20
« Incident de masse » ? Juillet 2009, Tonghua (province de Jilin) : Alors que, depuis plusieurs années, l’aciérie de la ville est en « restructuration » (privati- sation puis renationalisation), un nouveau rachat de la boîte par un entrepreneur privé est annoncé : le 24 juillet, des milliers de si- dérurgistes, rejoints par d’anciens travail- leurs (préretraités et licenciés), bloquent les axes routiers et ferroviaires attenants à l’usine, ce qui stoppe la production des sept hauts-fourneaux. Ils sont près de 30 000 à af- fronter plus d’un millier de flics : voitures de police incendiées, plus de cent blessés. Le nouveau directeur ordonne la reprise du tra- vail et annonce que le nombre de salariés va être réduit de 30 000 à 5 000 dans les jours sui- vants. L’usine est alors envahie par les mani- festants. Le directeur passe par une fenêtre et agonise pendant que plus de 10 000 ouvriers bloquent l’arrivée des secours (police, ambu- lances). Le soir, un représentant du gouver- nement provincial annonce à la télé que la privatisation est « reportée ». Un « incident de masse »... parmi quelques dizaines de milliers : disciplinée, la main-d’œuvre du plus vaste atelier du monde ? INCIDENTS DE CLASSE EN CHINE les travailleurs chinois contre le capital mondial au XXI e siècle

IN C ID EN T S - INFOKIOSQUES...le secteu r p riv , au tou r dÕen trep rises occiden tales et de leu rs sou s-traitan ts ch in ois, cen tr s n otam m en t su r les zon es c ti res

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • « Incident de masse » ?Juillet 2009, Tonghua (province de Jilin) :

    Alors que, depuis plusieurs années, l’aciériede la ville est en « restructuration » (privati-sation puis renationalisation), un nouveaurachat de la boîte par un entrepreneur privéest annoncé : le 24 juillet, des milliers de si-dérurgistes, rejoints par d’anciens travail-leurs (préretraités et licenciés), bloquent lesaxes routiers et ferroviaires attenants àl’usine, ce qui stoppe la production des septhauts-fourneaux. Ils sont près de 30 000 à af-fronter plus d’un millier de flics : voitures depolice incendiées, plus de cent blessés. Lenouveau directeur ordonne la reprise du tra-vail et annonce que le nombre de salariés vaêtre réduit de 30 000 à 5 000 dans les jours sui-vants. L’usine est alors envahie par les mani-festants. Le directeur passe par une fenêtre etagonise pendant que plus de 10 000 ouvriersbloquent l’arrivée des secours (police, ambu-lances). Le soir, un représentant du gouver-nement provincial annonce à la télé que laprivatisation est « reportée ».

    Un « incident de masse »...parmi quelques dizaines de milliers :

    disciplinée, la main-d’œuvre du plus vaste atelier du monde ?

    INCIDENTSDE CL ASSEEN CHINEles travailleurs chinois contre le capital mondialau XXIe siècle

  • Une première édition de cette brochurea été réalisée à l’occasion de deux soi-rées-discussion à Ganges et Avignon au-tour du livre de Bruno Astarian, Luttesde classes dans la Chine des réfor-mes (1978-2009). Cette seconde ver-sion, tout comme la précédente (ici re-vue et corrigée), ne prétend évidem-ment pas remplacer la lecture de ce bou-quin, ni en proposer un résumé, maisoffre une première approche du sujet etquelques documents complémentaires. Ces recherches sur la lutte des classes enChine ont été l’occasion de prendre letemps d’approfondir collectivementquelques réflexions, de se demander cequ’on fait, comment et pourquoi. Êtrecurieux de ce qui se passe au bout-du-monde (pas toujours si éloigné que ça,que l’on pense aux faubourgs de l’Unioneuropéenne : Algérie, Roumanie, etc.) nesignifie pas se complaire dans un rassu-rant « exotisme » révolutionnaire à lanoix de coco, ni dans une fascinationpour le « beau geste » émeutier (en soid’un intérêt limité).

    La « question internationale » affine no-tre vision du monde, oblige à prendre durecul et permet une meilleure compré-hension de se qui se trame « ici » dans sacomplexité… Bref, ça élargit considéra-blement (crûment) les perspectives de laguerre sociale en cours. Cela confirmeque « the system », structuré par l’ex-ploitation, et la lutte pour l’abattre sontinternationaux (ce qui est loin d’être unscoop, on l’admet). Cela fait aussi écho à nos pratiques, ànos discours sur ce monde, à notre ten-dance à courir après les luttes, le toutpâtissant quelquefois d’un manque deréflexions, de perspectives, et basculantparfois dans des postures idéologiques :on le sait, ce ne sont pas les révolution-naires (encore moins les activistes) quiferont la révolution, mais bien la révolu-tion qui fera les révolutionnaires (et dé-fera les activistes).Cette brochure ne reflète pas non plusexactement l’état actuel de nos discus-sions. Certains points n’ont pu être qu’ef-fleurés, voire n’ont pas été abordés. Parexemple, les questions de « solidarité »,qui ne sont pas une mince affaire (tantau niveau international que local). Maisce bon temps passé ensemble à mangerdes nouilles sautées au faux canard(même pas laqué) et des gâteaux au sojaen discutant de lutte des classes et decommunisme nous a donné envie decontinuer. Même si c’est pas avec une ouplusieurs brochures qu’on va abolir lasociété de classes. Comme quoi, on estpeu de choses…

    printemps [email protected]

    Textes complémentairesUnité? 8La question de la plus-value absolue 11Les travailleurs migrants en Chine 14La question des salaires 17Syndicats et modalité de l’exploitation 27Grèves et destructions 30

    Et aussi...Carte 34Quelques chiffres et données 35Chronologie indicative 36Pistes bibliographiques 37

    58 000 « incidents de masse »… 4Brèves générales 7Les neuf vies d’une ouvrière chinoise 9L’exportation des prolétaires chinois 22La Chine dans la crise mondiale 25

  • 4

    Au cours du premier trimestre 2009, 58 000 « incidents de masse » ont,selon le Parti communiste chinois (PCC), perturbé « l’harmonie » de lasociété chinoise. Bigre : 58 000 grèves (sauvages puisqu’interdites),manifestations (sauvages également), blocages de voies 1, affronte-ments avec les flics, occupations (voire incendies) de bâtiments pu-blics, saccages d’usines, lynchages de cadres et de patrons, émeutes,etc. Des chiffres qui ne prennent pas en compte les pétitions, sit-in etautres formes plus modérées dont usent abondamment des protesta-taires qui font face, rappelons-le, à une dictature particulièrementsévère. Des chiffres qui connaissent une augmentation remarquabledepuis plusieurs années. Disciplinée, la main-d’œuvre de « l’atelierdu monde » ?Cette information, parmi quelques autres qui peuvent parfois surgirdans les médias, a suscité quelque curiosité 2 : mais que peuvent bienraconter ces chiffres, à l’échelle d’un pays aussi gigantesque – et quiserait, dit-on, le prochain maître du monde ? Y aurait-il, par hasard,un lien avec les conditions de l’exploitation en Chine – et dans lemonde ? D’ailleurs, où (en) est le prolétariat 3 aujourd’hui ? À quelleactualité internationale de la lutte des classes 4 (toujours féroce) fontécho les révoltes ouvrières en Chine ? Que révèlent les luttes contre lecapital qui ne prennent pas la forme de « conflits du travail » : paysanscontre les expropriations, habitants contre les empoisonnements in-dustriels, etc. ? Faut-il projeter dans ces colères prolétariennes lespremières manifestations d’une révolution « à venir » (et pourquoipas communiste 5) ?En guise d’introduction, revenons sur quelques points pour donnerun bref aperçu de la lutte des classes en Chine.Tout d’abord, brossons à gros traits le paysage chinois : depuis la mortde Mao (1976), on peut dire que le pouvoir central 6 de Beijing (Pékin)n’a fait que promouvoir une longue série de réformes visant à inté-grer pleinement le capitalisme d’État chinois dans la dynamiquemondiale du capital. [Une chronologie indicative évoque, p. 36, quel-ques dates marquantes de cette évolution, lente mais sûre.] Au-jourd’hui, le capital en Chine s’organise autour d’un secteur public endémantèlement depuis les années 1980 (mais pas moribond) et, pourle secteur privé, autour d’entreprises occidentales et de leurs sous-traitants chinois, centrés notamment sur les zones côtières. Il est ànoter que le secteur public comprend aussi bien les services et lesbanques que l’industrie. Mais surtout, le capital (mondial) en Chine se développe sur le dos de400 millions (au moins) de prolétaires (pour une population actived’environ 800 millions de personnes).Parmi ceux-ci, les quelques 150-200 millions de travailleurs migrants,la plupart « sans papiers » 7 : les mingong, comme tous les « sans-pa-piers » du monde, forment une main-d’œuvre idéale – enfin, plusexactement : formeraient, si leurs conditions d’exploitation ne lespoussaient pas à se révolter de plus en plus. Ces révoltes font écho auxrécentes mutineries dans les centres de rétention et autres camps enEurope, mobilisations énormes des latinos « illégaux » aux États-Unis

    58 000 « incidents de masse »...

    1. Les méthodes de lutte contre ce monde sesont toujours adaptées aux évolutions desrapports sociaux et des modes de production.On voit qu’il n’est donc pas nécessaire d’êtreadepte de certaines thèses radicales, préten-dues novatrices, pour comprendre l’intérêtdu « blocage de flux » de marchandises ou detravailleurs.2. La lecture du livre de Bruno Astarian,Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009), apporte de précieuses informations etmême, quelques perspectives.3. Pour faire très vite, disons que le proléta-riat est la classe de ceux qui, n’ayant d’autremoyen de survivre, sont contraints de vendreleur force de travail (d’être salariés par ceuxqui possèdent les moyens de production) ; ilsn’ont donc aucun pouvoir sur l’emploi deleur vie. Cette classe, qui comprend entreautres les ouvriers et les employés, est enexpansion permanente et n’a jamais été aussimassive qu’aujourd’hui. « Il faut entendre parprolétaire le salarié qui produit le capital et le faitfructifier, et que M. Capital [...] jette sur le pavédès qu’il n’en a plus besoin. » (Karl Marx, LeCapital, 1867)4. La lutte des classes est l’affrontement declasses aux intérêts contradictoires : la classecapitaliste (détentrice des moyens de pro-duction) et le prolétariat qu’elle domine etexploite. Cette lutte est quotidienne, souventpeu visible (exploitation, résistance au tra-vail, sabotage, etc.) ou parfois très palpable(restructurations, licenciements, grèves,émeutes, etc.). « La lutte des classes existe, etc’est la mienne qui est en train de la remporter. »(le milliardaire Warren Buffet, s’exprimanten novembre 2006 dans le New York Times)5. Le communisme n’a évidemment rien àvoir avec les dictatures du XXe siècle impro-prement appelées « communistes » (Chinemaoïste comprise) qui étaient en fait des for-mes autoritaires de capitalisme d’État.Négativement, on peut dire que le commu-nisme sera la fin (l’abolition, le dépassement)de toutes les formes d’aliénation humaine, demédiation, de domination, l’abolition del’État, des classes (donc du prolétariat), dusalariat, de l’argent et de la valeur, du droit,de la morale, du genre, etc.6. Signalons qu’en Chine la séparation entrepouvoir central et pouvoirs locaux (provin-ces, municipalités) ne facilite pas toujours lagouvernance.7. Le hukou (rural ou urbain), passeport inté-rieur (généralisé par Mao en 1958), structurefondamentalement le contrôle des popula-tions chinoises. Voir p. 14 de cette brochure.

    37

    pour aller chiner ailleurs

    ● Bruno Astarian, Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009), Acratie, 2009, 182 p.● Hsi Hsuan-wou et Charles Reeve, China blues. Voyageau pays de l’harmonie précaire, Verticales, 2008, 288 p.● « La lutte des classes dans la Chine en transforma-tion », Échanges, n° 125, été 2008, p. 27-40 (résumé d’un article de la revue Aufheben, n° 16, janvier 2008, disponible sur , suivi de commentaires de Bruno Astarian)● Dossier « Chine » de la revue Échanges sur internet :

    ● « Grondements ouvriers en Chine », Mouvement communiste, n° 9, printemps-été 2002, p. 27-33,

    ● Serge Michel, Michel Beuret, La Chinafrique. Pékin à la conquête du continent noir, Hachette, « Littératures-Pluriel », 2009, 352 p. ● Wang Bing, À l’ouest des rails, 2004 (film sur la « restructuration » dans le centre industriel de Shenyang, 540 mn – ! )● Xiaolu Guo, Chine, la deuxième révolution, 2005 (film sur la restructuration urbaine et les ouvriers du BTP à Beijing, 61 mn)

    Dans le monde une classe en lutte● Henri Simon, « Bangladesh, une révolte ouvrière », Échanges, n°118, automne 2006, sous forme de brochure sur ● « Au Bangladesh, des dizaines de milliers de grévis-tes détruisent des centaines d’usines », mai 2009,

    ● « Mahalla Al Kubra (Égypte) : une classe ouvrière militante » (sur les grèves émeutières dans le textileen 2006-2007), ● Loren Goldner, « La défaite de la grève de SsangyongMotors » (Corée du Sud, été 2009), Échanges, n° 130, automne 2009, ● « Les mouvements ouvriers et la mobilité du capital » (dans l’industrie automobile), Échanges,n° 122, automne 2007, ● Grèce. La révolte de décembre 2008, 2009, 40 p.,

    ● « Réflexions sur la solidarité “virtuelle” dans les luttes » (à propos des luttes des dockers de Liverpoolde 1995, ou de l’enthousiasme romantique pour « le Chiapas »), Échanges, n° 84, avril-septembre 1997● Étrangers de partout. Bulletin contre les centres de rétention et leur monde, apériodique depuis 2009,

    ● « Histoires de révoltes dans les centres de rétentionen Europe », 2009, ● « Travailleurs immigrés en Roumanie : de nouveauxaspects de la lutte de classe », Échanges, n° 126, autonome 2008● De manière générale, vous l’aurez compris, la revuetrimestrielle Échanges publie des infos et des analysessur la lutte des classes dans le monde :

    Un peu d’histoire et de théorie...● Gilles Dauvé et Karl Nesic, Sortie d’usine, Troploin,2010, 52 p., ● Bruno Astarian, Christian Charrier, « Périodisationdu mode de production capitaliste. Histoire du capital,histoire des crises et histoire du communisme », Hic Salta, 1998, ● Bruno Astarian, Aux origines de l’« antitravail », Échanges & mouvement, 2005, 66 p.● Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, 10/18, 2005 [1999], 480 p.● Les amis du potlatch, « À bas le prolétariat, vive le communisme », 1979, ● Contre le mythe autogestionnaire, 2009, 80 p.,

    ● « Abandonnez l’activisme »,

    ● À couteaux tirés avec l’Existant, ses défenseurs et ses faux critiques, Mutines séditions, 2007, 102 p.,

  • 1er octobre 1949 : proclamation de la République popu-laire de Chine suite à la victoire militaire du Parti com-muniste chinois (PCC) sur les nationalistes (le Kuomin-tang, dont les partisans se replient sur l’île de Taïwan). 1958 : Grand Bond en avant. Vaste mobilisation pour lamodernisation économique, industrialisation des cam-pagnes, collectivisation des terres et création des com-munes populaires. La désorganisation des structuresagricoles entraîne une gigantesque famine. Mao perdde son autorité. 1966 : début de la Révolution culturelle. Pour mettre àmal les dirigeants favorables à une libéralisation del’économie et recouvrer son autorité au sein du parti,Mao lance une campagne contre les élites et les bu-reaucrates en s’appuyant sur la jeunesse du pays. Unepériode de chaos s’ensuit. La situation est progressive-ment reprise en main par Zhou Enlai.1975 : Zhou Enlai, secondé par Deng Xiaoping, annoncele lancement officiel des « quatre modernisations » (agri-culture, industrie, science et technologie, défense na-tionale), marquant le début de l’ère des réformes.Septembre 1976 : mort de Mao Zedong.Juillet 1977 : Deng Xiaoping (considéré comme le lea-der des réformistes) est réhabilité après avoir été misà l’écart pendant la Révolution culturelle.1978 : début des réformes lancées par Deng, qui fontpasser la Chine d’une économie planifiée de type so-viétique à un « socialisme de marché », conservant lastructure rigide de contrôle par le PCC.1979 : ouverture au commerce mondial, début de la dé-collectivisation des terres, loi autorisant les investisse-ments étrangers.Avril 1979 : création des quatre premières zones éco-nomiques spéciales (ZES) dans les provinces du Guang-dong et du Fujian. Elles offrent aux entreprises étran-gères des conditions préférentielles (droits de douaneallégés, libre rapatriement des investissements et desbénéfices, pas d’impôts pendant plusieurs années puisimpôts très bas, statut d’extra-territorialité pour lescadres qui viennent travailler, etc.) ; elles sont un vec-teur important des réformes.1984 : réintroduction des lois du marché et libéralisa-tion des prix, grand boom dans l’industrie légère, sup-pression des communes populaires. « Ouverture » de14 villes côtières (puis des deltas de Yangzi et de la ri-vière des perles en 1985, de l’île de Hainan en 1988…).1986 : loi autorisant la constitution de sociétés au capi-tal à 100 % étranger. Avril-juin 1989 : un vaste mouvement étudiant de pro-testation contre le régime est rejoint par les ouvrierset s’étend à plusieurs villes. L’État écrase la révoltedans le sang en utilisant l’armée (notamment sur laplace Tian’anmen à Beijing).

    1992 : le 14e Congrès du PCC adopte le principe del’« économie de marché socialiste ».1993 : Jiang Zemin devient président de la République. 1994 : début de la construction du barrage des Trois-Gorges (le plus grand du monde) sur le fleuve YangziJiang ; il ne sera achevé qu’en 2006. 1,8 millions de per-sonnes vont être expropriées, 15 villes et 116 villagesengloutis.Mars 1996 : la réforme du secteur d’État est déclaréetâche principale du gouvernement chinois.Juillet 1997 : rétrocession de Hong Kong.Octobre 2000 : création du Forum sur la coopérationsino-africaine afin de renforcer la « coopération » éco-nomique entre la Chine et l’Afrique. 2001 : la Chine adhère à l’OMC. Juillet 2001 : Beijing est désignée pour accueillir lesjeux olympiques de 2008 ; début d’une vaste restructu-ration de la ville qui se couvre de chantiers.Novembre 2002 : Hu Jintao succède à Jiang Zemin à latête du PCC et devient président de la République en2003.Décembre 2006 : la Chine ouvre son marché aux ban-ques étrangères, conformément aux engagements prislors de son adhésion à l’OMC en 2001. Juillet 2007 : la Chine devient la troisième puissanceéconomique du monde derrière le Japon et les États-Unis.2009 : la Chine devient le premier exportateur mon-dial, dépassant l’Allemagne.

    36

    chronologie indicative

    5

    en 2006, etc. L’économie a besoin de fabriquer et conserver une tellecatégorie de travailleurs, dont la condition d’expulsabilité est particu-lièrement adaptée aux besoins des employeurs, évidemment 8. Danscertains secteurs, il est en effet plus pratique de délocaliser (impor-ter) la main-d’œuvre que les entreprises. Le fait qu’en Chine ce sont des Chinois qui forment cette masse labo-rieuse 9 indique que la question des migrations et des « papiers » estpeut-être plus une question de travail (c’est-à-dire d’exploitation) quede frontières (c’est-à-dire d’État) 10. Les mingong forment une part importante du prolétariat révolté, dontla remarquable combativité peut surprendre par ici. Parmi les nom-breuses formes que peuvent prendre ces révoltes, les ouvriers chinoisont régulièrement la bonne idée de sortir des usines pour manifesterleurs colères, et rencontrer dans la rue de précieux complices 11. L’en-jeu du pouvoir (local) est alors fréquemment d’essayer de les en em-pêcher – ce qui entraîne des affrontements récurrents avec leskeufs 12. Le déploiement policier augmente souvent le niveau deconflictualité. Une fois parvenus à déborder les premières rangées deforces de l’ordre, les manifestants dirigent leur rage contre les bâti-ments officiels (caillassages, occupations, incendies). On peut imaginer que pour l’État, une alternative serait l’instaurationd’une relative liberté syndicale 13 (envisageable dans un possible pro-cessus de démocratisation). Ceci permettrait la mise en place de nou-velles structures de modération, de médiation et de contrôle des tra-vailleurs – et rendrait la contention éthiquement plus acceptablepour les consommateurs occidentaux que la matraque ou le char. Uneméthode particulièrement efficace qui a déjà fait ses preuves à traversle monde 14 mais qui ne semble pas, pour l’instant, séduire les diri-geants chinois [voir p. 27].

    *La vive résistance des prolétaires n’est pas un particularisme local,car la Chine est certes le plus vaste « atelier du monde » 15, mais pas leseul. Par exemple, pour l’important secteur du textile, citons l’Inde, leVietnam, le Bangladesh, l’Égypte et l’Iran, où les conditions d’exploi-tation sont particulièrement dures (les salaires dans ce secteur sontparmi les plus bas au monde : environ 0,86 $/heure en Chine, 0,51 enInde, 0,44 en Indonésie, 0,38 au Vietnam, 0,22 au Bangladesh – quandils sont versés) et où l’expression de la lutte des classes est vive, parti-culièrement vive : grèves massives, émeutes, destructions de machi-nes, voire de leurs boîtes. Au Bangladesh, depuis 2006, ce sont plusieurs centaines d’usines qui ontété attaquées et souvent détruites. Le 10 mai 2009, les patrons d’uneusine de pulls à Narayanganj (cité portuaire et centre industriel tex-tile) sont malmenés par un groupe d’ouvriers réclamant plusieursmois de salaires impayés. Le lendemain, les ouvriers trouvent l’usinecadenassée. Ils décident alors de se rendre en cortège devant les au-tres usines de la ville : des milliers de travailleurs quittent leurs pos-tes pour les rejoindre. Des heurts se produisent avec les agents de sécurité. 20 000 travailleurs se mettent à saccager et à incendier desdizaines d’usines. Les deux principales autoroutes du pays sont blo-quées par les grévistes. Dans la soirée, les ouvriers d’autres Zones éco-nomiques spéciales du Bangladesh déclenchent à leur tour des émeu-tes, provoquant de nouveaux affrontements avec l’armée… mutine-ries et antitravail 16 radical qu’on préfèrerait voir exportés, plutôt quedes tee-shirts.

    8. Elle permet de surcroît de maintenir unepression permanente sur l’ensemble destravailleurs et de renforcer leur division.9. Tout comme au XIXe siècle en France, oùBretons et Auvergnats ont constitué le pro-létariat nécessaire à l’industrialisation de larégion parisienne ou, en Italie au XXe siè-cle, les paysans du Sud qui ont permis ledéveloppement industriel du Nord.10. Et que « la frontière » est un système decontrôle géographiquement diffus, plusque la limite physique d’un territoire.11. Quand on est enfermé douze heures parjour, sept jours par semaine, dans uneusine, il n’est pas très étonnant qu’on aitparfois envie de prendre l’air... Il sembled’ailleurs que les occupations d’entreprisessoient assez rares. Quant aux nombreusesboîtes fermées et abandonnées par leurspatrons, les ouvriers chinois (tout commeleurs collègues français) ne paraissent pasrêver de les remettre en route en succom-bant aux sirènes de la contre-révolutionautogestionnaire.12. En Chine, la police nationale comprendenviron 1 500 000 hommes auxquels s’ajou-tent 700 000 militaires de la « police ar-mée » (qui comprend notamment les unitésanti-émeutes). En France, 150 000 policiers(dont 15 000 CRS) et 100 000 gendarmesprotégent la république de l’ennemi inté-rieur.13. La Fédération nationale des syndicatschinois (FNSC, que l’on trouve égalementsous le sigle ACFTU : All China federation oftrade unions) est l’unique syndicat, imposépar l’État ; à juste titre assimilé au PCC, ladéfiance des travailleurs à son égard estbien grande.14. C’est la fonction des syndicats (les « par-tenaires sociaux »), partout dans le monde,que d’œuvrer pour le maintien de la paixsociale, contre le prolétariat révolté.15. La Chine (1 300 millions d’habitants),qui produit 10 % des biens manufacturésdans le monde, est certes devenu en 2009 lepremier exportateur mondial en dépassantlégèrement l’Allemagne (82 millions d’ha-bitants)… mais reste encore derrièrel’Union européenne (500 millions d’habi-tants).16. Le terme « antitravail », forgé dans lesannées 1970, désigne les pratiques de résis-tance au travail et/ou à son intensificationpar des actes variés individuels ou collectifs(sabotage, freinage, absentéisme, turn-over,perruque, etc.).

  • Par le jeu de la lutte des classes, l’atelier du monde se déplace et se ré-organise continuellement. Panasonic, par exemple, transfère au-jourd’hui ses usines de Beijing vers le Guangdong pour baisser sescoûts. En 2008, c’était Adidas qui se plaignait des salaires trop élevésen Chine (parions que la résistance des prolos n’y est pas étrangère)et annonçait la possible délocalisation de ses usines vers l’Inde, leLaos, le Cambodge, le Vietnam, l’ex-URSS ou l’Europe de l’Est. La relo-calisation incessante des lieux de production s’accompagne inévita-blement d’un redéploiement géographique permanent de la combati-vité ouvrière.

    *Le capital, ayant toujours besoin d’augmenter ses profits, doit être enpermanence à l’offensive. L’intensification des résistances en Chine etailleurs conforte sa tendance à renforcer l’exploitation en Occident(réformes des retraites, allongement du temps de travail, flexibilité,etc.) où est aussi produite la plus-value. Car, bien qu’on nous parlesans cesse en France (par exemple) de fermetures et de délocalisa-tions d’usines, les ouvriers sont encore plus de six millions dansl’Hexagone (presque autant que dans les années soixante ; un quart dela population active) 17. Et les salariés français détiennent le recordmondial de productivité... Les rapports entre travailleurs asiatiques et occidentaux sont plusétroits qu’on pourrait le croire : le faible coût des produits que lespremiers fabriquent, et que les seconds consomment de manièrecroissante, permet en Occident de tirer les salaires vers le bas (de diminuer le coût de la reproduction de la force de travail : l’achat de chaussettes fabriquées en Chine est possible pour un smicard etmême pour un chômeur).Or, si les luttes des ouvriers chinois entraînent une hausse de leurs sa-laires, le prix des biens qu’ils produisent augmenteront également.Alors, le problème du « pouvoir d’achat » (en fait des salaires 18) risquede se poser encore plus sévèrement en Occident (la Chine étant le pre-mier exportateur mondial de téléphones portables, de cartes mères,d’appareils photo, d’aspirine, de vêtements pour bébés, de chaussu-res, de jouets, de briquets, etc.). On peut imaginer que cela s’accompagnera à terme, en réponse,d’une combativité croissante, les prolos occidentaux (avec ou sanstravail) ayant de moins en moins « à perdre ». On le constate d’ores etdéjà : bien que patrons et gouvernants brandissent la « menace » chi-noise (concurrence, délocalisations) pour faire pression (blocage dessalaires, conditions et temps de travail), les travailleurs occidentauxne sont pas, eux non plus, aussi soumis qu’on voudrait nous le fairecroire 19. En France, l’État reconnaît d’ailleurs que depuis plusieursannées la « conflictualité du travail » est devenue plus intense et quele nombre de grèves est en hausse 20. Les divers outils de pacification(syndicats, accès à la culture, consommation, etc.) devenant demoins en moins opérants, on peut s’attendre à ce que la répressions’intensifie encore 21.

    *L’harmonie sociale n’existe pas plus en France qu’en Chine ou ailleurs,la guerre sociale est internationale et tout laisse à penser qu’elle n’estpas près de s’apaiser. Au contraire. D’ailleurs, qu’on le veuille ou non,nous sommes tous pris dans cet antagonisme quotidien et, quels quesoient nos moyens et nos perspectives, plus ou moins activement,nous y prenons part.Et c’est nous qui gagnerons à la fin.

    17. En Occident, un enjeu, et une consé-quence, de la restructuration du capital aété « l’invisibilisation » de la classe ouvrière.Elle a accompagné l’acharnement à défaireles derniers liens de solidarité ouvrière lorsdes grands affrontements des années 1980 :Thatcher, Reagan, Mitterrand, l’entrée de laCEE en Espagne, etc., contre les mineurs, lesdockers, les métallos, etc.18. Le salaire ne représente pas le paiementdu travail effectué mais correspond au coûtde la reproduction de la force de travail dusalarié : de quoi lui permettre de se loger, demanger, de s’habiller, et de revenir bosserle lendemain matin ; il comprend aussi l’en-tretien du « reste » de la famille et doncl’élevage des futurs prolétaires. 19. Le niveau de rage et de résistanceconstaté début 2009 rien que dans le sec-teur automobile en Europe (Continental,Rencast, Visteon en Angleterre, etc.) peuten être un révélateur. Rappelons que lacrise de 2008 chamboule particulièrementce secteur clé (pour l’économie et l’organi-sation sociale du monde) en Europe ; leséquipementiers sont les premières entre-prises à morfler. Voir aussi l’évolution del’antagonisme en Grèce depuis quelquesannées, notamment depuis 2008.20. Notamment les grèves de courte durée…mais surtout dans les boîtes ayant mis enplace une organisation du travail à fluxtendu où les répercussions de telles grèvessont plus importantes ! [relire la note 1 p. 4]21. La répression (« criminalisation-du-mouvement-social » incluse) est tout sauf un« état d’exception ». La guerre sociale, com-me la révolution, n’est pas un dîner de gala.

    Nombre d’incidents de masse1993 : 8 7001994 : 12 0001998 : 25 0001999 : 32 0002002 : 50 0002003 : 58 0002004 : 74 0002005 : 87 0002006 : 90 0002007 : 116 0002008 : 120 0001er trim. 2009 : 58 000

    6

    [pour comparaison, les chiffres entre crochetssont ceux concernant la France]

    Superficie : 9 641 144 km2 [675 417]Population : 1 360 445 010 hab.[65 073 482]Population urbaine : 606 millions, soit43 % de la population totale.Densité : 141 hab./km2 [96,3]

    Population active : 812 millions (2009) [27,97]Population active par secteur :agriculture : 43 % [3,8 %]industrie : 25 % [24,3 %]services : 32 % [71,8 %]Mingong : 150 à 200 millionsTravailleurs expatriés : 794 000 (2008)

    Taux de chômage urbain : 4 % (officiellement ; 9,5 % selon une étude indépendante) [9,7 %]

    PIB (nominal) : 4 758 milliards $ (3e rang mondial) [2 635] Croissance du PIB : 8,7 % (2009) [- 2,2 %]PIB (nominal) par habitant : 3 259 $(2008), (104e) [46 037]PIB par secteur :agriculture : 11,3 % [2 %]industrie : 48,6 % [24,3 %]services : 40,1 % [77,6 %]En 2005, les provinces de Guangdong,Shandong et Jiangsu représentaient untiers du PIB chinois. Les onze provincesquotières en représentaient 70 %.

    Inflation : 4,9 % (2008) [2,8 %]Indice de développement humain (IDH) :81e (2008) [10e]

    Principales industries :fer, acier, aluminium et autres métaux,charbon, construction de machines, ar-mement, textiles, pétrole, ciment, pro-duits chimiques, engrais, produits deconsommation, matériels de transport.En 2009, la Chine est devenue le premierconstructeur automobile et le premiermarché mondial (13,64 millions d’unitésproduites). Les marques les plus venduesproviennent d’entreprises mixtes asso-ciant notamment Volkswagen e t GM.

    Commerce extérieur :Exportation : 1 200 milliards $ (2009)[457]Principaux clients : États-Unis 17,7 %,Hong Kong 13,3 %, Japon 8,1 %,Corée du Sud 5,2 %, Allemagne 4 % (2008)La moitié des exportations dites chinoi-ses sont réalisées par des multinationalesétrangères.Importations : 1 005 milliards $ (2009)[532]Biens importés, principaux fournisseurs :Japon 13,3 %, Corée du Sud 9,9 %, Taïwan9,2 %, États-Unis 7,2 %, Allemagne 4,9 %(2008) En 2009, la Chine comptait 1430 portscommerciaux, dont les six premiers mon-diaux : Shangai, Shenzen, Qingdao, Ning-bo, Guangzhou, Tianjin (aucun dans le« top 20 » en 2000 !).Dette publique : 18,9 % du PIB (2007)Dette extérieure : 363 milliards $ (31 décembre 2007) Recettes publiques : 640,6 milliards $ Dépenses publiques : 634,6 milliards $(2007)

    Accidents du travail :500 000 en 2007, dont 98 340 morts (soit300 morts par jour).1616 accidents dans les mines de char-bons, causant la mort de 2 631 travail-leurs (2009). En 2007, le taux de mortalitéétait de cinq mineurs par million de ton-nes de charbons extraites dans les gran-des mines, 9,1 dans les petites ; ce tauxétait de 0,5 en Inde.Dans les deux premiers mois de 2009, 500dirigeants d’entreprises auraient été tuésdans des conflits touchant des salairesimpayés, réduits, ou lors d’un durcisse-ment des conditions d’exploitation.

    Conflits du travail :En 2008, on en aurait compté dans tout lepays 237 000, en augmentation de 98 %par rapport à l’année précédente. De sep-tembre 2008 à mars 2009, leur nombres’élèverait à 546 000 rien que dans les pro-vinces centrales et du Sud-Est (Guangz-hou, Fujian et Jiangsu), où ils auraient étémultipliés par dix.En janvier 2008 on estimait que dans leGuangdong, éclatait chaque jour aumoins une grève impliquant plus de 1 000travailleurs.

    35

    quelques chiffres et données

  • Depuis une quinzaine d’années, lesstatistiques officielles du gouverne-ment chinois révèlent une augmenta-tion des « incidents de masse » : grè-ves, rassemblements, manifs, sit-in,séquestrations de dirigeants, occupa-tions, attaques de bâtiments, émeuteset affrontements avec les keufs, lyn-chages de cadres et patrons… (listenon exhaustive car la définition estfloue et peut changer d’une provinceà l’autre).Toujours aux dires des offi-ciels, ces conflits croissent en nom-bre, en « intensité » et en « violence »,et les formes qu’ils prennent sont deplus en plus variées. Le nombre departicipants à ces « incidents » seraitégalement en progression (730 000en 1994, 3 760 000 en 2004). On peutsupposer que les prolos chinois n’ontpas (plus) grand-chose à perdre (à dé-fendre) et que, du coup, les « débor-dements » surgissent rapidement. Lesexperts gouvernementaux l’expli-quent par l’absence de structures derégulation et de médiation. Mais poureux, ces événements ont beau être enaugmentation et perturber « l’harmo-nie de la société chinoise », ces luttessporadiques et isolées ne menacentpas la stabilité de l’État et du capitalen Chine. Qu’ils se fourrent le doigtdans l’œil, jusqu’au coude !

    Ces experts désignent comme princi-pales causes de conflits : le travail, lesexpropriations urbaines ou rurales et

    la pollution. En effet, les révoltes con-cernent majoritairement des luttesd’ouvriers (salaires impayés, horaires,licenciements, rachats et restructura-tions, accidents du travail…) ; des lut-tes liées à des restructurations urbai-nes ou rurales (gentrification, cons-truction de lieux de loisirs pour les riches, ou de nouvelles usines) ; des mobilisations suite à des empoisonne-ments collectifs, ou pour empêcher laconstruction d’usines polluantes ; desprotestations massives et spontanéescontre la répression (les affronte-ments contre la police sont monnaiecourante partout dans le monde, onse demande bien pourquoi).

    Vous trouverez au fil des pages decette brochure un recueil d’incidentsde masse qui donnera un aperçuconcret (mais non exhaustif) de lalutte des classes en Chine de 2008 àdébut 2010 [date, lieu (province)]. Ou-tre des révoltes collectives qui témoi-gnent de la combativité et du climat detension générale figurent égalementquelques pétages de plomb indivi-duels, qui montrent à quel point lapression est grande, à tous les niveaux.

    Certaines brèves sont imprécisesparce qu’il est encore plus difficile detrouver des infos sur les luttes dansune dictature que dans une démocra-tie. Infos vues, de toute façon, par lefiltre de la censure et de la presse

    (bourgeoise ou militante). Par exem-ple, n’ont transparu que peu de don-nées sur les conflits liés aux Jeuxolympiques : la restructuration urbai-ne à Beijing a entraîné beaucoup d’ex-pulsions et de chantiers, donc un fortbesoin de main-d’œuvre, des mingongpour la plupart, sous pression pour fi-nir les travaux dans les temps, etc. Lesgrandes vagues d’émeutes qui ont se-coué le Tibet et le Xinjiang (Ouï-ghours) n’apparaissent pas ici, parcequ’elles relèvent d’autres problémati-ques : nationalismes et luttes contrel’occupation d’un territoire (même sion peut supposer que des conflits declasses sont sous-jacents, la questionmériterait d’être creusée).

    brèves générales

    2008

    7-11 janvier, Foshan(Guangdong) : grève de3 000 ouvriers de la so-ciété de bijouterie en

    métaux précieux Haoxin pour le paiementde deux ans d’arriérés d’heures supplé-mentaires et le versement de cotisations.2 000 ouvriers se rassemblent à la mairieet affrontent la police.

    12 janvier, Shanghai : manifestation de2 000 personnes devant la municipalitépour protester contre la constructiond’une ligne de train à lévitation magné-tique. Ils craignent pour leur santé et lebruit lié au trafic et redoutent une dévalo-risation de leurs propriétés immobilières.

    17 janvier, Shenzhen (Guangdong) :grève et révolte des 2 000 travailleurs del’usine de conteneurs de Machong de lamultinationale danoise des transports ma-ritimes Maersk. Poussé par la brièveté dela pause cantine, un des ouvriers voulantpasser prioritairement dans la queue a ététabassé par un des sbires de l’usine. Latension préexistait dans l’usine avec l’ac-célération des cadences et le non-paie-ment des heures supplémentaires.

    21 janvier : 200 anciens employés de laBanque industrielle et commerciale deChine et de la Banque chinoise de cons-truction manifestent devant le siège de laFédération des syndicats pour exiger leurréembauche par les deux firmes (une cen-

    taine d’arrestations). Les salariés affirmentque s’ils ont quitté leur banque, c’estaprès tromperies et pressions diverses ; ilsdemandent l’annulation de la décision quia mis fin à leur contrat.

    18 février, Dongtou (Zhejiang) : sit-ind’une centaine de paysans devant la mairiepour l’indemnisation de leurs champs ré-quisitionnés et détruits par les autoritéslocales. Ces terres ont été vendues auprix fort à des promoteurs immobiliers.

    7 mars, district de Kai (Sichuan) : dansle dernier district à évacuer dans la zonedu barrage des Trois-Gorges, 4 000 per-sonnes s’opposent à leur expropriationfaute de règlement des différends sur lesconditions de leur relogement et sur les

    Sources :China Labour Bulletin : ,Des nouvelles du front : ,Dans le monde une classe en lutte (bulletin tri-mestriel) : , Anthropologie du présent (site d’un universitaire consacréaux émeutes dans le monde) :,Bulletin mensuel Les Droits de l’homme en Chine de la LDH, et si ! : , Brèves du désordre : , Libertarian communism : (site d’infos et immense bibliothèque in english),presse bourgeoise (dont la presse économique), glanage sur internet…

    7

  • 8

    unité ?D’une part, l’unité du prolétariat n’est pasune condition préalable nécessaire à une

    avancée victorieuse du prolétariat, même sur un plan pure-ment revendicatif. Le prolétariat est toujours, nécessaire-ment, fractionné. Il l’est parce que le capital l’est (en pays, ensecteurs, en entreprises) et parce que les patrons s’attachentà le diviser. Il l’est enfin parce que les travailleurs sont enconcurrence sur le marché du travail. Vouloir surmonter cesdivisions par une construction politique ou syndicale préala-ble, c’est en dernière analyse viser une révolution politique,où la pseudo unité de la classe n’existe que dans une unitéréelle d’un pouvoir qui la domine, que ce soit celui desconseils ouvriers ou celui du parti. L’appel traditionnel àl’unité s’inscrit dans une vision politique de la révolution, oùtous les prolétaires doivent faire masse face à l’État qu’il fau-drait conquérir ou abattre, selon les versions, face aux pa-trons qu’il faut déposséder de leurs moyens de production.Cette unité-là, c’est celle de la massification. Elle correspondaux besoins des politiques et procède de la massification dutravailleur collectif dans les usines et les quartiers. La révolu-tion dont parle cette unité, c’est l’affirmation des travailleursen tant que travailleurs pour la généralisation du travail et ladictature du prolétariat. Cette idéologie appartient au passédu mouvement ouvrier. La Chine ne fera pas exception.Aujourd’hui, l’unité réelle de la classe dans la lutte ne se véri-fie pas dans sa massification (formation d’une masse de ma-nœuvre pour les politiques ?). Elle se vérifie lorsque, dans lacrise, le prolétariat se trouve largement confronté à son ab-sence de réserve, ce statut commun, cette vraie communautédu prolétariat, peu visible dans la prospérité, qui l’unifie defait malgré la diversité des situations particulières et créeraune langue et une pratique communes, celles de la communi-sation de la société. L’unité se fera dans la lutte. Des divisionssociologiques actuelles, qui semblent profondes et détermi-nantes, seront dépassées naturellement si la lutte prend del’ampleur.

    Bruno Astarian, Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009), p. 97

    indemnisations correspondantes. Les au-torités locales leur coupent l’eau et l’élec-tricité. Jusqu’à présent, les migrations for-cées liées au projet ont concerné 1,8 mil-lion de personnes.

    20 mars, Jinma (Sichuan) : 200 poli-ciers entrent dans le village pour en ex-pulser les habitants. Plusieurs maisonssont démolies. Les terres des villageoisavaient été réquisitionnées pour cons-truire des habitations de luxe.

    31 mars : pour appuyer des revendica-tions de salaire, les pilotes de la China Eas-tern Yunan Airlines font demi-tour après ledécollage et reviennent au sol en prétex-tant les mauvaises conditions météorolo-

    giques. Deux semaines plus tôt, quarantepilotes de la Shanghai Airlines s’étaient missimultanément en arrêt maladie.

    9 avril, Haikou (Hainan) : manifesta-tion de 10 000 villageois contre des ré-quisitions foncières destinées à laconstruction de trente-six terrains degolf, à l’occasion de la visite du chef del’État Hu Jintao dans l’île. La police encer-cle les villages, frappe et arrête des mani-festants (800 blessés). Huit voitures depolice partent en fumée.

    28 juin, Weng’an (Guizhou) : 30 000personnes assiègent et incendient des bâ-timents administratifs (160 bureaux dé-truits), attaquent la police et détruisent

    une quarantaine de véhicules pour protes-ter contre les premières conclusionsd’une enquête sur le viol et la mort d’uneadolescente. La police affirme que la jeunefille s’est suicidée alors qu’elle a été violéeet assassinée par le fils d’un notable local.Cent cinquante personnes sont blessées ;le 14 novembre, six personnes accuséesd’avoir participé à l’émeute sont condam-nées à des peines allant de deux à seizeans de prison.

    17 juillet, Huizhou (Guangdong) : plusd’une centaine de personnes attaquent uncommissariat, un bâtiment des autoritéslocales et plusieurs commerces de proxi-mité après la mort d’un motocycliste lorsd’un contrôle routier.

    unions locales se sont trouvées surchargées man-quant de fonds et de personnel. Elles se sont tour-nées vers les autorités locales pour de l’aide et sesont peu à peu confondues avec l’administration,c’est-à-dire avec le Parti. Reste à expliquer pour-quoi le Parti arbitre encore et toujours contre lessyndicats. J’ai donné une explication de cette atti-tude dans Luttes… (prédominance de la plus-valueabsolue, p. 142). Sur la base des éléments réunisdans cette note, rien n’indique qu’un changementde modèle massif est en court.

    Conclusion

    On a vu dans Luttes… que le prolétariat chinois,dans ses différentes fractions, est combatif et ré-pond comme il peut aux agressions des patrons. Ona vu aussi que ces luttes restent, sauf exceptions,très séparées les unes des autres. Cette dernière ap-préciation était sans doute un peu rapide. La pré-sente note indique que les luttes des travailleurschinois parviennent à sortir de leur isolement etrejoindre d’autres fractions pour gagner en effica-cité. C’est sans doute un élément nouveau, mais il

    était déjà présent au cours de la période couvertedans Luttes… J’en cite même un bel exemple (la va-gue de grèves dans les entreprises japonaises de laZES de Dalian en 2005), mais sans en tenir comptesuffisamment.Dans Luttes…, le schéma implicite du rapport entreprolétariat et capital est que la répression est laprincipale réponse que le capitalisme chinoistrouve pour faire face aux poussées prolétariennes.C’est probablement une vue trop simple, reposantde façon excessive sur la situation des migrants –car on connaît mal la situation de ceux qui sont res-tés dans les entreprises publiques. Il reste à savoircomment le capitalisme chinois pourrait absorberla poussée revendicative qui semble se former dansle pays sous l’impact de la crise si son insertiondans le cycle mondial reste sur le même modèle etinterdit la fameuse montée en gamme qui, en ce quiconcerne l’exploitation du travail, consisterait à in-troduire une forte dose de plus-value relative, àaugmenter la consommation ouvrière et à laisser sedévelopper les syndicats. À suivre…

    B. A., décembre 2009

  • 32

    en 2009. Les chauffeurs de taxis protestent contreles charges excessives que leur imposent les compa-gnies, ainsi que contre les taxis qui travaillent aunoir. Dans la plupart des villes, les compagnies detaxis sont fortement oligopolistiques. Elles font va-rier arbitrairement les charges que supportent leschauffeurs, et l’absence de concurrence entre com-pagnies ne leur laisse aucun choix. Les grèves ontéclaté après de multiples tentatives de fonder dessections syndicales de chauffeurs, repoussées à cha-que fois par l’ACFTU parce que l’établissement d’unsyndicat « concerne l’entreprise ». Il est intéressant de noter que, selon le CLB, leschauffeurs sont le plus souvent des anciens ou-vriers des entreprises d’État ; mais on trouve égale-ment des travailleurs migrants. Si cela est avéré, ceserait la première fois que je vois des travailleursmigrants lutter aux côtés de collègues disposantd’un hukou urbain. Dans la plupart des cas, les auto-rités municipales s’efforcent de débloquer la situa-tion en faisant des concessions là où c’est en leurpouvoir et en faisant pression sur les compagniespour qu’elles en fassent aussi.

    2.4. Toujours pas de libéralisation syndicale

    On se souvient qu’une vague de grèves dans le portde Shenzhen (mars-mai 2007) avait notamment re-vendiqué la fondation d’une section syndicale (Lut-tes…, p. 139). Le CLB mentionne aussi ce mouve-ment, et donne sur lui des informations complé-mentaires. Le 24 mars 2007, la grève éclate d’aborddans une société de service d’un terminal de conte-neurs dans la partie est (Yantian) du port. Le 30mars, une grève similaire éclate dans la partieouest du port (Shekou). Dans les deux cas, les tra-vailleurs obtiennent des concessions (mais le CLBne donne aucun détail). Le 7 avril, plus de 300 gru-tiers de Yantian entrent en grève, et le 1er mai 200

    travailleurs de Shekou se remettent en grève ycompris les grutiers, pour obtenir le paiement dequatre ans d’arriérés d’heures supplémentaires. Ilsgagnent. La revendication de former des sectionssyndicales au sein de l’ACFTU est même obtenue etle syndicat négocia un accord collectif.Ce récit semble confirmer qu’il existe, au sein del’ACFTU, et notamment dans la zone côtière, unetendance syndicale qu’on pourrait appeler proac-tive, prête à prendre en charge une poussée reven-dicative pour maintenir son statut, éviter la forma-tion d’organisations indépendantes et canaliser lacombativité des travailleurs. Dans le même ordred’idée, la section syndicale de Shenzhen aurait ob-tenu gain de cause contre Huawei (très importantesociété de matériel de télécom) lorsque celle-ci, fin2007, essaya d’imposer à ses salariés ayant plus dehuit ans d’ancienneté de démissionner et de re-prendre leur emploi dans des conditions précaires.La direction voulait contourner une clause de la loisur les contrats de travail, entrant en vigueur au 1erjanvier 2008, stipulant que les salariés d’une an-cienneté de plus de 10 ans voyaient automatique-ment leur contrat de travail converti en CDI. De trèsnombreuses sociétés ont procédé comme Huaweidans les derniers mois de 2007. Le CLB ne dit paspourquoi l’ACFTU aurait pris la défense des salariésde Huawei plutôt que d’une autre société.Quoi qu’il en soit, comme je l’avais déjà indiquédans Luttes…, la crise mondiale a mis fin à ces tenta-tions libérales dans l’ACFTU. Pékin a expressémentdemandé au syndicat de « défendre l’entreprise ». LeCLB donne une certaine explication de cette vic-toire des conservateurs quand il souligne que lesyndicat est encore plus soumis au Parti qu’aupara-vant. L’ACFTU a mis en place des procédures pourque les unions locales prennent à leur charge les ac-tivités des sections d’entreprise. Du coup, les

    écrans tactiles de l’iPhone) entrent engrève à l’annonce de la suppression desprimes de fin d’année. Ils détruisent desvéhicules, endommagent les bâtiments etcaillassent les flic (100 blessés). Ils dénon-cent aussi l’emploi de produits toxiques(l’hexane qui a causé la mort de plusieurstravailleurs) dans le procès de fabrication.

    15 janvier, Pizhou (Jiangsu) : 2 000 personnes (presque tout le village) mani-festent dans la ville et sont dispersées parla police anti-émeutes (50 blessés). Laveille, un habitant de Hewan a été tuélorsque qu’une centaine de gardes a tentéde s’emparer de force d’exploitationsagricoles que les autorités veulent vendrepour y construire une usine chimique.

    19 janvier, Huangwu (Guangdong) :les villageois affrontent plus de 200 flicsvenus arrêter un habitant soupçonné defabriquer des cocktails Molotov (dix villa-geois et deux flics blessés). Pour un projetde construction, les autorités locales veu-lent expulser 108 familles.

    19-20 janvier, Likeng (Guangdong) :un millier de personnes manifestentcontre un incinérateur qui provoqueraitdes cancers et des cas de saturnisme.

    24 janvier, Nanhai (Guangdong) : 400personnes manifestent devant le futur sitede construction d’un incinérateur.

    26 janvier,Tongle (Guangxi) : affronte-ments entre des villageois et 700 poli-ciers. Ils tentent d’empêcher l’expropria-

    tion de leurs fermes que les autorités ontrevendues 100 fois plus chères que lemontant des indemnisations.

    26 janvier, Guangzhou (Guangdong) :manifestation de 500 agents de la voieriesuite à la privatisation de leur service.

    28 janvier, Beijing : grève de 200 em-ployés de l’usine Panasonic Electronic De-vices. Ils bloquent pendant au moins qua-tre jours l’entrée de l’usine et semblentséquestrer des cadres (y compris japo-nais). L’entreprise, qui dispose de deuxchaines de production de condensateurs,veut en délocaliser une dans le Guang-dong où le coût de production est infé-rieur. Les ouvriers veulent obtenir des in-demnités de licenciement plus élevées.

    les neuf vies d’une ouvrière chinoise

    9

    Introduction

    Le récit de Mademoiselle Zhang publié le 8 mars 2006 par leChina Labour Bulletin1 (puis rubrique «Feature article») est intéressant en ce qu’ildécrit bien les conditions de vie et de travail des millions detravailleurs migrants déracinés qui n’ont aucun droit. Or ilsconstituent une section importante du prolétariat chinoisactuel, source de ce «miracle chinois» dont les médias fontl’apologie sans discernement depuis quelques années. Aprèsla mise en place des réformes lancées par Deng Xiaoping audébut des années 1980, la situation du prolétariat chinois achangé de façon dramatique et rapide. Les ouvriers étaientauparavant employés à vie par leur usine, qui constituaitpour eux non seulement un lieu de travail mais le centre deleur vie: le logement, les soins, l’éducation des enfants, lesloisirs – tout dépendait de l’entreprise d’État où ils travail-laient. Les réformes ont mis fin à cette sécurité. Les entrepri-ses publiques sont devenues des entreprises commercialesordinaires, avec les mêmes règles de gestion économique queles autres, et notamment le droit de licencier. Ce qu’elles ontfait de façon massive, envoyant au chômage (souvent non in-demnisé) et à la retraite anticipée (souvent non payée) desdizaines de millions de travailleurs.Les travailleurs migrants, dont Mademoiselle Zhang faitpartie, constituent une section bien distincte du prolétariatchinois. Ils sont appelés ainsi parce qu’ils sont, en quelquesorte, des sans-papiers de l’intérieur. En effet, le systèmemaoïste du permis de résidence (hukou) n’a pas été abolilorsque la libéralisation du marché a entraîné un exode ru-ral massif au cours des années 1980 et encore aujourd’hui.Ces paysans, chassés de la campagne par la misère et par leslimites de l’«industrie rurale» qui était censée les absorber,

    arrivent dans les villes de la côte Est sans avoir vraiment ledroit de s’y trouver, ce qui permet aux capitalistes occiden-taux et à leurs sous-traitants chinois de les exploiter dansun système «dortoir-usine» qui est décrit de façon très vi-vante par Mademoiselle Zhang.Dans ce système, les travailleurs ne restent pas en ville s’ilsn’ont pas de travail. Leur logement est strictement lié à leuremploi. Ils dépendent encore de leur région d’origine, où setrouvent leurs familles et leurs enfants, leurs écoles et tou-tes les bases de leur reproduction. Quand ils ne travaillentpas, les autorités ne les prennent pas en charge, ou si peu.Pour l’instant, les capitalistes disposent d’une réserve de mi-grants si importante qu’ils ne se soucient absolument pas destabiliser cette main-d’œuvre à long terme. Au contraire, lesystème «dortoir-usine» est fait pour organiser leur exploi-tation maximale pendant une période relativement brève etleur rotation rapide. Si le capitaliste investit pour un dortoirdans la cour de son usine, ce n’est pas pour fixer la main-d’œuvre qui y loge, mais simplement pour que celle-ci, tantqu’elle est là, soit disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ou en tout cas dix-huit si l’on en croit le témoignagede Mademoiselle Zhang.Ce n’est pas par hasard que la description de l’exploitationdes travailleurs migrants fait penser aux premiers âges ducapitalisme européen. Les formes féroces de l’exploitationsubie par les travailleurs migrants (misère absolue, absencede couverture sociale, autoritarisme sans pitié des patrons,et surtout longueur des journées de travail) ressemblent eneffet à cette époque du capitalisme occidental où l’accumu-lation du capital reposait principalement sur la plus-valueabsolue, celle que le capital obtient en allongeant la journéede travail. Et de fait, en Chine comme dans tous les pays oùles délocalisations du capitalisme occidental recherchentdes bas salaires, le niveau de vie des travailleurs est si basqu’une hausse de la productivité appliquée à la production

    19 juillet, district de Pu’er (Yunnan) :manifestation qui vire à l’affrontement en-tre des villageois producteurs de caout-chouc et la police (deux morts, 61 blessés,neuf véhicules officiels détruits). Il y auraità l’origine un conflit entre les ouvriers etles sociétés qui les emploient. La directionlocale du PCC avait soutenu les patrons (àla surprise de tous, isn’t it ?) et traité lesouvriers de « gangsters », ce qui avait dé-clenché la colère des manifestants.

    22 août, Shenzhen (Guangdong) :grève de 5 000 travailleurs d’une usine deportables contre un accroissement deshoraires de travail sans augmentation desalaire.

    22 août, Hubei : grève de 600 mineurs

    dans une mine de charbon privée contredes réductions de salaire.

    3-4 septembre, Jishou (Hunan) :50 000 « investisseurs » affrontent la policeaprès l’arrêt des versements d’intérêtspromis aux porteurs de fonds de la so-ciété immobilière Fuda. Ils bloquent untrain et interrompent le trafic pendantdeux jours, une fois rejetée leur démarcheauprès de la préfecture (50 blessés, 20 ar-restations).

    4 septembre, Ningbo (Zhejiang) : ma-nifestation de milliers de mingong del’usine textile Jinxu suite au décès d’unouvrier. Certains d’entre eux attaquentl’usine et affrontent la police (20 blessés,10 arrestations).

    5 septembre, district de Shenqiu(Henan) : plusieurs milliers d’élèvesd’une école secondaire assiègent des bâti-ments administratifs, dont le siège duPCC, tentent de l’incendier et affrontentla police. Ils protestent contre la destruc-tion de leur terrain de jeux par une so-ciété immobilière.

    18 septembre, Chengdu (Sichuan) :500 étudiants du conservatoire de musi-que affrontent la police car certains deleur profs ont été frappés dans l’après-midi par des fonctionnaires municipaux(cinq blessés).

    18 septembre, Lishui (Zhejiang) :10 000 victimes d’une levée illégale defonds manifestent devant les bâtiments de

    1. Fondé en 1994 par le dissident Han Dongfang, le China Labour Bulletinest aujourd’hui une ONG basée à Hong Kong qui défend les droits destravailleurs et les droits de l’homme en Chine.

  • de leurs subsistances (mécanisme de la plus-value relative)ne dégagerait que bien peu de surtravail supplémentaire.Les capitalistes ne peuvent donc augmenter leur profitqu’en allongeant et en densifiant la journée de travail.

    Une logique mondialeMais au-delà de cette similitude avec les premiers temps ducapitalisme européen, l’exploitation des travailleurs chinoiset autres s’inscrit dans le mécanisme de production de laplus-value relative à l’échelle mondiale. Car, pour unegrande part, les marchandises qu’ils produisent à bas coûtviennent ensuite faire partie des subsistances des prolétai-res occidentaux, dont les salaires peuvent alors être bloquésou réduits, dégageant une plus-value supplémentaire pourle capital dans son ensemble.C’est là la grande différence avec les origines du capitalismeoccidental : l’essor du capitalisme chinois s’inscrit dès le dé-part dans une logique mondiale où les capitalistes chinoisn’ont pas grand-chose à dire : leur marché intérieur est trèslimité, et ils dépendent de leurs collègues occidentaux pourles investissements et pour les débouchés. De fait, les délo-calisations occidentales en Chine et le développement dessous-traitants chinois à leur service s’inscrivent dans unmécanisme de lutte contre la baisse de rentabilité du capi-tal mondial qui détermine en très grande partie les aléas del’accumulation de capital en Chine. À la différence de leursancêtres européens, les capitalistes chinois ne font pas l’his-toire, mais ils la subissent.Toutes ces questions devront être examinées de façon plusapprofondie, afin de mieux évaluer la part d’illusion et depropagande que les médias occidentaux mettent dans leurapologie sans fin du «miracle chinois». Il faudra en particu-lier mesurer l’importance des luttes des prolétaires chinois.Celles-ci sont permanentes, dans les trois sections du prolé-tariat (employés des actuelles ou ex-entreprises d’État, tra-vailleurs migrants travaillant pour le capital délocalisé et sessous-traitants, chômeurs originaires des deux catégoriesprécédentes). Car ces luttes font fatalement monter les salai-res, remettant en cause la place initiale du capital «chinois»dans la division internationale du travail. La lutte de classeen Chine s’inscrit directement dans la contradiction proléta-riat-capital au niveau mondial.

    Mademoiselle Zhang (21 ans)raconte son histoire :

    Origines de Mademoiselle Zhang

    Je suis partie de chez moi à l’âge de quinze ans, endécembre 1998. Je voulais aider ma famille et monfrère, qui était en âge de fonder sa propre famille.Pourtant, j’avais de bonnes notes à l’école et je suissûre que j’aurais pu aller à l’université. [Apparem-ment, Mademoiselle Zhang est une victime de lapolitique officielle de l’enfant unique par famille etest née sans autorisation, peut-être même sansexistence légale. De plus, venant de la campagne,elle est peut-être illégale sans papiers dans son pro-pre pays, le livret de résidence permanent obliga-toire, hukou, lui interdisant de s’installer en ville où,de toute façon elle reste considérée comme une ci-toyenne de seconde zone, sans accès aux servicespublics des résidents de ces villes.]

    1er emploi : fabrication de fleurs et d’arbres de Noël

    Je suis arrivée à Guangzhou grâce à un recruteurprofessionnel, qui m’a pris 250 yuan [un peu plus de24 euros] plus 50 yuan [environ 5 euros] parce que jen’avais pas de carte d’identité, plus 50 yuan pour jene sais quel certificat nécessaire lorsque je com-mencerai à travailler. En fait, il ne m’a jamais pro-curé de carte d’identité. Cette usine fonctionnaitavec des capitaux étrangers. On travaillait sept jourspar semaine, avec trois jours de congé par an. On fai-sait des heures supplémentaires tous les joursjusqu’à 22 heures. Au début, j’ai travaillé à la fabri-cation des pieds des sapins. On les polissait avec unchiffon trempé dans du diluant, puis on les envoyaitau four. L’atelier était plein de fumée, on ne voyaitpas très loin. La direction nous donnait un masqueet une paire de gants par semaine, mais ils étaient

    10

    l’administration locale et des sociétés im-mobilières concernées et affrontent la po-lice (vingt blessés). 100 000 personnesavaient depuis 2004 versé des fonds à plu-sieurs sociétés sur la promesse de fortsdividendes, en liaison avec le boom immo-bilier des Jeux olympiques. Mais les grou-pes Tongxin et Yintai ont cessé tout verse-ment à cause de l’accroissement du coûtde la construction.

    Octobre-novembre, Sichuan etChongqing : grève partielle des ensei-gnants des écoles primaires et secondai-res de plusieurs districts en raison dugrand écart de salaires entre les ensei-gnants et les fonctionnaires.Tous sont syn-diqués mais le syndicat n’a pas le pouvoir

    de faire quoi que ce soit. Certains ensei-gnants n’osent pas parler de grève ; ils ré-duisent alors leur temps d’enseignementet incitent les élèves à travailler seuls.[Cette lutte couvre tout le pays.Voir danscette brochure « La Chine dans la crisemondiale », p. 25.]

    1er octobre, Jiaozuo (Henan) : grèvede cent ouvriers d’une usine de cimentpour le paiement de six mois d’arriérésde salaires.

    1er octobre, Guangzhou (Guang-dong) : manifestation d’un millier de pay-sans devant un chantier de constructionde logements pour l’indemnisation desterres dont ils ont été expropriés (plu-sieurs demandes depuis 2003).

    6 octobre, Jiaozuo (Henan) : grève de500 ouvriers d’une usine de constructionde grues et de 500 autres d’une unité tex-tile en raison de cinq mois de salaires im-payés. On ne sait pas si les actions étaientcoordonnées.

    8 octobre, Shaoxing (Zhejiang) : grèvede 1 000 ouvriers d’une imprimerie pourle paiement d’arriérés de salaires et aprèsla fuite des dirigeants.

    8 octobre, Sanjiang (Guangdong) : desmanifestants venus du village de Shenlu af-frontent plus de 400 policiers. Ils imputentà l’administration les désastres subis lorsdu passage du typhon Hagupit en septem-bre (destruction d’une digue fluviale).

    31

    et tue plusieurs flics. En juin 2009, dans une usinede Dongguan, un migrant a perdu une main dans unaccident de travail et n’arrive pas à obtenir de la di-rection l’indemnité à laquelle il a droit. Il tented’abord de suicider. Puis, lorsque la direction le videdes dortoirs, il poignarde trois directeurs (deuxmeurent). La scène se passe devant deux cents per-sonnes qui n’interviennent pas.Si l’on admet que les observations du CLB sont re-présentatives d’une tendance générale dans la luttedes migrants, on constate une certaine banalisa-tion, voire institutionnalisation des luttes. D’ail-leurs, certains migrants sont désormais sortis durang et, en vertu d’une loi existante, font professionde représenter et d’aider d’autres travailleurs mi-grants dans leurs démêlés avec les instances d’arbi-trage. Il semble que cela ait une certaine efficacité,puisqu’un tribunal a dû déclarer illégal ce procédédès que plus de deux ou trois travailleurs sont im-pliqués. Le CLB constate que « les revendications destravailleurs sont devenues plus élaborées et plus ambi-tieuses… Les travailleurs ont vu plein d’exemples où lesgrèves, les protestations, les barrages routiers et les sit-insont des moyens efficaces pour parvenir à leurs fins ; ilsont plus confiance en leur capacité à défendre leur pro-pres intérêts par ces moyens. » Et un personnage aussiimportant que le vice-président de la section deShenzhen de l’ACFTU répond en écho que « les grè-ves sont aussi naturelles que les disputes entre mari etfemme ». Il n’est sûrement pas représentatif de l’opi-nion générale dans la Fédération. Mais ces évolu-tions sont-elles suffisamment représentatives pourque, à la fin de la crise, les migrants chinois consti-tuent une classe ouvrière plus intégrée que ce quej’ai décrit dans Luttes… Si cela se confirmait, celavoudrait dire que la côte chinoise ne peut plus fonc-tionner comme l’atelier du monde. On reviendrasur cette question à propos de la question syndicale.

    2.3. Apparition de luttes sectorielles

    Les conflits sociaux en Chine sont de moins enmoins isolés les uns des autres. Les exemples où lalutte se propage, soit localement soit sectorielle-ment, sont plus nombreux. En octobre 2008, plu-sieurs centaines d’ouvriers bloquent la circulationpour protester contre la fermeture d’une cimente-rie à Jiaozuo (Henan). Six jours plus tard, les sala-riés d’une usine de grues et d’une fabrique textilede la même ville manifestent et font grève pour dessalaires impayés. À Shiajiazhang, en mars 2008, lesouvriers de trois usines d’un même groupe textilese mettent en grève pour obtenir une augmenta-tion de salaire. Ils sont bientôt rejoints pas les ou-vriers de quatre autres usines du groupe 4.Cette extension des grèves atteint parfois le niveaude grèves sectorielles, ce qui est relativement nou-veau en Chine. Le CLB en indique deux :

    2.3.1. Grève des enseignants (2008)Elle couvre plusieurs centaines d’écoles maternel-les, primaires et secondaires à travers le pays, sur-tout dans les régions rurales du centre. Les ensei-gnants demandent que, conformément à la loi, ilssoient payés autant que les autres fonctionnaires demême niveau. Leur lutte est dirigée contre les auto-rités locales, car ce sont elles qui n’appliquent pasla loi. Le CLB ne dit pas du tout comment le mouve-ment s’est propagé. Les grèves se sont terminéesavec ou sans succès, selon les cas.

    2.3.2. Grève des taxis (2007-2009)La grève affecte, successivement ou simultanément,de nombreuses villes du pays. Le CLB dénombre dixgrèves de taxis en 2007 et 32 en 2008. Il y en a encore

    2010

    Janvier, Hong Kong :manifestations de plu-sieurs milliers de per-sonnes contre la cons-

    truction de la voie ferrée rapide HongKong-Guangzhou.

    5 janvier, Foshan (Guangdong) : grèveet manifestation de 1 000 mingong del’usine de jouets Mattel Diecast Chinacontre un soudain changement dans lecalcul de leur retraite. Ils bloquent l’undes axes majeurs de la ville et affrontentune centaine de flics (22 arrestations).

    7 janvier, Wanshi (Guangdong) : blo-cage d’un chantier par 500 villageois quiaffrontent pendant trois heures un millier

    de flics (avec notamment des couteaux et des cocktails Molotov ; 10 blessés, 40 arrestations). Ils s’opposent à la vente deleurs terres par les autorités locales à unesociété privée.

    7 janvier, Hewan (Jiangsu) : des villa-geois affrontent 200 nervis d’une sociétépétrochimique qui, avec le PCC local, veutles expulser. Un villageois est tué, les pay-sans se rassemblent devant la mairie pourréclamer le corps. Le jour suivant, ils ma-nifestent à nouveau (50 blessés).

    12 janvier, Longyatun (Guangxi) : ma-nifestation et blocage de travaux par desvillageois qui refusent leur expropriation.La police pénètre dans le village pour ar-rêter douze protestataires mais sont pris

    à partie par les habitants (50 arrestations,11 flics et une de leurs voitures endom-magés, 12 villageois blessés dont 5 par bal-les et peut-être un mort).

    13 janvier, Miaobei (Zhejiang) : affron-tement entre 300 policiers et des villa-geois qui s’opposent à un projet deconstruction qui menace leurs récoltes.

    14 janvier, Yangzhuang (Henan) : desvillageois bloquent l’autoroute avec destroncs d’arbres. Une société veut s’empa-rer de leurs terres et envoie la nuit desgros bras pour détruire les récoltes et tabasser les paysans.

    15 janvier, Suzhou (Jiangsu) : plusieursmilliers d’ouvriers de l’usine Wintek Corp(sous-traitant d’Apple qui lui fournit les

    4. Signalons, dans le même esprit, le mouvement de mingong dans plu-sieurs provinces en janvier 2009. Voir brève page 16. (n.d.é.)

  • 30

    conflits concernent des travailleurs migrants. LeCLB constate une évolution dans la lutte des mi-grants. Un tiers des conflits porte sur la défense desdroits élémentaires (salaires non payés, primesd’heures supplémentaires refusées, patrons enfuite…). Mais un autre tiers est fait de luttes plus of-fensives, réclamant des hausses de salaires, des ré-ductions de la durée ou de la charge de travail, unemeilleure couverture sociale, etc.

    Dans les conflits observés par le CLB, la grève pro-prement dite n’intervient que dans 47 % des cas. Lestravailleurs ont aussi recours à d’autres moyenspour lutter : sit-in, manifestations, barrages deroute ou de voie ferrée. La violence contre les biensde l’entreprise, la direction ou le personnel de sécu-rité n’intervient que dans 5 % des cas. Parfois ce-pendant, la violence devient extrême : un migrantmaltraité par la police entre dans un commissariat

    31 décembre, Zhentou (Hunan) : descentaines de paysans affrontent la policepour empêcher l’épandage d’oxyde decalcium sur leur champs. Depuis cinq moisils manifestent contre des empoisonne-ments au cadmium et à l’indium qui au-raient provoqué sept morts et atteint descentaines de personnes. L’épandage auraitpour objectif de détruire les preuvesd’une pollution et de retirer aux paysansle droit à une indemnisation. Les sols sontinutilisables pour les soixante ans à venir.

    Presque par défini-tion, les grèves en Chine ne sont pasou très peu organisées, […] la for-mation de groupes syndicaux ou pa-rasyndicaux à la base est fortementréprimée. Il y a probablement desgroupes plus ou moins clandestins,mais ils ne sont pas perceptibles surnotre radar. Par « pas ou très peuorganisées », il faut entendre doncqu’il n’y a pas de préparatifs de lagrève longtemps à l’avance, par lademande de négociations, la com-munication aux travailleurs del’état du rapport de forces, l’an-nonce de dates lointaines où « onagira », etc. Les grèves sont donc leplus souvent soudaines, improvi-sées, et s’organisent dans le feu del’action. En se mettant en grève, lestravailleurs prennent des risquesconsidérables. Ceux qui sont arrêtésfinissent fréquemment en prisonpour plusieurs années. Aussi n’est-ilpas étonnant que, une fois le travailsuspendu, ils ne reculent pas devant

    le recours à la violence et les des-tructions. Entrer en grève, pour untravailleur chinois, c’est déjà brûlerses vaisseaux. Il ne s’y met donc quelorsque son exaspération a atteintun degré très élevé. La répression,le refus de la négociation et l’ab-sence ou la faiblesse des médiationsfont le reste. […] De façon générale la grève éclatesans préparatifs particuliers lors-que les conditions d’exploitationdépassent, sur un point particulier,les limites du supportable (qualitéde la cantine, heures non payées,brutalité des vigiles ou contremaî-tres, etc.). […]On trouve là une atmosphère qui res-semble à celle de révoltes des OS quia eu lieu dans les usines à la chaîned’Europe et d’Amérique dans les an-nées 1960-1970. Les mêmes causesproduisant les mêmes effets, la su-rexploitation du travail taylorisé etfordisé produit les mêmes réactions

    de révolte que celles qui avaient étéregroupées sous le nom d’antitravail.Sans doute en plus violent encore,puisque les destructions sont nom-breuses dans ces soulèvements brefset sans suite d’ouvriers exaspéréspar la rigidité des patrons sur lamoindre question de travail.Une autre caractéristique assez gé-nérale des grèves en Chine est leurcourte durée. L’absence de réserves,individuelles ou collectives, est évi-demment en cause ici. Mais l’isole-ment l’est aussi. On a vu la difficultéqu’ont les grévistes à établir desliens de solidarité avec leur entou-rage, et je ne connais pas d’exemplede grève de solidarité. L’occupationdes locaux favorise en général laprolongation des conflits, surtout sices locaux sont abandonnés parleur patron. Or, ainsi qu’on l’a men-tionné, il ne semble pas y avoirbeaucoup d’occupations en Chine -en tout cas pour le moment. Uneautre raison probable de la courtedurée des grèves est l’absence desyndicats pour les préparer, les sou-tenir, les financer.

    Luttes de classes..., p.132

    grèves et destructions

    11

    Les éléments ci-dessus indiquentnettement une grande importance[en Chine] de l’extraction de la plus-value sur le mode absolu : longueurde la journée de travail et baisse dutravail nécessaire par réduction ab-solue du salaire (et non par baissede la valeur des subsistances). La re-cherche d’un renforcement de l’ex-ploitation du prolétariat mondialsur le mode de la plus-value absolueest l’une des principales raisons quele capital occidental et japonais a dese délocaliser, depuis trente ou qua-rante ans, dans les pays à bas coûtde main-d’œuvre. Cela est encoreplus vrai depuis l’explosion du sec-teur de la logistique et de sa produc-tivité (années 1990).Le capital international est allé enChine pour la qualité particulière desa main-d’œuvre : abondance, disci-pline, horaires interminables, bassalaires et sous-consommation – cequ’il ne pouvait pas trouver dans sesbases métropolitaines. Le renforce-ment de l’extraction de la plus-va-lue sur le mode relatif y était bloquépar la difficulté à augmenter la pro-ductivité, tandis que l’injectiond’une dose de plus-value absolue yétait entravée par la résistance desOS et l’inertie du compromis for-diste. Certes, une fois que les délo-

    calisations se sont généralisées, el-les ont agi en retour sur les condi-tions de l’exploitation dans les mé-tropoles, où certaines formes del’extraction de la plus-value absoluereviennent en force (longueur, maissurtout densité de la journée de tra-vail et pluri-activité).Les modalités actuelles de l’exploi-tation du prolétariat chinois (sur-tout les migrants) indiquent uneforte prédominance de la plus-valueabsolue. Le très faible niveau des sa-laires, la longueur de la journée detravail, l’arbitraire patronal desamendes, du non-paiement des sa-laires, etc. vont dans ce sens. Cartout cela implique une très faibleconsommation ouvrière. Or, defaçon générale, plus le panierdes subsistances est restreint,moins la plus-value relativepeut jouer. C’est pourquoi ilpeut être intéressant d’exa-miner la consommation ou-vrière en Chine.

    « Les travailleurs migrantsen Chine », Échanges,

    n° 123, hiver 2007-2008

    Dans la journée de travail,le travailleur produit de lavaleur, dont une part corres-pond à son salaire ; c’est le tra-vail nécessaire. L’autre part est

    le surtravail, dont la valeur est appe-lée plus-value. Le salaire correspondà la valeur des biens nécessaires à lareproduction de la force de travail.Plus il faut de temps pour produireces marchandises de la consomma-tion ouvrière, moins la part de laplus-value (le temps qu’il reste dansla journée pour produire pour lepatron) est grande. Il y a deuxfaçons d’augmenter la plus-value :en allongeant la journée de travail(la plus-value absolue), et en aug-mentant la productivité du travailqui produit le panier de subsistan-ces, ce qui équivaut à une baisse dutemps de travail nécessaire (plus-value relative). La combinaison deces deux formes de la plus-value estla base de la formule d’équilibre dela reproduction du capital.

    Luttes de classes..., p.149

    la question de la plus-value absolue

    10 octobre, Yongfeng (Guangdong) :des villageois expropriés, squattant dansdes tentes devant les bureaux de l’admi-nistration locale depuis deux mois, affron-tent la police venue les déloger. Ils accu-sent la municipalité d’avoir empoché leproduit de la vente de leurs terres.

    10 octobre,Wuzhou (Guangxi) : mani-festation de chauffeurs de taxi pour pro-tester contre les punitions infligées poursurcharge à deux de leurs collègues. Ilsbloquent le trafic et saccagent un local depolice (trois arrestations). [Les luttes deschauffeurs de taxis se sont progressive-ment répandues à travers tout le pays de-puis 2007. Voir « La Chine dans la crisemondiale », p. 25.]

    13 octobre, Dongguan (Guangdong) :1 000 ouvriers d’une fabrique de jouetsbloquent l’autoroute pour le paiement detrois mois d’arriérés de salaires et après lafuite de leur patron taïwanais avec lacaisse. Une centaine de policiers anti-émeutes les dispersent (20 arrestations).

    13 octobre, Zhaoqing (Guangdong) :4 000 villageois expropriés, qui tententd’empêcher la construction d’une usinede recyclage de plastique, affrontent unmillier de policiers. Ils protestent pourl’indemnisation de leurs terres et crai-gnent des pollutions industrielles graves.

    19 octobre, Huoqiying (Hebei) : despaysans occupent un chantier de construc-tion de la ligne à grande vitesse Beijing-

    Shanghai, contre les réquisitions de ter-rains engendrées par le projet et pour ob-tenir des indemnités. Une centaine d’hom-mes à la solde du bureau des chemins defer les attaquent.

    20 octobre, Le’an (Sichuan) : un ou-vrier lésé par son entreprise fait irruptiondans les bâtiments municipaux avec unebombe de sa fabrication. Il tue quatre per-sonnes avant d’être abattu.

    20 octobre : un millier de victimes d’unecompagnie de vente pyramidale manifes-tent devant le bureau national des plainteset affrontement avec 500 flics. Ils exigentdu gouvernement qu’il prenne des mesu-res leur permettant de recouvrer lessommes perdues.

  • 12

    très vite hors d’usage. Je suis restée là trente jours etj’ai gagné un peu plus de 500 yuan. Je vivais dans ledortoir de l’usine. Plus tard, la direction a demandéun statisticien, ou compteur. J’ai passé le test et j’aieu l’emploi. Les conditions de travail étaient moinsterribles. Je suis restée dans cette usine pendantneuf mois. Comme statisticienne, je gagnais 1,80yuan de l’heure. J’ai changé de poste et ma rempla-çante n’a été payée que 1,70 yuan. Elle m’a pris engrippe, et comme elle était la maîtresse du chefd’unité, ils ont commencé à me pourrir la vie. J’ai dûpartir. Je suis rentrée chez moi. Je n’aurais jamaispensé qu’il y avait une injustice et que je pouvais meplaindre. Je n’en avais pas eu l’idée non plus quandje travaillais dans la fumée du premier atelier. Jepensais simplement que c’était ça le travail en usine.

    2e emploi : fabrication de jouets dans une entreprise artisanale

    Je suis repartie après avoir appris à coudre à la ma-chine industrielle. Je suis allée à Chenghai, dans laprovince du Guangdong. Comme il n’y avait pasd’emplois disponibles dans la confection, j’ai trouvédu travail dans une petite usine de jouets. L’entre-prise n’employait que quelques douzaines de sala-riés, et quelquefois même moins de dix personnes.On travaillait au premier étage de la maison, lesdortoirs (filles et garçons) étaient au deuxième et lepatron et sa famille vivaient au troisième. Nous la-vions nos habits à la rivière. Le travail consistait àplacer des vis à la main, de sorte que nous avionstoutes sortes de plaies. Je suis partie au bout dequelques jours.

    3e emploi : fabrication d’objets artisanaux

    Je suis arrivée là par l’intermédiaire de quelqu’unde mon village, en même temps que mon cousin etma cousine. C’était à Chenghai, et il y avait vingt à

    trente personnes. L’usine occupait le rez-de-chaus-sée d’un bâtiment auquel avait été rajouté un étagepour les dortoirs. Même une personne de petitetaille comme moi ne pouvait s’y tenir debout; enété il y faisait une chaleur terrible (ni air condi-tionné ni ventilateur: impossible de dormir) ; on yaccédait par une échelle. Il n’y avait qu’un WC etqu’une douche pour tout le monde, et il fallait fairela queue après le travail, qui finissait à 23 h 30 tousles jours. La journée était de quatorze heures.On était payé à la pièce, mais je n’ai jamais compriscomment ils calculaient nos salaires, qui ne corres-pondaient jamais à ce que nous avions produit.Nous sommes restés un mois, puis nous avons dé-cidé que ça ne valait pas le coup. La paie était de400-500 yuan par mois, mais après déduction desfrais d’alimentation, il ne restait rien. Ma cousinetravaillait lentement: le patron l’a vidée. Nous som-mes partis tous les trois. Mais le patron avait noscartes d’identité et nos salaires. Nous avons dû allerau département du Travail pour nous plaindre. Lefonctionnaire nous a expliqué que c’était la prati-que locale: si on démissionnait après juste un mois,on ne touchait pas son salaire. Mais il nous a aidé àrécupérer nos cartes d’identité.

    4e emploi : usine de jouets

    C’était une autre entreprise privée de Chenghai. Il yavait cinquante salariés et les conditions étaient lé-gèrement meilleures que dans mes emplois précé-dents. On travaillait huit heures, quatre le matin etquatre l’après-midi. S’il y avait des commandes, ontravaillait encore quatre heures le soir. Jamais decongés, sauf s’il n’y avait aucune commande ou encas de coupures d’électricité. Je devais coller desétiquettes sur les jouets. Les salaires étaient déter-minés par la production et la vitesse de la chaîne.Certains arrivaient à se faire 1000 yuan par mois,

    22 octobre, Haicheng (Liaoning) : unmillier de mingong bloquent la circulationet saccagent le commissariat en réponse àla mort d’un de leurs camarades travail-lant dans cette ville.

    23 octobre, Lo Wu (Hong Kong) :manifestation des ouvriers d’une usine depièces pour les montres Rolex et Oméga,pour le paiement de deux mois d’arriérésde salaires suite à la fermeture du site.

    23 octobre, Daduan (Jiangxi) : un af-frontement entre des villageois et la so-ciété de bois d’œuvre Liuhai épaulée parla police provoque deux morts et plus decent blessés. Suite à quoi, plusieurs mil-liers de paysans assiègent la boîte, incen-dient les bâtiments et des voitures de flics.

    24 octobre, Shenzhen (Guangdong) :rassemblement pour le paiement d’arrié-rés de salaires de 500 ouvriers de la fabri-que d’appareils Shunyi (appartenant à desentrepreneurs taïwanais en fuite) qui vireà l’affrontement devant l’usine.

    27 octobre, Wujiang (Jiangsu) : mani-festation et blocage des grandes voies decommunication par les ouvriers de l’usinetextile Chunyu pour le paiement de qua-tre mois d’arriérés de salaires et après lafuite de leur patron.

    28 octobre, Xiamen (Fujian) : manifes-tation d’un millier de salariés d’une usinede jouets appartenant à un investisseur deHong Kong en fuite à l’étranger pour lepaiement d’arriérés de salaires.

    28 octobre, district de Gaotai (Gan-su) : un millier de personnes attaquent lesiège de la police suite à la mort d’un gar-dien d’entrepôt d’explosifs lors de son ar-restation par les flics.

    Novembre : des grèves de chauffeurs detaxi éclatent au sujet des rémunérations,des licences d’exercice de la profession etdes conditions de travail dans de nom-breuses localités : arrêt de travail de 8 000chauffeurs de taxi à Chongqing et de leurscollègues dans des agglomérations de laprovince du Gansu, du Hunan (Fenghuanget Hongjiang), du Hubei (Suizhou), à Sanya(Hainan), à Shantou, Chaozhou et Guangz-hou (Guangdong), à Dali Bai (Yunnan) et àYongfeng (Jiangxi).

    29

    2. Évolution des luttes prolétariennes

    Par rapport à ce que j’ai développé dans Luttes…, lesremarques qui suivent prennent en compte des in-formations nouvelles qui me sont apparues autantsur les luttes sociales d’avant la crise que sur l’im-pact de la crise proprement dite. Une certaine évo-lution est perceptible depuis quelques années.

    2.1. Luttes contre la restructuration des entreprises d’État

    On se souvient que, dans les années 1990, de nom-breuses restructurations se sont faites à la hus-sarde, les directeurs s’appuyant cyniquement surl’ignorance où se trouvaient les salariés de leursdroits. Si la grande vague de restructurations estpassée, il reste encore des opérations à faire. Mais àprésent, les travailleurs sont mieux armés pour ré-sister. Ils connaissent mieux leurs droits et ont despratiques de résistance plus directes.Tout récemment, les travailleurs sont parvenus àstopper net des tentatives de privatisation accom-pagnées évidemment de licenciements importants.- Juillet 2009 : la Tonghua Iron and Steel (Jilin)compte 30 000 salariés. Lorsqu’un directeur venantd’une société privée annonce aux travailleurs quela privatisation envisagée implique le licenciementde 25 000 d’entre eux, il est battu à mort et les ou-vriers empêchent les ambulances d’approcher. Laprivatisation est suspendue.- Un peu plus tard le même été, les salariés d’un ma-gasin coopératif apprennent que le directeur avendu l’entreprise à leur insu (alors qu’ils sont as-sociés au capital) et se mettent en grève. Sur unephoto, on voit des vendeuses très calmes et quel-conques sur les marches du magasin. Elles tiennentun panneau où est écrit : « Un incident sanglant aurabientôt lieu contre la corruption », allusion transpa-rente à l’affaire de Tonghua.

    - Août 2009 : à la Linzhou Iron and Steel de Anyang(Henan), l’usine est obsolète (40 ans d’âge) et est àl’arrêt depuis mars 2009 pour cause de manque decommandes. Malgré cela, les travailleurs ne veulentpas entendre parler d’une reprise par un groupeprivé. La privatisation est stoppée après que les tra-vailleurs en colère ont séquestré quelques heuresun cadre du Parti venu en médiation. - Août 2009 : plusieurs milliers de travailleurs duHunan Coal Industry Group se mettent en grèvequand la direction veut leur faire signer un accordde licenciement comportant des indemnités nette-ment inférieures au minimum légal (qui est de unmois de salaire par année d’ancienneté).La crise mondiale va peut-être contraindre le pou-voir à lancer une deuxième vague de restructura-tion des entreprises qu’il contrôle. Baosteel, le pre-mier sidérurgiste chinois ne produit que 35 millionsde tonnes (autant que Nippon Steel, mais moins de10 % du total national chinois, et surtout avec huitfois plus de personnel). Il y a donc de la place pourune rationalisation sévère du secteur. Le caséchéant, cependant, les conflits cités ci-dessus indi-quent nettement que le prix à payer sera plus cherque lors de la première vague de restructuration.

    2.2. Travailleurs migrants

    La baisse brutale des exportations avec la crisemondiale a entraîné des millions de licenciementset des milliers de faillites. Les données dont je dis-pose ne permettent pas de se faire une image d’en-semble de l’impact de la crise. Le dernier rapportdu Chinese Labour Bulletin sur le mouvement ouvrieren Chine 3 s’appuie sur une échantillon de 100conflits qu’il estime représentatif. 80 % de ces

    de la prime annuelle de résultat. L’annoncedu paiement de cette prime ne met pas finau conflit : la revendication devient celle dusalaire et des jours de repos. Les négocia-tions seraient difficiles car les ouvrières,par crainte de la répression, refusent dedésigner des déléguées. La multinationalegermano-suisse (38 000 travailleurs dans120 pays) vient de fermer ses usines desPhilippines et de Thaïlande pour les trans-férer notamment en Chine. L’usine de Hai-kou exploite 3 000 ouvrières pour un sa-laire mensuel de 70 à 90 euros.

    Novembre, Huijiang (Guangdong) :protestations massives de villageoiscontre la construction d’un incinérateur(le projet est ajourné en décembre).

    2