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1/21 Le regard personnel et le regard de l’autre. L’image de l’Allemagne et de la France dans la caricature depuis 1945 avec des retours en arrière historiques Source: DIETRICH, Reinhard; FEKL, Walther; GARDES, Jean-Claude; Dr. KOCH Ursula E. Le regard personnel et le regard de l’autre. L’image de l’Allemagne et de la France dans la caricature depuis 1945 avec des retours en arrière historiques. Traduction CVCE/Annie Bataillard, Evelyne Viot, Christian Meunier. Luxembourg, 2016. Copyright: (c) CVCE.EU by UNI.LU Tous droits de reproduction, de communication au public, d'adaptation, de distribution ou de rediffusion, via Internet, un réseau interne ou tout autre moyen, strictement réservés pour tous pays. Consultez l'avertissement juridique et les conditions d'utilisation du site. URL: http://www.cvce.eu/obj/le_regard_personnel_et_le_regard_de_l_autre_l_image_de _l_allemagne_et_de_la_france_dans_la_caricature_depuis_1945_avec_des_retours _en_arriere_historiques-fr-a86a2dec-7ff3-4b00-88b7-ae8363730057.html Date de dernière mise à jour: 11/05/2017

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Le regard personnel et le regard de l’autre. L’image de l’Allemagne et de laFrance dans la caricature depuis 1945 avec des retours en arrièrehistoriques

Source: DIETRICH, Reinhard; FEKL, Walther; GARDES, Jean-Claude; Dr. KOCH Ursula E. Le regardpersonnel et le regard de l’autre. L’image de l’Allemagne et de la France dans la caricature depuis 1945 avecdes retours en arrière historiques. Traduction CVCE/Annie Bataillard, Evelyne Viot, Christian Meunier.Luxembourg, 2016.

Copyright: (c) CVCE.EU by UNI.LUTous droits de reproduction, de communication au public, d'adaptation, de distribution ou de rediffusion, viaInternet, un réseau interne ou tout autre moyen, strictement réservés pour tous pays.Consultez l'avertissement juridique et les conditions d'utilisation du site.

URL:http://www.cvce.eu/obj/le_regard_personnel_et_le_regard_de_l_autre_l_image_de_l_allemagne_et_de_la_france_dans_la_caricature_depuis_1945_avec_des_retours_en_arriere_historiques-fr-a86a2dec-7ff3-4b00-88b7-ae8363730057.html

Date de dernière mise à jour: 11/05/2017

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Reinhard Dietrich, Walther Fekl, Jean-Claude Gardes et Ursula E. Koch

Le regard personnel et le regard de l’autre.

L’image de l’Allemagne1 et de la France dans la caricature depuis 1945 avec

des retours en arrière historiques.

„Welcher Journalist würde nicht den Karikaturenzeichner beneiden, der auf diese Art in einerSekunde dieselbe Schockwirkung hervorbringt, die ein Zeitungsartikel nur so selten erreicht?“

«Quel journaliste n’envierait pas le caricaturiste, qui obtient ainsi en une seconde l’effet de choc qu’un article ne parvient que si rarement à produire?»

André Fontaine2

Chaque nation dispose d’un vaste éventail de signes caricaturaux pour présenter un refletsatirique ou humoristique de soi-même ou des autres. Selon la conjoncture politique, ce sera telou tel registre qui sera tiré de la mémoire collective: il pourra être tour à tour harmonieux,polémique ou agressif.

La distanciation d’une situation, d’une personne ou d’une chose par des moyensiconographiques tels que l’exagération, la compression, la déformation, la simplificationformelle, le déguisement, la parodie ou le travestissement sont considérés comme des «notionscentrales» des caricatures de presse politiques qui sont toujours d’actualité.3 La plupart dutemps ce genre de satire iconographique est complété par une légende explicative: le titre, lalégende, les bulles, les devises.4 Elle permet de dévoiler de manière concluante et le plussouvent divertissante les dérives, les contradictions ou les abus de pouvoir sous la forme d’un«commentaire visuel». En période de tensions politiques intérieures ou extérieures (allantjusqu’à la révolution et la guerre) la satire iconographique en texte et en image sert lapropagande et l’agitation. Dans ce cas, les répétitions incessantes n’influencent pas seulement leprocessus de formation d’opinion et de volonté politique, mais mènent aussi – directement ouindirectement (via des multiplicateurs) – à la création et à l’enracinement de clichés et destéréotypes.5

1 Dans un souci de simplification linguistique, le terme «Allemagne» utilisé dans ce document signifiegénéralement la République fédérale d'Allemagne. Il en est de même pour l’adjectif composé «franco-allemand». L’utilisation de termes tels que «relations franco-allemandes» dans ce sens est devenue pratiquecourante. Dans le cas où il est fait référence à la République démocratique allemande (RDA) et à sa relation avecla France, ce sera indiqué explicitement.

2 André Fontaine, préface à: Ursula E. Koch / Pierre-Paul Sagave: ‚LE CHARIVARI‘. Die Geschichte einer

Pariser Tageszeitung im Kampf um die Republik (1832 bis 1882), Cologne: Informationspresse – C.W. LeskeVerlag, 1984, p. 9-10.

3 Ridiculosa, n° 3: Pastiches et parodies de tableaux de maîtres, Brest (1996).

4 Ibid., n° 6: Textuel et visuel, Brest (1999).

5 Franz Schneider, Die politische Karikatur, Munich: C.H. Beck, 1988; Thomas Knieper, Die politische

Karikatur. Eine journalistische Darstellungsform und deren Produzenten, Cologne: Herbert von Halem, 2002.

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La caricature politique a aussi une forte affinité avec le comique. Pour bon nombre dethéoriciens et de praticiens elle est même constitutive pour le genre. Un dessin de pressepolitique n’ayant pas l’intention de faire rire ou au moins sourire, ne serait donc pas unecaricature. Elle serait tout au plus une simple illustration ou bien un dessin agitateur et depropagande, créant des images de soi héroïques afin que les spectateurs puissent s’y identifier,respectivement des images négatives ne visant pas uniquement une agression symbolique maisaussi réelle de leurs ennemis, dans les cas extrêmes même une élimination physique.

Dans l’aperçu suivant sont esquissés les divers thèmes et moyens de configuration de la satireiconographique ayant fait l’objet, ces 70 dernières années, des hebdomadaires satiriques et desmagazines d’informations, mais avant tout de la presse politique quotidienne6 pour identifier etcaractériser la France et la République fédérale d’Allemagne. Tout en revenant sur leur origineet leur tradition, mais aussi sur leur évolution au fil de l’histoire.7

Figures allégoriques

Les personnifications allégoriques féminines et masculines de diverses nations, comme celle deMarianne, de Germania, du Michel allemand ou de John Bull et de l’oncle Sam font partie durépertoire standard de bon nombre de caricaturistes. Ces figures emblématiques indéniables etincomparables d’un pays précis sont des autoportraits concentrés. Ils cristallisent lesexpériences et les autocritiques collectives, qui peuvent ensuite être complétées, rendues plusmordantes ou simplement distordues par l’étranger. Quoique soumises aux influences

6 Concernant l’importance de la caricature dans la presse quotidienne, qui s’est fermement établie en Francedepuis la Première Guerre mondiale et en Allemagne depuis la Seconde Guerre mondiale, voir Herbert Päge,Karikaturen in der Zeitung. Engagierter Bildjournalismus oder opportunistisches Schmuckelement? Aix-laChapelle: Shaker Media, 2007.

7 Pour un aperçu plus général, voir le catalogue de Gerhard Langemeyer, Gerd Unverfehrt, Herwig Guratzsch et

Christoph Stölzl (éd.), Mittel und Motive der Karikatur in fünf Jahrhunderten. Bild als Waffe, Munich: Prestel,

1985. Concernant la caricature comme médium pédagogique, voir Ulrich Schnakenberg, Geschichte in

Karikaturen – Karikaturen als Quelle 1945 bis heute, Schwalbach/Taunus: Wochenschau Verlag, 2011, et du

même auteur, Politik in Karikaturen, Schwalbach/Taunus: Wochenschau Verlag, 2013.

Concernant la relation franco-allemande, voir Jean-Claude Gardes, L'image de la France dans la presse satirique

allemande 1870-1970, thèse de civilisation, doctorat d'État, Université de Paris VIII, 1991, 4 vol. ; Karl Heinz

Dammer, Pressezeichnung und Öffentlichkeit im Frankreich der Fünften Republik (1958-1990). Untersuchungen

zur Theorie und gesellschaftlichen Funktion der Karikatur, Münster/Hambourg: Lit, 1994 ainsi que les

catalogues d’exposition Von de Gaulle bis Mitterrand.Politische Karikatur in Frankreich 1958-1987, Münster:

Westfälisches Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte Münster/Landschaftsverband Westfalen-Lippe,

1987, éd. par Siegfried Kessemeier avec Alain Deligne et Peter Ronge; Alain Deligne/Laurent Gervereau/Peter

Ronge (éd.), De de Gaulle à Mitterrand. 30 ans de dessins d'actualité en France, Paris: Musée d'histoire

contemporaine/BDIC, 1989; Reinhard Dietrich/Walther Fekl, Komische Nachbarn. Deutsch-Französische

Beziehungen im Spiegel der Karikatur (1945-1987)/Drôles de voisins. Les rapports franco-allemands à travers la

caricature (1945(1987) avec un supplément d’Angelika Schober: Das Bild des Nachbarn in der Karikatur der

80er Jahre/L’image du voisin dans la caricature des années 80, Paris: Goethe-Institut, 1988, ainsi que Fritz-Wolf-

Gesellschaft (éd.), Fritz Wolf: Begegnungen. Das deutsch-französische Zusammenwachsen, Osnabrück, 2009

(catalogue d’exposition) et Du Duel au Duo. Vom Duell zum Duett. Images satiriques du couple franco-allemand

de 1870 à nos jours. Satirische Seitenblicke auf das deutsch-französische Paar von 1870 bis heute, Strasbourg:

Musées de la Ville de Strasbourg, 2013 (catalogue d’exposition conçu par Thérèse Willer).

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contemporaines, elles font preuve d’une constance remarquable, ainsi que le montrent lesexemples ci-après.

Marianne

Marianne (composé des deux prénoms Marie et Anne) est en premier lieu un surnom apparu en1792 dans le sud de la France pour cette figure allégorique, omniprésente en iconographie aprèsla Révolution française de 1789, et symbole de la «Liberté» dès l’Antiquité (MauriceAgulhon)8. Coiffée de son symbole principal, le bonnet jacobin rouge ou bonnet «phrygien» (cf.chapitre «Les chapeaux et couvre-chefs»), souvent ornée d’une cocarde bleu-blanc-rouge etsouvent représentée comme une guerrière, elle incarne les idéaux de l’unité et de l’indivisibilitéde la République française: Liberté. Égalité. Fraternité. Mais alors sous Robespierre, dans lacaricature contre-révolutionnaire, Marianne se transforme en symbole du règne de la terreur desJacobins et elle sera dorénavant actualisée et instrumentalisée comme telle en certainesoccasions par les dessinateurs.

Sous Napoléon Ier, les Bourbons et l’empereur Napoléon III, elle est mise au ban de la viepublique et est remplacée par la traditionnelle «France». Après les révolutions de 1830 et 1848,elle renaît momentanément dans la caricature comme déesse de la liberté, pour devenir ensuite,après la proclamation de la IIIe République (4 septembre 1870), et encore durant la guerrefranco-allemande, tout d’abord un élément constant des dessins de presse français et ensuiteinternationaux.

Depuis lors, on distingue deux types de représentations picturales différentes. Les dessins àcaractère symbolique montrent Marianne comme héroïne nationale soit sous les traits de Cérèsvêtue à l’antique avec des épis, une couronne de fleurs et des fruits ou alors avec une épée, undrapeau, un bonnet phrygien et à la gestuelle révolutionnaire. Sur bon nombre de caricaturesfrançaises, ce personnage national apparaît toutefois – en opposition aux formes allégoriquesexcessives – sous la forme d’«éternels rôles féminins» comme jeune femme, séductrice ou bienvieillissante, comme incarnation vulgaire de la Troisième République riche en tensions socialeset en affaires.9

Dans la caricature allemande, jusqu’en 1914 et ponctuellement même durant la Première Guerremondiale, c’est Marianne la séductrice, dans toute son ambiguïté, qui domine comme image dela France. Ce n’est qu’après le traité de Versailles (paiements de réparation, «question sur laresponsabilité de la guerre», occupation de la Rhénanie) que l’héroïne nationale française,mince ou boursouflée, brandissant un poignard ou agitant un fouet se transforme en un êtrerépugnant.10

8 L’historien Maurice Agulhon s’est penché dans plusieurs œuvres sur le personnage de Marianne, voirnotamment: Marianne au combat; Marianne au pouvoir; Les Métamorphoses de Marianne, Paris: Flammarion,1979; 1989; 2001.

9 Guillaume Doizy/Jacky Houdré, Marianne dans tous ses états. La République en caricature de Daumier à

Plantu, Paris: Éditions Alternatives, 2008.

10 Pour un point de vue général, voir Ursula E. Koch & Jean-Claude Gardes, «Le diable est-il français? La chutede l’Empire, le 9 novembre, l’Armistice du 11 novembre 1918 et le traité de Versailles du 28 juin 1919 dans lediscours de trois revues satiriques allemandes durant la République de Weimar», dans: Ridiculosa, n° 20, La

guerre après la guerre. L’écho de la Grande Guerre dans la caricature (1918-2014), Brest (2013), p. 97-112.

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En 1877, Marianne fait son entrée dans les mairies françaises. Le buste a d’abord emprunté lestraits de la statue monumentale du «Triomphe de la République» (Place de la Nation, Paris).Depuis la fin des années 60, Marianne est le plus souvent remplacée par des actrices célèbres(Brigitte Bardot, Catherine Deneuve et pour la dernière fois, en 2012, Sophie Marceau).

Après la Seconde Guerre mondiale, d’une part et d’autre du Rhin, les dessinateurs lui fontpartiellement perdre son caractère républicain. Elle représente désormais la France (la IVe et laVe République) en tant que pays et que nation, sans plus aucune mission politico-idéologique.Dans les années 50, elle perd aussi en importance comme personnification de la France dans lapresse et elle sera progressivement remplacée par les gouvernants du moment. Elle doit sonretour en tant que véritable star des médias en jupe courte et bonnet phrygien aux caricaturesquotidiennes de Jacques Faizant dans le quotidien conservateur Le Figaro.11 Dès lors, elleappartient de nouveau à l’arsenal de bon nombre de caricaturistes français.

Dans la caricature de la République fédérale d’Allemagne, Marianne compte parmi les figuresles plus souvent utilisées pour représenter la France, le gouvernement, le pays ou ses habitants.Mince, bien proportionnée, jeune, légèrement vêtue et les cheveux flottants au vent, elle estsouvent présentée comme une séductrice, voire-même une fille de joie.12

Dans de nombreuses caricatures, Marianne apparaît en compagnie d’hommes politiquesrespectivement d’autres allégories féminines ou masculines (cf. «Germania» et le «Michelallemand»).

La «Semeuse»

Créée en 1897 par Louis Oscar Roty, la Semeuse se trouve depuis lors sur le côté face de lapièce de 1 franc, avant d’apparaître sur d’autres pièces, de même que sur des timbres.Omniprésente dans la vie quotidienne des Français, la «Semeuse», qui évoquait au début laFrance agricole, peut être comparée à Marianne comme symbole de l’identité nationale.

Son élégante silhouette, de même que la façon classique dont elle est drapée, suggèrent moins leréalisme que son côté mythologique. Le soleil levant, en tant qu’élément naturel, qui darde sesrayons à côté d’elle, représente tout autant le triomphe du progrès, des Lumières et de la liberté.

Les caricaturistes, tant français qu’étrangers, ont sans cesse opposé les diverses dévaluations dufranc, nombreuses depuis 1945, à cette représentation optimiste et pleine d’espoir en montrantla figure allégorique de la Semeuse en victime de louches machinations de l’étranger ou bien lasébile à la main. Après l’introduction de l’euro, elle est représentée sur les pièces de 10, 20 et 50centimes ainsi que sur les pièces commémoratives françaises en argent et en or.

Germania

11 Jean Pierre Guéno, De Gaulle et Marianne selon Jacques Faizant, Paris, Hugo + Image, 2014.

12 Au sujet de l’image de Marianne en République démocratique allemande, surtout durant les années 1950, oùsa représentation est semblable à celle utilisée en France, voir Walther Fekl, «Vive la République! Marianne alsdeutsch-demokratischer Mythos im Satiremagazin Eulenspiegel», dans: Dorothee Röseberg (éd.), Frankreich und

„Das andere Deutschland“. Analysen und Zeitzeugnisse, Tübingen: Stauffenburg, 1999, ainsi que Jean-ClaudeGardes, «Rôle et fonction des représentations de la France dans la presse satirique est-allemande des années 50»,dans: Ernst Dauitel/Gunter Volz (éd.), Horizons inattendus. Mélanges offerts à Jean-Paul Barbe, Tübingen:Stauffenburg, 1999.

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Le personnage de Germania apparaît pour la première fois comme allégorie féminine de laGermanie sur le côté face des pièces romaines. Au début, dans le contexte d’un Saint Empireromain germanique brisé dans son unité territoriale et religieuse depuis Luther et dissous parNapoleon Ier en 1806, Germania incarnait en partie le pouvoir impérial et en partie le peupleallemand. Elle était représentée sur des impressions en une seule feuille et à l’aide d’élémentscaricaturaux (depuis 1550) portant des vêtements vieillots ou à la mode et aux cheveux blondsflottants au vent ou attachés. Ses attributs principaux sont: la couronne (parfois même lacouronne murale), le globe, le sceptre et plus tard le bouclier et l’épée. Après la proclamation del’Empire dans la galerie des Glaces du château de Versailles en 1871, suite à la guerre franco-allemande, la couronne impériale faisait foi.

Avant 1870/71 Germania n’apparaît que sporadiquement, p. ex. lors de la bataille des nationsconduite par Napoléon Ier à Leipzig. Pendant la Révolution de 1840 elle orne d’une part commepeinture monumentale (Philipp Veit) la salle de réunion de la première Assemblée nationaleallemande dans la Paulskirche (église Saint-Paul) de Francfort et d’autre part elle est banaliséedans bon nombre de caricatures et elle est accaparée pour le quotidien politique.

À l’époque, pendant le Völkerfrühling (Printemps des peuples) de 1848, Marianne et Germaniaapparaissent, pour la première et peut être dernière fois, comme sœurs sur un tract de Francfort.

Aussi bien pour Marianne que pour Germania, la guerre franco-allemande de 1870/71 et sesrépercussions dans la vie publique (monuments, peintures, sculptures, monnaies, timbres[jusqu’en 1918]) et dans la caricature de presse – c’était l’âge d’or des journaux satiriquesillustrés français et allemands13 – auront permis la percée. Comme Marianne, Germania aura étéen partie transformée en héroïne, en partie dénaturée pour interpréter toutes sortes de rôles etelle perd son caractère symbolique.

Depuis le Ring der Nibelungen (L’Anneau des Nibelungen) (1876) de Richard Wagner lenouveau couvre-chef de Germania, le casque viking (cf. plus bas «Les chapeaux et couvre-chefs»), gagne peu à peu en popularité. En découle l’image d’une Germania vaillante, reprisepar certains dessinateurs de presse parisiens vers 1900, qui font d’elle un personnage reflétant labarbarie. Pendant la guerre, elle sera transformée en monstre dans la presse parisienne et lesalbums, sur les cartes postales et les tracts. Même en tant que représentante d’une Républiqueallemande (1918-1933) et ce jusqu’aux premières années du IIIe Reich, à quelques exceptionsprès, Germania, sous les traits d’une grande femme aux cheveux tressés avec un casque à pointe(cf. casque à pointe) et des lunettes, constitue un élément important de la caricature française,voire même européenne.

Outre-Rhin, après la révolution de 1918, les caricaturistes transforment la Germania impérialesoit en une figure symbolique positive (dans la presse de gauche, du SPD, parfois avec lebonnet phrygien) ou négative (dans la presse de droite) de la République. Après 1933, quand lescaricaturistes font recours à cette allégorie c’est entièrement au service de la propagandenationale-socialiste interne et externe.

Avant 1914, dans le contexte de relations franco-allemandes plus au moins tendues à l’intérieurde systèmes d’alliances compliqués, la caricature allemande représente à maintes reprises lesdeux figures nationales ensemble, rarement comme amies, le plus souvent comme ennemies.

13 Pour se faire une idée générale, voir: Ridiculosa, n° 18, Brest (2011): Les revues satiriques françaises, etRidiculosa, Hors-série, Brest (2013), La presse satirique dans le monde (contribution d'Ursula E. Koch et Jean-Claude Gardes: «Histoire de la presse satirique allemande», p. 13-43).

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Dans l’«entre-deux-guerres», Marianne et son adversaire Germanie, presque toujoursreprésentée de façon effrayante, font partie intégrante de l’hebdomadaire satirique Le rire etd’autres revues. Les caricatures françaises représentant Marianne et Germania commeséduisante républicaines et les exhortant à se réconcilier, sont rares. Après 1945, Germania n’apparaît plus que rarement comme telle ou de façon distanciée (p.ex.sous les traits d’Ondine) dans la masse des caricatures allemandes d’après-guerre. Au début,elle symbolise la division, c’est-à-dire la „question allemande“14 qui se repose, plus tard, àl’occasion de diverses grandes manifestations (p. ex. dans le domaine du sport), elle représentela République fédérale d’Allemagne.

Après 1945, même la presse parisienne ne ressort que rarement de l’oubli la Germania auxnattes blondes et portant des lunettes. Tout d’abord comme symbole de l’Allemagne nazievaincue ornée de croix gammée, ensuite comme allégorie de la République fédéraled’Allemagne avec un casque viking ou un casque d’acier ou comme «Doppeltes Lottchen»(«Deux pour une») comme représentation de la République fédérale d’Allemagne et la RDA.Quand c’est le cas – tel que lors des diverses crises monétaires autour du franc et dudeutschemark (voir la section «Pièces et billets»), après la chute du mur de Berlin en novembre1989 ou lors de la crise de l’euro et des finances de 2011/12 – le personnage de Germaniarisque de réveiller de mauvais souvenirs et de raviver d’anciennes peurs.

Plantu, l’un des plus connus dessinateurs de presse parisiens qui travaillait pour Le Monde etL’Express, a remplacé de manière consciente et conséquente la Germania, la Teutonne, par unepersonnification très hybride et charmante rappelant le personnage de «Gretchen» (voirGretchen et Germania ci-dessous).15

Gretchen et Germania

Les citations et les personnages de la tragédie Faust I de Goethe font aussi bien partie durépertoire de la satire écrite et iconographique française qu’allemande. D’un côté comme del’autre, la nation allemande est périodiquement représentée par un personnage à tressesrappelant «Gretchen», se laissant, par exemple, séduire par un Bismarck sous les traits de Faust.Même après 1945, Gretchen joue encore un rôle important dans la caricature française. Ellereprend le rôle de Germania et incarne un être pseudo-naïf au faux air innocent et rusé avant derévéler au fil des ans et au cours de l’hybridation de plus en plus de traits positifs. .Le Michel allemand

14 Pour un avis d’ordre général, voir: Niedersächsische Landeszentrale für politische Bildung (éd.): WolfgangMarienfeld, Die Geschichte des Deutschlandproblems im Spiegel der politischen Karikatur, Hanovre, 1991.

15 Voir de nombreux exemples dans: Walther Fekl (éd.), Drôle de peuple! Komisches Volk! PLANTU. Dessins sur

l’Allemagne. Politische Karikaturen zu Deutschland, Berlin: Schaltzeit-Verlag, 2011 (catalogue d’exposition).Pour les représentations décrites ci-dessus, voir Ursula E. Koch, «Germania – eine facettenreiche Nationalfigurim Dienst des politischen Meinungsstreits. Selbst- und Fremdbild in der deutschen und französischenPressekarikatur im Wandel der Jahrhunderte. Ein Forschungsbericht». Dans: Dietrich Grünewald (éd.),Politische Karikatur. Zwischen Journalismus und Kunst, Bonn: VDG, 2002, p. 45-68. Ursula E. Koch (éd.),Marianne und Germania in der Karikatur (1550-1999). Leipzig: PögeDruck, 2011 (catalogue d’exposition).

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Il ne donne pas l’impression d’être robuste ni sûr de soi comme le John Bull16 anglais avec soncouvre-chef aux couleurs de l’Union-Jack, et datant de 1712. Il n’a pas non plus l’attitude«smart» de l’Oncle Sam (depuis 1813)17 coiffé de son incomparable haut-de-forme. Il sedistingue d’eux, comme Marianne et Germania, par la caractéristique suivante: en tant que«symbole national» et qu’«autostéréotype» sa carrière s’arrête principalement aux frontières deson pays. Bien qu’avant 1914 et pendant la Ire Guerre mondiale le «Michel allemand»apparaisse sporadiquement dans les journaux satiriques comme symbole du peuple allemand, ouau moins d’une partie de celui-ci (p. ex. le simple soldat), il se fera de plus en plus rare dansl’entre-deux-guerres. Après 1945 il est quasi inconnu.18

Pourtant, le Michel allemand possède une carrière bien remplie. Dans un dictionnaire desproverbes allemand de 1541 et dans d’autres sources il est qualifié d’andouille, d’empoté, denigaud ou d’utopiste. Au 16e siècle, on appelait, en France, «Michels allemands» les pieuxgarçons allemands qui, en groupes, se rendaient en pèlerinage au Mont-Saint-Michel, consacré àl’archange saint Michel. Un siècle plus tard, pendant la guerre de Trente ans, le Michelallemand devint, du fait de Michael Elias von Obenraut (1574-1625), qui menait les chevaliersdu prince électeur palatin, le symbole de la vaillance et du courage teutons.

C’est durant la décennie précédant la révolution de 1848 que le Michel allemand, dont le signedistinctif principal est le plus souvent le bonnet de nuit (voir Les chapeaux et couvre-chefs ci-dessous), a connu sa première apogée, sous la forme de représentations satiriques anonymes, vula censure très sévère qui veillait.19

Il atteint sa deuxième apogée lors de la révolution de mars de 1948 en Allemagne, lors delaquelle Michel s’est «réveillé» et a orné son bonnet de nuit d’une cocarde révolutionnaire noir-rouge-dorée.20

Depuis 1948, de nombreux dessinateurs allemands réunissent de temps à autre Germania,comme représentante de l’État, et Michel, comme représentant du peuple, sur leurs caricaturespolitiques ou sociocritiques. Dans les caricatures produites après l’armistice de 1918 et pendantla République de Weimar, tous deux apparaissent, seuls ou ensemble, dans diverses variations,comme victime larmoyante du «traité de la honte» de Versailles. Les nazis ne voyaient enMichel qu’une influence néfaste pour le sentiment national allemand et le mirent à l’index.

Mais Michel a survécu au IIIe Reich. À peine la guerre terminée, il revient dans la presseallemande et évince en grande partie Germania, même si ce n’est qu’en tant que représentationnationale non officielle. Il apparaît, par exemple, sous la forme d’un Michel garçonnet, portantles stigmates de la guerre qui l’a mis à terre, et duquel on ne peut guère attendre de réparations.

16 W. Michael, «Das Urbild John Bulls», dans: Historische Zeitschrift, 1908, p. 237-262.

17 Alton Ketchum, Uncle Sam: The Man and the Legend, New York: Hill and Wang, 1959.

18Tomasz Szarota, Der deutsche Michel. Die Geschichte eines nationalen Symbols und Autostereotyps,

Osnabrück: Fibre, 1998 (traduit du polonais par Kordula Zentgraf-Zubrzycka). Des caricaturistes autrichiens etpolonais ont également utilisé, de temps à autre, le Deutscher Michel dans la période d’avant la Seconde Guerremondiale.

19 Remigius Brückmann (éd.), Politische Karikaturen des Vormärz 1815-1849, Karlsruhe: BadischerKunstverein, 1984 (catalogue d’exposition).

20 Germanisches Nationalmuseum (éd.), 1848: Das Europa der Bilder, vol. 2, Michels März, Nürnberg: 1998(catalogue d’exposition).

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Sous son bonnet de nuit, il jette un regard innocent, en quête d’un peu de compréhension, depitié et de chaleur. Mais bientôt, il grandit et se révolte contre ses pères nourriciers que sont lesAlliés de l’Ouest.

Du fait de sa crédulité, de son manque de finesse, l’honnête Michel sera souvent trompé, et selaissera souvent, sans pouvoir réagir, manger la laine sur le dos.

À l’occasion de la réunification allemande (1990), les caricaturistes ont créé «les deux Michel»,souvent associés à la représentation de l’inégalité régnant entre l’Est et l’Ouest: les dessinateursest-allemands, mais pas qu’eux, opposaient un Michel de l’Ouest fort et bien vêtu à un Michelde l’Est pauvre et maigrichon. En même temps, ce dernier n’était pas seulement représenté enbattu, mais aussi en dupe, trompé dans la plus pure tradition du Michel, tandis que l’onattribuait au Michel de l’Ouest des qualités de grandeur et de force, mais aussi d’arrogance et desoif de pouvoir.

Dans la caricature de presse allemande d’après 1945, Michel remplace presque toujoursGermania comme adversaire ou partenaire (amant ou époux) de Marianne. Cette relation n’estcertainement pas moins problématique après le traité de l’Élysée de 1963. Des rivauxapparaissent et essaient de séparer le couple franco-allemand représenté de manière allégorique.

Personnages des arts plastiques et de la littérature

La caricature se sert souvent d’œuvres mondialement connues de l’art universel, de Laocoon auPenseur de Rodin, en passant par La Joconde. Ces peintures ou sculptures appartiennent engénéral à un langage pictural universel, et non pas à un code ethno-national. Font exception desportraits comme le «Luther» de Cranach (la version classique reproduite sous forme demultiples variations depuis 1528), le Louis XIV (1701) de Hyacinthe Rigaud, le Bonaparte

franchissant le Grand-Saint-Bernard (1800) de Jacques-Louis David, le Napoleon (1806) deHeinrich Anton Dähling ou des représentations historiques comme La Liberté guidant le peuple

(1830) de Delacroix et le haut relief La Marseillaise de Rude à l’Arc de triomphe. Lescaricaturistes, tant allemands que français, citent ces œuvres comme formulations d’uneauthentique tradition française ou allemande, que ce soit pour en souligner la continuité ou pourleur opposer un présent moins héroïque.

Au 19e siècle, c’étaient souvent des textes littéraires consacrés, tel que le Faust de Goethe, quiservaient de modèle aux symboles ou types des deux pays. Dans la caricature contemporaine, cesont des héros plus populaires, venus de bandes dessinées ou d’autres médias largement diffusésqui ont pris la relève des anciens modèles littéraires. Ainsi, les dessinateurs allemands, eux-aussi, emploient volontiers l’amusant autoportrait français qu’est le petit mais malin Astérix,pour représenter la France.

Personnalités de la vie publique

Les caricaturistes doivent vivre avec la difficulté de rendre l’abstrait concret et visible. Ainsi, ilstraduisent souvent les relations entre États par la rencontre de personnages de haut rang et degrande notoriété. De cette façon, ils concourent, même si c’est involontaire de leur part, à unevision personnaliste de l’histoire, selon la devise: «Les hommes (ou les femmes) fontl’histoire».

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Personnalités de l’histoire contemporaine

Les personnalités qui font l’histoire sont, depuis Martin Luther, dans la mesure où la censure lepermet22, les acteurs principaux de la caricature politique de leur temps. Parmi eux dominent,bien entendu, un petit groupe de dirigeants: des monarques, des chefs d’États ou degouvernements, des ministres populaires ou tout simplement connus, mais avant tout les longsdétenteurs du portefeuille des affaires étrangères, tel que – après 1945 – Robert Schuman ouWilly Brandt.

Dès qu’il s’agit des relations internationales, la caricature de personnes ou le portrait caricaturalcomme tels23, passe au second plan après 1945. Les hommes politiques incarnent de plus enplus les vertus et les faiblesses de leur pays. Dans l’image de la France que se font lesdessinateurs de journaux allemands, la personne de Charles de Gaulle joue un rôleparadigmatique. De son vivant, il apparait tour à tour comme comédien d’État au maintiensouverain, comme orgueilleux solitaire qui incarne le besoin de grandeur de la France, engénéral, désir dont on démasque à la fois la disproportion et la désuétude.24

Tandis que la presse allemande trouve, et ce dès les années 50, l’autoreprésentation de lapolitique française (mot clé «grandeur») théâtrale, superficielle, et par là-même ridicule, lareprésentation française de la «grandeur allemande» se teinte d’un soupçon de menace. Ondénote, depuis 1945, que le centre de gravité des sujets traités s’est déplacé. Là où, autrefois, àpropos de la remilitarisation, les hommes politiques allemands étaient représentés sous les traitsde géants portant bottes et uniformes, on trouve plus tard des chanceliers en civil, commeHelmut Kohl , discutant de sujets militaires, ou même en grande embrassade avec desprésidents français ou des chefs d’État ou de gouvernement. Mais dès qu’il s’agit de sujetsd’ordre économique, des uniformes et même des casques à pointe apparaissaient et apparaissentencore ponctuellement de nos jours.

Personnages historiques

Les personnages historiques commentent de l’au-delà les événements d’actualité, ilsapparaissent dans des bulles ou servent d’arrière-plan à des événements présents.

D’une part, les caricaturistes affirment par là une continuité historique jusqu’au moment présentou montrent un parallèle politique ou une parenté idéologique, mais d’autre part, ils soulignentles différences et montrent le chemin parcouru depuis un moment historique précis. Biensouvent, ils ont aussi recours à l’anachronisme et à l’amalgame.25

22 À l’exception des périodes révolutionnaires, il existait en France une censure préalable pour les caricaturesjusqu’à l’adoption en 1881 de la loi sur la presse qui perdure encore aujourd’hui sous forme amendée. Malgrél’introduction en 1874 d’une loi sur la presse uniforme et relativement libérale dans l’Empire allemand, lescaricaturistes continuaient à enfreindre la loi assez souvent. Dans la République Fédérale d'Allemagne, chaqueLand a sa propre loi sur la presse.

23 Le «portrait-charge», une caricature dans laquelle le sujet se retrouve avec une grosse tête sur un petit corps,était un procédé satirique très prisé en France pendant longtemps et est resté un phénomène relativement raredans les dessins de presse allemands.

24 Voir la référence bibliographique dans la note en bas de page n° 7.

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Le nombre de personnalités historiques pouvant être visuellement identifiées dans le pays voisinrespectif est fortement limité. En conséquence, il n’y a pratiquement que Bismarck et Hitler quiapparaissent dans la caricature française, tout au plus encore Frédéric II de Prusse (Frédéric leGrand respectivement le «vieux Fritz») et l’empereur Guillaume II. Du point de vue allemandon peut avant tout citer Louis XIV et Napoléon Ier. Parfois, Charlemagne s’y ajoute encorecomme personne de référence commune. Dans cette période donnée, Charles de Gaulle etKonrad Adenauer ont effectué la transition entre acteur politique et personnalité historique.

Les relations de couple

Tandis que les relations entre certains États allemands (en particulier la Prusse) et la Franceétaient marquées par des conflits et des disputes, au moins depuis l’époque de Napoléon Ier, etque depuis la guerre franco-allemande de 1870/71 le pays voisin était fréquemment qualifiéd’«ennemi juré» et de «barbare», un mouvement clairement opposé se dessine. Peu après la finde la Seconde Guerre mondiale. Depuis le soutien spontané de Konrad Adenauer à l’appel à lacollaboration du ministre français des Affaires étrangères Robert Schuman (1950), le partenariat– nombreux sont aussi ceux qui parlent d’amitié – à fait place aux anciennes hostilités. Cecis’exprime aussi à travers la caricature politique dans la représentation de couples politiquesactuels voire même déjà historiques, où ces couples ne sont évidemment pas uniquementreprésentés de façon positive et affirmative, mais assez souvent même critique et ironique.Parmi ces constellations de couples franco-allemands on retiendra notamment celles –indépendamment de positions politico-idéologique partiellement opposées – empreintes d’unecoopération étroite et souvent même basées sur la confiance: Robert Schuman – KonradAdenauer, Charles de Gaulle – Konrad Adenauer, Valéry Giscard d’Estaing – Helmut Schmidt,François Mitterrand – Helmut Kohl, Nicolas Sarkozy – Angela Merkel.

Dans le cas du dernier couple on a même crée par contraction un nom commun désignant lesdeux personnages: Merkozy. Cette création de nom s’explique notamment par l’effort des deuxpoliticiens de parler d’une voix lors de la crise financière européenne.

Les créations de couples franco-allemands ont mené à une multitude de moyens d’expressionvisuels binaires, par exemple sous la forme de représentations de couples d’amoureuxrespectivement de mariés, de couples de danseurs, de couples de patinage artistique et d’autrescouples de sportifs (en particulier les conducteurs de tandem), d’artistes du cirque (par exempleau trapèze et sur la corde raide), de deux personnes dans un bateau.26

25 Ursula E. Koch, «Le couple franco-allemand, l’Europe et la médiatisation de l’histoire par les caricaturistes(1945-2003), dans: Michel Mathien (dir.), La médiatisation de l’histoire. Ses risques et ses espoirs, Bruxelles:Bruylant, 2005, p. 193-220. Pour un aperçu général, voir: Jean-Claude Gardes, «L’Allemagne et la France dansla caricature du voisin», dans: Médias, n° 24 (mars 2010).

26 Voir à cet égard les contributions suivantes de Marie Delépine: «Scènes de la vie conjugale. Mises en imagesdu couple franco-allemand», dans Ridiculosa, n° 5, Brest (1998), p. 129-149 et «Quand caricature, photographieet communication politique se rencontrent. Le couple franco-allemand ou l’image dans l’image», dans:Ridiculosa, n° 17, Brest (2009), p. 219-232, ainsi que sa thèse universitaire: Présidents et chanceliers dans les

caricatures politiques: représentation et symbolique du couple franco-allemand (1950-98), thèseUniversité Paris III [2006], 438 p. Comme autre source très informative citons aussi le catalogue d’exposition deWalther Walther Fekl (éd.), Paarlauf. Die deutsch-französischen Beziehungen in der politischen Karikatur. Pas de

deux. Les relations franco-allemandes dans le dessin de presse, Berlin: Schaltzeit Verlag, 2013.

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Gestes

La représentation par couples de politiciens est étroitement liée aux desseins qui se rapportent àcertains gestes politiques de réconciliation et de coopération. Tel est notamment le cas pourl’étreinte de Charles de Gaulle et Konrad Adenauer à l’occasion de la signature du traité del’Élysée du 23 janvier 1963 et le main dans la main entre François Mitterrand et Helmut Kohl le22 septembre 1984 sur les anciens champs de bataille près de Verdun (1916: plus de 800 000morts).27

Types sociaux

Les types sociaux font partie de la boîte à outils des caricaturistes depuis l’avènement de lagravure satirique au 16e/17e siècle. Tantôt ils sont liés au temps et tombent dans l’oubli, tantôtils survivent des époques totalement différentes.

L’officier

Alors que la caricature allemande n’a utilisé, dans l’immédiat après-guerre, la figure del’officier, omniprésent dans l’empire, que jusqu’à la fin des années 40, la caricature française,elle, en a fait un usage qui ne s’est jamais démenti. On le retrouve la plupart du temps sous lestraits du militaire prussien issu de la noblesse, présenté dans une altitude rigide, coiffé d’uncasque à pointe, l’œil orné d’un monocle et le sabre au côté. En principe, il incarne la«mauvaise Allemagne» de Bismarck, dont il dit qu’elle est aussi riche en biens matériels qu’elleest pauvre en capacités spirituelles, voire belliqueuse et barbare.

Ce sont surtout le casque à pointe (voir Le casque à pointe ci-dessous), symbole phallique, etles bottes martiales qui concourent le plus à la distorsion de l’image. Ils témoignent d’unevirilité débordante de force, à laquelle la «douce France» semble être livrée pieds et poings liés.Les relations franco-allemandes sont ainsi ramenées à des rapports psychologiques à caractèresadomasochiste, dont le moindre but n’est probablement pas d’inverser le complexed’infériorité des Français vis à vis de l’Allemagne.

Le Bavarois

Tandis que dans bon nombre de caricatures de personnages typés les Bavarois et les Prussiensdonnent lieu à des comparaisons satiriques, on retrouve souvent dans la caricature française,pour représenter les Allemands, le personnage du Bavarois, reconnaissable à certainsaccessoires tels que le chapeau tyrolien à plumet et la culotte de cuir, la pipe recourbée ou lachope à bière. Assis ou debout, il trinque avec son voisin français ou se joint à lui pour atteindreun but commun.

Le Bavarois, qui n’est pas un inconnu dans la caricature française, incarne après 1945 la «bonneAllemagne»: l’Allemagne folklorique des fêtes munichoises de la bière et des villes médiévalesromantiques. Simple, modeste, et accueillante, elle invite à y prolonger le séjour. Il fait bonvivre et travailler avec une telle Allemagne.

27 Consulter à ce sujet l’exposition itinérante de Walther Fekl/Peter Ronge: Die Geste von Verdun/ Le geste de

Verdun: Kohl-Mitterrand. Elle a été montrée pour la première fois en septembre 2014 au Centre mondial de lapaix de Verdun.

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Pourtant, le motif du Bavarois recèle quelques traits négatifs. Ainsi, certaines caricaturesassocient au porteur de la culotte de cuir, des caractéristiques peu flatteuses telles que lalourdeur, la grossièreté, la lenteur d’esprit ou la docilité.

Monsieur Dupont

M. Dupont, le Français moyen, coiffé d’un béret basque et souvent représenté une baguette depain ou un panier sous le bras, une cigarette sans filtre au coin des lèvres, représente le plussouvent, dans la caricature tant allemande que française, une France contemplative et idyllique.

Mais, de temps à autre, certains dessinateurs satiriques – et surtout les Français – montrent que,derrière cette façade inoffensive, peuvent se cacher une certaine étroitesse d’esprit, del’intolérance et de l’agressivité. M. Dupont ressemble ainsi doublement à l’image caricaturaledu Bavarois.

Les chapeaux et couvre-chefs

Que ce soit sous la forme d’un chapeau ou d’un béret, d’un casque ou d’un bonnet, les couvre-chefs constituent un moyen d’expression chargé de sens pour caractériser de façon particulièreles personnages allégoriques et les personnalités de la vie publique.

Voyons d’abord quelques exemples de coiffures françaises:

Le bonnet jacobin ou bonnet phrygien

En 1792, trois années après la prise de la Bastille, est lancée parmi les hommes, la mode dubonnet rouge, symbole de liberté. Comme il est surtout porté par les membres des clubsjacobins, on lui donne bientôt le nom de «bonnet jacobin». En tant que symbole de la liberté, cebonnet ressuscite une vieille tradition: ses ancêtres remontent à la Rome antique.

Le bonnet jacobin est surtout utilisé pour représenter la France et les Français. Dans lacaricature allemande, il évoque aussi de façon sporadique des associations à la Révolutionfrançaise et à ses idéaux, par exemple en 1848 et dans la satire iconographique socialiste àl’époque de l’empereur Guillaume II. ainsi que pendant la République de Weimar.

Le bicorne napoléonien

Parmi les couvre-chefs militaires, on trouve, à côté du casque du «poilu» (soldat de la PremièreGuerre mondiale), le bicorne napoléonien. Tous deux déclenchent le souvenir d’événements liésà la guerre et sont utilisés par les caricaturistes comme toile de fond historique. Le bicornesymbolise l’hégémonie française sur le continent européen, la grandeur et la gloire de la nationfrançaise, mais aussi le désir de puissance et la présomption.

Le béret basque

Si le béret basque s’emploie souvent, dans la satire iconographique françaises, pour représenterle réactionnaire et pour le critiquer, il est pour la caricature allemande, le symbole de la Franceretirée et agréable, que les trépidations de la cité et le stress de la société industrielle moderne

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semblent avoir épargnée. D’un autre côté, le porteur de béret représente la victime de la hautepolitique. Il semble ainsi partager avec des caricatures analogues du Michel allemand lesentiment de ne pas être maitre de son destin.

En ce qui concerne les couvre-chefs allemands, il faut accorder une place particulière auxdifférents casques.

Le casque germain ou viking

Ce casque non historique à deux cornes est devenu de plus en plus populaire dans les journauxsatiriques allemands, mais aussi étrangers, depuis le cycle d’opéras L’Anneau des Nibelungen

de Richard Wagner. Après 1945, on le rencontre surtout dans la caricature française.

Son utilisation marque clairement que la tendance au militarisme est interprétée comme un traitde caractère archaïque des Allemands, ou, pour ainsi dire, comme une constante éternelle.Ainsi, si on le trouve décoré de la croix gammée, ce qui est fréquent dans les dix années quisuivent la guerre, c’est pour indiquer que le national-socialisme est moins un phénomènehistorique particulier qu’une composante éternelle de l’être allemand.

Casque à pointe et casque d’acier

Le casque à pointe introduit par le roi Frédéric Guillaume IV en 1842, et dès le début un motifcher aux caricaturistes, attire l’attention sur la contribution prussienne au présumé caractèrenational des Allemands. La pointe phallique du casque signalise l’autorité et l’agressivité, voirela brutalité, surtout lorsqu’il s’accompagne d’un uniforme et de bottes.

Dans les années qui ont suivi 1963 (traité de l’Élysée) on a pu constater un net recul del’utilisation de motifs de casques. Néanmoins, après 1989, dans le cadre de la réunificationallemande, ces motifs ont temporairement été utilisés par une partie de la presse.28 Dans lecontexte de la crise financière de 2011/12, le casque à pointe à refait brièvement surface sur lenet comme couvre-chef de la chancelière allemande Angela Merkel.

Le casque d’acier des armées allemandes du 20e siècle est un symbole moins expressif que lecasque à pointe, et, de ce fait, il est moins utilisé pour identifier la nation ou pour évoquer lestraditions militaires du pays. Il renvoie, en général, à des événements historiques précis, etmoins, de façon globale, à des traits spécifiquement allemands.29

Le fait que, dans les caricatures françaises décrivant des personnalités et des événements liés àla République fédérale, l’utilisation de couvre-chefs civils soit en constante augmentation,montre que l’image que les Français se font de l’Allemagne est en train de changer.

Le bonnet de nuit

28 S. Reinhard Dietrich/Walther Fekl, Komische Nachbarn. Drôles de voisins. Der 9. November 1989 und seine

Folgen im Spiegel der deutschen und französischen Karikatur (1989/90). Le 9 novembre 1989 et ses conséquences

à travers la caricature française et allemande des années 1989/90, Paris, Goethe-Institut, 1990, et HildegardMeister, Wenn Karikaturen sprechen. Semiotisierungsstrategien französischer und deutscher Pressezeichnungen

zur deutschen Einheit. 2 vol., Münster: Nodus, 1998.

29 Il n’est pas rare de voir les caricaturistes de la RDA utiliser le casque d’acier comme symbole de la République fédérale d'Allemagne.

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Le bonnet de nuit est à Michel ce que le bonnet phrygien est à Marianne. Il suffit d’ôter cesdeux couvre-chefs à leur propriétaire et d’en coiffer n’importe quelle autre personne, pour quecelle-ci puisse immédiatement être identifiée comme Français ou comme Allemand. Cependant,les qualités de caractère et le comportement politique suggérés varient énormément d’uncouvre-chef à l’autre. Si le bonnet phrygien est employé dans les deux pays, le bonnet de nuit,lui, n’apparait qu’en Allemagne. Le bonnet de nuit est en partie un simple symbole national eten partie son porteur passe pour naïf, demeuré, d’avant-hier et même soumis à l’autorité.

Le chapeau tyrolien

Le chapeau tyrolien avec ou sans houppe de poils de chamois est utilisé dans les deux pays, oùon lui accorde, à peu de choses près, la même signification (cf. Le Bavarois). Il y a pourtant unedifférence essentielle: sous la plume des dessinateurs allemands, il décrit des hommes politiquesou des mentalités régionales, et ne peut en aucun cas être tenu pour une auto-image ethno-nationale.

Moustaches et coiffures

Ce que l’homme porte sur la tête, de même que la façon dont il se présente, sont soumis auxrègles édictées par les coutumes, les mœurs et la mode. Coiffures, barbes et moustaches ontvaleur de symbole, elles sont des reflets de la culture d’un pays. Le Français voitimmanquablement, sous le nez raillé à la hache des hommes allemands, la moustache à laGuillaume II, ou la petite moustache à la Hitler, surmontée alors de la célèbre mèche. Celles-cisymbolisent une multitude de traits de caractère attribués aux Allemands: l’amour de l’ordre, ladiscipline, le besoin d’avoir toujours raison, l’agressivité, etc.

La coiffure féminine allemande se trouve, quant à elle, souvent domestiquée sous la forme denattes à la Gretchen de la «Fräulein» allemande, et pas seulement dans la satire iconographique,d’ailleurs, puisqu’on la retrouve sur des photos, en couverture des magazines français. Lachevelure ordonnée en tresses, nattes et autres nœuds montre nettement que sa propriétairedéteste la négligence, qu’elle aime le regard franc et droit, et qu’aucun cheveu rebelle nes’échappera de la raie tirée au cordeau pour venir la gêner sur son front. Tout cela pourraitévoquer chez certains l’époque nazie, puisque cette façon de se coiffer était alors typique de lafemme allemande blonde. Marianne, en revanche, se présente dans la caricature allemande etfrançaise sous les traits d’une jeune femme sûre d’elle, dont les cheveux flottent au vent. Plutôtoffensive que réservée, plutôt dynamique que soumise, elle ne cache pas non plus ses attributsféminins.

Evénements historiques

Les dates clés de l’histoire, qui sont ancrées dans la mémoire collective des deux pays,constituent le matériau de base des explications par caricatures interposées: le sacre deCharlemagne, celui d’Henri IV et Napoléon, les révolutions de 1830 et 1848, la proclamationdu second Empire allemand à Versailles (1871), la guerre de position à Verdun (1916), lasignature de l’armistice de 1918 dans un wagon de chemin de fer à Compiègne, l’entrée destroupes allemandes à Paris, la poignée de mains de Montoire entre Hitler et Pétain en 1940, ledébarquement des Alliés en Normandie (1944), etc. En outre, dans la satire iconographique

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allemande on retrouve occasionnellement des allusions à la guerre de succession du Palatinatmenée par Louis XIV (1688-1697) et la destruction du château de Heidelberg.

La géographie

Les représentations de paysages, de villes, de fleuves ou rivières, et de monuments situés aussibien sur le sol national que dans le pays étranger peuvent être interprétées comme métonymiesspatiales: comme signes par lesquels on ne se réfère pas seulement à un détail géographique,mais encore, au-delà, à des événements, des situations, des personnages, des opinions, etc. Lesmotifs à caractère géographique ne sont donc pas de simples accessoires, des décorsornementaux. Bien au contraire, ce sont eux qui limitent le nombre de lectures possibles d’unecaricature.

Présentons-en les motifs les plus courants:

Les paysages

La région de la Ruhr, qui symbolise les usines d’armement du Reich, ou encore la(sur)puissance économique allemande en général.

Les rives du Rhin, parsemées de châteaux forts, qui rappellent les légendes, mythes (Lorelei) etcontes germaniques. La Normandie ou la région de la Marne, qui occupent une place importantedans la mémoire collective des deux pays en tant que théâtres d’opérations de guerre.

Les villes

Il en est de deux sortes: Paris, Bonn, et depuis 1999 de nouveau Berlin, qui représentent desunités politiques, respectivement la Nation française et la République fédérale d’Allemagne;Verdun, Oradour ou Munich, Dresde qui sont en rapport direct ou indirect avec des événementsliés à la guerre.

Les fleuves ou rivières

Ils n’apparaissent nullement comme frontières naturelles dénuées de problèmes. Le Rhin en estle meilleur exemple: depuis les guerres de libération (1813) et grâce à la large diffusion dupamphlet d’Ernst Moritz Arndt Der Rhein, Deutschlands Strom, nicht aber Deutschlands

Grenze («Le Rhin, fleuve allemand, mais pas frontière allemande»), il est devenu un enjeupolitique et se voit conférer une valeur «nationale». C’est en 1840, dans le cadre de la courte,mais violente «crise du Rhin», que Max Schneckenburger a composé son poème mis enmusique Die Wacht am Rhein («Guet au bord du Rhin»). Celui-ci deviendra, en quelque sorte,un hymne nationale de remplacement pour l’Empire durant la guerre franco-allemande. Aupoème Sie sollen ihn nicht haben, den freien deutschen Rhein («Ils ne l’auront pas, le libre Rhinallemand») de Nikolaus Becker datant également de 1840, Alfred de Musset répliquera par sonpoème «Le Rhin allemand» (1841), qui commence par la strophe «Nous l’avons eu, votre Rhinallemand». Depuis lors, le Rhin joue, dans les différends politiques entre les deux pays, demême que dans la satire iconographique, un rôle éminent comme symbole de l’affirmation del’intégrité territoriale. Dans les caricatures de l’après-Seconde Guerre mondiale, il devient unlieu de réconciliation, où les représentants des deux pays tirent un trait sur le passé. Nous n’en

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voulons pour preuve que les nombreuses scènes représentant le général de Gaulle et lechancelier allemand Konrad Adenauer se donnant l’accolade par-dessus le Rhin.

Les monuments

Les monuments remplissent dans la représentation caricaturale deux fonctions distinctes. D’unepart, ils constituent un moyen simple pour identifier une unité géographique ou nationale: ainsi,la tour Eiffel ou l’Arc de Triomphe de l’Étoile sont des symboles visuels représentant Paris oula France ainsi que la porte de Brandebourg, la colonne de la Victoire ou le mur (1961-1989)représentent Berlin.

D’autre part, ils représentent des lieux à problèmes, des lieux où l’on est confronté au passé ouau présent, tels que les cimetières militaires, la flamme du soldat inconnu ou la cathédrale deReims.

Les emblèmes nationaux

Les drapeaux

Les emblèmes officiels tels que les drapeaux français ou allemand, jouent dans la caricatured’après-guerre des deux pays un rôle secondaire. Ils permettent d’identifier la France oul’Allemagne en tant qu’unités nationales.

Les motifs cartographiques

La silhouette de la carte de France et celle de la République fédérale sont souvent utilisées dansles caricatures des deux pays, notamment dans les différends à propos de la Sarre, de l’Algérieet des frontières de l’Allemagne d’après-guerre. Elles revêtent, selon les cas, diversessignifications: que ce soit l’autodétermination territoriale, les délimitations d’unités politiques(État, nation, gouvernement) ou simplement la population d’un pays. Et qui plus est, du fait deson haut degré de schématisation, ce motif peut mobiliser l’ensemble du savoir, des attitudes,des sentiments etc., qu’ils touchent la propre ethnie ou une ethnie étrangère.

Si l’«Hexagone» français apparaît plus souvent comme motif que les contours de la Républiquefédérale, c’est parce que la stabilité des frontières de la France est sans commune mesure aveccelle des frontières de sa voisine allemande, et parce que la France s’appuie sur une traditionnationale sans faille. En outre, les gouvernements au pouvoir depuis la Troisième Républiqueont volontairement utilisé le motif de l’«Hexagone» pour renforcer le sentiment d’appartenanceà une même nation.

Le coq gaulois

L’utilisation du «coq gaulois», s’inspirant du mot latin gallus, et signifiant à la fois «coq» et«Gaulois», comme moyen de perception du pays voisin, date de l’époque du Das Narrenschiff

(La Nef des fous) (1494), un poème didactique et satirique de Sebastian Brant illustré par desgravures sur bois. Pendant la Révolution française il était l’animal héraldique et le symbole dupeuple français. Même s’il n’est pas un symbole officiel de l’État, le coq gaulois n’en demeurepas moins, aussi bien dans la caricature allemande que française (et internationale), le symboleutilisé pour représenter la France et les Français. D’un point de vue allemand, il soulignerait

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même un trait de caractère typiquement français, à savoir la fierté nationale, pour ne pas direl’arrogance dont fait montre la France vis-à-vis d’autres ethnies, nations ou États. Comme la«Semeuse», le coq gaulois est lui aussi représenté sur les pièces en euros commémoratives.

L’aigle allemand

L’aigle, symbole impérial, a subi plusieurs changements au cours de l’histoire de l’Allemagne.En tant qu’emblème national de la République Fédérale d’Allemagne (depuis 1949), il figuresur les couvertures des magazines d’informations, mais il donne souvent la réplique au coqgaulois dans la satire politique. Il prend même souvent les traits d’un homme politique ou d’unhomme d’affaires allemand. La caricature française le dessine le plus souvent les ailes écartées– conformément à la représentation officielle de l’aigle du Reich, ou de celui de la Républiquefédérale –, ce qui illustre ses désirs de domination et de puissance. L’apparition en couple ducoq et de l’aigle est un moyen privilégié pour représenter la réelle ou présumée (redoutée)suprématie allemande.

Pièces de monnaie et billets

Il n’est pas d’emblème qui symbolise mieux l’unité politique de l’«État» ou celle de la«Nation» que la monnaie. Cela vaut en particulier pour l’unité de base de chacun des systèmesmonétaires, à savoir les pièces de 1 franc et de 1 mark. En outre, cet emblème concrétise leconcept abstrait du pouvoir d’achat et, par comparaison avec la monnaie d’autres pays, la forcede l’économie du pays en question.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que, dans les caricatures économiques d’une part et d’autre duRhin, la puissance économique de la République fédérale (le «géant économique allemand») etla faiblesse économique relative de la France soient opposées par le biais de ces emblèmes (cf.la «Semeuse»).

Avec l’introduction officielle en janvier 2002 d’une monnaie commune, l’euro, la dichotomieentre le mark allemand et le franc français en tant que représentation iconographique de l’écarten matière de puissance économique a inévitablement cessé de figurer dans la caricaturepolitique des deux pays.

Emblèmes divers

La croix de fer

L’ordre de la croix de fer a été fondé en 1813 par Frédéric Guillaume III de Prusse pour décorer,quel que fût leur grade, les soldats combattant contre Napoléon. Cet ordre a été reconduit troisfois: en 1870, en 1914 et en 1939, c’est-à-dire chaque fois au début d’une guerre contre laFrance.

On comprendra aisément pourquoi la caricature française emploie souvent la croix de fer dansses démêlés avec le «militarisme allemand», par exemple, lors du réarmement de l’Allemagne.Mais on la retrouve également dans la représentation de la supériorité allemande dans unquelconque domaine non militaire; elle est alors, comme (autrefois) la croix gamméerespectivement juste l’inscription, suspendue au cou des hommes politiques allemands, ouagrafée au revers de leur veston.

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Même le motif de l’agrafe de la croix de fer, qui se retrouvait aussi sur la boucle de ceinturon del’uniforme allemande – un aigle impérial qui tient dans ses serres une couronne de laurierentourant soit l’inscription: «Dieu soit avec nous», soit une croix gammée – représente un motifsouvent utilisé dans la caricature.

La croix de Lorraine

Quelques semaines à peine après le discours de de Gaulle, appelant de Londres à la résistancecontre l’occupant allemand (l’appel du 18 juin), la croix de Lorraine à double traverse futchoisie, en juillet 1940, comme emblème de la Résistance extérieure, c’est-à-dire de la Francelibre et de ses forces armées comme symbole devant s’opposer à la croix gammée. En l’utilisantcomme motif sur les timbres postaux, on l’a, après la guerre, quasiment élevée au rang desymbole de l’État.

Dans la caricature française, elle tire également sa valeur de symbole de son opposition à lacroix gammée qui, pour sa part, ne renvoie pas seulement au national-socialisme, mais encore àdes traditions allemandes fatales ou à l’Allemagne, tout simplement. Diverses formes derapprochements franco-allemands ont été attaquées, et ce à plusieurs reprises, au moyen de laconfrontation entre les deux croix, symbolisant alors l’union contre nature de l’eau et du feu.

La croix de Lorraine n’apparaît plus guère, dans les caricatures les plus récentes, pour illustrerdes thèmes franco-allemands. Elle a perdu, dans le cadre politique actuel, sa fonctiond’identification nationale. Dans la caricature allemande, elle n’était d’ailleurs utilisée que poursymboliser le gaullisme.

Les symboles nazis

C’est surtout au cours des dix premières années après la guerre que la critique contrel’Allemagne fédérale s’est servie de la croix gammée ou des insignes SS, pour en décorer divershommes politiques allemands, quel qu’ait été leur comportement pendant le règne du national-socialisme.

Depuis les années 1960, quelques dessinateurs allemands osent, dans des cas particuliers,décerner ces emblèmes aussi bien à des personnages de la vie publique française (tels que legénéral Salan ou Jean-Marie Le Pen) qu’à des personnages de la vie publique allemande. Mêmeen France, on utilise ces emblèmes depuis longtemps dans les débats franco-français pourdénoncer des adversaires politiques. Désormais, les symboles fascistes ne servent plus qu’àmarquer un point de vue politique, et non plus l’appartenance à une nation. Lorsque deshommes politiques allemands sont représentés vêtus d’un uniforme nazi ou SS, cette attaquevise des personnes concrètes, et plus guère les Allemands en tant que tels.

Signes typographiques

Les signes et lettres gothiques, employés dans la caricature française à propos de l’Allemagne,évoquent les souvenirs laissés par l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.Il suffit de penser à la multitude des plaques portant le nom des rues, ou les proclamationsplacardées dans le Paris occupé.

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En outre, la lettre «c» de la langue maternelle française est souvent remplacée dans les légendespar la lettre allemande «k» comme par exemple dans «entente kordiale» ou «kolossal». Nuldoute qu’il ne s’agit pas là d’une faute d’orthographe, mais bien plutôt d’un jeu raffiné sur lesdifférents registres des codes ethniques. Le «K» est, pour les Français, un signe typiquementallemand, aussi bien pour sa forme graphique que pour l’aspiration phonique qu’il évoque. Ildésigne la dureté sonore, le soi-disant caractère «guttural» de la langue allemande.

Aliments et biens de consommation courante

Dans une expression allemande, On dit de celui qui profite avec joie et insouciance de sonexistence, qu’il vit «comme Dieu en France»30. On ne s’étonnera donc pas de voir lescaricaturistes allemands pourvoir leurs personnages français des signes extérieurs les plusélevés du goût, que sont pour eux le vin (autrefois aussi le champagne), la baguette et lefromage. En revanche, vu du côté français ce sont des produits de consommation courante quicaractérisent l’Allemand: en premier lieu la bière, le saucisson et les saucisses.

La bière contre le vin, c’est un motif de contraste dont la tradition est centenaire. Celas’explique surtout par la caricature des années 1870, qui avait mené une campagnegastronomique intitulée «mangez français», dirigée contre les produits allemands, tandis que lacaricature allemande polémiquait de la même façon contre les produits français. Bien sûr, lesFrançais associent au jus de houblon d’autres produits ou mets tels que la choucroute, le rôti deporc ou les pommes de terre bouillies toutes fumantes. Ils ont tous un dénominateur commun:ils se rattachent à l’ambiance des brasseries allemandes, avec leur atmosphère, leurs chants etleurs balancements rythmiques, si ce n’est à leur grossièreté, leur vulgarité, voire leuragressivité.

Conclusion

Si l’on passe en revue la caricature des soixante-dix dernières années, on discerne destransformations notables. Vu du côté français, le plus grand changement concerne l’utilisationde références à la militaria allemande. La première chose à changer c’est la fonction de cesréférences, suivie d’un fort déclin de leur présence – avec des interruptions dues à des sujetsd’actualité – avant de disparaître quasi intégralement.

Le changement de fonction tient au fait qu’à l’époque du miracle économique allemand, lapuissance économique allemande était perçue par ses voisins comme une plus grande menaceque la puissance militaire. En conséquence, quand les politiciens allemands étaient caricaturésavec des attributs militaires, aussi bien en France que dans les pays européens, c’était surtoutdans un contexte relié à des affaires économiques et en particulier à la politique monétaire.

Même la satire iconographique, ne faisant pas recours aux attributs militaires mais dépeignant lasuprématie allemande réelle ou présumée sous forme de représentations exagérées – le meilleurexemple étant le ballonnement de Helmut Kohl qui est déjà de grande taille et corpulent denature –, fait généralement référence au domaine de l’économie et des finances.

30 Le livre de Friedrich Sieburg, publié en 1929 et souvent réédité, intitulé Gott in Frankreich? (titre français: Dieu est-il Français?) a marqué l’image que se faisaient les Allemands de la France.

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La fréquence d’utilisation des emblèmes nazis a considérablement diminué et ils apparaissenttoujours plus souvent sous forme dénationalisée; en d’autres mots, ils servent à condamner lesactivités d’extrême droite dans les deux pays.

Vu du côté français, certains caricaturistes profitent de divers événements politiques pourredéployer une Germania représentée en matronne, bien que réactualisée et instrumentalisée,mais elle cédé largement la place à une gracieuse figure d’identification rappelant Gretchen ouencore à des personnalités politiques connues. Vu du côté allemand, la méfiante Marianne desannées d’après-guerre devient la partenaire de Michel, voire sa petite amie. Les deux côtés onten commun que leur critique est devenue moins acerbe ce qui ne veut pas dire qu’elle ait perdutout son mordant.

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