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Didier MEYRE Le document caché 1 ère histoire - Maria, mère de Jésus 2 e histoire - Ahmed, fils d’Oussama

[Grand format (170x240)] Le document caché · 2013. 10. 28. · Phrase du rituel de fermeture d’une tenue au Rite Ecossais Ancien et Accepté à la Grande Loge de France. 2 6

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    ----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

    [Grand format (170x240)] NB Pages : 316 pages

    - Tranche : (nb pages x 0,072 mm) = 24.12 ----------------------------------------------------------------------------

    Le document caché

    Didier MEYRE

    24.12 518072

    Didier MEYRE

    Le document caché1ère histoire - Maria, mère de Jésus 2e histoire - Ahmed, fils d’Oussama

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    Du même auteur :

    – Saint-Palais, commune saintongeaise en Blayais, d’aut’foé à aneut.

    Chez l’auteur, Saint-Palais, 2002.

    – Libre hors de mon corps, Bénévent, Nice, 2007.

    – L’enfant perdu de Mauvallon, Le Croît vif, Paris, 2010.

    – Le document caché, Vents salés, Mérignac, 2011.

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    « Que l’Amour règne parmi les hommes ! »

    Phrase du rituel de fermeture d’une tenue au Rite Ecossais Ancien et

    Accepté à la Grande Loge de France.

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    Prologue

    – P’tit Jean ?

    – Présent !

    – J’ai une très bonne nouvelle à t’apprendre.

    – Ah ! Laquelle ? Tu sais que je ne suis pas doué pour les devinettes

    d’un flic.

    – Non, poulet.

    – Quoi poulet ?

    – Je ne suis pas un flic mais un poulet. Les policiers sont des flics, les

    gendarmes sont des poulets.

    – C’est pareil.

    – Non, pas du tout.

    – D’accord. Donc, j’ai une très bonne nouvelle à t’annoncer.

    – Je t’écoute camarade.

    – « Ils » m’ont demandé de dévoiler UN SECRET contenu dans le

    document, voire DEUX si cela est possible.

    – Tiens donc ?

    – Ouais. C’est pour continuer l’information commencée dans les parties

    I et II du « Document caché »1 concernant certains MYSTERES de la vie

    qu’il est temps de découvrir. C’est une décision des membres de l’A.M.I.2

    qui va intéresser les lecteurs.

    – Sans aucun doute ! Hélène est au courant j’imagine ?

    – Evidemment. Tu sais bien que, depuis sa résidence discrète du

    Bouscat, elle coordonne l’opération et qu’elle est en relation avec l’A.M.I.,

    1 Editions « Vents salés »

    2 A.M.I. : Association Mystique Internationale ; voir « Le document caché », I et II.

  • 2 8

    jusqu’au jour où les R.I.3 la repèreront. Elle devra alors se mettre en

    sommeil. La résidence « Les Ecus » n’est pas facile à surveiller, mais, s’ils

    parviennent à la repérer, elle devra effectivement suspendre ses activités.

    – Bon. Eh bien alors lisons !

    – Lisons !

    – Je viens te chercher pour t’amener vite fait à Bordeaux où la police a

    découvert le cadavre d’une jeune Roumaine domiciliée dans le Blayais. Ils

    aimeraient que la Gendarmerie collabore à l’enquête puisque cette fille

    n’est pas de la ville, mais de la campagne4, sans trop marcher sur leurs

    plates-bandes bien sûr.

    – Ouais, comme d’hab.

    – Et moi, pourquoi veux-tu m’entraîner dans cette galère ?

    – Parce que nos chefs sont habitués à nous voir travailler ensemble

    maintenant5 et, s’il faut enquêter discrètement à l’étranger, tu seras là,

    même si je dois t’accompagner afin de te faire bénéficier de mes conseils

    de grande qualité.

    – Je ne réponds pas à ce genre de commentaire

    – Ce n’est pas une idiotie, je suis sérieux.

    – C’est bien ce qui me peine pour toi. On y va ?

    – Ouais ! Nous allons directement à l’I.M.L. (l’Institut Médico-Légal)

    où le corps a été transporté. Le commandant de police chargé de l’enquête

    nous attend.

    – D’accord, c’est parti !

    Après une demi-heure de trajet sur l’autoroute A10, le pont François

    Mitterrand, le début des quais, puis sur le cours de la Marne vers l’I.M.L.,

    ils se garent de façon peu règlementaire devant l’ancienne Faculté de

    Médecine, place de la Victoire, devant deux policiers en uniforme qui les

    attendaient à la demande de l’O.P.J.6 chargé de l’enquête. Ils quittent le

    véhicule bleu en prenant soin de fermer les portes à clé, malgré la présence

    des deux jeunes plantons chargés de faire le pied de grue près de la voiture

    jusqu’au retour des deux compères. Ceux-ci se dirigent vers l’entrée située

    en haut du cours de la Marne, près de la place de la Victoire, cœur

    névralgique du Bordeaux populaire le jour et des jeunes le soir. Oui,

    3 R.I. : Renseignements Intérieurs ; remplacent les anciens R.G., Renseignements

    Généraux. 4 La Police Nationale, corps civil de sécurité, travaille en milieu urbain, le milieu rural

    étant le domaine de la Gendarmerie Nationale qui dépend de l’armée. 5 Voir « Le document caché » I et II, op.cit.

    6 O.P.J. : Officier de la Police Judiciaire.

  • 2 9

    Bordeaux, la (très) bourgeoise vit activement. De « belle endormie », elle

    est devenue « très belle et vivante » (surtout depuis la restauration pour le

    passage du tram). Si on ajoute le quartier « Euratlantique » en cours de

    construction, Bordeaux va véritablement devenir une des villes les plus

    belles et les plus dynamiques de France, pense P’tit Jean alors que

    Saintonge, habitué des lieux grâce à sa fonction de gendarme, ouvre

    franchement la porte de l’établissement.

    Dès l’entrée, alors qu’un employé nettoie au jet d’eau la grande pièce du

    fond, au centre de laquelle se trouve une grande table blanche où sont

    autopsiés les cadavres, une très forte odeur de mort leur saute méchamment

    aux narines. Un homme en civil, entre deux âges, souriant, mais l’air

    matois, les attend dans le hall. Les présentations sont faites rapidement, il

    est O.P.J. à Bordeaux. Il les amène dans un couloir, puis, sur la gauche, il

    ouvre une porte donnant sur la morgue où le corps, qui vient d’être

    autopsié, repose, recouvert d’un linceul blanc sur une table du même type

    que celle entrevue tout à l’heure, dans la salle du fond, lors de leur entrée

    dans ce « temple de la Mort physique », selon les propos de P’tit Jean,

    franc-maçon spiritualiste à la Grande Loge de France.

    L’O.P.J. les prie de les suivre et de s’approcher de la table sur laquelle

    le cadavre est allongé, puis il prend le haut du linceul couvrant celui-ci,

    comme s’il voulait le retirer, il se tourne vers P’tit Jean et Saintonge et leur

    demande :

    – Prêts ?

    – Prêts, répondirent les deux fonctionnaires quasi simultanément.

    Ils découvrent alors le jeune corps d’une magnifique jeune fille brune.

    Choqué, Saintonge fait un pas en arrière, sous le regard surpris de ses deux

    collègues, en se demandant comment il était possible d’assassiner une fille

    d’une telle beauté. « Les humains sont des malades mentaux », songea-t-il

    aussitôt. Pourtant, la misère mentale de ses congénères lui est bien connue

    depuis le nombre d’années qu’il est officier de gendarmerie.

    – Elle a bu sa boisson d’amertume, dit-il, presque machinalement,

    reprenant ainsi une phrase d’un rituel maçonnique particulier.

    – Oui, lui répond P’tit Jean, elle a vraiment tout bu.

    – Un peu surpris par ce genre de propos, le policier recouvre le corps et,

    en l’absence du médecin légiste occupé ailleurs, leur fait un topo des

    résultats de l’autopsie et leur dit qu’il fera parvenir une copie du rapport

    médical à son collègue gendarme. Il leur demande également de bien

    vouloir l’aider à retrouver ses traces de vie, bref, son histoire, puisqu’elle

    résidait à Saint-Palais, dans la circonscription de Saintonge.

  • 2 10

    – A Saint-Palais, répondirent P’tit Jean et Saintonge stupéfaits !

    Comment à Saint-Palais ? Nous aussi nous habitons là-bas ! ajoute

    P’titJean.

    Ils s’approchent tous les deux.

    – Bon sang ! dit Saintonge. C’est… c’est… peut-être la femme de Glo !..

    – Merde ! ajoute P’tit Jean, consterné.

    – Vous la connaissez ? demande l’officier de police

    – Oui, peut-être, lui répond Saintonge. Il pourrait s’agir de l’épouse

    d’un ami très proche.

    – Ah bon ! Un ami très proche !

    – Oui. Ils sont mariés depuis trois mois.

    – Vous pouvez m’en dire plus sur elle ? Ses activités, sa profession, ses

    relations. Enfin, tous les renseignements possibles, comme vous savez !..

    Vous connaissez tout ça aussi bien que moi, n’est-ce pas ?

    – Oui, bien sûr, si c’est la jeune femme à laquelle nous pensons, mais

    elle lui ressemble tellement lui répond P’tit Jean, l’air absent de quelqu’un

    qui ne parvient pas à sortir d’un cauchemar… et il raconte à son collègue

    policier tout ce qu’il sait sur la jeune victime, la voix étouffée et le cœur

    prêt à exploser.

    Saintonge semble K.O. Il garde le regard fixé sur ce beau visage qu’il

    n’avait pas reconnu auparavant, à cause du bandeau lui recouvrant l’œil

    droit par où est sortie la balle tueuse. Et puis, son cerveau n’avait sans

    doute pas pu accepter la vérité de la découverte.

    – C’est pas vrai ! dit enfin Saintonge, les yeux rougis par les larmes

    qu’il a du mal à contenir. Un homme ne doit pas pleurer. Tu parles. Mon

    œil, oui ! Il sait bien, pour en avoir vu souvent, qu’un homme ça peut et ça

    doit pleurer. Combien en a-t-il vu s’effondrer comme des petits humains

    fragiles qu’ils sont, devant la perte d’un être cher ?

    Le policier ayant noté tous les renseignements donnés par P’tit Jean, les

    trois hommes se serrent la main, P’tit Jean et Saintonge sortent du

    bâtiment, accablés, alors que leur collègue policier demeure à l’intérieur.

    – Bien, nous allons devoir prendre l’enquête depuis Saint-Palais, dit

    Saintonge à P’tit Jean.

    – Oui, répond celui-ci, songeur. Quelle vie a bien pu avoir cette belle

    fille pour en arriver là, de façon si misérable ? Elle était pourtant heureuse

    avec Glo ! C’est le moins que l’on puisse dire !

    – C’est ce que nous allons essayer de découvrir, mon frère, rétorque

    Saintonge, également songeur et tellement triste !

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    PREMIERE HISTOIRE

    (IIIe partie)

    MARIA, MERE DE JESUS

    « Où as-tu été ma bien aimée

    Quand il pleuvait si fort ?

    J’étais assise près du feu

    Et je te regardais. »

    Poème tzigane slovaque anonyme recueilli en 1881 par

    Antoine Kalima.

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    Avertissement

    La langue romani, parlée par les Roms, est de type indo-aryen, dans

    l’ensemble indo-européen, proche du sanskrit, la langue sacrée des

    Hindouistes.

    Il s’agit donc d’un idiome très particulier.

    En conséquence, cette histoire, tirée de la triste réalité, a été écrite en

    français.

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    Cato Dives Maria !

    (Bonjour Marie !)

    Il fait noir et froid, il pluviote des gouttes gelées dans la nuit pesante de

    la grande rue Sainte-Catherine, à peine trouée par les lumières blafardes

    des ampoules à économie d’énergie.

    Il pleut et il gèle à pierre fendre dans son cœur crispé et dans son corps

    violé. Elle a rempli sa mission, elle vient de faire son devoir de mère

    chômeuse et affamée pour nourrir son petit et survivre dans la misère et la

    crasse de son squat de la rue Camille Sauvageau où de nombreux pauvres

    étrangers, comme elle, regroupent leur malheur.

    Jeune et jolie (quelle malédiction !) roumaine (Rom en réalité :

    deuxième malédiction), elle a fui la prostitution parisienne en constatant

    qu’elle était enceinte, au mépris de la peur inspirée par la mère maquerelle

    esclavagiste et du dieu qui doit la faire mourir si elle ose la liberté.

    Avec le peu d’argent qu’elle avait, elle a pris le train vers le soleil de

    Bordeaux. Mais, en hiver, il pleut et il fait froid, parfois, dans la douce et

    belle ville de l’Aquitaine… et… il faut bien manger. Alors… alors, de

    temps à autre, elle va vendre une « nuit de mort », comme elle la nomme, à

    un gros richard de passage dans un grand hôtel du centre, ou à un affairiste

    dans un hôtel du quartier du Lac. Douze heures (de dix-neuf heures à sept

    heures du matin) d’enfer pour elle et d’extrême bonheur pour lui. De quoi

    vivre moins mal, elle et son petit Jésus (elle l’a nommé ainsi afin qu’il ait

    plus de chance qu’elle), pour qui elle veut une existence sans nuages noirs

    de médecin, d’avocat, de notaire, d’ingénieur, d’enseignant, de patron…

    bref, de « Français », selon sa représentation de ceux-ci.

    En marchant, alors que de grosses larmes coulent doucement sur ses

    pommettes hautes, un peu saillantes et sur ses joues creuses de petite

    femme beaucoup trop jeune pour souffrir, ses yeux rouges et humides

    regardent droit devant elle, vers l’incertitude, vers le brouillard de l’avenir

    et, cela lui arrive presque chaque jour, elle se souvient…

  • 2 16

    Maintenant elle sait qu’elle doit partir. Cela fait longtemps qu’elle est

    là, dans ce monde indescriptible et si doucement, si agréablement

    lumineux.

    Longtemps, mais ici, dans ce lieu sûr et sacré, le temps ne compte

    guère, elle est restée, apeurée et coléreuse, très révoltée même, dans un

    environnement grisâtre, entourée de têtes de monstres simiesques qui

    l’effrayaient. Pourtant ils ne la touchaient pas. Ils se contentaient de

    l’observer, l’air fort méchant. Elle essayait bien de les chasser, mais elle

    n’y parvenait pas. Ils apparaissaient, l’effrayaient et disparaissaient

    aussitôt, silencieusement, l’excitant encore plus, sans qu’elle n’y

    comprenne rien, sans qu’aucune étincelle de réflexion ne brille brièvement

    en elle. Ils étaient comme des guérilleros de l’inconscient venant

    soudainement au niveau de sa raison, ou, plutôt, de sa folie, pensait-elle.

    En effet, sans doute était-elle devenue folle en voyant tout-à-coup son

    corps inanimé et son visage ensanglanté, sous elle, dans sa belle Mercedes

    blanche décapotée, celle-ci immobile dans des buissons, tout en bas d’un

    ravin, en pleine nuit.

    Elle se rappelait de la soirée mondaine organisée par son mari et son

    amant, le jeune fils aux beaux yeux bleus de l’associé de son mari. Cet

    associé, malade du cœur, après une vie trop alcoolisée et trop enfumée,

    venait de passer la main à son Apollon de fils. C’est ce passage de relai

    qu’ils avaient fêté. Mais, cerise sur le gâteau, ils avaient également célébré

    le rachat d’une entreprise de fabrication de sacs plastiques en faillite afin

    de pouvoir s’implanter commercialement et à moindre frais en Aquitaine.

    D’ici quelques mois, ils devaient abandonner cette nouvelle acquisition

    pour aller s’installer en Roumanie où la main-d’œuvre qualifiée existe sous

    forme d’esclavage moderne, sans charges sociales et avec des salaires

    beaucoup plus misérables que le S.M.I.C. français, et ce n’est pas peu dire.

    Cela, bien entendu, sans aucune considération, ni aucune compassion pour

    les quelques trois cent cinquante salariés balayés comme des fétus de paille

    au vent très mauvais de l’affairisme : Vive l’argent ! Comme le dit si bien

    son cher époux :

    – « Nous n’avons rien à faire des élus du peuple, pauvres moutons à la

    solde du patronat. Le gouvernement de la France c’est nous ! Vive les

    entreprises souveraines ! Vive le profit et vive les plaisirs qu’il procure ! »

    Alors qu’il disait cela, son chéri la regarda avec son beau sourire de

    héros play-boy niais en lui adressant un clin d’œil complice au mot

    « plaisirs ». Elle avait carrément fondu, ses forces l’abandonnant et son

    désir se manifestant violemment. Elle se souvenait avoir avalé goulûment

    et très rapidement sa flûte de champagne au gaz carbonique piquant (en

    réalité, elle n’avait jamais aimé les boissons gazeuses, pas plus l’Orangina

  • 2 17

    que le Champ’, comme on disait dans son monde) et elle s’était enfuie,

    toute guillerette mais gênée, pour ôter son string maintenant tout mouillé et

    s’essuyer avec le papier molletonné très doux et parfumé à la disposition

    des invités. Elle venait de faire pipi sans pouvoir se retenir, car elle n’avait

    pas eu le temps d’aller aux toilettes en arrivant. Mais tout cela était bien

    normal, n’est-ce pas ? Ensuite, elle était sortie et s’était dirigée vers un des

    quatre lavabos en marbre et aux robinets dorés (ou peut-être bien en or, il

    faudrait qu’elle demande…) et s’était « faite » une ligne de coke, sans

    qu’aucune de ses deux voisines, tout aussi émoustillées qu’elle, ne s’en

    offusque. Sans doute venaient-elles d’accomplir le même rituel, ou

    allaient-elles le faire, sans plus de gêne qu’elle-même en ce moment. Mon

    Dieu quelle BELLE vie !

    Ensuite elle était ressortie sur ses talons hauts comme des aiguilles à

    tricoter et en roulant joliment son petit derrière nerveux. Oui, vraiment,

    quelle BELLE vie !

    Revenue dans la grande salle, elle s’était approchée de son mari et,

    surtout, de son bellâtre et lui avait pincé subrepticement la fesse gauche,

    tout en souriant (bien sûr) amoureusement à son mari tout rouge et suant à

    cause de la quantité importante d’alcool ingurgitée.

    C’était le signal convenu pour prévenir son amoureux qu’elle rentrait à

    son appartement à Bordeaux, en bordure de la place des Quinconces où il

    allait la rejoindre sans tarder.

    Elle partit donc, toute gaie (l’alcool et la coke aidant) au volant de son

    beau coupé Mercedes qu’elle aimait conduire les cheveux au vent, en

    particulier lors de cette magnifique nuit d’été, comme (presque) toujours

    dans le Sud-Ouest. Cependant, bien que belle et agréable, la route

    départementale entre Blaye, où avait lieu la fête, et Saint-André-de-

    Cubzac, où elle devait prendre l’autoroute A10 vers Bordeaux, était bordée

    de fossés profonds, voire de ravins qu’il semblait raisonnable d’éviter.

    Mais quelle était l’importance de la raison soumise à l’alcool et à la

    drogue ? Vraiment, absolument insignifiante. Comme dans une sorte de

    rêve rieur, elle avait alors plongé dans le noir, sans résistance, pour aller y

    dormir, oui, se reposer mon cher, effrayée malgré tout par le bruit

    effroyable de sa si belle voiture se désintégrant, tout en bas, après une

    chute époustouflante, et par une terrible, mais très courte, douleur à la

    poitrine.

    Après une certaine période noire, absente, hors du temps qui passe, sans

    s’arrêter, comme d’habitude, elle était sortie de son corps par le sommet de

    la tête sous la forme d’un petit nuage de fumée gris clair. Cette sortie de

    son corps avait eu lieu en en une heure, ou une heure et demie, après

    l’accident.

  • 2 18

    Elle s’était demandée combien de temps les secours allaient mettre pour

    venir la secourir, car elle n’avait vu personne arriver. Les voitures qui

    étaient passées ne s’étaient pas arrêtées, probablement parce que les

    conducteurs n’avaient pas vu son véhicule, en bas, dans les fourrés, sur les

    berges de la Gironde qui se prélassait, douce et brillante sous la lune et les

    étoiles.

    Avant cette soirée, elle n’était jamais venue dans le Sud-Ouest,

    préférant la « Côte » (celle d’« Azur », bien sûr), les « States », les

    Maldives ou les Seychelles, même si celles-ci étaient plutôt réservées à des

    touristes petits bourgeois aussi prétentieux que ceux de la « haute » sans

    pourtant en avoir les moyens. Ces petits nullards croyaient ne pas faire

    partie de la populace parce qu’ils gagnaient quatre ou cinq fois plus que le

    S.M.I.C. Mon dieu, quelle sottise ! Ils n’étaient que des prétentieux qui ne

    feraient jamais partie des élites, « ceux » du C.A.C. 40, de la Villa

    Montmorency, dans le 16ème

    arrondissement de Paris jouxtant l’hôtel

    particulier de Madame Carla Bruni-Sarkozy, ce qui leur permettaient de

    « nous » rejoindre discrètement, sans que le petit peuple ne soit au courant,

    bien sûr7. La vie entre gens du même rang est tellement plus agréable, sans

    accrocs ni « chicaillâs » d’aucune sorte. Quel plaisir d’être entre gens

    biens, qui comptent dans le pays.

    Elle avait alors songé à ces pauvres ouvriers blayais qui avaient

    vraisemblablement été jetés comme de vieilles chaussettes sales (aussi

    sales qu’eux ? – rire intérieur coquin –). Personne, bien sûr, n’était venu à

    leur secours, à part les cocos et leur C.G.T. abominable et, évidemment, les

    élus locaux dont l’entreprise de son mari, comme toutes les grandes

    entreprises d’ailleurs, n’avaient que faire. Ils étaient des gens de rien ne

    représentant rien. Des grains de sable sous les pieds des affairistes

    internationaux. Elle avait trouvé la formule très jolie. Sans doute eût-elle

    dû faire écrivain. Elle n’aimait pas la féminisation des mots voulue par ces

    stupides « chiennes de garde ». Des vraies chattes en chaleur, oui, qui ne

    savaient que dire pour se faire remarquer ! Evidemment, toutes les femmes

    ne pouvaient pas être jeunes, belles et riches comme elle. Cela était

    aisément compréhensible. Cependant, ce n’était pas une raison pour se

    conduire comme des bêtes hurlantes, vociférantes, sans dignité.

    Sans avoir eu le temps de voir arriver les secours, elle s’était soudain

    retrouvée dans ce lieu onirique, cauchemardesque, plus précisément. Elle

    avait été impatiente de se réveiller, mais le sale rêve continuait, continuait,

    continuait, avec ces têtes de monstres terrifiants, les souvenirs de sa

    7 « Le Nouvel Observateur » du 12 au 16 mai 2011, intitulé « Ils ont tout : l’argent, le

    pouvoir, les privilèges », p.78

  • 2 19

    merveilleuse vie égoïste sur terre, dans son monde à part, du rendez-vous

    avec son bel amant qu’il lui avait tardé de revoir, de son accident avec sa

    voiture dans le fossé et, au bout d’un moment, la sortie de ce petit nuage de

    fumée, qui était elle, oui elle, de son corps, par le sommet de son crâne.

    Elle s’était rappelé que des études avaient été faites (par les Etats-

    Uniens, avait-elle cru se souvenir. Et oui, ils sont les meilleurs, les plus

    riches, les plus forts) pour mesurer le poids de ce petit nuage de brume. Un

    résultat avait été trouvé : environ dix grammes. Qui l’aurait pensé ? Ce

    serait donc là le poids d’une âme qui quitte un corps physique mort pour

    aller vers l’Au-delà, vers la Lumière ? Cette information avait été cachée,

    semble-t-il, quelques années, mais elle avait été dévoilée peu de temps

    avant son accident. Les scientifiques continuaient donc leurs recherches sur

    les activités électriques, très peu connues du corps humain. D’ailleurs,

    s’était-elle demandé, pourquoi ce cher Nicolas8 ne créerait-il pas un Institut

    universitaire et de recherche concernant les activités électriques du corps

    humain ? Elle avait alors souhaité demander à cher son époux (son amant

    était destiné à son plaisir) d’en suggérer l’idée à celui-ci. Mais,

    simultanément, elle s’était souvenue s’être retrouvée dans ce cauchemar de

    série B (voire C, même, avait-elle songé), au lieu de cet endroit calme et

    lumineux dont elle avait souvent entendu parler par des amis férus de

    bouddhisme, de religions orientales, de vie après la mort, etc…

    Immédiatement après cette pensée, elle avait été comme aspirée, en un

    millième de secondes vers cette Lumière où l’avaient accueillie ses grands-

    parents maternels et paternels et son papa « parti », pour sa part, depuis

    seulement trois courtes années : à peine hier, toute la douleur était encore

    brûlante dans son cœur et dans son esprit. Aucun des amants qu’elle avait

    pris n’avait pu atténuer sa souffrance. Mais, à partir de cet instant, entourée

    des siens, aimants, dans cette ambiance calme et reposante, enfin ! avec

    cette douce lumière si agréable, elle s’était tout de suite sentie bien,

    vraiment bien et émerveillée. Etait-ce cela le fameux Paradis ?

    Aussitôt, presque avant qu’elle ne se soit posée la question, « on », un

    sentiment totalement indéfinissable, lui avait répondu que ces notions de

    paradis, enfer et purgatoire n’avaient jamais existé, qu’il s’agissait

    simplement d’interprétations humaines. Et Dieu, qu’en était-il, si tout le

    reste était faux ? Là encore, la réponse avait été presque plus rapide que la

    question : cela dépendait des croyances des gens. Chacun pouvait décrire le

    « monde des esprits » comme il l’entendait, un athée étant aussi

    raisonnable qu’un croyant et… inversement, car personne ne pouvait

    savoir ce genre de choses.

    8 Il s’agit du Président Nicolas Sarkozy.

  • 2 20

    Ici, à ce niveau, il avait fallu continuer un travail de perfectionnement

    dans une ambiance très fraternelle, amicale, peu importait l’adjectif.

    C’est ce qu’elle avait fait, sans forcer, puisqu’il suffisait de souhaiter

    quelque chose de bien pour l’obtenir. Cependant, arrivée à un certain stade,

    on lui avait gentiment, comme toujours, fait comprendre qu’elle allait

    devoir quitter son « beau jardin éternel » comme elle l’avait appelé9 afin

    qu’elle puisse continuer son évolution. Sa nouvelle vie serait plutôt

    difficile, mais relativement brève, ce qui lui permettrait de ne pas souffrir

    trop longtemps. Ce nouveau passage était indispensable pour « enlever son

    ancienne peau » de grande bourgeoise méprisante et égoïste. Elle aurait pu

    éviter cela en éprouvant de la compassion pour les autres, en participant à

    l’amélioration de la société et à la spiritualité, mais elle n’avait pas

    souhaité prendre ce chemin vertueux. Cela avait été une erreur. Mais, pour

    les esprits, toute faute est rattrapable et ils l’avaient aidée à choisir son

    nouveau corps humain, physique.

    Elle avait eu tout son temps pour se reposer, réfléchir, se décider. Elle

    était restée maîtresse de son destin, ici comme sur terre. Serait-elle prête

    lorsqu’on lui proposerait une nouvelle incarnation ou bien voulait-elle

    attendre encore ? Elle avait été, et était toujours, la seule à pouvoir prendre

    la décision…

    Après quelques décennies terrestres (puisque le temps semble ne pas

    durer « là-haut »), elle est au pied du mur, ou, plutôt, en haut du précipice.

    Deux possibilités s’offrent à elle : ou bien sauter et « y aller », c’est-à-dire

    accepter la vie qu’« on » lui propose et s’incarner rapidement dans le petit

    corps en formation qu’« on » lui a désigné, ou alors attendre un autre choix

    correspondant aux leçons qu’elle doit apprendre sur terre. Ce point de vue

    semble un peu mercantile de prime abord, mais la vérité est pourtant ainsi :

    la vie doit continuer, d’une façon ou d’une autre et il faut bien évoluer.

    Elle sait que le monde dans lequel elle se trouve actuellement est

    extraordinaire pour les terriens, surtout pour les matérialistes dont le

    cerveau n’est pas très apte à appréhender ce genre de domaine, mais elle,

    elle sait, maintenant que cette situation est réelle. Tant qu’elle n’aura pas

    substitué cet état spirituel à une nouvelle vie physique, elle en aura

    pleinement conscience. Ensuite elle naîtra à nouveau à la vie terrestre.

    Le progrès paraît être une succession de substitutions, or, le progrès

    c’est la vie, sans l’un, l’autre n’existe pas.

    Cependant, elle hésite fortement car, si elle est d’accord avec la théorie,

    ici et maintenant, elle n’est pas prête à faire ce dont elle n’a pas envie, car

    9 Le mot paradis vient du mot persan pardez qui signifie « enclos, jardin » et de

    l’avestique pairî-daeza, « enceinte ».