elle a droit au double dans la Province de Papouasie (Minister of Agriculture Regulation No.26/Permentan/OT.140/2/2007 ; cité par Up to grabs, p. 6 et note 19). Quelques exemples d’entreprises intéressées : Carbon Positive, entreprise britannique. Projet de plantation d’agroforesterie de 160 000 ha. Kayu Lapis Indonesia Group (KLI) Le plus gros opérateur d’agroforesterie dans la région de Sorong Par sa filiale PT Intimpura Timber Co, il possède une concession de 333 000 ha Ses filiales pour l’huile de palme sont : PT Henrison Inti Persada (HIP), PT Inti Kebun Sejahtera (IKS), PT Inti Sebun Sawit ; PT Inti Kebun Lestari. Elles mettent en valeur 142 000 hectares de plantations. Population papoue concernée par les implantations : les Malamooi (ou Mooi). Sinar Mas Projet, depuis 2005, de 500 000 ha de plantations d’huile de palme pour l’ensemble de l’Indonésie (base Land Matrix n° 166). Autre projet, depuis 2009, de 1 100 000 ha en association avec Muting Huau Rajawali Group (localisation non précisée) : maïs, huile de palme, sucre (Land Matrix n° 184). Genting Group ou Genting Plantations, groupe de Malaysie Projet de 121 000 ha pour la production d’huile de palme (base Land Matrix n° 188). Medco Group (Manokwari), entreprise indonésienne. Avec des financements sud-coréens (venant de l’entreprise LG International), il est envisagé un projet géant de production de pellets de bois sur 1 million d’ha (information 2012). PT Perkebunan Nusantara District de Prafi, à Manokwari ; nouvelle plantation dans le district de Keerom ouverte en 1996. Autres entreprises PT Citra Borneo Indah (de Abdul Rasyid) Api Metra Palma Pour la zone de Merauke, on trouvera une liste détaillée des entreprises concernées dans la fiche correspondante.

§11 Evaluation de la pertinence de l’atlas proposé Diverses limites doivent être dites qui ne permettent pas d’avoir une vue équilibrée et à jour de la situation du front pionnier agro-industriel de Nouvelle Guinée occidentale : - les misisons consultables ne sont pas toutes récentes et l’observation est très inégale ; - les missions consultables ne sont pas toutes à haute résolution et la qualité de la lecture en est affectée d’autant : ainsi, dans les zones les moins bien couvertes, on devine plus les villages et les plantations qu’on ne les voit réellement, alors que dans les zones très bien couvertes, on peut compter individuellement les palmiers. Il faudra donc tenir compte des mises à jour futures des géoportails afin de pouvoir travailler dans de meilleures conditions. - l’absence d’une cartographie détaillée et fiable consultable sur internet pose aussi d’énormes problèmes pour identifier les sites mentionnés dans les études : beaucoup de villages cités sont aninymes ; tenir compte aussi du fait que l’orthographe des noms est variable et source de possibles confusions.

Note rédigée par Gérard Chouquer en mai 2013 §12 Bibliographie Sites internet : Global Forest Watch Land Matrix (http://landportal.info/landmatrix) Etudes : An Agribusiness Attack in West Papua : unravelling the Merauke Integrated Food and Energy Estate, ed par Awasmifee, avril 2012, 48 p. disponible sur internet Des plantations d’arbres dans le Sud pour générer de l’énergie dans le Nord. Une nouvelle menace pour les communautés et les forêts, publication du Mouvement mondial pour les forêts tropicales (World Rain Forest Movement WRM), février 2013, 143 p. Barral 2013 = Stéphaie BARRAL, Plantations de palmiers à huile en Indonésie et déprolétarisation, dans Etudes rurales, n° 190, juillet-décembre 2012, p. 63-76. Burnod et Colin (coord.) 2012 = Perrine BURNOD et Jean-Philippe COLIN, Grands investissements agricoles et inclusion des petits producteurs : leçons d’expérience dans 7 pays du sud, étude CIRAD-FAO, décembre 2012, 113 p. (voir Annexe 2, p. 92-94) ; disponible sur internet : http://www.commercialpressuresonland.org/sites/default/files/FULL%20REPORT.pdf Ginting et Pye 2011 = Longgena GINTING et Oliver PYE, « Resisting Agribusiness Development : the Merauke Integrated Food and Energy Estate in West Papua, Indonesia », communication à la conférence Global Land Grabbing, 6-8 avril 2011. disponible sur internet. non paginé (17 pages) Peatland and forest at serious risk from Merauke food and energy estate development, rapport de Greenomics Indonesia, 15 février 2012, 6 pages. Disponible sur internet Up for Grabs. Deforestation and Exploitation in Papua’s Plantations Boom, rapport de Environmental Investigation Agency et Telapak, Londres, novembre 2009, 26 p.