Histoire économique et sociale des Tiers-mondes

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Novikov, Ilya V. BARI 2

Prof. B. Etemad 2010/2011

HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE DES TIERS-MONDESUN BILAN DE LA COLONISATION (XVIme-XXme) La lutte contre l'imprialisme pour rompre les liens coloniaux et no coloniaux [] n'est pas sans lien avec la lutte contre le retard et la misre ; toutes deux sont des tapes sur une mme route menant la cration d'une socit nouvelle, la fois riche et juste. - Ernesto Ch Guevara

INTRODUCTION Introduction : Le cours porte sur un phnomne ancien et multiforme - la colonisation. On sintressera ici essentiellement la colonisation europenne du XVIme au XXme sicle. Ce choix est justifi par lampleur de limpact et des consquences du olonialisme europen, qui sont les plus prsents et dterminants dans le monde contemporain : la colonisation europenne est effectivement considre comme une cause majeure de la disparit des revenus et de la diffrence de dveloppement entre les nations du monde. La premire partie dbute par la premire phase historique de la colonisation, savoir la conqute de lAmrique et du Pacifique par les Europens entre le XVIme et le XVIIIme sicle, et s'achve avec la fin de la deuxime phase, qui porte essentiellement sur la colonisation de lAsie et de lAfrique au XIXme et XXme sicles. Tout au long de cette premire partie, la question des cots et des moyens du colonialisme europen sera la question centrale. La deuxime partie, quant elle, portera sur la question des consquences de la colonisation europenne sur les Tiers-mondes ; la question de limpact du colonialisme europen sur les colonies sera tudie au cas-par-cas. Cette approche comparatiste est centre sur les diffrences entre les cas, ce qui tout en laissant gagner ltude de la colonisation en prcision, lui fait perdre en universalit -1-

Lhistoriographie du colonialisme a subit des changements radicaux pendant le XXme sicle les questions poses tout comme les rponses proposes continuent varier sensiblement aujourdhui. - Notablement, on est pass dune perspective suprmatiste, providentielle et condescendante, bases sur un culte du mrite du monde civilis et de ses exploits ainsi que dune volont idaliste de venir en aide un monde sauvage composant le fardeau de lhomme blanc , une perspective nettement plus raliste et critique, approchant le colonialisme comme la conqute impitoyable et lexploitation systmatique des Tiers-mondes par l'Europe imprialiste. - On sest demand entre autres comment lEurope a-t-elle pu soumettre elle des territoires et des populations dpassant de plusieurs fois son propre poids , mais aussi la question du cot, humain et financier des moyens employs pour cette domination. - On argumentera dailleurs que lEurope imprialiste maintiendra son emprise coloniale aussi longtemps que le rapport cots/bnfices du colonialisme lui sera avantageux, et une fois la tendance inverse, labandonnera aussitt. - En ce qui concerne la question des causes ou motivations de lEurope imprialiste coloniser des terres lointaines, on admet largement aujourdhui que cest une combinaison dun nombre de causes diffrentes (conomiques, culturelles, gostratgiques, religieuses et autres) qui ont donn lieu ce phnomne, bien que les historiens ne sont pas toujours daccord sur la pondration de ces facteurs. Notons que dans les dernires 10-15 ans, il est apparut en Europe un mouvement de retour de lactualit de la question de lesclavage et de la colonisation - lEurope a bien connu pendant longtemps un fort mouvement dabolitionnisme, mais celui-ci a graduellement disparu avec labolition de la traite ngrire au dbut du XIXme sicle. Ce fait prouve que la colonisation et lesclavage sont des thmes qui perdurent travers le temps, sans jamais vraiment tre rvolus et apaiss. - Cela sexplique partiellement par de forts mouvements migratoires qui sont apparus avec la dcolonisation : effectivement, avec la rupture des liens coloniaux, lmigration europenne a t immensment rduite, alors que limmigration vers les anciens mtropoles sest radicalement intensifie. - Aussi, des programmes daide au dveloppement entrepris par un ensemble dEtats ont finit par chouer : effectivement, on dcouvre depuis une vingtaine dannes que plutt que de se rduire, les carts entre les nations nont fait quaugmenter. - Finalement, la dnonciation du nocolonialisme , savoir l'influence nfaste que maintiennent d'anciens colonisateurs coupls avec des entreprises multinationales d'envergure dans les pays en voie de dveloppement, reprsente un tmoignage de la persistance du sujet.

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Chapitre I - Les grandes tapes de lexpansion europenne du XVIme au XXme sicle :Introduction : La domination du monde par lEurope imprialiste sest tablie et affirme dans de diverses rgions du monde travers plusieurs tapes. A chaque rgion et chaque priode du colonialisme europen correspondent des caractristiques dterminantes. - Dfinition : imprialisme : tendance dun Etat placer sous sa dpendance (conomique, politique financire et/ou culturelle) un certain nombre dautres territoires. - J. F. Fayet

1.1). Amrique et Pacifique : La dcouverte de nouveaux territoires et le contact qutablissent les Europens avec des populations jusqualors isoles est vcue comme un vritable choc le phnomne change les esprits et ouvre des possibilits illimites pour les Europens mais porte avec lui un vritable drame pour les populations aborignes. Avec le retour en Europe de la premire expdition de Christophe Colomb en 1492, cest une nouvelle re qui souvre la civilisation europenne. Il sagit dune avance considrable pour les esprits : on apprend que le monde est bel et bien une sphre finie, et que chaque contre de ce globe terrestre peut treatteinte par lhomme ; soudainement, les esprits europens, clotrs par le dogme et la superstition catholiques, souvre un monde riche, vari et surtout proche saisir : on parle de dcloisonnement du monde. Effectivement, les diverses parties du mondes qui furent dcouvertes par les Europens au XVme et XVIme sicles taient restes jusqualors dans une situation disolement total les unes des autres. En tablissant des routes maritimes et des colonies, les Europens ont connect les diverses rgions du monde, plaant lhumanit entire dans une zone dinfluence globale et continue. Les grandes dcouvertes gographiques de lpoque, telles que la dcouverte de lAmrique par Christophe Colomb (dbarqu sur lle de San Salvador le 12 octobre 1492) et la dcouverte de la voie maritime vers les Indes par Vasco De Gama (le 27 mai 1498) taient portes avant tout par des motivations commerciales : le but tait douvrir de nouvelles voies vers lInde et la Chine, (riches en denres rares telles que les pices) devenues inaccessibles pour les Chrtiens cause de la domination de lEmpire Ottoman au Proche-Orient. Avec louverture de ces routes commerciales, lEurope sest dote dun afflux de biens considrable tout en intgrant des collectivits loignes : on peut parler du dbut de la globalisation. - Les dcouvertes en question nont pas t possibles auparavant, car ce nest quau XVme sicle que les Europens ont bnfici dun progrs suffisant en navigation pour acqurir la capacit de naviguer en haute mer, notamment grce lutilisation dinventions telles que le gouvernail, le compas chinois, la gomtrie et la -3-

navigation astral arabo-musulmanes et le dveloppement d'une architecture navale plus solide. Adam Smith avait crit que la dcouverte de lAmrique et celle de la route des Indes par le Cap de Bonne Esprance sont les deux plus grands et plus importants vnements dans lhistoire de lhumanit. Ces vnements vont effectivement changer radicalement la relation des Europens avec le reste du monde : - travers le commerce globalis, la conqute, la colonisation et le Pacifique et du Nouveau Monde ; peuplement du

- ainsi que ltablissement du trafic ngrier pour lexploitation des plantations des colonies, laquelle les populations aborignes peu nombreuses et dcimes de surplus par le choc pidmiologique et lextermination amens par les Europens nont pas su suffire ; effectivement, les populations amricaines passent de 60 millions en 1500 18 millions en 1750, esclaves noirs et colons blancs compris. La conquista de lAmrique a t particulirement rapide. Elle dbute avec la premire arrive de Colomb en 1492, et prend de facto fin une gnration plus tard. Ce qui frappe dans la conqute de lAmrique est la disproportion entre le nombre minime de conquistadores, disposant de moyens trs limits et faisant face des millions dindignes civiliss ayant parvenus un haut degr de dveloppement : travers la colonisation, les structures politiques et sociales aborignes vont seffondrer, emmenant avec elles une bonne partie de la population et cdant la place aux Europens pour former aux Amriques et en Ocanie une civilisation leur image. - Ayant soumis les populations locales, des colons Europens vont venir stablir par millions sur les terres du Nouveau Monde, nourris par le prospect dune vie meilleure quoffrirait cette terre promise pleine dopportunits. Cest au niveau de la production que stablira la colonisation de lAmrique et du Pacifique. Un systme de production, la plantation, sera mis sur pied par les colonisateurs europens : des produits typiques des Amriques tels que le sucre, le caf, le tabac et le coton seront produits en masse en vue de leur exportation vers lEurope. A ces activits agricoles sajoutera lexploitation minire dor et dargent. Cest pour alimenter la demande en main duvre du systme de plantation que sest tablit la traite ngrire. - Les conomies dAmrique latine sont particulirement extraverties et fortement orients vers lexportation. La deuxime caractristique de la colonisation europenne aux Amriques touche sa population, divise entre 20% de migrants europens, 15% desclaves afro-amricains, 30% de mtisses et 35% dAmrindiens (en 1800). Il y a galement une distinction faire entre les populations prsentes au Sud du Rio Grande (Amrique latine) de celles du Nord, o limplmentation sera plus homogne et moins mlange que celle de lAmrique du Sud. LAmrique du Nord du XVme sicle compte seulement 5 millions dAmrindiens contre 55 pour lAmrique du Sud - ceux-ci seront donc un obstacle facile refouler pour les colonisateurs franais, britanniques, espagnols et russes. Les ressources minires et les denres tropicales sont galement absentes en Amrique du Nord : celle-ci est donc bien un exemple type dune colonisation de peuplement europen. -4-

Lexprience de la colonisation en Australie rappelle de nombreux gards la colonisation de lAmrique du Nord, mais il y a pourtant certaines diffrences, en particuliers le type de migrants amens. Effectivement, la premire population permanente en Amrique du Nord, tablie en 1620 dans lactuel Etat du Massachusetts, est composes de Puritains venus trouver en lAmrique une terre de refuge et de libert de la rpression de la couronne britannique, alors que lAustralie a t, au contraire, une colonie pnitentiaire de lEmpire britannique. - Les diffrences majeures dans lexprience de la colonisation entre les deux continents touchent principalement aux particularits des socits aborignes prsentes et leurs structures sociales, prsentant aux colonisateurs des conditions de dpart diffrentes. Il y a galement un certain dcalage chronologique entre la colonisation de lAmrique et de lOcanie. Cette dernire a effectivement t approprie et peuple par les Europens partir de la fin XVIIIme sicle. Il sagit de terres extrmement loignes de lEurope le voyage dure en moyenne 180 jours, soit trois fois plus long que le voyage au Nouveau Monde. - Parmi les similitudes, on retrouve dans la colonisation de lOcanie des lments comme la rupture dun isolement total de populations disperses et peu nombreuses (faible densit de peuplement), laissant place au dclin dmographique suit au contact avec les Europens et lenracinement progressif des populations europennes laissant place de nouvelles Europes .

1.2). Asie : La colonisation, ou plutt la pntration europenne en Asie est trs lente en contraste avec lexprience amricaine et ocanienne. Elle se droule en deux tapes : - La premire dbute avec larrive de lexplorateur Portugais Vasco De Gama aux Indes en 1498 et continuera sans volutions majeures jusquau XVIIIme sicle. Pendant ces deux sicles et demi les Europens se heurtent une civilisation aussi dveloppe que la leur et ne parviennent pntrer que les circuits commerciaux longue distance des Indes Orientales (les Portugais au dbut, les Franais et les Hollandais ensuite et finalement les Britanniques) ; les terres et les populations orientales restent indpendantes et chappent, dans un premier temps, linfluence europenne. - La seconde phase, phase de conqute, dbute au milieu du XVIIIme et ne prend fin quau XXme sicle, soit deux sicles aprs la conqute fulgurante des grands empires prcolombiens par les Espagnols et les Portugais. Les structures politiques et sociales en place en Orient sont effectivement assez puissantes en Asie pour assurer leur indpendance. A partir de la fin du XVIIIme sicle pourtant, les Europens, enrichis par la Rvolution Industrielle, acquirent un avantage suffisant pour soumettre eux, jusqu un certain point, la plupart des civilisations asiatiques. Les diffrences majeures entre lexprience coloniale de lAsie dune part et de lAmrique et de lOcanie dautre part ont attrait aux particularits des populations -5-

aborignes : contrairement aux Amrindiens, les Asiatiques possdent des structures politiques et sociales robustes et dveloppes et jouissent dune densit de peuplement et dune taille dmographique considrable rendant toute conqute directe impossible pour les Europens : ils devront se contenter en Asie dtendre leurs empires non pas par domination, mais par ngociation. - En Inde, les Europens vont commencer stablir sur des comptoirs et points dappui ctiers, sans possibilit de pntrer dans le sous-continent. En 1757 pourtant, les Britanniques battent les Franais la bataille de Plassey, saisissant le monople sur le contrle europen du sous-continent et vont dmarrer la colonisation de lInde : localement dabord, puis profitant du dclin de lEmpire Moghol, ils vont progressivement sapproprier le contrle total de la rgion travers la East India Trading Company. - LIndonsie et lIndochine tant moins peuples et moins dveloppes que lInde, elle seront colonises plus rapidement : au tournant du XIXme sicle, la Hollande et la France contrleront lessentiel de larchipel ocanien et de la pninsule indochinoise respectivement. Les colonisateurs europens sont principalement motivs par des facteurs commerciaux : cest la richesse de lOrient en denre rares telles que le th, la soie et les pices qui les amnent stablir. Au fur et mesure que lEurope imprialiste prendra son emprise sur lAsie et ses habitants, ces derniers seront soumis se concentrer sur la production de ces denres en masse pour leur exportation vers leur mtropoles respectives et consommer en masse la production manufacture importe depuis ces mmes mtropoles, dotant lEurope dune immense peuplade produisant et consommant entirement selon les conditions qui lui son dictes par le pacte colonial.

1.3). Afrique du Nord : La colonisation europenne de lAfrique du Nord dbute en 1830 avec la prise dAlger par la France. Avant cela, tout le Maghreb, exception faite du royaume du Maroc, tait sous emprise ottomane. Lavance europenne en Afrique du Nord se droulera lentement, les phases de conqute se succdant aux phases de pacification. LAlgrie ne sera conquise entirement par la France quen 1870 et sera suivie par la Tunisie en 1881 et le Maroc, devenu protectorat franais en 1912. Les Britanniques eux vont se concentrer en Egypte, afin de maintenir leur contrle du Canal de Suez (ouvert en 1869) et de la voie commerciale vers lInde. LAlgrie commence tre colonise selon un plan qui non seulement naboutira pas, mais laissera des consquences dsastreuses. Lide des Franais tait de faire de lAlgrie une terre dimmigration linstar de lexprience en Amrique. En fin de compte, lexprience coloniale franaise en Algrie sera mi-chemin entre le modle de la colonie de peuplement et celui de la colonie dexploitation. Du fait de la forte prsence franaise en Algrie et de ltablissement dun double standard de traitement, lexpropriation des Algriens des meilleures terres et la marginalisation de ces derniers crent de fortes ingalits suscitant un mouvement de rsistance la colonisation franaise qui culminera la rvolution et l'mancipation des Algriens.

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1.4). Afrique subsaharienne : Bien que les Europens stablissent sur les ctes africaines ds le XVIme sicle dans le cadre de la traite ngrire, la pntration coloniale europenne dans le cur du continent noir sera trs tardive il faudra attendre la fin du XIXme sicle. Paradoxalement, le non-peuplement par lEurope du continent Africain sera caus par la non-rsistance des colonisateurs aux pidmies du continent (malaria, fivre jaune, etc.) il sagit dun reversement de situation par rapport au cas amricain. Il faudra attendre linvention de vaccins et dantibiotiques pour que les Europens puissent penser saventurer dans les terres de lAfrique noire . Cette dernire attire dabord des explorateurs et des missionnaires, puis finit par faire lobjet dune course [pour le partage] de lAfrique entre des puissances impriales europennes, o des puissances mergentes telles que la Belgique, lAllemagne et lItalie tenteront de sapproprier les dernires terres coloniser au monde. Lune des spcificits de la colonisation de lAfrique subsaharienne est dans le dcalage colossal dans le niveau de dveloppement et les moyens disposition entre le colonisateur et le colonis : au moment de la colonisation du continent africain, dans le dernier quart du XIXme sicle, lEurope vit sa deuxime Rvolution Industrielle, qui la dote de technologies et de potentiels militaires extrmement avancs, alors que les peuples de lAfrique subsaharienne sont pour la plupart des socits traditionnelles, ce qui laisse aux Europens lopportunit de soumettre des territoires et des populations immenses un cot minime et une vitesse extrme.

1.5). Une pese de lexpansion europenne : Toutes les populations et toutes les socits soumises au joug colonial ont rsist, mais chacune a eu une forme de rsistance particulire. Celle-ci dpend de plusieurs facteurs, notamment de la forme de pntration du colonisateur, des valeurs culturelles et religieuses, de la taille, du niveau de dveloppement technologique et du degr dextraversion conomique des populations colonises. Lemprise de la colonisation nest pas la mme selon les rgions : le colonisateur europen na que des moyens limits, ce qui explique pourquoi lAfrique et lAmrique entire ont pu tre colonises, alors que plus de la moiti de lAsie ne la jamais t formellement (Chine, Turquie, Perse, Siam, Mongolie, etc.) Une autre variable caractristique de la colonisation est la prsence de populations allognes dans les colonies : effectivement, le nombre dEuropens en Afrique et surtout en Asie est relativement trs faible, alors quil est crasant en Amrique (o il faut ajouter aux Europens les descendants desclaves noirs). La diffrence dans la prsence de populations allognes permet dobserver lintensit de la pntration coloniale dans une rgion donne (0,1% pour lAsie, 70% en Amrique). La dcolonisation na pas et ne peux pas avoir la mme signification dans toutes les rgions du Tiers-monde. Le type dimplmentation et donc les retombes de la colonisation sur la population tant diffrents, la fin du processus colonial se passera donc dune faon et aura un sens diffrents. Les colonies de peuplement europen (Etats-Unis, Argentine, Chili, etc.) prennent fin par linitiative de colons blancs (Simon -7-

Bolivar, Guerre dIndpendance des Etats-Unis, etc.), contrairement aux colonies dexploitation, o le nombre de colons a t restreint et o, la plupart du temps, la fin de la colonisation sinstrumentalise par une rupture brutale (Vietnam, Algrie, Angola). - Dans certaines colonies de peuplement de lEmpire colonial britannique, qui tait dailleurs le plus vaste, un modle spcial de domination a t tabli - le dominion. Les Etats dominions de lEmpire britannique, tels que le Canada, lAustralie, la Nouvelle Zlande et lUnion dAfrique du Sud, possdaient un certain degr dautonomie, dont la souverainet intrieure, leur offrant un statut mi chemin entre colonie et Etat indpendant gal au Royaume Uni . Le statut de dominion a sensiblement vari dans le temps et a disparu au lendemain de la Deuxime Guerre Mondiale, avec laccession des anciens dominions et colonies de la Grande Bretagne au Commonwealth des Nations.

Conclusion : Ce qui frappe dans ltude du colonialisme est la diffrence de paysages que celui-ci a laiss travers le monde. Effectivement, certaines anciennes colonies telles que les Etats-Unis, la Nouvelle Zlande, Singapour et lAfrique du Sud comptent parmi les pays les plus dvelopps du monde : leurs populations jouissent dun faible taux de mortalit, dune longue esprance de vie et dun haut niveau de vie, alors que la populations dautres anciennes colonies, telles quHati ou le Congo, prsentent des caractristiques dramatiquement opposes. Notons que la dure de vie coloniale varie sensiblement parmi les rgions : certaines, comme lIndonsie, le Brsil et Cuba ont dur plus de trois sicles, dautres comme lEthiopie, le Maroc et le Congo ont dur moins de 100 ans. De ce fait, les effets persistants ont t trs diffrents. En Amrique, par exemple, les populations actuelles sont essentiellement peuples par des descendants europens, alors que cette mme catgorie ethnique reprsente, sauf exception, une moindre minorit en Asie et en Afrique. Ce critre dmographique est une bonne manire de reprsenter limpact structurel du colonialisme.

PREMIERE PARTIE : UNE EVALUATION DES COUTS DE LA POSSESSION DU MONDE Introduction : Cette premire grande partie du cours portera sur lvaluation des cots humains et financiers du colonialisme europen dans le cadre de la colonisation de lAmrique et de lOcanie pendant lancien rgime dans un premier temps, et dans un deuxime temps sur la colonisation de lAsie et de lAfrique pendant le moment fort de limprialisme europen. En ce qui concerne la premire phase dexpansion europenne, on ne peut valuer que le cot humain, hors ce dernier est brutalement lev et port presque exclusivement par les populations autochtones. De plus, le fait que la traite ngrire et ses consquences -8-

humainement dsastreuses soient un sous-produit de la colonisation de lAmrique, on peut rajouter les pertes humaines lies la traite celles des populations aborignes. - Dans cette premire partie, lvaluation du cot humain se raccorde lestimation de lcroulement dmographique amrindien et ocanien (on compte ici jusqu 90% de chute en effectifs humains) et lestimation des pertes autochtones en Afrique cause de la traite ngrire : on estime 11,5 millions le nombre dAfricains arrachs leurs terre et dports en Amrique, sans compter ceux qui sont morts pendant leur capture et avant le voyage ; de plus une proportion majeure dentre eux nont pas survcu les premires annes de captivit tout cela implique un cot humain important. Le cot humain durant lexpansion coloniale souligne limportance des maladies pidmiques, qui sont une cause majeure de mortalit. Alors que ces maladies sont principalement responsables de leffondrement dmographique des aborignes et sont apportes par des Europens pendant la premire phase dexpansion coloniale, on va avoir durant le seconde phase un reversement de la situation : les Europens saventurant dans les zones subtropicales succombent un ordre de 80-90% des pidmies locales, et restent pendant longtemps incapables de les combattre, ce qui va retarder la colonisation de ces rgions.

Chapitre II - Cots de la premire expansion europenne (XVIme-XVIIIme) : lAmrique et le Pacifique acquis pour une bouche de pain :2.1). Destruction de lAmrique et invention du Nouveau Monde : La conqute de lAmrique est lpisode dexpansion europenne qui prsente le plus vif contraste des moyens disposition du colonisateur blanc et le cot exorbitant de la population autochtone. La question qui a t pose, et qui reste sidrante, est la suivante : - Comment une poigne de soldats espagnols dbarqus sur des terres inconnues habites par une civilisation avance est elle parvenue dtruire jusquaux fondations de toute une socit mettant de facto terme son existence ? - Hernan Cortes a effectivement men une expdition de 500 hommes arms, 13 chevaux et quelques armes feu en 1519 lintrieur des terres de lempire Aztque et est parvenu dtruire et conqurir toute une civilisation. Pizarro fera de mme dans lempire Inca, avec une force dappui de 183 soldats seulement. - On peut se demander comment les Espagnols ont fait pour communiquer avec les habitants locaux. Lorsque Christophe Colomb dbarque San Salvador, il fait amener devant les premiers aborignes quil rencontre un interprte parlant larabe, qui tait la langue internationale de lpoque, langue que des Chinois ou des Indiens quil sattendait trouver devraient parler. Vingt ans plus tard, Cortes sest fait suivre dun interprte espagnol naufrag dune expdition prcdente ayant rest pendant des annes en compagnie locale. -9-

Les moyens que ces expditions de conquistadores ont leur disposition sont effectivement extrmement limits, alors quils font face deux empires majeures du continent. Pourtant, non seulement ils vont les conqurir rapidement, mais de surplus, ils vont dmarrer de ce pas lextermination quasi-totale des populations prcolombiennes. a). Malheur aux isols : Lisolement des populations autochtones au moment de larrive des Europens sur le continent amricain est le premier lment de rponse permettant dexpliquer limpact de la conquista malgr les moyens limits des conquistadores. Leffacement tragique des civilisations et des populations amrindiennes tient essentiellement leur long et complet isolement. - Effectivement, les premiers Amricains sont arrivs sur le continent lpoque des dernires glaciations, plus de 10'000 ans avant le dbarquement de Colomb. - Les civilisations que [lAmrique prcolombienne abrite] fascinent dautant plus que la conqute espagnole lait entirement effac. Ce sont des civilisations qui tant coups de tous les autres mondes ont clos labri des regards europens, et se sont vanouis linstant du contact. - Lisolement est le trait distinctif dominant des systmes prcolombiens. Ce dernier fait deux des entits qui se singularisent davances (notamment dans le domaine de lastronomie, des mathmatiques, de lurbanisme et de lagriculture vivrire fortement productive), bien quelles prsentent certaines lacunes (absence de la roue dcriture et de la monnaie, faiblesse des techniques et mtallurgie trs limite). Il y a eu dautres facteurs permettant dexpliquer leffondrement dmo- graphique des populations prcolombiennes suite au contact avec les Europens, dont la supriorit en matire darmement de ces derniers et leur facult dexploiter le sentiment dhostilit et de rvolte en germe des populations soumises aux empires Aztques et Incas, nouant des alliances avec celles-ci pour leur conqute de ces empires. Les Espagnols ont aussi su tirer avantage de la vision que les populations locales avaient deux, qui impliquent dans beaucoup de cas la possibilit dtre pris pour des dieux. Bien que la mprise ne dure quun certain temps, Cortes utilisera lhsitation du dernier Empereur Aztque Moctezuma identifier les conquistadores (comprhensible vu que lintrusion daliens europens est une rupture incomprhensible) afin de prendre les Aztques par surprise. Bien que ces derniers facteurs aient jou un rle dans le cadre de la conquista, les historiens saccordent dire que les empires amrindiens ne se seraient pas effondrs sous les coups de quelques centaines de soldats venus de lau-del des mers avec des moyens fortement limits et en terre inconnue, mme avec laide de quelques milliers dauxiliaires irrguliers. Si les conquistadores lont emport sur les civilisations prcolombiennes, cest parce quils ont apport avec eux, sans le savoir, un nombres de maladies pidmiques de lAncien monde contre lesquelles les Amrindiens navaient aucune dfense immunitaire. - 10 -

Il sagit de maladies telles que la variole, la grippe, le typhus, la diphtrie, les oreillons, la peste, la tuberculose et dautres. Ces maladies facilitent infiniment la conqute des Espagnols en liminant les Amrindiens par dizaines de millions : - Les germes eurasiens ont tu beaucoup plus dindignes dAmrique dans leurs lits quil nen est mort sur les champs de bataille face aux pes et aux fusils des Espagnols. Ces germes ont min la rsistance des Indiens, en dciment les Indignes et leurs chefs, et en sapant le moral des survivants. Cest donc bien une multiplicit de facteurs qui a t responsable de lcroulement brutal de la population aborigne du Nouveau Monde ; on saccordent portant dire aujourdhui que la pondration de ces facteurs est du ct de lisolement et ses sousproduits, en particulier le choc microbien. b). La terre de lhomme blanc : Les maladies suivent un itinraire qui, naturellement, suit les grandes tapes de lexpansion europenne. - Ce sont les Carabes, dcouvertes en 1492 par Colomb, qui seront frappes en premier. Les maladies pidmiques vont faire disparatre jusquaux derniers les populations aborignes de cette rgion : personne ne survivra larrive des Espagnols. - Cest ensuite lAmrique continentale, cest--dire les terres des civilisations Inca, Aztque et Maya qui seront frappes. anciennes

- Enfin cest lAmrique du Nord et la population peu nombreuse dAmricains dOrigine des Grandes Plaines au nord du Rio Grande qui subiront le choc des maladies amenes par des expditions militaires lances par les Europens. Durant le XVIme sicle dj, les maladies eurasiennes se propageront sur toute ltendue de lAmrique. Limpact de ces pidmies continentales fera rduire les populations dOrigine au point de faire place nette pour le futur peuplement europen. - Les tudes en cours tendent prouver que les populations les plus touches dans cette vaste rgion ont t celles qui avaient atteint le plus haut niveau de dveloppement et durbanisation, comme Cahokia, dans lactuel Etat de Missouri. Ici, les populations qui avaient atteint parfois un haut taux de concentration ntaient pas aussi bien politiquement organises que dans les empires du Sud, et ne jouissaient pas du mme dveloppement en matire de production de cultures vivrires, ce qui pourrait expliquer leur nombre relativement restreint (5 millions dAmricains au nord contre 55 au sud). La colonisation de peuplement europen ne commencera en Amrique du Nord quau XVIIme sicle. Ce type de colonisation sera choisi par les Anglais, Franais, Hollandais et Espagnols pour les raisons suivantes : - La densit de peuplement des Grandes Plaines est pour la plupart des cas extrmement faible : un nombre restreint dAmricains dOrigine est disperse sur des tendues extrmement larges (moins dun habitant par kilomtre carr) - 11 -

- Des colonies de peuplement ont t possibles entre autres grce au fait que les populations tribales dAmrique du Nord ne forment pas une entit homogne. - Une grande partie de ces populations ne sont pas compos dagriculteurs, la diffrence des Amrindiens du Sud, largement sdentaires et excellant dans lart dobtenir des surplus vivriers, si ncessaires au dveloppement dune civilisation, les populations originaires de lAmrique du nord sont majoritairement nomades, et vivent en migration constante se nourrissant essentiellement de chasse et de cueillettes. Ce trait caractristique permet dailleurs dexpliquer pourquoi la dmographie de lAmrique du Nord, tout comme celle de la Sibrie, est reste relativement faible. - Lexploitation minire tant difficile pour cause dabsence de matriaux prcieux, le climat tempr de lAmrique du Nord rend galement difficile lexploitation esclavagiste de plantations tropicales. Tous ces aspects vont faciliter le peuplement agricole europen : - Du fait de labsence de peuplements concentrs avec une agriculture avance, les colons europens pouvaient stablir sur ces terres nouvelles sans subir la concurrence dune civilisation agraire tablie, contrairement au cas algrien. L o, en Amrique du Nord, sinstalle un colonat blanc, celui-ci met en place une conomie base sur lexploitation familiale : il sagit de colons arrivs en familles pour simplmenter dans de vastes terres afin de la travailler soi-mme et de sy tablir dfinitivement. Lappropriation de terres est exactement ce qui a motiv les colons europens partir pour le Nouveau Monde ; pour eux, il nest pas question dy renoncer ou de les partager. Le dpart de migrants europens pour le Nouveau Monde sexplique galement par une mission politique quune qute de meilleures conditions sociales. Ces terres dopportunit sont pour ces colons intrpides une deuxime chance dont les gains potentiels lemportent sur les dangers que prsente lentreprise. Pour leur mtropole, cest une occasion de ce dbarrasser des populations marginales et excdentaires, tout comme un moyen de renforcer leurs position en Amrique. Cet attachement aux terres nouvelles sexpliquent galement par un facteur religieux : il sagit de terres de refuge, loin de la tyrannie euro-penne, une nouvelle Isral o les minorits de jsuites, de pres-bytriens, de puritains et dorthodoxes vieuxcroyants peuvent sexprimer librement et tenter de raliser leur idaux. Le mcanisme qui se met en place avec laccroissement des colonies de peuplement europens peut justifier une logique de refoulement de la frontire, contre lobstacle que forment les quelques aborignes qui restent prsents, bien quloigns. - Cette logique devient possible car la population europenne aux Etats-Unis augmente entre 1790 et 1850 de 3,9 23 millions, les Indiens devenant une minorit sur leurs propres terres.

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c). Une mesure de leffacement dmographique : La conqute de lAmrique et limplantation des Europens cotera aux populations amricaines tablies prs de 9/10 de sa population. En 150 ans, on estime que la population aborigne est passe de 60 environ 5 millions dhabitants. Il sagit dune catastrophe humaine sans prcdents dans lhistoire humaine. Il y a pourtant une zone de lAmrique o ce seront les Europens qui subiront des pertes pour cause de maladies pidmiques : les Carabes. Dans ces les tropicales, les colons espagnols, ayant extermin toute la population locale, feront travailler par millions des esclaves dports depuis lAfrique afin de les faire travailler de force sur des plantations de denres tropicales. Cependant, les esclaves africains apporteront avec eux des maladies contre lesquelles les Europens nont pas de dfense, savoir la malaria (paludisme) et la fivre jaune. - Les Carabes deviendront un vritable mouroir pour lhomme blanc. Le simple voyage dEuropens dans cette rgion faisait chuter leur esprance de vie dramatiquement. - Le renouvellement de la population europenne aux Carabes ne pourra tre assure que par un afflux constants de nouveaux immigrants. On peut donc conclure que les populations europennes ne peuvent simplmenter et se maintenir conomiquement dans les zones tropicales des Amriques sans le concours desclaves africains, qui constituent lessentiel de la population. Cette tactique indite consiste donc limiter les pertes dEuropens dans une zone conquise en limitant leur nombre, tout en le compensant en utilisant une main duvre servile, leur faisant subir le prix de leur conqute. LAmrique, Comme lOcanie, seront des rgions entirement remo-deles par les Europens ; ils y feront littralement table rase du pass des populations prsentes. LAmrique est donc bien une invention de lhomme blanc. Grce la conqute des Amriques, lEurope imprialiste augmentera ces possessions territoriales de 26 millions de kilomtres carr et se dotera de richesses incalculables grce lextraction de ressources locales et lexploitation des denres exotiques prsentes par des millions desclaves arrachs leurs terres de lautre ct de lAtlantique. Le tout fera des empires coloniaux europens les nations les plus puissantes de la plante.

2.2). Le Pacifique face au pril blanc :a). Australie : un continent arrach ses fossiles humains : En ce qui concerne lAustralie et Nouvelle Zlande, un moment prcis servira dindicateur marquant la constitution de colonies de peuplement europen : il sagit du moment o la balance dmographique bascule du ct des populations aborignes vers les populations coloniales britanniques. - Ce moment aura lieu en Australie au tournant des annes 1840, 50 ans aprs le dbut de la colonisation du cinquime continent par les Britanniques (lexplorateur - 13 -

James Cook ayant proclam la Nouvelle-Galles du Sud en tant que terre britannique en 1788). - A ce moment l, on compte environ 350000 dEuropens en Australie ce nombre relativement limit suffit dpasser la population autochtone, qui, comme ce fut le cas en Amrique, sest fortement rduite pendant les premires annes suivant larrive des Europens. Ce quil y a de particulier dans le colonat europen dAustralie est le fait que la colonie a t pense ds le dpart comme colonie pnitentiaire. Lessentiel de la population europenne dAustralie tait donc compose de criminels endurcis, envoys dans la rgion la plus loigne de leur terre natale ainsi que la terre la plus aride et la plus isole au monde. - Autour des annes 30-40 pourtant, une colonisation libre stablira aux cts des milliers de bagnards dports en Australie : cest ce moment l que la population coloniale va rapidement augmenter, dpassant celles des aborignes. - A partir de 1853, le gouvernement britannique prend la dcision de mettre un terme la dportation de bagnards en Australie, mettant un terme limage nfaste de prison continentale du Cinquime Continent, bien quun rsidus perdure jusqu aujourdhui parmi les habitants du Commonwealth. Rputation mise part, lAustralie est rapidement devenue une colonie prospre, une terre dopportunit ouverte des colons intrpides sadonnant llevage et la prospection minire. - En Australie, tout comme dans toutes les terres o les Europens parviennent tablir une colonie de peuplement, une fois entre dans sa phase active (aprs le basculement dmographique), la colonisation deviendra synonyme de spoliation foncire les migrants europens demandant toujours plus de terres et lEtat colonial ne leur refusant en rien, ce qui implique un refoulement forc des autochtones. Une particularit de la colonisation en Australie rside dans le fait que le gouvernement colonial naccordera aucuns droits aborignes, contrairement au cas amri-cain, o des droits formels ont t noncs pour les Amricains dOrigines (bien que rarement respects). En Australie, les aborignes sont jugs trop primitifs par les Britanniques, qui insistent que ceux-ci doivent tre mis sous tutelle et se faire assimils avant de pouvoir jouir de droits. En Australie comme en Amrique, les peuples aborignes ont vcu dans un tat disolement total avant larrive des Europens au XVIIIme sicle. La coexistence entre les deux groupes sera juge impossible : - Contrairement aux populations que les Europens rencontrent en Amrique centrale et plus tard en Asie, les aborignes ocaniens nont de loin pas atteint le mme niveau de dveloppement technologique que les populations europennes. Il sagit de socits traditionnelles organises en tribus de chasseurs-cueilleurs semi-nomades. - Les technologies employes par les aborignes sont restes au niveau - 14 -

palolithiques, autrement dis, le niveau de dveloppement de ces socits est rest inchang depuis 40'000 ans. Cet tat des choses sexplique entre autre par lhostilit du climat, qui est le plus aride du monde, et une biodiversit fortement limite, forant les populations locales peu nombreuse (moins de 400'000 personnes pour toute lAustralie, soit moins dun habitant sur 10 kilomtres carr) se battre constamment pour leur survie. - Ce faible nombre se rduira dramatiquement avec larrive des Britanniques, notamment cause du choc microbien, mais aussi cause de lagressivit des colonisateurs, exterminant tous ceux qui saventurent entraver luvre coloniale . De 1780 1930, le nombre daborignes de sang pur dclinera de 90%. Devant le pril des populations aborignes, on pensera placer ces races en voie dextinction en rserves. - A cause de leur niveau de dveloppement relativement faible par rapport aux Europens, ceux-ci vont juger les peuples aborignes tellement infrieurs quils vont leur daigner tous droits et les mettre sous tutelle du gouvernement et de missionnaires anglicans. Cette assimilation force denfants aborignes sera connue comme une priode de gnrations voles , un dsastre humanitaire et culturel, fortement regrett aujourdhui. b). Nouvelle Zlande : une New Britannia au bout du monde : Lexprience de la colonisation en Nouvelle Zlande sera similaire celle de lAustralie, quelques diffrences prs. La Nouvelle Zlande jouit dun climat tempr et sa population aborigne, le peuple Maori, est largement homogne et bnficie dun niveau de dveloppement conomique, politique et social relativement suprieur ses voisins australiens. - On estime que les Maoris sont arrivs en Nouvelle Zlande de Polynsie au XIIIme sicle de notre re, ce qui fait des deux les australes une terre dtablissement particulirement tardif. La Nouvelle Zlande a t nomm par des explorateurs (premiers Europens lavoir dcouverts) hollandais aprs une rgion nerlandaise. La confrontation entre Europens et Maoris va rvler une meilleure capacit de rsistance quen Australie. Cest en commerant et en ngociant avec les leaders maoris que les Britanniques devront stablir sur ces terres. Ces tribus aborignes, connaissant la navigation et pratiquant lagriculture sdentaire, arriveront sadapter larrive des Britanniques bien mieux que les populations coloniss dAustralie. Linversion du rapport de force dmographique aura lieu en 1850 environ, une dcennie aprs la proclamation de la Nouvelle Zlande comme colonie de la couronne britannique, lorsque les 58'000 premiers colons dpassent le nombre de Maoris. La fertilit de la terre no-zlandaise sera mise au profit par les migrants britanniques, qui mettant en place une conomie pastorale transformant la Nouvelle Zlande en un gigantesque pturage alimentant tout lEmpire britannique en viande, refoulant les Maoris de leur terres. Face lavance des Britanniques sur leurs terres, les Maoris vont ragir par les armes. Sen suivra une suite de guerres qui dureront de 1842 1872, sachevant par - 15 -

la dfaite des Maoris qui se voient forcs accepter lexpropriation de leurs terres. - La chute dmographique a t constante pour les populations Maoris, dont le nombre sest rduit de 150'000 en 1842 42'000 en 1896, une baisse de 70%. c). Cot de la colonisation de lOcanie : En prenant tout le continent australien, les Britanniques parviennent mettre leur main sur prs de 8,5 millions de kilomtres carrs de terres, marginalisant les population dorigine qui laube du XXme sicle ne reprsentent moins de 5% de la population de dpart. Le cot humain et financier subit par la mtropole britannique dans le cadre de sa colonisation de lOcanie sera de loin le plus bas de toute lhistoire du colonialisme europen. - La mortalit des colons europens lors de leur transport en Ocanie est, en dpit de la longueur extrme du trajet, extrmement basse (1,5%). Etonnement, lesprance de vie des colons se d-plaant en Ocanie augmente aprs le voyage, contrairement ce qui est observ pour toutes les autres rgions. - Ce quil y a de particulier en Ocanie, cest que les soldats dploys ne meurent non pas tant de maladies et dinfections (comme ce fut le cas de 80 90% des soldats europens engags dans les guerres coloniales), mais ont des pertes rduites principale- ment causes par leffort de guerre ennemi. - Le cot financier de la conqute est lui aussi assez faible relativement la conqute et au maintien dautres colonies. Contrairement la Guerre des Boers qui o larme britannique forte de 450000 hommes fera des ravages pour affirmer son contrle de lAfrique du Sud, la Guerre des Maoris a cot 280 fois moins aux contribuables britanniques.

2.3). Cot humain induit par la traite ngrire : La traite ngrire transatlantique qui sest tablie au XVIme sicle et qui a dur jusquau milieu du XIXme sicle est un sous-produit direct de la colonisation des Amriques. Ils seront des millions dAfricains arrachs leur terre et transports de force travers locan pour venir alimenter la demande insatiable des colons europens en main duvre servile pour leur conomie de plantation. Dans un premier temps, les colonisateurs Europens ont fait appel aux Amer- indiens pour alimenter leur main duvre esclavagiste. Cependant, la conquista de lAmrique ayant entran une radication quasi-totale de la population aborigne, il leur a fallu combler le vide. Pour cela quelques formules ont t exprimentes, mais on a rapidement opt pour utiliser la traite ngrire, qui existait dj en Afrique du Nord et au Moyen-Orient il sagit de la traite dite musulmane, ayant emport plus de 10 millions de vies africaines en mille ans.

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Un systme triangulaire ingnieux sera mis sur pied par les Europens : des flottilles charges en denres rares sont transportes en Europe depuis lAmrique, puis charges de vivres en tout genres elles descendent jusquaux colonies de la cte ouest de lAfrique o les cales des navires sont remplies desclaves capturs pour tre vendus en Amrique. Il sagit dun triangle commercial perptuel de profit illimit jouant sur loffre restreinte et la grande demande diffrentielles des trois rgions. a). Le jeu des nombres : Les tudes qui ont ports sur le cot humain de la traite ngrire se sont largement concentr sur des donnes telles que le taux de mortalit, afin de quantifier la traite. Ces tudes ont t difficiles mener, et les nombres proposs varient sensiblement, mais grce au travail studieux des archologues on a russit dterminer avec une marge derreur relativement faible (5-15%) le nombre total dAfricains arrachs leur sol. Pour ce faire, on a tabli la thorie qui suit : - Sachant que 9,5 millions dAfricains dports dbarquent effective- ment en Amrique entre 1500 et 1850, sachant quil y a galement un rapport en tonneaux entre le nombre desclaves et le nombre de marins (1 matelot pour 7,5 esclaves) et en supposant une mortalit moyenne des quipages durant les priples transatlantiques de 15% environ, il apparat que 1,5 millions de marins ont pris part la traite et que 250000 meurent donc en mer (principalement cause de maladies et de malnutrition). - Il sen suit quil y aurait environ 1,8 millions dAfricains supplment- aires qui sont soit morts durant le trajet, soit dcds entre le moment de leur capture et leur exode force. Grce cette mthode on a donc pu dterminer que cest 11,3 millions dAfricains qui ont t effectivement arrachs leur terre par les esclavagistes europens. - Pour mener ces tudes bien, des archologues pionniers comme Curtin qui se sont bass sur les archives portuaires amricaines, les statistiques douanires et les recensements de population du Nouveau Monde. Dautres bilans, avec dautres sources et dautres dmarches ont t tablis depuis celui de Curtin, mais elles proposent peu prs les mmes valuations. Ce quon connat avec beaucoup moins de certitude sont les pertes lintrieur du continent lies au dpart des captifs : on parle de 30 40 % des effectifs humains, mais la marge derreur est grande. Il ne faut pas oublier quoutre le fait que des millions de personnes ont t captures ou tues, lAfrique ctire (la plus mme de se dvelopper) a perdu durant les 3 sicles desclavagisme la population la plus vitale pour son dvelop-pement : les jeunes hommes et femmes les plus forts et les plus robustes. b). Mortalit durant les diffrentes phases de la traite atlantique : La traite ngrire transatlantique est organise selon un mcanisme qui comporte diffrentes tapes. Pour arriver valuer les cots humains qui lui sont lies, il faut se pencher successivement sur les diffrentes phases de cette dernire (capture, transport et captivit, traverse, acclimatation des captifs) - 17 -

Afin de comprendre la porte nfaste de la traite transatlantique, on peut sintresser au tmoignage du mouvement des abolitionnistes ce dernier prend tout sont essor dans la Grande Bretagne de la fin du XVIIIme sicle. Rvolts contre la traite quils jugent inhumaine et profondment contraire aux principes chrtiens et dmocratiques, des militants britanniques, dirigs par le parlementaire idaliste William Wilberforce, vont lancer une immense campagne de sensibilisation contre le trafic ngrier et finiront par gagner les curs et les esprits de la population, puis la majorit au Parlement. Ce dernier bannira dfinitivement la traite ngrire en 1807, aprs avoir rejet 16 fois le projet de loi abolitionniste. - Pour les abolitionnistes, la plupart des pertes des Africains avaient lieu pendant les deux dernires phases de la traite (traverse et acclimatation), ce qui sest avr faux par la suite, mais utile pour la campagne anti-esclavagiste du tournant du XIXme sicle, puisque la responsabilit des ngriers blancs en tait souligne. - Durant le Congrs de Vienne de 1815, qui a entirement restructur le droit international et a plac les fondations du monde post-napolonien, la dlgation Britannique insistera sur labolition mondiale de la traite ngrire. Ayant obtenu gain de cause au Congrs, la Grande Bretagne soctroi le droit de rprimander la traite clandestine, faisant office de police des eaux internationales. Les navires clandestins seront pourchass par la marine britannique et lquipage contraint paratre devant les tribunaux britanniques : ce systme de rpression sera connu sous le nom de croisire des rpressions , savrera non seulement extrmement coteux, mais galement inefficace mettre fin la traite clandestine. i). La capture : Les captures seffectuent en grande majorit lintrieur des terres, Avec le temps, les Europens vont saventurer de plus en plus loin pour chercher des captifs. Cest travers des expditions militaires et des raids systmatiques que les esclavagistes europens, large- ment aids par des commandos africains, vont mettre leur main sur leur main duvre force. On estime que 10 % des captifs trouvaient la mort durant cette phase initiale. - A partir des annes 1830, avec lavnement de la traite clandestine, les regards des abolitionnistes vont se tourner vers le traitement que subissent les captifs avant leur embarquement pour le Nouveau Monde. En particulier, les abolitionnistes vont prconiser la mise en valeur agricole de lAfrique afin de stopper la source la demande (production) de captifs : c'est--dire que des denres tropicales (sucre, coton, etc.) que les colonialistes visaient produire en Amrique allaient tre produites sur place par des Africains libres. - Cette alternative fera effectivement baisser la demande et donc la taille de la traite clandestine tout en dveloppant la rgion des ctes Ouest-africaines (Guine). Cependant, les grands empires esclav-agistes qui avaient btit leur puissance sur une conomie de plantation (Portugal, Espagne, Hollande) vont y perdre leur avantage comparatif avec la monte en cots de production agricole face des gants industrialiss tels que la France et la Grande Bretagne. - 18 -

ii et iii). Transport et captivit avant lembarquement : Les conflits et les raids sur les communauts africaines, puis les longues priodes dattente en captivit avant lembarquement des captifs, qui pouvait durer plus de 6 mois, ont induit une mortalit extrme de 35 % des captifs, sans compter les pertes collatrales. - Il savrera travers les tudes ultrieures quun nombre considrable de captifs africains trouvaient la mort justement pendant cette phase. Le temps dattente entre la capture et lembarquement des captifs tait dtermin par les termes de lchange : effectivement, les esclaves noirs taient changs contre des marchandises transportes depuis lEurope. A tout change, on ngociait une unit de traite (assortiment de marchandises contre lequel on changeait un nombre desclaves). - Il faut imaginer quun nombre limit desclaves pouvaient tre capturs par jour. Si on prend en compte la dure des tractations et le temps quil fallait pour un navire ngrier de faire le tour dun nombre de sites esclavagistes pour remplir ses calles, le temps que les captifs passaient enchans, entasss et en grande vulnrabilit stendait jusqu plus de six mois. iv). La traverse transatlantique : La traverse durait peu prs un mois ; durant ce temps, les captifs taient enchans, immobiliss, entasss, affaiblis par la faim et la soif : il sagit dun environnement propice aux maladies et aux infections, cause principale de la haute mortalit pendant les voyages. Celle-ci tait de lordre de 15 % : lodeur de la mort et de la maladie autour des navires ngriers tait si forte que lair en devenait irrespirable. - Avant davoir aboutit labolition de la traite, le mouvement abolitionniste mnera une campagne pour rduire la mortalit subite par les Africains lors de la traverse, en amliorant les conditions durant celle-ci (moins dentassement, plus dhygine, plus de nourriture, etc.) - Cependant, linsalubrit des sites de prlvement provoque invitablement des maladies contagieuses on va donc tenter de privilgier les sites les moins insalubres. On va galement tenter de diminuer la dure de la traverse. Ces mesures seront dautant plus efficaces quelles permettront aux ngriers de rduire sensiblement leurs cots financiers. - Les abolitionnistes vont galement faire valoir la porte du pril des quipages blancs durant les traverses afro-amricaines. Effect-ivement, contrairement aux captifs qui ne passent que 2 mois en moyenne bord des vaisseaux ngriers, les marins blancs eux passent prs dune anne dans ce priple. Ils seront des milliers mourir pendants les trois traverses du triangle de la traite transatlantique, mais encore et surtout lors de leur stationnement en Afrique.

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v). Lacclimatation : Il sagit de ladaptation difficile, voir prilleuse des esclaves africains lors de leurs premires annes en Amrique. Les premiers abolitionnistes avaient not lincapacit des populations serviles dAmrique se renouveler naturellement court terme. Il y a donc des pertes deffectifs desclaves dans les premires annes suivant leurs dportation : la mortalit reste suprieure la natalit Au XVIIIme sicle on a cru quun captif noir dbarqu et mis au travail en Amrique naurait pu vivre pas plus de 7 ans en moyenne cette assomption est dmesure, mais le renouvellement naturel des populations serviles tait un processus rellement long et difficile. Parmi les causes, on trouve la difficult sadapter un nouveau climat, la captivit, mais aussi le dsquilibre entre les sexes de la population asservie : en effet, on ne compte que 1/3 de femmes pour 2/3 dhommes parmi les forats Africains (les propritaires de plantations demandaient avant tout une main duvre de jeunes hommes, pouvant tre mise au travail sans dlais). En 1820, on compte que la traite ngrire prend fin, tant abolie par le Congrs de Vienne. On compte alors combien desclaves africains ont t transports en Amrique et le nombre de migrants europens : les premiers comptent plus de 11 millions, pour seule- ment 2 millions dmigrants europens partis aux Amriques entre le XVIme et le XIXme sicle. Cependant, la population euro- amricaine de 1820 atteint 12 millions, alors quon ne compte que 6 millions desclaves afroamricains, ce qui dmontre lampleur de la diffrence des taux de survie et de reproduction entre les deux communauts. c). Essai de bilan : Evaluation comparative - Angola : - On estime que les pertes que subit la population rduite en esclavage sur le territoire de lactuelle Rpublique dAngola dans le cadre de la traite ngrire sont les suivantes : i). Capture : 10 % ii). Transport : 25 % iii). Entreposage : 10 % iii). Traverse : 10 % iv). Acclimatation : 15 % Il sagit dune mortalit sidrante : sur 100 Africains que les esclavagistes europens capturent en vue de leur vente aux colonies amricaines, seuls 30 survivront la dportation. Les tourments des millions de martyrs ne sarrteront pourtant pas larrive en Amrique : rduits de jure et de facto au rang de btail, les esclaves africains vivront une vie de servitude, de soumission et doppression sans fin sous le joug de leur matres. - 20 -

- Bien que lesclavage ait t abolit ds le milieu du XIXme sicle, les communauts afro-amricaines resteront sgrgues et discrimines jusquau XXme. On peut avancer que les cots humains de la premire expansion europenne proviennent, dune part, de lcrasement des peuplements aborignes en Amrique et en Pacifique, le dplacement et la perte desclaves noirs dports, et la disparition de quelques milliers dEuropens, notamment dans les rgions insalubres des Carabes et de la cte de lAfrique occidentale. En additionnant ses pertes tout au long de la priode concerne, il apparat que la premire phase de colonisation europenne a t un drame humain sans prcdant et comparable par son volume de pertes humaines celui de la Deuxime Guerre Mondiale.

Chapitre III - Cots de la seconde expansion europenne (XVIIImeXXme) : lAsie et lAfrique conquises par elles-mmes :3.1). Mortalit et effectif des Europens sous les tropiques : Contrairement la colonisation europenne aux Amriques et en Ocanie, celle de lAsie et de lAfrique est non pas une colonisation de peuplement, mais bien une colonisation dexploitation. Ce changement de politique reflte lavnement dempires modernes, tels que la France, le Royaume Uni, puis la Belgique et lAllemagne, qui viendront dpasser et aliner leurs prdcesseurs tels que lEspagne et le Portugal qui aprs avoir rgn en matres sur le Nouveau Monde et lOcanie vont connatre une priode de dclin, du fait de leur incapacit sadapter au changement. LEurope moderne du XIXme sicle est une Europe en pleine croissance industrielle, une Europe assoiffe et insatiable en matires premires et main duvre bon march pour assurer sa production de masse, et demandant intgrer toujours plus de marchs dexportation pour sa consommation de masse. Forts de leur puissance militaire crasante, les empires europens se tournent vers les richesses incommensurables de lAsie et de lAfrique avec la dtermination den devenir matres les premiers. Ces nouveaux empires regarderont les populations nombreuses et souvent dveloppes dans les rgions non pas comme un obstacle, tels que laurait fait les conquistadores, mais plutt comme une aubaine. Cela sera dautant plus vrai que les Europens trouveront dans les rgions convoites, en Asie et en Afrique, des conditions dinsalubrit qui leur coteront beaucoup de vies et dargent. Des maladies pidmiques, contre lesquelles il ny aura pas de parades mdicales avant le dbut du XXme sicle, font succomber une partie majeure des Europens qui sy aventurent : la situation est donc linverse de celle que rencontrent les conqurants de la premire vague. - Les Europens arriveront pourtant rduire drastiquement leur mortalit dans les nouvelles colonies : ils vont entre autre incorporer massivement les ressources humaines autochtones dans leurs rangs pour faire avancer leur conqute - la veille - 21 -

de la Premire Guerre Mondiale, on compte 70 % daborignes engags par les empires Europens dans leurs armes. a). Ncropoles doutre-mer : La situation en Afrique et en Asie du Sud est radicalement oppose celle que les Europens rencontrent en Amrique : les causes de mortalit des effectifs europens sont presque exclusivement dues aux maladies, mme lorsquil sagit des pertes de troupes de combat. - Ex. : sur les 50'000 soldats franais envoys St Domingue (Hati) aprs la rvolution des esclaves noirs de 1791, 49'000 mourront, dont 80% de maladies. - Ex. : Batavia (aujourdhui Djakarta), une ville importante de lInsulinde, sera jusquau XIXme sicle le cimetire des colons hollandais. - Ex. : En Inde britannique, les pertes militaires seront galement quasi-totalement dues aux maladies, et seul 6 % aux combats. - Ex. : ans les annes 1840, lorsque la France est en pleine conqute coloniale de lAlgrie, un fonctionnaire franais indique que le seule domaine de la colonie franaise dAlgrie qui subit une croissance est la taille des cimetires. De toutes les rgions conquises, lAfrique subsaharienne restera connue comme le tombeau de lhomme blanc : ici aussi, exclusivement par cause de maladies. - Ex. : sur 10 Europens ayant dbarqu sur les ctes de la Guine entre le XVIme et le milieu du XIXme sicle, 6 succombent avant la fin de la premire anne, 2 au bout de la deuxime, et un lchance de la troisime. Les maladies pidmiques emportent non seulement les vies de soldats europens, mais galement celles de presque tous les autres colons prsents : - Un explorateur britannique, Richard Burton, dira en arrivant Lagos, au Nigeria, que la rsidence du gouverneur nest autre quune morgue [] contenant une fois par an le cadavre dun haut fonctionnaire de Sa Majest . Cela implique quun flot continu dadministrateurs et autres colons europens a du tre tabli en vue de leur mortalit extrme accepter daller en Afrique noire lpoque serait comparable jouer volontairement un jeu de roulette russe dans laquelle 5 des 6 chambres auraient t charges. Etonnamment, le flot de colons se maintient malgr le danger de mort manifeste. Les motivations qui les poussent partir sont les suivantes : - Pour les soldats, la pauvret et le manque de travail dans la mtropole ; - Pour les officiers et les marchands, lespoir dtre promu et de faire fortune rapidement ;

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Si ce mouroir est tout de mme tolr par lopinion publique en Europe, cest parce que le nombre de personnes investies dans la colonisation de milieux insalubres est relativement limit. Aussi, le combat contre la maladie est continu. b). Mdecine dmigration ou comment conomiser des vies europennes : La premire difficult laquelle se heurtent les mdecins europens est due leur ignorance quant lorigine et le mode de transmission des maladies tropicales Dailleurs, jusqu la fin du XIXme sicle, on ne parle pas de maladies spcifiques, tels que le malaria et la fivre jaune, mais simplement de fivres . - Il faut dire que la mdecine dmigration ntait pas destine exclusivement aux colons blancs, mais galement aux populations locales. Effectivement, la colonisation de lAfrique noire et de lAsie du Sud-Est ntait pas seulement le fait dun expansionnisme exploiteur, mais comportait un lment philanthropique majeur : lide damener les bienfaits du progrs mdical europen aux populations rsilies face des maladies meurtrires sinscrivait dans lidologie de la mission civilisatrice que se sont octroys les colonisateurs Europens. Cest avec une approche empirique, par ttonnement, que les Europens vont tenter de rduire le problme. Contre les fivres , quon croyait rsulter dmanations pestilentielles provenant de la terre, et non par la piqre de moustiques infects comme on le sait aujourdhui, on essayait de lutter par ce quon a appel la mdecine dmigration . - Les solutions proposes ne sont pas tant scientifiques quempiriques : il sagit dun nombre dides rsultant dobservations faites sur le terrain et des releves statistiques concluant sur les activits viter ou privilgier. Ces mthodes de lutte contre la maladie ntaient efficaces que marginalement et dans les rares cas o elles fonctionnaient on ignorait tout de la cause de leur effet. - Ces mthodes et prcautions sanitaires prouves par le temps ont t rpandues sous forme de guides lintention de tous les Europens saventurant sous les tropiques. Les recommandations qui y figuraient portaient principalement sur le rgime alimentaire, la faon de se vtir ou encore la manire de se protger contre les brusques changements de temprature. - Ex. : on a notamment prconis aux Europens de sinstaller dans des rgions haute altitude, puisque les cas dpidmies y taient extrmement rares (on prouvera par la suite que cette observation tait due labsence dinsectes transmetteurs de maladies en haute altitude). - Ex. : une autre mthode fortement rpandue a t daugmenter la rsistance et ladaptabilit des colons travers leur acclimatation lenvironnement de leur destination: on recommandait aux voyageurs de faire une escale de quelques mois dans un milieu semblable pour les prparer : on parlait alors de temps dexposition idal . - Ladministration coloniale sest galement engage rduire la mortalit dEuropens en zone tropicale travers la construction dgouts, lamlioration de la circulation de lair, lamnagement des casernes et dautres mesures permettant - 23 -

de rduire la circulation des maladies de personnes personne, ressemblant fortement aux efforts dendiguement que les Europens avaient entrepris contre les pidmies de peste et le cholra. Le paludisme (malaria) est la premire cause de dcs parmi les populations europennes sous les tropiques : il sagit donc dun obstacle majeur dans lavancement colonial europen. La mise au point de la quinine dans les annes 1820 a t une avanc dcisive dans ce domaine et a permis de sauver de milliers de vies, ainsi que la progression rapide des empires europens dans les rgions impaluds : - Il sagit dune substance active provenant de lcorce de quinquinas (arbres originaire de la Cordillre des Andes) qui ont t utiliss pour lutter contre les fivres en Europe ds le XVIIme sicle. Lorsque deux pharmaciens franais sont parvenus isoler lalcalode actif de lcorce de quinquinas, quils ont appel quinine, ils se sont aperus de la porte antipaludique de la substance ; en rendant leur dcouverte publique, ils ont permis lclosion de lindustrie pharmaceutique dans toute lEurope travers la production en masse de lextrait de quinine, dont les drivs sont toujours utiliss aujourdhui. - La difficult pour les mdecins du XIXme sicle tait dans le fait quon ignorait comment administrer la quinine : on ne savait pas sil fallait la prescrire avant ou aprs linfection et on ignorait tout du dosage choisir. Ainsi, les patients atteints de paludisme sont devenus de vritables rats de laboratoire et beaucoup sont mort du mauvais traitement qui leur a t prescrit. Cependant, les rsultats de ces expriences ont permis de dterminer les modalits idales de ladministration de la quinine, entre autre le fait que celle-ci devait tre prise bel et bien titre prventif. En ce qui concerne la fivre jaune, autre maladie dvastatrice pour les colonisateurs, la seule parade a t de sloigner temporairement des zones infectes : tactique de lesquive . Pour valuer lefficacit de la mdecine dmigration, nous disposons de donnes statistiques militaires quon peut comparer dans le temps. Effectivement, si le taux de mortalit des soldats europens dans les zones insalubres (Afrique, Asie du Sud-Est) est 5 8 fois plus leves que dans la mtropole dans les annes 1830, la veille de la Premire Guerre Mondiale ce cot de transfert aura effectivement diminu, mais restera lev : 2 3 fois plus de soldats meurent dans les colonies tropicales quen Europe. Nanmoins, la forte mortalit des colonisateurs dans les rgions tropicales lie quasi-exclusivement aux maladies narrtera pas lexpansion de lEurope imprialiste. Le long du long XIXme sicle, celle-ci doublera son emprise territoriale et accaparera 20 fois plus dhabitants sous son contrle. c). La solitude de lhomme blanc sous les tropiques : Si la prsence des maladies na pas empch la conqute europenne en Afrique et en Asie, elle permet dexpliquer en grande partie pourquoi les colonisateurs europens ont opt pour une colonisation dexploitation et non de peuplement : le - 24 -

cot, humain et financier, en serait intolrable pour les mtropoles. Ce nest donc pas travers le travail de colons europens, mais travers lexploitation dune main duvre autochtone domine et soumise lEurope imprialiste que celle-ci va senrichir. Cest bien la capacit des Europens dominer lAfrique et lAsie travers une prsence europenne numriquement faible qui limite le cot humain et financier de la constitution et de la gestion de lempire et le rend supportable aux yeux des contemporains. Les flux intercontinentaux de populations induits par lexpansion coloniale europenne tout au long de lexpansion coloniale europenne reprsentent le nombre extraordinaire de 80 millions de personnes. Parmi ceux-l, 65 millions de colons Europens, 12 millions desclaves africains et 3 millions dAsiatiques. Ces derniers sont pour la plupart des travailleurs indiens et chinois sous contrat qui se sont dplacs dans des rgions colonises en besoin de main duvre bon march la suite de labolition de lesclavage. Parmi les 65 millions de migrants transcontinentaux Europens, seuls 3 millions dentre eux se rendront dans des milieux insalubres. On voit donc qu travers la myriade des rgions colonises, le nombre dEuropens prsents est relativement rduit (moins de 1 % par rapport la population totale des colonies africaines et asiatiques). Pour assurer la conqute, la gestion et le contrle de ces immenses rgions, les empires coloniaux sont obligs de recourir largement aux ressources humaines autochtones, tout particulirement en ce qui concerne les effectifs militaires.

3.2). Recrutement de soldats indignes : La conqute des vastes territoires de lAsie et de lAfrique par les colonisateurs europens est paradoxalement le fait de populations autochtones, lexception de la conqute de lAlgrie franaise et de lAfrique du Sud-Ouest allemande, o les empires europens tenteront, sans succs, dtablir une colonie de peuplement. Les Europens optent pour la formation du gros de leur troupes de conqute par des soldats autochtones pour deux raisons : - premirement, pour conomiser des vies et des deniers europens - ils cotent effectivement beaucoup moins cher la mtropole. - deuximement parce que les soldats aborignes connaissent le terrain et les populations prsentes et sont beaucoup plus adaptes lenvironne- ment : ils rsistent mieux a climat et aux maladies locales. a). LAsie et lAfrique conquises par elles-mmes : Le recours au recrues aborignes est une pratique trs ancienne : les Portugais adoptent la formule ds les XVIme sicle, et seront suivis par les autres Europens dans toutes les rgions colonises. Cependant, ce nest que dans le contexte de la colonisation de lAfrique et de lAsie quelle sera adopte une chelle aussi large, et il ne sagira pas de troupes - 25 -

auxiliaires comme aux Amriques, mais biens de troupes aborignes rgulires incorpores larme impriale : la veille de la Premire Guerre Mondiale, les armes de la plupart des belligrants seront constitues 70 % de troupes aborignes dAfrique et de lAsie. - Le recrutement de troupes rgulires autochtones est une pratique typiquement europenne : effectivement, lorsque les Etats-Unis semparent des Philippines ou lorsque lEmpire japonais envahi la Core et lle de Formose (aujourdhui Taiwan), ils nadhrent pas cette pratique. En Asie, tous les empires europens ont adopt la formule de lincorporation de troupes autochtones aux armes impriales, mais cest les Britanniques qui ont surpass tous les autres empires dans la pratique dans le cadre de la colonisation de lHindoustan. - De 1740 1860, les effectifs militaires disposition de la East India Trading Company augmentent de 2000 hommes presque exclusive- ment europens 350'000 hommes presque exclusivement indiens. - La constitution dune arme aussi imposante, partir de populations locales, qui permettra aux Britanniques de rgner en matres en Inde peut paratre problmatique. Il sagit pourtant dune pratique qui a t utilise par lEmpire Moghol pour assurer le rgne de lempire musulman sur des masses majoritairement hindouistes et bouddhistes, et ce pendant des sicles. La Compagnie ne fera que sinspirer de lEmpire pour venir le remplacer au fur et mesure de son dclin. - Ayant constitu une base militaire majeure en Inde, les Britanniques vont lutiliser comme relais pour toutes leur conqutes dans le thtre doprations rgionale : en Birmanie, en Chine, en Afghanistan, en Afrique du Sud et Afrique orientale ainsi quau Moyen-Orient. La mobilisation de ressources humaines que se sont appropris les Britanniques en Inde est effectivement gigantesque et indite. - En Indonsie, le recrutement de soldats aborignes dans les rangs de larme nerlandaise sera tardif. Lle de Java est la premire a passer sous contrle hollandais sa population succombera une arme largement europenne. Nanmoins, ds le milieu du XIXme sicle larme hollandaise se met recruter en masse des soldats locaux dans le but de conqurir les milliers dles environnantes restes indpendantes. La colonisation de lAlgrie a t trs particulire, du fait notamment que les Franais voulaient en faire une colonie dexploitation et de peuplement la fois, mais aussi parce que lAlgrie a t voulue comme un prolongement de la mtropole. - Il sagit aussi dune rgion qui, une fois prise sous contrle, pouvait faire office de base pour de nouvelles conqutes, ce qui est exactement ce qui a t entrepris par les Franais dans le cadre de leur progression dans lAfrique occidentale. LAlgrie a effectivement t la fondation de la constitution dun nouvel empire : la France de 1830 venait de subir une dfaite cuisante dans les Guerres Napoloniennes et avait perdu toutes ses possessions outre-mer. - 26 -

- De ce fait, les soldats franais prsents en Algrie constitueront un nombre trs important, ce qui constitue une exception majeure dans lhistoire de la colonisation. A lheure o la conqute de lAlgrie est acheve, il y a plus de 80'000 hommes stationns en Algrie (soit la moiti du corps colonial franais) dont 92 % sont des Franais. En Afrique subsaharienne, les Portugais seront les premiers constituer une arme noire dans lAngola du XVIIme sicle. La prsence des Portugais en Afrique avant les annes 1920 ntait que trs superficielle, ce qui les a contraint recourir au recrutement daborignes pour assurer leur main mise sur les ctes Africaines. Par la suite, la pratique sera rapidement rpandue toutes les puissances coloniales. - Les Franais suivront lexemple en Afrique occidentale : bien quils aient utilis laide dauxiliaires locaux en Algrie, ils commenceront intgrer des aborignes par milliers dans larme franaise, en leur fournissant lentranement, les armes, et parfois mme des pensions. Les Franais se serviront des troupes dAfrique occidentale (principalement du Sngal) comme les Britanniques se servaient des troupes indiennes : larme noire franaise sera envoye pour combattre Madagascar, en Indochine, mais aussi en France durant les 2 guerres mondiales. - Les armes britanniques prsentes en Afrique subsaharienne au tournant du XXme sicle sont composes prs de 90 % dautochtones la plupart des troupes extra-britanniques prsentes dans en Afrique proviennent gnralement dautres rgions que celle o elles sont dployes, ce qui maximise leur subordination. - Les Portugais, les Italiens et les Belges dpasseront de loin la plupart de leurs rivaux dans la proportion daborignes incorpors leurs armes : il sagit de prs de 98 % des effectifs de larme coloniale. La particularit de larme belge est quelle est extrmement cosmopolite : on y trouve non seulement des Congolais mais aussi des Katangais et des Rwandais, et non seulement des Belges mais aussi un nombre dautres Europens. - Les Allemands incorporeront galement un grand nombre dAfricains dans les rangs de leurs armes coloniale, mais seulement dans lOst-Afrika (actuelle Tanzanie) et le Togoland lAfrique du Sud-Ouest tant considre une terre de lhomme blanc , les soldats prsents sont presque exclusivement Allemands. En 1913, 30 ans aprs le partage de lAfrique par les puissances europennes lors de la Confrence de Berlin (1884), on estime que la conqute de lAfrique est acheve. A ce moment l, la prpondrance de la pratique dincorporation massive de ressources humaines autochtones dans les armes coloniales europennes est vidente : Allemagne 62,2 %, Belgique 97,6 %, Portugal 69,0 %, France 86,7 % et Royaume-Uni 63,9 %. Si les colonisateurs europens arrivent enrler un nombre aussi important daborignes dans leurs armes pour la conqute des terres de leur propre origine, cest entre autres parce quils recrutent chez des races guerrires , des groupes ethniques tels que les Sikhs et les Massais. Par ailleurs, on privilgie les populations les plus proches aux Europens, comme celles qui se convertissent au christianisme, et adoptent des murs europennes. - 27 -

Aussi, le recrutement se passe avec le concours de chefs locaux, auxquels on donne plus de privilges quaux adversaires environnants, assurant ainsi leur subordination : la dstabilisation et les querelles ethniques qui rsultent de cette politique des races ne font que faciliter la tche au conqurants europens. La tactique de diviser pour rgner atteindra son paroxysme historique pendant cette deuxime phase de colonisation, et reprsente la raison si ne qua non du succs des conqutes des empires coloniaux en Afrique et en Asie. Les squelles des luttes ethniques ainsi cres constituent aujourdhui lobstacle majeur des pays en voie de dveloppement assurer la cohsion et la stabilit de leur socit. - Les Britanniques utilisent les pasteurs de lAfrique occidentale et orientale contre les agriculteurs sdentaires. A Madagascar, les Franais se servent de recrues venues de rgions ctires pour soumettre les peuples insulaires. Des animistes, des hindouistes et des bouddhistes sont utiliss contre des populations musulmanes. Partout lEurope imprialiste sme les grains de la discorde en crant un nationalisme exacerb l o rgnait auparavant une harmonie naturellement entretenue. Ce nationalisme raciste et source de division est pourtant distinguer des mouvements nationalistes revendicateurs dunit et dautonomie qui se dvelopperont progressivement par linitiative des populations colonises. - Ex. : en Indonsie, les populations disparates et dune grande diversit dveloppent un mouvement nationaliste au lendemain de la Premire Guerre Mondiale. Lmergence de cette identit nationale pan indonsienne sera le dbut de la fin de loppression des minorits marginalises et rebelles par une majorit privilgie par le colonisateur. Lunit dans la diversit sera le slogan de ce mouvement. - Ex. : alors que le nationalisme lintrieur des colonies europennes clot gnralement pendant lentre-deux-guerres, en Inde il prend toute son ampleur ds les annes 1880 travers la cration du Parti du Congrs, toujours au pouvoir aujourdhui. Il sagit de lexemple le plus prcoce de lveil dune identit nationale au sein dun groupe de populations soumises au joug colonial europen. Finalement, lordre militaire auquel adhrent les recrues est paradoxalement plus juste, plus galitariste et plus prestigieux que lordre colonial civil, marqu par la hirarchisation raciste et loppression incessante. Lengagement militaire tait rellement le meilleur moyen dintgration, et par l mme un moyen d acqurir des droits et des privilges de la part du colonisateur. - Ex. : dans les colonies franaises, o lide dintgration culturelle tait particulirement dveloppe, un Africain engag au service militaire tait dot dune solde et dune pension respectable, mais tait aussi donn la citoyennet franaise, et parfois mme le droit de vote. - Nanmoins, lexprience acquise par les millions de soldats africains pendant les combats coloniaux a permis le dveloppement de gurillas indpendantistes exprimentes et efficaces dans leur confrontation contre le colonisateur. En Indochine, les soldats algriens se sont inspir du mouvement marxiste te indpendantiste du vietminh pour organiser leur propre lutte pour lindpendance.

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En 1913, les effectifs autochtones forment 70 % des troupes de lEurope coloniale. Les 160'000 soldats ainsi engags maintiennent le contrle des 510 millions dindividus peuplant les colonies europennes dAsie, dAfrique et des Carabes. - En Inde britannique, 76'000 soldats et officiers de la Couronne contrlent une rgion de plus de 300 millions dhabitants. Dans les Indes nerlandaises, 10'000 troupes europennes seulement suffisent maintenir le contrle de 50 millions dIndonsiens. Dans les colonies franaise dAfrique subsaharienne, il y a un seul bataillon blanc de 450 hommes pour environ 14 millions dAfricains la proportion est la mme au Zare (Congo) belge. - Sans cette pratique de lincorporation en masse deffectifs locaux dans les armes coloniales europennes, la construction des nouveaux empires du XIXme sicle aurait t entirement impossible. b). De la bonne gestion des ressources humaines : La mortalit des recrues aborignes est beaucoup moins leve que celle des europens. Cela sexplique entre autre par le fait que les aborignes sont naturellement mieux adapts au climat et surtout lenvironnement microbien. Les populations habitant les rgions impaludes sont tout sauf immunes la malaria : celle-ci est combattue encore aujourdhui et continue emmener des millions de vies chaque anne. La maladie frappe les plus jeunes, qui deviennent vulnrables en perdant les anticorps de leur mre une fois que lallaitement prend fin. La maladie affecte tout le monde : on estime quun adulte est piqu plus de 30 fois par jour par des moustiques susceptibles de transmettre linfection, et font un grand nombre de victimes. Nanmoins, ceux qui survivent dveloppent une dfense immunitaire gnralement acquise - cest dans ces rgions endmiques que les Europens vont recruter, se procurant deffectifs militaires pertes rduites. Malgr les succs relatifs de la mdecine dmigration, qui progresse grands pas depuis la dcouverte de la quinine ainsi que celle de la source vritable de la malaria la fin du XIXme sicle, les carts en terme de mortalit restent grands entre les recrues europennes et aborignes : au tournant du sicle, on estime que la mortalit des effectifs originaires de la mtropole est 3 6 fois suprieure celle des effectifs recruts sur place, ce qui est toujours 2 fois moins de lcart qui prvalait au dbut du sicle. c). Des empires acquis des prix de solde : Si les bnfices que tirent les empires europens de leur domination coloniale sont colossales, les cots (financiers) de la constitution des empires coloniaux sont galement levs : afin de maintenir son emprise sur le monde, lEurope imprialiste va tenter de rduire le prix de leur conqute. Hors, en outre de leur meilleure rsistance lenvironnement, les recrues aborignes ont aussi lavantage de coter moins cher la mtropole. Pour toutes les raisons voques prcdemment, les Europens ne sont prsents que dans un nombre trs limit dans leurs possessions tropicales. Les colonisateurs europens vont donc faire appel aux populations locales pour remplir les rangs de - 29 -

leurs armes de conqute et de maintien de lordre, mais aussi celui de ladministration coloniale : dans les deux cas, les aborignes constituent le gros des effectifs, mais restent sous la hirarchie de hauts cadres europens. Cest partir de ces deux groupes que va se former llite africaine et asiatique. Lincorporation deffectifs locaux dans les corps militaires et administratifs coloniaux, indite avant le XIXme sicle, est principalement motive par un effort de rduction de cots financiers. - Vers 1850, le cot dentretien des troupes coloniales europennes est trois fois suprieur celui en mtropole. Pour minimiser le cot dentretien de lEmpire Britannique aux Indes Orientales, ce dernier fait massivement appel aux recrues locales 69,3 % des 247,5 milles militaires engags au service de larme coloniale sont des Indiens, dont la solde, et donc le cot, et nettement infrieure celle des Europens. - Un tirailleur sngalais ou indochinois cote dans les annes 1870 25 % moins cher la France coloniale que son homologue franais. Les carts se creusent avec le temps : au tournant du XXme sicle, les premiers coteront respectivement 50 et 75 % moins cher. - Lune des activits entranant les taux de mortalits les plus leves aux colonies tropicales du XIXme sicle sont des activits de logistique : le portage, lamnagement des voies de communication et le transport. Pourtant, ces tches sont presque exclusivement assures par les aborignes. Cela va de soi, car en Europe imprialiste, la mort dindignes, soldats ou pas, ne porte aucun poids politique. En pratique, la variation des cots de conqute et de gestion coloniales va dpendre largement de la proportion de ressources humaines locales utilises. On compte environ 150 campagnes militaires majeures en Afrique et Asie du Sud-Est : le cot financier de ces campagnes de conqute coloniale est estim 4 milliards de $ lpoque, ce qui quivaut 0,3 du PIB des puissances colonisatrices sur la priode de la colonisation africaine et asiatique. Si ce cot est aussi bas, cest en grande partie grce lutilisation deffectifs aborignes dans la conqute et la gestion des empires coloniaux. - Le cot de lexpansion coloniale franaise entre 1850 et 1913 nexcde pas 6 % des dpenses budgtaires. - Les dpenses militaires pour les conqutes hollandaises en Indonsie sont en fait finances par le prlvement effectu sur Java. Les impts pays par la population vont servir verser des compensations aux planteurs esclavagistes en Guyane nerlandaise pour laugmentation des prix la suite de labolition de la traite ngrire. On peut donc dire que les peuples dAsie et dAfrique sasservissent eux-mmes et paient leur propre asservissement. Aussi peut-on dire que les empires coloniaux dAsie et dAfrique ont t acquis par les Europens pour des prix de solde.

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3.3). Pertes europennes et indignes : Si la colonisation de lAfrique et de lAsie na pas cot grand-chose lEurope en terme de deniers, les cots humains de cette colonisation varient sensiblement selon les cas. Toutefois, si le nombre de pertes militaires europennes a t tantt ridiculement bas tantt considrable, le cot humain pour les peuples conquis par lEurope imprialiste sera incommensurable. a). Typologie et valuation des pertes europennes : Il sagit ici de pertes principalement militaires. En ce qui concerne la mort de marchands et de fonctionnaires, de missionnaires et dautres colons, les historiens peinent valuer ces pertes par manque de sources et de donnes numriques disponibles. On peut seulement dire que si des pertes civiles europennes ont bien eut lieu dans le cadre de la colonisation de le lAfrique et de lAsie, celles-ci ont t limites car puisquil sagissait dune colonisation dexploitation, les effectifs civils ntaient gnralement que peu nombreux. - Il sagit de pertes militaires, seule catgorie de la population pour laquelle il y ait des sources (on ne peut pas dire grand-chose, missionnaires, marchands et autres colons). Les territoires domins tant immensment larges, il serait impossible de dnombrer prcisment les pertes humaines europennes pour toute la priode de la seconde phase de colonisation. Cependant, les soldats sont la partie de la populations du colonat europen les plus exposs au pril. Pour comptabiliser ces pertes, on procde la typologie suivante : i). Conqutes coloniales qui induisent moins de 1'000 dcs : La question que lon se pose en comparant les pertes par rgion, est pourquoi les pertes les plus petites appartiennent la colonisation de lAfrique ? Le fait que les pertes les plus rduites de cette seconde phase de colonisation appartiennent aux conqutes de lAfrique subsaharienne sexplique par le fait que celle-ci a t colonis en dernier : la colonisation a t courte et dcisive, avec un rapport de force crasant en faveur de lEurope. Lavance des Europens en matire de technique darmement et lefficacit des rseaux modernes de transport et de communication dont ils bnficient y a jou un rle crucial : lcart en question ne sera jamais aussi grand. Jusquaux annes 1850, lincorporation et la copie de larmement europen reste possible aux aborignes. A lpoque de la deuxime Rvolution Industrielle pourtant, les techniques darmement se complexifient dramatiquement. Le fait que les artisans locaux nont pas pu sapproprier le matriel militaire europen a t une vritable aubaine pour les armes colonisatrices. - Ex. : en Afrique occidentale (Cte dor, Gambie, Nigeria), les militaires Britanniques vont lancer des expditions qui vont culminer des pertes minimes du ct des forces britanniques : chaque expdition de conqute militaire ne compte que quelques dizaines de morts. - 31 -

- Ex. : les troupes franaises sont confrontes au Dahomey (actuellement Bnin) une arme africaine nombreuse et bien organise. Pendant 3 mois, larme franaise livre 17 combats et vont perdre moins de 200 personnes. - Ex. : une trentaine doprations militaires livres par les Britanniques pour la conqute du Kenya ne causeront que 6 morts blanches . - Ex. : pour la conqute du Congo, la Belgique ne culminera qu des pertes minimes pour les Europens. Ce qui frappe dans le cas du Congo, cest le fait que larme de conqute est extrmement cosmopolite : on compte parmi les officiers et sous-officiers europens au Congo belge des Danois, des Norvgiens et des Suisses, et parmi les Africains, des milliers dhommes venus de toutes les rgions environnantes (y compris des Katangais, des Tutsis et des Hutus). Bien que les Africains constituent 98 % du corps arm belge, on ne compte que 24 morts europennes par an environ. ii). Conqutes coloniales qui provoquent entre 1'000 et 10'000 morts : Dans dautres rgions de lAfrique, des conqutes sont menes culminant un nombre plus important de pertes europennes : au Maghreb, au Madagascar, en Angola, en Mozambique, et surtout en Ethiopie (qui a su assurer son indpendance). Dans tous les cas, les pertes europennes sont principalement dues aux maladies, et non au feu de la rsistance africaine. Lexception qui confirme la rgle : - En Namibie, pour la premire fois depuis le dbut de la colonisation europenne de lAfrique, le corps expditionnaire allemand subit plus de pertes au combat quelle nen subit cause de linsalubrit. - Lune des raisons permettant de lexpliquer se retrouve dans le fait que lEurope a bnfici au mome