Upload
haisuli
View
11
Download
0
Embed Size (px)
DESCRIPTION
French First World War Pictorial
Citation preview
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
1/318
?fABRIEL
hanotaux
de
l'Acadmie
Frajiaise
V*'
>
^ --t
{f
.vji*'
^^^
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
2/318
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
3/318
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
4/318
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
5/318
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
6/318
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
7/318
HISTOIRE
ILLUSTREE
DE
LA
GUERRE
DE
1914
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
8/318
Cofiy/righl bt/
Gabriel
Hanotaux
1915
Tous droits
de
reproduction,
de
traduction
et
d'adaptation
rservs
pour
tous
pays.
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
9/318
GABRIEL
HANOTAUX
de l'Acadmie
Franaise
HISTOIRE
ILLUSTREE
DE LA
DE
1914
TOME
PREMIER
GOUNOUILHOU,
EDITEUR
PARIS,
8,
BOULEVARD DES
Capucines.
BORDEAUX,
8,
ruk
de
Chkverus
19
15
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
10/318
D
fr&Jl
/.
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
11/318
LE CANON
FRANAIS
DK
75
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
12/318
Clich
MjhucI.
M.
RAYMOND
POINCAR
PRESIDENT
DE
LA
REPUBLIQUE
FRANAISE
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
13/318
HISTOIRE
ILLUSTREE
DE
LA
GUERRE DE
1914
AVANT-PROPOS
'entreprends d'crire l'his-
Jl
toire
du
conflit qui
clata
en
j
Europe,
l'anne
1914,
et qui
'
met
en
cause
peut-tre
l'avenir
de
l'humanit.
Quand
l'effort
de la culture
gnrale
et
l'adoucissement des murs
paraissaient,
surtout
depuis
un
demi
-sicle, se
diriger vers la
paix, ils
aboutirent,
en
fait,
une
lutte
presque
universelle.
Le sens
dans
lequel
la civilisa-
tion
croyait
voluer s'est dvi
et,
pour
ainsi
dire,
retourn. La vieille
humanit
ne
peut
dcid-
ment
liminer
le
facteur
guerre
de
son
progrs.
On
cherchera
dans
des incidents de dtail
plus
ou
moins
importants la
cause et les
ori-
gines
de cette
crise
terrible :
elles
tiennent
surtout
des
raisons
permanentes, qui
tou-
chent
l'essence
de la
nature
humaine.
Le
succs
produit
l'orgueil, et
l'orgueil
la
violence.
D'autre
part, la richesse
produit
la
corruption,
et
la
corruption
nerve les peuples. Par les
deux voies,
l'homme retourne la barbarie
originelle.
Seuls,
des
vnements
tragiques
peuvent le corriger
et
le
purifier.
Il
est aussi des causes plus nobles : car
l'homme
est
ptri
de
bien
et de mal.
Des
app-
tits violents
ont, en lui, pour contre-partie,
des
aspirations
leves.
L'homme,
tre
sociable, cherche
sans
cesse
tendre
son action par
la
socit
et sur
la
so-
cit,
en visant
la
fois
les
corps
et les mes.
Il
a
un
besoin
incessant
de conqute
et
de
propa-
gande:
il
veut commander
et
il veut
convaincre.
Quand
ces
deux
ambitions
s'opposent,
quand la force se
heurte
l'ide,
un
dbat
nat,
et ce
dbat
a pour
sanction,
le
recours
aux armes
:
Tu
ne
veux
pas obir
>-,
ou
Tu
ne veux pas
croire.,
tu
priras
-.
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
14/318
HISTOIRF.
ILLUSTREE
D
:
LA
GUERRE
DE
IQI4
Par contre,
quelle
admirable
rvolte
que
celle
de l'esprit de
libert
qui,
prcisment,
ne
veut
pas
prir
Les
indpendances
indivi-
duelles
et
nationales
barrent
la route
Vim-
prialistne
et
la
tyrannie;
la
parole
donne,
la foi,
l'honneur,
leur
sont des
obstacles,
des
digues, cent fois
rompues,
mais cent
fois
rtablies.
Le
droit
balance
la
lorce.
La
noblesse
de
l'humanit
s'affirme
dans
ces hroques conflits.
Elle
ne
progresse
(au
prix de
quelles souffrances
)
que parce
qu'elle
trouve en son sein
des Lonidas, des
Jeanne
d'Arc
et des
Lazare
Carnot
que rien n'inti-
mide et qui ne cdent
pas.
La
libert
du
monde
est faite
du
sang
des
martyrs,
des
martyrs-individus
et
des
martyrs
-nations.
La
grandeur
n'est
pas la
force
ni
la
puissance une garantie
de
dure.
L'empire
de
Charles- Quint
s'est croul; la
Pologne subsiste.
La
victoire
du
vaincu
est
peut-tre le secret sublime
de
l'histoire.
J'cris
ce
rcit
au
fur
et
mesure
que
la
guerre
se
droule :
il
y
a urgence,
en
effet,
ne
pas
laisser
l'histoire
se
faire en
dehors de
nous
et
peut-tre
contre nous. 11
importe
de
runir,
sans retard,
les
lments qui doivent
servir
former
l'opinion
du
monde.
C'est
tra-
vailler
la cause
du
vrai,
du
juste,
que
d'ta-
blir,
ds maintenant,
les
origines
de
la
guerre
actuelle, son
vritable
caractre,
la tournure
implacable qui lui
a
t donne
par la volont
de
ceux
qui
l'ont
dclare
et
qui
l'ont
commence
en
violant
la neutralit
belge, qui
ont ni
la
foi
jure et se
sont mis
en tat
de
rupture
voulue et
avoue
avec
les
engagements
internationaux
qui
protgeaient
la guerre
elle-
mme
contre
les excs
de
la
guerre.
Puisqu'il
est une
puissance
qui
a
considr
les
traits
comme
de simples
chiffons
de
papier
,
il
est
indispensable
de le
rpter
et
de
l'tablir
clairement.
Il
ne
faut
pas
que le
bruit
des
vnements
militaires
fasse
oublier
les
responsabilits
de
ceux
qui
les
ont
dcha-
ns et
qui
leur ont
imprim
un
caractre si
particulirement
inhumain.
Puisqu'une
lutte est
engage
qui
oppose
les
deux
tendances
contraires
de
notre
double
nature, le
gnie
du
mal et le gnie
du
bien;
puisqu'on rencontre, dans l'un
des
deux
camps,
la
volont de
dominer
le monde et
de
le
courber
sous
une
tyrannie
conomique et
politique
dont il
ne pourrait, de longtemps,
secouer
le
joug;
puisque
ce
parti
est
rsolu,
pour obtenir
un tel
rsultat, employer la force, sans gard
aux
engagements authentiques, aux
contrats
solennels, la morale internationale
consacre
par les
sicles
;
puisque
la
civilisation est
menace
d'une
prodigieuse rgression
et
que
la victoire
de ce
camp serait le triomphe
de
la
brutalit cynique; puisque,
dans
l'autre
camp,
on
combat
pour la
libert
et l'indpendance
des
peuples,
pour le
respect
des traits
et de
la
foi jure,
pour les
gards
que
les
forts doi-
vent aux
faibles,
pour
le respect
des
femmes,
des
enfants,
des
populations
dsarmes,
pour
la loyaut
internationale,
pour le
maintien des
plus
nobles
sentiments, la
piti,
la commis-
ration, la douceur, la
contrainte
intrieure
exerce par le
puissant sur
soi-mme;
puisque
ces
deux causes sont
en
balance
et
que
l'issue
du
duel est
entre
les
mains
de
Dieu, il faut
dire
les choses telles
qu'elles sont pendant
qu'elles sont
:
car qui peut
prvoir ce
que
la
victoire
ou la
dfaite permettront
de
dire
aprs?
Que
seront devenus,
alors, la face
du
monde et le cur de
l'humanit?
L'humanit
joue
une
partie
o
il
y
va
de son
essence
mme.
L'homme
est -il
bon,
est-il mchant?
Il
faut
prsenter
les
alas
opposs et les
chances
contraires
avant
que
le destin
se
soit
prononc.
La
premire loi
de
l'histoire est
la vrit : or, il
y
a
une vrit
poignante
et
pathtique dans l'incertitude que
la volont
divine
mle la certitude o nous
sommes
que
la
plus noble
des causes
doit
triompher.
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
15/318
AVANT-PROPOS
C'est entendu,
j'cris
en
pleine bataille,
dans
la
poudre
et
la
fume, sans horizon et
sans
lendemain;
je ne vois pas trs
loin,
je
ne
distingue
jias
les ensembles,
je
ne
sais oii
la
fatalit
nous
mne;
j'appartiens
un des
peuples
engags
dans
la lutte,
celui
qui
souffre
le plus
et
qui
aurait le
plus de droits
se plaindre
de
la
destine:
cette
position est
la
mienne
et
je
l'accepte.
Ceci
dit,
j'affirme
ma
ferme volont
d'tre
vridique
:
je contiendrai
mes sentiments;
je
refoulerai
mes
larmes.
Mais
ce
que
je ne
puis
promettre,
c'est
de
comprimer
mon cur
et
de
faire
taire,
en moi,
les
sentiments
qui
viennent
de ma
naissance
et
de ma
foi
dans la
justice
de
la
cause
que
je sers.
Si, bien
involontairement,
je
manque
la
loi d'quit,
qui
est
l'autre
loi
de l'histoire,
on
me
pardonnera
:
au moment
d'crire,
ma
main
tremble.
Mais
cette
motion
mme
com-
muniquera
peut-tre au
rcit
quelque
chose
de
son
mouvement.
Il
ne
s'agit
pas
d'un
livre
de
cabinet, mais
d'une uvre
d'action
et de
combat.
Je
suis
dans la mle.
Je
lutte,
avec
tous
les
miens,
pour la
vrit,
l'honneur,
la
libert.
Si la gravit
de l'histoire
y
perd
quelque
chose, son efficacit
y
gagnera
beau-
coup.
J'invite
mes lecteurs
se
mobiliser
avec
moi pour la dfense
de mon
pays, la
France,
et
de
son noble
patrimoine,
devant
l'avenir;
devant Dieu.
G.
H.
Novembre
191.1.
1,
AU
KUR
DANS
SON
CABINET
DE TRAVAIL
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
16/318
s.
M,
ALBERT
1=',
ROI
DES
BELGES
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
17/318
CHAPITRE
PREMIER
LES
ORIGINES
DIPLOMATIQUES
DU
CONFLIT
La politique de l'Allemagne
la
suite de
la
guerre de
1870.
L'Allemagne
entre
V
Autriche
-
Hongrie
et
la Russie.
La Triple
Alliance.
L
'Alliance
Franco
-
Russe
.
A
guerre
de
1914
se
rattache
directement laguerre
de
1870
En consacrant,
au
trait
de
Francfort,
le dmembrement
de
la France,
Bismarck
(qui
a
protest souvent
ne
l'avoir
pas
fait
de
son
plein gr)
lais-
sait
,
dans la plaie
saignante
au
flanc de ce
noble
pays, le
germe
des
maux
futurs.
Il
ne
se
faisait
pasd'illusion
ce
sujet,
et
il
d-
clarait
lui-mme
que
c'tait
une faute d'avoir
rclam
Metz
et
la
Lorraine.
Il disait,
ds le
13
aot
1871,
M. de
Ga-
briac,
charg d'affaires
franais Berlin :
Je
ne
me
fais pas d'illusions
;
il
ne
serait
pas
logique
de vous
avoir pris
Metz
qui
est
franais,
si
des
ncessits imprieuses
ne
nous obligeaient
le
garder... L'Etat-major
dclarait : Metz
est un
glacis
derrire
lequel
nous
pouvons mettre
cent
mille
hommes.
Nous
avons
donc
d
le
garder.
J'en
dirai
autant de
l'Alsace
et
de la
Lorraine.
C'est une
faute
que
nous aurions
commise
en vous
les
prenant,
si
la
paix
devait
tre
durable;
car,
pour nous,
ces provinces
seront
une difficult,
etc.
Le
madr
politique
n'avait
pas voulu,
aprs
Sadowa,
abattre l'Autriche et
ses
allis;
il le
raconte
lui-mme, avec
son
ironie
puissante et
raliste :
Aprs
Sadowa,
mon
gracieux matre
avait
dcid
d'enlever un morceau
de
territoire
chacun
des princes
battus, comme punition
:
Je
vais,
me
rptait-il sans
cesse,
exercer
la
justice
de
Dieu.
Je
finis
par lui rpondre
qu'
il
valait mieux
laisser
Dieu
exercer sa
justice lui-mme.
De
mme,
aprs
la
guerre
de
1870,
il
devi-
nait
quel
pril courrait
l'empire fond par
lui,
si
cette
cration
de
son
gnie
avait
perptuel-
lement
comme adversaire une
France
ina-
paise.
Outre
les
preuves officielles
de
cette
hsi-
tation
de
Bismarck, preuves qui
abondent
maintenant,
voici un
rcit singulirement
dra-
matique,
puisqu'il appelle
en tmoignage
deux grands artistes
allemands, contemporains
de
Bismarck,
dont
l'un
du
moins,
Lenbach,
avait su
gagner
sa
confiance :
Une
seule
fois,
un
fait
prcis, d'ordre
historique,
s'chappe
des
lvres
de
l'artiste
(Lenbach)
propos
d'une
rcente sortie
de
Wagner
:
Bismarck
a
commis le pire
et
le plus
imbcile des
crimes,
s'est cri le
pote musi-
cien,
s'adressant
des
amis
franais.
De
gat
de
cur,
comme
une
brute, abusant impu-
demment de
la
guerre,
il
a pris Strasbourg
et
Metz la France.
Pour
combien
de
sicles
B
a-t-il
ouvert
un abme entre deux nations qui
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
18/318
HISTOIRE
ILLUSTRE
DE
LA
GUERRE DE
I9I4
ont
besoin
l'une de
l'autre
et
qui
s'habitueront
se
har
au
lieu
de
se
tendre
les mains
pour
I)
travailler
ensemble
au
progrs
de
l'humanit
Lenbach
rplique
vivement
:
Wagner se
')
trompe.
Bismarck
n'a
pas
voulu
l'annexion
de la
Lorraine
et
de
l'Alsace
l'Empire
germa-
nique;
c'est
de
Moltke
qui l'a
exige au nom
des
intrts
militaires.
Bismarck
a
rsist
1)
tant
qu'il a
pu;
il a d
flchir
devant
l'arrt
de
l'empereur.
Voil la
vrit
(i).
Ainsi,
malgr
sa
clairvoyance
et
sa
volont
affirme,
Bismarck
ne
fut pas
assez
puissant
pour dominer
l'orgueil
prussien
dont
il n'tait,
d'ailleurs,
lui-mme,
que
l'manation
sup-
rieure.
L'ambition
victorieuse fut plus forte
que
la
pondration diplomatique
du
grand
homme d'tat.
Cette
lutte
entre la
prudence
inquite
et la
folie
ambitieuse,
on peut
la
suivre pendant
les
quarante-quatre ans qui
sparent
1870
de
1914;
toujours
la
sagesse est
battue,
toujours
elle
recule,
toujours
l'esprit
d'imprudence et
d'erreur
affole
l'orgueil
alle-
mand,
jusqu'au
moment
o
la passion
aura
t
rige
en
systme,
et o
le pangermanisme aura
ameut
contre
l'Allemagne
la
rancune et la
haine
de
l'univers
bless
ou
menac.
L'INCIDENT
Le premier mouvement
DE
1875
d'humeur
se
manifesta
en
1875,
quand
Bismarck, aprs avoir
menac
la
France,
dut
reculer sous
la
pression
de
la Russie
et
de
l'Angleterre.
Dj, on retrouve, dans
cet
incident,
le rudiment
des
faits
qui
devaient
se
reproduire, infiniment plus
accuss, en
1914.
Le 10
mai
1875,
Gortschakow,
chancelier
de
l'empereur
Alexandre
H, mit la main sur le
bras de
Bismarck,
au
moment
o
celui-ci le
(1)
Je
tiens
ces
dtails
de
l'interlocuteur
mme de
Lenbach,
personnage considrable par
sa situation dans son
pays.
II m'a
malheureusement interdit
de le nommer.
Le
marchal bavarois
von
der
Thann
raconta
plusieurs
fois
le
mme
fait
Munich, en
regrettant
que
le
point
de
vue prussien
ait prvalu,
dans
le
Conseil
de
l'empire,
sur le
point
de
vue
allemand
dfini par le
chancelier.
Le rensei-
gnement
m'a
t
fourni,
en
1878,
par
M. Lefvre de Bhaine
et
confirm
Rome
par la
princesse
de
Sayn-Wittgenstein,
cousine
du
marchal. Mais
Lenbach tenait
srement
son
information
de Bismarck
lui-mme.
(L.
de
Foucauld,
dans
un
article
sur
Lenbach, Revue
de l'Art, 10
janv.
1906,
p.
73.)
levait
pour frapper la
France;
l'ayant
arrt,
le
ministre
russe put envo3-er
aux
chancelleries
le
fameux tlgramme
qui
donnait
la
Russie
l'arbitrage
de
la paix
ou
de la
guerre
:
Main-
tenant, la
paix
est
assure.
Bismarck,
furieux,
dit
Gortschakow,
peu
prs dans
les
mmes
termes dont
l'empereur
Guillaume
s'est
servi
rcemment
l'gard
du roi
Georges
V,
que
ce
n'est
pas un procd
de
bonne
amiti
de
sauter
l'improviste
et
par
derrire
sur
un
ami confiant
et
qui
ne se
doute
de
rien...
.
En
mme
temps, il reprochait
la reine
Victoria
et
la
diplomatie
anglaise
d'avoir
agi
avec
duplicit,
en 'affirmant
qu'elles
taient
convain-
cues
de
l'intention
de l'Allemagne
d'en
venir
une
rupture
.
L'Allemagne
croit,
de
bonne
foi,
que
les
autres
puissances
doivent
une
crdulit
absolue
ses
nafs
mensonges
diplo-
matiques.
Ds cette
poque, la
chancellerie
allemande
devait
sentir,
pourtant, qu'elle
aurait
ven-
tuellement
contre elle l'union
des trois
grandes
puissances
europennes.
Bismarck
s'en
prenait
tout
le
monde : il
et
mieux fait
de
s'en
prendre
lui-mme.
Cette
inquitude
inavoue
commena
peser
ds
lors,
trs
lourdement,
sur
les
sentiments
et
les dterminations
de
la
chancellerie
alle-
mande. Bismarck reconnat,
dans ses
Souvenirs,
qu'il
avait
le
cauchemar
des
coalitions
.
Il
crut prendre
une prcaution
suprme en
fon-
dant
la Triple
Alliance,
sans voir
qu'en
se
liant
avec
l'Autriche-Hongrie
et l'Italie
contre
la
Russie, il
jetait
la
Russie dans les
bras
de la
France,
et
qu'ainsi
il
fabriquait, de ses
propres
mains, la
tenaille
qui devait, un
jour, serrer
l'Empire
allemand
dans
sa
pince
redoutable.
Mais,
ds
lors,
la
passion
anti-russe l'aveu-
glait,
comme
elle devait
aveugler peu
peu
ses successeurs.
Sa
sagesse
l'avertissait
en
vain. Il
crut
qu'il obtiendrait un
adoucissement
dans la
politique anti-allemande de la Russie, en lui
laissant le champ libre
vers
Constantinople;
il contracta, avec
elle,
ces
fameux traits
de
rassurance,
dont
l'ambigut essayait
de
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
19/318
LES
ORIGINES DIPLOMATIQUES DU
CONFLIT
LE
PRINCE
DE BISMARCK
TABLEAU
DE LENBACH
(.896)
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
20/318
HISTOIRE
ILLUSTRE
DE LA
GUERRE
DE I9I4
tromper la fois Saint-Ptersbourg et
Vienne,
multipliant
les dmarches
obsquieuses auprs
des
tzars
et auprs de
leurs familles;
une
intrigue
allemande permanente
travaillait,
Saint-Ptersbourg,
pour la cause
de
l'Alle-
magne.
Simples
palliatifs
Malgr
tout, les Russes
se mfiaient
:
ils
savaient que
tout ce
mange n'tait
pas sincre
et que la haine
de
l'Allemand
pour le
Slave,
la
jalousie
d'un
empire
contre
l'autre,
l'inqui-
tude
de voir
grandir,
l'Orient,
le
colosse
moscovite, l'emporteraient sur les
avis
de
la
prudence
et
de
la
prvoyance.
On
savait,
en
un
mot,
Saint-Ptersbourg,
que Bismarck,
interrog par Gortschakow
dans
les
termes
suivants
:
Si,
en cas
de
guerre
entre
la
Russie
et
l'Autriche,
l'Allemagne
resterait
neutre
(automne
1876),
avait rpondu que
l'Allemagne
ferait
tout le possible
pour
viter
la
guerre,
mais
qu'elle
ne pourrait abandonner
l'Autriche.
Telle
est,
exactement,
l'une
des origines
diplomatiques
les
plus
indniables
du conflit
actuel.
L'histoire
marche lentement, mais
elle
s'oriente,
certaines
heures,
vers
d'inluctables
destines.
La
Russie,
barre
en
quelque
sorte
du ct
de
l'Europe
par
la
coalition
des deux empires
du
centre,
essaya
de se
retourner
vers l'ob-
jectif
traditionnel
de sa politique
europenne
:
Constantinople
et
les
Balkans.
Mais, l
encore,
elle
trouva
l'opposition
de l'Autriche-
Hongrie,
entranant
sa
remorque celle
de
l'Allemagne.
A
l'entrevue
de
Reichstadt
(juillet
1876),
il
se fit
une
sorte
de
partage
de
la
pninsule
des
Balkans
entre
l'influence
russe
et
l'influence
Austro-hongroise,
la
Russie
se
rservant
les
populations
slaves
situes
l'orient
de
la
pninsule
et
abandonnant,
en
quelque
sorte,
l'Autriche
les
territoires
occidentaux.
C'est la
suite
de
cet
arrangement,
dont
nous
allons
voir
les
consquences
sur
les
vnements
de
1914,
que
la
Russie
fit
la
guerre
contre
la
Turquie
en
1878. Ses
victoires
furent
laborieuses
et
sanglantes;
mais,
au
moment on
elle
allait,
San-Stefano,
aux portes
de Constantinople,
recueillir
le
fruit
de
ses
efforts, elle
vit
l'Au-
triche
et
l'Allemagne,
unies
l'Angleterre,
se
lever
contre elle.
Le
Congrs de
Berlin
runit
les
reprsen-
tants des grandes puissances
europennes,
sous
la
prsidence
du prince
de Bismarck,
et celui-
ci
se
donna la satisfaction
orgueilleuse
de
traduire la Russie,
en
la
personne
du chance-
lier Gortschakow,
la
barre
de
l'Europe.
La
Russie
dut
dchirer de
ses
propres
mains
le
trait
de
San-Stefano et apposer
sa signature
sur
le trait que les puissances
rivales,
qui
s'taient
arranges d'avance
entre elles,
lui
imposrent.
L'AUTRICHE OCCUPE
LA
BOSNIE
ET
L'HERZGOVINE
Le trait
de Ber-
lin
(1879),
^u li^u
de
rgler
dfinitive-
ment
la question turque, reconstituait
une
Turquie oppose la Russie; il replaait
les
populations
de
la Thrace et de la Macdoine
sous
le joug
ottoman, laissant
ainsi
un
germe
pour
les
futurs
conflits;
tout
en
consentant
la
constitution
de
la
Bulgarie
comme
princi-
paut
indpendante,
il
rprimait
le
sentiment
national bulgare et
crait
une
cause de
dis-
sentiments
entre
la puissance
libratrice
et le
peuple libr.
Mais,
de
toutes les
combinaisons
qui furent
tisses
avec
un art
machiavlique,
Berlin,
par le
gnie
de
Bismarck, aid
de celui de
lord
Beaconsfield,
la plus
grave
fut
l'occupa-
tion, par
l'Autriche-Hongrie,
des
territoires
serbes
de
la
Bosnie et Herzgovine,
du consen-
tement
de
l'Europe.
C'tait crer,
comme
on
l'a
dit,
une
Alsace-Lorraine
slave
dans
les
Balkans.
L'Autriche,
l'Allemagne,
l'Europe
elle-
mme devaient
subir,
par la suite,
le
chti-
ment
de
la
disposition nfaste que
la
volont
de
Bismarck
avait
introduite,
comme
une
mine
explosive,
dans
les
dessous des affaires
europennes.
Dsormais les deux empires
ger-
maniques taient
lis jusqu' la
mort.
10
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
21/318
LES
ORIGINES DIPLOMATIQUES DU
CONFLIT
L'ALLEMAGNE
ENTRE
L'AUTRICHE-HONGRIE
ET
LA
RUSSIE
Il faut ici s'le-
ver
au-dessus
des
vnements
secon-
daires
pour bien apprcier
la
nature
de ces
larges volutions
de
l'histoire.
Si
l'on
considre l'ensemble des
faits
qui
se
En
fait,
ce
qui reste
et
restera
l'anxit
suprme
de
l'Allemagne
du
Nord, c'est
la
fid-
lit
de l'Allemagne du Sud. Malgr la
volont
d'tre
une,
l'Allemagne
ne l'est
pas.
La
thse
des nationalits et la phrasologie
romantique
du
milieu
du
xix
sicle
se
sont
trompes
en
ALLEMAGNE
an 1866
olht
.deit
L'ALLEMAGNE APRES SADOWA
^
PRl'SSE EN
l8l5.
{ilUm
ACQUISITIONS
DE LA PRUSSE
EN
1866.
sont
passs
en
Europe depuis un
demi -sicle,
on
s'aperoit
que
le
vainqueur de
Sadowa
fut,
en
somme,
depuis
1866,
le
prisonnier de
sa
vic-
toire.
Une
fois l'empire
d'Allemagne
du
Nord
constitu, la
politique
allemande
ne
resta
pas
une
politique
exclusivement prussienne;
elle
se subordonna,
dans
une certaine
mesure,
la
politique
austro-
hongroise. Dans
les pr-
tentions
comme
dans les ralisations, c'est
souvent
le
brillant
second
qui
mne
le jeu.
ceci
:
elles
chantaient l'unit
allemande
sans
tenir
compte
de
la
ralit,
savoir
qu'il
existe
deux
Allemagnes,
l'une
du
Nord,
la face
tourne
vers
les mers septentrionales,
l'autre
du Sud,
la face
tourne
vers les mers
mri-
dionales;
l'une protestante, l'autre catholique.
Et peut-tre mme, faudrait-il
distinguer
encore
une
Allemagne
uniquement
centrale
et
continentale, trs
embarrasse
entre
les
deux
autres.
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
22/318
HISTOIRE
ILLUSTRE
DE
LA GUERRE
DE
I914
Quoi
qu'il en
soit, la
politique et
mme la
conqute
militaire
ne
peuvent
attnuer les
conflits
latents entretenus
par
la
gographie,
l'ethnographie,
la
religion.
Le
nouvel
empire
allemand ne
pouvait garder une
certaine
scurit
qu'en
unissant son
sort
l'Allemagne
austro-hongroise;
mais, en
crant le lien,
il
s'attachait
lui-mme.
Cette unit
aux
deux fronts,
bifrons,
ne
pouvait
se constituer
que
si
elle tenait compte
des
deux
intrts,
des deux
aspirations
qu'elle
contenait
en
son
sein.
L'Allemagne
du Nord
ne
pouvait
s'assurer
la fidlit
de
l'Allemagne
du
Sud
que
si
elle
prenait
en
charge les
intrts
de
celle-ci.
L'Autriche-Hongrie,
refoule
et en
quelque sorte
expulse des
territoires
o
elle
avait
rgn, ne
trouvait plus d'autre expansion
que vers
le
Danube. C'est ce
que
Bismarck
explique
parfaitement
dans ses Souvenirs,
quand
il crit :
Il est
naturel que
les
habitants
du
bassin
du
Danube
puissent avoir
des
int-
rts
et
des
vues
qui s'tendent au del des
limites
actuelles de
la
monarchie austro-hon-
groise. La
manire dont
l'Empire allemand
s'est
constitu
montre comment
l'Autriche
peut
grouper
autour
d'elle les intrts entre les
populations
de
race
roumaine
et
les
bouches
du
Cattaro.
Ces
paroles taient,
pour
l'Autriche,
tout un
programme d'action. On voit
donc
que
les origines
de
la guerre
de
1914
taient
incluses
dans
le
parti
que
prenait l'Allemagne
de
lier
son
sort
celui de
l
'Autriche-Hongrie.
Puisque
l'Allemagne
nouvelle
imposait
cette
politique
l'Autriche-Hongrie,
elle devait lui
en
garantir
le
bnfice.
S'il en
et
t
autrement,
la
politique
austro-hongroise
se
serait
probable-
ment retourne, et, unie
la
politique franaise,
elle
et
fait
courir
les
plus
grands
risques
la
domination
prussienne
en
Allemagne; Sadowa
et
Sedan auraient associ leur
revanche
.
L ALLEMAGNE
SE PRONONCE
POUR
L'AUTRICHE
-HONGRIE
L'Alle-
magne,
ayant pris
le
parti
de pousser l'Autriche sur
le Danube
et
vers
les Balkans,
devait chercher
ses instruments
dans les
reprsentants
et les
directeurs de la politique
austro-
hongroise.
Elle
n'avait
qu'
se baisser,
en
quelque
sorte,
pour ramasser
des cooprateurs
et
des com-
plices
; c'taient
les
ministres
hongrois.
Les
Hongrois n'aiment
pas
les
Slaves.
Bismarck,
qui
connaissait
bien
ce sentiment,
rsolut
de
l'exploiter,
sans
perdre,
d'ailleurs,
la libert
de
son
jugement.
Il
gardait
son
ascendant sur
la politique
austro-hongroise,
parce qu'il
en
avait
prvu
les
lacunes
et les
faiblesses.
Il crit, dans
ses Souvenirs :
Si les
consid-
rations
d'une politique
rflchie
avaient
tou-
jours
le
dernier
mot
en
Hongrie,
ce
peuple
brave
et indpendant
comprendrait
vite
qu'il
n'est,
en
quelque
sorte,
qu'une le
au
milieu
de
la vaste
mer des populations
slaves
et
que,
tant
donne
son
infriorit
numrique,
il
ne
peut
garantir
sa
scurit
qu'en
s'appuyant
sur
l'lment allemand. Mais
l'pisode
de Kossuth
et
d'autres symptmes encore
prouvent
que,
dans
des
moments critiques, la
suffisance
des
avocats-hussards hongrois
est plus
forte
que
leur
prvoyance politique
et que leur
empire
sur eux-mmes. Maint
Hongrois
ne
fait-il
pas
jouer,
par les ambulants,
l'air
connu
:
L'Al-
lemand est un j...-f...
?
Il
rsolut
donc
d'exploiter ce
qu'il
appelle
lui-mme
le chauvinisme
hongrois
,
sans en
tre dupe.
Andrassy
fut
son instrument : il
conclut
avec
Bismarck
le
trait
d'alliance entre
les deux empires,
qui
fut
un pacte,
assurant
l'Autriche-
Hongrie
un
dveloppement facile
dans
les Balkans, et
s'opposant
l'expansion
slave
dans la
pninsule.
Ce
pacte, puisqu'il
tait
anti-slave,
tait
fatalement
anti-russe.
Toutes
les
habilets
de
Bismarck
ne
pouvaient modifier
cet
tat
de
choses
fondamental.
Si
bien
que
l'Allemagne
payait,
de
sa
scurit
sur
la
frontire
russe,
sa complaisance
pour la politique
austro-
hongroise.
Bismarck
avait
peut-tre
entrevu
cette
consquence;
il
la vise
dans ses
Souvenirs.
L'avenir
d'une
alliance
avec l'Autriche-Hon-
grie
laisse la
porte ouverte bien
des appr-
hensions
:
la
question
religieuse,
la
possibilit
12
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
23/318
I.KS
ORIGINES
DIPLOMATIQUES
DU
CONFLIT
LE
CONGRES
DE BERLIN (187'.)).
(t\bi.eai:
de werner).
I
Rang
:
Karoly. Gortschakow.
Disraeli. Andrassy.
Bismarck.
Schouvalow.
Bulow.
Meheniet-Ali-P.Tcha.
a'
Rang:
Waddiugton.
Radowitz. C
Corti.
Oubril.
Saint-
Vallier,
Desprez.
Carathodory-
Pacha. Sadoulal\-Rey.
y
Rang :
Haymerl.
C
Launay. Hohenlohe. De Mouy. Oddo Russell.
Salisbury.
4*
Rang :
Werner
(peintre
auteur). Herbert
de Bismarck. D' Biisch.
d'une bonne entente avec la France
sur
la
base
du
catholicisme, le
manque
de
coup
d'il
politique
de
l'lment allemand
austro-hon-
grois, c'est--dire,
en
somme, une
certaine
ind-
pendance politique
se
manifestant
Vienne,
tout
cela
inspirait des
craintes
srieuses.
Quand
ce changement
surviendra-t-il
?
Personne
ne
peut
le
prvoir.
Mais il ferme
les yeux
sur
ces
consquences
possibles
de
la faute qu'il avait
commise,
plus ou
moins
volontairement,
en
arrachant
la France deux provinces
franaises
:
il
veut en
imposer
l'histoire et faire
croire
qu'il
a
par
tout, quand,
au
contraire,
l'difice
qu'il
a
constitu
est
min
par la base et
fatale-
ment destin
prir.
Ou
l'Allemagne,
chappant
l'Autriche,
voyait
l'Autriche lui
chapper, ou
l'Allemagne,
se sparant de la Russie,
voyait la Russie
se
sparer
d'elle
:
tel
tait le dilemme o
l'Allema-
gne
tait
prise.
C'est
pourquoi une politique
plus sage se
ft
assur,
du ct
de la
France,
les
scurits
indispensables
pour pouvoir
se
consacrer
aux
deux
problmes
austro-hongrois
et slave.
Faire
tte des
trois cts
la fois,
c'tait s'exposer
fatalement
une faillite finale.
MPRIS DE
BISMARCK
POUR
Lapoliti-
LES
TATS
BALKANIQUES
que bismar-
ckienne
a
commis
une
autre
faute
non moins
grave
:
elle
a ferm les
yeux volontairement
sur
l'avenir
des
peuples
balkaniques. Bismarck
rptait
sans
cesse,
et, au dbut
du moins,
de
bonne
foi,
que la question
d'Orient
tout
entire
ne valait
pas les os d'un
grenadier
pomranien.
Au Congrs
de
Berlin, il n'avait
que du mpris pour
ces
petits
peuples
des
Balkans,
qui devaient,
pourtant,
un
jour,
dter-
miner
la crise
o
la puissance
germanique
devait tre mise
en pril.
i3
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
24/318
HISrolKK
II.LUSTRF.
DK LA GUERRK DE I9I4
Pour
ce
qui
est
des
populations
orientales.
crit
Carathodory-
Pacha dans
ses
Mmoires
indits,
voici
quelques
traits
qui
donneront
une
ide
des
sentiments
que le
prince-chancelier
entretient
leur
gard : La
discussion
sur
la
question bulgare
se
prolongeant (devant
le
Congrs
de BerUn),
le
prince
s'impatienta.
Voil deux
jours,
dit-il, que
nous
discu-
tons
sur
la question
bulgare
:
c'est l
un
honneur
auquel les
Bulgares
ne
s'attendent
pas.
Pour
ce
qui
me
concerne, je
ne
dis-
simule
pas que,
comme
plnipotentiaire
alle-
mand, je prends
fort
peu
d'intrt tous
ces
dtails.
Nous
avons
dcid qu'il
y
aura une
principaut de
Bulgarie,
nous ne savons pas
si
on
trouvera un
prince
de
Bulgarie;
si
on
le
trouve, tant
mieux
;
mais je
pense
qu'il
est
inutile
de
s'appesantir
sur
le point
de
savoir
de
quelle nature
sera la constitution que
les
notables
bulgares
laboreront
et
sur
laquelle
mon
opinion est dj
faite.
Un
autre
jour, en donnant lecture de
l'ar-
ticle
7
du
trait
de
San-Stefano,
il
rencontre,
dans
rnumration
des
diffrentes
populations
non bulgares
auxquelles il s'agissait
de
garantir
des
droits
politiques, la dsignation
des
Koutzo-
Valaques
:
Koutzo-Valaques, dit-il,
voil
un
mot qu'on a le
droit
d'effacer.
Et il
passe
le
crayon
dessus.
Salisbury ayant
demand, pour la seconde
fois,
qu'on
assignt un jour
pour
ce qu'il
appe-
lait la
question armnienne
Encore
une
11
s'cria Bismarck impatient.
Les plnipotentiaires ottomans
et
russes
discutaient
sur
le
nombre
des
Lazes.
Les
Anglais
s'en tant mls
;
Milord, dit
le
prince,
s'adressant
lord
Salisbury, je ne
doute
pas
que
les
Lazes ne
fassent partie
des
intressantes
populations
orientales
; seule-
ment,
je
me
demande si cela vaut
rellement
la peine
qu'on leur
consacre
son
temps,
sur-
tout
aux
approches
de
la
canicule.
.>
En
un mot. le prince
de
Bismarck
n'a
jamais
manqu
une occasion
de faire
voir
qu'
son
avis,
la
question orientale,
en
tant
que
se
rappoitant
des
peuples et
des formes
de
gouvernement
placs en
quelque
sorte
en dehors
du
cercle de
la
civilisation
europenne
et n'ayant
aucun
avenir,
ne
doit
intresser
l'Europe
que
par
les consquences
qu'elle
peut
avoir sur
les
relations
des grandes
puissances
europennes
entre
elles.
Si je
reproduis
textuellement
cette
citation,
ce
n'est
pas
seulement
pour tablir
l'erreur
colossale
de
Bismarck,
considrant
les
popula-
tions
balkaniques
comme
n'ayant
aucun
avenir;
c'est
surtout
pour
prciser,
en
la
recherchant
dans ses
origines,
l'ide
contre
laquelle
il
serait
bon
de mettre
en
garde
les
lves
de l'cole
bismarckienne,
savoir
que
la
question
orien-
tale n'existe
qu'en
fonction
des
relations
des
grandes puissances
entre
elles.
Trente-cinq
ans
se
sont
couls,
et par ce
raccourci d'histoire,
il
est
possible
de constater
tout ce
que
l'Europe
et gagn si
ses chefs
eussent eu,
alors, une vue plus
claire
et
plus
profonde des
ralits.
LA
RUSSIE SE
DTACHE
C'est de
l,
en
DE
L'ALLEMAGNE
effet,
que devait
natre
l'orage
destin
branler
l'difice
cons-
truit
par
Bismarck
avec tant
de soin.
Il avait
bien raison
de
dire, dans
un
mot
prophtique
dont
il
a
essay en
vain
de
se
disculper :
Les
Slaves, il
faudrait
leur casser la
tte
contre
le
mur
L'unit allemande,
menace par la grandeur
slave, sans avoir su
se
concilier
les
apaisements
de
la France,
telle
est
la
raison diplomatique
essentielle
de
la guerre actuelle.
Cette
raison
suffirait
tout
expliquer,
si
l'Allemagne,
par
un excs d'imprudence,
n'avait
trouv le
moyen
de
s'assurer,
en mme
temps,
l'hostilit
de
l'Angleterre.
Mais,
avant
d'en venir
ce
point, il
faut
suivre
les
consquences
du choix
fait
par
l'Allemagne
quand,
entre
l'Autriche
et
la
Russie,
elle
se pronona
pour
l'Autriche.
Le
Congrs
de
Berlin
tait
peine
clos que
la Russie
ouvrait les
yeux
sur
la
faute
qu'elle
avait
commise en
1870.
L'Allemagne
se
liant
l'Autriche, elle
n'avait
qu'
se
tourner
vers la
France.
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
25/318
I
rs (ORIGINES niPLOMATIQUKS OU
CONFLIT
La
France
n'avait eu
qu'une
habilet,
con-
forme
d'ailleurs sa
dignit. Vaincue,
elle
s'tait
replie sur
elle-mme,
avait
rpar
ses
blessures,
s'tait
prpare
tenir
tte,
le
cas
chant,
une
nouvelle
attaque,
et
elle avait
attendu
l'heure de
la
justice
immanente
,
que
les fautes de
son
ennemi
ne
manqueraient
pas
de
faire sonner
un jour.
Une
psychologie
raffine
signale,
au
peuple
franais, les
erreurs
de
tact
de
ses
adversaires;
son sens
averti se plat atten-
dre
et
marquer
les
coups. Le
colosse
alle-
mand, dans
ses
gestes
dmesurs
et
immo-
drs,
se
rendait in-
supportable
tous.
L'art
consistait
laisser
faire
et
voir
venir
les puissances,
blesses
par
les
er-
reurs de
son
intolra-
ble
orgueil.
La
Russie
vint
la
premire.
LA
TRIPLE
Peut-
ALLIANCE
tre la
conclusion
du
trait
de
Berlin
n'et
pas
suffi
pour arracher la
politique russe
aux
hsi-
tations
du gouvernement
imprial,
si un
fait
infiniment
plus
considrable
ne
s'tait produit :
la
conclusion
d'une
alliance
formelle
de
l'Alle-
magne
avec
l'Autriche-Hongrie,
alliance
des-
tine
devenir
bientt Triple
alliance,
par
l'adjonction
de
l'Italie.
Le
Congrs
de Berlin
avait peine termin
ses
sances
que
le prince
de
Bismarck
s'tait
rendu
Vienne.
Le
27
octobre
1881,
le
roi Humbert,
accom-
pagn du
prsident
du Conseil
italien
et
de
LE TZAR ALEXANDRE III
M.
Mancini,
ministre
des
affaires
trangres,
tait
venu
dans
la
mme capitale.
Le public,
trs
attentif
ces
dmarches,
en
ignorait
le
vritable caractre.
Le
prince
de Bismarck
s'tait mis
tisser la toile
qui,
dans
sa pense,
devait r-
duire
la France l'impuissance
et
Tisolement
en Europe. Il
com-
mena
par
l'Aul
riche-
Hongrie.
Le ministre
des
affaires trang-
res austro-
hongrois,
le
comte
de
Beust,
d'origine
saxonne,
entendait
pratiquer,
l'gard
de
l'Alle-
magne,
la politique
des
mains libres
,
ce
qui
n'excluait
pas,
disait -il,
une
colla-
boration active
et
pacifique en vue
du
bien
et
de
la pros-
prit
des
deux em-
pires
.
Le
comte
de
Beust
avait
ses ides:
lui
aussi,
comme
Gor-
tschakow, prtendait
tenir
tte
l'autre
chancelier.
Bismarck
le
joua,
lui tira
les
vers
du
nez,
s'enten-
dit sous
main
avec
le
hongrois
Andrassy.
et
amena
ainsi
Fran-
ois-Joseph,
le vaincu
de
Sadowa,
remettre
le sort
de
son empire entre
les mains
du
ministre qui
avait
chass
l'Autriche de
l'Alle-
magne.
Une
entrevue
des
deux
souverains
eut
lieu
Salzbourg.
Salzbourg
devint, selon la propre
expres-
sion
de
Franois-
Joseph,
le
linceul
du comte
de
Beust
.
Le
7
octobre
1879,
fut
sign,
Vienne,
le
trait dont
le
texte
fut publi
le
3
fvrier
1888,
et qui consacrait
une alliance
dfensive
entre l'Allemagne
et
l'Aul
riche-Hongrie.
Cliilx
Wll.ir
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
26/318
HISTOlKi;
n.I.t'STRKK
1)1-
I.A (;rHKKl'
i()i4
Voici le texte de ce
trait
:
Article
premier.
Si,
contrairement
ce
qu'il
y
a
lieu
d'esprer,
et
contrairement
au
dsir
sincre
des
deux
hautes parties contractantes,
l'un
des
deux
Empires
venait
tre
attaqu
par
la
Russie,
les deux
hautes
parties
contractantes sont
tenues
de
se
prter
rcipro-
quement
secours,
avec
la totalit
de
la
puissance
militaire
de
leur
empire et,
par
suite, de
ne
conclure la
paix
que
conjointement et
d'accord.
Art.
2.
Si
l'une des
deux
hautes
parties contrac-
tantes
venait
tre attaque
par
une
autre
puissance,
l'autre haute partie
contractante
s'engage,
par
le prsent
acte,
non
seulement ne
pas
soutenir
l'agresseur contre
son haut
alli,
mais, tout
au
moins,
observer une neu-
tralit
bienveillante
l'gard
de
la partie
contractante. Si
toutefois,
dans
le cas
prcit, la puissance
attaquante tait
soutenue
par
la
Russie, soit
sous
forme
de
coopration
active, soit par des mesures
militaires
qui
menaceraient
la puissance
attaque,
alors l'obligation
d'assistance
rciproque
avec toutes
les
forces
militaires, obligation
stipule
dans l'article
i
de
ce
trait,
entrerait
imm-
diatement en
vigueur
et
les
oprations
de
guerre
des
deux
hautes
puissances
contractantes
seraient aussi,
dans
cette
circonstance,
conduites
conjointement
jusqu'
la
conclusion
de
la
paix.
Art.
3.
Ce
trait,
en
raison
de son
caractre paci-
fique, et
pour viter
toute fausse interprtation, sera
tenu
secret
par
toutes
les
hautes parties contractantes.
II ne
pourrait tre communiqu
une
troisime
puis-
sance
qu'
la
connaissance
des deux
parties
et
aprs
entente
spciale
entre elles.
Vu
les dispositions
exprimes
par
l'empereur
Alexandre
l'entrevue
d'Alexandrowo,
les
deux
parties
contractan-
tes nourrissent
l'espoir
que les
prparatifs de la
Russie
ne
deviendront
pas,
en
ralit,
menaants
pour
elles;
pour
cette raison, il
n'y
a,
actuellement, aucun motif
communication.
Mais si,
contre
toute
attente, cet
espoir
tait
rendu
vain,
les
deux
parties
contractantes reconnatraient
comme
un
devoir
de loyaut
d'informer,
au moins
confi-
dentiellement,
l'empereur
Alexandre
qu'elles
devraient
considrer
comme dirige
contre elles
deux
toute attaque
dirige
contre
l'une d'entre
elles.
En foi
de quoi, les
plnipotentiaires
ont
sign
de
leur
propre
main
ce
trait
et
y
ont
appos
leurs
sceaux.
Sign:
Andrassy.
Prince
Henri
VII
Reuss.
Fait
Vienne, le
7
octobre
1879.
Les
raisons
de la Triple
alliance
ont
t
exposes,
par
Bismarck
lui-mme,
dans ses Sou-
venirs.
Il
dit,
avec
une
grande
prcision :
Con-
tre
une
alliance
franco-russe,
le
coup
qu'il
faut
jouer
est une
alliance
austro-allemande,
Kt,
envisageant,
la
fois
le
fait
et
ses
consquences,
il
s'exprime
ainsi
dans une lettre
adresse au
roi
de
Bavire
:
Je
considrerais
comme une
garantie essentielle de la
paix
europenne
et
de
la scurit
de
l'Allemagne
une
convention
de ce genre...
Une nouvelle
coalition
Kaunitz
(c'est--dire
de
la
Russie
et de
la France)
n'au-
rait
pas
de
quoi
dsesprer
l'Allemagne,
si
l'Allemagne
savait
rester unie
et
que
ses armes
fussent habilement
diriges
:
ce
n'en serait
pas
moins
un vnement
fcheux
et
que
notre
poli-
tique doit
s'appliquer
viter,
autant
que
possible.
Si les
forces
unies
de
l'Autriche
et de
l'Allemagne
avaient la
mme
cohsion
et
la
mme
unit
de
commandement
que celles de
la France
et
de la
Russie,
je ne considrerais
pas l'agression
simultane
de
nos
deux
voisins
comme
une
menace
de
mort, l'Italie
ne
dt-elle
mme
pas
faire
partie
de
notre
alliance...
Mais il fait, aussitt,
la rflexion
suivante,
qu
explique
toute
sa pense
:
Comme alli
de
l'Autriche, l'empire
allemand
ne
manquerait
pas
de
l'appui
de l'Angleterre...
C'est
ici
qu'on
aperoit
la diffrence
capitale
de
l'esprit poli-
tique
d'un
Bismarck et de celui
de
ses suc-
cesseurs.
L'intervention
de
l'Angleterre
et
t
certainement
son
cauchemar
,
et
il
et
tout
fait
pour
l'empcher.
En
somme, la
politique
allemande rompait
expressment
avec
la
Russie
et
avec la politi-
que
des
Trois
Empereurs, puisque,
dans
le
texte
du
trait, la
Russie seule tait vise.
Ce
trait
tait,
d'ailleurs,
uniquement
dfensif : l'un
des deux empires n'tait tenu
de
prter
secours l'autre
que
si
celui-ci
venait
tre attaqu
par
la
Russie. Au
cas o
l'un
des
deux
empires
tait
attaqu par
une
autre
puissance, l'empire alli
n'tait engag
qu'
ne
pas
soutenir l'agresseur
contre son alli
ou
tout au
moins
observer
une neutralit bien-
veillante l'gard
de
la
partie
contractante
.
Et c'tait seulement dans le
cas oij
la puissance
attaquante tait soutenue par
la
Russie,
qu'il
y
aurait
obligation d'assistance rciproque
.
Les
deux
parties contractantes
s'engageaient
ib
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
27/318
LES
ORIGINES
DIPLOMATIQUES
DU
CONFLIT
LE
PRESIDENT
SADI-CARNOT
A
L
ELYSEE
enfin conduire
les
oprations
de
guerre
conjointement
jusqu'
la
conclusion
de
la paix.
Les
dispositions
visant
la communication
du
trait
la
Russie
taient, au
fond,
un
moyen
d'intimidation dont on
se
rservait, le cas
chant, de se
servir
contre cette
puissance.
Ces finesses et
ces
prcautions
devaient
avoir
leur effet dans
les
circonstances
qui prc-
drent la
rupture de
1914.
Bismarck
ne
considrait pas
qu'une
combi-
naison
si forte
ft
suffisante.
Il
voulait donner
toutes
les
scurits
possibles
l 'Autriche-
Hongrie : celle-ci,
en 1866,
avait
eu l'Italie
comme adversaire.
L'Italie
tait
ou
pouvait
devenir
un
adversaire
dangereux
;
c'tait
tout
au moins
un
voisin gnant.
Bismarck
se chargea
d'arranger
les
choses.
L'ITALIE
DANS LA
L'Italie
en
avait
voulu
TRIPLE
ALLIANCE
grandement
Napo-
lon III
d'avoir
dfendu
le
pouvoir
temporel
du Pape
;
en
outre, elle
avait prouv
un
vif
dsappointement
la
suite
de
l'tablissement
du
protectorat
franais
en
Tunisie.
L'Italie
n'aime
pas
l'Autriche,
elle
la
sent
toujours
menaante
sur
la
frontire
vnitienne; elle
n'oublie
pas le
mot
d'un
diplomate
autrichien,
disant
de
l'empereur
Franois-Joseph
:
Si
on
lui
ouvrait
le
cur, on
y
trouverait crit
le
mot:
Vntie.
Mais
elle
pouvait craindre
pour
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
28/318
HISTOIRE
ILLUSTRE
DE
LA GUERRE
DE
I9I4
son
unit,
si
Bismarck
prenait
en
main la
question du
pouvoir
temporel.
Bismarck
expli-
que,
avec
son
cynisme
habituel,
les
raisons
et
les
procds
qu'il employa
pour
peser
sur
l'Italie.
Quoi
qu'il en
soit,
en
1882,
fut
sign
Vienne
le
trait
entre
l'Allemagne,
l'Autriche-
Hongrie
et
l'Italie,
trait
qui,
compltant
celui de
1879,
concluait
la
Triple
Alliance
,
Le
texte
n'en a
pas t
publi,
mais
on
sait
que ses
clauses
diffraient
sensiblement
de
l'acte
pass
entre
l'Allemagne
et
l'Autriche-
Hongrie;
elles
avaient
un
caractre
unique-
ment
dfensif, se
bornant
instituer
une
garantie
territoriale
rciproque,
chacun
des
trois contractants
s'tant
oblig
contribuer
la
dfense du
territoire des
autres, qui ferait
l'objet d'une
agression
trangre
.
La
France
et
la
Russie,
isoles
toutes
deux,
se
trouvaient
ainsi entoures,
par
l'habilet
du
prince
de
Bismarck,
d'un
formidable
cercle
de
trois
millions
et
demi de
baonnettes.
La
diplo-
matie
allemande
se
sentait
la matresse de
l'Europe.
L'alliance avait t
conclue pour
cinq
ans;
mais,
renouvele
rgulirement en
mai
1882,
en
mars
1887,
en
juin
1891,
en
mai
1898
(pour
six ans),
en
mai
1904,
en mai
1909,
elle
devint
la
base
normale
de
la politique des trois
puis-
sances
qui
l'avaient conclue
:
l'Italie seule, se
trouvant un peu
plus libre, faisait
parfois,
la
date des
renouvellements, sentir le
prix
d'une
nouvelle
adhsion. Le
dernier
renou-
vellement est de
juin
1913
;
la
formule
trs
prudente
qu'avait signe
l'Italie
lui permit,
sans
violer le
texte
du
trait,
de
garder
la
neutralit.
Le
prince
de
Bismarck
pensa
qu'il
lui
res-
tait
un nouveau
pas
faire.
Maintenant
qu'il
avait
pris
ses prcautions
contre la
Russie,
il
considra
comme
d'une diplomatie
suprieure
d'obtenir
satisfaction
et
scurit
du
ct de
la
Russie
elle-mme.
Ce
qu'il
craignait,
c'est
que
cette puissance, menace
par la Triple
Alliance,
ne
se
tournt
vers la
France. Il eut
donc l'ha-
bilet
d'amener la
chancellerie
moscovite
lui
faire
confiance.
Au
mois
de septembre
1884,
il
obtint du
gouvernement
imprial,
que le
fantme
de
la France
rvolutionnaire
pou-
vantait, la
signature
d'un
trait,
aux termes
duquel l'Allemagne
et
la
Russie
s'engageaient
rciproquement
une neutralit
bienveillante,
au
cas o
l'une
d'elles
serait
attaque
par une
puissance trangre.
C'est cet
acte que Bismarck
a
baptis
:
un
contrat
de
rassurance.
Toutes les
prcautions
taient
prises. Bismarck lui-mme,
dans le
dbat
qui
s'est
lev
ce sujet en
1896,
a soutenu
que
l'Autriche-Hongrie
et l'Italie
n'ignoraient
pas
la
garantie supplmentaire
prise
par l'Allemagne
du ct
de
la
Russie.
Mais le baron
de
Marshall,
rpondant
Bis-
marck,
porta
un
jugement svre
sur cette
politique
hypocrite,
quand
il dit
la
tribune
du Reichstag
:
Ce systme
d'assurances et
de
rassurances
ne
peut
inspirer
personne
une
confiance parfaite
et
chacun pouvait
se
deman-
der quel
tait
celui
des
traits
qui
prvaudrait
au moment voulu.
La
diplomatie
allemande
se
jugeait
elle-mme.
La Russie,
sentant
le pril
de
cette
situa-
tion
obscure,
n'avait
accd
qu'
un
engage-
ment
d'une dure de trois
ans.
A
partir
de
1887,
elle
reprenait sa
libert.
En
mars
1887,
le trait
de
la Triple Alliance,
arriv
son chance, fut
renouvel.
Bismarck
tait
toujours
l
et
veillait.
Mais,
en
1890,
un
vnement
trs grave
se produisit
en
Alle-
magne.
Le
nouvel empereur
Guillaume
II,
mont
sur
le
trne
le
15
juin
1888,
s'tait
dbarrass
des
services trop
illustres du
prince
de Bismarck
et
l'avait
congdi.
Le
contrat
de
rassurance
ne
fut
pas renouvel par
le
gnral
de Caprivi.
Bismarck,
incapable
de
contenir
sa
colre,
et
voulant
faire
connatre au
monde
l'tendue
de
l'ingratitude dont
il tait
la
victime,
rvla,
d'abord dans des
conversations
prives,
puis
dans
des publications
de
plus
en
plus
prcises
en
1896,
la suite
de
la visite
du
tzar
en
France
et
des
toasts
changs
Chlons,
tous
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
29/318
LES
ORIGINES DIPLOMATIQUES
DU
CONFLIT
I.e Grand-Duc Alexis.
Le
Comte
Mourawieff. Le
Tsar Nicolas II. M.
Flix
Faure.
M. G.
Haiiotaux.
A BORD
DU
POTHUAU
(aot
1897).
19
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
30/318
HISTOIRE
ILLUSTRE
DE
LA GUERRE
DE
I914
les
dessous de
la
diplomatie
germanique.
Si la
Russie
avait
pu
douter
encore,
la
duplicit
allemande
s'talait
devant
elle
avec
la plus
insolente des
impudences,
en
mettant
jour
toute
l'intrigue des
contrats
d'assurance
et
de
rassurance.
L'ALLIANCE
Bismarck avait
quitt
FRANCO-RUSSE
le
pouvoir
le
27
mars
1890;
le
II
mai
1890,
le
grand-duc
Nicolas,
gn-
ralissime des
armes
russes,
vainqueur
de
Plevna,
vint
Paris
et
demanda
rencontrer
le
prsident du
Conseil,
ministre
de
la guerre
franais, M. de
Freycinet.
Il
posa des
ques-
tions prcises
sur
la
reconstitution
de
l'arme
franaise
et
dit
son
interlocuteur
qu'il s'in-
tressait
elle comme
la
sienne
propre :
Si
j'ai
voix au
chapitre, ajouta-t-il,
les deux
armes
n'en
feront qu'une
en temps de
guerre.
Et cela, tant
bien connu,
empchera
la guerre.
Car
personne ne se
souciera d'affronter
la
France
et la
Russie
runies.
Et
il dit
encore
en
partant :
La
France
a
en
moi un
ami.
Le
caractre
militaire
de
la
prochaine
alliance
franco-russe
se
dessinait
ds cette
premire
dmarche.
Bientt,
il
s'affirma
en
public
et
de
la
faon
la plus clatante. L'attach
naval
franais
Saint-Ptersbourg fut averti discrtement
que
la visite
d'une
escadre
franaise
en Russie
serait accueillie
par
des manifestations
qui
tra-
duiraient aux
yeux de tous
les
sympathies exis-
tant entre les
deux
gouvernements
et
les
deux
pays.
L'empereur
lui-mme
dsirait saisir
cette
occasion
de faire connatre
ses sentiments
l'gard
de
la
France.
En
juillet
1891,
une
escadre
franaise,
com-
mande
par l'amiral
Gervais,
partait
de
Cher-
bourg
pour la Baltique.
L'accueil qui lui fut
fait
Cronstadt
est
inoubliable;
l'empereur
Alexandre
III
couta
debout
la
Marseillaise,
joue par
la
musique
de
la
marine russe.
C'tait la
main
tendue,
au-dessus
de l'Allemagne,
par
l'empire
des
tzars
la Rpublique
franaise.
Quand
elle
eut
quitt
Cronstadt,
l'escadre
de
l'amiral
Gervais,
avant
de
rentrer en France,
se
rendit
Portsmouth,
pour tablir
tous
les
yeux
que
le
rapprochement
franco-russe
n'tait
en rien hostile
l'Angleterre.
L'anne
suivante,
la
visite
rendue
Paris
par les marins
de
l'amiral
Avellan
fut
accueillie
par
la
population
parisienne
avec des
dmons-
trations
de joie
et
un enthousiasme
qui
ne
laissaient
aucun doute sur les
sentiments
una-
nimes
de
la
nation
franaise.
Pour la
premire
fois, on
sentait
se soulever le
poids dont
la
politique bismarckienne,
depuis vingt
ans,
avait
accabl
l'Europe.
Les
chancelleries ne
restaient
pas
inactives
:
M.
Carnot tait alors prsident
de
la Rpubli-
que.
La loyaut
et
la
fermet
de
son caractre,
la
noblesse un peu mlancolique
de
sa
figure
historique
avaient inspir
au monde une
haute
estime.
M. de
Freycinet,
l'homme
de
la
dfense
nationale,
l'organisateur
des chemins
de
fer
franais, le restaurateur
de
l'ordre
dans
l'arme,
le
crateur
de
l'tat-major,
tait
prsi-
dent
du
Conseil et
ministre
de
la
guerre
;
M.
Alexandre
Ribot, parlementaire
considra-
ble,
grand
orateur,
personnage
universellement
respect,
tait
ministre
des
affaires trangres.
Une telle
'
en
pays
allemand.
Quand
l'ge
vient,
tous
sont
entrans
marcher
en
troupe
et
sacrifier
la
volont
par-
ticulire
la
volont
gnrale.
Aprs
la
famille,
o
le
pre
rgne
en
matre,
o
la
mre
sent
de
bonne
heure
que
ses
enfants
lui
chappent
1
76
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
87/318
;
veulent
imposer au monde une manire
de
sentir
et
de
penser qui
soit
spcifiquement
allemande. Ils
veulent
conqurir la
supr-
matie
intellectuelle
qui,
de
l'avis
des esprits
lucides, reste
la France.
C'est
cette source
que s'alimente
la phrasologie
des panger
manistes, comme aussi les sentiments
et
les
contingents des
Kriegsvereine, des
Wehr-
vereine
et
autres
associations
de
ce
genre.
Il
convient
de noter que le
mcontentement
caus
par
le
trait
du
4
novembre
a
consi-
drablement
accru
le nombre des
membres
des socits
coloniales.
Il
y
a, enfin,
des
partisans
de
la guerre
par rancune,
par
ressentiment.
Ce
sont les
plus
dangereux.
Ils
se recrutent
surtout
parmi
les
diplomates.
Les diplomates
allemands
ont
une
trs
mauvaise
presse
dans
l'opinion
publique;
mais
plus
acharns
sont
ceux
qui,
depuis
1905,
ont
t
mls
aux
ngociations entre
la
France
et l'Allemagne;
ils
accumulent
et
additionnent
les
griefs
contre
nous,
et, un
jour,
ils
prsenteront
des comptes dans
la
presse
belliqueuse.
On
a
l'impression
que
c'est
surtout
au
Maroc
qu'ils
les
recherche-
ront,
bien
qu'un
incident soit
toujours
pos-
sible
sur
tous les
points
du globe
o
la France
et
l'Allemagne
sont
en
contact.
Il leur faut une
revanche,
car ils se
plai-
gnent
d'avoir
t
dups.
Pendant la
discus-
sion
de
la
loi
militaire,
un
de ces
diplomates
belliqueux
dclarait
:
L'Allemagne
ne
pourra
causer
srieusement avec la France
que
quand
elle aura
tous
ses
hommes
valides
sous
les
armes.
{Livre
Jaune.)
C'est
fait; les
ds
sont jets.
Nous
allons
voir maintenant
qui
les
relvera.
L'EMPEREUR
Menac
sans
cesse par
les
diverses forces
rivales
qui
luttent
en
lui, l'empire
allemand se
disloque-
rait, s'il
n'tait continuellement
surveill,
entretenu, entran par la
vigilance
du
matre,
l'Empereur. La fonction impriale est
le
rouage suprme.
Tant vaut l'Empereur, tant
vaut
l'Empire.
Ainsi l'avait voulu Bismarck
: il
comprenait,
d'ailleurs,
que le matre avait
pour
principal
devoir
de choisir un bon
ministre,
auquel il
s'en
remettrait du
travail
et de
la
charge.
Guillaume
II
fut
d'une
opinion diffrente
;
il
pensa qu'il
suffirait seul
la
tche. Il
assuma
toutes les
responsabilits. Ainsi, sa nature fit
son rgne. Par
lui, l'Allemagne, non guide,
mais
plutt
excite
dans
le
sens
de
ses
qualits
et
de ses
dfauts, fut sans
frein.
Quel est
donc
cet
homme, ce souverain
qui
a
dchan
sur
le
monde la
pire des calamits
qu'ait
connues l'histoire et qui,
en
dclarant
une
telle guerre
et
en
donnant
des
mains
la
faon dont ses gnraux et
ses
soldats
l'ont
conduite, s'est
montr le plus
barbare et
le
plus
sanguinaire
de
tous les
hommes, ce
souverain
dont les uvres ne sont
comparables
qu'aux
ravages
d'un Attila,
en un temps o
la
douceur
des
murs
et
la
noblesse des
sentiments pacifiques
paraissaient
l'acquis
in-
discutable del
civilisation.
Tchons
de
ressaisir ses
traits,
tels
qu'ils
apparaissaient
l'observateur impartial,
avant qu'ils
ne
fussent
rvls dans
leur
tragique
caractre.
L'Empereur,
quand il est
pied, apparat
de
taille
mdiocre, d'aspect disgracieux et
f
92
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
103/318
L ALLEMAGNE
POLITIQUE
CUFLLACME
II
ET
L'IMPERATRICE
AlGUSTA
presque vulgaire. Si
c'tait
un
simple
bour-
geois, on le
verrait comme
il
est :
le
crne
en
pointe, le
front assez
bien
model
mais
troit, de
petits
yeux
d'un
gris
indcis,
un
regard
dur quand
il
ordonne,
caressant
quand
il
veut
plaire,
la
fameuse
moustache
en
croc
et
le menton
fuyant.
Une
transformation
complte
se
produit
juand
il
est
cheval
et
qu'il
dfile
la
tte de
ses
troupes
: grandi par
le
casque
d'argent
surmont de
l'aigle
d'or,
tenant
au poing
le
bton
de
marchal, le
verbe
clatant, l'allure
noble
et grave,
il apparat comme la figure
du
commandement,
le
type
du
hros, sinon
lgen-
daire, du
moins
romantique.
L'Allemagne et l'Europe
ont
t
prises
ces
magnifiques apparences
;
et
l'homme
vani-
teux et
spectaculeux
qu'est au fond
le
monarque,
s'y
est pris
lui-mme.
Sa nature
prompte,
mais
superficielle,
est entre dans
ce
93
7/18/2019 Hanotaux - Histoire Illustree de La Guerre de 1914 ome 1
104/318
HISTOIRE
ILLUSTRE
DE
LA
GUERREDE
I914
rle,
s'y
est
plu
et,
peu
peu,
s'y
est
fige.
Le
surhomme
a
gt et
altr
l'homme.
Enivr
par
la
flatterie,
il a
perdu
com-
pltement
le
sens
des
nuances
qui
n'est
dj
pas
une
qualit
allemande.
Ainsi,
il
a
rendu
moins
accessible
l'expression
d'une
physionomie
qu'il
cachait
sous
ce
masque
d'emprunt.
Ne
manquant
ni
d'intelligence,
ni
d'appU-
cation,
il
s'est
laiss
dominer
par
le
souci
de
paratre et
la
crainte
d'tre
mconnu
;
ambi-
tieux
de
tenir les
premiers
rles
et
prten-
dant
les
jouer
tous,
mais le
fond
solide
man-
quait
en
lui.
Capable
de
vellits
plus
que
de
volonts,
il n'avait