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----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique
[Grand format (170x240)] NB Pages : 316 pages
- Tranche : (nb pages x 0,072 mm) = 24.12 ----------------------------------------------------------------------------
Le document caché
Didier MEYRE
24.12 518072
Didier MEYRE
Le document caché1ère histoire - Maria, mère de Jésus 2e histoire - Ahmed, fils d’Oussama
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Du même auteur :
– Saint-Palais, commune saintongeaise en Blayais, d’aut’foé à aneut.
Chez l’auteur, Saint-Palais, 2002.
– Libre hors de mon corps, Bénévent, Nice, 2007.
– L’enfant perdu de Mauvallon, Le Croît vif, Paris, 2010.
– Le document caché, Vents salés, Mérignac, 2011.
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« Que l’Amour règne parmi les hommes ! »
Phrase du rituel de fermeture d’une tenue au Rite Ecossais Ancien et
Accepté à la Grande Loge de France.
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Prologue
– P’tit Jean ?
– Présent !
– J’ai une très bonne nouvelle à t’apprendre.
– Ah ! Laquelle ? Tu sais que je ne suis pas doué pour les devinettes
d’un flic.
– Non, poulet.
– Quoi poulet ?
– Je ne suis pas un flic mais un poulet. Les policiers sont des flics, les
gendarmes sont des poulets.
– C’est pareil.
– Non, pas du tout.
– D’accord. Donc, j’ai une très bonne nouvelle à t’annoncer.
– Je t’écoute camarade.
– « Ils » m’ont demandé de dévoiler UN SECRET contenu dans le
document, voire DEUX si cela est possible.
– Tiens donc ?
– Ouais. C’est pour continuer l’information commencée dans les parties
I et II du « Document caché »1 concernant certains MYSTERES de la vie
qu’il est temps de découvrir. C’est une décision des membres de l’A.M.I.2
qui va intéresser les lecteurs.
– Sans aucun doute ! Hélène est au courant j’imagine ?
– Evidemment. Tu sais bien que, depuis sa résidence discrète du
Bouscat, elle coordonne l’opération et qu’elle est en relation avec l’A.M.I.,
1 Editions « Vents salés »
2 A.M.I. : Association Mystique Internationale ; voir « Le document caché », I et II.
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jusqu’au jour où les R.I.3 la repèreront. Elle devra alors se mettre en
sommeil. La résidence « Les Ecus » n’est pas facile à surveiller, mais, s’ils
parviennent à la repérer, elle devra effectivement suspendre ses activités.
– Bon. Eh bien alors lisons !
– Lisons !
– Je viens te chercher pour t’amener vite fait à Bordeaux où la police a
découvert le cadavre d’une jeune Roumaine domiciliée dans le Blayais. Ils
aimeraient que la Gendarmerie collabore à l’enquête puisque cette fille
n’est pas de la ville, mais de la campagne4, sans trop marcher sur leurs
plates-bandes bien sûr.
– Ouais, comme d’hab.
– Et moi, pourquoi veux-tu m’entraîner dans cette galère ?
– Parce que nos chefs sont habitués à nous voir travailler ensemble
maintenant5 et, s’il faut enquêter discrètement à l’étranger, tu seras là,
même si je dois t’accompagner afin de te faire bénéficier de mes conseils
de grande qualité.
– Je ne réponds pas à ce genre de commentaire
– Ce n’est pas une idiotie, je suis sérieux.
– C’est bien ce qui me peine pour toi. On y va ?
– Ouais ! Nous allons directement à l’I.M.L. (l’Institut Médico-Légal)
où le corps a été transporté. Le commandant de police chargé de l’enquête
nous attend.
– D’accord, c’est parti !
Après une demi-heure de trajet sur l’autoroute A10, le pont François
Mitterrand, le début des quais, puis sur le cours de la Marne vers l’I.M.L.,
ils se garent de façon peu règlementaire devant l’ancienne Faculté de
Médecine, place de la Victoire, devant deux policiers en uniforme qui les
attendaient à la demande de l’O.P.J.6 chargé de l’enquête. Ils quittent le
véhicule bleu en prenant soin de fermer les portes à clé, malgré la présence
des deux jeunes plantons chargés de faire le pied de grue près de la voiture
jusqu’au retour des deux compères. Ceux-ci se dirigent vers l’entrée située
en haut du cours de la Marne, près de la place de la Victoire, cœur
névralgique du Bordeaux populaire le jour et des jeunes le soir. Oui,
3 R.I. : Renseignements Intérieurs ; remplacent les anciens R.G., Renseignements
Généraux. 4 La Police Nationale, corps civil de sécurité, travaille en milieu urbain, le milieu rural
étant le domaine de la Gendarmerie Nationale qui dépend de l’armée. 5 Voir « Le document caché » I et II, op.cit.
6 O.P.J. : Officier de la Police Judiciaire.
2 9
Bordeaux, la (très) bourgeoise vit activement. De « belle endormie », elle
est devenue « très belle et vivante » (surtout depuis la restauration pour le
passage du tram). Si on ajoute le quartier « Euratlantique » en cours de
construction, Bordeaux va véritablement devenir une des villes les plus
belles et les plus dynamiques de France, pense P’tit Jean alors que
Saintonge, habitué des lieux grâce à sa fonction de gendarme, ouvre
franchement la porte de l’établissement.
Dès l’entrée, alors qu’un employé nettoie au jet d’eau la grande pièce du
fond, au centre de laquelle se trouve une grande table blanche où sont
autopsiés les cadavres, une très forte odeur de mort leur saute méchamment
aux narines. Un homme en civil, entre deux âges, souriant, mais l’air
matois, les attend dans le hall. Les présentations sont faites rapidement, il
est O.P.J. à Bordeaux. Il les amène dans un couloir, puis, sur la gauche, il
ouvre une porte donnant sur la morgue où le corps, qui vient d’être
autopsié, repose, recouvert d’un linceul blanc sur une table du même type
que celle entrevue tout à l’heure, dans la salle du fond, lors de leur entrée
dans ce « temple de la Mort physique », selon les propos de P’tit Jean,
franc-maçon spiritualiste à la Grande Loge de France.
L’O.P.J. les prie de les suivre et de s’approcher de la table sur laquelle
le cadavre est allongé, puis il prend le haut du linceul couvrant celui-ci,
comme s’il voulait le retirer, il se tourne vers P’tit Jean et Saintonge et leur
demande :
– Prêts ?
– Prêts, répondirent les deux fonctionnaires quasi simultanément.
Ils découvrent alors le jeune corps d’une magnifique jeune fille brune.
Choqué, Saintonge fait un pas en arrière, sous le regard surpris de ses deux
collègues, en se demandant comment il était possible d’assassiner une fille
d’une telle beauté. « Les humains sont des malades mentaux », songea-t-il
aussitôt. Pourtant, la misère mentale de ses congénères lui est bien connue
depuis le nombre d’années qu’il est officier de gendarmerie.
– Elle a bu sa boisson d’amertume, dit-il, presque machinalement,
reprenant ainsi une phrase d’un rituel maçonnique particulier.
– Oui, lui répond P’tit Jean, elle a vraiment tout bu.
– Un peu surpris par ce genre de propos, le policier recouvre le corps et,
en l’absence du médecin légiste occupé ailleurs, leur fait un topo des
résultats de l’autopsie et leur dit qu’il fera parvenir une copie du rapport
médical à son collègue gendarme. Il leur demande également de bien
vouloir l’aider à retrouver ses traces de vie, bref, son histoire, puisqu’elle
résidait à Saint-Palais, dans la circonscription de Saintonge.
2 10
– A Saint-Palais, répondirent P’tit Jean et Saintonge stupéfaits !
Comment à Saint-Palais ? Nous aussi nous habitons là-bas ! ajoute
P’titJean.
Ils s’approchent tous les deux.
– Bon sang ! dit Saintonge. C’est… c’est… peut-être la femme de Glo !..
– Merde ! ajoute P’tit Jean, consterné.
– Vous la connaissez ? demande l’officier de police
– Oui, peut-être, lui répond Saintonge. Il pourrait s’agir de l’épouse
d’un ami très proche.
– Ah bon ! Un ami très proche !
– Oui. Ils sont mariés depuis trois mois.
– Vous pouvez m’en dire plus sur elle ? Ses activités, sa profession, ses
relations. Enfin, tous les renseignements possibles, comme vous savez !..
Vous connaissez tout ça aussi bien que moi, n’est-ce pas ?
– Oui, bien sûr, si c’est la jeune femme à laquelle nous pensons, mais
elle lui ressemble tellement lui répond P’tit Jean, l’air absent de quelqu’un
qui ne parvient pas à sortir d’un cauchemar… et il raconte à son collègue
policier tout ce qu’il sait sur la jeune victime, la voix étouffée et le cœur
prêt à exploser.
Saintonge semble K.O. Il garde le regard fixé sur ce beau visage qu’il
n’avait pas reconnu auparavant, à cause du bandeau lui recouvrant l’œil
droit par où est sortie la balle tueuse. Et puis, son cerveau n’avait sans
doute pas pu accepter la vérité de la découverte.
– C’est pas vrai ! dit enfin Saintonge, les yeux rougis par les larmes
qu’il a du mal à contenir. Un homme ne doit pas pleurer. Tu parles. Mon
œil, oui ! Il sait bien, pour en avoir vu souvent, qu’un homme ça peut et ça
doit pleurer. Combien en a-t-il vu s’effondrer comme des petits humains
fragiles qu’ils sont, devant la perte d’un être cher ?
Le policier ayant noté tous les renseignements donnés par P’tit Jean, les
trois hommes se serrent la main, P’tit Jean et Saintonge sortent du
bâtiment, accablés, alors que leur collègue policier demeure à l’intérieur.
– Bien, nous allons devoir prendre l’enquête depuis Saint-Palais, dit
Saintonge à P’tit Jean.
– Oui, répond celui-ci, songeur. Quelle vie a bien pu avoir cette belle
fille pour en arriver là, de façon si misérable ? Elle était pourtant heureuse
avec Glo ! C’est le moins que l’on puisse dire !
– C’est ce que nous allons essayer de découvrir, mon frère, rétorque
Saintonge, également songeur et tellement triste !
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PREMIERE HISTOIRE
(IIIe partie)
MARIA, MERE DE JESUS
« Où as-tu été ma bien aimée
Quand il pleuvait si fort ?
J’étais assise près du feu
Et je te regardais. »
Poème tzigane slovaque anonyme recueilli en 1881 par
Antoine Kalima.
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Avertissement
La langue romani, parlée par les Roms, est de type indo-aryen, dans
l’ensemble indo-européen, proche du sanskrit, la langue sacrée des
Hindouistes.
Il s’agit donc d’un idiome très particulier.
En conséquence, cette histoire, tirée de la triste réalité, a été écrite en
français.
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Cato Dives Maria !
(Bonjour Marie !)
Il fait noir et froid, il pluviote des gouttes gelées dans la nuit pesante de
la grande rue Sainte-Catherine, à peine trouée par les lumières blafardes
des ampoules à économie d’énergie.
Il pleut et il gèle à pierre fendre dans son cœur crispé et dans son corps
violé. Elle a rempli sa mission, elle vient de faire son devoir de mère
chômeuse et affamée pour nourrir son petit et survivre dans la misère et la
crasse de son squat de la rue Camille Sauvageau où de nombreux pauvres
étrangers, comme elle, regroupent leur malheur.
Jeune et jolie (quelle malédiction !) roumaine (Rom en réalité :
deuxième malédiction), elle a fui la prostitution parisienne en constatant
qu’elle était enceinte, au mépris de la peur inspirée par la mère maquerelle
esclavagiste et du dieu qui doit la faire mourir si elle ose la liberté.
Avec le peu d’argent qu’elle avait, elle a pris le train vers le soleil de
Bordeaux. Mais, en hiver, il pleut et il fait froid, parfois, dans la douce et
belle ville de l’Aquitaine… et… il faut bien manger. Alors… alors, de
temps à autre, elle va vendre une « nuit de mort », comme elle la nomme, à
un gros richard de passage dans un grand hôtel du centre, ou à un affairiste
dans un hôtel du quartier du Lac. Douze heures (de dix-neuf heures à sept
heures du matin) d’enfer pour elle et d’extrême bonheur pour lui. De quoi
vivre moins mal, elle et son petit Jésus (elle l’a nommé ainsi afin qu’il ait
plus de chance qu’elle), pour qui elle veut une existence sans nuages noirs
de médecin, d’avocat, de notaire, d’ingénieur, d’enseignant, de patron…
bref, de « Français », selon sa représentation de ceux-ci.
En marchant, alors que de grosses larmes coulent doucement sur ses
pommettes hautes, un peu saillantes et sur ses joues creuses de petite
femme beaucoup trop jeune pour souffrir, ses yeux rouges et humides
regardent droit devant elle, vers l’incertitude, vers le brouillard de l’avenir
et, cela lui arrive presque chaque jour, elle se souvient…
2 16
Maintenant elle sait qu’elle doit partir. Cela fait longtemps qu’elle est
là, dans ce monde indescriptible et si doucement, si agréablement
lumineux.
Longtemps, mais ici, dans ce lieu sûr et sacré, le temps ne compte
guère, elle est restée, apeurée et coléreuse, très révoltée même, dans un
environnement grisâtre, entourée de têtes de monstres simiesques qui
l’effrayaient. Pourtant ils ne la touchaient pas. Ils se contentaient de
l’observer, l’air fort méchant. Elle essayait bien de les chasser, mais elle
n’y parvenait pas. Ils apparaissaient, l’effrayaient et disparaissaient
aussitôt, silencieusement, l’excitant encore plus, sans qu’elle n’y
comprenne rien, sans qu’aucune étincelle de réflexion ne brille brièvement
en elle. Ils étaient comme des guérilleros de l’inconscient venant
soudainement au niveau de sa raison, ou, plutôt, de sa folie, pensait-elle.
En effet, sans doute était-elle devenue folle en voyant tout-à-coup son
corps inanimé et son visage ensanglanté, sous elle, dans sa belle Mercedes
blanche décapotée, celle-ci immobile dans des buissons, tout en bas d’un
ravin, en pleine nuit.
Elle se rappelait de la soirée mondaine organisée par son mari et son
amant, le jeune fils aux beaux yeux bleus de l’associé de son mari. Cet
associé, malade du cœur, après une vie trop alcoolisée et trop enfumée,
venait de passer la main à son Apollon de fils. C’est ce passage de relai
qu’ils avaient fêté. Mais, cerise sur le gâteau, ils avaient également célébré
le rachat d’une entreprise de fabrication de sacs plastiques en faillite afin
de pouvoir s’implanter commercialement et à moindre frais en Aquitaine.
D’ici quelques mois, ils devaient abandonner cette nouvelle acquisition
pour aller s’installer en Roumanie où la main-d’œuvre qualifiée existe sous
forme d’esclavage moderne, sans charges sociales et avec des salaires
beaucoup plus misérables que le S.M.I.C. français, et ce n’est pas peu dire.
Cela, bien entendu, sans aucune considération, ni aucune compassion pour
les quelques trois cent cinquante salariés balayés comme des fétus de paille
au vent très mauvais de l’affairisme : Vive l’argent ! Comme le dit si bien
son cher époux :
– « Nous n’avons rien à faire des élus du peuple, pauvres moutons à la
solde du patronat. Le gouvernement de la France c’est nous ! Vive les
entreprises souveraines ! Vive le profit et vive les plaisirs qu’il procure ! »
Alors qu’il disait cela, son chéri la regarda avec son beau sourire de
héros play-boy niais en lui adressant un clin d’œil complice au mot
« plaisirs ». Elle avait carrément fondu, ses forces l’abandonnant et son
désir se manifestant violemment. Elle se souvenait avoir avalé goulûment
et très rapidement sa flûte de champagne au gaz carbonique piquant (en
réalité, elle n’avait jamais aimé les boissons gazeuses, pas plus l’Orangina
2 17
que le Champ’, comme on disait dans son monde) et elle s’était enfuie,
toute guillerette mais gênée, pour ôter son string maintenant tout mouillé et
s’essuyer avec le papier molletonné très doux et parfumé à la disposition
des invités. Elle venait de faire pipi sans pouvoir se retenir, car elle n’avait
pas eu le temps d’aller aux toilettes en arrivant. Mais tout cela était bien
normal, n’est-ce pas ? Ensuite, elle était sortie et s’était dirigée vers un des
quatre lavabos en marbre et aux robinets dorés (ou peut-être bien en or, il
faudrait qu’elle demande…) et s’était « faite » une ligne de coke, sans
qu’aucune de ses deux voisines, tout aussi émoustillées qu’elle, ne s’en
offusque. Sans doute venaient-elles d’accomplir le même rituel, ou
allaient-elles le faire, sans plus de gêne qu’elle-même en ce moment. Mon
Dieu quelle BELLE vie !
Ensuite elle était ressortie sur ses talons hauts comme des aiguilles à
tricoter et en roulant joliment son petit derrière nerveux. Oui, vraiment,
quelle BELLE vie !
Revenue dans la grande salle, elle s’était approchée de son mari et,
surtout, de son bellâtre et lui avait pincé subrepticement la fesse gauche,
tout en souriant (bien sûr) amoureusement à son mari tout rouge et suant à
cause de la quantité importante d’alcool ingurgitée.
C’était le signal convenu pour prévenir son amoureux qu’elle rentrait à
son appartement à Bordeaux, en bordure de la place des Quinconces où il
allait la rejoindre sans tarder.
Elle partit donc, toute gaie (l’alcool et la coke aidant) au volant de son
beau coupé Mercedes qu’elle aimait conduire les cheveux au vent, en
particulier lors de cette magnifique nuit d’été, comme (presque) toujours
dans le Sud-Ouest. Cependant, bien que belle et agréable, la route
départementale entre Blaye, où avait lieu la fête, et Saint-André-de-
Cubzac, où elle devait prendre l’autoroute A10 vers Bordeaux, était bordée
de fossés profonds, voire de ravins qu’il semblait raisonnable d’éviter.
Mais quelle était l’importance de la raison soumise à l’alcool et à la
drogue ? Vraiment, absolument insignifiante. Comme dans une sorte de
rêve rieur, elle avait alors plongé dans le noir, sans résistance, pour aller y
dormir, oui, se reposer mon cher, effrayée malgré tout par le bruit
effroyable de sa si belle voiture se désintégrant, tout en bas, après une
chute époustouflante, et par une terrible, mais très courte, douleur à la
poitrine.
Après une certaine période noire, absente, hors du temps qui passe, sans
s’arrêter, comme d’habitude, elle était sortie de son corps par le sommet de
la tête sous la forme d’un petit nuage de fumée gris clair. Cette sortie de
son corps avait eu lieu en en une heure, ou une heure et demie, après
l’accident.
2 18
Elle s’était demandée combien de temps les secours allaient mettre pour
venir la secourir, car elle n’avait vu personne arriver. Les voitures qui
étaient passées ne s’étaient pas arrêtées, probablement parce que les
conducteurs n’avaient pas vu son véhicule, en bas, dans les fourrés, sur les
berges de la Gironde qui se prélassait, douce et brillante sous la lune et les
étoiles.
Avant cette soirée, elle n’était jamais venue dans le Sud-Ouest,
préférant la « Côte » (celle d’« Azur », bien sûr), les « States », les
Maldives ou les Seychelles, même si celles-ci étaient plutôt réservées à des
touristes petits bourgeois aussi prétentieux que ceux de la « haute » sans
pourtant en avoir les moyens. Ces petits nullards croyaient ne pas faire
partie de la populace parce qu’ils gagnaient quatre ou cinq fois plus que le
S.M.I.C. Mon dieu, quelle sottise ! Ils n’étaient que des prétentieux qui ne
feraient jamais partie des élites, « ceux » du C.A.C. 40, de la Villa
Montmorency, dans le 16ème
arrondissement de Paris jouxtant l’hôtel
particulier de Madame Carla Bruni-Sarkozy, ce qui leur permettaient de
« nous » rejoindre discrètement, sans que le petit peuple ne soit au courant,
bien sûr7. La vie entre gens du même rang est tellement plus agréable, sans
accrocs ni « chicaillâs » d’aucune sorte. Quel plaisir d’être entre gens
biens, qui comptent dans le pays.
Elle avait alors songé à ces pauvres ouvriers blayais qui avaient
vraisemblablement été jetés comme de vieilles chaussettes sales (aussi
sales qu’eux ? – rire intérieur coquin –). Personne, bien sûr, n’était venu à
leur secours, à part les cocos et leur C.G.T. abominable et, évidemment, les
élus locaux dont l’entreprise de son mari, comme toutes les grandes
entreprises d’ailleurs, n’avaient que faire. Ils étaient des gens de rien ne
représentant rien. Des grains de sable sous les pieds des affairistes
internationaux. Elle avait trouvé la formule très jolie. Sans doute eût-elle
dû faire écrivain. Elle n’aimait pas la féminisation des mots voulue par ces
stupides « chiennes de garde ». Des vraies chattes en chaleur, oui, qui ne
savaient que dire pour se faire remarquer ! Evidemment, toutes les femmes
ne pouvaient pas être jeunes, belles et riches comme elle. Cela était
aisément compréhensible. Cependant, ce n’était pas une raison pour se
conduire comme des bêtes hurlantes, vociférantes, sans dignité.
Sans avoir eu le temps de voir arriver les secours, elle s’était soudain
retrouvée dans ce lieu onirique, cauchemardesque, plus précisément. Elle
avait été impatiente de se réveiller, mais le sale rêve continuait, continuait,
continuait, avec ces têtes de monstres terrifiants, les souvenirs de sa
7 « Le Nouvel Observateur » du 12 au 16 mai 2011, intitulé « Ils ont tout : l’argent, le
pouvoir, les privilèges », p.78
2 19
merveilleuse vie égoïste sur terre, dans son monde à part, du rendez-vous
avec son bel amant qu’il lui avait tardé de revoir, de son accident avec sa
voiture dans le fossé et, au bout d’un moment, la sortie de ce petit nuage de
fumée, qui était elle, oui elle, de son corps, par le sommet de son crâne.
Elle s’était rappelé que des études avaient été faites (par les Etats-
Uniens, avait-elle cru se souvenir. Et oui, ils sont les meilleurs, les plus
riches, les plus forts) pour mesurer le poids de ce petit nuage de brume. Un
résultat avait été trouvé : environ dix grammes. Qui l’aurait pensé ? Ce
serait donc là le poids d’une âme qui quitte un corps physique mort pour
aller vers l’Au-delà, vers la Lumière ? Cette information avait été cachée,
semble-t-il, quelques années, mais elle avait été dévoilée peu de temps
avant son accident. Les scientifiques continuaient donc leurs recherches sur
les activités électriques, très peu connues du corps humain. D’ailleurs,
s’était-elle demandé, pourquoi ce cher Nicolas8 ne créerait-il pas un Institut
universitaire et de recherche concernant les activités électriques du corps
humain ? Elle avait alors souhaité demander à cher son époux (son amant
était destiné à son plaisir) d’en suggérer l’idée à celui-ci. Mais,
simultanément, elle s’était souvenue s’être retrouvée dans ce cauchemar de
série B (voire C, même, avait-elle songé), au lieu de cet endroit calme et
lumineux dont elle avait souvent entendu parler par des amis férus de
bouddhisme, de religions orientales, de vie après la mort, etc…
Immédiatement après cette pensée, elle avait été comme aspirée, en un
millième de secondes vers cette Lumière où l’avaient accueillie ses grands-
parents maternels et paternels et son papa « parti », pour sa part, depuis
seulement trois courtes années : à peine hier, toute la douleur était encore
brûlante dans son cœur et dans son esprit. Aucun des amants qu’elle avait
pris n’avait pu atténuer sa souffrance. Mais, à partir de cet instant, entourée
des siens, aimants, dans cette ambiance calme et reposante, enfin ! avec
cette douce lumière si agréable, elle s’était tout de suite sentie bien,
vraiment bien et émerveillée. Etait-ce cela le fameux Paradis ?
Aussitôt, presque avant qu’elle ne se soit posée la question, « on », un
sentiment totalement indéfinissable, lui avait répondu que ces notions de
paradis, enfer et purgatoire n’avaient jamais existé, qu’il s’agissait
simplement d’interprétations humaines. Et Dieu, qu’en était-il, si tout le
reste était faux ? Là encore, la réponse avait été presque plus rapide que la
question : cela dépendait des croyances des gens. Chacun pouvait décrire le
« monde des esprits » comme il l’entendait, un athée étant aussi
raisonnable qu’un croyant et… inversement, car personne ne pouvait
savoir ce genre de choses.
8 Il s’agit du Président Nicolas Sarkozy.
2 20
Ici, à ce niveau, il avait fallu continuer un travail de perfectionnement
dans une ambiance très fraternelle, amicale, peu importait l’adjectif.
C’est ce qu’elle avait fait, sans forcer, puisqu’il suffisait de souhaiter
quelque chose de bien pour l’obtenir. Cependant, arrivée à un certain stade,
on lui avait gentiment, comme toujours, fait comprendre qu’elle allait
devoir quitter son « beau jardin éternel » comme elle l’avait appelé9 afin
qu’elle puisse continuer son évolution. Sa nouvelle vie serait plutôt
difficile, mais relativement brève, ce qui lui permettrait de ne pas souffrir
trop longtemps. Ce nouveau passage était indispensable pour « enlever son
ancienne peau » de grande bourgeoise méprisante et égoïste. Elle aurait pu
éviter cela en éprouvant de la compassion pour les autres, en participant à
l’amélioration de la société et à la spiritualité, mais elle n’avait pas
souhaité prendre ce chemin vertueux. Cela avait été une erreur. Mais, pour
les esprits, toute faute est rattrapable et ils l’avaient aidée à choisir son
nouveau corps humain, physique.
Elle avait eu tout son temps pour se reposer, réfléchir, se décider. Elle
était restée maîtresse de son destin, ici comme sur terre. Serait-elle prête
lorsqu’on lui proposerait une nouvelle incarnation ou bien voulait-elle
attendre encore ? Elle avait été, et était toujours, la seule à pouvoir prendre
la décision…
Après quelques décennies terrestres (puisque le temps semble ne pas
durer « là-haut »), elle est au pied du mur, ou, plutôt, en haut du précipice.
Deux possibilités s’offrent à elle : ou bien sauter et « y aller », c’est-à-dire
accepter la vie qu’« on » lui propose et s’incarner rapidement dans le petit
corps en formation qu’« on » lui a désigné, ou alors attendre un autre choix
correspondant aux leçons qu’elle doit apprendre sur terre. Ce point de vue
semble un peu mercantile de prime abord, mais la vérité est pourtant ainsi :
la vie doit continuer, d’une façon ou d’une autre et il faut bien évoluer.
Elle sait que le monde dans lequel elle se trouve actuellement est
extraordinaire pour les terriens, surtout pour les matérialistes dont le
cerveau n’est pas très apte à appréhender ce genre de domaine, mais elle,
elle sait, maintenant que cette situation est réelle. Tant qu’elle n’aura pas
substitué cet état spirituel à une nouvelle vie physique, elle en aura
pleinement conscience. Ensuite elle naîtra à nouveau à la vie terrestre.
Le progrès paraît être une succession de substitutions, or, le progrès
c’est la vie, sans l’un, l’autre n’existe pas.
Cependant, elle hésite fortement car, si elle est d’accord avec la théorie,
ici et maintenant, elle n’est pas prête à faire ce dont elle n’a pas envie, car
9 Le mot paradis vient du mot persan pardez qui signifie « enclos, jardin » et de
l’avestique pairî-daeza, « enceinte ».