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1 Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Master 2 Recherche de Droit Public Comparé Européen Mémoire ASPECTS CONSTITUTIONNELS COMPARES DU DROIT AU REGROUPEMENT FAMILIAL France, Italie, Royaume Uni Soutenu par Giulia MERENDA Sous la direction de Monsieur le Professeur Bertrand MATHIEU Professeur à l'Université Panthéon Sorbonne Paris I Directeur du Centre de recherche de droit constitutionnel Président de l'Association française de droit constitutionnel Année Universitaire 2007-2008

France, Italie, Royaume Uni · 2012-03-09 · Uni. Cela parce que, et on en fera preuve au cours de cette étude, en France et en Italie, la violation du droit au regroupement familial

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Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Master 2 Recherche de Droit Public Comparé Européen

Mémoire

ASPECTS CONSTITUTIONNELS COMPARES DU DROIT

AU REGROUPEMENT FAMILIAL

France, Italie, Royaume Uni

Soutenu par Giulia MERENDA

Sous la direction de Monsieur le Professeur Bertrand MATHIEU

Professeur à l'Université Panthéon Sorbonne Paris I

Directeur du Centre de recherche de droit constitutionnel

Président de l'Association française de droit constitutionnel

Année Universitaire 2007-2008

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Sommaire

Introduction........................................................................................................................................5  

I.  Les fondements juridiques du droit au regroupement familial .............................................11  

Chapitre I La notion constitutionnelle de famille ..........................................................................14  

Section I/ Evolution du droit de la famille jusqu’à nos jours ..........................................................16  

§1 Individualisme et tradition dans le code napoléonien.................................................................16  

§2 Le caractère fragmentaire du droit de la famille britannique......................................................21  

Section II/ Famille et Constitutions .................................................................................................23  

§1 L’Institution Famille : la famille reconnue et protégée par le droit constitutionnel ...................24  

A/ Les multiples interprétations de l’article 29 de la Constitution italienne ...................................25  

B/La formulation laconique de la Constitution française ................................................................29  

C/ La jurisprudence de Common Law.............................................................................................31  

§2 Quel est le marge de manœuvre laissé par le Constituant au législateur ? .................................33  

Chapitre II Le droit à mener une vie familiale normale : un droit individuel encadré dans

l’institution « famille » ....................................................................................................................40  

Section I/Un nouveau droit subjectif : le droit à mener une vie familiale ......................................41  

§1 Le droit à mener une vie familiale dans la texte de l’article 8....................................................41  

A/ Un droit subjectif fondamental ...................................................................................................42  

B/ Un droit subjectif fondamental limité par les exigences étatiques : le test de proportionnalité 43  

§2 Le droit à mener une vie familiale dégagé par la Cour EDH .....................................................45  

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A/ Une conception extensive de la vie familiale .............................................................................45  

B/ La normalité obligation minimale de la part de l’Etat ................................................................47  

Section II/ Le droit à mener une vie familiale normale pris en compte par les droits nationaux : la

normalité nouveau critère d’institutionnalisation ............................................................................49  

§1 Les normes conventionnelles prises en compte par les ordres juridiques nationaux..................49  

A/ Le rang de la CEDH dans la hiérarchie des normes internes : norme infra constitutionnelle ou

législative ? ......................................................................................................................................50  

B/Les effets des décisions de la Cour EDH : l’obligation de « prendre en considération »............54  

§2 La normalité nouveau critère d’institutionnalisation ..................................................................57  

A/ La normalité condition de la vie familiale ..................................................................................57  

B/ Normalité indice de proportionnalité : la non reconnaissance des vies familiales « anormales »

.........................................................................................................................................................59  

II.  L’exercice du droit au regroupement familial .......................................................................65  

Chapitre I Les conditions d’exercice du regroupement familial : nature du regroupement et

conception de la famille ...................................................................................................................67  

Section I/Le droit au regroupement familial réglementé par le droit communautaire.....................68  

§1 La législation communautaire en matière de regroupement familial : un droit fondamental

limité à la famille légitime ...............................................................................................................68  

A/ La législation concernant les ressortissants communautaires.....................................................70  

B/ La législation concernant les ressortissants des pays tiers ..........................................................72  

§2 La CJCE juge maitre de la définition de famille admise au regroupement ................................74  

A/ Le regroupement des citoyens de l’Union Européenne : élargissement de la notion de famille 74  

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B/ Le regroupement des ressortissant des pays tiers : une notion stricte de famille légitime .........77  

Section II/ Le droit au regroupement familial réglementé par les droits nationaux ........................79  

§1 L’évolution des droits nationaux vers la reconnaissance d’un droit fondamental au

regroupement ...................................................................................................................................81  

A/ Le contrôle des flux migratoires à l’entrée, exercice discrétionnaire des autorités compétentes

.........................................................................................................................................................83  

B/ Le droit au regroupement, droit subjectif fondamental...............................................................86  

§2 Les conditions pour l’exercice du regroupement familial : un droit à exercice restreint ...........88  

A/ Conditions objectives : ressources financières et logement........................................................89  

B/ Les conditions tenant aux bénéficiaires du droit au regroupement.............................................90  

Chapitre II La preuve nécessaire à l’exercice du regroupement familial ........................................95  

Section I/ La preuve du lien d’affection entre conjoints..................................................................96  

§ 1 La preuve de la réalité du consentement préalable à la célébration du mariage........................96  

§2 La preuve de la cohabitation : intention de vivre ensemble et communion de vie....................98  

Section II/ La preuve du lien génétique .........................................................................................100  

§1 Le test ADN afin de regroupement familial, les conditions posées par les droits nationaux ...102  

§2 L’encadrement constitutionnel par rapport aux normes du droit de la famille.........................105  

A/ La décision du Conseil Constitutionnel français ......................................................................106  

B/ Filiation voulue ou filiation biologique ?..................................................................................109  

Conclusions....................................................................................................................................115  

Bibliographie............. ....................................................................................................................117  

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LISTE DES ABREVIATIONS

AJDA : Actualité juridique du droit administratif

CEDH : Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme

Cour EDH : Cour Européenne des droits de l’Homme

Corte Cost. : Corte Costituzionale

CJCE : Cour de Justice des Communautés Européennes

Déc. : Décision

Dir. Fam. : Diritto di famiglia

D. P. R : Décret du Président de la république

ECO: Entry Clearance Officer

EWCA : England and Wales Court of Appeal

HWHC: England and Wales High Court

Giur. Cost: Giurisprudenza Costituzionale

HRA : Human Rights Act

ICLQ: International and Comparative Law Quarterly

IR: Immigration Rules

JCP: Juris Classeur Périodique (La semaine juridique)

LPA : les petites affiches

L. G. D. J. : Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence

Op. Cit. : opera citata

PUF : Presses Universitaire de France

RTD Civ : Revue trimestrielle de droit civil

Riv. Trim. di dir. e proc. Civ : Rivista trimestrale di diritto e procedura civile

TAR: Tribunale Amministrativo Regionale

UKIAT: United Kingdom Immigration Appeal Tribunal

UKHL: United Kingdom House of Lords

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Introduction

« La relación y convivencia de pareja, basada en el afecto, es expresión genuina de la naturaleza humana y

constituye cauce destacado para el desarrollo de la personalidad, que nuestra Constitución establece como uno de

los fundamentos del orden político y la paz social […]. Será la ley que desarrolle este derecho, dentro

del margen de opciones abierto por la Constitución, la que, en cada momento histórico y de acuerdo con sus valores dominantes, determinará la capacidad exigida

para contraer matrimonio, así como su contenido y régimen jurídico1”

Les débats sur la récente adoption en France de l’amendement ADN permettant de

soumettre le demandeur du regroupement familial à l’analyse des empreintes génétiques afin

d’établir le lien de filiation avec le regroupant séjournant sur le territoire national, ont saisi tout

notre intérêt. En subordonnant l’exercice du droit au regroupement familial, droit nouveau

applicable à la situation juridique spécifique des étrangers, à la preuve du lien de filiation, ou de

parenté biologique avec le regroupant, l’utilisation des empreintes génétiques appelle à se poser

principalement deux questions juridiques qui relèvent du droit constitutionnel et dont la réponse

sera cherchée de façon comparative entre deux pays de Civil Law, France et Italie, et un pays de

Common Law, le Royaume Uni.

D’une part, la question de savoir quelle est la nature du regroupement familial. Est-ce qu’il

s’agit d’un droit fondamental subjectif ?D’autre part, si la réponse à la première question est

positive, il se pose celle de savoir quel est le périmètre du droit au regroupement familial. En

d’autres termes quelles sont ses conditions d’exercice ? Qui en est le bénéficiaire ?

La première question reçoit ici une réponse immédiate. Des éminents auteurs2 considèrent

qu’un système juridique protège les droits fondamentaux lorsque quatre conditions sont remplies :

1 Dispositions générales de la loi espagnole du 1er juillet 2005 n°13 modifiant les dispositions du code civil en matière de mariage.

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1) il existe des permissions au bénéfice de toutes les personnes (relevant du système) en règle

générale, et au bénéfice des classes les plus générales de personnes à titre exceptionnel (les

bénéficiaires) ; 2) les normes législatives et les normes infra législatives, ainsi que les actes de

même contenu qui ne sont pas encore des normes valides, abolissant ces permissions ou les

limitant dans une mesure allant au de là d’un certain minimum déterminé par la compréhension

habituelle du concept du comportement en question, sont considérées comme fautives ; 3) il existe

un organe juridictionnel de contrôle habileté à annuler des normes fautives au sens de la condition

2) ou d’empêcher que des actes ayant une telle signification puissent devenir des normes du

système ; 4) il existe des organes habiletés à saisir l’organe juridictionnel de contrôle en cas de

violation (les titulaires).

Autrement dit, on pourrait définir les droits fondamentaux constitutionnels comme les

« permissions d’agir, assorties de garanties spécifiques, de telle façon que leur restriction par le

législateur constitue le fondement de l’annulation par un organe juridictionnel de la loi qui les a

violées, à partir de la saisine organisée par des organes habiletés à cette fin ». D’une façon un

peu différente nous pourrons soutenir que le droit fondamental conventionnel est le « droit d’agir

formellement inscrit dans un traité international de telle façon que sa restriction par le législateur

pourrait, mais il n’est pas toujours le cas, constituer le fondement de l’annulation de la loi qui l’a

violé ». Aux fins de cette étude comparative, qui prend en considération un pays de Common Law,

le Royaume Uni, qui n’est pas doté d’une constitution formellement écrite, et par conséquent de

relatif contrôle de constitutionnalité, il conviendra aussi définir la notion de liberté publique,

public liberty, utilisé dans ce pays. On pourrait ainsi la définir comme « le droit d’agir

formellement légalisé sans que sa restriction par le législateur puisse comporter l’annulation de

la loi qui l’a violé, mais seulement la non application de cette dernière au cas d’espèce ».

Or, le droit au regroupement familial peut être considéré un droit fondamental

constitutionnel en France et en Italie et, au moins un droit fondamental conventionnel au Royaume

Uni. Cela parce que, et on en fera preuve au cours de cette étude, en France et en Italie, la

violation du droit au regroupement familial de la part du législateur peut être contestée devant le

juge constitutionnel, et, au Royaume Uni, devant le juge ordinaire, pour une éventuelle déclaration

d’incompatibilité avec l’article 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de

2 FAVOREU Louis, GAIA Patrick, GHEVONTIAN Richard, PFERSMANN Otto, ROUX André, SCOFFONI, Guy « Droit des libertés fondamentales », Paris, Dalloz 2007.

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l’Homme et du Human Rights Act qui en transpose les dispositions. Enfin, dans les trois pays, la

saisine du juge conventionnel, la Cour Européenne des droits de l’Homme3, est possible.

Encore ce droit fondamental peut être qualifié de droit fondamental subjectif puisque son

bénéficiaire est en mesure d’en demander la protection devant un tribunal ou un Cour4. Le droit

fondamental subjectif doit être ainsi distingué du droit fondamental objectif. Ce dernier ne

s’adresse pas à des bénéficiaires déterminés, de sorte que son inexécution ne peut pas être

sanctionnée devant un juge. L’Etat en est le débiteur, mais il n’existe pas véritablement de

créancier. De cette catégorie font partie les objectifs à valeur constitutionnelle et les droits

sociaux, appelés aussi droits de créance.

Par conséquent, on constate que dans l’étude du droit au regroupement familial se

juxtaposent deux plans juridiques : le plan interne, concernant la réglementation de ce droit de la

part des droits nationaux, pour lesquels il faudra prendre en compte aussi l’application directe et,

s’il existe, la transposition des règles du droit communautaire en la matière, et le plan

conventionnel, avec les normes posées par la CEDH.

A propos de cette dernière, il convient de rappeler ici que la Convention constitue un traité

international avec des caractéristiques particulières, de sorte que les Etats qui en font partie en

tirent certaines obligations. L’existence d’un organe juridictionnel chargé du contrôle de la

correcte application des dispositions conventionnelles, rend leur violation de la part des Etats

passible de sanctions. Les individus sont les bénéficiaires directs, avec les Etats, des normes

conventionnelles et donc sont en droit de saisir la Cour EDH. En effet, cette dernière a défini la

Convention « instrument constitutionnel de l’ordre public européen5 ». Ainsi, le système

conventionnel peut être considéré un système de protection des droits fondamentaux horizontal à

effet indirect : la Cour EDH va jusqu’à reconnaître la possibilité d’invoquer la violation des droits

conventionnels dans les rapports des individus entre eux6.

Quant à la place de la CEDH dans les ordres juridiques nationaux, il faut préciser que

l’article 55 de la Constitution française attribue à la Convention la valeur d’une norme infra

3 Ensuite appelée Cour EDH. 4 MATHIEU Bertrand, VERPEAUX Michel « Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux », L.G.D.J, 2002, p. 435. 5 Cour EDH Loizidou, 23 mars 1995. 6 Cour EDH X et Y c/Pays Bas, 24 mars 1985 ; Cour EDH Pla et Pincernan c/Andorre, 13 juillet 2004.

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constitutionnelle, d’un rang supérieur à la loi mais inférieur à la Constitution, les conditions de

ratification et publication ayant été respectées et la condition de réciprocité n’étant par requise. La

même solution a été adoptée très récemment en Italie par le juge constitutionnel, qui, en absence

d’une norme constitutionnelle claire précisant le rang des traités internationaux dans

l’ordonnancement juridique interne, a interprété le nouveau article 117 de la Constitution pour

faire de la CEDH le paramètre indirect de la constitutionnalité des normes législatives et

réglementaires. La Convention devient donc source supérieure à la loi mais inférieure à la

Constitution, sachant que la Cour constitutionnelle se considère seule à être compétente pour juger

de la constitutionnalité des normes CEDH. Enfin, au Royaume Uni, la Convention, sous la forme

de l’Human Rights Act, a le rang d’une loi ordinaire dont on pourrait reconnaître le caractère

spécifique de législation constitutionnelle (constitutional statute), suivant la jurisprudence

Thoburn7. Précisons aussi que la jurisprudence de la Cour EDH joue un rôle déterminant dans

l’interprétation des normes conventionnelles, de sorte que ces dernières souvent s’imposent aux

Etats, sans qu’il existe une véritable obligation juridique, comme interprétées par la Cour de

Strasbourg.

Le lien entre droit conventionnel et droits constitutionnels nationaux est donc extrêmement

étroit dans la protection du droit au regroupement familial. En effet, résolue ainsi la question de

savoir si le regroupement familial est un droit subjectif fondamental, il nous reste à savoir

comment ce droit est délimité. Et pour répondre à la question on procédera, au cours de cette

analyse, en deux parties.

Premièrement on analysera les fondements juridiques du droit au regroupement familial,

comme étant, d’une part, la famille constitutionnellement reconnue et, d’autre part, le droit à

mener une vie familiale normale au sens de l’article 8 de la CEDH. Dans cette partie, l’influence

réciproque entre droits constitutionnels et droit conventionnel sera mise en valeur. Le but sera

celui de démontrer comment deux logiques apparemment opposées entre elles, institutionnelle de

la part des droits constitutionnels nationaux, et purement individuelle, de la part du droit

conventionnel, se concilient pour reconnaître l’existence d’un droit à mener une vie familiale, à

caractère individuel, encadré toutefois dans la notion de normalité, érigée à nouveau critère

7 Thoburn v Sunderland City Council [2002] EWHC 195 (Admin), 18 février 2002.

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d’institutionnalisation. Ainsi on pourra constater l’existence des trois types de conceptions de

famille différentes.

La famille légitime ou nucléaire, celle constituée du couple marié avec les enfants mineurs,

est la famille constitutionnellement, et dans une certaine mesure, conventionnellement, reconnue

et protégée. La famille affective, celle fondée sur les liens affectifs entretenus entre ses

composants, peut coïncider avec la famille légitime. Dans ce cas elle reçoit la même protection

constitutionnelle. Mais elle peut prendre plusieurs formes, vu que c’est le sentiment d’affection

qui seul est pris en considération pour déterminer son existence. Ainsi il se pose le problème,

d’une part, de savoir si ce sentiment existe et comment le mesurer, et, d’autre part, celui de savoir

si, de cette manière, tous les liens affectifs peuvent recevoir protection. La reconnaissance

constitutionnelle de la famille affective n’est donc pas acquise. La famille de facto peut, par

exemple, être protégée par d’autres normes constitutionnelles que celles prévues explicitement par

la famille légitime, comme il arrive en Italie, ou obtenir une reconnaissance législative, par le

biais du contrat de partenariat enregistré présent en France et au Royaume Uni. De toute façon, ce

type de modèle familial ne rentre pas dans le cadre institutionnel. La famille biologique est celle

qui, en revanche, est fondée sur les liens de sang, ou mieux génétiques, qui existent entre ses

composants. Il s’agit de la famille admise au regroupement familial dès lors que l’analyse des

empreintes génétiques est demandée. On pourrait parler à ce propos plutôt de filiation génétique,

même si le lien génétique peut être démontré pas uniquement entre ascendants et descendants,

mais aussi entre collatéraux. La famille biologique peut coïncider avec les familles légitime et

affective, mais il n’est pas toujours le cas. Parfois elle aussi reçoit une protection législative,

notamment, par le biais des actions d’état permettant de reconnaître ou contester la paternité ou la

maternité.

Il s’agira donc, dans un second temps, de procéder à l’étude des conditions concrètes

d’exercice du droit au regroupement familial pour comprendre quels sont réellement les

bénéficiaires de ce droit. En d’autres termes quelle type de famille est susceptible d’être objet

d’une mesure de regroupement familial? On cherchera de trouver une réponse à cette question par

le biais de l’étude des conditions générales posées à l’exercice du droit au regroupement et de la

preuve nécessaire à établir le lien de parenté.

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I. Les fondements juridiques du droit au regroupement familial

Afin de délimiter le périmètre du droit au regroupement familial ici étudié il faut

commencer par ses deux fondements juridiques : la famille est l’élément essentiel, la conditio sine

qua non pour pouvoir parler de regroupement familial; le droit à mener une vie familiale constitue

la prémisse nécessaire au regroupement, car ce dernier ne peut être exercé que si le premier existe

(mais, au contraire, il peut y avoir droit à mener une vie familiale normale sans regroupement8).

Les deux concepts seront ici étudiés de façon séparée : par famille on va entendre la

famille constitutionnellement protégée. La vie familiale, en revanche, est celle consacrée au

niveau international par l’article 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de

l’Homme9. Cela ne signifie ni que la notion de vie familiale est étrangère au droit constitutionnel,

ni que le chef de la famille est étranger au droit conventionnel. Il est indéniable, et il sera

démontré tout au cours de ce travail, que la famille au sens constitutionnel du terme ressent de

l’influence du droit à mener une vie familiale, influence qui se relève surtout dans la jurisprudence

constitutionnelle. Ainsi même si les deux questions seront abordées séparément, elles sont

extrêmement liées entre elles.

La première partie sera dédiée à l’étude de la famille au sens constitutionnel du terme, en

tant qu’institution juridique. Existe-t-il une définition d’institution ? En France, l’analyse

développée par Maurice Hauriou constitue le point de référence principal : il s’agit d’ « une

famille d’institution-corps, c'est-à-dire une institution formant un corps collectif, un groupe doté

8Au moins c’est ce qui considère la Cour de Strasbourg lorsqu’elle affirme que « l’article 8 ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat l’obligation générale de respecter le choix par des couples mariés de leur résidence commune et de permettre le regroupement familial sur son territoire ». (Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c / Royaume-Uni du 28 mai 1985, Gul c/Suisse du 19 février 1996). En revanche, ce droit existe lorsque le regroupement familial constitue le seul moyen d’assurer une vie familiale (Cour EDH, Sen c/Pays Bas du 21 décembre 2001 n°31465/96 et Taquabo-Tekele et a.C/Pays Bas du 1er décembre 2005, n°60655/00). Les opinions contraires ne manquent pas : Henri Labayle soutient qu’ « il est souvent tentant de réduire le droit de l'étranger à mener une vie familiale normale à son préalable, le regroupement familial qui ne concerne que la possibilité d'être rejoint par sa famille. Cette vision étroite ne satisfait pas : mener une vie familiale normale implique certes de faire venir l'ensemble de la cellule familiale mais aussi celui de demeurer en famille, de conserver cette cellule « groupée », in « Le droit de l’étranger à mener une vie familiale normale, lecture nationale et exigences européennes », Revue française de droit administratif, 1993 p. 511. 9 Ensuite appelée CEDH.

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d’une autonomie telle qu’il peut y avoir une vie de groupe (naissance/fondation, vie et

mort/disparition de la famille), et dans laquelle se manifeste une volonté autonome qui pour

émaner des individus, peut être considérée comme la volonté du groupe10 ». Par conséquent,

l’institution est constituée d’éléments qui ont chacun leur autonomie, mais qui ensemble forment

un groupe. Celui-ci naît dans la société de manière spontanée et se donne, pour durer, sa propre

organisation. C’est pour cela que Maurice Hauriou définit l’institution comme « une idée d’œuvre

ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social ; pour la réalisation de

cette idée, un pouvoir s’organise qui lui procure des organes ; d’autre part, entre les membres du

groupe social intéressé à la réalisation de l’idée, il se produit des manifestations de communion

dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures 11». L’idée directrice

d’entreprise ne doit pas être confondue avec la fonction ou le but de l’institution. D’une part, le

but demeure extérieur à l’entreprise, alors que l’idée créatrice est intérieure à celle-ci. D’autre part,

« la fonction n’est que la part déjà réalisée ou du moins déjà déterminée de l’entreprise ; il

subsiste dans l’idée directrice de celle-ci une part d’indéterminée et de virtuel qui porte au de là

de la fonction… ». Par la suite, le droit intervient et reconnaît le caractère juridique de

l’institution, la protégeant en tant que telle. On voit dans cette définition que l’institution est

d’abord un fait social et ensuite juridique. Sociologie et droit vont dans la même direction :

puisque le groupe, ici la famille, se donne ses propres règles d’organisation, ses propres pouvoirs,

sa propre idée d’œuvre, le droit n’a qu’à la reconnaître à chaque fois que cette idée change. Ce qui

est important dans la pensée d’Hauriou c’est en effet l’idée d’élan vital qui est moteur de la vie

institutionnelle.

Or, il me paraît que le droit constitutionnel, dont il est ici question ne protège qu’une idée

d’œuvre : la famille socialement admise est la famille légitime, celle fondée sur le couple marié et

les enfants qui sont nés de l’union conjugale. Le noyau familial ainsi composé puise ses origines

dans le dépassement de la notion de famille patriarcale et l’affirmation de la famille nucléaire qui,

en France et en Italie, s’est effectué avec le code Napoléon de 1804 et, au Royaume Uni, par le

10 « Les principes de droit public », Sirey, 1910, cit. MILLARD, Eric, Famille et droit public – recherches sur la construction d’un objet juridique », Préfacier MAZERE, Jean-Arnaud, Avant-propos de COHENDET, Marie-Anne, LGDJ, 1995, p. 104. 4 HAURIOU, Maurice « La théorie de l’institution et de la fondation », Cahiers de la nouvelle journée 1925, cit. TANGUY, Yann « L’institution dans l’œuvre de Maurice Hauriou –Actualité d’une doctrine», Revue de droit public 1/1991 p. 62 et s..

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Clandestine Marriage Act de 1753, appelé aussi Lord Hardwicke’s Act, du nom du Lord

Chancellor qui l’a proposé (Chapitre I).

Cette idée institutionnelle de famille ne semble pas être partagée par la philosophie de la

Convention européenne des droits de l’homme. L’article 8 de la CEDH protège le droit de chaque

personne à mener une vie familiale. Cette vie familiale est celle choisie par l’individu selon ses

exigences personnelles. D’ailleurs, le Conseil Constitutionnel français consacre le droit à mener

une vie familiale normale comme principe découlant de la liberté individuelle. Se fondant sur

l’alinéa 10 du préambule de la Constitution de 1946, le juge constitutionnel français accueille une

idée de famille fondée sur une logique purement individuelle et fait du droit à mener une vie

familiale normale un droit subjectif dérivé.

Cependant la vie familiale doit être « normale », ou « effective », le juge étant l’organe

compétent pour déterminer si et comment cette condition de normalité est respectée. Comme il

n’existe pas de critère univoque pour déterminer ce que c’est la normalité, plusieurs « idées

d’œuvre » du groupe sont susceptibles d’être reconnues. La vie familiale normale est donc un droit

individuel qui est en même temps limité, conditionné par les exigences étatiques, variables de pays

à pays. La normalité devient le nouveau critère de protection et d’institutionnalisation (Chapitre

II).

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Chapitre I La notion constitutionnelle de famille

La famille, phénomène avant tout social, est réglementée par le droit depuis longtemps et a

changé souvent de nature : de la famille romaine à la famille souche, de la famille patriarcale à la

famille nucléaire moderne. Dans ce travail comparatiste le but sera celui de trouver une définition

générale de famille susceptible de s’appliquer aux différents ordonnancements juridiques.

Le droit privé positif des trois pays ne donne pas de définition de famille. Ainsi le code

napoléonien de 1804, sur lequel se fondent les codes civils français et italien, préoccupé de

protéger uniquement les droits de l’individu en tant que tel, ne considère pas que la famille soit un

sujet juridique. Le code réglemente la vie de couple et la filiation comme composantes essentielles

de la famille, et attribue individuellement aux membres de la famille des droits et des obligations.

Même le code de la famille et de l’aide sociale adopté en France en 1956, sur le fondement d’un

décret-loi de 1939 dit « code de la famille et de la natalité française », ne donne pas de définition

de famille12. Quant à l’Italie on peut quand même faire référence à un décret du Président de la

République de 195813 qui, afin d’enregistrement de l’état civil, définissait la famille comme « un

ensemble de personnes unies par des liens affectifs et vivant ensemble, qui normalement

subviennent à leurs besoins par la mise à disposition en commun de tout ou partie du revenu

perçu ». La définition est évidemment trop floue : comment mesurer les liens affectifs ? Le terme

« famille » est peu utilisé dans les différents statutes britanniques. Comme le montre Anne

Barlow14, la législation relative au droit au logement15 s’est prêtée mieux que d’autres à définir le

concept de famille au Royaume Uni : le fait de vivre sous un même toit est concrètement indice

d’une vie commune ou collective, ce qui a conduit à reconnaître, entre autre, la famille de facto.

12 Ce code est devenu aujourd’hui, par une ordonnance du 21 décembre 2000, « Code de l’action sociale et des familles ». 13 D.P.R 31 janvier 1958 n°316, article 2. 14 BARLOW, Anne “Family Law and Housing Law: a symbiotic relationship?”, in PROBERT, Rebecca “Family life and the law under one roof”, Ashgate, 2007. 15 Housing law Act 1980 section 50(3).

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15

Pourtant ce qui intéresse cette analyse n’est pas la définition que le droit privé a donnée au

terme famille, mais celle qui est utilisée en droit public, notamment en droit constitutionnel. Il

n’en reste pas moins que, en matière de droit de la famille, trouver la frontière entre droit privé et

droit public n’est pas une œuvre facile16. En effet, on peut soutenir qu’il existe un droit

constitutionnel civil, des normes constitutionnelles qui sont susceptibles d’influencer la

réglementation posée par le droit privé. Et, notamment, la reconnaissance constitutionnelle de la

famille va avoir des répercussions sur le droit privé de la famille. Réciproquement, le droit civil

peut servir d’aide au droit constitutionnel : la doctrine italienne du droit vivant s’inspire largement

des normes de droit privé, comme interprétées de manière constante par la jurisprudence de la

Cour de Cassation, pour prendre en considération les dispositions constitutionnelles à la lumière

des conditions actuelles. Quelle est donc la famille constitutionnellement reconnue ?

Je vais ici étudier la famille au sens constitutionnel du terme dans les trois pays objet de la

comparaison; l’analyse comparative étant un outil privilégié pour mieux comprendre les

différentes notions dans les systèmes juridiques en cause.

Dans l’histoire de la philosophie occidentale, parfois la famille est considérée liée

indissolublement à l’Etat, parfois elle n’est reconnue que comme une libre association d’individus,

indépendante de quelconque autorité supérieure. Si l’idéal platonicien place la famille tout entière

au service d’un Etat très interventionniste, le modèle aristotélicien, bien que reconnaissant une

certaine marge de liberté au groupe familial, fait de la Cité le seul garant de la liberté et de

l’égalité, subordonnant l’autorité familiale à la volonté publique. Au Moyen Age, Thomas

d’Aquin considère la famille comme un groupe composée du mari, chef de la famille recevant son

autorité directement de Dieu, de la femme, des enfants et des serfs. Au de là de la vision

strictement religieuse, la famille, en tant que vie sociale, tend au bien être commun, supérieur à

l’intérêt individuel. Jean Jacques Rousseau, dans la Nouvelle Éloïse, considère, en revanche la

famille comme simple « union de cœurs », comme libre choix des individus, dans une vision très

proche au romantisme, qui aujourd’hui nous pouvons sans doutes rattacher à l’idée de famille

affective. A la même époque, l’idée Kantienne d’autonomie morale justifie le mariage comme le

fruit de la volonté de deux individus autonomes, volonté qui est en même temps encadrée par un

acte juridique, le contrat de mariage. Encore, pour Hegel la famille est une communauté fondée

16 LUCHAIRE François, “Les fondements constitutionnels du droit civil”, RTD Civ. 1982 p. 246 et ss ; MATHIEU Bertrand, « Droit constitutionnel et droit civil : « de vieilles outres pour un vin nouveau » , RTD Civ. 1994 p. 59.

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sur un sentiment de communion : l’affection entre ses membres. En même temps elle est une des

composantes de la société civile, communauté plus ample où les individus cherchent à satisfaire

leurs besoins économiques. Famille et société civile forment ensemble l’Etat dans le but de la

conservation de l’unité sociale : les intérêts particuliers des individus, affectifs dans la famille,

économiques dans la société civile, se résument dans une entité supérieure capable de surmonter le

conflit. Comme le rappelle le doyen Carbonnier17, Savigny avait rattaché sans regret le droit de la

famille au jus publicum : les familles sont les cellules de base dont la réunion constitue la société.

Cette contradiction entre famille institution et famille affective ne résulte pas encore

dépassée, le droit positif ne pouvant pas surmonter cette nature ambivalente de la famille, en tant

que fait social et fait juridique. Cette ambivalence peut se démontrer par l’étude de l’évolution

historique de la notion juridique de famille dans les trois pays (Section I). S’il existe, quelle est la

conception adoptée par le droit constitutionnel de la famille ? (Section II).

Section I/ Evolution du droit de la famille jusqu’à nos jours

L’évolution historique du droit de la famille peut être esquissée de manière conjointe pour

la France et l’Italie où le droit civil de la famille trouve ses racines dans le code napoléonien de

1804 (§1). En revanche, le droit de la famille au Royaume Uni ne se trouve en aucune manière

codifié, de sorte que la législation et la jurisprudence britanniques présentent un caractère plutôt

fragmentaire (§2).

§1 Individualisme et tradition dans le code napoléonien

Le code napoléon édicté en 1804 signe le dépassement de la notion patriarcale de famille

pour consacrer la famille légitime de la société bourgeoise. La famille patriarcale est

essentiellement fondée sur l’idée de la protection du patrimoine immobilier. Ainsi la famille est

17 CARBONNIER, Jean « Droit Civil-Tome 2, la Famille », Puf, 1955 p. 26 et s..

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conçue comme une famille élargie, rigidement organisée à son intérieur : l’autorité du pater

familias s’exerce librement soit sur la femme soit sur les enfants et les autres descendants. Une

évidente discrimination s’avère dans le traitement de la femme, qui ne dispose pas d’une volonté

autonome par rapport à celle du mari, et de la fille, dont les droits successoraux sont limités, ou

parfois, exclus. La famille sert ainsi à la conservation de l’ordre social et politique. Celui-ci n’est

donc pas constitué d’individus mais de familles. Egalement l’influence de l’Eglise est importante

dans l’imposition d’un modèle familial fondé sur le mariage catholique.

Dans la seconde moitié du XVIII siècle, la doctrine des lumières forge un nouveau idéal de

vie individuelle et sociale incompatible avec la structure autoritaire et hiérarchique de la famille.

La famille de la révolution française est conçue comme une famille naturelle, libre des contraintes

étatiques et religieuses. L’esprit de la codification de 1804 ressent sûrement de l’influence de la

pensée des philosophes des lumières, influence qui se relève dans la conception individuelle des

droits de l’Homme. Bien que marquant un retour à l’ordre après la Révolution, la famille protégée

étant celle de la société bourgeoise, le « code accueille les idées révolutionnaires d’individualisme

et de recherche du bonheur qui font de la famille idéale le lieu d’un épanouissement personnel et

collectif18 ». Le mariage n’est plus un sacrement indissoluble, la loi du 20 septembre 1792

admettant le divorce. Ainsi la famille est considérée comme un ensemble de personnes prises

singulièrement et titulaires de droits autonomes. Mais la famille exerce aussi une tâche essentielle

d’intérêt public : assurer l’éducation patriotique et démocratique des enfants et maintenir l’ordre

public fondé sur les principes de dignité, stabilité et unité de la famille19. Cette tâche justifie

l’ingérence de l’Etat à son intérieur et la vision laïque et civile de cette institution. Ainsi le

mariage a d’abord un caractère civil et peut être éventuellement suivi du mariage religieux. Le

divorce est légalement admis. En revanche, le concubinage n’est même pas pris en considération.

L’aphorisme de Napoléon est en effet bien connu : « les concubins se passent de la loi : la loi se

désintéresse d’eux ». Cette expression témoigne d’ une certaine logique institutionnelle : il ne

s’agit pas de protéger la famille naturelle des idéaux révolutionnaires, mais celle fondée sur le

mariage, comme réglementée par le code civil.

L’évolution du droit de la famille dans les deux pays, bien que originairement semblable,

va suivre des parcours différents tout au cours du XIX siècle.

18 Ainsi MALAURIE Philippe et FULCHERON Hugues, “La famille”, Défrenois, 2006. 19 Ainsi FORTINO Maria., “Diritto di famiglia – I valori, i principi, le regole”, Giuffrè, 2004.

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Le code napoléonien reste en vigueur en Italie pour une période de temps très limitée (de

1806 à 1814) dans un contexte social peu ouvert à son « esprit révolutionnaire ». En 1865, lors de

la première réunification du Royaume d’Italie, certains aspects de la codification napoléonienne

sont reçus, mais ils sont adaptés au caractère traditionnel de la famille italienne. Ainsi d’une part,

on met l’accent sur le caractère laïque de l’institution mariage, ce qui se reflète dans le principe de

séparation entre Etat et église résumé dans la formule de Cavour : « libera Chiesa in libero

Stato », d’autre part, certains principes d’origine et tradition chrétienne sont proclamés comme

celui de l’indissolubilité du lien conjugal ou de l’autorité supérieure du pater familias. Le divorce

devient vite interdit.

Si on regarde la situation en France à la même époque, on a assisté à un retour aux

traditions suite de la chute de l’Empire napoléonien : en 1816 le divorce qui, jusque là pouvait être

demandé même par consentement mutuel, est supprimé car contraire aux principes du

catholicisme, devenu religion d’Etat. Il sera rétabli en 1884, mais celui pour faute sera le seul à

être admis.

La période de l’Etat fasciste voit en Italie la naissance d’une nouvelle conception de

famille comme « citadelle étatique au service de la Nation ». Bien qu’en 1929 le concordat entre

Etat et Eglise, promu par Mussolini et attribuant effets civils au mariage catholique, ait admis une

importante ingérence de l’Eglise20 dans le contrôle de l’institution, l’Etat revendique tout droit

d’intervention dans la réglementation de la totalité du rapport matrimonial. Cette revendication

passe d’abord par une série de lois qui ont pour but de favoriser la constitution de la famille de

type fasciste : institution de l’impôt pour les célibataires, avantages fiscaux pour les mariés et pour

les conjoints ayants plusieurs enfants, exclusion des célibataires de la possibilité de participer aux

concours de l’administration publique ou d’avancer dans la carrière publique. Les lois raciales de

1938, du point de vue du droit de la famille, empêchent aux citoyens italiens de marier des

personnes qui n’appartiennent pas à la race arienne. Ce processus s’achève avec la codification de

1942. A la chute du régime, le décret législatif du 14 septembre 1944 n°287 élimine

formellement dans le code toutes les références explicites à l’Etat fasciste, mais la structure du

code civil en matière de droit de la famille reste fortement marquée par l’idéologie

20 L’article 34 du « Concordato Lateranense » accueille dans l’ordonnancement juridique italien la réglementation du rapport matrimonial telle que prévue, dans ses aspects substantiels et procéduraux, par le droit canonique. Voir à ce propos, CARDIA, Carlo “ Il diritto di famiglia in Italia”, Editori riuniti, 1975.

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mussolinienne : le lien entre la famille et l’Etat reste particulièrement fort, vu l’intérêt public qui

est recherché par l’institution familiale, encore ancrée sur l’autorité du pater familias. Ce qui est

source du grand débat qui s’est déroulé avant l’entrée en vigueur de la Constitution de 1948 qui

voit s’opposer, d’une part, la conception laïque de la famille naturelle, d’autre part, la conception

religieuse de la famille fondée sur le mariage. Le débat continuera jusqu’à la reforme du droit de

la famille de 1975, qui va abroger les normes du code civil permettant l’exercice de l’autorité du

pater familias et source de discrimination entre mari et femme, désormais contraires aux principes

constitutionnels.

Le même phénomène d’immixtion dans les relations familiales de la part de l’Etat se

réalise en France à la même époque : une vraie politique familiale est menée pendant les années

trente et quarante du siècle dernier. Dans la période de Vichy on essaie donc de redonner une

place importante à la famille. En effet le projet de Constitution du Maréchal Pétain à l’article 5

disposait que « l’Etat reconnaît le droit des communautés spirituelles, familiales, professionnelles

et territoriales au sein desquelles l’homme prend le sens de sa responsabilité sociale et trouve

appui pour la défense de ses libertés ». Il ne s’agissait pourtant que d’une brève parenthèse,

puisque les relations entre l’Etat moderne et la famille restent dominées par l’individu. En effet le

code civil français actuel ne conserve plus guère de dispositions du code napoléon et pourtant il

suit la même logique. La famille n’y est réglementée qu’aux travers les relations que ses membres

peuvent nouer individuellement en son sein : mariage, divorce, autorité parentale, filiation,

adoption, protection des mineurs ou des majeurs.

Au temps du Général de Gaulle, le doyen Carbonnier contribue à la mise en œuvre de la

reforme du droit de la famille par une série de lois qui ont construit ce droit tel que nous les

connaissons aujourd’hui21. Ainsi la loi du 13 juillet 196522, portant réforme des régimes

matrimoniaux, rend effective la capacité juridique de la femme mariée. Le mari ne peut plus

s'opposer à l'exercice par son épouse d'une profession séparée. La loi établit l'égalité des époux

dans la gestion des biens et introduit la communauté réduite aux acquêts. Cette dernière, en

absence de contrat de mariage, devient le régime légal. La loi du 4 juillet 1970 substitue l'autorité

parentale conjointe à la notion de « chef de famille ». Ainsi « Les époux assurent ensemble, la

direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l'éducation des enfants et préparent

21 La dernière loi est celle relative à la protection juridique des majeurs adoptée le 5 mars 2007. 22 Loi n° 65-570 en matière de régime des rapports patrimoniaux entre époux.

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leur avenir ». L'égalité dans l'autorité parentale est cependant réservée aux couples mariés. La loi

n° 87-570 du 27 juillet 1987, interviendra pour étendre l’autorité parentale aux couples non mariés

et à ceux divorcés. Après un siècle, le divorce pour consentement mutuel et pour rupture de la vie

commune est réintroduit par la loi 75-617 du 11 juillet 1975, pour s’ajouter au divorce pour faute.

En même temps, l’adultère n’est plus considéré un délit pénal. L’égalité entre mari et femme est

renforcée par le droit reconnu à chaque époux, de passer seul des contrats ayant pour objet

l’entretien du ménage et l’éducation des enfants. Ainsi chaque époux a l’obligation de contribuer

aux charges du mariages en proportion de ses facultés respectives. L’épouse acquiert le droit de

choisir sa profession sans le consentement du conjoint23. Successivement, le principe d’égalité est

établi même en matière d’administration des biens communs24.

Une étude récente du Conseil d’orientation des retraites25 met en évidence le fait

qu’aujourd’hui « la famille paraît davantage perçue comme un espace purement privé dont l’Etat

s’abstient de favoriser en principe un mode d’organisation. Le droit civil tend à être moins

interventionniste sauf à régler des conflits ou à protéger certains intérêts comme ceux de l’enfant.

Le droit fiscal reconnaît explicitement l’existence de la famille, notamment à travers la prise en

compte du foyer fiscal dans l’imposition sur le revenu, la famille étant considérée comme une

unité économique et sociale, support et sujet du droit. Le droit social, libéral dans sa conception

de la personne à charge qui embrasse une grande diversité de situations, semble peu directif par

rapport aux choix individuels de configurations familiales». Encore l’étude constate que « la

notion de pluralisme du droit de la famille s’introduit en droit positif à la suite des réformes

successives. Elle est fondée sur l’idée que le droit ne doit plus imposer de modèle familial mais

laisser aux individus le choix des options ». On parle donc de contractualisation et libéralisation

du droit de la famille. Surtout la traditionnelle conception immorale du concubinage a été

dépassée, d’abord en 1993, par la première consécration dans le code civil du droit à l’autorité

parentale pour les parents non mariés26, ce qui, plus récemment a conduit la France à adopter la

23 Loi n° 75-1372 du 13 juillet de 1975 relative aux régimes matrimoniaux. 24 Loi 23 décembre 1985. 25 Conseil d’orientation des retraites « La notion de famille dans les différentes branches juridiques », Séance plénière du 27 juin 2007. 26 C’est l’article 372 du code civil qui autorise les parents non mariés à exercer en commun l’autorité parentale à condition qu’ « ils vivent en commun au moment de la reconnaissance concomitante ou de la seconde reconnaissance » ; pour approfondir l’évolution du droit de la famille DEKEUWER-DEFOSSEZ, Françoise « Droit des personnes et de la famille : de 1804 au PACS (et au de là), Pouvoirs n°107/2003, p. 37 et s..

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législation sur le PACS27. Le professeur Thierry Revet va même jusqu’à considérer que l’union

matrimoniale « se ramène à une libre association sexuelle en vue d’une vie commune, nouée entre

deux personnes entendant de moins en moins voir leur individualité altérée par la conjugalité28 ».

A cette idée de contractualisation on peut pourtant opposer le fait qu’en matière familiale,

les normes du code civil relatives au contrat, et notamment les articles 1107 et s, ne trouvent pas à

s’appliquer. Il n’y a pas véritablement de liberté contractuelle puisque seuls certains « statuts

législatifs prédéterminés 29» sont admis par la loi. L’individu peut librement choisir de se marier et

de faire des enfants, mais, à cette fin, des conditions spécifiques doivent être remplies : conditions

d’âge, de sexe, d’exogamie et de monogamie en matière de mariage, coïncidence entre filiation

juridique et filiation naturelle. On voit bien ici que dans ce sens la famille est une institution.

 

§2 Le caractère fragmentaire du droit de la famille britannique

La Grande Bretagne de sa part a vécu la même évolution que la France et l’Italie, sauf qu’il

n’y a jamais eu de codification.

En vérité en Angleterre et en Galles, ainsi qu’en Ecosse, le mariage dit de Common Law,

par lequel on entend par tradition la famille de facto, c'est-à-dire le couple non marié vivant

ensemble, a été admis très tôt dans l’histoire. Il a été supprimé en 1753 par le « Clandestine

Marriage Act », seul l’Ecosse l’admettant encore. L’acte en question rend nul and void le mariage

qui n’était pas publiquement célébré dans une Eglise, suivant les horaires imposés par le droit

canonique. Si les époux sont âgés de moins de 21 ans, le consentement des parents est rendu

obligatoire. Ainsi, par la suite, le mariage monogame et hétérosexuel est le seul à être accepté par

les principes du christianisme. Une décision de 1866 « Hyde v. Hyde and Woodmase30 » définit

par exemple le mariage comme « l’union libre pour la vie entre un homme et une femme, à

l’exclusion de toutes les autres personnes ».

27 Loi du 15 novembre 1999 sur le Pacte civil de solidarité. 28 REVET, T. RTD civ. 2000, 173, cit. Étude du Conseil d’orientation des retraites citée. 29 FENOUILLET, Dominique « La contractualisation ou institutionnalisation des activités privées ? », in « Contrat ou institution : un enjeu de société », LGDJ 2004, p. 103 et s.. 30 [1866] LR 1 P & D 130.

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Cette conception est dominante tout au cours des années ’50 du siècle dernier, comme se

reflétant aussi dans les dispositions du Traité de Rome et de la Convention Européenne de

sauvegarde des droits de l’homme.

La famille fondée sur les liens de sang et sur le mariage religieux, cède aujourd’hui la

place à une famille plus moderne, qui, pourtant, ne trouve pas de définition précise à l’intérieur de

la législation britannique. Cette dernière est considéré schizophrénique et chaotique31, tant que

pour trouver une définition de ce qui est considérée être une famille par la loi, il ne reste qu’à la

chercher dans les différentes branches du droit qui composent le droit de la famille. Par exemple

la famille peut être définie, comme le fait Anne Barlow32, suivant les évolutions législatives

relatives au droit au logement. De cette manière, la plupart des dispositions sur le droit de la

famille se trouvent inscrites dans des instruments statutaires, c'est-à-dire dans les lois édictées par

le Parlement. Les actes parlementaires parfois imposent des règles bien précises, parfois laissent

une marge de manœuvre assez importante aux pouvoirs exécutif et judiciaire. Dans ce dernier cas,

le pouvoir d’interprétation du juge est considérable, tant qu’on peut considérer que certaines règles

relatives au droit de la famille soient directement issues de la Common Law. Ainsi dans l’affaire

« White v. White33» la House of Lords a fait de l’Equity l’instrument de mesure, la forme de

contrôle, de ligne directrice, de point de départ34 dans l’appréciation des sommes d’argent à

attribuer aux conjoints en cas de divorce.

Les définitions de famille et de droit de famille présentent donc Outre manche les mêmes

difficultés théoriques rencontrées en France et en Italie, d’autant plus que le sens pratique des

britanniques comporte le refus de leur part de figer un phénomène social, tel que la famille, dans

une quelconque définition de droit positif. Le droit de la famille présente « une nature

discrétionnaire35 » qui empêche aux instances de premier et deuxième degré d’appliquer

mécaniquement les précédents aux affaires qui subviendront en futur. L’objet principal de ce

pouvoir discrétionnaire est celui de permettre au juge de prendre une décision la plus proche

possible des besoins de la famille en cause.

31 BARLOW, Anne « Regulation of cohabitation, changing family policies and social attitudes : A discussion of Britain within Europe », Law and Policy January 2004, 57 :85. 32 Op. cit. p. 12. 33 [2000] 2 FLR 981. 34 Les termes utilisés sont « yardstick, form of check, guideline, starting point ». 35 HARRIS-SHORT Sonia et MILES Joanna « Family Law-texts, cases and materials », Oxford, 2007 p. 7.

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La plupart des ouvrages dédiés au droit de la famille au Royaume Uni mentionnent la

notion de droit de famille donnée par Lord Evershed MR dans l’ouvrage titrée « A Century of

Family Law » comme point de référence principal en la matière. Selon cette formule

traditionnelle, le droit de la famille est constitué « d’une série d’instruments de référence de notre

droit, soit statutaires soit issus des règles de la Common Law ou de l’Equity, comme affectant

directement l’unité essentielle de la structure sociale anglaise, la famille36 ». A bien regarder cette

définition, Lord Evershed ne fait que rappeler l’un des caractères fondamentaux de la famille,

c'est-à-dire, reprenant l’expression utilisée par le Doyen Carbonnier37, le fait d’être en même

temps « phénomène de droit et phénomène de mœurs », ce qui résulte évident même de la

formulation de compromis de l’article 29 choisie par le Constituant italien.

Section II/ Famille et Constitutions

Face au désintérêt montré par le droit civil vis-à-vis du groupe familial, à l’émergence

d’une notion moderne de cellule familiale qui se passe du lien conjugal, quelle est la position du

droit constitutionnel ? Est-ce qu’il a évolué avec les transformations sociales, ou au contraire, est-

ce qu’il impose un modèle de famille déterminé, seul à pouvoir être protégé

constitutionnellement ? Je vais dans un premier temps analyser les facteurs qui plaident pour une

vision institutionnelle de la famille (§1), pour ensuite voir concrètement quel est le marge de

manœuvre que le droit constitutionnel laisse au législateur dans la réglementation de la vie

familiale (§2).

36 « a convenient means of reference to so much of our law, whether statutory or found among the rules of common law or of equity, as directly affects that essential unit of the English social structure, the family”(Evershed, 1957, pp. vvi-viii, cit. PROBERT Rebecca “Family life and the Law under One Roof”, Ashgate, 2007). 37 CARBONNIER, Jean “Famille, législation et quelques autres” in “Flexible droit”, LGDJ 2001.

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§1  L’Institution Famille : la famille reconnue et protégée par le droit constitutionnel  

« La famille n’est pas un objet explicite du code civil […] objet social et collectif la famille

n’est appréhendée par le droit qu’au moyen de techniques individualistes38 ».

Dans ce contexte le droit public a pour vocation de proposer une conception alternative de

la famille par rapport à celle fournie par le droit privé qui a dominé la matière jusqu’aujourd’hui.

Ainsi des nombreux droits « d’essence publique ou semi-publique39», pour utiliser les mots du

Professeur Murat40, sont intervenus dans le domaine traditionnel du droit privé pour réglementer

les politiques familiales contemporaines.

D’autant plus nombreux instruments internationaux41 et constitutions de plusieurs pays, se

préoccupent de protéger la famille dans son rapport avec l’Etat. Parfois la vision traditionnelle de

la famille fondée sur le mariage est expressément consacrée par les Constitutions nationales.

Parmi celles-ci42 on retrouve aussi la Constitution italienne qui, dans son article 29, reconnaît la

famille comme « société naturelle fondée sur le mariage » (A). La Constitution française de

1958, en revanche, ne mentionne même pas la famille. Dans le bloc de constitutionnalité, seul le

préambule de la Constitution de 1946 protège la famille de manière générale, l’insérant parmi les

nouveaux droits de l’homme situé dans les conditions particulières de notre temps (B). Le droit

constitutionnel britannique est en partie constitué des actes parlementaires et de la jurisprudence

de Common Law. En matière de droit de famille, cette dernière joue un rôle principal dans

l’appréciation du modèle familial à protéger (C).

38 MILLARD, Eric « Le droit constitutionnel de la famille », in « Code civil et Constitution(s) »sous la direction de VERPEAUX, Michel journée d’études du 25 mars 2004 à l’Assemblée nationale. 39 On fait référence au droit fiscal, au droit administratif, au droit social. 40 MURAT, Pierre « Droit de la famille », Collection Dalloz 2008-2009, p.16 et s.. 41 Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1950; Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1996 ; Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe du 18 octobre 1981. 42 Parmi les textes constitutionnels qui font référence expresse au mariage comme fondement de la famille on retrouve la loi fondamentale allemande (art 6), la Constitution grecque (art 21), la Constitution irlandaise (art 41).

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A/ Les multiples interprétations de l’article 29 de la Constitution italienne

En Italie l’article 29 de la Constitution est le résultat d’un clair compromis entre les deux

forces faisant partie de l’Assemblée Constituante de 1946 : d’une part, le parti démocrate-chrétien

(DC) supporteur de l’Eglise et des exigences catholiques, d’autre part les partis socialiste et

communiste, représentants de la vision laïque de la société. Dans un domaine comme celui du

droit de la famille, si étroitement lié aux évolutions sociales, un tel compromis résulte évident de

la même formulation de la disposition en question : « la famille est une société naturelle fondée

sur le mariage ».

La conciliation entre logique « jus naturaliste » et « institutionnelle » est indéniable. D’une

part la Constitution « reconnaît » la famille en tant que société naturelle, c'est-à-dire prend acte du

fait de sa préexistence au droit et la protège. D’autre part elle la fonde sur l’institution mariage.

Même si lors des débats en Assemblée Constituante les catholiques ont utilisé l’argument selon

lequel la société naturelle est justement celle fondée sur le mariage religieux43, il me parait évident

de la lettre de l’article, que l’intention d’une partie de cette Assemblée était celle de pouvoir

donner une définition de famille laïque, indépendante d’une quelconque évocation religieuse.

Cesare Salvi44 considère, à ce propos, que la formulation de l’article 29 a permis la rencontre de

deux jus naturalismes, celui laïque et celui théologique.

De toute façon on pourrait soutenir avec Roberta Biagi Guerini45 que la formulation de

l’article 29 choisie par les Constituant a permis à la reforme du droit de la famille italien de 1975

de constituer la première mise en œuvre des dispositions constitutionnelles en matière de famille.

Le fait que les deux forces politiques les plus représentatives du pays aient rejoint un compromis,

a eu l’avantage de laisser une plus grande marge de manœuvre au législateur que si seulement une

de deux visions, celle laïque ou celle catholique, aurait prévalu. De ce point de vue, il faut

considérer que l’intention de l’Assemblée constituante était celle de laisser libre le législateur de

23Cf. la position de juristes tels que Santoro et Passerelli selon laquelle la naturalité de la famille comporte son caractère immuable dans le temps. Par conséquent le mariage ne peut être que considéré indissoluble, le pater familias exerce une autorité vis-à-vis des autres membres de la famille, les fils légitimes bénéficient d’un traitement de faveur par rapport aux fils naturels. 44 SALVI, Cesare “La famiglia tra neogiusnaturalismo e positivismo giuridico” in www.astridonline.it, 30 mars 2007 n°47. 30 BIAGI GUERINI, Roberta “Famiglia e Costituzione”, Seminario giuridico dell’Università di Bologna, Giuffrè 1989.

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réglementer l’institution familiale par conciliation de deux thèses en question, ce qui s’est passé

lors de la première grande reforme du droit de la famille de 1975.

Mais encore faut-il se demander si le droit de la famille au sens constitutionnel du terme,

trouvant sa garantie dans l’article 29 de la Constitution, reconnaît la famille comme une valeur en

soi à protéger au de là des intérêts individuels des membres qui la composent. Autrement dit, est-

ce que la logique constitutionnelle dépasse la logique du code civil fondée sur la protection de

l’individu en tant que tel et non pas en tant qu’appartenant à un groupe ?

Pour répondre à la question, encore faut-il lire l’article 29 en combinaison avec l’article 2

de la Constitution qui proclame l’une des valeurs portantes de l’ordonnancement juridique italien.

Comme la formulation de cette disposition le suggère, cet article, à différence du précédent,

ressent de la seule influence de la doctrine socialiste-marxiste : « La République reconnaît et

garantit les droits inviolables de l’homme, aussi bien en tant qu’individu que dans les formations

sociales où se développe sa personnalité, et exige l’accomplissement des devoirs imprescriptibles

de solidarité politique, économique et sociale ». Cette doctrine considère donc que parmi les

formations sociales où l’individu peut développer sa personnalité, on retrouve aussi la famille.

De cette lecture combinée, les auteurs en ont tiré des conceptions différentes de la famille

constitutionnellement protégée.

Certains46 ont cru voir dans la formulation de deux articles la volonté du législateur

constituant d’assurer une prééminence de l’intérêt supérieur de la famille, du groupe, sur l’intérêt

individuel de ses membres, cela en raison du fait que l’article 2 a pour but de protéger les

formations sociales.

Les privatistes47 ont mit l’accent sur la protection de l’individu et ont donc donné une

lecture fonctionnelle de l’article 2. La famille n’est pas une organisation hiérarchique, caractérisée

par l’exercice de l’autorité du pater familias sur les autres membres, mais un ensemble de

personnes égales entre elles. Le groupe devient l’instrument nécessaire à l’individu pour

développer sa personnalité, d’où le rôle fonctionnel réservé à cette disposition. Les normes

46 SANTORO, PASSARELLI, “Significato attuale del diritto nell’organizzazione e nella vita della famiglia”, Padova 1972 p. 219, cit. BIAGI GUERINI op. cit., p. 74. 47 BESSONE, “Dal principio di autorità al modello di famiglia degli artt. 2-29 comma 2 della Costituzione. L’eguaglianza dei coniugi e le direttive di garanzia dell’unità familiare”, Giur. Cost. 1975, p. 26 et s..

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constitutionnelles en matière de famille consacreraient alors des « droits subjectifs publics »

reconnus à l’individu en fonction de la réalisation d’un intérêt qui ne lui est pas propre mais qui,

au contraire, appartient à tout l’ordonnancement juridique. Par conséquent il ne peut y avoir

garantie constitutionnelle du droit individuel que si ce droit est exercé par l’individu dans les

limites posées par l’ordonnancement juridique lui même. Mais la Constitution a-t-elle imposé un

modèle déterminé de relations familiales ?

Selon Roberta Biagi Guerini48 la réponse doit être négative. Elle soutient que l’article 29,

bien que ne constituant pas une norme « en blanc » qui laisse la détermination de la structure de la

famille aux évaluations sociales d’une époque déterminée, veut garantir un espace de liberté à

l’autonomie individuelle. Le terme « reconnaît » dans cette optique n’indique ni l’attribution de

personnalité juridique à la famille ni considérations de type jus naturaliste. Le terme laisserait

libres les individus de choisir leur propre type de cellule familiale. Par conséquent, la famille

comme protégée par la Constitution engloberait soit la famille fondée sur le mariage au sens

catholique du terme, soit celle inspirée des principes laïques. On ne resterait plus enfermés dans

ces deux catégories, puisque, de cette façon, plusieurs modèles familiaux seraient susceptibles de

recevoir protection.

Bien que sans doute, et comme déjà souligné, cette solution est celle plus proche à

l’intention du Constituant lors des débats à l’Assemblée, ayant produit comme résultat le

compromis mis successivement en œuvre par la grande reforme du droit de la famille de 1975, il

est possible de critiquer cette thèse sous plusieurs aspects.

De ce point de vue, la position du Professeur Ruggeri49 me parait intéressante et plus

proche aux problématiques actuelles : si on s’arrête aux données positivistes, la lettre de l’article

29 est claire. La famille est une société naturelle fondée sur le mariage. Les autres familles, c'est-

à-dire celles qui ne se fondent pas sur le mariage, ne peuvent pas être constitutionnellement

protégées, au moins suivant la lettre de cet article. Elles peuvent s’appeler « unions para

familiales », « familles de fait » mais elles ne constituent pas la famille stricto sensu comme

conçue par la Constitution. Le mariage dont on parle à l’article 29 est surement changé avec le

temps : d’abord un mariage catholique, aujourd’hui un mariage civil. Du reste la Constitution ne

48 BIAGI GUERINI Op. Cit. p. 83. 49 RUGGERI, Antonio “Idee sulla famiglia e teoria (e strategia) della Costituzione”, Quaderni costituzionali n°4/2007, p. 751 et s..

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dispose pas que le mariage doit être celui reconnu par l’Eglise. Mais, surement de manière

contradictoire (et la contradiction naît toujours du compromis précité), la Constitution consacre

d’abord la naturalité du fait « famille », pour ensuite la fonder sur une construction juridique, le

mariage. Au lieu de chercher un nombre indéterminé de modèles naturels de famille, il faudrait

plutôt déterminer quel est celui choisi par l’ordonnancement juridique italien. La naturalité dont

on parle à l’article 29 se réduit dans ce sens à ce qui est ressenti par la société, à ce qui, par

tradition et usage, est socialement admis. Et selon le même auteur, de cette conception

traditionnelle fait partie intégrante le mariage constitué de deux éléments : 1. l’union entre deux

personnes ; 2. l’union entre deux personnes de sexe opposé. Par conséquent le mariage reconnaît

la famille et, en même temps, la fonde. Le mariage n’est pas une « boite » susceptible d’être

remplie par le législateur selon sa volonté. Les changements contingents de notre société ne

peuvent pas prétendre de transformer le sens juridique de l’institution mariage ; ce sont ces

changements qui doivent s’adapter à la structure mariage déjà existante, faute de rendre

indifférents à la définition de ce dernier soit l’élément « différence de sexe », soit l’élément

« couple ».

Cela ne signifie pas que les unions qui ne peuvent pas être considérées « mariages » au

sens constitutionnel du terme ne doivent pas recevoir protection. Tout au contraire elles ne

peuvent pas être niées, mais elles trouvent d’autres fondements constitutionnels. Ainsi la Cour

Constitutionnelle depuis 198650 protège la cohabitation en tant qu’elle « constitue l’une des

formations sociales où se développe la personnalité de l’Homme » au sens de l’article 2 de la

Constitution. Même l’article 3 du texte constitutionnel a servi de fondement pour exclure

quelconque discrimination entre rapport de cohabitation et rapport matrimonial. Dans une autre

décision la Cour tient à préciser qu’il existe une différence entre mariage et cohabitation de facto

et que cette différence relève du même choix des parties : attribuer à la cohabitation les mêmes

effets du mariage, avec les droits et surtout les obligations qui en découlent, constituerait une

atteinte inadmissible à la liberté de choix des individus entre mariage et cohabitation51.

50 Corte Costituzionale déc. 13 février 1986 n°237. 51 Corte Costituzionale déc. 6-3 mai 1998 n°166/1998 § 3.

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B/La formulation laconique de la Constitution française

En France, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne protège pas la

famille en soi, ne s’intéressant qu’aux droits et libertés de l’homme pris individuellement. Le

Préambule de la Constitution de 1946 qui s’intéresse pour la première fois aux droits économiques

et sociaux, mentionne la famille, même si de manière un peu laconique, dans deux alinéas.

L’alinéa 10 dispose que « La Nation assure à l’individu et à sa famille les conditions nécessaires

à leur développement » ; ensuite, l’alinéa 11, affirme qu’« elle garantit à tous, notamment à

l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le

repos et les loisirs.». Comme on voit la famille n’est en aucune manière définie. A différence de la

Constitution italienne, celle française n’impose pas que le mariage constitue le fondement de la

famille. D’ailleurs, elle ne fait aucune référence à un éventuel caractère jus naturaliste du « fait »

famille.

Par conséquent, est-ce qu’il est correct de considérer qu’en France il n’existe pas un droit

constitutionnel de la famille, c'est-à-dire « un ensemble des normes applicables à un objet bien

conçu, la famille52» ?

Selon Eric Millard53, la conception individualiste des droits de l’homme, depuis le siècle

des lumière jusqu’à aujourd’hui, a empêché au législateur d’attribuer à la famille une personnalité

juridique. Si la loi est muette sur l’attribution de personnalité morale à la famille, elle n’exclue pas

une telle possibilité. Après avoir énoncé les deux courants doctrinaux principaux qui plaident pour

la personnalisation de la famille54, l’auteur exclut une telle conclusion considérant que l’absence

de personnalisation est un acte de volonté du législateur.

Cette thèse est critiquable si on considère que le préambule de la Constitution de 1946 a

servi de fondement au Conseil Constitutionnel dans la reconnaissance de droits nouveaux, comme

le droit à mener une vie familiale normale. La formulation du Préambule est, certes, générale et

52 MILLARD Eric « Le droit constitutionnel de la famille », in « Code civil et Constitution(s) » sous la direction de VERPEAUX Michel, journée d’études du 25 mars 2004 à l’Assemblée nationale. 53 MILLARD, Eric op. cit. p. 31 et s.. 54 On fait référence d’une part à René Savatier qui soutient que la famille est une personne morale méconnue, et d’autre part à Jean Carbonnier qui, en revanche, croit que la famille soit une personne morale réduite à la société conjugale.

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très vague, mais elle a servi de fondement au développement d’un droit constitutionnel de la

famille.

Le Professeur Millard considère lui même que « la famille apparaît comme le référent d’un

ensemble de règles juridiques qui, en assurent, elles mêmes la protection55 ».

Cette thèse se rapproche à celle de la doctrine privatiste italienne dans l’interprétation

combinée des articles 2 et 29 de la Constitution. Dans les deux courants, l’intérêt de l’individu ne

lui est pas propre, puisqu’ il se trouve à être finalisé dans l’intérêt collectif du groupe.

Mais la thèse d’Eric Millard va encore plus loin : bien que la Constitution française soit

muette sur ce point, il n’en reste pas moins que la famille est une institution juridique. La théorie

de l’institution développée par Hauriou est ici appliquée à la famille: en son sein, il n’y a aucune

hiérarchie entre intérêt du groupe et intérêt individuel. Les deux intérêts s’opposent mais en même

temps se concilient, dans « une relation dynamique et créatrice de l’individu au groupe et du

groupe à l’individu56 ». Ainsi, « la construction par le droit public d’un objet « famille » doit

pouvoir ainsi être comprise à partir des relations qui se déroulent dans le champ social entre deux

institutions de même nature, la famille et l’Etat, cette construction juridique étant située comme la

réponse politique d’une des institutions à l’autre, dans l’espace social […]57 ». L’Etat attribue aux

individus qui composent la famille certaines fonctions, il « construit juridiquement la relation

qu’il entretient avec elle [la famille], en habilitant les individus à exercer des droits et des

obligations dans le cadre familial, par exemple l’autorité parentale, en fixant le sens dans lequel

ils doivent être exercés58 ». Selon l’auteur, les fonctions familiales sont considérées par le droit

public un droit fondamental, de sorte que ce droit en organise la protection.

Même la doctrine italienne n’est pas restée insensible à la pensée institutionnelle

d’Hauriou. Reprenant presque les mêmes termes, un auteur italien des années cinquante a

considéré que « placer au même plan famille et Etat comme phénomènes sociologiques, et

considérer la première comme cellule du second, acquiert un significat réel et profond, dès lors

que, […] on voit dans la famille, comme fait sociologique, le fruit d’une force de cohésion, d’une

55 MILLARD, Eric Op. Cit. p. 69. 56 MAZERES, Jean-Arnaud, Préface op. cit. Millard. 57 MILLARD, Eric Op. cit. p. 112. 58 MILLARD, Eric Op. cit. p. 122.

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énergie vitale qui découle du plus élémentaire et naturel des principes étiques, en vertu duquel

l’indestructible force vitale en reste quand même dominée59 ».

C/ La jurisprudence de Common Law

La Grande Bretagne, il est notoire, ne présente pas de Constitution écrite. Cela ne signifie

évidemment pas qu’il n’existe pas un droit constitutionnel. Les principes fondants de l’ordre

juridique britannique, tels que la souveraineté parlementaire ou la Rule of Law ont construit le

droit constitutionnel comme constitué de plusieurs sources : les Statutes parlementaires, la

Common Law, les Conventions qui par tradition sont encore suivies au sein des institutions

étatiques.

En matière de droit constitutionnel de la famille, si on peut parler ainsi, il faut se référer à

la jurisprudence de Common Law et à son évolution. Pendant les années cinquante la famille est

conçue de manière traditionnelle, trouvant son fondement dans l’acte de mariage, ou au moins

dans la vie de couple avec des enfants. Ainsi dans l’affaire « Gammas c/Etkins 60», le juge a

considéré un abus de la langue anglaise le fait de traiter le couple de fait comme cachant un couple

marié et donc comme une unité familiale. Plus tard, en 1984 dans l’affaire « Burns v Burns61 » le

juge cède au Parlement la compétence en la matière. Le pouvoir législatif intervient donc avec une

série des recommandations au sein de la « Law Commission » appelées « Cohabitation : the

Financial Consequences of Relationship breakdown (Cm 7182) ». Ces recommandations avaient

pour objectif celui de permettre au couple de fait de recevoir des avantages financiers, ce qui

montre une première tendance vers le dépassement de la notion traditionnelle de famille.

Toutefois, encore en 1986 avec une décision « Harrogate Borough Council v Simpson62 », la cour

refuse de traiter de façon similaire le couple marié avec le couple homosexuel. C’est plus

récemment, et notamment en 1999, dans le cas « Fitzpatrick c/Sterling House Association Ltd63 »

59 CICU, “Principi generali del diritto di famiglia”in Riv. Trim. di dir. e proc. civ., 1955 p. 11, cit. CARDIA, Carlo, Op. Cit. p. 125 60 [1950] 2 All ER 140. 61 Burns v Burns [1984] 1 All Er 244, [1984] 2 WRL 582. 62 [1986] 2 FLR 91, [1986] Fam Law 359. 63 [1999] 4 All ER 705, [1999] 3 WLR 113.

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que l’image de la famille traditionnelle a été révolutionnée. Le couple homosexuel est reconnu

pouvant constituer une famille aux termes du « Rent Act 1977 », bien avant l’adoption du « Same

sex Partership Act » de 2004. Certes, la House of Lords précise que le couple homosexuel ne peut

pas rentrer dans la définition « living as husband and wife » fournie par la loi, mais cette affaire

est d’autant plus importante si on considère que le juge se donne lui même l’obligation, par le

biais de ses décisions, de prendre en considération les changements sociaux qui se sont produits à

l’intérieur de la vie familiale. Finalement en 2004 la House of Lords, dans l’affaire « Ghaidan

c/Godin-Mendoza64 », considère que les homosexuels vivant ensemble doivent pouvoir être

considérés comme couple, « spouses », faute de porter atteinte aux articles 8 et 14 de la

Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

Est-ce que cela signifie qu’il n’existe pas de famille institutionnelle ? Quels sont les

critères utilisés par les juges pour protéger une telle famille plus qu’une autre ?

La réponse à la première question semble négative. Même au Royaume Uni il existe une

famille institutionnelle, c’est la famille fondée sur le mariage. Le mariage comporte une série

d’avantages qu’une simple cohabitation ne fait pas surgir. Sauf qu’une disposition législative ou

une décision de justice peuvent faire varier d’un cas à l’autre l’idée de cohabitation. Barlow et

James65 fournissent à ce propos certains exemples. En matière de contribution à la sécurité sociale,

le « Social Security Contributions and Beneficts Act » de 1992, dans sa section 32, considère le

couple non marié de la même façon qu’un couple marié, « as husband and wife », dès lors que

certaines conditions, définies par le juge dans l’affaire « Crake v Supplementary Beneficts

Commission 66», sont respectées, et notamment : il doit s’agir d’un couple de sexe opposé, vivant

sous le même toit, ayant une relation stable et durable dans le temps, s’aidant mutuellement du

point de vue financier, ayant des relations sexuelles, des enfants et une relation « publique », c'est-

à-dire pas cachée. Comme on voit, les critères à respecter sont nombreux. Dans d’autres domaines,

comme en matière successorale, la condition « relations sexuelles » n’est pas requise. Bien que

l’Inheritance Act de 1975 requiert que l’héritier ait vécu avec le de cujus sous le même toit « as

64 [2004] UKHL 30, [2004] 2 All ER 411. 65 BARLOW A., JAMES G., “Regulating marriage and cohabitation in 21st Century Britain”, The Modern Law Review (2004) 67(2): 143:176. 57 [1982] 1All ER 498.

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husband and wife » pour une période d’au moins deux ans, le juge, dans l’affaire « Re Watson

Deceased67» a interprété la lettre de la loi de façon assez libérale.

A démonstration du fait que même au Royaume Uni il existe une famille institutionnelle,

on peut citer par exemple le White Paper de l’année 2002 intitulé : « Secure Borders, Safe Haven

(Cm 5387) qui affirme : « a marital partnership should be formed of only one man and only one

woman – we do not recognize polygamous households ». Dans cette affirmation on ne lit pas

seulement le refus du mariage polygame, mais aussi du mariage homosexuel. Ce qui revient à

démontrer que le mariage est composé de deux éléments : le couple et la différence de sexe. Le

mariage ainsi conçu constitue le fondement de la famille constitutionnellement protégée.

§2 Quel est le marge de manœuvre laissé par le Constituant au législateur ?

En France « le code civil demeure la source substantielle et le droit constitutionnel n’a pas

pour vocation de traduire les choix du moment, mais bien plutôt d’assurer le cadre (et la

possibilité) de ces choix 68». La Constitution, n’imposant pas un modèle défini de famille, laisse

une grande marge de manœuvre au législateur dans l’adoption des principales règles en la matière.

Il convient aussi de rappeler que la conciliation entre droits fondamentaux en France est

essentiellement œuvre du Parlement législateur69. L’article 34 de la Constitution laisse le pouvoir

législatif compétent dans la détermination des règles concernant les garanties fondamentales

accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. De sa part, le Conseil

Constitutionnel considère en général de ne pas disposer d’un pouvoir d’appréciation identique à

celui du législateur, sauf dans le cas où celui-ci commet une erreur manifeste d’appréciation70.

67 [1999] 1FLR 878. 68 MILLARD Eric, « Le droit constitutionnel de la famille », in « Code civil et Constitution(s) » sous la direction de VERPEAUX Michel, journée d’études du 25 mars 2004 à l’Assemblée nationale. 69 MATHIEU Bertrand, VERPEAUX Michel, « Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux », LGDJ 2002 p. 472 et s.. 70 Cf. par exemple la décision 92-316 DC où le Conseil rappelle qu’il « n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu’il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assigné le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé ».

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Le Parlement suit donc les évolutions sociales et, par exemple, adopte la loi sur le PACS,

entrée en vigueur suite à une véritable réécriture de la part du le Conseil Constitutionnel71. C’est

donc le juge constitutionnel qui garantit la correcte application par le législateur des normes

constitutionnelles, dès lors que la loi montre un caractère plutôt lacuneux. Ainsi, dans la décision

sur le PACS le Conseil Constitutionnel a utilisé une technique interprétative jamais mise en

œuvre : face à l’absence de définition de la vie commune objet de la nouvelle forme contractuelle,

le Conseil considère que « la notion de vie commune ne concerne pas seulement une communauté

d'intérêts et ne se limite pas à la cohabitation entre deux personnes, la vie commune mentionnée

par la loi déférée suppose, outre une résidence commune, une vie de couple ».

Mais les interventions du Conseil Constitutionnel en matière de droit de famille sont très

rares. A ce propos Jean Hauser72 soutient qu’en France le fait de limiter la saisine du juge

constitutionnel au recours de la part du Parlement ou du gouvernement, à l’exclusion donc de la

saisine individuelle, la rend « abusivement politisée ou médiatisée » tant que le Conseil n’est

amené à répondre qu’à des questions secondaires, notamment celles qui ont plus fait débattre

l’opinion publique. Ce qui a pour conséquence de laisser la place libre aux juridictions

supranationales, en particulier à la Cour Européenne des droits de l’Homme73.

Le Conseil Constitutionnel a d’abord consacré le droit à mener une vie familiale normale

comme principe à valeur constitutionnelle. C’est pour cette raison que le Professeur Millard

considère que le droit public a choisi comme critère de protection de l’institution familiale, celui

de la normalité. On constate que parmi les décisions les plus importantes que les juges

constitutionnels ont rendues en la matière, celles qui concernent les étrangers ne sont pas

négligeables. Cela signifie que souvent la redéfinition de la conception juridique de famille passe

par la réglementation du statut constitutionnel de l’étranger.

Ainsi par la décision n°93-325 DC du 13 aout 1993, le Conseil Constitutionnel, de manière

conforme aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, consacre la liberté

de mariage comme « une des composantes de la liberté individuelle » d’où découle aussi le droit à

mener une vie familiale normale. C’est une consécration à portée générale, le droit à mener une

71 CC n° 99-419 du 9 novembre 1999, MATHIEU Bertrand, VERPEAUX Michel, « Chronique de jurisprudence constitutionnelle », LPA, 26 juillet 2000 n° 148, p. 11. 72 HAUSER, Jean “Le Conseil Constitutionnel et le droit de la famille”, Cahiers du Conseil Constitutionnel n°16/2004 p. 104 et s..

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vie familiale s’appliquant aussi bien aux étrangers qu’aux nationaux. Il est évident que la

reconnaissance de ce droit vis-à-vis des étrangers a une portée pratique beaucoup plus importante.

Bien que de manière générale les étrangers ne peuvent pas être assimilés aux nationaux car ils ne

peuvent pas bénéficier d’un droit général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national,

certains droits et libertés fondamentaux sont reconnus, de manière uniforme, à tous ceux qui

résident sur le territoire74. De ce point de vue, les jurisprudences constitutionnelles française et

italienne coïncident : dans une décision de 199475 la Cour Constitutionnelle italienne a affirmé que

« lorsqu’il s’agit d’assurer la garantie des droits inviolables de l’homme […] le principe

constitutionnel n’admet pas de discriminations entre la situation du citoyen et celle de

l’étranger76 ». Cette affirmation se fonde sur le principe d’égalité tel que consacré par l’article 2

de la Constitution italienne. Ainsi parmi ces droits et libertés reconnu à tous, sans distinction de

citoyenneté, on retrouve justement le droit à mener une vie familiale. Dans la décision du Conseil

Constitutionnel c’est la liberté de mariage qui est en premier lieu consacrée : en cas de mariage

entre étrangers, et en présence d’indices sérieux de détournement (lesdits mariages de

complaisance ou mariages en blanc), la disposition du code civil permettant à l’officier d’état civil

de saisir le procureur afin qu’il prononce un sursis à statuer pouvant durer jusqu’à trois mois, non

susceptible de recours, pose des limites excessives à cette liberté. Le Conseil Constitutionnel

intervient à nouveau à propos de la liberté de mariage des étrangers en 200377 : « le respect de la

liberté du mariage, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la

Déclaration de 1789, s'oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d'un étranger fasse

obstacle, par lui-même, au mariage de l'intéressé ».

Concernant plus directement les étrangers le Conseil Constitutionnel intervient plusieurs

fois. Avec une décision de 199778 il affirme que « les méconnaissances graves du droit au respect

de leur vie privée sont pour les étrangers comme pour les nationaux de nature à porter atteinte à

74 Cf. MATHIEU Bertrand, VERPEAUX Michel, “Chronique de jurisprudence constitutionnelle-Les étrangers en France : de la décision du Conseil Constitutionnel 93-325 DC. Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à la révision constitutionnelle relative au droit d’asile (loi constitutionnelle 93-1726 du 25 novembre 1993), LPA, 9 septembre 1994 n°108. 75 Corte Cost. , Déc. 62/1994 cit. LIGUORI Anna, « L’integrazione comunitaria e il diritto all’unità familiare dei cittadini di paesi terzi », Rassegna di diritto pubblico europeo, 2002, I, 135 et s.. 76 « quando venga riferito al godimento dei diritti inviolabili dell’uomo […] il principio costituzionale non tollera discriminazioni tra la posizione del cittadino e quella dello straniero”. 77 Déc. n° 2003-484 DC du 20 nov. 2003. 78 Déc. n° 97-389 DC du 22 avril 1997.

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leur liberté individuelle ». En 200679, le juge constitutionnel tient à préciser que « le législateur

n’a pas remis en cause le droit des étrangers établis de manière stable et régulière en France de

faire venir auprès d’eux leur conjoint et leurs enfants mineurs ». C’est en 200580que le Conseil

fait de « la procédure de regroupement familial […] une garantie légale du droit des étrangers

établis de manière stable et régulière en France à y mener une vie familiale normale ».

En 199981 la décision sur le PACS, définit cette union de « contrat spécifique », ce qui

exclu qu’il puisse être assimilé à l’institution « mariage » . De sorte que, encore une fois, il ne

reste qu’à considérer le mariage comme une institution protégée par l’Etat et caractérisée par deux

éléments : le couple et la diversité de sexe.

On note qu’ il est ici question de concilier les droits qui découlent de la protection

constitutionnelle de la famille, non pas avec d’autres droits ou libertés fondamentaux, mais avec

d’autres exigences qui pourrait être reconduites à celle globale de l’intérêt général et protection de

l’ordre public.

Le Professeur Hauser constate le manque total de décisions du Conseil dans de nombreux

domaines du droit de la famille tels en matière de divorce ou en matière de droit de filiation et

considère que « incapable désormais d'une vision d'ensemble, le législateur français, saisi d'une

frénésie de réformes, jette à bas des pans entiers de la législation familiale pour reconstruire sans

souci de cohérence certaines parties que d'ailleurs il jette de nouveau à bas quelques années plus

tard 82».

En Italie les choses se sont passées un peu différemment. Comme déjà souligné, le texte de

la Constitution italienne est plus explicite que celui de la Constitution française. Lors de son

adoption en 1948 il est question d’épurer toutes les dispositions du code civil encore fortement

marquées par l’idéologie fasciste. Ainsi le code civil de 1942, bien que constituant le point de

référence principal en matière de droit de famille, à partir des années ‘60, a été l’objet de certaines

modifications, suite à 54 déclarations d’inconstitutionnalité83. Pourtant, l’épuration a été assez

79 Déc. n° 2006-539 DC du 20 juillet 2006. 80 Déc. n° 2005-528 DC du 15 décembre 2005. 81 Déc. 99-419 DC du 9 novembre 1999. 82 HAUSER, Jean “Le Conseil Constitutionnel et le droit de la famille”, Cahiers du Conseil Constitutionnel n°16/2004 p. 104 et s.. 83 DI MANNO, Thierry “Code civil et Constitution en Italie”, in « Code civil et Constitution(s) » sous la direction de VERPEAUX Michel, journée d’études du 25 mars 2004 à l’Assemblée nationale.

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limitée : de ces déclarations d’inconstitutionnalité, seul un nombre limité a comporté la disparition

matérielle du texte de loi contesté, les techniques interprétatives de la Cour constitutionnelle ayant

été du début assez développées. Le code civil de 1942 en matière de droit de la famille reprenait

largement les anciennes dispositions contenues dans le code civil de 1865 : famille patriarcale,

inégalité évidente entre mari et femme. Les interventions de la Cour Constitutionnelle en la

matière sont par conséquent assez nombreuses. Le marge de manœuvre du législateur a été donc

encadré par le juge constitutionnel dans le respect des dispositions constitutionnelles en matière de

famille. Ainsi l’article 29, au deuxième alinéa, confie au législateur la tâche d’établir les limites

dans lesquelles l’unité de la vie familiale peut être assurée, afin de garantir l’égalité juridique et

morale des époux. De la même manière, l’article 30 délimite la compétence du législateur dans la

reconnaissance de mêmes droits aux enfants naturels et aux enfants légitimes. Encore, l’article 31

impose la protection de la famille dès sa constitution, à travers la garantie de subventions

économiques nécessaires à la protection de l’enfance, de la jeunesse, de la maternité. Le

Constituant a donc adressé au pouvoir législatif des lignes directrices bien précises à suivre84.

Ainsi, en 196885 la Cour Constitutionnelle invalide la disposition du code civil qui traite de

manière différente l’adultère de la femme de celui commis par le mari : si le premier donnait

toujours lieu à séparation, le second ne pouvait produire cet effet que si constituant « une injure

grave à la femme ». Dans une décision de 197086 le juge constitutionnel, par le biais d’une

interprétation additive de la lettre de la norme, permet à la femme de se défaire du nom du mari en

cas de séparation pour faute du mari. En 1966 la Cour incite même le législateur à intervenir afin

de reformer de manière générale les dispositions législatives concernant le droit de famille, à la

lumière des dispositions constitutionnelles. Ce qui sera fait, comme déjà mentionné, par la grande

reforme du droit de la famille de 1975.

Aujourd’hui la lettre de la Constitution est interprétée de manière restrictive par une partie

de la doctrine et de l’opinion publique, en particulier par celle rattachée à l’Eglise, pour exclure

que le contrat de partenariat enregistré, ayant fait l’objet en Italie de deux projets de loi proposés

par le gouvernement (le projet sur le DICO87 et le projet sur le CUS88) puisse être une forme de

84 CARDIA, Carlo, Op. Cit. p. 122 et s.. 85 Corte Cost. Déc. 19 décembre 1968 n°127. 86 Corte Cost. Déc. 13 juillet 1970 n°128. 87 « Diritti e doveri delle persone stabilemente conviventi », Projet de loi du 8 février 2007. 88 « Contratto di unione solidale”, Projet de loi du 10 juillet 2007.

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vie commune admise par la Constitution. Et en effet, reprenant aussi l’opinion du Professeur

Ruggeri, l’article 29 de la Constitution est clair lorsqu’il fonde la famille sur le mariage.

L’éventuelle mise en place d’un partenariat enregistré ne pourrait donc l’assimiler au mariage.

Pour le moment le législateur ne peut pas aller à l’encontre de la lettre de cette disposition, à

moins que, face à la saisine de la Cour contre l’adoption d’un autre projet de loi en la matière, le

juge constitutionnel n’en décide autrement. Les techniques interprétatives de la Cour

Constitutionnelle italienne sont en effet bien connues, avec la théorie du droit vivant. Il n’en reste

pas moins que le partenariat enregistré pourrait être considéré, plus aisément, comme une des

formations sociales où l’individu peut développer sa personnalité au sens de l’article 2 de la

Constitution. Du reste il s’agirait de reconnaître formellement l’existence d’un phénomène qui est

déjà très largement diffus.

En Grande Bretagne, l’adoption de l’Human Rights Act89 en Octobre 2000, a des

conséquences importantes même en matière de droit de la famille. D’abord il faut considérer que

la section 3 de l’Acte impose aux juridictions nationales d’interpréter la législation primaire et

secondaire de manière conforme aux droits protégés par la Convention Européenne des droits de

l’homme, transposés en droit interne par l’HRA90. Bien évidemment même la législation

concernant le droit de la famille doit être lue conformément aux dispositions de la Convention,

faute de quoi la House of Lords, la High Court et les Cours d’appel sont obligées à prononcer une

déclaration d’incompatibilité selon ce qui dispose la section 4 de l’HRA91. Encore la section 6 de

l’Acte impose à toutes les autorités publiques britanniques le respect de la Convention Européenne

des droits de l’homme. Comme parmi ces autorités publiques, on comprend même les autorités

juridictionnelles, les dispositions de la CEDH, comme transposées par l’HRA, produisent à

l’égard des individus des effets directs horizontaux. Cela signifie que les individus peuvent se

prévaloir de ses dispositions, pas seulement dans des conflits qui les opposent aux organes de

l’Etat, mais aussi dans des conflits purement privés. Cet effet horizontal a été admis, même en

matière de droit de famille par la jurisprudence de la Cour d’appel92, toute suite après l’entrée en

vigueur de l’HRA. Cependant, comme déjà souligné, au Royaume Uni une partie de ce droit de

89 Ensuite appelé HRA. 90 « So far as it is possible to do so, primary legislation and subordinate legislation must be read and given effect in a way which is compatible with the Convention rights », Section 3(1) HRA 1998. 91 « If the court is satisfied that the provision is incompatible with a Convention right, it may make a declaration of that incompatibility”, Section 4(1) HRA 1998. 92 Payne v Payne [2001] EWCA Civ 166, [2001] Fam 473, [34].

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famille est construit par les juges eux-mêmes par le moyen de la Common Law et de l’Equity. Est-

ce qu’il existe une obligation pour les autorités juridictionnelles de rendre conforme la Common

Law aux dispositions de la CEDH ? Cela ne semble pas être le cas, vu le grand marge de

manœuvre laissé au juge dans l’établissement d’une grande partie de règles en matière de droit de

famille.

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Chapitre II Le droit à mener une vie familiale normale : un

droit individuel encadré dans l’institution « famille »

L’importance du droit international en matière de droit de la famille s’est fortement accrue

ces dernières années, notamment sous l’influence de la jurisprudence de la Cour Européenne des

droits de l’Homme. La vision traditionnelle de la famille comme indiquée lors du premier

chapitre, semble être confirmée par la CEDH, qui dans son article 12 ne reconnaît le droit de se

marier qu’à l’homme et à la femme. Seule la Charte européenne des droits fondamentaux a

abandonné la référence à la diversité du sexe en disposant que « le droit de se marier et de fonder

une famille sont garantis selon les lois nationales93 ».

Pourtant la Convention ne se limite pas à protéger la liberté matrimoniale. Un nouveau

droit subjectif est consacré par l’article 8: le droit à mener une vie familiale, ensuite consacré par

les droits nationaux, ou mieux par les juges, comme droit à mener une vie familiale normale. Ce

nouveau droit est un droit de nature individuelle qui semblerait remettre en cause les conceptions

constitutionnelles nationales de la famille (Section I).

En vérité on assiste à une influence réciproque entre droits constitutionnels nationaux et

droit conventionnel qui dérive du fait que les Etats parties à la Convention ont eux-mêmes accepté

les obligations dérivant du système de la CEDH.

Ainsi, le droit à mener une vie familiale de l’article 8 est pris en compte par les ordres

juridiques nationaux. Le critère de la normalité devient condition même de la reconnaissance d’un

tel droit. Il restreint le champ d’application du droit à mener une vie familiale, puisqu’ il ne

conduit qu’ à reconnaître certains modèles de vie familiale plutôt que d’autres. Chaque Etat est

libre d’apprécier la normalité. La liberté individuelle à mener une vie familiale est donc

conditionnée par la normalité, qui peut être considérée comme le nouveau critère

d’institutionnalisation (Section II).

93 Article 9.

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Section I/Un nouveau droit subjectif : le droit à mener une vie familiale

Des nombreux instruments internationaux94 sont intervenus pour protéger de manière

générale la famille, sans qu’ils puissent produire à l’intérieur des ordres juridiques étatiques des

effets véritablement contraignants. Il n’en reste pas moins que la jurisprudence de la Cour EDH se

réfère de plus en plus à la Soft Law pour renforcer l’efficacité des dispositions de la Convention

Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme. Par exemple, dans un arrêt « Keegan95» la

Cour de Strasbourg a invoqué à l’appui de son raisonnement la Convention sur les droits des

enfants96. C’est donc la CEDH avec la relative jurisprudence de la Cour de Strasbourg qui, parmi

les traités internationaux, joue un rôle déterminant.

Après avoir analysé le texte de l’article 8 (§1) nous verrons comment la jurisprudence de la

Cour EDH a d’abord interprété de façon large le droit à mener une vie familiale (§2)

§1 Le droit à mener une vie familiale dans la texte de l’article 8

La lettre de l’article 8 est claire dans la reconnaissance à chaque individu du droit au

respect de sa vie privée et familiale. La logique de la norme est sans doute individualiste. Le droit

à mener une vie familiale ainsi protégé est donc un droit fondamental conventionnel subjectif (A).

En même temps, ce droit trouve ses limites dans les exigences étatiques de sauvegarde de l’ordre

et de la sécurité publics. Le deuxième paragraphe de la disposition impose ainsi un test de

proportionnalité (B).

94 Voir entre autre : la Déclaration Universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, art. 16 ; les deux Pactes de 1966 relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels ; la Convention de New York du 20 novembre 1989; la Convention sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille du 18 décembre 1990 ; la Charte sociale européenne du 18 Octobre 1961. Pour une vision d’ensemble LABAYLE, Henri « La diversité des sources du droit à une vie familiale » in LEMOULAND, Jean-Jacques et LUBY, Monique (sous la direction de) « Le droit à une vie familiale », Dalloz Thèmes et commentaires, 2007, p. 1 et s.. 95 Cour EDH 26 mai 1994, “Keegan c/Irlande”. 96 20/11/1959, art. 6.

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A/ Un droit subjectif fondamental

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa

correspondance ».

Le premier paragraphe de l’article consacre le principe général de protection de la vie

privée et familiale. De la lettre de la disposition, on peut en tirer deux considérations générales.

D’une part, les termes utilisés reflètent la conception individualiste des droits de

l’homme : la disposition protège en effet le droit de « toute personne » prise individuellement au

respect de sa vie privée et familiale. On doit donc en déduire qu’aux termes de la Convention il

existe un droit à la famille, et non pas un droit de la famille97. Cependant, à ce propos, il ne faut

pas oublier que d’autres dispositions de la CEDH font référence au mariage entre homme et

femme comme élément fondateur du lien familial : il s’agit de l’article 12 qui dispose que « à

partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon

les lois nationales régissant l’exercice de ce droit » et de l’article 5 du Protocole n°7, annexé à la

Convention, qui est ainsi rédigé : « les époux jouissent de l’égalité des droits de caractère civil

entre eux et dans leurs relations avec les enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors

de la dissolution. Le présent article n’empêche pas les Etats de prendre les mesures nécessaires

dans l’intérêt des enfants ».

D’autre part, on peut constater que les termes de la Convention sont généraux : ses

dispositions s’appliquent « à toute personne », sans distinction de « citoyenneté ». Et pourtant la

plupart des écrits qui s’intéressent au droit à mener une vie familiale normale, n’étudient ce droit

qu’en rapport avec la situation des étrangers. Certes, il s’agit d’un droit récent qui a servi de

fondement à la consécration du droit au regroupement familial comme droit s’appliquant à la

situation spécifique des étrangers, mais la Convention n’a pas pour vocation de protéger de

manière particulière la situation des étrangers. Tout au contraire, comme le souligne Henri

Labayle98, aucun des droits propres à l’étranger ne figure dans le corps même de la Convention.

97 MILLARD, Eric Op. Cit. p. 127 mais aussi HAUSER, Jean “Le droit à une vie familiale: quelles conséquences quant à la conception de la famille?”, in LEMOULAND, Jean-Jacques et LUBY, Monique (sous la direction de) « Le droit à une vie familiale », Dalloz Thèmes et commentaires, 2007. 98 LABAYLE, Henri “L’article 8 de la Convention Européenne des droits de l’homme et le droit de l’étranger au respect de sa vie privée et familiale » in « Les étrangers et la Convention de sauvegarde de droits de l’Homme et des

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En même temps, cela ne saurait servir de justification à une éventuelle discrimination dans la

protection de la vie familiale entre étrangers et nationaux.

Même le droit communautaire confirme le droit à mener une vie familiale construit dans le

cadre du Conseil de l’Europe. Comme les juges nationaux, la Cour de Justice va se référer dans sa

jurisprudence à l’article 8 de la CEDH. Ainsi le droit à la libre circulation doit s’interpréter « à la

lumière de l’exigence du respect de la vie familiale mentionné à l’article 8 de la Convention

Européenne des droits de l’Homme. Ce respect fait partie des droits fondamentaux qui, selon la

jurisprudence de la Cour, réaffirmée dans le Préambule de l’Acte Unique Européen, sont

reconnus par le droit communautaire 99».

B/ Un droit subjectif fondamental limité par les exigences étatiques : le test de

proportionnalité

Ainsi dispose le deuxième paragraphe de l’article 8 : « Il ne peut y avoir ingérence d'une

autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la

loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité

nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la

prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection

des droits et libertés d'autrui ».

Comme tout droit fondamental, le droit à mener une vie familiale normale n’est pas un

droit absolu. Si « l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui

assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits100 », ce droit, surtout

si appliqué aux étrangers, trouve les plus grandes limites dans les exigences nationales, telles

qu’elles sont inscrites dans le deuxième alinéa de l’article 8 et qui, au plan national, se traduisent

par les exigences de respecter, en utilisant l’expression du droit constitutionnel français, les

libertés fondamentales » sous la direction de FULCHERON H., LGDJ 1999. L’auteur rappelle qu’il a fallu attendre les protocoles additionnels n°4 et 7 pour voir l’expulsion des étrangers finalement réglementée. 99 CJCE, 18 mai 1989, Commission c/RFA. 100 Déclaration Universelle des droits de l’Homme et du Citoyen, 1789, Article 4.

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« objectifs à valeur constitutionnelle101 » . Il s’agit essentiellement des exigences d’intérêt général,

telles que la protection de l’ordre public ou de la sécurité nationale, l’exigence de protéger les

droits constitutionnels en matière sociale et économique, comme le droit à la santé, ne relevant pas

vraiment de ce domaine.

Une jurisprudence désormais constante de la Cour EDH rappelle le droit de tout Etat de

contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non nationaux, comme un principe de droit

international bien établi102. Ce contrôle souverain s’exerce au nom des intérêts publics.

Dans la mise en œuvre du contrôle de proportionnalité, les juridictions nationales se

réfèrent de plus en plus à l’article 8 de la CEDH. Dans les affaires « Belgacem » et « Mme

Babas103 », le Conseil d’Etat français a jugé, comme l’avait fait antérieurement la Cour EDH104,

que l’article 8 de la Convention doit être appliqué par l’administration lorsqu’elle enjoint à un

étranger de quitter le territoire national. Le juge administratif exerce un contrôle de

proportionnalité entre la mesure portant atteinte au droit à la vie familiale et l’intérêt public.

Lors d’une des premières affaires105 rendues en application de l’article 8 de la CEDH, le

juge britannique fait directement référence au test de proportionnalité commandé par le deuxième

alinéa de cette disposition, en affirmant :

“When anxiously scrutinizing an executive decision with human rights, the court will ask

the question, applying an objective test, whether the decision-maker could reasonably have

concluded that the interference was necessary to achieve one or more of the legitimate aims

recognized by the Convention. When considering the test of necessity in the relevant context, the

court must take into account the European jurisprudence in accordance with section 2 of the 1998

Act”.

Souvent les juges anglais sont très stricts dans l’appréciation des critères permettant de

démontrer l’existence d’une vie familiale. En effet, les règles britanniques relatives à

l’immigration, règlementent de manière largement détaillée toutes les situations dans lesquelles un

101 MATHIEU, Bertrand, VERPEAUX, Michel « Droit Constitutionnel » PUF, 2004, p. 263 et s.. 102 Voir à titre d’exemple Cour EDH « Boultif c. Suisse » 2 aout 2001. 103 CE Ass. 19 avril 1991. 104 Cour EDH “Berrehab” et “Moustaquim”. 105 R (Mahmood) v Secretary of State [2001] WLR 840 cit. BLAKE, Nicolas, HUSAIN Raza, “Immigration Asylum and Human rights, Oxford University Press, 2003, p. 165 et s..

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étranger peut se trouver, dès lors qu’il pénètre sur le territoire national. Bien évidemment, même le

regroupement familial est soumis à un nombre considérable de conditions, de sorte que le droit à

mener une vie familiale se trouve à être fortement limité.

Les mêmes exigences de protection d’ « ordre public », d’ « ordre social » ou de « vie

sociale ordonnée » sont imposées par la Cour Constitutionnelle italienne. Dans une décision de

1997106, rendue en matière d’immigration, la Cour constitutionnelle souligne que « l’Etat ne peut

pas abdiquer le devoir, inéludable, de présider à ses propres frontières : les règles établies en

fonction d’un flux migratoire ordonné et d’un accueil adéquat doivent être donc respectées, et non

pas éludées, ou seulement enfreintes, selon les cas, suite à des évaluations de caractère

discrétionnaire […]».

§2 Le droit à mener une vie familiale dégagé par la Cour EDH

La Cour EDH a d’abord interprété de façon extensive le droit consacré par l’article 8 (A).

Pourtant, très tôt, le critère de la normalité est dégagé par le juge pour restreindre le champ

d’application du droit à mener une vie familiale. Dans une première conception, la normalité peut

être considérée comme une obligation minimale que l’Etat doit garantir à l’individu pour le correct

exercice du droit à mener une vie familiale (B).

A/ Une conception extensive de la vie familiale

La Cour de Strasbourg a construit dans sa jurisprudence une notion propre et très large de

vie privée et familiale, qui est aujourd’hui capable d’englober un grand nombre de situations.

Comme l’article 8 de la CEDH consacre un droit individuel, la « vie familiale » ne peut pas être

restreinte à la famille légitime traditionnelle. L’article 8 protège à la fois la vie familiale et la vie

privée. Les deux droits sont souvent confondus comme faisant partie d’une même liberté, celle de

chaque individu de choisir son propre mode de vie. La Cour EDH est en effet claire lorsqu’elle

106 Cour de Cassation n°353/1997 du 21 novembre 1997, Giur. Cost. III/1997 p. 3460 et s..

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affirme qu’ « il serait restrictif de limiter [la vie privée] à un cercle intime où chacun peut mener

sa vie personnelle à sa guise et d’en écarter entièrement le monde extérieur à ce cercle. Le respect

de la vie privée doit aussi englober, dans une certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer et

développer des relations avec ses semblables107 ».

Par conséquent « la vie familiale ne se borne pas aux seules relations fondées sur le

mariage, mais elle peut englober aussi d’autres relations de facto ayant une certaine

effectivité108 » . La Cour n’est pas exigeante lorsqu’elle considère qu’ « une vie familiale projetée

peut entrer dans le cadre de l’article 8 même en absence de cohabitation ou de liens de facto

suffisamment étroits109 »; le raisonnement est encore plus poussé lorsque la Cour affirme que

« une simple parenté biologique dépourvue de tous éléments juridiques ou factuels indiquant

l’existence d’une relation personnelle étroite ne peut pas être considérée suffisante pour entrainer

la protection de l’article 8110 ». Ce qui signifie, a contrario, qu’ en l’absence de lien biologique,

mais en présence d’éléments juridiques ou même factuels, indiquant l’existence d’une relation

personnelle étroite, la protection de l’article 8 est assurée. Si la solution de la Cour peut se

comprendre en présence d’éléments juridiques justifiant la présence de cette relation étroite,

comme par exemple une adoption, l’établissement des éléments factuels susceptibles d’être pris en

considération à cette fin, devient plus problématique, car laissé complètement à la discrétion du

juge. Encore, la notion de famille inclut, même en l'absence de cohabitation, le lien entre un

individu et son enfant mineur, que ce dernier soit légitime111 ou naturel112. Ce lien ne peut pas être

remis en cause par un éventuel divorce ou séparation des parents, ou encore par une éventuelle

séparation de fait entre parents et enfants. Par conséquent si l’un des composants du groupe

familial émigre dans un autre pays, et si le regroupement familial est nié à son enfant, la

séparation de fait ainsi créée ne peut pas remettre en question le lien familial. A l'occasion de

l'affaire Sen c/ Pays-Bas113 la Cour a rappelé qu'« un enfant issu d'une union maritale s'insère de

plein droit dans cette relation ; partant, dès l'instant et du seul fait de sa naissance, il existe entre

107 Cour EDH « Niemietz c/Allemagne » 16 décembre 1992. 108 Cour EDH Marckx c/Belgique 13 juin 1979, Keegan c/Islande 26 mai 1994, Kroon c/Pays Bas 27 octobre 1994, X Y et Z c/Royaume Uni 27 avril 1997. 109 Cour EDH Pini et Butani c/Roumanie 22 juin 2004. 110 Cour EDH Odièvre c/France 13 février 2003, Lebbinck c/Pays Bas 1er juillet 2004. 111 Cour EDH, 21 juin 1988, n° 10730/84, Berrehab c/ Pays-Bassérie A, n°138, p. 14, § 21. 112 Cour EDH, 24 avr. 1996, n° 22070/93, Boughanemi c/ France, Rec. 1996-II, pp. 607-608, § 35. 113 Cour EDH, 21 déc. 2001, n° 31465/96, Sen c/ Pays-Bas sect. I, § 28, Cf. VAN WALSUM, Sara “Comment on the Sen Case. How wide is the margin of appreciation regarding the admission of children for purposes of family reunification?” European Journal of Migration and Law 4: 511–520, 2003.

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lui et ses parents un lien constitutif de vie familiale que des événements ultérieurs ne peuvent

briser que dans des circonstances exceptionnelles ».

B/ La normalité obligation minimale de la part de l’Etat

Quel est le critère pour protéger une telle vie familiale plutôt qu’une autre ? Ce sont les

juges, tant celui européen que ceux nationaux, qui ont forgé dans leur jurisprudence le critère de la

« normalité » ou de l’ « effectivité ».

Dans une conception générale, qui voit le droit à mener une vie familiale applicable à tous,

même aux nationaux, on pourrait considérer la normalité comme condition minimale de protection

de la vie familiale. Il s’agirait alors d’une sorte de droit de créance à la charge de l’Etat : la vie

familiale de l’individu doit recevoir une protection adéquate dans des conditions de normalité ou

effectivité.

Ainsi, pour être effectivement exercée, la vie familiale doit pouvoir se dérouler

correctement, normalement. Cela signifie que c’est l’Etat d’accueil qui doit offrir une telle

garantie à l’étranger. Le droit à une vie familiale normale rentrerait alors dans la catégorie « droit-

créance ». Or, l’appréciation de la normalité est forcement laissée à la discrétion du juge.

Depuis l’arrêt Marckx114 , la Cour EDH considère que l’Etat est dans l’obligation d’agir

« de manière à permettre le développement normal des rapports entre proches parents ». Ce

critère de normalité pour la première fois ainsi dégagé par la Cour de Strasbourg, a été repris de la

jurisprudence du Conseil d’Etat français, le premier à avoir utilisé cette définition en application

du décret du 29 avril 1979 sur le regroupement familial. Dans le célèbre arrêt « GISTI115 », le droit

à mener une vie familiale normale est reconnu comme principe général du droit dérivant de

l’alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil Constitutionnel intervient 14 ans

plus tard116 pour faire du droit à mener une vie familiale normale un principe à valeur

114 Cour EDH 13 mars 1979 Marckx c/Belgique. 115 CE Ass. 8 décembre 1978, GAJA n°109. 116 CC Déc. 325-DC du 13 août 1993.

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constitutionnelle. On voit bien ici comment le droit conventionnel et le droit constitutionnel

s’influencent réciproquement.

Le fondement juridique utilisé par les deux juges français, administratif d’abord et

constitutionnel ensuite, se relève dans l’alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946. Il n’y

a pas de référence expresse à l’article 8 de la CEDH. Et pourtant le droit dégagé par le juge

européen et le juge français est le même. En effet, depuis l’important arrêt Nicolo de 1989 et la

consécration de la valeur supérieure des traités internationaux même sur la loi adoptée

postérieurement à leur ratification, la jurisprudence administrative a évolué jusqu’à la

reconnaissance en 1991, avec l’arrêt Beldjoudi117, de l’applicabilité directe en droit interne de

l’article 8 de la Convention.

Au Royaume Uni il n’existe pas de jurisprudence complètement indépendante de celle

dégagée par la Cour EDH. Comme la CEDH a été incorporée par l’HRA, l’article 8 fait partie du

droit national. L’expression conventionnelle « family life » est celle qui est utilisée par le juge de

Common Law, sans que des adjectifs y soient ajoutés.

Le raisonnement des juges britanniques concernant la vie familiale reprend celui effectué

dans l’affaire Marckx. Il s’agit en pratique de montrer qu’en dehors du territoire national on

risquerait de porter une atteinte trop grave au correct déroulement de la vie familiale . Ainsi, si le

fait de ne pas autoriser le regroupement familial ou d’expulser un étranger n’est pas « crucial118 »,

s’il n’est pas « unduly harsh119 », le droit à mener une vie familiale n’est pas méconnu.

117 CE 18 janvier 1991. 118 Husna Begum v ECO Dhaka [2001] INLR 115 CA Pill LJ. 119 Hussein v ECO Nairobi [2002] UKIAT 01408.

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Section II/ Le droit à mener une vie familiale normale pris en compte par

les droits nationaux : la normalité nouveau critère d’institutionnalisation

La CEDH constitue un système supranational de droits fondamentaux dont la protection

est garantie par un organe spécialement crée à cette fin, la Cour Européenne des droits de

l’homme. Contrairement à d’autres traités internationaux, la CEDH ne se borne pas à régir les

rapports entre Etats, mais elle protège directement les droits des individus. Par conséquent, il faut

comprendre quel est l’impact que ses dispositions ont sur la législation nationale et comment en

pratique les juges nationaux en sont liés. D’importants développements ont été franchis dans les

trois pays soit en ce qui concerne le rang à attribuer aux dispositions de la CEDH à l’intérieur de

la hiérarchie des normes soit en ce qui concerne les effets que les décisions de la Cour produisent

vis-à-vis des juridictions nationales (§1).

Bien qu’il n’existe pas une véritable obligation juridique qui impose aux Etats membres de

prendre en considération la jurisprudence de la Cour EDH, cette dernière exerce une influence

considérable sur les juridictions nationales. Ainsi dans le cadre du contrôle souverain des flux

migratoires, la jurisprudence européenne sur l’article 8 est prise en compte par les juridictions

nationales. La normalité devient donc condition même de la reconnaissance du droit à mener une

vie familiale normale et, par conséquent, indice de proportionnalité (§2).

§1 Les normes conventionnelles prises en compte par les ordres juridiques nationaux

La CEDH constitue en France et en Italie une norme de rang infra constitutionnel. Au

Royaume Uni, une norme de rang législatif (A). Dans les trois pays, les juges prennent de plus en

plus en considération la jurisprudence de la Cour EDH, sans que cela constitue véritablement une

obligation juridique (B).

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A/ Le rang de la CEDH dans la hiérarchie des normes internes : norme infra

constitutionnelle ou législative ?

La Cour Constitutionnelle italienne est très récemment intervenue120 pour se prononcer sur

le rang des dispositions de la CEDH dans l’ordre juridique interne. Une question de

constitutionnalité est soulevée par la Cour de Cassation par rapport à une disposition législative121

fixant une indemnisation en cas d’expropriation (décision n°348) ou d’occupation acquisitive

(décision n°349) dépourvue, selon la Cour Européenne des droits de l’homme122, de « rapport

raisonnable avec la valeur du bien exproprié » . La disposition législative en question est réputée

contraire à l’article 6 de la CEDH et à l’article 1 du 1er Protocol additionnel à la CEDH et à

certaines dispositions de la Constitution, parmi lesquelles l’article 117 . Pour la première fois la

Cour Constitutionnelle interprète le nouveau article 117, issu de la réforme constitutionnelle du

titre V de la Constitution réalisée en 2001, dans la partie où il dispose que « Le pouvoir législatif

est exercé par l’État et par les Régions dans le respect de la Constitution et des engagements nés

de l’ordonnancement communautaire et des obligations internationales ».

Le juge constitutionnel va donc exclure que les deux autres dispositions constitutionnelles

concernant le droit international, puissent relever au sujet : l’article 10, qui se réfère exclusivement

aux normes internationales coutumières, et l’article 11 qui, permettant les « limitations de

souveraineté nécessaires à un ordre qui assure la paix et la justice entre les Nations », ne peut

pas, selon la Cour, s’appliquer au système de la CEDH, car celui-ci ne constitue pas un

ordonnancement juridique autonome comme celui communautaire. Finalement la Cour affirme

que la CEDH constitue le paramètre indirect de la constitutionnalité des sources primaires, c'est-à-

dire norme « interposée ». L’article 117 exerce une fonction de « monopolisation » du contrôle de

constitutionnalité des normes nationales vis-à-vis des normes CEDH, de sorte qu’un éventuel

conflit ne peut pas être résolu par le juge commun, mais seulement par la Cour Constitutionnelle.

Puisqu’il s’agit de normes qui se placent au niveau infra-constitutionnel, elles ne peuvent pas

120 Déc. du 24 octobre 2007 n°348-349/2007. 121 Il s’agit de l’article 5-bis, alinéa 7-bis, du décret loi 11 juillet1992, n. 333, converti dans la loi 8 aout 1992, n. 359. 122 Cour EDH Scordino, 26 mars 2006.

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acquérir la force des normes constitutionnelles, par conséquent, elle sont soumises au contrôle de

constitutionnalité pour lequel la Cour est seule à être compétente123.

A ce propos l’Italie a donc franchi un pas en avant par rapport à la France, où, bien que la

Constitution elle-même, dans son article 55, attribue aux normes internationales un rang infra

constitutionnel, le juge constitutionnel, depuis désormais une longue tradition124, refuse

d’effectuer le contrôle de conventionalité des normes internes vis-à-vis des normes internationales,

l’ayant admis récemment125 seulement à l’égard des directives communautaires transposées au

niveau interne. Ainsi, en voie de principe, et sur le fondement de l’article 88-1 de la Constitution,

il est affirmé qu’il n’appartient pas au juge constitutionnel de contrôler la conformité des « lois-

miroir », c'est-à-dire des lois dont les termes sont exactement les mêmes de ceux de la directive

transposée. Cela dans le respect d’une double limite. D’une part, la transposition d'une directive

ne doit pas aller « à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle

de la France ». D’autre part, cette condition respectée, la disposition législative ne doit pas être

manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer126 . Cette solution

est confirmée très récemment par le Conseil d’Etat. Dans l’arrêt « Arcelor » du 8 février 2007 la

Haute juridiction administrative précise que lorsqu’on doute de la légitimité constitutionnelle d’un

« décret-miroir » transposant une directive communautaire, deux possibilités sont envisageables :

soit les principes constitutionnels dont la violation est soulevée ont un équivalent communautaire

et le contrôle de constitutionnalité s’efface au profit d’un contrôle de conventionalité, soit ces

principes constitutionnels n’ont pas d’équivalent et le contrôle de constitutionnalité reprends ses

droits127. On voit bien que la dérogation à la jurisprudence IVG ne se réalise que dans l’hypothèse

des lois de transposition des directives. Le Conseil Constitutionnel128 refuse donc d’effectuer ce

contrôle même à l’égard de la CEDH, admettant seulement que « la réserve de réciprocité

123 Cf. §4.7 Déc. n°348: “Quanto detto sinora non significa che le norme della CEDU, quali interpretate dalla Corte di Strasburgo, acquistano la forza delle norme costituzionali e sono perciò immuni dal controllo di legittimità costituzionale di questa Corte. Proprio perché si tratta di norme che integrano il parametro costituzionale, ma rimangono pur sempre ad un livello sub-costituzionale, è necessario che esse siano conformi a Costituzione”. 124 CC, Déc. n°74-54 DC, 15 janvier 1975 IVG. 125 CC, Déc. n° 2004-496 DC, 10 juin 2004. 126 CC, Déc. n° 2006-543 DC, 30 novembre 2006 considérant n°7. 127 Cit. GAUTIER, Marie “Le Conseil d’Etat et l’Europe: fin de cycle ou nouvelle ère? A propos des arrêts d’assemblée du 8 février 2007 », in Droit Administratif n° 5, Mai 2007, Etude 7. 128 CC Déc. n° 98-408 DC, 22 janv. 1999 « Traité portant statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 » (consid. 12), Rec. Cons. const. 1999, p. 29.

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mentionnée à l'article 55 de la Constitution n'a pas lieu de s'appliquer » aux engagements

internationaux visant à protéger les droits fondamentaux de la personne humaine.

Dans les autres cas, le contrôle de conventionalité des lois par rapport aux engagement

internationaux est exercé par le juge judiciaire ou administratif par voie d’exception. Or on sait

que cette tâche a été acceptée par le juge judicaire dès 1975129 et par le juge administratif,

seulement dès 1989 par le célèbre arrêt « Nicolo ». Plus tard, par un arrêt de 1990130 le Conseil

d’Etat admet finalement la valeur supra législative de la Convention. Cependant il convient de

souligner qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un contrôle de compatibilité des lois ou actes

réglementaires internes par rapport à la Constitution, c'est-à-dire en violation de l’article 55 qui en

France énonce la supériorité des traités ou accords internationaux sur la loi nationale, supériorité

qu’on sait subordonnée aux conditions de régulière publication et ratification, et à celle de la

réciprocité. On sait que ce contrôle n’appartient qu’au seul Conseil Constitutionnel. Le paramètre

est donc différent, le juge constitutionnel ne se reconnaissant pas compétent, ce contrôle de

conventionalité exercé par le juge ordinaire reste tel et ne peut pas passer par celui de

constitutionnalité comme en Italie. Cela signifie qu’en pratique la norme interne déclarée contraire

aux dispositions de la CEDH n’est ni abrogé ni annulée, comme c’est le cas en Italie depuis les

arrêts d’octobre 2007, mais déclarée inapplicable au cas d’espèce. Le juge français continue alors

à exercer le même contrôle qu’un juge britannique, dans la limite du respect des principes

inhérents à l’identité constitutionnelle française.

Bien qu’il n’existe pas de Constitution écrite et, par conséquent, de contrôle de

constitutionnalité, on ne doit pas oublier que depuis 1998, à travers l’importante promulgation de

l’Human Rights Act, le Royaume Uni a incorporé au niveau interne une partie des dispositions de

la CEDH. Depuis le 2 octobre 2000, date de l’entrée en vigueur de l’HRA, les dispositions de la

CEDH ainsi transposées ont acquis au plan interne valeur législative. A moins de ne pas appliquer

la célèbre jurisprudence Thoburn131, la doctrine de la souveraineté parlementaire et le principe

selon lequel le Parlement actuel ne peut pas lier les Parlements successifs, s’appliquent même au

HRA, de sorte qu’il suffit une loi successive contraire pour que ses dispositions n’aient plus lieu à

129 Cass. 24 mai 1975 Société Café Jacques Vabre . 130 CE, 21 décembre 1990, Confédération nationale des associations familiales catholiques, Cit. MATHIEU Bertrand « Les rapports normatifs entre le droit communautaire et le droit national. Bilan et incertitudes relatifs aux évolutions récentes de la jurisprudence des juges constitutionnel et administratif français », Revue française du droit constitutionnel, n°72, octobre 2007, p. 675-693. 131 “Thoburn v Sunderland City Council” [2002] EWHC 195 (Admin).

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s’appliquer. Cependant, selon certains auteurs l’HRA est devenu « l’instrument désigné afin de

faciliter le développement d’un droit national des libertés fondamentales132 ». Ainsi, suivant les

dispositions de la section 3 de l’acte, la législation primaire et secondaire doit être interprétée et

appliquée de façon compatible avec les principes de la CEDH. Les juges britanniques sont

aujourd’hui habiletés et obligés à prendre en considération ces dispositions dans le contrôle de

légalité d’une loi ou acte administratif. Toutefois cette obligation n’affecte pas la validité ou

l’application de la législation primaire et n’affecte pas non plus la validité et l’application de la

législation subordonnée lorsque l’incompatibilité découle de la législation primaire. Les tribunaux

ne peuvent pas annuler la loi. Pour le gouvernement cette section « empêche les tribunaux de

s’opposer à l’application d’une loi du Parlement qu’ils estiment incompatible avec les droits de la

Convention et [il est souhaitable] que dans la majeure partie des cas, les tribunaux soient

capables d’interpréter ces lois conformément à la Convention ». Cette interprétation revient à

reconnaître à l’HRA un statut particulier par rapport aux actes statutaires ordinaires. En effet,

lorsque les tribunaux ne parviennent pas à interpréter les lois de manière compatible avec la

Convention, la section 4 leur donne un moyen de signaler l’incompatibilité aux pouvoirs publics,

grâce à une méthode inédite en droit britannique : la déclaration d’incompatibilité. Cela ne remet

pas en question la validité de la loi133. Les déclarations d’incompatibilité n’ont pas effet sur la

législation. Seule une modification législative peut rendre le droit britannique compatible avec la

CEDH en conformité avec la doctrine de la souveraineté parlementaire. Mais une procédure

spéciale est prévue par la section 10 du HRA : le remedial order. Ce dernier est une forme de

législation subordonnée prise par le gouvernement qui peut amender une norme contenue dans une

législation primaire. La procédure est donc engagée par le ministre compétent dans deux cas : si

une déclaration définitive d’incompatibilité est rendue par un tribunal britannique, ou si un arrêt

de la Cour EDH rendu après le 2 octobre 2000 laisse apparaitre que le droit britannique n’est pas

compatible avec la Convention. Le ministre doit démontrer l’existence des circonstances

irrésistibles (compelling) l’obligeant à procéder selon la voie du remedial order et non pas de la

loi ordinaire. Il y a deux procédure d’adoption : selon la procédure normale, le remedial order doit

être présenté devant les Chambres qui l’approuvent par une résolution ; selon la procédure urgente

132 Voir MASTERMAN, Roger « Taking the Strasbourg jurisprudence into account : developing a municipal law of human rights under the human rights Act », ICLQ, vol 54, October 2005, pp 907-932. 133 BARBE’, Vanessa “Le Human rights act et la souverainété parlementaire”, Revue française de droit constitutionnel 1/2005.

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le remedial order peut entrer en vigueur avant d’être approuvé par le Parlement mais devient

caduc si une résolution n’est pas prise dans les 120 jours.

B/Les effets des décisions de la Cour EDH : l’obligation de « prendre en

considération »

Le protocole additionnel à la CEDH n°11, entré en vigueur le 1er novembre 1998, crée la

Cour EDH en tant qu’ organe juridictionnel garantissant le respect de la Convention. L’article 46

de la Convention dispose que « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux

arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ».

Le juge italien, fidèle à la théorie du « droit vivant », affirme que « comme les normes

juridiques vivent dans l’interprétation qui leur est donnée par les opérateurs du droit », sur le

fondement de l’article 32134, alinéa 1er de la CEDH, l’Italie doit conformer sa législation aux

normes de la Convention dans le sens qui leur est donné par la Cour EDH, « expressément

instituée pour donner à ces normes interprétation et application ». Sans reconnaître explicitement

que les obligations dérivant de l’article 46 concernent toutes les autorités étatiques, il confie au

juge commun la tâche d’interpréter la norme interne de manière conforme à la disposition de la

CEDH135. Il s’agit d’une sorte d’obligation de respecter « la chose interprétée » qui ne va pas

jusqu’à reconnaître la force de chose jugée des arrêts de la Cour de Strasbourg.

En France, le Conseil d’Etat, en tant que juge garant des libertés fondamentales, est de plus

en plus amené à tenir compte de la jurisprudence de la Cour EDH, surtout après que la saisine

individuelle de la Cour a été admise, et qu’en pratique beaucoup de dispositions de la CEDH

produisent un effet direct vis-à-vis des individus. A ce propos une étude de Paul Cassia et

Emmanuelle Saulnier136 montre bien comment, dans plusieurs domaines, même en l’absence

d’une obligation juridique, le Conseil d’Etat suit la jurisprudence de la Cour EDH. Les auteurs

134 « La compétence de la Cour s'étend à toutes les questions concernant l'interprétation et l'application de la Convention et de ses protocoles qui lui seront soumises dans les conditions prévues par les articles 33, 34 et 47 ». 135 §6.2 décision n°349. 136 CASSIA Paul et SAULNIER Emmanuelle “Le Conseil d’Etat et la Convention européenne des droits de l’homme”, AJDA 1997, p.411.

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relèvent « que l'article 8 est le texte de la Convention le plus invoqué par les requérants faisant

l'objet de reconduites à la frontière » .

Au Royaume Uni, la section 2 de l’HRA oblige les cours et tribunaux à prendre en

considération les décisions et opinions de la Cour européenne de droit de l’homme et de toutes les

institutions qui opèrent dans le cadre de la CEDH. Cependant les cours anglaises ne sont pas liées

par les décisions de la Cour de Strasbourg. Ces dernières ne doivent être prises en considération

qu’en rapport à l’interprétation que cette institution donne aux normes de la Convention. Il faut

préciser ici que le terme « prendre en considération », ou mieux « taking into account », est

susceptible de différentes interprétations. La House of Lords semble préférer une interprétation

plus stricte, selon laquelle, même si les juges anglais ne sont pas formellement liés par la

jurisprudence de Strasbourg, ils le sont en pratique : un requérant débouté devant un juge national

qui n’a pas suivi l’interprétation du juge de Strasbourg, a toujours le droit de s’adresser à la Cour

Européenne des droits de l’homme137.

Selon la section 6 de l’acte les autorités publiques sont obligées à agir de manière

conforme aux dispositions de la CEDH. Par autorité publique on entend bien évidemment les

organes juridictionnels, mais aussi en général toutes les autorités administratives de nature

totalement publique ou même hybrides138. La définition d’autorité publique s’est posée en

particulier par référence à l’activité de l’Entry Clearance Officer (ECO) dans les ambassades et

consulats britanniques à l’étranger139.

Pour conclure, le système britannique n’est pas véritablement comparable à celui de France

et Italie quant à la question du contrôle de conventionalité, car une telle comparaison n’a pas de

sens s’il n’existe pas de Cour constitutionnelle. En revanche, comme le juge français, celui anglais

est chargé de contrôler la compatibilité de la législation et réglementation interne avec les

dispositions de la CEDH, et de plus, est lié par l’interprétation que la Cour européenne des droits

137 “R v Secretary of State for the Home departement, ex parte Amin” [2004] 1 Ac 653, § 44, opinion de Lord Bingham : “In my opinion, even if the United Kingdom courts are only to take into account of the Strasbourg decisions and are not strictly bound by them (s 2 of the Human Rights Act 1998), where the Court has laid down principles, and as here a minimum threshold requirement, United Kingdom courts should follow what the court has said. If they do so without good reason, the dissatisfied litigant has a right to go to Strasbourg where the existing jurisprudence is likely to be followed”. 138 Depuis la jurisprudence R v Panel on Take-overs and Mergers, ex p. Datafin Plc [1986] APP.L.R. 12/05, la House of Lords considère de pouvoir appliquer la procédure de judicial review aux actes pris par des personnes privées dès lors que leurs effets sont comparables à ceux produits par des actes provenant de personnes publiques. 139 Cf. Infra.

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de l’Homme donne aux principes de la CEDH. L’aspect intéressant du système résulte du fait que

les décisions de la House of Lords ou des Cours d’appel en matière de CEDH ont force obligatoire

vis-à-vis des juridictions inferieures alors qu’on ne reconnaît pas la même valeur à celles de la

Cour EDH. Force est de constater que la House of Lords et, en général, la juridiction qui juge en

dernier ressort, agit comme une Cour suprême chargée de contrôler la compatibilité des normes

internes avec les principes fondamentaux de la CEDH comme appliqués par l’HRA, ce qui en

pratique revient à instituer un contrôle semblable à celui effectué par le juge constitutionnel italien

et par le juge judicaire ou administratif français. Certains auteurs140 soutiennent, avec certains

tribunaux, que la tâche des juges dans l’application des dispositions de l’HRA n’est pas celle

d’assurer obligatoirement une protection en plus, mais celle de développer un droit national

(municipal) des libertés fondamentales par le biais de la méthode de Common Law141. Ainsi la

Common Law a le pouvoir d’attribuer aux droits leur caractère constitutionnel : “the common law

has come to recognize and endorse the notion of constitutional, or fundamental rights. These are

broadly the rights given expression in the Convention for the protection of human rights and

fundamental freedoms, but their recognition in the common law is autonomous[…]. The Human

Rights Act 1998 now provides a democratic underpinning to the common law’s acceptance of

constitutional rights, and important new procedural measures for their protection142”. A ce

propos la jurisprudence de la House of Lords joue un rôle primordial. Les interventions de la

Chambre des Lords concernant l’interdépendance qui existe entre CEDH et HRA sont

nombreuses, tant que de sa jurisprudence on peut en tirer certains principes généraux.

D’abord, les droits proclamés par la CEDH et ceux inscrits dans l’HRA ne sont pas les

mêmes puisque seuls les seconds font partie du droit britannique 143. Ensuite, les tribunaux

nationaux, en application de l’HRA, ne peuvent rien ajouter à la protection déjà assurée par la

Convention comme interprétée par la Cour EDH : le champ d’application de la Convention ne

peut être étendu par les juges nationaux au de là de ce que la Cour de Strasbourg a décidé 144. Un

individu n’aura pas le droit de saisir la Cour EDH jusqu'à ce que les voies de recours internes en

140 Cf. MASTERMAN Roger op cit.. 141 “Runa Begum v Tower Hamlets London [2002] 2 All ER 668, §17”: “the court’s task under the HRA…is not simply to add on the Strasbourg learning to the corpus of English law, as if it were a compulsory adjunct taken from an alien source, but to develop a municipal law of human rights by the incremental method of the common law, case by case, taking account of the Strasbourg jurisprudence as HRA s.2 enjoins us to do”. 142 International transport Roth GmbH v Secretary of State for the Home Department [2003] QB 728, §71. 143 Al-Skeini par 10 cit. Re McKerr [2004] UKHL 12. 144 Al Skeini par 90, 105-106, cit. R (ullah) v Special Adjudicator [2004], 2 AC 323.

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violation de l’HRA n’ont expiré145. Une décision très récente146 semble ajouter un quatrième

principe147 : des lors qu’un individu a le droit d’agir devant la Cour EDH pour violation des

dispositions de la CEDH, il pourra automatiquement agir devant les tribunaux nationaux pour

violation de l’HRA, à moins que ce dernier exclut expressément cette possibilité. Et en pratique

l’HRA exclut l’application automatique de la CEDH pour les violations qui sont intervenues avant

le 2 octobre 2000, date de l’entrée en vigueur de l’HRA. Ce quatrième principe, d’une portée

pratique non négligeable, avait été suggéré par Lord Nicholls dans une précédente décision de la

House of Lords148.

§2 La normalité nouveau critère d’institutionnalisation

Ainsi la jurisprudence de Strasbourg en matière de protection de la vie familiale est prise

en compte par les juges nationaux qui, cependant, dégagent aussi leur propre interprétation de la

norme. Le critère de normalité devient pour les Etats la condition même de la reconnaissance du

droit à mener une vie familiale (A) et par conséquent, indice même de proportionnalité : les

modèles familiaux anormaux ne rentrent pas dans le champ d’application de l’article 8 (B).

A/ La normalité condition de la vie familiale

Les ordres juridiques nationaux conçoivent la normalité comme condition même de

protection de la vie familiale. Dans ce sens, l’Etat n’est plus en devoir d’offrir la garantie de

normalité, mais se pose lui même en tant que sujet capable d’apprécier l’existence d’une telle

normalité, afin d’admettre l’entrée ou interdire l’expulsion de l’étranger. Le droit à mener une vie

familiale est donc une liberté individuelle qui trouve ses limites dans les exigences étatiques.

145 Al Skeini § 4,134, R (Hurst) v London Northern District corner [2007] UKHL 13. 146 R (on the application of Al-Skeini and others) v Secretary of State for Defence [2007] UKHL 26. 147 New law journal, “Public law update”2 novembre 2007. 148 “R (quark fishing) v Foreign Secretary” [2005] UKHL 57.

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Dans ce sens, les interprétations des juges nationaux et du juge européen divergent entre

elles, car chacun des Etats choisit librement quel est le modèle de vie familiale socialement

accepté et donc « normal ». La Cour EDH de ce point de vue se borne à reconnaitre une telle

forme de vie familiale plutôt qu’une autre suivant les évolutions qui se sont produites à l’intérieur

des Etats, par un raisonnement à la majorité : elle impose une solution lorsqu’elle la retient

socialement acceptée ou acceptable par la plupart des pays partie à la Convention. A titre

d’exemple on peut citer l’affaire « Goodwin 149» dans laquelle la Cour de Strasbourg a reconnu le

mariage transsexuel. Se fondant sur l’article 9 de la Charte européenne des droits fondamentaux,

qui rappelons-le, ne fait pas partie du droit conventionnel, le juge européen neutralise la lettre de

l’article 12 de la Convention, en soutenant : « Certes, la première partie de la phrase vise

expressément le droit pour un homme ou pour une femme de se marier. La Cour n’est pas

convaincue aujourd’hui que l’on puisse continuer d’admettre que ces termes impliquent que le

sexe doive être déterminé selon des critères purement biologiques. Depuis l’adoption de la

Convention, l’institution du mariage a été profondément bouleversée par l’évolution de la société

[…]. La Cour note également que le libellé de l’article 9 de la Charte européenne des droits

fondamentaux s’écarte de celui de l’article 12… ». Suivant ce raisonnement est-ce qu’on peut en

conclure que le mariage transsexuel correspond à un modèle de vie familiale « normale »,

susceptible de recevoir protection sur le fondement de l’article 8 ?

Comme nous avons souligné auparavant, dans aucun des pays étudiés il existe une

obligation juridique imposant au juge national de prendre véritablement en considération la

jurisprudence de la Cour EDH. Là aussi l’appréciation de la normalité relève de la vision

subjective du juge. Ainsi, pour apprécier la normalité, le Conseil Constitutionnel français150

affirme que « les conditions d’une vie familiale sont celles qui prévalent en France, pays

d’accueil ». Si c’est véritablement le cas, la normalité devient un critère qui permet au juge

national d’apprécier, selon les exigences étatiques, quelle est la vie familiale susceptible de

recevoir protection.

Comme le soutient Eric Millard151 en France, mais aussi en Italie et au Royaume Uni,

« pendant longtemps la normalité s’est incarnée dans le modèle de famille légitime ». Ce qui, en

149 Cour EDH Goodwin c/Royaume Uni 11 juillet 2002. 150 Déc. n° 93-325 du 13 août 1993, considérant n°77. 151 MILLARD, Eric, Op. Cit. p. 152.

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revanche, avait été nié par le juge de Strasbourg. Comme souligné auparavant, déjà dans l’arrêt

Marckx, , la Cour EDH avait adopté une définition large de vie familiale, telle à pouvoir englober

même les relations de facto, qui se développent hors mariage. La normalité devient alors

condition du développement de la vie familiale de l’étranger sur le territoire national. Face au

phénomène migratoire, les Etats se trouvent face à des cultures différentes qui admettent d’autres

modèles d’organisation de vie familiale. De ce fait, ces modèles, dont le mariage polygame en est

l’exemple principal, ne sont pas admis car considérés anormaux. Or, cela signifie qu’il n’est pas

correct de considérer la vie familiale de l’article 8 comme un droit purement individuel. Le droit à

mener une vie familiale est un droit individuel qui ne peut être exercé que dans les limites fixées

par l’Etat, selon l’idée d’œuvre que l’Etat a reconnu en tant qu’institution. Autrement dit, selon

cette conception, la vie familiale est normale lorsqu’elle correspond au modèle familial accepté.

B/ Normalité indice de proportionnalité : la non reconnaissance des vies familiales

« anormales »

Si la normalité constitue la condition même de la protection du droit à mener une vie

familiale, les rapports familiaux « anormaux » ne rentrent pas dans le champ d’application de

l’article 8.

Le mariage polygame est l’exemple le plus significatif d’anormalité. La Cour EDH a elle

même admis qu’ « un Etat contractant ne peut être tenu en vertu de la Convention Européenne

des droits de l’Homme d’accorder une entière reconnaissance à la polygamie qui est en

contradiction avec son propre ordre juridique 152».

La Grande Bretagne ne reconnaît pas le mariage polygame comme valide si l’un des

conjoints est domicilié sur le territoire britannique153, sauf si de facto on démontre que l’union est

monogame. Dans le cas où tous les conjoints soient domiciliés à l’étranger on applique les règles

du droit international privé : un tel mariage sera considéré valide si la loi du pays de résidence des

152 Cour EDH X c/Pays Bas. 153 UK Matrimonial Causes Act 1973 s 11(d).

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parties reconnaît une telle validité. Mais cela ne justifie pas l’entrée sur le territoire britannique de

plus d’un conjoint154.

De la même manière, en France le mariage polygame ne peut pas être célébré sur le

territoire national155. L’article L 411-7 du CESEDA dispose que « Lorsqu'un étranger polygame

réside en France avec un premier conjoint, le bénéfice du regroupement familial ne peut être

accordé à un autre conjoint ». Mais le mariage polygame contracté à l’étranger peut être reconnu

en France si une telle union est considérée valide selon la loi qui régit le statut personnel du

requérant, suivant le principe de l’ordre public atténué156. Cependant la jurisprudence de la Cour

de Cassation s’est par la suite nuancée pour concilier l’ordre public atténué avec l’ordre public de

proximité. Même si la situation a été valablement acquise à l’étranger, sans fraude, elle ne pourra

produire des effets en France dès lors que certains éléments de proximité, notamment le domicile

en France ou la nationalité française de l’une des parties, sont établis. Ainsi, la Cour de Cassation

considère que si certains effets des unions polygamiques peuvent se produire en France, ils ne

peuvent pas être opposés à la première épouse si celle-ci est française157. Dans ce contexte

s’explique la position du Conseil Constitutionnel158 qui a nié la possibilité de reconnaître en

France un tel mariage en affirmant que la vie familiale s’apprécie au regard des conditions posées

par la société française. En outre le ressortissant faisant partie de l’un des Etats autorisant la

polygamie, dont une liste est fournie par la une note d’information du 20 janvier 1995, doit

produire une déclaration sur l’honneur selon laquelle il ne vit pas en France en état de polygamie.

Quant à l’Italie une circulaire ministérielle159 avait interdit le regroupement familial de plus d’un

conjoints, le Conseil d’Etat italien160 considérant en même temps invalide le deuxième mariage.

Dans une décision du tribunal administratif de Emilia-Romagna161, le juge a considéré la

polygamie contraire au principe constitutionnel de l’égalité entre époux et donc contraire à l’ordre

154 Immigration Rules HC 95 par. 278. 155 Cela en raison du fait que l’article 147 du code civil dispose qu’ « On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier », ce qui rend le mariage polygame contraire à l’ordre public. 156 Cass. Civ. 17 avril 1953, Rivière « la réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France, ou suivant qu’il s’agit de laisser produire en France les effets d’un droit acquis, sans fraude, à l’étranger […] ». 157 Civ 1 6 juillet 1988, Baaziz. 158 Cf. la décision du 13 aout 1993 précitée. 159Circ. Min. Interno 7 octobre 1988 n° 559/443/186378/5/11/3/1/2/I Div, cit. GALOPPINI Annamaria, “Ricongiungimento familiare e poligamia”, Dir. famiglia 2/2000 p. 739. 160 Cons. Stato, sez. III, parere 7 giugno 1988 n. 640/88 cit. GALOPPINI Annamaria, “Ricongiungimento familiare e poligamia”, Dir. famiglia 2/2000 p. 739. 161 TAR Emilia-Romagna - sede di Bologna, sez. I, 14 décembre 1994 n. 926, cit. GALOPPINI Annamaria, “Ricongiungimento familiare e poligamia”, Dir. famiglia 2/2000 p. 739.

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public. Cependant, sous l’influence française, certains effets du mariage polygamique peuvent être

admis, au nom du principe de l’ordre public atténué162.

La polygamie ne constitue pas le seul facteur d’anormalité. Les juges britanniques, par

exemple, refusent certains types d’adoption pratiquées à l’étranger comme pouvant être

juridiquement reconnues en Grande Bretagne, et, par conséquent, n’acceptent pas le regroupement

familial de l’enfant ainsi adopté avec l’adoptant déjà présent sur le territoire national. Une liste de

pays163a même été établie : seulement les adoptions pratiquées dans les pays inscrits dans cette

liste sont susceptibles d’être reconnues. Par exemple l’Inde n’en fait pas partie.

Dans les trois pays, de manière générale, le droit au regroupement n’est reconnu qu’à la

famille nucléaire. Cela signifie qu’une vie familiale n’est pas « suffisamment normale » à

engendrer la protection d’un tel droit s’il doit être reconnu à des enfants qui ont déjà rejoint la

majorité ou de parents âgés de moins de 65 ans. Ces conditions d’âge sont imposées même par le

droit communautaire164et il paraît que la Cour de Strasbourg, en matière d’immigration familiale,

ait substitué l’interprétation extensive du champ d’application de l’article 8 avec une vision

restreinte à la notion de famille nucléaire. Dans une décision du 9 octobre 2003 « Slivenko et

autres c/Léttonie » le juge européen a affirmé que « l'existence d'une vie familiale » ne peut être

invoquée « à propos des parents âgés […] puisqu'il s'agissait d'adultes qui ne faisaient pas partie

du noyau familial et dont il n'a pas été démontré qu'ils étaient à la charge de la famille des

requérantes ». Décision qu’on peut critiquer si on considère que cette interprétation restrictive de

la Cour ne tient pas compte de différentes traditions qui existent dans les pays de l’Europe de l’Est

où le modèle de famille patriarcale est encore en place165.

De la même manière, le juge constitutionnel italien affirme que dans ces cas « l’unité

familiale perd la caractéristique de droit fondamental à valeur constitutionnelle » car il existe

« marges de manœuvre qui permettent au législateur de concilier l’intérêt à l’affection avec

d’autres intérêts de relief 166». En particulier, en ce qui concerne les enfants majeurs, la Cour

162 Cour d’appel Torino, déc. 18 avril 2001qui reconnaît le regroupement de la deuxième épouse au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. 163 Adoption (Designation of Overseas Adoption) Order 1973, SI 1973/19. 164 Cf. Infra. 165 THYM, Daniel “Respect for private and family life under article 8 ECHR in immigration cases: a Human Right to regularize illegal stay?”, International and Comparative Law Quarterly (ICLQ), 57/2008. 166 Corte Cost., déc. 224/2005 Cf. TERRACCIANO Ugo, “Il diritto all’unità familiare a due velocità. Sì ai ricongiungimenti solo per i minori”, Diritto e Giustizia 30/2005 p.10.

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considère qu’ils ne peuvent nouer avec la cellule familiale d’origine que des liens familiaux de

« simple solidarité167 » ne nécessitant pas la cohabitation. Cette position a été réaffirmée par le

juge constitutionnel italien très récemment168. En France et au Royaume Uni, en revanche, la

jurisprudence n’est pas si exigeante : parfois la vie familiale est reconnue même à l’égard d’autres

liens familiaux, comme par exemple entre un neveu et un oncle169 ou entre sœurs170. On constate

quand même que tout dépend de la vision subjective du juge.

L’Italie est encore plus rigide lorsqu’elle requiert aussi que la vie de couple soit reconnue

juridiquement sous la forme d’un mariage. Cette exigence dérive du fait que seul

l’ordonnancement juridique italien refuse de réglementer le partenariat enregistré qui, en revanche,

est reconnu, sous la forme au moins contractuelle, soit en France soit au Royaume Uni. Dans une

récente décision de la Cour d’appel de Florence171, le juge italien refuse le regroupement familial

demandé par un couple homosexuel constitué d’un citoyen italien et d’un citoyen néozélandais.

De cette jurisprudence on pourrait donc en conclure que l’Italie considère le couple de facto

comme une cellule familiale anormale ne pouvant recevoir protection au sens de l’article 8. En

effet le droit communautaire laisse les Etats libres de déterminer quel conjoint est susceptible

d’être bénéficiaire du droit au regroupement. Et pourtant, il ne s’agit pas d’un refus généralisé de

reconnaître le droit au regroupement à la famille « more uxorio », car, comme déjà rappelé, la

famille de facto fait l’objet en Italie d’une protection constitutionnelle sur le fondement des

articles 2 et 3 de la Constitution et la Cour constitutionnelle est intervenue plusieurs fois pour le

préciser172. On devrait donc en conclure qu’il s’agit d’un refus spécifique à l’encontre du couple

homosexuel.

En effet, la question de savoir si les unions homosexuelle ou transsexuelle peuvent être

considérées normales est un problème commun aux trois pays. Au Royaume Uni seulement à

167 Affetti familiari di mera solidarietà. 168 Corte Costituzionale, ord. 23 novembre 1997, n°335, Cf. PASCUCCI, Luisa « Il diritto al ricongiungimento familiare nell’interpretazione della Corte Costituzionale”, Famiglia e Diritto 2/2008. 169 Pour la France voir CE 8 décembre 1997, VANDENDRIESSCHE, Xavier, « Étrangers – Définitions. Principes. Orientation » JCP Adm Fasc. 233-50, JCP Adm. Fasc. 233-50, pour la Grande Bretagne voir « Nhundu and Chiwera v. Secretary of State » 01/TH/613 UKIAT [2001], cit. BLAKE Nicolas, HUSAIN Raza, “Immigration Asylum and Human rights”, Oxford University Press, 2003, p. 168-169. 170 CAA Lyon 23 avril 1998, JCP Adm. Fasc. 233-50. 171 Corte di Appello di Firenze, decr. 6 décembre 2006, Cf. PASCUCCI, Luisa “Coppie di fatto: un limite al ricongiungimento familiare?”, Famiglia e Diritto 11/2007. 172 PASCUCCI Luisa, “ Il diritto al ricongiungimento familiare nell’interpretazione della Corte Costituzionale”, Famiglia e Diritto 2/2008, en particulier le commentaire à l’ordonnance de la Cour Constitutionnelle du 23 novembre 2007 n°397.

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partir du 5 décembre 2005, date de l`entrée en vigueur du Civil Parternship Act 2004, les couples

du même sexe ont été en mesure de registrer leur relation comme une union régulièrement

reconnue par la loi. Par conséquent les règles relatives à l’immigration ont été modifiées pour

inclure dans l`hypothèse du regroupement familial les unions civiles entre homosexuels. En outre,

depuis la déjà mentionnée décision Fitzpatrick , le couple homosexuel a droit non seulement à la

protection de sa vie privée mais aussi de sa vie familiale. De ce point de vue les juges britanniques

s’éloignent de la jurisprudence de Strasbourg qui semble ancrée à la conception traditionnelle

selon laquelle l’homosexualité représente l’une des manifestations le plus intimes de la vie

privée173. Même le juge administratif français174 a parfois admis que le couple homosexuel puisse

prétendre à la protection de la vie familiale.

Pour les couples transsexuels le problème est un peu plus délicat car il est question pour

les juges nationaux de reconnaître le droit au changement de sexe, faute de quoi le mariage

resterait interdit. La Cour de Cassation française175 a reconnu ce droit récemment, à condition que

la transformation physique ait été préalablement effectuée. Toutefois, la Cour de Strasbourg

depuis la déjà citée affaire Goodwin reconnaît le droit au mariage pour les transsexuels même à

l’encontre de pays qui, comme le Royaume Uni dans le cas d’espèce, ne l’acceptent pas. Dans une

affaire très récente176, la Cour EDH a même consacré un droit à la conversion sexuelle au

préalable, ce qui peut entrer en contradiction avec le principe de l’indisponibilité du corps humain

et de dignité en tant qu’exigences objectives que l’Etat est en devoir de garantir.

L’interdiction des mariages en blanc ou mariages de complaisance peut aller dans la même

direction : il faut éviter les relations familiales anormales. Certes, une telle interdiction est

totalement justifiée s’il s’agit d’éviter la fraude à la loi et de protéger les exigences d’ordre public.

Dans ce cas il n’y a pas de vie familiale à protéger. Il n’en reste pas moins que parfois le juge ou

l’autorité qui doit décider du caractère réel du mariage utilise son pouvoir discrétionnaire de

manière arbitraire. C’est le cas notamment en Grande Bretagne où les autorités compétentes vont

vérifier l’existence d’une sincère intention de vivre ensemble de la part du couple. Comment

mesurer cette intention ? C’est le cas aussi en Italie où la loi Bossi-Fini prévoit la même condition,

173 Cour EDH « Dudgeon c/Royaume Uni » 22 novembre 1991. 174 CE 3 mars 2003 “Préfet de police c/T”, VANDENDRIESSCHE, Xavier, « Étrangers – Définitions. Principes. Orientation » JCP Adm Fasc. 233-50. 175 Ass. Plén. 11 décembre 1992, JCP 1993, II. 21991, concl. M. Jéol. 176 Cour EDH “L. C/Lituanie” 11 septembre 2007.

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par ailleurs177 susceptible d’être contraire à l’article 29 de la Constitution, parce que cela

permettrai à l’agent de police d’expulser un étranger du seul fait qu’il n’y a pas cohabitation

matérielle, alors qu’il pourrait exister une réelle intention du couple de vivre ensemble, sans que

cela soit toujours possible pour des raisons pratiques. Par exemple, l’un de conjoint pourrait

travailler loin de la résidence commune.

177MOROZZO DELLA ROCCA, Paolo “Simulazione, matrimonio di comodo e cittadinanza”, Famiglia e Diritto 10/2007.

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II. L’exercice du droit au regroupement familial

Selon la directive communautaire de 2003 relative au droit au regroupement familial des

ressortissants des pays tiers, celui-ci consiste dans « l'entrée et le séjour dans un État membre des

membres de la famille d'un ressortissant de pays tiers résidant légalement dans cet État membre

afin de maintenir l'unité familiale, que les liens familiaux soient antérieurs ou postérieurs à

l'entrée du regroupant178 » .

Le droit au regroupement est un droit nouveau179 qui s’applique à la situation spécifique

des étrangers et dont on peut établir deux facettes: d’une part, il permet à l’étranger déjà établi sur

le territoire de l’état d’accueil de demander à ce que sa famille le rejoint ; d’autre part, il évite

l’expulsion et donc permet de maintenir la cellule familiale regroupée. Outre les sources

internationales qui, protégeant de manière générale la famille, constituent aussi la garantie du

droit au regroupement familial, encore faut-il mentionner les Conventions de l’Organisation

internationale du travail (OIT) n°97 et n°143, la Convention européenne relative au statut

juridique du travailleur migrant de 1977180 et la Charte sociale Européenne de 1966 qui, en

revanche, se préoccupent plus spécifiquement du droit au regroupement.

L’exigence de garantir la protection de ce nouveau droit naît d’un phénomène commun à

tous les pays occidentaux, celui de l’augmentation croissante des flux migratoires. Or,

l’immigration dite économique, celle du travailleur migrant, est toujours suivie de l’immigration

familiale, celle qui concerne les membres de sa famille. Ce phénomène s’est répandu de plus en

plus ces dernières années dans tous les pays occidentaux, même ceux qui, comme l’Italie, sont

restés, jusqu’à récemment, pays d’émigration. Parallèlement à sa reconnaissance internationale, le

droit au regroupement familial a été réglementé dans ses conditions d’exercice soit par les droits

nationaux, soit par le droit communautaire. Les conditions posées à sa protection montrent

178 Article 2 d) de la directive 2003/86/CE. 179 Cf SIRIANNI, Guido « Il diritto degli stranieri al ricongiungimento familiare », Familia Quaderni, sous la direction de PATTI, Salvatore, Giuffrè, 2006. 180 Convention signée à Strasbourg le 24 novembre 1977.

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comment ce droit trouve ses limites principales dans l’exigence étatique de contrôler les flux

migratoires.

La formulation de cette reconnaissance tant nationale, tant communautaire et

internationale, ne fait pas douter du fait que le regroupement familial soit un droit subjectif

fondamental. Le droit au regroupement familial peut donc être considéré la manifestation du droit

à mener une vie familiale normale, et ce dernier la racine du premier181.

Si le regroupement familial est un droit subjectif fondamental, qui est le bénéficiaire de ce

droit ? Est-ce qu’il est limité à la famille légitime, ou est-ce qu’il s’adresse aux membres de la

famille élargie ?

Le respect des conditions posées à l’exercice du regroupement va contribuer à forger une

notion de famille qui souvent se limite à la famille nucléaire, suivant le concept de normalité

comme défini au cours de notre première partie (Chapitre I).

De la même manière la preuve du lien de parenté est devenue de plus en plus difficile et va

donc restreindre l’exercice du regroupement familial. De ce point de vue, la notion de famille

varie paradoxalement de celle de « famille affective », fondée exclusivement sur les liens affectifs,

à celle de « famille biologique », qui tout au contraire, ne concerne que les rapports familiaux

entre consanguins (Chapitre II).

181LABAYLE, Henri « Le droit des étrangers au regroupement familial, regards croisés du droit interne et du droit international », RFDA 2007, p. 101.

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Chapitre I Les conditions d’exercice du regroupement familial :

nature du regroupement et conception de la famille

L’étude des conditions posées par les droits nationaux à l’exercice du droit au

regroupement familial démontre le fait que le bénéficiaire de ce droit reste principalement, et sauf

rares exceptions, la famille légitime, celle que nous avons étudiée lors de notre première partie

comme protégée par le droit constitutionnel national, et qui, suivant le critère de la normalité,

constitue aussi le fondement du droit à mener une vie familiale de l’article 8. Même le droit

communautaire, qui vient à harmoniser les différents droits nationaux en matière d’immigration,

reste fidèle à la vision traditionnelle de la famille nucléaire.

Nous allons premièrement analyser les conditions posées par le droit communautaire. Le

droit au regroupement familial a été en effet reconnu d’abord vis-à-vis des ressortissants

communautaires qui ont exercé leur liberté de circulation. Seulement très récemment l’Union

Européenne s’est dotée d’une législation en matière de regroupement familial concernant les

ressortissants des Etats tiers, avec l’adoption de la directive 2003/86/CE. La jurisprudence de la

CJCE joue un rôle important dans l’interprétation et application des normes communautaires,

jusqu’à allant redéfinir le concept normatif de famille et élargir la catégorie de conjoint susceptible

de faire l’objet d’une mesure de regroupement (Section I).

Le but de la directive étant celui d’harmoniser les législations nationales en vigueur, les

conditions objectives et subjectives imposées au demandeur du droit au regroupement par les

droits nationaux ne diffèrent pas beaucoup entre elles. En principe, l’utilisation d’une notion très

stricte de la famille pouvant bénéficier de ce droit, permet de maintenir le contrôle étatique sur les

flux migratoires. Les juges nationaux peuvent, à leur discrétion, élargir le champ d’application

rationae personae du droit au regroupement (Section II).

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Section I/Le droit au regroupement familial réglementé par le droit

communautaire

Le droit au regroupement familial a été très tôt reconnu vis-à-vis des ressortissants

communautaires dans le but de favoriser la libre circulation des travailleurs à l’intérieur du marché

commun qui venait d’être institué. Seulement plus récemment, et au terme d’un processus

complexe qui a dû surmonter la réticence de la plupart des Etats membres, la communautarisation

de la politique d’immigration s’est achevée avec l’émanation de la directive sur le regroupement

familial des ressortissants des Etats tiers.

L’analyse de la législation communautaire en matière de regroupement, qu’elle concerne

les ressortissants communautaires ou des Etats tiers, montre qu’il s’agit d’un droit subjectif

fondamental reconnu, en principe, à la famille légitime, tout en laissant les Etats membres libres

d’établir des dérogations (§1). La jurisprudence de la CJCE joue dans ce domaine un rôle

déterminant dans l’application concrète des règles communautaires. De ce point de vue, la notion

de famille est interprétée différemment selon que le regroupement soit reconnu aux ressortissants

communautaires ou extracommunautaires (§2)

§1 La législation communautaire en matière de regroupement familial : un droit

fondamental limité à la famille légitime

Le traité de Rome, dans sa version originaire, ne contenait aucune disposition qui attribuait

aux institutions une compétence en matière d’immigration. Par conséquent, pendant longtemps, la

libre circulation des personnes a concerné exclusivement les citoyens des pays membres de

l’Union Européenne.

A ce stade, les ressortissants des pays tiers ne peuvent bénéficier que de certains aspects du

marché commun : la libre circulation des biens concerne les biens d’origine communautaire ou

ceux qui ont franchi la frontière, indépendamment de la nationalité des operateurs économiques ;

la libre prestation de services comporte l’élimination de quiconque discrimination fondée sur la

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nationalité ou sur la résidence du prestataire. Par conséquent, la nationalité du destinataire de la

prestation est indifférente, pourvu que celui-ci réside sur le territoire de la Communauté. Enfin, la

libre circulation des capitaux concerne les capitaux détenus par des personnes résidentes sur le

territoire de la Communauté, indépendamment de leur nationalité182.

Au de là de ces effets indirects, la politique communautaire en matière d’immigration n’est

conçue qu’en faveur des citoyens communautaires.

Lorsque l’immigration provenant des pays tiers connaît une première croissance,

l’intervention de la Communauté dévient nécessaire et se fait à travers deux lignes directrices :

d’une part, l’amélioration du traitement réservé aux salariés extracommunautaires employés par

les Etats membres, quant au niveau d’occupation et à l’intégration du salarié et de sa famille dans

le pays hôte ; d’autre part, la coordination dans l’objectif de lutter contre l’immigration

clandestine. On constate qu’il n’est question que de reconnaître l’immigration économique, sans

mentionner sa directe conséquence, c'est-à-dire l’immigration familiale. A cette époque, la seule

tentative de la Commission183d’organiser une action concertée des Etats en matière d’immigration

échoue, car elle est considérée, par la Cour de Justice184, comme excédant les compétences de la

Commission.

Le premier pas vers une politique migratoire commune a été franchi le 14 juin 1985185

avec la signature de l`Accord pour la suppression graduelle des contrôles aux frontières

communes, appelé Accord Schengen. Le Traité de Maastricht fixe une nouvelle compétence en

matière d’immigration : le titre IV du traité, dédié à la politique de justice et affaires internes (le

troisième pilastre de la Communauté) fait de la politique en matière d’immigration un domaine

d’intérêt commun parmi les Etats membres. La matière fait donc l’objet de la politique

intergouvernementale : les Etats membres ont une obligation de consultation au sein du Conseil,

lequel, assisté par un Comité de coordination, adopte à l’unanimité des positions et actions

communes, ou projets de convention qui devront être ratifiés par les Etats membres.

182 Pour une analyse plus approfondie de l’évolution de la réglementation communautaire en matière d’immigration voir CONDINANZI Massimo, LONG Alessandra, NASCIMBENE Bruno “Cittadinanza dell’Unione e libera circolazione delle persone” Giuffrè II ed., 2006, p. 249 et s.. 183 Commission Européenne, décision n°85/381/CEE du 8 juillet 1978. 184 CJCE « Allemagne, France, Pays Bas, Danemark et Royaume Uni c/Commission, 9 juillet 1987, cit. CONDINANZI Massimo, LONG Alessandra, NASCIMBENE Bruno “Cittadinanza dell’Unione e libera circolazione delle persone” Giuffrè II ed., 2006, p. 249 et s.. 185 Font partie de l`accord au début: France, Allemagne, Belgique, Pays Bas et Luxembourg.

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L`acquis de Schengen a été finalement communautarisé avec le traité d`Amsterdam de

1997 qui a institué une compétence de principe des Institutions communautaires en matière

d`immigration et d`asile. La politique commune a été précisée lors du Conseil Européen de

Tampere des 15 et 16 octobre 1999. La compétence communautaire, qui trouve son fondement

dans l’article 63 n°3 et 4 du Traité, doit s’inscrire dans l’objectif de « Conserver et développer

l’Union en tant qu’espace de liberté, sécurité et justice186 ». Cela comporte la nécessité de

coordonner les actions relatives, d’une part, au titre IV du Traité UE concernant principalement la

politique de l’immigration et, d’autre part, le titre VI qui, en revanche, s’occupe de la coopération

de police judiciaire en matière pénale.

Dans ce contexte, les Etats membres se décident pour l’adoption de la directive

2003/86/CE, permettant le regroupement des citoyens des Etats tiers à la Communauté. Le

processus d’adoption, très long et compliqué, témoigne les réticences étatiques. Le résultat ainsi

achevé, se trouve à être fortement critiqué par la doctrine, même si accepté par la Cour de Justice.

On analysera d’abord la législation permettant le regroupement familial des ressortissants

communautaires (A), pour ensuite se concentrer sur celle concernant les ressortissants des pays

tiers (B). On constate que les conditions posées par le droit communautaire dérivé consacrent, en

général, un droit fondamental au regroupement familial limité à la famille légitime.

A/ La législation concernant les ressortissants communautaires

Le règlement communautaire n°1216/68187 reconnaît pour la première fois le droit au

regroupement des membres de la famille des travailleurs migrants. Le but principal est celui de

favoriser le développement du marché interne et la libre circulation des travailleurs 188. En effet,

cette dernière ne peut se réaliser que si l’ on permet aux familles des travailleurs de rejoindre

leurs conjoints189.

186 Article 2 du Traité UE. 187Règlement communautaire n°1216/1968 du 15 octobre 1968. 188 MARTIN J. M. C « Immigration et regroupement familial dans l’Union européenne : un droit à géométrie variable ? » Revue du droit de l’Union européenne 4/2005. 189 Le considérant n°5 du préambule du règlement 1216/68 est ainsi rédigé : « considérant que le droit de libre circulation exige, pour qu'il puisse s'exercer dans des conditions objectives de liberté et de dignité, que soit assurée, en fait et en droit, l'égalité de traitement pour tout ce qui se rapporte à l'exercice même d'une activité salariée et à

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L’article 10 de ce règlement établit quels sont les membres de la famille susceptibles de

faire l’objet d’une mesure de regroupement familial : il s’agit de l’époux et des enfants mineurs de

21 ans ou majeurs à charge et des ascendants de l’un des membres du couple, également à charge.

On voit bien ici qu’il s’agit de la famille traditionnelle fondée sur le mariage à l’exclusion des

couples de facto190.

La même disposition, dans son troisième paragraphe, impose au travailleur souhaitant

d’être rejoint par sa famille d’être en mesure de lui offrir un logement « considéré comme normal

pour les travailleurs normaux employés dans la région où il est employé ». Condition qu’on

retrouvera même dans la directive de 2003 concernant le regroupement des citoyens tiers à

l’Union Européenne et qui est fondée, à nouveau, sur le critère aléatoire de la normalité.

La récente directive 2004/38 du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et

des membres de leurs familles de circuler et séjourner librement sur le territoire des Etats

membres, vient à compléter le cadre juridique de protection du droit au regroupement familial

pour les ressortissants communautaires, dépassant la logique économique pour laisser la place à

une logique de citoyenneté. La notion de citoyenneté européenne devrait constituer, selon la

directive, le statut de base des ressortissants des Etats membres lorsqu’ils exercent leur droit de

circuler et de séjourner librément 191 : en effet, pour que le regroupement soit admis, il faut que le

citoyen communautaire ait exercé la liberté de circulation, mais les raisons du déplacement dans

un autre Etat membre ne sont plus limitées au travail, mais aussi, par exemple, à l’étude192. Cette

directive a été transposée par les trois pays193.

A différence du règlement de 1968, la directive en question garantit le droit au

regroupement même au couple de facto, à condition, pourtant, que cette union soit admise par le

l'accès au logement, et aussi que soient éliminés les obstacles qui s'opposent à la mobilité des travailleurs notamment en ce qui concerne le droit pour le travailleur de se faire rejoindre par sa famille, et les conditions d'intégration de cette famille dans le milieu du pays d'accueil ». 190 STATFORD Helen, « Regulating family life in post Amsterdam Europe », European Law Review, 2003. 191 Cf. LABAYLE, Henri “Le droit des étrangers au regroupement familial, regards croisés du droit interne et du droit européen », Revue française de droit administratif, 2007 p. 101. 192 Le préambule de la directive au paragraphe 3 met en évidence le fait que « La citoyenneté de l'Union devrait constituer le statut de base des ressortissants des États membres lorsqu'ils exercent leur droit de circuler et de séjourner librement. Il est par conséquent nécessaire de codifier et de revoir les instruments communautaires existants qui visent séparément les travailleurs salariés, les non salariés, les étudiants et autres personnes sans emploi en vue de simplifier et de renforcer le droit à la liberté de circulation et de séjour de tous les citoyens de l'Union ». 193 En France elle a été transposée par la loi 2006-911 du 24 juillet 2006, au Royaume Uni par le Immigration (European Economic Area) Regulation 2006, entré en vigueur le 30 avril 2006, en Italie par le décret-législatif 6 février 2007 n° 30.

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droit du pays membre où le regroupement devrait être accordé194. Une reconnaissance qui, en

dehors du rapport matrimonial, laisse la définition de conjoint susceptible de bénéficier du droit au

regroupement à la libre discrétion des Etats membres. On a vu, par exemple, que l’Italie a refusé le

regroupement d’un couple homosexuel formé d’un citoyen italien et d’un citoyen néozélandais195.

B/ La législation concernant les ressortissants des pays tiers

En fixant les conditions matérielles d’exercice du droit au regroupement familial, la

directive 2003/86/CE a pour but principal celui d’harmoniser les législations nationales en matière

de politique d’immigration. La tâche n’est pas simple à achever, en témoigne son difficile

processus d’adoption196, d’une durée de quatre ans, et au cours duquel le projet de la Commission

a subi un nombre considérable d’amendements de la part du Conseil, sans que le Parlement

Européen ait pu véritablement jouer un rôle déterminant. Raison pour laquelle il sera auteur de la

saisine de la Cour de Justice.

Outre les conditions de logement décent, d’assurance maladie et de ressources suffisantes

que le regroupant doit remplir afin de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille197, les autres

conditions posées par la directive au regroupement familial sont pour la plupart de nature à

restreindre la notion de famille ou de conjoint susceptible d’invoquer ce droit.

La disposition principale à ce propos est l’article 4 qui n’impose aux Etats membres que le

regroupement familial des familles nucléaires et traditionnelles composées du conjoint avec les

fils mineurs. Pour les autres types de cellules familiales tout est laissé à la discrétion de l’Etat

d’accueil. Ainsi les couples non mariés sont exclus du champ d’application de la directive, à

moins que l’Etat membre n’en décide autrement. C’est au fond la même solution que la directive

2004/38 a adoptée pour le regroupement familial des ressortissants communautaires. Sauf que là,

la reconnaissance du droit au regroupement des couples de facto est imposée explicitement aux

194 La directive comprend dans la notion de conjoint le « partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d’un État membre, si, conformément à la législation de l’État membre d’accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l’État membre d’accueil » (art 2 b)). 195 Cf. Supra, Corte di Appello di Firenze, decr. 6 décembre 2006, commenté par PASCUCCI, Luisa “Coppie di fatto: un limite al ricongiungimento familiare?”, Famiglia e Diritto 11/2007. 196 En fait une synthèse FAVILLI Chiara “La direttiva 2003/86/CE sul ricongiungimento familiare e le due corti europee”, in “La carta e le Corti – I diritti fondamentali nella giurisprudenza europea multilivello” a cura di BRONZINI G. e PICCONE V., Chiementi, 2007 p. 375 et s.. 197Article 7.

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pays qui admettent dans leur système juridique de telles unions, alors qu’ici, il paraît que tout soit,

quand même, laissé à l’appréciation étatique. En effet les termes de la directive sont clairs

lorsqu’elle affirme que les Etats membres « peuvent » et non pas « doivent » autoriser l’entrée et

le séjour du « partenaire non marié ressortissant d'un pays tiers qui a avec le regroupant une

relation durable et stable dûment prouvée, ou du ressortissant de pays tiers qui est lié au

regroupant par un partenariat enregistré198».

De la même manière l’autorisation à regroupement des « ascendants en ligne directe au

premier degré du regroupant ou de son conjoint, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés

du soutien familial nécessaire dans le pays d'origine » ainsi que des « enfants majeurs célibataires

du regroupant ou de son conjoint, lorsqu'ils sont objectivement dans l'incapacité de subvenir à

leurs propres besoins en raison de leur état de santé199 » est laissée au choix discrétionnaire des

Etats.

La directive, en revanche, impose aux Etats membres de refuser le mariage polygame :

« si le regroupant a déjà un conjoint vivant avec lui sur le territoire d'un État membre, l'État

membre concerné n'autorise pas le regroupement familial d'un autre conjoint 200».

Trois dispositions particulières de la directive ont fait l’objet de vives critiques et de la

saisine de la Cour de Justice de la part du Parlement Européen.

L’article 4 au premier paragraphe donne aux Etats membres la possibilité de subordonner

l’entrée de l’enfant âgé de plus de 12 ans à ce qu’il remplisse la condition d’intégration dans

l’Etat d’accueil. Encore le sixième paragraphe de la même disposition permet aux Etats membres

d’imposer que les demandes de regroupement soient effectuées avant que l’enfant ait atteint l’âge

de 15 ans. Enfin, l’article 8 laisse libres les autorités étatiques d’exiger que le regroupant ait

séjourné légalement sur leur territoire pendant une période de deux ans, avant qu’il soit rejoint par

sa famille. Il s’agit de clauses de stand still qui permettent aux Etats d’appliquer des dispositions

nationales plus défavorables, technique qui contraste bien évidemment avec l’objectif

d’harmonisation poursuivi par la directive.

198Article 4§3. 199Article 4§2. 200Article 4§4.

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§2 La CJCE juge maitre de la définition de famille admise au regroupement

Le droit au regroupement familial ainsi délimité par la réglementation communautaire, a

été ensuite interprété par la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes.

L’interprétation large de famille adoptée en matière de regroupement des citoyens

communautaires entre en contradiction avec la vision beaucoup plus stricte concernant le

regroupement des citoyens des Etats tiers. Il est évident que dans le premier cas, la libre

circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, non seulement favorise la croissance du

marché commun, mais également ne contredit pas excessivement les exigences étatiques de

sauvegarde de l’ordre et de la sécurité publics. En revanche, s’agissant du regroupement des

ressortissants des Etats tiers, les avantages économiques qui sont tirés de l’acquisition d’une

nouvelle main d’œuvre à bas coût, souvent, ne suffisent pas à justifier une limitation de ces

exigences étatiques. Par conséquent, le droit au regroupement familial, bien que reconnu dans les

deux cas en tant que droit subjectif fondamental, subira une limitation plus ample s’il doit être

garanti à des ressortissants extracommunautaires.

Dans un premier temps, nous allons, donc, analyser la jurisprudence de la CJCE en

matière de regroupement des ressortissants communautaires pour en mettre en évidence une

certaine souplesse (A). Ensuite, on verra comment dans la récente décision Parlement c/Conseil, la

CJCE s’est limitée à une position beaucoup plus stricte en matière de regroupement des

ressortissants des Etats tiers (B).

A/ Le regroupement des citoyens de l’Union Européenne : élargissement de la notion

de famille

Le juge communautaire, fidèle à l’objectif économique dicté par le règlement de 1968,

précise les raisons de fond qui justifient la reconnaissance du droit au regroupement familial en

faveur des citoyens communautaires : « un ressortissant d’un Etat membre pourrait être dissuadé

de quitter son pays d’origine pour exercer une activité salariée ou non salariée, au sens du traité,

sur le territoire d’un autre Etat membre s’il ne pouvait pas bénéficier, lorsqu’il revient dans l’Etat

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membre dont il a la nationalité pour exercer une activité salariée ou non salariée, de facilités

d’entrée et de séjour au moins équivalentes à celles dont il peut disposer, en vertu du traité ou du

droit dérivé, sur le territoire d’un autre Etat membre […] il serait, en particulier, dissuadé de le

faire si son conjoint et ses enfants n’étaient pas autorisés, eux aussi, à entrer et à séjourner sur le

territoire de cet Etat dans des conditions au moins équivalentes à celles qui leurs sont reconnues

par le droit communautaire sur le territoire d’un autre Etat membre201 ». Dans la décision

MRAX202 la Cour justifie l’irrégularité de l’expulsion d’un citoyen d’un Etat tiers conjoint d’un

citoyen communautaire au nom de la protection de la vie familiale. Pourtant, ce droit n’est

reconnu qu’au conjoint du ressortissant communautaire qui s’est déplacé dans un autre pays de la

Communauté pour y séjourner. En outre, si le conjoint demandeur du regroupement est

ressortissant d’un pays tiers à la Communauté, encore faut-il qu’il démontre qu’il a séjourné

régulièrement dans l’Etat membre dont le conjoint travailleur a la nationalité203. Il se crée ainsi

une évidente situation de discrimination à l’encontre des citoyens communautaires qui n’ont pas

exercé la liberté de circulation, car, dans ce cas, le regroupement resterait soumis aux conditions

posées par le droit national. Selon Alina Tryforidou204, cette différenciation de traitement semble

avoir été dépassée par une jurisprudence plus récente de la CJCE. Dans les affaires Mary

Carpenter205 et Jia206, le droit au regroupement est assurée même en l’absence d’exercice concret,

de la part du regroupant, de la liberté de circulation. Toutefois la position de la Cour n’est pas

explicite à ce propos, de sorte qu’il faut considérer la discrimination encore en place : les

dispositions concernant le regroupement familial ne s’appliquent qu’aux conjoints du ressortissant

communautaire qui a exercé sa liberté de circulation.

A l’égard de cette catégorie de citoyens communautaires, la notion de descendant pouvant

rejoindre le travailleur207 a été interprétée comme pouvant comprendre le descendant de n’importe

lequel des époux, donc par exemple même l’enfant adoptif d’un seul des époux ayant la nationalité

d’un pays tiers.

201 CJCE Surinder Singh 7 juillet 1992. 202 CJCE MRAX 25 juillet 2002. 203 CJCE, Akrich, 23 septembre 2003, C-109/01, § 52-54. 204 Voir à ce propos TRYFORIDOU, Alina “Case comment: Jia or Carpenter II: the edge of reason”, European Law review, 2007. 205 CJCE Carpenter c/Secretary of State for the Home Department Aff. C-60/00. 206 CJCE, Grande Chambre, Yunying Jia v Migrationsverket 9 janvier 2007, Aff. C-1/05. 207 CJCE Baumbast R c /Secretary of State for the Home Departement 17 septembre 2002, Aff. C-413/99, Rec. 2002 p. I-7091.

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Encore, le juge communautaire considère que la relation maritale ne peut pas être déclarée

dissoute jusqu’à ce que l’autorité compétente ait mis fin à celle-ci208. Ainsi, afin du regroupement,

le terme « époux » comprend aussi les conjoints séparés qui continuent à vivre ensemble, même

s’ils envisagent de divorcer ultérieurement. Cette jurisprudence se concilie mal avec l’interdiction

des mariages en blanc qui est dictée par les droits nationaux et, même par le droit communautaire

en général209 et par la directive de 2003210, concernant le regroupement familial des ressortissants

des Etats tiers. En effet, on ne voit pas pourquoi dans le cas des conjoints dont l’un au moins est

un ressortissant communautaire, l’absence d’une vie familiale effective devient un élément

indifférent à l’autorisation de regroupement.

Dans une affaire plus récente211, la CJCE affirme que « la jouissance du droit de séjour

par un enfant en bas âge implique nécessairement que cet enfant ait le droit d'être accompagné

par la personne en assurant effectivement la garde et, dès lors, que cette personne soit en mesure

de résider avec lui dans l'État membre d'accueil pendant ce séjour ». Cela, même si cette

personne n’est pas ressortissante d’un Etat membre de la Communauté, étant, en l’espèce,

chinoise.

La Cour agit en tant que juge des droits fondamentaux lorsqu’elle considère le droit au

regroupement un droit fondamental découlant de l’article 8 de la CEDH. Dans la déjà mentionnée

décision Commission contre République Fédérale d'Allemagne212, le juge communautaire affirme

l’exigence d’interpréter le règlement de 1968 à la lumière de la Convention européenne. De plus,

dans cette affaire, la Cour a interprété de manière assez souple la condition de logement normal

imposé par le troisième paragraphe de l’article 10 du règlement en question : seulement si les

membres de la famille du travailleur accèdent pour la première fois au territoire de l’Etat membre

cette condition s’impose, et non pas tout au long du séjour.

208Tribunal de première instance Diatta/ Land Berlin 13 février 1985 Aff. 267/83, Rec. 1985, p. 567. 209 Résolution du Conseil du 4 décembre 1997 n° 97/C 328/01, Voir à ce propos DE HART, Betty “The marriage of convenience in European immigration law”, European Journal of Migration and the Law, 8:251-262, 2006. 210 L’article 16 de la directive ainsi dispose : « Les États membres peuvent rejeter une demande d'entrée et de séjour aux fins du regroupement familial ou, le cas échéant, retirer le titre de séjour d'un membre de la famille ou refuser de le renouveler dans un des cas suivants[…] b) lorsque le regroupant et les membres de sa famille n'entretiennent pas ou plus une vie conjugale ou familiale effective ». 211 CJCE, Kunqian Catherine Zhu et Man Lavette Cheng 19 octobre 2004, Aff. C-200/02, in SIMON, Denys “Droit de séjour : les tribulations d'une Chinoise et de sa fille au Royaume-Uni », Europe n°12, Décembre 2004. 212 CJCE, 18/05/1989, Commission contre République Fédérale d'Allemagne, aff. 249/86, Rec. p. 1263, point 10.

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B/ Le regroupement des ressortissant des pays tiers: une notion stricte de famille

légitime

A propos du texte de la directive de 2003, le professeur Martin213 affirme qu’elle s’est

bornée à l’élaboration d’une simple définition minimaliste du droit au regroupement familial.

Henri Labayle214 constate que sur une vingtaine d’articles, la directive n’ouvre pas moins de vingt

cinq possibilités de dérogations essentielles.

Face à ces critiques et à la saisine de la part du Parlement Européen qui argumente une

violation du droit au regroupement en tant que droit fondamental découlant du droit à mener une

vie familiale normale tel que protégé par l’article 8 de la CEDH et une violation du principe de

non discrimination de l’article 14 de la même Convention, le juge communautaire valide quand

même les dispositions contestées215.

Le Parlement soutient d’abord que l’article 4.1 de la directive serait contraire à l’article 8

car la condition d’intégration imposée à l’enfant de plus de 12 ans ne rentrerait pas dans l’un des

buts légitimes du deuxième paragraphe de cette disposition. En outre, cela créerait « une

discrimination fondée exclusivement sur l’âge de l’enfant qui ne serait pas objectivement justifiée

et serait contraire à l’article 14 de la CEDH216 ». On pourrait aussi ajouter, comme souligné par

Chiara Favilli217, que cette discrimination n’est pas justifiée si on considère que chaque enfant

suit un développement psychophysique différent. La Cour, en revanche, se limite à constater que

« le choix de l’âge de douze ans ne serait pas arbitraire, mais aurait été motivé par le fait que,

avant cet âge, les enfants seraient dans une phase de leur développement qui serait importante

pour leur faculté d’intégration dans une société218 ». En outre la discrimination est établie même

par rapport à la situation du conjoint pour lequel une telle condition d’intégration n’est pas

requise. Là encore, le juge communautaire rejette un tel argument en affirmant que « l’objectif

213 MARTIN J. M. C « Immigration et regroupement familial dans l’Union européenne : un droit à géométrie variable ? » Revue du droit de l’Union européenne 4/2005. 214 LABAYLE, Henri “Le droit des étrangers au regroupement familial, regards croisés du droit interne et du droit européen », Revue française de droit administratif, 2007 p. 101. 215CJCE Parlement c/Conseil 27 juin 2006, C-540/03. 216 Parlement c/Conseil §44. 217 FAVILLI Chiara “La direttiva 2003/86/CE sul ricongiungimento familiare e le due corti europee”, in “La carta e le Corti – I diritti fondamentali nella giurisprudenza europea multilivello” a cura di BRONZINI G. e PICCONE V., Chiementi, 2007 p. 375 et s.. 218 Parlement c/Conseil §48.

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même d’un mariage est de former une communauté de vie durable entre les conjoints, alors qu’un

enfant de plus de douze ans ne restera pas nécessairement longtemps avec ses parents219 ». Or,

une telle position est sûrement contestable si on considère qu’il n’existe aucune garantie de durée

dans le temps du lien conjugal et si on constate que, à l’âge de douze ans, l’enfant n’est pas encore

tout à fait indépendant de ses parents.

De façon comparable, la disposition de l’article 4.6, autorisant les Etats membres à imposer

que les demandes de regroupement familial soient posées avant que l’enfant ait atteint l’âge de 15

ans, rentre, selon la CJCE, dans les buts légitimes de l’article 8.2 de la CEDH. Certes, cette

possibilité est subordonnée au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais normalement, cet

intérêt devrait être considéré comme toujours présupposé dès lors que le droit au regroupement est

garanti220.

Enfin, l’article 8 de la directive, prévoyant la possibilité de prolonger la période de séjour

nécessaire au regroupant pour pouvoir être rejoint de sa famille, est conforme au droit au respect

de la vie familiale et à l’intérêt supérieur de l’enfant puisqu’il assure que « le regroupement

familial aura lieu dans de bonnes conditions, après que le regroupant a séjourné dans l’Etat

d’accueil pendant une période suffisamment longue pour présumer une installation stable et un

certain niveau d’intégration221 ». Qu’en est-il des précédentes conditions d’âge pour l’enfant

mineur ? Il est évident que le prolongement du délai de séjour du regroupant augmente les

possibilités pour les enfants d’atteindre l’âge limite de douze ou quinze ans222.

De cette analyse générale de la décision de la Cour, on ne peut que constater l’évident

contraste avec la jurisprudence de la même CJCE en matière de regroupement des ressortissants

communautaires. Si les conditions relatives aux conjoints sont les mêmes, la directive de 2003 et

celle de 2004 ne protégeant, les deux, que la famille légitime, l’interprétation souple de la CJCE

en faveur du regroupement des citoyens UE, cède la place à une vision beaucoup plus stricte en ce

qui concerne les ressortissants des pays tiers. Certes, cette solution est justifiée par le fait que le

juge communautaire est conscient des difficultés soulevées par l’adoption de la directive 2003/86

qui couvre une matière, celle de l’immigration, que les Etats membres sont réticents à confier aux

219 Parlement c/Conseil §75. 220Ainsi FAVILLI, Chiara Op. cit. 221 Parlement c/Conseil §98. 222 FAVILLI, Chiara Op. cit.

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organes communautaires. Et pourtant, dans cette même décision la CJCE va pour la première fois

reconnaître une sorte de statut légal à la Charte des droits fondamentaux de l’Union

Européenne223, comme à vouloir se proclamer garant de la protection des droits fondamentaux par

le droit communautaire, même dérivé. Elle affirme en effet que « si cette charte ne constitue pas

un instrument juridique contraignant, le législateur communautaire a cependant entendu en

reconnaître l’importance en affirmant, au deuxième considérant de la directive, que cette dernière

respecte les principes qui sont reconnus non seulement par l’article 8 de la CEDH, mais

également par la charte ». Enfin, le rappel adressé aux juges nationaux sur l’importance de

l’instrument du renvoi préjudiciel, semble vouloir suggérer que ceux-ci se placent, avec la CJCE,

en tant que garants du respect des ces droits: vues les difficultés surmontées lors de son adoption,

le texte de la directive ne peut pas être remis en question, mais une interprétation « créatrice » du

juge, tant national, tant communautaire, est toujours possible.

La CJCE et les juges nationaux continuent donc à exercer le contrôle de proportionnalité

entre le droit fondamental au regroupement et les exigences étatiques. En matière de regroupement

des ressortissants des pays tiers ces dernières sont celles qui, le plus souvent, prévalent.

Section II/ Le droit au regroupement familial réglementé par les droits

nationaux

Les conditions du regroupement familial des ressortissants des Etats tiers posées par la

directive 2003/86 ne font que reprendre les dispositions déjà en vigueur dans les pays européens,

parfois en favorisant, parfois posant des limites encore plus strictes à l’exercice de ce droit.

223 Parlement c/Conseil §38. Cf. ARNULL Anthony, « Family Reunification and Fundamental rights », European Law Review, 2006 31(5) p. 611-612; DRYWOOD Eleonor, “Giving with one hand taking with the other: fundamental rights, children and the family reunification decision”, E.L. Rev. 2007, 32(3), 396-40; LAWSON Richard, “Family reunification and the Union’s Charter of fundamental rights, case C-540/03”, European Constitutional Law review, 3:324-342, 2007.

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Des trois pays objet de notre étude, seule la Grande Bretagne n’a pas transposé la directive

de 2003. Cela en raison du fait que le Royaume Uni n’ a pas adhéré à l’acquis de Schengen et

n’est pas obligé à se conformer au titre IV du Traité d’Amsterdam. Ainsi, une réglementation

spéciale, dérogeant à la politique de coopération renforcée normalement en vigueur, est prévue par

un Protocole annexé au même Traité. De cette manière, le Royaume Uni conserve la possibilité

de demander de participer à l’espace Schengen, en tout ou partie. Il s’agit du système des « opt-

in » ou « opt-out », avec lequel le Royaume Uni se réserve le droit de décider si adhérer ou pas à

une politique communautaire déterminée224. Cette participation se réalise au cas par cas. Elle peut

intervenir ex ante, dans les trois mois précédant l’adoption de l’acte pris sur le fondement du titre

IV du traité, ou ex post, après l’adoption de l’acte, toujours par le biais de la notification au

Conseil de l’intention d’adopter et appliquer l’acte en question225. Or, en ce qui concerne le droit

au regroupement familial, la Grande Bretagne a décidé pour l’opt-out. Par conséquent, dans ce

pays on ne pourra que prendre en considération les règles en matière d’immigration de source

gouvernementale, appelées « Immigration Rules ». En revanche, en France et en Italie la directive

de 2003 a récemment reçu transposition226 : il s’agira donc d’étudier si et comment la législation

interne en matière de regroupement familial diffère des règles communautaires.

Le droit au regroupement familial a été initialement conçu comme une simple faculté que

les autorités gouvernementales chargées du contrôle de l’immigration peuvent accorder à leur

discrétion .Toutefois, cette vision n’est pas satisfaisante. En tant que manifestation directe du droit

à mener une vie familiale normale, le regroupement familial constitue lui aussi un droit subjectif

fondamental susceptible de recevoir protection constitutionnelle et conventionnelle (§1). Les

conditions posées par les droits nationaux à l’exercice du droit au regroupement familial

confirment la position restrictive maintenue au niveau communautaire : outre les conditions

objectives, du point subjectif, la famille légitime reste bénéficiaire directe du droit au

224 A propos de cette politique Tony Blair, le 24 octobre 2004, avait affirmé “There is no question of Britain giving up our veto on our border controls. In the Treaty of Amsterdam seven years ago we secured the absolute right to opt in to any of the asylum and immigration provisions that we wanted to in Europe. Unless we opt in, we are not affected by it. And what this actually gives us is the best of both worlds. We are not obliged to have any of the European rules here, but where we decide in a particular area, for example to halt the trafficking in people, for example to make sure that there are proper restrictions on some of the European borders that end up affecting our country, it allows us to opt in and take part in these measures”. Cit. GEDDES, Andrew « Getting the best of both worlds? Britain, the EU and migration policy” in International Affairs 81, 4 (2005), 723-740. 225 CONDINANZI Massimo, LONG Alessandra, NASCIMBENE, Bruno « Cittadinanza dell’Unione e libera circolazione delle persone », Giuffrè Editore, 2006, pag. 272. 226 Il s’agit pour l’Italie du D.lgs 8 février 2007 n°5 et pour la France de la loi 2006-911 du 24 juillet 2006.

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regroupement familial, sauf les exceptions qui peuvent être admises par chaque Etat à leur

discrétion (§2).

§1 L’évolution des droits nationaux vers la reconnaissance d’un droit fondamental au

regroupement

Le Royaume Uni a été le premier des trois pays à reconnaître la faculté pour l’étranger

régulièrement établi sur le territoire britannique de se faire rejoindre par ses conjoints. Cela dérive

d’une constatation factuelle : déjà après la seconde guerre mondiale, le Royaume Uni se trouve à

faire face à une forte immigration provenant des pays du Commonwealth, ce qui oblige le pays à

se doter très tôt d’une législation concernant la politique migratoire227. Cette possibilité est

subordonnée au respect des « Immigration Rules HC 395 » édictées par le gouvernement sur le

fondement de l’Immigration Act 1971. Dans leur formulation originaire, ces règles étaient source

d’un traitement discriminatoire fondé sur le sexe du regroupant : la femme régulièrement résidente

au Royaume Uni ne pouvait être rejointe par son conjoint que si elle, ou au moins ses parents,

possédaient la nationalité britannique228.

La France intervient donc la première, avec le décret du 29 avril 1979, pour consacrer de

manière générale un véritable droit au regroupement familial, comme droit s’appliquant à la

situation spécifique de tous les étrangers. Ce droit est considéré découler du droit à mener une vie

familiale normale qui avait été reconnu un an auparavant par le Conseil d’Etat dans l’arrêt

« GISTI », comme principe général du droit, dérivant, on sait, de l’alinéa 10 du Préambule de la

Constitution de 1946.

227 L`Aliens Act 1905 représente le premier acte législatif adopté en matière d`immigration dans le sens actuel du terme. Les restrictions à l`immigration continuent et augmentent lors des conflits mondiaux (Aliens conflict Act 1914) pour des raisons de sécurité, mais il s`agit d`un prétexte pour élargir l`application de ce régime restrictif même en période de paix (Aliens restrictions amendement Act 1919). L`Aliens Order Act 1920 introduit le système du permis de travail (work permit) et l`obligation du passeport. Après la deuxième guerre mondiale, le Commonwealth Immigration Act de 1962 est adopté pour restreindre le flux migratoire provenant des pays du Commonwealth. Cit. CLAYTON Gina, “Textbook on Immigration And Asylum law”, 2nd edition, Oxford University Press, 2006. 228 CVETIC Goran, “Immigration cases in Strasbourg: the right to family life under article 8 of the ECHR”, ICLQ July 1987.

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La reconnaissance française est suivie par l’Italie : afin de mettre en œuvre les dispositions

de la Convention de l’Organisation Internationale du Travail du 24 juin 1945 n°143, le Parlement

italien adopte la loi 943/1986 qui consacre, entre autre, le droit au regroupement familial229. Le

retard italien par rapport à la France et au Royaume Uni est dû au fait que l’Italie est restée jusqu’à

très récemment un pays d’émigration. Par conséquent, pendant longtemps, l’article 10 de la

Constitution, établissant que « La condition de l’étranger est réglée par la loi en conformité des

normes et traités internationaux », a constitué la seule disposition italienne reconnaissant un statut

juridique à l’étranger230.

De manière générale, c’est donc à partir des années ’80 que les trois pays ont reconnu le

droit au regroupement familial. En France la plupart des règles concernant l’immigration sont

aujourd’hui contenues dans le code de l`entrée et du séjour des étrangers en France et du droit

d`asile (CESEDA), applicable dans sa partie législative depuis le 1er mars 2005 et dans sa partie

réglementaire depuis 2006. En Italie, la Loi Bossi-Fini du 30 juillet 2002, n. 189 portant

modification du Décret législatif 25 juillet 1998 n. 286 (Loi Turco-Napolitano) va bouleverser en

sens restrictif la réglementation en matière d’immigration. Il faudra prendre en considération dans

les deux pays les nouveautés introduites avec la transposition de la directive 2003/86. Enfin, au

Royaume Uni, les Immigration Rules HC 395, comme résultant de la reforme de 1994, constituent

les normes principales en matière d’immigration, mais il faut également faire référence à une série

d’actes législatifs qui ont apportés certaines modifications.

Bien que, de manière générale, les flux migratoires soient soumis au pouvoir de contrôle

discrétionnaire de la part des autorités étatiques compétentes (A), en matière de regroupement

familial, les trois Etats objet de cette étude reconnaissent l’existence d’un véritable droit subjectif

fondamental (B).

229 L’article 4 de la loi garantit le droit au regroupement familial en faveurs des travailleurs migrants ressortissants des pays tiers à l’Union Européenne avec le conjoint et les fils mineurs. Voir SIRIANNI G. “Il Diritto degli stranieri all’unità familiare”, Familia, Quaderni, Giuffrè 2006. 230 SCEVI Paola, “Diritto, immigrazione e lavoro”, 2006.

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A/ Le contrôle des flux migratoires à l’entrée, exercice discrétionnaire des autorités

compétentes

Commençons par rappeler que le Conseil constitutionnel français231 affirme que les

conditions de l`entrée et du séjour des étrangers peuvent être restreintes par des mesures de police

administrative conférant a l`autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles

spécifiques. Il ajoute qu’ aucun principe de valeur constitutionnelle n`assure aux étrangers des

droits absolus et généraux d’entrée et de séjour : l’accès au territoire peut être refusée à tout

étranger dont la présence constituerait une menace pour l`Ordre Public. Le caractère totalement

discrétionnaire du pouvoir des autorités consulaires de délivrer un visa est constaté et reconnu

même par le Conseil d’Etat232 : « en l’absence de toute disposition conventionnelle, législative ou

réglementaire déterminant les cas où le visa peut être refusé à un étranger désirant se rendre en

France, et eu égard à la nature d’une telle décision, les autorités françaises à l’étranger disposent

d’un large pouvoir d’appréciation à cet égard, et peuvent se fonder non seulement sur des motifs

tenant à l’ordre public, mais sur toute considération d’intérêt général ». Le fait de ne pas

appliquer au cas du regroupement familial le refus d’un visa sur le fondement de toute

considération d’intérêt général, n’enlève pas le caractère discrétionnaire à la décision de refus, qui

reste, quand même, justifiée pour un motif d’Ordre Public233.

Quant à l’Italie, il est le seul des trois pays à avoir introduit un système de quotas des flux

migratoires. Cette limitation des flux migratoires, rendue nécessaire par les exigences

économiques du marché du travail, est reconnue légitime par la Cour constitutionnelle italienne,

qui comme le Conseil Constitutionnel en France, affirme, à plusieurs reprises234, que le législateur

peut légitimement limiter l’accès des étrangers au territoire national pour des raisons de sécurité et

santé publiques et tenant compte des limites internationales en la matière. Dans ce sens la solution

231 CC 93/325 DC, 13 aout 1993, Les termes de cette décision sont confirmés dans la décision CC 2006-539 du 20 juillet 2006. 232 CE, 28 février 1986, Ngako Jeuga, req n° 41550, in TCHEN V. “Le droit des étrangers – A jour de la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration ” Ellipses 2006. 233 CE, 25 octobre 2005 Abdellah X, req. n ° 285977 in TCHEN V. “Le droit des étrangers – A jour de la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration ” Ellipses 2006. 234 Corte Costituzionale, Déc. n° 62/1994, n°353/1997, n° 454/1998, Ord. n°232/2000.

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du Tribunal Administratif Régional d’ Emilia Romagna235 selon laquelle le regroupement familial

serait un simple intérêt légitime de prétention (pretensivo), c'est-à-dire un intérêt que le citoyen

détient vis-à-vis de l’administration afin qu’elle prenne un acte positif à ses égards, ne pourrait se

justifier que par la détention de la part de l’autorité publique d’un pouvoir totalement

discrétionnaire. L’intérêt légitime peut en fait se définir comme «la position juridique du citoyen

liée au pouvoir administratif et aux lois qui le règlementent. Le pouvoir administratif pris en

considération à cette fin est celui discrétionnaire236».

Même au Royaume Uni, la politique de l’immigration est laissée très largement à la

discrétion des autorités gouvernementales compétentes : Home Secretary, Home Office civil

servants, immigration officers, entry clearance officers (ECO). L’ECO dispose d`un vrai pouvoir

discrétionnaire pour décider de l’entrée de l’étranger sur le territoire britannique. Tout est décidé

lors d’un entretien qui se passe dans le poste d’ambassade à l’étranger, dont le but est celui de

comprendre les raisons qui pourraient justifier la délivrance de l’entry clearance ou qui, au

contraire, pourraient en justifier le refus. Le système est critiqué car les conditions dans lesquelles

l`entretien est conduit ne sont pas tout à fait favorables à l’étranger. En particulier, en matière de

regroupement familial, le « discrepancy system », par le biais duquel l’ECO pose les mêmes

questions aux différents membres de la famille pour établir des divergences, serait un moyen pour

justifier le refus d`entrée.

Les Immigration Rules, bien que prises sur le fondement d’un acte parlementaire, restent

formellement des sources subordonnées à la législation ordinaire, tout en étant expression du

pouvoir de l’ancienne prérogative royale, aujourd’hui attribuée au gouvernement. La nature de ces

règles est donc particulièrement controversée, la question étant celle de savoir si ce contrôle rentre

véritablement dans le concept de prérogative, ou s’il faut le considérer comme un pouvoir dérivant

des statuts et donc, soumis au contrôle du Parlement. La question est difficile à résoudre car la

prérogative n’est pas définie : il n’y a pas une liste des pouvoirs qui peuvent être exercés par le

pouvoir exécutif à titre de prérogative 237.

235 TAR Emilia-Romagna - sede di Bologna, sez. I, 14 décembre 1994 n. 926, cit. MOROZZO DELLA ROCCA Paolo, “Coesione e ricongiungimento familiare” in MOROZZO DELLA ROCCA Paolo, COGNINI Paolo, “Immigrazione: profili normativi e orientamenti giurisprudenziali”, Utet, 2005 p. 187 et s.. 236 Voir SORACE Domenico, “Diritto delle amministrazioni pubbliche”, Il Mulino, 2000, p. 363 et s.. 237ALDER, John “Constitutional and Administrative Law”, Ashgave, 2007, p. 329 et s..

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On constate une tendance de la part des juges, à considérer le contrôle de l`immigration

comme une prérogative, même si cela n`est pas acquis. Deux en sont les justifications : d`abord, le

concept de souveraineté est utilisé, même par la Cour EDH, pour affirmer le droit de tous les

Etats, comme principe général du droit international, de contrôler l`entrée des non nationaux.

Ensuite, le principe du jugement de l`exécutif (judgement of the executive) permet au juge de

déférer à l`exécutif le pouvoir de décider, en conservant le dernier mot, d’une certaine affaire238.

Il s`agit d’un mécanisme commun aux systèmes de Common Law : ce principe permet aux

tribunaux, selon leur discrétion, de déférer le jugement d’une affaire particulière, au pouvoir

législatif ou exécutif, lorsque le juge ne se retient pas compétent.

En même temps on ne peut que constater que l`origine du pouvoir de contrôle sur

l`immigration est statutaire, dérivant de l`Immigration Act 1971. Mais encore faut-il préciser que

les Immigration Rules ne constituent pas des sources secondaires, c'est-à-dire des statutory

instruments, législation déléguée par le Parlement au pouvoir exécutif. Bien qu’elles ressemblent,

sous certains aspects, à ce type de législation secondaire ou déléguée, en étant adoptées par le

ministère et assujetties à la procédure de résolution négative devant le Parlement (negative

resolution procedure239), elles sont en réalité soumises à un contrôle parlementaire très restreint,

de sorte que si le Parlement veut les rejeter, il ne pourra le faire que dans leur ensemble. De plus il

n`y a pas possibilité d`amendement.

Ainsi, dans l`affaire Pearson v Iat (1978) Imm AR 212, l’administrative tribunal

spécialement compétent en matière d’immigration240 a affirmé que les Immigration Rules ne sont

pas une forme de législation déléguée, mais des règles pratiques adressées à ceux qui doivent

238 Lord Steyn, “Deference: a tangled story”, in Judicial Studies Board Lecture, 25 novembre 2004: “The existence of jurisdiction does not mean that it ought always to be exercised. One of the reasons for a court refraining from exercising jurisdiction, may be a reasonable view that a particular matter is best left to the judgment of the legislature (eg. whether marriage between homosexuals should be permitted) or that the executive is better placed than the judiciary to make a judgment on a critical factual question (e.g. the evaluation of intelligence about a national security issue.) Acting within its jurisdiction, a court may in certain circumstances consider it right to defer to the views of the other branches of government. That itself is, of course, a judicial decision.” 239 Elles peuvent être annulées devant le Parlement . 240 On rappelle que au Royaume Uni il n’existe pas de dualité de juridictions. Cependant des tribunaux administratifs spéciaux se sont multipliés, parmi lesquels on retrouve aussi l’Immigration Appeal Tribunal (IAT). Le système de tribunaux administratifs vient d’être récemment reformé pour abroger le recours en premier degré devant l’adjudicator et prévoir un système d’appel devant la Court of Appeal. Le processus de juridictionnalisation des administrative tribunals s’est ainsi achevé.

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appliquer un acte législatif. Il s’agit donc d’actes règlementaires expression du pouvoir public,

assujettis au contrôle judiciaire spécifique vis-à-vis de l’administration.

Si telle est la solution, le regroupement familial réglementé par les Immigration Rules ne

saurait certainement pas constituer un droit subjectif fondamental, car son respect n’est soumis à

aucun contrôle de constitutionnalité susceptible de conduire à l’annulation de l’acte contraire à la

norme constitutionnelle. Il s’agirait alors d’une liberté publique dont la violation par un acte

administratif, par exemple la décision de refus d’entry clearance, comporterait la non application

de l’acte en question dans le cas d’espèce, par le biais de la procédure de judicial review.

B/ Le droit au regroupement, droit subjectif fondamental

Si le contrôle du juge administratif français sur la décision de refus est normalement

restreint et limité à l`erreur manifeste d`appréciation, en ce qui concerne l`atteinte à la vie privée et

familiale, le juge exerce un contrôle de proportionnalité sur la base des dispositions de l`art 8 de la

CEDH241. La loi du 8 février 1995 dispose que le juge administratif peut rendre obligatoire la

délivrance d`un visa. De plus, la loi 11 mai 1998, dite loi Chevènement, a posé une obligation de

motivation de refus de visa dans sept cas242 parmi lesquels celui du regroupement familial

(CESEDA art L 211-2). Depuis la décision de 1993 le Conseil Constitutionnel a rangé le droit au

regroupement familial parmi les libertés individuelles et les principes à valeur constitutionnelle.

En Italie la Cour Constitutionnelle, avec la décision 28/1995, a affirmé que la cohabitation

de la cellule familiale « s’enracine dans les normes constitutionnelles qui assurent protection à la

famille et, en particulier aux enfants mineurs. […]. Le droit des parents et des enfants mineurs à

une vie commune est en effet un droit fondamental de la personne qui par conséquent doit être

reconnu en voie de principe aussi aux étrangers ». La Cour précise ensuite243 que l’unité familiale

241 CE M. et Mme Bourezak, 4 juillet 1997. 242 Les membres de la famille de ressortissants des Etats de l’UE ou parties à l’accord sur l’espace économique européen; les conjoints, les enfants de moins de 21 ans et les ascendants de ressortissants français ; les mineurs ayant fait l’objet d’une adoption plénière ; les bénéficiaires d’une autorisation de regroupement familial ; les travailleurs autorisés à exercer une activité salariée ; les personnes faisant l’objet d’un signalement aux fins de non-admission au système d’information Schengen et certains bénéficiaires d’une carte de résident. 243 Corte Cost. Déc.376/2000.

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n’est pas seulement reconnue par notre Constitution, mais aussi par des traités internationaux, ce

qui revient à reconnaitre à la famille « les plus amples protection et assistance ».

En ce qui concerne le Royaume Uni, si, en principe, il n’existe pas de droit d’appel contre

le refus d`admission prononcé par l’ECO, mais seulement une possibilité de recours par le biais de

judicial review, il y a une exception importante : le droit d’appel contre la décision de refus sera

ouvert si la demande est effectuée à titre du regroupement familial, ou si un droit ou une liberté

fondamentale sont en jeu. En effet, selon le paragraphe 2 des Immigration Rules, les Officiers de

l’immigration, y compris les ECOs, doivent exercer leurs fonctions dans le respect des

dispositions de l’Human Rigths Act de 1998. Ainsi, avec l’entrée en vigueur de l’HRA, le droit au

regroupement familial reçoit protection indirecte par le biais de la reconnaissance du droit à mener

une vie familiale normale, sur le fondement de l’article 8 de la CEDH. Il s’agit alors d’un droit

fondamental conventionnel : sa restriction par le législateur ou par l’exécutif pourrait, mais ce

n’est pas toujours le cas, constituer le fondement de l’annulation de la loi ou de l’acte administratif

qui l’a violé. C’est la position soutenue par la House of Lords dans les récentes décisions Huang

v Secretary of State for the Home Department et Kashmiri v Secretary of State for the Home

Department244. Dans ces affaires, il était question de savoir si la décision d’expulsion d’un

étranger de la part du Ministre de l’intérieur (Secrertary of State) constituait une violation du droit

à mener une vie familiale tel que protégé par l’article 8. En particulier, se posait le problème de

comprendre quel est le rôle de l’adjudicator, organe administratif juridictionnel de première

instance245, dans l’appréciation du respect du principe de proportionnalité par la décision du

Ministre. En d’autres termes, est-ce que le principe de deference to the executif s’applique

lorsqu’un droit fondamental conventionnel est en jeu?

La House of Lords, à l’unanimité, affirme que “la tâche de l’autorité d’appel en matière

d’immigration, lorsque le recours est organisé contre une décision de l’autorité gouvernementale

susceptible de porter atteinte aux droits de la CEDH, est celle d’établir si la décision est illégale

en tant qu’ incompatible avec la Convention ou si elle est compatible en tant que légale. C’est pas

244 Huang v Secretary of State for the Home Department; Kashmiri v Secretary of State for the Home Department [2007] UKHL 11; [2007] 2W.L.R. 58, in AMOS Merris, “Separating human rights adjudication from judicial review Huang v. Secretrary of State for the Home Department and Kashmiri v Secretary of State for the Home Department”, European Human Rights Law review, 2007. 245Avant la reforme effectuée par l’Asylum and Immigration Act 2004, l’adjudicator était juge de premier ressort dans le contrôle des décisions prises par les autorités compétentes en matière d’immigration. L’appel était assuré devant le IAT.

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une tâche secondaire de révision, visant à établir si l’autorité gouvernementale a agi de manière

irrationnelle ou en excès de pouvoir, ou a commis une erreur procédurale. L’autorité d’appel

doit décider par soi même si la décision attaquée est compatible et donc légale246”.

L’autorité gouvernementale ne dispose donc plus de la marge de manœuvre qui lui est

normalement laissée. Sans aller jusqu’ à remettre en cause l’opportunité de l’action administrative,

le juge administratif en matière d’immigration, l’Administrative Immigration Tribunal247, doit

établir lui même si le principe de proportionnalité a été respecté par l’autorité compétente248. La

contrariété de la décision administrative avec l’article 8 de la CEDH ouvrira la voie à une

déclaration d’incompatibilité.

§2 Les conditions pour l’exercice du regroupement familial : un droit à exercice

restreint

Si, les conditions objectives, telles que la condition des ressources ou de logement, vont

contribuer concrètement à restreindre l’exercice de ce droit (A), les conditions subjectives, tenant

aux bénéficiaires du droit au regroupement, montrent encore une fois la tendance à ne reconnaître

ce droit qu’aux membres de la famille légitime (B).

246 the task of the appellate immigration authority, on an appeal on a Convention ground against a decision of the primary official decision-maker refusing leave to enter or remain in this country, is to decide whether the challenged decision is unlawful as incompatible with a Convention right or compatible and so lawful. It is not a secondary, reviewing function dependent on establishing that the primary decision-maker misdirected himself or acted irrationally or was guilty of procedural impropriety. The appellate immigration authority must decide for itself whether the impugned decision is lawful and, if not, but only if not, reverse it. 247 Ensuite appelé IAT. 248 Voir à ce propos la position de Baronness Hale qui affirme “The role of the court in human rights adjudication is quite different from the role of the court in an ordinary judicial review of administrative action. In human rights adjudication, the court is concerned with whether the human rights of the claimant have in fact been infringed, not with whether the administrative decision-maker properly took them into account”, cit. AMOS Merris, “Separating human rights adjudication from judicial review Huang v. Secretrary of State for the Home Department and Kashmiri v Secretary of State for the Home Department”, European Human Rights Law review, 2007.

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A/ Conditions objectives : ressources financières et logement

L’Italie est le seul des trois pays, qui, depuis l’intervention de la loi Bossi-Fini, subordonne

l’entrée de l’étranger à l’existence d’une activité de travail effective. Le permis de séjour ne

pourra être obtenu que suite à la conclusion du contrat de séjour pour travail. Ce permis de séjour

expirera à la date d’expiration du contrat de travail. Ainsi est bénéficiaire du droit au

regroupement familial seul l’étranger qui a obtenu un permis de séjour pour travail d’une durée

non inférieure à un an. L’étranger doit disposer d`un revenu annuel minimum, dérivant de sources

licites non inferieur au montant minimum annuel de l’ « assegno sociale ». Toutefois, la Cour

Constitutionnelle est intervenue pour étendre le droit au regroupement à l’étranger qui exerce un

« travail familial ». Le juge constitutionnel précise que « le travail exercé à l’intérieur de la

famille pour sa valeur sociale et aussi économique peut rentrer dans la protection que l’article 35

de la Constitution assure au travail dans toutes ses formes249 ». Le regroupement est quand même

reconnu par la loi à l’étranger bénéficiaire d’un permis de séjour pour études, asile, ou pour motifs

religieux.

En ce qui concerne le logement, le décret 5/2007 le considère adéquat, non seulement

lorsque les paramètres minimaux prévus par la loi régionale pour les habitations résidentielles sont

satisfaits, comme le prévoit la loi Bossi-Fini, mais aussi lorsque les conditions hygiéniques et

sanitaires posées par l’agence sanitaire locale250 sont respectées.

Depuis la transposition de la directive de 2003, par la loi du 24 juillet 2006, en France

l’exercice du droit au regroupement familial a été ainsi reformé: un délai de 18 mois est

maintenant nécessaire avant de prétendre à une mesure de regroupement familial, contre 12

jusqu’alors. La même loi impose à l’étranger de subvenir aux besoins de la famille grâce aux

revenus de son travail sans recourir à des aides sociales. L’article L 411-5 du CESEDA justifie le

refus du regroupement familial par le fait que le demandeur ne dispose pas de ressources stables et

suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille ou d’un logement considéré comme normal

pour une famille comparable vivant dans la même région géographique.

249 Corte Cost. 19 janvier 1995 n°28. 250 Azienda sanitaria locale “ASL”

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Il faut que le couple ait les ressources financières suffisantes pour vivre sur le territoire du

Royaume Uni sans besoin de recourir aux aides publiques251. Le terme public funds utilisé dans

les Immigration Rules comprend toute une série d`aides publiques, à l`exclusion de celles

d’urgence. Cela comprend soit les aides en terme de subsides en argent, soit plus concrètement

l’hébergement. Les règles imposent un critère d`adéquation : les ressources financières dont le

couple dispose doivent être adéquates à leur standard de vie. La règle, dans son interprétation

littéraire, impose au couple de disposer de ses propres ressources pour vivre. La High Court252 a

cependant donné une interprétation plus large, permettant au couple d`être supporté par une tierce

personne, favorisant ainsi la famille élargie. Après cette décision, les Immigartion Rules ont été

modifiées en Octobre 2000. Cependant la modification est sans conséquence pratique car il n`y a

aucune référence explicite à la possibilité pour une personne tierce au couple de supporter leurs

dépenses pour une certaine période de temps. Ainsi, concrètement253, le critère reste assez

restrictif. Le paragraphe 281 des Rules requiert aussi que le couple dispose d`un hébergement

approprié pour soi même ou ses dépendants, sans recourir aux aides publiques. L`hébergement est

considéré approprié des lors qu`il remplit les critères posés par la section 326 de l`Housing Act de

1985 : il faut qu`il ne soit pas surpeuplé. Evidemment les juges appliquent les critères de loi aux

circonstances d`espèce, et peuvent, en équité, juger que l`hébergement n`est pas adéquat.

B/ Conditions tenant aux bénéficiaires du droit au regroupement

Le premier bénéficiaire du droit au regroupement est le conjoint de l’étranger déjà présent

et régulièrement établi sur ce territoire. Cette personne est appelée sponsor.

Au Royaume Uni, le regroupement du couple de facto, même homosexuel, a été

finalement admis depuis l’adoption du Same Sex Civil Partnership Act de 2004. En effet les

251 HC 395 § 281. 252 High Court of Justice, Arman Ali. 253 IDIs Chapter 8 annexe 8 § 5.1, Avril 2004: A couple who are enable to produce sufficient evidence to meet the maintenance requirement, may provide an undertaking from members of their families that they will support the couple until they are able to support themselves from their own resources. This is not acceptable as the Rules require the couple to be able to support themselves and any dependants from their resources. Nevertheless, such an arrangement may be accepted exceptionally it is clear that it would only be in effect for a limited period and the couple have a realistic prospect of supporting themselves thereafter.

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Immigration Rules considèrent membres de la famille (family members) expressément les

conjoints (spouses) et le « pacsés » (civil partners) 254.

En Italie la loi se borne à reconnaître le droit au regroupement au « conjoint » de l’étranger

séjournant régulièrement sur le territoire. La Cour Constitutionnelle a quand même reconnu le

« droit fondamental du parent étranger d’un enfant mineur séjournant légalement en Italie avec

l’autre parent, non uni au premier par un lien matrimonial, d’entrer et rester sur le territoire

national afin de pouvoir réaliser et maintenir une communauté de vie entre enfants et parents qui

est justement l’objet substantiel du droit invoqué 255». Le regroupement du couple de facto est

ainsi admis mais, on a vu que, à propos du couple homosexuel, la jurisprudence de la Cour

Constitutionnelle n’est pas claire256 , de sorte qu’on ne peut pas considérer le regroupement du

couple de facto homosexuel permis.

En France, l’article L 411-1 du CESEDA consent à l’étranger d’être rejoint, au titre du

regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans. La loi

française elle aussi n’est pas claire quant à la définition de conjoint. C’est donc le juge

administratif qui, dans sa jurisprudence, a élargi cette notion même au pacsé en tenant compte de

l’ancienneté et de la stabilité de la relation257.

Bien évidemment, les destinataires directes du droit au regroupement sont ensuite les

descendants ou les ascendants du couple. Les trois pays posent des conditions d’âge bien précises.

En voie de principe, seuls les enfants mineurs de 18 ans et les parents âgés de plus de 65 ans sont

en mesure de demander le regroupement familial avec leur conjoint258. Cela en raison du fait que,

comme nous avons vu, les droits nationaux, mais aussi la directive de 2003, ne protègent que la

famille nucléaire.

254 HC 395 para 281 (i) (a). 255 Corte Costituzionale 26 juin 1997 n°203, Cf. SCOPELLITI Silvia, “Il ricongiungimento familiare e l’inviolabilità del diritto all’unità familiare nell’interpretazione della Corte Costituzionale tra famiglia nucleare e famiglia allargata. Ragionevoli restrizioni e disparità di trattamento”, Stranieri 5/2005. 256 On fait à nouveau référence à l’ordonnance 23 novembre 2007 n°397, avec la quelle la Cour Constitutionnelle ne s’est pas prononcée sur la question. Cf. PASCUCCI Luisa, “ Il diritto al ricongiungimento familiare nell’interpretazione della Corte Costituzionale”, Famiglia e Diritto 2/2008. 257 CE 28 avril 2000 n°208925 et CE 27 février 2004 n°241609 Préfet de Police c/S., in VANDENDRIESSCHE, Xavier, « Étrangers – Définitions. Principes. Orientation » JCP Adm. Fasc. 233-50. 258 Immigration Rules HC 395 § 296, CESEDA article L 411-1.

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Le régime italien paraît le plus rigide à ce propos. Si, en principe, le regroupement est

reconnu aux enfants mineurs, c’est seulement récemment que ce droit a été étendu aux enfants nés

en dehors du mariage. Cette reconnaissance législative tardive259 suit une jurisprudence déjà

constante de la Cour Constitutionnelle260. La loi Bossi-Fini a limité le regroupement de l’enfant

majeur au cas de grave état de santé comportant invalidité totale, et celui des parents âgés de plus

de 65 ans à l’hypothèse dans laquelle, dans leur pays d’origine, leurs enfants ne peuvent pas

subvenir à leurs besoins pour de graves motifs de santé. Enfin le regroupement familial ne peut

plus être demandé vis-à-vis des parents au troisième degré. La légitimité constitutionnelle de telles

dispositions a été confortée par la décision 224/2005 qui, rappelons-le, a distingué entre « intérêt à

l’affection » et « intérêts de simple solidarité ». La réception de la directive de 2003, par le biais

du décret 5/2007, va assouplir les conditions posées par la législation en vigueur261. Le décret

transposant la directive se montre particulièrement favorable vis-à-vis des enfants : on précise

maintenant que la minorité s’apprécie au jour de présentation de la demande de regroupement,

l’éventuel retard ne pouvant plus aller à l’encontre de l’intérêt de l’enfant ; le regroupement des

enfants majeurs n’est plus subordonné à la condition d’invalidité totale, mais, à l’impossibilité de

subvenir, de manière permanente, à leurs exigences personnelles, à cause de leur état de santé. Le

terme enfant ou parent « à charge » disparaît de la lettre de la norme. Un nouveau permis de

séjour, appelé « pour assistance aux mineurs » (per assistenza minori) est introduit dans le cas où

le conjoint de l’enfant vient en Italie pour assister l’enfant qui présente de graves troubles

psychophysiques.

Les Immigration Rules, dans la partie n°8, prévoient, de manière très détaillée, toutes les

hypothèses de regroupement familial.

Lorsqu`un enfant veut entrer sur le territoire du Royaume Uni pour rejoindre ses parents ou

l`un d’eux, il faut qu`il ne soit pas indépendant, qu`il ne soit pas marié et qu`il n`ait pas formé sa

propre unité familiale262. Une règle particulière est prévue dans le cas où un seul des parents est

établi sur le territoire britannique. Selon le principe appelé « sole responsability », si l`autre parent

est encore en vie, pour que le regroupement familial soit possible avec le parent qui se trouve en

259Loi Bossi-Fini Article 29 b). 260Corte Costituzionale 19 janvier 1995 n°28. 261 SPARTA’ Maria Antonia, “Il ricongiungimento familiare alla luce del decreto legislativo 8 gennaio 2007, n°5”, Stranieri 2/2007 et MALTESE G. « Il ricongiungimento dei familiari stranieri in Italia », Lo Stato civile italiano, marzo 2007. 262 HC 395 § 297 (iii).

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Grande Bretagne, il faut démontrer que celui-ci est le seul a être responsable de la subsistance de

son enfant 263. La Cour d`appel a affirmé264 qu`il y a deux critères pour établir quand est-ce qu`il y

a une responsabilité unique : premièrement il faut prendre en considération quel type de contrôle

exerce le parent sur l`enfant ; ensuite on peut vérifier pour combien de temps ce contrôle est

exercé. Selon le paragraphe 6 des Immigration Rules le terme parent comprend : un beau-parent,

un parent adoptif, un père non marié, si la paternité est acceptée et prouvée. La notion est donc

assez large.

Pour les enfants majeurs, le regroupement est subordonné à l’existence de « the most

exceptional compassionate circumstances 265».

L’article L314-11 du CESEDA dispose que « sauf si la présence de l'étranger constitue

une menace pour l'ordre public, la carte de résident est délivrée de plein droit, sous réserve de la

régularité du séjour […] à l'enfant étranger d'un ressortissant de nationalité française si cet

enfant est âgé de dix-huit à vingt et un ans ou dans les conditions prévues à l'article L. 311-3 ou

s'il est à la charge de ses parents ainsi qu'aux ascendants d'un tel ressortissant et de son conjoint

qui sont à sa charge, sous réserve qu'ils produisent un visa pour un séjour d'une durée supérieure

à trois mois ». Une condition générale d’ascendant ou descendant majeur à charge est donc

requise.

Il y a ensuite toutes les conditions tenant à la validité du mariage qui, essentiellement se

caractérisent par l’ interdiction de la polygamie et l’ interdiction des mariages de complaisance.

Ainsi au Royaume Uni, le mariage doit être valide selon la loi britannique et les

Immigration Rules. Dans la pratique il suffit que le mariage ait été contracté suivant une des

formes requises par la loi du pays d`origine du couple ; par conséquent, si le mariage homosexuel

est reconnu et valide dans le pays où le mariage est célébré, il sera reconnu également valide en

Grande Bretagne. Nous avons déjà constaté que le regroupement familial de la deuxième épouse

est interdit, bien que certains effets du mariage polygame puisse être reconnus. Les mêmes

dispositions de loi existent en France et en Italie.

263 HC 395 para 297 (i) (c). 264 Nmaju v IAT (2001) INLR 26. 265 HC 395 §317.

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Ces conditions vont contribuer à imposer un modèle familial fondé sur les relations

affectives. En d’autres termes, il s’agirait ici de protéger la famille affective, celle fondée sur les

affections sincères qui lient ses composants. Se pose alors le problème de savoir comment mesurer

ses liens affectifs. Comment prouver l’existence d’un lien familial affectif réel ? Est-ce qu’il s’agit

du seul critère afin de démontrer l’existence de la vie familiale, ou est-ce que d’autres critères sont

utilisés ?

On cherchera de donner une réponse à ces questions dans le deuxième chapitre consacré à

la preuve du lien familial rendant possible l’exercice du droit au regroupement.

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Chapitre II La preuve nécessaire à l’exercice du regroupement

familial

Après avoir satisfait les nombreuses conditions nécessaires à être bénéficiaires du droit au

regroupement, pour que son exercice soit possible, encore faut-il démontrer que les liens familiaux

justifiant le regroupement soient réellement existants.

Le lien familial peut être prouvé de façon différente selon le concept de famille qu’on veut

prendre en considération. Si on considère que c’est la famille affactive, celle fondée sur les liens

affectifs entre ses composants, est susceptible de protection, encore faut-il établir quel est le lien

familial qui doit être protégé et surtout comment ce lien peut être mesuré.

En revanche, si le lien familial est démontré du seul point de vue biologique, les autres

liens affectifs, quels qu’ils soient, ne peuvent pas être pris en considération afin de reconnaître le

regroupement. La génétique étant devenue une science presque exacte, tout repose sur le résultat

du test ADN effectué.

On constate que le droit des trois pays, ainsi que le droit communautaire, sont très

contradictoires à ce propos.

D’une part, ils interdisent les mariages de complaisance en tant que contractés en fraude à

la loi, dans le seul but d’obtenir le permis de séjour. Pour démontrer que le lien conjugal est

authentique, ils imposent alors aux autorités compétentes de vérifier qu’entre les conjoints il

existe des liens d’affection réels (Section I).

D’autre part, en ce qui concerne le regroupement des tous les autres liens familiaux, et en

particulier entre parents et enfants, ils imposent, selon une pratique relativement récente, l’analyse

des empreintes génétiques. La famille prise en considération n’est plus celle fondée sur les liens

affectifs mais celle qui existe du seul point de vue génétique. Se pose alors la question de savoir

quelle est l’importance rattachée à la filiation biologique par les droits nationaux de la famille

(Section II).

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Section I/ La preuve du lien d’affection entre conjoints

La preuve du lien d’affection entre conjoints se fait essentiellement par le contrôle des

mariages de complaisance. Le mariage de complaisance (sham marriage ou marriage of

convinience au Royaume Uni, matrimonio di comodo ou simulato en Italie), a été interdit même

par le droit communautaire. Comme le rappelle Betty De Hart266, le mariage de complaisance est

apparu en droit communautaire pour la première fois dans la soft law. Une résolution du Conseil

des Ministres267 sur l’harmonisation des politiques nationales en matière de regroupement familial,

définissait un tel mariage comme celui conclu dans le seul objectif de détourner les règles d’entrée

et de séjour des ressortissants des pays tiers et d’obtenir un permis de séjour ou une autorisation à

séjourner dans un Etat membre. La directive 2003/86/CE, dans son article 14, suggère aux Etats

membres de refuser l’entrée de l’étranger dès lors que le mariage a été contracté dans le seul but

d’autoriser l’intéressé à entrer ou à séjourner sur le territoire d’un Etat membre. Les Etats doivent

donc procéder aux vérifications nécessaires en cas de doute sur l’authenticité du lien conjugal.

Encore une fois les législations nationales ne sont pas démunies. La lutte à la fraude à la loi

est présente dans les trois pays, soit à travers le contrôle, préalable à la célébration du mariage, de

la réalité du consentement du couple (§1), soit à travers le contrôle, successif à la célébration du

mariage, de la réelle cohabitation entre conjoints et de l’intention authentique des conjoints de

vivre ensemble (§2). Dans les deux cas, le refus de célébrer le mariage ou l’annulation du

mariage existant, repose sur des simples considérations subjectives qui prétendent mesurer le

degré d’affection ressenti par le couple.

§ 1 La preuve de la réalité du consentement préalable à la célébration du mariage

En France, le dispositif de lutte aux mariages de complaisance avait été introduit par la loi

n° 93-1417 du 30 décembre 1993, ensuite renforcée par la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003

266 DE HART Betty, “The marriage of convenience in European immigration law”, European Journal of Migration and the Law, 8:251-262, 2006. 267 Résolution 97/C 382/01 du 4 Décembre 1997 sur les mesures à adopter en matière de lutte contre les mariages de complaisance.

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et la récente loi du 14 novembre 2006 relative au contrôle de validité des mariages qui modifient

le code civil dans le but de renforcer la lutte contre les mariages simulés.

Le contrôle s’exerce avant la célébration du mariage soit si le mariage est célébré en

France, soit s’il est célébré à l’étranger.

Dans le premier cas, l'officier de l'état civil doit entendre les futurs époux afin de déceler

les éventuels indices d'un mariage de complaisance et, si tel est le cas, refuser de célébrer le

mariage et saisir le procureur de la République. Ce dernier peut encore autoriser le mariage, s'y

opposer, ou décider que la célébration sera reportée en attendant les résultats de l'enquête qu'il fait

entreprendre. Des formalités préalables au mariage sont introduites en 2006 268: contrôle de

l’identité des futurs époux et de leurs témoins (certificat médical, pièce d’identité, certificat de

naissance). La loi n° 2003-1119 a également institué un délit spécifique de participation à un

mariage de complaisance ou d'organisation ou de tentative d'organisation d'un tel mariage. Ce délit

est puni d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 15 000 €269.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, est

intervenu pour préciser que « le fait, pour un ressortissant étranger, de ne pas justifier de la

régularité de son séjour » ne peut pas constituer le seul indice d'absence de consentement, de sorte

que l'officier de l'état civil ne peut pas refuser de célébrer le mariage d'une personne, uniquement

parce que celle-ci est en situation irrégulière.

Dans le deuxième cas, c'est-à-dire si le mariage est célébré à l’étranger, il doit être précédé

d’une audition devant le consul, qui peut émettre des réserves, voire entamer une procédure

d’opposition. Le non respect de cette procédure entraîne l’impossibilité de transcrire ce mariage

sur les registres de l’état civil français, sauf jugement inverse émis par le tribunal de grande

instance.

268 Lois du 24 juillet 2006 et 14 novembre 2006. 269 Senat, « Étude de législation comparée n° 159 - février 2006 - La lutte contre les mariages de complaisance », www. Senat.fr.

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§2 La preuve de la cohabitation : intention de vivre ensemble et communion de vie

En Grande Bretagne, le mariage de complaisance est en soi valide270. Les Immigration

Rules déterminent ensuite si ce mariage donne droit au permis de séjour. Les officiers de

l’immigration qui se trouvent dans les ambassades et consulats à l’étranger utilisent le discrepancy

approach pour mettre à la preuve la sincérité du demandeur du regroupement familial. Le couple

doit aujourd’hui démontrer l’intention to live together. A partir du 5 juin 1997 cette condition a

substitué l’ancienne règle dite de la primary purpose (HC 251, § 50) qui obligeait le couple

souhaitant entrer sur le territoire britannique à démontrer, par une série de questions très

personnelles, que l’obtention du permis d`entrée n’était pas la raison primaire du mariage. Cette

règle, présente dans les Immigration Rules depuis 1977, avait été renforcée en 1983 lorsque la

charge de la preuve a été transférée au demandeur. Démontrer que l’obtention du permis de séjour

n’est pas le motif principal ayant poussé le couple à se marier, lorsqu’il est au moins le motif

subsidiaire, n’est pas une preuve facile. C’est pour cette raison que la règle a été très largement

critiquée271. Ainsi, juste avant d’avoir gagné les élections en 1997, le parti travailliste promet

d’abroger cette norme pour introduire celle de l’intention de cohabiter. Mais encore une fois le

pouvoir discrétionnaire des ECOs continue à s`exercer dans ces cas272. En effet, plusieurs auteurs

en doctrine273 soutiennent que l’actuelle règle jurisprudentielle qui va chercher l’intention des

époux de vivre ensemble produit le même effet discriminatoire précédemment créé par la règle de

la primary purpose si critiquée. Cela parce que l’ECO, disposant d’un large pouvoir

d’appréciation, peut toujours appliquer en pratique le test de la primary purpose à la place de celui

de l’intentionnalité. Et, même s’ il applique celui de l’intentionnalité, vu son caractère strictement

270 Silver v. Silver [1955] 1 W.L.R. 728 (au § 729: "The voluntary consent of both parties is necessary for a valid marriage, and the marriage is void if such consent is lacking, as, for example, where it is procured by threats or duress"). 271 MACDONALD et BLAKE, Immigration Law and Practice, London: Butterworths, 1991 pp. 260–261, Cit. WRAY Helena, « An ideal Husband ? Marriages of convenience, moral gate keeping and immigration to the UK”, European Journal of Migration and the Law, 8:303-320, 2006. 272 Voir par exemple ECO Islamabad v Nasir Mahmood (2002) UKIAT 01034: l’ECO refuse la demande d’entrée principalement au motif que les parties avaient rendu des déclarations contradictoires lors de l’interview. 273 WRAY Helena, “Hidden Purpose: UK ethnic minority international marriages and the immigration rules”, in SHAH Prakah and MENSKI Werner, “Migration Diasporas and Legal Systems in Europe”, Rouledge & Cavendish, 2006; MCKNEE Richard, “Primary purpose by the back door? A critical look at intention to live together” (1999) 13 (1) Immigration Nationality Law and Practice, pp 3-5.

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subjectif, les risques de conduire à un traitement discriminatoire de facto ne sont pas moins

nombreux. De plus l’Immigration and Asylum Act de 1999, à la section 25, autorise à refuser

l’entrée en présence d’un faux mariage dont la définition ne semble pas s’éloigner de la règle de la

primary purpose274.

En Italie, l'article 123 du code civil érige en cause de nullité du mariage la « simulation »,

c'est-à-dire le fait que les époux aient convenu de ne pas s'acquitter de leurs obligations, parmi

lesquelles la cohabitation. Toutefois, l'annulation ne peut être demandée que par les époux. De

plus, l'action en nullité ne peut être intentée ni au-delà d'un an de mariage ni lorsque les époux ont

cohabité après la célébration du mariage.

En matière d’immigration, la loi Bossi-Fini dispose, dans son article 30 alinéa 1 bis, que le

permis de séjour pour motifs familiaux doit être immédiatement révoqué lorsqu’il est certain que

le mariage de l’étranger célébré en Italie n’est pas suivi de cohabitation, à moins que des enfants

ne soient nés du mariage. Le contrôle s’exerce donc postérieurement à la célébration du mariage.

Cette disposition ne s’applique qu’aux étrangers ressortissants des Etats tiers. Il suffit qu’un des

conjoint soit italien ou ressortissant communautaire pour lui appliquer les dispositions plus

favorables prévues par le droit européen. La norme, dans son interprétation littéraire, pourrait être

déclarée contraire à l’article 29 de la Constitution, car, en imposant la cohabitation entre conjoints,

ne tient pas compte d’éventuelles autres exigences et, en imposant l’éloignement automatique du

territoire, constitue clairement une norme de police administrative275. L’exigence de cohabitation

serait contraire aux normes de droit civil qui sont beaucoup moins exigeantes : l’article 144 du

code civil italien dispose en effet que « les conjoints concordent entre eux l’orientation de leur vie

familiale et fixent la résidence de la famille suivant leurs exigences et celles prééminentes de la

famille ». Il faudrait en fait distinguer entre l’absence d’une simple cohabitation matérielle due à

des exigences pratiques et l’absence d’une réelle affectio coniugalis qui, en Italie, donne lieu au

mariage simulé tel que réglementé par l’article 123 du code civil. Ainsi l’article 30 de la loi Bossi-

Fini est interprété par le juge de manière plus raisonnable tenant compte de cette distinction : la

274 “The sham marriage is the one entered into for the purpose of avoiding the effect of one or more provisions of United Kingdom Immigration law or the Immigration rules”. 275 MOROZZO DELLA ROCCA Paolo, “Simulazione, matrimonio di comodo e cittadinanza”, Famiglia e diritto 10/2007.

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cohabitation doit être entendue comme « idéale communion de vie » caractérisée par des liens de

solidarité, moraux et juridiques et non pas comme cohabitation matérielle276.

L’exigence de démontrer la réelle communion de vie se rapproche à l’intention de vivre

ensemble demandée par les autorités britanniques. Ainsi, une telle solution ne résulte que de

l’opinion personnelle du juge a quo. De plus elle a été adoptée en faveur du ressortissant marié

avec un citoyen italien. Même si la Cour Constitutionnelle277 a considéré infondée la question de

constitutionnalité relative au traitement moins favorable réservé aux familles d’étrangers par

rapport à celui appliqué aux familles dont au moins un conjoint a la nationalité italienne, il n’en

reste pas moins que la preuve de l’existence du lien d’affection entre conjoints est laissé au

pouvoir discrétionnaire de l’autorité consulaire ou judiciaire compétente.

Section II/ La preuve du lien génétique

Les empreintes génétiques permettent l’identification d’une personne à travers l’analyse

moléculaire de l’ADN. La pratique de soumettre le demandeur du regroupement à l’analyse de

ses empreintes génétiques pour établir son lien de filiation ou de parenté avec le regroupant déjà

établi sur le territoire national est aujourd’hui présente dans les trois pays. Cependant, c’est

seulement en France il existe une disposition législative spécifique ainsi qu’un encadrement

constitutionnel déterminé.

La preuve du lien de filiation par le biais du test ADN, récemment admise en France par la

Loi Hortefeux du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à

l'asile et comme validée par les nombreuses réserves d’interprétation du Conseil

Constitutionnel278, a été source dans ce pays d’amples débats. Et pourtant cette pratique est

désormais présente dans la plupart des Etats européens.

276 Tribunale di Padova, Sez. Di Cittadella, Ord. du 18 mars 2005, Cf. OLIVETTI Lara, “Lo status dei coniugi non comunitari di cittadini italiani fra diritto al soggiorno e obbligo di convivenza”, Diritto, Immigrazione e cittadinanza 3/2005. 277Corte Cost. Ord. du 6 juillet 2001 n°232 à propos de l’article 19 alinéa 2 lettre c) du D.lgs 286/98 278 CC 2007-557 DC du 15 novembre 2007.

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Parmi ceux-ci, le Royaume Uni a été le premier a avoir utilisé les empreintes génétiques

afin de rechercher l’identité d’une personne pour motifs judiciaires, vu qu’ un professeur

britannique, au sein de l’Université de Leicester, Alec J. Jeffreys, a été l’auteur de cette

découverte scientifique en 1984279. Ainsi, juste un an après, le Tribunal d’appel pour

l’immigration, dans l’affaire Sarbah vs Home Office, va utiliser l’analyse des empreintes

génétiques pour établir le lien de filiation d’un enfant de nationalité ghanéenne, Andrew Gyimah,

avec sa mère, déjà résidente à Londres avec d’autres enfants, et permettre ainsi le regroupement

familial. Comme on voit, la reconnaissance est d’abord jurisprudentielle pour être ensuite

réglementaire. Soulignons que la possibilité de recourir à l’analyse des empreintes génétiques

n’est pas prévue directement par les Immigration Rules mais par les Immigration directorate

instructions (IDIs), des instructions gouvernementales qui servent de guide dans la mise en œuvre

des premières.

Même en Italie l’utilisation des empreintes génétiques comme moyen de preuve des liens

de parenté, dans le cadre du regroupement familial des étrangers, naît de la pratique280. En 2001

une collaboration déboute entre l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et les

ambassades de Nairobi et Addis Abeba. Selon l’OIM, la collaboration se révèle nécessaire afin

d’identifier les nationaux somaliens qui ne possèdent pas des documents d’identification

appropriés, cela pour des raisons différentes : inexistence des bureaux d’enregistrement et

d’archives, persistance de situations de conflit, ou impossibilité, due au statut de refugié politique,

de s’adresser aux autorités administratives nationales pour des raisons de sécurité. Depuis 2003 la

collaboration a été étendue aux autorités consulaires en Arabie Saoudite, Pakistan, Syrie, Soudan

et autres pays encore. En avril 2005 le directeur de l’OIM en Italie a proposé au gouvernement

italien et, en particulier, au ministère des affaires étrangères, d’étendre l’utilisation du test ADN à

tous les pays où il existe des doutes sur l’authenticité des documents d’identification. La

Farnesina a accepté la proposition avec une circulaire envoyée à toutes les ambassades le 22

décembre 2005281.

279 FRANSMAN Laurie et DAVIDSON Maria, “DNA testing a review and preview”, Immigration and Nationality Law and Practice, Vol. 1-3 1986-1989, October 1988 p. 57 et s.. 280MISSIONE DI ROMA DELL’ORGANIZZAZIONE INTERNAZIONALE PER LE MIGRAZIONI “Ricongiungimenti familiari e test del DNA”, Stranieri 6/2004. 281 Circulaire n° 306/504236.

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Ainsi afin de permettre le regroupement familial de l’enfant, seule à être prise en

considération est la famille biologique.

On étudiera donc comment l’analyse des empreintes génétiques afin de regroupement

familial a été encadrée par les droits nationaux (§1). Cet encadrement se concilie-t-il avec les

dispositions nationales du droit de la famille ? Quelle est l’importance rattachée à la filiation

biologique ? (§2)

§1 Le test ADN afin de regroupement familial, les conditions posées par les droits

nationaux

Nous allons d’abord comparer la procédure suivie dans les différents pays, pour délimiter

l’encadrement législatif et réglementaire de la pratique des empreintes génétiques afin du

regroupement familial.

Un contrat a été signé entre le gouvernement britannique et une société qui s’occupe de

relever les empreintes génétiques282. Lorsqu’un étranger veut faire recours au test ADN, l’Entry

Clearance Officer doit s’adresser à cette société. En Italie, une autorisation générale283 a été

délivrée par l’autorité garante des données personnelles, selon laquelle le test ADN est permis aux

fins du regroupement familial. En effet, les destinataires de cette autorisation, comprennent aussi

les organismes internationaux jugés adéquats par le ministère des affaires étrangères, ainsi que les

représentations diplomatiques et consulaires à l’étranger compétentes en matière de délivrance des

certificats284, aux fins exclusifs de regroupement familial. Dans les deux pays le test est donc

pratiqué sous le contrôle et la direction d’organismes soit de droit privé soit de droit public. En

France, au contraire, le test est pratiqué sous le contrôle d’un juge ad hoc, le tribunal de grande

instance de Nantes285. Une garantie de plus est donc fournie, puisque sans autorisation judiciaire,

on ne peut pas procéder à l’analyse des empreintes génétiques.

282 Il s’agit de la société « Cellmark ». 283 Autorisation générale du 22 février 2007. 284 réglées par l’article 49 du Dpr. 5 janvier 1967, n° 200. 285 Article 111-6 alinéa 3 CESEDA.

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De plus, seulement en France la récente loi Hortefeux réglemente expressément le recours

aux empreintes génétiques. L’article 13 de cette loi va ainsi compléter l’article L 116-6 du

CESEDA : « Le demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, ou son

représentant légal, ressortissant d’un pays dans lequel l’état civil présente des carences, qui

souhaite rejoindre ou accompagner l’un de ses parents mentionnés aux articles L411-1 et L411-2

ou ayant obtenu le statut de refugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, peut, en cas

d’inexistence de l’acte de l’état civil, ou lorsqu’il a été informé par les agents diplomatiques ou

consulaires de l’existence d’un doute sérieux sur l’authenticité de celui-ci, qui n’a pas pu être levé

par la possession d’état telle que définie à l’article 311-1 du code civil, demander que

l’identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin

d’apporter un élément de preuve d’une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le

consentement des personnes dont l’identification est ainsi recherchée doit être préalablement et

expressément recueilli […] ». On retrouve ici toutes les conditions posées à la mise en œuvre du

test ADN.

Premièrement, l’identification par les empreintes génétiques ne peut s’effectuer que face à

l’inexistence de l’acte d’état civil prouvant la filiation, ou face à des doutes sérieux sur son

authenticité.

En Italie, la pratique n’a pas même eu besoin d’une validation législative, puisque le

recours au test ADN comme moyen de preuve est considéré comme rentrant dans le champ

d’application de l’article 2 c) 2 bis du Dpr. 334/2004 du 18 octobre 2004 qui ainsi dispose: « […]

en raison de l’absence d’une autorité reconnue ou de preuve suffisante de crédibilité des

documents d’identification délivrés par les autorités locales […] les représentants consulaires et

diplomatiques vont délivrer la documentation nécessaire […] sur le fondement des vérifications

nécessaires, effectuées aux frais des intéressés ». Le décret-législatif 5/07 introduit un nouveau

alinéa à l’article 29 de la Loi Bossi-Fini, qui subordonne la délivrance du visa à l’effective

vérification de l’authenticité, de la part de l’autorité consulaire italienne, de la documentation

démontrant les présupposés de conjugalité, état de santé et minorité. L’utilisation des empreintes

génétiques afin de regroupement familial est donc réglementée par une source subordonnée à la

loi, ce qui fait légitimement surgir des doutes de constitutionnalité par rapport à la réserve de loi

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posée par l’alinéa 2 de l’article 10 de la Constitution286. La Cour Constitutionnelle n’est pas

intervenue.

Quant au Royaume Uni la même limitation est prévue par les IDIs qui ainsi disposent :

« Le test ADN ne devrait pas être utilisé dans tous les cas de regroupement. Dans la plupart des

cas, le rapport de parenté sera facilement déterminé et bien documenté. Un test ADN devrait être

offert uniquement lorsque l’ECO n’est pas satisfait par le rapport de parenté en question […]287 »

On constate que les instructions britanniques disposent que le test ADN doit être offert à

l’intéressé. Il est ici question de l’autre condition nécessaire à la mise en œuvre correcte de

l’analyse des empreintes génétiques : le consentement des intéressés. Il faut souligner que

seulement en Grande Bretagne, depuis 1991, le test n’est plus organisé sur base volontaire,

puisque l’initiative provient toujours de l’ECO. Certes, l’intéressé ne peut pas être obligé à se

soumettre à une telle pratique, mais le refus à la demande de l’officier de l’immigration

équivaudra, très probablement, à un refus d’entrée.

Enfin, la loi française prévoit spécifiquement que l’analyse des empreintes génétiques peut

s’effectuer exclusivement vis-à-vis de la mère. Or, en en Grande Bretagne et en Italie cette

pratique est admise en voie de principe vis-à-vis du père, mais elle est possible même pour

vérifier l’existence d’un lien génétique de deuxième degré, c'est-à-dire petits-enfants, petit-neveu,

ou demi frère.

Comme nous avons étudié lors du premier chapitre, le regroupement familial est soumis à

des conditions d’âge bien précises. Le problème de la démonstration de la minorité de l’enfant

s’est présenté au Royaume Uni et en Italie.

Au Royaume Uni, cette condition d’âge a posée une difficulté pratique : dans de nombreux

cas qui se sont présentés devant le tribunal pour l’immigration, la demande d’entrée au titre du

regroupement familial avait été refusée à l’enfant mineur, car, au moment de sa présentation, le

test ADN n’était pas encore pratiqué. Lors de sa nouvelle proposition, le juge se voyait obligé à

refuser une telle demande au motif que l’étranger en question avait rejoint la majorité. C’est pour

286 « Le statut juridique des étrangers est réglementé par la loi conformément aux usages et aux traités internationaux ». 287IDI’s §1.5.

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cette raison que le gouvernement britannique avait en 1989 adopté une concession288 avec laquelle

on admettait, rétroactivement, l’entrée des étrangers qui, alors mineurs, n’avaient pas pu bénéficier

des empreintes génétiques comme moyen de preuve de leur lien de filiation. Mais la dite

concession a été abrogée le 24 aout 2002, probablement au motif que, depuis la découverte de la

technique du test ADN et son application aux cas d’immigration, un certain laps de temps a passé,

tel à faire supposer une telle prévision inutile. Et pourtant ne manquent pas des cas récents289 où

l’étranger s’est vu refuser deux fois l’entrée sur le territoire : la première fois, lorsqu’il était

mineur, pour absence de preuve suffisante du lien de filiation ; la seconde fois même si le lien de

filiation a été démontré à travers la pratique du test ADN, au motif qu’il a rejoint la majorité et que

la concession de 1989 a été supprimée.

Quant à l’Italie, il faut mentionner une autre pratique : vu que seuls les enfants mineurs,

sont, en principe, bénéficiaires du droit au regroupement, le test pratiqué sur l’ossature de l’enfant

permet d’en établir l’âge biologique. Aucune disposition législative ou du code civil précise la

procédure à suivre. Les consulats, ambassades et certaines tribunaux ont commencé à procéder à

l’examen du poignet de l’enfant, afin d’en déterminer le degré de maturité290et du coup, établir son

âge biologique. Une autre pratique qui repose sur l’idée que la famille à protéger aux fins de

regroupement est seule celle biologique et qui se fonde sur une base scientifique pas encore sûre :

la marge d’erreur peut varier d’un an à deux ans.

§2 L’encadrement constitutionnel par rapport aux normes du droit de la famille

A partir du moment où en France le Conseil Constitutionnel est intervenu pour préciser

l’application de la nouvelle prévision législative, on partira de l’analyse de ce juge pour en mettre

en évidence les faiblesses, tout en comparant les problèmes français avec ceux qui se présentent en

Italie et en Grande Bretagne (A). Le nouvel dispositif impose donc une nouvelle conception de

288 DNA and over age reapplicants concession. 289 AA and NA Concession on DNA testing, Bangladesh UKIAT 00180 [2004], et Fozlu Miah, Arzu Miah vs Secretary of State for the Home Department UKIAT [1991]. 290 MALENA Micaela, “Accertamento della minore età e diritto all’unità familiare”, Diritto, Immigrazione e cittadinanza 3/2007 et MOROZZO DELLA ROCCA Paolo, “Il diritto al ricongiungimento familiare e le indagini consolari sulla veridicità delle attestazioni contenute nella certificazione di stato civile straniera”, Diritto di famiglia e delle persone, 2006, pt 1, 120.

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filiation (ou famille) génétique. Il est donc légitime de se demander quelle est l’importance

rattachée à la filiation génétique par les différents droits nationaux de la famille (B).

A/ La décision du Conseil Constitutionnel français

Seulement en France le juge constitutionnel, suite à la saisine d’un certain nombre de

députés et sénateurs principalement de gauche291, est intervenu pour encadrer le nouveau dispositif

de loi. La saisine concerne deux articles de la loi Hortefeux : l’article 13 qui a introduit la

possibilité du test ADN afin du regroupement familial, et l’article 63, qui permet de recueillir les

données relatives à l'origine raciale ou ethnique dans la cadre d'études sur « la mesure de la

diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration ». Seule cette

disposition est censurée dans son intégralité par le Conseil, comme contraire à l’article 1er de la

Constitution, qui interdit quelconque discrimination fondée sur la race ou sur l’ethnie. C’est donc

l’analyse de la constitutionnalité de l’article 13 qui appelle tout notre intérêt. Six griefs

d’inconstitutionnalité sont soulevés par les parlementaires. On ne prendra en considération que le

griefs relatifs à la violation du principe d’égalité (a) et du principe de la vie privée et familiale (b).

a) Principe d’égalité

Premièrement, les parlementaires considèrent la pratique des empreintes génétiques dans le

cadre du regroupement comme contraire au principe d’égalité. Le Conseil Constitutionnel en

utilisant la technique de la réserve d’interprétation, répond que le test ADN ne s’applique que

« sous réserve des conventions internationales qui déterminent la loi applicable au lien de

filiation et qui, par application de l’article 55, prévaudront sur le nouveau dispositif ». Par

conséquent, selon le Conseil , le législateur « n’a pas entendu déroger aux règles de conflit de lois

définies par les articles 311-14 et suivants du code civil qui soumettent en principe la filiation de

l`enfant à la loi personnelle de la mère ». L’application de la règle de droit international privé

291 Le recours au Conseil Constitutionnel est déposé par le PS et signé aussi par les députés du groupe GDR (communistes et verts) et par François Bayrou, auxquels se sont ajoutés les sénateurs communistes, socialistes et radicaux de gauche. Pour une synthèse détaillée de la procédure voir VERPEAUX Michel, “Des jurisprudences classiques au service de la prudence du juge. A propos de la décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007”, JCP, éd. Générale n° 1, 2 janvier 2008, I, 101.

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permet de respecter le principe d’égalité : d’une part, « le législateur ne saurait élaborer des

règles d’état civil spéciales, réservées à certains étrangers demandeurs de visa originaires de

certains Etats dont l’état civil présente des carences et qui pourraient conduire à ce qu’un lien de

filiation légalement établi selon la loi applicable ne se trouve pas reconnu ». Ainsi, si d’autres

modes de preuve sont admis en vertu de la loi applicable, il n’y aura pas lieu de procéder à

l’analyse des empreintes génétiques; d’autre part, il n’y a pas discrimination à l’encontre des

enfants adoptifs car les dispositions critiquées « ne sont pas applicables, à l’évidence, lorsque la

filiation en cause n’est pas fondée sur un lien génétique ». Enfin si sur certains points il y a

violation du principe d’égalité, et notamment en raison du choix aléatoire au sein des Etats à l’état

civil défaillant, l’article 37-1 de la Constitution dispose que « la loi et le règlement peuvent

comporter pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». Ainsi le

dispositif sur les empreintes génétiques sera expérimenté pour une période de 18 mois.

La même question de constitutionnalité pourrait être soulevée en Italie par rapport au

principe d’égalité, mais aussi au principe de souveraineté des Etats292, dont le respect est imposé

par l’article 10 de la Constitution, au premier alinéa293. De ce point de vue, la solution du juge

judiciaire italien a été la même de celle prise par le Conseil Constitutionnel français. Le juge

national doit respecter la règle de conflit de loi posé par le droit international privé. Ainsi l’article

33 de la loi 218/95 dispose que « la loi personnelle de l’enfant au moment de la naissance règle

les présupposés et les effets de la vérification et de la contestation de l’état civil d’enfant ». Par

conséquent le juge italien ne peut pas mettre en cause la présomption de légalité et validité des

documents de l’état civil délivrés par les pays étrangers, mais il peut en vérifier, où nécessaire,

l’authenticité294.

De la même manière, il faut mentionner le pouvoir d’appréciation dont les juges anglais

disposent dans l’interprétation des Immigration Rules et des IDIs qui permettent le recours aux

empreintes génétiques. Dans une affaire295 qui s’est présentée devant le tribunal d’appel pour

l’immigration, le juge s’est montré favorable au droit au regroupement familial: ainsi, même si

après examen des empreintes génétiques on a relevé que l’enfant n’est pas le fils biologique du

292 Sur ce point, MALENA Micaela, “Accertamento della minore età e diritto all’unità familiare”, Diritto, Immigrazione e cittadinanza 3/2007. 293 « L’ordre juridique italien se conforme aux normes du droit international généralement reconnues ». 294 Cass, I Civ, 18 juin 2003, n°14545, MALENA Micaela, “Accertamento della minore età e diritto all’unità familiare”, Diritto, Immigrazione e cittadinanza 3/2007. 295 R vs IAT ex parte IQBAL ALI CO/2598/91

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père regroupant, mais seulement de la mère, l’entrée sur le territoire britannique ne peut pas lui

être refusée. Cela parce que l’enfant a été toujours traité comme un membre de la famille. C’est en

effet la preuve de la possession d’état qui revient à instituer la famille affective comme modèle

familial de référence afin d’admettre le droit au regroupement familial. D’ailleurs, le Conseil

constitutionnel français, dans l’examen de la compatibilité de l’article 13 à la Constitution, valide

cette disposition parce qu’elle n’introduit qu’un nouveau moyen de preuve qui va s’ajouter à ceux

déjà existants, parmi lesquels, bien évidemment, il y a la possession d’état.

Le problème c’est que, comme le souligne Eric Forgaro296, « en prévoyant que l'enfant

puisse être identifié par ses empreintes génétiques, en vue de rapporter la preuve de sa filiation

maternelle, le législateur n'a pas seulement créé un nouveau mode de preuve de la filiation ; par

une règle de droit matériel, il étend pour des étrangers l'objet de la preuve de leur filiation ».

Dans ce sens, l’article 13 constituerait, du point de vue du droit international privé, une véritable

loi de police, une loi dont « l'observation est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation

politique, sociale ou économique du pays ». Bien que le Conseil ne retienne par cette analyse, la

discrimination à l’encontre des enfants adoptifs est évidente : seul l’enfant « génétique » peut

utiliser le moyen du test ADN pour prouver la filiation, alors qu’un enfant adopté, se trouvant dans

la même situation, c'est-à-dire en cas d’absence ou de doute sur l’authenticité des documents de

l’état civil, ne pourra pas bénéficier de cette possibilité. Cette discrimination n’est justifiée par

aucune différence de situation par rapport à l’objet de la loi. Ce dernier consiste en effet dans

l’établissement du lien de filiation en général, même celui qui concerne les enfants adoptifs.

Réside ici une différence fondamentale avec l’article 16-11 du code civil qui, permettant de

manière générale l’identification d’une personne par le biais de la technique des empreintes

génétiques, ne vise que la filiation naturelle. En effet, le texte de l’article ainsi dispose :

« l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que dans

le cadre de mesures d'enquête ou d'instruction diligentée lors d'une procédure judiciaire ou à des

fins médicales ou de recherche scientifique ou d'identification d'un militaire décédé à l'occasion

d'une opération conduite par les forces armées ou les formations rattachées. En matière civile,

cette identification ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée

296 FORGARO Eric, « Tests ADN : traitement différent de situations différentes ou discrimination ? », Droit de la famille n°1 janvier 2008, étude 3

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par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation,

soit à l'obtention ou la suppression de subsides […] ».

b) Respect de la vie privée et familiale

En second lieu, l’article 13 est considéré par les requérants comme contraire au principe de

respect de la vie privée et familiale. Le Conseil affirme, au contraire, « qu’en limitant la nouvelle

faculté de preuve à l’établissement d’une filiation avec la mère et eu égard aux finalités qu’il s’est

assignées, le législateur a adopté une mesure propre à assurer une conciliation qui n’est pas

manifestement déséquilibrée entre le droit à une vie familiale normale, le respect de la vie privée

de l’enfant et du père et la sauvegarde de l’ordre public, qui inclut la lutte contre la fraude ».

L’atteinte à la vie privée et familiale pourrait dériver du fait qu’un lien de filiation établi par la

possession d’état pourrait être remis en question par l’analyse des empreintes génétiques. Du

moment que le test ne peut s’effectuer que vis-à-vis de la mère, une éventuelle atteinte au principe

de la vie privée et familiale est considérée proportionnée. En effet, permettre le test vis-à-vis du

père pourrait comporter une réelle remise en cause du lien familial. Ce qui pose des problèmes de

constitutionnalité sur ce point en Italie et au Royaume Uni, où une telle possibilité est admise.

Pourtant, de telles questions de constitutionnalité n’ont pas été soulevées.

Toujours à propos du respect de la vie privée, le Conseil Constitutionnel précise qu’à

travers le nouveau dispositif le législateur n’a pas autorisé le traitement des données personnelles

ainsi recueillies. De la même manière en Italie l’autorité garante des données personnelles

dispose, dans son autorisation générale, que les données génétiques traités à cette fin sont

conservées pour une période de temps qui ne peut pas être supérieure à celle de l’examen de la

demande de regroupement.

B/ Filiation voulue ou filiation biologique ?

Les critiques doctrinales à la décision du Conseil Constitutionnel ne manquent pas. Jean

Louis Halperin297 considère la nouvelle loi de « violence législative » et constate que « le contrôle

297 HALPERIN Jean Louis, « De la violence législative », Recueil Dalloz 2007 p. 2957.

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de constitutionnalité a perdu, au fil des années, de sa portée, en préférant les réserves

interprétatives aux franches censures ». Encore Dominique Rousseau298, reprenant la pensée

juridique de Habermas, montre comment la pratique du test ADN est contraire soit, d’un point de

vue positiviste, aux normes de droit écrit qui assurent la protection du principe d’égalité et de la

famille, soit, d’un point de vue jus naturaliste, à une idée de justice selon laquelle la discrimination

entre famille naturelle et famille sociale serait injustifiée. Pierre Murat 299considère que « retenir

dans un même système juridique une définition de la filiation pour soi et une autre pour l’étranger

n’est même pas faire preuve d’impérialisme : c’est mettre en œuvre une logique de distinction qui

n’applique à l’autre ni son propre droit national ni même le nôtre, puisque- jusqu’à nouvel ordre-

la filiation ne se résume pas en France à la biologie et ne se prouve pas par un test ADN ». Une

opinion contraire, tout en faveur de l’adoption de l’amendement ADN, est soutenue par François

Terré300 qui affirme « Le lien de filiation, composante essentielle de la famille, repose avant tout,

mais pas exclusivement, sur la vérité. Et celle-ci, présumée ou prouvée, est naturellement liée à ce

qu'on appelle les liens du sang, disons à la réalité biologique. Cette place lui est notamment

assignée par tous les droits européens ».

Quelles sont en fait ces normes de droit positif ?

L’article 47 du code civil français, auquel renvoie le même article L111-6 du CESEDA,

dispose que « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé

dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données

extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes

vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne

correspondent pas à la réalité ». Est-ce que cette norme peut être considérée suffisante à justifier

l’utilisation des empreintes génétiques et donc justifier la discrimination entre enfants naturels et

enfants adoptifs ?

298 ROUSSEAU Dominique, « Penser le droit avec Habermas ? », Revue de droit public 1er novembre 2007, n°6 p. 1476. 299 MURAT Pierre, « Filiation et génétique : deux poids, deux mesures ? », Droit de la famille n°10 octobre 2007, repère 9. 300 TERRE' François, « Les chemins de la vérité - sur les tests ADN » JCP, édition générale n°1, 2 janvier 2008, I, 100.

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En France la filiation par le sang ne revête pas une importance prépondérante dans le droit

de la filiation. A l’appui, on peut mentionner l’étude du professeur allemand Franck301, sur

l’importance rattachée à la filiation par le sang en droit français et allemand de la famille. Ainsi on

peut constater qu’en France le secret de la maternité est particulièrement protégée : les articles 56

et 57 du code civil français n’imposent pas, au moment de la déclaration de la naissance de

l’enfant, d’indiquer le nom de la mère et du père, de sorte que, dans ce cas, l’enfant est considéré

comme né de parents inconnus. L’article 326 du code civil dispose que « lors de l'accouchement,

la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ». La

possibilité de l’accouchement sous X remonte d’une tradition très ancienne : déjà au moyen âge,

l’enfant pouvait être abandonné dans le tourniquet (« tour » en français, « rota » en italien), un

cylindre en bois, tournant, placé sur les murs extérieurs des orphelinats et des hôpitaux. Ainsi la

possibilité de garder sécrète la maternité est expressément prévue par le code civil italien à

l’article 250. Elle a pour but de n’imposer à la mère biologique aucun devoir vis-à-vis de son

enfant, si telle n’est pas sa volonté, sauf qu’ en Italie, à différence de la France, l'accouchement

anonyme ne constitue pas une fin de non-recevoir à l'action en recherche de maternité.

Encore, dans les deux pays, l’établissement de la filiation maternelle ou paternelle est

interdite après l’adoption302, même si l'enfant adopté peut, sans que la législation organise

expressément la connaissance par l'enfant de ses origines, obtenir des renseignements sur sa

filiation d'origine, notamment grâce à une copie de la décision d'adoption. L’importance de la

famille affective en droit français est témoignée aussi par le fait que, afin de contester l’existence

de la possession d’état, on ne peut que se fonder sur son existence et ses qualités, comme prévu

par les actuels articles 311-1 et 311-2 du code civil, reformés par l’ordonnance n°2005-759 du 4

juillet 2005. L’objet de la preuve repose donc sur la réalité sociologique, et non pas sur la vérité

biologique303. A différence de la France, en Italie la distinction entre filiation légitime et filiation

naturelle n’a pas été supprimée. Par conséquent, les présomptions légales demeurent nombreuses.

Indépendamment de la preuve du lien biologique, la famille née du mariage, reçoit une protection

particulière. En même temps, en dehors du mariage, la possession d’état, régie par l’article 237

du code civil, existe dans les mêmes conditions que celles posées par le droit civil français.

301 FRANCK Rainer, « La signification différente attachée à la filiation par le sang en droit allemand et français de la famille », Revue internationale de droit comparé, 45/1999 p.635-655. 302 Article 352 du code civil français. 303 Cass. Civ. 1, 6 janvier 2004, GRANET-LAMBECTHS Frédérique, HAUSER Jean « Le nouveau droit de la filiation », Recueil Dalloz 2006, p. 17.

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Il est intéressant de noter comment en France l’idée d’appartenance à la Nation est fondée

non pas sur le lien de sang, mais plutôt sur le sentiment commun d’appartenir à une même

communauté de valeurs. On pourrait donc soutenir que, de la même manière, l’appartenance à la

famille ne se réalise pas vraiment par le lien biologique, mais par le sentiment d’appartenir au

groupe familial304.

A l’inverse, l’indication du nom de la femme accouchée dans l’acte de naissance, la

présomption de paternité, les actions d’état, comme l’action en reconnaissance ou en contestation

de la paternité, sont des institutions qui visent à révéler une réalité biologique305.

Ainsi favor veritatis et favor legitimatis requièrent chaque fois d’être conciliés entre eux.

En Italie, en principe, la recherche de la vérité biologique n’est admise, pour remettre en question

les présomptions légales, que si des indices effectifs font croire à l’absence d’un lien de filiation.

Dans une récente décision306, la Cour Constitutionnelle a admis la possibilité de se prévaloir d’une

preuve génétique dans l’action en contestation de la paternité au sens de l’article 235 du code

civil, sans que soit préalablement nécessaire de prouver l’adultère de la femme. Cela dit, l’adultère

continue à être condition nécessaire à ce que l’action puisse être intentée. Cela signifie que la

jurisprudence constitutionnelle, d’une part, reconnaît l’identité biologique comme droit

fondamental, d’autre part, elle le concilie avec d’autres intérêts familiaux, comme celui de la mère

à maintenir l’anonymat après l’accouchement307.

Comme soulignent Jean Hauser et Danièle Huet-Weiller à propos du droit français de la

filiation, mais cette constatation peut s’appliquer aussi au droit de la filiation italien, celui-ci

« n’est pas seulement le droit de la filiation biologique, c’est aussi celui de la filiation voulue et de

la filiation vécue. Même en dehors de l’adoption, la volonté a toujours joué un rôle, tantôt

créateur, tantôt destructeur308 ».

304 FRANCK Rainer Op. Cit. 305 MURAT Pierre « Les enjeux d’un droit de la filiation. Le droit français et l’ordonnance du 4 juillet 2005 », Caisse nationale des Allocations familiales 2006/3 - N° 131. 306 Corte Costituzionale n°266/2006, commenté par VIRGA Walter, “Disconoscimento di paternità, prova dell’adulterio e test ematogenetico: tra “τεκνη” e “διĸη” la Consulta opta per il giusto mezzo”, Familia 6/2006 p. 1189-1199. 307 Corte Costituzionale n° 425/2005. 308 HAUSER Jean, HUET-WEILLER Danièle « Droit civil-la famille », 1989, p. 491, n° 745, cit. FRANCK Rainer, Op. cit..

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Au Royaume Uni le nom de la mère figure nécessairement dans l’acte de naissance. La

mère ne peut donc pas maintenir l’anonymat.

Avant la reforme introduite avec le Child Support, Pensions and Social Security Act 2000

(CSPSSA 2000), entré en vigueur le 1er avril 2001, la législation britannique, le Family Law

Reform Act 1969, s 2, subordonnait l’action en reconnaissance de la paternité au consentement des

intéressés. Ainsi si l’action était intentée par le père présumé, il fallait obtenir le consentement de

l’enfant âgé de plus de 16 ans, et de la mère. C’était essentiellement dans l’intérêt de cette

dernière que les tribunaux britanniques reconnaissaient le droit absolu de la mère de s’opposer à

ce que l’enfant mineur de 16 ans soit soumis à l’analyse du sang ou de ses empreintes

génétiques309. Cet état des choses a été critiqué puisqu’il est considéré porter atteinte à l’intérêt

supérieur de l’enfant à connaître ses origines, protégé par les dispositions de la CEDH, en

particulier l’article 8, même si aucune référence à ce droit est présente dans le texte de la norme,

et celles de la Convention ONU sur les droits de l’enfant, qui dans son article 7, reconnaît

expressément le droit de l’enfant à connaître ses origines. Au nom de ce principe, le juge

britannique avait reconnu la possibilité d’effectuer l’analyse des empreintes génétiques afin

d’établir la paternité, sans obtenir le consentement préalable de la mère, même avant l’entrée en

vigueur de la législation de 2001310. Dans cette affaire, l’action en reconnaissance de la paternité

est intentée par un homme craignant d’être le père d’un enfant, suite à une relation sexuelle

occasionnelle eue avec sa mère. Le juge considère bien sûr qu’il existe des intérêts conflictuels,

notamment celui de la mère à ne pas révéler la vraie paternité et celui de l’enfant à connaître ses

origines. Ce dernier est considéré prévaloir sur l’autre.

La nouvelle législation britannique donne ainsi au juge le pouvoir d’ordonner la mise en

place d’un test ADN pour un enfant mineur de 16 ans, sans que le consentement des parents soit

nécessaire. Bien que la récente réforme de 2000 laisse quand même la place à des présomptions

légales de paternité311, au Royaume Uni on constate une plus forte tendance vers la reconnaissance

de la filiation biologique. Par exemple, la loi anglaise est particulièrement détaillée dans la

fixation des conditions dans lesquelles, un enfant adopté, ayant atteint la majorité, peut demander

à connaître l’identité de ses parents biologiques. Depuis 1991, un fichier de noms, qui enregistre

309 Re O and J (Paternity: Blood Tests) [2000] 1 FLR 418. 310 Re T (Paternity: Ordering Blood Tests) [2001] 2 FLR 1190. 311 Le père de l’enfant est présumé être l’homme marié à la mère de l’enfant entre la date de la conception et celle de la naissance ainsi que l’homme dont le nom est déclaré dans l’acte de naissance, même s’il n’est pas marié.

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tous les enfants adoptés, doit être obligatoirement tenu par le greffe central de l’état civil. Encore,

en matière de procréation médicalement assistée, la loi anglaise est la seule à permettre aux

enfants ainsi conçus, la possibilité de demander des renseignements sur les donneurs, tout en

maintenant le principe du respect de leur anonymat. Cette possibilité est absolument fermée en

France et en Italie.

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Conclusions  

Par cette analyse nous avons donc voulu étudier quel est le périmètre du droit au

regroupement familial en cherchant, du point de vue du droit constitutionnel, de comprendre qui

en sont les sujets bénéficiaires.

Pour trouver la réponse on a d’abord démontré que, dans les trois pays, la famille est une

institution pour laquelle le droit offre un modèle, certes susceptible de changer avec le temps, mais

plus ou moins défini. Jusqu’aujourd’hui ce modèle a été représenté par le mariage, civil ou

religieux, comme constitué de deux éléments fondamentaux : le couple et la différence de sexe. En

effet, en Italie, la Constitution est claire à ce propos, l’article 29 ne protégeant que la famille

fondée sur le mariage. Ce dernier va donc reconnaître la famille comme phénomène de fait

préexistant au droit et en même temps va la fonder comme construction juridique. En France, la

Constitution n’est pas explicite. Le préambule de la Constitution de 1946 mentionne la famille

dans son texte de manière laconique. Par conséquent on ne peut que s’en tenir aux discussions

doctrinales qui ont cherché de donner une définition de famille en tant qu’objet juridique. Et

notamment l’étude du Professeur Millard a voulu montrer le caractère institutionnel de la famille à

l’intérieur d’une institution ayant sa même nature : l’Etat. Au Royaume Uni il n’existe pas de

Constitution écrite. Cela n’a pas empêché pour autant le développement d’un droit constitutionnel

qui trouve ses sources principales dans le droit statutaire, c'est-à-dire dans les actes législatifs du

Parlement, et dans la Common Law. Ce droit flexible et discrétionnaire, bien que s’adaptant

mieux aux évolutions sociales et regardant la famille comme un phénomène de mœurs avant que

comme un phénomène de droit, impose lui aussi un certain modèle, le mariage continuant à être la

forme de vie familiale à recevoir le plus de protection.

Ainsi le droit à mener une vie familiale qui reçoit protection au plan conventionnel est

encadré lui aussi dans l’institution familiale, par le biais du critère de normalité. Cette dernière est

devenue la condition pour reconnaître protection à la vie familiale, de sorte que la vie familiale

anormale est celle qui ne rentre pas dans l’idée d’œuvre que l’Etat impose en tant qu’institution.

C’est donc la famille légitime constitutionnellement et conventionnellement reconnue à

être bénéficiaire directe du droit au regroupement familial. Pourtant, la famille légitime ne peut

pas se limiter à la famille biologique comme il serait imposé par l’utilisation des empreintes

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génétiques afin de regroupement familial. Dans la vérification de l’existence des conditions posées

à l’exercice du droit au regroupement familial on ne peut pas se borner à démontrer le lien

génétique, mais il faut prendre en considération même les liens de type affectif. De leur part, ces

derniers sont très difficilement mesurables. Il faudra, donc, à chaque fois, concilier favor

legitimatis et favor veritatis.

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