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HGGSP Thème 2. FAIRE LA GUERRE, FAIRE LA PAIX :
FORMES DE CONFLITS ET MODES DE RESOLUTION
Un éclairage réflexif proposé par M. Sitter-Thibaulot, professeur et formateur en
Histoire et Géographie.
REFLEXION GENERALE SUR LA GUERRE ET LA PAIX
POURQUOI CE TEXTE ?
Ce texte se veut être un éclairage réflexif sur un thème complexe – la guerre et la paix
- et est le fruit d’une longue sédimentation intellectuelle et d’un triple processus, temporel et
spatial, aux entrelacs toujours inachevés.
Depuis plus d’une trentaine d’années, de mes études supérieures à mon métier
d’enseignant, mon intérêt s’est porté sur la réflexion concernant les relations internationales,
la géopolitique et par voie de conséquence, la guerre et la paix. Ce texte est donc bien le
résultat d’une progressive sédimentation de connaissances, de discussions et d’une réflexion
à visée professionnelle : donner des outils intellectuels pertinents pour aborder ces thèmes
avec nos élèves de l’enseignement secondaire. L’introduction d’un enseignement de
spécialité associant l’histoire, la géographie, la géopolitique et les sciences politiques dans
les nouveaux programmes des classes de Première et de Terminale nous incite à préciser, à
affiner et à éclairer les notions et les concepts.
Par ailleurs, ce texte s’inscrit également dans le cadre de la formation continue au sein
de l’Académie de Nice depuis plus de quinze ans. Initiées par l’Inspection pédagogique
régionale au cours de l’année scolaire 2003-04, sous la férule de Jean-Louis Reppert, la
géopolitique et les questions de défense ont été étudiées par le parcours de formation
« Territoires et enjeux du monde actuel » durant cinq années. A partir de l’année 2017-18,
anticipant l’intégration de la géopolitique dans les nouveaux programmes liés à la réforme
du baccalauréat, l’actuelle équipe de l’Inspection pédagogique régionale a réintégré les
problématiques de relations internationales au sein des préoccupations de formation continue.
Enfin, cette réflexion est aussi le reflet des mutations de la guerre et de la paix depuis
la fin de la Guerre froide et des évolutions scientifiques dans ce domaine d’étude, à l’échelle
française et internationale. Les war studies et les peace studies sont par essence
interdisciplinaires et ce texte tentera de présenter quelques idées-clés de ce renouvellement
intellectuel. D’un Dimanche de Bouvines (1973) par Georges Duby (1919-1996) à Une
histoire de la guerre du XIXe siècle à nos jours (2018) sous la direction de Bruno Cabanes
en passant par l’Anatomie de la bataille (1976) par John Keegan et le renouvellement
historiographique de la Première Guerre mondiale initiée par Stéphane Audoin-Rouzeau et
Annette Becker ne sont que quelques exemples de ces mutations dans le domaine des études historiques. Longtemps analysée sous l’angle de l’histoire bataille, la guerre est devenue un
objet d’étude considéré comme un fait social total et donc aussi culturel. Le terme même de
« guerre » se confond progressivement avec la notion de « conflictualité » et ne doit jamais
être dissociée de la paix, autre notion cardinale. « Car faire la guerre n’a de sens qu’en
fonction de la paix à venir. » [Durieux, Jeangène Vilmer & Ramel, Dictionnaire de la guerre
et de la paix, 2017]
2
Ce texte se veut donc être une aide scientifique à dimensions pédagogiques
Il a été conçu pour tenter de donner des outils efficaces face à trois difficultés majeures de la
compréhension du monde dans lequel nous vivons, liées entre elles, qui ont évidemment une
incidence sur notre enseignement :
• Première difficulté : percevoir la réalité du monde et en établir les grandes lignes
directrices. Elle est liée à celle de s’extraire de la complexité du monde dont nous
sommes une partie intégrante tant historiquement que géographiquement. Nous ne
sommes d’abord que des fils de nos pères et de notre temps, or la vérité, elle, est fille
du Temps. Doit-on pour autant acquiescer à la pensée de Boris Pasternak (1890-1960)
- « Personne ne fait l’histoire ; on ne la voit pas, pas plus qu’on ne voit l’herbe
pousser. » - et donc renoncer à toute explication historique et géographique ? La
réponse est évidemment négative ! Le recours à la philosophie ou, tout du moins, à
un constant aller-retour entre la philosophie et les sciences humaines que nous
maîtrisons est peut-être la solution. L’historien de l’Antiquité tardive, Lucien
Jerphagnon (1921-2011), a démontré dans toute son œuvre ce souci de mêler les deux
disciplines – philosophie et histoire – et son intérêt. Personne mieux que lui n’a
exprimé la richesse et la complémentarité de ces deux champs du savoir :
« L’historien a un effet positif sur le philosophe, qui trop souvent ne respire que des
concepts, et le philosophe incite l’historien à aller au-delà des batailles ou du prix
du blé pour se balader dans l’air d’une époque. » La philosophie, par sa capacité à
s’extraire de la contingence et à atteindre l’essence même d’un phénomène ou d’un
processus, permet de l’appréhender dans sa globalité.
• Seconde difficulté : tout effort de conceptualisation est difficile par la nature même
du domaine étudié en raison du poids de la contingence - l’histoire humaine est
constituée, par nature, de faits uniques et singuliers qui ne se renouvellent pas – et de
la complexité du réel à tous les plans : politique, social, économique, culturel,
géographique. Les événements - faits considérés comme plus ou moins importants,
uniques et singuliers, résultats de l’intervention d’un ou de plusieurs acteurs à un
moment précis dans un espace donné - ne se répètent pas, quoi qu’en disent certains
commentateurs. Ce caractère irréversible des événements est capital car il pose une
question essentielle à l’analyste : comment peut-on faire si l’histoire n’est pas
réversible et n’est pas réductible à un ordre ?
• Troisième difficulté : atteindre la globalité suppose le dépassement de la singularité
des événements et impose nécessairement des réductions et donc des simplifications
voire même des déformations d’une réalité constamment changeante. C’est tout
l’enjeu de la pédagogie.
3
Pourquoi une réflexion sur la guerre et la paix dans nos programmes d’enseignement ?
• Antériorité de la question sous des formes variées : les deux guerres mondiales, la
Guerre froide, la guerre au XXe s….
• Nouveauté : de la « révolution clausewitzienne » aux guerres interétatiques et aux
conflits « asymétriques »
➔ Autant une analyse multiséculaire (depuis le XVIIIe s.) qu’une réflexion
entre théorie et étude de situations historiques et géopolitiques concrètes et
récentes.
Que dit le programme de l’enseignement de spécialité « Histoire-géographie, géopolitique
et sciences politiques » dans le thème 2 ?
Analyse de l’occurrence des notions :
- Guerre : 10 fois
- Conflit : 10 fois
- Affrontement armé : 1 fois
- Paix : 8 fois
4
I REFLEXION SUR LE SENS DES MOTS OU COMMENT LES DIFFERENCIER ET
BIEN LES UTILISER ?
• Guerre : du francique werra « désordre » et « querelle » qui a remplacé
progressivement le latin bellum
o Lutte armée entre groupes sociaux, particulièrement entre Etats, et considérée
comme un phénomène historique et social
o Le chevalier de Jaucourt (1704-1780), un des principaux rédacteurs de
l’Encyclopédie, définit la guerre comme un « différend entre les souverains qui est vidé par la voie des armes. »
o « La guerre n’est rien d’autre qu’un duel à une plus vaste échelle. […] La guerre
est donc un acte de violence destinée à contraindre l’adversaire à exécuter notre
volonté. » Carl von Clausewitz (1780-1831), De la guerre.
La révolution clausewitzienne
Qui est Carl von Clausewitz (1780-1831) ?
Né en 1780, dans une famille d’origine modeste, il commence très jeune à servir dans l’armée
et participe à la campagne du Rhin en 1793-94. Par un travail assidu, il intègre l’Académie
militaire de Berlin en 1801, dirigée par Scharnhorst, qui deviendra son mentor et protecteur.
Pendant la campagne de 1806, il sert en tant que capitaine et aide de camp du prince Auguste
de Prusse. Mais il est capturé lors de la bataille d’Auerstedt et passe sa captivité en France et
en Suisse. A son retour, il devient l’adjoint de Scharnhorst en 1809 et participe à la réforme
de l’armée prussienne. Un an plus tard, il est en charge de la formation militaire du prince
héritier de Prusse, le futur Guillaume Ier. Après un passage dans l’armée russe, par refus de
collaborer avec Napoléon Ier, il réintègre l’armée prussienne à des postes opérationnels et
devient directeur administratif de l’Académie militaire de Berlin de 1818 à 1830, période
pendant laquelle il rédige son ouvrage De la guerre, publié entre 1832 et 1837, par sa veuve.
Comment se présente De la guerre ?
Huit livres répartis en trois parties. Le livre I, où il présente les définitions essentielles, est le
seul que Clausewitz considérait comme achevé.
Quel est son objectif ?
La recherche de la connaissance exacte de la guerre et la construction d’une théorie de la
guerre par une confrontation avec l’expérience. Dans son introduction de 1816-17, il écrit :
« il ne faut pas trop laisser croître les feuilles et les fleurs théoriques des arts pratiques, mais
les approcher de l’expérience qui est leur terrain naturel ».
Qu’écrit-il de si révolutionnaire ?
« La guerre n’est rien d’autre qu’un duel à une plus vaste échelle. […] La guerre est donc
un acte de violence destinée à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. […] La
violence, c'est-à-dire la violence physique […] est donc le moyen : la fin est d’imposer notre
volonté à l’ennemi. […]
Nous répétons donc notre déclaration : la guerre est un acte de violence et il n’y a pas de
limite à la manifestation de cette violence. Chacun des adversaires fait la loi de l’autre, d’où
résulte une action réciproque qui, en tant que concept, doit aller aux extrêmes. […]
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Nous voyons donc que la guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable
instrument politique, une poursuite des relations politiques, une réalisation de celles-ci par
d’autres moyens. […]
La guerre n’est donc pas seulement un véritable caméléon qui modifie quelque peu sa nature
dans chaque cas concret, mais elle est aussi, […], une étonnante trinité où l’on retrouve
d’abord la violence originelle de son élément, la haine et l’animosité, qu’il faut considérer
comme une impulsion naturelle aveugle, puis un jeu des probabilités et du hasard qui font
d’elle une libre activité de l’âme, et sa nature subordonnée d’instrument du politique, par
laquelle elle appartient à l’entendement pur. »
Première partie, Livre I La nature de la guerre, Chapitre 1 Qu’est-ce que la guerre ?
D’où trois axes fondamentaux
• La guerre est un « duel à grande échelle » opposant deux entités se reconnaissant
comme ennemies
• La guerre est un instrument du et au service du politique
• La guerre est « un véritable caméléon qui modifie quelque peu sa nature dans chaque
cas concret »
➔ Recoupement et combinaison des définitions
➔ Selon Clausewitz, on ne peut penser la guerre en elle-même, mais uniquement dans sa
relation avec un tout qui l’englobe.
➔ Cela aboutit à l’« une étonnante trinité » que les spécialistes appellent aussi la Formule :
Violence originelle, haine et animosité
→ concerne le peuple
Jeu des probabilités et du hasard
→ concerne le commandant et son armée
Nature subordonnée d’instrument de la
politique
→ concerne le gouvernement
➔ L’analyse clausewitzienne : une tentative de penser la guerre dans sa totalité
➔ Une théorie générale de l’action raisonnable en milieu incertain.
➔ La guerre peut exercer certaines fonctions :
- Instrument dans la compétition interétatique : moyen ultime pour surmonter
un conflit entre les Etats → à l’image de l’inscription de la formule Ultima
ratio regum (« dernier argument des rois ») sur les canons par Louis XIV.
- Moyen de réévaluation ou de redistribution de la puissance des Etats
- Moyen de redessiner les territoires
- Moyen de construction des Etats : « L’Etat fait la guerre. La guerre fait
l’Etat. » selon l’expression du sociologue Charles Tilly (1929-2008)
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• Conflit : du latin conflictus, de con (« ensemble ») et fligere « heurter », « frapper »
o Contestation pouvant aller jusqu’à un combat au sens d’affrontement physique
entre 2 ou plusieurs personnes
o « Situation relationnelle structurée autour d’un antagonisme » Amaël
Cattaruzza (1978-…), la reprenant des spécialistes de psychologie Dominique
Picard et Marc Edmond [Cattaruzza & Sintès, Géographie des conflits, 2011]
Antagonisme dû à un ensemble de causes :
▪ Présence de forces opposées → rapport de force
▪ Intimité : importance des affects ▪ Désaccord
▪ Rivalité : concurrence vis-à-vis d’un but commun
• Affrontement : du latin frons, frontis, action d’aller vers le front, vers l’adversaire
➔ Quelle est la différence de sens et donc d’utilisation des mots ?
• Sens identique ? « Conflit » : euphémisme du terme « guerre » dans le langage courant
• En réalité, des différences :
o Affrontement : dimension violente et plutôt à grande échelle (= tactique)
o Guerre : depuis la Seconde Guerre mondiale, avec les Conventions de Genève –
les 4 de 1949 et les protocoles additionnels de 1977 et 2005 – qui protègent
certaines catégories d’êtres humains, c’est une notion juridique encadrée et à
dimension militaire
o Conflit : « différend entre des acteurs égaux ou inégaux et à toutes les échelles »
(Béatrice Giblin, 1947-…) [Giblin, Géographie des conflits, 2012]
➔ Sens englobant du terme « conflit » : toutes les guerres sont des conflits, mais
tous les conflits ne sont pas des guerres. L’affrontement violent peut être une des
dimensions du conflit, mais il n’en est pas la seule.
➔ Moyen de différencier « conflit » et « guerre » : la violence
o Du latin violentia, elle-même de vis, la « force », elle se caractérise par
l’emploi de la force physique et est un moyen de coercition pour forcer
un destinataire, individuel ou collectif, à se plier à la volonté d’un
destinateur.
o La violence est indissociable de la relation entre « acteur agissant » et
« acteur cible »
➔ Les conflits sont des phénomènes…
- Multi-causaux : politique, économique, militaire…
- Multiscalaires : échelles variées où l’espace est un milieu, un théâtre et un enjeu
- Multidimensionnels
- Multisociaux
- Pluri-temporels : temps à court, moyen et long terme
➔ Un conflit peut être analysé comme la composante de 3 éléments : des acteurs,
des territoires et des temporalités
7
Le conflit : interaction entre 3 composantes
➔ Le conflit est le résultat des « politique(s) du conflit », pour reprendre le titre de
l’ouvrage [2008, 2015] de Charles Tilly et Sidney Tarrow (1938-…), conséquences
des interactions entre 3 éléments :
- Le conflit implique un acteur qui a une revendication portant atteinte aux intérêts
d’un autre / d’une communauté
- L’action collective suppose la coordination des efforts au nom d’intérêts ou de
programmes partagés
- La politique : intervention de l’Etat comme acteur direct ou en tant que cadre,
médiateur ou arbitre
➔ Il n’y a donc pas de conflits « naturels » ni de paix « naturelles »
qui seraient le résultat d’un enchaînement de cause à effet de facteurs
(tout comme il n’y a pas de frontières « naturelles ») [Cattaruzza &
Sintès, 2011]
ACTEURS
TERRITOIRES
CONFLIT
TEMPORALITÉS
CONFLIT
POLITIQUEACTION
COLLECTIVE
8
➔ A contrario, comment définir la paix ? Paul Valéry (1871-1945), au lendemain de
ce qui n’était encore que la Grande guerre, fait une analyse lucide de la situation
mondiale dans un texte, intitulé La crise de l’esprit et resté célèbre par sa phrase
d’accroche : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes
mortelles. »
A la fin de cette première lettre, convoquant Hamlet, il livre une définition simple, mais
extrêmement juste de la paix et de la guerre :
« Maintenant, sur une immense terrasse d’Elsinore, qui va de Bâle à Cologne,
qui touche aux sables de Nieuport, aux marais de la Somme, aux craies de
Champagne, aux granits d’Alsace, — l’Hamlet européen regarde des millions
de spectres. […] Hamlet ne sait trop que faire de tous ces crânes. Mais s’il les
abandonne !… Va-t-il cesser d’être lui-même ? Son esprit affreusement
clairvoyant contemple le passage de la guerre à la paix. Ce passage est plus
obscur, plus dangereux que le passage de la paix à la guerre ; tous les peuples
en sont troublés. « Et moi, se dit-il, moi, l’intellect européen, que vais-je devenir
?… Et qu’est-ce que la paix ? La paix est, peut-être, l’état de choses dans lequel
l’hostilité naturelle des hommes entre eux se manifeste par des créations, au lieu
de se traduire par des destructions comme fait la guerre. C’est le temps d’une
concurrence créatrice, et de la lutte des productions. »
➔ La guerre : la destruction
➔ La paix : la création
➔ La paix peut-elle être pour autant considérée comme un état d’absence de
guerre et / ou de conflit entre les différents acteurs d’une société, nationale ou
internationale ?
• De plus en plus d’auteurs, reprenant à leur compte les intuitions d’auteurs
comme le philosophe et historien Lewis Mumford (1895-1990), le romancier
George Orwell (1903-1950) - avec son 1984 où le ministère de l’Information
affirme que « la guerre, c’est la paix » - ou le penseur Raymond Aron (1905-
1983), n’opèrent plus de séparation nette entre la guerre et la paix.
➢ La citation célèbre de Raymond Aron dans son ouvrage Le grand
schisme, en 1948, n’est-elle pas : « L’absence de paix n’est pas
la guerre. (…) La paix est impossible, mais la guerre est
provisoirement improbable. » ?
• En ce sens, il y aurait une continuité entre la Guerre froide et la période post-
1989-91 sous la forme d’un paradoxe :
o Eloignement de la violence du monde occidental : la dernière déclaration
de guerre de la France date de septembre 1939
o Omniprésence de la violence sur nos écrans ou dans le discours (le
meilleur exemple est celui du président Emmanuel Macron du 16 mars
2020 annonçant le confinement, sans prononcer le mot, mais en
employant à 6 reprises le terme de « guerre » !), mais aussi dans la
réalité :
▪ Depuis les années 1960, la France a participé à une 30aine
d’opérations militaires dans ses anciennes colonies africaines
▪ Depuis 25 ans, elle a envoyé, « en chiffres cumulés, 600 000
hommes – l’équivalent de la Grande Armée » [Malis, Guerre et
stratégie au XXIe siècle, 2014]
➔ Entre banalisation et sidération
9
• Ainsi « sommes-nous en train de vivre une disparition de la violence guerrière,
ou au contraire un phénomène d’invisibilisation voire de normalisation de celle-
ci, ou enfin un moment de confusion qui ne nous permet pas de trancher la
question ? » [Pélopidas & Ramel, Guerres et conflits armés au XXIe s., 2018]
➔ La guerre et la paix ne sont pas tant une opposition qu’un processus dont les
temporalités peuvent se chevaucher : pendant la guerre, certains acteurs cherchent ou
établissent des projets de paix et inversement. « Cela impose une réflexion sur ce qu’est
la guerre et l’impact qu’elle a sur la paix actuelle et à venir comme de s’interroger sur la façon dont la paix engendre la guerre. » [Durieux, Jeangène Vilmer & Ramel,
Dictionnaire de la guerre et de la paix, 2017]
Guerre et paix : un processus
➔ Doit-on pour autant acquiescer à la réflexion du philosophe Leo Strauss (1899-
1973) ? « Le progrès perpétuel vers la paix perpétuelle, c’est la guerre perpétuelle. »
➔ La guerre est indissociable de la paix : il faut gagner les guerres, mais
encore plus, conquérir la paix !
La violence, en tant que composante des conflits, est une dimension centrale du
programme → Analyse de plusieurs formes de violence politique :
• La « révolution clausewitzienne » et des mutations de la guerre de 7 ans aux guerres
napoléoniennes
• Le terrorisme
• Les 2 guerres du Golfe, d’une guerre interétatique à un conflit asymétrique
CRISE : détonnateur et rupture d'un équilibre
CONFLIT : état de déséquilibre et
recherche d'une solution
PAIX : solution la moins injuste possible pour
tous et nouvel équilibre
10
II PROPOSITION DE PROBLEMATIQUES
Problématique générale
Problématique Elèves
• Dans quelle mesure Carl von Clausewitz
révolutionne-t-il la conception de la
guerre au début du XIXe s. ?
• Dans quelle mesure, la guerre est-elle « un
véritable caméléon » (Carl von
Clausewitz) et change-t-elle en fonction
des situations historiques et
géopolitiques ?
• Pour reprendre l’« étonnante trinité »
clausewitzienne, dans quelle mesure, la
guerre, et de manière plus globale les
conflits, sont-ils le résultat de « la
violence originelle […], le jeu des
probabilités et du hasard […], et sa
nature subordonnée d’instrument de la
politique » ?
• A la suite des nouvelles réflexions
polémologiques depuis les années 1990,
assiste-on à un renouvellement voire à une
refondation de la guerre et de la
conflictualité au point de voir leur nature
changer ?
• Dans quelle mesure le terrorisme n’est pas
une guerre ?
• Au-delà de la multiplicité des formes de
conflit, peut-on tenter une typologie de la
violence organisée ?
• Entre les traités et la sécurité collective,
dans quelle mesure la paix s’est-elle
adaptée à la configuration internationale ?
• Dans quelle mesure, la guerre menée et
gagnée permet-elle une paix solide et
durable ?
Axe 1 : La dimension politique de la
guerre : des conflits interétatiques aux
enjeux transnationaux
• Dans quelle mesure les guerres de la
seconde moitié du XVIIIe s. à 1815
contribuent-elles à l’émergence d’une
nouvelle conception de la guerre ?
• En quoi le terrorisme, forme de
« guerre irrégulière », n’est-il pas une
guerre ?
Axe 2 : Le défi de la construction de la paix
• Quelles sont les différentes modalités
de la construction de la paix depuis le milieu du XVIIe s. ?
• Entre les traités et la sécurité collective,
dans quelle mesure la paix s’est-elle
adaptée à la configuration
internationale ?
Objet de travail conclusif : Le Moyen-
Orient : conflits régionaux et tentatives de
pais impliquant des acteurs internationaux
(étatiques et non étatiques)
• Dans quelle mesure le Moyen-Orient,
foyer de tensions majeures, régionales,
mais également aux implications
mondiales, a-t-il été le théâtre des
transformations de la guerre aux XXe
et XXIe s. mais aussi le laboratoire de
paix difficiles ?
• Dans quelle mesure les deux guerres du
Golfe (1990-91 et 2003-11) sont-elles
l’illustration du passage d’une guerre
entre Etats, relativement
dissymétrique, à une guerre
asymétrique ?
11
III LA GUERRE ET LA PAIX AU PRISME DE L’HISTOIRE, DE LA GEOGRAPHIE,
DE LA GEOPOLITIQUE ET DES SCIENCES POLITIQUES
A « LES PERIODES DE PAIX SONT LES PAGES BLANCHES DE L’HISTOIRE. » G.
W. F. HEGEL (1770-1831)
1. La guerre engendre une inversion du fondement de nos sociétés humaines a. La guerre est par essence le moment où peut s’exprimer l’acte humain le plus
irrationnel… : consentir à perdre la vie pour un intérêt supérieur
➔ D’où cette question fondamentale : y a-t-il des valeurs supérieures à
la vie ?
b. …et en même temps, le seul moment où l’acte de donner la mort n’est pas puni
par la Loi, mais tout au contraire, est autorisé et même …encouragé !
• On a bien une inversion des valeurs de nos sociétés. Hérodote (480-
425) le disait déjà : « Nul homme sensé ne peut préférer la guerre à la
paix puisque, à la guerre, ce sont les pères qui enterrent leurs fils alors
que, en temps de paix, ce sont les fils qui enterrent leurs pères. »
• …ou au contraire, dans la lignée de penseurs de Thomas Hobbes
(1588-1679) à René Girard (1923-2015) en passant par Henri Bergson
(1859-1941), l’inversion n’existe pas dans la mesure où la nature de
l’Homme est violente. D’ailleurs, pour Thomas Hobbes, les hommes
sont uniquement égaux parce qu’ils ont la possibilité, au-delà de leurs
différences, de donner la mort à l’autre.
➔ Face à un tel phénomène, les historiens du XXème siècle ont eu parfois
des difficultés à l’appréhender pour un ensemble de raisons.
2. En effet, la guerre est un acte de violence qui mobilise toutes les énergies humaines
et qui échapperait à la rationalité politique dans la mesure où…
a. La guerre est l’expression même des passions humaines…
b. …et est par excellence…
• « le domaine du hasard. » Carl von Clausewitz
• L’« irruption désordonnée du contingent » Jean-Pierre Azéma (1937-
…) [dans le chapitre consacré à la guerre in Rémond, Pour une
histoire politique, 1988 ]
c. …et donc : « Les hommes font l’histoire, mais ils ne savent pas toujours
l’histoire qu’ils font. » Raymond Aron. Et, en effet, par exemple, la Première
Guerre mondiale ne s’est pas déroulée comme les contemporains la
prévoyaient :
• On pensait que la guerre serait courte…
• Les marxistes pensaient que la guerre n’aurait pas lieu car le
capitalisme préfère la paix…
• Les Allemands pensaient que le R-U ne leur ferait jamais la guerre…
• Certains chefs militaires n’accordaient aucun crédit aux armes
nouvelles : Foch par exemple face à l’aviation …
➔ En réalité, la guerre n’est, pas plus que les autres domaines de l’activité
humaine, le théâtre mouvant de l’explosion des passions humaines ou de
l’irrationalité. C’est l’essence et la richesse même de toute l’Histoire !
12
➔ Importance du poids des représentations : perceptions ou manières de
concevoir le monde dans lequel un être humain vit. Elles peuvent être fondées
sur…
- Des arguments rationnels : présence de ressources, d’un accès à la mer…
- Des arguments irrationnels ou qui paraissent l’être pour d’autres mais qui
répondent à une certaine rationalité : par ex., la justification israélienne de
l’annexion de certains territoires de Cisjordanie au nom de la religion
- Des arguments faux
➔ Les représentations ont « une formidable capacité mobilisatrice »
[Giblin, 2012]
B « QUE PEUT L’HISTOIRE […] ? ENTENDEZ A LA FOIS CE QUI LUI EST
POSSIBLE ET CE QU’ELLE EST EN PUISSANCE » PATRICK BOUCHERON (1965-
…), Leçon inaugurale du Collège de France, 2016
1. Des liens forts entre histoire et guerres / conflits
a. L’histoire est marquée par les conflits
b. L’histoire bouleverse la réflexion sur la guerre et réciproquement, certains
conflits engendrent des mutations de l’histoire humaine et du sens que l’Homme
donne à son existence, individuelle et collective : en ce sens, 3 événements de la
période contemporaine ont marqué à la fois l’histoire et la réflexion sur la guerre
et la paix :
• La Révolution française et ses guerres avec la participation massive du
peuple
• Les deux guerres mondiales et l’ampleur du massacre : la
« brutalisation » des sociétés, mais aussi le déclin de l’Europe.
→ En ce sens, le fameux texte de Paul Valéry résonne à nouveau
par sa prémonition : « L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en
réalité, c’est-à-dire un petit cap du continent asiatique ? Ou bien
l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c’est-à-dire : la partie
précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau
d’un vaste corps ? »
• L’irruption du nucléaire en 1945 : la dissuasion, arme de non-guerre.
→ « Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation
mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie.
Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre
le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes
scientifiques. » Albert Camus (1913-1960), éditorial du journal
Combat le 8 août 1945
13
2. Ce que nous apprend une réflexion sur les rapports entre conflictualité et histoire
en cette fin du XXe s. et début du XXIe s.
GUERRE FROIDE
MONDE POST-GUERRE FROIDE
Monde bipolaire et bipolarisé
(potentialités de confrontation), égal et
hiérarchisé
• Bipolarité ➔ principe clair de
régulation internationale : ami-
ennemi
• Egalité entre les 2 Grands
• Hiérarchie d’intérêts entre ceux
des Grands et ceux des alliés (ex. :
crise de Suez)
- Fait nucléaire et son caractère
original : la capacité de destruction
inédite ne permet ni victoire ni
défaite d’ordre militaire ➔
nécessité de choisir un des 2 camps
- Idéologie structurante dont des
« excroissances » sont implantées
dans le camp adverse (PC dans le
monde occidental surtout)
➔ Alliance par nécessité et au nom de
valeurs
➔ Conflictualité en périphérie
D’un monde unipolaire à un monde
multipolaire inégal et hiérarchisé
• Hégémonie impuissante des Etats-
Unis : trop d’écart de puissance rend
inopérante la puissance ➔ recours
au terrorisme et aux guerres
asymétriques
➔ Echecs successifs des E-U
depuis le milieu des années 1990 :
Somalie, Irak, Afghanistan…
• Conflictualité globalisée et
affrontement permanent qui
échappe aux grandes puissances ➔
Guerres sans fin
➔ Instabilité hégémonique
• Développement de nouvelles
puissances
La révolution des communications est
supérieure au fait nucléaire :
- Elle est plus globale
- Mutation de l’effet « distance » par
le découplage entre la distance
géographique et la distance
temporelle
- Doublement des relations
internationales classiques
(interétatiques) par des relations
« inter-sociales » (Bertrand Badie,
1950-…) [Badie, 2016] ➔
« socialisation » des enjeux
mondiaux
➔ Réduction des menaces aux frontières,
mais absence de frontières à nos
menaces : la vraie énigme, soulignée par
le terrorisme, est bien l’identification de
nos ennemis.
➔ Vers une mutation du monde
westphalien ?
14
C LA GEOGRAPHIE, ÇA SERT, D’ABORD, A FAIRE LA GUERRE (1976), YVES
LACOSTE (1929-…)
1. La guerre et la paix peuvent être analysées selon une méthode (articulation d’une
triple analyse) …
a. Analyse diatopique : mise en œuvre d’un raisonnement géographique à
différentes échelles et « en repérant les intersections des multiples ensembles
spatiaux » [Lacoste, 2003 ; Giblin, 2012]
b. Analyse diachronique : « raisonnement historique intégrant les différents temps
de l’histoire et du présent grâce auxquels il est possible de reconstruire la
chaîne des causalités. » [Giblin, 2012]
c. Analyse comparative de manière à faire apparaître la singularité de chaque
situation
➔ Analyse de la multiplicité des facteurs, de la complexité des
rapports de force, des enjeux et des représentations qui sous-tendent
les actions humaines.
2. …l’utilisation de 4 modèles…
Source : Durand, Lévy, Retaillé, Le Monde. Espaces et systèmes, Paris, FNSP & Dalloz, 1993, p. 22
15
En 1993, dans Le Monde. Espaces et systèmes, une équipe innovante de géographes,
enseignant notamment à l’IEP de Paris [Durand, Lévy & Retaillé], proposait « quatre
grands modèles qui correspondent à quatre manières dont les groupes humains des
différents lieux entrent en relations entre eux. » Ces modèles se voulaient « une tentative
de penser la complexité du monde actuel. »
a. « Le monde comme ensemble de mondes » : l’ensemble des éléments culturels
qui empêchent la communication ou la compréhension entre les groupes
humains et où peuvent se nicher des formes d’agressivité.
b. « Le monde comme champ de forces » : un ensemble d’Etats qui ont des relations
politiques, celles-ci pouvant être des rapports de force.
c. « Le monde comme réseau hiérarchisé » qui s’applique à l’économie-monde
« où l’enjeu est, non d’occuper des aires, mais d’activer des points (des
« sommet ») et des lignes (des « arêtes ») – ou d’en créer de nouveaux. »
d. « Le monde comme société, c’est au fond la combinaison réussie des trois autres
modèles : la communauté culturelle, l’identité politique, l’intégration
économique, structurées à l’échelle mondiale et effaçant les distances. »
➔ Quinze ans plus tard, en 2008, sous la direction de Jacques Lévy (1952-…), une
nouvelle équipe de géographes approfondissait la réflexion dans L’invention du monde.
Une géographie de la mondialisation et nous livrait, dans une troisième partie intitulée
« Géographie thématique. Les dimensions de la société-Monde », une actualisation des
4 modèles géographiques établis au lendemain de la fin de la Guerre froide.
➔ Force est de constater que cette grille d’analyse a gardé sa pertinence dans le
cadre de l’étude des conflits : de manière indépendante mais aussi conjuguée, et
cela, à toutes les échelles.
➔ Car en effet, en l’espace d’un quart de siècle, la mondialisation a renforcé
certaines dynamiques qui rendent les outils de la géographie – et donc de la
géopolitique – indispensables : à l’heure de la dialectique et de l’articulation
entre les territoires et les réseaux, il s’agit d’analyser et d’expliquer les
formes renouvelées, partiellement ou en profondeur, de la conflictualité.
3. …ou une grille d’analyse « ATC » [Cattaruzza & Sintès, 2011]
ACTEURS TERRITOIRES CONFLIT
Nature Etat, individu,
organisation, groupe
armé…
Politique
Economique
Socio-culturel et / ou
« identitaire »
Politique, économique,
symbolique…
Statut Agresseur, victime,
défenseur, médiateur,
combattant ou non…
Espace-cadre
Espace-enjeu
Espace-théâtre
Conflit ouvert ou latent
Conflit armé ou non
Conflit de faible ou forte
intensité Conflit symétrique ou
non
Echelle Echelle(s) varié(e)s Approche
multiscalaire
Approche multiscalaire
Représentation Représentations
permettant aux
acteurs de légitimer
leurs actions
Représentations
territoriales des
acteurs
Idem
16
D MARS OU LA GUERRE JUGEE (1921) (ALAIN, 1868-1951) OU UNE TENTATIVE
DE MISE EN PERSPECTIVE
1. Les mutations de Mars (fin XXe s. – début XXIe s.)
a. « L’impuissance de la puissance » [Badie, 2004]
• La guerre n’est plus tant le résultat de la compétition des puissances que
de la faiblesse et de la décomposition de certains Etats (Afghanistan,
Irak, Syrie, Libye, Mali…) [thèse de l’anthropologue Arjun Appaduraï,
Géographie de la colère, 2009] ➔ Caractère « feuilleté » de la guerre en raison de rationalités
superposées
• Limites de la puissance militaire classique au profit du plus faible : celui-
ci a la capacité d’obliger les forts à être réactifs et d’imposer des
processus non désirés (dans nos démocraties : impératif de sécurité >
liberté)
➔ Force des réseaux terroristes
b. Extension mondiale et éclatement des théâtres d’opération
• Disparition progressive d’un théâtre d’opérations unifié…
• …au profit de connexions entre des champs de bataille éloignés et
parfois différents
Un théâtre de conflits éclatés et connectés
c. Militarisation du maintien de l’ordre à l’échelle mondiale
Nouvel interventionnisme militaire : de moins en moins une guerre
conventionnelle et de plus en plus une police globale → Or le maintien de
l’ordre est différent de la guerre !
• Absence de déclarations de guerre
• Absence de mobilisation totale des armées
• Raids ciblés (drones)
➔ Succès…ponctuels
➔ D’où la permanence de conflits à l’échelle mondiale
➔ Avènement d’une myriade de « désordres
ordonnés » [Badie, 2016]
➔ « Guerres sans fin » [Joxe, 2012]
Attentats
New York
et W. dc,
2001
Attentats
Paris,
2015
MOYEN-
ORIENT
Territoires
« radicalisés »
d’Europe
17
d. Désétatisation de la guerre
• Professionnalisation des armées, voire même, privatisation par le
mercenariat : pendant la 2e guerre du Golfe, les mercenaires au service
des E-U étaient 180 000 pour 130 000 soldats états-uniens
➔ Diminution de la participation populaire aux pratiques
guerrières
• Multiplication et montée en puissance de nouveaux acteurs non étatiques
(groupes criminels, réseaux terroristes…) ➔ rationalité différente : plus
récalcitrante aux négociations
• Incapacité de certains Etats à assurer leur « monopole de la contrainte
physique légitime sur un territoire donné » (Max Weber, 1864-1920), en
l’occurrence le leur !
➔ Augmentation des guerres intraétatiques
e. La « révolution dans les affaires militaires » (RAM, mise au point et popularisée
par Andrew Marshall et Andrew Krepinevich), entre numérisation et
robotisation
• Numérisation et mise en réseau des théâtres d’opération, aux différentes
échelles, de la locale à la mondiale
• Robotisation : le drone en est l’illustration la plus emblématique et
connue
➔ Cette révolution est mue par une triple mutation :
o Les progrès technologiques et scientifiques : révolution
électronique ➔ informatique ➔ numérique
o Les impératifs stratégiques : endurance et capacité de projection
du matériel
o Les mutations liées à la place de la guerre dans les sociétés - la
guerre n’est plus une source de prestige, mais de drame – et celles
liées à notre rapport à la mort, et plus particulièrement la mort sur
RAM
Impératifs stratégiques
Progrès technologiques et
scientifiques
Mutations liées à la place de la
guerre dans les sociétés et au
rapport à la mort
18
le champ de bataille, et au poids de la médiatisation : une plus
grande sensibilité et donc une fragilisation des sociétés
occidentales
▪ Verdun (1916) : 300 000 morts Français et Allemands
▪ Attentat du QG Drakkar à Beyrouth (Liban, 1983) : 58
morts ➔ réaction vive
▪ Embuscade de la vallée d’Uzbin (Afghanistan, 2008) : 10
morts ➔ émotion et contestation jusque dans les
médias nationaux : des familles de militaires tués vont
même jusqu’à porter plainte contre l’Etat !
➔ Comment faire usage de la force tout en gérant les
opinions publiques ?
➔ Réponses : mercenariat et robotisation
f. Vers de « nouvelles guerres » et des « sociétés guerrières » ?
• Une double rupture…
o Menace nucléaire ➔ guerre réduite en Occident (« centres ») (cf.
la pensée classique de Raymond Aron)
o ➔ Déplacement vers le reste du monde (« périphéries ») : Etats
en voie de décolonisation puis Etats décolonisés
➔ Première fois que l’Europe n’est plus « le » champ
de bataille du monde !
• …qui a des implications capitales
o Etats fragiles : manque de légitimité, de moyens de coercition, de
ressources financières, de solidité sociale…
o Développement d’acteurs non étatiques
o Internationalisation plus rapide des conflits du fait de la fragilité
des Etats
➔ « Alors qu’elle était, en Europe, un prolongement de l’action
politique, elle [la guerre] apparaît ici comme le résultat d’un fort
déficit de politique. […] Contrairement au schéma clausewitzien,
ce sont donc ces pathologies sociales qui mènent le jeu. » [Badie,
2014]
➔ Retournement d’un des préceptes clausewitziens
➔ Disparition progressive de la bataille et de son
utilité stratégique au profit d’actions asymétriques.
➔ Vers un changement de nature de la guerre ?
• L’émergence de « sociétés guerrières »
o Violence couvrant tous les aspects de la vie sociale
o Violence s’inscrivant dans la durée
▪ RDC : depuis 55 ans
▪ Afghanistan : depuis 40 ans
▪ Somalie : depuis 30 ans
o Violence s’internationalisant
➔ « les nouvelles guerres fusionnent totalement le social et le
politique. […] , les nouvelles guerres se conçoivent comme modes
durables de consécration de l’inconciliable… » [Badie, 2014]
19
2. Une typologie d’Arès est-elle possible ?
Conflit interétatique Conflit intraétatique
Conflit conventionnel
- Intervention d’armées nationales
et régulières
- Violences seulement autorisées
par ces armées et encadrées par le
droit international
Conflit non conventionnel ou
« asymétrique »
- Acteurs non directement liés à
l’Etat
- Tactique : guérilla, terrorisme…
- Moyens utilisés : bombes
improvisées, otages…
- Cibles : pas de distinction entre
militaires et civils
Conflit local, régional, international
➔ En réalité, non pertinence de cette
typologie : les conflits ont tous un
caractère éminemment multiscalaire
Conflit de haute intensité Conflit de basse intensité
➔ En réalité, toute typologie est réductrice car l’humain n’est pas réductible à un
ordre fixe et déterminé par des critères, issus certes de l’analyse du réel, mais
forcément mouvant.
20
CONCLUSION
Pour reprendre la métaphore du général Vincent Desportes (1953-…) [Desportes, Le Débat,
mai-juin 2016], nous sommes passés du « paradigme napoléonien » à celui de la paix :
« Paradigme napoléonien »
« Paradigme de la paix »
- Centralité de la bataille
- Culte de l’offensive
- Destruction de l’ennemi
- Victoire intégrale
Dimensions culturelles, sociales,
économiques et politiques
Les travaux des géographes et des politologues, par le binôme « territoire-réseau » qui est
parfois aussi une opposition, nous livrent une clé d’analyse intéressante des conflits actuels.
L’anthropologue Arjun Appaduraï utilise une métaphore qui va dans leur sens : « la lutte entre
systèmes vertébrés et systèmes cellulaires » [Cattaruzza & Sintès, 2011]
• Systèmes vertébrés : systèmes étatiques, territorialisés et centralisés
• Systèmes cellulaires : systèmes fonctionnant en réseaux, mais dépourvus d’une gestion
verticale et coordonnée ➔ souplesse et capacité à se répliquer et à s’étendre.
La situation actuelle, marquée à la fois par la disparition de la guerre de notre quotidien et par
la banalisation de la conflictualité, nous incite à réfléchir à la guerre et à la paix, tel le Janus de
la mythologie romaine, dieu à deux faces, l’une tournée vers le passé, l’autre vers l’avenir :
« Cette impression d’impuissance analytique est renforcée par une dilution du fait guerrier et
une diminution des guerres interétatiques, accompagnée d’un renouvellement des
manifestations de violence et de l’omniprésence du spectacle de la guerre dans la vie
quotidienne du spectateur occidental, alors même que l’expérience de ladite guerre n’y fait
jamais irruption. Les statistiques semblent converger sur le fait que les causes de la mortalité
sont moins liées à des conflits armés qu’à une exposition à divers risques relevant de la sécurité
globale (économique, sociétale, sanitaire, alimentaire, etc.). De ce point de vue, il est clair que
les causes d’insécurité humaine sont aussi voire plus préoccupantes que celles qui tiennent à
la sécurité diplomatico-stratégique au sens classique du terme. Mais alors, de quelle
conflictualité s’agit-il ? Elle peut être d’origine étatique mais privilégie d’autres ressources
que des forces armées déployées sur un front identifié, comme en témoignent les forces
spéciales des Administrations Obama et Trump. Cette conflictualité tient à une incertitude qui
entoure aujourd’hui la définition même de guerre et à une confusion entre temps de guerre et
temps de paix, zone de guerre et zone de paix. […] Aujourd’hui, le recours aux drones (une des
formes de la robotisation), aux outils cybernétiques, ou encore à l’hybridation qui combine
moyens conventionnels et ressources de la guerre irrégulière (influence, guérilla, actions
terroristes) engendre plus qu’une transformation des manières de faire la guerre. Adoptés par
les États ou par des acteurs non étatiques, ces modes de combat favoriseraient une
dissémination du fait guerrier au cœur même du quotidien. La guerre se confondrait alors avec
la conflictualité dont les facteurs explicatifs s’éloigneraient des revendications politiques.
N’assisterait-on pas, dès lors, à une forme d’uberisation de la guerre ? [Pélopidas & Ramel,
Guerres et conflits armés au XXIe s., 2018]