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Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens Eu r o p e a n Ba r Hu m a n R i g h t s In s t i t u t e EXPRESS – INFO 06 / 20 09 J J J U U U I I I N N N 2 2 2 0 0 0 0 0 0 9 9 9 D D D A A A N N N S S S C C C E E E N N N U U U M M M E E E R R R O O O : : : LIBERTE D'EXPRESSION Article 10 VEREIN GEGEN TIERFABRIKEN SCHWEIZ (VGT) c. SUISSE (n° 2) [GC]…………………….………………......1 STANDARD VERLAGS GMBH c. Autriche (n° 2)….….3 SORGUÇ c. TURQUIE……………………….......……….4 CIHAN ÖZTÜRK c. TURQUIE…………….………….5 BODROZIC ET VUJIN c. SERBIE………………………7 PROCES EQUITABLE- Article 6 LAWYER PARTNERS, A.S. c. SLOVAQUIE………..7 DUBUS S.A. c. France …………………………….…....…8 SILVESTRI c. ITALIE ……………………………………9 CODARCEA c. ROUMANIE…………………..……..10 PRESOMPTION D'INNOCENCE BOROVSKY c. SLOVAQUIE……………………..…….12 PAS DE PEINE SANS LOI Article 7 LIIVIK c. ESTONIE……………………………….….….12 DROIT A NE PAS ETRE PUNI OU JUGE DEUX FOIS RUOTSALAINEN c. FINLANDE………………...……..13 Article 8 KVASNICA c. SLOVAQUIE ……………………………16 SZULUK c. ROYAUME -UNI………………………..….17 TRAITEMENTS INHUMAINS Article 3 BEGANOVIC c. CROATIE ….………………………….16 S.D. c. GRÈCE ………………………………………....…18 DROIT A DES ELECTIONS LIBRES Article 3 du Protocole n° 1 PETKOV ET AUTRES c. BULGARIE ……….…..19 DROIT A LA VIE Article 2 OPUZ c. TURQUIE ………………………………...……21 DROIT A DES ELECTIONS LBRES HERRI BATASUNA ET BATASUNA c. ESPAGNE ETXEBERRIA ET AUTRES c. ESPAGNE HERRITARREN ZERRENDA c. Espagne…………..…23 ALERTE URGENTE AVOCATS….……………........…26 VIENT DE PARAITRE ………………………………….28 L L L I I I B B B E E E R R R T T T E E E D D D ' ' ' E E E X X X P P P R R R E E E S S S S S S I I I O O O N N N L’article 10 de la Convention FORCE OBLIGATOIRE DES ARRÊTS DE LA COUR DEMANDE DE REVISION D'UN ARRET DEFINITIF INTERNE ROLE DU COMITE DES MINISTRES ELEMENT NOUVEAU Maintien d'une interdiction de diffusion d'un spot publicitaire ayant fait l'objet d'un précédent constat de violation par décision de la Cour la déclarant contraire à la liberté d’expression. Compte tenu de l’importance de l’exécution effective des arrêts de la Cour, dans le système de la Convention, un pays a l’obligation d’exécuter de bonne foi l’arrêt de 2001 en se conformant tant à ses conclusions qu’à son esprit. VEREIN GEGEN TIERFABRIKEN SCHWEIZ (VGT) c. SUISSE (n° 2) 30.06.2009 GRANDE CHAMBRE violation de l’article 10 L’association Verein Gegen Tierfabriken Schweiz (VgT), association suisse de protection des animaux, qui milite notamment contre l’expérimentation animale et l’élevage en batterie avait introduit une première requête devant la Cour qui, par un arrêt du 28 juin 2001 (n o 24699/94), déclara le refus des autorités suisses de diffuser le spot litigieux contraire à la liberté

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Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens

E u r o p e a n B a r H u m a n R i g h t s I n s t i t u t e

EXPRESS – INFO n °0 6 / 20 0 9

JJJUUUIIINNN 222000000999 DDDAAANNNSSS CCCEEE NNNUUUMMMEEERRROOO :::

LIBERTE D'EXPRESSION

Article 10

VEREIN GEGEN TIERFABRIKEN SCHWEIZ (VGT) c. SUISSE (n° 2) [GC]…………………….………………......1 STANDARD VERLAGS GMBH c. Autriche (n° 2)….….3 SORGUÇ c. TURQUIE……………………….......……….4 CIHAN ÖZTÜRK c. TURQUIE…………….…………….5 BODROZIC ET VUJIN c. SERBIE………………………7

PROCES EQUITABLE-

Article 6

LAWYER PARTNERS, A.S. c. SLOVAQUIE…………..7 DUBUS S.A. c. France …………………………….…....…8 SILVESTRI c. ITALIE ……………………………………9 CODARCEA c. ROUMANIE…………………..………..10

PRESOMPTION D'INNOCENCE

BOROVSKY c. SLOVAQUIE……………………..…….12 PAS DE PEINE SANS LOI

Article 7

LIIVIK c. ESTONIE……………………………….….….12 DROIT A NE PAS ETRE PUNI OU JUGE DEUX FOIS

RUOTSALAINEN c. FINLANDE………………...……..13 Article 8

KVASNICA c. SLOVAQUIE ……………………………16 SZULUK c. ROYAUME -UNI………………………..….17

TRAITEMENTS INHUMAINS

Article 3

BEGANOVIC c. CROATIE ….………………………….16 S.D. c. GRÈCE ………………………………………....…18

DROIT A DES ELECTIONS LIBRES

Article 3 du Protocole n° 1

PETKOV ET AUTRES c. BULGARIE …………….…..19 DROIT A LA VIE

Article 2

OPUZ c. TURQUIE ………………………………...……21 DROIT A DES ELECTIONS LBRES

HERRI BATASUNA ET BATASUNA c. ESPAGNE ETXEBERRIA ET AUTRES c. ESPAGNE HERRITARREN ZERRENDA c. Espagne…………..…23

ALERTE URGENTE AVOCATS….……………........…26 VIENT DE PARAITRE ………………………………….28

LLLIIIBBBEEERRRTTTEEE DDD'''EEEXXXPPPRRREEESSSSSSIIIOOONNN

L’article 10 de la Convention FORCE OBLIGATOIRE DES ARRÊTS DE

LA COUR DEMANDE DE REVISION D'UN ARRET

DEFINITIF INTERNE ROLE DU COMITE DES MINISTRES

ELEMENT NOUVEAU Maintien d'une interdiction de diffusion d'un spot

publicitaire ayant fait l'objet d'un précédent constat de violation par décision de la Cour la déclarant contraire à la liberté d’expression.

Compte tenu de l’importance de l’exécution effective des arrêts de la Cour, dans le système de la Convention, un pays a l’obligation d’exécuter

de bonne foi l’arrêt de 2001 en se conformant tant à ses conclusions qu’à son esprit. VEREIN GEGEN TIERFABRIKEN SCHWEIZ (VGT) c. SUISSE (n° 2)

30.06.2009 GRANDE CHAMBRE violation de l’article 10

L’association Verein Gegen Tierfabriken Schweiz (VgT), association suisse de protection des animaux, qui milite notamment contre l’expérimentation animale et l’élevage en batterie avait introduit une première requête devant la Cour qui, par un arrêt du 28 juin 2001 (no

24699/94), déclara le refus des autorités suisses de diffuser le spot litigieux contraire à la liberté

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d’expression. Elle conclut à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention et alloua à l’association requérante 20 000 francs suisses (CHF), soit environ 12 000 EUR, pour frais et dépens. VgT avait conçu un spot télévisé pour réagir contre diverses publicités émanant de l’industrie de la viande, en mettant notamment en scène un hangar bruyant où des porcs étaient parqués dans de minuscules enclos. La diffusion de ce spot télévisé fut refusée en 1994 par l'organisme chargé de la publicité à la télévision (AG für das Werbefernsehen), devenue « Publisuisse SA », et, en dernière instance, par le Tribunal fédéral, qui rejeta un recours de droit administratif de l’association requérante le 20 août 1997. A la suite de l’arrêt de la Cour du 28 juin 2001, la requérante saisit le Tribunal fédéral d’une demande de révision de l’arrêt définitif interne interdisant la diffusion du spot. Par un arrêt du 29 avril 2002, le Tribunal fédéral rejeta la demande de révision jugeant notamment que la société requérante n’avait pas démontré qu’il existait encore un intérêt à ce que le spot soit diffusé. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, qui est chargé de surveiller l’exécution des arrêts de la Cour, n’avait pas été informé du rejet de la demande de révision par le Tribunal fédéral et mit ainsi fin à l’examen de la première requête (no

24699/94) de la requérante en adoptant en juillet 2003 une résolution finale. Cette dernière soulignait toutefois la possibilité d’une demande de révision devant le Tribunal fédéral. En juillet 2002, l’association requérante introduisit la présente requête devant la Cour concernant le rejet de sa demande de révision par le Tribunal Fédéral et le maintien de l’interdiction de la diffusion de son spot télévisé. L’association requérante allègue que le maintien de l’interdiction de la diffusion du spot litigieux malgré l’arrêt de la Cour du 28 juin 2001, constatant une atteinte à sa liberté d’expression, constitue une nouvelle violation de l’article 10 de la Convention. Décision de la Cour Sur la recevabilité de la requête

Selon le Gouvernement suisse la requête était irrecevable, d’une part, parce que l’association requérante n’avait pas épuisé les voies de recours internes, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention et, d’autre part, car elle portait sur une matière – l’exécution des arrêts de la Cour – qui, en vertu de l’article 46, appartient à la compétence exclusive du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. En ce qui concerne le premier point, confirmant les conclusions de l’arrêt de chambre, la Cour

relève que les voies de recours internes avaient effectivement été épuisées car le Tribunal Fédéral, dans son arrêt du 29 avril 2002 rejetant la demande de révision de l’association requérante, s’était prononcé, fut-il brièvement, sur le fond de l’affaire. Sur le deuxième point, la Cour rappelle que ses constats de violation revêtent un caractère essentiellement déclaratoire, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution. Le rôle du Comité des Ministres dans ce domaine ne signifie pas pour autant que les mesures prises par un Etat défendeur en vue de remédier à une violation constatée par la Cour ne puissent pas soulever un problème nouveau et, dès lors, faire l’objet d’une nouvelle requête. En l’espèce, l’arrêt du Tribunal fédéral du 29 avril 2002 ayant rejeté la demande de révision de l’association requérante se fondait sur des motifs nouveaux et doit s’analyser comme un élément nouveau, dont le Comité des Ministres n’avait pas été informé et qui serait soustrait à tout contrôle au titre de la Convention si la Cour ne pouvait pas en connaître. Cette exception préliminaire du Gouvernement est par conséquent également rejetée. Sur le fond

La Cour rappelle que la liberté d’expression constitue l’une des conditions préalables au bon fonctionnement de la démocratie et que l’exercice réel et effectif de cette liberté ne dépend pas simplement du devoir de l’Etat de s’abstenir de toute ingérence mais peut exiger également des mesures positives. En l’espèce, compte tenu de l’importance de l’exécution effective des arrêts de la Cour, dans le système de la Convention, la Suisse avait l’obligation d’exécuter de bonne foi l’arrêt de 2001 en se conformant tant à ses conclusions qu’à son esprit. A cet égard, la réouverture de la procédure interne a certes constitué une démarche importante aux fins de l’exécution de l’arrêt mais elle ne peut certainement pas être considérée comme une fin en soi. En l’absence de motifs nouveaux pouvant justifier, dans le cadre de l’article 10, le maintien de l’interdiction, les autorités suisses avaient en effet l’obligation d’autoriser la diffusion du spot, sans par ailleurs substituer leur jugement à celui de la société requérante quant à la persistance d’un intérêt du public pour le débat en question. La Cour conclut, par 11 voix contre six, par conséquent à une nouvelle violation de l’article 10.

Verein Gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2),[GC] no 32772/02 30/06/2009 Exception préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Exception préliminaire rejetée (incompétence) ; Violation de l'art. 10 Opinions

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Séparées: Le juge Malinverni a exprimé une opinion dissidente, à la quelle se sont ralliés les juges Bîrsan, Myjer et Berro-Lefèvre. Les juges Sajó et Power ont chacun également exprimé une opinion dissidente. Droit en Cause Articles 139a et 140 de l’ancienne loi fédérale d’organisation judiciaire ; Article 122 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral de 2005 Jurisprudence : Appleby et autres c. Royaume-Uni, no 44306/98, § 40, CEDH 2003-VI ; Assanidzé c. Georgie [GC], no 71503/01, § 198 et § 202, CEDH 2004-II ; Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999-V ; Castells c. Espagne du 23 avril 1992, série A no 236, § 43 ; Claes et autres c. Belgique, nos 46825/99, 47132/99, 47502/99, 49010/99, 49104/99, 49195/99 et 49716/99, § 53, 2 juin 2005 ; Dammann c. Suisse, no 77551/01, § 52, 25 avril 2006 ; Editions Plon c. France, no 58148/00, § 53, CEDH 2004-IV ; Folgerø et autres c. Norvège (déc.), no 15472/02, du 14 février 2006 ; Fuentes Bobo c. Espagne, no 39293/98, § 38, 29 février 2000 ; Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 ; Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49, série A no 24 ; Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, §§ 98 et suiv., CEDH 2003-VIII ; Hertel c. Suisse (déc.), no 3440/99, CEDH 2002-I ; Krcmár et autres c. République tchèque (déc.), no 69190/01, 30 mars 2004 ; Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII ; Leterme c. France, 29 avril 1998, Recueil 1998-III ; Lingens c. Autriche du 8 juillet 1986, série A no 103, § 42 ; Lyons et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 15227/03, CEDH 2003-IX, p. 422 et p. 431 ; Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979, § 31, série A no 31, § 58 ; Mehemi c. France (no 2), no 53470/99, § 43, CEDH 2003-IV ; Monnat c. Suisse, no 73604/01, § 55 et § 58, CEDH 2006-X ; Murphy c. Irlande, no 44179/98, § 72, CEDH 2003-IX (extraits) ; Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV ; Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, § 116 ; Özgür Gündem c. Turquie, no 23144/93, §§ 42-46, CEDH 2000-III ; Pailot c. France, 22 avril 1998, Recueil 1998-II, § 57 ; Papamichalopoulos et autres c. Grèce (ancien article 50), arrêt du 31 octobre 1995, série A no 330-B, § 34 ; Pauger c. Autriche, no 24872/94, décision de la Commission du 9 janvier 1995, Décisions et rapports 80-A, p. 170 ; Pelladoah c. Pays-Bas, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 297-B, § 44 ; Popov c. Russie, no 26853/04, § 263, 13 juillet 2006 ; Rando c. Italie, no 38498/97, § 17, 15 février 2000 ; Saïdi c. France, arrêt du 20 septembre 1993, série A no 261-C, § 47 ; Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII ; Sørensen et Rasmussen c. Danemark [GC], nos 52562/99 et 52620/99 CEDH 2006-I, § 58 ; Sunday Times c. Royaume-Uni (no 2), 26 novembre 1991, § 51, série A no 217 ; Thorgeir Thorgeirson c. Islande du 25 juin 1992, série A no 239, § 63 ; Verein gegen Tierfabriken (VgT) c. Suisse, n° 24699/94, § 75, CEDH 2001-VI ; Wingrove c. Royaume-Uni, arrêt du 25 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, § 58 ; Young, James et Webster c. Royaume-Uni, arrêt du 13 août 1981, série A no 44, § 49 L’arrêt existe en français et en anglais.)

Les juridictions autrichiennes ont justifié

l’ingérence dans le droit de la société requérante à la liberté d’expression : mettant en balance les

divers intérêts en jeu, elles ont dûment pris en compte la qualité de personnalités publiques des

plaignants, et n’en ont pas moins conclu que l’article litigieux ne contribuait à aucun débat

d’intérêt général. STANDARD VERLAGS GMBH c.

AUTRICHE (no 2) 04.06.2009

Non -violation de l’article 10

En 2004, le quotidien Der Standard publia un article intitulé « Potins mondains ». Cet article faisait état de rumeurs circulant dans « le gratin de la société viennoise » selon lesquelles Mme

Klestil-Löffler, l’épouse du président autrichien de l’époque, avait l’intention de divorcer et avait des liaisons avec deux hommes, dont Herbert Scheibner, chef du groupe parlementaire FPÖ. Le couple présidentiel poursuivit alors Der Standard en justice en vertu des articles 6 et 7 de la loi sur les médias. Le tribunal pénal régional de Vienne leur donna gain de cause par un jugement du 15 juin 2004 et condamna la société requérante à verser 5 000 euros (EUR) de dommages-intérêts à M. Klestil et 7 000 EUR à Mme Klestil-Löffler, ainsi qu’à publier le jugement. Le tribunal régional estima que Der Standard avait fait état d’un domaine strictement personnel de la vie du couple – en alléguant que Mme Klestil-Löffler était doublement adultère et que M. Klestil était un mari trompé – ce qui avait très probablement nui à leur image auprès du public. Der Standard avait avancé comme moyen de défense que l’article se contentait de rapporter une rumeur ; le tribunal régional considéra que la seule diffusion d’une rumeur pouvait porter atteinte à l’article 7 de la loi sur les médias si elle donnait l’impression que les bruits en question avaient quelque fondement. S’appuyant encore sur la loi sur les médias, les tribunaux autrichiens refusèrent de considérer des preuves pour vérifier si les rumeurs en question circulaient déjà à ce moment là ; ils écartèrent l’argument de la société requérante selon lequel l’article avait trait à la vie publique. En particulier, ils firent une distinction entre les problèmes conjugaux prétendument rencontrés par une personnalité publique et son état de santé, susceptible d’avoir une incidence sur l’exercice de ses fonctions. La société requérante interjeta appel ; elle alléguait en particulier que le couple présidentiel avait, comme aucun auparavant, tenu le public informé de sa vie privée dont elle avait fait une « stratégie marketing ». Elle soutenait aussi que

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 06/2009 4

l’article cherchait à se moquer des ragots de la société bourgeoise. La cour d’appel de Vienne confirma toutefois par un arrêt du 20 janvier 2005 le jugement du 15 juin 2004. De même, le tribunal régional donna gain de cause à M. Scheibner au terme de la procédure qu’il avait intentée en juin 2004. Il observa que l’article avait fait état de la liaison que M. Scheibner aurait entretenue avec Mme Klestil-Löffler, question strictement personnelle et sans rapport avec les fonctions publiques qu’il exerçait, risquant ainsi de ternir son image auprès du public. Là encore, la cour d’appel confirma l’interprétation que le tribunal régional avait donnée de la teneur de l’article. Invoquant l’article 10, la société requérante se plaignait des décisions des juridictions autrichiennes dans les procédures dont elle avait fait l’objet. Décision de la Cour Il ne prête pas à controverse entre les parties que l’ingérence dans le droit de la société requérante à la liberté d’expression était « prévue par loi » (la loi sur les médias) et visait le but légitime de protéger les droits et la réputation d’autrui. La Cour rappelle que le droit du public à être informé peut, dans des cas particuliers, s’étendre à certains aspects de la vie privée de personnalités publiques, en particulier des hommes ou femmes politiques. Toutefois, en l’espèce, les juridictions autrichiennes ont justifié l’ingérence dans le droit de la société requérante à la liberté d’expression. En particulier, mettant en balance les divers intérêts en jeu, elles ont dûment pris en compte la qualité de personnalités publiques des plaignants, et n’en ont pas moins conclu que l’article litigieux ne contribuait à aucun débat d’intérêt général. La distinction qu’elles ont faite est convaincante, entre des informations sur la santé d’une personnalité politique – qui pourrait être une question d’intérêt général – et des ragots sur son mariage. Au demeurant, la société requérante n’a à aucun moment allégué que les rumeurs étaient fondées. Estimant donc que même des personnalités publiques peuvent légitimement escompter être protégées contre la propagation de rumeurs concernant des aspects intimes de leur vie privée, la Cour conclut que l’ingérence litigieuse était nécessaire, dans une société démocratique, pour la protection de la réputation et des droits d’autrui. En outre, les sanctions à l’encontre de la société requérante n’étaient pas disproportionnées. La Cour conclut, par cinq voix contre deux, à la non-violation de l’article 10 de la Convention en ce qui concerne la publication d’un article qui

avait fait état de rumeurs sur le mariage du président autrichien de l’époque.

Standard Verlags Gmbh c. Autriche (No. 2) n° 21277/05 04/06/2009 Non-violation de l'art. 10 Opinions Séparées : Le juge Jebens a exprimé une opinion dissidente à laquelle le juge Spielmann s’est rallié Jurisprudence : Éditions Plon c. France, n° 58184/00, §§ 42, et 43, 53, CEDH 2004-IV ; Standard Verlags GmbH c. Autriche, n° 13071/03, §§ 33-34, 2 novembre 2006 ; Tammer c. Estonie, n° 41205/98, § 68, CEDH 2001-I ; Von Hannover c. Allemagne, n° 59320/00, §§ 60, 62-63, 64, 65 et 69, CEDH 2004-VI (L'arrêt n'existe qu'en anglais.)

LIBERTE D’EXPRESSION DANS LE CADRE DE SON TRAVAIL

UNIVERSITAIRE La liberté universitaire comprend notamment la

liberté pour un universitaire d’exprimer librement son avis au sujet de l’institution ou du système au sein desquels il travaille et de diffuser

des connaissances et répandre la vérité sans restriction.

SORGUÇ c. TURQUIE 23/06/2009

violation de l’article 10

Lors d’une conférence universitaire tenue en 1997, Dogan Sorguç, est professeur de gestion de la construction à l’université technique d’Istanbul, distribua un article dans lequel il critiquait la procédure de sélection des professeurs assistants, sans citer de noms précis. Au cours de la même année, N.C.A., un professeur assistant, intenta contre le requérant une procédure civile en réparation en alléguant que certains des commentaires figurant dans l’article constituaient une atteinte à sa réputation. N.C.A. fut par la suite révoqué de son poste universitaire pour incompétence professionnelle et incompatibilité entre ses valeurs personnelles et celles de l’université. Le tribunal de première instance donna gain de cause au requérant, considérant que ses déclarations n’étaient qu’une critique du système et des institutions universitaires. Après que N.C.A. eut formé un recours, le tribunal de deuxième instance, sans examiner sa révocation de l’université, se prononça contre le requérant car il considérait que les déclarations de ce dernier avaient porté atteinte à la réputation de N.C.A. Il condamna M. Sorguç à payer 3 455 215 000 anciennes livres turques, soit environ 1 600 EUR – somme qui englobait l’indemnisation proprement dite, les intérêts et les frais de justice – au titre du dommage moral que l’intéressé était jugé avoir causé à N.C.A.

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 06/2009 5

Invoquant notamment l’article 10, le requérant dénonçait la décision des juridictions internes le jugeant coupable de diffamation. Décision de la Cour La Cour juge que M. Sorguç a exprimé une opinion sur une question importante d’intérêt général, à savoir le système de nominations et de promotion à l’université. Sachant qu’il avait formulé ses déclarations en se fondant sur son expérience personnelle et que les informations qu’il avait divulguées étaient déjà connues dans les milieux universitaires, son discours contenait des jugements de valeur se prêtant à une démonstration de leur véracité, au moins partiellement. Or les tribunaux turcs ne lui ont pas donné l’occasion d’étayer ses déclarations mais ont conclu qu’elles constituaient une atteinte à la réputation de N.C.A. Ils ont donc accordé plus d’importance à la protection d’un individu anonyme, jusqu’à lui octroyer une indemnité assez conséquente, qu’à la liberté d’expression dont doit normalement bénéficier un universitaire dans le cadre d’un débat public. La Cour souligne l’importance de la liberté universitaire, qui comprend notamment la liberté pour un universitaire d’exprimer librement son avis au sujet de l’institution ou du système au sein desquels il travaille et de diffuser des connaissances et répandre la vérité sans restriction. Partant, elle conclut à la violation de l’article 10.

Sorguç c. Turquie no 17089/03).23/06/2009 Violation de l'art. 10 ; Dommage matériel et préjudice moral - réparation Jurisprudence : Association Ekin c. France, n° 39288/98, § 56, CEDH 2001-VIII ; Balçik et autres c. Turquie, n° 25/02, § 65, 29 novembre 2007 ; Boldea c. Roumanie, n° 19997/02, § 56, CEDH 2007-... (extraits) ; Feldek c. Slovaquie, n° 29032/95, § 86, CEDH 2001-VIII ; Jerusalem c. Autriche, n° 26958/95, § 43, CEDH 2001-II ; K.Ö. c. Turquie, n° 71795/01, § 50, 11 décembre 2007 ; Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 46, série A n° 103 ; Mehmet et Suna Yigit c. Turquie, n° 52658/99, § 43, 17 juillet 2007 ; Oberschlick c. Autriche (n° 1), 23 mai 1991, § 63, série A n° 204 ; Perna c. Italie [GC], n° 48898/99, § 39, CEDH 2003-V ; Steel et Morris c. Royaume-Uni, n° 68416/01, § 96, CEDH 2005-II ; Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, § 49, série A n° 316-B (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

Une condamnation pour avoir écrit un article critiquant le comportement de l’ancienne

directrice du service postal national à la retraite risquait de dissuader d’autres personnes de

critiquer les titulaires de fonctions publiques et de restreindre la libre circulation de

l’information et des idées. . CIHAN ÖZTÜRK c. TURQUIE

23/06/2009 violation de l’article 10

Publié dans un magazine à but non lucratif du service national des postes en mai 2000, un article accusait le service postal national de négligence dans la conduite d’un projet de restauration d’un bureau de poste classé, et imputait à l’ancienne directrice de ce service le délabrement et l’effondrement partiel de l’édifice. L’ancienne directrice engagea des poursuites contre le rédacteur en chef du magazine en vue de le contraindre à publier sa réponse aux allégations contenues dans l’article incriminé. Elle obtint gain de cause. Par la suite, elle intenta une action en dommages-intérêts contre M. Öztürk et le rédacteur en chef au motif que l’article en question était discriminatoire et attentatoire à sa réputation. En novembre 2001, le tribunal compétent estima que ces derniers avaient outrepassé les limites de la critique acceptable à l’égard de la demanderesse en formulant des déclarations humiliantes sous-entendant que celle-ci avait accepté des pots-de-vin. Il les condamna solidairement à lui verser 500 EUR environ de dommages-intérêts. M. Öztürk paya une somme près de deux fois supérieure en principal, frais de justice et intérêts. En décembre 2001, il interjeta appel de cette décision, en vain. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) et l’article 10 M. Öztürk alléguait que les décisions des juridictions internes le condamnant à des dommages-intérêts avaient manqué d’équité et indûment restreint sa liberté d’expression. Décision de la Cour Article 10

Compte tenu du ton ironique employé par l’auteur de l’article et du fait que celui-ci a été publié dans un magazine principalement destiné aux employés du service postal, la Cour estime que M. Öztürk a voulu sensibiliser ce lectorat à la question de la protection des monuments historiques. Il s’ensuit que les critiques contenues dans l’article litigieux doivent être comprises comme un moyen de diffuser des informations et des idées en vue de contribuer à un débat présentant un intérêt public légitime. Par ailleurs, en raison du caractère satirique de l’article en question, les allégations incriminées ne pouvaient être interprétées comme des accusations sérieuses de corruption. Dans ces conditions, les déclarations de M. Öztürk constituent des jugements de valeur qui, en principe, ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. En outre, les allégations litigieuses étaient fondées sur des faits qui étaient déjà connus du public à l’époque pertinente car les autorités avaient engagé des poursuites contre

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l’ancienne directrice du service postal pour manquement aux devoirs de sa charge dans le cadre du projet de restauration à l’origine de l’article. La Cour estime que l’injonction faite par les juridictions internes au rédacteur en chef de publier la lettre de l’ancienne directrice constituait une réparation suffisante en l’espèce. En revanche, la décision condamnant le requérant à verser à cette dernière une importante indemnité était disproportionnée car elle risquait de dissuader d’autres personnes de critiquer les titulaires de fonctions publiques et de restreindre la libre circulation de l’information et des idées. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

Cihan Öztürk c. Turquie no 17095/03 09/06/2009 Violation de l'art. 10 ; Dommage matériel - réparation ; Préjudice moral -demande rejetée Jurisprudence : Busuioc c. Moldova, no 61513/00, § 61, 21 décembre 2004 ; Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 50, CEDH 1999-I ; Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, § 42, CEDH 2001-II ; K.Ö. c. Turquie, no 71795/01, § 50, 11 décembre 2007 ; Mehmet et Suna Yigit c. Turquie, no 52658/99, § 43, 17 juillet 2007 ; Oberschlick c. Autriche (no 1), 23 mai 1991, § 58, série A no 204 ; Sokolowski c. Pologne, no 75955/01, § 48, 29 mars 2005 ; Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), 26 avril 1979, § 65, série A no 30 ; Thorgeir Thorgeirson c. Islande, 25 juin 1992, § 65, série A no 239 ; Timpul Info-Magazin et Anghel c. Moldova, no 42864/05, § 36, 27 novembre 2007 (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

L’analyse des tribunaux internes selon laquelle comparer un homme à une blonde constituait

une atteinte à l’intégrité et à la dignité masculines était inacceptable.

La condamnation pénale infligée aux requérants pour avoir fait usage de leur liberté

journalistique était excessive. BODROZIC ET VUJIN c. SERBIE

23.06.2009 Violation de l'article 10

Les requérants, journalistes de métier, publièrent deux articles dans le Kikindske. Le premier critiquait les condamnations pénales infligées à plusieurs journalistes pour diffamation et faisait notamment référence à un avocat connu en le qualifiant de « blonde » ; il contenait une photo d’une femme blonde en sous-vêtements accompagnée d’une anagramme du nom de l’avocat. Quant au second article, il condamnait le point de vue exprimé à la télévision publique par un historien connu au sujet de l’existence et de l’histoire des minorités nationales en Voïvodine,

qualifiant cet historien d’« idiot » et de « fasciste ». L’avocat et l’historien évoqués dans les articles engagèrent des procédures pénales contre les requérants pour injure. M. Bodrožic fut en outre attaqué en diffamation par l’historien parce que, lors de l’audience dans l’affaire d’injure, il avait qualifié ce dernier de « membre du mouvement fasciste en Serbie ». Les juridictions internes jugèrent les deux requérants coupables d’injure et M. Bodrožic coupable en outre de diffamation, et les condamnèrent à des amendes supérieures à 150 EUR. Dans la première affaire, elles dirent que le fait de traiter l’avocat de blonde constituait objectivement une insulte dans la société et, dans la seconde, que le fait de qualifier l’historien de fasciste et d’idiot n’avait pas d’autre but que de l’offenser. Invoquant notamment l’article 10, les requérants

se plaignaient d’avoir été condamnés au pénal en raison de la teneur d’articles qu’ils avaient écrits. Décision de la Cour Pour ce qui est du premier article, la Cour note que les requérants auraient pu purger 60 jours d’emprisonnement s’ils n’avaient pas pu payer l’amende qui leur avait été infligée. Si le texte de l’article et la photographie l’accompagnant étaient quelque peu moqueurs, on ne saurait considérer que, globalement, ils constituaient une injure personnelle gratuite envers l’avocat. Par ailleurs, l’analyse des tribunaux internes selon laquelle comparer un homme à une blonde constituait une atteinte à l’intégrité et à la dignité masculines était inacceptable. Etant donné que l’article désapprouvait de manière générale la pratique des juridictions internes consistant à réprimer la liberté d’expression des journalistes, les requérants ont soulevé une question importante d’intérêt général. L’avocat, une personnalité locale bien connue, aurait donc dû faire preuve d’une plus grande tolérance envers les critiques qui le visaient. Quant au second article, la Cour note que le requérant risquait une peine d’emprisonnement de 75 jours s’il n’avait pas pu payer l’amende. Elle juge que, même si le journaliste a effectivement utilisé des mots durs pouvant passer pour offensants, ses déclarations venaient en réaction à l’entretien provocateur donné par l’historien dans le cadre d’un débat libre sur une question d’intérêt général. L’article ne visait pas à attiser la violence ; les expressions utilisées par le requérant ne pouvaient être interprétées que comme des jugements de valeur et donc comme des opinions ne se prêtant pas à une démonstration de leur exactitude. L’historien, une personnalité connue ayant participé à des émissions télévisées, aurait

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dû prévoir qu’il risquait d’essuyer de vives critiques de la part d’un grand nombre de personnes. C’est pourquoi il aurait dû lui aussi faire preuve d’une plus grande tolérance dans ce contexte. Dès lors, la Cour conclut dans les deux affaires qu’en infligeant une condamnation pénale aux requérants pour les articles qu’ils avaient écrits, les autorités ont limité de manière excessive leur liberté d’expression, au mépris de l’article 10.

Bodrožic et Vujin c. Serbie no 38435/05 23/06/2009 Violation de l'art. 10 Jurisprudence Azevedo c. Portugal, n° 20620/04, § 33, 27 mars 2008 ; Cumpana et Mazare c. Roumanie, n° 33348/96, 17 décembre 2004, §§ 111-124 ; Cvetkovic c. Serbie, n° 17271/04, § 42, 10 juin 2008 ; Dalban c. Roumanie [GC], n° 28114/95, § 49, CEDH 1999-VI ; Filipovic c. Serbie, n° 27935/05, § 53, 20 novembre 2007 ; Jerusalem c. Autriche, n° 26958/95, CEDH 2001-II ; Lepojic c. Serbie, n° 13909/05, § 73, 6 novembre 2007 ; Lindon, Otchakovsky-Laurens et juillet c. France [GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 45, CEDH 2007-... ; Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], n° 23118/93, § 46, CEDH 1999-VIII ; Sokolowski c. Pologne, n° 75955/01, § 51, 29 mars 2005 ; Vogt c. Allemagne, arrêt du 26 septembre 1995, série A n° 323, pp. 25-26, § 52

Bodrožic c. Serbie no 33550/05 23/06/2009 Violation de l'art. 10 Jurisprudence : Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 42, série A n° 236 ; Cumpana et Mazare c. Roumanie, n° 33348/96, 17 décembre 2004, §§ 111-124 ; Dalban c. Roumanie [GC], n° 28114/95, § 49, CEDH 1999-VI ; Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 87-88, § 38 ; Dankevitch c. Ukraine, n° 40679/98, § 107, 29 avril 2003 ; Feldek c. Slovaquie, n° 29032/95, CEDH 2001-VIII ; Filipovic c. Serbie, n° 27935/05, 20 novembre 2007 ; Grinberg c. Russie, n° 23472/03, § 28-30, 21 juillet 2005 ; Jerusalem c. Autriche, n° 26958/95, CEDH 2001-II ; Lepojic c. Serbie, n° 13909/05, 6 novembre 2007). ; Lindon, Otchakovsky-Laurens et juillet c. France [GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 45, CEDH 2007-... ; Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A n° 103, § 46 ; Matijaševic c. Serbie, n° 23037/04, §§ 34-37, CEDH 2006-... ; Mayzit c. Russie, n° 63378/00, §§ 78-79, 20 janvier 2005 ; Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], n° 23118/93, § 46, CEDH 1999-VIII ; Oberschlick c. Autriche (n° 1), 23 mai 1991, § 63, série A n° 204 ; Oberschlick c. Autriche (n° 2), arrêt du 1 juillet 1997, Recueil 1997-IV ; Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], n° 49017/99, § 76, CEDH 2004-XI ; Sokolowski c. Pologne, n° 75955/01, § 51, 29 mars 2005 ; Vernillo c. France, arrêt du 20 février 1991, série A n° 198, pp. 11-12, § 27 ; Vogt c. Allemagne, arrêt du 26 septembre 1995, série A n° 32

PPPRRROOOCCCEEESSS

EEEQQQUUUIIITTTAAABBBLLLEEE L’article 6 de la Convention ACCES A UN TRIBUNAL

"EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES" "PROCEDURE CIVILE

Refus des juridictions internes d’inscrire au rôle des actions soumises par voie électronique

par la société requérante. LAWYER PARTNERS, A.S. c. SLOVAQUIE

16.06.2009 Violation de l'article 6

La requérante, Lawyer Partners a.s, est une société de droit privé à responsabilité limitée dont le siège se trouve à Bratislava. Entre 2005 et 2006, elle conclut avec la Compagnie radiophonique de Slovaquie des contrats lui conférant le droit de recouvrer le montant des redevances impayées dues par les titulaires de licences de réception de services radiophoniques, et ce dans 355 917 cas. Cette société fut contrainte d’attaquer en justice les personnes ayant refusé de payer la créance qu’elle avait acquis le droit de recouvrer. Elle prépara des actions individuelles où elle demandait que soient émis des ordres de paiement à l’encontre des débiteurs. En mars et juillet 2006, elle introduisit donc des actions auprès de plusieurs tribunaux de district. Vu le nombre de procédures individuelles – plus de 70 000 –, elle créa les actions au moyen d’un logiciel informatique et les enregistra sur des DVD qu’elle adressa aux tribunaux concernés avec une lettre explicative. Les tribunaux refusèrent d’inscrire ces actions au rôle au motif qu’ils ne disposaient pas du matériel nécessaire pour recevoir et traiter des demandes créées et signées par voie électronique. La Cour constitutionnelle rejeta les recours formés par la société requérante concernant ces refus – cette dernière alléguait à cet égard une violation du droit d’accès à un tribunal – au motif qu’elle avait été saisie en dehors du délai légal de deux mois. Le ministère de la Justice indiqua d’abord en avril 2006 que les juridictions ordinaires n’étaient pas équipées du matériel nécessaire pour recevoir des demandes par voie électronique. A la suite de rencontres avec les présidents de tribunaux de district et régionaux en novembre 2006 et février 2007, le ministère conclut toutefois qu’ils disposaient de l’équipement adéquat. Des informations sur la manière de procéder pour soumettre des demandes signées par voie électronique furent publiées sur le site internet du ministère de la Justice en octobre 2008.

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Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la société requérante dénonçait une violation de son droit d’accès à un tribunal en ce que les juridictions internes avaient refusé d’inscrire au rôle les actions qu’elle avait soumises par voie électronique. Décision de la Cour Même si le droit slovaque prévoyait d’autres moyens pour l’introduction de requêtes auprès des tribunaux, tels que le télégraphe, la télécopie, par écrit ou oralement, la seule possibilité qu’avait en pratique la société requérante de soumettre les 70 000 procédures individuelles était la voie électronique. En effet, si les documents enregistrés sur les DVD avaient été imprimés, ils auraient représenté plus de 40 millions de pages. La Cour rappelle que les juridictions internes avaient invoqué leur manque d’équipement pour traiter les actions de la société requérante ; cependant le droit interne prévoyait la possibilité de présenter des requêtes par voie électronique depuis 2002. La Cour conclut à l’unanimité donc que le refus d’examiner les actions soumises par la société requérante a restreint de manière disproportionnée le droit de l’intéressée d’introduire ses actions en justice de manière effective, en violation de l’article 6 § 1.

Lawyer Partners, A.S. c. Slovaquie nos 54252/07, 3274/08, 3377/08, 3505/08, 3526/08, 3741/08, 3786/08, 3807/08, 3824/08, 15055/08, 29548/08, 29551/08, 29552/08, 29555/08, 29557/08 .16/06/2009 Violation de l'art. 6-1 Jurisprudence : Adamski c. Pologne (déc.), n° 6973/04, 27 janvier 2009 ; Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 60, Recueil 1996-IV ; Andrejeva c. Lettonie [GC], n° 55707/00, § 98, CEDH 2009-... ; Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 57, série A n° 93 ; Lungoci c. Roumanie, n° 62710/00, § 55, 26 janvier 2006 ; Markovic et autres c. Italie [GC], n° 1398/03, §§ 98-99, CEDH 2006-XIV ; Melnyk c. Ukraine, n° 23436/03, § 23, 28 mars 2006 ; Yanakiev c. Bulgarie, n° 40476/98, 10 août 2006 (L'arrêt n'existe qu'en anglais.)

La procédure disciplinaire ouverte par la Commission bancaire à l’encontre de la société

requérante a manqué d’indépendance et d’impartialité

DUBUS S.A. c. France 11.06.2009

violation de l’article 6 § 1 non-violation de l’article 6 § 1

La société Dubus S.A., entreprise dont l'activité consiste en la réception, la transmission et l’exécution d’ordres pour le compte de tiers et la négociation pour son propre compte, fit l’objet en 2000 d’une inspection diligentée par la Commission bancaire – autorité de contrôle des établissements de crédit et d’investissement

présidé par le gouverneur de la Banque de France (« la Commission ») –, à l’issue de laquelle une infraction réglementaire lui fut signifiée, et une régularisation de sa situation demandée. Le 28 septembre 2000, sur la base du rapport d’inspection, la Commission bancaire décida d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de Dubus S.A. Il était notamment reproché à la société d’avoir méconnu les règles de représentation des dépôts de la clientèle, une insuffisance du niveau de ses fonds propres ainsi qu’un manquement aux règles de gestion, de la comptabilité financière et celles relatives à la transmission, par les entreprises d’investissement, de leurs comptes annuels et des documents périodiques. Le président de la Commission notifia à la requérante les motifs d’ouverture de la procédure. Le 28 décembre 2000, en réponse aux motifs d’ouverture de la procédure disciplinaire, Dubus S.A déposa des observations, contestant la régularité et l’impartialité de cette procédure au regard de l’article 6 § 1 de la Convention européenne. La société requérante dénonçait notamment le cumul par la Commission des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement. Le secrétariat général de la Commission fit parvenir à la requérante ses observations en réplique le 1er juin 2001, invitant par ailleurs Dubus S.A à l’audience se tenant le 11 juillet. Par une décision du 8 octobre 2001, notifiée par le secrétaire général, la Commission prononça un blâme à l’encontre de la société requérante, et précisa que la procédure n’avait pas été entachée d’irrégularité. En juillet 2003 le Conseil d’État rejeta le pourvoi formé par Dubus S.A. Après avoir rejeté les moyens tirés de l’incompatibilité avec l’article 6 § 1 du cumul des fonctions au sein de la Commission, de la faculté d’autosaisine de la Commission, de son impartialité et du respect des droits de la défense, il estima que la décision du 8 octobre 2001 avait été suffisamment motivée. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), la société requérante se plaignait du manque d’impartialité et d’indépendance de la Commission bancaire dans le cadre d’une procédure disciplinaire ouverte à son encontre par cette autorité, ainsi que de l’iniquité de la procédure devant la Commission et le Conseil d’État. Article 6 § 1

Sur le manque d’impartialité et d’indépendance La Cour souligne l’imprécision des textes régissant la procédure devant la Commission, et note le manque de distinction claire entre les fonctions de poursuite, d’instruction et de sanction dans l’exercice de son pouvoir juridictionnel. Si le

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cumul des fonctions d’instruction et de jugement n’est pas en soi incompatible avec le respect de l’impartialité, il est subordonné à l’absence de « préjugement » de la part de la Commission. La Cour, en accord avec le Conseil d’État, ne remet pas en cause la faculté d’autosaisine de la Commission, mais elle souligne la nécessité de l’encadrer davantage pour ne pas donner l’impression d’une culpabilité établie dès l’ouverture de la procédure disciplinaire. La Cour note que la requérante a raisonnablement pu avoir l’impression que, dans la procédure litigieuse, ce sont les mêmes personnes qui l’ont poursuivie et jugée, et douter de la décision de la Commission, qui dans la confusion de ses rôles, décida de sa mise en accusation, lui signifia les griefs à son encontre et la sanctionna. La Cour observe que le rôle du secrétaire général de la Commission a participé à la confusion. En effet, le secrétariat général effectue les contrôles administratifs sur instruction de la Commission, qui déclenchent le cas échéant la procédure disciplinaire. Il répond ensuite aux observations de la partie poursuivie, intervenant ainsi dans la procédure juridictionnelle. Enfin, c’est au nom de la Commission, qui au final prononce la sanction, que l’inspection a été diligentée. La Cour considère ainsi que l’argument de la séparation organique au sein de la Commission – qui conférerait une autonomie effective de la procédure disciplinaire par rapport au contrôle administratif – avancé par le gouvernement français n’est pas convaincant. La Cour conclut donc à la violation de l’article 6 § 1 au motif que les doutes de la société Dubus S.A. quant à l’indépendance et l’impartialité de la Commission étaient objectivement fondés du fait de l’absence de distinction claire entre ses différentes fonctions. Sur la rupture de l’égalité des armes Eu égard au constat de violation de l’article 6 § 1 concernant le manque d’impartialité et d’indépendance de la Commission, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief de la société requérante relatif à l’inégalité des armes entre le secrétariat général de la Commission et les personnes poursuivies. Concernant la procédure devant le Conseil d’État, la Cour constate que celui-ci a apprécié l’impartialité de la procédure litigieuse dans son ensemble, et qu’il a justifié le principe d’autosaisine de la Commission par la particularité des autorités administratives indépendantes dans leur rôle de régulation des marchés. Il n’y a donc pas eu déficit de motivation de la part de cette juridiction. La Cour rappelle par ailleurs ses conclusions relatives au recours devant le Conseil d’État et le

double degré de juridiction garanti en la matière. Elle conclut donc à la non-violation de l’article 6 § 1 concernant les griefs tirés de l’iniquité de la procédure devant le Conseil d’Etat.

Dubus S.A. c. France no 5242/04 violation de l’article 6 § 1 non-violation de l’article 6 § 1 Jurisprudence: De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 24, série A no 86 ; Didier c. France (déc.), no 58188/00, 27 août 2002 ; Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, série A no 22, § 82 ; Guisset c. France, no 33933/96, § 59, CEDH 2000-IX ; Güler et Caliskan c. Turquie, no 52746/99, § 23, 21 décembre 2006 ; Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 46, série A no 154 ; Kleyn et autres c. Pays-Bas ([GC], nos 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, § 192, CEDH 2003-VI ; Lilly c. France (déc.), no 53892/00, 3 décembre 2002 ; Martinie c. France ([GC] no 58675/00, 12 avril 2006 ; Piersack c. Belgique arrêt du 1er octobre 1982, série A no 53 ; Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 75, CEDH 1999-V ; Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC], no 14939/03, § 53, 10 février 2009 ; Sramek c. Autriche, 22 octobre 1984, § 36, série A no 84; Wagner c. Luxembourg (no 6240/01, 28 juin 2007

DROIT A L'EXECUTION DES DECISIONS DE JUSTICE

Non-exécution d’un jugement rendu en faveur du directeur de la prison pour femmes d’Empoli

(Italie), aorès une mutation d’office. SILVESTRI c. ITALIE

violation de l’article 6 § 1 et de l’article 1 du Protocole no 1

En 1997, le directeur général de l’administration pénitentiaire décida de le muter Nicola Silvestri, directeur de la prison pour femmes d’Empoli, destinée à l’accueil de détenues toxicomanes, auprès de l’Inspection régionale (« Provveditorato regionale ») de la Toscane, située à Florence, pour cause d’incompatibilité « ambiante ». Le requérant aurait eu des difficultés relationnelles tant avec ses collaborateurs directs qu’avec les opérateurs externes. M. Silvestri attaqua l’arrêté devant le tribunal administratif régional de Toscane. Le tribunal accueillit son recours et annula l’arrêté pour méconnaissance du principe du contradictoire, relevant notamment que l’intéressé n’avait été informé de l’ouverture de la procédure de mutation d’office qu' un jour avant que l’arrêté ne soit rendu. L’administration pénitentiaire n’interjeta pas appel et le jugement devint définitif. Par la suite, le requérant fut d’abord muté dans un autre établissement pénitentiaire, et ensuite affecté à la prison d’Empoli mais dans des fonctions inférieures aux siennes. Il essaya en vain à deux reprises d’être réintégré à la prison d’Empoli dans

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ses fonctions de directeur, conformément au jugement rendu en sa faveur, malgré les issues favorables des procédures d’exécution engagées. Entre-temps, le 10 avril 2002, l’administration pénitentiaire mis fin au contrat de travail de l’intéressé et établit que ce dernier avait droit à une indemnité correspondant à quatre mois de salaire. M. Silvestri essaya en vain d’obtenir le paiement de sa créance. Invoquant l’article 6 § 1, M. Silvestri se plaignait du refus de l’administration d’exécuter le jugement du 29 octobre 1997 et de le réintégrer dans ses fonctions. Sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, il se plaignait également de l’impossibilité d’obtenir le paiement de son indemnité de fin de travail. Décision de la Cour Article 6 § 1

La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l’obligation d’exécuter un arrêt de justice ne se limite pas au dispositif de celui-ci ; en effet, c’est simultanément le fond de l’arrêt qui doit être respecté et appliqué. En introduisant un recours en annulation devant la juridiction administrative de l’Etat, le justiciable vise à obtenir non seulement la disparition de l’acte ou de l’omission litigieux, mais aussi et surtout la levée de ses effets. Bien que la Cour admette qu’il existe des circonstances qui justifient l’échec de l’exécution en nature d’une obligation imposée par une décision judiciaire définitive, elle note que les juridictions italiennes n’ont relevé ni des circonstances de fait rendant impossible l’exécution, ni des obstacles juridiques à l’exécution du jugement litigieux. Par conséquent, l’omission de l’administration de se conformer au jugement du tribunal administratif a entravé le droit du requérant à une protection judiciaire effective, en violation de l’article 6 § 1. Article 1 du Protocole no 1

La Cour estime que dans les circonstances de l’affaire, les autorités compétentes, en refusant au requérant le paiement de la somme due, ont porté atteinte à son droit au respect de ses biens. Cette ingérence ne se fondait sur aucune justification valable ; elle était donc arbitraire et emportait violation du principe de la légalité. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

Silvestri c. Italie no 16861/02Silvestri c. Italie (requête no 16861/02) 09/06/2009 Applicabilité Article 6 Exception préliminaire rejetée ; Violation de l'art. 6-1 ; Violation de P1-1 ; Dommage matériel et préjudice moral - réparation Jurisprudence de Strasbourg Akkus c. Turquie, arrêt du 9 juillet 1997, Recueil 1997-IV, pp. 1309-1310, § 29 ; Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, pp. 850-851, § 50 ; Costin c. Roumanie, no 57810/00, 26 mai 2005 ; Hertel c. Suisse, du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, § 63 ;

Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil 1997-II ; Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI ; Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 62, CEDH 1999-II ; Neves e Silva c. Portugal, 27 avril 1989, § 37, série A no 153-A ; Pellegrin c. France, [GC], no 28541/95, CEDH 1999 VIII ; Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301-B, p. 84, § 59 ; SC Ruxandra Trading SRL, 28333/02, § 57, arrêt du 12 juillet 2007 ; Stefanescu c. Roumanie, no 9555/03, §§ 25, 26, 11 octobre 2007 ; Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, § 62, CEDH 2007-... ; Zazanis et autres c. Grèce, no 68138/01, § 36, 18 novembre 2004 ; Zimmermann et Steiner c. Suisse du 13 juillet 1983, série A no 66, § 36 (L’arrêt n’existe qu’en français.)

Inefficacité de la procédure que la requérante avait engagée devant les juridictions roumaines

pour obtenir réparation des préjudices très graves qui lui avaient été causés par une série d’erreurs médicales commises dans un hôpital

public. CODARCEA c. ROUMANIE

02/06/2009 violation de l’article 6 violation de l’article 8

Elvira Codarcea est avocate. Elle subit trois opérations qui lui causèrent une parésie faciale du côté droit et d’autres séquelles, y compris un syndrome neurasthénique-dépressif, nécessitant un traitement médical spécialisé. Plusieurs interventions chirurgicales ultérieures furent nécessaires. Mme Codarcea porta plainte avec constitution de partie civile contre le Docteur B. mais l’action pénale demeura infructueuse et fut définitivement classée par une décision du tribunal départemental de Mures reconnaissant la prescription de la responsabilité pénale du médecin. La requérante intenta donc une action civile en responsabilité contre le Docteur B. et assigna également l’hôpital où elle avait été opérée. Le juge civil considéra que Mme Codarcea avait été victime d’une faute médicale et condamna le médecin au paiement de dommages intérêts pour préjudice moral et matériel. En revanche, il débouta la requérante de son action à l’encontre de l’hôpital municipal, jugeant que ce-dernier ne pouvait pas être tenu responsable des actes accomplis par le médecin. La Cour d’Appel de Târgu Mures confirma le droit de la requérante à se voir dédommagée. Entre temps, procédure d’exécution forcée avait été ouverte contre le Docteur B. par le tribunal de première instance de Târgu Mures mais demeura infructueuse pour cause d’insolvabilité du médecin, due notamment à une pension alimentaire à sa charge et à un acte

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 06/2009 11

de partage volontaire conclu après sa condamnation. La requérante allègue que la procédure qu’elle a engagée le 5 juin 1998 devant les juridictions internes a été excessivement longue et partant contraire à l’article 6. Sur le terrain de l’article 8, elle considère que l’inefficacité de cette procédure l’a empêchée d’obtenir une juste réparation des préjudices physiques et moraux résultant des fautes médicales dont elle a été victime. Article 6

La Cour relève d’emblée que, s’agissant d’une action en responsabilité civile délictuelle pour dommages causés à l’intégrité physique d’une personne qui, au début de la procédure, était âgée de 65 ans, les autorités judiciaires auraient du faire preuve d’une diligence particulière. Tout en reconnaissant la complexité des questions médicales qui se posaient devant les juges nationaux, elle estime que la période de neuf ans, six mois et vingt-trois jours écoulée entre le 5 juin 1998, date à laquelle Mme Codarcea s’est constituée partie civile, et le 18 avril 2008, date de la décision définitive de la cour d’appel de Târgu Mures, est excessivement longue et entraine par conséquent une violation de l’Article 6. Article 8

La Cour rappelle que les questions liées à l’intégrité physique et morale des personnes ainsi qu’à leur consentement aux actes médicaux qui leur sont prodigués entrent dans le champ d’application de l’article 8. Elle souligne que les Etats parties à la Convention ont l’obligation de mettre en place un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient publics ou privés, l’adoption de mesures propres à assurer le respect de l’intégrité physique de leurs patients. Elle souligne également que tout patient doit être informé des conséquences d’une intervention médicale et doit pouvoir y consentir ou pas en toute connaissance de cause. A défaut d’une telle information, lorsque l’intervention a lieu dans le cadre d’un hôpital public, les Etats peuvent être tenus pour directement responsables. En l’espèce, la Cour note que Mme Codarcea a eu formellement accès à une procédure qui lui a permis de faire reconnaître la responsabilité du médecin qui l’avait opérée et que celui-ci a été condamné à la dédommager. En revanche, la somme qui lui a été allouée par les juridictions internes n’a jamais pu être recouvrée en raison de l’insolvabilité du médecin et de l’absence en droit roumain, à l’époque des faits (la situation a depuis évolué), d’un mécanisme d’assurance pour responsabilité médicale. La Cour observe enfin que les juridictions roumaines ont refusé de reconnaître la responsabilité de l’hôpital de Târgu Mures du fait de son préposé, alors qu’une partie

de la jurisprudence et de la doctrine s’y montrait favorable. Il y a donc violation de l’article 8 en raison de l’impossibilité pour la requérante d’obtenir la réparation qui lui a été reconnue par une décision de justice pour les conséquences de la faute médicale dont elle a été victime.

Codarcea c. Roumanie no 31675/04 02/06/2009 Violation de l'art. 6 ; Violation de l'art. 8 ; Dommage matériel et préjudice moral - réparation Opinions Séparées : juge Myjer a exprimé une opinion partiellement dissidente Jurisprudence : Airey c. Irlande du 9 octobre 1979, série A no 32 ; Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 846, § 36 ; Association Ekin c. France (déc.), no 39288/98, 18 janvier 2000 ; Benderskiy c. Ukraine, no 22750/02, §§ 61-62, 15 novembre 2007 ; Botta c. Italie, du 24 février 1998, § 32 ; Brumarescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 50, CEDH 1999-VII ; Byrzykowski c. Pologne, no 11562/05, § 115, 27 juin 2006 ; Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, CEDH 2002-I ; Forum Maritime S.A. c. Roumanie, nos 63610/00 et 38692/05, 4 octobre 2007 ; Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII ; Gnahoré c. France, no 40031/98, § 26, CEDH 2000-I ; ; Guerra et autres c. Italie, du 19 février 1998, Recueil 1998-I ; Hartman c. République tchèque, no 53341/99, § 73, CEDH 2003-VIII ; Herczegfalvy c. Autriche, du 24 septembre 1992, série A no 244, § 86 et §§ 82-83 ; Iambor c. Roumanie (no 1), no 64536/01, § 142, 24 juin 2008 ; Issaïeva c. Russie, no 57950/00, § 161, 24 février 2005 ; Karahalios c. Grèce, no 62503/00, § 21, 11 décembre 2003 ; Kiliç c. Turquie, no 22492/93, § 62, CEDH 2000-III ; M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, du 4 décembre 2003 ; Mahmut Kaya c. Turquie, no 22535/93, § 85, CEDH 2000-III ; Malama c. Grèce (déc.), no 43622/98, 25 novembre 1999 ; Pantea c. Roumani, no 33343/96, § 153, CEDH 2003-VI (extraits) ; Perez c. France [GC], no 47287/99, CEDH 2004-I ; Pfleger c. République tchèque, no 58116/00, § 46, 27 juillet 2004 ; Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, du 29 avril 2002, CEDH 2002-III ; Raninen c. Finlande, du 16 décembre 1997, § 63 ; Roche c. Royaume-Uni [GC], du 19 octobre 2005, no 32555/96, CEDH 2005-X ; Seregina c. Russie, no 12793/02, § 92, 30 novembre 2006 ; Trocellier c. France (déc.), no 75725/01, CEDH 2006-... ; Y.F. c. Turquie, no 24209/94, 22 juillet 2003 (L’arrêt n’existe qu’en français)

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PPPRRREEESSSOOOMMMPPPTTTIIIOOONNN DDD'''IIINNNNNNOOOCCCEEENNNCCCEEE

Déclarations faites par la police aux médias

laissaient entendre, aux tout premiers stades de l’instruction, que le requérant était coupable

d’une infraction dont il n’était pas accusé alors que l’instruction était en cours dans une affaire

pénale BOROVSKY c. SLOVAQUIE

02/06/2009 violation de l’article 6 § 2

En septembre 2000, l’hebdomadaire Profit publia un article révélant des détails du dossier d’instruction conservé par la police, dont certains propos du directeur de la brigade financière qui avait déclaré notamment que les actes de M. Borovský étaient « prémédités » et « frauduleux ». M. Borovský fut fut acquitté, le tribunal estimant qu’il n’avait pas agi au mépris de la loi et qu’il n’avait pas eu l’intention de nuire à quiconque. M. Borovský assigna en justice pour diffamation le rédacteur en chef de Profit pour avoir publié l’article. Le tribunal donna gain de cause au requérant et enjoignit au rédacteur en chef de Profit de publier des excuses pour les déclarations erronées figurant dans cet article. M. Borovský saisit la Cour constitutionnelle pour violation de son droit à la présomption d’innocence au motif que des fonctionnaires de police avaient fait aux médias des déclarations révélant la teneur du dossier d’instruction et avaient annoncé que l’intéressé avait commis des infractions pénales. La Cour constitutionnelle estima que le droit de M. Borovský à être présumé innocent n’avait pas été méconnu. Invoquant l’article 6 § 2, M. Borovský alléguait que son droit à être présumé innocent avait été violé, des fonctionnaires de police ayant informé les médias de la teneur du dossier d’instruction et ayant fait des déclarations sur sa culpabilité. Décision de la Cour La Cour constate d’abord que, replacées dans le contexte des articles dans leur ensemble, les déclarations des fonctionnaires de police rapportées dans les divers journaux en question donnaient à entendre qu’il y avait de bonnes raisons de soupçonner M. Borovský d’avoir commis l’infraction en cause. Dès lors, pour ce qui est du contenu de la plupart des articles, la Cour parvient à la même conclusion que la Cour constitutionnelle. Elle fait par contre une distinction pour les propos du directeur adjoint de la brigade financière

rapportés dans l’article du magazine Profit . Ils ne se bornaient pas à décrire l’état d’avancement de la procédure ou à évoquer les « soupçons » pesant sur M. Borovský. En réalité, en qualifiant les actes de frauduleux et de prémédités, ils donnaient à croire qu’il s’agissait d’un fait établi. Ces propos impliquaient donc que l’accusé s’était rendu coupable d’escroquerie – infraction dont M. Borovský n’a jamais été accusé, que ce soit à ce moment-là ou par la suite. La Cour constitutionnelle ayant enjoint au rédacteur en chef de Profit de présenter des excuses pour avoir publié l’article litigieux alors qu’il ne trouvait aucune base dans les faits de la cause, la Cour dit que les propos tenus par le directeur adjoint de la brigade financière ont méconnu les droits de M. Borovský à être présumé innocent. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

Borovský c. Slovaquie no 24528/02 02/06/2009 Jurisprudence : Böhmer v. Germany, no. 37568/97, §§ 54 and 56, 3 October 2002, Khuzhin and Others v. Russia, no. 13470/02, § 93, 23 October 2008, Nerattini v. Greece, no. 43529/07, § 25, 18 December 2008, Nešták v. Slovakia, no. 65559/01, §§ 88 and 89, 27 February 2007 (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

PPPAAASSS DDDEEE PPPEEEIIINNNEEE SSSAAANNNSSS LLLOOOIII

L’article 7 de la Convention NULLUM CRIMEN SINE LEGE

Les critères retenus par les tribunaux nationaux pour établir un « grave préjudice

moral » étaient trop vagues. Le requérant ne pouvait prévoir, en vertu des règles de droit pénal applicables à l’époque des faits, que les faits dont il était l’auteur

seraient constitutifs d’une infraction pénale. LIIVIK c. ESTONIE

25.06.2009 violation de l’article 7

En février 1999, le parlement estonien décida de privatiser la société publique AS Eesti Raudtee, propriétaire d’ER. Se trouvant dans une situation financière difficile, cette société avait alors besoin de capitaux. Conduite par le biais d’une procédure internationale d’appel d’offres, sa privatisation donna lieu à de vifs débats politiques et divers actionnaires exercèrent des pressions. Désigné directeur général par intérim de l’Agence estonienne pour la privatisation en octobre 1999, le requérant, signa l’accord pour le compte de l’Etat, et accepta de donner à Baltic Rail Services

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 06/2009 13

OÜ (« BRS ») deux autres garanties couvrant les réclamations d’une société insolvable contre ER ainsi que le coût de l’achat de cinq locomotives russes dont l’acquisition n’était pas conforme au plan de privatisation de BRS. En janvier 2004, il fut condamné à deux ans d’emprisonnement, dont 18 mois avec sursispour avoir outrepassé ses pouvoirs en contractant des obligations pécuniaires pour le compte de l’Etat. M. Liivik allègue qu’ER est une société prospère et que les actions que détient encore l’Etat ont une valeur dix fois supérieure à celle de la totalité du capital d’ER avant la privatisation. Invoquant les articles 7, 6 § 1, 13 et 17, il allègue en particulier que la loi sur la base de laquelle il a été condamné n’était pas claire ni compréhensible. Décision de la Cour Article 7

La Cour estime que l’interprétation et l’application en l’espèce de l’article 161 du code pénal, qui énonçait les règles de droit pénal applicables au moment des faits et sur la base duquel le requérant a été condamné, ont conduit à l’emploi de notions et de critères tellement vagues que les exigences de clarté et de prévisibilité auxquelles, selon la Convention, toute loi doit se conformer n’ont pas été respectées. Aux termes de l’article 161, pour que l’infraction d’abus d’autorité soit constituée, il faut que l’auteur des faits ait causé un « grave préjudice ». Or aucun critère n’a été dégagé pour dire si la simple création d’un risque valait pareil préjudice. En outre, le requérant était tenu de privatiser ER et de peser les risques entraînés par la conclusion de la privatisation par rapport à ceux entraînés par l’annulation du projet. De la même manière, les critères retenus par les tribunaux nationaux pour établir que le requérant avait causé un « grave préjudice moral » – c’est-à-dire qu’il était un haut fonctionnaire de l’Etat œuvrant dans un domaine de grand intérêt pour le public et que ses actes étaient incompatibles avec « l’idée générale de justice » – étaient trop vagues. D’ailleurs, le Parlement et la Cour suprême estoniens ont depuis lors remis en cause les principes qui se dégagent de l’article 161. Ils doutent notamment que le simple risque de dommage puisse être assimilé, par une interprétation extensive, à un « préjudice grave » et qu’il soit conforme au principe de la légalité des peines d’ériger en infraction pénale le fait de causer un « grave préjudice moral ». La Cour en conclut que l’on ne pouvait prévoir que les actes du requérant eussent été constitutifs d’une infraction en vertu des règles de droit pénal applicables au moment des faits, ce qui emporte violation de l’article 7.

Liivik c. Estonie no 12157/05 25/06/2009 Violation de l'art. 7 ; Jurisprudence : Achour c. France [GC], n° 67335/01, § 41, CEDH 2006 ; Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], n° 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 33, série A n° 335-C ; Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 32, Recueil des arrêts et décisions 1996-V ; Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 145, CEDH 2000-VII ; De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique (Article 50), 10 mars 1972, § 16, série A n° 14 ; Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], n° 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI ; Kafkaris c. Chypre [GC], n° 21906/04, §§ 137-138 et 139-140, avec d'autres références, CEDH 2008 ; Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 40 et § 52, série A n° 260-A ; Korbely c. Hongrie [GC], n° 9174/02, § 72, 19 septembre 2008 ; Ogur c. Turquie [GC], n° 21594/93, § 98, CEDH 1999-III ; S.W. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 35 et § 36, série A n° 335-B ; Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 50, CEDH 2001-II ; Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 1), 26 avril 1979, § 49, série A n° 30. (L'arrêt n'existe qu'en anglais.)

DDDRRROOOIIITTT AAA NNNEEE PPPAAASSS EEETTTRRREEE JJJUUUGGGEEE OOOUUU PPPUUUNNNIII DDDEEEUUUXXX

FFFOOOIIISSS L’article 4 du Protocole n° 7

Les faits à l’origine des deux procédures dirigées contre le requérant étaient essentiellement les mêmes. De plus, la seconde procédure n’a pas

été ouverte en raison de l’apparition d’éléments de preuve ou de faits nouveaux ou de la découverte d’un vice fondamental de la

procédure précédente de nature à affecter le jugement intervenu.

RUOTSALAINEN c. FINLANDE 16.06.2009

Violation de P7-4

A l’occasion d’un contrôle routier effectué en janvier 2001, la police constata que la camionnette du requérant fonctionnait avec un carburant moins lourdement taxé que le diesel qu’il aurait dû utiliser. Une procédure pénale sommaire fut engagée contre lui, à l’issue de laquelle on lui infligea une amende de 121 EUR pour avoir commis une contravention fiscale. Il fut aussi noté que, le requérant ayant reconnu avoir fait lui-même le plein de son véhicule, il avait agi intentionnellement. Le requérant ne s’opposa pas à l’amende. Une procédure administrative fut également engagée et, on lui demanda de payer la différence entre la taxe qu’il avait versée et celle qu’il aurait dû acquitter. Etant donné qu’il avait utilisé sa camionnette en 2001

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 06/2009 14

avec un carburant moins lourdement taxé que le diesel et qu’il n’en avait pas informé au préalable l’administration routière ou les douanes, la différence normale de taxe fut triplée (15 137 EUR). Les autorités nationales rejetèrent par la suite la demande du requérant tendant à obtenir une réduction du montant demandé au titre des taxes ainsi que le recours qu’il avait formé pour faire annuler la décision de rejet à cet égard. Invoquant l’article 4 du Protocole no 7, le requérant se plaignait d’avoir été puni deux fois pour la même contravention fiscale. Décision de la Cour La Cour rappelle que l’article 4 du Protocole no 7 a pour but de prohiber la répétition de poursuites pénales définitivement clôturées. La Cour juge que les deux sanctions infligées au requérant étaient de nature pénale. En effet, la première a été prononcée dans le cadre d’une procédure qualifiée de « pénale » dans l’ordre juridique finlandais. Quant à la seconde procédure, bien qu’elle ait relevé de la matière fiscale et doive donc passer pour une procédure administrative, elle ne revêtait pas un simple caractère compensatoire étant donné que la différence de taxe avait été triplée afin de punir l’intéressé et de le dissuader de récidiver. Or il s’agit là des caractéristiques de la sanction en matière pénale. Par ailleurs, les faits à l’origine des deux procédures dirigées contre le requérant étaient essentiellement les mêmes, à savoir l’usage d’un carburant moins lourdement taxé que le diesel, la seule différence étant la notion d’intention dans la première. En bref, la seconde sanction a été prononcée pour des faits identiques à la première ; il y a donc eu répétition de procédures. De plus, la seconde procédure n’a pas été ouverte en raison de l’apparition d’éléments de preuve ou de faits nouveaux ou de la découverte d’un vice fondamental de la procédure précédente de nature à affecter le jugement intervenu, ainsi que l’envisage l’article 4 du Protocole no 7. La Cour conclut à l’unanimité que le requérant a été puni deux fois pour la même contravention à la fiscalité sur les carburants.

Ruotsalainen c. Finlande no 13079/03 16/06/2009 Applicabilité P7-4 Partiellement irrecevable ; Violation de P7-4 ; Préjudice moral - réparation ; Dommage matériel - demande rejetée Jurisprudence : Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, série A n° 22 ; Ezeh et Connors c. Royaume-Uni [GC], nos 39665/98 et 40086/98, CEDH 2003-X ; Göktan c. France, n° 33402/96, § 48, CEDH 2002-V ; Haarvig c. Norvège (déc.), n° 11187/05, 11 décembre 2007 ; Jussila c. Finlande [GC], n° 73053/01, CEDH 2006-... ; Lutz c. Allemagne, arrêt du 25 août 1987, série A n° 123, § 55 ; Malige c. France, 23 septembre 1998, § 35, Recueil 1998-VII ; Manasson c. Suède (déc.), n° 41265/98, 8 avril 2003 ; Nilsson c. Suède (déc.), n° 73661/01, CEDH 2005-... ; Öztürk c. Allemagne, arrêt du

21 février 1984, série A n° 73, § 54 ; Ponsetti et Chesnel c. France (déc.), nos 36855/97 et 41731/98, CEDH 1999-VI ; Rosenquist c. Suède (déc.), n° 60619/00, 14 septembre 2004 ; Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC], n° 14939/03, 10 février 2009 ; Storbråten c. Norvège (déc.), n° 12277/04, CEDH 2007-... (extraits) ; Västberga Taxi Aktiebolag et Vulic c. Suède, n° 36985/97, 23 juillet 2002(L'arrêt n'existe qu'en anglais.)

RRREEESSSPPPEEECCCTTT DDDEEE LLLAAA VVVIIIEEE PPPRRRIIIVVVEEEEEE

AAAVVVOOOCCCAAATTT L’article 8 de la Convention

Interception des communications téléphoniques professionnelles dans le cadre d’une enquête

pénale sur les activités financières d’un groupe de sociétés dont il était le conseil juridique.

KVASNICA c. SLOVAQUIE 09/06/2009

violation de l’article 8

En 1999, le ministre de l’Intérieur chargea une équipe d’investigateurs d’enquêter sur d’importantes activités de la criminalité financière organisée, apparemment liées à un groupe de sociétés dont Roman Kvasnica, avocat au barreau slovaque, avait été le conseil juridique entre août 1999 et mars 2001. Après obtention d’une autorisation judiciaire, les enquêteurs mirent sur écoute le mobile professionnel de M. Kvasnica. Ce dernier n’eut connaissance de ce fait qu’en novembre 2000 ; en 2001, des transcriptions de ses conversations furent divulguées auprès de divers groupes qui y avaient un intérêt, notamment des personnalités politiques et des journalistes. En 2002, le requérant apprit que les transcriptions littérales de ses conversations avec des tiers, qui avaient été faites par la police des finances, étaient libres d’accès sur internet. Ces compte rendus, qui transcrivaient des conversations entre le requérant et des collègues, des clients et des amis, avaient toutefois été trafiqués puisqu’ils comportaient des propos que l’intéressé et les autres personnes concernées n’avaient pas tenus. M. Kvasnica saisit le ministère de l’Intérieur d’une plainte concernant l’interception de ses conversations téléphoniques et sollicita l’ouverture d’une enquête à ce sujet. Le directeur de la police financière déposa aussi une plainte pénale relativement à la mesure d’interception, qu’il jugeait illégale aux motifs qu’elle ne reposait

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sur aucun soupçon particulier contre M. Kvasnica et qu’aucun objectif concret n’avait été indiqué. Le requérant, interrogé en juin 2001 au sujet de sa plainte, ne fut pas informé des résultats de l’enquête. En septembre 2001, la plainte du directeur de la police fut rejetée par une décision du service d’inspection – jamais communiquée au requérant – relevant que dès lors que le juge avait autorisé l’interception il n’était pas possible de la remettre en question. M. Kvasnica affirme qu’il a déposé, entre 2001 et 2003, une dizaine de plaintes concernant l’interception de ses conversations téléphoniques et la manipulation des transcriptions mais que toutes ses plaintes ont été rejetées sans examen au fond. Invoquant l’article 8, M. Kvasnica se plaignait de l’interception de ses conversations téléphoniques. Décision de la Cour La Cour rappelle tout d’abord que les conversations téléphoniques sont couvertes par les notions de « vie privée » et de « correspondance », au sens de l’article 8. Elle observe ensuite que l’interception des conversations téléphoniques a été ordonnée en vertu d’une loi – la loi de 1993 sur les forces de police –, en vue de prévenir la commission d’infractions en établissant les faits dans le cadre d’une enquête sur des soupçons faisant état d’importantes activités de la criminalité financière organisée. Les dispositions pertinentes de cette loi ayant été remplacées peu après les faits litigieux par une nouvelle loi offrant des garanties plus larges, la Cour juge qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément l’argument par lequel le requérant conteste la qualité de la loi en vigueur à l’époque pertinente. En ce qui concerne l’application de la loi, cependant, compte tenu du caractère secret des documents pertinents relatifs au système de contrôle de l’époque, le Gouvernement n’a pas souhaité mettre ces documents à la disposition de la Cour. La Cour n’a donc pu s’assurer que l’interception des conversations téléphoniques avait été ordonnée de manière conforme à la loi. En outre, il n’a pas été établi que les garanties nécessaires avaient bien été satisfaites concernant notamment l’existence de soupçons contre le requérant, la raison de l’ordre autorisant l’interception, la durée et l’existence d’un contrôle judiciaire continu sur l’interception. La Cour estime en conséquence que la procédure par laquelle l’interception des conversations téléphoniques du requérant a été ordonnée et supervisée n’a pas pleinement satisfait aux exigences de la loi pertinente. De surcroît, cette procédure n’a pas été menée de manière à limiter l’ingérence dans la vie privée et la correspondance

du requérant aux besoins impérieux de l’enquête. Elle conclut dès lors à la violation de l’article 8.Sous l’angle de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, le requérant souhaitait un constat, par la Cour, de la violation de ses droits au regard de l’article 8, ce qu’il considérait comme une satisfaction suffisante.

Kvasnica c. Slovaquie no 72094/0109/06/2009 Exception préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de l'art. 8 Jurisprudence : Association for European Integration and Human Rights et Ekimdjiev c. Bulgarie, no 62540/00, §§ 75-77, 28 juin 2007 ; Barfod c. Danemark, 22 février 1989, § 28, série A no 14 ; Baumann c. France, no 33592/96, § 47, 22 mai 2001 ; Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2), no 71525/01, § 84, 26 avril 2007 ; Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 27 ; Lambert c. France, 24 août 1998, Recueil 1998-V ; Liberty et autres c. Royaume-Uni, no 58243/00, § 59-63, 1 juillet 2008 ; Polácik c. Slovaquie, no 58707/00, §§ 33-35, 15 novembre 2005 ; Weber et Saravia c. Allemagne (déc.), no 54934/00, CEDH 2006-... (L'arrêt n'existe qu'en anglais.)

RRREEESSSPPPEEECCCTTT DDDEEE LLLAAA VVVIIIEEE PPPRRRIIIVVVEEEEEE

Contrôle exercé par les services pénitentiaires sur la correspondance d’ordre médical entre le

requérant – un détenu condamné – et son médecin spécialiste extérieur à la prison.

SZULUK c. ROYAUME-UNI 02/06/2009

Violation de l'art. 8

. M. Szuluk avait été condamné en novembre 2001 à 14 ans d’emprisonnement pour infractions en matière de drogue. En avril 2001, alors qu’il bénéficiait d’une libération conditionnelle en attendant son jugement, il eut une hémorragie cérébrale qui nécessita deux interventions chirurgicales. Depuis sa réincarcération, il doit se rendre à l’hôpital tous les six mois afin de consulter un spécialiste. Le requérant se plaignit en vain devant les tribunaux locaux de ce qu’un médecin de l’établissement pénitentiaire contrôlait sa correspondance avec le neuroradiologue qui supervisait le traitement dispensé à l’hôpital. Invoquant l’article 8, M. Szuluk se plaignait de ce que les autorités pénitentiaires interceptent et contrôlent sa correspondance à caractère médical. Décision de la Cour Article 8

Il apparaît clairement, et le Gouvernement ne le conteste pas, qu’il y a eu « ingérence d’une

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autorité publique » dans l’exercice par le requérant de son droit au respect de sa correspondance. En outre, les parties tombent d’accord pour dire que la lecture de la correspondance de l’intéressé était prévue par la loi et qu’elle tendait à la prévention du crime et à la protection des droits et libertés d’autrui. M. Szuluk soutenait que le contrôle de sa correspondance avec son médecin entravait la communication entre eux et ne lui permettait pas d’obtenir de ce spécialiste confirmation qu’il recevait à la prison les soins médicaux voulus. Eu égard à la gravité de l’état de santé de l’intéressé, la Cour juge les craintes de celui-ci compréhensibles. D’ailleurs, rien ne donne à penser que M. Szuluk ait jamais abusé par le passé de la confidentialité dont bénéficiait sa correspondance médicale ou qu’il ait eu l’intention de le faire à l’avenir. Qui plus est, bien que détenu dans un quartier de haute sécurité où se trouvaient également des détenus de catégorie A (détenus à haut risque), il est lui-même considéré comme un détenu de catégorie B (détenus pour lesquels les conditions de haute sécurité ne sont pas jugées nécessaires). La Cour ne partage pas l’avis de la Cour d’appel selon lequel le risque que, par intimidation ou par ruse, le requérant amène son spécialiste, dont la bonne foi n’a jamais été mise en cause, à transmettre des messages illicites, suffisait à justifier l’atteinte aux droits du requérant. Elle le partage d’autant moins que la Cour d’appel a par ailleurs reconnu que, bien que le même risque existât avec le personnel secrétarial des députés, l’importance d’une correspondance sans entrave avec des députés l’emportait sur ce risque. En effet, une correspondance totalement libre avec un médecin spécialiste pour un détenu qui se trouve dans un état de santé mettant ses jours en danger ne doit pas bénéficier d’une protection moindre que la correspondance entre un détenu et un député. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour se réfère au fait que la Cour d’appel a concédé qu’il pourrait, dans certains cas, être disproportionné de refuser la confidentialité à la correspondance médicale, ainsi qu’aux modifications qui ont dans l’intervalle été apportées au droit interne pertinent. La Cour estime aussi que le Gouvernement n’a pas fourni de raisons suffisantes expliquant en quoi le risque d’abus présenté par une correspondance avec des médecins nommément désignés dont l’adresse exacte, les qualifications et la bonne foi ne sont pas sujettes à caution devrait être perçu comme supérieur à celui présenté par une correspondance avec des avocats. La Cour conclut en conséquence que le contrôle de la correspondance médicale de M. Szuluk n’a

pas ménagé un juste équilibre avec le droit de l’intéressé au respect de sa correspondance. Il y a donc eu violation de l’article 8.

Szuluk c. Royaume-Uni no 36936/05 /06/2009 Violation de l'art. 8 ; Préjudice moral - réparation Jurisprudence de Strasbourg Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, série A n° 233 ; Ciapas c. Lituanie, n° 4902/02, § 30, 16 novembre 2006 ; Dickson c. Royaume-Uni [GC], n° 44362/04, § 77, CEDH 2007- ; Hurtado c. Suisse, arrêt du 28 janvier 1994, série A n° 280-A, opinion of the Commission, § 79 ; Jankauskas c. Lituanie, n° 59304/00, §§ 21-22, 24 février 2005 ; Kwiek c. Pologne, n° 51895/99, § 39, 30 mai 2006 ; Mouisel c. France, n° 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX ; Ostrovar c. Moldova, n° 35207/03, § 105, 13 septembre 2005 ; Petra c. Roumanie, 23 septembre 1998, § 37, Recueil 1998-VII ; Petrov c. Bulgarie, n° 15197/02, 22 mai 2008 ; Savenkovas c. Lituanie, n° 871/02, § 95, 18 novembre 2008 ; Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, série A n° 61 ; Z. c. Finlande, arrêt du 25 janvier 1997, Recueil 1997-I ; Zborowski c. Pologne (n° 2), n° 45133/06, § 48, 15 janvier 2008 .

TTTRRRAAAIIITTTEEEMMMEEENNNTTT DDDEEEGGGRRRAAADDDAAANNNTTT EEETTT

IIINNNHHHUUUMMMAAAIIINNN L’article 3 de la Convention

Les faits de l’affaire n’ont jamais été établis par un tribunal compétent. En revanche, il y a eu prescription en raison de l’inactivité des

autorités compétentes de l’Etat. BEGANOVIC c. CROATIE

25.06.2009 Violation de l'art. 3

M. Beganovic se plaignait que les autorités n’avaient pas mené d’enquête et de poursuites effectives sur la violente agression dont il avait été victime. Le requérant, Darko Beganovic, est un ressortissant croate né en 1977 et résidant à Luka (Croatie). Le 23 avril 2000, une bagarre éclata entre un groupe de sept amis et le requérant au sujet d’un conflit concernant des actes de violence antérieurs qui avaient déjà impliqué certaines de ces mêmes personnes. En avril et juin 2000, la police interrogea les membres du groupe d’amis. Ceux-ci déclarèrent qu’ils avaient attaqué le requérant de concert pour se venger des violences que celui-ci avait infligées à certains d’entre eux quelques mois auparavant. La police interrogea également le requérant, qui ne laissa pas entendre que l’un des agresseurs avait évoqué son origine rom.

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En juin 2000, le requérant déposa auprès du parquet une plainte pénale contre six individus identifiés et un inconnu, alléguant que ceux-ci l’avaient frappé le 23 avril 2000, lui causant des lésions corporelles graves. L’hôpital de Zagreb, où le requérant avait été examiné après l’incident, soumit à la police un rapport qualifiant les blessures de graves. Faisant suite à la plainte du requérant contre les sept personnes en question, la police saisit le parquet d’une plainte pénale contre les agresseurs. Toutefois, le parquet décida, en juillet 2001 et en septembre 2002 respectivement, de ne pas poursuivre les agresseurs, considérant que les lésions corporelles dénoncées étaient moins graves qu’il n’était allégué et devaient par conséquent faire l’objet de poursuites privées à l’initiative de la victime. Le requérant engagea alors de telles poursuites privées contre ses agresseurs. Un autre procureur rejeta par la suite la demande de poursuites privées contre l’un des agresseurs, B.B., estimant qu’il y avait eu une erreur de procédure car, d’après le droit interne, l’intéressé devait être poursuivi par l’Etat. Une procédure pénale fut finalement engagée contre B.B. devant le juge des enfants en février 2002, mais elle fut clôturée en décembre 2005 en raison de la prescription de l’action publique. Au cours des audiences tenues dans le cadre de cette procédure, le requérant ne soutint pas que l’un des agresseurs avait fait référence à son origine rom. Les poursuites privées que le requérant avait engagées contre les autres agresseurs furent finalement clôturées en mai 2006, le tribunal les ayant déclarées prescrites depuis deux ans. Invoquant les articles 3 et 13, M. Beganovic soutenait que les autorités avaient manqué à leur obligation de le protéger contre des mauvais traitements en ce qu’elles n’avaient pas enquêté et poursuivi effectivement les responsables. En outre, s’appuyant sur l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 3, il alléguait que l’agression et la procédure ultérieure montraient qu’il avait fait l’objet d’une discrimination fondée sur son origine rom. Décision de la Cour Article 3 (enquête et poursuites)

La Cour note d’emblée que la police a aussitôt interrogé l’ensemble des agresseurs, le requérant et deux témoins neutres, a fait établir un rapport médical et a déposé une plainte pénale contre les agresseurs. Toutefois, si d’après le droit interne pertinent les poursuites dirigées contre les mineurs doivent toujours être ouvertes par l’Etat, en l’espèce seule la procédure pénale contre B.B. a finalement été engagée par le parquet compétent, après un refus initial du ministère public au motif erroné que l’acte en question ne pouvait faire l’objet que de poursuites privées. Lorsque le tribunal engagea finalement une procédure pénale contre B.B. près de deux ans après

l’incident, une longue période d’inactivité s’ensuivit et l’action publique se trouva prescrite en 2004. Quant aux autres agresseurs, le parquet déclara la plainte pénale irrecevable plus de deux ans après que le requérant l’eut déposée, au motif qu’il aurait dû engager des poursuites privées. Si les autorités ont redressé cette erreur en ce qui concerne B.B., elles n’ont pas réagi dans le cas des autres agresseurs. Malgré les poursuites privées engagées par le requérant, l’action publique fut finalement déclarée prescrite relativement aux autres agresseurs. Par conséquent, les faits de l’affaire n’ont jamais été établis par un tribunal compétent. En revanche, il y a eu prescription en raison de l’inactivité des autorités compétentes de l’Etat. La Cour conclut que les pratiques adoptées par les autorités n’ont pas suffisamment protégé le requérant contre un acte de violence grave et, conjuguées à la façon dont les procédures du droit pénal ont été mises en œuvre, étaient défectueuses, en violation de l’article 3. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief du requérant sur le terrain de l’article 13. Article 14 (discrimination)

La Cour n’aperçoit aucun élément indiquant que l’agression subie par le requérant était motivée par le racisme. Les faits de l’espèce révèlent que l’intéressé et ses agresseurs appartenaient d’ailleurs au même cercle d’amis et rien ne montre que la race ou l’origine ethnique du requérant aient joué un rôle dans l’un des incidents. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 3.

Beganovic c. Croatie n° 46423/06 Violation de l'art. 3 ; Non-violation de l'art. 14+3 ; Préjudice moral – Réparation Jurisprudence : A. c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, §§ 20, 22 et avis de la Commission, § 48, Recueil 1998-VI ; Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, §§ 51-52, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI ; Ali et Ayse Duran c. Turquie, n° 42942/02, 8 avril 2008 ; Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 85, Recueil 1998-VIII ; Atalay c. Turquie, n° 1249/03, § 40, 18 septembre 2008 ; août c. Royaume-Uni (déc.), n° 36505/02, 21 janvier 2003 ; Ay c. Turquie, n° 30951/96, §§ 59-60, 22 mars 2005 ; Barta c. Hongrie, n° 26137/04, § 45, 10 avril 2007 ; Bati et autres c. Turquie (nos. 33097/96 et 57834/00, § 134, CEDH 2004-IV (extraits) ; Çelik et Imret c. Turquie, n° 44093/98, § 55, 26 octobre 2004 ; Costello-Roberts c. Royaume-Uni, 25 mars 1993, § 30, série A n° 247-C ; Duchonova c. République tchèque (déc.), n° 29858/03, 2 octobre 2006 ; Hurtado c. Suisse, 28 janvier 1994, avis de la Commission, § 67, série A n° 280 ; Labita c. Italie [GC], n° 26772/95, § 120, CEDH 2000-IV ; M.C. c. Bulgarie, n° 39272/98, § 150 et § 151, CEDH 2003-XII ; Mayeka et Mitunga c. Belgique, n° 13178/03, § 48, CEDH 2006-XI ; Mehmet Ümit Erdem c. Turquie, n° 42234/02, § 26, 17 juillet 2008 ; Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 96, 160, CEDH 2005-VII ; Nikolova et Velitchkova c. Bulgarie, n° 7888/03, § 62, 20 décembre 2007 ; Scordino

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 06/2009 18

c. Italie (n° 1) [GC], n° 36813/97, § 284, CEDH 2006 ; Šecic c. Croatie, n° 40116/02, § 53, 31 mai 2007 ; Selmouni c. France, [GC], n° 25803/94, § 101, CEDH 1999-V ; Wieser c. Autriche, n° 2293/03, § 36, 22 février 2007 ; X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 27 et § 30, série A n° 91 (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

Le droit grec ne permet pas un contrôle direct de la légalité de la détention d’un étranger détenu

en vue de son expulsion S.D. c. GRÈCE

11/06/2009 violation de l’article 3

violation de l’article 5 §§ 1 et 4

Le requérant, S.D., victime de détentions et violences de la part des autorités turques pour ses convictions politiques et son activité de journaliste, quitta la Turquie et passa en Grèce à la nage , où il fut appréhendé par la police et une procédure pénale fut ouverte à son encontre, pour usage de faux papiers et entrée illégale dans le pays. S.D. affirme avoir déclaré immédiatement qu’il était réfugié politique, mais cette déclaration ne fut pas enregistrée. Il avait déjà soumis une demande d’asile politique aux autorités grecques, qui l’avaient refusée. Le tribunal le relaxa précisant qu'il avait été obligé de fuir en raison des risques pour sa vie en Turquie. il fut de nouveau arrêté par la police. Il fut placé en détention au poste frontière de Soufli, où n’avait pas la possibilité de sortir à l’extérieur, de téléphoner ou de disposer de couvertures, de draps propres et d’eau chaude, dans l’attente de son expulsion, qui n’intervint pas puisque les autorités avaient entre temps officiellement enregistré sa demande d’asile. Le recours du requérant contre la décision d’éloignement fut rejetée, au motif que S.D. représentait un danger pour l’ordre public et la sécurité du pays. Les objections du requérant contre sa détention furent rejetées par le tribunal administratif. D’après ce magistrat, de telles objections ne sont recevables, en droit grec, que si l’intéressé prévoit de quitter le territoire sous trente jours, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque S.D. avait fait une demande d’asile politique. Les examens médicaux attestèrent de mauvais traitements subis par S.D. en Turquie, qui s’apparentaient à des tortures, comme des électrochocs, la « pendaison palestinienne » – la suspension, nu, par les bras – ou l’isolement dans des cellules de type F. Dans le cadre de sa demande d’asile, S.D. fut transféré au centre de détention pour étrangers de l’Attique (Petrou Rali) – où il ne fut pas autorisé à sortir de sa cellule – afin de comparaître devant

la Commission consultative en matière d’asile, qui devait rendre un avis sur sa demande. En juillet 2007, S.D. se vit remettre une attestation d’étranger demandeur d’asile, valide six mois et renouvelée deux fois depuis.. S.D. renouvela ses objections contre sa détention auprès du tribunal administratif, qui jugea, de manière générale, que l’expulsion et l’éloignement d’un étranger entré illégalement en Grèce et ayant déposé une demande d’asile, étaient interdits. En l’espèce, il constata que l’examen de la demande d’asile de S.D. était pendante et ordonna sa remise en liberté. Invoquant l’article 3, S.D. se plaignait des conditions de sa détention de deux mois dans les centres de Soufli et de Petrou Rali – absence d’exercice physique, de contact avec l’extérieur et d’assistance médicale. Invoquant par ailleurs l’article 5 §§ 1 et 4, il se plaignait d’avoir été détenu alors qu’il était demandeur d’asile, et que le tribunal administratif ait refusé d’examiner la légalité de sa détention. Article 3

En réponse au gouvernement grec qui souligne la durée limitée de détention (deux mois), la Cour rappelle que la durée pendant laquelle une personne est soumise à un traitement inhumain ou dégradant n’est pas déterminante, d’autant plus qu’en l’espèce l’état de santé de S.D. était fragile. S.D. allègue que le centre de détention de Soufli était surpeuplé, que ses couvertures étaient sales et qu’il a été privé d’activités en extérieur, de traitement médical, d’eau chaude et de communications. Le gouvernement grec n’a pas explicitement contredit ces allégations. Elles sont par ailleurs corroborées par plusieurs rapports d’institutions internationales – notamment le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et l’organisation Human Rights Watch – constatant l’état déplorable des conditions de détention dans tous les centres de détention proches de la frontière gréco-turque. La Cour estime que, même à supposer que S.D. ait partagé avec un autre détenu turc une pièce relativement propre avec baignoire et eau chaude – comme l’indique la responsable de la section grecque d’Amnesty International, en visite au centre de détention du poste frontière de Soufli le 18 mai 2007 – il reste que S.D. a séjourné deux mois dans une baraque préfabriquée, sans possibilité de sortir à l’extérieur, de téléphoner ou de disposer de couvertures, de draps propres et de produits d’hygiène suffisants. Puis au centre de Petrou Rali, il a été confiné pendant six jours dans sa cellule, dans des conditions inacceptables, telles que décrites par le Comité européen pour la Prévention de la Torture suite à sa visite en février 2007.

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La Cour conclut que S.D., en tant que réfugié et demandeur d’asile, a connu des conditions de détention qui s’analysent en un traitement dégradant, en violation de l’article 3. Article 5 § 1

La Cour note que la demande d’asile de S.D. n’a été enregistrée qu’à la troisième tentative, en 2007, et que les autorités n’ont ensuite pas pris en considération sa qualité de demandeur d’asile. Sa détention en vue de son expulsion s’est en effet trouvée sans fondement en droit grec à partir de cette date puisque, en tant que demandeur d’asile dont la demande était en cours d’examen, il ne pouvait être expulsé. Sa détention n’était donc pas régulière, en violation de l’article 5 § 1. Article 5 § 4

La Cour note qu’en Grèce les personnes qui, dans l’attente, comme S.D., de la décision sur leur demande d’asile ne peuvent pas être expulsées mais souhaitent contester leur détention, se trouvent dans un vide juridique. Le droit grec ne permet pas un contrôle direct de la légalité de la détention d’un étranger détenu en vue de son expulsion. S.D. n’a pas vu la légalité de sa détention examinée par les tribunaux grecs. L’ordre juridique grec ne lui offrait aucune possibilité d’obtenir une décision sur cette question, en violation de l’article 5 § 4.

S.D. c. Grèce (requête no 53541/07 11/06/2009 Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 3 ; Violation de l'art. 5-1 ; Violation de l'art. 5-4 ; Préjudice moral - réparation Droit en Cause Articles 2, 76, 77 et 79 de la loi no 3386/2005 relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers au territoire grec ; Article 1 du décret présidentiel no 61/1999 Jurisprudence de Strasbourg Albert et Le Compte c. Belgique, arrêt du 10 février 1983, série A no 58, p. 13, § 22 ; Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996-III ; Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III ; Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, § 118 et § 127 ; Dougoz c. Grèce, no 40907/98, 6 mars 2001 ; Erdogan Yagiz c. Turquie, no 27473/02, § 37, 6 mars 2007 ; Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 162 ; Kalashnikov c. Russie, no 47095/99, § 101, CEDH 2002-VI ; Kudla c.Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI ; Peers c. Grèce, no 28524/95, § 74, CEDH 2001-III ; Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 25, CEDH 2001-VII ; Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, pp. 2821-2822, § 55 ; Riad et Idiab c. Belgique, no 29787/03 et 29810/03, §§ 95-96, 24 janvier 2008 ; Saadi c. Royaume-Uni, [GC] n° 13229/03, §§ 66 et 74, 29 janvier 2008 ; Selmouni c. France [GC], arrêt du 28 juillet 1999, § 101, Recueil 1999-V ; Shamsa c. Pologne, no 45355/99, 27 novembre 2003 ; Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, § 120, CEDH 1999-VI ; Tyrer c. Royaume-Uni, arrêt du 25 avril 1978, série A no 26, § 32 .

DDDRRROOOIIITTT AAA DDDEEESSS EEELLLEEECCCTTTIIIOOONNNSSS LLLIIIBBBRRREEESSS

L’article 3 du Protocole n° 1 Le droit de se présenter aux élections

législatives est un droit individuel garanti par le Protocole no 1 à la Convention.

En matière électorale, seuls les recours propres à assurer le bon fonctionnement du processus démocratique peuvent passer pour

effectifs. PETKOV ET AUTRES c. BULGARIE

11.06.2009 violation de l’article 3 du Protocole no 1

violation de l’article 13

. En 1997, la Bulgarie adopta une loi – dite « loi des dossiers » – prévoyant la divulgation du nom des personnes ayant collaboré avec les services de sécurité de l’Etat sous le régime communiste. La loi de 1997 confia cette tâche à une institution ad hoc, la « Commission des dossiers », qu’elle chargea de publier des rapports identifiant les individus en question. La loi sur les élections législatives (ci-après « la loi électorale ») contenait une disposition autorisant les partis politiques à radier des candidats de leurs listes respectives sur la foi d’informations les désignant comme collaborateurs des anciens services de sécurité de l’Etat. La Commission électorale centrale décida que pareilles informations pouvaient être obtenues auprès de la Commission des dossiers au moyen des rapports que celle-ci avait mission d’établir ou de certificats délivrés par elle. Cette décision précisait que les commissions électorales régionales compétentes saisies par les partis politiques concernés pouvaient annuler l’inscription d’un candidat au vu des documents en question. La Cour administrative suprême annula cette décision. Pour se prononcer ainsi, la haute juridiction jugea que les rapports publiés par la Commission des dossiers constituaient le seul moyen légal d’établir des faits de collaboration avec les anciens services de sécurité de l’Etat, au contraire de certificats délivrés par cette commission. Les trois requérants s’étaient déclarés candidats aux élections législatives du 17 juin 2001, sous les couleurs du Mouvement national Siméon II. Toutefois, avant la tenue des élections, ils furent radiés de la liste des candidats par les commissions électorales régionales compétentes, qui les soupçonnaient d’avoir collaboré avec les anciens services de sécurité de l’Etat sur la foi de certificats délivrés par la Commission des dossiers. Les décisions de radiation en question furent par la suite

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déclarées nulles et non avenues par la Cour administrative suprême, conformément à l’arrêt rendu par elle le 13 juin 2001. Toutefois, les autorités électorales n’ayant pas réinscrit les requérants sur la liste des candidats, les intéressés ne purent se présenter devant les électeurs. Par la suite, 57 parlementaires et l’assemblée plénière de la Cour administrative suprême demandèrent à la Cour constitutionnelle de réexaminer le cas de M. Dimitrov. Celle-ci rendit un arrêt défavorable à l’intéressé, jugeant que le refus des autorités électorales de donner effet à la décision définitive par laquelle il avait obtenu gain de cause était certes problématique mais que l’invalidation de l’élection de son remplaçant sur la liste était exclue et qu’une action indemnitaire était seule envisageable. Fort de cette décision, M. Dimitrov engagea une action en réparation sur le fondement de la loi de 1998 sur la responsabilité délictuelle de l’Etat en octobre 2004. En février 2008, la procédure en question était encore pendante en première instance. Invoquant l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention et l’article 13 de la Convention, les requérants alléguaient avoir été empêchés de présenter leur candidature aux élections législatives de 2001 et se plaignaient de n’avoir disposé d’aucun recours effectif à cet égard. Décision de la Cour Article 3 du Protocole no 1

La Cour souligne d’emblée que le droit de se présenter aux élections législatives est un droit individuel garanti par le Protocole no 1 à la Convention. Pour déterminer si ce droit a été violé en l’espèce, elle doit examiner la question de savoir si le refus des autorités électorales de donner effet aux arrêts définitifs et obligatoires rendus par la Cour administrative suprême a empêché les requérants de se présenter aux élections législatives du 17 juin 2001. Elle précise qu’il ne lui appartient pas de contrôler la régularité de ces arrêts ni de se prononcer sur les questions qu’ils ont tranchées. La Cour relève que l’origine du refus litigieux semble avoir été que les autorités électorales ont estimé que la Cour administrative suprême s’était prononcée à tort sur des questions ne relevant pas de sa compétence. Cela dit, dans une société démocratique gouvernée par le principe de la prééminence du droit, les pouvoirs publics ne peuvent invoquer leur opposition aux dispositions d’une décision de justice définitive pour justifier leur refus de s’y conformer. La Cour ne néglige pas les difficultés auxquelles les autorités électorales ont été confrontées du fait que deux des arrêts de la Cour administrative suprême ont été prononcés quelques jours seulement avant les élections et qu’une autre de ses décisions a même été rendue après le déroulement du scrutin. Toutefois, elle observe que les difficultés en question sont imputables aux pouvoirs publics, notamment parce

que la loi électorale a été adoptée deux mois seulement avant la tenue des élections – en contradiction avec les recommandations du Conseil de l’Europe concernant la stabilité de la législation électorale, parce que les partis politiques ont été autorisés à enquêter sur les liens éventuels des candidats avec les anciens services de sécurité de l’Etat après leur désignation alors que ce contrôle aurait dû être effectué avant la désignation et parce que la Commission électorale centrale a précisé les modalités d’application de la règle relative à la radiation des candidatures seulement 12 jours avant la tenue des élections. Ces différents éléments ont créé de graves difficultés pratiques qui ont donné lieu à des différends d’ordre juridique qu’il a fallu résoudre et dont les solutions ont dû être appliquées dans des délais extrêmement courts. Dans ces conditions, le refus des autorités électorales de réinscrire les requérants sur les listes de candidats en dépit des décisions internes définitives rendues en leur faveur a violé les droits des intéressés au titre de l’article 3 du Protocole no 1. Article 13

La Cour estime que le recours dont le Gouvernement a fait état – à savoir l’action en réparation prévue par la loi de 1998 sur la responsabilité délictuelle de l’Etat – ne constitue pas en soi un remède effectif. Quand bien même l’auteur d’un tel recours obtiendrait gain de cause, celui-ci ne saurait être considéré comme suffisant puisqu’il ne peut donner lieu qu’à l’octroi d’une indemnité. En matière électorale, seuls les recours propres à assurer le bon fonctionnement du processus démocratique peuvent passer pour effectifs. L’examen de la disponibilité de tels remèdes en droit bulgare conduit la Cour à constater que la Cour constitutionnelle est compétente pour connaître des recours contestant la régularité des élections législatives et contrôler au cas par cas la validité de l’élection des députés. Toutefois, la Cour n’est pas convaincue de l’effectivité de pareils recours. Elle estime en effet qu’il n’est pas certain que l’étendue du contrôle exercé par la Cour constitutionnelle eût permis à celle-ci de se pencher sur la substance même du grief formulé par les requérants et d’y porter suffisamment remède, par exemple en ordonnant la tenue de nouvelles élections. Cette incertitude semble tenir à l’absence de dispositions claires et dépourvues d’ambigüité en la matière et à la rareté de la jurisprudence pertinente, qui découle elle-même de l’existence, en droit bulgare, de règles restrictives quant aux personnes et organes habilités à saisir la Cour constitutionnelle. Les règles en question empêchent les acteurs du processus électoral de déclencher eux-mêmes une procédure devant cette juridiction, ce qui ne se concilie guère avec la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle seuls les recours susceptibles d’être exercés

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directement par les intéressés peuvent passer pour effectifs. Il s’ensuit que l’article 13 de la Convention a été violé en ce qui concerne le grief formulé par les requérants sur le terrain de l’article 3 du Protocole no 1.

Petkov et autres c. Bulgarie nos 77568/01 ; 178/02 ; 505/02 11/06/2009 Violation de P1-3 ; Violation de l'art. 13 ; Maruste et Jaeger opinion dissidente Jurisprudence : Adamsons c. Lettonie, n° 3669/03, §§ 111 (e) et 117-119, 24 juin 2008 ; Brozicek c. Italie, 19 décembre 1989, § 34, série A n° 167 ; Cornelis c. Pays-Bas (déc.), n° 994/03, CEDH 2004-V (extraits) ; García Ruiz c. Espagne [GC], n° 30544/96, § 28, CEDH 1999-I ; Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], n° 30985/96, § 87, CEDH 2000-XI ; Hirst c. Royaume-Uni (n° 2) [GC], n° 74025/01, § 58, CEDH 2005-IX ; Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 37and §§ 40-41, Recueil des arrêts et décisions 1997-II ; Iatridis c. Grèce [GC], n° 31107/96, § 47 et 58-62, CEDH 1999-II ; Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n° 22774/93, § 42 in fine, CEDH 1999-V ; Kavakçi c. Turquie, n° 71907/01, § 30, 5 avril 2007 ; Kovatch c. Ukraine, n° 39424/02, § 54, CEDH 2008 ; Krasnov et Skouratov c. Russie, nos 17864/04 et 21396/04, §§ 18-34, 42 et 52-67, CEDH 2007 ; Lykourezos c. Grèce, n° 33554/03, § 52 et § 56 in fine, CEDH 2006-VIII ; Mancheva c. Bulgarie, n° 39609/98, § 59, 30 septembre 2004 ; Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, §§ 48-51, série A n° 113 ; Melnytchenko c. Ukraine, n° 17707/02, §§ 59 et 75, CEDH 2004-X ; Moya Alvarez c. Espagne (déc.), n° 44677/98, CEDH 1999-VIII ; Okyay et autres c. Turquie, n° 36220/97, § 73, CEDH 2005-VII ; Padovani c. Italie, 26 février 1993, § 20, série A n° 257-B, p. 19 ; Parti travailliste géorgien c. Géorgie, n° 9103/04, § 101 et § 155, 8 juillet 2008 ; Paschalidis, Koutmeridis et Zaharakis c. Grèce, nos 27863/05, 28422/05 et 28028/05, § 28 in fine, 10 avril 2008 ; Podkolzina c. Lettonie, n° 46726/99, §§ 35 et 49, CEDH 2002-II ; Parti conservateur russe des Entrepreneurs et autres c. Russie, nos 55066/00 et 55638/00, §§ 50, 58-60, 85 et 90, CEDH 2007 ; Sargin et Yagci c. Turquie, nos 14116/88 et 14117/88, décision de la Commission du 11 mai 1989, DR 61, p. 250, à la p. 279 ; Sarukhanyan c. Arménie, n° 38978/03, § 40, 27 mai 2008 ; Scordino c. Italie (n° 1) [GC], n° 36813/97, § 195 in fine, CEDH 2006-V ; Spadea et Scalabrino c. Italie, 28 septembre 1995, § 24, série A n° 315-B ; Taskin et autres c. Turquie, n° 46117/99, §§ 121-25, CEDH 2004-X ; Van Wambeke c. Belgique, n° 16692/90, décision de la Commission du 12 avril 1991, non publié ; X. c. Belgique, n° 8701/79, décision de la Commission du 3 décembre 1979, DR 18, p. 250 ; X. c. Pays-Bas, n° 6573/74, décision de la Commission du 19 décembre 1974, Décisions et Rapports (DR) 1, p. 88 ; Yumak et Sadak c. Turquie [GC], n° 10226/03, § 109 (i), (ii)-(v) et (vi), 8 juillet 2008 ; Ždanoka c. Lettonie (déc.), n° 58278/00, 6 mars 2003 ; (L’arrêt n’existe qu’en anglais).

DDDRRROOOIIITTT

AAA LLLAAA VVVIIIEEE L’article 2 de la Convention

La passivité généralisée et discriminatoire dont la justice fait preuve en la matière et l’impunité dont jouissent les agresseurs envers les femmes

révèlent un manque de détermination des autorités à prendre des mesures appropriées pour remédier à la violence domestique et créent un climat propice à cette violence.

OPUZ c. TURQUIE 09.06.2009

violation de l’article 2 violation de l’article 3

violation de l’article 14 combiné avec les articles 2 et 3

La requérante alléguait que les autorités turques n’avaient pas protégé le droit à la vie de sa mère et qu’elles s’étaient montrées négligentes devant les actes de violence, les menaces de mort et les blessures dont elle avait elle-même été victime à plusieurs reprises. Elle invoquait les articles 2, 3 et 13 de la Convention. Sur le terrain de l’article 14, elle dénonçait l’absence de dispositions protégeant les femmes contre la violence domestique dans l’ordre juridique turc. Décision de la Cour Article 2

Compte tenu du caractère habituel des brutalités et des infractions perpétrées par H.O. sur sa femme et la mère de celle-ci, ainsi que de la menace constante qu’il représentait pour leur santé et leur sécurité, la Cour estime que l’aggravation de son comportement criminel – qui l’a conduit à commettre un meurtre – était non seulement possible mais clairement prévisible. L’intéressée et sa mère se sont vu infliger des blessures à maintes reprises et ont subi des pressions psychologiques ainsi que des menaces de mort, sources d’angoisse et de terreur. La violence de H.O. s’est aggravée au point qu’il en est venu à se servir d’un couteau et d’un pistolet, armes mortelles. Considérée par H.O. comme un obstacle entre sa femme et lui, la mère de l’intéressée a été victime de cette violence. Les enfants du couple qu’ils formaient peuvent également passer pour des victimes en raison des répercussions psychologiques de la violence qui régnait en permanence dans le foyer. Le fait que H.O. portait un couteau ainsi qu’une arme à feu et qu’il rôdait autour du domicile de sa belle-mère avant de l’agresser mortellement prouve que son acte était prémédité. Conformément à une pratique commune aux Etats membres, plus une infraction est grave et plus le

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risque de récidive est élevé, plus le maintien des poursuites dans l’intérêt général est probable, même si les victimes retirent leurs plaintes. Pour leur part, les autorités turques ont décidé à plusieurs reprises de classer les poursuites dirigées contre H.O. en se fondant uniquement sur la nécessité d’éviter toute immixtion dans ce qui était à leurs yeux un « problème domestique ». Elles ne semblent pas avoir tenu compte des raisons pour lesquelles les plaintes ont été retirées, alors que la mère de l’intéressée avait pourtant déclaré que sa fille et elle avaient été contraintes d’agir ainsi sous la pression de H.O. et les menaces de mort proférées par lui. En outre, force est de constater que les victimes ont retiré leurs plaintes lorsque H.O. était en liberté et à l’issue de sa garde à vue. Le droit applicable aurait dû permettre au parquet de continuer à instruire contre H.O. malgré le retrait des plaintes puisque le comportement violent de celui-ci était d’une gravité suffisante pour justifier des poursuites et que l’intégrité physique de la requérante faisait l’objet d’une menace constante. La Turquie a donc manqué à son obligation de procéder à la mise en place et à l’application effective d’un dispositif susceptible de conduire à la répression de toutes les formes de violence domestique et de fournir aux victimes une protection suffisante. De fait, les autorités locales auraient pu prendre des mesures de protection sur le fondement de la loi no

4320 ou interdire à H.O. de contacter la mère de l’intéressée, de communiquer avec elle, de s’en approcher ou de se rendre dans des endroits déterminés. Au lieu de cela, elles sont demeurées passives face aux demandes de protection formulées à plusieurs reprises par la mère de la requérante, notamment fin février 2002, se contentant de prendre la déposition de H.O. avant de le relâcher. Deux semaines plus tard, ce dernier tuait sa belle-mère. La Cour en conclut que les autorités ont manqué à la diligence dont elles auraient dû faire preuve pour protéger la requérante et la mère de celle-ci contre les actes de violence dénoncés, notamment en instruisant contre H.O. ou en prenant à son égard d’autres mesures préventives appropriées. L’enquête menée sur le meurtre dont H.O. a reconnu être l’auteur ne saurait elle non plus passer pour effective puisqu’elle est ouverte depuis plus de six ans. En outre, le système répressif n’a pas eu d’effet dissuasif en l’espèce et les autorités ne peuvent s’appuyer sur le comportement de la victime pour tenter de justifier le fait qu’elles n’ont pas pris les mesures nécessaires. Il s’ensuit que les autorités turques sont restées en défaut de protéger la vie de la mère de la requérante, au mépris de l’article 2. Article 3

La Cour estime que la réaction des autorités au comportement de H.O. a été manifestement inadaptée au regard de la gravité des infractions perpétrées par

lui. Les décisions judiciaires dont il a fait l’objet n’ont visiblement eu sur lui aucun effet préventif ou dissuasif ; elles ont été inefficaces et révèlent même une certaine tolérance envers ses actes. A cet égard, les blessures graves que H.O. a infligées à la mère de l’intéressée en la percutant avec sa voiture ne lui ont valu que 25 jours d’emprisonnement et une amende. Il est encore plus frappant de constater qu’il ne s’est vu infliger qu’une légère amende payable en plusieurs fois pour avoir poignardé l’intéressée à sept reprises. Par ailleurs, ce n’est qu’en janvier 1998, avec l’entrée en vigueur de la loi no 4320, que des mesures administratives et répressives spécifiquement consacrées à la protection des personnes vulnérables contre la violence domestique ont été introduites dans l’ordre juridique turc. Malgré l’entrée en vigueur de la loi en question, les autorités internes ont échoué à appliquer efficacement les mesures et sanctions en question en vue de protéger la requérante. Enfin, la Cour note avec beaucoup de préoccupation que l’intéressée continue à subir des actes de violence et que les autorités font toujours preuve de passivité. En dépit de la demande formulée par la requérante en avril 2008, rien n’a été entrepris avant que la Cour n’invite le Gouvernement à lui fournir des informations sur les mesures de protection prises par lui. Dans ces conditions, la Cour conclut à la violation de l’article 3 en raison du manquement des autorités à leur obligation de prendre à l’égard de la requérante des mesures de protection sous la forme d’une prévention efficace la mettant à l’abri des graves atteintes portées à son intégrité physique par son ex-mari. Article 14

L’examen préalable des dispositions relatives à la discrimination et à la violence envers les femmes contenues dans un certain nombre d’instruments de droit international des droits de l’homme consacrés à cette question, en particulier la Convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et la Convention de Belem do Para, ainsi que des documents et décisions pertinents émanant d’organes de droit international tels que la Commission des droits de l’homme des Nations-Unies et la Commission interaméricaine, conduit la Cour à conclure que les règles et principes de droit international admis par une grande majorité d’Etat considèrent le manquement – même involontaire – des Etats à leur obligation de protéger les femmes contre la violence domestique comme une violation du droit de celles-ci à une égale protection de la loi. Il ressort des rapports produits par la requérante, établis par le barreau de Diyarbakir et Amnesty International – deux organisations non gouvernementales de premier plan –, que Diyarbakir – où la requérante avait son domicile à l’époque pertinente – compte le plus grand nombre de victimes

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recensées de violence domestique. Celles-ci sont toutes des femmes, dans la plupart des cas d’origine kurde et le plus souvent illettrées ou faiblement éduquées et ne disposant généralement pas de revenus propres. Les rapports en question donnent à penser que la violence domestique est tolérée par les autorités et que les remèdes dont le Gouvernement a fait état ne fonctionnent pas de manière efficace. Malgré l’entrée en vigueur de la loi no 4320, les études menées révèlent que, au lieu d’enquêter, les officiers de police auprès desquels les victimes de violence domestique portent plainte se posent en médiateurs en tentant de les convaincre de regagner leur foyer et de retirer leur plainte. La délivrance et la notification des injonctions prévues par la loi no 4320 connaissent fréquemment des retards en raison de l’attitude réfractaire de la police et de la tendance des tribunaux à les considérer comme une forme d’action en divorce. De plus, les sanctions prises contre les auteurs d’actes de violence domestique ne sont pas dissuasives car les tribunaux en atténuent la rigueur au nom de la coutume, de la tradition ou de l’honneur. Aux yeux de la Cour, la requérante a démontré que la violence domestique affecte principalement les femmes et que la passivité généralisée et discriminatoire dont les juridictions turques font preuve crée un climat propice à cette violence. Compte tenu de cet état de choses, la Cour estime que les violences infligées à l’intéressée et à la mère de celle-ci doivent être considérées comme fondées sur le sexe et qu’elles constituent donc une forme de discrimination à l’égard des femmes. Malgré les réformes entreprises par le Gouvernement ces dernières années, l’indifférence dont la justice fait généralement preuve en la matière et l’impunité dont jouissent les agresseurs révèlent un manque de détermination des autorités à prendre des mesures appropriées pour remédier à la violence domestique. Partant, il y a eu violation de l’article 14 combiné avec les articles 2 et 3.

Opuz c. Turquyie 09/06/2009 Violation de l'art. 2 ; Violation de l'art. 3 ; Violation de l'art. 14+2 ; Violation de l'art. 14+3 Jurisprudence : A. v. the United Kingdom, 23 September 1998, § 22, Reports 1998-VI ; A.T. v. Hungary, decision of 26 January 2005 ; Ahmet Sadik v. Greece, 15 November 1996, § 34, Reports 1996-V ; Ali and Ayse Duran v. Turkey, no. 42942/02, § 54, 8 April 2008 ; Avsar v. Turkey, no. 25657/94, § 395, ECHR 2001-VII (extracts) ; Aytekin v. Turkey, 23 September 1998, Reports 1998-VII ; Bevacqua and S. v. Bulgaria, no. 71127/01, 12 June 2008 ; Çakici v. Turkey [GC], no. 23657/94, §§ 80-87 and 106, ECHR 1999-IV ; Calvelli and Ciglio v. Italy, [GC], no. 32967/96, ECHR 2002, § 51 ; Cardot v. France, 19 March 1991, § 30, Series A no. A. c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 22, Recueil 1998-VI ; A.T. c. Hongrie, décision of 26 janvier 2005 ; Ahmet Sadik c. Grèce, 15 novembre 1996, § 34, Recueil 1996-V ; Ali et Ayse Duran c. Turquie, no

42942/02, § 54, 8 avril 2008 ; Avsar c. Turquie, no 25657/94, § 395, CEDH 2001-VII (extraits) ; Aytekin c. Turquie, 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII ; Bevacqua et S. c. Bulgarie, no 71127/01, 12 juin 2008 ; Çakici c. Turquie [GC], no 23657/94, §§ 80-87 et 106, CEDH 1999-IV ; Calvelli et Ciglio c. Italie, [GC], no 32967/96, CEDH 2002, § 51 ; Cardot c. France, 19 mars 1991, § 30, série A no 200 ; Costello-Roberts c. Royaume-Uni, 25 mars 1993, § 30, série A no 247-C ; D.H. et autres c. Czech Republic [GC], no 57325/00, 13 novembre 2007, §§ 175-180 ; Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, 12 novembre 2008 ; E. et autres c. Royaume-Uni, no 33218/96, § 99 ; Fatma Yildirim c. Autriche, décision of 1 octobre 2007 ; H.L.R. c. France, 29 avril 1997, § 40, Recueil 1997-III ; Hoogendijk c. Pays-Bas (déc.), no 58461/00, 6 janvier 2005 ; K.A. et A.D. c. Belgique, no 42758/98 et 45558/99, § 81, 17 février 2005 ; Kenar c. Turquie, no 67215/01 (déc.), 1 décembre 2005 ; Kontrová c. Slovaquie, no 7510/04, §49, CEDH 2007-... (extraits) ; L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, § 36, Recueil 1998-III ; Nikolova et Velitchkova c. Bulgarie, no 7888/03, § 61, 20 décembre 2007 ; Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, § 115, Recueil 1998-VIII ; Paul et Audrey Edwards, cited above, §§ 69 et 71 ; Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 63, CEDH 2008-... ; Semsi Önen c. Turquie, no 22876/93, § 77, 14 mai 2002 ; Yasa c. Turquie, 2 septembre 1998, §§ 102-104, Recueil 1998-VI ; Zarb Adami c. Malte, no 17209/02, CEDH 2006-...(L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

DDDRRROOOIIITTT AAA DDDEEESSS EEELLLEEECCCTTTIIIOOONNNSSS LLLIIIBBBRRREEESSS

DROIT A LA LIBERTE D’ASSOCIATION

LIBERTE D’EXPRESSION.

L’article 3 du Protocole n° 1

Dissolution des partis politiques Herri Batasuna et Batasuna.

Inéligibilité du fait d'activités au sein de partis politiques déclarés illégaux et dissous.

HERRI BATASUNA ET BATASUNA c. ESPAGNE

ETXEBERRIA ET AUTRES c. ESPAGNE ET

HERRITARREN ZERRENDA c. Espagne 30.06.2009

Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne

L’organisation politique Herri Batasuna se constitua en tant que coalition électorale et participa aux élections générales du 1er mars 1979. Le 5 juin 1986, Herri Batasuna fut inscrit au registre des partis politiques du ministère de l’Intérieur. Le 3 mai 2001, le requérant Batasuna déposa au registre des partis politiques les

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documents tendant à son inscription en tant que parti politique. Le 27 juin 2002, le Parlement espagnol adopta la loi organique 6/2002 sur les partis politiques (LOPP). Les principales nouveautés introduites par la nouvelle loi figurent au chapitre II relatif à l’organisation, au fonctionnement et aux activités des partis politiques et au chapitre III relatif à leur dissolution ou suspension judiciaire. Le 2 septembre 2002, l’avocat de l’Etat, au nom du Gouvernement espagnol et pour faire suite à l’accord adopté par le Conseil des ministres le 30 août 2002, engagea devant le Tribunal suprême une action tendant à la dissolution des partis requérants, au motif qu’ils avaient enfreint la nouvelle LOPP car ils avaient accumulé des activités démontrant de manière irréfutable une conduite en rupture avec la démocratie et les valeurs constitutionnelles, la méthode démocratique et les droits des citoyens et contraire aux principes établis dans l’exposé des motifs de ladite loi. Par un arrêt du 27 mars 2003 rendu à l’unanimité, le Tribunal suprême déclara les partis Herri Batasuna, EH et Batasuna illégaux, prononça leur dissolution et procéda à la liquidation de leur patrimoine. Invoquant les articles 10 et 11 de la Convention, les requérants alléguaient que leur dissolution avait emporté violation de leur droit à la liberté d’association. Ils se plaignaient du caractère non accessible et non prévisible de la LOPP, ainsi que de l’application rétroactive de ladite loi et de l’absence de but légitime, tout en estimant que la mesure prise à leur encontre ne pouvait être considérée nécessaire dans une société démocratique et conforme au principe de proportionnalité. Décision de la Cour Article 11

La Cour estime que la dissolution des partis requérants s’analyse en une ingérence dans l’exercice de leur droit à la liberté d’association, qu’elle était « prévue par la loi » et poursuivait un « but légitime » au sens de l’article 11 de la Convention. Quant à la nécessité dans une société démocratique et la proportionnalité de la mesure, la Cour, après un long rappel de sa jurisprudence, estime que la dissolution répondait à un « besoin social impérieux ». Elle estime qu’en l’espèce les juridictions internes sont parvenues à des conclusions raisonnables après une étude détaillée des éléments dont elles disposaient pour conclure à l’existence d’un lien entre les partis requérants et l’ETA. Compte tenu de la situation existant en Espagne depuis de nombreuses années concernant les attentats terroristes, ces liens peuvent être

considérés objectivement comme une menace pour la démocratie. De l’avis de la Cour, les constats du Tribunal suprême doivent s’inscrire dans le souci international de condamnation de l’apologie du terrorisme. Partant, la Cour considère que les actes et les discours imputables aux partis politiques requérants constituaient un ensemble donnant une image nette d’un modèle de société conçu et prôné par les partis, et qui serait en contradiction avec le concept de « société démocratique ». Concernant la proportionnalité de la mesure de dissolution, le fait que les projets des requérants étaient en contradiction avec la conception de la « société démocratique » et comportaient un fort danger pour la démocratie espagnole conduit la Cour a jugé que la sanction infligée aux requérants est proportionnelle au but légitime poursuivi au sens de l’article 11 § 2 de la Convention. La Cour conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 11 de la Convention. Article 10

Les questions soulevées par les requérants sous l’angle de l’article 10 portant sur les mêmes faits que ceux examinés sur le terrain de l’article 11 de la Convention, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de les examiner séparément. Etxeberría et autres c. Espagne

Les requérants sont des ressortissants espagnols et des groupements électoraux ayant exercé des activités au sein de partis politiques déclarés illégaux et dissous (notamment Herri Batasuna et Batasuna) sur la base de la LOPP. Invoquant l’article 3 du Protocole no 1, les requérants à l’origine des requêtes nos 35613/03 et 35626/03, chacun tête de liste d’un groupement électoral litigieux, alléguaient une privation de la possibilité de se présenter aux élections au Parlement de Navarre et de représenter les électeurs, ce qui aurait entravé la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. Invoquant l’article 10 de la Convention, tous les requérants se plaignaient de l’annulation de leurs candidatures aux élections au Parlement de Navarre, ainsi qu’aux élections municipales et régionales au Pays basque et en Navarre. Contestant le caractère prévisible de l’article 44 § 4 de la loi organique relative au régime électoral général et dénonçant l’absence de but légitime et de nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, ils soutenaient que l’objectif de l’ingérence, ainsi que de la LOPP, était d’interdire toutes les expressions politiques de l’indépendantisme basque, et que la mesure litigieuse n’était pas proportionnée au but poursuivi.

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L’ensemble des requérants alléguaient également un défaut de recours effectif s’agissant de la procédure contentieuse-électorale devant la chambre spéciale du Tribunal suprême. Décision de la Cour Article 3 du Protocole no 1

Pour la Cour, le droit espagnol prévoit la mesure litigieuse et les requérants pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que cette disposition, suffisamment prévisible et accessible, soit appliquée dans leur cas. Quant aux buts de la mesure, la Cour estime que la dissolution des partis politiques Batasuna et Herri Batasuna aurait été inutile s’ils avaient pu poursuivre de facto leur activité par le biais des groupements électoraux litigieux. Dès lors, elle juge que la restriction litigieuse poursuit des buts compatibles avec le principe de la prééminence du droit et les objectifs généraux de la Convention. S’agissant de la proportionnalité de la mesure, la Cour est d’avis que les autorités nationales disposaient de nombreux éléments et du temps nécessaire pour conclure que les groupements électoraux litigieux voulaient continuer les activités des partis politiques déclarés illégaux préalablement. Le Tribunal suprême s’était fondé sur des éléments supplémentaires au programme des groupements litigieux et, en outre , les autorités ont pris les décisions d’annulation des candidatures de façon individualisée, après un examen contradictoire au cours duquel les groupements ont pu présenter des observations, et que les juridictions internes ont constaté de façon non équivoque un lien avec les partis politiques déclarés illégaux. La Cour estime donc que la restriction litigieuse est proportionnée au but légitime poursuivi et, dans l’absence d’arbitraire, qu’elle elle n’a pas porté atteinte à la libre expression de l’opinion du peuple. La Cour conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 3 du Protocole no 1. Article 10

La Cour conclut à l’applicabilité de l’article 10 de la Convention en l’espèce, la liberté d’expression devant être interprétée comme englobant également celui à communiquer des informations et des idées à des tiers dans un contexte politique. Concernant les requêtes nos 35613/03 et 35626/03, la Cour renvoie à ses conclusions sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1 et déclare qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 10 de la Convention. S’agissant des requêtes nos35579/03 et 35634/03, compte tenu du lien étroit entre le droit à la liberté d’expression et les critères dégagés par la jurisprudence concernant l’article 3 du Protocole no 1, la Cour est d’avis que l’Etat est en droit de

disposer d’une marge d’appréciation comparable pour l’article 10 à celle acceptée dans le cadre de l’article 3 du Protocole no 1, et qu’il n’a pas excédé la marge d’appréciation dont il disposait en l’espèce. Elle écarte également le grief relatif à l’allégation d’application rétroactive de la loi organique relative au régime électoral général. Par conséquent, la Cour conclut, à l’unanimité, la non-violation de l’article 10 de la Convention. Article 13

La Cour considère qu’il n’a pas été démontré par les requérants que les délais aient empêché les représentants des groupements litigieux de former leurs recours devant le Tribunal suprême ou le Tribunal constitutionnel, de présenter des observations et défendre leurs intérêts de manière appropriée. La Cour conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 13 de la Convention. Herritarren Zerrenda c. Espagne

Invoquant les articles 10 de la Convention et 3 du Protocole no 1, le requérant se plaignait de l’annulation de sa candidature aux élections au Parlement européen , au motif que cette dernière avait pour but de poursuivre les activités des trois partis déclarés illégaux et dissous et de s’être vu privé de la possibilité de se présenter aux élections au Parlement européen et de représenter les électeurs, ce qui a entravé la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. Il invoquait également une violation de l’article 13 en raison de la procédure contentieuse-électorale devant la chambre spéciale du Tribunal suprême. Décision de la Cour La Cour aboutit aux mêmes conclusions que dans l’affaire Etxeberría et autres et conclut à la non-violation des articles 13 de la Convention et 3 du Protocole no 1, aucune question distincte ne se posant sous l’angle de l’article 10 de la Convention.

Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne nos 25803/04 et 25817/04 30/06/2009 Non-violation de l'art. 11

Etxeberría et autres c. Espagne nos 35579/03, 35613/03, 35626/03 et 35634/03 30/06/2009 Applicabilité Art. 10 Non-violation de P1-3 ; Non-violation de l'art. 10 ; Non-violation de l'art. 13 Herritarren Zerrenda c. Espagne no 43518/04 30/06/2009 Non-violation de P1-3 ; Non-violation de l'art. 13 Jurisprudence : Ahmed et autres c. Royaume-Uni, 2 septembre 1998, § 41, Recueil 1998-VI ; Dicle pour le Parti de la démocratie (DEP) c. Turquie, no 25141/94, § 57, 10 décembre 2002 ; Ezelin c. France, 26 avril 1991, § 45, série A no 202 ; Gitonas et autres c. Grèce, 1er juillet 1997, § 39, Recueil 1997-IV ; Gorzelik et autres c. Pologne [GC], arrêt du 17 février

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2004, § 96 ; Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, § 49, série A no 24 ; Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 89, CEDH 2005-IX ; Jersild c. Danemark du 23 septembre 1994, § 37, série A no 298 ; Labita c. Italie, [GC], no 26772/95, § 203, CEDH 2000-IV ; Leroy c. France, no 36109/03, § 45, 2 octobre 2008 ; Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, série A no 113 ; Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, CEDH 1999-I ; Organisation macédonienne unie Ilinden et autres c. Bulgarie, no 59491/00, § 76, 19 janvier 2006 ; Özgür Gündem c. Turquie, no 23144/93, § 43, CEDH 2000-III ; Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, Recueil 1998-I ; Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. Turquie [GC], no 23885/94, § 45, CEDH 1999-VIII ; Parti socialiste et autres c.

Turquie, 25 mai 1998, Recueil 1998-III ; Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu c. Roumanie, 3 février 2005 ; Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, §§ 35 et 36, 9 avril 2002 ; Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, CEDH 2003-II ; Rekvényi c. Hongrie [GC], no 25390/94, CEDH 1999-III ; Salleras Llinares c. Espagne (déc.), no 52226/99, CEDH 2000-XI ; Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juillet 1998, Recueil 1998-IV ; Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), 26 avril 1979, § 49, série A no 30 ; Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 64, CEDH 1999-IV ; Yazar et autres c. Turquie, nos 22723/93, 22724/93 et 22725/93, § 49, CEDH 2002-II ; Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, §§ 123 et 130, CEDH 2006-IV

bservatoire sans frontières des violations des droits de la défense et des droits des avocats dans le monde Ce mois-ci, l'IDHAE est intervenu pour :

MEXIQUE - 5 juin 2009 Menaces de mort contre Rommel Cain Chacan Pale et Matilde Pérez Romero. Le 5 juin, Rommel Cain Chacan Pale, avocat de l' une organisation indépendante de surveillance des activités policières basée à Tlapa de Comonfort, de l'État de Guerrero, a reçu des menaces de mort par téléphone. Matilde Pérez Romero, également avocate, était présente. Rommel Cain Chacan Pale et Matilde Pérez Romero ont tous les deux travaillé sur de nombreux cas de plaintes contre les policiers et les militaires opérant dans la région, notamment des plaintes pour chantage, détention arbitraire et recours excessif à la force. Source : AMR 41/030/2009 -

AU 148/09

VIETNAM - 6 juin 2009 Lê Thi Công Nhân, menacée de cécité.

L’état de santé de Lê Thi Công Nhân (qui est aujourd'hui âgée de 30 ans), jeune avocate dissidente et prisonnière d’opinion en détention est de plus en plus particulièrement préoccupant. Elle est non seulement atteinte d’une sinusite chronique et d’une polyarthrite rhumatoïde, mais beaucoup plus gravement d'une maladie de son œil gauche. Elle risque de perdre l’usage de son œil gauche si elle n'est pas transférée à l’hôpital de la province de Thanh Hoa pour un examen par un médecin spécialiste des maladies des yeux, en vue d’un traitement urgent et nécessaire, telle une opération chirurgicale de son œil gauche.

Les conditions de vie carcérale, en plus de la très mauvaise nourriture et le manque d’hygiène, le climat hostile des co-détenues de droit commun, seraient en grande partie à l’origine de la détérioration de la santé des prisonnières.

Sources : Ligue Vietnamienne des DH

VIETNAM 13 juin 2009 : Lê Công Dinh arrêté pour avoir participé à un projet de nouvelle Constitution

Me Le Cong Dinh, 41 ans, ancien vice-président de l’Ordre des avocats d’Ho Chi Minh-Ville, spécialisé dans la défense des droits de l'homme a été arrêté le 13 juin dans son cabinet d’Ho Chi Minh-Ville par les services de police chargés de la sécurité publique. Il a été inculpé de « propagande » contre l’État, en vertu de

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l’article 88 du Code pénal. Les forces de l'ordre accusent l'avocat d'avoir participé à un projet de nouvelle Constitution et d'avoir profité des procès des avocats militants des droits de l'Homme Nguyen, Van Dai et Le Thi Cong Nhan en 2007, pour véhiculer une "propagande d'oppo-sition au régime".

IRAN - 16 juin 2009

Abdolfattah Soltani, éminent avocat et membre fondateur du Centre des Défenseurs des Droits de l'Homme (DHRC) a été arrêté à son bureau de Téhéran, le 16 juin 2009, lors une vague d’arrestation de nombreux défenseurs des droits humains. Avant son arrestation, Abdolfattah Soltani avait publiquement appelé le gouvernement iranien à recompter les votes de l'élection présidentielle controversée, dont le Président sortant Mahmoud Ahmadinejad a été déclaré vainqueur.

Source : Frontline

CHINE - 17 juin 2009 Zheng Enchong brutalisé par la police pendant une interpellation qui a duré neuf heures.

Zheng Enchong, 58 ans, avocat à Shanghai, spécialisé dans la représentation des familles expulsées de leur foyer à l’occasion

du réaménagement de Shanghai a été à nouveau interpellé le 17 juin 2009.La période d'interpellation a duré neuf heures. Zheng aurait été giflé plusieurs fois par des policiers, frappé sur le derrière de la tête, et on a essayé de lui brûler les lèvres et les paupières avec des cigarettes. Depuis qu'il a été libéré en juin 2006 après une peine de deux ans de prison, Zheng a été interpellé 62 fois.

Sources : China Human Rights Lawyers Concern

Group

TUNISIE - 23 juin 2009

Radhia Nasraoui, Raouf Ayadi et M. Abdelwahab Maatar harcelés. Radhia Nasraoui et Raouf Ayadi ont été roués de coups et emmenés de force dans un bureau où ils l’ont fouillé par un groupe d’agents de sécurité en civil à l’aéroport de Tunis-Carthage. Au même moment à l’aéroport de Sfax, Abdelwahab Maatar, était détenu pendant plus de deux heures à son retour de Paris, menacé et frappé au visage. Il semble que les trois avocats soient sous le coup de la mesure dite « Zéro Six », nommée ainsi d’après le code de la base de données centralisée de sécurité

Source : Frontline

IRAN 25 Juin 2009 : Mohammad Mostafaei arrêté à Téhéran

Mohammad Mostafaei, un avocat célèbre pour avoir dénoncé l’exécution en Iran de personnes reconnues coupables de crimes commis par des mineurs, a été arrêté à Téhéran par des fonctionnaires en civil pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression à la suite de l'élection présidentielle contestée. Il a été libéré sous caution le 1er Juillet 2009

Source : AI

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LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 06/2009 28

Le Coran Texte arabe et t raduct ion française par ordre chronologique selon l'Azhar.

de Sami Awad Aldeeb Abu-Sahlieh Préface par Rachid Benzine et Christian Delorme, 600 pages, Ed. de l'Aire ISBN: 2-88108-849-x CHF 48 (Euro 32)

Comme la Bible ou les Védas, le Coran appartient au patrimoine spirituel et intellectuel de toute l'humanité. Il est un des quelques rares grands textes fondateurs d'universalisme, qui ont permis à de nombreuses sociétés de se construire et de grandir.

Considéré par les musulmans comme unique et inimitable, le livre saint de l'islam n'a pas cessé, depuis quatorze siècles, de nourrir la vie de centaines de millions de croyants. Or voici une nouvelle version française du texte coranique: 600 pages des versets avec leurs variantes, non pas dans l’ordre canonique, mais chronologique de leur révélation. Elle est l'œuvre

de l'universitaire suisse d'origine palestinienne Sami Aldeeb Abu-Sahlieh responsable du droit musulman et arabe à l'Institut suisse de droit comparé, à Lausanne, matière qu'il enseigne également aux Facultés de droit d'Aix-en-Provence et de Palerme. La version est le fruit d'une approche comparative de 20 traductions françaises. Les notes en bas de pages donnent plusieurs autres traductions en indiquant qui a traduit. Sami Aldeeb, dont la langue du Coran est la langue maternelle, puisque la langue arabe classique a pour matrice le livre saint de l'islam, a travaillé ne nombreuses années à cette œuvre gigantesque : le Coran chronologique avec toutes ses variantes. Les chapitres de la période mecquoise de Mahomet, au nombre de 86, sont plus courts et plus poétiques que ceux de la période médinoise. Ces derniers, au nombre de 28, ont un caractère législatif et normatif. L'édition est aussi la première à indiquer les versets abrogés et les abrogeants. Le droit musulman prévoit en effet l'abrogation de certains versets et prescriptions du Coran sur la base d'indications postérieures. Un grand travail a été réalisé pour faciliter la lecture du texte et indiquer que tel verset appartient à une autre époque. Ainsi, l'usage général veut que les versets révélés tardivement abrogent ceux qui les précèdent. Il en est ainsi, soutient l'auteur, du verset du sabre, qui préconise le meurtre des ennemis. Il abrogerait selon certains

savants entre 124 et 140 versets tolérants, dont le célèbre «pas de contrainte en religion». Mais, Sami Aldeeb ne manque pas d'ajouter que «l'abrogation continue à soulever aujourd'hui de nombreuses controverses, et il n'y a pas d'accord à ce sujet entre les auteurs musulmans».

Enfin, ce qui démontre bien le cousinage des trois grandes religions monothéistes, les versets font l'objet de renvoi aux références juives et chrétiennes du texte favorisant la recherche exégétique. Ainsi, le Coran de Sami Aldeeb propose une nouvelle traduction du célèbre verset qui intime aux femmes l'ordre de porter un voile: «Dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur sexe, de ne faire apparaître de leur ornement que ce qui est apparent et de rabattre leurs voiles sur leurs fentes.» «Fente» est ici un synonyme de «sexe» selon le chercheur. Le terme arabe «juyub» est utilisé dans une variante d'un verset du Coran «dans le sens de la fente du corps de la femme», précise la note qui accompagne la traduction. D'autres traductions du Coran proposent poitrine, échancrures, gorges, seins. La mise en page, faite entièrement par Sami Aldeeb lui-même est en rouge et noir. Les annotations et les appels de note sont en rouge. Bien évidemment, une table des matières indique les chapitres par ordre normal.