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Michel Boivin* Hiérophanie et sotériologie dans les traditions ismaéliennes du sous-continent indo-pakistanais Abstact: Around 1845, Îasan ‘Alî Shâh, who was the divine guide (imam) of the Ismailis, took refuge in the Indian subcontinent. To his Indian followers, the Khojâhs, he emphasized his filiation with imam Îusayn as a way of legitimizing his statute of saviour, all the while favo- ring the development of the Shii rituals of MoÌarram. His successor, ‘Alî Shâh, carried on this pursuit of creating Amîr Pîr with which he tried to associate the proper identity of the Ismai- lis. But, Sulân MuÌammad Shâh eliminated all intercessors and presented himself as the qâ‘im, an individual savior accesible to all here and now. In the religious literature of the Khojâhs (ginân-s), although ‘Alî appears as the mahdi, the imam is known as Naklankî, the name given to the 10th avatar of Vishnû, which is not yet revea- led for the Hindus. However, In the Northern Pakistan tradition, the imam is the qâ‘im who individually saves the believers, this being a condition for the Resurection led by the mahdi, the first imam ‘Alî. The Ismailis consequently put individual salvation very much to the fore, even when the final Resurection will happen at an unknown time. Résumé : Vers 1845, Îasan ‘Alî Shâh, le guide divin (imam) des Ismaéliens, trouva refuge dans le sous-continent indien. Auprès de ses disciples indiens, les Khojâhs, il exalta sa filiation avec l’imam Husayn pour légitimer son statut de sauveur, favorisant ainsi le développement des rituels shiites liés à MoÌarram. Son successeur ‘Alî Shâh poursuivit cette œuvre avec la créa- tion du culte d’Amîr Pîr, où il essayait de marquer l’identité propre des Ismaéliens. Enfin, Sulân MuÌammad Shâh éradiqua tous les intercesseurs pour se présenter comme le qâ‘im, un sau- veur individuel accessible à tous ici et maintenant. REMMM 91-92-93-94, 275-296 * Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud.

Hiérophanie et sotériologie dans les traditions

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Page 1: Hiérophanie et sotériologie dans les traditions

Michel Boivin*

Hiérophanie et sotériologiedans les traditions ismaéliennes

du sous-continent indo-pakistanais

Abstact: Around 1845, Îasan ‘Alî Shâh, who was the divine guide (imam) of the Ismailis,took refuge in the Indian subcontinent. To his Indian followers, the Khojâhs, he emphasizedhis filiation with imam Îusayn as a way of legitimizing his statute of saviour, all the while favo-ring the development of the Shii rituals of MoÌarram. His successor, ‘Alî Shâh, carried on thispursuit of creating Amîr Pîr with which he tried to associate the proper identity of the Ismai-lis. But, Sul†ân MuÌammad Shâh eliminated all intercessors and presented himself as theqâ‘im, an individual savior accesible to all here and now.

In the religious literature of the Khojâhs (ginân-s), although ‘Alî appears as the mahdi, theimam is known as Naklankî, the name given to the 10th avatar of Vishnû, which is not yet revea-led for the Hindus. However, In the Northern Pakistan tradition, the imam is the qâ‘im whoindividually saves the believers, this being a condition for the Resurection led by the mahdi,the first imam ‘Alî. The Ismailis consequently put individual salvation very much to the fore,even when the final Resurection will happen at an unknown time.

Résumé : Vers 1845, Îasan ‘Alî Shâh, le guide divin (imam) des Ismaéliens, trouva refugedans le sous-continent indien. Auprès de ses disciples indiens, les Khojâhs, il exalta sa filiationavec l’imam Husayn pour légitimer son statut de sauveur, favorisant ainsi le développement desrituels shiites liés à MoÌarram. Son successeur ‘Alî Shâh poursuivit cette œuvre avec la créa-tion du culte d’Amîr Pîr, où il essayait de marquer l’identité propre des Ismaéliens. Enfin, Sul†ânMuÌammad Shâh éradiqua tous les intercesseurs pour se présenter comme le qâ‘im, un sau-veur individuel accessible à tous ici et maintenant.

REMMM 91-92-93-94,275-296

* Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud.

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Dans la littérature religieuse des Khojâhs (ginân-s), bien que ‘Alî soit présenté comme le mahdi,l’imam est qualifié de Naklankî, nom du 10e avatar de Vishnû, dont la parousie, chez les Hin-dous, est encore à venir. En revanche, chez les Ismaéliens de tradition persane du nord du Pakis-tan, l’imam est le qâ‘im qui sauve les croyants individuellement, cet acte constituant une condi-tion pour participer à la Résurrection orchestrée par le mahdi, le premier imam ‘Alî. LesIsmaéliens ont par conséquent fait passer au premier plan le salut spirituel, alors que la Résur-rection finale est reléguée dans un temps indéterminé.

Le terme non coranique al-mahdî, le « bien guidé », désigne « le restaurateurde la religion et de la justice qui, selon une croyance largement répandue chezles musulmans, règnera avant la fin du monde » (Madelung, 1986 : 1221). Chezles shiites ismaéliens1, les deux termes de mahdî et de qâ’im devinrent rapidementsynonymes. Puis dans la branche nizârite, le terme de qâ’im prit une significa-tion particulière avec la proclamation de l’imam Îasan ‘alâ zikrihi’l-salâm2 en11643. En effet, à Alamût en Perse, il déclara que le temps de la Résurrection(qiyâmat) était arrivé. Ce changement fut principalement marqué par l’abroga-tion de la sharia et, dans les traités postérieurs, le concept de mahdi céda le pasà celui de qâ’im. Le qâ’im devenait celui qui pouvait apporter le salut individuel.La figure du mahdi en tant que sauveur de l’humanité passait alors au secondplan bien que la croyance dans le Jugement dernier n’ait jamais disparu.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut revenir sur la pluralité des tra-ditions ismaéliennes dans le sous-continent indo-pakistanais. Bien que cetteétude s’appuie essentiellement sur les communautés ismaéliennes nizârites du Pakis-tan, il est important de situer le contexte historique et culturel de l’Asie du sud.La complexité du fait ismaélien dans ce contexte ne pourra être prise en compte.Il faut néanmoins signaler que, de nos jours, la communauté ismaélienne d’Asiedu sud est des plus fragmentées. Il existe une douzaine de groupes indépen-dants les uns des autres, répartis essentiellement entre Karachi et Bombay : cettesituation prévalait dès la fin du XIXe siècle. Certains récusent leur origine ismaé-lienne; d’autres, tout en conservant une mythologie proprement ismaélienne, sontretournés à l’hindouisme, souvent à la suite de pressions exercées par des orga-nisations fondamentalistes hindoues comme l’Arya Samâj (Boivin, 1996 : 81).Compte tenu de cette situation, il était important de s’en tenir à un espace bien

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1. Par shiites ismaéliens, il faut ici entendre shiites ismaéliens nizârites aghâkhânistes. Sur les dif-férentes branches de l’ismaélisme, voir Daftary, 1998. En 1851, Burton considère que lesKhojâhs ne sont pas ismaéliens. Les Ismaéliens, écrit-il, sont les shiites qui reconnaissent septimâms, Ismâ`îl étant le dernier. Les Khojâhs pour leur part en reconnaissent quarante-six(Burton : 1988, 249). Cela dit, on peut s’interroger sur la pertinence du terme « ismaélien » dansla mesure où, à l’origine, il était réservé aux shî`ites qui faisaient d’Ismâ`îl ou de son filsMuÌammad, le mahdi. Un terme qui conviendrait mieux est « âghâkhânî ».2. Compte tenu du fait que la quasi-totalité du lexique technique provient de l’ourdou, j’ai adoptépour ces termes et sous une forme simplifiée la translitération classique de Platts (1993 : vi-vii).3. Sur cet événement essentiel qui renouvelle la problématique sotériologique dans l’ismaélisme,voir Jambet, 1990 et surtout les analyses magistrales de Henry Corbin, en particulier 1982. Surle mahdisme chez les Fatimides voir Halm, 1991 et Vatikiotis, 1981.

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délimité. Karachi, qui constitue sans conteste le principal centre ismaélien du sous-continent, a été retenu.

Ce travail propose une analyse de la nature et de la place de la sotériologie dansla version sud-asiatique de l’ismaélisme contemporain d’un point de vue dia-chronique comme synchronique. Après une mise en place du contexte, on pré-sentera l’analyse historique de la tradition sotériologique qui connut une relec-ture lorsque, au milieu du XIXe siècle, les imams quittèrent la Perse pour venirs’établir en Inde puis on étudiera les différentes catégories de sauveurs dans lesdeux principales traditions ismaéliennes du sous-continent indo-pakistanais.

La disparité des traditions ismaéliennes d’Asie du sud

Les ismaéliens et la société indienneLa chronologie de l’implantation de l’ismaélisme en Asie du sud n’est pas

aisée à retracer. Les ismaéliens fatimides s’implantèrent dans le Sindh dès la findu IXe siècle. Mais aucune conversion massive ne se produisit dans la populationau cours de cette première phase d’expansion. La périodisation de la deuxièmephase est encore plus difficile à effectuer. Il semble néanmoins qu’une recrudescencede l’activité missionnaire se soit produite avec le double schisme qui survintdans la communauté nizârite. Après la mort de l’imam Shams al-Dîn MuÌam-mad (m. 1310), qui résidait en Perse, un différend portant sur sa successiondivisa la communauté en deux groupes : les MuÌammad-shâhites et les Qâsim-shâhites. Dans un premier temps, les MuÌammad-shâhites reçurent la majoritédes adhésions : il est évident que cette situation conduisit les imams de la brancheqâsim-shâhite à réagir.

Plus d’un siècle après, en Inde, une querelle survint pour la fonction de pîr4.Après la mort du pîr Îasan Kabîr al-Dîn en 1470 ou 1490, deux prétendantsrevendiquèrent sa succession mais son frère Tâj al-Dîn fut désigné par l’imam.Le fils de Kabîr al-Dîn, Imâm Shâh (m. 1513), ou peut-être le propre fils de celui-ci, Nâr MuÌammad, se révolta contre ce qu’il considérait comme une injustice.La tradition affirme que l’imam désigna Tâj al-Dîn délibérément pour mettrefin à la dynastie des pîr-s. Une étude récente indique par ailleurs qu’un autre mis-sionnaire ismaélien du Rajasthan, Râmdeo Pîr ou Râmâ Pîr, se proclama lui-même,ou ses disciples après sa mort, imam à la fin du XIVe siècle, ou au début duXVe siècle (Khan, 1997). La tradition attribue à Pîr ∑adr al-Dîn, qui aurait vécuau XVe siècle, l’organisation des communautés locales qui s’appuyaient sur unjamâ‘atkhâna, lieu de réunion et de prières, et un chef (mukhî).

Il est important de rappeler que, pour les ismaéliens nizârites, l’imam est pré-sent physiquement dans le monde. Par une chaîne ininterrompue depuis‘Alî le pre-

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4. Chez les Ismaéliens d’Asie du Sud, le pîr était le représentant de l’imam, lorsque celui-ci rési-dait en Perse. Il dirigeait par conséquent la communauté ismaélienne de l’Inde.

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mier imam, Îasan ‘Alî Shah (1800-1881), le quartante-sixième imam, fut aussile premier âghâ khân, titre honorifique sans aucune connotation religieuse que luioctroya le souverain de Perse FatÌ ‘Alî Shâh au début du XIXe siècle. Vers 1839, etpour des raisons controversées, Îasan ‘Alî Shah dut quitter la Perse. Après avoirtransité par l’Afghanistan, il alla séjourner dans le Sindh, à Jherruq, avant de s’éta-blir à Bombay. Son fils ‘Alî Shâh deviendra imam à sa mort en 1881, puis en1885, le fils de celui-ci, Sultân MuÌammad Shâh, inaugurera un imamat de 72 ans.Actuellement, l’imam est Shâh Karîm al-Îusaynî, et ce depuis 1957.

Dans le contexte indien, les communautés ismaéliennes appartiennent majo-ritairement à la catégorie des ajlaf-s, c’est-à-dire des descendants d’Hindousconvertis. Les Khojâhs, d’après leur propre tradition, constituaient des castes demarchands, comme semble l’indiquer leur nom de groupe5. Cela dit, il sembleque cette assertion soit le produit d’un passé reconstruit et idéalisé. Les marchandsont pu dominer d’autres castes qui étaient moins honorables, des castes de pay-sans ou d’artisans de statut assez bas. L’onomastique en fait foi. Les autoritéssuprêmes, c’est-à-dire les imams nantis de titres hindous avant d’être connus sousle nom d’âghâ khân-s au milieu du XIXe siècle, sont considérés comme des des-cendants du Prophète, ce qui les classe parmi la noblesse musulmane de l’Inde(ashraf-s). La littérature religieuse des Khojâhs est constituée principalementpar les ginân-s, chants sacrés imprégnés par un hindouisme dévotionnel popu-laire qui n’est pas sans se rapprocher de certaines littératures soufies en languevernaculaire, et une littérature moins importante de langue persane. Pour sim-plifier, on a souvent écrit que les ginân-s étaient rédigés en gujérati. Même si l’écri-ture gujératie a longtemps prévalu, succédant à une écriture spécifique, la khojkie,la langue utilisée reste très variable et très composite. Dans la version officiellecependant, on peut dire qu’il s’agit d’un sabir à dominante gujératie.

Chez les Khojâhs, on note une forte interaction avec le soufisme du nord-ouestdu sous-continent. Cette situation se traduit en particulier par une volonté des’approprier des œuvres ou des personnes en relevant. Le célèbre saint du Sindh,Lâl Shâhbaz Qalandar, est ainsi considéré comme étant le quatorzième fils dupîr ismaélien Îasan Kabîr al-Dîn. De la même façon, on affirme que ‘Abd AllâhShâh Ghâzî, le saint le plus populaire de Karachi, était le frère de plusieurssayyid-s ismaéliens, comme Sayyid FatÌ ‘Alî Shâh ou Sayyid Ghulâm ‘Alî Shâh,qui composèrent des ginân-s au XVIIIe siècle. Au XIXe siècle, les Khojâhs, grâceà leur spécialisation professionnelle et à leur implantation géographique,connurent un essor économique important. Ils constituent aujourd’hui une descommunautés musulmanes les plus dynamiques et les plus modernistes de l’Indeet du Pakistan.

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5. Le terme de « khojâh » viendrait du persan khwâja, titre honorifique donné aux marchandshindous convertis à l’islam, avec la signification de « maître » ou « seigneur ».

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La tradition du nordBien que les Khojâhs y soient prédominants, il faut mentionner la présence

à Karachi d’autres ismaéliens originaires des confins himalayens du Pakistan, maisaussi de l’Afghanistan, du Tadjikistan et de la Chine (Holzwarth, 1995 et Mül-ler-Stellrecht, 1979). Ce n’est qu’au XIXe siècle que les Burushos, habitants duHunza, sont devenus Ismaéliens et ils ne firent allégeance à l’âghâ khân qu’en 1892(Müller-Stellrecht, 1979 : 218). Sur le plan littéraire, ils suivaient la tradition ismaé-lienne de langue persane, représentée principalement par l’œuvre de NâÒir-iKhusraw. Mais, dans la pratique, l’influence du chamanisme restait grande et en1923, Sultan MuÌammad Shâh envoya un missionnaire, Pîr Sabz ‘Alî, qui fitconstruire un jamâ‘atkhâna dans chaque village, fonda des écoles et exigea deshabitants qu’ils abandonnent les pratiques liées à la magie et à la superstition.

De nos jours, les Burushos forment un groupe ismaélien important à Karachimême où plusieurs milliers d’entre eux ont émigré, ainsi que des Ismaéliensafghans qui ont afflué après que les Talebâns eurent pris le pouvoir à Kaboul en1996. C’est à la communauté des Burushos qu’appartient le principal auteur ismaé-lien de l’époque actuelle, Nasîr al-Dîn « NaÒîr » Hunzâ’î. Au dire des intéressés,la tradition du nord est radicalement différente de celle des Khojâhs. La plupartdes opuscules publiés par Hunzâ’î sont rédigés en ourdou, langue qui est main-tenant la lingua franca des communautés ismaéliennes du Pakistan.

Problèmes et sourcesLa question est de savoir quelle était la situation religieuse des Khojâhs avant

l’arrivée de l’âghâ khân à Jherruq. Quelle religion pratiquaient-ils ? Quelle étaitla place de la sotériologie dans leur système de croyances ? Qui détenait l’autoritéen matière de religion? Trois sources permettent d’apporter des éléments de réponseà ces questions. Les sources écrites sont de deux sortes : le corpus des ginân-s et lesécrits des Britanniques. Pour ce qui concerne les ginân-s, j’ai tenté une premièreapproche mais la difficulté de consulter des manuscrits copiés pendant la périodeconcernée ne m’a pas permis jusqu’à maintenant d’aller plus en avant (Boivin,1997b : 424-432).

Les officiels britanniques nous ont livré des informations sur les Khojâhsmais, pour la plupart, elles concernent la période postérieure à l’installation deÎasan ‘Alî Shâh. Les relations qu’ils nous ont laissées sont d’autre part trèsinégales. On y trouve des contradictions et surtout des répétitions. Cette situa-tion est particulièrement évidente dans les Gazetteer-s. Au sujet des Khojâhs, laplupart des auteurs recopient ce que Burton avait écrit. Celui-ci, bien qu’il aitdétesté Îasan ‘Alî Shâh qu’il considérait comme un tyran, reste une des sourcesles plus sûres (Burton, 1988).

La troisième source est constituée par la tradition orale des Khojâhs du Sindh.Bien qu’ils n’aient pas de généalogistes, ni de mémorialistes professionnels,certains Khojâhs s’intéressent à l’histoire de la communauté. La plupart du

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temps, ce sont des hommes âgés de plus de soixante-dix ans. J’ai noté que mesinformateurs, à de rares exceptions près, n’étaient pas des businessmen et qu’ilsavaient tous travaillé à un moment ou à un autre pour les institutions centrales,en particulier pour le centre religieux ismaélien. Certains ont publié des ouvrageshistoriques, en sindhi ou en ourdou, uniquement destinés aux Khojâhs, alors qued’autres ont rédigé des manuscrits ou des notes qui sont restés dans leurs tiroirs.

Les âghâ khân-s dans le Sindh ou la parousie annoncée

Îasan ‘Alî Shâh à Jherruq/KerbelaIl n’est guère possible de connaître avec précision la date à laquelle Îasan ‘Alî

Shâh s’installa à Jherruq, dans le Sindh. Dans sa résidence, pieusement entrete-nue par les Khojâhs ismaéliens de la bourgade, se trouve la date de 1843. Au casoù cette date serait exacte, corroborant ainsi la tradition orale des Khojâhs duSindh, son arrivée dans le sous-continent se serait produite avant la conquête duSindh par le général Napier. Lors du recensement de 1872, la division de Jherruqest peuplée de près de 100000 habitants. Les Khojâhs constituent environ 10 %de cette population (Hughes, 1996 : 303). Le deputy collectorate de Jherruqréunit alors les trois tâlukâh-s de Thatta, Mîrpûr Sâkro et Ghorabâri, soit les régionsà plus forte concentration ismaélienne de tout le Sindh6. Cette situation expliquesans doute le choix de Jherruq. Par la suite, Napier confiera officiellement la défensede ce nœud stratégique situé entre Karachi et Hyderabad au premier âghâ khân,Îasan ‘Alî Shâh.

L’installation de Îasan ‘Alî Shâh à Jherruq, où il se conduisit en maître sou-verain des lieux, ne plut pas à tout le monde. Avant l’arrivée des Britanniques,la ville de Jherruq, peuplée alors d’environ mille trois cents habitants, apparte-nait à Mîr MuÌammad Khân Talpûr, un feudataire apparenté à la dynastierégnante (Hughes, 1996 : 327). Le 23 mai 1843, Îasan ‘Alî Shâh était attaquépar les Baloutches Jokhias. Ceux-ci le dépossédèrent de ses biens, y compris deson harem. Mais quelques mois plus tard, ils lui furent restitués grâce à l’inter-vention du conquérant du Sindh, le général Napier. Avant la conquête du Sindh,les Baloutches pillaient allègrement les rives de l’Indus : cet épisode n’est certespas original. Plus intéressante est l’exploitation que Îasan ‘Alî Shâh allait en faireauprès des Khojâhs.

En effet, d’après la Tradition, soixante-douze ismaéliens périrent pour sauverleur imam. Îasan ‘Alî Shâh eut tôt fait de mettre leur sacrifice en parallèle aveccelui des soixante-douze compagnons de l’imam Îusayn à Kerbela. Les histo-riens ismaéliens contemporains insistent sur le fait que les liens entre les Khojâhs

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6. La deuxième région est celle du deputy collectorate de Tando MuÌammad Khân, qui consti-tue la partie orientale du delta de l’Indus, alors que celui de Jherruq réunit la partie occidenta-le. Actuellement, la zone du delta est toujours la plus peuplée du point de vue des Ismaéliens.

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et les imams étaient étroits. La preuve en est, affirment-ils, que des tombes deKhojâhs ont été découvertes dans les différentes résidences iraniennes des imams.Pourtant, il est évident que les Khojâhs du Sindh, immergés dans la culturelocale, ne considéraient l’imam, comme leurs ginân-s l’attestent, que comme undeus ex machina. Dans la vie religieuse quotidienne, ils recouraient aux intercesseursqu’étaient les pîr-s et les sayyid-s. Îasan ‘Alî Shâh devait par conséquent opérerun transfert d’allégeance graduel des sayyid-s, les descendants des pîr-s qui contrô-laient les dargâh-s, vers l’imam. À cette époque, il est fort possible qu’à l’instardes autres Sindhis, les Khojâhs aient tenu les dargâh-s comme les principaux lieuxde culte. Il est significatif que les jamâ‘atkhâna-s du Sindh datent de cette époque.D’autre part, il ne faut pas oublier que les dargâh-s constituaient des sources derevenus non négligeables, d’autant que l’imam avait dû abandonner la plusgrande partie de ses biens en Perse.

Le martyre de Jherruq/Kerbela marque par conséquent la première étape dece processus de centralisation charismatique opérée par Îasan ‘Alî Shâh, puispar ses successeurs ‘Alî Shâh et Sul†ân MuÌammad Shâh. La mise en parallèle deces deux événements fondateurs lui permit de placer le second sur le plan mythique.Au début du XXe siècle, les chefs de la communauté confient à Shaykh AnÒarî quec’est à ce moment précis que les Khojâhs transférèrent leur allégeance à Îasan ‘AlîShâh, se détournant des descendants de Pîr ∑adr al-Dîn (Ansari, 1996 : 66).Mais ce transfert symbolique n’était certes pas suffisant. L’intercession changeaitde personne mais qu’en était-il de la conception du sauveur ? Comment lesKhojâhs devaient-ils s’accommoder de ce changement dans le champ sotériolo-gique ? Comment était-il possible de rationaliser la fonction charismatique ?

C’est à ‘Alî Shâh (1831-1885), le fils de Îasan ‘Alî Shâh, que devait incombercette étape de la mutation des croyances. Cette période de transition est marquéepar l’apparition d’autres cultes de type messianique, comme celui de Hayder Shâh,un sayyid de Karachi. J’ai décrit ailleurs en détails comment ce sayyid de Karachiétait tombé amoureux de Sayyida Imâm Begum (Boivin, 1997 : 444-445). D’aprèsla tradition, celle-ci appartenait à la lignée des Kadiwalla sayyid-s, contrairementà Hayder Shâh qui appartenait à une lignée de sayyid-s moins prestigieuse. Par consé-quent, ils ne purent se marier. Hayder Shâh mourut peu après. Les Khojâhs de Kara-chi déclarèrent que c’était un pîr qui allait revenir chevauchant un cheval blanc.Ils voulurent élever une dargâh sur l’emplacement de la cabane où il logeait soncheval. Ce culte perdura jusqu’en 1920, date à laquelle Sul†ân MuÌammad Shâhémit un farmân dans lequel il interdisait le culte des saints.

Amîr Pîr ou la réinvention d’un saintLes trois principaux sanctuaires ismaéliens du Sindh sont associés à ‘Alî Shâh, le

second âghâ khân. Il s’agit de celui de Miyân Shâh, à Karachi, et de ceux de ShâhTorrel et Amîr Pîr, situés dans le Sindh intérieur. Il est significatif que, dans ces troisdargâh-s, la tradition rapporte des anecdotes relatives à ‘Alî Shâh, alors que son

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père Îasan ‘Alî Shâh est rarement mentionné. ‘Alî Shâh aurait séjourné à plusieursreprises dans le Sindh. Il avait acquis des chasses (shikargâh-s) dans différents empla-cements du delta de l’Indus. Mais, d’après la tradition, la chasse était un prétexte.Le futur imam s’intéressait aux populations opprimées du delta, particulièrementaux hindous hors-castes. Il aurait été à l’origine de la conversion à l’ismaélismed’un certain nombre d’entre eux. À Shâh Torrel, au cœur du Sindh deltaïque, se trouvele tombeau de Pîr Tâj al-Dîn, le seul pîr enterré dans la province (Boivin, 1997b).À l’intérieur de la dargâh, dans une salle qui précède celle qui contient le tombeaudu saint, un fils de ‘Alî Shâh mort enfant, Ismâ‘îl Shâh, est enterré. Mais le cas leplus intéressant, en ce qui concerne le renouveau sotériologique, est le sanctuaired’Amîr Pîr, situé à Jhimpîr, près de la route qui relie Karachi à Hyderabad.

La première mention de ce culte se trouve dans un rapport que l’officier bri-tannique Delhoste soumit à son gouvernement en 1839. Il y est question de l’obs-cure histoire d’un certain « Shaykh Amîn » (Thomas, 1979 : 252). Puis, dans lepremier Gazetteer consacré au Sindh en 1875, Hughes mentionne qu’une fêteannuelle (melâ) a lieu chaque année en novembre, pendant quinze jours, réunis-sant 600 musulmans et hindous. Il indique par ailleurs que ce lieu de pèlerinageest aussi très fréquenté pour la source qui s’y trouve (Hughes, 1996 : 320). C’esten 1883 que l’on trouve la première mention de l’identité de celui qui est alorsnommé « Shaykh Amîn Pîr ». Un voyageur britannique, Denis Ross, affirme quele saint est le fils de Hazrat ‘Alî. Les dévots, il ne fait pas mention des Khojâhsou des ismaéliens, sont convaincus que le saint est vivant, et qu’il voyage par unsouterrain qui relie le Sindh à l’Irak. Cette version indique qu’à cette date, lesKhojâhs avaient déjà pris possession du lieu.

D’après la tradition orale des Khojâhs, Amîr Pîr était un fils de ‘Alî, MuÌam-mad b. al-Îanafiyya. Sur la résidence des âghâ khân-s, une inscription indique :« âghâ ‘Alî Shâh, 1853 ». Même si la date est peu probable, tout le sanctuaire estassocié à ‘Alî Shâh. Il est par conséquent celui qui attribua la dargâh d’un saintobscur à MuÌammad b. al-Îanafiyya. Le choix de ce dernier appelle quelquesremarques. D’une part, il n’est pas considéré comme imam par les shiites puis-qu’il est le fils d’une captive et non pas de Fâ†ima. En le choisissant, ‘Alî Shâh cher-chait sans doute à individualiser la tradition ismaélienne en la différenciant de latradition duodécimaine. En outre, c’est avec le culte de Mu†ammad b. al-Îana-fiyya qu’apparaît dans le monde musulman la notion de mahdi. En effet, al-Mukhtâr, le chef de ses partisans connus sous le nom de Kaysânites, se pose envengeur de Îusayn et il apparaît ainsi comme un justicier. C’est lui qui aurait uti-lisé le terme de mahdi pour la première fois, pour désigner MuÌammad b. al-Îana-fiyya, bien qu’il ne lui attribuât pas encore de connotations eschatologiques. Lemahdi, le « bien guidé », désigne avant tout le calife-imam légitime désigné parDieu. Les Kaysânites furent aussi les premiers à développer les idées d’occultation(ghayba) et de retour (raj‘a). C’est aussi parmi eux qu’apparut l’idée que l’imamétait un personnage aux qualités surhumaines et qu’il était le dépositaire de la lumièredivine (nûr) (Sourdel, 1996 : 597-598), concept clé de l’ismaélisme aghâkhânien.

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Le fait que ‘Alî Shâh choisisse MuÌammad b. al-Îanafiyya indique qu’il est ques-tion non pas de l’héritage du Prophète, mais de celui de ‘Alî.

La topographie du sanctuaire d’Amîr Pîr est des plus intéressantes. À l’entréedu site se trouve un espace clos qui contient les empreintes de pas de ‘Alî (shâh-joqadam). Cela signifie que, d’après la Tradition, l’imam ‘Alî a visité les lieux. Latradition affirme qu’il aurait visité en même temps Hyderabad et Mangho Pîr,près de Karachi. Aucune date n’est indiquée, si ce n’est celle de la restaurationdes lieux réalisée en 1951, mais il est probable que ce shâh-jo qadam soit impu-table à la politique religieuse de ‘Alî Shâh. D’après plusieurs de mes informateurs,il aurait « créé » ce culte pour que les Khojâhs kutchis7, très enclins à fréquen-ter les dargâh-s, ismaéliennes ou non, n’aillent pas voir ailleurs. Cette version,attestée par plusieurs sources différentes, est encore corroborée par les inscrip-tions en gujérati qui se trouvent sur le site. Aujourd’hui encore, le sanctuaire estessentiellement fréquenté par les Khojâhs de Karachi. Au siècle dernier, Amîr Pîraurait servi de lieu de ralliement pour les ismaéliens qui, auparavant, vivaient parpetits groupes isolés et ne se connaissaient pas. À l’occasion du melâ, une sortede foire des femmes avait lieu. Les ismaéliens les moins fortunés pouvaient se marierà peu de frais, compte tenu du fait qu’ils étaient traités comme les invités de l’imam.Il n’est pas sans intérêt de mentionner que le sanctuaire d’Amîr Pîr est situé à unetrentaine de kilomètres de Jherruq.

Par ailleurs, un autre melâ d’Amîr Pîr est mentionné dans le village de ShâhKapûr, situé à la même distance de Jherruq, mais sur la rive orientale de l’Indus(Hughes, 1875 : 763). Une dargâh ismaélienne se trouve bien à Shâh Kapûr,entre Mîrpûr Batoro et Tando MuÌammad Khân, mais elle a été édifiée en l’hon-neur de Shâh Kapûr précisément, un hindou converti à l’ismaélisme qui auraitété un disciple de Pîr Tâj al-Dîn8. Cette métamorphose d’Amîr Pîr est par consé-quent une étape importante dans l’évolution de l’ismaélisme du sous-continent.Mais dans le sanctuaire, MuÌammad b. al-Îanafiyya n’est pas et n’a sans doutejamais été considéré comme un mahdi. On peut plutôt penser que ‘Alî Shâhcherchait à créer une nouvelle filiation spirituelle spécifique à laquelle les Khojâhspuissent se rattacher. En le choisissant, il apparaît comme un champion dushiisme puisqu’il est connu, comme on l’a vu, que les partisans de MuÌammadb. al-Îanafiyya furent les premiers à exprimer ce qui constitue encore la base ducredo shiite (mahdi, ghayb (occultation), raj‘a (retour), nûr (lumière divine)). ÀAmîr Pîr, MuÌammad b. al-Îanafiyya n’est certes qu’un saint. Mais bien que de

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7. Ces Khojâhs sont originaires de la province voisine du Kutch, actuellement située dans l’Étatindien du Gujérat. Ces Khojâhs parlent le kutchi, un dialecte sindhi, bien qu’ils utilisent le gujé-rati comme langue écrite. Ils ont émigré à Karachi à partir du milieu du XIXe siècle. En dehorsdes Khojâhs kutchis, on trouve à Karachi des Khojâhs sindhis et des Khojâhs kathiawaris, cesderniers étant originaires d’une autre province du Gujérat.8. Le nom d’Amîr Pîr est évidemment un laqab qui fut peut-être répandu. Hughes (1996 : 716)signale un autre melâ d’Amîr Pîr qui a lieu dans le tâlukâ de Dâdû.

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nos jours ce culte soit rationalisé, on peut découvrir dans la tradition orale des élé-ments qui attestent qu’il fut d’un type spécifique : le saint qui délivre des espritsmalfaisants (bhût) et qui, par conséquent, met le Croyant dans la voie droite qui,seule, peut le mener au Paradis. Curieusement, à l’intérieur de l’espace consacréoù se trouve la grotte, un endroit a été préservé, décoré de nombreux étendards.C’est la place de Malûk Bâbâ, le prince des démons (jinn), figure populaire dans l’islamsud-asiatique (Assayag, 1995 : 84). Il avait investi les lieux avant Amîr Pîr qui le tuaau cours d’un combat. Autrefois, un arbre était vénéré sur cette place de Malûk Bâbâavant d’être coupé. Les arbres ont la réputation de faire exaucer les vœux.

De nos jours, les Khojâhs se rendent surtout dans sa dargâh pour demanderla protection et pour bénéficier de la baraka du saint. Un paradoxe subsiste néan-moins : en tant que fils de ‘Alî, quoique son statut soit élevé, son culte reste mar-qué par des croyances irrationnelles caractéristiques du culte des saints dans le Sindh.En effet, les Khojâhs affirment qu’il est possible de voir le saint dans sa grotte. Onprétend toujours qu’un souterrain existe entre Jhimpîr et l’Iraq. Dans une pièceaménagée près de la grotte, un lit a été installé où l’on affirme que le saint vientprendre du repos. À côté, se trouvent un Coran et un portrait de l’imam actuel,Shâh Karîm. Les légendes relatives à Amîr Pîr ne sont pas si nombreuses et, sur-tout, elles sont très stéréotypées. D’après la plus répandue, un de ses fervents dis-ciples du Sindh passait dans la contrée avec sa caravane de chameaux qui trans-portait de précieuses marchandises. Alors qu’il traversait une forêt, des bandits sejetèrent sur lui et pillèrent ses biens. Pendant qu’on le frappait sans pitié avec unsabre, il implora Amîr Pîr de venir à son secours. Miraculeusement, celui-ci sur-git de nulle part sur un cheval blanc, brandissant une épée, et tua les bandits. Aprèscet épisode miraculeux, Amîr Pîr bénit son disciple avant de disparaître dans lagrotte. On voit que la fonction du saint est celle de protecteur. Mais s’il est bienle sauveur de ceux qui croient en lui, il n’est aucunement question de sotériolo-gie. Enfin, il faut préciser que ce lieu est, à ma connaissance, le seul du Sindh àêtre voué à un membre de la famille ‘alide, en dehors des imâmbârâ-s.

Peu après la partition, les Khojâhs ont voulu interdire l’accès du sanctuaire auxnon-Ismaéliens. Précédemment, il avait été fréquenté par les hindous et par lesautres musulmans. Pour cela, ils ont dû prouver aux autorités pakistanaises qu’ilsétaient les propriétaires des lieux. L’argument décisif a été constitué par l’inscriptionportant le nom de ‘Alî Shâh. Bien que les Khojâhs ne prient guère dans les mosquées,‘Alî Shâh avait fait construire une petite mosquée où la tradition affirme qu’il venaitprier. C’est aussi le cas à Shâh Torrel9. Sur le mur d’entrée se trouvent deux datesque je n’ai pas réussi à déchiffrer10. Il y a quelques années, un différend assez viru-lent a opposé les Khojâhs : un groupe souhaitait mettre fin au culte d’Amîr Pîr. Il

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9. À Shâh Torrel, la mosquée se trouve face à la dargâh de Pîr Tâj al-Dîn. Bien qu’elle ait étérénovée récemment avec le reste, elle est aujourd’hui utilisée comme entrepôt.10. Il s’agit de 1494 et 1544, dates qui n’évoquent rien pour moi ni dans le calendrier d’origi-ne hindoue (vikram samvat) autrefois utilisé par les Khojâhs, ni dans le calendrier islamique, nidans le chrétien.

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considérait que non seulement cette pratique n’était pas canonique, mais que le seulintercesseur était l’imam. Shâh Karîm lui-même est intervenu pour le secondgroupe, qui désirait perpétuer le culte. Cela dit, l’imam n’a pas visité le sanctuairelors de ses différentes visites dans le Sindh.

L’épiphanie de l’imam sous Sul†ân MuÌammad Shâh

Les prémices de la rénovation sotériologiqueIl est évident que l’arrivée de Îasan ‘Alî Shâh dans le Sindh a réactivé l’ethos soté-

riologique des Khojâhs. Quand on sait que le culte des saints est particulièrementrépandu en milieu shiite (Richard, 1995 : 153), il n’est pas interdit de penser quel’imam ait contribué à son développement. Force est de constater que les principauxsayyid-s actuellement vénérés dans le Sindh ont vécu à l’époque moderne. Cela dit,les Khojâhs ont pu interpréter sa venue comme la parousie du qâ’im/naklankî dontparlaient les ginân-s. Mais bien peu de traces subsistent dans la littérature ginânienne.Un ginân, composé en ourdou sans doute au XIXe siècle malgré son attribution àPîr Shams, se termine par le vers suivant : « Le Temps du Seigneur de la Résurrec-tion est venu! » (Shackle/Moir, 1992 : 110). Cette tension eschatologique fut-elleutilisée dans la stratégie d’unification de la communauté et de rationalisation de lacroyance religieuse? Rien ne permet de l’affirmer bien qu’elle se situe dans la logiqued’une telle stratégie. Par ailleurs, faut-il voir dans la conversion de Khojâhs aushiisme duodécimain l’expression d’une frustration due à cette absence de parou-sie? L’hypothèse est attirante bien qu’aucune source n’y fasse référence.

C’est au cours du XIXe siècle que se produit la modification la plus importantedans le champ sotériologique. En effet, l’imam devient l’intercesseur suprême avantde devenir l’intercesseur unique, soit, en dernière analyse, le sauveur. Cette évo-lution apparaît à travers le glissement sémantique du ∑âÌib-e zamân, expressionqui désigne le qâ’im/mahdî, à l’imâm-e zamân, c’est-à-dire l’imam manifesté. Bienque ‘Alî Shâh n’ait pas hésité à « créer » un nouvel intercesseur assez énigmatique,il ne semble pas pour autant que MuÌammad b. al-Îanafiyya n’ait jamais été consi-déré comme le qâ’im/mahdî. D’après les sources, certes trop rares, c’est le pre-mier imam, ‘Alî, qui était le mahdi, ce qui signifie celui qui viendrait à la fin desTemps faire régner la justice, comme l’atteste par exemple le juge Arnould lorsdu fameux Aga Khan Case de 1866. Le juge va jusqu’à parler de « Ali, the greatMessiah of the Ismaili system » (Arnould, 1965 : 516). En 1908 encore, le jugeRussell, à l’occasion du Haji Bibi Case stipule que les imams se succéderont jus-qu’à la manifestation finale de ‘Alî qui, avant la fin des Temps, viendra sur Terrepour faire régner la justice (Russell, 1908 : 5).

Au sujet du Aga Khan Case, qui, il faut le rappeler, expose publiquementpour la première fois les croyances des Khojâhs, il est intéressant de noter quele juge Arnould désigne Îasan ‘Alî Shâh comme unrevealed imam (Arnould,1965 : 521). Pour lui, les Ismaéliens sont ceux des shiites qui tiennent Ismâ‘îlcomme dernier imam révélé, et qui croient que, jusqu’à la manifestation finale

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de ‘Alî, le mahdi, l’imamat appartiendra aux descendants de ‘Alî par Ismâ‘îl, àtravers une lignée d’imams non révélés (Arnould, 1965 : 513-4). Que veut direle juge par « imam non révélé » ? Il est probable qu’il fasse allusion à la taqiyyaou à la conception cyclique du temps11. Dans l’ouvrage qu’il publie en 1899,Campbell, un officiel britannique, est pour sa part assez confus lorsqu’il veut expli-quer ce qui distingue les imams révélés des imams non révélés (Campbell, 1990 :48). Mais si cette question est placée dans la perspective historique qui nous occupe,il est possible de penser que le juge fait référence au problème de la manifesta-tion spirituelle de l’imam, de son épiphanie. À l’époque du jugement, Îasan ‘AlîShâh n’a pas encore annoncé la parousie de l’imam, sans doute parce que les Kho-jâhs n’étaient pas encore prêts. La brève durée de l’imamat de son fils ‘Alî Shâh,entre 1881 et 1885, ne permettra pas non plus de l’annoncer.

Chez Shihâb al-Dîn Shâh, fils de l’imam ‘Alî Shâh, qui rédige un traité vers 1880,le mahdi est désigné par le terme de ÒâÌib-e zamân. Mais, là encore, aucune défi-nition ni explication ne sont données. En réalité, l’auteur en parle pour convaincreles Khojâhs de payer la dîme, ceci étant une condition importante pour le salut deleur âme (Husaynî, 1963 : 48). Ce type de pratiques est très courant en Inde. Dansson autre traité, l’auteur mentionne à plusieurs reprises qu’il faut craindre le Jourde la Résurrection (qiyâmat). Il y est question de « Celui qui vengera et qui punira »,sans que soit révélée son identité (Husaynî, 1947 : 68). Plus loin, Shihâb al-DînShâh mentionne et interprète un Ìadîth qu’il attribue à l’imam Ja‘far al-∑âdiq.Un croyant implorait Dieu de lui permettre d’entrer au Paradis. L’imam lui dit dedemander plutôt à Dieu de ne pas le chasser du Paradis. En effet, commente Shi-hâb al-Dîn Shâh, aussi longtemps que tu ne commets rien de répréhensible, tu tetrouves dans le Paradis (Husaynî, 1947 : 70). Cette position constitue les pré-mices de la Grande Résurrection réactivée par Sul†ân MuÌammad Shâh.

L’éradication des sauveurs potentielsParadoxalement, malgré la création du culte d’Amîr Pîr, ‘Alî Shâh, âghâ khân II,

puis surtout Sul†ân MuÌammad Shâh, âghâ khân III, cherchèrent à mettre fin auculte des intercesseurs qui pouvaient apparaître comme des sauveurs en puissance.Ce faisant, ils préparaient l’annonce de l’épiphanie de l’imam. Sur le plan religieux,la principale conséquence de l’arrivée de Îasan ‘Alî Shâh dans le sous-continent avaitété le développement de pratiques et de croyances duodécimaines. Au premier planse trouvait le culte de l’imam Îusayn. Même s’il n’est pas exclu que cette iranisa-tion des pratiques ait commencé dès le milieu du XVIIIe siècle12, c’est un fait accepté

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11. Il est clair que le juge Arnould a utilisé des sources occidentales basées sur des auteurs sun-nites de l’époque classique.12. Le poète national du Sindh, Shâh `Abd al-Latîf, rédige la première marthiya en sindhi dansson fameux Shâh-jo Risalo, composé vers 1750. Puis avec l’accession au pouvoir des Talpûrsshî`ites en 1783, les cérémonies de MuÌarram deviennent officielles. On note d’autre part l’in-troduction de thèmes iraniens dans les ginân-s dès la fin du XVIIIe siècle, par exemple dans uneœuvre de Sayyid FatÌ `Alî Shâh (Shackle/Moir, 1992 : 86).

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par tous que Îasan ‘Alî Shâh introduisit les cérémonies liées à MuÌarram. LesKhojâhs semblent avoir bien accueilli ces nouvelles pratiques. À Bombay, Îasan ‘AlîShâh puis ‘Alî Shâh assistaient à des représentations publiques du martyre de l’imamÎusayn et des siens dans leur propriété de Mazagaon. Dans le principal jamâ‘atkhânade la cité, un menbar13 est toujours voué conjointement à l’imam du Temps et àÎusayn. À l’extérieur se trouve un oratoire dédié à Hazrat ‘Abbâs, un autre demi-frère de Îusayn qui périt lui aussi à Kerbela, où les femmes khojâhs pratiquent desrites indiens, comme par exemple remplir de lait l’orifice qui s’y trouve. Toujoursà Bombay, les Khojâhs croient que l’imam Îusayn est enterré au côté de Îasan ‘AlîShâh (Mujtaba Ali, 1936 : 75). Diverses sources attestent par ailleurs que les Kho-jâhs les plus fortunés avaient pris l’habitude de se faire enterrer à Kerbela, le plusprès possible du sanctuaire de Îusayn (Campbell, 1990 : 46). Sans doute est-ce aussià cette époque que la vénération des ‘alîm-s se généralisa parmi les Khojâhs.

Dans le Sindh, les Khojâhs prirent l’habitude de construire des tâbût-s pourles processions où ils allaient jusqu’à faire le mâtam. Sul†ân MuÌammad Shâh déve-loppa l’idée que la célébration du martyre de l’imam n’avait aucun sens pour lesIsmaéliens puisqu’ils reconnaissaient un imam manifesté, qui était par consé-quent toujours présent au monde. Mais lorsqu’il voulut mettre fin aux pratiquesduodécimaines, il se heurta non seulement à une forte résistance mais à une véri-table dissidence puisque plusieurs milliers de Khojâhs devinrent duodécimains,même si les motivations économiques ne furent pas absentes dans cet épisode (Mas-selos, 1973 et Boivin, 1997a)14. Quoi qu’il en soit, d’après mes informateurs, desKhojâhs ismaéliens faisaient encore le mâtam dans les années quarante.

‘Alî Shâh et Sul†ân MuÌammad Shâh ont, dans une large mesure, freiné le cultedes saints. En 1899, l’anniversaire de l’intronisation de Pîr Dâdû était encore célé-bré avec éclat (Campbell, 1990 : 41). Le tombeau de ce sayyid est à Bhuj, la capi-tale du Kutch. Mais aujourd’hui, plus aucun souvenir ne subsiste de telles fes-tivités et Dâdû n’est plus considéré comme un pîr (Boivin, 1997b : 422). Latradition des Khojâhs du Sindh affirme que l’imam ‘Alî Shâh n’hésitait pas à fairedétruire les dargâ-s des saints, qu’ils soient ismaéliens ou non. On cite en parti-culier le cas d’Aqâ Jamyâl Shâh Dâtâr dont un mausolée se trouve dans le Sindh,près de Pîr Patho, et un autre dans le Kathiawar. L’imam se serait exclamé : « Iln’y a pas de maître (âqâ) ni de donateur (dâtâr) sur terre hormis l’imam duTemps ! » Toujours dans le Sindh, à Mîrpûr Sâkro, le même imam donna l’ordrede démolir une autre dargâ.

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13. De l’arabe minbar. Chez les Khojâhs, sans doute sur le modèle des imâmbârâ-s (Hollister,1979, 167), ce terme désigne une sorte d’autel voué à un `alide.14. À Karachi, les Khojâhs âghânistes seraient plus de 100000, les Khojâhs duodécimains envi-ron 50 000 et les Khojâhs sunnites 3000. Des phénomènes de dissidence comparables semblents’être produits dans d’autres groupes ismaéliens, comme chez les Momnâhs d’origine gujératie.Il existe à Karachi une communauté de Momnâhs duodécimains, la « Kanodar Ithna AshriMomin Jamat », qui accepte de nouveaux membres en son sein, alors que toutes les commu-nautés khojâhs fonctionnent encore comme des castes.

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L’imam comme qâ’im individuelShihâb al-Dîn Shâh al-Îusaynî (1853-1885) est le dernier auteur ismaélien à

considérer que le ÒâÌib-e zamân est le sauveur qui viendra faire régner la justice àla fin des temps (Husaynî, 1963 : 48-50). Avec Sul†ân MuÌammad Shâh, imamde 1885 à 1957, le salut est définitivement accaparé par l’imam du Temps, parceque lui seul a le pouvoir d’actualiser le Paradis hic et nunc, ce qui constitue un véri-table retour à la tradition alamûtie. L’imam devient par conséquent ÒâÌib-e zamân.Mais cette expression, qui désigne pour les duodécimains le douzième imam entant que mahdi, est délaissée pour d’autres comme imam-e mubin, imâm-e hazarou imâm-e zamân. C’est finalement l’expression imâm-e hazar qui est la plus usi-tée aujourd’hui. Il est évident qu’elle met particulièrement en relief la rénovationopérée par Sultân MuÌammad Shâh : l’annonce de l’épiphanie de l’imam.

Ce renforcement du culte de l’imam manifesté repose sur le fait que lui seula le pouvoir de sauver les âmes. Sa reconnaissance en est un préalable incon-tournable. Sul†ân MuÌammad Shâh s’exprime à plusieurs reprises sur la ques-tion au tout début de son imamat, entre 1899 et 1903. Toutes les autres religions,affirme-t-il, sont exotériques dans la mesure où elles promettent le Paradis aprèsla mort si le croyant a accompli des œuvres pies. Mais notre religion, poursuit-il, si vous agissez en conformité avec ses enseignements, et avec un cœur qui estpur, et que vous priez régulièrement, permet alors de gagner le Paradis de votrevivant (Aga Khan, 1961 : 35-36).

Il est ici question du salut individuel conçu sous la forme de la réunion de l’imamet du croyant. Sul†ân MuÌammad Shâh affirme que cette réalisation du Paradis surTerre n’oblitère certes en rien le Jugement dernier, où tous les hommes seront jugéspour leurs actes. Ce jugement, dont on ne sait par qui il sera rendu, est le préludedu Paradis éternel. Mais il affirme ailleurs que les véritables croyants seront dispensésde questions le Jour du Jugement dernier. Cette contradiction traduit bien la situa-tion dans laquelle se trouve l’imam. La question du Jugement dernier et celle de lapersonne du mahdi ne font plus partie de l’horizon eschatologique de l’ismaélisme.Mais cela signifie d’autre part que le Jugement dernier ne sera pas de son ressort.

Sul†ân MuÌammad Shâh ne fait qu’une seule allusion au Jugement dernier dansses mémoires.

« Après la mort, écrit-il, la justice divine prendra en compte la foi, les prières et lesdevoirs du croyant. Pour les élus, ce sera la vie éternelle et la félicité spirituelle dela vision. Pour les réprouvés, il y aura l’enfer où ils seront consumés pour ne pasavoir su mériter la grâce divine » (Aga Khan, 1954 : 177).

À aucun moment, il ne mentionne l’identité du sauveur.Pour ce qui est du nûr, terme coranique, on peut dire que dans l’ismaélisme

contemporain, il est par excellence le principe imamien. Sul†ân MuÌammad Shâhconsacre une partie importante de ses premiers farmân-s, émis entre 1885 et 1905,à affirmer la permanence du nûr. À Bombay, le jour même de son intronisation,il affirme que les imams changent physiquement mais que le nûr est éternel et

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unique (Aga Khan, 1961 : 2). D’après le principe du nûr, l’imam est éternel, seulchange son aspect physique, ce qui fait que, pour les Khojâhs, chaque imam, IslâmShâh par exemple, mais aussi Sul†ân MuÌammad Shâh ou l’imam actuel ShâhKarîm, est en même temps ‘Alî ; ce que les Khojâhs nomment ‘Alî n’est en der-nière analyse que la somme de tous les imams, le nûr en d’autres termes.

La multiplicité des noms relatifs au sauveur a incité les Khojâhs à faire des misesau point. C’est ainsi que, dans l’article 184 du chapitre VI de la Constitutionadoptée par les Khojâhs de Karachi en 1928, on peut lire que Sul†ân MuÌam-mad Shâh doit être identifié parmi ses disciples sous les noms suivants :

« Hazrat Maulana, Dhani Salamat Datar, Pirsalamat, Sarkar Sahebi, Sarkar Saheb,Hoozoor, Hoozoor-Pur-Nur, Hazar Jomoo, Dhani Mabap, Dhani Salamat, HazarImam, Mabap, Dhani Pir, Agakhan, Agasaheb, Sarkar Agakhan, Honourable Aga-khan, Khudavand, Shapir, Pir Shah, Gurpir, Gurpir Salamat Datar, Mowla, Mowla-Ali, Imam Hussain, Naklank, H.H the Sarkar Saheb, etc. » (Rules…, 1928 : 47)

Il serait fastidieux de reprendre chacun des termes où se côtoient expressionsislamiques et expressions d’origine hindoue. Le point le plus important est quel’imam du Temps est considéré comme étant ‘Alî, Îusayn et Naklank. En somme,il totalise la fonction sotériologique et il devient ainsi le sauveur par excellence.On notera l’absence des termes mahdî et qâ’im. Cette énumération est intéres-sante d’autre part car, à travers la terminologie, on peut distinguer les héritagesdominants qui constituent l’ismaélisme des Khojâhs. L’expression khudavand(Grand Maître) par exemple, renvoie à l’expérience alamûti. Celle de DhaniSalamat Datar (Seigneur Dispensateur de Salut), l’une des plus employées15, faitréférence au substrat hindou16. On signalera enfin que parmi les expressionsarabo-persanes classiques du shiisme, une seule est mentionnée, Hazar imam.

Le culte de l’ imâm-e zamânDe nos jours, il est certain que pour les Khojâhs, le sauveur unique est l’imam

du Temps, actuellement Shâh Karîm al-Îusaynî ou âghâ khân IV. La formulesacrée qui marque la fin du mushkil âsânji tasbih, récité après chaque du‘â, et àd’autres occasions, est à cet égard sans ambiguïté : « Îayy zindâ, qâyam pâyâ! » (ôToi le vivant! J’ai trouvé le sauveur!)17. La tradition fait remonter cette exclamation

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15. Le terme d’origine arabo-persane salâmat est polysémique. Il peut signifier « paix » mais aussi« salut » (Steingass, 1975 : 692).16. Dans un ouvrage publié en 1985 par un Khojâh émigré au Canada, voici les titres qui dési-gnent l’imâm : « Mowlana Hâzar Imâm, Mowla, Mowla Bâpa, Khudâvind, Sarkâr, DhaniSalaamat, Mâ Bâp, Sâhib, Shâh Pîr, Seth, Yâ Ali Bâpa, Hâzar Imâm » (Aziz, 1985 : 126-127).17. C. Shackle et Z. Moir (1992 : 219) traduisent parfois qâyam par « éternellement vivant »(Shackle/Moir, 1992 : 86), et parfois par « résurrecteur », comme dans l’expression qâyam shâhâ,par « Seigneur de la Résurrection », tout en signalant que le terme provient de l’arabe qâ’im.Dominique-Sila Khan (1997 : 143) partage cette analyse au sujet des disciples de Râmâ Pîr duRajasthan, qui utilise ce terme dans leurs bhajan-s. Pour ma part, je pense que l’intention ini-tiale était de proclamer la parousie du sauveur mais de nos jours, il est vrai que les Khojâhs amal-gament les deux parties de l’énoncé pour créer une sorte de redondance : « ô Toi le Vivant !L’éternellement vivant ! ». Peut-être faut-il y voir une forme de taqiyya.

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à Pîr Îasan Kâbir al-Dîn, mais le fait qu’elle ne semble pas d’origine ginâniennepeut signifier qu’elle soit apparue plus récemment. Campbell (1990 : 49) est le pre-mier à la mentionner. Tous les Croyants adressent sans aucun doute cette prière àl’imam du Temps, Shâh Karîm. Shâh Karîm est qualifié de hazar imâm, du persanimâm-e hazar, expression qui symbolise et totalise la réforme opérée par son pré-décesseur. Dans les du‘â-s actuelles, on a vu que l’imam présent est qualifié deqâ’im. Dans la littérature ginânienne, on relève des occurrences relativement nom-breuses du concept de qâ’im, terme qui fut peut-être attribué pour la première foisà MuÌammad b. al-Îanafiyya (Madelung, 1986 : 1226).

Quoi qu’il en soit, il est important de relever que, en dépit de la fluctuationde la terminologie, qui varie suivant que le lexique est issu du sanscrit ou de l’arabe,les Ismaéliens du sous-continent privilégient l’idée d’apparition du sauveur audétriment de l’action rédemptrice qu’il est sensé accomplir. Dans la traditionginânienne ainsi que dans celle du nord, l’apparition de l’imâm-e zamân provoquela vision (persan, dîdâr ; ourdou, darshan), qui semble être dans la plupart descas la finalité même de la religion. Les du‘â-s se terminent très souvent parl’interjection : « shâh-jo dîdâr ! » (Que je sois gratifié de la vision du shâh !).Cette manifestation de l’imam peut être de trois natures différentes : Ââherî,bâ†inî ou nûranî. Le Ââherî dîdâr correspond à la vision physique de l’imam. Lebâ†inî dîdâr concerne la vision de la réalité spirituelle de l’imam. Enfin, le fidèlepeut voir la réalité divine (nûr) de l’imam lors du nûranî dîdâr.

Hiérophanies mineures dans les traditions‘Alî, le mahdi

Dans les ginân-s, le qâ’îm est le plus souvent ‘Alî sauf à quelques reprises oùun autre imam est clairement mentionné. Mais, bien que l’énonciation du nomde ‘Alî soit omniprésente dans les prières (du‘â-s) comme dans la méditation (zikr),les occurrences où il apparaît comme le Mahdi demeurent fort rares. Il fautd’autre part mentionner l’usage, plus rare encore, du terme persan payghambarcomme par exemple dans un ginân attribué à Pîr Shams (Ginân-e sharîf, 1991 : 46).Avant de revenir sur un point essentiel de l’ismaélisme ginânien, le conceptd’avatar, il est important de préciser la place capitale qui est celle de ‘Alî dans lathéologie ismaélienne contemporaine. Un ginân très populaire, attribué à PîrShams, est très explicite à ce sujet :

« Tu es la vérité, le Pur, et le Maître souverain.Tu es le bienfaisant, ô ‘Alî, toi seulement.Tu es le Seigneur, tu es le compatissant, ô ‘AlîTu es le Premier et le Dernier, Tu es le Juge, toi seulement ».(Ginân sharîf, 1991 : 1)

On peut noter la paraphrase du Coran dans le dernier vers, mais surtout lefait que ‘Alî est le Juge. Cette mention fait directement référence à la fonctiondu mahdi. Il semble que ‘Alî soit l’archétype de l’imamat, voire même la per-sonnification du nûr.

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La surdétermination du nom de ‘Alî apparaît aussi chez Hunzâ’î. C’est au débutde son œuvre qu’il mentionne le nom du qâ’im, mention qui disparaît dans sesœuvres postérieures. Cela dit, il n’apporte rien sur la mission du mahdi et, bienqu’il distingue la résurrection qui se produit du vivant du croyant de celle qui alieu après la mort, on n’apprend rien sur cette dernière. L’auteur se situe néan-moins totalement dans la continuité de la pensée de Sultân Muhammad Shâhet, à travers lui, dans le sillage de la Grande Résurrection proclamée par Îasan‘alâ zikrihi’l-salâm. Il considère que les sauveurs sont de deux types, puisque lesalut se divise lui-même en deux catégories. Le mahdi, que ce soit ‘Alî ou un autre,passe au second plan. Le qâ’im, qui est en réalité l’imam du Temps, permet auCroyant de parvenir au stade de la résurrection de son vivant. Pour Hunzâ’î, cetétat peut être atteint par toute une série de pratiques spirituelles qui s’apparen-tent à celles du soufisme persan.

Dans un poème dédié aux Ismaéliens du Turkestan oriental, Hunzâ’î s’exprimesans détours :

« Je suis l’esclave de Mawlâ ‘Alî, mon Seigneur est ‘AlîMon pèlerinage, ma prière, ma religion, ma foi est ‘Alî.Pour cette époque, Sul†ân MuÌammad Shâh est ‘AlîLe même ‘Alî est pour moi la Lumière de Dieu et l’essence du CoranLe lion qui brise les rangs des ennemis est ‘Alî, le conquérant de Khaybar est ‘AlîLe Maître du Temps est ‘Alî, le Souverain des êtres est ‘AlîLe bienveillant des deux mondes est Sul†ân MuÌammad Shâh, il est le ‘Alî du Temps.‘Alî est le Juge du Jugement Dernier et le Souverain des Souverains » (Hunzâ’î, 1957 : 133).

Cet extrait constitue un bon résumé de la fonction sotériologique assignée au pre-mier imâm. En effet, ‘Alî apparaît ici dans deux rôles : il est à la fois le ‘Alî historique,« le lion qui brise les rangs des ennemis », et le ‘Alî hypostatique, qui n’est autre que« Lumière de Dieu ». Sans doute est-ce cette hypostase divine qui est aussi Maîtredu Temps (ÒâÌib-e zamân). Cette conception quasi cosmique de ‘Alî, qui est déjà mani-feste dans les écrits de Shihâb al-Dîn Shâh, n’est pas sans rappeler les conceptionsdu shiisme originel (Amir-Moezzi, 1993)18. Dans les deux traditions, ‘Alî est pré-éternel et c’est de sa propre lumière qu’est issue la lumière de MuÌammad.

Naklankî, une hiérophanie entre mahdi et avatarLa littérature ginânienne appartient à ce type de littérature qui a cherché à har-

moniser l’islam et l’hindouisme19. Dans le cas de l’ismaélisme, cette harmonisa-

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18. Voir les quelques suggestions de mon compte rendu du Bulletin Critique des AnnalesIslamologiques, n° 11, Le Caire, 1994 : 68-71.19. Les études relatives à cette problématique sont abondantes, mais pour le cas des ginân-s, onconsultera plus particulièrement les travaux de Françoise Mallison. Azim Nanji (1978 : 110 sq.)a d’autre part esquissé une analyse comparative entre l’épiphanie dans la tradition alamûtî etNaklankî.

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tion repose largement sur l’identification du concept de sauveur issu de l’une etde l’autre tradition. Les ginân-s mentionnent à de nombreuses reprises le « dixièmeSeigneur chevauchant » (Shackle/Moir, 1992 : 88). Dans l’iconographie shiite, cetteimage rappelle l’imam ‘Alî et le mahdi, alors que dans l’iconographie hindoue, ils’agit de Naklankî, l’Immaculé, c’est-à-dire le dixième avatar de Vichnou qui serale Sauveur à la fin du présent cycle de destruction. Cette harmonisation à traversl’identification de ces deux figures sotériologiques apparaît sous une forme accom-plie dans un ginân qui fut longtemps prépondérant dans la tradition des Khojâhs :le Das Avatâr (Dix Avatârs). Il est dit que Naklankî, la dixième incarnation deVichnou, s’est manifesté en la personne de ‘Alî :

« À l’ouest, le Seigneur (shâh) est venu et il s’est manifesté. Combien sont trompés les délaissés, ceux qui n’ont rien fait de leur vie !Sers ton Seigneur, Islam Shâh, le Mahdî, le dixième avatâr et ‘AlîO Seigneur invisible, Tu es généreux envers tes créatures.Seigneur des Seigneurs, Tu voiles les péchés de ceux qui prennent refuge en ToiSers Islam Shâh, le Mahdî, le dixième avatâr et ‘Alî.À l’ouest comme le vaisseau, Naklankî le divin, de même forme que ToiTu es un être à part, ô Seigneur. Je te sers, Seigneur, et ne connaît personne d’autre ».(Shackle/Moir, 1992 : 158)20

Il faut préciser qu’au Pakistan, ce ginân a été retiré du corpus officiel bien quele mot Naklankî se trouve encore dans un autre ginân (Ginân-e Sharîf, 1991 :19). D’autre part, dans la du‘â en vigueur à l’époque de Sultân MuÌammadShâh, l’imam était qualifié de « dixième manifestation immaculée » (dasamonaklankî avatâr) (Shackle/Moir, 1992 : 178). Cela dit, le terme avatâr se trouveencore dans le corpus officiel publié par le centre religieux ismaélien de Karachimais les missionnaires s’évertuent à expliquer que, dans les langues néo-indiennes,il signifie « descente, manifestation ».

Chez les Ismaéliens, le passage du Mahdi, sauveur de l’humanité, au qâ’im,sauveur de l’individu, a été réalisé alors que les imams résidaient en Perse, à Ala-mût. Peut-être faut-il voir dans cette primauté accordée au salut individuel uneinfluence du soufisme. En contexte indien, il est néanmoins important de reve-nir sur la convergence des concepts de Naklankî et de qâ’im. Le Naklankî desginân-s vient de Kalkî qui, dans la mythologie des Purânas, est attendu à la finde notre âge cosmique. Il sera la dixième incarnation de Vichnou. Il n’est pas inutilede préciser que ce terme signifie « pur, immaculé » en sanscrit. Il peut être consi-déré comme l’équivalent d’une des épithètes les plus fréquentes de l’imam, cellede ma‘sûm. Mais il est vrai que le messianisme ne peut être considéré comme unefigure dominante de l’hindouisme. En effet, bien que Naklankî soit un modèleidéal de messie, il n’a donné lieu à aucune spéculation sotériologique. Pourtant,il doit apparaître monté sur un cheval blanc et établir sur terre une ère de vertuet de prospérité (Walker, 1968 : I, 512).

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20. Plusieurs versions de ce ginân existent, attribuées à des auteurs différents. Voir Khakee, 1972.

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Râmâ Pîr et les Intouchables hindousDiscrètement, les Khojâhs de Karachi et de Hyderabad font œuvre de prosé-

lytisme dans le Sindh intérieur. Les populations concernées sont des hors-castesou des populations tribales, comme les Bhîls, les Kohlîs et les Menghwârs. Bienque ces conversions soient le plus souvent motivées par des impératifs économiques,la transition religieuse peut se faire en douceur grâce à la proximité de figures soté-riologiques que l’on trouve dans les chants dévotionnels hindous (bhajân-s) etdans les ginân-s. Pour ces derniers, on sait que l’imam, en l’occurrence Shâh Karîm,était présenté comme Naklankî, c’est-à-dire le dixième avatâr de Vishnû.

Mais ces conversions peuvent aussi être facilitées par le culte de Râmâ Pîr, uneautre figure de sauveur très populaire parmi les populations hindoues défavorisées.Râmâ Pîr, vénéré parfois sous le nom de Râmdev Pîr, est un cas particulièrementintéressant puisqu’il était, à l’origine, un missionnaire ismaélien ainsi que l’ontdémontré deux chercheurs, en utilisant des sources différentes (Khan, 1997; Tâjd-din, 1995). À Karachi et dans le Sindh intérieur, son culte est très répandu parmiles Hindous de basses castes. Il est considéré comme un saint libérateur qui œuvraen particulier pour l’abolition des castes. L’iconographie le représente monté sur uncheval blanc, portant la barbe et armé d’une épée. Les empreintes de pas constituentson symbole. Dans une légende rapportée par les Bhîls, Râmâ aurait rencontré unevieille femme, membre de la tribu, qui vivait dans une extrême pauvreté et luiaurait promis de revenir se manifester pour apporter une vie meilleure aux Bhîls.

Les traces de pas symboliseraient cette apparition, et par conséquent la pro-messe de Râmâ de venir libérer la tribu. Compte tenu du fait que les Intouchableshindous étaient dans l’attente de la parousie de Râmâ sous la forme de Naklankî(Khan, 1997 : 141-142), il n’est pas impossible que les missionnaires khojâhs leuraient révélé que Naklankî était apparu en la personne de Shâh Karîm. Enfin, iln’est pas sans intérêt de signaler qu’un autre symbole de Râmâ Pîr, principale-ment parmi les Intouchables de Karachi, est un cheval sans cavalier. Dans l’islamsud-asiatique, cette figure symbolise l’armée de ‘Alî (Assayag, 1995 : 84).

Le statut du sauveur n’est pas complètement harmonisé au sein des tradi-tions ismaéliennes du sous-continent indo-pakistanais. Pour le seul Pakistan,on peut distinguer deux conceptions. Pour la tradition indienne, qui prévaut lar-gement, la figure du sauveur a été l’objet d’un synchrétisme lors de la conver-sion des castes hindoues avec le dixième avatâr de Vichnou qui, chez les Hindous,n’a pas encore eu lieu. Dans la mythologie hindouiste, il doit mettre fin au pré-sent cycle de destruction. L’émiettement du charisme, dans l’Inde du milieu duXIXe siècle, a incité les imams à éradiquer le culte des intercesseurs secondaires.Entre 1885 et 1957, Sul†ân MuÌammad Shâh a d’autre part réactivé la GrandeRésurrection proclamée à Alamût en déclarant que le Croyant authentique pou-vait hic et nunc accéder au Paradis de son vivant. Mais, faute de sources probantes,et malgré l’islamisation et la rationalisation de la croyance et de la pratique réa-lisées surtout pendant ce même imamat, on ne peut que constater la congruencede plusieurs figures sotériologiques. Le premier imam ‘Alî se confond avec

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Naklankî, jusque dans l’iconographie, mais aussi avec d’autres sauveurs secon-daires, que ce soit Râmâ Pîr ou Amîr Pîr.

Depuis les années quatre-vingt, lors de l’islamisation officielle du régime sousZiâ al-Îaqq, les ginân-s ont été expurgés des références à l’hindouisme. Mais levide créé par la disparition de la référence à Naklankî, bien que le terme subsisteencore dans de rares ginân-s, a été comblé par le culte de l’imam du Temps. LesIsmaéliens d’Asie du sud considèrent que le mahdi, celui qui régnera pour impo-ser la justice, sera ‘Alî mais on ne trouve aucune supputation relative au Jugementdernier, ni au règne de la justice. Ils sont convaincus que la reconnaissance del’imam du Temps et la pratique régulière des devoirs religieux suffisent à assu-rer le bonheur éternel ici-bas, et dans l’au-delà.

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