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1 Magazine Greenpeace N° 3 — 2014 GREENPEACE MEMBER 2014, Nº 3 La vie sauvage, redoutée et vénérée p. 3 DOSSIER THÉMATIQUE Nouveaux sites sauvages p. 5 Le retour du loup p. 16 Un îlot préservé de la civilisation p. 19 Mère Nature p. 29 Quand la ville retourne à l’état sauvage p. 34 Dans la jungle digitale p. 40 Des organismes tout sauf sauvages p. 55 Histoires naturelles à la télévision p. 58

Greenpeace Magazine 2014/03

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1Magazine GreenpeaceN° 3 — 2014

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— La vie sauvage, redoutée et vénérée p. 3

DOSSIER THÉMATIQUE Nouveaux sites sauvages p. 5Le retour du loup p. 16Un îlot préservé de la civilisation p. 19Mère Nature p. 29Quand la ville retourne à l’état sauvage p. 34Dans la jungle digitale p. 40Des organismes tout sauf sauvages p. 55Histoires naturelles à la télévision p. 58

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Éditorial — Lorsque nous avons entièrement repensé ce ma-gazine, il y a trois ans, l’objectif était de publier moins de nu-méros mais davantage de contenus. Et d’aborder de nouvelles thématiques, dépassant les campagnes de Greenpeace, mais ancrées dans les valeurs de l’organisation. Promesse tenue. Nos lectrices et lecteurs nous ont régulièrement manifesté leur intérêt pour les sujets et la manière de les traiter. C’est ici l’occasion de les remercier chaleureusement de leurs réactions.

Certains thèmes sont si riches et importants qu’un large éventail de textes et d’images est nécessaire pour les cerner. Cette édition du magazine est consacrée à un de ces thèmes: le monde sauvage, la vie sauvage. Près de soixante pages sont dédiées à diverses facettes de la naturalité, avec des photos parfois splendides, parfois lugubres.

Le dossier commence en page 5 avec une contribution sur un monde sauvage proprement subversif, qui grignote la sphère organisée par les êtres humains. Notre magazine s’aventure lui aussi dans de nouvelles contrées en lançant une application. Au lieu d’attendre les trois parutions annuelles du magazine, celles et ceux qui le souhaitent pourront bientôt accéder plusieurs fois par mois à nos récits, images et films surprenants autour de la nature, de l’écologie et de la société. L’application contient également un guide écologique calqué sur le Manuel Greenpeace, conçu pour vous renseigner sur la dimension écologique de quasi tous les aspects de la vie quotidienne.

Nous espérons ainsi contribuer à élargir votre hori-zon. Comme avec la présente édition du magazine, et toutes celles à venir.

La rédaction

P.-S. L’application nommée Greenpeace Suisse est disponible gratuitement pour iOS chez App Store (pour l’instant en allemand, une version française est en cours de préparation).

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La nouvelle vie sauvage 5

La nature postinDustrieLLe Sur les sites industriels en friche, la vie

sauvage reprend ses droits

Une architecture sauvage 34

Des BiDonviLLes inteLLigents

Les architectes s’inspirent de la prolifération urbaine

Un monde digital sauvage 40

La Face cachÉe D’internet

La surveillance abolit la liberté sur Internet – mais il y a darknet

Reportage photo 44

La vie À L’État sauvage n’eXiste pas

Le peuple péruvien des Asháninka n’a pas de terme pour

désigner le monde sauvage

Entretien 52 NOTRE AVENIR ANIMISTE, SELON L’ANTHROPOLOGUE JEREMY NARBY

Symbole de la vie sauvage 16SUR LES TR ACES DU LOUP

Portrait 19FR ANK DÄHLING ET SON UNIVERS SAU VAGE PRIVÉ

Faits surprenants 22LA VIE SAU VAGE DANS TOUS SES ÉTATS

Reportage 24LES ABEILLES SAU VAGES PRÉFÈRENT LES PLANTES DU PAYS

Essai 29L’ÉCRIVAIN EMIL ZOPFI REVIENT SUR SON ENFANCE DANS LA NATURE

Hommage 55PAS DE VIE SUR TERRE SANS LES CHAMPIGNONS

Test télévisé 58DEUX SEMAINES D’ÉMISSIONS SUR LA NATURE: LES IMPRESSIONS DE NOTRE AUTEUR

Le mot de la direction 2Mentions légales 2La carte 32En action 60Campagnes 67Mots fléchés écologiques 72

Introduction 3

Qu’est-ce Que La vie À L’État sauvage?

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2Magazine GreenpeaceN° 3 — 2014

Une ambivalence que beaucoup connaissent: se passionner pour un grand événement comme la Coupe du monde de football, admirer la per-formance technique des joueurs, être heureux de prendre part à un grand moment sportif, tout en reconnaissant les zones d’ombre de la manifestation: la FIFA accusée de corruption, l’injus-tice sociale à côté des stades, les dégâts écologiques colossaux. Et bien sûr le désenchantement, une fois la com-pétition terminée.

Un autre questionnement bien connu: se donner la peine de vivre plus modestement, de renoncer à la voiture et de passer ses vacances en Europe, alors que les économies émergentes accroissent leur consommation, avec leurs millions d’habitants au Brésil, en Chine et en Inde, qui souhaitent eux aussi profiter des richesses. Nos efforts personnels ont-ils encore un sens, au vu de cette réalité?

Pour Greenpeace, l’enjeu est plus grand que jamais. Nous n’avons qu’une seule planète, qui glisse vers la catas-trophe climatique à cause des rejets de CO2 de ces dernières décennies. L’enga-gement, le courage, l’espoir de chacune et chacun d’entre nous sont une né-cessité pour empêcher, ou au moins enrayer le cataclysme.

C’est pourquoi notre organisation opère une réorientation. Il y a une année, les directrices et directeurs de tous les bureaux de Greenpeace ont décidé, d’un commun accord, de redi-riger les ressources vers les bureaux d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Nos campagnes seront désormais menées en réseaux et de manière dé-centralisée, et les actions refléteront mieux les différentes perspectives. Pour nous, membres de bureaux du Vieux Monde, l’enthousiasme de nos collègues dans les pays émergents a été contagieux depuis le début. Rendre nos campagnes plus efficaces

à l’échelle globale, voilà la vision qui nous donne la force de mener une transition organisationnelle d’ampleur, pour mieux cibler nos objectifs.

L’évolution est en cours. Le bureau suisse est d’ores et déjà engagé dans plusieurs projets mondiaux. Nous diri-geons la campagne européenne de protection des abeilles; nous luttons, avec d’autres bureaux, pour la création d’une zone préservée en Arctique; et nous collaborons avec nos collègues d’Asie, dans le cadre de la campagne Detox, pour arrêter la pollution des eaux par l’industrie textile. Beaucoup de projets sont en bonne voie, la coopéra-tion nous offre une force nouvelle et une dynamique d’apprentissage mu-tuel. Mais tout n’est pas gagné d’avance. Notre bureau international à Amster-dam est la structure qui connaît le changement le plus drastique. La mise en place de nouveaux processus de travail prend du temps. De notre côté, nous pouvons apporter soutien et compréhension.

L’euphorie de la Coupe du monde de football est passée. Ce qui reste, ce sont les séquelles de l’événement sur la nature et la société brésilienne. Mais aussi la belle expérience de voir une équipe soudée et bien entraînée capable de susciter l’enthousiasme et de gagner.

Verena Mühlberger et Markus Allemann, co-direction de Greenpeace

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Mentions LÉgaLes – greenpeace MeMBer 3/2014

Éditeur / adresse de la rédaction: Greenpeace SuisseBadenerstrasse 171Case postale 93208036 ZurichTéléphone 044 447 41 41Téléfax 044 447 41 [email protected]

Changements d’adresse: [email protected]

Équipe de rédaction: Tanja Keller (responsable), Matthias Wyssmann, Hina Struever, Marc Ruegger, Barbara Lukesch, Samuel SchlaefliAuteurs:Roland Falk, Tanja Keller, Thomas Niederberger, Mathias Plüss, Samuel Schlaefli, Daniela Schwegler, Claudia Toll, Paul Westrich, Matthias Wyssmann, Emil Zopfi Photographes:Rodrigo Abd, Keith Bedford, Biosphoto/Guillaume, Christoph Chammartin, Reinhard Dirscherl, Nicolas Fojtu,Sergey P. Gaschak, Mike Goldwater, Christian Houge,Chiyuki Ito, Martijn de Jonge,Oliver Lück, Marchand/Meffre,Ryu Seung-Il, Ruben Smit,Ruben Solaz, Urban-Think TankTraduction en français:Nicole Viaud et Karin VogtMaquette:Hubertus DesignImpression: Stämpfli Publikationen SA, BernePapier couverture et intérieur:100% recyclé Tirage:109 000 en allemand, 22 500 en françaisParution:quatre fois par année

Le magazine Greenpeace est adressé à tous les adhérents (cotisation annuelle à partir de 72 francs). Il peut refléter des opinions qui divergent des positions officielles de Greenpeace.

Pour des raisons de lisibilité, nous renonçons à mentionner systé-matiquement les deux sexes dans les textes du magazine. La forme masculine désigne implicitement les personnes des deux sexes.

Dons:compte postal 80-6222-8

Dons en ligne:www.greenpeace.ch/dons

Dons par SMS:envoyer GP et le montant en francs au 488 (par exemple, pour donner 10 francs: GP 10)

La passion est contagieuse!

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3Magazine GreenpeaceN° 3 — 2014

Par Matthias Wyssmann — Le monde sauvage est devenu un bien rare. La nature préservée, à l’écart des interventions humaines, est en voie de disparition. La destruction des forêts pluviales continue, les glaces de l’Arctique sont en train de fondre. Les quelques espaces naturels sauve-gardés sont envahis par le tourisme, aussi durable soit-il. Or ce qui est rare gagne en valeur. La naturalité, le caractère sauvage de la vie ou d’un paysage, a donc réalisé une trajectoire remarquable depuis les temps où nos ancêtres se blottissaient au coin du feu, craignant l’irruption des machairodus. Pour ces êtres préhistoriques, le monde sauvage commen-çait devant leur caverne. Et ils en faisaient partie intégrante.

Les temps ont changé. La vie sauvage est devenue une chose pré-cieuse, associée à l’espoir d’un monde meilleur. «Sauvage» est au-jourd’hui un signe de qualité, tant pour les stars de rock Born To Be Wild que pour les amants des deux sexes, les spécialistes de la décoration intérieure ou les paysagistes. Le monde sauvage est en mutation. Il se dé-ploie là où les règles sont mises entre parenthèses. Rien de plus sexy, dans un monde où chaque objet ou presque est doté d’un senseur, d’une puce ou d’un émetteur pour communiquer avec une banque de données. Cette liberté sauvage se rencontre en ville, sur Internet, dans le monde artis-tique, au club ou même au jardin. La présente édition du magazine se veut le reflet de cette diversité.

Mais l’intervention des êtres humains ne fait pas que laminer les espaces véritablement sauvages. La dévastation crée aussi de nouveaux déserts. Un nombre croissant de sites que la pollution radioactive ou chimique a rendus inhabitables sont réinvestis par la nature. On aurait pourtant tort de s’en féliciter. Il suffit d’ailleurs que quelqu’un y découvre un nouveau «filon» pour que la conquête humaine recommence.

La vie sauvage: entre crainte et Fascination

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4Magazine GreenpeaceN° 3 — 2014

«La vie sauvage, redoutée et vénérée», lit-on en couverture de ce magazine. On pourrait aussi parler de «crainte et fascination», selon qu’on pense au Chaperon rouge ou plutôt à Charles Darwin. Le monde sauvage est attirant pour les femmes et les hommes d’aujourd’hui, c’est indéniable. Mais qu’en est-il de la peur?

Au vu du changement climatique en cours, il serait facile pour Greenpeace de s’étendre sur des scénarios angoissants pour l’avenir. Mais cette démarche, nous la laissons à Hollywood, qui multiplie actuel-lement les productions où les héros sauvent les derniers restes d’une humanité dévastée. Les vifs débats sur la protection des données sur Inter-net reflètent également le besoin de contrôle face à un monde chaotique. Cette variante de l’univers sauvage suscite de nouvelles craintes.

Pour celles et ceux qui sont sensibles à l’écologie, c’est là un di-lemme. Nous souhaitons la coexistence d’une civilisation modérée avec de grandes régions intactes. Nous voulons tirer une frontière entre les êtres humains et le monde sauvage. L’initiative Ecopop est une expres-sion de cette tendance, compréhensible en soi, à vouloir vivre dans un monde clos. Pourtant l’utilité des frontières sur cette planète nous semble pour le moins douteuse.

Se tourner vers le monde sauvage, c’est aussi tenter d’appréhender l’aspect sauvage de notre propre existence. Le phénomène de la vie est commun à tout être vivant, protozoaire, champignon, plante, animal ou être humain. Au lieu de dresser des oppositions entre ce qui serait humain et ce qui ne le serait pas, au lieu de tracer des limites, nous devrions prendre conscience de cette réalité partagée qu’est la vie. Le monde sau-vage pourrait alors disparaître de nos têtes pour faire place à la nature, tout simplement.

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5Magazine GreenpeaceN° 3 — 2014

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Tchernobyl  1

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Zone coréenne démilitarisée (DMZ)  4

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6Magazine GreenpeaceN° 3 — 2014

«La nature postindustrielle» désigne les zones délaissées par les êtres humains, volontairement ou non. Bruce Sterling, auteur américain de science-fiction et de cyberpunk, les appelle les «parcs involontaires». nos exemples illustrent comment la faune et la flore reconquièrent ces étendues qui se transforment en univers fascinants.

Les aigles sont particulièrement nombreux dans la zone interdite de Tchernobyl. Cette zone délaissée depuis vingt-huit ans est devenue un biotope unique au monde.

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7Magazine GreenpeaceN° 3 — 2014

Par Thomas niederberger

Paysages irradiés

Après la catastrophe nucléaire de 1986 à Tchernobyl 1, plus de 350 000 personnes ont dû quitter une zone aujourd’hui interdite, presque aussi grande que le canton du Tessin. Mais les animaux sauvages sont revenus. Des lynx, des loups par centaines, des milliers de sangliers, de cerfs et d’élans, des oiseaux rares comme l’aigle de mer se multiplient malgré la radioactivité. Nombre d’espèces jadis disparues sont retournées sur les lieux. Pour endiguer le risque d’incendie forestier, des chevaux sau-vages et des bisons ont été réintroduits. Ce «parc involontaire» devient même une attrac-tion touristique pour aventuriers.

Un autre site devenu un refuge pour la faune et la flore est le Nevada National Security Site 2, d’une superficie de 3560 km2. C’est ici que, jusqu’en 1992, les Américains testaient leurs bombes atomiques. La région reste sous contrôle des autorités, l’accès n’est possible que dans le cadre de visites guidées.

L’essai nucléaire le plus lourd de consé-quences a été mené par les États-Unis sur l’atoll de Bikini 3, dans le Pacifique, en 1954. La bombe à hydrogène Castle Bravo déploie alors une puissance mille fois plus grande que la bombe de Hiroshima. Les habitants de l’atoll, relogés sur d’autres îles à titre préventif, n’ont toujours pas pu retourner chez eux. En 2010, l’atoll a été inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ses fonds sous-marins préservés en font un pa-radis pour les plongeurs.

Zones démilitarisées

Large de quatre kilomètres, la zone coréenne démilitarisée (DMZ) 4, située entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, s’étend sur 250 km de long, partageant la péninsule à hauteur du 38 e parallèle. La zone est surveillée militairement des deux côtés depuis le cessez-le-feu de 1953, marquant la fin de la guerre de Corée. No man’s land parsemé de mines et de munitions non

explosées, la zone est néanmoins devenue un abri pour les oiseaux migrateurs rares comme la grue de Mandchourie ou la grue à cou blanc. On y trouve aussi des léopards de l’Amour, des ours à collier et de nombreuses autres espèces menacées. La Corée du Nord s’oppose pour l’instant à ce que la zone devienne une réserve de biosphère de l’UNESCO. Mais tant que les tensions entre les deux pays subsistent, la na-ture n’a pas be soin de protection particulière. Une situation qui pourrait changer en temps de paix, avec la construction de routes et le déve-loppement économique.

En Europe, l’ancien rideau de fer s’est lui aussi transformé en une bande verte après la fin de la guerre froide. De la mer de Barents à la mer Noire, en passant par la côte baltique, l’Alle-magne et les Balkans. Cette bande de terre qui était synonyme de danger de mort pour les fugi-tifs est aujourd’hui un havre pour les espèces animales et végétales rares. Depuis la chute du mur de Berlin, l’initiative européenne Green Belt a permis la création de réserves naturelles sur plusieurs segments de l’ancienne frontière.

La Ruhr et la Lusace

Le déclin de l’industrie lourde a laissé environ 10 000 hectares de friches industrielles dans la région de la Ruhr 5. Les anciennes usines et mines de charbon sont en partie réaffectées, mais beaucoup sont envahies par les plantes. Dans une des régions les plus peuplées d’Europe, les espèces menacées trouvent ainsi un habitat sur les collines de résidus miniers et les instal-lations rouillées. Dans le cadre du projet «Forêt industrielle de la Ruhr», l’administration des forêts rend accessibles certains de ces sites aux écoles et aux intéressés.

Une évolution similaire est à l’œuvre dans la partie orientale de l’Allemagne avec la revitali-sation du paysage lunaire de 32 anciennes mines de lignite à ciel ouvert. À ces 1000 km2 s’ajoutent d’autres sites industriels et des zones d’entraî-nement militaire hors d’usage. En Lusace 6, région industrielle de l’ancienne RDA, des loups sont réapparus en provenance de Pologne. Les quinze principaux habitats du loup en Alle-magne portent d’ailleurs souvent des noms qui rappellent l’exploitation minière à ciel ouvert ou les terrains militaires.

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8Magazine GreenpeaceN° 3 — 2014

Paysages d’apocalypse: la végétation aux alentours de Tchernobyl reprend ses droits.

La grue à cou blanc trouve à se nourrir dans la zone coréenne démilitarisée.

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L’atoll de Bikini: les débris militaires abandonnés dans les fonds marins attirent les poissons, mais aussi les plongeurs.

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Le paysage naturel unique d’Oostvaardersplassen, l’un des mieux préservés d’Europe.

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Terres artificielles

Dès 1978, la région de Buenos Aires 7 com-mence à déverser ses déchets de construction en mer pour étendre ses terres, d’après une mé-thode pratiquée en Hollande. Mais les projets de construction sont abandonnés pour des raisons financières et les terrains remblayés sont laissés à l’abandon. En 1986, la zone a été déclarée réserve naturelle; elle est aujourd’hui un paradis d’espèces rares et le plus grand poumon vert de la mégapole.

Non loin d’Amsterdam, une surface de 60 km2 constitue l’un des plus importants bio-topes humides protégés d’Europe: Oostvaar-dersplassen 8. Autrefois immergée, cette région n’est asséchée que depuis la construction d’une longue digue dans les années 1960. Elle est ré-servée aux animaux sauvages qui y ont été pro-gressivement introduits, tandis que l’accès est strictement interdit à la population. Oostvaar-dersplassen compte aujourd’hui 1200 chevaux de la race konik, des cerfs et un grand nombre d’oiseaux migrateurs.

La friche industrielle de Gunkanjima 9

Hashima est l’une des 505 îles inhabitées de la préfecture japonaise de Nagasaki, en mer de Chine orientale. Situé à 5 km de la côte, ce rocher inhospitalier est resté désert durant des milliers d’années. Mais en 1890, la société Mit-subishi acquiert les droits d’exploitation du gisement de charbon découvert dans les fonds marins près de l’île.

Un épais mur de béton est alors construit autour de l’îlot pour le protéger des tempêtes. Sa surface de seulement 6,3 hectares correspond à neuf terrains de football. Les ouvriers se mettent à creuser des puits de 1100 m de profondeur. Hashima sera désormais nommée Gunkanjima, «l’île navire de guerre», en raison de sa muraille de protection.

La production de charbon atteindra 410 000 tonnes les années de pointe. Les guerres contre la Chine (1894) et la Russie (1904), puis la Seconde Guerre mondiale alimentent la demande en charbon. Mitsubishi continue de développer l’île. En 1959, une trentaine de constructions de plusieurs étages permettent de

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loger 5000 ouvriers et leur famille. Gunkanjima atteint une densité de population de 1391 per-sonnes par hectare, un niveau rarement atteint. Les conditions de travail sont dures. Les acci-dents dans les puits, les maladies, l’épuisement et la malnutrition coûteront la vie à 1300 tra-vailleurs. Nombreux sont ceux qui meurent en essayant de rejoindre la terre ferme à la nage. La ville sera tout de même nommée Furusato, «village natal», par ses habitants. Elle compte une école primaire, un gymnase, un service de police, une poste, des terrains de jeu, un cinéma, des bars, des restaurants et une maison close.

Mais c’est vers la fin des années 1960 que se joue le véritable drame de Gunkanjima. Ce n’est ni un cyclone, ni un séisme, ni même la bombe atomique Fat Man larguée sur Nagasaki en 1945 qui mettront fin à la vie sur l’île. Avec la transition économique et le passage du charbon au pétrole, Gunkanjima perd tout intérêt aux yeux de Mitsubishi. Toute une communauté urbaine se trouve alors déchirée et dispersée sur les sites industriels du Japon. Le 20 avril 1974, les derniers habitants rejoignent Nagasaki.

L’île en forme de navire de guerre entame une longue mutation pour redevenir Hashima. Le sel de mer grignote les murs en béton et les

Jadis centre économique animé, l’île est devenue un désert urbain envahi par les plantes.

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Oostvaardersplassen: les marais abritent un grand nombre d’espèces.

Vestiges à Détroit, la ville de l’industrie automobile: friches industrielles et ruines.

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structures métalliques, les autocuiseurs de riz, les chemins de fer miniatures, les fauteuils de coiffeur abandonnés. Les tempêtes attaquent la muraille, les bambous couvrent les toits et les escaliers délabrés. La ville fantôme annonce ce que pourrait devenir le monde civilisé, une fois les derniers gisements de pétrole, de gaz et d’uranium épuisés.

Les ouvriers de Gunkanjima ont été attirés sur l’île par la promesse d’une vie heureuse. À Fukushima, le nucléaire promettait un «ave-nir radieux» si l’on en croit un slogan local. La puissance de l’uranium a fait du village de pêcheurs nommé Futaba une grande ville cô-tière. Après la catastrophe nucléaire, Futaba est délaissée, silencieuse, sombre. Tout comme Gunkanjima. Un nouvel univers sauvage, inac-cessible aux êtres humains pour des décennies.

détroit 10

Dans les années 1950, Détroit était l’une des principales villes industrielles du monde et comptait près de deux millions d’habitants. Aujourd’hui, sa population est réduite de moitié. Les quelque 90 000 terrains désormais inu-tilisés sont une aubaine pour la nature. Les auto-rités prévoient de revitaliser champs et parcs pour créer une zone verte de la taille de la ville de Vienne. Les friches urbaines pourraient dis-paraître au profit d’arbres fruitiers et de champs de légumes.

désastre climatique

Quels seront les effets mondiaux du change-ment climatique? Le risque de catastrophes na-turelles, d’inondations, d’éboulements et de glissements de terrain augmente incontestable-ment. Des événements que les mesures de construction permettent de maîtriser tant bien que mal, à condition d’y mettre le prix. Mais il est souvent meilleur marché de condamner les zones à risques. Ainsi le gouvernement néer-landais entend abandonner à la nature plusieurs régions sujettes aux inondations.

Kiribati 1 1, l’État insulaire comptant 21 îles pour 100 000 habitants dans le Pacifique, pour-rait bientôt devenir inhabitable. Certaines îles sont déjà abandonnées. Le point le plus élevé de

Kiribati ne surplombe la mer que de trois mètres. Les finances font défaut pour construire de nouvelles digues capables de résister à la violence croissante des ondes de tempête. Et les plans futuristes d’îles flottantes ne bénéficie-raient qu’à une minorité. Le président Anote Tong négocie actuellement avec Fidji, la Nouvelle- Zélande et l’Australie un éventuel relogement de sa population.

Un phénomène sous-estimé

À partir de quel stade un site laissé à la nature est-il qualifié d’aire sauvage? Aucune définition claire n’existe à ce sujet et on ne sait pas grand-chose de la qualité écologique de ces zones. Les organisations de défense de l’environnement préfèrent travailler sur la sauvegarde des éco-systèmes intacts que sur les friches industrielles et leur transformation en parc naturel. Mais l’importance du phénomène de la «nouvelle vie sauvage» devrait s’amplifier ces prochaines années en raison du changement climatique.

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Par Claudia Toll — Les espèces homo sapiens et canis lupus ont une longue histoire commune, souvent peu réjouissante pour le loup. Mythes, contes, fables, paraboles et dictons sont nom-breux à faire intervenir le loup. Adulé ou maudit, le loup de ces récits est cependant bien éloigné de la réalité.

Pour les éleveurs, le loup était une menace. Il fallait le tenir à l’écart des troupeaux et l’élimi-ner. La chasse au loup était surtout menée par les seigneurs des châteaux, qui le considéraient comme une nuisance et ne toléraient même pas la présence des chiens des paysans dans la forêt. Les écrits historiques en témoignent, les ripailles de la noblesse ne laissaient pas grand-chose au menu peuple.

Charlemagne créa le corps de la louveterie, une institution chargée de l’élimination systé-matique des loups. Les incidents avec ces ani-maux étaient volontairement grossis pour susci-ter l’indignation de la population. L’histoire du Petit Chaperon rouge ou celle du Loup et des sept chevreaux en sont un lointain reflet. Les loups étaient précipités dans des fossés et tués par des méthodes cruelles comme le piège à mâchoires, l’hameçon ou divers poisons.

Une image contrastéeLa haine du loup est telle qu’il devient le

symbole d’un monde sauvage et menaçant: il est le prédateur parasite, le ravageur hostile à la civi-lisation, un condensé de l’état de nature selon Hobbes, où l’homme est un loup pour l’homme, un auxiliaire du diable dont il faut tordre le cou, enfin une figure récupérée par diverses mou-vances politiques. Voilà pour la fiche signalétique du loup telle qu’elle ressort de l’histoire culturelle.

Durant des décennies, il était hors de ques-tion de réhabiliter le loup. Depuis son retour, la caricature commence à se corriger. La re-cherche s’intéresse à cet animal désormais épar-gné par la chasse. Les résultats des investiga-tions nuancent aujourd’hui les idées reçues pseudo scientifiques sur la taille des meutes, les comportements de domination ou l’activité prédatrice.

Malgré le caractère lent et contrôlé de sa réimplantation, le loup reste un sujet de contro-verses. Nombreux sont ceux qui voient en lui l’incarnation du mal et un dévoreur d’enfants. Le retour du loup suscite l’inquiétude et même le rejet. Certains estiment que le carnassier n’a plus sa place dans un monde densément peuplé. D’autres l’accueillent avec bienveillance, voire avec enthousiasme. Pour eux, cet «animal des superlatifs» est un enrichissement pour la faune du pays. Les autorités veillent d’ailleurs à limi-ter le potentiel de conflits, en versant aux déten-teurs d’animaux de rente une indemnité pour les bêtes dévorées par les loups. Les clôtures et les chiens de protection aident à protéger les troupeaux. Mais la colère est grande quand le loup attaque réellement. L’indignation fuse, même si certains chasseurs sont devenus moins vindicatifs.

D’où vient la nouvelle fascination pour ce grand prédateur? Pourquoi les nombreux tatouages et tee-shirts à l’effigie du loup? N’est-ce pas là un nouveau piège? Le loup devient-il porteur d’une nouvelle symbolique de liberté, d’aventure et d’attachement à la nature? Il pour-rait s’agir d’un mythe qui travestit à nouveau la réalité de l’animal, avec les meilleures inten-tions du monde.

hoMo Lupo Lupus – l’homme est un loup pour le loup*

Exterminé à la fin du XIXe siècle en Suisse, en Allemagne, en Italie, en France et dans d’autres pays d’Europe, le loup est aujourd’hui de retour. Mais quel est notre rapport à ce carnassier, après un siècle d’absence?

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Lutte ou jeu? Les loups vivent dans des groupes familiaux complexes, dans lesquels chaque individu a des tâches et un rang qui lui sont propres.

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Sur les traces du loupLa nouvelle attitude des êtres humains face

au loup pourrait être une tentative de réconcilier la nature avec la civilisation. Ou une manière de demander pardon au loup pour des siècles de persécution et de torture. Dans les deux cas, c’est une démarche «écologiquement ou politi-quement correcte», un travail sur le mythe et la vérité, et l’accomplissement de l’esprit des Lumières. Dans des conditions de civilisation avancée, les êtres humains redécouvrent enfin le loup, animal ostracisé par le passé. Une situa-tion qui peut sembler paradoxale.

Le loup est incontestablement à la mode. Les offres de promenades nocturnes et autres excursions chez les loups hurlants se multi-plient. Mais certains ne se contentent pas de ces rencontres agencées dans des parcs, avec des animaux habitués aux êtres humains. Ils veulent voir la vraie nature sauvage, suivre des loups à la trace et les découvrir à l’état originel. C’est possible dans le cadre de voyages organisés, lors de randonnées et d’excursions dans les territoires peuplés de loups, en particulier dans le parc national de Yellowstone, les Abruzzes, les Car-pates tchèques, slovaques et polonaises. Et même en Suède, pays pourtant plus connu pour ses élans que pour ses loups.

Mais le loup ne sera jamais proche des êtres humains. Malgré son adaptation aux condi-tions urbaines dans certaines zones d’Europe, notamment en Roumanie, il reste un animal sauvage, étranger à la civilisation. Et les popula-tions de loups mettent du temps à se rétablir, même là où elles sont protégées (comme c’est le cas un peu partout en Europe). La Suisse compte environ 25 individus, l’Allemagne 24 meutes ou couples de loups, comme la Pologne. La pé-ninsule Ibérique abrite probablement plus de 2400 loups. Pour les pays d’Europe du Sud et de l’Est, les données fiables sont rares: la Slovénie compterait 40 loups, la Macédoine 260, la Croatie 200 et la Serbie 800.

L’essor de la chasse au loupL’avenir du loup est plutôt sombre. Les

meutes comptent peu d’individus et sont mena-cées par la consanguinité, le croisement géné-tique avec le chien domestique, le danger que représentent les routes et les maladies, surtout pour les louveteaux. Et les régions riches en loups commencent à proposer des excursions de

chasse. Le droit d’abattre un loup coûte 3000 eu ros en Macédoine. La bête seulement blessée par le coup de feu est comptée comme abattue. D’autres régions appellent à la chasse illégale de manière plus ou moins discrète.

Le loup a donc de bonnes raisons de conti-nuer à se cacher. Découvrir un loup est certes une expérience passionnante pour l’être humain. Mais pour l’animal, le contact avec les hommes reste dangereux. On pourrait adapter cette cita-tion de Georg Christoph Lichtenberg à propos des populations autochtones d’Amérique à l’ar-rivée de Christophe Colomb: «Le loup qui, le premier, a découvert les traces d’un être humain a fait une fâcheuse découverte.»

* La formule originale de l’auteur latin Plaute est: Homo homini lupus est, l’homme est un loup pour l’homme (voir page 16). Le philosophe Thomas Hobbes fera entrer cette locution dans notre vocabulaire politique.

«Shadow Within» est un projet du photo-graphe Christian Houge consacré à la beauté archaïque et au caractère sauvage de ces splendides animaux. Le loup nous rappelle la nature intacte, il nous touche par sa force brute, sa puissance, sa vulnérabilité et sa sociabilité. Des qualités qui subsistent éga-lement en nous-mêmes, les êtres humains. Pour en savoir plus sur l’artiste et ses projets: www.cargocollective.com/christianhouge.

Homo Lupo Lupus

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Par daniela Schwegler — «Bienvenue dans ma capsule temporelle!» Frank Dähling tire son portail en fer forgé et nous passons le portique de pierre de sa ferme ancestrale qui est aussi un moulin. «Nous voilà dans une autre vie», dit-il en m’invitant de la main à entrer dans les lieux.

Cachée dans une forêt de saules, de frênes et de peupliers, la ferme nommée Raussmühle est pratiquement invisible depuis la route. Une fois les arcades franchies, on se retrouve dans la cour qu’entourent les étables, le bâtiment du

moulin, le logis et la grange. L’ambiance tout à fait particulière tient au fait que les structures moyenâgeuses de cette ferme, attestée depuis l’année 1334, ont été préservées. Des oies se promènent sur les sols d’argile et de pavés, les abeilles bourdonnent autour des corbeilles de rabane suspendues sous le toit, des chèvres passent la tête entre les traverses de la porte de l’étable, le chien gambade en remuant la queue, les oiseaux chantent perchés sur le tilleul. Sur ce site devenu un véritable biotope, on dénombre

Le reBeLLe sur son ÎLe

C’est dans sa ferme d’allure moyenâgeuse, dans le Kraichgau, au cœur du Bade-Wurtemberg, que nous rencontrons Frank dähling. Tel un Robin des bois moderne, ce septuagénaire lutte contre l’agriculture industrialisée axée sur la rentabilité. Son univers de vie est un paradis de la diversité biologique, une véritable œuvre d’art et aussi un musée reconnu comme site culturel européen.

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une cinquantaine d’espèces d’oiseaux, dont la chouette, le faucon crécerelle, le loriot, le rouge-gorge, le rossignol, le pic, le grimpereau, le tro-glodyte, le pouillot véloce et le serin.

Une vie fascinanteC’est dans cet univers pittoresque que vit le

maître des lieux, avec sa compagne. En jeans et veste de cuir noir, il rappelle à la fois la figure du hippie, Che Guevara et Don Quichotte, avec son visage doux, mais anguleux, ses yeux bleu clair, ses longs cheveux blancs et sa barbe de magicien. Il relate quelques étapes de sa vie de révolté, ses racines dans le mouvement de 1968, ses études de philosophie, d’ethnologie et de paléontologie à Mayence, à la Sorbonne et à Heidelberg. Jeune étudiant, il pratiquait déjà le jardinage. Il cultivait des radis, suivant l’exemple de l’affiche maoïste montrant des centaines de petits Chinois qui arrachaient un radis géant de la terre, symbole de la révolution venue d’en bas. La subversion était son programme politique.

«Siri!» Le chat blanc a bien compris qu’il est rappelé à l’ordre, alors qu’il passait la patte à travers le grillage pour attraper une poule. Siri se retire. Tout comme Frank Dähling à l’époque, quand il comprend que la révolution tant atten-due n’aura pas lieu. Il décroche alors du mur le portrait de Lénine et décide de chercher un coin de terre pour mener une vie libre et indépen-dante parmi les animaux.

Après quelques années de pérégrination en Provence, dans les Abruzzes, les Pyrénées et le Pays basque, Frank Dähling découvre la ferme de Raussmühle, dans le Kraichgau, au cœur du Bade-Wurtemberg. En 1974, c’est encore une ruine qui menace de s’écrouler, entourée de barbelés. Dans la cour intérieure, les voitures usagées s’entassent à tel point qu’on ne voit plus les bâtiments. Mais pour Frank Dähling, c’est le coup de foudre. Le globe-trotter se reconvertit à la rénovation des vieilles murailles. Il prend en bail le parc à ferraille qu’il rachètera deux ans plus tard. Toutes ses économies et ses revenus y passent. Il consacre dorénavant son énergie à la rénovation douce de ce domaine, qui deviendra

un véritable îlot écologique dans le capitalisme ambiant. À force de travail, et avec l’aide de nombreux amis, la ferme est transformée en un véritable bijou, aujourd’hui reconnu comme site culturel européen.

L’humanité est devenue folleFrank Dähling a planté quelque 600 arbres,

dont des espèces rares comme le cormier ou l’alisier. Son jardin d’Éden recèle des plantes médicinales comme l’agripaume et la consoude et des végétaux rares comme la berce, la bar-dane, le sceau de Salomon, les roses sauvages et divers types de lis. Le lierre et les orties ne manquent pas au tableau. «Dans la nature, tout a une raison d’être. Même le fruit non comes-tible d’un pommier sauvage sera bénéfique pour le sol.» Frank Dähling estime que toute plante a le droit de pousser. Il n’utilisera jamais de pesti-cides, de fongicides ou d’insecticides sur ses terres. Pour lui, l’agro-industrie qui pille la terre pour en tirer un maximum de profit est un non-sens. Même les prédateurs comme le renard, le blaireau ou la martre ont libre accès à sa ferme. «Je suis prêt à sacrifier une partie de mes bêtes dans l’intérêt d’un monde sauvage intact», dit-il, le sourire aux lèvres.

Près du moulin, sur les berges de l’Elsenz, s’est créé un biotope sauvage avec une zone allu-viale fascinante. Sur le pré tout proche, une quarantaine de moutons accourent à l’approche de leur maître, qui les récompense par des mor-ceaux de pain sec biologique. «C’est qu’ils sont gourmands, ils ne mangent que le meilleur», plaisante-t-il. Ce pain, il le récupère chaque soir, à la fermeture des supermarchés de la ville d’Eppingen, avec les caisses de fruits ou de lé-gumes elles aussi destinées au conteneur à ordures.

La société sursaturée qui jette la moitié de sa production alimentaire est d’ailleurs un sujet d’indignation pour Frank Dähling. Le front gon-flé, l’index dressé, il fustige «l’humanité deve-nue folle», qui pollue les sols, empeste l’air, abat les forêts et couvre les océans de plastique: «Quand les forêts auront disparu, les généra-

«Une fois la forêt disparue, les générations suivantes n’en ressentiront pas le manque, car elles ne sauront plus ce qu’est une forêt.»

Le rebelle sur son île

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tions suivantes n’en ressentiront pas le manque, car elles ne sauront plus ce qu’est une forêt.» L’homme civilisé sera totalement coupé de ses racines.

Après nous le délugeUne question qui le préoccupe particulière-

ment est le déclin des abeilles, conséquence de l’industrie apicole. Ou le génie génétique, qui se prend pour l’apprenti sorcier de Goethe, inca-pable de maîtriser les esprits qu’il avait invo-qués. Ou encore l’énergie nucléaire, qui reporte sur les générations futures le terrible fardeau des déchets hautement radioactifs. Après nous le déluge! «Quelle insouciance! Le nucléaire sera au final l’énergie la plus chère de l’his-toire!» Lui-même se chauffe au bois de sa propre forêt. Sa conclusion désabusée: «L’être humain n’est pas en mesure de préserver le paradis dans lequel il est né.» Un jour, l’homo sapiens aura tellement dégradé ses conditions de vie que la survie de l’humanité ne sera plus possible. «Il a dominé la terre et en est maintenant un des-tructeur forcené.»

Frank Dähling baisse la voix et se tourne vers des choses plus réjouissantes. Il prévoit en effet de restaurer la roue du moulin, hors d’usage depuis un demi-siècle. L’eau de l’Elsenz permet-

tait auparavant de produire de la farine de cé-réales ou de l’huile de chanvre. C’est le nouveau projet du petit paradis. Ce serait le couronne-ment de ses efforts, peut-être même de sa vie. Frank Dähling a d’ailleurs créé une association de soutien qui pourra un jour reprendre le do-maine. Tout est fait pour assurer un long avenir à la Raussmühle.

La nature est la base de la vie humaineMais jusqu’à la remise en fonction du mou-

lin, le propriétaire continue de faire visiter les lieux. Il présente le musée installé dans la grange. On y découvre plusieurs milliers d’objets, re-montant souvent au Moyen Âge, notamment des outils de charron, de cordonnier, de tourneur ou de boucher. Frank Dähling entretient un rap-port fort à la culture paysanne d’antan: «Le monde des paysans, c’est notre base, c’est de là que nous venons.»

Après ce plaidoyer insistant, le maître des lieux reconduit ses visiteurs à la porte menant au capitalisme prédateur, le système que ce rebelle combat de toutes ses forces depuis son île écologique. Pour lui, la Raussmühle est le point d’exclamation du message : «Prenez soin de la nature! C’est elle, la base de votre vie!»

Photos sur www.raussmuehle.de

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1 La naturalité semble une idée largement alle-mande. La langue allemande connaît le terme «Wildnis», inexistant dans de nombreuses autres langues. Pour la traduction en français, en ita -lien ou en russe, on en est réduit à des formules approximatives autour du terme «sauvage».

2 La vie sauvage au sens de grandes régions intactes n’existe pratiquement plus en Suisse. Cependant, les «zones laissées à la nature» concernent tout de même environ un quart du pays. Les friches alpines (glaciers, haute mon-tagne) représentent 21 % de la surface de la Suisse, les forêts non exploitées couvrent 3 % du pays et les zones alluviales 0,5 %.

3 En Suisse, 18 sites portent le toponyme «Wildi» («zone sauvage»): dix en Valais, cinq dans le canton de Berne, un aux Grisons, un autre à Glaris, et même un à Schlieren, près de Zurich.

4 Même dans les Carpates slovaques, beaucoup plus sauvages que nos Alpes, il n’y a plus qu’une seule vallée sans route. Située dans le Parc na-tional des Tatras, cette région de 60 km2 est pra-tiquement intouchée depuis plus de quarante ans. Mais les projets de construction de route ont été relancés dernièrement.

5 La forêt est en croissance continuelle. Ces cent-cinquante dernières années, la surface forestière suisse a augmenté d’environ un tiers. L’avancée de la forêt est particulièrement marquée au sud des Alpes. dans les zones propices, un pâturage peut se transformer en forêt en moins de quinze ans. Le Tessin est aujourd’hui le seul canton dont plus de la moitié du territoire est couverte de forêt.

6 Mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle, car la forêt est plutôt pauvre en espèces, en comparaison avec les surfaces ouvertes. Il est particulièrement dommage de voir des pâturages abandonnés se couvrir d’une monoculture d’aulnes verts, comme c’est le cas dans la vallée d’Urseren, près d’Andermatt.

1 LA VIE SAUVAGE – UnE IdÉE ALLEMAndE2 ZOnES LAISSÉES À LA nATURE 3 TOPOnYMES «SAUVAGES» 4 UnE VALLÉE PLUS SAUVAGE QUE nOS ALPES 5 LA FORÊT AVAnCE6 PAS FORCÉMEnT UnE BOnnE nOUVELLE 7 GLACIATIOn 8 LE CHACAL dORÉ 9 LE SYndROME dU dÉFICIT nATUREL 10 dES POISSOnS PLUS GRAS 1 1 LA VIE SAUVAGE STIMULE LA CRÉATIVITÉ 12 PLUS dE 120 AnS

Faits et chiffres

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7 durant la dernière glaciation, la faune d’Europe centrale était beaucoup plus sauvage qu’au-jourd’hui. Il y avait des mammouths, des antilopes saïga et des rhinocéros laineux, mais aussi de grands fauves comme les hyènes, les gloutons, les léopards, les machairodus et les lions.

8 Le castor, le loup et l’ours sont de retour. Venant du nord, l’élan est lui aussi en progression: il a déjà atteint la Bavière. Et les chacals se dirigent vers nos contrées depuis le sud-est. Le premier chacal doré a été aperçu en Suisse il y a deux ans. C’est un phénomène nouveau, car cet ani-mal n’a jamais fait partie de la faune locale.

9 Un sondage effectué en Allemagne révèle que seuls 6 % des élèves savent que le petit du cerf est le faon. Les réponses généralement données tournaient autour de «chevreau», «chevreuil» ou même «bambi». Aux États-Unis, l’aliénation des enfants par rapport au monde sauvage est considérée comme un trouble pathologique: Nature deficit disorder, le syndrome du déficit naturel.

10 La forêt est bénéfique aux coléoptères, aux champignons et aux mammifères, mais aussi aux poissons d’eau douce, dit une nouvelle étude canadienne. Les poissons tirent deux tiers de leur nourriture des feuilles et des restes de bois qui aboutissent dans l’eau. Plus la forêt est présente autour des lacs, plus les poissons présentent de tissus graisseux.

11 La vie sauvage favorise la créativité. Une expé-rience menée par l’Université du Kansas montre qu’après une randonnée de quatre jours sans téléphone ni ordinateur portable, le score des participants à un test de créativité est de moitié plus élevé qu’avant l’excursion.

12 En Suisse, près du quart des arbres ont plus de 120 ans. C’est un record européen. Mais à l’état naturel, les arbres peuvent atteindre 400 ans d’âge.

Présentation par Mathias Plüss

1 LA VIE SAUVAGE – UnE IdÉE ALLEMAndE2 ZOnES LAISSÉES À LA nATURE 3 TOPOnYMES «SAUVAGES» 4 UnE VALLÉE PLUS SAUVAGE QUE nOS ALPES 5 LA FORÊT AVAnCE6 PAS FORCÉMEnT UnE BOnnE nOUVELLE 7 GLACIATIOn 8 LE CHACAL dORÉ 9 LE SYndROME dU dÉFICIT nATUREL 10 dES POISSOnS PLUS GRAS 1 1 LA VIE SAUVAGE STIMULE LA CRÉATIVITÉ 12 PLUS dE 120 AnS

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Par Tanja Keller — Plutôt qu’un jardin, c’est une sorte de jungle que nous visitons. Chez Felix Amiet, spécialiste soleurois des abeilles sauvages, nous sommes entourés de sentiers sinueux, de hauts buissons, d’espaliers touffus, de fleurs sauvages, de plantes grimpantes et de roses. Un bourdonnement incessant nous accompagne.

«Mes bêtes ailées», dit cet enseignant re-traité quand il parle des abeilles sauvages. Il a une connaissance précise des plantes préférées et des lieux de nidification nécessaires aux diffé-rentes variétés d’abeilles. «Un jardin naturel, c’est quelque chose de très personnel», dit-il. Il faut du travail et du temps pour soigner un tel univers. À défaut, ce sont les mûriers et d’autres plantes envahissantes qui vont prendre le des-

sus. «Mais qu’est-ce qu’un jardin vraiment naturel, en fin de compte? Personne n’a pu me répondre pour l’instant», médite-t-il.

L’essentiel est la diversitéRencontrer Felix Amiet, c’est partir à la

découverte. Deux heures durant, il partage gé-néreusement son savoir sur les espèces rares d’abeilles et de plantes. Sur les 16 000 espèces d’abeilles sauvages au monde, on en trouve 120 dans ce jardin. La plupart ont la vie brève. «Une vingtaine de belles journées propices au vol pour construire un nid, soigner les larves et puis mourir, voilà la vie de l’abeille sauvage moyenne», relate-t-il. Au-delà des généralités, son expérience lui permet de transmettre une richesse infinie de détails et de particularités.

Les aBeiLLes sauvages, ces inconnues

Felix Amiet est un spécialiste des abeilles sauvages. Son jardin foisonnant nous enseigne les plantes et les lieux de nidification propices aux abeilles solitaires.

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Certaines espèces de bourdons ont une trompe trop courte pour l’ancolie. Pour at- teindre le nectar de cette plante, ils déchirent le haut de la fleur avec les dents. «Une solution très intelligente», constate Felix Amiet, le sou-rire aux lèvres. S’arrêtant devant une plante en forme de sabre, il explique: «Cet épiaire de Byzance, je l’ai plantée spécialement pour mes abeilles cotonnières.» Ces insectes arrachent les poils de la plante pour en faire des sortes de boules de coton. Dans la cellule de couvain ins-tallée dans une cavité, elles déposent du pol - len et du nectar comme réserve de nourriture pour leur descendance et pondent un œuf. La cellule sera alors refermée avec la boule de coton. Le spécialiste insiste sur la nécessité pour les abeilles sauvages de rencontrer une grande di-versité de plantes, de préférence locales. Cer-taines larves sont nourries exclusivement au pollen de brassicacées, comme la julienne des dames, d’autres préfèrent les composacées comme le pissenlit jaune, et d’autres encore la centaurée jacée.

Le jardin de Felix Amiet est peuplé de plantes rares comme la fraxinelle, où le beau papillon nommé Grand porte-queue déposera ses œufs, ou encore l’iris de Sibérie, qui inté-resse plus particulièrement les bourdons. Mais tout n’est pas destiné aux abeilles. Ainsi le faux pistachier n’a pas été planté pour elles, explique le propriétaire. «C’est simplement une plante rare qui me plaît beaucoup», dit-il. Le jardin abrite aussi des glaïeuls sauvages, des labiacées ou la rave de serpent, rare dans nos contrées. «L’abeille sauvage qui se nourrit exclusivement de la rave de serpent, je l’ai attendue pendant vingt-quatre ans», rapporte Felix Amiet. Une patience récompensée il y a trois ans, quand il découvre le premier ex emplaire. Une rencontre renouvelée chaque année depuis. «Mais cette année, elle ne s’est pas encore montrée.»

En faisant le tour du jardin, on trouve aussi un petit étang. Il y a quelques années, il y avait encore des grenouilles, mais elles ont disparu depuis. Le connaisseur des abeilles ne sait pas vraiment pourquoi: «Peut-être que les grenouilles ont succombé à la chytridiomycose qui affecte

les amphibiens à l’échelle mondiale. Ou alors à la prolifération des chats.» Aujourd’hui l’étang ne compte plus que des tritons, et bien sûr des libellules.

Plantes hypersélectionnéesAu fond du jardin, on découvre des pavots

flamboyants. «C’est bien plus beau que les fleurs gonflées de la pivoine ou du tagète», relève Felix Amiet. Pourquoi cela? «Les exploitations hor-ticoles sélectionnent souvent les plantes de ma-nière excessive, pour leur donner un air plus imposant.» Cette pratique, également appliquée au pavot, produit une plante artificielle qui est inutile aux abeilles sauvages, car la multiplication des pétales se fait au détriment des anthères productrices de pollen. Pour nourrir les abeilles sauvages, c’est donc le simple pavot qui aura la préférence.

Le jardin sauvage offre suffisamment de lieux de ponte. De nombreuses abeilles sauvages nichent dans le sol. Elles creusent des cavités dont l’entrée est souvent cachée par des feuilles et donc difficile à identifier. Les abeilles sauvages qui butinent parcourent des distances beaucoup plus courtes que les abeilles mellifères. Les sites de nidification seront donc généralement peu éloignés des sources de nourriture. La petite jungle répond parfaitement à cette exigence.

Felix Amiet continue son tour d’horizon des espèces. Ainsi l’abeille charpentière apprécie le bois tendre, comme celui du peuplier, et le bois pourri d’autres arbres à feuilles. Avec ses pinces acérées, l’abeille creuse des trous et des galeries pour les logettes des larves. Contrairement aux autres espèces d’abeilles, les jeunes abeilles charpentières, ou xylocopes, n’émergent pas avant le mois d’août. Et elles ne se mettent pas immédiatement à construire un nid. À l’automne, elles cherchent un trou pour hiver-ner. L’accouplement n’aura lieu qu’au prin-temps, suivi de la construction du nid. La femelle assiste souvent à l’éclosion de sa descendance, un phénomène rare dans le monde des abeilles sauvages qui ne connaît généralement pas de coexistence de deux générations la même année.

«L’abeille sauvage qui se nourrit exclusivement de la rave de serpent, je l’ai attendue pendant vingt-quatre ans.»

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Le choix du site de nidification est souvent très particulier, par exemple une coquille d’escargot abandonnée. Un autre individu origi-nal parmi les abeilles est la macropis, qui se nourrit du nectar de diverses plantes. Mais pour ses larves, elle ramasse l’huile et le pollen de la lysimaque commune. Cette primulacée fabrique de l’huile au lieu de nectar et l’abeille macropis est la seule à s’en servir pour sa descendance.

Près de l’étang, une petite colline envahie par les plantes est spécialement construite pour les abeilles des sables, également appelées an-drènes. Mais le sable choisi contient trop d’argile, et les abeilles ne sont donc pas venues coloniser les lieux, constate Felix Amiet. Il ne regrette pourtant pas son effort: «Il faut en permanence tenter de nouvelles choses. C’est ainsi qu’on saura, à terme, ce qui fonctionne.»

Si le premier livre sur les abeilles sauvages paru en Suisse remonte à une centaine d’années, la recherche universitaire sur ces insectes est récente. Ce n’est que depuis le déclin des abeilles de ces dernières années que la science com-mence à investir ce champ. On sait aujourd’hui que les abeilles sauvages sont des pollinisateurs plus assidus que les abeilles mellifères (voir encadré). Elles ne peuplent pas seulement les jardins, mais aussi les espaces cultivés. Felix Amiet en a même recensé au Gornergrat, près de Zermatt, à 3000 m d’altitude. Étonnant, dans un paysage aussi aride, même si les fleurs n’y sont pas absentes. Mais la pollinisation des fleurs de montagne n’est pas assurée unique-ment par les abeilles, les mouches et les papil-lons y participent également.

Quelle est l’abeille sauvage préférée de Felix Amiet? «Difficile de répondre, mais la cou-peuse de feuilles, de la famille des mégachiles, est certainement l’une des plus intéressantes.» Il est passionnant de l’observer quand elle ré-colte du pollen sur la sauge. La femelle se pose sur la plante et se retourne sur le dos. Avec sa tête elle saisit les anthères dont elle tirera le pollen avec la glande qu’elle a sur l’abdomen. Et pour atteindre le nectar, elle découpe tout simple-ment le tube de la fleur. Un exemple fascinant

parmi beaucoup d’autres. Car les surprises sont quasi quotidiennes pour ce spécialiste des abeilles sauvages.

Soutenir les abeilles sauvagesVers la fin de notre visite, Felix Amiet abor-

dera aussi les aspects problématiques. Les prairies maigres, riches en fleurs, disparaissent progressivement. C’est le fait d’une agriculture intensive, de l’application des engrais, mais aussi des constructions qui grignotent le territoire. La pression exercée sur la nature aug-mente. «Les abeilles sauvages subissent de plein fouet les conséquences de ces pratiques. Plus de la moitié des quelque 600 espèces d’abeilles sauvages en Suisse sont menacées d’extinction. Beaucoup sont irrémédiablement vouées à la disparition.» Mais que faire?

Le spécialiste des abeilles sauvages recom-mande d’observer la nature et de tisser des liens avec elle. Pour mieux comprendre les corréla-tions et les équilibres en présence. Son conseil: «Pour aider les abeilles et la biodiversité, on peut entretenir un jardin propice aux abeilles, qui offre des recoins et des sites de nidification. C’est déjà beaucoup.»

En quittant cet univers sauvage, on re-marque d’autant mieux le caractère artificiel des pelouses de jardin, le «propre en ordre» des plates-bandes, les tulipes multicolores alignées dans des terreaux de tourbe, les haies de thuyas sans mauvaises herbes. Des jardins hostiles aux bourdons et aux abeilles, un peu effrayants par leur silence.

Les abeilles sauvages, ces inconnues

«Plus de la moitié des quelque 600 espèces d’abeilles sauvages en Suisse sont menacées d’extinction. Beaucoup sont vouées à la disparition.»

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Informations sur les abeilles sauvagesRéunies par Paul Westrich

Abeilles utiles et abeilles sauvagesComme on distingue les

«plantes utiles» des «plantes sau-vages», les abeilles vivant dans la nature sont appelées «abeilles sauvages» ou «solitaires», pour les distinguer des «abeilles utiles» à la production de miel ou à la pol-linisation des cultures de rente, notamment des abeilles mellifères. Sur le plan zoologique, toutes ap-partiennent à la famille des apidés, de l’ordre des hyménoptères.

Grande diversité des espècesSaviez-vous que la Suisse

compte environ 600 espèces d’abeilles sauvages? L’Allemagne en connaît 560 et l’Autriche 650. L’espace méditerranéen est parti-culièrement riche en espèces. On dénombre quelque 1800 es-pèces à l’échelle européenne et plus de 16 000 à l’échelle mon-diale.

Variété des formes et modes de vieLes abeilles sauvages sont très

diverses par leur forme et leur coloration. D’où parfois leur déno-mination: abeille à fourrure, abeille masquée, abeille à longues antennes… S’y ajoute une grande variété de modes de vie. La plupart des abeilles sauvages vivent de manière solitaire. La femelle construit le nid et nourrit le cou-vain par elle-même. Les abeilles dites sociales regroupent l’abeille mellifère que l’on connaît, mais aussi certaines abeilles sauvages comme les lasioglosses, les halictes ou les bourdons, qui vivent dans des colonies. Au lieu de nourrir leurs propres nids, les abeilles pa-rasites pondent dans les cellules de couvain d’autres espèces et sont donc appelées abeilles coucous.

Haute spécialisationLes abeilles se différencient

fortement pour le choix du site de

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ponte ou du matériel de construc-tion des cellules de couvain. Les nids d’abeilles peuvent se trouver dans du bois mort, dans des bâton-nets en bois, dans des coquilles d’escargot abandonnées ou encore sur des rochers. Près de trois quarts des espèces nichent dans des cavités creusées dans le sol. Les matériaux de construction sont les sécrétions glandulaires des abeilles ou alors des matériaux comme les pétales (abeille ma-çonne), les feuilles d’arbres (abeille coupeuse de feuilles), les poils des plantes (abeille cotonnière) ou la résine d’arbre (abeille résinière). De nombreuses espèces s’at-tachent à un végétal en particulier comme source de pollen. La ché-lostome des campanules nourrit son couvain exclusivement de pollen de campanules. Pour l’an-drène agile, il faut du pollen de cruciféracées comme la moutarde des champs, tandis que l’abeille à membrane se nourrit de compo-sacées comme la tanaisie com-mune ou l’anthémis des teinturiers.

Des bio-indicateurs performantsLes abeilles sauvages sont par-

ticulièrement sensibles aux at-teintes portées à leurs habitats. Elles sont donc d’excellents bio-indicateurs, qui renseignent sur le caractère intact ou au contraire perturbé des écosys-tèmes naturels ou créés par la civi-lisation. Ce sont des objets d’étude tout désignés pour l’acquisition de connaissances scientifiques sur la protection de la nature et la conservation du paysage, pour l’évaluation des surfaces et des interventions, mais aussi pour réfléchir à la création de réseaux de biotopes.

Pollinisateurs indispensablesLes abeilles sauvages déve-

loppent une activité intense sur les fleurs. Elles se nourrissent elles-mêmes de pollen et de nectar, et les espèces nicheuses utilisent ces substances pour le couvain. Par rapport aux autres insectes buti-neurs, l’activité de pollinisation des abeilles sauvages est ainsi plus efficace, tant pour les herbes sau-vages que pour les arbres fruitiers, les arbustes à baies ou les plantes cultivées. Une nouvelle étude internationale démontre d’ailleurs l’importance des abeilles sau-vages pour la production alimen-taire. Protéger ces abeilles, c’est donc aussi protéger la vie humaine.

Un appauvrissement dramatiqueCes cinquante dernières

années, les populations d’abeilles sauvages connaissent un ap-pauvrissement dramatique. En Allemagne, plus de la moitié des abeilles sauvages sont en dimi-nution ou même menacées d’ex-tinction selon la liste rouge des espèces menacées. L’établisse-ment d’une telle liste est en cours pour la Suisse, où la situation est similaire. Or les abeilles sauvages sont indispensables aux cycles naturels. La situation est donc préoccupante. Il est urgent d’en informer le grand public et de mettre en place des mesures de sauvegarde et de protection des espèces menacées.

Comment protéger les abeilles sauvages?La protection des abeilles sau-

vages passe par la préservation de leurs espaces de vie. Donc par la protection des sources de nour-riture et des sites de nidification. Pour préserver les habitats comme les versants rocheux et les an-

ciennes carrières, les prairies maigres, les sablières, les gravières, les glaisières ou les roselières, il faut des instruments efficaces, par exemple la création de réserves naturelles. Une tâche qui incombe aux autorités. Mais la population peut elle aussi promouvoir les abeilles sauvages en améliorant les sites de ponte et l’offre de nour-riture. En prévoyant des aides à la nidification appropriées, on favorise la colonisation d’un jardin par les abeilles sauvages. C’est par ailleurs une excellente occa-sion d’observer de près les soins donnés à la couvée.

Des insectes pacifiquesLe danger de piqûre d’abeille

est nul, les abeilles sauvages étant de caractère pacifique. L’essentiel est de leur offrir une nourriture riche et variée: plantes de rocailles locales sur les balcons (p. ex. campanule des murailles ou orpin des rochers), prairies de fleurs ou encore parterres de plantes sau-vages du pays.

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Pour en savoir plus sur la promotion des abeilles sauvages au jardin, consulter l’ouvrage ri-chement illustré de Paul Westrich (en allemand): Wildbienen – die anderen Bienen, Munich: Verlag Dr. Friedrich Pfeil, 2014.

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Essai par Emil Zopfi — La nature sauvage commençait juste derrière l’usine. En amont du ruisseau qui actionnait les turbines de la filature, il y avait des gorges paradisiaques dont le souvenir illumine toute mon enfance. Nous remontions les berges abruptes du cours d’eau, par-dessus les racines, les rochers, les fougères et les lis martagons. Sautant de pierre en pierre, nous capturions à la main les truites des bassins d’eau claire. Là où le ravin se rétrécit, une cascade chutait par-dessus la roche sous laquelle s’était creusée une caverne qui avait l’air d’un énorme gosier. La marne friable était striée de concrétions rocheuses, d’argiles, de graviers et de couches de charbon. Sous ce toit de roche, il faisait nuit noire. Cela sentait la moisissure et les excréments des blaireaux qui peuplaient les galeries de la grotte. Il fallait du courage pour s’y aventurer. On y trouvait des éclats de quartz, qui étaient à nos yeux des pointes de flèches préhistoriques, mais aussi des os et du bois carbonisé. Nous faisions du feu et préparions du thé d’ortie ou de plantain dans une boîte de conserve. Dans ce monde, il y avait aussi des ennemis – chiens errants ou garçons du voisinage – dont il fallait se protéger. Nous fabriquions des arcs avec du bois de noisetier ou d’if, des javelots, des lance-pierres. En remontant les sentiers rocheux, on aboutissait à une caverne beau-coup plus grande. Pour s’aventurer encore plus haut, il fallait escalader les pentes, grimper par-dessus les racines, se relever maintes fois les pantalons déchirés et les mains égratignées.

La nostalgie de l’aventurePourtant le monde de mon enfance n’avait rien d’un paradis.

Mes parents travaillaient à l’usine. Les enfants étaient laissés à eux-mêmes la plupart du temps. Notre imagination nous emmenait dans l’univers de Robinson, au Far West des romans d’Ernie Hearting ou au pôle Nord des explorateurs. La brochure de l’OSL (Œuvre Suisse des Lectures pour la Jeunesse) Coureurs des bois et trappeurs nous inspira la création de notre société secrète, le club des coureurs des bois. Nous savions comment survivre dans la nature. Construire des cabanes dans les arbres, faire des signaux de fumée, cuire des pommes de terre au feu, épicer les mets avec des fourmis, creuser une cavité pour la hanche quand on dort à même le sol, lire les traces des animaux, s’approcher des troupeaux de bisons contre le vent… Un jour, nous avons même voulu partir pour de bon dans la forêt de la montagne de Tössstock. Car le village était petit, et notre soif d’aventure, immense.

C’était l’hiver, nous étions encore en première année d’école. Avec un ami, j’ai gravi une colline enneigée près du village à la conquête

La nature en guise De MÈre

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d’une hutte mystérieuse. La neige nous venait jusqu’aux hanches. Deux heures plus tard, nous nous retrouvâmes devant une résidence barricadée. Personne pour nous accueillir. Nous avions froid et ne savions plus pourquoi nous avions entrepris cette expédition. En redescendant, nous avons croisé sept chevreuils traversant une pente neigeuse, l’un derrière l’autre. Une image qui s’est gravée dans ma mémoire: le silence profond de la neige, le calme de la nature, l’étonnement de découvrir ces animaux qui nous regardaient sans crainte aucune. Plus tard, j’ai souvent pratiqué l’alpinisme et la varappe avec cet ami. C’était la continuation de notre périple de petits écoliers. Nous avions appris à faire notre propre chemin, malgré les obstacles et la peur.

La forêt, une protectionJ’avais 8 ans quand ma mère est morte dans un accident de

circulation. Elle était à vélo, en route pour assister au culte. Mon père était alors à l’étranger. Fille de paysans de Glaris, ma mère avait des liens forts avec la nature et la montagne. Parmi les souvenirs marquants de mon enfance, il y a nos excursions en montagne pour récolter des myrtilles. Ou l’odeur et le goût du miel de dent-de-lion qu’elle savait cuire. Ou encore la gelée qu’elle préparait avec le sureau que je trouvais au bord du chemin. Après sa mort, je me promenais souvent dans la forêt autour du village. Mère Nature est devenue une métaphore tout à fait concrète pour moi. La nature me consolait de l’absence de ma mère, la forêt me protégeait. Dans cette période, j’ai construit toute une ville de nains avec de l’écorce, des branchages, des pierres et de la mousse, avant de tout détruire dans un moment de désespoir.

Adolescent, j’ai commencé à faire des promenades plus poussées dans la région du Tössstock, seul ou avec des amis. Nous passions la nuit dans des cavernes ou des étables. Pour une épreuve chez les scouts, j’ai passé tout seul une nuit de pleine lune dans la forêt. J’ai d’abord eu peur de tous les petits bruits de branches qui cassent, des hululements de chouettes ou de l’ombre des arbres qui bougeaient dans le vent. Mais avec le temps, j’ai surmonté la peur et j’ai pris courage. Je crois que c’est cette nuit-là que j’ai perdu une bonne partie de mes hantises et gagné en assurance.

Les actes essentiels de la vie«Je n’ai jamais trouvé de compagnon qui soit d’une compagnie aussi

agréable que la solitude», disait Henry David Thoreau, enseignant, écrivain et philosophe américain (1817 – 1862). En 1845, il se retire pendant deux ans dans une cabane en rondins, près de Boston, pour essayer de vivre du travail de ses mains, de la pêche et de la culture de haricots. Les expériences et réflexions de cette vie dans la simplicité sont consignées par Thoreau dans son livre Walden ou la Vie dans les bois, qui connaîtra une diffusion mondiale et inspirera nombre de mouvements à la recherche

La nature en guise de mère

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de la nature jusqu’à la génération 1968. «Je gagnai les bois parce que je voulais vivre suivant mûre réflexion, n’affronter que les actes essentiels de la vie, et voir si je ne pourrais apprendre ce qu’elle avait à enseigner.»

Thoreau est aussi un pacifiste convaincu qui condamne la guerre et la violence dans son essai La désobéissance civile, un texte qui a influencé Gandhi et Martin Luther King.

Il y a quelques années, j’ai fait le tour du petit lac de Walden Pond, au bord duquel se situait la cabane de Thoreau. Aujourd’hui reconstituée, l’habitation est devenue un lieu commémoratif dans une réserve naturelle. Un site idyllique, tout différent du ravin de mon enfance. Or la force de conviction de Thoreau ne réside pas dans des expéditions dangereuses en forêt, mais dans sa manière littéraire de décrire sa tentative de vivre en harmonie avec la nature. C’est un motif proprement biblique: comme les prophètes, l’homme découvre en lui un niveau de conscience supérieur à travers l’expérience de la nature, du désert, de la mer ou de la montagne.

Une fenêtre vers le lointainJ’étais à l’école secondaire quand la télévision fit son entrée au

village. Mais toutes les familles ne pouvaient pas encore acquérir un appareil. C’est pourquoi le propriétaire de l’usine fit installer une télévi-sion dans un local ouvert au public. À partir de ce moment-là, la jeunesse du village cessa de s’intéresser aux ravins, ruisseaux, forêts et cavernes, préférant les matchs de football et les autres programmes. Je ressentis alors une véritable rupture au niveau du vécu. La vie réelle est évincée par le monde des médias, la fenêtre vers le lointain dont nous avions toujours rêvé. La vie sauvage, l’Afrique, les grandes villes, les fusées spatiales, Winnetou et l’île au trésor: tout était à portée de regard. On nous faisait participer à des aventures bien plus spectaculaires que d’attraper une truite à la main, une activité d’ailleurs interdite. Nos parents étaient soulagés de savoir où nous étions. Et nous avions fini de déchirer nos pantalons.

Emil Zopfi est né en 1943. Après des études d’électrotechnique, il travaille dans l’industrie comme ingénieur de recherche et spécia-liste en informatique. En 1977, il publie sa première œuvre litté-raire: Chaque minute coûte trente-trois francs. Suivent des romans,

pièces radiophoniques, livres pour enfants, articles de presse, repor-tages, nouvelles et tribunes. Écri-vain indépendant, il vit à Zurich et pratique l’alpinisme et la varappe avec passion. Divers prix lui ont été décernés, notamment par la ville et le canton de Zurich, la Fonda-

tion Landis & Gyr, la Fondation Schiller Suisse, ainsi que le prix culturel 1993 du Club alpin suisse, le prix culturel 2001 du canton de Glaris et le King Albert Mountain Award 2010.

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1 Europe La déforestation en Asie pourrait modifier l’intensité des tempêtes et leur trajectoire en Europe, tandis que la destruction de la forêt ama-zonienne pourrait augmenter le volume annuel des pluies en Europe du nord. des phénomènes qui se répercuteraient sur les récoltes.

2 Turquie Le déboisement en Asie du Sud-Est pourrait réduire les précipitations de 20 à 25 % dans l’Ouest de la Turquie, ce qui affecterait égale-ment les récoltes agricoles.

3 Sibérie Le pillage de la forêt en Asie pourrait entraîner une baisse de la température de plus de 1° C.

4 Asie Les évaluations des conséquences du recul de la forêt en Asie pré-voyaient un affaiblissement de la dynamique de la mousson en Chine orientale et en mer de Chine méri-dionale. En réalité, la mousson s’est renforcée sur la terre ferme d’Asie du Sud-Est.

5 États-Unis La diminution de 5 à 35 % des pré-cipitations dans le Mid-Ouest est associée à la déforestation en Afrique et influe probablement sur le volume des récoltes. La pour-suite du déboisement en Amazonie pourrait réduire de 25 % les pluies au Texas.

La teMpÊte se LÈveLes conséquences du déboisement pour les conditions

atmosphériques et l’agriculture

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La forêt couvre encore 30 % des terres dans le monde, mais le déboisement continue, en particulier dans les zones tropicales: Amérique du Sud, Ouest de l’Afrique centrale, Sud et Sud-Est de l’Asie. Chaque année, ces régions perdent en-viron 13 millions d’hectares de forêt. Si la perte de ces habitats est dramatique en soi, les forêts sont également indispensa-bles au fonctionnement de l’écosystème mondial. Elles régulent le climat local, régional et global. Il est largement admis que le pillage de la forêt dégage du carbone et contribue ainsi au changement climatique. Un autre effet moins connu du déboisement, c’est la multiplication des événements météorologiques extrêmes, avec leur impact sur l’agriculture.

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6 Amérique du SudLa hausse de la température est probablement due au déboise-ment en Asie et pourrait se réper-cuter sur les cultures de rente comme le blé, le maïs, les fèves de soja et le café.

7 AfriqueLes températures en surface sont en augmentation, un phéno-mène probablement lié au pillage de la forêt en Asie. Et la mousson d’Afrique de l’Ouest semble trans-porter moins d’humidité vers le nord, ce qui pourrait nuire aux ré-coltes et aggraver la pénurie d’eau.

8 Péninsule Arabique Selon les prévisions, le volume des précipitations pourrait diminuer de 15 à 30% en raison de la défo-rest ation en Afrique, ou de 45 % du fait du déboisement en Amazonie. Un phénomène qui ne rest era pas sans eff ets sur les récoltes.

Le volume des pluies influe sur les récoltes

Les changements de température influent sur les récoltes

Changements de température température

Traject oire de tempêtes Traject oire de tempêtes Traject oire de tempêtes Mousson

La teMpÊte se LÈveLes conséquences du déboisement pour les conditions

atmosphériques et l’agriculture

Extraits du rapport An Impending Storm, publié en oct obre 2013 par Greenpeace International, Amst erdamTéléchargement: www.greenpeace.org/international/en/publications/Campaign-reports/Forest s-Reports/An-Impending-Storm/

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Les chances De La proLiFÉration

urBaine

Surtout, ne pas gommer les structures sauvages des bidonvilles – une nouvelle génération d’architectes s’inspire de l’intelligence des quartiers pauvres qui se sont développés hors de tout contrôle.

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Par Samuel Schlaefli — Le soir, lorsque les mar-chands ambulants du township d’Alexandra, à Johannesburg, rangent leurs échoppes impro-visées et que les taxis et les minibus font leur dernier tour de piste, les habitants envahissent les rues. Ils se rassemblent pour griller d’énormes saucisses et morceaux de porc sur des bidons de pétrole coupés en deux, utilisant des clôtures en guise de gril. Les shebeens, ces petites gar-gotes en bois couvertes de tôle ondulée, où l’on sert de la bière, se remplissent. De volumineux haut-parleurs sont disposés dans la rue. Entre leurs baraques – les shacks –, les gens boivent, rient et dansent. Nelson Mandela, qui y avait vé-

cu, décrivait l’ambiance du bidonville d’Alexan-dra: «L’atmosphère était vivante, l’esprit aven-tureux et les gens avaient l’habitude de résoudre des problèmes. Malgré son aspect infernal, le township était aussi une sorte de paradis.»

Blade Runner dans les pays du SudAujourd’hui, 1,1 milliard de personnes

à travers le monde vivent dans des slums, favelas ou autres townships. Le bureau d’architectes Brillembourg & Klumpner fait des plans pour eux; pour des villes dans lesquelles 95% des maisons ou des baraques ont été construites par les habitants et qui absorbent 90% de la crois-sance démographique; pour des villes, comme l’explique Alfredo Brillembourg, «qui font penser à un Blade Runner tourné dans les Tro-piques». C’est à Zurich que j’ai rencontré Alfredo Brillembourg et Hubert Klumpner. Dans une halle industrielle désaffectée, ils tenaient la réu-nion de clôture du projet semestriel de leurs étudiants. Klumpner est autrichien. Il porte des jeans, une veste bleu marine et des lunettes voyantes. Brillembourg vient d’une famille vé-nézuélienne et a grandi à New York. Il est grand, a d’épaisses boucles noires, une voix de stentor et ne mâche pas ses mots: «Fuck the context!», rugit-il dans la salle, répondant à une remarque qui lui a déplu. Tous deux privilégient une communication spontanée et sans chichis.

En 1993, Brillembourg crée le bureau Urban- Think Tank (U-TT) à Caracas. Un an plus tard, il fait la connaissance de Klumpner, étudiant à la Columbia University à New York; tous deux y enseigneront plus tard. En 1998, Klumpner suit son compagnon à Caracas. Les troubles poli-tiques vont bientôt compliquer leur tâche. Nom-més professeurs de design urbain à l’École poly-technique fédérale de Zurich en 2010, ils emmènent leur équipe d’U-TT. C’est de Zurich que le duo d’architectes recherche, réfléchit, planifie, publie et construit pour des villes du Sud dont nous avons de la peine à comprendre l’«aspect infernal».

Pour des villes comme Alexandra donc, où 500 000 personnes vivent sur une superficie de 7,6 km2 – comme si les habitants de Zurich étaient entassés sur un douzième de leur terri-toire actuel. Sans oublier les rats, aussi nom-breux, qui farfouillent la nuit dans les tas d’or-dures. Des familles de sept enfants habitent dans des shacks de huit mètres carrés, uniquement

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protégés par de la tôle ondulée et des feuilles en plastique. Pas d’eau courante et une seule toilette pour des douzaines de familles. La nuit, il y fait aussi noir que dans une grotte. Les femmes vivent dans la crainte constante d’être violées. Ce sont des villes qui engloutissent leurs habitants: au bord de la rivière Jukskei, où vivent les plus misérables, ils sont emportés par les flots avec leurs baraques quand il y a des inondations.

L’architecture comme anthropologie culturelleBrillembourg et Klumpner sont surnommés

«les cow-boys» par leurs collègues zurichois. Non pas qu’ils portent des bottes ou fument, mais parce que, dans leur domaine de recherche et leurs projets, ils appliquent les règles du Far West et qu’il y a toujours du grabuge. À Caracas, ils ont été enlevés par des gangs; au Cap, ils ont été menacés par des pistolets, tandis qu’à Mexico, on les a mis à la porte de l’ambassade. Lors de leurs recherches sur le terrain en Afrique du Sud et en Amérique latine, ils pénètrent sans prévenir dans les baraques, armés d’une caméra, pour interroger les familles sur leurs conditions de vie. Dans leur équipe, les archi-tectes côtoient des ethnologues et des cinéastes. Les cow-boys veulent comprendre ce qui se passe dans ces lotissements. «Notre travail im-plique un sacrifice et est devenu notre style de vie», explique Klumpner. Tous deux ont divorcé et sont toujours en voyage. Cet engagement en vaut la peine: en 2012, le duo a fait parler de lui dans le monde entier lors de la Biennale de l’architecture à Venise. Leur projet «Torre David / Gran Horizonte» – une étude urbanistique et photographique sur la Torre David, un slum ver-tical installé dans un gratte-ciel inachevé en plein cœur du quartier des affaires de Caracas – a reçu le Lion d’Or.

Klumpner en est convaincu: «Nous devons enfin abandonner l’idée de villes sans bidon-villes. Nous avons besoin de villes accueillantes pour les bidonvilles.» Car, d’un point de vue urbanistique, ces derniers présentent de nom-breuses qualités: «Ils sont densément peuplés, aisément accessibles, consomment peu d’éner-gie, ne produisent pratiquement pas de déchets et encouragent l’interaction sociale.» De plus en plus d’architectes se rendent compte que les concepts actuels de planification ne sont pas

adaptés à la jungle urbaine qui prolifère sauva-gement dans de nombreux lieux. Des villes pla-nifiées comme celle du Corbusier à Chandigarh, dans le nord de l’Inde, ou Brasilia, conçue par Oscar Niemeyer, étaient des prétentions basées sur des idéaux modernistes occidentaux: le formalisme coulé dans le béton et l’acier et une croyance aveugle dans le progrès. Elles n’ont plus rien à voir avec les réalités des pays du Sud. Aujourd’hui, on rencontre des architectes dans des lieux auxquels, autrefois, seules les ONG s’intéressaient. L’an dernier, l’architecte bâlois Manuel Herz a consacré un ouvrage entier aux qualités urbaines d’un camp de réfugiés au Sahara occidental. À l’occasion de TEDGlobal, l’urbaniste américain Teddy Cruz a prononcé une conférence sur ses recherches dans des slums à la frontière américano-mexicaine. Et il y a tout juste quelques semaines est sorti Radical Cities, le livre du critique de design du Guardian, Justin Mc Gurik, consacré à l’architecture in-formelle et sociale. Simple hasard, esprit grégaire ou premier signal d’un changement de para-digme?

De nouvelles stratégies contre la pénurie de logementsJe rencontre Daniel Schwartz à la galerie

zurichoise Eva Presenhuber. Un type maigrichon, d’environ 25 ans, avec des lunettes à la Woody Allen, qui semble sorti d’une pub d’American Apparel. Daniel a étudié l’anthropologie cultu-relle à Philadelphie et est aujourd’hui respon-sable du film et de la photographie chez U-TT. Il me guide au travers de l’exposition sur le nou-veau projet. «Empower Shack» est l’histoire d’une vie digne dans un township sud-africain. Ici, elle est racontée au moyen de textes, d’images, de films et d’infographies, de trouvailles pro-venant du slum, de maquettes et de constructions en bois et en métal.

L’Afrique du Sud est représentative des tra-vaux herculéens auxquels les urbanistes du XXIe siècle vont devoir s’attaquer: les programmes de bâtiments sociaux ont atteint leurs limites. C’était déjà le cas du programme de reconstruction et de développement que l’ANC avait lancé à la fin de l’apartheid. La démolition des shacks pour y construire de nouveaux lotissements en béton ne répond pas à la dynamique sociale. Le gouver-nement court désespérément derrière la pauvreté croissante et la pénurie de logements. Certes,

Les chances de la prolifération urbaine

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Se basant sur une propriété foncière à Khayelitsha, deuxième plus grand township d’Afrique du Sud, ce prototype de maison à coût avantageux a été développé avec l’objectif d’offrir un logement modeste mais digne, axé sur les besoins de ses habitants, convaincant aussi bien sur le plan économique qu’écologique.

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plus de deux millions de logements sociaux ont été construits depuis 1994. Mais il en manque toujours plus de deux millions et demi.

L’idée du «Empower Shack» remonte à une promenade dans le quartier de Khayelitsha en mars 2012. Ce township situé aux portes de la ville du Cap avait été créé par le régime de l’apar-theid. On estime que jusqu’à un million de per-sonnes vivent le long de la baie de sable, presque exclusivement des Noirs. À leur grand étonne-ment et enthousiasme, Schwartz et Brillembourg ont découvert dans cet océan de petites baraques en tôle ondulée d’un étage un shack à deux étages. Ils ont interviewé les habitants qui, sans formation ni connaissances préalables, avaient ajouté un deuxième étage avec quelques lattes de bois et un peu de tôle. Le propriétaire voulait plus d’espace, mais une extension à l’horizon-tale n’était pas possible à cause des voisins. Le problème, c’était que les six membres de sa famille ne se sentaient pas en sécurité dans cette maison. Il voulait démolir le second étage.

L’IKEA du slum pour un habitat flexibleLes architectes sont alors entrés en scène:

durant une école d’été organisée dans une halle d’usine à Glaris, ils ont développé avec les étudiants et un habitant du township un noyau permettant plus d’espace et de qualité de vie à Khayelitsha. Il en est résulté une structure en bois sur pilotis (à cause des pluies diluviennes

fréquentes), simple mais robuste, revêtue de tôle ondulée. Les matériaux utilisés sont disponibles sur place et bon marché. La construction est si simple qu’elle peut être réalisée par la commu-nauté. «Ce que nous voulons, c’est une sorte d’IKEA du slum, explique Schwartz. Chacun doit pouvoir choisir dans toute une palette de ma-tériaux préfabriqués à bas prix qui seront vendus dans les boutiques locales les pièces qui corres-pondent à ses besoins et à son budget.» L’objec-tif, ce sont des maisons flexibles qui croissent ou rétrécissent suivant le budget et la taille de la famille. Les composantes gardent leur valeur et sont des placements qui peuvent être vendus en cas de nécessité. Schwartz explique: «Ce qui nous intéresse, ce n’est pas une esquisse ico-nique, mais un système réalisable.» Il aura fallu quatre jours pour la construction du prototype à Khayelitsha. Les coûts du matériel se sont élevés à 3500 francs – ce qui est encore trop cher pour les habitants du slum au chômage, mais très nettement inférieur aux coûts de production des logements sociaux que le gouvernement construit à la périphérie.

L’explosion informelle de RioJusqu’à ce que le shack à deux étages

devienne un modèle de construction d’apparte-ments sociaux, les cow-boys devront livrer certains duels avec les représentants du gouver-nement. Car, que ce soit en Afrique, en Asie ou

Les structures sociales et la question de la sécurité ont été prises en compte lors de la mise en œuvre des nouvelles maisons en tôle ondulée.

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en Amérique latine, les gouvernants répètent des stratégies dont l’échec est pourtant connu depuis longtemps. Ils alignent des maisons standardisées à la périphérie des villes et créent des déserts en béton polluant et en métal coû-teux, sans aucun accès au marché du travail ni aux services publics, hôpitaux, écoles ou ins-tallations sanitaires.

Cidade de Deus, à Rio de Janeiro, est un exemple d’un tel désastre urbanistique. Ce quar-tier de logements sociaux a été construit dans les années 1960 et s’est transformé en favela dans laquelle les gangs de la drogue et le crime organisé ont trouvé refuge. En 2009, l’histoire semblait devoir se répéter: le gouvernement élaborait un nouveau programme avec pour ob-jectif de créer 3,4 millions d’appartements so-ciaux en cinq ans. Les plans prévus ressemblaient de manière effrayante à ceux des années 1960.

«Du point de vue urbanistique, le gouverne-ment du Brésil a pratiquement tout raté dans ce nouveau programme», critique Rainer Hehl, responsable du Master of Advanced Studies in Urban Design à l’EPF de Zurich. Je le rencontre dans son bureau de Neu-Oerlikon, où les urba-nistes de l’EPFZ sont domiciliés depuis 2010. Cet Allemand qui parle couramment le portugais connaît les développements à Rio de Janeiro comme nul autre: depuis sept ans, il fait des re-cherches sur le développement urbain informel au Brésil et a publié plusieurs livres sur le sujet. «Bien que les évacuations de favelas soient entre-temps interdites au Brésil, de nombreux habitants ont été chassés à la suite des travaux en vue des Jeux olympiques. Pour Rainer Hehl, c’est un désastre, car en les détruisant, ce sont non seulement des infrastructures informelles qui ont disparu, mais aussi des relations so-ciales, de la solidarité et un espace public parta-gé: «Les favelas se sont généralement déve-loppées organiquement pendant de nombreuses années. Leur qualité urbaine correspond sou-vent à celle des villes européennes.»

Peut-être faudra-t-il une explosion sociale pour que se produise un changement de cap au niveau gouvernemental. Comme ce 20 juin

2013, à Rio de Janeiro, lorsque des millions de personnes sont descendues dans la rue et ont manifesté pour un meilleur système éducatif et sanitaire. Parallèlement, Rainer Hehl ouvrait une exposition au Studio-X, une petite galerie d’architecture au centre de Rio, qu’il a mise sur pied avec des étudiants en master de l’EPFZ. Le groupe avait analysé le programme gouverne-mental «Minha Casa, Minha Vida» (Ma maison, ma vie) et demandé, sur la base des expériences historiques et des recherches de terrain à Rio, une révision de la stratégie traditionnelle et un renforcement des processus informels. L’expo-sition portait le titre programmatique de «Minha Casa – Nossa Cidade» (Ma maison, notre ville). Elle a été, comme la révolte, couverte par les médias nationaux. Le ministre responsable a repoussé le projet, invité Rainer Hehl à une au-dition et l’a chargé d’une mission: dessiner 500 unités pour l’une des villes qui croît le plus rapidement au Brésil, en bordure de l’Amazonie. Que va-t-il faire? «Nous voulons associer la créativité des habitants à un urbanisme pertinent.»

«Et qu’en est-il des villes des pays nor-diques? lui ai-je demandé en prenant congé de lui. Pouvez-vous profiter des connaissances acquises au Sud?» L’urbaniste en est convaincu: «Parfaitement. Nos villes sont actuellement dévorées par le marché. Elles manquent d’espace que les gens puissent s’approprier, de l’espace pour vivre, pour l’informel justement.» En re-tournant vers la gare, je traverse Neu-Oerlikon: le long des cubes des bureaux d’ABB, de Bom-bardier, de la Mobilière et de PWC, sur de vastes trottoirs tout propres sans un passant, devant des aires de jeux sans enfants, des bancs de bois stylés où nul ne vient jamais s’asseoir, et en passant par une petite forêt artificielle sans ca-banes ni jeux de piste, où des frênes et des bou-leaux ont été plantés en quinconce dans une trame de 4 mètres sur 4. Un quartier impassible, discipliné. Ici, il n’y a pas de place pour le monde sauvage ni pour l’urbanité. Je repense à ma soirée à Alexandra: un peu plus de township ferait du bien à Neu-Oerlikon.

«Nous voulons associer la créativité des habitants à un urbanisme pertinent.»

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Par Samuel Schlaefli — La conférence «re:pu-blica» est un lieu parfait pour juger de l’état de santé d’Internet. Durant trois jours en mai, plus de 5000 blogueurs, activistes du Net, stratèges des médias sociaux et journalistes se sont ras-semblés dans la Postbahnhof, l’ancienne gare de triage de Berlin Kreuzberg. Plus de 300 inter-ventions et des douzaines de débats de spécia-listes étaient organisés. Il n’y a pas de meilleur endroit pour voir ce qui préoccupe la société numérique. Sascha Lobo, le plus célèbre com-mentateur du web a mis les points sur les i dès le premier jour dans son Discours sur l’état de la nation: «L’Internet est mort, l’idée du réseau numérique ne se concrétise pas.»

Les participants étaient unanimes: jamais la politique n’aura été aussi omniprésente que lors de l’édition 2014 de «re:publica». On ne compte plus les conférences qui demandaient l’asile politique pour Edward Snowden. Sarah Morris, de Wikileaks, a parlé de sa collaboration avec le lanceur d’alerte et des raisons pour les-quelles elle ne peut plus rentrer en Angleterre, son pays natal, depuis qu’elle a escorté Snowden de Hongkong en Russie. Eric King, de Trans-parency International, a donné un aperçu des machinations de la NSA et de l’alliance des Five Eyes. Viktor Mayer-Schönberger, profes-seur à Oxford, a prononcé une conférence sur les limites éthiques du Big Data, tandis que l’ex-pert en sécurité informatique Mikko Hyppönen présentait son manifeste en faveur de la liberté numérique.

Le mot d’ordre de «re:publica» en 2014 était: «Into the Wild». Toutefois, les organisa-

teurs n’entendaient pas par là la liberté sans frontière et le plaisir du jeu, que l’Internet défendait jadis. Ils pointaient plutôt la proliféra-tion de la surveillance, des contrôles, de la collecte et de l’évaluation de données, qui nous étouffent de plus en plus sur la Toile.

Surveillance sans limitesIl s’est produit quelque chose de crucial, qui

a ébranlé dans ses fondements la société numé-rique dans laquelle nous avons grandi. Les digital natives parlent déjà d’un tournant, d’un avant et d’un après Snowden. Récemment encore, nous nous représentions Internet comme un espace dans lequel nous pouvions nous déplacer libre-ment et anonymement. Un espace où nous pou-vions nous glisser dans des rôles différents, que nous n’aurions, sinon, jamais pu incarner; où nous pouvions regarder des images sans que nos amis et collègues en soient informés; un espace dans lequel nous disions des choses que nous n’aurions, sinon, jamais osé exprimer. Tout cela est du passé. Aujourd’hui, nous savons que cet espace est truffé de caméras de surveillance, de matériel d’écoute et d’espions.

Glenn Greenwald, le journaliste du Guar-dian qui a publié les révélations de Snowden sur les programmes de surveillance de la NSA, dé-crit le changement de paradigme dans le traite-ment des données personnelles: «La NSA n’a pas besoin d’un événement précis pour exploiter les données. Elle pense plutôt: nous écoutons vos conversations téléphoniques, regardons dans vos courriels et vos activités sur Internet, nous les enregistrons et les évaluons – pour la simple

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internet: Dernier espace De LiBertÉ

Surveillance, contrôle, fragmentation: Internet se porte mal. Ce qui avait commencé comme l’utopie du dernier espace de liberté est devenu un instrument de surveillance idéal. Aux internautes de reconquérir le net.

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raison qu’elles existent.» Cela rappelle un peu 1984 de George Orwell, sauf que la surveillance est moins visible, plus discrète et plus perfide.

Felix Stalder, professeur de culture numé-rique et de théorie des réseaux à la Haute école des arts de Zurich, parle d’une «seconde phase numérique»: alors que la première phase était caractérisée par une communication élargie et sans restriction, la seconde est placée sous le signe de la collecte illimitée de données et leur exploitation. Le centre de traitement de don-nées – «une boîte noire complexe et opaque, aux dimensions industrielles, requérant d’impor-tants investissements» – est le symbole de cette seconde phase.

Aujourd’hui, certains éléments des déci-sions politiques sont délégués à ces centres. En exploitant les données des signaux de téléphones cellulaires suspects, les ordinateurs décident si les invités d’un mariage afghan ou yéménite seront mitraillés ou non par un drone. Et ils au-torisent les services secrets à écouter les citoyens sans que ceux-ci soient suspectés. Les centres de données sont devenus un danger pour la dé-mocratie.

Suprématie américaine sur InternetL’envie de collecter des données n’est pas

nouvelle. «Pour les gouvernements, la surveil-lance a toujours été un moyen d’identifier les mouvements sociaux et de les discréditer», ex-plique le militant berlinois Stephan Urbach. Qu’il s’agisse de Martin Luther King, des popu-lations indigènes du Chili ou du mouvement écologiste en Allemagne, tous ont été espionnés. «La seule nouveauté est l’omniprésence et la perfection de la surveillance.» Urbach a siégé pendant deux ans et demi comme intervenant pour la liberté sur Internet au Bundestag pour le parti des Pirates. Selon lui, un Internet sans contrôles, égalitaire et démocratique, a toujours été une illusion: «Les États-Unis ont toujours été une puissance hégémonique sur Internet.»

Il y a plusieurs raisons à cela: Internet a été mis au point dans le cadre d’un projet de re-cherche du ministère de la Défense américain. La plus grande part de son infrastructure phy-

sique se trouve toujours aux États-Unis. Les instances décisionnelles les plus importantes, qui déterminent les réglementations et les protocoles utilisés sur Internet, sont dominées par les Américains, notamment par l’Internet Engineering Task Force (IETF). Plus de 70% des propositions soumises à l’IETF entre 1986 et 2012 provenaient d’ingénieurs américains. Elles ont souvent conduit à de nouveaux standards et spécifications. À elle seule, l’entreprise améri-caine Cisco, dont les routeurs et les commuta-teurs font partie des éléments cruciaux de l’infrastructure du Net, a produit plus de propo-sitions que toute la Chine. L’instance hiérar-chique suprême du système de noms sur Internet – l’Internet Cooperation for Assigned Names and Numbers (ICANN) – est également contrôlée par les Américains. Avec l’accord de l’Agence nationale des télécommunications et de l’infor-mation (NTIA), elle peut pratiquement décider seule de l’attribution de nouveaux noms de domaines, par exemple «.org» ou «.ch». «Cela ne nous a pas dérangés pendant longtemps, car le système fonctionnait parfaitement, poursuit Urbach. Mais, à la suite des révélations de la NSA, nous nous sommes soudain sentis, pour la première fois, réellement impuissants.»

Les internautes, mais aussi les gouverne-ments, sont désormais frustrés et troublés. De-puis des années, la Chine et la Russie se plaignent de la suprématie américaine sur Internet. Après le scandale de l’écoute de son téléphone cellu-laire, Angela Merkel a annoncé que l’Allemagne envisageait, avec le concours de la France, le développement d’un Internet européen. Deutsche Telekom travaille déjà à un projet d’«Internetz» allemand, qui pourrait être éten-du à l’Union européenne.

Tout comme Merkel, la présidente du Brésil Dilma Rousseff a réagi. Son gouvernement voulait obliger des entreprises comme Google ou Facebook à rapatrier les données des inter-nautes brésiliens sur des serveurs situés au Brésil. Les passages correspondants ont, certes, été exclus du Marco Civil da Internet en avril 2014, mais ce dernier prévoit toujours un renforce-ment de la souveraineté nationale des données.

«Le centre de traitement de données est une boîte noire complexe et opaque, aux dimensions industrielles, requérant d’importants investissements.»

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La décentralisation d’Internet préoccupe aussi la recherche: les informaticiens de l’EPF de Zurich et de la Carnegie Mellon University aux États-Unis sont en train de bricoler un ré-seau mondial de sous-réseaux régionaux. Ces derniers seraient soumis aux autorités de sur-veillance nationales. Ainsi, la réglementation et l’attribution des noms de domaines seraient sous la souveraineté de l’État.

Pour les géants du secteur, une nationalisa-tion d’Internet serait un scénario catastrophe: en décembre dernier, Facebook, Google, Apple, Twitter, LinkedIn, Yahoo, AOL et Microsoft ont fait paraître des annonces pleine page dans les grands journaux américains. Dans une lettre ouverte commune adressée aux gouvernements de ce monde, ils exigeaient le «respect du trafic de données international». Cette exigence n’est pas vraiment une surprise: avec une fragmenta-tion du réseau, leur modèle commercial n’aurait plus de sens.

Mais l’industrie n’est pas la seule à s’in-quiéter. Les activistes du Net et les scientifiques s’opposent aussi à un démantèlement du web. Ils craignent une «balkanisation de l’Internet», un patchwork de réseaux nationaux obéissant à des réglementations différentes et, pour cer-taines, non compatibles. Paul Fehlinger, de l’In-ternet & Jurisdiction Project, une organisation ayant son siège à Paris et qui se bat pour la sau-vegarde du système global actuel, a récemment posé une question provocante dans un article: «Aurons-nous besoin, à l’avenir, d’un visa en ligne pour avoir encore le droit de surfer sur Internet?»

Le darknet – dernier espace de libertéPour Felix Stalder, expert en réseaux, de

telles craintes sont prématurées. «Les coûts so-ciaux et économiques d’une nationalisation d’Internet seraient trop élevés.» Ses prévisions vont dans une autre direction: différents acteurs essaieraient de reprendre le contrôle des in-frastructures existantes. Cela s’est déjà produit. Des nerds ont, au cours des dernières années, créé leur propre réseau protégé de toute sur-

veillance et de tout contrôle. Le darknet est le dernier espace de liberté du cyberspace: un réseau underground dont les pages ne peuvent être repérées par aucun navigateur courant. Combinant les technologies de réseaux à l’ano-nymat et au cryptage des données, il ne peut être observé ou contrôlé de l’extérieur. Certes, les données sont envoyées par les mêmes câbles en cuivre ou en fibre de verre, comme le ré seau officiel. Mais il utilise d’autres protocoles de transmission. Quiconque surfe sur le darknet n’apparaît pas sur l’écran des services secrets et n’atterrit pas dans les rouages de Google. Le darknet est un espace virtuel sans règle. Les connaisseurs évoquent des bourses de chasseurs de têtes, un commerce d’armes florissant et des réseaux pornographiques.

En octobre dernier, le darknet a fait les gros titres de la presse internationale. Le FBI y a re-trouvé la trace du fondateur de la plateforme de vente Silk Road, qui est souvent comparée à Amazon – à la différence que Silk Road ne vend pas des livres, mais des stupéfiants. À certains moments, 340 sortes de stupéfiants étaient disponibles sur la plateforme, du haschich à l’hé-roïne en passant par l’ecstasy. Les acheteurs commandaient la marchandise de chez eux et la réglaient en bitcoins, la monnaie virtuelle. Lorsque le FBI a interpellé l’exploitant Ross William Ulbricht à San Francisco, 25 millions de dollars sous forme de bitcoins ont été gelés. Entre-temps, Silk Road est de nouveau en ligne sous une forme modifiée.

Stephan Urbach s’insurge contre de telles associations purement négatives: «Le darknet est volontairement diffamé auprès de l’opinion publique, car les politiques ont peur de perdre le contrôle d’Internet.» Silk Road, la pornographie enfantine et les autres activités illégales ne joueraient qu’un rôle marginal. La plus grande partie des communications servirait des inten-tions plus louables. C’est ainsi qu’Urbach et le groupe de hackers Telecomix utilisent le réseau Tor, sans doute le plus important du darknet, pour soutenir les combattants de la résistance syrienne. Bien que le régime de Bachar el-Assad surveille l’ensemble des activités sur le Net dans

Le darknet est un espace virtuel sans règle.Internet: dernier espace de liberté

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le pays, Urbach réussit à organiser des chats sécurisés, indépendants de l’Internet officiel, dans lesquels les activistes syriens peuvent échanger leurs informations. Parallèlement, des journalistes et des activistes trouvent sur le ré-seau Tor des instruments pour se protéger de la répression, par exemple des programmes qui floutent automatiquement les visages sur les vidéos tournées ou effacent toutes les métadon-nées (lieu, date et type de caméra utilisée). Des vidéos documentant des crimes de guerre et des violations des droits humains peuvent ainsi être diffusées de manière anonyme, sans que leurs auteurs aient à craindre pour leur vie.

Chaque jour, plus de deux millions d’inter-nautes de 110 pays surfent sur le réseau Tor, deux fois plus qu’avant le scandale de la NSA. L’anonymat et le cryptage sont devenus un besoin urgent dans l’ère post-Snowden. Pour les activistes, les représentants de la société civile et les ONG, c’est de plus en plus nécessaire. Le réseau global AVAAZ, par exemple, a lancé il y a quelques semaines un appel aux dons pour améliorer son infrastructure de sécurité, après que des ordinateurs de leurs membres aient été piratés et que des activistes en Égypte aient été interrogés par des policiers redoutablement bien informés. «Je reçois aujourd’hui beaucoup de demandes d’ONG et de journalistes qui cherchent des moyens de protéger leurs échanges sur Internet contre toute interception étran-gère», explique Urbach. Récemment, il a réalisé des ateliers portant sur des instruments de cryp-tages simples et gratuits pour Médecins sans

Frontières en France et en Suède. «Gratuite-ment bien sûr, sinon ce serait immoral. Car, je suis quand même un activiste!»

Crypter, crypter, crypter!Pour le professeur Felix Stalder, spécialiste

de l’Internet, la cryptographie constitue une solution majeure pour reconquérir la liberté sur le Net: «Aujourd’hui, où nous révélons prati-quement toutes nos données personnelles sur Internet, la surveillance ne coûte presque rien. C’est pour cela que tout est contrôlé. Mais, plus nous protégerons notre communication, plus la surveillance sera chère et diminuera.» Les moyens existent, par exemple par le biais du protocole gratuit OpenPGP pour le cryptage des courriels et des documents numériques, PGP signifiant «pretty good privacy».

Seul problème, rendre les données anonymes entraîne un surcroît de travail pour les inter-nautes. La plupart sont malheureusement deve-nus paresseux et ont oublié que la convivialité, toujours meilleure, du web 2.0 allait de pair avec une diminution des libertés individuelles. Les offres soi-disant gratuites – médias sociaux, messagerie électronique, infos en ligne, cinéma, shopping en ligne et applis – ont un coût: la four-niture de nos données personnelles.

Il se peut que Snowden nous ait tirés de notre léthargie et qu’une nouvelle phase, celle de la désobéissance numérique, succède à celle de la surveillance. Ce sera, certes, long et difficile, mais c’est peut-être finalement le seul moyen de reconquérir notre liberté sur Internet.

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La nature À L’État sauvage

n’eXiste pasLes Indiens Asháninka de l’Amazonie péruvienne n’ont pas de mot pour

décrire la nature à l’état sauvage. Pour eux, il n’existe qu’un monde, qu’ils partagent avec toutes les autres créatures vivantes, ainsi que l’a rapporté l’anthropologue

Jeremy Narby (entretien p. 52). Le photographe Mike Goldwater a réussi à saisir l’harmonie qui règne entre ce peuple et la nature.

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p. 44 Les couleurs des peintures faciales sont obtenues à partir de la graine d’une plante, l’urucum. Ces peintures représentent souvent des animaux et expriment aussi une humeur.

p. 45 La pirogue sert aussi bien pour la chasse que pour se déplacer et entretenir des contacts sociaux avec d’autres familles.

p. 46 / 47 Les adultes enseignent très tôt différentes techniques de chasse aux enfants. Les hommes sont chargés du ravitaillement qu’ils doivent assurer en chassant et pêchant.

p. 46 Les Asháninka croient que les enfants adoptent les propriétés des animaux que en bas leur mère a mangés durant sa grossesse. Les femmes enceintes ne mangent pas de

chair de tortue, afin que leurs enfants ne soient pas lents. p. 48 / 49 Filles Asháninka avec un marcassin orphelin qu’elles veulent élever. Un groupe de

chasseurs avait découvert une portée de marcassins après avoir tué deux sangliers. p. 50 Femmes Asháninka revenant d’un marché local. p. 51 Nul ne sait à quoi ressemblera l’avenir des Asháninka.

Les Asháninka sont l’un des plus grands groupes indigènes d’Amérique du Sud. Depuis l’époque coloniale, ils n’ont survécu qu’au prix d’immenses difficultés. Ils ont été réduits en esclavage, dé-possédés de leurs terres, quand celles-ci n’ont pas été détruites, et, à la fin du XXe siècle, ils ont été mêlés aux conflits qui ont ensanglanté le Pérou.

Aujourd’hui, une vaste réserve est menacée par le projet de construction du barrage de Pakitzapango. Ce projet, qui entraînerait le dé-placement d’environ 10 000 autochtones, fait partie d’un vaste système de projets hydroélec-triques planifiés par les gouvernements brésilien et péruvien, mais sans concertation avec les Asháninka.

La nature à l’état sauvage n’existe pas

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Les LuMiÈres ont ÉtÉ un caucheMar pour La nature

Qu’est-ce qui distingue la vie sauvage de l’être humain? L’anthropologue Jeremy narby rétorque: «Mais qu’est-ce que la nature à l’état sauvage?» Au fond, elle n’existe pas – à moins de considérer le monde d’un point de vue purement anthropomorphique et de dégrader les autres créatures au rang d’objet. Une approche qui n’est pas tenable.

Par Matthias Wyssmann — Quiconque veut saisir ce qu’est la nature à l’état sauvage doit pé-nétrer dans la forêt tropicale humide sud-améri-caine, avec son impressionnante biodiversité. C’est à Porrentruy que nous rencontrons le guide pour nous y conduire. Jeremy Narby, anthropo-logue canado-suisse, avait fait sensation il y a une quinzaine d’années: dans son livre Le Serpent cosmique, il comparait le chamanisme à la biolo-gie moléculaire moderne. Sa thèse: en buvant de l’ayahuasca, la légendaire drogue de la forêt vierge, les chamanes peuvent voir et comprendre l’ADN des organismes vivants, et donc leur mi-raculeuse interaction. Cinq ans plus tard, il pu-bliait L’intelligence dans la nature, pour en finir avec le dogme selon lequel le hasard détermine-rait l’évolution.

Il travaille actuellement à un autre ouvrage sur un thème apparemment banal: «Qu’est-ce qu’une plante?» Là encore, il jette un pont entre la science occidentale et l’animisme des peuples de la forêt amazonienne.

Je me souvenais encore vaguement du lieu où logeait Jeremy Narby – une demeure spa-cieuse, pleine de livres et d’instruments de mu-sique, plantée dans un vaste jardin à l’abandon. Mais depuis ma dernière visite il y a quatre ans, il semble avoir domestiqué la prairie tout autour et la végétation qui y proliférait. La jungle a bel et bien disparu. Pourtant, lors de cet entretien, l’anthropologue a réussi à faire revivre la forêt tropicale amazonienne dans mon imagination.

Mais nous devions d’abord éclaircir un point:

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Greenpeace: Jeremy Narby, il n’y a pas de mot en français pour traduire le terme anglais «wilderness» ou l’allemand «Wildnis».

Jeremy Narby: Peut-être faut-il d’abord le décortiquer pour le comprendre: wilderness signifie littéralement «lieu où il y a des cerfs» – wild deer –, des animaux sauvages.Wild-deer-ness?

Exactement. Et l’adjectif allemand wild (sauvage) a, à mon avis, la même racine que le mot Wald, la forêt. L’adjectif français «sauvage» descend du latin selva, la forêt. Or, la forêt com-mence là où la civilisation – c’est-à-dire la sphère de l’influence humaine – s’arrête. L’homme occidental s’est depuis toujours délimité face à la nature. Regardez dans le dictionnaire: les deux termes s’excluent. La nature est ce qui n’est pas de la main de l’homme. Pour les Indiens Asháninka, auprès desquels vous avez travaillé durant vingt-cinq ans, c’est différent, j’imagine?

Ils ne dressent pas de frontières entre êtres humains, animaux et plantes. Ces frontières n’existent que dans le monde dit «civilisé».Quel terme les Asháninka utilisent-ils pour «Wildnis», pour ce qui n’est pas de la main de l’homme?

Si on leur demandait, ils répondraient: «No tenemos», nous n’en avons pas. Je leur ai demandé s’il y a des lieux dans la forêt où les humains ne vont jamais; ils ont gardé longtemps le silence. Que disent-ils alors?

Ils disent: «Les plantes et les animaux sont des personnes. Ce sont des Asháninka, comme nous.» Pour les Indiens de l’Amazonie, il n’y a donc pas deux sphères bien distinctes: l’homme et la nature?

Ils sont animistes. Or, l’animisme repose sur deux convictions: qu’il existe une parenté d’espèces entre tous les organismes vivants et que les êtres non humains sont des personnes. Voilà pourquoi, en Amazonie, il n’existe pas de terme pour désigner la nature à l’état sauvage.Comment faut-il comprendre l’idée que les plantes et les animaux sont des personnes?

Une personne est un être qui peut communi-quer et qui a son propre point de vue. Un flocon de neige en est incapable. Le jaguar, en revanche, a un point de vue sur le monde, de même que l’arbre catalpa que l’on voit à travers cette fenêtre: il veut croître et déployer ses branches. Même un brin d’herbe, s’il veut survivre, doit savoir comment les plantes voisines vont se comporter, où se trouve de l’eau, quelle lumière est la plus propice pour lui. Il doit traduire ces informations en décisions. C’est ce que font les personnes.La vie à l’état sauvage serait donc peuplée de personnes de différentes natures?

Oui, et cela signifie que le monde sauvage est aussi une culture. Les plantes et les animaux ont leur propre culture. Une telle façon de concevoir la forêt tropicale humide, le monde sauvage et la nature serait un obstacle formi-dable pour quiconque y voit avant tout des res-sources à exploiter.En dépersonnalisant toute vie qui n’est pas humaine, il nous serait donc plus facile de l’utiliser et d’en abuser?

Exactement.Et d’exproprier les indigènes de la forêt en les qualifiant de «sauvages» ?

Bruce Chatwin n’a-t-il pas écrit qu’il fallait d’abord déshumaniser quelqu’un avant de pou-voir le tuer?La notion de «vie sauvage» est donc bien pratique pour ceux qui veulent la piller?

En tout cas, le terme convient bien à une société soi-disant «humaniste» qui place l’homme au centre et dégrade tout le reste au rang d’objet.Peut-on définir la culture comme le domaine dans lequel l’homme fixe ses propres règles?

Ce serait sans doute une bonne définition de la culture humaine.Dans ce cas, la vie sauvage serait ce qui n’est pas soumis à ces règles. Ce qui la rendrait intéressante pour certains êtres «civilisés» qui pourraient ignorer toute règle et se conduire de manière bestiale.

Je dois vous contredire. Vous ne trouverez aucun animal qui se comporte comme l’ont fait les conquérants espagnols au XVIe siècle.

«Les plantes et les animaux sont des personnes. Ce sont des Asháninka, comme nous.»

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Les Lumières ont été un cauchemar pour la nature

Assassiner d’une manière aussi massive, un animal ne le ferait pas. Les animaux ne se com-portent pas de manière «bestiale».Mais comment la jungle transforme-t-elle les Européens ?

Il s’agit plutôt de savoir ce que les Euro-péens font de la nature et des indigènes qui y vivent. Ils traitent les animaux et les plantes comme des objets sans âme, et déshumanisent les Indiens pour pouvoir les priver de leurs moyens de subsistance.Ils les dépouillent de leurs droits moraux pour en faire ce qu’ils veulent.

Pour la morale, les conquistadors avaient les missionnaires, la Bible dans une main, l’épée dans l’autre. Mais ne nous leurrons pas: qui-conque pille la forêt tropicale et extermine des Indiens sait exactement ce qu’il veut: la ri-chesse, l’or, la puissance et la domination. Rien d’autre. Quand on demandait aux Espagnols s’ils avaient une justification morale pour tuer, ils disaient: «Demande au type qui tient une Bible. Il te l’expliquera.»Et aujourd’hui? Ceux qui déboisent la forêt tropicale peuvent-ils se réclamer d’une quelconque morale?

De celle qui domine le monde actuellement. Prenez la Chine, par exemple. Le Parti commu-niste a proclamé un nouveau mot d’ordre il y a quelques années: «Il est glorieux de s’enrichir.» Les nouveaux riches sont une bonne chose pour la Chine, dit-on. Si le discours capitaliste le plus dur vient du Parti communiste, cela veut dire que le monde a du souci à se faire… Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais j’ai le sentiment que la philosophie de notre époque se résume ainsi: s’enrichir, c’est magnifique! Aucune forêt tropicale n’y résistera.«Pour le plus grand bien», lit-on chez Harry Potter. Des sorciers veulent soumettre le monde entier pour y arriver.

L’idée des grands méchants qui tirent les ficelles ne me convainc pas. Qu’il s’agisse de relancer l’économie chinoise ou de détruire la forêt amazonienne, il n’est pas question de mal, mais d’avidité et de bêtise. Je crois que les hommes n’en savent pas assez sur ces méca-nismes. Voilà pourquoi j’écris des livres. J’espère une prise de conscience. Je m’y emploie.Croyez-vous sérieusement que l’animisme ait quelque chose à opposer à l’ordre mon-dial rationnel actuel?

Si nous partons du principe que la nature n’est qu’une accumulation d’objets, alors il nous manque cruellement le sens de la vie. Le cha-manisme et l’animisme nous offrent de bonnes possibilités si nous voulons renouer avec la na-ture. Nous commençons à comprendre que nous nous sommes détachés de la nature et que c’est l’un de nos plus gros problèmes. Les scienti-fiques occidentaux nous montrent eux aussi que le destin de toutes les formes de vie – les êtres humains, la flore, la faune – est étroitement lié. Nous devons nous rapprocher à nouveau de la nature. Un humanisme qui se focalise unique-ment sur la perspective humaine n’y arrivera pas.Pourquoi pas?

J’ai reçu une éducation humaniste, basée sur les Lumières et la raison. La première fois que les Asháninka m’ont raconté que les plantes étaient aussi des personnes, ils m’ont fait pitié. Aujourd’hui, je vois les choses autrement: nous devons à l’humanisme maintes conquêtes spec-taculaires, mais les 300 ans qui ont suivi le Siècle des Lumières ont été un cauchemar pour la nature.Bientôt, nous ne nous moquerons sans doute plus des gens qui embrassent les arbres.

C’est possible. Mais cette approche a ses limites. Nous ferions mieux d’embrasser les arbres dans notre conscience et de développer une nouvelle compréhension de la nature. Bien qu’elle ait des connaissances toujours plus vastes, la société moderne n’a pas réussi jusqu’ici à assimiler ce mode de pensée.Cela pourrait bientôt changer?

Notre civilisation est tellement perfection-née aujourd’hui que nous pouvons reconnaître que notre attitude destructive a ses limites. Aucune autre civilisation ne l’a fait jusqu’à pré-sent. C’est une chance. Cela ouvre un territoire encore inexploré. Il y a vingt-cinq ans, il était presque impensable d’en discuter. Aujourd’hui, nous disons qu’il est tout à fait pertinent d’embrasser des arbres. Et peut-être même des brins d’herbe!

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Les sauvageons De La ForÊt

Un hommage aux champignons

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Par Mathias Plüss — Les champignons sont des créatures singulières. Ils ressemblent aux plantes par leur sédentarité, aux animaux dans leur façon de se nourrir et aux bactéries à cause de leur omniprésence. Mais ils n’appar-tiennent à aucun de ces trois groupes et forment une catégorie à part.

Les champignons sont imprévisibles. Le sol en est rempli, l’air aussi: nous inhalons jusqu’à dix spores chaque fois que nous inspirons. Pour-tant il arrive qu’en forêt, on ne trouve pas de champignons durant des mois, au grand déses-poir des cueilleurs. Puis soudain, ils réappa-raissent en quantité industrielle. Mais impossible de faire des prévisions quant à leur croissance... Chaque champignonneur a sa méthode – obser-vation de la chaleur, de la pluviométrie, des taches solaires, des phases de la lune – mais au-cune n’est infaillible. Même les cueilleurs les plus expérimentés rentrent parfois bredouilles.

«Les champignonneurs sont les derniers aventuriers»Les champignons sont indomptables. Alors

que les humains ont depuis longtemps adapté à leurs besoins tout ce qui rampe et bouge sur cette terre, les champignons résistent obstiné-ment à toute domestication. Certes, il existe des champignons de culture, comme les pleurotes et les shiitakes, mais pour la plupart des autres espèces, les tentatives ont lamentablement échoué. Car les champignons sont rebelles. Qui-conque souhaite en manger doit les chercher dans la forêt.

Dans son essai récent Versuch über den Pilz-narren, Peter Handke voit dans les champi-gnons la nature à l’état sauvage: au royaume des champignons, il y aurait toujours une ultime parcelle de vie sauvage à découvrir, qui n’existe

plus nulle part ailleurs, même pas en Alaska. Peut-être même les champignonneurs sont-ils «les derniers aventuriers» de la planète. Quel spectacle de voir un simple fonctionnaire ou employé de banque se transformer en cueilleur à la sortie du bureau, se frayant sans ménage-ment un chemin dans les fourrés ou au pied des sapins, se cachant précipitamment dès que surgit un concurrent, et poussant des cris de joie lorsqu’il tombe sur un cèpe particulièrement charnu! La cueillette des champignons se pra-tique sans doute de la même façon depuis des millénaires, voire des dizaines de millénaires. Dans quelle autre activité pourrions-nous nous sentir encore aussi proches de nos ancêtres?

Le vrai champignon vit sous terreLe fait que les champignons ne poussent

que dans la nature s’explique par leur mode de vie. Environ un tiers des champignons de nos forêts, quelque 2000 espèces, sont obligés de vivre en symbiose étroite avec les arbres. C’est le cas d’un grand nombre de ceux qui sont ap-préciés des gastronomes, notamment les bolets et les girolles, mais aussi d’espèces incomestibles comme l’amanite tue-mouches ou phalloïde. Pour les champignons, la coopération est vitale: l’arbre leur fournit le sucre qu’ils ne peuvent produire eux-mêmes (en ce sens, ils ressemblent aux animaux). Aussi ne sert-il à rien de dissémi-ner quelques spores dans son jardin: elles ne germeront pas. Pour que cela marche, il faudrait y transplanter tout un pan de forêt.

Les détails de la collaboration entre le cham-pignon et l’arbre sont extrêmement intéressants. Ce que nous appelons communément un cham-pignon n’est que l’organe reproducteur qui, de temps à autre, germe et pousse – le vrai champi-gnon vit sous la terre, où il forme une délicate

Indispensables à l’écosystème que constitue la forêt, les champignons sont la vie sauvage à l’état pur. Sans eux, il n’y aurait pas de vie sur Terre.

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structure filamenteuse, le mycélium. Ces filaments enrobent ou pénètrent les racines de l’arbre – c’est ainsi que les deux organismes entrent en contact.

Vivre en symbiose signifie donner et rece-voir. Le champignon tire sa nourriture de l’arbre; en retour, il lui apporte des substances nutritives telles que l’azote ou le phosphore. Même chose pour l’eau qui permet à l’arbre de croître dans des lieux qui, sinon, seraient trop secs pour lui. De plus, certains champignons ont des propriétés antigel et des antibiotiques, dont les arbres pro-fitent aussi. Des chercheurs de l’EPF de Zurich ont même récemment découvert un poison mortel pour les nématodes dans un champignon mycorhizien du sapin rouge. Tout en se proté-geant des parasites, le champignon protège l’arbre.

Cette fonction de garde du corps va plus loin: le champignon tient à distance les métaux lourds toxiques comme le plomb, le cadmium ou le mercure. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces substances non dégradables ne lui font aucun mal: il les concentre dans ses fructi-fications, ce qui peut avoir des conséquences néfastes pour le cueilleur. Les bolets bais qui ont emmagasiné du césium radioactif après Tchernobyl posent notamment problème. Au Tessin, les teneurs en césium de ces champi-gnons (et donc, celles des sangliers qui les adorent) sont parfois encore supérieures aux valeurs limites.

Un partenariat entre l’arbre et le champignonUn deuxième groupe de champignons ne

vit pas en symbiose avec l’arbre, mais se nourrit de matériel organique: ils décomposent des feuilles, des aiguilles de pin et du bois mort, et garantissent ainsi la circulation des nutriments. Les champignons cultivés, tel le champignon de Paris, appartiennent à cette espèce. Mais il y en a bien d’autres encore: sur un tronc d’arbre en Suède, on a trouvé 398 espèces de champi-gnons! Grâce au processus de décomposition, ils créent un habitat pour d’innombrables insectes et animalcules spécialisés. Pour conserver cette

diversité, il faut suffisamment de bois mort, un problème dans les forêts suisses trop nettoyées. Si la part de bois mort au kilomètre carré a dou-blé ces dernières années, elle est encore cinq fois plus basse que dans une forêt naturelle.

Les champignons ne peuvent pas vivre sans forêt. Mais la forêt le pourrait-elle sans les champignons? S’ils fournissent des services ines-timables à l’écosystème, on peut imaginer une forêt sans champignons lignivores. Dans les forêts anciennes, ce genre de champignons n’existait pas encore. Certains troncs d’arbres qui ne se décomposaient pas se transformaient donc en charbon.

Les champignons mycorhiziens sont appa-remment plus importants pour l’écosystème. Les spécialistes de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) les considèrent comme «vitaux» pour les arbres de la forêt. Pour preuve, pas moins de 80% des plantes de la planète (et, sans exception, tous les arbres de Suisse) vivent en symbiose avec un champignon: si cela n’était pas nécessaire, ils ne consentiraient sûrement pas à un tel partena-riat. Des fossiles prouvent que cette forme de coopération existe depuis la nuit des temps.

Il est possible qu’avec leur faculté de capter les substances nutritives, les champignons aient rendu habitables les continents jadis arides. C’est en tout cas l’opinion du grand biologiste américain Edward O. Wilson. Dans son livre La diversité de la vie, il affirme que, sans le partena-riat entre les plantes et les champignons, la colonisation des continents par des plantes plus hautes et des animaux, il y a 450 à 400 millions d’années, n’aurait probablement pas eu lieu.

«Sur un seul tronc d’arbre en Suède, on a trouvé 398 espèces de champignons.»Les sauvageons de la forêt

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Par Roland Falk — Au cours de ce safari sur les ondes, on m’a infligé un bling-bling visuel tous azimuts, un méli-mélo de tout ce qu’il y a de plus déjanté. Mais avec le même message sous-jacent: fais gaffe, le monde est traître, brutal et impitoyable dans les rares régions encore sauvages. Durant ces deux semaines d’exploration sur le terrain du petit écran, je me suis retrouvé devant des serpents prêts à mordre, des requins sournois et de gigantesques essaims d’abeilles tueuses – un bestiaire de l’horreur que les commentateurs se plaisaient à dramatiser à qui mieux mieux. Au programme, il y avait entre autres une émission sur des monstres sem-blables à celui du loch Ness, de gigantesques silures «à la réputation meurtrière», dans laquelle il était indiqué combien de fragments de ca-davres on aurait trouvés au cours des siècles dans ces animaux «souvent présentés comme cannibales». Dans le téléfilm américain Eclosion, des myriades de cancrelats africains dévoraient les populations de villages entiers. Le documentaire légèrement plus sérieux, Horror auf acht Beinen, ne m’a pas appris grand-chose, sinon que l’Atrax robustus, cette mygale australienne qui hante les banlieues de Sydney, peut vous exterminer en quinze minutes. Les parents qui n’osent déjà plus laisser leurs enfants jouer dehors à cause du ténia tomberaient raides morts après un tel concentré de cadavres et de putréfaction.

Dangers mis en scèneL’homme urbanisé parle certes de sa «jungle urbaine», mais il sait

de moins en moins à quoi la nature ressemble vraiment, explique le sociologue allemand de la nature Rainer Brämer. La télévision, qui «sim-plifie la réalité et fait s’atrophier notre faculté de perception», en est certainement responsable. Longtemps, le syndrome de Bambi a sévi sur maintes chaînes, conduisant à de charmantes observations de plantes, d’animaux et de paysages qui n’évitaient pas toujours le kitsch. Aujourd’hui, on mise plutôt sur l’effet de flash, l’intensité dramatique sur-voltée. «On dirait que nous n’avons plus de perception différenciée de l’environnement.» Notamment parce que nous avons moins envie de nous

poussÉes D’aDrÉnaLine sur Le canapÉ

La jungle en haute définition: notre chroniqueur est parti en safari sur les chaînes de télévision...

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lancer à la découverte de la nature. «À l’époque des plats cuisinés et de la restauration rapide, tout doit être à portée de la main. Et, entre-temps, on peut satisfaire presque chaque besoin sur le web.»

La seule question qui se pose: mettre en scène ces dangers, cela répond-il à un besoin? De nombreux programmes semblent répondre par l’affirmative. Dans Seul face à la nature, les producteurs font haleter comme un damné Bear Grylls, ancien membre des forces spéciales britanniques, qui, après une avalanche, d’abondantes pluies verglaçantes et une tempête de neige, pavoise avec des citations du genre: «J’ai déjà survécu à trois dangers mortels.» Parfois, le visage ensanglanté, il regarde directement la caméra tout en faisant observer: «Dans la nature, on ne contrôle pas tout.» Dans la série Ice Pilots, on nous montre les avions de pilotes des glaces, de préférence dans le blizzard, avec ce commentaire: «Le pire cauchemar devient presque une réalité.» D’autres producteurs essaient de susciter des déferlantes d’angoisses ancestrales au moyen de scénarios racoleurs, par exemple dans l’émission de télé-réalité Péril en haute mer. Même sur Arte, pourtant moins en mal de sensationnel, on apprend qu’en raison de son «incroyable puissance de destruction», un volcan comme le Masaya au Nicaragua sème impitoyablement «la mort et la dévastation».

Sensibiliser les enfants à la natureUne action frénétique présentée comme un cours d’histoire natu-

relle, on connaît cela depuis Steve Irvin, le téméraire Australien qui, dans la série documentaire The Crocodile Hunter, s’amusait avec des vi-pères venimeuses, mettait intentionnellement en colère un crocodile tout en portant son fils sur son bras, et qui finit par être mortellement blessé par le dard d’une raie pastenague. Dès lors, chacun de nous connaît les dangers que recèle la nature exotique, mais c’est à peine si l’on trouve un enfant qui sait tout ce qui rampe et bouge autour de lui. C’est pourquoi des organisations comme L’École à la ferme doivent apprendre aux ga-mins que les poules n’ont pas de poils, mais des plumes, et que les canards ne sont pas jaunes.

L’éthologue et psychanalyste zurichois Mario Erdheim souligne que même des personnes intelligentes peuvent avoir une compréhension peu nuancée de la nature: «Le philosophe allemand Theodor W. Adorno, par exemple, pensait que les tribus des contrées sauvages vivaient dans une angoisse constante. Mais je suppose que la peur bleue qu’il avait de traverser une rue à Francfort était bien plus grande encore...»

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Italie, Ligurie, 25 juin 2014 Énergie non polluante des militants de Greenpeace qui se sont hissés sur une grue à charbon du grand groupe énergétique Enel de-mandent au président du Conseil de l’UE à Bruxelles, re-présenté par l’Italie, de ne plus investir dans la production d’énergies polluantes et risquées, mais dans des éner -gies propres et renouvelables. Sur la banderole, on peut lire: «Le problème ou la solution: nous avons le choix!»

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Indonésie, Padang, 29 mars 2014 Respect de la forêt tropicale déguisés en tigres, des militants indonésiens de Greenpeace et des volontaires participent à la Journée internationale d’action contre la déforestation de la forêt tropicale. dans treize pays, des centaines de mi-litants exigent de Procter & Gamble une garantie «zéro déforestation» pour la fabrication de ses produits, tels les shampoings Head & Shoulders.

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Mer de Barents, norvège, 27 mai 2014 Échec aux forages pétroliers des militants de Greenpeace montent sur la plateforme de forage la plus septentrionale de la planète, exploi - tée par Statoil. Ils protestent, car elle est proche de la réserve naturelle de l’île de Barents. Heureusement, la recherche s’est avérée infructueuse. Toutefois, Statoil prévoit de prospecter deux autres sites dans la région. Greenpeace a porté plainte auprès du ministère norvégien de l’Environnement, mais a été déboutée.

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Paris, 9 juillet 2014 Save the Arctic Lego Scene à Paris À Paris, des militants de Greenpeace utilisent des figu-rines Lego avec des bannières «Save the Arctic» pour protester contre Shell. Greenpeace demande à Lego de couper ses liens avec Shell et d’aider la campagne «Save the Arctic». depuis plusieurs années, Shell se sert de la marque Lego pour laver son image de pilleur de l’Arctique. À ce jour, 16 millions de jeux Lego portant le logo de Shell ont été vendus ou donnés dans des stations essence de 26 pays.

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début de la chasse à la baleine en Islande

À la mi-juin, les baleiniers ont tué leur premier rorqual de la saison. Cette année, l’Islande a don-né l’autorisation d’en abattre 150. La viande de baleine est presque exclusivement exportée vers le Japon. La chasse au rorqual est contrôlée par quelques grandes entreprises de pêche comme HB Grandi, qui exerce une forte influence sur le gouvernement afin que ce dernier ignore les conventions sur la protection des espèces. Paral-lèlement, le tourisme vert est en plein essor dans le pays. Or, l’observation des baleines joue un rôle important dans cette offre. Greenpeace souligne cette contradiction flagrante et exige du gouver-nement islandais qu’il fasse cesser la chasse à la baleine.

Le Beluga en tournée

Pendant deux mois, le navire de Greenpeace Beluga II a jeté l’ancre dans quinze villes des bords du Rhin. Le mot d’ordre de ce périple était: «Stop Risking Europe». Environ 7000 personnes ont visité le bateau et l’exposition consacrée aux risques de l’énergie nucléaire. Pour conclure, une pétition signée par 10 000 personnes exigeant que la France procède enfin à l’arrêt de ses réac-teurs les plus anciens, Fessenheim et Cattenom (où s’est produit récemment un incendie), a été remise au président Hollande. Cette demande était également adressée à l’Allemagne et à l’Union européenne, afin qu’elles fassent pression sur la France – car les conséquences d’un acci-dent nucléaire ne s’arrêtent pas aux frontières d’un pays.début mai, le Beluga II a fait halte à Bâle durant une semaine – avec grand succès. Un petit groupe de volontaires de Greenpeace était allé en canoë à la rencontre du bateau, pagayant pendant huit jours le long des cinq centrales nucléaires suisses.

Pétition contre le courant sale

En Europe, les prix de l’électricité sont plus bas que jamais. Parallèlement, le marché de l’électri-cité suisse doit être complètement libéralisé. Cela finira mal. L’électricité bon marché issue des cen-trales nucléaires, à charbon ou au gaz, ruine le tournant énergétique, car l’énergie produite dura-blement par l’eau, le vent et le soleil ne peut pas tenir le coup face au dumping actuel. Les coûts de la pollution occasionnée par le courant sale et le changement climatique sont supportés par tous.Greenpeace, Pro Solar et le WWF ont donc lancé une pétition en ligne. Leur exigence: qu’une taxe soit prélevée sur le courant sale importé ou pro-duit en Suisse afin d’équilibrer les coûts non cou-verts. Comme mesure d’accompagnement à la li-béralisation du marché de l’électricité, cela permettrait de décharger les entreprises et les ménages qui consomment déjà du courant propre. En même temps, la production indigène d’énergie hydraulique, éolienne et solaire serait encouragée.Signez la pétition en ligne: courant-sale.ch.

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ESMühleberg: à quand

le mot de la fin?Le lobby nucléaire bernois, et notamment le groupe FMB (Forces motrices bernoises), s’est imposé dans la campagne intensive précédant la votation sur l’avenir de la centrale nucléaire de Mühleberg. Le 18 mai dernier, 63% des citoyennes et citoyens bernois ont rejeté l’initiative «Mühleberg à l’arrêt», déposée par un groupe de particuliers. Seules les villes de Berne et de Bienne et trois communes jurassiennes ont voté oui. Les FMB avaient réalisé une onéreuse campagne publicitaire et annoncé, au beau milieu du débat, qu’elles débrancheraient volontairement Mühleberg d’ici 2019. Mais elles doivent, en tout cas, entreprendre de coûteuses mises à niveau des équipements et prouver que le réacteur est «sûr», ce qui devrait s’avérer difficile. Ce n’est donc pas encore le mot de la fin.

Un tribunal japonais interdit le redémarrage

d’une centraleToutes les centrales nucléaires japonaises sont à l’arrêt depuis septembre 2013. Officiellement, pour procéder à des améliorations techniques. Les grands groupes énergétiques et le gouverne-ment veulent, quant à eux, remettre en marche les réacteurs au plus vite, même si la majorité de la population s’y oppose. La décision d’un tribunal dans la préfecture de Fukui est source d’espoir: le tribunal a en effet tranché en faveur de 189 ci-toyens qui avaient porté plainte contre la remise en service de deux réacteurs à Ōi. La raison? Trop dangereux!

Libération de l’Arctic SunriseAprès l’équipage, c’est au tour du bateau d’être enfin libéré. L’Arctic Sunrise était détenu par les autorités russes de Mourmansk depuis sep-tembre 2013, après que les services secrets l’aient capturé lors d’une action dans les eaux internatio-nales. Cette libération constitue une surprise, car les enquêtes du Ministère public sur l’opération de Greenpeace contre la plateforme de forage de Gazprom à Prirazlomnaïa sont encore en cours. début mai, un tanker chargé de pétrole provenant de cette plateforme est arrivé à Rotterdam, où 80 militants de Greenpeace l’attendaient de pied ferme.

Un succès: Adidas décontamine

En raison de la campagne detox, Adidas avait pro-mis, il y a trois ans, que ses vêtements et ses chaussures seraient désormais fabriqués sans substances toxiques. Mais depuis, plus rien. Un nouveau rapport de Greenpeace publié pendant la Coupe du monde de football a démontré que les nouvelles collections d’Adidas, nike et Puma contiennent toujours un cocktail toxique dange-reux pour la santé. des militants se sont donc ren-dus dans les boutiques Adidas de plus d’une tren-taine de villes et ont exigé que les mesures annoncées soient enfin appliquées. Avec succès: Adidas a été la première des grandes marques d’articles de sport à présenter un plan d’action sur la manière dont elle compte décontaminer toute sa chaîne de production d’ici 2020. Fin 2014, Adi-das devrait publier les données sur les eaux usées de 99% de ses fournisseurs en Chine. Le message est clair. Mirjam Kopp, chargée de la campagne detox, souligne: «des entreprises mondialisées comme Adidas ont le pouvoir d’agir. Il en va de leur responsabilité d’éliminer les produits nocifs de leur production. Il est temps pour nike et Puma de suivre le mouvement.»

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Camp de Jeunesse solaire au Toggenbourg

début juin, plus d’une centaine de jeunes et d’en-seignants de sept écoles secondaires ont partici-pé à la 2 e semaine de Jeunesse solaire au Toggen-bourg. À cette occasion, Greenpeace a collaboré avec l’organisation Energietal Toggenburg afin de proposer un programme complet visant à concré-tiser le tournant énergétique: construction de centrales solaires et diffusion de connaissances sur l’énergie, recensement du potentiel solaire d’un millier de toitures (offensivesolaire.ch), mais aussi repas cuisinés au moyen d’un four solaire.

Une année bien remplie!

L’été 2014 bat son plein et Greenpeace en pro-fite pour vous recommander son rapport annuel 2013 qui est paru en juin. Ce serait un peu mono-tone si l’on n’y trouvait que des chiffres et des diagrammes. Mais notre rapport interactif vous offre la possibilité de découvrir de plus près ce qui fait que Greenpeace n’est pas une organisation écologique comme les autres. C’est fou ce qu’il se passe de choses en une année! 2013 restera dans tous les esprits. Vous pourrez revivre les moments fiévreux qu’ont vécus nos 30 collègues dans l’Arc-tique, mais ce n’est que la pointe de l’iceberg! 2013 était une année fertile en événements, sur tous les fronts. www.greenpeace.ch/rapport

Festival de cinéma

Des films pour la Terre

Le 19 septembre, le festival Filme für die Erde sera de retour. La principale manifestation débute à Winterthour, mais des projections auront lieu dans treize autres villes de Suisse alémanique, de Baden à Zoug. Le programme propose, une fois de plus, une sélection de films récents sur l’environnement. Des séances spéciales sont pré-vues pour les écoles. Réservations et autres infos sur www.filmefürdieerde.org.

Pipeline

Nouvel oléoduc prévu dans la forêt du

Grand Ours Les autorités canadiennes ont autorisé la construction d’un oléo-duc de 1200 kilomètres de long pour acheminer jusqu’à la côte Pacifique le pétrole provenant des sables bitumineux de la province de l’Alberta. L’oléoduc du Northern Gateway doit permettre d’expor-ter plus d’un demi-million de ba-rils du port de Kitimat, principale-ment vers l’Asie. Il traversera des territoires indigènes et des réserves naturelles, et menacera égale-ment la forêt du Grand Ours, pour la protection de laquelle Green-peace s’est engagée. Un projet semblable, l’oléoduc Keystone XL, qui doit acheminer du pétrole du Canada au golfe du Mexique, est bloqué en raison des protestations énergiques des indigènes et des écologistes.

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OUI AUX RENOUVELABLES !

Nous prenons le tournant énergétique ainsi que la politique climatique nous-mêmes en main. Mobilise-toi aussi pour changer quelque chose et viens participer activement!

Nos principes et d’autres informations sur :

APPROVISIONNEMENTéNERGéTIQUE

www.festival-changenergie.ch

LE CLIMAT

SAMEdI 13.9

4 au 17.9.2014

à Rubigen près de Berne

MOSAIQUE HUMAINE !

L’avenir est à 100% renouvelable

CHANGÉNERGIE

Pour un

du

qui menage les humains, la nature et

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Étude

Inventaire des arbres en Amazonie

Le célèbre magazine scientifique Science a publié une étude exhaus-tive sur la diversité des espèces d’arbres dans toute la région ama-zonienne. Plus de cent chercheurs ont recensé quelque 16 000 es-sences différentes. Alors que 230 d’entre elles sont abondamment représentées, plus de 10 000 autres sont considérées comme rares, peu connues, voire mena-cées d’extinction. De nombreuses espèces comptent moins de mille exemplaires. Il est donc à craindre que certaines qui ne sont pas ré-pertoriées soient déjà éradiquées.

défense de l’environnement

Les militants courent des risques

Une étude de Global Witness es-saie de recenser pour la première fois les meurtres de militants éco-logistes. Dans les 35 pays analysés, on a enregistré 908 assassinats au cours des dix dernières années. Compte tenu de la mauvaise qua-lité des données, la marge d’erreur reste élevée. L’Amazonie vient en tête dans le classement des meurtres, généralement liés à la déforestation illégale. Rien qu’au Brésil, on compte 448 cas. L’im punité est également préoc-cupante: les coupables n’ont été condamnés que dans dix des meurtres signalés.

Livre

Pillage de la forêt tropicale

Sous le règne du potentat local Abdul Taib Mahmud, 90% de la forêt tropicale humide de Sarawak, en Malaisie, a été déboisée. Le dirigeant et son clan ont gagné des milliards qu’ils ont investis un peu partout dans le monde. Lukas Straumann est allé sur les traces de la mafia du bois malaisienne. Il révèle comment des gouverne-ments, des grands groupes et des banques profitent de la défores-tation illégale. Son livre – qui n’est pas encore disponible en français – se base sur de nombreux entre-tiens avec des lanceurs d’alerte, des militants et des indigènes. Straumann poursuit ainsi le travail de Bruno Manser qui, jusqu’à sa mystérieuse disparition, s’était engagé pour la protection de ce biotope unique.Lukas Straumann, Raubzug auf den Regenwald: Auf den Spuren der malaysischen Holzmafia, Zurich, Salis Verlag, 2014, 384 pages, CHF 34.80

Film

THULE–TUVALU Un film de Matthias von Gunten

Le changement climatique dévore la banquise à Thulé (Groenland) et les plages bordées de palmiers à Tuvalu (Polynésie). Matthias von Gunten propose un film personnel sur la vie quotidienne de ces gens dont l’espace vital diminue rapide-ment – pendant que le reste du monde est occupé à marchander les droits d’émission de CO2. «J’ai-merais que les enfants puissent partir et sauver leur vie. Mais, en ce qui me concerne, je voudrais mourir ici.» De nombreux adultes de Thulé et de Tuvalu partagent cet avis. La couche de glace tou-jours plus fine cède sous le poids des traîneaux à chiens des Esqui-maux parce que les pôles fondent! Et les petits Polynésiens de Tuvalu barbotent entre les restes de pal-miers flottants, car le niveau de la mer est monté de deux mètres – pour la même raison! Là-bas, le changement climatique n’est pas un problème que l’on peut négo-cier au moyen de droits à polluer, mais une réalité qui engloutit de plus en plus de terres habitables. Peut-être voyons-nous dans ce film les dernières images sereines de la vie sur une banquise appa-remment éternelle et sur une île paradisiaque du Pacifique!dans les cinémas dès la fin octobre

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Les tigres de l’artiste Cai Guo-Qiang incarnent l’intensité de la vie animale. Le caractère sauvage qui s’en dégage déchaîne la force destructrice de l’homme: ce dernier chasse et extermine tout ce qui est naturel. Cette installation est un symbole de la souffrance du monde animal sur notre planète. Guggenheim Museum: Inopportune: Phase Two, installation, New York, 21 février 2008. Cette œuvre fait partie de l’exposition I Want to Believe.

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AZB8031 Zurich

Huit photographes ont été nominés par un jury international (Fotostiftung Schweiz, Deichtorhallen Hamburg, GEO et Greenpeace) pour l’édition 2014 du Greenpeace Photo Award:Manuel Bauer (CH ), Marco Frauchiger (CH ),Miriam Künzli (CH ), Yann Mingard (CH ),Anne Gabriel-Jürgens (d), dmitrij Leltschuk (d), Kai Löffelbein (d), Uwe H. Martin (d)

Partenaire média

www.photo-award.orgChoisissez vos favoris parmi huit projets photographiques et votez pour eux. Celui qui recueillera le plus de voix recevra le Prix du public et sera financé par Greenpeace à hauteur de 8000 euros. De plus, deux Prix du jury, de 10 000 euros chacun, seront décernés et publiés dans le magazine GEO. Les photos du Prix du public paraîtront dans le magazine Greenpeace.

C’est vous qui décidez qui sera le ou la gagnante.