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Expériences et représentations de « l’intervention en situation interculturelle » chez des psychologues du
Québec travaillant au privé
Thèse
Thomas Michaud Labonté
Doctorat en psychologie – recherche et intervention (orientation clinique)
Philosophiæ doctor (Ph. D.)
Québec, Canada
© Thomas Michaud Labonté, 2018
Expériences et représentations de « l’intervention en situation interculturelle » chez des psychologues du
Québec travaillant au privé
Thèse
Thomas Michaud Labonté
Sous la direction de :
Yvan Leanza, directeur de recherche
iii
Résumé
À l’intersection des mouvements actuels au Québec d’augmentation constante de la
diversité culturelle et de la professionnalisation des pratiques de soins psychologiques
apparaît la nécessité de mieux comprendre la pratique des psychologues en situations
interculturelles. Les recherches empiriques explorant l’interculturel dans le quotidien des
professionnels sont relativement éparses et récentes, d’autant plus en psychologie. Un
relevé de la littérature montre les difficultés pour considérer sérieusement la culture en
intervention et les éléments qui facilitent cette démarche. Pour approfondir la question, la
présente thèse propose d’abord un cadre théorique praxéologique-interculturel qui tient
compte de la sensibilité interculturelle, des orientations d’acculturation, du rapport aux
connaissances et du rapport aux normes du côté du psychologue. Ce cadre a servi de guide
pour répondre à l’objectif général qui est de décrire comment sont représentées et vécues
les expériences d’intervention en situation interculturelle chez des psychologues du Québec
travaillant au privé.
Pour mener cette exploration, 21 psychologues ont été rencontrés à Québec et
Montréal. Tous ont en commun d’avoir vécu au moins une expérience d’intervention
interculturelle durant leur carrière. Il s’agit de femmes et d’hommes, d’âge, de niveau
d’expérience et de pays de naissance variés. Le recrutement a visé le secteur de pratique
privé qui apparaît particulièrement représentatif de la profession de la psychologie. Les
personnes rencontrées ont d’abord réalisé une tâche d’association libre et celle-ci a été
analysée à l’aide de méthodes descriptives. Elles ont par la suite été interrogées dans le
cadre d’une entrevue semi-dirigée sur leurs expériences antérieures d’interventions en
situation interculturelle pour mettre en lumière leurs représentations de l’Autre
culturellement différent, de la consultation interculturelle et de leur propre rôle. Une
analyse thématique a été réalisée sur ces entrevues. Les résultats globaux ont été mis en
perspective avec le cadre théorique. Des comparaisons ont été effectuées entre les
participants nés à l’extérieur et ceux nés au Canada et entre les participants rapportant plus
fréquemment des expériences d’intervention en situation interculturelle et ceux en
rapportant plus occasionnellement.
iv
Au niveau représentationnel, les résultats mettent en évidence que les psychologues
interrogés n’ont généralement pas le sentiment de sortir de leur rôle en situation
interculturelle, même s’ils nomment plusieurs spécificités qui touchent toutes les facettes de
leur travail. La consultation est souvent perçue comme n’étant pas différente et certaines
situations génèrent de la déstabilisation à des degrés variables. L’Autre culturellement
différent est majoritairement représenté comme un immigrant en processus d’adaptation
culturelle. Cette représentation émerge de celle du patient comme une personne en
difficulté qui teinte l’ensemble des conceptualisations portées sur l’Autre et légitime les
interventions du psychologue. Des positions individuelles ressortent au niveau de la
pratique. Tous expriment un intérêt pour l’interculturel et une majorité démontre un niveau
de sensibilité interculturel leur permettant d’adapter certains aspects de leur pratique. Les
discours acculturatifs témoignent en majorité d’un désir d’intégration pour l’Autre
culturellement différent et, chez certains, d’une perspective individualiste. Les
connaissances spécifiques aux situations interculturelles sont généralement perçues
positivement, mais leur utilisation est par moments limitée dans l’intervention. Le rapport
aux normes professionnelles détermine des pratiques variant entre une normalisation plus
forte d’un côté et une prise en compte des rapports « internormatifs » propres à la
consultation interculturelle de l’autre. Le croisement de ces observations permet de répartir
les participants dans une typologie du rapport à l’Autre culturellement différent, où près de
la moitié montre un discours sur leurs pratiques faisant apparaître des difficultés à la
décentration culturelle.
En conclusion, une attitude d’ouverture, de bonnes intentions ou même une
exposition fréquente aux contacts interculturels ne suffisent pas aux psychologues pour leur
permettre de se décentrer pleinement d’une perspective uniquement psychologique. Une
compréhension socialement partagée du rôle du psychologue centré sur l’intériorité d’un
individu en difficulté peut limiter le développement de perspectives plus larges. Les apports
des résultats à la formation interculturelle ainsi que les limites sont discutés.
v
Abstract
In the province of Quebec, there is a need to better understand psychologists’ cross-
cultural practice, considering that cultural diversity is constantly increasing and that
professionalization of psychological cares continues to evolve. Furthermore, empirical
research exploring intercultural encounters in the daily practice of health professionals is
relatively scarce and recent, especially regarding psychologists. An in-depth review of the
literature revealed the difficulties of truly considering culture in cross-cultural intervention
and, on the contrary, uncovered the facilitating factors of such encounters. This thesis
delves deeper in this literature and contributes to knowledge in the field of cross-cultural
encounters in psychology by suggesting a praxeological-intercultural theoretical framework
that takes into account psychologists’ intercultural sensitivity, acculturation orientations,
relation to knowledge and relation to norms of their profession. This framework was then
used to explore the way in which psychologists, working in a private practice in Quebec,
represent and experience cross-cultural interventions.
To carry out this exploratory study, 21 psychologists were interviewed in Quebec
City and Montreal City. All participants had experienced at least one cross-cultural
intervention during their career. The sample consisted of both women and men, of varying
ages, levels of experience and countries of birth. Private practice was targeted, as it appears
to be representative of the profession. First, the informants performed a free association
task that was analyzed with descriptive methods. Then, they were interviewed about
previous experiences of cross-cultural interventions, to highlight their representations of the
culturally different Other, of the cross-cultural psychological consultation and of their own
role. A thematic analysis was performed on these interviews. Results were interpreted
through the theoretical framework described above. Comparisons were made between
foreign-born participants and those born in Canada and between participants reporting more
cross-cultural intervention experiences and those reporting less of these encounters.
Concerning participants’ representations, findings show that the informants
generally do not feel that they step out of their psychologist’s role, even if they discuss
several particularities that affect all aspects of their work in cross-cultural contexts.
vi
Consultations are often perceived as similar, although some situations generate varying
degrees of destabilization. The culturally different Other is predominantly represented as an
immigrant in the process of cultural adaptation. This representation arises from a more
general representation of the patient as a person experiencing difficulties. The later colors
all the conceptualizations carried about the Other and legitimizes the interventions of the
psychologist. Individual nuances and positions emerged when analysing practices. All
participants expressed an interest for cross-cultural differences and a majority demonstrated
a degree of cross-cultural sensitivity sufficient enough to favour some cross-cultural
adaptations of psychotherapy. Discourses on acculturative issues mostly reflect a desire for
integration of the culturally different Other and less often demonstrate individualistic
perspectives. Specific knowledge about cross-cultural issues are generally perceived
positively, but their usefulness is sometimes limited in the context of real interventions.
Analysis of professional norms shows practices varying between a stronger standardization
on the one hand and a consideration of the "inter-normative" aspects of the cross-cultural
consultation relationship on the other. Participants were distributed into a typology of the
relationship to the culturally different Other after crossing observations from these different
theoretical perspectives. Nearly half of them showed a discourse on their practices
revealing difficulties with the cultural decentration processes.
In conclusion, an attitude of openness, good intentions or even frequent exposure to
intercultural contacts is not enough for psychologists to allow them to fully decentre from a
purely psychological perspective. A socially shared understanding of the psychologist's role
centered on the inner self of an individual living with difficulties may limit the
development of broader perspectives. Contributions of the results for cross-cultural training
as well as the limits of the current research are discussed.
vii
Table des matières
Résumé .................................................................................................................................. iii Abstract ................................................................................................................................... v
Liste des tableaux ................................................................................................................ viii Liste des figures ...................................................................................................................... x Remerciements ...................................................................................................................... xi 1. Introduction ........................................................................................................................ 1 2. Problématique .................................................................................................................... 4
2.1. Précisions terminologiques pour la recherche interculturelle .............................. 4 2.2. Les difficultés de l’intervention en situation interculturelle .............................. 10 2.3. Les éléments favorisant l’intervention en situation interculturelle.................... 15 2.4. Vers une étude praxéologique du rapport à l’Autre en situation interculturelle 24
2.5. Comparaisons selon les positionnements sociaux ............................................. 50 2.6. Cadre de la recherche......................................................................................... 53
3. Méthode ........................................................................................................................... 60 3.1. Recrutement ....................................................................................................... 60 3.2. Construction et structuration de la situation d’entretien .................................... 62
3.3. Recueil des informations sociodémographiques ............................................... 64 3.4. Traitement de la tâche d’association libre ......................................................... 65
3.5. Traitement de l’entrevue semi-structurée .......................................................... 70 3.6. Prise de notes personnelles ................................................................................ 77 3.7. Devis de recherche ............................................................................................. 78
4. Résultats ........................................................................................................................... 80 4.1. Description des participants. .............................................................................. 80
4.2. Résultats à la tâche d’association libre .............................................................. 85
4.3. Résultats à l’analyse thématique ...................................................................... 103
5. Discussion ...................................................................................................................... 195 5.1. Retour sur les questions de recherche .............................................................. 195
5.2. Représentations de l’Autre .............................................................................. 195 5.3. Représentations du rôle du psychologue ......................................................... 204 5.4. Représentations des expériences d’intervention en situation interculturelle ... 209
5.5. Rapport à l’Autre en intervention en situation interculturelle ......................... 211 6. Conclusion ..................................................................................................................... 229
6.1. Implications et pistes de recherche futures ...................................................... 229 6.2. Forces, limites et recommandations méthodologiques .................................... 236 6.3. Ouverture ......................................................................................................... 241
Références bibliographiques............................................................................................... 244 Annexe A : Questionnaire des données sociodémographiques .......................................... 251
Annexe B : Entrevue semi-structurée ................................................................................. 256 Annexe C : Grille de cotation de la tâche d’association de mots ....................................... 262
Annexe D : Résumé des thèmes par participants ............................................................... 263
viii
Liste des tableaux
Les ressources mobilisées par les professionnels en situation interculturelle
(Cohen-Emerique & Hohl, 2002) .................................................................... 22
Présentation des résultats à l’analyse Rang x Fréquence ................................ 69
Caractéristiques générales des participants à l’étude ...................................... 80
Catégorisation des approches auto-rapportées selon les orientations théoriques
......................................................................................................................... 82
Formations sur des sujets interculturels et fréquence des expériences
d’intervention en situation interculturelles ...................................................... 83
Expériences de vie interculturelles .................................................................. 84
Indices de la distribution des réponses à l’association libre ............................ 86
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Différence culturelle » .... 88
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le
pays de naissance pour le mot inducteur « Différence culturelle » ................. 89
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Thérapie » ....................... 91
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le
pays de naissance pour le mot inducteur « Thérapie » .................................... 92
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Immigrant » .................... 93
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le
pays de naissance pour le mot inducteur « Immigrant » ................................. 94
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Religion » ........................ 95
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le
pays de naissance pour le mot inducteur « Religion » .................................... 96
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Intervention » .................. 98
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le
pays de naissance pour le mot inducteur « Intervention » .............................. 99
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Discrimination » ........... 100
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le
pays de naissance pour le mot inducteur « Discrimination » ........................ 101
Tableau 1.
Tableau 2.
Tableau 3.
Tableau 4.
Tableau 5.
Tableau 6.
Tableau 7.
Tableau 8.
Tableau 9.
Tableau 10.
Tableau 11.
Tableau 12.
Tableau 13.
Tableau 14.
Tableau 15.
Tableau 16.
Tableau 17.
Tableau 18.
Tableau 19.
ix
Catégorisation des participants selon le concept de sensibilité interculturelle
(Bennett, 1986). ............................................................................................. 213
Catégorisation des participants selon le concept d’orientation d’acculturation
(Bourhis, 1998). ............................................................................................. 215
Catégorisation des participants selon leur attitude envers les informations
externes .......................................................................................................... 217
Catégorisation des participants selon leurs rapports aux normes .................. 222
Typologie du rapport à l’Autre en ISI ........................................................... 224
Tableau 20.
Tableau 21.
Tableau 22.
Tableau 23.
Tableau 24.
x
Liste des figures
Stades du développement de la sensibilité interculturelle (Bennett, 1986). ...... 29
Le modèle d’Acculturation Interactif (Bourhis et al., 1997). ............................ 35
Cadre d’analyse praxéologique du rapport à l’Autre culturellement différent
chez des psychologues ....................................................................................... 54
Schéma de l’entrevue épisodique (Flick, 1997, traduction libre) ...................... 71
Devis de la recherche ......................................................................................... 79
Domaines et catégories de l’arbre thématique avec le pourcentage des mots
codés et les liens hiérarchiques (N = 20) ......................................................... 104
Représentation visuelle de l’agglomération des catégories, avec les
pourcentages de mots codés et les indices de similarité entre catégories (N = 20)
......................................................................................................................... 188
Comparaison de l’agglomération des catégories à l’analyse thématique selon le
pays de naissance, pourcentages de mots codés et indices de similarité (N = 20)
......................................................................................................................... 191
Comparaison de l’agglomération des catégories à l’analyse thématique selon la
fréquence des ISIs au courant de la carrière, pourcentages de mots codés et
indices de similarité (N = 20) .......................................................................... 192
Synthèse des particularités de l’intervention en situation interculturelle – un
point de vue praxéologique .............................................................................. 230
Figure 1.
Figure 2.
Figure 3.
Figure 4.
Figure 5.
Figure 6.
Figure 7.
Figure 8.
Figure 9
Figure 10.
xi
Remerciements
Bien que dans mon parcours doctoral j’aie vécu des moments solitaires, j’ai aussi pu
trouver un espace intérieur où il est possible de réfléchir et de créer jusqu’à accoucher d’un
travail que je trouve beau, imparfait, mais beau. Et je souhaite partager ma fierté, car elle
revient aussi à toutes les personnes qui m’ont accompagné dans ma vie, notamment au
cours des dernières années.
Je voudrais d’abord remercier mon directeur de thèse, Yvan Leanza, qui m’a
accueilli, parfois même recueilli, qui m’a donné un lieu pour exister intellectuellement, qui
m’a fait connaître et me connaître, qui a été humble, ouvert et généreux de sa personne, qui
a réussi à me guider sans jamais rien imposer et à m’intéresser à autre chose que ce avec
quoi je suis familier. Je serai toujours reconnaissant de cette relation!
Merci aussi aux autres membres du jury, soit Karin Ensink, Catherine Montgomery
et Maya Yampolsky, qui ont reçu si favorablement mon travail. Cet accueil m’a donné
l’énergie nécessaire pour fignoler les derniers détails et pousser plus loin la réflexion en des
domaines que je connaissais moins, mais qui me stimulent véritablement.
Cette thèse n’aurait pas pu être réalisée sans la généreuse participation des
psychologues rencontrés. Leur témoignage vivant et sensible, leur intérêt indéniable pour
l’Autre et la culture et leur désir de transmettre m’ont tellement appris sur le sujet de ma
thèse, sur le métier et, même plus encore, sur les relations humaines. En espérant que les
élaborations issues de ce travail puissent retransmettre l’essence de l’expérience que j’ai
vécue dans ces rencontres.
Je tiens aussi à remercier Élias Rizkallah qui m’a accompagné jusqu’à tout
récemment dans ce projet. Ses conseils généreux, son savoir encyclopédique en matière de
méthodologies et de sciences sociales et sa présence attentive ont grandement enrichi mes
réflexions et ont stimulé le désir de savoir toujours plus même si plus on apprend, plus on
sait qu’on ne sait pas grand-chose!
Je remercie chaleureusement Marguerite Lavallée pour sa présence généreuse et
aimante dans plusieurs dimensions de ce parcours. Elle a semé son amour de la
xii
connaissance tout autour d’elle, auprès de ceux qui m’ont formé, auprès de mes collègues et
en moi.
Il faut reconnaître les appuis concrets que j’ai reçus au courant de ce parcours. Je
remercie les organismes de recherche METISS (Migration et ethnicité dans les
interventions en santé et services sociaux) et CELAT (Centre d’études sur les lettres, les
arts et les traditions) pour leur soutien financier qui m’a aidé à m’investir pleinement dans
la rédaction de cette thèse. Je remercie aussi Alexandra Vallée, Chloé Morris, Claudia
Tremblay, Élie Marticotte, Frédérique Tremblay-Légaré, Louis-Charles Reny, Marie-Claire
Côté et Pier-Luc Jolicoeur, des étudiants bénévoles qui ont fait un travail de moine dans la
transcription des entrevues. Je leur souhaite à tous un avenir brillant dans ce qu’ils
entreprendront.
Ce parcours n’aurait pas été aussi enrichissant sans la présence de mes collègues et
amis. Merci à Alexandra et Rhéa d’avoir partagé des moments de rédaction intenses et
stimulants. Merci à Christian, François, Karine, Sonia et Taís du laboratoire Psychologie et
Cultures et pour leur chaleureuse et stimulante amitié. Merci à Émilie pour le plaisir
partagé à l’internat et après. Merci à Camille pour son amitié qui traverse les océans. Merci
à Isabelle et Séverine pour les moments de fêtes et de plaisir qui ont ponctué ce parcours.
Merci à mon amie Andréanne, avec qui j’ai partagé une grande complicité dans les dédales
des études en psychologie et dont le courage a été une source d’inspiration. À toutes et tous,
je suis content que la vie nous ait permis de se rencontrer et de poursuivre nos relations au-
delà de nos études.
Merci à ma famille, notamment à mes parents Diane et André et ma sœur Andrée-
Anne pour m’avoir soutenu et aidé à garder un équilibre au courant des dernières années.
Et enfin, un merci tout spécial à l’homme qui a partagé ma vie depuis plus
longtemps que mes études en psychologie. Éric, ta présence embellit mon quotidien et rend
chaque instant plus heureux. Nous nous sommes accompagnés au travers tant d’expériences
de vie, les plus heureuses comme les plus difficiles. Notre amour est la plus belle chose que
j’aie pu connaître et je remercie la vie de t’avoir rencontré! Ton soutien dans mes projets
n’a jamais failli et je souhaite que nous continuions à se nourrir l’un l’autre comme nous le
faisons déjà!
1
1. Introduction
La psychologie clinique au Québec est pratiquée dans un contexte de diversité
culturelle croissante. L'institut de la statistique du Québec (2012) indique que le solde
migratoire total1 a dépassé l'accroissement naturel2 dès le début des années 2000 pour la
plupart des années suivantes. Ce serait surtout l'arrivée d'un grand nombre d'immigrants
internationaux et non l'immigration interprovinciale qui expliquerait le solde migratoire
total. Il est estimé qu'en 2029 le nombre élevé de décès fera en sorte que seule
l'immigration internationale assurera la croissance démographique. Ces données reflètent
l’effet des politiques d’accueil des immigrants et des réfugiés qui ont cours au pays comme
dans la province et qui enrichissent la société non seulement par le maintien du niveau
démographique et de la main d’œuvre, mais aussi par les contacts culturels qu’elles
permettent.
Au-delà de ces chiffres anonymes se trouvent une multitude de réalités indiquant
combien le profil de la diversité est pluriel. Rappelons en simplifiant qu’il s’agit entre
autres de migrants à différents instants de leur parcours, de réfugiés ayant fui des situations
dangereuses, d’étudiants internationaux de passage ou en voie de s’installer, de touristes, de
générations nées au Québec et qui se reconnaissent (ou se font attribuer) un héritage
culturel métissé, d’autochtones dont les souvenirs encore vivants témoignent des politiques
officielles d’assimilation, de francophones, d’anglophones et d’allophones qui se trouvent
parfois minoritaires selon où ils sont et même de personnes qui ne s’identifient pas à une
minorité culturelle mais qui n’ont pas moins pour autant une identité construite et actualisée
dans une société pluriculturelle. Toutes ces personnes vivent ensemble dans le même tissu
social mouvant, dont les aspects culturels évoluent au fil des générations, des politiques, de
l’économie, des technologies, des tendances, des arts, etc. Le vivre ensemble est aussi
marqué par des rapports de pouvoir alimentés par les dynamiques identitaires des acteurs en
jeu (Cohen-Emerique, 2015) et ces rapports s’expriment tantôt de façon harmonieuse, dans
1 Calculé par la somme de l’immigration interprovinciale et internationale reçues. 2 Calculé par la somme des naissances moins les décès.
2
l’échange et la cohésion, et tantôt de façon conflictuelle, dans la décohésion, la
marginalisation et les ruptures.
Les psychologues font partie de ce tissu culturel. Qui plus est, ils y participent
activement à titre de citoyens et dans l’exercice de leur profession. Dans l'introduction de
leur livre « Les psychothérapies : Modèles, méthodes et indications », Moro et Lachal
(2006) soulignent justement « qu’une des conditions pour que [la pratique de la
psychothérapie soit opérante] tient à l'acceptation explicite ou implicite que le pouvoir
thérapeutique passe par celui qui est désigné comme tel par le groupe social » (p.13). C’est
donc dire combien la psychologie clinique serait inopérante, impuissante à provoquer tout
effet thérapeutique, si elle ne jouissait pas notamment d’un statut social qui lui reconnaît
une valeur et un certain pouvoir. C'est ainsi que la présente thèse adopte la perspective que
la pratique de la psychologie est une pratique sociale et qu’il est légitime de questionner les
psychologues à titre de « mandataires » de la société pour obtenir leur point de vue
singulier sur leur rapport à l’Autre dans le cadre de leur profession.
Il a été choisi d’interroger des psychologues sur leurs expériences d’intervention
lorsqu’ils considèrent que le patient3 leur apparaît comme étant un Autre culturellement
différent d’eux-mêmes. En effet, la culture affecte tous les aspects de l'expérience humaine
(Kleinman & Benson, 2006). Dans la clinique, elle apparaît dans chaque facettes de la
compréhension de la maladie (mentale) ou de l'adaptation à celle-ci (Qureshi, 2005;
Kirmayer et al., 2011; Leanza, 2011b). Elle influence aussi les préjugés et les valeurs du
psychologue et du client, ce qui entraîne des biais culturels dans leur vision respective
(Daniel et al., 2004; Sue et al., 2007). La culture fait donc partie de l’expérience de la
rencontre thérapeutique dans tout contexte, mais elle est peut-être plus évidente lorsque les
protagonistes ne peuvent pas compter sur l’illusion d’une commune similarité (Michaud
Labonté & Leanza, 2013).
3 Les termes « patient », « client » et « usager » sont souvent utilisés en contexte québécois pour
parler de la personne qui demande à consulter un psychologue. Je préfère celui de « patient » aux autres en
raison de son étymologie qui désigne la souffrance. La souffrance est à la base de la relation de consultation,
car elle est à la fois l’objet inclus dans la demande de la personne qui consulte et c’est ce sur quoi le
psychologue travail dans la relation psychothérapeutique.
3
La question de la différence dans le rapport à l'Autre n'est pas exclusive aux
relations interculturelles. Sur un plan philosophique, toute forme de rapport à l’Autre peut
être comprise comme un rapport à celui qui est radicalement Autre (Michaud Labonté &
Leanza, 2013). Il aurait aussi été possible d’envisager la différence avec ses sous-couches
que sont entre autres les différences de genres, d’orientations sexuelles et de statuts de
santé. Néanmoins, il a été choisi de s’intéresser à une expérience de la différence plus
précise que celle de la notion philosophique d’altérité et qui reflète le contexte spécifique
de l’accroissement de la diversité culturelle au Québec. Ce travail où le psychologue est en
contact avec des clients d'une autre culture (dans son propre pays d'appartenance ou
ailleurs) a été désigné par l'expression « intervention en situation interculturelle » (ci-après
désigné par « ISI ») par l'Ordre des psychologues du Québec (ci-après désigné par
« OPQ ») dans une fiche déontologique publiée en 2002
(Ordre des psychologues du Québec, 2002).
Le rapport à l’Autre figure peu comme objet de réflexion en psychologie. La
présente thèse permettra d'en savoir un peu plus sur les rapports qu’entretiennent des
psychologues, ces spécialistes de la relation, lorsqu’ils se trouvent en situations qu’ils
considèrent comme étant interculturelles. Tout au long de ce parcours d’investigation, c’est
la question « comment sont représentées et vécues les expériences d’intervention
interculturelle chez des psychologues du Québec ? » qui a orienté ma façon d’interroger à
la fois la littérature disponible sur le sujet ainsi que le vécu des participants.
4
2. Problématique
Dans ce chapitre, les contributions théoriques et empiriques en lien avec l’ISI seront
explorées afin de cerner une compréhension théorique de l’objet de recherche et puis de
construire un cadre d’analyse qui guidera l’investigation auprès des participants rencontrés.
Je présente premièrement des définitions pertinentes pour cette étude qui s’intéresse à la
dimension interculturelle de la rencontre psychothérapeutique. Cette section relèvera les
complexités dans l’utilisation des termes liés à la notion de culture et aboutira à une prise
de position sur ceux qui seront privilégiés par la suite. Deuxièmement, un relevé des
difficultés propres à l’ISI sera présenté pour mettre en évidence la part des risques qui se
trouvent spécifiquement dans ce type de consultation. Troisièmement, il sera tenté de
comprendre comment la littérature scientifique répond actuellement à ces difficultés en
proposant des éléments favorables aux consultations en ISI. Quatrièmement, je démontrerai
la pertinence de s’intéresser au « rapport à l’Autre » dans une perspective plus complexe
qu’un relevé des difficultés et facilitateurs de l’ISI ne le permettrait. Je prendrai alors appui
sur des perspectives théoriques qui ont influencés, ou qui présentent une pertinence pour,
les champs de la recherche et de l’intervention interculturelles. Cinquièmement,
j’articulerai ces perspectives théoriques dans un cadre d’analyse unique et je présenterai les
questions de recherche et les présupposés théoriques qui ont émergé au fil de la
construction de ce cadre d’analyse.
2.1. Précisions terminologiques pour la recherche interculturelle
Dans le langage populaire et médiatique québécois, des mots tels que « groupe
culturel », « groupe ethnique », « multiculturalisme », « choc culturel » et « interculturel »
font partie du vocabulaire. L’emploi de ces mots n’est souvent pas le résultat d’une
réflexion consciente et a plutôt une fonction de faciliter la communication sur la question
du vivre-ensemble à l’ère de la mondialisation. Toutefois, dans le cadre d’un travail de
recherche approfondie sur la rencontre interculturelle, la référence au sens commun ne
suffit pas. Il apparaît nécessaire de définir ce qu’on entend par les différents mots qui seront
5
employés tout au long de cette réflexion. Si certaines difficultés apparaissent dans ce travail
de définition, je tenterai tout de même de prendre position à ce sujet.
2.1.1. Le mot « culture » est polysémique. La polysémie du mot « culture » est
constatable dans la variété des utilisations qu’on peut en faire. Le dictionnaire Le Grand
Robert de la langue française recense neuf définitions qui réfèrent aux domaines de
l’agriculture, de l’horticulture, de la microbiologie, des aspects intellectuels d’une
civilisation, du développement intellectuel individuel, de la culture physique et des formes
acquises de comportement dans les sociétés humaines (Culture, n. d.). En langue
allemande, cette polysémie est réduite par l’utilisation de deux mots qui réfèrent à des
domaines distincts : Kultur réfère aux symboles et aux valeurs alors que Zivilisation réfère
aux idées et aux organisations techniques, économiques et politiques (John & Gordon,
2009). Les cultures ont aussi été considérées par l'anthropologie occidentale du XIXe siècle
comme étant des constructions conscientes de l'humain qui pouvaient être positionnées
hiérarchiquement, ce qui a justifié les entreprises colonialistes de l'époque. Plus tard, Franz
Boas défendit l'intérêt de relativiser la notion de culture afin de permettre des comparaisons
sans aboutir à des hiérarchisation (John & Gordon, 2009).
Cette pluralité de sens du mot « culture » ne s’explique pas uniquement par son
emploi dans des disciplines différentes ou selon des époques différentes. En effet, si on
considère seulement le domaine de la psychologie à l’époque contemporaine, on rencontre
presqu’autant de définitions de la culture qu’il y a de personnes pour en parler. Jahoda
(2012) a fait un relevé de la littérature sur les définitions données à ce mot dans des textes
en psychologie interculturelle publiés entre 2009 et 2011. Il constate la diversité des
définitions et parfois même leur incompatibilité. Malgré cette hétérogénéité, il remarque
que plusieurs auteurs arrivent à démontrer empiriquement que leur définition de la culture
est la bonne, ce qui, selon lui, montre qu’il n’est pas pertinent d’en donner une définition. Il
conclut que la « “culture” n’est pas une chose, mais un construit social référant vaguement
à un ensemble vaste et complexe de phénomènes » (Jahoda, 2012, p. 300). L’absence de
consensus sur une définition de ce que serait « la » culture s’impose.
6
2.1.2. Les catégories peuvent être utilisées de façon réifiante. Une autre
approche consiste à utiliser des catégories moins vastes que le mot « culture » et qui
réfèrent plus explicitement à certaines caractéristiques humaines. Toutefois, ces catégories
ne sont pas neutres en soi, car elles découlent des conflits socio-historiques dans lesquels
elles ont vu le jour.
Notons que dans la recherche biomédicale et psychologique, surtout du côté
américain, les questions interculturelles sont le plus souvent discutées par l'entremise du
concept de « race ». Ici, le mot « race » se laisse déjà définir plus aisément que le mot
« culture », mais son utilisation comporte aussi son lot de violences symboliques. Selon ce
concept, l’être humain entre en rapport avec les autres à partir de catégories essentiellement
basées sur l’apparence physique (blancs, noirs, latinos/as et asiatiques). Celles-ci découlent
d’un discours populaire en vigueur depuis l’époque du colonialisme et de l’esclavagisme
aux États-Unis (Loveman, 1999). Le concept de race est donc un construit social utilisé
pour parler des dynamiques de pouvoir entre personnes qui s’identifient (ou sont
identifiées) comme appartenant à ces groupes différenciés essentiellement sur des critères
biologiques. L’utilisation qui est faite des catégories raciales présente souvent une
conception statique, réifiante et enfermante des personnes concernées. Par exemple, les
catégories raciales sont utilisées de façon répétée dans de nombreuses études biomédicales
malgré qu’elles ne permettent pas de tirer de résultats concluants (Lee, 2009). Une
acceptation non critique des interprétations qui en découlent pourrait mener à la validation
de catégories basées sur la couleur de la peau et de perspectives biologiques à propos de
phénomènes essentiellement socio-historiques (Frank, 2007; Goodstein, 2008; Lee, 2009).
Le terme « culture » connaît aussi un emploi réifiant dans la littérature scientifique,
notamment lorsqu’on s’intéresse à « la culture » d’un groupe particulier. En psychologie
par exemple, certaines productions scientifiques s’affairent à présenter un portrait descriptif
« des cultures » sous format de monographies. Bien que ces ouvrages puissent donner
quelques pistes de réflexion pour favoriser la décentration, ils favorisent involontairement
une compréhension statique, folklorique et stéréotypée de la culture, au détriment de ses
aspects dynamiques (Leanza, 2011b; Hassan et al., 2012).
7
Ainsi, il apparaît que l’utilisation de catégories pour comprendre l’humain pose
problème lorsqu’elle valide une compréhension fixe et réifiante et qu’elle ne permet pas
non plus de considérer le dynamisme de la culture et des relations interculturelles. Chaque
personne y est alors enfermée dans des appartenances attribuées de l’extérieur et auxquelles
on fait correspondre un ensemble de caractéristiques. Néanmoins, l’utilisation de catégories
peut se révéler plutôt utile lorsqu’on considère une perspective dynamique qui tient compte
des rapports entre les individus et les groupes auxquels ils s’identifient, notamment pour
comprendre les rapports sociaux et historiques dans lesquels s’insère la personne ainsi que
les relations de pouvoir qui en découlent.
2.1.3. Apporter une définition peut servir à présenter sa propre perspective.
L’utilisation de la notion de culture, même en l’absence de consensus, peut avoir aussi une
utilité à des fins empiriques ou cliniques (Jahoda, 2012). À titre d’exemple, Sue (2009)
s’intéresse au phénomène des micro-agressions raciales (ce thème sera développé plus en
détail par après). Pour les fins de ses recherches, il définit la culture comme étant composée
de normes, de valeurs et d'attitudes et il dit qu’elle se forme selon l'identification à des
expériences d'inégalités sociales, économiques, légales et politiques. Cette définition est
cohérente avec la perspective qu’il souhaite développer, parce qu’elle permet de
s’intéresser de façon centrale aux inégalités.
D’un autre point de vue, Qureshi (2005) voit plutôt la culture comme étant des
réseaux de signification basés sur des préconceptions. Cet auteur développe une perspective
herméneutique pour comprendre la rencontre clinique interculturelle, où il valorise
l’utilisation que le clinicien peut faire de ses propres préconceptions pour tenter de
comprendre l’Autre culturellement différent.
2.1.4. L’« interculturel » pour rendre compte du caractère dynamique et
relationnel de la culture. La diversité des utilisations du mot « culture » n’empêche pas de
définir la perspective dans laquelle on s’intéresse à cette notion. Ici, ce n’est en effet pas ce
que pourraient être « la » culture qui m’intéresse, car je ne cherche pas à identifier des
contenus spécifiques qui pourraient être désignés par ce mot. Mon regard se porte plutôt sur
8
les moments où le psychologue a le sentiment subjectif de se retrouver en « situation
interculturelle ». À cet égard, la définition du terme « altérité » selon « The Oxford
Companion to World Exploration » m’a grandement inspiré pour mieux comprendre cette
impression. Cette définition met en évidence comment la démarche anthropologique peut
servir à comprendre la rencontre interculturelle :
« Ayant comme antonyme “identité”, “altérité” a figuré fortement dans les
écrits d'exploration depuis [le Dictionnaire historique et critique de Pierre
Bayle] pour indiquer le caractère des peuples et des lieux qui n'ont pas de
mesure analogique ou comparative pour l'observateur. L'altérité peut être
ressentie comme une menace qui doit être apprivoisée ou à surmonter au nom
de l'identité, ou elle sert comme point de départ à l'enquête anthropologique.
Quelles altérités définissent les paysages géographiques et culturels qui
amènent le voyageur à prendre conscience de son propre déplacement ou de sa
propre différence? On dit que la “science de l'homme”, ce que le dix-huitième
siècle appelait les sciences humaines, a commencé à partir de cette question. »
(Tom, 2007, traduction libre)
Dans cette perspective, la culture ne serait pas un produit, mais le résultat d’un
déplacement vers l’altérité qui finit par produire l’effet de pouvoir regarder sa propre
position d’un autre point de vue. Cette définition se rapproche de la démarche de
décentration nécessaire pour pouvoir sortir de son propre cadre de référence afin de mieux
pouvoir en comprendre un autre (Cohen-Emerique, 2015). C’est ainsi que j’ai voulu entre
autres savoir à quels moments les participants ont eu l’impression de vivre cette rencontre
avec l’altérité qui a pu susciter une menace ou mener à la décentration.
Pour appuyer cette démarche, il apparaît que le mot « interculturel » recouvre mieux
cette idée d’une relation où il y a perception de différences que le mot « culture », ou que
les mots « multiculturel » ou « pluriculturel » qui mettent côte-à-côte des porteurs
d’identités culturelles différentes sans les mettre en relation (Rey, 1996). Plus encore, le
mot « interculturel » :
[...] est signe en même temps :
- de reconnaissance de la diversité des représentations, des références et des
valeurs;
- de dialogue, d’échange et d’interactions entre ces diverses représentations et
références;
- surtout, de dialogue et d’échange entre les personnes et les groupes dont les
références sont diverses, multiples, et souvent partagées;
9
- de décentration, de questionnement (voici encore une autre nuance de l’inter :
interrogation) dans la réciprocité, par rapport aux visions égocentriques (ou
socio-, ethno-, culturo-, européo-, etc.) centriques du monde et des relations
humaines;
- d’une dynamique et d’une relation dialectique, de changements, réels et
potentiels, dans l’espace et dans le temps. Avec la communication, les cultures
et les identités se transforment et chacun participe de plusieurs. (Rey, 1996, pp.
35-36)
Cette définition permet de rendre compte de l’interaction individu-groupe par le
biais des représentations, références et valeurs partagées ou divergentes; de concevoir
l’échange culturel à la fois au niveau des individus et des groupes, mais aussi au niveau
symbolique; d’en appeler à la nécessité de se décentrer pour pouvoir adopter des
perspectives différentes de la sienne; et d’ainsi concevoir la culture dans ce qu’elle a de
plus dynamique, dans les changements qui surviennent dans le temps et dans l’espace.
2.1.5. Une absence de définitions pour les participants. Afin d’être en mesure
d’évaluer les représentations que portent les participants en lien avec leurs ISIs, il est choisi
de ne pas leur fournir de définition de ce que seraient « culture » ou « interculturel ». Les
personnes interrogées ont été choisies pour représenter la perspective de psychologues qui
ne sont pas nécessairement spécialistes en matière d’intervention en situation
interculturelle. En l’absence de définitions consensuelles ou de définitions que j’aurais pu
suggérer, il sera intéressant de constater comment chacun jongle avec ces mots
polysémiques et non-neutres. Par exemple, il pourrait être tentant se rabattre sur des
concepts plus spécifiques qui réifient la richesse des notions de culture et d’interculturel ou
de rester collé à des catégories psychologisantes. Certains pourraient craindre d’évoquer
toute conception culturelle, de peur de véhiculer la violence symbolique de mots hérités de
contextes socio-historiques passés. Il serait aussi possible d’utiliser la notion de culture en
cohérence avec son approche thérapeutique, ce qui demande un travail de réflexion et
d’intégration. Plusieurs conceptions de la culture peuvent être envisagés pour le discours
des participants et il sera intéressant dans la présente thèse d’explorer comment ils
composeront avec cette notion.
10
2.2. Les difficultés de l’intervention en situation interculturelle
Les théories majoritaires dans la littérature s’intéressent notamment aux risques et
problématiques inhérents à la pratique de l’ISI. Cette perspective permet de remettre en
question une vision idéalisée du rôle du psychologue, voulant par exemple que celui-ci n’ait
pas de préjugés ou que ceux-ci n’auraient pas d'impact sur la thérapie et qu’il serait facile
d'intervenir en situation interculturelle.
2.2.1. La rencontre dans la différence peut susciter des réactions de menace.
Le sentiment de menace en situation où il y a perception de différences est rapporté de
plusieurs façons dans la littérature scientifique. Notamment, une étude menée aux États-
Unis a observé la réaction de counselors4 blancs5 à la suite d’exposition à des situations
hypothétiques de supervision et de counseling interracial (Utsey, Gernat, & Hammar,
2005). Certains participants manifestaient de l’inconfort par une tendance à minimiser les
questions raciales ou affichaient des tremblements dans la voix ainsi que des difficultés à
articuler ou prononcer des mots usuels lorsqu’ils parlaient de race.
La menace peut aussi se traduire dans la relation transférentielle entre le patient et le
psychologue. Qureshi (2011) recense dans la littérature différents types de contre-transferts
chez les thérapeutes : percevoir le patient comme étant exotique et adopter une attitude
anthropologique au détriment de s’intéresser à sa souffrance; considérer l’Autre comme
quelqu’un qui est désavantagé et qui a besoin d’aide en raison de cette position; ne pas
reconnaître les différences culturelles et raciales ou penser qu’elles sont inexistantes dans le
cadre de la rencontre clinique; ou percevoir que le groupe d’appartenance du patient est à
l’origine de ses difficultés. Selon l’auteur, ces contre-transferts permettent aux
psychothérapeutes de ne pas être confrontés à la différence.
Dans le cadre de formations d’intervenants à une approche interculturelle, Cohen-
Emerique et Hohl (2004) ont mis en évidence que la différence culturelle peut susciter non
4 Le counseling aux États-Unis se rapproche beaucoup de la pratique de la psychologie au Québec. 5 Par respect pour un courant de recherche dominant aux États-Unis, le concept de « race » et ses
dérivés (« racial », « interracial », « blanc », « noir », etc.) est préservé lorsque les résultats des études qui
emploient cette catégorisation sont discutés. Ailleurs dans le texte, c’est le mot « culture » qui sera préféré.
11
seulement un malaise, mais souvent aussi un choc culturel provoqué par les différences de
valeurs et de normes entre le professionnel et son client. Selon elles, le professionnel peut
adopter des réactions défensives au choc culturel afin de rétablir sa sécurité intérieure et
l'intégrité de son identité malgré sa position dominante conférée par son statut. Elles
expliquent qu’au-delà d'assurer une fonction de protection, les réactions défensives
bloquent aussi l'ouverture à l'altérité, la capacité d'apprendre de situations nouvelles et
déstabilisantes et la capacité d'assumer pleinement son rôle professionnel.
La menace peut aussi être ressentie du côté du patient. Dans la relation
transférentielle, celui-ci peut plus ou moins consciemment associer des caractéristiques
culturelles, ethniques ou raciales de son psychologue à des expériences négatives passées
(Qureshi, 2005). Si ces éléments de la relation ne sont pas détectés par le psychologue, ce
dernier pourrait erronément attribuer les réactions du patient à des caractéristiques de sa
personnalité plutôt qu’aux éléments culturels sous-jacents (Qureshi, 2005), ce qui
favoriserait l’incompréhension dans la relation thérapeutique.
2.2.2. Les réactions du psychologue peuvent causer préjudice aux patients
considérés culturellement différents. L’observation des dynamiques relationnelles
interculturelles montre que ce contexte d’intervention n’est pas un terrain neutre : la
relation thérapeutique interculturelle est propice à des rapports de pouvoir découlant des
représentations culturelles que les protagonistes ont de soi et de l’autre.
Un autre courant de recherche s’intéresse aux micro-agressions raciales dont les
personnes de couleur sont victimes au quotidien et qui peuvent se répéter dans le contexte
de la relation thérapeutique. Le concept de micro-agression a été introduit par l’étude de
Pierce, Carew, Pierce-Gonzalez et Wills (1978) sur le racisme véhiculé dans les publicités
télévisées aux États-Unis. Constatant différentes formes de micro-agressions véhiculées
dans les rôles joués (ou par leur absence de représentativité) par les personnages de couleur
dans les publicités télévisées, les auteurs concluent qu’aux « États-Unis, le racisme est une
maladie mentale et un problème de santé publique faisant en sorte que la couleur de la peau
détermine s’il est attendu ou non qu'une personne agisse à partir d’une position d’infériorité
ou de supériorité » (traduction libre, p. 65). Une définition plus contemporaine propose
12
qu’il s’agit « d’indignités quotidiennes, brèves et banales, qui peuvent être verbales,
comportementales ou environnementales ainsi qu'intentionnelles ou non-intentionnelles et
qui communiquent des affronts ou des insultes raciales à la personne ou au groupe cible »
(Sue et al., 2007, p. 273, traduction libre). Le concept de micro-agression raciale propose
une nouvelle perspective pour comprendre le racisme : Ce phénomène serait le produit d'un
racisme contemporain qui serait moins conscient que le racisme traditionnel, mais plus
étendu (Dovidio et al., 2002). Ainsi, le racisme n’est pas le seul fait d’agressions évidentes
envers des personnes de couleur, mais aussi d’interactions brèves pouvant être perpétrées
par des acteurs divers de la société.
Le cumul de ces interactions agressives engendrerait une détresse réelle et
significative chez les victimes. Par exemple, une étude en milieu universitaire montre que
l'étendue des micro-agressions dans les sphères académiques et sociales produit des effets
cumulatifs et dévastateurs, amenant des sentiments de frustration et d'isolement chez les
personnes affectées (Solórzano, Ceja, & Yosso, 2000). Ces réactions peuvent être
expliquées par un effet de double contrainte. Lorsque vient le temps de gérer ces situations,
les victimes se retrouvent dans une impasse : il est souvent impossible pour elles de vérifier
leur perception qu’elles ont vécu du racisme, ce qui peut conduire à l’autodépréciation,
mais toute réplique de leur part pourrait entraîner des perceptions négatives de la part de
l’entourage (Sue et al., 2007). C’est donc dire combien le caractère étendu, répété, bref et
subtil des micro-agressions raciales rend difficile de les identifier pour limiter les impacts
sur les personnes qui peuvent en être victimes.
La rencontre clinique n’apparaît pas comme un lieu aseptisé de toute micro-
agression raciale malgré les bonnes intentions des intervenants (Sue et al., 2007). Une des
formes les plus fréquente consiste à ne pas accorder d’importance aux différences au profit
d’une perspective centrée sur une humanité universelle (Constantine, 2007). On parle alors
du phénomène de color blindness qui a pour effet de nier une partie de la réalité
expérientielle du patient (Sue et al., 2007). Parmi les autres formes de micro-agressions
raciales pouvant être retrouvées dans la rencontre clinique, il y a notamment le fait de
prétendre être immunisé au racisme, d’assumer un comportement donné en fonction de
l’appartenance à un groupe racial, d’assumer qu'une personne sera sensible lors de
discussions sur des sujets raciaux, de normaliser un comportement potentiellement
13
dysfonctionnel (ex. : violence, toxicomanie) sur la base de l'appartenance à un groupe
culturel ou racial (Constantine, 2007), de considérer certaines valeurs culturelles ou certains
styles communicationnels comme étant pathologiques, de faire des sous-entendus par
rapport au niveau d’intelligence attendu pour un groupe racial donné, de soutenir que la
réussite sociale est seulement la conséquence du mérite personnel ou de présupposer que la
personne est née à l’extérieur en raison de caractéristiques visibles (Sue et al., 2007).
Quelques données empiriques valident que les micro-agressions raciales pourraient
avoir un impact négatif sur différents aspects de la psychothérapie. Notamment, il apparaît
que le degré auquel des thérapeutes démontrent du color blindness envers leurs clients
serait inversement proportionnel à leur capacité d'empathie (Burkard & Knox, 2004).
D’autres résultats indiquent que la perception de micro-agressions raciales de clients afro-
américains était associée négativement à leur alliance de travail, à leur satisfaction avec le
counseling, ainsi qu'à leur perception des compétences générales et multiculturelles6 du
conseiller (Constantine, 2007).
Certaines critiques ont été adressées concernant ces études. Sans nier comment la
race est un construit social valide, car il est l’objet d’identifications et de projections
négatives en fonction des appartenances à des groupes donnés, adopter une catégorisation
basée seulement sur le concept de race revient aussi à inférer des visions du monde selon la
couleur de la peau (Goodstein, 2008). Dans les études citées plus haut, on présente de façon
récurrente et dichotomique les blancs comme perpétrant les micro-agressions envers les
personnes de couleurs qui en sont les victimes (Schacht, 2008). Pourtant, Sue et ses
collaborateurs (2007), eux-mêmes au cœur de cette conceptualisation critiquée, soutiennent
dans une note conclusive que personne n'est à l'abri de biais raciaux et suggèrent qu'il serait
aussi pertinent d'étudier les dyades thérapeute de couleur–client blanc ainsi que thérapeute
et client de couleur. Cela montre l’importance d’étudier les rapports de pouvoir dans tout
type de relation interculturelle.
6 Plusieurs termes, tels que multiculturel, interculturel et transculturel, sont utilisés dans la littérature
pour faire référence aux contacts entre personnes issues de cultures différentes. L'auteur du présent projet de
thèse considère que le terme interculturel reflète mieux la situation où il y a un contact entre personnes
porteuses de cultures différentes. Toutefois, il est choisi d'utiliser les termes qui sont nommés dans les études
présentées par respect envers les différentes conceptions des auteurs cités.
14
Le concept plus global de dynamique identitaire s’avère utile pour s’intéresser aux
dynamiques de pouvoir pouvant être retrouvées dans la relation thérapeutique à travers
différents marqueurs de la différence. Cohen-Emerique (2015), chercheure et formatrice à
l’intervention interculturelle, en fait un élément central dans sa conceptualisation de
l’interaction interculturelle qu’elle définit comme « [...] l’interaction de deux identités qui
se donnent mutuellement un sens dans un contexte à définir à chaque fois. C’est un
processus ontologique, d’attribution de sens et de dynamique de confrontation identitaire
qui peut malheureusement évoluer vers un affrontement identitaire, une “dynamite”
identitaire » (p. 159). Elle conçoit que ces dynamiques identitaires peuvent découler de
l’histoire commune (potentiellement conflictuelle) des identités culturelles en présence.
Elle a entre autres observé auprès d’apprenants québécois une certaine forme de rancœur
envers les immigrés qui n’apprenaient pas le français ou envoyaient leurs enfants à l’école
anglophone. L’auteure interprète que ces professionnels perçoivent un déni de leur propre
identité et de leurs efforts pour intégrer les minorités culturelles. On pourrait aussi ajouter
que l’apprentissage du français chez les immigrants est un sujet sensible en raison du passé
au Québec où l’appartenance aux groupes anglophone et francophone avait une influence
déterminante sur les possibilités de réussite sociale. Néanmoins, ces dynamiques sortiraient
souvent du champ de la conscience du professionnel, car celui-ci agit selon des valeurs de
respect de la différence et de non-discrimination (Cohen-Emerique, 2015).
La différence culturelle peut aussi être propice à limiter l’empathie des thérapeutes
qui travaillent dans ce contexte (Kirmayer, 2008). À la suite d’observations du travail
clinique réalisé dans un service de consultation culturelle à Montréal, Kirmayer (2008) a
remarqué que l’expérience de la différence culturelle, l’écoute des récits d’expériences de
vie extrêmes ainsi que certaines manifestations psychopathologiques du patient sont autant
d’occasions où l’empathie du thérapeute peut être limitée. Selon l’auteur, ces limites à
l’empathie mettent le psychothérapeute à risque de traiter l'Autre comme étant un étranger.
Cette possibilité est d'autant plus préoccupante que certains récits migratoires peuvent être
ponctués par un grand nombre de difficultés et ainsi être caractérisés par une combinaison
de ces trois limites à l'empathie.
15
2.2.3. Synthèse sur les difficultés. Au final, ce que les études sur l’inconfort des
thérapeutes, leurs réactions défensives, les micro-agressions, les dynamiques identitaires et
les limites à l’empathie ont en commun, c’est de montrer en quoi la relation thérapeutique
interculturelle est à risque d’être mise à mal par les réactions du professionnel à la
différence culturelle. Les effets préjudiciables envers le patient sont de plus en plus
documentés à travers la littérature scientifique. Ceci est d'autant plus déplorable que la
qualité de la relation thérapeutique peut être considérée comme étant un élément majeur
pour assurer le bon fonctionnement de la psychothérapie en situation interculturelle
(Qureshi, 2005; Qureshi & Collazos, 2011).
Néanmoins, considérer seulement la perspective des risques de la rencontre
interculturelle pourrait avoir un effet limitatif sur le désir d’intervenir dans ces situations.
Ce serait aussi occulter un autre pan de la littérature qui s’est intéressé à différentes façons
d’exercer son rôle professionnel, ou de le reprendre à la suite d’une déstabilisation, en
situation interculturelle.
2.3. Les éléments favorisant l’intervention en situation interculturelle
Plusieurs façons d’aborder sérieusement le culturel en clinique ont été proposées
tant par des chercheurs spécialisés dans le domaine que par des intervenants engagés envers
les questions interculturelles. Ces interventions spécialisées ont donné naissance à
différentes approches de la clinique interculturelle. Il est choisi de ne pas faire de recension
de ces cliniques car la présente étude s’intéresse davantage aux cliniciens qui ne se
considèrent pas comme étant spécialistes en la matière. Le lecteur pourra se reporter
notamment à Leanza (2011b), qui recense des écrits cliniques et les catégorise selon les
différents rapports à l’Autre qu’ils favorisent.
Ainsi, la présente section s’attarde davantage aux éléments que tout professionnel
peut mettre en place (ou non!) dans la rencontre interculturelle afin de favoriser
l’intervention auprès des personnes considérées culturellement différentes.
16
2.3.1. Les compétences interculturelles. L’étude des compétences interculturelles
est apparue au début des années 80 à la suite de l’appel lancé par Sue et ses collaborateurs
(Sue et al., 1982) pour développer la compétence des psychologues à intervenir auprès d’un
Autre culturellement différent. Cette équipe de chercheurs souhaitait aller à l’encontre
d’une tendance forte en psychologie, encore présente aujourd’hui, à se représenter l’Autre
culturellement différent comme étant inférieur, à pathologiser les particularités culturelles,
à évaluer l’Autre en fonction de son propre point de vue majoritaire ou à considérer que
l’interculturel n’est pertinent que pour une petite proportion de la population.
Déjà à l’époque, Sue et ses collaborateurs (1982) identifiaient 11 compétences à
développer selon trois dimensions. En résumé, la première dimension se situe au niveau des
croyances et attitudes. On y définit le psychologue culturellement compétent comme étant
conscient et sensible à son propre héritage culturel et capable de respecter et valoriser les
différences, conscient de l’impact de ses valeurs et biais, confortable avec la différence et
capable de reconnaître les situations où il serait plus adéquat de référer le patient à un
membre de son propre groupe culturel. Dans la deuxième dimension, au niveau des
connaissances, le psychologue doit bien comprendre les dynamiques d’oppression qui se
perpétuent dans son système socio-politique et qui influencent la dynamique de
consultation, posséder des connaissances sur le groupe culturel auprès duquel il exerce,
avoir une compréhension claire des caractéristiques générales de la psychothérapie et être
conscient des barrières institutionnelles qui posent obstacles aux membres des minorités
culturelles. Dans la troisième dimension, qui concerne les habiletés du psychologue
culturellement compétent, il doit être capable de générer une grande variété de réponses
verbales et non-verbales, d’envoyer et de recevoir les messages verbaux et non-verbaux
d’une façon juste et appropriée et d’exercer des interventions au niveau institutionnel qui
impliquent de sortir d’un modèle d’intervention uniquement intrapsychique afin d’adopter
d’autres rôles. Le modèle d’intervention basé sur les compétences interculturelles a connu
un essor à partir des années 90 (Worthington, Soth-McNett, & Moreno, 2007). Signe de
cette effervescence, un comité de l’Association for Multicultural Counseling and
Development a développé plus encore la réflexion pour la formation et à la pratique de la
psychothérapie, ce qui a élevé le nombre de compétences à 31 (Sue, Arredondo, &
McDavis, 1995; Leanza, 2011b).
17
L’équipe de Worthington et ses collaborateurs (2007) ont réalisé une analyse de
contenu sur un total de 75 articles portant sur les compétences interculturelles publiées
entre 1986 et 2005. Les auteurs constatent qu’il y a un nombre relativement peu élevé
d’études empiriques par rapport aux écrits théoriques sur le sujet. Malgré cela, certaines
données empiriques se recoupent d’une étude à une autre et appuient certains bénéfices des
compétences interculturelles sur la psychothérapie. Ainsi, dans la relation thérapeutique
interculturelle, posséder des compétences interculturelles aurait un effet positif sur le
dévoilement de soi et les perceptions des patients envers leur psychothérapeute, le fait de
produire des verbalisations culturellement sensibles aurait un impact positif sur les patients
et la formation des psychothérapeutes à la sensibilité interculturelle aurait des effets positifs
sur la rétention en thérapie des patients (Worthington et al., 2007).
Il semblerait aussi que les compétences générales (correspondant à l'attrait créé par
le psychothérapeute, son expertise et sa crédibilité) et interculturelles (comprenant les
habiletés interculturelles, la conscience socio-politique et la sensibilité interculturelle) du
psychothérapeute soient les deux facteurs les plus importants de la satisfaction du client
après sa propre attitude dans sa recherche d'aide (Constantine, 2002).
Ce résultat soulève la question à savoir qu’est-ce qui, des compétences générales ou
des compétences interculturelles est le plus prévalent pour l’intervention en situation
interculturelle? Autrement dit, est-ce qu’un psychothérapeute généralement compétent sera
aussi culturellement compétent ou est-ce qu’il s’agit de compétences spécifiques à
développer? Selon les données empiriques disponibles, il est difficile de se positionner
clairement sur ces questions. En effet, dans les études où on interroge la perception des
patients concernant leurs psychothérapeutes, il ressort dans un cas que les construits utilisés
pour mesurer les compétences générales et interculturelles se recoupent (Constantine, 2002)
alors que dans un autre cas ils se distinguent (Fuertes et al., 2006). Il ressort aussi que seule
l'évaluation faite par le client de la compétence générale du psychothérapeute est corrélée
significativement et positivement avec les évaluations faites par le psychothérapeute de
l’alliance de travail, de ses propres compétences interculturelles et de sa propre satisfaction
envers la psychothérapie (Fuertes et al., 2006). Aussi, une étude qualitative rapporte que ce
n'est pas tant les compétences interculturelles du psychothérapeute qui seraient associées à
18
la satisfaction du client, mais plutôt l'incompétence interculturelle qui serait associée à
l'insatisfaction (Chang & Berk, 2009).
Par ailleurs, les études visant à comparer les perspectives des clients et des
psychothérapeutes révèlent que nombre de divergences apparaissent entre l’évaluation
portée par ceux-ci sur différentes dimensions de la psychothérapie interculturelle (Fuertes
et al., 2006; Owen et al., 2010). Il ressort que l’évaluation des psychothérapeutes de leurs
propres compétences interculturelles est plus positive que celle des clients (Fuertes et al.,
2006). De plus, il n’y a pas de corrélation entre l’évaluation que les clients portent sur
l'alliance de travail, leur satisfaction envers la psychothérapie, les compétence
interculturelle du psychothérapeute et l'empathie de celui-ci avec l’évaluation des
psychothérapeutes de leurs propres compétences interculturelles, de l'alliance de travail et
leur propre satisfaction envers la thérapie (Fuertes et al., 2006).
À partir de ces résultats non-concluants découlant des études quantitatives, il semble
difficile de comprendre empiriquement comment les compétences interculturelles des
psychothérapeutes favorisent la psychothérapie et quels aspects plus spécifiques seraient les
plus favorables. Ces portraits statiques portés envers le concept de compétence
interculturelle ne rendent pas compte du caractère dynamique, interactionnel et situé dans le
temps de la psychothérapie. Tel que concluent Owen et ses collaborateurs (2010), la
confusion retrouvée dans ces études pourrait être liée au fait que les compétences
interculturelles ne sont pas des résultats fixes, mais plutôt des processus qui opèreraient tout
au long de la psychothérapie et qui auraient une importance variable selon les clients.
Les résultats à deux études qualitatives basées sur des entrevues semi-structurées
auprès de patients ayant été en psychothérapie interculturelle appuient cette affirmation. La
première (Chang & Berk, 2009) a de plus comparé le discours des patients satisfaits de leur
psychothérapie par rapport aux patients insatisfaits. Il ressort une variété de différences
individuelles faisant en sorte que les clients réagiront différemment aux stratégies
employées par le thérapeute, qu’il aborde ou non la culture en thérapie. Par exemple, la
majorité des clients insatisfaits trouvaient que leur psychothérapeute n’était pas
suffisamment conscient et compétent envers les questions culturelles, raciales et ethniques
et certains d’entre eux avaient même l’impression que leur psychothérapeute minimisait
19
l’impact de la discrimination et de l’oppression vécue. Par contre, plusieurs patients
satisfaits rapportent plutôt qu’ils appréciaient que leur psychothérapeute s’intéresse à eux
comme personne et qu’ils étaient capables d’établir une bonne connexion émotionnelle sans
égard aux différences. Ces participants parlaient peu souvent de l’importance des
compétences interculturelles de leur psychothérapeute. Ils avaient tendance dans leur
discours à minimiser initialement l’importance des enjeux interculturels dans leurs
difficultés psychologiques, bien que la plupart se contredise par la suite en décrivant à quel
point leurs difficultés étaient liées à des enjeux d’ordre culturel. Ainsi, il semblerait que
l’expérience des patients insatisfaits soit majoritairement caractérisée par une perception
d’incompétence interculturelle chez leur psychothérapeute, alors que les patients satisfaits
soulignent davantage comment ils ont apprécié les compétences générales de leur
psychothérapeute. De plus, les deux études appuient l’idée que la culture, la race ou
l’ethnicité peut sembler très importante comme aucunement importante pour le client dans
la consultation (Chang & Berk, 2009; Chang & Yoon, 2011). Selon les auteurs, le client
bénéficierait ainsi que le psychothérapeute évalue au cas par cas s’il doit aborder la culture
en thérapie.
2.3.2. Les adaptations de la psychothérapie. Le champ d’études des données
probantes en psychothérapie interculturelle a tenté de comprendre quelles adaptations de la
thérapie sont les plus favorables en situations interculturelles.
Deux méta-analyses importantes dans le domaine ont respectivement recensé 76
études (25 225 participants) (Griner & Smith, 2006) et 65 études (8 620 participants)
(Smith, Domenech Rodríguez, & Bernal, 2011) publiées et non publiées qui visaient à
comparer une intervention en santé mentale culturellement adaptée à une intervention
traditionnelle. Comme critère d’inclusion, il fallait que les études rapportent explicitement
avoir utilisé une adaptation culturelle. Les résultats de ces deux méta-analyses sont très
similaires, ce qui peut être dû en partie au fait qu’elles ont parfois inclus les mêmes études.
Il ressort que l’adaptation culturelle des thérapies en augmente l’efficacité avec une taille
d’effet globale de d = .45 (Griner & Smith, 2006) et de d = .46 (Smith et al., 2011). Les
participants plus âgés (35 ans et plus) bénéficient davantage des adaptations que les
20
participants plus jeunes (Griner & Smith, 2006; Smith et al., 2011). De plus, les études qui
visent des adaptations spécifiques à un groupe culturel démontrent une efficacité environ
cinq fois supérieure à celles visant des adaptations culturelles générales (Griner & Smith,
2006; Smith et al., 2011). Les interventions faites dans la langue du client sont deux fois
plus efficaces que celles faites en anglais seulement (Griner & Smith, 2006). Enfin, en
contradiction avec les attentes des chercheurs, une taille d’effet significativement
supérieure a été retrouvée dans les études où patients et thérapeutes n’étaient pas de la
même culture, par rapport aux études de pairage culturel (Griner & Smith, 2006).
Bernal et Sáez-Santiago (2006) ont développé un modèle d’adaptation culturelle de
la thérapie comportant huit éléments qui ont été pensés au départ pour augmenter les
validités externe et écologique des études de traitement : 1) offrir des services dans la
langue du client (langue); 2) tenir compte des facteurs personnels que sont la race et
l’ethnicité (personne); 3) infuser dans le traitement des métaphores et des symboles
culturels (métaphores); 4) inclure certains concepts culturels globaux (concepts); 5) adapter
le contenu culturel du traitement selon les visions du monde du patient (contenu); 6) tenir
compte des coutumes et des valeurs dans l’identification des buts (buts); 7) tenir compte
des coutumes et des valeurs dans l’élaboration des méthodes employées pour atteindre les
buts recherchés (méthodes); 8) prendre en compte le contexte de la personne, tels que son
stress d’acculturation, sa migration et le soutien dont elle dispose (contexte). Une méta-
analyse réalisée à partir de ces huit variables montre que les études décrivant un plus grand
nombre d’adaptations culturelles dans le traitement tendent à être plus efficaces que les
autres (Smith et al., 2011). Une régression multiple a été réalisée pour indiquer quelles
variables auraient un impact significatif et il ressort que les seules adaptations qui
atteignent le seuil de signification statistique sont 1) de faire correspondre les buts de la
thérapie avec ceux des clients ainsi que 2) utiliser des métaphores/symboles correspondant
aux visions du monde du client (Smith et al., 2011).
Les conditions contrôles (traitements sans adaptation culturelle) retenues dans les
deux méta-analyses présentées ne sont pas nécessairement des psychothérapies bona fide7.
Dans cette perspective, Benish, Quintana et Wampold (2011) ont fait une méta-analyse
7 C’est-à-dire des groupes contrôles où une vraie psychothérapie a été administrée.
21
recensant 59 études présentant des comparaisons entre traitements culturellement adaptés et
conditions contrôles générales (1 242 participants) ainsi que 21 études dont le groupe
contrôle était bona fide (Benish et al., 2011). Encore une fois, la taille d’effet des
psychothérapies avec adaptation culturelle est supérieure à celle des psychothérapies bona
fide sans adaptation (d = 0.32) (Benish et al., 2011). Les auteurs ont aussi trouvé que la
seule variable explicative de cette différence est le fait que le thérapeute adapte son modèle
explicatif de la maladie aux croyances culturelles du client (Benish et al., 2011), ce qui est
cohérent avec les résultats de Smith et ses collaborateurs (2011). Les résultats des méta-
analyses présentées jusqu’ici doivent toutefois être considérés avec prudence puisque le
critère d’inclusion principal était basé sur les adaptations culturelles rapportées
explicitement par les chercheurs. Ainsi, il est possible que certaines études aient utilisé
certaines adaptations culturelles sans les avoir rapporté explicitement, ce qui les a exclues
automatiquement.
2.3.3. Les ressources en situation interculturelle. C’est en étudiant les réactions
défensives au choc culturel que Cohen-Emerique et Hohl (2002) ont pu aussi mettre en
évidence les ressources mobilisées par les professionnels pour « agir de façon adéquate,
voire créatrice » (Cohen-Emerique & Hohl, 2002, p. 164) en situation interculturelle.
L’intérêt est alors porté envers le rôle actif joué par le professionnel pour dépasser ses
propres réactions défensives lorsqu’il se sent déstabilisé, ce qui se démarque d’une
perspective statique sur les éléments favorables à appliquer dans la psychothérapie
interculturelle. Autrement dit, la perspective des ressources a ceci d’intéressant qu’elle
valide les difficultés que peuvent rencontrer les intervenants en situation interculturelle et
qu’elle s’attarde sur la façon de surmonter ces difficultés. Ainsi, on sort d’une perspective
où les risques seraient seulement à éviter : les écueils font partie de la relation thérapeutique
interculturelle et les surmonter peut être bénéfique pour tous.
Les ressources identifiées (Cohen-Emerique & Hohl, 2002) sont au nombre de 14;
les 10 premières sont qualifiées de processus simples alors que les 4 dernières sont
considérées être des processus plus élaborés (tableau 1). Les auteures insistent sur le
caractère profondément entremêlé entre les dimensions cognitives et affectives des
22
ressources, où d’un côté le professionnel exerce sa capacité à réfléchir de façon de plus en
plus complexe et où de l’autre côté est développe sa capacité à réguler son état émotionnel
pour demeurer dans une attitude d’ouverture.
Tableau 1
Les ressources mobilisées par les professionnels en situation interculturelle (Cohen-
Emerique & Hohl, 2002)
Processus simples
Prise de conscience d’une perturbation en soi; doute sur l’interprétation de la situation
Recherche d’indices; position de découverte et non de confirmation de préjugés
Émission d’indices pour arriver à négocier-adopter un scénario commun
Recherche d’information; éclaircissement avec la personne qui a provoqué le choc
Perception de la situation comme un défi et une situation d’apprentissage
Capacité de faire des détours par rapport à l’objectif fixé
Reconnaissance de la force des valeurs et des besoins de l’autre
Poursuite de l’interaction pour maintenir le dialogue malgré les possibilités de rupture
Savoir se laisser surprendre, être naïf
Chercher un élément commun au professionnel et à l’autre
Processus plus élaborés
Approche complexe intégrant plusieurs hypothèses
Passage du registre professionnel au registre personnel et retour au rôle professionnel
Tentative de négociation; médiation pour rapprocher les positions opposées ou éloignées
Puiser dans les outils professionnels usuels
23
En résumé, les ressources moins complexes permettent d’initier un processus de
décentration culturelle dans une posture de découverte et de favoriser la communication en
la maintenant ou en la rétablissant lorsqu’elle est menacée. D’ailleurs, l’étude de Chang et
Berk (2009) a permis de remarquer que client et thérapeute peuvent s’adapter aux
problèmes de communication entre autres par la recherche d’éléments communs. Certaines
ressources font davantage état de dispositions favorisant l’ouverture à l’altérité. Il est
rapporté par ailleurs qu’une attitude personnelle caractérisée par la conscience et
l’acceptation des similarités et des différences est liée à une meilleure compétence
multiculturelle auto-rapportée (Tummala–Narra et al., 2012). Les auteures rappellent aussi
que les situations interculturelles tendent à attirer l’attention sur les éléments culturels et à
aveugler le professionnel par rapport à ses outils de base qui peuvent être les plus
appropriés dans un grand nombre de situations.
Ces ressources se présentent sous la forme d’une description de pratiques
professionnelles culturellement sensibles, mais elles n’ont pas encore fait l’objet d’une
théorisation qui permettrait de les organiser sur le plan conceptuel. Il sera intéressant de
constater dans la présente recherche comment les participants composent avec les situations
de déstabilisation et de tenter de lier ces façons d’agir créatrices aux autres observations
posées dans la recherche. De plus, les expériences d’ISI rapportées par les participants ne se
limitent pas aux seuls chocs culturels, ainsi il est probable de relever un éventail différent
de pratiques culturellement sensibles par rapport à celles de l’étude de Cohen-Emerique
(2002).
2.3.4. Synthèse sur les éléments favorables à l’intervention en situation
interculturelle. Au final, il ressort que les adaptations culturelles de la psychothérapie
n’influenceraient pas tant des composantes spécifiques au traitement, mais plutôt des
facteurs communs tels que l’alliance thérapeutique et les préférences du patient (Smith et
al., 2011). Cela soutient l’hypothèse voulant que les tentatives déployées par le thérapeute
afin de s’ajuster seraient plus importantes que les procédures spécifiques employées (Smith,
2010). D’ailleurs, le rôle actif du thérapeute ainsi que ses efforts pour dépasser les
incompréhensions culturelles ont été identifiés comme étant typiques de l’expérience des
24
clients satisfaits de l’étude de Chang et Berk (2009). Cela appuie encore une fois la
pertinence de considérer les éléments favorables à l’ISI comme étant des processus et non
des compétences ou des adaptations figées dont la seule mise en application serait
suffisante. À cet égard, on peut s’intéresser aux ressources professionnelles mobilisées en
situations interculturelles, lorsque les cadres habituels rencontrent une limite auprès d’un
Autre culturellement différent.
2.4. Vers une étude praxéologique du rapport à l’Autre en situation interculturelle
Si les études discutées jusqu’à maintenant montrent les difficultés inhérentes à l’ISI
et les avantages généraux qu’il y a à adapter l’intervention d’une manière qui soit
culturellement sensible, peu de données nous informent sur comment se déroule l’ISI dans
la réalité de cliniciens qui ne sont pas spécialistes en la matière. Les modèles théoriques
portant sur les compétences interculturelles ou les adaptations de la psychothérapie
apportent des perspectives prometteuses depuis près de quatre décennies pour mieux
comprendre ce qui favoriserait l’ISI. Dans l’ensemble, elles appuient l’hypothèse que les
compétences et les adaptations culturellement spécifiques ont un impact généralement
positif auprès de clientèles minoritaires. Néanmoins, les quelques données empiriques
disponibles à ce jour montrent combien la recherche sur le sujet est encore pertinente.
Notamment, les études sur les difficultés et les facilitateurs sont pour la plupart des études
quantitatives qui visent à isoler des construits spécifiques, à partir de modèles et de
concepts définis a priori et mesurés de façon statique. Le pari d’identifier des composantes
spécifiques aux compétences interculturelles qui seraient les plus efficaces se heurte à des
résultats empiriques souvent peu significatifs. Ces études ne tiennent pas toujours compte
de la complexité et du caractère processuel et étendu dans le temps des éléments mis en jeu
dans l’ISI. Par contre, les quelques études qualitatives présentées jusqu’ici semblent
permettre d’en contourner les limitations en s’intéressant davantage à la complexité des
phénomènes retrouvés dans la rencontre interculturelle. Cela appuie la pertinence de mener
des études exploratoires pour mieux comprendre comment se construit l’ISI à partir
d’expériences vécues.
25
C’est pourquoi, dans la présente thèse, j’ai voulu explorer comment sont
représentées et vécues des expériences d’ISI chez des psychologues du Québec et cela à
partir de récits d’expériences réellement vécues et non provoquées à des fins
expérimentales. L’objet de recherche qu’est l’intervention en situation interculturelle,
suppose que je m’intéresse principalement aux dimensions praxéologique (réflexion sur la
pratique) et interculturelle (rapport à l’Autre culturellement différent) de la consultation
psychologique lorsqu’il y a perception de différence culturelle. Les sous-sections suivantes
présentent les théories qui serviront de base à la constitution d’un cadre d’analyse
interprétatif qui tient compte de ces deux dimensions. Ce cadre met en évidence les
concepts et notions qui m’ont inspirées à toutes les étapes de la création de cette recherche.
Sur le plan pratique, il a aussi servi à interpréter les résultats au-delà de leur simple
description.
J’aborderai d’abord quelques théories des représentations sociales qui seront utiles
pour dégager comment les psychologues se représentent l’Autre culturellement différent,
leur propres rôles ainsi que la consultation interculturelle. Ensuite, je ferai appel à la notion
de sensibilité interculturelle pour montrer l’intérêt que le professionnel soit en mesure de
reconnaître les différences culturelles dans sa pratique afin de pouvoir agir de façon
ethnorelative. Puis, je décrirai, d’un point de vue praxéologique, certains aspects de
l’intervention qui sont particulièrement importants à tenir compte dans les situations
interculturelles. De plus, je mettrai en contexte l’intervention avec les normes sociales et
professionnelles plus larges qui contribuent à définir le champ des interventions d’un
professionnel donné dans une société donnée. Enfin, ces théories seront situées à l’intérieur
d’un modèle praxéologique de l’intervention psychologique. C’est à la suite de la
présentation de ce modèle que je résumerai l’objectif général de la recherche, les questions
de recherche et les présupposés théoriques qui ont émergé tout au long de cette réflexion.
2.4.1. Les représentations sociales dans le rapport à l’Autre culturellement
différent. Dans l’optique d’étudier l’ISI de façon exploratoire, la notion de représentations
sociales (RS) permet de répondre au fait que l’ISI ne peut pas être conceptualisée comme
l’application d’un modèle scientifique ou clinique unique. Il est plutôt postulé que l’ISI se
26
construit sur la base d’un ensemble de représentations qui ont des influences réciproques
avec la pratique professionnelle. En effet, il n’existe pas de modèle validé empiriquement
qui fasse entièrement consensus sur ce que seraient de bonnes ISIs et chaque clinicien
dispose de sa conscience professionnelle et de son jugement au gré des interventions qu’il
pose. De plus, la notion des RS a déjà été utilisée par Cohen-Emerique dans le cadre de
recherches et de formations réalisées auprès de professionnels travaillant en interculturel.
Pour elle, les RS sont pertinentes dans l’étude des relations interculturelles :
[...] les RS impliquent toujours du sens car elles constituent un modèle
explicatif, une grille de lecture partagée par les membres d’un même groupe,
leur permettant ainsi de construire une vision consensuelle de la réalité et de
donner une signification commune à l’univers et aux situations qu’ils
rencontrent. Elles orientent les actions des individus de ce groupe. De plus, par
le jeu de leurs diverses propriétés, elles font le lien entre le psychologique et le
social et assurent l’articulation entre le sujet et sa culture. Elles varient selon
l’histoire singulière des individus, tout en continuant à partager un certain
nombre de caractéristiques identiques. D’où leur importance dans l’étude de la
rencontre avec des personnes de culture différentes [...] (Cohen-Emerique,
2015, p. 59)
Quelques théories des RS sont brièvement présentées ici pour dégager de quelle
façon elles seront considérées dans la présente thèse.
2.4.1.1. Définitions des représentations sociales. Le champ d’étude des
représentations sociales a fortement été influencé par la thèse de Serge Moscovici (1961)
dans laquelle il s’est intéressé à savoir comment la psychanalyse comme théorie
scientifique a pu devenir une représentation partagée au sein de la société française. Cet
auteur décrit la représentation comme « un processus de médiation entre concept et
perception » (p. 302) et il dit aussi que « [...] le contenu d’une représentation est à
prédominance figurative » (p. 303), ce qui le rapproche de la notion d’image. À la
différence de concepts théoriques tels que vision du monde, idéologie ou image, la
représentation est le fruit d’une élaboration cognitive. Et à la différence des représentations
cognitives, les RS ont comme caractéristique d’être socialement partagées.
27
Il est aussi possible de situer les représentations sociales dans une « architecture de
la pensée sociale » (Flament & Rouquette, 2003) où les représentations sociales sont
considérées à un niveau de généralisation des phénomènes sociocognitifs entre les opinions
et les attitudes, qui sont fondées sur des représentations sociales, et le niveau idéologique
(qui comprend les valeurs, normes, croyances et thêmatas).
2.4.1.2. Caractérisation des représentations. Une définition plus contemporaine des
RS énonce qu’elles sont « un ensemble d’éléments cognitifs (opinions, informations,
croyances) relatifs à un objet social » (Moliner, Rateau, & Cohen-Scali, 2002, p. 13) qui ont
pour caractéristique d’être organisées, partagées, collectivement construites et socialement
utiles (Moliner et al., 2002). Cette définition en appelle à un travail d’identification d’un
objet social porteur de représentations et à un travail de caractérisation de l’organisation des
éléments de ces représentations. C’est ainsi que je souhaite pouvoir décrire des
représentations qui se dégagent du discours sur l’ISI. Pour les caractériser, on peut
notamment tenter d’identifier des éléments centraux par rapport à des éléments
périphériques. Selon Moliner (2001), les éléments centraux se définissent comme les
éléments qui sont présents chez tous les sujets interrogés, qui sont activés
inconditionnellement dans le contexte où la représentation est elle-même activée et qui ne
sont pas différentiateurs de positions groupales ou individuelles. Les éléments
périphériques sont activés de manière conditionnelle en association avec d’autres éléments
de la représentation étudiée, ont une importance souvent moins centrale dans le groupe à
l’étude et permettent donc de révéler des différences de positionnement individuel ou
groupal.
Une seconde définition contemporaine dit aussi que les représentations sociales sont
« des principes générateurs de prises de position, liées à des insertions spécifiques dans un
ensemble de rapports sociaux et organisant les processus symboliques intervenant dans ces
rapports » (Doise, 1986, p. 89). Ici, c’est davantage l’interaction entre les représentations et
les positions sociales des sujets interrogés qui sont analysées. À cet égard, certaines
informations sociodémographiques des participants permettront de vérifier les liens entre la
position sociale des participants et certains éléments du discours et des représentations.
28
Dans la perspective des RS, le travail du psychologue peut être compris comme le
résultat d’une relation dialectique entre des rôles complémentaires portés par le patient et le
psychologue : « [la division du travail] a en effet pour résultat de différentier des groupes,
des rôles, des statuts, des professions, des castes, des classes, etc. Ainsi, les uns ont besoin
des autres, mais les uns ne se confondent pas avec les autres. » (Flament & Rouquette,
2003, p. 12). Je m’attarderai alors aux représentations que portent les participants de cette
relation qui définit de façon complémentaire le rôle du psychologue et le patient. C’est
ainsi que je distinguerai les représentations de l’Autre considéré comme étant
culturellement différent et les représentations de leur propre rôle en ISI. Je m’intéresserai
aussi à un troisième pôle représentationnel, la consultation en situation interculturelle, afin
de faire ressortir les éléments qui la distinguent de la consultation habituelle.
2.4.2. La sensibilité interculturelle dans le discours du psychologue. En plus
d’être une relation professionnelle, la rencontre en ISI suppose la mise en contact de deux
personnes porteuses de cultures différentes. Cette capacité à reconnaître que les
protagonistes de la relation interculturelle sont porteurs d’identités culturelles distinctes a
intéressé les chercheurs qui ont étudié le développement de la sensibilité interculturelle.
À cet effet, le modèle du développement de la sensibilité interculturelle
(Developmental model of intercultural sensitivity; DMIS, voir Figure 1) de Bennett (1986)
offre une vision dynamique de la sensibilité culturelle qui évoluerait à travers les
expériences de contact interculturel. Ce modèle est basé sur le concept organisateur de la
différence et considère que « les cultures diffèrent fondamentalement dans leur façon de
créer et de maintenir leurs visions du monde » (Bennett, 1986, p. 181, traduction libre).
L’auteur y décrit une succession linéaire de six stades qui évoluent de l’ethnocentrisme vers
l’ethnorelativisme, position qui correspond à une intégration complète de la différence
culturelle dans l’identité personnelle.
29
Figure 1. Stades du développement de la sensibilité interculturelle (Bennett, 1986).
Le premier stade ethnocentrique prévu dans le DMIS est celui du déni de la
différence, où la personne ne reconnaît pas de catégories culturelles ou reconnaît seulement
des catégories très larges telles que « asiatiques » et « occidentaux ». Elle considère que
seule sa propre culture est véritable ou elle réagit lorsqu’elle est identifiée à un groupe
culturel. Dans le second stade, celui de la défense contre les différences, la personne est
capable de reconnaître les différences, mais sa propre vision du monde est protégée par
l’utilisation de stéréotypes négatifs pour décrire la culture de l’Autre, par exemple en
insistant sur le sous-développement des autres cultures. Il existe aussi une forme inversée
(reversal) du second stade dans laquelle la culture hôte est perçue comme étant supérieure à
la culture propre à la personne. Au troisième stade nommé minimisation, les différences
culturelles ne sont plus niées ni dévaluées, mais elles sont plutôt reconnues ou tolérées.
Toutefois, la personne envisage encore la différence culturelle de façon superficielle ou
même comme une obstruction à la communication efficace. Dans le quatrième stade
correspondant à l’acceptation, qui est aussi le premier stade ethnorelativiste, la culture n’est
plus traitée comme un objet, mais plutôt comme un processus. Les cultures sont ici perçues
comme étant fondamentales, nécessaires et préférables dans les relations humaines, mais la
personne ne démontre pas encore d’actions ethnorelativistes ni de jugements contextualisés
selon la culture. À l’étape de l’adaptation à la différence, qui correspond au cinquième
stade, la personne a développé l’habileté de changer la façon dont elle traite la réalité, ce
qui lui permet d’agir de façon ethnorelative. Cette possibilité de changer de cadre de
référence permettrait une empathie véritable, qui est décrite comme « la participation
imaginative, à la fois intellectuelle et émotionnelle, dans l’expérience d’une autre
personne » (Bennett, 1979, p. 207, traduction libre). Enfin, dans le sixième stade qu’est
celui de l’intégration, la personne applique l’ethnorelativisme au développement de son
Déni Défense /
renversement Minimisation Acceptation Adaptation Intégration
Ethnocentrisme Ethnorelativisme
30
identité et est capable de s’exprimer culturellement de plusieurs façons. La différence est
vécue comme étant un aspect essentiel et agréable à toute vie.
Le DMIS était pensé à la base comme un outil de formation pour développer la
sensibilité interculturelle de professionnels. En 1998, l’inventaire de développement
interculturel (Intercultural Development Inventory; IDI) fut créé à partir de l’échelle de
Bennett, puis révisé en 2003 et en 2010 (Hammer, 2011). Cet outil quantitatif vise à
mesurer la sensibilité culturelle et aussi la compétence interculturelle. Toutefois, les auteurs
n’apportent pas une distinction claire entre sensibilité et compétence culturelle, référant
même à ces concepts sous la forme de « intercultural competence/sensitivity » (Hammer,
2011, p. 474). À partir des études de validation de ce questionnaire, la dernière version de
l’IDI présente un continuum d’orientations développementales en cinq stades (déni,
polarisation, minimisation, acceptation et adaptation), reprenant ainsi partiellement les
stades du DMIS. Les orientations développementales mesurées à l’IDI partent d’un
ensemble de comportements et de perceptions moins complexes à l’égard des
ressemblances et différences culturelles, nommé mentalité monoculturelle, vers des
comportements et perceptions plus complexes qui correspondraient à une mentalité
globale/interculturelle (Bennett, 2004; Hammer, 2011). Les études de validation menées
avec l’IDI apportent quelques nuances au DMIS. Il apparaît que les stades de défense et sa
forme inversée (reversal) pourraient être compris comme un seul stade, nommé
polarisation dans l’ISI. Dans l’IDI, la minimisation n’est plus considérée comme un stade
ethnocentrique, mais plutôt d’un stade intermédiaire temporaire entre les mentalités
monoculturelle et interculturelle/globale. Enfin, l’intégration ne figure plus dans la dernière
version de l’IDI, car cette échelle n’était pas suffisamment stable pour être valide et fiable
(Hammer, Bennett, & Wiseman, 2003). Selon les auteurs, l’intégration serait une
dimension du développement identitaire plutôt que du développement de la sensibilité
interculturelle.
L’auteur du DMIS postulait initialement que les stades suivent une progression
linéaire, mais il a admis plus tard que des retraits sont possibles, mais seulement à
l’occasion (Hammer et al., 2003). Dans cette perspective, le passage aux stades ultérieurs
impliquerait une réorganisation des stades antérieurs faisant en sorte que les raisonnements
caractéristiques de ces derniers sont moins utilisés. Cela n’est pas sans rappeler la
31
conception de l’équilibration majorante appliquée à l’utilisation des ressources en situation
interculturelle (Cohen-Emerique & Hohl, 2002). Une étude qualitative sur le
développement de la sensibilité culturelle chez 34 intervenants en santé mentale au cours
d’une formation interculturelle de 10 mois avec une pause estivale de deux mois a été
menée pour explorer le postulat de linéarité dans le développement de la sensibilité
interculturelle (Bourjolly et al., 2005). Or, il est observé que sur les 34 parcours obtenus, 32
sont non-linéaires. De nombreuses régressions des stades ethnorelativistes vers des stades
ethnocentriques sont observées et les transitions vers les stades inférieurs ou supérieurs
peuvent se faire par « bonds » de plusieurs stades à la fois d’un temps de mesure à l’autre.
Ces résultats vont à l’encontre du postulat de linéarité proposé par Hammer, Bennett et
Wiseman (2003) et pourraient provenir du fait que le développement de la sensibilité
culturelle est un processus difficile et long : la progression non-linéaire serait la résultante
d’acquis qui ne sont pas suffisamment solides (Bourjolly et al., 2005).
L’habileté à pouvoir naviguer entre deux ou plusieurs conceptions du monde
différentes étant cruciale pour le psychologue, il appert que ces conceptions de la sensibilité
interculturelle sont pertinentes pour comprendre comment le psychologue en ISI se perçoit
et perçoit l’Autre comme des êtres porteurs de culture. Dans l’interprétation des résultats, la
conceptualisation proposée par le modèle du DMIS (Figure 1) donne des repères théoriques
riches pour situer le discours des participants en fonction de leur sensibilité interculturelle.
Les résultats des études de validation de l’IDI montrent aussi que les catégories du DMIS
peuvent être utilisées de façon flexible pour observer empiriquement comment des
participants apparaissent sensibles en situation interculturelle. Ainsi, le DMIS ne sera pas
appliqué de façon rigide, mais plutôt proposé pour définir des repères interprétatifs dans
l’exploration du discours des participants. La critique formulée au sujet du postulat de
linéarité des stades amène aussi de la prudence dans l’interprétation des résultats, rappelant
que les participants peuvent démontrer une variété de niveaux de sensibilité interculturelle
selon les situations.
2.4.3. Le rapport acculturatif selon le concept d’orientation d’acculturation.
Comme l’ISI met en contact des porteurs d’identités culturelles différentes, il est attendu
32
que cette relation soit propice à favoriser des changements culturels réciproques. Ce
phénomène est étudié en sciences sociales à l’aide du concept d’acculturation.
L’acculturation a d’abord été utilisée en anthropologie pour décrire les changements
qui surviennent lorsque des groupes culturels différents entrent en contact. Déjà en 1936, le
Social Science Research Council, une association à but non-lucratif fondée en 1923 pour
favoriser la recherche interdisciplinaire en sciences sociales, publiait un mémorandum qui
définit l’acculturation et propose une liste de sujets pour son étude. On y énonce que
« l’acculturation concerne les phénomènes résultants d’un contact continu et direct entre
des groupes d’individus ayant des cultures différentes, ce qui inclut aussi les changements
subséquents dans le patron culturel de l’un ou l’autre des groupes ou les deux » (Redfield,
Linton, & Herskovits, 1936, p. 149, traduction libre). Parmi les champs de recherche
proposés dans le mémorandum, on y trouvait déjà un intérêt pour l’étude des mécanismes
psychologiques impliqués dans l’acculturation.
Une définition contemporaine appliquée au domaine de la psychologie énonce que
« l’acculturation est un processus de changements psychologiques et culturels double qui
prend place à la suite du contact entre deux ou plusieurs groupes culturels et leurs membres
individuels » (Berry, 2005, p. 698, traduction libre). Celle-ci s’intéresse explicitement au
double apport du psychologique et du culturel ou de façon corolaire de l’individuel et du
groupal.
Pour pouvoir interpréter les résultats de la présente thèse en fonction du concept
d’acculturation, il apparaît pertinent de s’appuyer sur un modèle théorique. Bourhis et
Bougie (1998) recensent dans la littérature scientifique qu’un modèle d’acculturation
auquel des chercheurs se sont souvent référés est basé sur l’assimilation des communautés
immigrantes. Ce modèle « d’assimilation » se défini par un continuum unidirectionnel
ayant pour origine le maintien de la culture d’origine, au milieu le biculturalisme comme
étape intermédiaire qui précède l’assimilation comme résultat final. Selon ce modèle,
l’adoption totale de la culture d’accueil et le rejet de la culture d’origine constitue la finalité
du processus acculturatif.
Des conceptualisations bidimensionnelles ont par la suite été proposées pour ne plus
mettre l’identité liée à la culture d’accueil et celle de la culture d’origine sur un même axe
33
d’analyse, mais plutôt sur deux axes orthogonaux (Bourhis & Bougie, 1998). À cet égard,
la conceptualisation proposée par John W. Berry (Berry, 1997), fréquemment utilisée en
recherche, repose sur le postulat que les personnes en processus d’acculturation sont
confrontées à deux questions fondamentales : « est-il bon de maintenir son identité et ses
caractéristiques propres ? » et « est-il bon de maintenir des relations avec la société
d’accueil ? ». Le croisement des réponses à ces questions a permis d’identifier initialement
quatre stratégies acculturatives que les communautés immigrantes peuvent adopter dans le
pays d’accueil. Le désir à la fois de maintenir l’identité de la culture d’origine et des
relations avec la société d’accueil correspond à la stratégie d’intégration. Lorsque la
personne valorise surtout les relations avec la communauté d’accueil au détriment de la
culture dont elle a hérité elle présenterait une stratégie d’assimilation. Le fait de ne
valoriser que sa culture d’origine au détriment des relations avec la société d’accueil
correspond à la séparation. Enfin, être en refus à la fois de sa propre culture et des relations
avec la société correspond à la marginalisation.
Sur le plan théorique, ces quatre stratégies d’acculturation auraient une influence
modératrice sur le stress acculturatif et sur l’adaptation psychologique vécus dans le
parcours migratoire (Williams & Berry, 1991). Notamment, la stratégie correspondant à
l’intégration serait celle qui favoriserait un plus faible stress acculturatif et une meilleure
adaptation psychologique alors que la marginalisation serait associée à un niveau de stress
élevé et aurait des effets négatifs sur l’adaptation psychologique (Berry, 2005, 2006).
Les données empiriques soutiennent jusqu’à maintenant l’effet modérateur des
stratégies d’acculturation sur certaines variables psychologiques, mais le portrait apparaît
plus complexe que ce qui était initialement postulé théoriquement. Par exemple, l’effet
bénéfique supposé du biculturalisme dans la stratégie d’intégration serait exagéré par
rapport à la réalité (Rudmin, 2006, 2008). C'est plutôt le fait de conserver les attitudes de la
culture d’origine qui serait associé à un meilleur bien-être psychologique (Horton &
Shweder, 2004) ce qui se retrouve à la fois dans l’'intégration et la séparation. De plus, on
retrouve aussi que les individus qui répondent « non » aux deux questions ne se trouvent
pas nécessairement dans la marginalisation. Seule une petite proportion vivrait de la
marginalisation tant du côté de la culture d’accueil que du côté de la culture d’origine, ce
qui est nommé anomie, alors qu’une plus grande proportion utilise la stratégie
34
individualiste et refuse de s’affirmer en tant que membre d’un groupe culturel (Bourhis &
Bougie, 1998). Dans une étude réalisée en contexte québécois, les individualistes se
démarquaient par un haut niveau d’estime de soi et par une adhésion dans leur discours à
des valeurs méritocratiques (Moghaddam, 1992).
Bien que les théories de l’acculturation discutées jusqu’ici donnent quelques
indications concernant les communautés immigrantes, elles ne permettent pas de rendre
compte du point de vue du psychologue comme représentant de la société d’accueil. À cet
effet, l’équipe de Bourhis a développé un Modèle d’Acculturation Interactif (MAI; Bourhis
et al., 1997) qui tient compte aussi des orientations d’acculturation que les représentants de
la société d’accueil sont susceptibles de porter dans leurs contacts auprès des personnes
identifiées comme appartenant à des minorités ethniques. C’est ainsi que les termes utilisés
pour les stratégies d’acculturation ont été traduits pour définir les orientations
d’acculturations des représentants de la société d’accueil. Ces orientations se résument
comme suit (Bourhis, Barrette, & Moriconi, 2008) : L’intégrationnisme renvoie à
l’acceptation et la valorisation de la culture d’origine des communautés immigrantes tout en
valorisant leur adaptation dans la culture d’accueil; l’intégrationnisme de transformation
correspond aux mêmes caractéristiques avec en plus une motivation à changer ses propres
habitudes et les pratiques des institutions pour faciliter l’intégration des immigrants;
l’individualisme correspond à ceux qui se définissent et définissent les autres comme des
individus plutôt que comme des membres de catégories sociales ou culturelles;
l’assimilationnisme correspond à l’attente que les immigrants renoncent à la culture
d’origine pour adopter celle de la majorité d’accueil; chez ceux qui endossent le
ségrégationnisme, il y a une volonté que les communautés immigrantes conservent leur
culture, mais à l’écart du groupe majoritaire; et enfin l’exclusionnisme correspond à ceux
qui trouvent que les immigrants ne sont pas les bienvenus. Le MAI est résumé à la Figure
2.
35
Figure 2. Le modèle d’Acculturation Interactif (Bourhis et al., 1997).
Des études réalisées en contexte québécois trouvent de façon répétée que les
orientations d’acculturation les plus endossées sont l’intégrationnisme, l’individualisme et,
dans une moindre mesure, l’intégrationnisme de transformation alors que les orientations
d’assimilationnisme et surtout de ségrégationnisme et d’exclusionnisme sont faiblement
endossées (Montreuil & Bourhis, 2001, 2004; Bourhis et al., 2008). Ce fort endossement
d’attitudes considérées favorables à l’accueil de communautés immigrantes est cohérent
avec l’effet postulé des politiques sur le multiculturalisme adoptées au niveau étatique
(Bourhis & Bougie, 1998). Alors que certaines études n’appuient pas la possibilité que ces
attitudes favorables soient liées à la désirabilité sociale (Montreuil & Bourhis, 2001, 2004),
une plus récente fait le lien entre les orientations d’acculturation d’intégrationnisme et
d’individualisme avec une forme de désirabilité sociale caractérisée par une norme de non
racisme (Taillandier & Maisonneuve, 2005). De plus, il apparaît que l’endossement plus
élevé d’orientations d’acculturation favorables à l’immigration est plus fort envers les
groupes d’immigrants considérés « valorisés » (français de France) par rapport à ceux
considérés « dévalorisés » (haïtiens et arabes musulmans) selon les stéréotypes culturels
plus fréquents dans la province (Montreuil & Bourhis, 2001, 2004; Bourhis et al., 2008).
Politiques étatiques d’immigration et d’intégration des immigrants Pluraliste Civique Assimilationniste Ethniste
Orientations d’acculturation des membres de la communauté d’accueil
Intégrationnisme (de transformation) Assimilationnisme Ségrégationnisme
Exclusionnisme Individualisme
Orientations d’acculturation des membres des communautés immigrantes
Intégrationnisme Assimilationnisme
Séparatisme Marginalisation Individualisme
Relations interculturelle Harmonieuses Problématiques Conflictuelles
36
Enfin, les répondants anglophones auraient davantage tendance à présenter les orientation
d’intégrationnisme et d’individualisme et moins celle d’assimilationnisme par rapport aux
répondants francophones (Montreuil & Bourhis, 2004). Les auteurs de cette dernière étude
pensent que cette différence pourrait découler du passé au Québec où les communautés
anglophones étaient fortement vitalisées par l’arrivée d’immigrants alors que les écoles
francophones excluaient les immigrants non-catholiques.
Il est attendu que le discours des participants ne fasse pas exception aux tendances
observées dans la littérature sur l’acculturation du côté de la communauté d’accueil. Ainsi,
les ISIs rapportées en entrevues devraient témoigner majoritairement des orientations
intégrationnisme, intégrationnisme de transformation et individualisme.
L’assimilationnisme pourrait se retrouver en très petite proportion et il est attendu une
absence de discours qui caractériserait l’exclusionnisme et le ségrégationnisme. Bien que
les études rapportent des différences selon les groupes d’immigrants considérés, le MAI
postule initialement que l’on peut aussi s’intéresser à l’orientation d’acculturation globale
des participants (Bourhis & Bougie, 1998), option qui sera préférée dans la présente thèse
pour dégager des profils par participants. De plus, comme les procédures de recrutement
ont été réalisées en français, il n’est pas attendu d’avoir une diversité linguistique suffisante
parmi les participants afin de pouvoir faire des comparaisons sur la langue maternelle
comme l’auraient fait les études portant sur le MAI.
2.4.4. L’agir professionnel en situation interculturelle. Dans la présente
recherche, j’ai voulu mettre en évidence le discours des participants sur leur façon d’agir en
situations interculturelles en questionnant notamment leurs interventions dans ce contexte.
Je présenterai d’abord une perspective générale sur l’intervention pour décrire ensuite un
aspect plus précis qu’est le rapport aux connaissances interculturelles.
2.4.4.1. Les éléments communs à tout type d’intervention. Le sociologue Claude
Nélisse a fait une recension des utilisations du mot « intervention » afin d’en dégager des
éléments communs à travers la diversité des situations où il s’applique. Sa réflexion aide à
constituer une base pour penser une structure générale de l’intervention, sur laquelle
37
s’ajouteront les autres éléments des théories visitées ici. De façon générale, il conceptualise
l’intervention comme :
régulation à partir de et sur une normativité. Au départ l’intervention visera
une situation irrégulière, anormale, atypique et prétendra l’amener à un nouvel
état dit normal ou normalisé. Elle présuppose une autorisation (qui prend le
plus souvent la forme d’un mandat) et une autorité qui – conséquence de la
première – permettra de « normaliser la situation ». Ainsi n’y a-t-il pas
d’intervention « en contexte d’autorité » : toute intervention est de plein droit
« acte d’autorité ». [...] Ainsi la résolution-normalisation de la situation par un
tiers-intervenant est-elle toujours partisane – et arbitraire donc – même si (cas
limite) elle est d’une parfaite égalité partisane entre les parties – posées alors
comme partenaires – et que l’arbitraire qui la constitue est consensuel. [...] En
intervention, il y a plus qu’une relation duelle : tout se joue à plusieurs et donc
dans des cadres normatifs mixtes et instables. (Nélisse, 1997, pp. 39-40, 42,
italiques originales)
En psychologie clinique, la situation anormale est souvent reconnue à travers le
témoignage du patient qui dit vivre une souffrance que le psychologue reconnaît comme
étant cliniquement significative. D’ailleurs, le critère de souffrance significative est
nécessaire pour pouvoir établir un diagnostic psychologique (APA, 2013). L’autorisation
d’intervenir sur cette situation s’établie dans les premières rencontres de consultation où le
patient exprime sa demande et où le psychologue mène son évaluation et explique son offre
thérapeutique. Dès alors, le psychologue se fait une représentation des difficultés du
patient, des difficultés inhérentes à la consultation et, conséquemment, de son propre rôle
afin de parvenir à régularisation de la situation problématique. C’est une façon un peu
schématique de résumer le pouvoir psychothérapeutique du psychologue.
De plus, la définition de Nélisse (1997) met aussi l’emphase sur l’asymétrie dans la
relation d’intervention, ce qui suppose aussi qu’il s’agit d’une relation de pouvoir même
lorsque les protagonistes adoptent une démarche consensuelle. Le psychologue est donc
nécessairement en position d’autorité par le mandat qui lui a été confié, son action visera à
tout coup une certaine normalisation de la situation jugée problématique et ce qui suppose
nécessairement un certain parti pris sur les finalités envisagées. Lorsque l’auteur dit que
l’intervention n’a pas lieu dans une relation duelle, c’est qu’il reconnaît en quoi la personne
qui demande l’intervention est nécessairement en lien avec un groupe plus large et que
l’action du professionnel a des effets sur ce groupe. Par exemple, le psychologue qui
38
intervient auprès d’une personne pour l’aider à réduire l’impact de ses symptômes
dépressifs sur son fonctionnement au quotidien agit aussi pour régulariser, au cas-par-cas
certes, le fonctionnement social d’individus en perte d’autonomie en raison de
problématiques de santé mentale. Ainsi, même si le mandat est individuel, la portée de
l’action est aussi collective. Enfin, Nélisse ajoute aussi un dernier élément, qui facilite
l’articulation avec la dimension interculturelle de l’ISI, et qu’il considère comme étant
présent dans tout type d’intervention : l’internormativité. La notion d’internormativité est
apparue en droit pour parler des situations où il y a rencontre de cadres normatifs
différents :
L’internormativité est productrice de désordre prolongé ou temporaire pour les
ordres normatifs engagés dans une dynamique d’échange. Occasion de
dialogue, de négociation, de transaction, de conflit ou de fusion, elle apparaît
comme un mode privilégié du passage du fait à la norme, comme un
phénomène majeur d’émergence des normes dans la culture ou les sous-cultures
d’une collectivité, dans la symbolique du lien social et dans la psychologie
individuelle. (Belley, 1996, p. 16, souligné par moi)
C’est donc dire que toute intervention a lieu sur une trame internormative, dans la
rencontre de normes différentes. Dans la consultation psychologique générale,
l’internormativité surgit dans les rôles différents et complémentaires du patient et du
psychologue. En ISI s’ajoute aussi la possibilité de différences de normes sociales. Ce qui
est perçu comme étant désirable socialement pour le psychologue, et qui teinte
nécessairement son intervention comme acte normalisateur, est possiblement différent de ce
qui est perçu comme étant socialement désirable par le patient. Donc, on pourrait dire que
l’ISI est un contexte d’intervention particulier où l’internormativité serait plus saillante que
dans une consultation générale. De plus, l’internormativité présente l’avantage de supposer
différentes façons de se rencontrer dans cette différence de norme. Alors que l’approche
interculturelle proposée par Cohen-Emerique (2015) vise idéalement la négociation des
cadres culturels différents pour en arriver à une compréhension partagée de la situation
problématique, l’internormativité reconnaît une diversité de façons d’envisager le rapport
aux normes différentes. La négociation fait partie d’un moyen, aux côtés aussi du dialogue,
de la transaction, du conflit, de la fusion et j’ajouterais de l’imposition. C’est ainsi que je
m’intéresserai non pas à quel point les participants sont capables d’embrasser une approche
39
interculturelle caractérisée par la négociation, mais j’essaierai plutôt d’explorer comment
ils composent avec les différences de normes dans leur pratique.
2.4.4.2. L’utilisation des catégories et connaissances culturellement spécifiques.
Les situations interculturelles peuvent susciter de la déstabilisation chez les professionnels
(Hohl & Cohen-Emerique, 1999; Cohen-Emerique & Hohl, 2002) ainsi qu’un sentiment
d’étrangeté à l’égard des situations rapportées par les patients ou de certains éléments de
différences culturelles (Kirmayer, 2008). C’est donc dire comment les ISIs sont
susceptibles de comporter des éléments inconnus, voire étranges, pour le psychologue.
L’utilisation de connaissances générales et spécifiques aux phénomènes interculturels peut
être d’une certaine utilité pour sortir de ce type d’impasse.
Parmi les ressources décrites par Cohen-Emerique et Hohl (Cohen-Emerique &
Hohl, 2002), celle consistant à adopter une approche complexe intégrant plusieurs
hypothèses montre un niveau de complexité cognitive qui favorise le travail en contexte
interculturel. Une pensée complexe permet au professionnel de comprendre un individu en
raffinant ses propres catégories de pensées tout en étant capable de donner un sens au
système plus général dans lequel l’individu s’inscrit à partir d’indices recueillis au niveau
particulier. Cela demande aussi de mettre en relation les connaissances préalables du
psychologue avec des indices recueillis au sein même de la consultation et parfois à
l’extérieur de celle-ci, par exemple en se documentant ou en s’informant auprès de
membres de la communauté culturelle. Référant à Piaget, les auteures pensent que cette
complexité cognitive s’acquiert au fil des expériences où le professionnel a pu ouvrir son
système cognitif aux expériences déstabilisantes afin de tenter d’en tirer des apprentissages
nouveaux, ce qu’elles nomment l’équilibration majorante. Le système cognitif est dit ouvert
lorsqu’il tolère une situation de déséquilibre à laquelle il tente de s’adapter. Toutefois, il se
referme pour ne pas bouleverser tous les acquis antérieurs de la personne, ramenant ainsi le
système à l’équilibre. Ces deux tendances antagonistes sont complémentaires l’une de
l’autre. Piaget (1975) décrivait l’équilibration comme étant le plus souvent « majorante »,
c’est-à-dire que le nouvel équilibre atteint est supérieur à celui de départ et qu’il s’agit d’un
état non-définitif, mais d’un processus continu. L’équilibration majorante diffèrerait de
40
l’équilibration simple. Ce dernier type d’équilibration serait le résultat d’une fermeture lors
des situations de déstabilisation et ferait en sorte d’éviter les transformations cognitives,
entre autres par l’entremise des réactions défensives (Cohen-Emerique & Hohl, 2002). La
dimension affective des ressources contribue à la possibilité que le système cognitif soit
ouvert, en favorisant une reconnaissance pour l’intervenant de ses propres états internes
afin d’éviter que ceux-ci bloquent l’ouverture à l’altérité (Cohen-Emerique & Hohl, 2002).
Le discours des participants mettra en évidence comment ils composent face aux
situations nouvelles et de quelles façons ils utilisent leurs ressources cognitives et affectives
ainsi que les indices émis dans la consultation et les ressources externes (lectures,
informateurs) pour intervenir développer une pensée complexe dans les situations où il peut
être bénéfique d’envisager plusieurs hypothèses pour un même problème.
2.4.5. Le rapport aux normes professionnelles en contexte interculturel. Enfin,
toute pratique professionnelle est encadrée par la loi et régulée par l’application de normes
professionnelles. Il est postulé que ce cadre légal et institutionnel transparaîtra
nécessairement dans les discours sur l’ISI. D’ailleurs, Cohen-Emerique remarque
l’importance des normes professionnelles tant dans les réactions de menace des
intervenants (Cohen-Emerique & Hohl, 2004) que dans les possibilités de mettre en place
les ressources nécessaires à la poursuite de l’intervention en situation interculturelle
(Cohen-Emerique & Hohl, 2002). Dans les prochaines sous-sections, quelques éléments du
contexte institutionnel et juridique qui régissent la profession de la psychologie au Québec
seront présentés pour discuter des types de rapport à l’Autre qui seraient favorisés par ce
contexte de pratique. Ensuite, quelques résultats d’études s’étant intéressés à l’influence du
contexte de pratique seront présentés et discutés.
2.4.5.1. Une reconnaissance légale, institutionnelle et académique du culturel. Au
Québec, la pratique de la psychologie clinique est encadrée au plan légal par le Code des
professions et au plan déontologique par l’Ordre des psychologues du Québec. La
formation universitaire, la supervision et les communications de l’Ordre à ses membres
sont autant de moyens d’assurer le maintien de normes jugées essentielles pour protéger le
41
public. Ces normes font alors partie des éléments que le psychologue tient compte,
implicitement ou explicitement, dans l’ISI.
Le statut de la profession de la psychologie est légalement reconnu par le Code des
professions du Québec. Depuis l’adoption du projet de loi n°21 : Loi modifiant le Code des
professions et d'autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des
relations humaines (2009), le code des professions reconnaît que les psychologues peuvent
« évaluer le fonctionnement psychologique et mental ainsi que déterminer, recommander et
effectuer des interventions et des traitements dans le but de favoriser la santé psychologique
et de rétablir la santé mentale de l’être humain en interaction avec son environnement »
(art. 37, par. e, souligné par moi). Le premier point qui retient notre attention dans cette
définition, c’est que d’une part, elle a contribué à reconnaître la psychothérapie et
l’évaluation psychologique comme étant des actes réservés aux professionnels qui
détiennent la compétence nécessaire (psychologues et psychothérapeutes d’autres
professions formés à la psychothérapie). Auparavant, n’importe qui pouvait se prétendre
psychothérapeute et l’évaluation psychologique pouvait être réalisée par des psychologues
mais seuls les médecins psychiatres avaient le pouvoir d’émettre un diagnostic
psychologique. Ces deux aspects apparaissent centraux dans le rôle du psychologue, quoi
que la possibilité de réaliser un diagnostic psychologique soit plus récente. Cette définition
reconnaît aussi que les personnes avec qui les psychologues travaillent sont considérés
comme des individus en interaction avec leur environnement, ce qui englobe la dimension
culturelle dans le fonctionnement de la personne. Une telle considération est apte à
favoriser la prise en compte de phénomènes culturels dans la rencontre clinique.
Dans son rôle de protection du public et de régulation de la profession de la
psychologie, l’OPQ définit un ensemble de compétences que les cursus universitaires
doivent intégrer pour former les étudiants qui se préparent à la profession. La dernière
édition du manuel d’agrément de l’OPQ, qui expose les critères minimaux pour qu’un
programme de formation clinique puisse obtenir son accréditation, demande aux nouveaux
psychologues de la province de détenir des compétences interculturelles dans cinq de ses
sept domaines de compétence reconnus, c’est-à-dire les relations interpersonnelles,
l’évaluation, l’intervention, l’éthique et la déontologie ainsi que la supervision
(Ordre des psychologues du Québec, 2013). Il y a donc là-aussi une reconnaissance
42
transversale de l’importance de pouvoir tenir compte de la culture dans un ensemble de
compétences liées à la profession. Il est notable toutefois qu’on ne sait pas si les enjeux
interculturels sont sérieusement pris en compte dans les cursus de formation donnant accès
à la profession ou s’il s’agit d’un thème évoqué à quelques occasions ou réservé à des cours
à option.
2.4.5.2. Un encouragement officiel à la non-discrimination des différences.
L’office des professions reconnaît aussi que le psychologue doit « s’appuyer sur des [...]
méthodes d’intervention validées qui respectent la dignité humaine » (art. 187.2). Dans le
Guide explicatif concernant le code de déontologie des psychologues du Québec, l’OPQ
précise son interprétation du respect de la dignité humaine en stipulant que :
[...] toute personne a une valeur innée en tant qu’être humain qui n’est pas
modifiée par des différences telles que la culture, la nationalité, l’origine
ethnique, la couleur, la religion, le sexe, le statut marital, l’orientation sexuelle,
les capacités mentales ou physiques, l’âge, le statut socio-économique ou toute
autre caractéristique personnelle, condition ou statut.
(Ordre des psychologues du Québec, 2008, p. 5)
Cette interprétation se fonde sur une norme de non-discrimination qui se rapproche
de celle promulguée par le droit à l’égalité de la Charte québécoise des droits et libertés et
la personne :
Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des
droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence
fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la
grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue
par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou
nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour
pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour
effet de détruire ou de compromettre ce droit. (1975, art. 10)
Ainsi, le cadre légal de la pratique de la psychologie au Québec semble favoriser un
rapport à l’Autre fondé sur la dignité de la personne interprétée dans le sens d’une absence
de discrimination à l’égard des différences.
43
Par contre, ce cadre ne précise pas l’interprétation que chacun en fait dans sa
pratique ou le degré d’adhésion à ces valeurs. On peut penser que l’adhésion à la valeur de
non-discrimination correspond à une « valeur guide » (Cohen-Emerique, 2015), c’est-à-dire
des valeurs tellement partagées et reconnues au sein d’une société qu’elles orientent nos
comportements sans que nous nous en rendions compte. C’était d’ailleurs l’adhésion à une
norme de non-racisme qui semblait expliquer la désirabilité sociale des participants qui
affichaient davantage d’orientations d’acculturation favorables à l’accueil des
communautés migrantes dans l’étude de Taillandier et Maisonneuve (2005). Une
interprétation limitative de l’absence de discrimination pourrait inciter certains
professionnels à préférer considérer l’individu sans égard à ses différences afin d’éviter tout
risque de discrimination, ce qu’on retrouve notamment dans les études qui rapportent une
forte adhésion à l’orientation d’acculturation individualiste (Montreuil & Bourhis, 2001,
2004; Bourhis et al., 2008). Toutefois, cette position placerait aussi le psychologue en
contradiction avec l’incitation légale et institutionnelle à reconnaître les effets de
l’environnement et de la culture sur l’individu. Une interprétation moins limitative
permettrait la reconnaissance des différences. Cette reconnaissance ouvre la voie à la fois à
des catégorisations simplifiées de la différence culturelle mais aussi à la possibilité
d’utiliser ces catégories de manière plus fine afin qu’elles puissent faire sens avec
l’existence de la personne considérée (Cohen-Emerique & Hohl, 2002).
2.4.5.3. Un exercice dans les limites de ses compétences pour prévenir les risques.
Un troisième aspect prévu par le guide explicatif du code de déontologie des psychologues
du Québec décrit l’obligation d’exercer dans les limites de ses compétences :
Dans l’exercice de la profession, le psychologue assume sa responsabilité en
développant et maintenant à jour sa compétence et en reconnaissant l’influence
que des éléments comme les valeurs, les attitudes, les expériences et le contexte
social peuvent avoir sur ses interventions, en ne s’adonnant, sans supervision ou
préparation adéquate, qu’à des activités pour lesquelles il est compétent [...].
Le psychologue maintient sa compétence professionnelle en se tenant informé
du développement des connaissances professionnelles et scientifiques reliées à
sa pratique, notamment par la lecture de la documentation pertinente, par la
consultation de ses pairs ou par la participation à des activités de formation
continue. (Ordre des psychologues du Québec, 2008, p. 6, souligné par moi)
44
La première partie de cet extrait va plus loin dans la reconnaissance du culturel dans
la rencontre clinique. Le psychologue lui-même est considéré comme un être porteur de
culture, dont les valeurs, attitudes, expériences et contextes sociaux peuvent avoir une
influence sur sa pratique. Dans la deuxième partie de l’extrait on retrouve une incitation au
développement et au maintien de compétences spécifiques au type de pratique réalisée. Il
n’est pas spécifié ici si l’ISI est considérée comme un domaine de pratique spécialisé qui
nécessite la maîtrise de compétences et de connaissances particulières.
C’est dans la fiche déontologique publiée en 2002 intitulée L’intervention en
situation interculturelle que l’Ordre clarifie son interprétation du développement de la
compétence pour pouvoir exercer en ISI. Les fiches déontologies visent à fournir un regard
d’ensemble aux cliniciens quant aux cadres légaux et normatifs s’appliquant à certaines
situations d’interventions. La fiche déontologique portant sur l’ISI va plus loin que le
Guide explicatif du code de déontologie dans son interprétation de ce que constitue
l’exercice dans les limites de ses compétences en situation interculturelle. La fiche souligne
que « les psychologues doivent s’assurer, s’ils travaillent auprès de clients d’autres cultures,
de développer des compétences pour l’évaluation et l’intervention dans ce contexte »
(Ordre des psychologues du Québec, 2002, p. 1). Le reste de la fiche détaille un ensemble
des risques liés à la relation interculturelle : que le psychologue perde ses repères, émette
des opinions cliniques erronées et des recommandations inappropriées, porte un jugement
de valeur défavorable à la personne et son entourage, fasse des interventions inadéquates,
ou que le client se sente incompris, ne puisse pas développer un lien de confiance, devienne
résistant au traitement ou même l’abandonne. La zone d’interprétation de ces
recommandations est mince : L’ISI est conçue comme une pratique risquée demandant des
connaissances et des compétences spécifiques. En cela, elle rejoint le courant de recherche
décrivant les risques de l’ISI (e.g. : Burkard & Knox, 2004; Constantine, 2007; Sue et al.,
2007). La fiche ne présente pas de repères qui permettraient d’identifier dans quelles
situations interculturelles le psychologue serait plus exposé à ces risques et devrait
développer certaines compétences. Cette perspective basée sur le risque traduit la mission
des ordres professionnels qui placent en priorité la protection du public. Une adoption sans
nuances de cette norme pourrait inciter des cliniciens non spécialistes en interculturel à
référer des clients considérés culturellement différents à des collègues considérés eux
45
spécialistes en la matière sans réelle réflexion sur les limites de leurs compétences. Une
interprétation plus réflexive de cette norme pourrait inciter les psychologues à réfléchir de
façon continue aux risques comportés par leur pratique et à leurs limites professionnelles de
façon à adopter des critères évolutifs sur ce qui serait une pratique compétente par rapport à
une pratique risquée pour laquelle une référence serait plus appropriée.
Ainsi il ressort que les lois, normes et guides de pratiques reconnus officiellement
soulignent tous dans l’ensemble une nécessité de tenir sérieusement en compte de la culture
dans le rapport que les psychologues entretiennent avec leurs clients. Toutefois, plusieurs
zones d’interprétations sont possibles, ce qui laisse un jeu dans les pratiques pouvant être
réellement trouvées. Notamment, est-ce que refuser un client en raison de son origine
ethnique est une pratique discriminatoire ou est-ce que c’est une façon de protéger le public
contre une pratique qui serait en dehors des compétences auprès du groupe culturel de ce
client? À quel point ces normes sont-elles internalisées dans la pratique des psychologues
en ISI? Quelles réflexions éthiques portent-ils dans ces contextes? La présente thèse ne
prétend pas vérifier le degré d’adhésion à ces normes, mais il est attendu qu’elles
transparaissent dans les discours des participants.
2.4.5.4. Une pratique déterminée par différentes approches théoriques. Le
psychologue est amené dans son parcours à se construire une vision de l’être humain par
l’adoption d’un ou de plusieurs modèles cohérents avec ses affinités théoriques, qu’il
acquiert par ses recherches personnelles, ses expériences de formation et de supervision et
sa socialisation au sein d’une ou de quelques écoles de psychothérapie. Alors que la
formation académique seule donne accès au titre de psychologue ainsi que la base
nécessaire pour pouvoir intervenir, c’est souvent la formation postuniversitaire qui lui
permet de développer plus encore ses outils professionnels.
Quelques études ont posé l’hypothèse qu’il pourrait y avoir un lien entre les
compétences interculturelles des cliniciens et leur orientation théorique, mais les résultats à
ce sujet apparaissent contradictoires. Dans une étude, il est rapporté que des thérapeutes
éclectiques et cognitivo-comportementaux auraient moins de discussions sur le sujet de la
différence alors que des thérapeutes psychodynamiques, psychanalytiques, humanistes et
46
intégratifs en rapportent davantage (Maxie, Arnold, & Stephenson, 2006). Une autre étude
n’a trouvé aucune différence selon l’orientation théorique des thérapeutes à partir d’un
questionnaire d’auto-évaluation des compétences interculturelles (Tummala–Narra et al.,
2012). Toutefois, les auteurs ont aussi développé un questionnaire permettant à aux
participants d’autoévaluer leur application de pratiques interculturelles en psychothérapie
auprès d’un de leur client considéré culturellement différent. Il ressort à cette mesure que
les cliniciens cognitivo-comportementaux présentent des scores de compétences
interculturelles significativement supérieurs à ceux des psychologues psychodynamiciens et
que les psychologues intégratifs seraient à mi-chemin sans présenter de différences
significatives par rapport aux deux autres approches (Tummala–Narra et al., 2012).
Concernant le lien entre l’orientation théorique et les compétences interculturelles,
Tummala-Narra et ses collaborateurs (2012) suggèrent qu’aucune approche n’est meilleure
qu’une autre. Selon eux, leurs résultats indiquent qu’il faudrait davantage comprendre
comment chaque psychothérapeute, avec son orientation théorique propre, construit ses
pratiques culturellement compétentes et modifie les théories existantes lorsqu’il travaille
dans la diversité culturelle. Il sera intéressant dans la présente étude de contraster
différentes approches théoriques afin de savoir de quelle façon le discours des participants
se rapproche de leur école de pratique.
2.4.5.5. Le rapport aux normes chez d’autres professionnels pour mieux cerner la
spécificité du psychologue. L’étude du rapport à l’Autre culturellement différent chez
d’autres professionnels permet de fournir des points de comparaisons sur ce qui pourrait
aussi se retrouver dans les discours de psychologues et sur ce qui pourrait s’en distinguer en
raison de la spécificité de la profession. Deux études sont présentées ici en raison de
similarités théoriques et méthodologiques avec la présente étude.
Dans le domaine du droit en France, un équipe de recherche du CNRS a exploré, à
l’aide d’entretiens et d’analyses de documents juridiques, comment la diversité culturelle se
manifeste devant la justice française et comment les magistrats de la famille l’abordent
(Wyvekens, 2015). Les conclusions font ressortir trois constats principaux. Premièrement,
les magistrats apparaissent mal-à-l’aise de parler de questions culturelles dans leur travail,
47
en raison d’une crainte de paraître raciste et d’un désir d’agir de façon non-intrusive par
rapport à des éléments de la vie personnelle des justiciables (Wyvekens, 2015). Il est
probable de retrouver un tel effet parmi les participants de la présente étude, notamment en
raison des normes sociales, juridiques et institutionnelles discutées auparavant qui
favorisent la non-discrimination et la reconnaissance du multiculturalisme dans la société et
dans le travail clinique. De plus, la norme de non-intrusion apparaît aussi dans le Code de
déontologie des psychologues du Québec : « Le psychologue respecte la vie privée des
personnes avec qui il entre en relation professionnelle, notamment en s’abstenant de
recueillir des renseignements et d’explorer des aspects de la vie privée qui n’ont aucun lien
avec la réalisation des services professionnels convenus avec le client. »
(Ordre des psychologues du Québec, 2008, p. 10). Il est probable qu’un psychologue
adoptant une attitude centrée sur l’individu pourrait considérer le recueil d’indices culturels
comme n’était pas en lien avec la réalisation des services.
Deuxième constat de l’étude de Wyvekens (2015) : les réalités plus incompatibles
avec la culture du système républicain français (ex. : inégalités homme-femme, polygamie,
répudiation, etc.) passent sous silence à la fois dans les propos des justiciables et dans le
discours des magistrats, probablement en raison d’un système de « justice à la chaîne » :
« Ce qu’on ne voit pas, ce qu’on n’entend pas en justice familiale, que ce soit ou non
d’ordre culturel, c’est simplement d’abord ce qui n’a pas le temps, pas la place d’être
verbalisé. Un silence imposé, construit par l’institution et son fonctionnement »
(Wyvekens, 2015, p. 97). Il pourra être intéressant de constater dans le discours des
psychologues comment des réalités plus incompatibles avec certaines valeurs prônées dans
la société québécoise, comme l’égalité et le droit à l’autonomie, s’introduisent ou non dans
la rencontre clinique. Il est peut-être moins probable que ces situations passent sous silence
en raison de la nature confidentielle de ce qui se dit dans une relation psychothérapeutique
et aussi en raison de la nature étendue dans le temps de ce type de travail.
Troisièmement, interroger les magistrats donne des indications sur des tendances
sociales pouvant être adoptés par les groupes culturels présents en France (Wyvekens,
2015). Notamment, le rapport fait état de difficultés davantage liées à la migration et à la
double appartenance culturelle qu’à des difficultés spécifiques à un groupe culturel. Il est
attendu que le discours des psychologues donne aussi accès à ce type d’information qui est
48
d’une pertinence certaine pour comprendre les réalités qui peuvent être rencontrées plus
fréquemment en clinique interculturelle. L’encouragement officiel de l’immigration
internationale au Canada et au Québec est aussi propice à amener une forte représentation
de difficultés migratoires auprès de populations considérées culturellement différentes.
Dans un autre domaine, celui de la pédiatrie en Suisse, Leanza a mené une étude
auprès de huit pédiatres suisses travaillant auprès de populations migrantes dans des
consultations interprétées (Leanza, 2007, 2011a). La profession médicale se caractérise
notamment par l’assimilation des médecins à un modèle biomédical de l’humain, « à des
standards et des normes qui sont supposément neutres et universels, mais qui sont en fait
socialement et culturellement spécifiques » (Beagan, 2000, p. 1262, traduction libre). Le
contexte interculturel étudié par Leanza révèle que certains ont davantage d’aisance à
appliquer sans distinctions le modèle biomédical alors que des tensions et des difficultés
émergent chez ceux qui constatent un écart entre leur modèle qui se veut universel et les
référents culturels des populations migrantes qui n’ont pas les mêmes représentations de la
santé, de la maladie et des soins. C’est à partir de ces différentes positions que l’auteur a
établi une typologie du rapport institutionnalisé à l’Autre évoluant d’une tendance à la
normalisation vers une tendance à la particularisation avec une phase intermédiaire de
tension de normalisation. Cette étude suggère que la progression d’un rapport de
normalisation vers celui de particularisation pourrait témoigner d’un développement dans la
capacité de tenir compte de la culture dans les interventions. L’auteur pose l’hypothèse que
l’idéal serait d’osciller entre normalisation et particularisation selon les demandes du
contexte. Il nomme cette position comme étant de la négociation, ce qu’il n’a pas observé
dans le cadre de son étude. Cette nouvelle position relativiserait aussi l’idée qu’une pensée
complexe est toujours une meilleure pensée. En effet, le contexte de pratique fait en sorte
que certaines situations nécessitent une prise de décision rapide où la recherche d’indices et
d’informations culturelles complexes pourraient même produire des résultats à l’encontre
de ceux espérés.
2.4.5.6. De quelles normes les psychologues sont-ils les représentants? Si les
professions médicales et juridiques se réfèrent quotidiennement à un ensemble de
49
connaissances et de normes dans leur pratique, alors qu’en est-t-il des professions du social,
et surtout de la psychologie, pour lesquelles le principal outil de travail n’est pas une
référence externe comme le sont les normes biomédicales ou la loi, mais soi-même comme
professionnel ?
Une étude qualitative a interrogé des psychologues sur les relations de pouvoir en
contexte interdisciplinaire en CLSC (Angeli, 2006; Angeli, Bernèche, & Letendre, 2006). Il
apparaît que les psychologues cherchent à se distinguer des travailleurs sociaux, ces
derniers étant perçus comme garants de la norme sociale notamment par le biais des
placements à la DPJ, et des médecins, perçus comme privilégiant les traitements
cognitivistes, la médication et la prise en charge contre la volonté du patient. Les
psychologues se définissent plutôt par la contestation des normes de l’institution et ils
adoptent des stratégies pour préserver leur autonomie face à celle-ci :
C’est en effet d’abord envers leurs patients, et non leurs supérieurs
hiérarchiques, que les psychologues considèrent avoir des responsabilités.
Autrement dit, ils travaillent pour le bien commun, pas pour la structure. [...]
Pourtant, quand on les interroge plus en profondeur sur ce sujet, certains
psychologues reconnaissent que la psychologie, par le DSM-IV, est en elle-
même aussi du côté de la normalisation. (Angeli, 2006, pp. 96-97)
Ainsi, il apparaît que la normalisation ne serait pas un aspect définitoire du rôle du
psychologue, malgré le risque de normaliser avec certaines connaissances. À la suite de ce
résultat, on pourrait aussi se demander si les psychologues sont bien formés pour
reconnaître l’aspect normatif de leur travail et les enjeux de pouvoir qui en découlent. C’est
comme si le psychologue travaillait hors des normes, seulement en contestation d’autres
normes perçues négativement.
Une perspective sociologique vient éclairer cette apparente absence de norme dans
le travail du psychologue. Dans un collectif d’essais sociologiques interrogeant les normes
contemporaines en matière de maladie mentale, celui d’Alain Ehrenberg argumente que
dans les transformations de la psychiatrie contemporaine, il y aurait un renversement dans
les conceptions de la maladie mentale et de la règle sociale, un passage de la règle perçue
comme contrainte vers la norme de l’autonomie. Il n’y aurait pas de disparition ou
d’affaiblissement de la règle sociale, même si elle paraît moins évidente, mais bien une
50
transformation ou un déplacement de la norme qui devient de plus en plus portée par
l’individu :
À mesure que l’exigence de l’autonomie imprègne l’ensemble de la vie sociale,
privée comme publique, la tendance à ce que chacun soit responsable de tout
s’affirme comme l’autorité d’une règle, et cela quelle que soit sa propre place
dans la hiérarchie sociale. [...] Les idéaux de réalisation de soi et d’initiative
individuelle semblent donner raison à une formule célèbre de Claude Lévi-
Strauss : « Tout se passe comme si, dans notre civilisation, chaque individu
avait sa propre personnalité pour totem. » C’est là notre théorie indigène de
l’agent social, et c’est pourquoi est si forte la croyance que l’essentiel se
déroule dans l’intériorité de soi. (Ehrenberg, 2005, p. 37, souligné par moi)
Cela permet de poser l’hypothèse que le travail normalisant du psychologue ne vise
pas l’imposition d’une norme perçue comme une contrainte (comme l’est par exemple
l’application d’une loi qui contraint les citoyens à un ensemble de comportement civiques
prescrits et/ou proscrits) mais plutôt la socialisation du patient à une norme de l’intériorité,
où il aide le patient à développer son autonomie pour composer avec ses difficultés
psychologiques et ainsi demeurer un citoyen fonctionnel pour la société.
2.5. Comparaisons selon les positionnements sociaux
Si les discours recueillis auprès personnes interviewées permettra d’en tirer des
interprétations au niveau individuel et au niveau du groupe plus large des psychologues, il
apparaît aussi intéressant d’explorer aussi les discours selon certaines caractéristiques
différenciatrices de sous-groupes parmi les personnes rencontrées. Alors qu’il est courant
de parler de variables dans la recherche en sciences sociales pour opérer ce type de
différenciation, ce terme pourrait avoir une visée un peu trop étroite dans le contexte d’une
recherche qualitative exploratoire où on ne vise pas à isoler l’influence de variables
confondantes ou à délimiter l’échantillon selon des critères mutuellement exclusifs (Lareau,
2012). « Après tout, un des buts majeur du travail qualitatif est de démontrer le sens ainsi
que la nature interconnectée des événements. [...] Les chercheurs qualitatifs veulent aussi
situer un processus social dans un contexte social spécifique. » (Lareau, 2012, p. 673,
traduction libre).
51
En cohérence avec la perspective où les prises de positions individuelles sont
générées par les représentations sociales, qui elles-mêmes sont liées à la position sociale de
la personne qui s’exprime (Doise, 1986), il a été tenté de dégager, à partir des informations
sociodémographiques recueillies, des critères différentiateurs de position sociale pertinents
en lien avec l’objectif de cette recherche sur les ISIs. Parmi les informations recueillies,
plusieurs ne se prêtaient pas à une différenciation pertinente et ces informations étaient
davantage présentent en background de la lecture que j’ai pu effectuer des entrevues. Par
exemple, il n’est pas apparu pertinent de différencier les participants sur leur niveau de
scolarité (maîtrise ou doctorat) lors des analyses subséquentes, notamment car il n’y a pas
d’indication dans la littérature scientifique laissant supposer que le type de diplôme pourrait
être en lien avec certains aspects de l’ISI. D’autres informations recueillies, par exemple le
type d’expériences interculturelles vécues, présente des portraits si complexes qu’il aurait
été difficile de retenir un critère différenciateur de prises de positions. Les prochaines sous-
sections présentent les informations qui ont été retenues pour effectuer des comparaisons
ultérieurement à l’étape de l’analyse.
2.5.1. Des informations intéressantes, mais qui n’ont pas été retenues pour
différencier les participants. Le relevé de la littérature scientifique a montré qu’il pourrait
être intéressant d’analyser comment le discours sur l’intervention interculturelle chez des
psychologues s’articule avec leur orientation théorique (Tummala–Narra et al., 2012). Bien
que la proposition soit pertinente, il s’est avéré que les descriptions des participants de leur
approche théorique sont complexes et qu’il serait difficile de les classer d’une façon qui
rende bel et bien compte de la pratique de chacun (voir la section « description des
participants » dans le chapitre de résultats). Pour ajouter à cette complexité, nombreux ont
été ceux qui ont rapporté avoir intégré de nouvelles approches au courant de leur carrière.
Ainsi, l’approche théorique ne sera pas retenue comme information différenciatrice de
positions.
De plus, lors de la construction du projet de thèse, il a été initialement envisagé
d’introduire la ville de pratique comme point de comparaison, en raison des différences de
diversité culturelle entre les villes de Québec et Montréal. Or, au fil des entrevues, le fait de
52
pratiquer dans une ville ou une autre n’avait que très rarement de liens avec les propos des
participants. De plus, deux études (Montreuil & Bourhis, 2001, 2004) ont comparé les
orientations d’acculturation d’étudiants qui fréquentaient soit un collège multiethnique ou
un collège moins culturellement diversifié. Aucune différence n’est ressortie entre les
groupes ce qui n’appuie pas l’hypothèse de contact voulant que vivre dans un milieu
davantage culturellement diversifié favoriserait d’avantage d’orientations d’acculturation
accueillantes de la diversité culturelle. Ainsi, la ville de pratique n’a pas été retenue non
plus.
2.5.2. La fréquence des ISIs au courant de la carrière. Toutefois, les études de
Montreuil et Bourhis ne mesuraient pas fréquence des contacts interculturels tel qu’évalué
par les participants eux-mêmes, ce que la présente étude a relevé avec les questions sur la
fréquence des ISI au courant de la dernière année et au courant de la carrière. D’ailleurs,
autant le modèle du développement de la sensibilité interculturelle (Bennett, 1986) que la
définition de l’équilibration majorante (Cohen-Emerique & Hohl, 2002) supposent que les
occasions d’apprentissage dans des contextes interculturels sont favorables au
développement de compétences et de la sensibilité interculturelles. Ainsi, il est probable
que les participants ayant eu fréquemment des expériences d’ISI au courant de leur carrière
aient aussi eu davantage d’occasions d’apprendre à composer avec les défis et difficultés
spécifiques aux situations interculturelles. Ainsi, il est choisi de s’intéresser à la fréquence
des ISI au courant de la carrière. Les ISIs au courant de la dernière année ne sont pas
retenues pour éviter les cas où la fréquence rapportée au courant de la dernière année ne
serait pas représentative de l’ensemble de la carrière. Étant donné le petit nombre de
participants, les réponses sont regroupées en deux catégories. Les réponses Tous les jours
ou presque et Toutes les semaines ou presque sont regroupées en Fréquemment (N = 12/21)
et les réponses Tous les mois ou presque et Tous les ans ou presque sont regroupées en
Occasionnellement (N = 9/21). La réponse Jamais à quelques fois au cours de la carrière
n’a pas été choisie par les participants, elle n’est donc pas représentée dans les analyses.
53
2.5.3. Être né à l’extérieur du Canada. Dans le cadre de la présente thèse, le
statut social qui semble le plus être discuté en lien avec le thème de l’ISI c’est le fait de se
considérer soi-même comme immigrant. De plus, le nombre de participants nés à
l’extérieur du pays apparaît suffisant (N = 6) pour permettre de les représenter comme un
sous-groupe de l’échantillon. Il est attendu que le fait d’avoir soi-même immigré en sol
québécois ait un impact sur le contenu des représentations de l’Autre considéré
culturellement différent, mais pas nécessairement sur les représentations de son propre rôle
comme psychologue ni sur les différents rapports à l’Autre analysés dans le cadre
théorique. En effet, alors que la notion de différence culturelle peut prendre une dimension
très intime pour les participants ayant immigré, les aspects liés à la profession sont plus
susceptibles d’être uniformisés à travers des théories et des normes professionnelles
communes.
2.6. Cadre de la recherche
Chacune des théories vues précédemment donne individuellement une certaine
approximation de comment des psychologues peuvent vivre et se représenter l’Autre
culturellement différent et leur propre rôle en ISI. Il est proposé dans la présente thèse de
porter un regard intégratif qui tienne compte de ces théories comme autant d’expressions du
rapport à l’Autre en situation interculturelle.
2.6.1. Synthèse du cadre théorique. Une synthèse des théories visitées dans la
construction du cadre théorique de la recherche est présentée à la Figure 3 :
54
Figure 3. Cadre d’analyse praxéologique du rapport à l’Autre culturellement différent chez
des psychologues
Le cadre d’analyse présenté à la Figure 3 est essentiellement praxéologique. Il offre
une représentation, en bleu, des éléments faisant partie de toute pratique d’intervention et,
en vert, des éléments analysés spécifiquement dans le contexte d’ISIs. Le sens des flèches
dans les éléments touchant la consultation habituelle indique le sens dans lequel le
processus de normalisation de la situation problématique a lieu.
La Figure 3 présente au départ une situation représentée comme souffrante et
problématique qui devient l’objet de la demande du patient pour une intervention de la part
du psychologue. Ces protagonistes déterminent ensemble, dans un rapport de pouvoir plus
ou moins harmonieux, consensuel ou conflictuel, ce qui fera partie du cadre de la
consultation psychologique. Ce cadre de consultation tiendra compte des difficultés du
patient, des difficultés liées à la consultation et du rôle attendu du psychologue et sert de
base pour autoriser l’intervention du psychologue, jusqu’à la terminaison de la relation
thérapeutique. Tout cela se déroulant dans un cadre internormatif, où à chaque moment de
la rencontre, les différences de cadre liées au statut professionnel (patient vs. psychologue)
55
et social (représentant de la société vs. représentant d’une minorité culturelle, par exemple)
jouent sur la consultation. C’est pourquoi le cadre est représenté avec des trous (les ronds
blancs à la Figure 3) : il y a plusieurs situations où le psychologue et le patient n’ont pas
tout à fait les mêmes référents, qu’il s’agisse de normes ou de représentations sociales
différentes. À noter que le cadre internormatif est représenté aussi dans les éléments
précédant la relation de consultation, car il existe antérieurement à l’intervention.
Concernant les éléments spécifiques à l’ISI, il est postulé que les connaissances, les
représentations sociales et la sensibilité interculturelle des psychologues sont plus
particulièrement mobilisées lorsqu’il tente : de comprendre la situation du patient; de
comprendre la souffrance vécue par le patient et la demande qui en découle; de
conceptualiser le cadre de la consultation (difficultés du patient, difficultés de la
consultation, son propre rôle); et de se sortir d’une situation déstabilisante ou étrange (dans
un trou du cadre internormatif). Connaissances, représentations sociales et sensibilité se
complètent, car en l’absence d’éléments à l’une de ces dimensions, le psychologue peut
puiser dans les autres dimensions pour soutenir son intervention. Par exemple, en l’absence
de connaissances sur une situation qui touche un patient en particulier, le psychologue
pourrait avoir de la difficulté à se représenter la difficulté du patient et sa souffrance. Par
contre, il peut faire la démarche de se renseigner sur la situation avec des ressources
externes à la consultation pour pallier son manque de connaissance ou bien utiliser sa
sensibilité interculturelle pour chercher de l’information par le biais du patient afin d’avoir
accès aux représentations du patient lui-même.
Aussi, la Figure 3 postule que le rapport acculturatif et le rapport aux normes seront
plus évidents à travers le cadre internormatif et à travers le processus de normalisation des
difficultés du patient. Rapport acculturatif et rapport aux normes sont mis côte-à-côte pour
souligner leur similitude. Dans les deux cas il s’agit d’un type particulier de relation de
pouvoir, le premier sur la dimension interculturelle et le second sur la dimension
professionnelle.
Le discours des participants sur leurs expériences d’ISI permettra de relever les
représentations du patient considéré culturellement différent, de la consultation
interculturelle et de leur propre rôle en ISI. Les discours témoigneront aussi de la façon
56
exprimée par chacun pour arriver à tenir compte : 1) des identités culturelles différentes en
présence dans la rencontre (sensibilité interculturelle); 2) des influences culturelles
bidirectionnelles qui découlent de ces différences et des rapports de pouvoir que cela
suppose (rapport acculturatif); 3) du rapport aux connaissances spécifiques aux situation
interculturelles; et 4) du rapport aux normes sociales et professionnelles mises en jeu dans
leur rôle essentiellement normalisateur. En mobilisant ces différents niveaux d’analyse il
sera possible de décrire de façon complexe comment ces professionnels de la relation que
sont les psychologues traitent avec les dimensions représentationnelles, praxéologiques et
interculturelles dans le contexte d’ISIs.
2.6.2. Objectif général, questions de recherche et préconceptions théoriques.
L’objectif général consiste à décrire comment sont représentées et vécues les expériences
d’intervention interculturelle chez des psychologues du Québec. Celui-ci se traduit à travers
un devis de recherche essentiellement qualitatif et exploratoire. Dans ce contexte, plutôt
que formuler des hypothèses qui restreignent l’enquête à la vérification d’une théorie, il est
plus cohérent de poser des questions de recherche formulées de façon ouverte (Lareau,
2012) et qui ont une visée essentiellement descriptive (Trudel & Vonarx, 2007).
Il serait toutefois naïf de penser qu’au courant des années où j’ai réfléchi à la
question de l’ISI chez des psychologues aucune hypothèse personnelle n’aurait pu surgir et
influencer mes observations, aussi descriptives soient-elles. Qui plus est, le recours à un
cadre théorique pour interpréter les discours sur l’ISI selon différentes perspectives
conditionne nécessairement ce que je suis le plus susceptible de percevoir à travers la
multitude d’informations auxquelles j’ai été exposées. Ces éléments de sensibilité théorique
font partie de ma posture d’analyste (Paillé & Mucchielli, 2003) et m’ont amené à penser
différentes hypothèses au sujet des questions de recherche et ce tout au long de la réflexion.
Pour ne pas confondre sémantiquement ces hypothèses personnelles avec le mot hypothèse
qui réfère à l’élaboration d’une affirmation théorique réduisant l’observation à la
confirmation ou la réfutation (partielle ou totale) de celle-ci, j’ai préféré parler des
préconceptions théoriques que je me suis faites au fil du travail réflexif. Cette idée applique
57
le concept de préconception, tiré de la phénoménologie herméneutique de Gadamer, au
processus interprétatif où :
Les humains sont constamment en train de tenter de fabriquer du sens à propos
de leur environnement, en train d’interpréter le monde qui les entoure, et ils le
font sur la base de compréhensions préexistantes ou de préconceptions. Les
expériences nouvelles ne sont pas rencontrées comme une gamme de données
sensorielles incohérentes, mais plutôt comme des entités déjà comprises. En
elles-mêmes, les préconceptions ne sont ni bonnes ni mauvaises, ni correctes ou
incorrectes; toutefois, elles dérivent du contexte culturel et personnel de chaque
individu, et les préconceptions affectent toujours le processus interprétatif.
(Qureshi, 2005, p. 121)
Afin d’apporter quelques éclaircissements à ma posture analytique, tant pour moi-
même que pour le lecteur, les questions de recherche et quelques préconceptions théoriques
qui en découlent sont présentées ci-après. Leur formulation maintien la visée exploratoire et
descriptive du devis de recherche et n’entend aucune finalité confirmatoire ou même
explicative.
1) Comment les participants se représentent-ils l’Autre culturellement différent en ISI?
• Préconception 1 : Les représentations de l’Autre culturellement différent sont
susceptibles d’être teintées par le rôle social du patient comme étant une
« personne en difficulté ».
• Préconception 2 : Des représentations spécifiques de l’Autre culturellement
différent sont susceptibles d’être teintées des connaissances et des expériences
interculturelles antérieures des participants.
2) Comment les participants se représentent-ils la consultation interculturelle?
• Préconception 3 : L’internormativité pourrait être plus évidente dans les
consultations considérées interculturelles par rapport aux consultations
considérées habituelles.
• Préconception 4 : Des défis et difficultés spécifiques pourraient être retrouvées
dans les situations interculturelles.
58
3) Comment les participants se représentent-ils leur propre rôle en ISI?
• Préconception 5 : Des déstabilisations au rôle professionnel pourraient être
retrouvées aux côtés d’expériences non-déstabilisantes dans les discours sur les
ISIs.
• Préconception 6 : Les représentations du rôle de psychologue en ISI pourraient être
en rapport avec les normes sociales et professionnelles caractéristiques de leur
contexte de pratique.
• Préconception 7 : Les représentations du rôle de psychologue en ISI pourraient être
en rapport avec les représentations de l’Autre culturellement différent et de la
consultation interculturelle.
4) Quels types de sensibilité interculturelle les participants témoignent dans leur discours?
• Préconception 8 : En raison de l’intérêt des participants pour l’interculturel dans
leur travail, leur discours général pourrait témoigner au moins d’une prise en
compte minimale de la différence culturelle (stade de la minimisation).
5) Quels types de rapports acculturatifs les participants témoignent dans leur discours?
• Préconception 9 : En raison de l’intérêt des participants pour l’interculturel dans
leur travail et en cohérence avec les études antérieures réalisées auprès de la
majorité d’accueil, leur discours général pourrait témoigner plus fortement des
orientations d’acculturation accueillantes envers la diversité culturelle
(orientations d’intégration, d’intégration de transformation et d’individualisme),
moins fortement de l’orientation d’acculturation d’assimilationnisme et pas du tout
des orientations d’acculturation défavorables à l’accueil de la diversité culturelle
(orientations de séparatisme et de marginalisation).
6) Quels types de rapports aux connaissances interculturelles les participants témoignent
dans leur discours?
• Préconception 10 : En raison de l’exigence déontologique d’agir dans la limite de
leurs compétences, les psychologues pourraient témoigner de différentes ressources
59
pour obtenir les informations nécessaires à leur pratique en ISI, et ce même en
situation de déstabilisation.
7) Quels types de rapport aux normes sociales et professionnelles les participants
témoignent dans leur discours?
• Préconception 11 : La pratique des psychologues témoignera probablement d’une
norme de non-discrimination.
• Préconception 12 : Il est probable que les psychologues agissent majoritairement
comme représentants des normes valorisées dans la profession comme l’autonomie
et la contestation de normes perçues comme contraintes.
8) Comment se caractérise le discours des participants selon qu’ils soient nés au Canada
ou à l’extérieur?
• Préconception 13 : Le fait d’être soi-même immigrant en contexte québécois ou non
pourrait différentier les participants dans leurs représentations sociales de l’ISI,
leur sensibilité interculturelle et leur rapport acculturatif.
9) Comment se caractérise le discours des participants selon la fréquence des ISIs
rapportée au courant de la carrière?
• Préconception 14 : Le fait d’avoir eu occasionnellement ou fréquemment des
expériences d’ISI au courant de la carrière pourrait différentier les participants sur
leurs représentations sociales de l’ISI et leur rapport aux normes dans ce contexte.
60
3. Méthode
3.1. Recrutement
Afin de recueillir des discours sur des expériences d’intervention en situation
interculturelle chez des psychologues, un recrutement de volontaires s’est déroulé sur une
période d’un an soit de juillet 2013 à juillet 2014. Une liste d’envoi courriel a été constituée
à partir des fiches d’information des psychologues travaillant en bureau privé disponibles
sur le site web de l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ). Une annonce résumant
l’étude a été envoyée à celles et ceux dont le courriel figurait dans leur fiche. Aucune
définition de ce que sont la culture, la différence culturelle ou l’intervention en situation
interculturelle n’a été suggérée dans l’annonce de recrutement. Pour pouvoir participer à
l’étude, les répondants devaient être titulaires d’un permis valide de l’OPQ et rapporter
avoir vécu au moins une expérience d’intervention en situation interculturelle au courant de
leur carrière.
Le choix d’utiliser la liste des courriels disponibles du site de l’OPQ a favorisé le
recrutement de celles et ceux dont une partie ou la totalité de leur activité professionnelle
est actuellement constituée d’une pratique privée. Le recrutement de psychologues
pratiquant au privé a déjà été utilisé pour obtenir des informations sur la pratique
professionnelle de la psychologie ou du counseling8 (Hunsley & Lefebvre, 1990; Bedi et
al., 2016) ou pour étudier comment des psychologues composent avec les échecs au
traitement (Stewart & Chambless, 2008). Aucune étude à ma connaissance ne s’est
intéressée à ce secteur de pratique pour mieux comprendre l’expérience de l’ISI auprès de
cliniciens qui ne sont pas nécessairement spécialistes en la matière et qui ne bénéficient pas
nécessairement de directives institutionnelles tel qu’on pourrait le retrouver dans la pratique
en institution publique. L’étude de la pratique de la psychologie clinique dans le secteur
privé auprès de psychologues non-spécialistes en interculturel amènera donc un regard
nouveau pour la recherche interculturelle. Il est estimé que ce choix n’affecterait pas la
8 Au Canada, l’identité professionnelle des counselors recoupe fortement celle des psychologues
cliniciens, à tel point que certains sont affiliés à des associations professionnelles représentant les deux
professions (Bedi, Sinacore, & Christiani, 2016).
61
représentativité du discours des participants par rapport à la profession plus large, car un
peu plus de la moitié des membres de l’OPQ optent totalement ou partiellement pour cette
forme de travail (Ordre des psychologues du Québec, 2016), ce qui en fait un secteur de
pratique très représentatif de la profession. De plus, une étude anthropologique réalisée en
CLSC (Centre Local de Services Communautaires), une institution publique au Québec,
conclut que même si les psychologues travaillent au public, leurs discours démontrent
qu’ils semblent formés pour le travail au privé (Angeli, 2006; Angeli et al., 2006). Ainsi, il
est probable que des discours obtenus dans un contexte de pratique privée puissent aussi
avoir une certaine pertinence pour les psychologues dont leur pratique se ferait dans le
secteur public. Enfin, la diversité des parcours professionnels n’exclut pas que des
participants aient actuellement, ou aient eu par le passé, des ISIs dans le contexte d’un
travail en institution publique et ceux-ci sont libres de parler de ces expériences en
entrevue.
Il était initialement attendu que les proportions homme-femme soient équivalentes
à celles retrouvées dans le métier (1 : 3) (Ordre des psychologues du Québec, 2016). Pour
avoir la possibilité de rencontrer des informateurs s’identifiant dans leur discours à des
positions sociales variées, aucun autre critère d’exclusion que ceux mentionnés plus haut
n’a été retenu. Notamment, comme la recherche porte sur la dimension interculturelle de la
rencontre clinique, il était intéressant d’avoir des participants rapportant être nés à
l’extérieur du Québec afin de pouvoir contraster leur discours avec ceux qui sont nés dans
la province.
Le recrutement a aussi été limité à deux grandes villes de la province qui accueillent
de nouveaux immigrants chaque année, soit Québec et Montréal. Il était attendu qu’un
recrutement dans ces deux villes donne un nombre suffisant de participants pour bien
refléter le point de vue de psychologues qui se sentent concernés par l’expérience de l’ISI
dans leur pratique professionnelle. De plus, le portrait de la diversité culturelle est différent
entre ces villes, ce qui permet d’augmenter la probabilité de recueillir des expériences
variées de l’ISI, tant en terme de fréquence que de types de situations rencontrées. Comme
exemple de cette différence dans l’hétérogénéité culturelle, parmi les immigrants admis au
Québec entre 2007 et 2011, 72,1% d’entre eux projetaient s’installer à Montréal contre
4,5% dans la région de la Capitale-Nationale, c’est-à-dire la ville de Québec et ses environs
62
(Québec, 2012). En plus de cette différence statistique, l’intérêt pour la prise en compte de
l’interculturel dans les soins de santé mentale a valu à Montréal la réputation de « centre
international pour l’étude de la psychiatrie culturelle » (Ryder, 2012, p. 29), qui se reflète
par un plus grand nombre de chercheurs et de cliniciens qui s’intéressent spécifiquement
aux questions interculturelles comparativement à la ville de Québec.
Les deux premières vagues d’envoi courriels à Québec (juin 2013 et octobre 2013)
ont chacune permis de recruter trois participants. Les trois autres participants de cette ville
ont été contactés par l’intermédiaire de connaissances ou par référence d’une participante,
ce qui porte leur nombre total à neuf. Une dernière vague d’envoi courriel (février 2014) a
été effectuée et j’ai sollicité des participants de cette ville pour qu’ils proposent mon étude
à leur réseau de contact, sans résultat. À Montréal, trois vagues d’envoi courriel (octobre
2013, novembre 2013 et juin 2014) ont permis de recruter respectivement deux, quatre et
six participants, portant leur nombre total à 12, pour un grand total de 21.
3.2. Construction et structuration de la situation d’entretien
Avant de décrire en profondeur les méthodes de recueil de données utilisées dans la
présente recherche, quelques clarifications sur le processus de construction de la situation
d’entretien sont décrites ici.
La présente étude a articulé différents angles théoriques complémentaires et cette
articulation se reflète dans les méthodes employées. D’ailleurs, la combinaison d’approches
méthodologiques différentes est considéré comme étant favorable à l’étude des
représentations sociales (Abric, 1994), ce qui est cohérent avec les questions de recherche
visant à mettre en évidence les représentations sociales qu’ont les participants de leur rôle
et du patient considéré culturellement différent. Dans cette perspective des représentations
sociales, les mots produits reflètent à la fois les représentations qui circulent dans un groupe
sur le sujet étudié et le positionnement social de ceux qui les énoncent. Pour pouvoir aussi
étudier l’expérience de l’ISI tel que vécu dans le quotidien de psychologues qui ne sont pas
nécessairement spécialistes en la matière, j’ai combiné la tâche d’association libre avec un
entretien semi-dirigé basé sur le schéma de l’entrevue épisodique de Flick (1997). Ce
schéma s’est montré utile étudier les représentations sociales dans le contexte de la vie
63
quotidienne (Bates, 2004). Bien que l’approche par incidents critiques (Cohen-Emerique &
Hohl, 2002, 2004; Cohen-Emerique, 2015) ait fait ses preuves pour étudier comment des
professionnels composent avec des situations interculturelles vécues comme étant
particulièrement déstabilisantes, la présente recherche visait davantage à explorer comment
sont vécues les ISIs dans le quotidien de psychologues cliniciens, que ces ISIs soient
considérées déstabilisantes ou non. À cet effet, l’entrevue épisodique est rapportée comme
favorisant le recueil d’expériences variées (Flick, 1997), ce qui est pertinent dans le
contexte où on ne veut pas réduire l’étude seulement aux cas problématiques. À cela
s’ajoutait une présentation de citations tirées de la littérature scientifique afin de susciter le
positionnement individuel des psychologues sur différents sujets. Toutefois, cette tâche
était présentée en toute fin d’entrevue et il s’est avéré, lors des entretiens faits avec les
participants, que la plupart produisait des réponses très peu élaborées face à ces
affirmations. Pour cette raison, cette partie de la tâche n’a pas été analysée comme tel, quoi
que si des participants rapportaient des expériences d’ISI après avoir lu les affirmations, ces
expériences ont été considérées dans les analyses.
Ce premier canevas d’entrevue a été testé auprès de deux collègues en psychologie
spécialisés dans des questions interculturelles et qui ont eu des expériences de l’ISI dans
leur pratique clinique. Ces entretiens ont été enregistrés et des notes ont été prises par moi-
même au courant de l’entretien. Il est ressorti de façon globale que l’entrevue permettait
effectivement de parler de l’expérience de l’ISI. Toutefois, elle était jugée trop longue et
induisait une certaine fatigue par le nombre d’aspects qui étaient évalués. Les modifications
faites aux différentes tâches sont décrites plus en détail dans les sous-sections suivantes.
De plus, plusieurs écrits discutent de l’apport positif d’approches pluri-
méthodologiques en sciences sociales (ex.: Denzin, 2010), qui favorisent par exemple une
prise de perspective multiple sur un même objet de recherche. Toutefois, il n’y a pas de
recommandations claires sur la façon de combiner ces approches, notamment sur la
question de l’ordonnancement des tâches. Dès lors, j’ai tenté de suivre les principes
généraux de l’entrevue épisodique où le participant est amené graduellement aux questions
qui concernent le cœur du sujet à l’étude et où la situation d’entretien se conclut avec des
questions plus générales et un retour sur la tâche (Flick, 1997). J’ai aussi tenté d’être
sensible à la réponse des participants à la situation d’entretien, notamment en questionnant
64
systématiquement leurs impressions à ce sujet. Dans la version de la situation d’entretien
qui a été utilisée auprès de la première participante, l’ordre suivant a été utilisé pour la
présentation des tâches : 1) questionnaire sociodémographique, 2) entretien semi-directif
(incluant le positionnement sur des affirmations) et 3) association libre et retour sur les
associations. Cette séquence a été pensée au départ pour que l’association libre favorise une
sortie graduelle du cœur de l’étude. Toutefois, la première participante m’a informé qu’elle
ne s’est pas sentie à l’aise de réaliser l’association libre à la toute fin, car elle avait
l’impression que les mots qu’elle produisait ne représentaient qu’une partie de tout ce
qu’elle avait raconté auparavant. Elle a rapporté qu’elle aurait trouvé plus logique de
commencer avec la tâche d’association libre au tout début et que cela aurait pu faire une
introduction avant d’aborder les questions d’entretien qui demandent un niveau de réflexion
plus grand. J’ai trouvé que son commentaire permettait d’introduire plus graduellement le
cœur de l’entretien portant sur la narration des ISIs. En ce sens, j’ai rajusté la séquence de
la situation d’entretien suite à son commentaire pour que l’association libre soit présentée
en premier, puis le questionnaire sociodémographique et enfin l’entrevue semi-dirigée. Les
autres participants n’ont pas émis de commentaires sur la structure de l’entretien et, en
effet, la tâche d’association libre a souvent ouvert la porte aux participants pour commencer
à raconter des situations d’ISI. Parfois même j’ai dû recadrer pour terminer la tâche, en
notant toutefois quelques mots sur les situations qui étaient rapportées afin de pouvoir y
revenir par la suite.
Les outils de recueil des informations sont décrits plus en profondeur dans les sous-
sections suivantes. Les analyses qui ont été réalisées pour chaque méthode sont aussi
présentées.
3.3. Recueil des informations sociodémographiques
3.3.1. Description du questionnaire sociodémographique. Le questionnaire
sociodémographique (Annexe A) comporte 20 questions qui ont permis de d’obtenir des
informations relatives aux données personnelles (âge, sexe, ville de pratique actuelle,
identifications culturelles, langues maîtrisées), à la pratique clinique (année d’obtention du
permis de pratiquer, nombre d’années de pratique, proportions des mandats réalisés dans
65
une semaine typique, orientations théoriques et spécialisations cliniques) et aux expériences
interculturelles tant dans la sphère personnelle que professionnelle (vécu d’expériences
interculturelles significatives, fréquence des ISIs au courant de la dernière année et dans la
carrière, expériences de travail avec un interprète, autres expériences professionnelles
interculturelles et formations spécifiques à l’ISI).
3.3.2. Saisies des données sociodémographiques. Les réponses au questionnaire
sociodémographique ont d’abord été saisies dans un fichier Excel par moi-même et la saisie
des réponses a été vérifiée par une bénévole impliquée dans le projet. Certaines données
manquantes sont apparues à cette étape, et celles-ci ont été comblées, lorsque possible, par
les informations données en entrevue.
3.4. Traitement de la tâche d’association libre
3.4.1. Description de la tâche d’association libre. La méthode d’association libre
permet généralement une première exploration des représentations liées à l’objet d’étude
(Abric, 1994). Dans cette tâche, j’ai demandé aux participants de nommer au moins cinq
mots ou expressions qui leur venaient spontanément à l’esprit après chaque mot inducteur
que j’ai énoncé et ce, sans spécifier de limite maximum. Ces critères pour la consigne
correspond à l’association continuée et libre (Flament & Rouquette, 2003).
En règle générale les mots inducteurs retenus sont l’objet de l’étude lui-même ou
des mots qui y sont étroitement liés (Abric, 1994). Or, l’objet d’étude qu’est
« l’intervention en situation interculturelle » apparaissait trop spécialisé, ou trop peu
partagé dans le langage même chez des psychologues, pour qu’il suscite des élaborations
porteuses de représentations sociales. Alors, j’ai décidé de m’intéresser à des mots
fréquemment retrouvés dans la littérature sur le sujet. J’ai sélectionné un premier ensemble
de mots inducteurs pour en discuter et les mettre à l’essai auprès de collègues : Intervention
interculturelle, adaptation culturelle, compétence culturelle, différence culturelle et
sensibilité culturelle. Or, les commentaires de mes collègues lors des essais préliminaires et
des discussions ont révélé que ces mots n’étaient pas suffisamment d’intérêt général pour
susciter une richesse dans l’association, mais probablement qu’ils reflètent encore une fois
66
un vocabulaire spécialisé propre à la recherche. J’ai donc retravaillé la liste de mots
inducteurs pour trouver une zone intermédiaire entre le sujet de l’étude et le vocabulaire
quotidien et aussi pour provoquer des associations tant en lien avec les représentations de
l’Autre culturellement différent que celles liées au rôle du psychologue. Ainsi, pour
m’intéresser aux représentations de l’Autre, j’ai choisi les mots différence, immigrant,
religion et discrimination. Le mot différence était présenté en premier pour tenter de voir
quels marqueurs de la différence seront nommés alors que les autres mots choisis sont plus
spécifiques à certains phénomènes culturels. Pour m’intéresser aux représentations du rôle
du psychologue j’ai choisi les mots thérapie et intervention. Cette liste de mots a été testée
auprès de la première participante et celle-ci n’a pas présenté de difficultés à associer.
Toutefois, le mot différence a été changé par la suite pour l’expression différence culturelle
car les résultats produits à différence semblaient moins spécifiques à l’objet d’étude. Donc,
la liste de mots inducteurs retenus pour tous les autres participants a été : Différence
culturelle, thérapie, immigrant, religion, intervention et discrimination. Cette liste a
toujours été présentée dans le même ordre, car le petit nombre de participants n’aurait pas
permis de comparaisons entre différentes modalités de présentation.
Une fois que les participants ont terminé d’associer sur les mots inducteurs, il leur
est ensuite demandé d’indiquer si les mots produits sont singuliers ou pluriels et s’ils sont
des verbes à l’infinitif ou des participes passés. Cela permet d’éviter d’avoir à tenter
d’interpréter le sens que le participant aurait voulu donner à un mot qui a des homonymes.
Dans son format initial, la tâche d’association libre incluait une tâche de hiérarchisation des
mots produits pour que les participants puissent exprimer, à l’aide d’une échelle numérique,
à quel point ces mots représentent l’ISI. La hiérarchisation a été considérée comme étant
trop exigeante cognitivement, elle a donc été retirée et remplacée par un retour qualitatif
des participants sur les mots produits moins exigeant en temps et en réflexion. Ainsi, j’ai
demandé aux participants de construire une phrase avec trois des mots produits par mot
inducteur. Au moment de la rencontre, ils ont plutôt utilisé cette consigne pour m’expliquer
pourquoi ils avaient choisi tel ou tel mot, le sens que ces mots avaient pour eux et les
réflexions qu’ils ont eues au moment de les dire. Ces deux techniques servent à enrichir la
compréhension du sens donné aux participants à la tâche. Ainsi, lors des analyses
67
subséquentes, où les regroupements amèneront une certaine perte de sens, le retour aux
mots dans leur forme brute et aux explications des participants favorisera l’interprétation.
3.4.2. Consignation des mots produits à l’association libre. Les réponses à
l’association libre ont été écrites à la main au moment des entrevues et ont été vérifiées lors
de la réécoute de celles-ci. Or, il est apparu que les notes manuscrites sont parfois plus
précises que le verbatim. En effet, pour le participant P06, le premier mot produit à
l’association libre était « monde arabe », qui a été retranscrit au moment de l’entrevue. Or,
on trouve seulement le mot « arabe » dans le verbatim de l’entrevue. Après vérification,
j’ai pu en effet constater que le mot « monde » est très peu audible, donc difficilement
détectable. Les données écrites à la main semblent alors d’une plus grande validité. Les
mots produits à l’association libre ont été copiés dans un fichier Excel par le chercheur
principal et revérifiés par lui-même.
3.4.3. Prétraitements des réponses. L’analyse des mots produits à l’association
libre est facilitée par des traitements préalables qui permettent de diminuer le nombre de
formes à analyser et d’ainsi augmenter la représentativité de certaines d’entre elles sur des
critères spécifiés a priori. Pour ne pas trop perdre de richesse dans le vocabulaire et ne pas
non plus créer des transformations qui risqueraient de déformer ce que les participants
avaient l’intention de dire au départ, ce qui nuirait à la validité des interprétations, j’ai
utilisé des techniques de prétraitement qui supposent peu d’interprétation de la part du
chercheur. Premièrement, j’ai retiré des analyses les mots qui n’ont aucune signification
lorsque pris seuls et qui sont souvent surreprésentés, ce qu’on appelle des mots vides (ex. :
« de », « les », etc.). Deuxièmement, j’ai associé ensemble par un tiret bas « _ » les mots
qui forment une expression qui serait perdue si l’association de ces mots n’était pas
conservée. Par exemple, « les deux solitudes » a été transformé en « les_deux_solitudes ».
Troisièmement, afin de diminuer la variabilité du vocabulaire, j’ai ramené les mots à leur
forme lemmatisée, soit au masculin singulier pour les noms et à l’infinitif pour les verbes.
La quatrième et dernière étape a consisté à agréger ensemble les mots qui ont une racine
commune. Cette étape permet de diminuer encore plus la variabilité du vocabulaire en
68
évitant que le chercheur interprète lui-même la façon d’agréger les formes. Par exemple, les
mots « langage » et « langue » sont ramenés à « langP ». On peut constater dans cet
exemple que la racine « langP » conserve une signification commune sur le thème de la
langue, mais fait disparaître les nuances qui ont peut-être une importance significative pour
les participants qui ont énoncé « langage » et « langue ». L’interprétation des résultats
tiendra compte de ces transformations.
3.4.4. Analyse des indices d’organisation des réponses. Pour chaque mot
inducteur, un recueil de trois indices statistiques permettra de poser un diagnostic pour
savoir si les formes produites sont surtout le fruit d’élaborations cognitives
idiosyncrasiques ou si elles apparaissent aussi socialement partagées entre les participants à
l’étude. Il est indispensable de corroborer différents indices d’organisation avant de poser
une interprétation sur une possible organisation des représentations à l’étude (Flament &
Rouquette, 2003).
L’indice de diversité (Flament & Rouquette, 2003) permet de savoir quelle
proportion des réponses est constituée de formes différentes. Si on obtient N réponses à un
mot inducteur donné et que parmi ces N réponses se trouvent T formes différentes (situé
entre 1 et N inclusivement), alors le rapport T/N se trouve nécessairement situé entre 0 et 1.
Plus un indice de diversité de rapproche de 0, plus les réponses sont idiosyncrasiques, et
plus il se rapproche de 1, plus il y a de probabilités d’être en présence d’une représentation
socialement partagée.
L’indice de rareté (Flament & Rouquette, 2003) est défini par la proportion de
réponses uniques par rapport au nombre total de formes. Une réponse qui n’apparaît qu’une
seule fois à la suite d’un inducteur donné est nommée hapax. Ainsi l’indice de rareté
correspond au nombre de hapax sur le nombre total de réponses. Plus cet indice est élevé,
moins il y a de chances qu’il y ait une représentation socialement partagée.
L’entropie (Flament & Rouquette, 2003) permet de savoir si la distribution des
réponses à un mot inducteur présente un ensemble d’événements équiprobables (ex. : tous
les mots produits auraient eu la même chance d’être énoncés) ou s’il y a une variabilité, ou
une forte entropie, dans la probabilité de trouver telle ou telle réponse (ex. : un ensemble de
69
mot présente une probabilité forte d’être énoncé et un autre ensemble présente une
probabilité faible). L’entropie peut être obtenue en considérant d’abord l’écart (d), en
valeur absolue, entre la fréquence relative (f) et la fréquence théorique (N/T) de chaque
forme : d = | f-N/T |. Ensuite, l’indice d’entropie correspond à la sommation de ces écarts :
Σd/T.
3.4.5. Analyse de la distribution Rang x Fréquence. La distribution Rang x
Fréquence (Flament & Rouquette, 2003) est aussi un indice permettant de caractériser
l’organisation d’une représentation, mais il est plus spécifique que les trois premiers
présentés. Ici on met en relation la fréquence d’une réponse avec la rapidité d’émission de
celle-ci qui est estimé par le rang moyen d’apparition. Plus le rang moyen est faible, plus la
réponse a été émise rapidement par la moyenne des participants. Pour chaque forme, la
fréquence et le rang moyen d’apparition sont calculés. Par la suite, ces formes sont réparties
de part et d’autre de la médiane du rang et de la fréquence ce qui donne quatre cases :
Tableau 2
Présentation des résultats à l’analyse Rang x Fréquence
Rang moyen faible Rang moyen élevé
Fréquence élevée Case 1 Case 2
Fréquence faible Case 3 Case 4
Les formes présentes dans la case 1 ont davantage de probabilité de caractériser le
noyau d’une représentation alors que les autres cases sont plus susceptibles de représenter
des éléments périphériques (cases 2 et 3) ou carrément des réponses idiosyncrasiques (case
4). Toutefois, il ne faut pas conclure que la case 1 présente nécessairement des éléments
centraux, car il peut aussi inclure des éléments périphériques suractivés dans un contexte
donné. Afin d’éviter d’inclure les hapax et pour s’intéresser seulement aux formes
partagées par au moins deux participants, un seuil de fréquence minimal de deux est retenu
pour l’analyse Rang x Fréquence.
70
3.4.6. Analyse des mots produits selon les positions sociales retenues. Les
positions sociales retenues pour l’étude sont autant de positionnements socio-
psychologiques qui peuvent avoir une influence sur la répartition des réponses. Étant donné
le petit nombre de participants à l’étude, il n’apparaît pas valide de tester statistiquement la
significativité d’une comparaison des fréquences de formes entre des sous-groupes de
participants. Ainsi, la répartition des formes selon les positions sera analysée de façon
qualitative pour voir si des tendances (ex. : tel groupe de mots semble est plus fréquent que
tel autre groupe de mots dans tel groupe par rapport à tel autre groupe) peuvent être
observées. Ici aussi le seuil minimal de fréquence de deux est retenu pour limiter le nombre
de formes à analyser.
3.5. Traitement de l’entrevue semi-structurée
3.5.1. Description de l’entrevue semi-structurée. L’entrevue semi-structurée
(annexe B) comporte 26 questions réparties en huit phases inspirées librement du schéma
de l’entrevue épisodique de Flick (1997). L’idée générale proposée par cet auteur est qu’en
provoquant en alternance le récit d’expériences vécues par rapport à l’objet d’étude et des
réflexions théoriques-argumentatives sur celles-ci, le chercheur est en mesure d’accéder à la
fois à la dimension de l’expérience subjective et aux représentations et images qui peuvent
se dégager de ces expériences. Ce schéma d’entrevue est résumé à la Figure 4.
71
Figure 4. Schéma de l’entrevue épisodique (Flick, 1997, traduction libre)
Initialement, il était prévu que la situation d’entretien comporte une entrevue semi-
structurée abordant l’objet de l’étude « l’intervention en situation interculturelle » ainsi que
des questions qui explorent différentes composantes de la relation de consultation
thérapeutique interculturelles et qui invitent à raconter des expériences vécues qui
illustreraient les propos du participant. Après l’avoir testé auprès de mes collègues, j’ai
retravaillé les questions d’entrevue pour qu’elles ciblent principalement les expériences de
l’ISI et que moins d’importance soit accordée à des sujets apparentés (exemple de question
rejetée : « Qu’est-ce qui ferait que vous auriez besoin de référer un client en raison d’un
élément culturel? Pourriez-vous me conter une situation qui reflète votre réponse? »). En
faisant ces modifications, moins de récits d’ISI sont demandés aux participants mais ces
récits sont discutés plus en profondeur.
Dans sa version finale, la première phase (question 0) consiste à introduire le
déroulement de la rencontre et à vérifier si le participant a des questions au préalable. La
deuxième phase est constituée de la tâche d’association continuée libre. La troisième phase
(questions 1 à 15) vise à s’intéresser graduellement aux concepts généraux de l’interviewé
72
sur le sujet de recherche, en interrogeant d’abord les motivations à participer à l’étude, en
amenant la personne à parler de son parcours comme psychologue puis à parler de ce
qu’elle pense que sont la culture, le culturel dans la clinique, les différences culturelles, les
situations cliniques considérées interculturelles et leurs propres rôles dans ces situations.
Ces discussions se veulent plus générales avant de demander aux participants de rapporter
des expériences vécues de situations considérées interculturelles soit dans leur carrière,
dans leur formation et dans leur vie personnelle. Lorsque les participants ont rapporté des
expériences qu’ils ont considéré interculturelles, je les ai amenés à prendre le temps
d’élaborer plus encore sur celles-ci avec des questions d’approfondissement. Certaines
questions d’approfondissement ont été préparées à l’avance pour favoriser l’élaboration,
avoir davantage d’informations sur le contexte de l’expérience rapportée, le rôle perçu dans
la situation, la réaction émotionnelle et les apprentissages retenus pour la suite. De plus, j’ai
voulu voir comment leur perspective pourrait changer (ou pas!) en leur demandant de
s’imaginer comment un autre psychologue aurait réagi face à la même situation. Cette
question apparaissait souvent déstabilisante la première fois qu’elle était présentée, mais
elle a permis de recueillir des informations très pertinentes sur la profession (tel que discuté
dans la section résultats). Dans la quatrième phase (questions 16 à 18), j’ai soulevé différent
éléments spécifiques au travail du psychologue (ex. : l’évaluation psychologique, la
création du lien thérapeutique, etc.) et j’ai demandé si d’une part ils tenaient compte de la
culture dans ces différentes sphères et si oui, de me rapporter une situation qui illustrerait
cela. Dans la cinquième phase, j’ai présenté quelques affirmations tirées de la littérature sur
le sujet afin de voir comment les participants se positionnent face à celles-ci. Je leur
demandais d’expliquer aussi pourquoi ils se disaient en accord ou pas. Enfin, la dernière
phase (question 24 à 26) permet de clore l’entrevue et donne l’occasion aux participants de
donner leur impression sur leur participation, de vérifier si les questions reflétaient leur
point de vue et si quelque chose a pu les déranger.
Concernant la séquence des questions posées en entrevue, il n’était pas rare que les
participants racontaient rapidement des expériences interculturelles vécues en clinique
avant que cela ne soit questionné. À ce moment, j’abordais cette section de l’entrevue et je
revenais à la fin sur les questions qui avaient pu être omises. Il est aussi apparu les
questions de la troisième phase visant à faire raconter des expériences interculturelles
73
vécues en clinique et à faire élaborer sur celles-ci ont suscité le plus de richesse et de
fluidité dans le discours. Conséquemment, c’est aussi cette partie de l’entrevue qui a été la
plus pertinente pour les analyses subséquentes.
3.5.2. Transcription des entrevues. Les entrevues ont été transcrites verbatim
dans leur intégralité par des bénévoles impliqués dans le projet. Tous ont signé un
formulaire les engageant à respecter la confidentialité des participants. Les bénévoles ont
reçu comme instruction de transcrire ce qu’ils entendent sans se soucier de produire des
phrases qui respecteraient les règles de la grammaire française, afin d’être le plus près
possibles des expressions utilisés par les participants. Les pauses, les moments de silence,
les raclements de gorge et les toussotements ont été retranscrits, ce qui donne une
impression générale du rythme de l’entrevue lors de la relecture. Afin de s’assurer de la
qualité des données, le chercheur principal a révisé l’ensemble des transcriptions en
réécoutant les entrevues dans leur intégralité. Cette démarche a mis à jour plusieurs erreurs
de transcriptions, comme le passage « … c’est une cliente ça il me semble… » a été
initialement transcrit par « …c’est une cliente frémissante… », le mot « hypnologue » a été
entendu comme « urinologue » et l’expression « les différences culturelles » a été transcrite
comme étant de « l’indifférence culturelle »! Au-delà du caractère humoristique de ces
erreurs, le cumul de ces changements de sens aurait été susceptible d’affecter la lisibilité
des entrevues et la validité des analyses si elles n’avaient pas été relevées et corrigées. Le
travail de vérification a été facilité par le fait que comme j’ai été présent au moment de
l’entrevue, il était plus facile pour moi que pour les bénévoles de reconnaître ce qui a été dit
dans les passages plus difficilement compréhensibles.
3.5.3. Analyse thématique. Flick (1997) propose que l’entrevue épisodique se
prête bien à une procédure d’analyse thématique. Dans le cadre de cette recherche,
l’analyse thématique est réalisée à l’aide du logiciel QDA Miner et complétée avec des
synthèses visuelles sous formes de schémas et de tableaux. En effet, comme il est peu
commode de présenter une succession de résultats bruts, il est alors choisi de créer des
représentations visuelles qui synthétisent les informations recueillies pour permettre au
74
lecteur d’en apprécier les tendances par simple coup d’œil. L’analyse thématique réalisée
dans le cadre de la présente thèse est inspirée des méthodes proposées par Paillé et
Mucchielli (2003).
3.5.3.1. Constitution de l’arbre thématique. La plupart des analyses d’entrevues ont
comme base une annotation des informations recueillies sous forme de codage. Dans le cas
de la présente thèse, le codage s’est fait par l’application de codes sur des segments
d’entrevues et ces codes résument l’idée contenue dans le segment. Il pouvait y avoir des
cas de codage multiples, lorsque plus d’une idée apparaissait dans un même segment.
La démarche de thématisation entreprise peut être qualifiée de continue (Paillé &
Mucchielli, 2003), car j’ai effectué en alternance le codage des entrevues au fil de la lecture
puis le regroupement des codes. Dans l’ordre, j’ai d’abord codé deux entrevues après quoi
j’ai fait un travail de réorganisation de l’arbre thématique. J’ai répété cette alternance
codage-organisation lors de l’analyse de chaque entrevue pour les deux suivantes. J’ai
ensuite utilisé l’arbre thématique construit, toujours avec la possibilité de le réorganiser et
d’ajouter des codes supplémentaires, avec quatre entrevues supplémentaires. Après, j’ai
retravaillé l’organisation de l’arbre sur ces huit premières entrevues. L’arbre créé à ce
moment apparaissait suffisamment stable pour coder en continu les 13 entrevues suivantes.
Certaines réorganisations de l’arbre se sont faites à ce moment et aussi lors des relectures et
des analyses subséquentes. Dans ce travail continu, il était possible de constamment
introduire de nouveaux codes ce qui pouvait mener à l’émergence de nouveaux thèmes.
La création de l’arbre thématique permet aussi un classement sur plusieurs niveaux
hiérarchiques, le logiciel QDA Miner pouvant gérer jusqu’à neuf niveaux. Dans le présent
travail, j’ai organisé les codes en thèmes et sous-thèmes, et ceux-ci ont été organisés en
catégories et sous-catégories. Ce recueil de thèmes est organisé sous une forme
arborescente qu’on appelle un arbre thématique.
Tout au long de ce travail, j’ai tenté de cerner des thèmes qui correspondent à un
niveau adéquat de généralisation (Paillé & Mucchielli, 2003). À cet égard, les thèmes
devaient être plus larges que le niveau de l’expérience subjective individuelle en même
temps d’être assez spécifique pour refléter le sujet discuté et le niveau de positionnement
75
face à ce sujet. Dans la pratique, j’ai commencé à coder les premières entrevues avec un
niveau très faible de généralisation et, au fil de la constitution de l’arbre thématique, j’ai pu
ajuster le niveau de généralisation du codage pour qu’il soit plus élevé et réviser les
premières entrevues codées.
J’ai aussi tenté de faire en sorte que les thèmes aient un très faible niveau
d’inférence (Paillé & Mucchielli, 2003). Le niveau d’inférence correspond au degré auquel
les concepts et théories du chercheur sont utilisés dans la formulation des thèmes. À cet
égard, lorsque j’ai regroupé les codes en thèmes, j’ai tenté d’utiliser les mots des
participants dans la formulation des thèmes pour introduire les théories le plus possible a
posteriori. Le choix de ce niveau d’inférence découle du caractère exploratoire des
questions de recherche.
3.5.3.2. Analyse des thèmes et catégories. Bien que l’ensemble des entrevues
contienne des informations intéressantes, l’analyse thématique vise à réduire ces
informations pour dégager les plus pertinentes en lien avec le sujet de l’étude. Le cadre
théorique de la recherche et la sensibilité théorique et expérientielle du chercheur sont deux
facteurs importants qui vont déterminer, explicitement ou implicitement, les éléments
retenus comme étant pertinents à l’analyse (Paillé & Mucchielli, 2003). C’est ainsi qu’au fil
de la constitution de l’arbre thématique, il s’est avéré pertinent de ne retenir pour l’analyse
que les passages qui traitaient, soit d’une manière directe ou indirecte, de la question de
recherche principale comment sont représentées et vécues les expériences d'intervention
interculturelle chez des psychologues?
L’analyse thématique est réalisée essentiellement en décrivant les thèmes pertinents
de chaque catégorie, car c’est la description des thèmes qui permet d’enrichir la
compréhension des catégories générales (Paillé, 1994). Ces descriptions sont illustrées avec
des extraits d’entrevue et ceux-ci sont commentés à un niveau plus interprétatif. Pour
faciliter l’analyse, les thèmes ont ensuite été résumés pour chaque participant dans une
matrice cas x thèmes (Annexe D). Cette matrice a grandement facilité l’investigation des
questions de recherche liées au cadre d’analyse proposé.
76
3.5.3.3. Analyse de la structure de l’arbre thématique. En plus de la description des
thèmes contenus dans les catégories, il est proposé d’analyser la structure de l’arbre
thématique produit. On s’intéresse alors aux catégories, à leur proportion ainsi qu’à leur
organisation. En effet, ce sont les catégories qui, dans l’analyse, ont le pouvoir d’évoquer
un ensemble de phénomènes et de dégager la structure globale des discours (Paillé, 1994).
Pour décrire les proportions relatives des catégories, une analyse de fréquence sera
menée avec le logiciel QDA Miner. Les résultats à cette analyse permettent de visualiser,
en valeur absolue et en pourcentage, la présence d’un code ou d’une catégorie dans une
entrevue, leur fréquence de codage et le nombre de mots codés dans ces codes ou
catégories.
Une première organisation des catégories existe déjà, ne serait-ce que dans la forme
qu’a prise l’arbre thématique à la suite du travail de thématisation. Toutefois, il peut être
intéressant de confronter cette organisation, qui découle essentiellement du travail cognitif
du chercheur, avec d’autres indicateurs. Il est choisi de vérifier statistiquement le degré
auquel les catégories se chevauchent entre elles, pour évaluer à quel point les discours
qu’elles représentent sont en relation ou indépendants les uns des autres. C’est ainsi que
l’organisation des catégories selon la cooccurrence de leurs segments codés respectifs sera
présentée. Pour se faire, une analyse des cooccurrences a été réalisée à l’aide du logiciel
QDA Miner en prenant comme critère le chevauchement de segments. Le choix de ce
critère donne un calcul des cooccurrences moins conservateur que le critère de segments
identiques, mais plus conservateur que les critères de segments séparés par un certain
nombre de paragraphe ou de segments tout simplement présents dans le cas. L’indice de
cooccurrence, ou nommé aussi indice de similarité, retenu pour le calcul est le coefficient
de Jaccard. Si a représente le nombre de fois que deux items cooccurrent et que b et c
représentent chacun le nombre de fois où un item est trouvé sans l’autre, le coefficient de
Jaccard se calcule par a/(a+b+c) (QDA Miner 5 User Guide 3.2, Provalis Research, n.d.).
C’est donc dire que le nombre de cooccurrences est pondéré sur le nombre de fois où il y a
présence d’un segment considéré en l’absence de l’autre. Cette analyse donne une matrice
des indices de similarité entre chacune des catégories et ces indices varient entre 0 et 1 :
Plus un indice de similarité est près de 0, moins les deux catégories considérées sont
cooccurrentes et vice-versa. QDA Miner permet aussi de visualiser le résultat du calcul des
77
indices de similarité en utilisant une méthode d’agglomération basée sur une classification
hiérarchique afin de créer des groupes qui se présentent du plus cooccurrent (plus fort
indice de similarité) au moins cooccurrent (plus faible indice de similarité). Chaque nouvel
élément ajouté à la classification hiérarchique peut être associé soit à un autre élément ou à
un groupe d’éléments appelé nœud. Cette méthode fait apparaître une organisation visuelle
des catégories en sous-groupes plus simple que ne le permet le tableau complet des indices
de similarité.
La combinaison de l’analyse de fréquence et du calcul des indices de similitude
ainsi que leur visualisation hiérarchique donne des indices sur l’importance des catégories
du discours et leur organisation.
3.5.3.4. Analyses comparatives des discours. Le logiciel QDA Miner permet aussi
de filtrer les cas par variables (c.-à-d. selon les positions retenues pour différencier
l’échantillon) pour mener les analyse fréquentielles et de cooccurrence pour chaque sous-
groupe considéré. C’est ainsi que je vais dégager les similitudes et les différences selon les
sous-groupes de participants considérés, notamment en créant des représentations visuelles
condensant ces résultats afin de faciliter les comparaisons.
3.6. Prise de notes personnelles
J’ai aussi collecté différentes notes de terrain et d’analyse tout au long du projet sur
différents supports papiers et électroniques. Ces notes sont autant des réactions de ma part à
l’entrevue elle-même, des impressions lors de la relecture de celles-ci que des hypothèses
personnelles lors des analyses ou même des réflexions spontanées qui surgissent en dehors
du contexte de la recherche. J’ai recopié l’ensemble des notes électroniques dans un même
rapport qui permet de faire une classification. Je suis retourné régulièrement à ce rapport
pour me remémorer certaines réflexions et les bonifier au fil de la démarche. Ce travail à la
fois de consignation de réflexions personnelles que de réflexions sur ces réflexions a été
alimenté par la perspective de Devereux dans De l’angoisse à la méthode (1994), où il
décrit l’importance pour le chercheur en sciences humaines de tenter de mettre en lumière
78
les effets de ses propres réactions subjectives afin de les distinguer des phénomènes qui
émergent de la recherche.
3.7. Devis de recherche
Le devis de la présente recherche est principalement qualitatif et exploratoire. Si la
majorité des informations recueillies est constituée de texte et que le travail de lecture et
d’interprétation prend une place importante dans la démarche analytique, certaines données
qualitatives sont converties en valeurs quantitatives. Dans le but de profiter de l’apport de
matériaux de natures différentes, soit les mots produits à l’association libre et les thèmes de
l’entrevue semi-dirigée, il est proposé d’analyser ces deux sources de données séparément.
L’analyse est constituée d’un ensemble d’opérations cognitives qui permettent
l’interprétation du matériau recueilli à l’égard au dispositif de recherche. L’interprétation
prend place tout au long du processus de description, d’exploration et d’analyse des
données, ce qui est défini comme étant des interprétations locales, par opposition aux
interprétations globales qui considèrent l’ensemble des résultats (Duchastel & Laberge,
1999). Une synthèse du devis de recherche et de la démarche analytique est présentée à la
Figure 5 avec le nombre de participants considéré à chaque étape.
79
Figure 5. Devis de la recherche
1 Pour le mot inducteur « différence culturelle », le nombre de participants dont les réponses sont valides
est de 18 et non 19, car ce mot inducteur a changé après la première entrevue. 2 Une des entrevues n’a été complétée que partiellement et elle n’a pas été retenue pour les analyses
subséquentes.
Recrutement (N = 21)
Association libre (Nvalide = 19)1
Entrevue (Nvalide = 20)2
Analyse des mots à l’association libre
Analyse thématique des entrevues
Interprétations locales Interprétations locales
Interprétations globales
80
4. Résultats
4.1. Description des participants.
Les réponses obtenues au questionnaire sociodémographique permettent de tracer le
profil des participants interrogés.
4.1.1. Profil des participants sur les caractéristiques personnelles et liées à la
profession. Un résumé de caractéristiques personnelles et liées à la profession est rapporté
au Tableau 3.
Tableau 3
Caractéristiques générales des participants à l’étude
Caractéristiques (N = 21)
Sexe, N (%)
Homme
Femme
9 (42.9)
12 (57.1)
Âge, M (Étendue) 54.2 (34-72)
Années de pratique, M (Étendue) 22.6 (1-42)
Nés hors du Québec, N (%) 6 (28.6)
Ville de pratique, N (%)
Québec
Montréal
9 (42.9)
12 (57.1)
Formation académique, N (%)
Équivalent maîtrise
Équivalent doctorat
15 (71.4)
6 (28.6)
81
On peut d’abord remarquer que la proportion d’hommes et de femmes est presque
équivalente. Ainsi, les hommes sont légèrement surreprésentés par rapport aux proportions
retrouvée dans la profession qui sont de trois femmes pour un homme
(Ordre des psychologues du Québec, 2016). L’âge et le nombre d’années de pratique
présentent une grande variabilité dans l’échantillon. Ainsi, les discours pourront refléter la
perspective des personnes qui commencent leur carrière, qui la poursuivent ou qui sont sur
le point de la terminer. Concernant le pays de naissance, un seul participant de la ville de
Québec dit être né à l’extérieur, contre cinq parmi ceux recrutés à Montréal. Les pays de
naissance rapportés autres que le Canada sont les États-Unis, l’Argentine, le Mexique, la
Grèce, le Portugal et l’Égypte. On retrouve aussi une forte proportion de psychologues
ayant fait des études de niveau maîtrise. Cette caractéristique est peu étonnante car
l’obligation de détenir un doctorat pour pratiquer la psychologie clinique est relativement
récente dans l’histoire de la profession au Québec.
Afin de connaître les caractéristiques liées à leur pratique, il a été demandé aux
participants d’énumérer toutes les approches théoriques qu’ils intègrent dans leur travail.
Les noms utilisés pour spécifier les approches théoriques sont très variés : TCC 3ième
vague (ACT), cognitive-comportementale, thérapie des schémas, mindfulness, thérapie
interpersonnelle, thérapie basée sur l’attachement, psychanalyse, psychodynamique,
neuropsychanalyse, relations d’objet, psychologie du soi, ethnopsychiatrie, humaniste-
existentielle, expérientielle, psychothérapie gestaltiste des relations d'objets, psychothérapie
intégrative, systémique, psychologie contextuelle, perspective intersubjective,
psychothérapie orientée vers les solutions, structurelle-stratégique, éclectique et
anthropologie. Tous les participants nomment plus d’une approche. Dans le but de
simplifier la présentation des approches théoriques, celles-ci ont été résumées au Tableau 4
à partir des grandes orientations théoriques reconnues par l’OPQ. Une approche a été
nommée « Anthropologique-ethnopsychiatrique » car elle ne correspondait à aucune
orientation définie par l’OPQ tout en présentant un intérêt pour l’étude de l’ISI. Comme
plusieurs identifications sont possibles, le nombre d’orientations théoriques dépasse celui
des participants. Alors que les orientations psychodynamique, cognitive-comportementale
et humaniste sont chacune représentées chez plus de la moitié des participants, les
82
orientations systémique et anthropologique-ethnopsychiatrique sont déclarées par une
minorité.
Tableau 4
Catégorisation des approches auto-rapportées selon les orientations théoriques
Caractéristique (N = 21)
Orientations théoriques N (%)
Psychodynamique
Cognitive-comportementale
Humaniste
Systémique
Anthropologique-ethnopsychiatrique
15 (71.4)
12 (57.1)
11 (52.4)
7 (33.3)
2 (9.5)
Les participants ont aussi été interrogés pour savoir s’ils identifient des spécialités
cliniques dans leur pratique et 16 ont répondu à l’affirmative. Les réponses touchent autant
à des spécialités de la santé somatique (onco-psychologie, gynéco-obstétrique et
périnatalité) et mentale (troubles anxieux, troubles dépressifs, épisode de stress post-
traumatique, stress post-traumatique complexe et troubles de la personnalité), à des aspects
plus globaux de la personne (adaptation, intégration au marché du travail, troubles
relationnels, identité et spiritualité), à des clientèle ciblées (travail en milieu autochtone,
thérapie interculturelle, adultes en individuel, adolescents, thérapie conjugale et thérapie
familiale) qu’à des pratiques professionnelles particulières (psychothérapie
psychanalytique, psychanalyse, hypnose, ethnopsychiatrie, écoute anthropologique et
supervision).
4.1.2. Profil des participants selon leurs expériences interculturelles. Enfin, j’ai
cherché à obtenir un profil des participants selon leurs expériences interculturelles tant dans
leur carrière, dans la formation qu’ils ont reçue que dans leur vie personnelle. Les
informations liées à la carrière et à la formation sont résumées au Tableau 5. De façon
83
générale, environ la moitié des participants ont reçu des formations touchant
spécifiquement à l’intervention psychologique en situation interculturelle. La forme, la
durée et le contenu de ces formations sont très variables, passant de quelques journées de
formation à de la formation continue sur plusieurs années et même dans certains cas à la
réalisation d’études supérieures dans le domaine. Concernant les expériences d’ISI
rapportées, c’est sans surprise qu’aucune participant rapporte ne pas en avoir eu ni au
courant de la dernière année ni durant la carrière. La répartition des réponses montre une
plus forte proportion de personnes ayant eu beaucoup d’expériences (tous les jours ou
presque et toutes les semaines ou presque) au courant de la dernière année par rapport à la
carrière en entier.
Tableau 5
Formations sur des sujets interculturels et fréquence des expériences d’intervention en
situation interculturelles
Caractéristique (N = 21)
A suivi une formation en ISI, N (%) 12 (57.1)
ISIs au courant de l’année, N (%)
Tous les jours ou presque
Toutes les semaines ou presque
Tous les mois ou presque
Une ou quelques fois dans l'année
Jamais lors de la dernière année
6 (28.6)
9 (42.9)
4 (19.0)
2 (9.5)
0 (0.0)
ISIs au courant de la carrière, N (%)
Tous les jours ou presque
Toutes les semaines ou presque
Tous les mois ou presque
Tous les ans ou presque
Jamais à quelques fois au cours de la carrière
6 (28.6)
6 (28.6)
3 (14.3)
6 (28.6)
0 (0.0)
84
Concernant les expériences de vie interculturelles considérées dans le questionnaire
sociodémographique, les plus fréquentes sont d’avoir fait un voyage significatif, d’avoir
des ami(e)s de culture différente, d’avoir travaillé auprès d’immigrants et d’avoir des
activités sociales interculturelles. Aussi, lorsqu’on combine les réponses « oui » pour les
expériences de voyage significatif et de stage/travail à l’étranger, tous les répondants sont
représentés.
Tableau 6
Expériences de vie interculturelles
Caractéristique (N = 21)
Expériences personnelles N (%)
Immigration 7 (33.3)
Avoir été en couple mixte 7 (33.3)
Voyage significatif 19 (90.5)
Ami(e)s de cultures différentes 19 (90.5)
Travail auprès de populations immigrantes 17 (81.0)
Travail auprès de populations autochtones 10 (47.6)
Stage/travail à l’étranger 10 (47.6)
Activités sociales interculturelles 15 (71.4)
4.1.3. Synthèse sur les informations sociodémographiques. Quelques tendances
peuvent être dégagées dans le profil des participants. Ceux-ci montrent une grande
variabilité sur leurs caractéristiques personnelles (sexe, âge, ville de pratique, etc.) et
professionnelles (nombre d’années de pratique, approches théoriques, spécialités auto-
rapportées, etc.). Les informations relevées sur leurs expériences interculturelles, tant dans
leur profession que dans leur vie personnelle, montre combien cet aspect a eu une
85
importance significative dans la vie de chacun. Notons à ce sujet qu’un peu moins du tiers
des participants rapportent être nés à l’extérieur. Tous rapportent avoir eu des expériences
d’intervention en situation interculturelle au courant de leur carrière. Dans les expériences
de vie interculturelles significatives, lorsqu’on considère ensemble le fait d’avoir vécu
l’immigration, d’avoir fait un voyage significatif à l’étranger ou un stage/travail à
l’étranger, tous répondent au moins une fois par l’affirmative. En ce sens, bien qu’il n’était
pas visé d’interroger des spécialistes de l’interculturel, l’échantillon semble à tout le moins
représenter un sous-groupe de psychologue particulièrement intéressés par les contacts
interculturels
4.2. Résultats à la tâche d’association libre
4.2.1. Indices de la distribution des réponses. L’analyse des indices de
distribution des réponses (Tableau 7) montre premièrement que la moyenne des indices de
diversité est relativement élevée. De façon générale à travers les réponses fournies aux
différents mots inducteurs, 73.8% des réponses correspondent à des formes différentes.
Cela signifie que près de trois réponses sur quatre sont de nouveaux mots par rapport à ceux
déjà produits, ce qui donne un premier indice d’une grande variabilité. Seuls les mots
inducteurs « immigrant » et « discrimination » ont des indices de diversité moins élevé que
la moyenne, mais ceux-ci demeurent tout de même relativement élevés.
De plus, les indices de rareté aussi sont relativement élevés, avec une moyenne
générale de 79.2%. Cela signifie que près de quatre cinquièmes des réponses produites sont
des réponses uniques qui ne sont pas partagées par d’autres participants. Cela appuie aussi
l’hypothèse que les réponses sont très variables d’un individu à un autre. On remarque ici
que les indices de rareté des trois premiers mots inducteurs sont plus faibles que la
moyenne, alors que les indices de rareté des trois inducteurs suivants sont plus élevés. On
peut penser que le nombre de six mots inducteurs était peut-être trop élevé, car après le
troisième inducteur il y a davantage de réponses uniques. Le Tableau 7 révèle qu’à partir du
mot « religion » certains participants produisent beaucoup plus que cinq mots par mot
inducteur. On pourrait penser soit qu’ils se sentent plus familiers avec la tâche ou soit
qu’une certaine fatigue cognitive est entraînée par le grand nombre de mots inducteurs.
86
Enfin, les indices d’entropie sont relativement bas, avec une moyenne de 44.8%.
Seuls les mots inducteurs « immigrant » et « discrimination » présentent une entropie
supérieure à la moyenne. Cela signifie qu’il y a plus de probabilité pour les réponses à ces
mots inducteurs de ne pas avoir une distribution équiprobable des réponses, ce qui aurait
été le cas si les mots produits avaient peu de signification aux yeux des participants.
Tableau 7
Indices de la distribution des réponses à l’association libre
Différence
culturelle
Thérapie Immigrant Religion Intervention Discrimination M
Npart. 18 19 19 19 19 19
Nmots 93 107 98 122 114 120 109
Tformes 90 79 65 96 87 87 84
Diversité 75.3 73.8 66.3 78.7 76.3 72.5 73.8
Rareté 78.6 75.9 75.4 85.4 79.3 80.4 79.2
Entropie 36.1 42.5 49.8 44.4 42.8 53 44.8
L’ensemble des indices de distribution des réponses laissent supposer que les
résultats à l’association libre ont de faibles probabilités de présenter une représentation
sociale. Il est davantage probable que les réponses produites soient des élaborations
cognitives peu partagées au niveau social. Toutefois, ces résultats obtenus auprès d’un petit
échantillon ne permettent pas non-plus de conclure en une absence totale de représentation
sociale. Si certains mots inducteurs avaient plus de probabilités que les autres de présenter
une représentation sociale, ça serait les mots « immigrant » et « discrimination ». En effet,
ils se démarquent de la moyenne sur l’ensemble des indices considérés ici, sauf pour
l’indice de rareté pour le mot « discrimination ».
87
4.2.2. Analyses descriptives par mot inducteur. En plus de ces indices généraux,
la répartition des réponses est observée selon 1) l’analyse rang par fréquence et 2) la
répartition selon le pays de naissance et la fréquence des ISIs au courant de la carrière.
L’analyse descriptive de ces répartitions donne une vue d’ensemble sur l’organisation des
représentations au sein du groupe des participants. La description des résultats est
accompagnée d’interprétations locales. Étant donné le petit nombre de participants et la
nature exploratoire du devis de recherche, ces interprétations constituent autant
d’hypothèses qui pourraient être vérifiées auprès d’un plus grand échantillon. Tous les
résultats présentés dans cette section ont appliqué un seuil de fréquence minimal pour les
mots produits par le groupe à fmin = 2.
4.2.2.1. Résultats à l’inducteur « différence culturelle ». L’analyse du tableau rang
x fréquence pour le mot inducteur « différence culturelle » (Tableau 8) montre des
associations davantage centrées autour des formes « curiosité » et « langP ». Comme la
forme « langP » est une racinisation de « langue » et « langage », il se pourrait que seule la
forme « curiosité » ait une importance plus centrale. Toutefois, la fréquence du mot
« curiosité » est très faible (N = 4/18), ce qui rend très improbable qu’il s’agisse réellement
d’un élément central d’une représentation quelconque.
L’analyse descriptive selon les positions sociales sur ce même mot inducteur ne
révèle pas de tendance particulière dans la distribution des mots produits selon les positions
sociales retenues. Les différences entre les valeurs du Tableau 9 semblent davantage être
caractéristiques du nombre de participants représentés pour chaque catégorie. Ainsi, la
différence de pays de naissance (être né au Canada ou à l’extérieur) et de contacts
interculturels dans la profession (fréquence des ISIs au courant de la carrière) ne semble pas
générer des prises de positions différenciées dans les associations au mot inducteur
« différence culturelle ».
Les analyses rang x fréquence et selon les positions sociales retenues appuie les
résultats aux indices de distribution voulant qu’il y ait une faible probabilité d’être en
présence d’une représentation socialement partagée au mot inducteur « différence
culturelle ». Peut-être que ce mot est trop peu spécifique et trop peu partagé pour faire
88
l’objet d’une représentation sociale. Ou peut-être qu’il suscite chez les participants une
diversité de différences culturelles. Si j’avais ciblé une différence plus spécifique, avec par
exemple l’expression « différences ethniques », peut-être que les participants auraient
produit des associations davantage partagées.
Tableau 8
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Différence culturelle »
Forme (N) Rang moyen faible Rang moyen élevé
Fréquence élevée Curiosité (4)
langP (3)
Richesse (4)
Religion (4)
differP (3)
Fréquence faible
humaP (2)
ethnique (2)
pays (2)
nation (2)
visionP (2)
valeur (2)
étrangP (2)
voyage (2)
intéreP (2)
incompréhension (2)
climat (2)
89
Tableau 9
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le pays de
naissance pour le mot inducteur « Différence culturelle »
Pays de naissance (Nparticipants) ISIs carrière (Nparticipants)
Forme (Nformes) Canada (13) Hors Canada (5) Occasionnel (7) Fréquent (11)
Curiosité (4) 3 1 1 3
langP (3) 2 1 1 2
Richesse (4) 3 1 1 3
Religion (4) 3 1 2 2
differP (3) 2 1 1 2
humaP (2) 2 0 1 1
ethnique (2) 1 1 0 2
pays (2) 2 0 2 0
nation (2) 2 0 1 1
Total (52) 20 6 10 16
4.2.2.2. Résultats à l’inducteur « thérapie ». L’analyse rang x fréquence pour le mot
inducteur « thérapie » (Tableau 10) montre que la forme « aide » se démarque à la fois par
une forte fréquence et un rang faible, ce qui pourrait en faire un élément plus central de la
représentation de « thérapie ». La forme « relation » est aussi fréquente, mais apparaît plus
loin dans les associations. Cela suggère que « relation » pourrait être un élément plus
périphérique que « aide ». Aussi, dans les réponses non-transformées, « relation » et
« aide » apparaissaient parfois ensemble dans l’expression « relation d’aide ». Concernant
les formes « %psychanalyse », « profondeur » et « travail », il est probable qu’elles ne
soient pas nécessairement centrales même si elles apparaissent à la case 1 étant donné leur
faible fréquence.
90
Dans le Tableau 11 présentant la distribution des fréquences au mot inducteur
« thérapie » selon les positions sociales retenues, il est intéressant de constater qu’alors que
la forme « aide » est représentée dans l’ensemble des sous-groupes, la forme « relation »
n’apparaît que chez les participants nés au Canada, au côté des formes moins fréquentes
que sont « profondeur », « travail », « processus » et « soi ». D’une part, cela appuie le
statut périphérique de ces formes. Il se pourrait qu’une représentation de la thérapie comme
étant un travail en relation sur soi soit davantage caractéristique des participants nés au
Canada. Toutefois, cette hypothèse trouve une exception avec la forme « intérieur » qui se
trouve autant chez les psychologues nés au Canada que ceux nés à l’extérieur.
Autre observation concernant le Tableau 11, les réponses des participants nés hors
du Canada sont très faiblement représentées. Seulement quatre de leurs réponses se
trouvaient dans les cases 1, 2 et 3 du tableau rang x fréquence, ce qui indique que ces
participants partageaient peu d’associations en commun avec les participants nés au Canada
face au mot inducteur « thérapie ». Cela pourrait s’expliquer en raison de différences
culturelles sur la conception des soins psychologiques selon le pays de naissance. Comme
les participants ayant immigré sont nés dans des pays variés, il est probable que leurs
représentations sociales de la thérapie présentent des caractéristiques différenciées d’un
pays à l’autre et que cela produise peu de réponses socialement partagées à travers ce sous-
groupe.
91
Tableau 10
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Thérapie »
Forme (N) Rang moyen faible Rang moyen élevé
Fréquence élevée
Aide (7)
%psychanalyse (3)
Profondeur (3)
Travail (3)
Relation (7)
Fréquence faible
%humaine (2)
Intérieur (2)
Processus (2)
Soi (2)
soin (2)
émotion (2)
cadre (2)
changement (2)
connaissance (2)
difficulté (2)
mieux_être (2)
passion (2)
acceptation (2)
92
Tableau 11
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le pays de
naissance pour le mot inducteur « Thérapie »
Pays de naissance (Nparticipants) ISIs carrière (Nparticipants)
Forme (Nformes) Canada (14) Hors Canada (5) Occasionnel (8) Fréquent (11)
Aide (7) 6 1 4 3
%psychanalyse (3) 2 1 2 1
Profondeur (3) 3 0 0 3
Travail (3) 3 0 2 1
Relation (7) 7 0 2 5
%humaine (2) 1 1 2 0
Intérieur (2) 1 1 1 1
Processus (2) 2 0 0 2
Soi (2) 2 0 1 1
Total (62) 27 4 14 17
4.2.2.3. Résultats à l’inducteur « immigrant ». L’analyse du tableau rang x
fréquence pour le mot inducteur « immigrant » (Tableau 12) met en évidence la
surreprésentation de « difficulté » et « %adaptation » tant sur le plan de la fréquence que du
rang d’apparition. La forme « voyage » apparaît aussi dans la case 1, mais de façon moins
fréquente.
Dans le tableau de la distribution des fréquences selon les positions sociales au mot
inducteur « immigrant » (Tableau 13), il est intéressant de constater que « difficulté »,
« voyage », « courage », « défi », « perte » sont partagées par l’ensemble des sous-groupes,
ce qui suggère une représentation partagée de l’immigrant qui vit des défis et des difficultés
en lien avec son parcours migratoire.
93
Toutefois, les formes « %adaptation », « richesse », « intégration » et « étranger »
ne sont pas du tout représentées chez le sous-groupe des participants nés hors du Canada.
Cela pourrait suggérer que la représentation de l’immigrant étranger qui s’intègre au pays
d’accueil et l’enrichit serait davantage représentatif des représentations partagées par les
participants nés au Canada. Le portrait est plus difficile à dégager sur les représentations
d’« immigrant » pour les participants nés à l’extérieur. La seule forme nommée chez les
participants de ce sous-groupe qui présente une tendance distinguable est « espoir ». Cela
pourrait témoigner plutôt d’une représentation d’un immigrant qui espère trouver une
meilleure situation au pays d’accueil.
De plus, aucune tendance particulière ne se dégage selon la fréquence des ISIs au
mot inducteur « immigrant ».
Tableau 12
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Immigrant »
Forme (N) Rang moyen faible Rang moyen élevé
Fréquence élevée
Difficulté (6)
%adaptation (5)
Voyage (3)
Courage (4)
défi (4)
perte (4)
richesse (4)
espoir (3)
Fréquence faible Intégration (2)
Étranger (2)
%différence (2)
%peur (2)
aventure (2)
deuil (2)
repère (2)
rêve (2)
94
Tableau 13
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le pays de
naissance pour le mot inducteur « Immigrant »
Pays de naissance (Nparticipants) ISIs carrière (Nparticipants)
Forme (Nformes) Canada (14) Hors Canada (5) Occasionnel (8) Fréquent (11)
Difficulté (6) 5 1 2 4
%adaptation (5) 5 0 3 2
Voyage (3) 2 1 1 2
Courage (4) 3 1 3 1
défi (4) 3 1 2 2
perte (4) 3 1 1 3
richesse (4) 4 0 2 2
espoir (3) 0 3 1 2
Intégration (2) 2 0 1 1
Étranger (2) 2 0 0 2
Total (74) 29 8 16 21
4.2.2.4. Résultats à l’inducteur « religion ». Pour le mot inducteur « religion », la
plupart des mots produits et représentés dans la matrice rang x fréquence (Tableau 14)
semblent être des associations conceptuelles, un peu comme des définitions de la religion,
plutôt que des éléments de représentations sociales. Dans les cases 1, 2 et 3, seuls les mots
« différence », « conflit » et « musulman » se distinguent de cette tendance. Lorsque les
mots sont répartis selon les positions sociales retenues (Tableau 15), aucune tendance ne
semble se dégager visuellement et presque toutes les formes sont réparties dans l’ensemble
des groupes. Ces résultats appuient l’hypothèse que le mot inducteur « religion » n’a
probablement pas mobilisé de représentation sociale parmi les participants. D’ailleurs, les
95
indices de diversité et de rareté étaient les plus élevés pour ce mot inducteur (Tableau 7)
suggérant des réponses davantage idiosyncrasiques que partagées.
Tableau 14
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Religion »
Forme (N) Rang moyen faible Rang moyen élevé
Fréquence élevée
Croyance (6)
différence (5)
spiritualité (4)
Valeur (4)
Conflit (3)
Fréquence faible
%divin (2)
foi (2)
musulman (2)
vie (2)
%identité (2)
communauté (2)
culture (2)
guerre (2)
pratique (2)
96
Tableau 15
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le pays de
naissance pour le mot inducteur « Religion »
Pays de naissance (Nparticipants) ISIs carrière (Nparticipants)
Forme (Nformes) Canada (14) Hors Canada (5) Occasionnel (8) Fréquent (11)
Croyance (6) 5 1 1 5
différence (5) 4 1 3 2
spiritualité (4) 3 1 2 2
Valeur (4) 4 0 1 3
Conflit (3) 2 1 3 0
%divin (2) 2 0 0 2
foi (2) 1 1 1 1
musulman (2) 1 1 1 1
vie (2) 1 1 1 1
Total (60) 23 7 13 17
4.2.2.5. Résultats à l’inducteur « intervention ». Les résultats à l’association pour le
mot « intervention » (Tableau 16) montre une association unidirectionnelle, probablement
conceptuelle, entre les inducteurs « thérapie » et « intervention » : alors que « thérapie » ne
suscite à aucune occasion le mot « intervention », ce même mot lorsqu’il est pris comme
inducteur suscite la réponse « %thérapie ». Cela laisse penser que le mot « intervention »
est peut-être moins caractéristique du travail des participants. Un des participants avait dit à
cet effet que le mot « intervention » lui faisait davantage penser au travail qu’on retrouve
dans les institutions publiques qui ont des mandats déterminés. De plus, on retrouve la
forme « %intervention » au mot inducteur de la même forme et c’est parce que les
97
participants qualifiaient des types d’intervention comme « intervention de crise » et
« intervention urgente ».
Il est aussi intéressant de noter après un premier coup d’œil du Tableau 16 qu’un
thème d’ensemble semble se dégager autour de la notion de respect, avec les formes
« %respect », « empathie », « %délicat », « écoute », « accompagnement », « accueil »,
« adaptation », « compassion » et « soutien ». De plus, les formes « différence » et
« culturel » respectivement trouvées aux cases 2 et 3 évoquent le thème de l’ISI étudié dans
la présente recherche. Cela amène à penser que les participants, dans l’ensemble, semblent
se positionner pour une approche respectueuse des différences dans leur intervention.
La répartition des mots selon les positions sociales (Tableau 17) montre que les
réponses « %thérapie », « aide » et « relation » sont complètement absentes des
associations des participants nés à l’extérieur du Canada, tendance similaire à celle relevée
au mot inducteur « thérapie ». Il est possible que cela appuie une fois de plus l’idée que les
participants nés à l’extérieur du Canada aient une représentation différente de ceux nés au
Canada concernant l’intervention, ou plus largement l’aide psychologique. Il faut toutefois
relativiser cette interprétation, car le nombre de fois que des formes se répètent au mot
inducteur « intervention » est très faible (Nmax = 4). Ainsi il se peut que les tendances
observées sur la répartition des formes par position sociale soit dû au hasard. Par exemple,
alors que la fréquence des ISI ne montrait aucune tendance observable jusqu’ici, au mot
inducteur « intervention » les formes « aide » et « relation » sont totalement absente chez
les participants ayant moins souvent des expériences d’ISI. Ainsi, il se peut que « aide » et
« relation » caractérisent les associations d’un sous-groupe de participants qui sont à la fois
nés au Canada et qui ont fréquemment des expériences d’ISI ou que cela soit simplement
dû au hasard.
98
Tableau 16
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Intervention »
Forme (N) Rang moyen faible Rang moyen élevé
Fréquence élevée
%thérapie (4)
%intervention (3)
empathie (3)
aide (4)
%respect (4)
Différence (3)
Fréquence faible
%délicat (2)
culturel (2)
relation (2)
écoute (2)
accompagnement (2)
accueil (2)
adaptation (2)
cadre (2)
compassion (2)
crise (2)
efficacité (2)
soutien (2)
99
Tableau 17
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le pays de
naissance pour le mot inducteur « Intervention »
Pays de naissance (Nparticipants) ISIs carrière (Nparticipants)
Forme (Nformes) Canada (14) Hors Canada (5) Occasionnel (8) Fréquent (11)
%thérapie (4) 4 0 2 2
%intervention (3) 2 1 0 3
empathie (3) 2 1 2 1
aide (4) 4 0 0 4
%respect (4) 3 1 1 3
Différence (3) 3 0 1 2
%délicat (2) 1 1 1 1
culturel (2) 1 1 0 2
relation (2) 2 0 0 2
écoute (2) 0 2 1 1
Total (58) 22 7 8 21
4.2.2.6. Résultats à l’inducteur « discrimination ». Au mot inducteur
« discrimination », les réponses « %jugement » et « préjugé », qui ont une fréquence élevée
et un rang moyen d’apparition faible (Tableau 18) semblent être des associations davantage
d’ordre conceptuel. Les autres formes semblent correspondre à des définitions
psychologiques du phénomène de la discrimination. Notamment, les formes « peur »,
« insécurité », « ignorance », « fermeture », « étroitesse », « esprit » et « différence »
pourraient se lire comme « la discrimination correspond à une forme d’insécurité,
d’ignorance, de fermeture et d’étroitesse d’esprit, à l’égard de la différence ». Les formes
« rejet », « injustice » et « solitude » correspondraient alors à des résultats de cette
100
discrimination. Ainsi, c’est comme si le mot inducteur « discrimination » avaient interpellé
une capacité de résolution de problème chez les participants, à partir de leur position de
psychologue. Ils ne semblent plus associer sur ce que ce mot pourrait évoquer de social ou
de personnel, mais ils semblent tenter de comprendre ce qu’est le phénomène de la
discrimination et pourquoi certains discriminent. Seule la réponse « positif » semble être
une association plutôt qu’une définition. Lorsque ce mot était évoqué, les participants
étaient dans un tout autre registre et faisaient référence au concept de « discrimination
positive » qui s’applique au domaine de l’emploi pour favoriser l’intégration de personnes
identifiées à des groupes minoritaires.
L’analyse par position sociale (Tableau 19) montre certes que les formes
« %jugement », « %insécurité » et « injustice » ne sont pas représentées dans le sous-
groupe des participants nés à l’extérieur du Canada, mais ces tendances sont difficilement
interprétables au-delà de la possibilité qu’il s’agisse d’un effet du hasard étant donné le
faible effectif de réponses dans ce sous-groupe.
Tableau 18
Analyse rang x fréquence pour le mot inducteur « Discrimination »
Forme (N) Rang moyen faible Rang moyen élevé
Fréquence élevée
%jugement (4)
positif (4)
préjugé (4)
rejet (4)
peur (5)
différence (4)
Fréquence faible
%insécurité (2)
%triste (2)
ignorance (2)
injustice (2)
négatif (2)
%discrimination (3)
%social (3)
esprit (3)
%fermeture (2)
solitude (2)
étroitesse (2)
101
Tableau 19
Répartition des mots selon la fréquence des ISI au courant de la carrière et le pays de
naissance pour le mot inducteur « Discrimination »
Pays de naissance (Nparticipants) ISIs carrière (Nparticipants)
Forme (Nformes) Canada (14) Hors Canada (5) Occasionnel (8) Fréquent (11)
%jugement (4) 4 0 1 3
positif (4) 3 1 2 2
préjugé (4) 3 1 2 2
rejet (4) 4 0 2 2
peur (5) 4 1 1 4
différence (4) 3 1 2 2
%insécurité (2) 2 0 1 1
%triste (2) 1 1 1 1
ignorance (2) 1 1 1 1
injustice (2) 2 0 1 1
négatif (2) 1 1 1 1
Total (70) 28 7 15 20
4.2.3. Synthèse des résultats à l’association libre. Si la diversité et
l’idiosyncrasie est la norme dans les réponses relevées à la tâche d’association libre,
certains résultats montrent des associations un peu plus partagées, notamment aux mots
inducteurs « immigrant » et « thérapie ». Ces résultats donnent quelques informations
relativement aux questions de recherche 1 et 3 portant sur les représentations de l’Autre
culturellement différent et du rôle propre du psychologue.
102
Les résultats au mot inducteur « immigrant » appuient la préconception 1 voulant
que les RS de l’Autre culturellement différent soient teintées par le rôle social du patient
comme une « personne en difficulté ». En plus de retrouver fréquemment le mot
« difficulté » dans les réponses, plusieurs autres formes en témoignent plus indirectement.
C’est comme si une représentation de l’immigrant vivant des « difficultés migratoires »
était particulièrement mobilisée chez les participants. Toutefois, il est difficile de savoir s’il
s’agirait d’un élément central de la représentation de « l’immigrant » ou si cette
représentation est en lien spécifiquement avec le rôle du psychologue qui s’intéresse aux
difficultés personnelles. Il est probable qu’en ayant interrogé un autre groupe social, qui ne
serait pas un groupe de professionnels du social notamment, on retrouverait moins
fortement cette association avec les difficultés.
Un autre résultat, plus inattendu, apparaît au mot inducteur « immigrant ». Le sous-
groupe des participants nés au Canada semble présenter des associations caractéristiques
d’un intérêt pour l’intégration ou l’adaptation dans le pays d’accueil, ce qui n’est pas
présent chez les participants nés à l’extérieur. Ce résultat trahi une certaine vision
acculturative à propos d’un immigrant qui doit s’adapter au pays d’accueil. Toutefois, les
mots à l’association libre ne permettent pas de savoir dans quels types d’orientation
d’acculturation ils ont été énoncés.
Les résultats au mot inducteur « thérapie », surtout lorsqu’ils sont mis en contraste
avec les résultats à l’inducteur « intervention », permettent de soulever certains éléments
identificatoires propres à la profession de la psychologie en contexte québécois. Il apparaît
que « l’intervention » ne serait pas tant perçue comme une caractéristique du rôle du
psychologue, mais que ça serait « l’aide » qui serait plus centrale et plus partagée. Cette
aide est souvent représentée dans le contexte d’une relation, ou d’une relation d’aide, qui
suppose un travail, un processus, sur soi, dans l’intériorité et la profondeur. Par contre, cette
représentation semble davantage caractéristique des participants nés au Canada. Cela va à
l’encontre de la préconception 6 voulant que ce soit davantage les normes sociales et
professionnelles de la pratique en contexte québécois qui soient liées aux représentations du
rôle professionnel. En effet, cette variabilité selon le pays de naissance indique plutôt
qu’une expérience de vie différente, probablement par le biais d’une enculturation dans une
103
société différente, amène les participants ayant immigré au Québec à ne pas rejoindre la
tendance générale dans la définition du rôle du psychologue à l’association libre.
Toutefois, le résultat discuté précédemment doit être relativisé par le petit nombre
de réponses dans le groupe des participants nés à l’extérieur du pays. De plus, il est possible
que la différence de langue maternelle des participants nés à l’extérieur du pays, qui n’est
pas le français pour trois d’entre eux, ait une influence sur le degré auquel ils peuvent se
référer aux mêmes mots que les autres participants pour exprimer leurs représentations.
4.3. Résultats à l’analyse thématique
Dans la description des résultats à l’analyse thématique, je décris d’abord les
domaines et catégories de l’arbre thématique et je présente leur organisation hiérarchique
qui a découlé du travail de thématisation. Par la suite, je décris le contenu de ces catégories
à l’aide des thèmes qui reflètent autant les propriétés des catégories que les positionnements
individuels. Étant donné le grand nombre de thèmes, tous ne seront pas discutés, mais
seulement ceux qui présentent une plus grande pertinence dans la description des
catégories. Enfin, je tenterai de dégager une organisation globale du discours selon
l’organisation des catégories entre elles et selon les positions sociales retenues.
4.3.1. Description de l’arbre thématique. Les entrevues ont été lues et relues en
entier. Le codage a été réalisé sur les 21 entrevues, mais une d’entre elles n’a pas été
considérée dans les analyses subséquentes en raison qu’elle était incomplète. Sur les 20
entrevues valides, le codage a permis de coder 72,3% des mots contenus dans les
transcriptions, le reste correspondant à des passages non-pertinents (ex. : énonciation de
consignes, discussion sur les formulaires et les tâches, discussions informelles, etc.). De ces
passages codés, un peu plus des deux tiers (70,4% des mots codés, pour 50,9% des mots au
total) a été retenue pour construire l’arbre thématique. Les codes retenus présentaient une
pertinence en lien avec la question de recherche initiale. Le travail de thématisation a retenu
quatre niveaux d’analyse qui correspondent, dans l’ordre décroissant du niveau de
généralisation, à trois domaines d’application du discours, sept catégories, 105 thèmes et
104
746 codes. La description, la structure et le pourcentage de mots codés pour les domaines et
les catégories sont présentés à la Figure 6.
Figure 6. Domaines et catégories de l’arbre thématique avec le pourcentage des mots codés
et les liens hiérarchiques (N = 20)9
La présentation des catégories et domaines à la Figure 6 montre l’organisation
hiérarchique qui s’est opérée au fil du codage et de l’analyse thématique. Un premier coup
d’œil montre la grande importance dans le discours des catégories « problématiques des
patients » et « pratique professionnelle ». La catégorie « obstacles et facilitateurs
9 Le calcul de la fréquence de codage pour les domaines (en bleu) et celui pour les catégories (en
vert) sont indépendants. Pour chaque niveau hiérarchique, la somme des pourcentages dépasse 100% car les
catégories peuvent se chevaucher dans le texte. Les pourcentages sont indiqués pour pouvoir comparer la
taille des domaines et des catégories avec un même dénominateur, soit le nombre de mots codés.
Représentations de l’Autre culturellement
différent (56,0%)
Représentations du rôle du psychologue (65,8%)
Expériences de l’ISI (34,5%)
Problématiques des patients (40,8%)
Différences perçues (23,9%)
Pratique professionnelle
(52,9%)
Rapport à la culture dans la rencontre clinique (16,0%)
Rapport aux connaissances -
ressources (9,5%)
Obstacles en ISI (31,8%)
Expériences émotionnelles (7,5%)
105
potentiels » se présente aussi comme étant importante et elle reflète davantage les aspects
que les participants considéraient comme étant plus marquants dans l’expérience de l’ISI
par rapport à d’autres types de consultation. Les autres catégories que sont « différences
perçues », « rapport à la culture dans la rencontre clinique », « rapport aux connaissances-
ressources » et « expériences émotionnelles » ont une importance moindre sur le plan
quantitatif.
4.3.2. Description des thèmes selon les catégories. Si les catégories donnent des
indices sur l’organisation des discours (Paillé, 1994), elles ne constituent que les grandes
lignes de ce qui a pu être dit en entrevue. Chacune d’entre elles sera explorée à l’aide des
thèmes qui la compose. En raison du nombre élevé de thèmes qui se trouve dans l’arbre
thématique, ceux-ci seront discutés de façon groupée selon leur affinité thématique et tous
ne seront pas discutés. Même si QDA Miner permet de calculer des critères quantitatifs
comme la fréquence d’un thème ou le nombre de mots représentés par un thème, les thèmes
discutés plus en profondeur seront retenus surtout en raison de leur importance qualitative
pour comprendre le discours (Paillé, 1994). Ainsi, l’information présentée est sélectionnée
davantage en fonction de leur pertinence pour répondre aux questions de recherche. Les
descriptions présentent l’énoncé des thèmes en italiques ainsi que des extraits pertinents du
verbatim en citation.
4.3.2.1. Problématiques des patients. Un premier constat est vite apparu par rapport
à cette catégorie à la fois dans mon expérience d’intervieweur, dans le codage et dans
l’analyse thématique : même si je n’ai jamais demandé, à aucune occasion, aux participants
de me décrire les problématiques rencontrés auprès des patients en ISI, tous en ont parlé et
cela de façon très spontanée et détaillée. De plus, la catégorie « problématiques des
patients » a été la plus facile à thématiser et à organiser que les autres. Il est ressorti de cette
catégorie un éventail de phénomènes qui peuvent tous se retrouver en situations
interculturelles. Toutefois, tous ces phénomènes ne sont pas exclusifs aux situations
interculturelles et certains sont plus caractéristiques de ce qui peut être rencontré dans la
pratique générale.
106
Problématiques rencontrées dans les situations habituelles. Ici on retrouve un
ensemble de thèmes qui se rapportent tous à des problématiques générales qui auraient pu
être rencontrées dans n’importe quelle situation clinique. On y retrouve une description de
symptômes et maladies mentales et physiques, de difficultés liées à des événements et des
situations de vie et de l’impact des difficultés vécues par un membre de la famille. Ces
thèmes sont des exemples où, malgré leur fréquence relativement importante à travers le
discours, ils ne sont pas très élaborés. Il s’agit plutôt de caractéristiques nommées dans la
description des situations qui viennent indiquer la présence de psychopathologies
(symptômes post-traumatiques, troubles d’anxiété et de l’humeur, consommation,
insomnie, etc.), de maladies physiques (incapacités physiques, douleur chronique, perte
d’un membre, brûlure, accident de travail, problèmes cardiaques, cancer, diabète,
hypertension, etc.), d’événements de vie difficiles (deuil, difficultés scolaires et
professionnelles, difficultés d’adaptation) ou de difficultés chez un proche
(psychopathologie chez un membre de la famille, violence, négligence ou délinquance dans
la famille). Dans le même registre où des difficultés sont nommées plutôt qu’expliquées, on
retrouve les situations urgentes qui sont des situations qui requièrent une intervention
prioritaire de la part du psychologue pour préserver la vie et la sécurité de la personne ou
d’un tiers, souvent en contexte de crise suicidaire. Ces situations sont rapportées plus
rarement que les autres types de problématiques.
Le thème des difficultés internes et liées à la personnalité a marqué le discours d’un
peu plus de la moitié des participants et il est davantage élaboré que les autres. Dans ce
thème, on retrouve des explications sous forme de compréhensions cliniques à propos des
liens entre la personnalité du patient et ses difficultés. Souvent, c’est une forme de rigidité
du patient qui est conçue comme étant problématique dans sa personnalité et à l’origine de
ses difficultés. La rigidité du patient est attribuée soit à des traits psychologiques
développés au fil du de la vie, à un attachement fort à des valeurs culturelles ou religieuses
qui influencent la vision de la personne ou à l’impact de la transition migratoire, l’une et
l’autre de ces conceptualisations pouvant coexister dans le discours. On retrouve aussi dans
ce thème des conceptualisations basées sur la difficulté du patient à exprimer ses émotions.
Cette difficulté est parfois attribuée à un déficit en lien avec une autre problématique
107
psychologique (ex. : trouble de somatisation, stress post-traumatique, trouble de
personnalité) ou avec des généralisations culturelles (ex. : cultures asiatiques qui
n’expriment pas d’émotions).
Le discours de la sous-catégorie des difficultés rencontrées dans les situations
habituelles montre comment le psychologue peut faire appel à ses conceptualisations
psychologiques habituelles pour ajouter des éléments de sens à la compréhension qu’il se
fait des difficultés du patient. On retrouve davantage d’élaboration dans le thème touchant
les difficultés internes et liées à la personnalité. Ici, le discours va plus loin qu’une
description nosographique, mais présente une compréhension « psychologisante » du mal
qui est à l’origine de la demande de consultation. Les éléments culturels ne sont pas
centraux dans ces thèmes, mais ils n’apparaissent pas non plus comme étant contradictoires
car des thématiques culturelles peuvent se greffer à ces difficultés personnelles. Les thèmes
discutés dans les sections suivantes présentent des conceptualisations où les phénomènes
culturels prennent une place plus centrale.
Difficultés et défis liés à la migration. L’ensemble des thèmes qui décrivent
différents aspects entourant la migration et l’adaptation culturelle subséquente constitue la
sous-catégorie des problématiques du patient la plus discutée et élaborée.
D’un côté plus descriptif, on y retrouve des motifs de la migration divers, tel que
fuir une situation dangereuse pour la vie, vouloir améliorer son statut socio-économique ou
donner de meilleures conditions de vie pour les enfants de sorte à favoriser leur réussite
sociale.
De plus, l’impact des facteurs de vulnérabilité comme le fait d’être une personne
réfugiée, immigrée de façon involontaire, nouvellement immigrée, âgée ou encore de sexe
féminin sont perçus comme autant de difficultés post-migratoires qui peuvent rendre
l’adaptation plus difficile.
En plus de reconnaître ces défis de la migration, certains soulignent aussi les
ressources personnelles des immigrants tels que le courage, l’espoir pour les enfants, la
force de résilience et « l’énergie transformatrice » (P05) dont ils font preuve au travers de
leur parcours. Tous ces éléments apparaissent dans le discours comme autant de facteurs de
108
vulnérabilité et de résilience liés à la situation pré-migratoire, à la transition migratoire en
elle-même ou à la post-migration qui teintent le vécu de la personne immigrante.
Au-delà de nommer des facteurs de vulnérabilité et de résilience caractéristiques des
différentes étapes de la migration, les participants discutent aussi des efforts et des types
d’adaptation à la société québécoise après la migration. Ces discours prennent
systématiquement pour point de départ une certaine nécessité pour l’immigrant de s’adapter
au contexte du nouveau pays :
P07 : Alors l'immigrant c'est sûr, c'est quelqu'un […] qui doit faire preuve de
réceptivité et de, faire des efforts pour connaître le nouveau milieu, et
comprendre les gens, pour pouvoir s'adapter. (P07, H, Qc, Can, Occas)
À l’instar de cet extrait, on retrouve globalement l’idée que l’immigrant doit
nécessairement s’adapter ou s’intégrer pour fonctionner dans la société québécoise. Parmi
les efforts d’adaptation nommés, les participants rapportent : parler en français, s’habituer à
l’hiver, aux routines locales et à un nouveau rapport au temps, apprendre de nouvelles
règles et le fonctionnement des services publics (système de santé, banques, épiceries, etc.),
habiter dans un type de logement différent, vivre dans une société où les rapports
conjugaux, familiaux et sociaux sont différents et où certaines valeurs comme l’importance
de la sécurité ne sont pas les mêmes ainsi que s’insérer dans un marché du travail différent.
Enjeux liés à l’adaptation culturelle. Certains discours sur l’adaptation culturelle
sont davantage centrés sur les défis et les difficultés associés à la transition migratoire et
présentent une vision unidirectionnelle d’un immigrant qui va vers une autre culture et s’y
adapte. Toutefois, d’autres nuances sur le thème de l’adaptation culturelle permettent de
distinguer différentes positions.
Ces nuances soulignent globalement qu’il n’est pas toujours souhaitable de
considérer seulement la perspective de l’adaptation de la personne migrante. Par exemple, il
est rapporté que certains immigrants ne savent pas au moment de consulter s’ils souhaitent
s’établir, repartir au pays d’origine ou déménager ailleurs.
109
P10 : […] et en plus, dans ce cas-ci, c'est quelqu'un qui n'a pas l'intention de
rester ici toute sa vie. Donc, en plus, elle n'est nécessairement du tout dans un
processus de venir s'acculturer et d'embrasser une autre culture. J'ai
l'impression, avec ce qu'elle me dit, d'ici cinq ans elle va continuer sa carrière
ailleurs. […] Peut-être qu'on se trompe, peut-être elle se trompe. Mais c'est pas
ça son objectif… (P10, H, Mts, Ext, Freq)
Cette perspective, qui tient en compte la réalité de l’immigration temporaire,
relativise l’idée que l’immigrant est nécessairement en processus d’adaptation. Ce
participant rappelle aussi que l’importance accordée en clinique au thème de l’adaptation
culturelle peut varier selon le projet de s’établir ou non au pays d’accueil.
D’autres nuances sur l’adaptation culturelle ressortent, notamment une certaine
vulnérabilité à l’assimilation ou au conformisme au groupe majoritaire dans le contexte des
relations avec la société :
P06 : […] souvent c'est lorsque le patient d'une autre culture essaye de se
conformer à la culture du milieu… il finit par jouer une comédie qu'il n'est pas,
qui qui qui n'est pas vrai… qui ne le représente pas… qui… qui ne l'aide pas
quoi. (P06, H, Mtl, Ext, Freq)
Selon certains, ce risque d’assimilation n’est pas seulement l’apanage de la société
plus large, mais il s’incarne aussi dans la rencontre clinique, où le psychologue peut lui-
même être dans une perspective assimilationniste :
P03 : C'est arrivé à quelques reprises aussi au [nom d’une clinique où le
participant a travaillé] on voit que des, des interventions étaient des fois hem,
très très teintées des valeurs québécoises puis négligeaient beaucoup la prise en
compte de ce que ça représente changer de mode d'éducation, de mode
d'apprentissage, quand on arrive avec une famille ailleurs. Euh.. ça se fait pas
du jour au lendemain juste parce qu'on, on dit comment ça se passe ici mais
c'est toute un long processus. Puis ça c'est, ben avec les autochtones, comme
des fois avec les immigrants, c'est pas, ce rythme-là que ça prend pour changer
ou s'adapter est pas toujours respecté on l'amène souvent par la force, […] puis
par des, des he comment je dirais? Une.. une attente irréaliste un peu
d'assimilation comme si he, la personne qui a vécu trente, quarante ans,
cinquante ans ailleurs pouvait devenir he complètement québécoise du jour au
lendemain. (P03, H, Qc, Can, Freq)
110
Cet extrait illustre comment ne pas considérer cet aspect temporel de l’adaptation
culturelle met l’immigrant ou l’autochtone à risque de se retrouver en position
d’assimilation culturelle dans le contexte de la rencontre clinique.
À l’inverse de la perspective assimilationniste des groupes minoritaires, un
participant exprime que les immigrants ont quelque chose à offrir à la société d’accueil :
P03 : […] Ben des choses que j'ai pu entendre par exemple de la part
d'Africains qui sont habitués de vivre très très soudés, très communautaires, qui
a une belle solidarité.. He, une incompréhension totale, le fait d'avoir salué
quelqu'un par exemple une journée, bon dans des cours, puis que le lendemain
cette personne-là les ignore complètement. He que le message un peu social qui
leur est constamment envoyé est « bien regarde t'as ce dont t'as besoin, rentre
chez toi, reste, reste dans ta bulle individuelle, arrête de toujours vouloir à
queque part être en relation avec … avec les autres. » Il y a cette, cette réalité-là
qui, qui nous est renvoyée face à nous-mêmes, société peut-être individualiste
puis qui euh.. […]. Donc ça peut amener de la part de l'autre une critique mais
aussi en entendant ça, bon moi de ma part ça peut m'amener à me dire, « ben
c'est vrai on est vraiment dans notre bulle, très individualistes, puis à queque
part on est peut-être en train de passer à côté de queque chose. On est peut-être
en train de se détourner de queque chose qui est important au plan, au plan des
relations humaines, puis cette personne-là qui a une vision autre nous propose,
nous offre .. » Donc ça crée un impact, ça crée un impact on peut dire sur ma
ma, on peut dire ma vision de moi-même tout comme la vision de l'autre. (P03,
H, Qc, Can, Freq)
Ce participant incarne dans sa propre identité un représentant de la société d’accueil
qui reconnaît et valorise le changement de sa propre perspective pour que la personne
considérée culturellement différente puisse réellement participer à la société et la
transformer à sa manière. On constate une réflexion approfondie sur l’enrichissement des
contacts interculturels, ce qui correspond à un exemple de discours caractéristique de
l’orientation d’acculturation d’intégration de transformation. Par ailleurs, cet
enrichissement est souvent nommé chez les participants, mais il est rarement aussi élaboré.
Besoins identitaires et d’appartenance sociale. Le thème des besoins identitaires et
d’appartenance sociale relativise lui-aussi une vision unidirectionnelle de l’adaptation
culturelle. Le discours sur ce thème est élaboré au sujet de personnes migrantes, d’enfants
de migrants ou des personnes métissées. Les participants s’identifiant eux-mêmes comme
111
immigrant(e)s ou homosexuel(le)s enrichissent souvent ces discours à partir de leur
expérience personnelle.
Le thème des besoins identitaires se décline en plusieurs nuances. Certains
participants conceptualisent que la migration ou l’expérience de la différence culturelle sont
des contextes pouvant générer une coupure dans l’identité de la personne, notamment dans
son sentiment de continuité ou de cohésion dans le temps (avant et après la migration) :
P19 : L'immigration tsé, c'est, y'a pas juste l'immigration qui fait ça mais, ça
occasionne, ça peut être le moment, y'a un potentiel de coupure entre le passé et
le présent, entre qui j'étais, qui je suis, euh, et ça, ça peut être traumatisant.
Comment aider la personne à se reconnaitre aujourd'hui, à travers les
changements, ça c'est sûr, y'a des changements, mais de pouvoir faire comme,
d'établir un fil continu, retrouver la cohésion […] (P19, F, Mtl, Can, Freq)
Le besoin de valoriser positivement l’identité personnelle et culturelle est aussi
nommé soit pour expliquer en quoi l’identité culturelle de la personne peut être mal perçue
par le groupe culturel majoritaire ou soit parce que les incompréhensions dans les rapports
interculturels sont un terreau propice pour que la personne en position de minorité s’estime
comme étant inférieure.
P04 : […] qu'est-ce qui arrive quand, imagine que t'es justement un autochtone,
qui qui arrive avec ce background, bon background de problèmes
psychosociaux importants graves, mais background, par exemple, de, de notion
du temps différentes de comment nous [les blancs] on fonctionne. Alors, quand
tu vas arriver pour aller travailler, tu vas te faire traiter de paresseux, de lâche
ou de pas fiable. (silence 2 secondes) Alors tu te sens, tu finis par te sentir pas
bon. Ton estime de toi descend. Alors, alors, en ce sens-là, des fois j'peux
essayer d'évoquer avec eux des différences culturelles, des. Pour leur faire
comprendre que nous [les blancs] on a une vision du monde différente.. c'qui
fait que, on peut avoir du mal à se comprendre, pis quand on a du mal à se
comprendre, ça peut faire en sorte qu'y en a un des deux qui va se trouver poche
ou qu'y va se sentir agressé. Alors dans ce sens-là j'peux aborder là des, des
différences culturelles. (P04, H, Qc, Can, Occas)
De façon similaire, P13 s’appuie à la fois sur son expérience de migration et son
expérience clinique pour expliquer comment les immigrants peuvent parfois interpréter à
tort qu’ils sont responsables des difficultés rencontrées dans l’adaptation et la socialisation
112
dans le pays d’accueil. En retour, porter ce blâme est propice à penser que quelque chose ne
fonctionne pas avec soi :
P13 : […] j'ai travaillé avec quelques personnes immigrantes comme... comme
moi, qui passaient par une situation difficile euh... de d'intégration, mais...
parfois elles ne le voyaient exactement pas de cette façon. Peut-être ils
croyaient qui avait... que c'était quelque chose qui était, qui fonctionnait pas
dans leur personne ou euh... […] Euh... un exemple, on se parlait la dernière
fois sur le, mon expérience personnelle des copines qui prenaient leur agenda
pour se prendre un café avec moi, vous vous rappelez? Et que moi je sentais
comme « Oh mon dieu, je suis aussi importante qu'un rendez-vous avez le
coiffeur! »
(Rires)
P13 : Et ça c'est un bon exemple parce que c'est quelque chose qui est souvent
vécu par des personnes immigrantes qui comprennent pas euh... les rapports
sociaux dans une nouvelle culture, par exemple. Et donc ils se disent justement
ça « Est-ce que y'a quelque chose qui est pas correct avec moi? Est-ce j'ai dit
quelque chose qui a peut-être troublé l'autre et c'est peut-être qu'il veut pas me
voir? » Non, c'est juste une culture qui n'est pas aussi, je sais pas aussi... aussi
physique pour démontrer les émotions ou euh... ou animée. Ou bruyante.
(Rires)
P13 : Et euh... et parfois, comme je vous dis, c'est vécu comme «Y'a quelque
chose dans moi qui va pas bien et qui est en train de provoquer un rejet ou un
intérêt plus froid de la part de l'autre personne » alors que ça a rien à voir avec
ça. (P13, F, Mtl, Ext, Occas)
Dans cet extrait, la participante arrive à tirer des généralisations à partir de sa propre
expérience migratoire pour tenter de comprendre certaines difficultés au niveau de la
valorisation de soi dans l’identité des personnes immigrantes qu’elle rencontre en clinique.
Enjeux liés à l’affirmation de sa différence. La reconnaissance du besoin de
valoriser positivement son identité est souvent lié à un discours qui valorise le fait que la
personne considérée culturellement différente demande à la société de tenir compte de ses
différences, voire critique les façons de faire de la majorité, même si cela peut déranger et
susciter des conflits :
113
P21 : […] oui y'a des affaires que tu as à accepter, mais peut-être, peut-être
qu'y'a un peu de critique qui peut être possible de faire aussi pis que certaines
interventions qui sont possibles aussi. Mais ça te demande toi de tolérer une
certaine réaction de l'autre qui sera pas content pis qui va être frustré. Mais c'est
pas parce que tu déranges que t'es obligé de dev…C'est pas parce que tu sens
que tu dérange que t'es obligé de déprimer. T'sais tu peux accepter d'être triste
pis tu peux, en même temps, accepter que ben l'autre est dérangé. Pis p't'être
que quand tu vas être assez dérangé, ben y va s'passer d'quoi (rires). Tout cas,
c'est… (P21, F, Mtl, Can, Occas)
S’affirmer, demander à l’extérieur de tenir compte de ses particularités, est articulé
dans les propos d’un participant avec la nécessité de s’adapter à l’environnement. Selon lui,
il est plus sain d’avoir conscience de ce mouvement plutôt que de s’adapter ou résister à
tout prix :
P10 : Euh… je considère que c'est à la fois pas souhaitable et inévitable. Une
personne, nous avons tous à nous adapter à une réalité complexe et tôt ou tard
et souvent, plus souvent que rarement, on a à s'adapter un peu, ou beaucoup, à
des réalités avec lesquelles nous sommes pas nécessairement d'emblée à l'aise.
Et donc il peut y avoir un effort, y'a un effort, il y a aussi une, ça peut être une
adaptation qui est pas tout à fait facile, paisible, spontanée. Mais l'objectif, je
pense, c'est à la fois d'être capable de s'adapter pis de résister, pis d'être
conscients de ce choix-là et de ce mouvement-là; d'être capable d'aller dans
l'adaptation en étant plus conscient. En étant conscients que nous sommes en
train à la fois de le faire, le plus possible parce que nous y trouvons notre
compte ou que nous sommes en train de nous adapter un peu malgré nous pis
d'être conscients de qu'est-ce que ça suscite dans un cas comme dans l'autre, ou
encore comment est-ce qu'on peut faire pour résister, pour s'opposer, pour
s'affirmer, pour négocier une adaptation aussi de la part de l'interlocuteur et de
l'environnement et qu'on a aussi cette possibilité-là. Donc, c'est à la fois pas
nécessairement toujours souhaitable, mais y'a une part d'inévitable. Le monde,
on pourra pas le rendre à chaque fois conforme et cohérent juste avec ce que
nous voulons et comment nous voulons, donc c'est la possibilité de mouvement
que je trouve un signe, un gage de santé. Juste résister, ça me parait qui en ait
pas. S'adapter à tout prix, ça me parait pas ça non plus. (P10, H, Mts, Ext, Freq)
Sa perspective articule les besoins de s’adapter et de s’affirmer de telle sorte qu’il
les place sur un continuum où l’une et l’autre de ces positions peut être préférable selon les
individus et les contextes. En ce sens, il présente une analyse contextualisée de ces thèmes.
114
Vulnérabilité à l’exclusion sociale. Le thème de la vulnérabilité à l’exclusion
sociale traite des rapports moins harmonieux et plus conflictuels entre les personnes
identifiées à des groupes minoritaires avec la majorité. On y retrouve d’abord l’idée que
l’immigrant peut être chez soi nulle part, tant au pays d’origine que dans la société
québécoise, ce qui témoigne d’une difficulté à se faire reconnaître comme appartenant à la
société dans laquelle il évolue :
P09 : […] J'ai aussi un autre genre de consultation, y'a des gens qui viennent me
voir par exemple j'ai des Français ça c'est souvent le cas, qui sont venus ici, pis
a un moment donné y deviennent un peu étranger pis y m'disent « j'ai pu d'chez
moi, j'retourne en France on me dit ''t'as un accent québécois'' » j'pense à un
monsieur « pis j'viens ici pis on me dit ''maudit français'' » alors ce sentiment
d'être chez soi nulle part, qui évoque parfois euh un travail assez unique à la
question interculturelle euh, le sentiment d'être nulle part chez soi vraiment euh
une grande solitude euh.. une difficulté à à à avoir un sentiment d'appartenance
parce que y me disent que « chu chez moi en plein milieu de l'atlantique dans
l'avion cinq minutes » ... (P09, F, Qc, Can, Freq)
Dans l’exemple précédent, il apparaît que le sentiment d’être chez soi nulle part
n’est pas seulement une expérience intime de soi à soi, mais qu’il se construit aussi dans
des dynamiques plus ou moins subtiles d’exclusion sociale où la personne ne trouve pas
confirmation de son identité.
Le thème de la discrimination apparaît comme une forme plus rejetante de
l’exclusion sociale. Ici, les participants font plus souvent référence à des situations
personnelles notamment chez les participants ayant immigré au Québec et chez ceux qui
ont rapporté spontanément dans l’entrevue qu’ils se définissent comme étant gay ou
lesbienne. Pour les participants, la discrimination touche une diversité de groupes
identifiables de personnes : les noirs, les autochtones, les musulmans, les juifs, les
immigrants, les non-francophones, les français, les homosexuels, etc. Les passages sur ce
thème montrent globalement que la discrimination est très difficile à identifier, tant pour la
personne potentiellement discriminée que pour le psychologue qui en écoute le récit. Une
participante née dans un pays d’Amérique Latine témoigne de l’ambivalence qu’elle a à
considérer qu’elle pourrait avoir vécu de la discrimination :
115
P13 : […] La question « si j'ai... déjà vécu des situations de discrimination
depuis mon immigration à Montréal » est une question qui m'est demandée
souvent. Et... c'est particulier parce que j'ai jamais eu une expérience de
discrimination. Au moins consciemment, que je sache (rire). (P13, F, Mtl, Ext,
Occas)
Dans la seconde partie de l’extrait, la participante exprime des doutes à l’égard de sa
perception de non-discrimination, d’abord lorsqu’elle porte un jugement évaluatif sur son
expérience en disant que « c’est particulier » de ne pas en avoir vécu, puis lorsqu’elle
précise que sa perception se base sur ce qu’elle sait consciemment. D’autres situations
ajoutent à la complexité de saisir l’expérience de discrimination. Par exemple, un
participant d’Amérique Latine a rencontré des difficultés à intégrer un emploi comme
psychologue au Québec en raison de la langue et il rapporte aussi avoir vécu une situation
dans un emploi en usine où il a ressenti le besoin d’assurer sa sécurité physique. Toutefois,
ce participant ne pense pas qu’il a été discriminé et il trouve que « […] la victimisation
c'est comme une mauvaise énergie. […] » (P05, H, Mtl, Ext, Freq). Comme s’il y avait un
impact psychologique négatif lié au fait de reconnaître de la discrimination dans son
expérience personnelle. À ce sujet, une participante parle de la difficulté d’aborder le
racisme en séance :
P19 : […] C’est ça, avec [nom d'un client 2] comme avec [nom d'un client 1],
euh, pis avec un autre client Haïtien, [nom d'un client 3], ça j'étais, des fois c'est
à mots couverts. Jamais ces personnes-là m’ont parlées d'elles-mêmes du fait
qu'ils vivaient du racisme. Toujours plus à mots couverts, de façon he.. par des,
des, des exemples, mais où on dit pas han que on est en présence de, de,
personnes qui peuvent avoir des propos, ça reste…On dirait qu'à chaque fois,
y'a quelque chose où y vont devenir un peu flou. Pis ça j'ai remarqué vraiment
chez les trois personnes.
T19 : Ah. Pis ça, vous parlez que ça devient flou.
116
P19 : Oui, ça devient flou. Moi, c'que j'pouvais sentir à ce moment-là, de façon
empathique, c'était que, « ha! y me parlent de quelque chose, y se sentent
menacés, ça devient flou, y se sentent menacés même d'en parler. Soit y'a d'la
honte », bon les différentes hypothèses que j'pouvais avoir, « soit qu'y'a d'la
honte, soit y'a une peur que moi je ne vais pas comprendre parce que j'suis
blanche, parce que j'fais partie du groupe majoritaire ou dominant », bon tout
dépendant là, et euh j'me souviens très, très, très euh clairement comment avec
[nom d'un client 2], avec [nom d'un client 1] c'est plus loin, mais avec [nom
d'un client 2], j'me souviens très clairement d'avoir comme délicatement abordé
la question avec elle en lui disant ben « j'remarque que tes propos deviennent
un peu moins clairs ou, est-ce que j'me trompe. » Pis là de voir, bon, un p'tit
sourire, une p'tite gêne, pis là de voir bon d'aller un peu plus loin pis de dire,
« ben c'que j'remarque c'est comment t'as pu sentir dans la situation que tu
décris, vraiment, un malaise, pis de te poser toutes sortes de questions sur
pourquoi cette personne-là agit de telle façon avec moi, pis là, de fil en aiguille,
tsé de voir, ça se peut tu que t'ai pensé que cette personne-là était raciste? Pis
est-ce que ça se peut? » Pis, alors vraiment d'y aller avec délicatesse pis de pas
vouloir imposer comme mon hypothèse, mais au moins d'aller vérifier. (P19, F,
Mtl, Can, Freq)
Cette participante a pu utiliser des indices non-verbaux des patients (« ça devient
flou ») pour générer différentes hypothèses (« y se sentent menacés même d’en parler »,
« soit y’a d’la honte » ou « une peur que moi je ne vais pas comprendre parce que j'suis
blanche, parce que j'fais partie du groupe majoritaire ou dominant ») qui légitime pour elle
de poser une question spécifique (« ça se peut tu que t'ai pensé que cette personne-là était
raciste? »). Elle rapporte par ailleurs qu’avoir soulevé cette question avec délicatesse a
amené les patients dont elle parle à s’ouvrir sur ce sujet et certains ont même témoigné
qu’ils l’avaient sentie sensible au racisme. La sensibilité au racisme est doublement inscrite
dans l’histoire personnelle de P19, qui a été marquée enfant en étant témoin d’une situation
de discrimination raciale aux États-Unis et qui a elle-même vécu la peur du rejet en raison
de son orientation sexuelle.
Il est aussi rapporté que la discrimination n’est pas seulement le résultat d’une
influence néfaste du groupe majoritaire sur les groupes minoritaires, mais qu’elle se trouve
un peu partout : « P10 : […] le racisme, la discrimination, la xénophobie existent des deux
côtés. Euh… donc ça, j'ai toujours été sensible à ça. » (P10, H, Mts, Ext, Freq). Ce
participant faisait référence à son vécu comme immigrant, où il a pu observer de la
117
discrimination tant parmi des membres de communautés culturelles que parmi des
représentants du groupe majoritaire.
À quelques occasions, différentes formes de discriminations sont aussi rapportées en
lien avec la profession de la psychologie soit chez des collègues ou dans l’institution. Les
discours à ce sujet sont peu abondants, mais ces témoignages sont autant d’informations
pertinentes pour comprendre ce phénomène dans la profession. Parmi les situations
rapportées, certaines sont susceptibles de porter un préjudice direct aux clients. À ce sujet,
une participante rapporte connaître des personnes qui ne veulent pas travailler avec des
noirs, sans spécifier la profession de ces personnes ni dans quel type de relations
professionnelles elles expriment cette réticence. Un autre participant, alors qu’il était en
position de superviseur, rapporte une situation où sa stagiaire a exprimé un propos qui nie
les différences de couleur de peau, à la suite de quoi il a posé une intervention pour corriger
la situation. Un autre participant, de religion juive, rapporte aussi avoir entendu des propos
racistes à l’encontre des juifs dans réunion d’une association québécoise de
psychologie. Bien que ces situations dans la profession soient rapportées comme étant
exceptionnelles, elles soulignent que les psychologues ne sont pas immunisés contre leurs
propres préjugés. Ces préjugés peuvent s’exprimer par un refus de travailler avec certaines
personnes sur la base d’une caractéristique visible, par de la discrimination systémique, par
des propos portant préjudice à un groupe identifiable ou par des conflits interpersonnels.
Les discours dans les thèmes des enjeux liés à l’adaptation culturelle, des besoins
identitaires et d’appartenance sociale, des enjeux liés à l’affirmation de sa différence et de
la vulnérabilité à l’exclusion sociale sont autant de témoignages sur comment les contacts
acculturatifs entre les patients considérés culturellement différents, les psychologues de
l’étude et la société plus large. Globalement, on retrouve tout autant d’exemples
d’intégration, d’assimilation, d’exclusion que de marginalisation avec les rapports plus ou
moins harmonieux ou conflictuels que ces orientations d’acculturation supposent. De plus,
on constate comment ces rapports acculturatifs peuvent potentiellement se jouer dans le
rôle du psychologue, qui peut valoriser l’intégration pleine et entière avec ce que cela
comporte d’affirmation de la différence, qui peut être à risque de forcer l’assimilation sans
le vouloir ou qui peut être associé par le patient aux personnes qui ont perpétré de
l’exclusion. Si aucune personne interrogée ne prend position pour dire qu’elle préfère
118
l’exclusion ou la marginalisation dans les contacts avec des personnes de minorités
culturelles, certaines informations indirectes laissent supposer ces orientations
d’acculturation défavorables à l’intégration de la diversité culturelle pourraient exister chez
des psychologues qui choisissent justement de ne pas travailler auprès de certaines
personnes en raison de caractéristiques visibles et qui ne sont donc pas caractéristiques des
personnes interrogées dans la présente étude.
Enjeux familiaux et conjugaux interculturels. Même si l’impact des difficultés
personnelles d’un membre de la famille a déjà été discuté dans la sous-catégorie des
problématiques rencontrées habituellement, d’autres enjeux familiaux et conjugaux sont
discutés, notamment sous un angle interculturel. Sont alors discutés les enjeux plus
systémiques en lien avec soit la migration et l’adaptation culturelle qui en découle ou plus
largement les différences culturelles dans la famille, et ce selon le point de vue des parents
et des enfants (souvent devenus adultes). Les participants qui discutent de ces thèmes
illustrent des réactions de chacun des membres à l’adaptation dans la société québécoise,
soit en tant qu’individus ou en tant que système, ou de difficultés se déroulant au sein de la
cellule familiale et conjugale. C’est un discours qui comporte des similarités avec celui
portant sur les enjeux individuels liés à l’adaptation culturelle, mais ici l’individu migrant
ou enfant de migrant est considéré plus largement dans sa famille.
Du côté des difficultés, on retrouve l’idée que les enfants peuvent subir des
pressions parentales soit en raison des normes culturelles issues de la famille d’origine, des
éléments de précarité (pauvreté, absence ou décès d’un parent, difficultés avec la langue
chez les parents) ou de la volonté des parents que leurs enfants réussissent. Ces pressions
sont perçues comment ayant un impact sur différents domaines de la vie des enfants de
migrants : La réussite scolaire et professionnelle, les choix conjugaux (appartenance
religieuse du conjoint, mariage), les choix de de carrière, l’obligation de s’occuper des
parents ou celle d’assumer jeune des responsabilités associées à l’âge adulte. Dans le même
registre, un participant explique que la différence dans l’organisation de la vie entre la
famille et la société d’accueil est susceptible d’affecter l’ordre dans la famille. Pour lui, le
contexte post-migratoire met le couple à risque d’éprouver des difficultés (problèmes de
119
communication, difficultés sexuelles, séparations) et les enfants à risque d’être exposés à la
consommation d’alcool et de drogues. Il voit dans ces difficultés potentielles la nécessité
pour les parents de maintenir l’organisation familiale en exerçant un certain contrôle.
D’autres enjeux familiaux sont abordés sous l’angle des difficultés. Notamment, on
retrouve des situations fortes qui amènent des situations qui causent des ruptures et
distanciations dans les liens familiaux. Dans certains cas discutés, il apparaît clairement que
l’origine du problème pour lequel le patient consulte découle d’un impact négatif de
l’entourage. Par exemple :
P17 : J'en ai eu d'autres cas aussi où le père était un pédophile, mais que dans la
culture de la famille, c'est admis que le père peut baiser ses filles. Faque, dans
l'intervention là, qu'est-ce qu'on fait là? Est-ce qu'on va appeler – est majeure,
faque tu peux pas appeler la DPJ – euh, tu peux pas convoquer la madame parce
la madame va dire « moi, c'est mon mari qui mène la famille ». Euh, pi c'est
culturel là, dans ces familles-là, qu'est-ce qu'on fait ? Ben, moi, je reviens à mes
priorités de base, pi je reviens à fixer des objectifs de base. Qu'est-ce qu'on peut
faire ? OK ? Pi là, on va demander aux gens : « jusqu'où vous voulez aller ?
Est-ce que vous voulez notre aide pour que, par exemple, on va appeler les
policiers ? » Mais, si, par exemple, on dit ça pi que la personne dit « écoutez, on
va faire plus de tort ». Vous allez me dire « comment est-ce que moi je vais
gérer ça ? ». (P17, F, Mtl, Can, Freq)
Dans cet extrait, la participante situe l’origine des comportements pédophiliques du
père dans la culture familiale, qui dans ce cas aurait un effet limitant sur le pouvoir d’agir
de la psychologue : alors qu’elle ne dispose plus de la DPJ comme ressource pour
intervenir dans la famille, elle ne voit pas non-plus comment la mère pourrait la soutenir
dans son intervention pour protéger la fille dans son milieu de vie. Ici, les éléments sur
lesquels elle se base pour juger que la situation est « culturelle » ne sont pas présentés, il
devient donc difficile d’en discuter plus en profondeur. La question de l’abus sexuel est
aussi considérée comme étant liée à des phénomènes culturels pour un autre participant, qui
évoque notamment que le père d’une patiente ne pouvait pas être mis au courant de l’abus
sexuel qu’elle a vécu, car selon lui il y a une obligation culturelle pour la famille de
préserver la dignité du père. De façon analogue, un participant rapporte aussi qu’un patient
ne veut pas parler à son entourage des violences physiques et sexuelles vécues lorsqu’il a
été enfant soldat « parce que dans sa communauté c'est mal vu. » (P07, H, Qc, Can, Occas).
120
Dans les situations où l’entourage a un impact négatif sur le patient, la prise de
distance d’avec le milieu familial est parfois la solution choisie, notamment pour fuir un
mariage forcé par les parents ou une situation de violence familiale et conjugale. Une
participante rapporte aussi chez certains un « besoin de mettre une grande distance pour
pouvoir exister, pour pouvoir se définir » (P02), ce qui réfère davantage à un volet du
développement identitaire de la personne. Les ruptures familiales et sociales surgissent
aussi parfois en lien avec des conflits ethniques issus d’événements historiques.
Notamment, les situations génocidaires, comme le génocide au Rwanda, a été rapporté
comme un type de situation propice aux ruptures familiales et aux conflits conjugaux
lorsque les groupes ethniques historiquement rivaux sont représentés dans une même
famille. En contexte canadien, les rapports entre francophones et anglophones sont
rapportés comme étant des prétextes à des tensions historiques. Entre autres, une
participante est très touchée lorsqu’elle raconte comment, dans son histoire familiale, les
tensions entre francophones et anglophones a été à la base de séparations familiales
difficiles. Plus près du contexte québécois, les pensionnats autochtones ont aussi été
nommés comme ayant suscité des ruptures familiales chez des patients issus de
communautés autochtones. Les participants qui ont eu des expériences de thérapies
conjugales interculturelles, rapportent aussi que les différences culturelles entre les
partenaires du couple étaient souvent à la base de ce qui les a attirés l’un envers l’autre,
mais que ces différences sont devenues source d’incompréhensions et de conflits au
moment de consulter.
Enfin, on retrouve de façon minoritaire la possibilité que certaines situations
interculturelles aient des impacts intergénérationnels. Une participante dit qu’une partie des
consultations qu’elle considère interculturelles est constituée des enfants de migrants, de
deuxième ou troisième génération, pour qui un événement de vie va réactiver des questions
d’ordre culturel dans la consultation :
P09 : […] Euh pis parfois j'ai des gens qui viennent parce qu'ils ont par
exemple un événement dans leur vie x, y, z par exemple ils ont pas eu euhm un
emploi désiré ou une promotion tout ça et qu'à l'occasion d'un événement x , y,
z se trouve réactivé la question he interculturelle, ça peut être sur une
génération deux générations. […] donc parfois c'est intéressant sur l'aspect
intergénérationnel […]. (P09, F, Qc, Can, Freq)
121
Le discours sur les enjeux familiaux et conjugaux amène aussi une reconnaissance
des différences intergénérationnelles et liées au genre dans le type de difficultés vécues
chez les clientèles considérées culturellement différentes.
Le cas de figure typique qui est discuté dans la catégorie des enjeux familiaux est
celui de la deuxième génération, c’est-à-dire les enfants (devenus adolescents ou adultes)
de parents migrants qui sont soit nés au Québec ou arrivés en bas âge. Les discours sur la
deuxième génération présentent souvent une attribution d’une une identité culturelle
davantage québécoise chez les enfants par rapport aux parents, comme dans ces exemples :
P08 : […] pour le Serbe, sa famille he, les parents… Les parents sont plus,
restent plus dans le giron de leur culture Serbe. […] Le fils, moi j'ai le fils, est
davantage… et dans, chevauche davantage les deux. Et son univers est plus, le
lien, est davantage dans la culture québécoise. (P08, H, Qc, Can, Freq)
P11 : […] elle est arrivée très jeune au Québec, fak elle était très québécoise
aussi comme mentalité. C'était comme une deuxième génération parce que
j'veux dire, ben… elle était quand même née, j'pense qu'elle s'était réfugiée en
Thaïlande, elle était née dans un camp, pis elle a passé j'sais pas combien de
temps fait que, elle est arrivée très jeune. Fak en même temps elle était très…
très Québécoise. Euh… mais ses parents étaient très (rire) Cambodgiens. Fak ils
sont entre les deux. J'ai eu beaucoup de jeunes aussi qui sont entre les deux.
(P11, F, Mtl, Can, Freq)
Dans ces situations d’intervention interculturelles, bien que les participants se
représentent leur client comme étant très québécois, cela n’exclut pas qu’ils peuvent
percevoir des différences culturelles entre eux-mêmes et leur client. Dans les thèmes des
différences culturelles entre la famille et la société et des pressions familiales, les enfants de
migrants sont souvent décrits comme étant « pris » à transiger entre un fonctionnement
familial différent des normes de la société québécoise, ce qui peut susciter des conflits
internes. Les expressions comme « chevaucher les deux cultures » ou être « pris en
sandwich » entre les deux cultures expriment l’aspect divisé et parfois conflictuel associé à
la deuxième génération. Il est aussi rapporté que les membres de la famille, souvent les
enfants mais parfois l’un des conjoints, qui maîtrisent une des langues officielles auraient
davantage de liens avec la société québécoise et se débrouilleraient mieux auprès des
institutions. Ce faisant, ceux qui maîtrisent la langue peuvent se retrouver à porter des
122
responsabilités supplémentaires pour que la famille puisse transiger avec les institutions
sociales :
P12 : C'est toujours lui han, depuis qu'y est tout petit, avec ses deux plus
grandes sœurs qui a fait le lien avec l'école, parce que ses parents maitrisent pas
la langue. Son père parlait un peu anglais mais sa mère pas du tout. Fak toutes
les difficultés, les inquiétudes que c'te jeune là portait tsé associées à sa culture
d'origine familiale, parce que lui y'est né au Québec. (P12, F, Mtl, Can, Freq)
Ainsi, les membres de la famille les plus « adaptés » à la société québécoise
seraient, selon les participants, aussi ceux qui auraient plus de pressions, à la fois pour que
la famille puisse fonctionner au sein de la société mais aussi pour transiger entre deux
modes de fonctionnement différents.
La différenciation des genres dans les dynamiques conjugales et familiales suscite
aussi parfois des discours qui dépeignent un père de famille autoritaire attaché aux valeurs
de la culture d’origine et d’une femme qui souhaite embrasser un mode de vie plus
québécois, au risque parfois du couple :
P16 : T'sais, je suis une famille en couple, pis euh, les femmes musulmanes y'a
a quelques-unes ici, j'vais parler en Québécois, qui se lâchent lousse. Pis
« envoye par-là »! T'sais, y'en a quelques-unes qui font des expérimentations
sexuelles, fait qu'imagines-toi quand le mari apprend ça, t'as-tu idées là? Y veut
la tuer. Pis là, j'm'en rappelle, j'avais vu le monsieur, j'te raconterais pas, en
thérapie de couple, « c'est moi le boss, pis nous autre dans notre culture, dans
notre religion, j'divorce, c'est pas elle qui peut me divorcer, moi je peux, c'est
moi qui a le pouvoir. » [...] l'autorité suprême absolue du père. Moi non plus
j'peux pas nier une valeur très très profonde qu'on a tous comme Québécois,
c'est une l'égalité des rapports homme-femme. (P16, H, Mtl, Can, Occas)
Ce participant montre le choc culturel qu’il éprouve lorsqu’il travaille avec des
familles où l’autorité du père paraît grande, car cela va à l’encore d’une norme sociale
basée sur l’égalité femmes-hommes dans la famille.
Ce que les enjeux familiaux et conjugaux mettent en évidence, c’est comment la
réalité individuelle est enrichie par une perspective systémique qui tient compte des
systèmes conjugaux et familiaux qui se rattachent à l’individu. Les rapports
intergénérationnels et liés au genre au sein de la famille semblent définir pour les
123
participants des différences sur comment chaque membre vivra son lien avec la société
québécoise.
Les situations extrêmes vécues à l’étranger. Un ensemble de situations se
démarquait des autres en raison du caractère extrême de l’expérience vécue par le patient. Il
s’agit de situations extrêmes vécues dans un contexte étranger au psychologue. Il s’agit
d’ailleurs des types de consultation où les psychologues rapportent une plus grande
déstabilisation.
Presque tous ont référé plus ou moins explicitement à des expériences
traumatisantes vécues par leur clientèle en ISI et un peu plus de la moitié des psychologues
interrogés a abordé ce thème plus en profondeur en relatant les détails d’un événement
donné. Certains donnent à penser qu’il s’agirait de situations souvent rencontrées dans le
travail clinique interculturel :
P03 : [...] He mais c'est plus les situations extrêmes de … au niveau du stress
posttraumatique. Plus des situations où une personne d'ailleurs a vécu des
expériences he .. ff presque inimaginables d'ici euh.. par rapport à ce qui peut
s'être produit dans son contexte culturel. [...] Puis ça il y en a eu plusieurs là,
des des, des récits comme ça. [...]. (P03, H, Qc, Can, Freq)
Quelques-uns ont évoqué que les « détails » de ces événements mettent à risque
d’identifier les personnes concernées et ont d’abord voulu s’assurer que ces informations ne
sortiraient pas de la recherche avant de les aborder en entrevue. Cette précaution n’était pas
présente dans les discours sur d’autres thèmes. De plus, j’ai éprouvé une certaine lourdeur
en relisant le détail de ces situations dans le but d’écrire la présente synthèse, ce qui met en
évidence un net contraste dans la tonalité affective de ce thème par rapport aux autres. C’est
donc dans une triple contrainte que le discours au sujet des événements traumatisants a pu
se produire dans la présente recherche, à savoir la nécessité de parler de ces situations pour
tenter d’en tirer des connaissances, la difficulté d’écouter ces situations, tant pour les
psychologues au moment où ils ont entendu ces histoires que pour moi dans la relecture de
celles-ci, et la menace réelle de porter atteinte à la confidentialité des victimes. J’ai donc
124
pris la décision de tracer un portrait général des situations rapportées, plutôt que de
rapporter situations en tant que telles.
De nombreux conflits géopolitiques ou ethniques ont été rapportés ou sous-entendus
dans les propos des participants : la guerre au Vietnam, la guerre au Liban, le conflit armé
qui a sévi en Colombie, les camps Khmers Rouges au Cambodge, le génocide au Rwanda
suite auquel il y a eu des guerres au Congo, les conflits en Europe de l’Est, notamment en
ex-Yougoslavie, la guerre civile en Algérie et les pensionnats autochtones au Québec qui
ont perdurés jusqu’à la fin du XXième siècle. Des problèmes politiques au Mexique sans plus
de précisions ont aussi été évoqués dans un cas.
La simple énumération de ces conflits auxquels les participants ont été mis en
contact à travers le récit de leurs patients met en lumière le caractère éminemment collectif
de ces traumatismes. Un participant qui a travaillé de façon prolongée auprès des
communautés autochtones en est venue à développer une perspective collective des
traumatismes vécus à la suite de la politique canadienne d’assimilation et de
l’évangélisation des autochtones :
P04 : […] en plus de leur traumatisme et choc individuel, être abusé par
exemple, pis y ont pas toutes été abusés mais la plupart ont au moins été
témoin. He.. Et et la plupart ont au moins été abusés psychologiquement là.
Mais donc y'a cette, cette notion d'avoir été comme peuple han, pris, on
t'interdit de parler ta langue, alors ça c'est plus qu'une blessure individuelle, et
on te dit que toutes tes parents, tes grands-parents là, ça y'étaient toutes dans le
pêché. Alors, ça c'est plus qu'une blessure individuelle, c'est une blessure à la
culture. Alors, c'est toujours présent en arrière-fond, ça en tout cas pour
moi. […] les individus que je rencontre ont vécu des traumatismes mais, le
peuple autochtone a vécu un traumatisme. (P04, H, Qc, Can, Occas)
En lien avec les conflits politiques nommés, les situations traumatisantes rapportées
sont diverses : actes d’humiliation, violence physique, psychologique et sexuelle, viols
collectifs, détention dans des camps de réfugiés, enlèvements, torture, menaces de mort
envers soi ou un proche, assassinats de proches auxquels la personne a été témoin,
enrôlement comme enfant soldat qui a été obligé de tuer pour assurer sa propre survie ou
participation comme militaire dans un conflit armé. Parfois, ce ne sont pas tant des
125
événements traumatisants qui sont abordés plutôt que les conditions de vie difficiles en lien
avec ces situations politiques, telles que des contextes de guerre, de terreur ou de famine.
Certains éléments apparaissent comme étant marquants dans ces traumatismes,
notamment la prise de conscience des intentions destructrices de la personne qui a posé les
gestes traumatisants, le fait d’être réduit au silence par son bourreau et, conséquemment, la
perte de confiance en l’humain :
P03 : […] c'est toute la complexité des situations de torture par ce que y'a
délibérément une personne qui pose des gestes sur une autre dans le but de la
détruire psychologiquement pour plus qu'elle parle. (P03, H, Qc, Can, Freq)
P14 : […] Elle a été confrontée au pire, tsé, c'est comme dans les camps de
concentration, être confronté à quelqu'un qui veut que vous creviez, que vous
êtes un déchet, que vous êtes pas un être humain. (P14, F, Qc, Ext, Occas)
Par ailleurs, il est aussi rapporté que l’expérience de la migration dans ces contextes
peut d’autant plus être vécue comme une rupture entre le passé et le présent. L’atteinte au
tissu familial apparaît évidente aussi dans certaines histoires. Des séparations familiales
sont rapportées soit en raison du meurtre de proches, de l’impossibilité pour toute la famille
d’immigrer ensemble, de la dispersion de la famille qui a fui rapidement une situation
dangereuse ou conséquemment à des actions de dirigeants politiques comme dans le cas des
pensionnats autochtones ou des camps de réfugiés. Il arrive aussi que des personnes
retrouvent des proches qu’elles pensaient morts des années après avoir immigré.
En plus des difficultés psychologiques pouvant découler du fait d’avoir été victime
d’un conflit politique ou socio-historique donné, certains observent une répétition des
dynamiques de pouvoir propres à ces conflits. Un rapporte que les tensions entre Tutsis et
Hutus perdurent même dans les rapports en contexte québécois :
P07 : C'est qu'ici, les Hutus et les Tutsis y s'aiment pas, pis y se fréquentent pas
pis eehh.. Eehh, bon. […] eeh, c'est que on voit à un moment donné, on, y vont
nous dire, on est des Occidentaux, on leur parle du, du, de la guerre les Tutsis
pis les Hutus pis là [ils disent] « regarde, il n'a plus, he toute ça c'est oublié
c'est fini. » Ils vont nous dire ça à nous, mais entre-eux, y faut pas oublier. Y
faut pas oublier. (P07, H, Qc, Can, Occas)
126
L’affirmation voulant que les Tutsis et les Hutus ne s’aiment pas est relativisée par
les propos d’une autre participante, ce qui invite à une prudence quant à la généralisation.
En effet, celle-ci a rapporté un conflit conjugal où l’un des partenaires s’identifiait aux
Tutsis et l’autre aux Hutus, mais le sujet du conflit n’était pas l’identification à un groupe
ethnique donné, mais plutôt un ensemble d’incompréhensions qui sont survenus dans le
contexte du génocide au Rwanda et de leur fuite. Un autre élément qui vient appuyer
l’hypothèse d’une répétition des rapports de pouvoir à la suite de conflits historiques est
expliqué par un participant qui conceptualise certains comportements abusifs retrouvés
parmi les patients autochtones comme découlant du fait d’avoir été soi-même abusé :
P04 : […] quand on travaille en interculturel avec les autochtones, y'a y'a un
concept très très important, qui est l'oppresseur internalisé, internalised
oppressor. Alors hem, donc j'fais beaucoup d'éducation là-dessus, sur ce
phénomène-là, où l'abuseur se retrouve à l'intérieur de lui, pis y devient abusif,
y peut être abusif avec d'autres, mais y va être surtout abusif envers lui-même.
(P04, H, Qc, Can, Occas)
Plusieurs autres événements traumatisants ont été rapportés sans être en lien avec
des conflits politiques et socio-historiques. Dans ces situations, c’était davantage la famille
qui était mise en cause, notamment dans les cas d’abus sexuels, de violence familiale et
de séquestration. Même si cela a pu se produire dans le pays d’origine (comme au Québec),
le traumatisme était attribué à autres choses qu’aux conflits géopolitiques. Souvent c’était
plutôt la famille qui était pointé du doigt et parfois les mauvais traitements étaient attribués
à une « culture » dans les pratiques parentales pouvant être retrouvées dans un pays donné à
une époque donnée. D’autres situations ont aussi été rapportées en contexte québécois,
notamment des cas d’abus sexuels par un parent ou en dehors de la famille, de séquestration
d’un enfant, d’excision, de violence conjugale, d’expériences de racisme, d’intimidation au
travail, d’actes violents perpétrés par un inconnu et de menaces par des membres de
réseaux criminels.
Il est fréquent d’entendre les participants parler du caractère « impensable » des
situations extrêmes, notamment lorsqu’elles impliquent une certaine violence physique,
psychologique ou symbolique (i.e. : propos haineux envers un groupe identifiable). Cela
127
montre en quoi les situations extrêmes peuvent poser une limite à l’empathie, notamment
lorsqu’elles se produisent dans des contextes étrangers à ce que le psychologue connaît.
4.3.2.2. Pratique professionnelle.Les thèmes retrouvés dans la catégorie de la
pratique professionnelle décrivent les interventions des psychologues qui se déclinent selon
de nombreuses variations entre des interventions habituelles et des interventions adaptées
aux spécificités de l’ISI. Ce ne sont pas les participants eux-mêmes qui ont identifié si telle
intervention est davantage habituelle ou liée au caractère interculturel perçu d’une situation
de consultation. C’est plutôt au fil du travail de thématisation que des classements ont pu
s’opérer pour définir ces variations.
Les interventions habituelles mobilisées en ISI Lorsque je questionnais de façon
théorique les rôles du psychologue en ISI avant d’avoir exploré les expériences vécues, les
participants expliquaient souvent qu’ils n’avaient que leur rôle de psychologue, et que
celui-ci ne changeait pas, que l’on soit en situation interculturelle ou pas :
T05 : Ok. Puis, dans votre travail de psychologue, est-ce qu'il y'a des choses qui
changent quand vous êtes en situation interculturelle par rapport à quand que
vous voyez pas de différence culturelle? [...]
P05 : Non. La souffrance c'est la même. (P05, H, Mtl, Ext, Freq)
P09 : [...] J'sortirais pas d'mon rôle de psychologue, jamais. (P09, F, Qc, Can,
Freq)
Cette position reflète comment les interventions habituelles des psychologues
interrogées leur apparaissait pertinentes et applicables en situation interculturelle. Celles-ci
seront brièvement décrites pour donner un coup d’œil sur les représentations habituelles de
leur rôle.
Le début et la poursuite du processus thérapeutique apparaissent comme
particulièrement associées aux rôles d’accueil, de témoin, de contenant à la souffrance, de
réceptacle ou d’interlocuteur et le psychologue dans ces rôles tente d’être respectueux,
attentif, intéressé, curieux, ouvert, humble et patient… envers le patient! Ces rôles
témoignent de la posture réceptive du psychologue et de ses efforts pour mettre en
128
confiance son interlocuteur afin de favoriser sa confidence en psychothérapie. Il est plus
rarement spécifié qu’il ne faut pas seulement écouter l’autre, mais faire en sorte qu’il ait le
sentiment d’être compris. En ce sens, écouter, comprendre l’autre et être empathique ne
sont pas seulement conçus comme des moyens visant à favoriser une posture réceptive,
mais se trouvent plutôt conçus comme des processus dialectiques ou communicationnels
impliquant activement la subjectivité du patient. La relation thérapeutique est un élément
central et omniprésent dans le discours et les pratiques rapportées par les psychologues.
P08 : (Silence de 8 secondes) La clé de base de la thérapie c'est la relation, la
qualité de la relation. Les moyens, c'est secondaire mais c'est en même temps
vraiment des alliés importants, que ce soit la prise de décisions, que ce soit la
résolution de problèmes… mais la clé de base c'est la relation. (P08, H, Qc,
Can, Freq)
De façon générale, le rapport à l’Autre dans le travail des psychologues interrogés
paraît empreint de curiosité envers l’humain. Les participants qui parlent de leur curiosité la
décrivent tour à tour dans leurs expériences de vie et professionnelles où la rencontre de
l’autre s’avère être une aventure positive. Deux psychologues, parmi les plus jeunes
interrogés, témoignent aussi des liens entre la curiosité et le développement dans la
profession de la psychologie :
P15 : […] C’est plus une… une écoute pis une curiosité que j'ai euh… que j'ai
mis en pratique avec le temps que… une connaissance ou une habileté, tsé.
C'est plus une… ç'pour ça que c'est dur à décricre. C'est pas, j'ai pas appris des
choses… j'ai appris des… des attitudes ou des façons d'être. […] J'pense que
c'que j'ai appris, c'que j'ai intégré à ma pratique, c'est plus une espèce de
réceptivité ou une espèce de curiosité plutôt que : voici ce qu'y faut faire et dire
et voici quelles questions poser. (P15, F, Qc, Can, Freq)
Dans la même idée, P09, qui se trouve davantage en milieu de carrière, parle de son
émerveillement dans la rencontre avec ses patients et qui se poursuit quotidiennement.
P09 : J'adore mon travail, j't'encore émerveillée de voir les personnes que
j'rencontre après tant d'années leurs histoires, leur parcours, leurs efforts, leur
courage c'est ça, ma vision de l'être humain c'est que c'est une aventure tous les
jours répétée. (P09, F, Qc, Can, Freq)
Pour certains, cette grande curiosité trouve satisfaction, plaisir et intérêt dans la
rencontre de clientèles culturellement diverses :
129
P02 : OK! En interculturel? Ben moi j'aime ça je te dirais. Première affaire tsé
je suis en train de penser à une couple de clients là. Eh oui, je à prime abord y'a
toujours une curiosité pour moi, vraiment une curiosité. J'ai l'impression que je
vais apprendre des choses différentes. À cause de ça justement parce que y'a
cette différence-là culturelle. Donc des gens d'Amérique du Sud, des gens
d'Europe. Afrique un peu. Eh mais je pense que à la base j'aime les langues,
j'aime voyager donc tsé ces gens-là mettent en écho ça là. Y'a comme, j'ai un
plaisir à rencontrer des gens d'autres cultures ça c'est sûr. (P02, F, Qc, Can,
Occas)
Cette curiosité interculturelle peut aussi être vécue comme un mélange d’excitation
et d’anxiété dans la rencontre de l’Autre.
P10 : [...] dans la différence culturelle que je peux remarquer avec quelqu'un, je
vis à la fois une curiosité excitante et anxiogène… (P10, H, Mts, Ext, Freq)
Le rapport à l’Autre en clinique est aussi généralement caractérisé par une norme de
respect d’Autre caractérisé par l’absence de comportements jugés préjudiciables, comme
avoir des préjugés, imposer son propre cadre de référence, catégoriser avec des étiquettes et
se baser sur des généralités pour comprendre l’Autre.
Parmi les principaux rôles du psychologue, on retrouve l’exploration auprès du
patient. Ce rôle lui permet d’accéder à la parole du patient, matériel nécessaire à son travail.
Si le travail d’exploration est commun à tous, les buts visés et les modalités varient selon
l’approche thérapeutique. Certains mettent de l’avant que l’exploration vise la découverte
du monde interne pour aider le patient à accéder à une plus grande conscience de soi, pour
qu’il puisse faire la paix avec son histoire ou pour que le psychologue puisse avoir une
représentation vivante de ce que le patient raconte :
P09 : Mon rôle euh de psychothérapeute c'est de favoriser l'élaboration, de
favoriser que la personne euh euh se … le mot m'échappe là, mais euh
appartienne, que la personne euh se, fasse la paix avec son histoire et avec son
présent, comment est-ce que mon rôle diffère? J'vas faire beaucoup parler euh
la personne euh de de sa famille j'vas faire beaucoup parler les intervenants euh
présents et passés « qu'est-ce qu'on vous a dit quand vous avez pas eu votre
emploi qu'est-ce que vous en avez compris? » mais j'vas essayer de meubler
beaucoup l'histoire, euh j'veux me faire une représentation de de la famille, de
qu'est-ce qui se disait, comment ça se disait, comment on parlait donc j'veux
essayer de de me faire une représentation un peu comme une pièce de théâtre là
j'voudrais être capable de figurer le père, figurer la mère, figurer la famille,
figurer euh donc j'vas m'intéresser beaucoup à, à rendre euh vivante la
représentation. (P09, F, Qc, Can, Freq)
130
C’est alors les processus de questionnement de soi et de prise de conscience qui
seraient favorisés. P13 dit à cet effet qu’elle perçoit un rôle de « catalyseur de prise de
conscience » dans ce travail d’exploration. Elle fait un lien entre une intervention centrée
sur l’exploration et son approche qu’elle qualifie de psychodynamique :
P13 : Euh... Oui. C'est... c'est une question difficile à répondre dans le sens où
dans l'approche psychodynamique, les objectifs sont toujours les mêmes. Donc
c'est, l'écoute, l'exploration, la compréhension. Euh... donc euh, y'a vraiment
pas d'objectif qui, je pense que c'est quelque chose qui s'utilise beaucoup plus,
soit quand on travaille au système de santé ou dans d'autres approches où y'a
des objectifs vraiment super définis qui changent. Euh, l'approche
psychodynamique est un peu plus ouvert dans ce sens. C'est... créer un lien, un
lien, un rapport, euh, être respectueux, créer un espace de confiance, etc. Avec
l'objectif de, justement, accompagner et comprendre l'autre dans... dans... dans
la découverte de... de la personne même. De sa propre pensée. (P13, F, Mtl,
Ext, Occas)
Elle présente aussi l’exploration du monde interne comme étant différente de
l’approche diagnostique. Dans un registre différent, une participante se réfère explicitement
au modèle médical pour définir sa pratique. Son exploration est présentée de façon
structurée et elle vise notamment à établir un plan d’intervention qui cible des problèmes à
travailler et à faire des recommandations.
Un second rôle très représenté dans les discours des participants c’est le soutien en
faveur de certains changements internes. Lorsqu’il est question de soutenir la personne qui
consulte dans le processus thérapeutique, les rôles d’accompagnateur, de guide ou d’écoute
authentique apparaissent dans le discours. Il est alors question d’offrir un soutien, une
sécurité, de la compassion, de la validation, du soulagement et de la rassurance pour que la
personne se sente en confiance de poursuivre un travail parfois long et difficile de
découverte de soi et de mise en contact avec le monde émotionnel. Ce rôle est aussi mis de
l’avant lorsque l’aspect temporel de la psychothérapie est évoqué, tel que par les mots
« découverte », « chemin » et « voyage ». Un participant résume bien l’accompagnement
au travers du voyage thérapeutique :
P18 : Therapy is a corrective emotional experience requiring the therapist to
offer great deal of compassion so the client can voyage, travel to where he
needs to go to confront what is holding them back in their lives, what is hurting
them in their lives. (P18, H, Mtl, Ext, Occas)
131
Encore une fois, bien que tous visent à favoriser un certain mieux-être du patient
dans leur intervention, les moyens et finalités escomptés varient selon l’approche. Si
certains définissent clairement les rôles et responsabilités du patient dans la thérapie et
s’attendent à ce que ce dernier apporte des changements comportementaux dans sa vie,
d’autres vont plutôt utiliser l’exploration, la confrontation et l’interprétation pour amener de
la souplesse dans le monde interne du patient.
Un autre ensemble d’intervention ne semble pas viser directement le changement
thérapeutique, mais y contribue. Il s’agit des interventions de soutien. Il s’agit ici d’aider la
personne à se reconstruire, intégrer davantage ce qui lui fait du bien et moins ce qui lui fait
du mal, normaliser un aspect du patient, l’aider à s’apaiser face à une situation, donner de
l’espoir face à une situation difficile et confirmer la valeur et la validité de l’expérience de
la personne. On retrouve dans ces types d’intervention un rôle de témoin, de contenant
affectif, qui cherche à écouter la plainte et les critiques. Ces interventions de soutien ne sont
pas caractéristiques du discours de tous, et certains en font des aspects centraux de leur
intervention.
Aussi, tous réalisent certaines interventions pour favoriser la relation thérapeutique,
que ce soit dans les rôles d’accueil, d’écoute et d’accompagnement nommés plus haut, ou
aussi, par exemple, en trouvant une similitude et en s’identifiant à ce que le patient raconte.
Certains aspects des interventions habituelles visent à préserver un cadre de travail.
On y retrouve l’importance de composer avec ses propres réactions personnelles ce qui peut
prendre la forme de ne pas tomber dans le contre-transfert ou travailler le contre-transfert. Il
est aussi nommé qu’il est nécessaire d’établir-préserver une certaine distance dans la
relation, ne pas se dévoiler, ne pas prendre parti, ne pas répondre à une demande
personnelle et préserver mon rôle et mes limites.
Si ces représentations habituelles du rôle du psychologue sont le plus souvent
mobilisées en situations interculturelles, certains rôles plus spécifiques à ce type de
consultation sont aussi décrits. En effet, tous les participants ont manifesté une sensibilité à
tenir compte des différences culturelles dans l’intervention et les façons de faire varient
d’un participant à l’autre. Dans tous les cas, les participants s’identifient comme étant
132
différents de leur patient et leur façon de tenir compte de cette différence témoigne de leur
approche de l’interculturel qui se surajoute à leur rôle strictement psychothérapeutique. Il
est à noter qu’une même intervention peut avoir des visées différentes d’un psychologue à
un autre. Ces interventions sont présentées dans les sections suivantes.
La « non-intervention » en situation interculturelle. On retrouve un certain discours
qui dit tenir compte de la culture à un certain degré, mais dont les interventions
interculturelles témoignent plutôt de limitations par rapport aux interventions habituelles.
Ce discours n’apparaissait pas dans le codage initialement, mais a été dégagé après avoir
synthétisé les différentes interventions interculturelles, en constatant que l’intervention de
certains participants se caractérisait par une absence d’intervention spécifique à la situation
interculturelle. Par exemple :
T15 : Pis… Comment est-ce que tu décris ton travail en tant que psychologue
dans les situations interculturelles? Qu'est-ce que tu fais concrètement dans ce
genre de situations-là?
P15 : Qu'est-ce que je fais de différent avec une situation qui est pas
interculturelle?
T15 : Par exemple ouin, ça peut être ça.
P15 : Rien. Ben… Ben, oui. J'va poser plus de questions. (P15, F, Qc, Can,
Freq)
Cet exemple est caractéristique de ce discours. La participante rapporte d’abord ne
rien faire de différent en situation interculturelle, puis ensuite elle nomme poser plus de
questions. Au contraire d’autres participants, elle ne nomme pas, ni ici, ni ailleurs, les
moyens et les buts visés pour poser plus de question, ce qui laisse peu entrevoir de quelle
façon cela s’exprime dans son intervention. Par ailleurs, elle rapporte aussi une situation
d’intervention où elle décide de ne pas poser une question pour préserver le lien :
133
P15 : Euh, par exemple, avec ce même patient-là, quand euh, lui y m'regardait
pas ou presque pas dans les yeux ou tout court, y regardait comme plus par
terre, pis, normalement, j'vais faire des interventions, euh, pour comme essayer
de comprendre ça, j'l'ai fait avec lui aussi, pis j'lui ai demandé, puis il me dit
que, pour lui, si y regardait une femme dans les yeux ou si y regardait comme
trop longtemps une femme, t'sais, c'était pas bien avec ses croyances, fait que,
je, à ce moment-là, t'sais, j'ai pas questionné ça, j'ai pas remis en question ça.
J'ai juste pu faite d'interprétation avec ça. J'ai juste laissé ça comme ça. J'pense
que ça pouvait m'aider à créer une alliance là tsé c'est comme.
T15 : En quoi ça t'aidais à créer une alliance?
P15 : Ben de respecter ça, son choix là, ses valeurs, pis lui, pour lui ça allait à
l'encontre de ses valeurs que d'me regarder, t'sais. C'était pour respecter son
choix là. (P15, F, Qc, Can, Freq)
Dans cet extrait, la perception d’être en situation interculturelle a amené une
modification dans l’intervention qui a été de ne pas poser d’interprétation et d’arrêter le
processus de questionnement. Or, la situation rapportée laisse plusieurs questions en
suspens. Par exemple, elle pose l’interprétation qu’il y a des valeurs derrière le
comportement du patient, mais ne donne pas d’information permettant d’attester qu’elle a
effectivement tenté d’investiguer les valeurs de ce patient et son rapport à ses valeurs.
L’arrêt du processus de clarification est justifié pour aider à « créer une alliance », mais il
n’apparaît pas clair en quoi ne pas poser de questions aurait favorisé l’alliance dans cette
situation. Ce type d’interventions se démarque d’autres par la présence d’une grande
prudence lorsqu’il y a perception d’être en interculturel, souvent dans le but conscient de
préserver le lien thérapeutique. Un autre exemple en témoigne :
P18 : J'ai eu une cliente dernièrement très bref, c'est une musulmane, jeune
femme d'une famille immigrée ici. Elle s'est née ici mais... ehh j'ai essayé d'être
très très prudent parce que c'était question d'une attaque qu'elle a vécu une
attaque sexuelle, qu'elle parlait à un homme, moi le thérapeute, alors dans
l'entrevue j'ai essayé de, j'ai expliqué je voulais être super prudent, j'ai dit
« vous savez de régler ça vous devez en parler des choses tout ce qui s'est arrivé
à toi en détails, êtes-vous confortable de m'en parler? Ok sinon je veux que tu
me le dises, si ça fonctionne pas on va vous référer à un autre thérapeute
inquiétez-vous pas. » [...] c'est sûr il y avait des éléments culturels qui m'a
touchés beaucoup. Par exemple, son père savait pas qu'est-ce qui s'est passé,
toute la famille protégeait, toutes les femmes de la famille protégeait le père.
Alors comme thérapeute t'est « hum! » tout un coup ok...[...]
T18 : Pis vous dites que c'était culturel?
134
P18 : Ben dans les questions c'était comme.. c'est pas nécess.. bonne question.
C'est sûr ça peut arriver à n`importe qu'elle fille qui parlerait pas à son père,
peut-être même pas à sa mère. Mais je pense, j'imagine, je suis pas sûr, d'être au
courant des attitudes tse elle portait un hijab, pas une robe mais sur son
habillement elle était modeste. Elle m'a dit qu'elle était croyante, elle était
pratiquante alors, ehh malgré que ses parents étaient éduqués, je suis très
cognisant des historiques de cette maudite histoire de honor killings et tout cette
ehh tout ça ... tsé les hommes qui, les mâles dans ces familles-là qui en effet,
peuvent pas tolérer le fait si leur femme ou fille se sont salies, et ils tuent en
conséquence ou tue l'autre en conséquence. Alors moi ça m'a touché je sais ...
s'ajoute un élément
T18 : de savoir ça?
P18 : de savoir ça
T18 : pis vous l'avez appris comment cette information ?
P18 : j'ai appris ça ok on regarde et on va travailler autour de ça. Et peut-être
avec quelqu'un d'occidental, je serais plus prêt à aller de discuter si c'est bon de
cacher ce renseignement là et c'était pas mal clair que sa mère c'était sûr savait
mais le père savait pas, c'était comme pour moi j'ai vu ça comme une obligation
culturelle, comme une vision culturelle et ils ont dû le faire comme ça pis pas
question de partager ça avec le père. Alors la thérapie, elle est pas venue
longtemps elle... alors j'ai pas, c'est rare que j'ai quelqu'un avec des croyances
moins occidentales je dirais, je l'ai pas souvent dans ma pratique, alors j'ai
essayé d'être très prudent. Elle était une jeune femme, elle était abusée
sexuellement, elle était, elle avait des éléments personnels qui me touchaient
autant comme elle avait une certaine naïveté alors toute ça c'est, alors je dirais
pas que je donnerais plus d'importance à ça au côté culturel, mais c'était une
partie de mon évaluation dans comment je peux procéder, à quelle vitesse,
j'étais plus prudent disons « si je touche quelque chose qui pas, moins
acceptable au niveau de thème ou quoi que ce soit s'il vous plaît je suis naïf,
dites-moi », alors j'essaie de ne pas faire des assumptions, d'être ouvert avec
mon ignorance. (P18, H, Mtl, Ext, Occas)
Dans cet extrait, on retrouve encore ici la prudence lorsqu’il y a perception d’être en
situation interculturelle, un changement dans la façon d’intervenir caractérisé par une
limitation du rôle habituel et une inférence que le comportement de la patiente reflète une
« vision culturelle » et qui n’est pas vérifiée. Ce qui est particulier aussi dans cet extrait,
c’est que le participant a la perception d’intervenir en ne faisant pas d’« assumptions »
(suppositions) alors que ce qu’il rapporte comme intervention en suppose quelques-unes,
notamment au sujet du secret familial et du lien entre la religion musulmane et le « honnor
killing » en dépit du fait que « ses parents étaient éduqués ».
135
S’adapter au client (culturellement différent). S’adapter au client n’est pas unique
aux situations interculturelles pour les participants rencontrés. Dans ce thème on explique
aussi comment s’adapter fait partie du travail de psychologue, peu importe le type de
situation rencontrée :
P19 : Euh (silence de 10 secondes). Ben au niveau du langage. Des fois c'est de,
c'est sûr que ça j'vas le faire avec tous mes clients de, d'essayer de, d'utiliser les
mots que le client utilise.
[...]
P19 : J'ai proposé à ma cliente si c'était, si ça pouvait être utile qu'elle vienne,
pis c'est ça, pour sa, pour sa conjointe, là aussi, la thérapie c'était quelque chose
de vraiment, d'impensable. Je sais pas, pour elle, je sais pas si c'est tant la
culture, peut-être moins, que de sa perso, comme personne. Euh, mais bon,
cette rencontre-là, elle a eu deux rencontres en fait, ont vraiment, vraiment aidé
au processus thérapeutique de ma cliente, et sa conjointe a décidé d'aller
consulter. Pis vraiment ça été très très très utile. Euh, donc, ce type
d'adaptation-là que je peux faire, mais c'est pas particulier aux communautés
culturelles, tsé à des clients qui font partie de communauté culturelle. J'vais le
faire, j'vais m'adapter en fait, dépendant de la situation, si j'vois qu'y'a quelque
chose qui, qui est pas, qui se résout pas, même après plusieurs mois, j'vais être
patiente, mais c'est sûr que j'vais pas l'imposer c'est ça. (P19, F, Mtl, Can, Freq)
Dans cet extrait, P19 explique comment une intervention habituelle, utiliser les mots
du client, lui apparaît bénéfique en ISI. De plus, elle considère que l’adaptation
correspondant à inclure un proche du patient peut être utile dans certaines ISIs, sans que ce
soit spécifique à ce contexte de pratique. À ce sujet, il est souvent perçu qu’en ISI il peut y
avoir davantage de différences entre le cadre psychothérapeutique et les référents culturels
du patient. Le but de ces adaptations vise alors à augmenter le confort du patient avec le
cadre de travail proposé. Comme modalités d’adaptations, il peut s’agir de favoriser des
liens avec un représentant de sa communauté culturelle¸ ne pas tenir une distance
professionnelle, accepter un cadeau, se dévoiler, accepter de répondre à une question
personnelle. On voit dans certaines de ces adaptations une flexibilité par rapport aux
éléments du cadre thérapeutique nommés dans les interventions habituelles (ex. : ne pas se
dévoiler, préserver une distance professionnelles, etc.). L’extrait suivant résume les
différents points sur l’adaptation discutés jusqu’ici :
136
T09 : Hum ok euhm puis (raclement de gorge) comment est-ce que vous
décririez votre travail de psychologue en situations interculturelles? Est-ce qui a
des choses qu'vous faite plus concrètement qu'vous sentez justement une
différence ou que?
P09 : Ben si y'a une différence concrète par exemple au niveau du langage je
j'vas demander à la personne, j'vas m'adapter donc c'est moi qui rapidement va
lui démontrer que j'ai à cœur de faciliter euh son euh son son travail pis j'prends
la responsabilité de faciliter, j'prends pas pour acquis euh que, en tout cas
j'pense que ça fait plusieurs fois que j'vous le dit de différentes manières, je
prends pas pour acquis que c'est la personne qui doit s'adapter là. Donc que si à
veut que je lui parle en anglais j'vas y parler en anglais, si à veux que euh que
que que euh son son son son, son curé euh ou son prêtre soit mis au courant euh
j'vas l'faire, j'vas lui demander d'entré d'jeux comment j'peux faire, parce que
j'vas prendre pour acquis que, après avoir investigué si c'est une personne qui
est isolée, qui est loin de ses repères, qui est loin de sa famille euh ben j'vas
prendre pour acquis que les obstacles sont importants pis j'vas prendre à ma
charge, essayer de faciliter le plus possible, le discours pis j'vas aussi
m'informer sur euh le comment ça ce se passe dans son pays le traitement euh
des problème psychologiques pour lesquels à consulte habituellement, j'vas
essayer de m'informer les modalités qui sont d'usage dans son pays. Est-ce que
c'est un sorcier? Est-ce que c'est un, est-ce que c'est un sage? Est-ce que c'est un
prêtre? Est-ce que c'est u. Y'a beaucoup de pays où la psychothérapie existe pas
mais, dans dans notre euh appréhension habituelle mais j'vas m'informer
comment ça s'passe habituellement pis j'vas essayer m'intéresser le plus
possible pour voir qu'est-ce que j'peux importer de ce type de pratique là dans
ma pratique à moi.
T09 : Hum ok vous parlez beaucoup de vous adapter vous-même pour
minimiser les efforts d'adaptation de la personne si j'comprends bien?
P09 : Oui que j'considère qui sont déjà habituellement surexploités là. Sur de
sursollicités là.
T09 : Hum ok pis cet effort d'adaptation personnel que vous faites est-ce que
vous le faites aussi dans votre pratique générale?
P09 : Oui oui oui. Oui oui mais c'est parfois moins évident là d'emblée que je
j'vais le.. selon les personnes j'vas euh j'vas pas être amenée à l'dire carrément
pis à l'annoncer mais y'a des personne qui viennent à qui j'vais vais carrément
leur dire « ben écoutez j'suis là pour vous, c'est à moi à m'adapter à vous,
qu'est-ce qui vous aiderait qu'est-ce qui faciliterait notre rencontre », mais he
oui je le fais quand même de façon parfois moins explicite mais toujours. (P09,
F, Qc, Can, Freq)
On peut constater dans la conception que P09 a de ses ISIs qu’elle se représente que
la psychothérapie n’existe pas dans plusieurs pays, reconnaissant par là-même la possibilité
que son cadre de travail soit différent du cadre culturel du patient. Dans ces situations, elle
prend position à l’effet que les ressources d’adaptation de la personne culturellement
137
différente sont déjà « surexploitées », ce qui amène la participante à d’emblée nommer la
possibilité d’elle-même s’adapter dans le cadre de la thérapie. Les moyens envisagés sont
concrets (ex. : s’adapter à la langue du patient, favoriser des liens avec un représentant de la
communauté culturelle) et découlent d’une évaluation des modalités de traitement
psychologique d’usage dans le pays d’accueil et du sentiment d’être éloigné de ses repères.
En plus de nommer des adaptations faites de façon générale en ISI, le fait d’avoir
des représentations spécifiques à un groupe culturel donné peut mener à des adaptations
culturellement spécifiques :
P01 : [...] j'vais avoir des Haïtiens qui arrivent en retard. Euh…, ou bien, très
très typiquement qu'ils vont venir une, deux sessions, souvent très écartées dans
le temps, pis qui reviennent pu. Pis c'est pas nécessairement parce qui ont pas
aimé ça, mais y vont pas appeler pour mettre une fin claire à leur rendez-
vous…, soit y vont arrêter, ou y vont canceller, ou y vont…, mais tsé y'a pas
cette constance, ou cette rigueur, ou cette régularité-là dans leur approche à la
chose. Euh…, mais je vais avoir d'autres cultures, plus européennes, où là on va
avoir plus une régularité, euh…, mais pas nécessairement dans…, ça peut avoir
ses avantages et ses désavantages, c'est pas nécessairement synonyme
d'engagement dans le processus thérapeutique, mais on voit que l'attitude par
rapport au rendez-vous, en tant que tel, change d'une culture à l'autre. Ça encore
une fois c'est quelque chose avec laquelle il faut travailler tout en mettant ses
limites. (P01, F, Qc, Can, Occas)
P14 : Ben, c'est recevoir des gens, par exemple je reçois des personnes de
religion musulmane, ben je suis respectueuse. Si c'est un homme, j'lui tendrai
pas la main, je sais que dans leur culture, bon, les contacts physiques hommes
femmes sont… donc j'ferai pas exprès pour leur tendre la main, s'ils me tendent
la main oui je répondrai, mais je n'initie pas des avancées. (P14, F, Qc, Ext,
Occas)
P06 : [...] Ne serait-ce que la façon de traiter le temps entre un blanc et un
arabe. Je veux dire c'est c'est… ils sont à des millénaires de distance dans la
façon de traiter le temps.
T06 : C'était ça que vous disiez tantôt : un blanc c'est grave si y'arrive en retard,
un Arabe…
P06 : C'est ça, il faut qu'il arrive en retard.
T06 : Il faut qu'il arrive en retard?
138
P06 : Oui, parce que s'il arrive à l'avance, il manque… il manque de dignité
enfin. Donc y'a cette composante de prestige qui est très présente alors que, bon
chez le blanc occidental, elle est totalement absente. C'est-à-dire, y'a la
différence chez l'occidental, l'introspection, tout à fait aisée, normale et qui
vient, qui va de soi quasiment. Alors que chez l'Arabe ou chez le non-
Occidental, l'introspection c'est de la folie, c'est complètement ridicule, c'est
une insulte. Les gens, les gens ne tolèrent pas ça du tout du tout, donc il faut
assurer le traitement sans qu'ils en arrivent à à vivre une atmosphère
comparable à l'introspection. Donc c'est, c'est dur. C'est pas évident.
T06 : Et comment est-ce que c'est venu que vous avez constaté ces différences-
là, par exemple dans l'introspection?
P06 : Ben c'est à force d'avoir des échecs (rire).
T06 : À force d'avoir des échecs (rire)! Est-ce que vous avez une expérience qui
vous vient en tête par rapport à ça?
P06 : Ben, simplement euh, dans la pratique analytique tu as la fameuse loi…
j'sais pas comment on appelle ça la… la première recommandation que qu'on
fait au patient c'est de dire tout ce qui lui vient à l'esprit sans, sans sélectionner,
même les choses les plus banales. Bon, comme blanc occidental ça va très bien;
il est très heureux avec cette consigne. Bon il a peut-être un peu de mal au
début, mais il y va après très facilement. Mais avec un non-Occidental,
l'angoisse monte… au bout de, il tolère pas ça plus d'une séance, c'est
intolérable, intolérable.
T06 : Pis vous qu'est-ce que vous faites à ce moment-là?
P06 : Ben j'essaie de comprendre (rire), parce que c'est un désastre. Un
désastre… Donc il faut vraiment que je sois très vigilant, que jamais je ne laisse
tomber mon patient dans la, dans l'introspection. Il faut tout le temps que je le
soutienne, que je le soutienne, que je le soutienne… par divers moyens là. Il
faut vraiment que jamais jamais il n'atteigne l'introspection. Jamais. Alors que
le blanc occidental c'est l'idéal, on le met sur les rails, il y va et on a plus de
soucis. (P06, H, Mtl, Ext, Freq)
P11 : Au niveau des différences culturelles, pour moi, euh, s'pour ça que jviens
toujours honte et responsabilité c'est comme ça que je le vois, entre notre
monde Occidental qui est basé beaucoup sur la responsabilité, les valeurs de
responsabilité et de là de la culpabilité, les problèmes de culpabilité que les
gens vont arriver dans mon bureau. Quand j'arrive et que des gens qui sont nés
et qui ont vécus assez longtemps dans des pays, j'veux dire, non-Occidental,
euh, moins organisés, j'suis dans un niveau de honte et de fierté et les gens vont
arriver, la valeur principale ça va être la fierté et ils vont arriver avec des
problèmes liés beaucoup à la honte. Et bien souvent, moi, qui est, bon,
québécoise, j'me mind avant même des recevoir sur le fait que j'suis dans la
fierté. J'suis pas dans la responsabilité. (P11, F, Mtl, Can, Freq)
Ces exemples, mis les uns à la suite des autres, révèlent des similarités et des
complémentarités dans les adaptations rapportées. D’abord, les adaptations culturellement
139
spécifiques découlent souvent de généralisations culturelles sur des groupes en particulier
(ex. : les haïtiens, les arabes, les non-occidentaux, etc.). Lorsque les participants parlent
d’adaptation envers un groupe donnée plutôt que dans une situation donnée, souvent ils
donnent l’impression d’appliquer ces généralisations a priori dans toute situation avec des
patients du groupe discuté. Or, les participants nuancent par ailleurs en montrant que c’est
toujours considéré au cas par cas. Autre similarité parmi ces extraits, les adaptations
culturelles sont possibles parce que les participants font appel à un niveau de réflexion
conceptuelle pour changer leur perspective sur leur cadre habituel de travail. Par exemple,
P14 conceptualise que le respect dans les relations homme-femme chez les musulmans va à
l’encontre de la pratique qu’une femme psychologue offre une poignée de main à un
homme musulman. P06 se représente que l’introspection est de la folie pour un arabe. P11
conceptualise que les thèmes de responsabilité, de culpabilité, de honte et de fierté n’ont
pas la même importance pour un occidental et un non-occidental. Le cas de P01 fait figure
d’exception car elle présente une généralisation pour comparer les haïtiens et les européens,
mais élabore peu de façon conceptuelle pour donner un sens à ce qu’elle observe. Pour elle,
constater une différence entre ces deux groupes sur la régularité des rendez-vous lui suffit
pour être à l’aise avec ces différences possiblement culturelles.
Favoriser une identité positive et cohérente. En plus de tenir compte du cadre de
l’Autre pour adapter son intervention, certains rapportent aussi valoriser la culture d’origine
du patient pour favoriser chez lui une identité positive de soi et pour faciliter l’alliance
thérapeutique. Cette valorisation du cadre de référence de l’Autre est ressortie notamment
dans le travail dans les communautés autochtones et aussi comme outil thérapeutique pour
que la personne comprenne « la valeur de ses valeurs » (P08).
Dans les situations où le psychologue conceptualisait une coupure dans l’identité,
soit en lien avec l’expérience migratoire, après avoir vécu des situations extrêmes à
l’étranger ou en lien avec une différence de fonctionnement entre la famille et la société
d’accueil, l’intervention pouvait alors viser alors à rétablir la continuité dans l’expérience
de la personne, à faire des liens entre le passé et le présent¸ ou à faire le pont entre deux
cultures :
140
P14 : [J’avais un rôle] de traducteur, mais… traducteur de culture, tsé. Pas
traducteur de langue, mais, parce qu'elle était parfois surprise de choses qui se
passaient ici pis c'était moi qui, connaissant la culture arabe, connaissant la
culture québécoise qui devait faire le pont entre différentes choses. [...] Donc
être un pont entre les deux cultures. [...] Ben les questions qu'elle posait. Tsé :
« Est-ce que c'est comme ça que ça se passe ici? » ou « Qu'est-ce qui est
normal? Qu'est-ce qui ne l'est pas? Qu'est-ce que j'peux faire? Qu'est-ce que
j'peux pas faire? » Puis là je, bon, j'lui disais comment ça se passait au Québec,
mais qu'il fallait qu'elle se fie sur elle, ce qu'elle voulait prendre, ce qu'elle
voulait pas prendre. Qu'elle avait la chance. Et ça, ça je dis souvent à des
patients que j'ai, ils ont la chance d'avoir le meilleur de deux cultures. Et la
culture d'ici et la culture de leur pays. Qui faut ne renoncer ni à l'une ni à l'autre,
mais… Tsé, faire quelque chose à soi. Ben finalement, ma propre expérience.
(P14, F, Qc, Ext, Occas)
Ici, le rôle de « traducteur de cultures » reconnu par P14 correspond à de la
médiation culturelle. Son expérience migratoire est mise à profit pour aider sa patiente à
prendre le meilleur des cultures auxquelles elle a été exposée dans sa vie.
Travail sur les réactions-représentations du patient envers les caractéristiques
culturelles du psychologue. Certains reconnaissent que la relation thérapeutique peut être
aussi le microcosme des rapports identitaires en lien avec l’appartenance ethnoculturelle
des personnes en présence. Reconnaître les rapports identitaires dans la relation
thérapeutique peut passer par l’adoption d’un rôle de porteur des projections culturelles du
patient. Selon ces participants, le patient peut percevoir son psychologue comme un
représentant d’une majorité blanche et potentiellement oppressante, et reconnaître ces
projections est jugé utile dans le travail thérapeutique. Cela peut être l’occasion de donner
une expérience autre avec la culture québécoise ou même une expérience réparatrice.
141
P04 : [...] moi j'ai un biais favorable pour la culture autochtone (petit rire) donc
ça, ça part bien, ça va bien, mais y a plein de gens qui ont été abusés par des
blancs. He, beaucoup, sinon la majorité ont été abusés par des autochtones.
Mais y'en a qui ont été abusé par des blancs. Y'en a aussi que quand y'étaient
petits, ils se faisaient dire « Pas de sauvage icitte ! ». [...] donc he y'a des gens
qui ont vécus ça, pas des vieux de quatre-vingt-dix ans là, là mon amie elle a
cinquante ans là pis elle a vécu ça. Alors hem… hem.. donc moi j't'un blanc,
alors, un peu particulier, alors, alors, dans l'alliance thérapeutique ça peut être
problématique (silence 2 secondes) ou ça peut être réparateur dans le sens où ils
ont un bon contact avec un blanc qui est pas méprisant, qui est pas violent avec
eux et ça peut être aussi une reproduction dans le sens où s'en remettre à un
expert blanc et moi je reste impuissant, donc l'autochtone resterait impuissant
face alors vois-tu, fak en ce sens-là c'est toujours he.. un peu touched, mais
encore une fois moi je je je je porte vraiment attention à ne pas tomber dans
cette posture de, de l'expert blanc he.. j'essaie de rester le plus humble possible,
le plus à l'écoute possible … (P04, H, Qc, Can, Occas)
Ce participant met en évidence comment les dynamiques identitaires qui se rejouent
dans la relation thérapeutique peuvent autant être des occasions de favoriser une réparation
pour le patient que des occasions de reproduire ces dynamiques. La reconnaissance de ce
risque en amène certains à réfléchir à l’effet de leurs propres caractéristiques sur les
patients ou à demander au patient ce qu’il pense du psychologue.
Plusieurs s’identifient dans leur rapport à l’Autre culturellement différent comme
représentants de la société d’accueil. Ce rôle peut mener à des interventions telles que
favoriser l’adaptation du patient à la société québécoise, souvent en donnant des
informations sur les ressources du milieu ou en expliquant des aspects de la culture
québécoise.
Favoriser les liens entre les croyances culturelles-religieuses et l’intervention
psychologique. Une autre façon de tenir compte du culturel en ISI témoigne d’interventions
qui visent à utiliser le cadre culturel du patient pour favoriser l’intervention psychologique.
Par exemple, dans les cas où la personne se présente avec un attachement considéré rigide à
l’égard de croyances culturelles ou religieuses, il est souvent envisagé de faire des
interventions qui vont être ouvertes à faire des liens entre ces croyances et la
psychothérapie :
142
P01 : La vision que j'aurais ce serait plus que c'est [le christianisme] central à sa
vision : ça l'habite. Et parce que ça l'habite, ça va être « au-devant de » c'est
comme si c'est un filtre par lequel plus facilement elle va regarder le monde et
se regarder à l'intérieur. Donc, c'est plus une question de dominance ou de
présence de la chose, d'omniprésence de la chose avec laquelle elle va
travailler, donc c'est son cadre de référence premier. Et moi, j'ai mon cadre de
référence, qui n'est pas à prime abord en conflit; y'a fallu qu'on recadre
certaines petites choses, pis là ça l'a peut-être même, ça lui a donné des
occasions de pousser plus loin sa réflexion spirituelle, notamment dans la
notion du bien mal : ça c'est bien, ça c'est pas bien, pis de lui renvoyer aussi des
fois certains messages qu'elle met de l'avant, mais qu'elle n'applique pas- qu'elle
applique de manière sélective, donc ça me permet de la remettre devant
certaines choses aussi, tout en utilisant son propre cadre de référence. Donc en
tant que telle, mon approche thérapeutique étant très très flexible, très très
ouverte, c'est assez facile de jongler à ce moment-là avec ça. (P01, F, Qc, Can,
Occas)
Deux aspects caractérisent l’intervention rapportée par P01. D’une part, elle prend
position comme n’étant pas en contradiction a priori avec le cadre religieux de sa patiente.
L’idée générale que les participants ont lorsqu’ils prennent ce type de position est de
diminuer la rigidité du patient et ses défenses. Dans la situation rapportée par P01, en
prenant la position que son cadre psychothérapeutique n’est pas a priori contradictoire avec
le cadre religieux de la patiente, elle lui permet de vivre une expérience où ses propres
référents religieux ne sont pas invalidés par la démarche psychothérapeutique. L’autre
aspect de l’intervention de P01 c’est qu’elle peut utiliser le cadre religieux de la patiente
pour faire quelques interventions qui vont remettre en question une interprétation limitative
de sa religion. On retrouve ce type d’intervention chez d’autres :
P14 : Ben, par exemple avec mon étudiant musulman là, de citer des versets du
Coran. C’est une façon de… de prendre en compte son contexte culturel, mais
en amenant un autre… un autre éclairage, d'autres versants du Coran, versets du
Coran, que lui [l’étudiant] amenait comme une vérité absolue… (P14, F, Qc,
Ext, Occas)
L’intervention de P01 et de P14 ont des ressemblances évidentes. Toutefois, elles se
différentient sur la possibilité que le psychologue amène lui-même certains liens avec la
religion. Alors que P01 précise ailleurs dans l’entrevue qu’elle ne va pas d’emblée amener
des liens entre la bible et l’intervention, mais qu’elle va être ouverte aux liens amenés par la
143
patiente, P14 adopte une approche un peu plus active en utilisant sa connaissance du Coran
pour apporter une vision alternative au patient. Cette différence de position correspond
aussi à leur attitude respective envers l’exploration culturelle, où P01 adopte une attitude
plus passive pour éviter que la personne se sente catégorisée, alors que P14 dit explorer les
aspects culturels pour faire le différentiel entre les aspects pathologiques et culturels.
Rapport à l’exploration culturelle. L’importance accordée à l’exploration du cadre
culturel de l’autre considéré culturellement différent est variable, ce qui révèle des
différences d’attitude à l’égard de cette pratique.
Du côté des attitudes principalement passives à l’exploration culturelle en séance,
on retrouve une participante qui pense que le patient pourrait se sentir étiqueté par des
questions d’exploration culturelle :
T01 : Ok, ok. De quelle façon vous faites ça [déterminer l’influence du
contexte]?
P01 : J'attends. J'attends que la personne me le montre, de par sa façon d'être ou
qu'elle me le donne. Mais ce n'est pas quelque chose que je vais aller
investiguer en tant que tel, parce que je cherche à éviter que la personne se
sente étiquetée. Je vais demander si la personne a immigré au Canada, pour voir
si y'a un contexte par rapport à ça, mais encore une fois c'est quelque chose que
je fais avec le plus de délicatesse possible. (P01, F, Qc, Can, Occas)
Bien que cette participante dit ailleurs dans l’entrevue qu’il est important pour elle
de tenir compte de la culture pour aller dans le sens du cadre culturel de la personne afin
qu’elle se sente respectée dans l’intervention, la crainte d’étiqueter le patient l’amène à
utiliser une stratégie de recherche d’information passive : attendre que la personne montre
sa culture. Un autre participant est défavorable à l’exploration culturelle, car il pense que le
psychologue n’a pas à questionner la culture en séance, il doit avoir ces informations avant
de rencontrer le patient.
Alors que les attitudes plutôt passives sont minoritaires dans le discours des
participants, on retrouve à l’inverse plusieurs exemples d’attitudes actives d’exploration
culturelle en séance. P08 explique détaille cela dans le contexte d’une rencontre de thérapie
144
de couple interculturelle en quoi il trouve important d’avoir des informations
supplémentaires auprès des patients considérés culturellement différents :
P08 : La [conjointe] québécoise avait peur d'aller chez le médecin, parce qu'elle
avait peur des médecins en général, mais en particulier, dans sa vie, [un proche
est mort] lors d'un traitement médical. L'aspect culturel était moins important,
parce qu'on partage le même rapport culturel [...]. Pour elle, c'est d'abord un
évènement de vie, la mort [d’un proche], et non une valeur culturelle générale.
Donc j'ai pas exploré la même façon la valeur culturelle avec elle. Avec lui [le
conjoint], il faut explorer la valeur culturelle, familiale, davantage. Deux
situations qui han, cliniquement, sont comme similaires, peur d'aller chez le
docteur. Mais l'environnement social n'est pas le même, ça touche pas les
mêmes choses. Donc faut englober davantage avec le [l’homme d’origine
antillaise] tout l'aspect social, culturel, familial, de cette peur. Avec elle, c'est
davantage l'aspect familial très personnel de sa peur. Ce qui fait que un est dans
un contexte interculturel, l'autre ne l'était pas. Mais le problème est similaire.
Donc, de façon opérationnelle, on peut utiliser les concepts avec elle, de peur,
d'anxiété, d'anticipation, de… de peur dans le contexte, d'avantage, plus.. avec
le client [d’origine antillaise], là on faut aller ratisser pas mal plus large.. (P08,
H, Qc, Can, Freq)
Si dans le pendant passif de l’exploration culturelle, c’est le patient qui va amener
ces informations à travers son récit de vie, dans le pendant plus actif on retrouve des
exemples où des participants questionnent des aspects précis. Notamment l’exploration
culturelle en séance peut viser à faire un diagnostic différentiel entre les éléments
pathologiques et culturels, explorer le parcours migratoire de la personne, connaître la
signification et l’interprétation culturelle de la personne et connaître le cadre culturel. Il
apparaît notamment important pour certains de connaître les représentations du patient en
lien avec des thèmes intimement liés au contexte d’une rencontre thérapeutique, tels que la
maladie mentale et physique ainsi que les soins médicaux et psychologiques.
145
P19 : […] en y revenant c'est peut-être quelque chose que je, que j'pourrais faire
plus, surtout quand c'est des personnes qui viennent de cultures très différentes
euh où justement la psychothérapie fait pas partie des, des, des moyens
d'obtenir de l'aide. Ça serait peut-être de voir comment dans ta culture, ou
comment dans ton pays, comment et où on va demander de l'aide. Ça serait,
j'pense, j'pense que je l'ai fait là, mais là, c'est ça, vous m'aidez à prendre
conscience comment c'est une question fondamentale en fait. Pis comment ça
s'passe quand on demande de l'aide. On demande de l'aide pour quoi? Han?
Pour quelles raisons? […] cette idée-là de, c'est un contexte la psychothérapie
particulier de, justement, demander de l'aide, en recevoir, messemble c'est, c'est
comme le, le, le, vous savez la, la, la, l'échange fondamental, tsé l'échange qui
s'passe ici, c'est ça, c'est…hum, que ça soit central dans l'exploration à
différents moments-là, d'être. Hum. (P19, F, Mtl, Can, Freq)
Poser des questions précises peut aussi être une façon de vérifier une hypothèse
culturelle. Dans les cas où les participants ont rapporté avoir posé ce type de question, le
patient a soit infirmé ou confirmé l’hypothèse :
P11 : j'avais déjà, au point de départ j'avais exploré si le fait, son état dépressif
est énorme, si y'avait pas une croyance qui était liée au Voodoo ou à des, à un
mauvais sort quelconque parce que bon y'avait des… et euh… elle me disait
que elle n'était pas pratiquante de ça, qu'elle était catholique, mais pas de ces
choses-là. Mais là aujourd'hui elle me dit que elle croit effectivement que
quelqu'un lui a, alors que ça fait quand même plusieurs mois qu'on se voit, elle
croit qu'elle a été victime d'un.. d'un mauvais sort. Que probablement son ex-
conjoint est allé voir la, à m'a nommé le nom mais j'me souviens pus là, qui
pratique le Voodoo et que c'est, ça fait partie du fait qu'elle soit dépressive. Ce
qui… ce que, j'avais comme l'impression qui avait comme une partie qui (rire),
j'dirais qui était liée à ça dans sa, mais elle me l'avait pas encore exprimée.
(P11, F, Mtl, Can, Freq)
Dans cet extrait, il est intéressant de noter que l’hypothèse initiale du Voodoo n’a
pas été confirmée la première fois que la question a été posée, mais a trouvé sa
confirmation plus tard. Cela rejoint une des caractéristiques de l’ISI (ce thème sera discuté
plus loin) voulant que certaines choses se disent plus tard.
Rapport aux normes de la profession. Pour conclure sur la catégorie de la pratique
professionnelle, j’aborderai un thème qui n’est pas apparu de façon évidente. En fait, très
peu de codes font référence explicitement au rapport aux normes, mais les normes
146
transparaissent implicitement dans l’analyse de la pratique professionnelle en ISI et aussi
dans les conceptualisations des difficultés du patient.
En fait, le travail des psychologues interrogés se caractérise par une normalisation
de la problématique du patient selon la norme de l’intériorité. La norme de l’intériorité
transparaît dans les deux principales catégories du discours que sont les difficultés du
patient et le rôle du psychologue, notamment dans la conceptualisation des difficultés du
patient sous un angle psychologique-interne et du rôle du psychologue dont l’effet est perçu
à ce niveau aussi. Celle-ci se décline principalement selon les normes de l’autonomie et de
la relation dans les discours, à des degrés divers selon l’approche de chacun. Un cas
d’exception ressort cependant. P17 affirme valoriser le modèle médical dans sa pratique,
mais les moyens qu’elle utilise (faire faire des devoirs aux patients) et les finalités
poursuivies (augmenter le contact avec les émotions, traiter les symptômes) témoignent tout
de même des normes de l’intériorité et de l’autonomie.
Les participants dont les discours témoignent plus fortement d’une norme de
l’autonomie mettent une emphase plus grande sur la demande du patient pour un certain
changement et sur sa mobilisation envers ce changement, notamment dans son engagement
dans la thérapie. Les participants qui témoignent plus fortement d’une norme de la relation
vont s’intéresser davantage à la rencontre et au lien comme moyen thérapeutique et comme
finalité en soi. L’intervention développe la capacité de l’individu à être en relation.
Dans une partie des discours, les normes sont véhiculées implicitement. Alors, la
proposition des normes de l’intériorité, de l’autonomie et de la relation apparaît plus forte
tant elle n’est pas explicite. Dans ces discours, si des différences de normes sont exprimées
à propos des différences culturelles entre patient et psychologue, celles-ci ne sont pas
considérées nécessairement dans l’intervention qui se déroule comme à l’habitude.
Si certains participants promeuvent fortement certaines normes, d’autres montrent
un discours où ils prennent position dans un univers où plusieurs normes sont reconnues,
soit dans celles dont a hérité le patient dans son enculturation particulière, par une
configuration de plus d’une norme dans le travail du psychologue ou par un positionnement
par rapport aux normes d’autres professions qui ont une influence sur le patient. Dans ces
cas, les psychologues travaillent dans ce qu’on pourrait qualifier « d’internormativité ».
147
Certains participants incarnent une complémentarité entre les normes de l’autonomie et de
la relation. Le cas de P10 est représentatif d’une articulation dialectique de ces deux
normes :
P10 : C'est sûr je suis toujours dans cette ligne où je peux accueillir et
accompagner la personne dans sa nécessité de demeurer inchangé, mais j'oublie
pas que y'a une demande de soutien à un certain changement. (P10, H, Mts, Ext,
Freq)
Ici, l’accueil et l’accompagnement dans la nécessité de demeurer inchangé reflète la
norme de la relation, où le psychologue incarne lui-même la capacité d’entrer dans une
relation authentique qui reconnaît que le patient pourrait ne pas vouloir changer (donc
entrer dans un processus de normalisation) à certains égards, tout en ayant en tête qu’il a
aussi un certain rôle à jouer et que le patient s’attend à un certain changement. La posture
de P10 apparaît comme étant dialectique dans cet extrait, tant il exprime qu’il se capable
d’alterner entre des demandes apparemment contradictoires.
Un autre passage, particulièrement riche, exprime une situation de travail où
l’internormativité est évidente :
148
P13 : […] elle m'a premièrement téléphoné pour me dire, elle était en détresse
et elle m'a dit: « Je viens de voir mon médecin de famille et elle m'a prescrit des
antidépresseurs et euh, je ne sais pas quoi faire, je voulais avoir votre opinion.
Est-ce que c'est une bonne idée? » […] Donc euh... j'ai vraiment pas répondu,
ben j'ai jamais répondu à sa répon, à sa question de « qu'est-ce que vous...
qu'elle est votre opinion? », parce que c'est pas mon rôle, mais j'ai plutôt... j'ai
plutôt reflété qu'elle semblait être en détresse par cette suggestion de la part de
son médecin de famille. Pourquoi est-ce que le fait d'être prescrit des
antidépresseurs la mettait, la faisait sentir si anxieuse. « Qu'est-ce qui se passe?
Vous n'avez pas à les prendre si vous voulez pas. Mais pourquoi vous réagissez
si fort? » Donc on a plutôt exploré ça un petit peu pour qu'elle se calme et je lui
ai suggéré de plutôt la voir le plus tôt possible ici et en discuter tranquillement.
Et... et voilà, elle m'a juste décrit euh... ben c'est sûr, normal avec le médecin
dans lequel elle était: « Ben, je dors pas beaucoup. Euh... Je mange un peu
moins et je suis triste, souvent. » Et euh... bon, le docteur voyant de ce que le
patient m'a dit, la patiente m'a dit, il imposait pas les médicaments. Il lui a juste
dit « Mais vous savez, vous pouvez prendre des médicaments pour ne pas vous
sentir de cette façon, etc. » Euh...Donc, personne. Dans ma tête je me disais
« Mais moi je crois pas qu'elle a besoin de prendre des médicaments. C'est trop
tôt. Elle continue à aller au travail, elle prend sa douche ». […] Mais les
émotions sont là, elles existent, elles ont une fonction. Et imaginez les enlever
d'une situation pour ne pas les sentir, c'est pas vraiment vivre et résoudre une
situation. Euh... donc ça c'était tout dans ma tête, je sais pas moi. « Qu'est-ce
que vous pensez? » Je relançais la question « Mais qu'est-ce que vous vous
pensez? Est-ce que vous pensez que vous avez besoin de ça? Est-ce que vous
sentez que c'est une tristesse qui vous dépasse et qui affecte votre quotidien,
votre travail? » « Non, pas vraiment, mais si elle a suggéré, peut-être... » Donc
ça, je pense que c'était un peu cette figure d'autorité médicale qui jouait un peu
dans la manière dont elle se voyait elle-même. […]
T13 : Puis bon, vous avez dit que votre rôle c'était de pas conseiller
nécessairement la personne. Euh... est-ce que y'a d'autres choses qui décriraient
votre rôle dans cette situation-là?
P13 : D'écoute, de réconfort et aussi un peu comme de guide, de guide vers le
monde émotionnel. De ne pas l'éviter, mais de plutôt les accom, de plutôt
l'accompagner, à toucher à ce monde émotionnel, sans avoir peur de s'effondrer.
Dire, c'est juste... c'est juste la tristesse ou c'est juste de la colère. Ou c'est juste
de la peur. Ça sert à quelque chose, elle est là. Cette émotion est là pour une
raison, essayons d'écouter cette émotion et qu'est-ce qu'elle veut dire. […] et
c'était émouvant de la voir, de douter que c'était que c'était normal de se sentir
de cette façon. « Je suis pas normale de sentir cette tristesse ». Voyons. Comme
si elle me disait: « c'est pas normal de sentir point. » Et c'était vraiment
émouvant et fâchant. J'étais vraiment fâchée envers, le médecin. J'avais
l'impression qu'elle, que le médecin était en train d'être un obstacle à qu'elle
développe des capacités internes pour faire face à ses émotions et gérer ce qui
lui arrivait. Oui.
T13 : Puis est-ce que vous avez appris quelque chose de cette expérience-là?
149
P13 : Oui! Que j'ai le droit, à mettre en doute, le diagnostic ou euh, ou l'opinion
professionnelle d'un autre professionnel. Bon. Et quand j'ai dit, et quand je dis,
j'ai le droit de mettre en question pas avec le patient, mais pour moi, dans ma
tête. Un autre professionnel peut faire une erreur. Moi je peux faire une erreur.
Donc... oui. De mettre en question des diagnostics, des choses qui sont comme
automatiquement données. Et il faut les accepter sans questionner.
T13 : Pis dans cette situation-là qu'est-ce qui était plus spécifiquement
interculturel pour vous?
P13 : La pre, je pense que c'est la prescription des médicaments.
T13 : La prescription...
P13 : Oui. De... de penser ou de considérer, de considérer le médicament
comme la solution à un problème émotionnel.
T13 : Puis vous avez fait quoi de de, cette différence de conception là?
P13 : Ben je l'ai mis sur la table et je... j'ai fait euh... j'ai essayé que ma patiente
se questionne la même chose et réponde à ça par rapport à elle. Moi j'ai juste
mis la question là, moi j'avais ma propre réponse par rapport à ma culture, bla
bla bla. Mais euh, je voulais que d'une certaine façon elle réponde à cette
question, pour qu'elle prenne la décision qu'elle voulait prendre par rapport à
elle. C'est ça.
T13 : Pis d'après vous comment est-ce qu'un autre psychologue aurait réagi par
rapport à la même situation?
P13 : Un autre psychologue latino-américain? (Elle rit) Je ne sais pas si un
psychologue d'Amérique du Nord aurait questionné cette, ce diagnostic ou cette
manière de travailler. Parce que je considère que c'est une manière de penser
très de l'Amérique du Nord. Euh, j'ai lu quelques recherches en fait, pas pour ce
cas-là, mais en général, euh... l'Amérique du Nord c'est une des, des
communautés les plus médicamentées du monde. On prend des médicaments
pour tout! Donc ça...
(P13, F, Mtl, Ext, Occas)
Dans cet extrait, la norme de l’intériorité est évidente dans la tentative d’aider la
patiente à entrer en contact avec son monde émotionnel. En ne donnant pas de réponse à la
question de la patiente, elle valorise implicitement son autonomie : elle croit que la patiente
a le droit de choisir si elle veut un médicament ou non. En questionnant l’opinion du
médecin, la psychologue est en contestation des normes biomédicales qu’elle perçoit
comme étant la norme en Amérique du Nord. Ainsi, elle perçoit l’internormativité dans les
rapports interculturels (les normes de son propre pays d’origine et celles représentées pour
l’Amérique du Nord) et dans les rapports interprofessionnels (psychologue-médecin). Elle
parlera par ailleurs dans l’entrevue que dans son pays d’origine, l’utilisation de remèdes
alternatifs pour apaiser les maux est normal, ce qui l’amène à valoriser des compréhensions
alternatives dans les difficultés de ses patients. Cette participante témoigne ainsi d’un
150
travail en internormativité. Même si elle n’ouvre pas la discussion explicitement sur les
différences de norme pour arriver à une négociation, elle a « mis la question là » pour que
la patiente se trouve sur un terrain internormatif et prenne sa propre décision par rapport à
plusieurs façons de conceptualiser le traitement pour sa difficulté.
Dans toutes les entrevues, les critiques aux normes professionnelles se font rares.
P03 remet en question la pertinence d’un cadre psychothérapeutique formaté pour une
relation en un-à-un, notamment dans les situations où le « codage culturel » (P03) est
particulièrement saillant. Cependant, il se demande comment arriver concrètement à offrir
un dispositif alternatif dans le cadre de sa pratique privée. Un autre cas se démarque dans le
même sens. P06 a remarqué des difficultés à amener certains patients arabes dans
l’introspection exprimées sous forme d’une forte angoisse du côté du patient. Au cours de
40 années de recherches personnelles en collaboration avec un collègue historien, il a fait
un travail de contextualisation des théories qu’il a apprises dans sa formation pour devenir
psychologue afin de remettre en question le caractère supposément universel de ce qui lui a
été enseigné. Il dit avoir développé une technique introspective qu’il peut maintenant
appliquer à tous et pouvoir par la suite utiliser son approche thérapeutique habituelle avec
les patients qui entrent plus facilement dans l’introspection. Ce cas est exceptionnel, car il
est le seul participant à se décentrer suffisamment de la norme de l’intériorité pour proposer
une approche novatrice qui contourne la difficulté d’appliquer cette norme à tout le monde.
4.3.2.3. Obstacles en ISI. Les obstacles de la consultation en ISI sont révélateurs des
difficultés que l’on peut retrouver plus spécifiquement dans ce contexte d’intervention. Si
certains obstacles peuvent se retrouver dans tous types de consultation, il semblerait qu’ils
soient plus marqués dans les situations où il y a perception d’une différence culturelle entre
le patient et le psychologue.
Rapports de pouvoir dans la relation psychothérapeutique. Ce qui est commun au
discours des participants qui ont parlé de ce thème, c’est la reconnaissance que la relation
thérapeutique est aussi une relation de pouvoir asymétrique. Le différentiel de pouvoir dans
151
la relation thérapeutique devient évident lorsque sont discutés les positions des
protagonistes.
Notamment, on retrouve l’idée que la personne en quête d’une solution peut se
représenter que le psychologue détient la vérité, ce qui confère un grand pouvoir
d’influence au psychologue et vice versa le patient est vulnérable en thérapie :
P13 : […] L'opinion d'un professionnel pour certaines personnes peut être
ressentie comme la vérité, la manière de faire les choses et... je pense pas que
comme psychologue c'est ça notre rôle. D'imposer, je pense que c'est plutôt,
n'importe quelle approche, je pense que c'est une opportunité pour que la
personne développe ses propres stratégies par rapport à qui elles sont et les
forces qu'elles ont pour gérer la vie. Pas d'imposer les nôtres. C'est pour ça que
je dis, jamais ce que je pense (rire). Avec un patient. (P13, F, Mtl, Ext, Occas)
P10 : […] si on ne fait pas cet exercice de reconnaître notre différence, de
reconnaître qu'on n’est pas nécessairement toujours sur le même diapason, qu'il
peut y avoir un risque que certaines interventions exigent à la personne de
s'adapter plutôt que de, s'adapter peut-être d'une façon qui est contre nature, qui
est pas respectueuse de qui cette personne-là est. Donc j'essaye continuellement
de être attentif à comment je peux nourrir ou contribuer à un sentiment de
honte, à un sentiment d'oppression, un sentiment d'être forcé à être quelqu'un
d'autre que la personne est. Donc, pour moi c'est important d'être toujours à
l'affût, à la fois comment la personne, ce que la personne dit, ce que la personne
amène, comment elle se positionne, mais quel est mon rôle, quelle est ma
contribution. (P10, H, Mts, Ext, Freq)
P19 : [La patiente avait] la peur d'être comme embrigadée, [...] d'être trop
influencée. Hein, de subir une influence euh où elle pourrait perdre, elle, son
identité. Y'avait quelque chose de cet ordre-là. Donc euh…Pis ça se peut, ça
peut arriver. Donc, c'est sûr que mon, bon, moi j'suis sensible aussi au pouvoir
d'influence qu'on a comme psychologue. Quand on est intervenant, on travaille
avec des personnes qui sont vulnérables. Oui, on a un plus grand pouvoir
d'influence. (P19, F, Mtl, Can, Freq)
Si ceux qui discutent du pouvoir d’influence dans la relation thérapeutique le
reconnaissent dans tout type de consultation, P10 et P19 mettent en évidence comment la
différence culturelle et les difficultés d’ordre identitaire peuvent être propice à augmenter le
risque que le patient se trouve en position de vulnérabilité. P19 va un peu plus loin dans son
explication de ce qui met la personne qui consulte est en position de vulnérabilité. Elle
152
conceptualise qu’en thérapie, la personne qui consulte souhaite préserver une certaine
cohésion en même temps de travailler à obtenir un certain changement :
P19 : […] comme être humain on cherche à avoir suffisamment à avoir de
cohésion et de continuité dans le temps… Et que dans toutes sortes
d'expériences, mais entre-autre en thérapie, quand on est particulièrement
vulnérable, on essaie de préserver cette cohésion-là, tout en étant en recherche
de changement. C'est vraiment tout un défi. (P19, F, Mtl, Can, Freq)
C’est ainsi que la rencontre entre une personne souffrante et une autre qui détient
l’expertise psychologique comporte son lot de bénéfices mais aussi de risques. Ces
réflexions témoignent d’une perspective critique adoptée à l’égard de la profession, comme
le témoigne l’extrait suivant :
P08 : […] le mot que je retiens c'est, d'un ethnopsychiatre c'est « la psychologie
c'est une déformation cohérente ». Donc mon approche de l'autre c'est toujours
une déformation cohérente. [...] Donc ça donne la bonne nouvelle que c'est
cohérent, mais la mauvais nouvelle c'est que y'a toujours déformation. Et
d'autant plus, quand c'est interculturel, plus, d'autant plus qu'on s'éloigne d'une
langue, d'une géographie, d'une famille, ben là plus c'est difficile. Plus on
s'éloigne, plus j'peux déformer, même si j'veux être cohérent. (P08, H, Qc, Can,
Freq)
Si les risques liés à la relation de pouvoir entre psychologue et patient sont présents
dans tous types de consultations, certaines risques spécifiques sont nommés en lien avec les
situations interculturelles. Différents jeux d’identité culturelle sont nommés pour témoigner
des relations de pouvoir qui se jouent dans l’ISI. Notamment, il est nommé que les
étrangers sont en position d’infériorité par rapport au pays d’accueil, ce qui amène P14 à
accepter les cadeaux de ces clients, au contraire de sa pratique habituelle :
P14 : Ben y va y avoir des patients des fois qui vont faire un cadeau, par
exemple, que j'vais accepter. D'habitude j'accepte pas les cadeaux, j'dis
« écoutez, vous me payez ». Mais pour des étrangers, c'est important de pouvoir
donner quelque chose, de pouvoir… puis là j'accepte. Là peut-être c'est quelque
chose d'un peu différent.
T14 : Pis pourquoi c'est différent avec les étrangers ou…
P14 : Ben parce que dans certaines cultures c'est une insulte de pas accepter un
cadeau, pis y sont comme en position… y se sentent en position d'infériorité pis
de… c'est une façon de rétablir quelque chose de l'ordre de de… tsé. (P14, F,
Qc, Ext, Occas)
153
Aussi, le phénomène de la discrimination et de l’exclusion sociale rend certains
participants sensibles à ce qu’ils peuvent représenter aux yeux de leurs patients considérés
culturellement différents :
P10 : […] D'être, de voir que y'a des gens qui sont discriminés, que ce soit…
euh, des gens d'autres cultures ou des premières nations et de voir, ben…
l'importance de la (tousse), des positions de la société blanche, de laquelle je
fais partie et de… d'être sensibilisé au fait que, même quand on a les bonnes
intentions, on peut être perçus comme oppresseur, contrôlant, discriminatoire,
qu'on peut, malgré nous, alimenter une certaine honte. Ça m'a sensibilisé au fait
d'être attentif à ça et de savoir que des fois j'peux être he, avoir pleins de bonnes
intentions et utiliser les meilleures techniques, mais que j'peux être en train de
m'enliser et de faire du dommage avec, à quelqu'un qui vit ça peut-être d'une
façon que je soupçonne pas. Donc faut être attentif à ça aussi. (P10, H, Mts,
Ext, Freq)
Il est intéressant d’ajouter ici que P10 est lui-même né à l’étranger. Il n’est pas le
seul participant ayant vécu l’immigration à rapporter qu’il est aussi un représentant de la
société d’accueil, du groupe dominant blanc. Il distingue comment les perceptions du
patient à propos de ses interventions peuvent être associées à des expériences vécues de
discrimination et d’exclusion sociale. Parfois aussi, l’identification du psychologue à la
société d’accueil peut amener à s’identifier aux critiques qu’une personne peut porter
envers la société québécoise :
P09 : […] parfois ça m'est arrivé de me sentir dans un mouvement contre-
transférentiel, [...] interpelée par une posture un peu défensive. Pas que je le
traduis là, ça m'est arrivée de me sentir attaquée comme représentante de la
terre d'accueil là...pis euh. Pis ça m'est arrivé de penser, ça m'est jamais arrivé
de dire ça et même de traduire je m'en sers moi comme un, un mouvement
contre-transférentiel là mais ça m'est jamais arrivé de dire « ben là! » euh...
Mais ça m'est déjà arrivé d'me dire « ouin c'est pas facile à entendre ça que y'a
comme un sentiment d'avoir été victime pis de de.. » ça m'est déjà arrivé d'avoir
ces échos-là donc, alors euh c'est peut-être parfois à un moment plus euh fécond
parce que j'me sens toute suite « ah ok » là là j'aurais envie d'me défendre mais
j'me défend pas, qu'est-ce que ça me révèle. Tsé y'a des attaques, la personne
est contrariée, est irritée, à veut se plaindre, pis à veut dire qu'à l'a été
maltraitée, ben faut que j'écoute ça là mais ça m'est déjà arrivé d'avoir un un
mouvement de d'inconfort pis d'envie un peu défensive intérieur qui se révèle.
Qui me sert à euh à voir que la personne est est contrariée là. (P09, F, Qc, Can,
Freq)
154
Dans son propos, P09 souligne à maintes reprises comment il était important pour
elle de tenir compte de sa propre réaction sans toutefois la traduire dans son intervention.
Elle nomme la critique du patient comme un besoin que ce dernier a d’exprimer une
insatisfaction dans ses relations avec la société d’accueil.
Dans les interventions auprès de communautés autochtones du Québec, il est
nommé que le psychologue peut être assimilé à un colonisateur ou un expert blanc
oppresseur :
P04 : […] moi une chose que, auquel je porte attention depuis le début [de mon
travail dans les communautés autochtones], c'est de faire des efforts pour ne pas
me retrouver dans la position du néocolonisateur. Alors, ce que ça veut dire
(tousse)… c'est que quand un peuple a été eh.. entre guillemet he.. « soumis »
ou en tout cas contraint, par un colonisateur surpuissant.. hem… y on, on peut
en venir qu'à, sans s'en rendre compte, exiger que ce colonisateur-là continue de
s'occuper de nous. […] c'est facile et et, on peut même avoir une certaine
pression à, se comporter en expert blanc qui vient régler les problèmes et ça
c'est une reproduction, c'est une reproduction d'un, d'un colonisateur blanc, qui
est surpuissant face, à des gens impuissants. Et donc c'est la perpétuation de
l'impuissance, etc, etc. (P04, H, Qc, Can, Occas)
Il est aussi rapporté que le psychologue pourrait être à risque d’invalider une
croyance religieuse du patient. Cela a particulièrement été discuté dans les cas où les
patients associaient leurs difficultés à une possible action Voodoo :
P03 : C'est arrivé d'ailleurs, une dame [qui ne croyait initialement pas avoir été
victime d’une attaque Voodoo mais qui s’est mise à avoir des indices à ce sujet
et qui demande au psychologue :] « j'aimerais ça pouvoir être aidée parce que
j'arrive plus à fonctionner toute... je vis pleins d'échecs à cause de ça. Puis c'est
pour ça que je consulte. » Là on est dans du codage culturel assez, assez fort.
Où euh.. ça pourrait être tentant d'essayer de convaincre la personne de pas
croire à ça mais là on est là on est en train de vouloir imposer notre lecture de
grille de lecture compréhension à ces phénomènes-là alors que si on y entre,
euh.. là y peut y avoir toute une élaboration qui se fasse puis euh... un travail
qui soit intéressant. (P03, H, Qc, Can, Freq)
Les participants rapportent que le psychologue en situation interculturelle est à
risque de trop demander d’adaptations au patient, en demandant de se calmer, en faisant du
recadrage, en demandant au patient d’avoir des comportements adéquats, en voulant donner
155
des conseils, en pensant que c’est au patient de s’adapter ou en ayant une vision trop
centrée sur l’adaptation au pays d’accueil.
Au contraire de ces risques où le psychologue pourrait exiger trop d’adaptations de
la part du patient, un participant nomme qu’il peut être tentant pour les psychologues
curieux des aspects interculturels avec leur patient en ISI d’avoir le « syndrôme de
l’anthropologue » :
P03 : […] ça c'est peut-être plus moi qui est sujet à, qui est sujet à ça ou d'autres
personnes comme toi qui est … des personnes qui s'intéressent à l'interculturel,
le fameux syndrome de l'anthropologue.. de trop vouloir en savoir sur la culture
de l'autre sur son vécu puis enquelque part que ça réponde plus à à une
fascination, une curiosité qui vient de soi comme thérapeute plutôt que la
personne sente le besoin d'en parler … He, donc de respecter en queque part
qu'est-ce que la personne à envie d'exprimer, à quel rythme elle a envie de le
faire plutôt que de chercher un peu à aller là où pour nous comme thérapeute
c'est stimulant, c'est intéressant comme.. comme vécu clinique, comme cas
clinique par exemple. (P03, H, Qc, Can, Freq)
Ainsi, c’est particulier comment la curiosité culturelle, que plusieurs participants ont
nommé en entrevue, comporte aussi son lot de risque si elle n’est pas utilisée dans l’intérêt
du patient, lorsque l’exploration culturelle est en lien avec le mandat et ce que la personne
souhaite explorer dans le cadre de son suivi.
Une autre forme de risque similaire est d’avoir une vision idéalisée de la culture
d’origine du patient :
P21 : […] T'sais j'ai appris que la culture asiatique, moi j'avais peut-être
tendance à l'idéaliser la culture asiatique, t'sais c'qu'on entend que les, les
chinois sont tout le temps premier à l'école pis euh oui, mais à quel prix, t'sais, à
quel prix parfois, pas à quel prix toujours, à quel prix parfois euh (pause 5
secondes). (P21, F, Mtl, Can, Occas)
156
P03 : Pis là arrivait une clientèle [birmane] pour la première fois, ça fait
quelques années que je suis là-dedans, arrivait avec ces repères-là. He.. mais
aussi avec tout le défi de l'adaptation aussi puis euh… ça je dirais que ça a été
une expérience interculturelle peut-être plus heum… peut-être d'utiliser le mot à
la fois exotique c'est-à-dire le le le plaisir de la différence, queque chose de
beau mais qui en même-temps he.. m'a fait découvrir que ce, ce que je me
représentais comme « quelle est l'Inde, quel est le Népal, quelle est la culture
indienne, la culture népalaise » est pas tout à fait à l'image de la réalité. Là je
dirais j'avais peut-être plus une vision idéalisée, de ces milieux-là, puis dans la
réalité, quand on voit par exemple des Népalais qui sont dans une culture, c'est
de toute beauté au niveau des spiritualités, au niveau des valeurs bon qui s'im,
qui s'imprègnent sur des courants spirituels très très intéressants … euh même
le Bhoutan qui se veut le produit le produit produit du bonheur brut.. en tout cas
qui se veulent axer leur culture sur le bonheur là … au lieu de sur les profits,
mais que c'est au prix de l'homogénéité culturelle donc les anciens Népalais ont
été chassés, emprisonnés, he.. certains torturés, he ont dû quitter le pays, arriver
au Népal, à cause qu'ils ont quitté le pays pour des raisons de survie, en tout cas
économiques, he se font refuser de revenir dans leur pays d'origine, he c'était
tout un autre temps de ces milieux-là qui était très très loin de ce que je m'étais
représenté. Ça a été à la fois une expérience intéressante parce que y'avait des
personnes qui, qui s'étaient construits dans ces environnements-là mais aussi de
de retour au pied sur terre, à la réalité en en en, en pétant un peu ma bulle
idéale, idéalisé de ces de ces, de ces pays-là. (P03, H, Qc, Can, Freq)
Dans ces extraits, on constate comment cette vision idéalisée peut amener à moins
se représenter les difficultés qui peuvent être caractéristiques de l’histoire d’un groupe
culturel donné. Le contact avec des réalités difficiles chez des groupes idéalisés par le
psychologue peut avoir un effet de faire éclater la « bulle idéale » (P03).
Réactions des psychologues à des normes sociales et culturelles différentes. Les
limites et les menaces au rôle du psychologue prennent des formes multiples. La question
« comment un autre psychologue aurait réagi d’après-vous dans cette situation » a permis
de recueillir un grand nombre d’informations à ce sujets et parfois les participants parlaient
de ces limites et menaces dans le cadre de situations vécues.
Tout d’abord, des différences de normes sociales et de valeurs peuvent provoquer
des réactions d’inconfort voire de choc culturel de la part du psychologue. Un participant a
rapporté avoir vécu une situation qu’il qualifie comme étant « un petit moment social
inconfortable » (P18). Celui-ci se décrit comme étant très chaleureux dans son approche, ce
157
qu’il exprime entre-autres en offrant une poignée de main systématiquement auprès de ses
patients. Or, il s’est senti inconfortable lorsqu’une femme juive hassidique n’a pas réagi à
sa main tendue. Étant lui-même juif et peu pratiquant, il s’est rappelé après-coup des
normes dans les rapports hommes-femmes plus souvent retrouvées parmi les juifs
hassidiques. Il n’apparaît pas déstabilisé par cette situation. Toutefois, des chocs culturels
plus intenses ont été rapportés, mais ceux-ci sont relativement peu fréquents dans le
discours des participants. Ce constat peut être éclairé par les propos d’une personne
interviewée :
T16 : C'est ça, de c'que je comprends là, vous me corrigerez, vous parler [dans
cette situation] un peu de choc culturel entre un membre, pis l'autre membre de
la famille, [et] entre un membre de la famille et un intervenant…
P16 : Intervenant c'est plus rare.
T16 : C'est plus rare?
P16 : Parce que nous autres, on fait ça parce qu'on aime ça, pis on veut
apprendre, pis on veut comprendre alors on, mais y va y avoir, non c'est pas
tout-à-fait vrai, y va en avoir sur la question des femmes, de la relation homme-
femme, y va y avoir des chocs culturels, ça c'est clair. (P16, H, Mtl, Can,
Occas)
Les participants qui parlaient de leur curiosité et de leur attitude d’ouverture envers
la différence culturelle expliquaient en quoi cette disposition empêchait d’être « tombée des
nues » (P01) en regard des situations inhabituelles pour elles et eux. Cela peut amener un
discours laissant supposer que le psychologue n’est jamais vraiment choqué par les
situations qu’il rencontre. Il faut aussi souligner que l’entrevue n’était pas uniquement
centrée sur le vécu de chocs culturels, ce qui laissait libre cours à l’expression
d’expériences variées et pas seulement à connotation négative. Néanmoins, certains récits
de chocs sont rapportés. P13 raconte le choc culturel qu’elle a vécu en constatant qu’au
Québec plusieurs personnes âgées vivent seules, alors qu’il est normal dans son pays
d’origine de prendre soin de ses parents lorsqu’ils vieillissent :
158
P13 : Les rapports qui existent, qui parfois sont un peu moins proches que... que
les approches que nous avons au [pays d’origine en Amérique latine], avec les
personnes âgées, surtout. Euh, des grands-mères et des grands-pères qui
habitent tout seuls dans un... en appartement, personne va leur rendre visite, qui
se sentent très seuls... ça c'était vraiment... très choquant. […] j'ai travaillé avec
deux personnes âgées qui se sentaient profondément seules et qui euh... qui
avaient un diagnostic de dépression clinique alors que je comprenais tellement
bien qu'ils se sentent comme ça, parce que je pouvais pas croire qu'elles étaient
pratiquement abandonnées par leur famille. Ça c'est déjà une chose qui est
considérée comme un problème de santé mentale. Moi je trouvais que c'était
complètement justifiable d'un côté humain social. (P13, F, Mtl, Ext, Occas)
Elle rapporte ailleurs comment cette expérience de choc a été une source de
réflexions sur son propre rapport aux aînés et celui de la société québécoise. Elle a eu
l’occasion d’en discuter avec sa superviseure, ce qui a eu pour effet de relativiser sa
position initiale et d’être davantage en mesure d’intervenir auprès de cette clientèle.
Des situations de chocs ont souvent été rapportées dans le travail auprès de patients
musulmans. À ce moment, c’est la question de la différence dans les rapports homme-
femme qui est souvent évoquée pour dire que le patient a des valeurs que le psychologue ne
peut pas partager. Le port du voile est évoqué comme sujet pouvant jouer dans les valeurs
du psychologue :
P21 : Ça [le port du voile] joue un peu dans mes bibittes propres disons. Euh,
t'sais, ça m'est arrivé de me confronter à des valeurs qui étaient très différentes
des miennes, des valeurs que je n'approuvaient pas nécessairement et, euh,
j'voyais bien que c'était des valeurs qu'y'étaient fondamentales pour la personne,
pis euh, j'étais pas là pour la convaincre de changer sa valeur. Donc, c't'ait pas,
j'avais pas à intervenir à ce niveau-là. [...] T'sais fallait que j'sois prudente.
J'aurais pu dire une énormité facilement parce que des fois ça jouait dans mes
valeurs à moi. [...] Elle [la patiente] ne trouvait pas personne de voilée, pis c'tait
ça son objectif, elle aurait bien voulue que j'acceptes de me voiler.
T21 : Ça été dit ça?
P21 : Oui. T'sais, pis ça c'était confrontant pour elle. Mais, ça moi j'peux pas.
Ça s'rait hypocrite de ma part, pis ça fait pas, ça fait pas d'moi une mauvaise
personne. (P21, F, Mtl, Can, Occas)
Dans cette situation, P21 rapporte qu’à la base, le port du voile joue dans ses
« bibittes » et elle sent qu’une limite est atteinte lorsque la patiente lui demande de se
voiler. Un autre participant, P16, témoigne aussi du caractère inacceptable de certaines
159
différences culturelles sur les rapports homme-femme. Pour lui, c’est ce qu’il nomme
l’autorité absolue du père ainsi que les inégalités femmes-hommes dans la famille qu’il ne
peut pas accepter :
P16 : T'sais, je suis une famille en couple, pis euh, les femmes musulmanes y'a
a quelques-unes ici, j'vais parler en Québécois, qui se lâchent lousse. Pis envoye
par là. T'sais, y'en a quelques-unes qui font des expérimentations sexuelles, fait
qu'imagines-toi quand le mari apprend ça, t'as-tu idées là? Y veut la tuer. Pis là,
j'm'en rappelle, j'avais vu le monsieur, j'te raconterais pas, en thérapie de
couple, « c'est moi le boss, pis nous autre dans notre culture, dans notre
religion, j'divorce, c'est pas elle qui peut me divorcer, moi je peux, c'est moi qui
a le pouvoir. » J'ai appelé l'association, « c'est tu vrai ça? », pis j'ai référé ma
cliente, y'ont dit « non. C'est faux ». Parce que j'voulais avant d'appeler l'Iman,
j'voulais appeler un Iman, t'sais. Bon un autre exemple, Parc-Extension, deux
intervenantes qui me disent « (nom du participant) faudrait tu viennes avec
nous-autres, pour rencontrer l'Iman », pis en sortant du métro, tu vois la
Mosquée quasiment en face, y veulent pas parler à des femmes, alors j'pas allé,
mais écoutes un peu là, moi j'peux pas, profondément, dans mes tripes, j'accepte
pas ça là. Y faut que j'y aille pareil. […] Je ne peux pas même si j'voudrais. On
peut pas se nier soi-même, de la même façon qu'eux-autres ne peuvent pas se
nier, l'autorité suprême absolue du père. Moi non plus j'peux pas nier une valeur
très très profonde qu'on a tous comme Québécois, c'est une l'égalité des
rapports homme-femme. Même que j'le voudrais, j'pourrais pas nier ça, et si j'le
fais, je travaille mal. C'est la rencontre de deux cadres, j'sais pas si j'suis clair?
(P16, H, Mtl, Can, Occas)
Dans les propos de P21 et de P16, on retrouve de façon similaire l’idée qu’il serait
contre-productif de ne pas être au clair avec ses propres valeurs ou d’être hypocrite et de
faire semblant que ça ne leur fait rien. Une autre participante, P11, rapporte par rapport au
port du voile qu’elle a déjà pu avoir de la difficulté à ne pas s’imaginer autre chose que les
sœurs religieuses qu’elle a connues dans son enfance. Elle devait alors se parler à elle-
même pour mettre de côté cette image.
Les chocs les plus forts rapportés sont ceux concernant les comportements violents,
notamment lorsqu’ils ont cours dans la famille. Dans un contexte passé d’intervention en
CLSC, P16 rapporte une situation qu’il qualifie de choc culturel entre une famille et l’école
du fils :
160
P16 : [...] Fait que là tu les rencontre [la famille], c'est la culture ça [d’une
région au Portugal], le père y frappe son fils, le fils « envoye frappe ». Fait que
là t'es là tu dis « bon », tu en a un choc culturel, c'est intolérable pour l'école
[...] » (P16, H, Mtl, Can, Occas)
Ici, un stéréotype culturel est utilisé pour comprendre les comportements violents du
père et de l’enfant dans cette famille. Néanmoins, P16 nuance son propos en expliquant
qu’il ressent de type de choc dans toute situation de violence, interculturelle ou non, car il
n’a pas été élevé comme ça dans son enfance. L’expérience de P18 à l’égard des
comportements violents est similaire et lui-aussi utilise un stéréotype culturel, renforcé par
les propos d’un patient, pour comprendre ces comportements :
P18 : Oui avec le patient. J'ai des patients comme ukrainiens qui vont me dire «
[nom du participant]! ils sont tous misérables, ils boient pis, every party, every
family gathering, everybody gets drunk and there is a fight » Ok alors ça c'est
intéressant, ils sont tous misérables, bon ça c'est un Ukrainien canadien qui va
me le dire
T18 : En parlant des Ukrainiens là ?
P18 : Oui en parlant de son vécu d'enfance. Que c'est normal! ... Oh ok ... il faut
que je ... Alright... so I have to, so what's serious for me isn't serious for him.
For me people fighting is really serious and scary, for him it's something he
grew up with. C'est attendu c'est sûr, tu vas avoir une fête de famille, les gens
vont boire beaucoup, ils vont devenir ivres et ils vont se batailler. […] ça
m'affecte beaucoup, parce que c'est pas du tout dans mon histoire, pas du tout
dans ma culture, ni culture juive, ehh.. culture judéo chrétienne, he culture
américaine ehh mon niveau du moyen classe là, ok ? C'est comme un autre
monde ça c'est comme un autre monde alors « ok, ok il faut que j'adapte, il faut
que je… il faut que j'accepte sa réalité comme la réalité de n'importe quel autre
patient et ne pas get too upset about this right… This is just not if I say … “Oh
my god this is hard this is terrible”... He is gonna… je vais perdre son confiance
en moi je vais perdre il peut pas me respecter so I have to keep that part of
myself and say « ok this is » c'est de prendre ça comme lui il le prend. Si lui est
formé de cette manière là, « ok c'est intéressant » faut que pas « Oh my god tu
as vécu ça! » Ça marcherait pas
T18 : Vous perderiez la confiance?
P18 : Absolument, you know credibility, tu perdra ton crédibilité
T18 : Parce que?
P18 : Parce que tu fais grand-chose de rien. (P18, H, Mtl, Ext, Occas)
Limites et déstabilisations en ISI. Si plusieurs situations sont discutées sans que le
participant ne fasse référence à un sentiment de déstabilisation, certaines situations, plus
161
chargées émotivement, ont pu susciter des sentiments d’impuissance très forts. Ce sont les
situations extrêmes qui sont celles qui sont le plus susceptibles de susciter des réactions
émotionnelles et de déstabiliser le rôle professionnel. Les récits de vie entendus en ISI sont
propices à témoigner de situations extrêmes, traumatisantes et comportant des éléments de
violence et de mort, ce qui ne correspond pas à l’expérience quotidienne des participants.
Certaines situations vécues par les patients sont difficiles à imaginer et touchent même les
conceptions sur la nature humaine des psychologues interrogés. Il est fréquent que ceux qui
rapportent avoir écouté ce type de récits parlent du caractère difficile à imaginer, énorme ou
incompréhensible de ces éléments.
P03 : […] On peut pas, en tout cas pour ma part c'est ça, on peut pas
comprendre comment un être humain peut en arriver à poser des gestes comme
ceux-là sur un autre puis penser qu'il est justifié dans ça là, les personne qui ont
fait vivre les, les sévices à cette personnes-là .. euh.. fak en terme de valeurs en
terme de.. ça… ça confronte […] (P03, H, Qc, Can, Freq)
Une participante dit, après avoir décrit une scène d’horreur qu’elle a entendue dans
son bureau, que « le réel fait irruption dans notre tête » (P09, F, Qc, Can, Freq). Le
témoignage de l’Autre fait ainsi rupture avec les représentations habituelles du monde. Ce
qui a été lu dans les livre ou vu à la télévision prend un peu plus de réalité dans le bureau
du psychologue :
P21 : [avoir entendu le récit d’une personne qui a été boat people] ça a mit une
réalité, ceux des choses qu'on entend à télé, ça mit une réalité sur un, sur un
concept. (P21, F, Mtl, Can, Occas)
De façon similaire, un autre détaille :
P07 : […] j'ai découvert quelqu'un qui avait une souffrance énorme là. Qui au
premier abord ne paraît pas. Mais c'est énorme. Pis on peut pas se l'imaginer,
OK on peut ben voir le film « Un dimanche à Kigali » […]. Et puis eh… mais
c'est pas toute-là. Regarde on se met dans tête nous à huit ou neuf ans .. C'est
ça le monde là? C'est ça la vie là? ... Puis tu deviens adulte puis t'oublie que
t'avais neuf ans, pis t'as encore ça dans tête. […]….. Des enfants soldats a qui
on a obligé de tuer leur mère pis leur père. C'est pas drôle. (P07, H, Qc, Can,
Occas)
162
Plus encore, entendre ces récits ouvre à des questionnements existentiels sur la
nature humaine :
P03 : […] c'est ça ça a été des des situations disons he confrontantes sur le plan
humain et sur le plan, ben culturel et humain, c'est-à-dire de de prendre contact
avec un côté de l'être humain, qui s'exprime à travers ça. Nous ici on est très
sécurisé, très codifié, très y'a presque aucune, aucune place à ce qui ait des
extrêmes, des excès comme ça se produisent, même si, si y'en avait des
ouvertures qui se créeraient je suis certain qu'y en a qui .. qu'y en auraient des
actions, des gestes comme ceux-là. Ça fait partie de la nature humaine là. Mais
he, le fait d'être en contact avec ça, sur le plan existentiel c'est des expériences
bouleversantes qui amènent encore là justement à.. he c'est ça, à voir
différemment un peu notre culture, à voir euh.. bon si he.. ben au plan quoi là
c'est ça interculturel mais aussi hu, humain, humanitaire peut-être là des
expériences qui ont été marquantes pour moi là. […] fak en terme de valeurs en
terme de.. ça… ça confronte, puis ça fait se questionner un peu sur le sens de la
vie, sur euh… qu'est-ce qui fait qu'en quelque part sur la terre y'a y y y y'a, y'a
ces choses-là qui arrivent alors qu'ici ben on voit des ptits événements qui sont
vus comme épouvantablement dramatiques, mais dans ces circonstances-là y
peut avoir pleins d'événements donc qui qui qui se produisent. He zones de
guerre où euh, où l'être humain va va va très loin. Euh, fak c'est toute cette
vision-là de l'être humain qui est questionnée, vison de la, ben du sens de la vie
aussi puis euh.. pour ma part en tout cas… (P03, H, Qc, Can, Freq)
Ou bien, certains y voient une confirmation de leur croyance déjà établie, à l’effet
que l’humain est capable du meilleur comme du pire :
T07 : Et est-ce que … vous direz que vous avez appris de cette expérience-là?
P07 : Y'a du monde méchant.
T07 : Ouin, c'est ça que vous avez appris?
P07 : Ça m'a confirmé dans les choses que je savais là mais. C'est c'est.. L'être
humain j'pense comme j'disais tantôt là y'est capable de grand bonheur, mais
d'un très grand malheur aussi. Et comme y'est capable de générosité y'est
capable aussi de de cruauté. (P07, H, Qc, Can, Occas)
Il pourrait être tentant dans ces situations d’amener la personne à ne pas aborder les
détails de ces situations :
163
P03 : He ouin c'est dur à dire ? bien le travail avec des situations de de stress
posttraumatique comme tel, y'en a pour qui bon ils se sentent assez à l'aise,
y'arrivent à à, à pas trop se laisser he.. comment je dirais? Affecter par ce genre
de récit là euh.. d'autres qui vont trouver trop difficile à entendre des récits
comme ceux-là fak en soit c'est possible qu'une personne soit aurais pu euh..
continuer d'accompagner comme nous on l'a fait. Nous on était deux. Ça aide
aussi, ça ça a effet aussi. D'avoir été tout seul avec toutes ces confidences-là
probablement que ça aurait été plus lourd pour moi à dealer avec les images
avec le le récit de la personne mais quelqu'un aurait pu en queque part he, he
être tenté de peut-être détourner le focus des détails, essayer de de, de sortir la
personne un peu de de l'expérience parce que c'était, c'était marquant pour elle.
(P03, H, Qc, Can, Freq)
Les récits de vies difficiles ou traumatisants sont propices à toucher et émouvoir le
psychologue au point de parfois susciter des réactions affectives intenses. Certains ont
rapporté avoir été très ému par le récit du patient au point même de pleurer, ressentir de la
colère et de la rage face à ceux qui ont commis des gestes violents et abusifs et même sentir
que « ça fait lever le cœur » (P16) d’entendre les sévices qui ont été subis.
L’écoute de ces récits peut avoir des impacts psychologiques et porter atteinte au
rôle du psychologue. Notamment, P09 parle des sentiments d’étrangeté et d’impuissance
qui peuvent survenir à l’écoute de récits traumatisants pendant la rencontre avec le patient
qui se confie. Elle se rappelle :
P09 : j'viens juste de m'en rappeler mais j'ai vu une Rwandaise peu de temps
après le génocide Rwandais, pis euhmm là euh j'ai été vraiment très très très
émue pis très euh marquée par son, son récit atroce là [rapporte des éléments de
l’histoire] pis ça ça m'avait vraiment ça m'a marqué j'vous dirais parce que là
y'avait beaucoup beaucoup beaucoup d'éléments de réalité qu'à me racontait, un
peu d'une façon comme euh traumatique là pis ça euh, justement j'étais pas
capable de faire autre chose que d'être comme euh un peu comme spectatrice
avec elle de euh ce qu'a me rapportait là, je je, était comme sous le choc encore
là puis ça ça m'a marqué parce que j'ai eu de la misère à, à dire autre chose que
« voulez-vous qu'on continue à en parler ». J'était pas euh capable de umm
c'était trop gros j'était pas capable de rester dans mes euh (silence 3 secondes)
j'était pas ca…capable d'retrouver mes outils d'travail là… Parce que là c'était
vraiment très étranger pour moi là c'était alors c'était comme trop étranger là, la
machette le euh le sang le la la mort, les membres coupés, les les la terreur, euh
le non-sens là c'était comme euh là ça faisait beaucoup là. Ça ça m'a beaucoup
beaucoup marquée parce que j'savais pas quoi lui dire. Je savais pas, j'ai pas
aimé ça pas savoir quoi y dire. [...] J'dirais que quand ça va mal là, pis que là
j'suis dans (silence 2 secondes) plus d'impuissance là, c'est peut-être ce genre
d'expérience-là qui marque plus. (P09, F, Qc, Can, Freq)
164
Elle apparaît alors déstabilisée de ne pas pouvoir recourir à ses outils habituels
d’intervention. De façon analogue, P14 parle de son expérience d’écouter le récit d’un
patient ayant vécu en camp, écoute qu’elle qualifie comme étant « une expérience humaine
difficilement tolérable par moments » (P14) :
P14 : […] moi ça m'arrivait de pleurer derrière le, heureusement elle le savait
pas, elle le voyait pas. Mais là je me disais je sortais de ma neutralité
bienveillante. J'étais pas neutre, j'étais émue, j'étais bouleversée. Mais la
patiente avait pas à le savoir, elle avait pas à me consoler moi. Ça me regardait
moi. (P14, F, Qc, Ext, Occas)
Cette participante met en évidence comment elle avait l’impression de sortir de sa
neutralité professionnelle et aussi l’importance dans son rôle de ne pas montrer qu’elle était
bouleversée.
En plus des impacts au moment de l’écoute de ces récits, des impacts
psychologiques en dehors des rencontres sont rapportés. Notamment, P04 nomme avoir été
traumatisé après avoir entendu plusieurs récits difficiles dans les communautés autochtones
du Québec :
165
P04 : Ah mon expérience d'avoir été à l'écoute de ça. Ben hem, alors, hemf…
des fois c'est très touchant, des fois c'est c'est pas facile à entendre (racle). Y'a
des choses assez, assez rough qui se sont passées. Hem… (silence 3 secondes)
hem… pis des fois c'est correct, où j'capable d'entendre ça j, parce que j'ai
beaucoup lu, parce que j'ai beaucoup participé aux, aux colloques, aux aux
rencontres de la commission vérité réconciliation, j'ai entendu toutes sortes
d'histoires. Bon. Mais, parfois c'est traumatisant. Hem.. donc un autre concept
important, quand on travaille en milieu autochtone, c'est le concept de la
traumatisation vicariante, vicarious traumautization, c'est-à-dire, c'est-à-dire
qu'à force de travailler avec des gens traumatisés, on le devient soi-même.
Alors, à force d'entendre des histoires traumatisantes, on le devient traumatisé
soi-même, on s'en rend pas toujours compte. Moi j'm'en rendais compte par
exemple, j'rentrais à la maison, ou ou ou je redescendais du Nord en auto, pis là
j'entends une chanson triste pis j'pleure comme un bébé, mais des fois c'tait pas
une chanson triste, des fois c't'une annonce de McDo là, pis j'me mettais à
pleurer là parce qu'y avait quelque chose de touchant dans l'annonce de McDo.
Là tu te rends compte que y'a quelque chose, une charge émotionnelle qui
s'accumule, et pis ça faut faire attention parce que ça peut être, ah ben tient un
soir tu tu prends une coupe de bières de plus que d'habitude. He.. tu tu peux te
mettre à porter he… donc tu deviens traumatisé secondairement. Alors ça ça
arrive aussi. Pis maintenant j'essaie de faire attention à ça. He.. fak ça c'est une
expérience que je peux vivre quand j'entends ce genre de témoignage-là. (P04,
H, Qc, Can, Occas)
Limites à la compréhension. « P08 : […] c'est ça qui est… qui est un piège dans la
relation interculturelle, c'est de croire qu'on sait. » (P08, H, Qc, Can, Freq). Le piège de
croire que l’on sait semble très difficile à éviter du côté du psychologue et il est aussi
difficile à saisir dans la pratique. Les psychologues qui ont parlé du thème de faussement
penser qu’il comprend le patient le présentaient comme étant plus spécifique aux relations
interculturelles, bien que le risque de prendre quelque chose pour acquis est présent dans
toute relation psychothérapeutique. Il en a été question surtout dans les discussions
théoriques et moins dans les descriptions des situations vécues en clinique. En effet, les
participants n’ont pas nécessairement eu les conditions nécessaires pour savoir s’ils
auraient bénéficié d’avoir des repères ou des connaissances autres dans les situations qu’ils
ont rencontrées.
Le premier cas de figure de ce risque est lorsque le psychologue manque de repères
culturels qui pourraient l’aider à se décentrer de sa perspective initiale afin de considérer
d’autres hypothèses de travail plus pertinentes en ISI. Selon les participants, le manque de
166
repères prend la forme de manquer de connaissances sur la culture de l’Autre, ne pas avoir
de grilles de compréhension pour savoir quoi évaluer en situations interculturelles ou ne pas
chercher à explorer les éléments culturels dans l’histoire de la personne qui consulte.
Certains disent qu’ils ressentent dans ces situations une impression de « vide culturel » ou
d’étrangeté. Une participante précise que ce sentiment survient lorsqu’elle n’a pas de
repères pour s’imaginer le vécu de son patient ou pour savoir si ce vécu est normal ou non
selon le contexte culturel d’où il provient.
Il est rapporté que ces manques peuvent avoir un impact sur l’évaluation
psychologique et l’intervention. D’abord, certains avancent que le psychologue se met à
risque d’avoir des difficultés à bien évaluer la problématique du patient s’il ne tient pas
bien compte des aspects culturels qui peuvent s’y jouer :
P08 : Donc si je fais pas ça [explorer le contexte culturel de la personne], y'a
des bouts que je ne comprendrai pas. J'peux pas appliquer la même logique de
sommeil, même là, parce que c'est pas le même contexte, et géographique et
familial, parce que toute la vie familiale se gère différemment dans un univers
où on se couche à la même heure, se lève à la même heure parce que c'est
toujours le même rythme. Si je vas pas chercher ça, j'ai des données importantes
du problème qui me manquent… (P08, H, Qc, Can, Freq)
Ensuite, dans l’optique où les traitements envisagés pour aider la personne
découlent de l’évaluation qui est réalisée initialement, il est aussi expliqué qu’avoir des
grilles d’analyses interculturelles aide à mieux intervenir en ISI :
167
P12 : Euh… moi j'pense que c'est… c'est comme euh… tsé c'est drôle mon
exemple, mais mettons que t'as jamais eu de formation pour de l'intervention de
crise ou de l'intervention suicidaire, tsé toutes les meilleures pratiques si tu
veux, pour aider, pour accompagner pour… ben j'trouve que en interculturel
aussi faut avoir tes grilles. Tes grilles d'analyse tsé, faut que tu les aies quelque
part pour bien accompagner cette personne-là, parce que j'pense que tu peux
passer à côté des éléments complètement, tsé vraiment fondamentales là. Tsé
pour des, mettons un diagnostic différentiel, quelqu'un qui est en choc culturel
vs. qui est en dépression. Tsé y'a quand même des distinctions à faire. Pis…
avec la personne, si tu l'accompagne « ah ben tu fais une dépression », pis tu
l'oriente vers un médecin prendre une médication mais en fait non elle est plus
en choc culturel, pis tu lui dis, tu y'explique c'est quoi le choc culturel,
comment elle peut se sentir tsé ça peut vraiment « ah! c'est ça j'vis! » Pis c'est
pas, on n’est pas dans le pathologique, on est dans quelque chose que la
personne a vit mais par ces, par cette grille d'analyse là que j'ai moi j'pense que
ça vient… euh… mon intervention va être plus nuancée… tsé, plus
chirurgicale. (P12, F, Mtl, Can, Freq)
Toujours au niveau de l’intervention, certains ont rapporté des situations où ils ont
eu l’impression qu’un manque de connaissance aurait pu même causer du tort malgré les
bonnes intentions du psychologue ou l’utilisation des meilleures techniques. À ce sujet, un
participant donne en exemple qu’encourager un enfant à parler de ses émotions n’est pas
toujours thérapeutique selon le contexte culturel de la famille :
P16 : Autre exemple frappant en thérapie familiale, on s'exprime, pis on
exprime nos sentiments. Ça marche pas de même dans d'autres sociétés.
L'enfant qui exprime ses sentiments, ou qui s'oppose à papa, ça se fait pas, on
ne parle pas, j'sais pas si tu vois? Y'a un changement de façon de travailler, ça
c'est fondamental là quand j'te parle de thérapie familiale. Heille ça marche pu
mes affaires là. Pis moi, si j'pousse l'enfant à confronter papa comme on ferait
si c'était un Québécois, ça, là j'fais du trouble, j't'en train de mettre du trouble
dans famille, je fais, je nuis. (P16, H, Mtl, Can, Occas)
Les deux extraits précédents mettent en évidence comment ne pas arriver à se
décentrer de sa perspective de psychologue peut créer des difficultés pour bien comprendre
le patient, surtout en situation interculturelle, et que cela peut même causer du tort.
Des psychologues expliquent aussi comment le fait d’avoir des repères culturels en
commun avec le patient peut les amener à prendre pour acquis certains éléments de sa
situation. Ce type de biais est rapporté lorsqu’il y a une perception de similarité culturelle,
168
ce qui n’est donc pas spécifique aux ISIs. Les participants ayant eu même immigré au
Canada ont aussi pu rencontrer ce type de situation, notamment lorsque le patient avait la
même langue maternelle ou le même pays de naissance qu’eux. L’un d’eux rapporte une
situation qui a pris une tournure plutôt cocasse pour lui :
P10 : [...] voilà plusieurs années en CLSC je me retrouvais avec un homme [...]
et j'essayais de de de lui poser des questions, j'essayais de faire de l'intervention
mais y parlait à peu près pas. Et à un moment donné, sa femme, qui venait assez
souvent dans ce cas-là aussi, qui l'attendait dans la salle d'attente, il a voulu
qu'elle vienne dans la rencontre. D'habitude j'accepte pas ça, je suis davantage
bon j'explique qu'on fait un travail individuel, mais à l'occasion j'me dis « bon,
quelle est la pertinence d'accueillir donc une tierce partie? ». Et dans ce cas-là,
j'ai eu l'impression que c'était important et de respecter ce que le client me
demandait. Surtout que j'avais l'impression que c'était vraiment quelqu'un qui
avait aucune idée de qu'est-ce qu'on faisait comme travail en thérapie là, y'avait
vraiment c'était à.. mille kilomètres de son esprit. Et ce qui était curieux, c'est
que je l'accueille, la dame, je l'avais déjà saluée, et on se met à parler, je
continue de parler, mon client parle, puis je l'interromps- ben je l'interromps,
j'interviens, et pis un moment donné, la dame, c'est elle qui m'interrompt et
pis « Monsieur [nom du participant], mon mari comprend rien de ce que vous
êtes en train de dire » on est tous les trois [du même pays d’origine]. « Mon
mari comprend rien de ce que vous dites… » Alors ce sont des [personnes de ce
pays] et moi je suis [de ce pays] du continent, eux autres sont des [nom de la
région] donc y'a aussi un dialecte un peu différent. Et là, elle dit à son
mari « est-ce que tu comprends? » Il dit : « non ». Alors elle lui explique ce que
je disais et moi je comprends tout ce qu'elle dit. Et j'y dis « mais ça ressemble
drôlement à ce que j'ai dit ». Elle le lui explique et là il comprend. Alors
pourquoi je mentionne ça, c'est parce que des fois, même dans notre propre
culture, que ce soit au niveau de langage, on peut avoir la l'impression qu'on va
de facto se comprendre, mais c'est pas garanti, c'est vraiment pas garanti. Et
donc j'ai vraiment appris à être très attentif, même avec les gens de mon propre,
de ma propre culture, les gens avec qui je parle une langue, que ce soit le
français, le [langue d’origine] ou l'anglais, est-ce qu'on est vraiment en train de
se comprendre? Qu'est-ce que l'autre comprend de ce que je dis? C'est sûr que
c'était pas la première fois à laquelle j'étais préoccupé si on se comprenait, mais
y'avait une qualité de compréhension, y'avait quelque chose, une dimension qui
m'avait complètement échappée. J'avais pris pour acquis que il parle [langue du
pays d’origine], que je parle [langue du pays d’origine], j'essaie de parler de
façon quand même simple [...]. Mais sa femme elle me comprenait! Pis lui il
me comprenait pas. Alors c'était fascinant. (P10, H, Mts, Ext, Freq)
Cela montre comment prendre quelque chose pour acquis peut favoriser les
incompréhensions dans la relation thérapeutique et comment ce n’est pas toujours évident
169
de savoir qu’il y a une incompréhension. Une autre participante illustre aussi comment son
interprétation des questions de sa patiente a pu être initialement biaisé par la perception que
tous deux avaient une langue commune :
P17 : Comme, par exemple, j'ai une dame…qui, manifestement en la voyant,
vous dites « elle est Chinoise ». Bon, c'est vrai qu'était Chinoise pis, dans son
histoire personnelle, a m'a marqué qu'était d'origine chinoise. Mais, ce qu'a m'a
pas dit, st'une Chinoise, mais née à Madagascar. [...]. Elle a un excellent
français, OK ? Mais, des fois, a me pose des questions pi là [...] Pis c'est sa, en
fait elle, elle parle Malgache euh, pardon, même pas, c'est le créole sa langue
maternelle [...] le français, c'est sa cinquième langue, parce qu'elle est
anglophone. A travaille dans un milieu anglophone, OK ? Alors, elle, quand a
me parle là, a me posait des questions pi j'me disait « c'est impossible là »
[qu’elle me pose ces questions]. OK, c'est une universitaire, c'est de l'élite de
l'université. C'est impossible : qu’est-ce qu'a comprend pas? [...] Alors donc, là,
elle, elle comprend que…j'ai fini par comprendre que, quand a pose des
questions, pi a en pose, pi a en pose pi moi je… Affectueusement et
respectueusement professionnelle là, j'ai dit « vous chipotez sur des affaires
là ». Mais, au début, ce que moi, j'avais dit là a m'avait dit « moi, je suis pas
perfectionniste. Non, je suis pas ci. Non, je suis pas ça. » Mais, c'est vrai qu’a
chipote sur des mots, mais c'est parce qu’a comprend pas bien notre langue!
(P17, F, Mtl, Can, Freq)
Ainsi, la participante travaillait initialement avec l’hypothèse que sa patiente
pouvait être perfectionniste tant et aussi longtemps qu’elle n’a pas saisi à quel point
s’exprimer en français pouvait être difficile pour la patiente.
Ne pas être capable de se décentrer. Une autre limite nommée au rôle du
psychologue est de ne pas sortir de sa grille de compréhension ou, de façon similaire,
d’imposer une vision médicale au patient.
P03 : [...] c'est d'ailleurs ce qui était aussi très présent que je me travaillais avec
les autochtones, que je me rendais compte que beaucoup de gens qui
travaillaient auprès d'eux négligeaient, c'était de justement s'ouvrir à une autre
manière de voir, une autre manière de vivre, de se représenter son expérience de
la part des clients, de se représenter leurs symptômes bon, plutôt que de faire
rentrer une personne dans une grille euh... qui est très occidentale. Ben à ce
moment ça m'amène à être beaucoup plus prudent là-dessus euh.. (P03, H, Qc,
Can, Freq)
170
P06 : (Silence de 20 secondes) Euh…, oui, car lui aussi [le psychologue] ses
repères, c'est vrai puis... Et il s'accroche souvent à ses, ses habitudes, il… il
se… devient intransigeant avec sa propre culture et veut l'imposer à l'autre. Ça
peut arriver ça, ça m'est arrivé. (P06, H, Mtl, Ext, Freq)
P04 : Mais he.. he et un autre psychologue pourrait ne pas embarquer là-dedans
[les méthodes de soins amérindiennes traditionnelles] et strictement regarder
ça… d'un point de vue psychologique psychiatrique et puis he.. voir ça comme
du.. ne pas s'intéresser à, à ça en faite là, et se concentrer sur la dépression pis
l'anxiété. (P04, H, Qc, Can, Occas)
Un participant situe la difficulté à se décentrer pour les psychologues à la fois dans
la formation qui aborde peu les aspects environnementaux touchant l’individu et par un
biais de la psychologie qui a tendance à s’intéresser seulement à l’intrapsychique :
P10 : Je… c'est comme si pendant toutes mes années d'études universitaires, oui
y'avait le fait que y'avait des collègues d'autres cultures qui étaient présents,
mais l'accent au niveau de l'enseignement n'était pas là. Au niveau même
postuniversitaire, s'il y'avait une préoccupation de souligner l'importance d'être
sensible aux différences, d'être ouvert à l'autre dans sa différence, la dimension
culturelle a été très peu mise de l'avant au fait la dimension psychosociale a
souvent été très peu mise de l'avant. C'est par moment un accent presque
exclusivement intrapsychique qui isole l'individu comme si ce n'était qu'une
organisation psychique dissociée, non-environnement. […] Et j'ai l'impression
que le rôle du psychologue, souvent, se limite à un travail sur le, justement les
tensions psychiques, mais en réalité y'a des tensions, c'est indissociable des
tensions sociales aussi. Et donc, de contextualiser l'intervention, de
contextualiser l'expérience de la personne en tenant compte de ces éléments-là
me paraît important. Et pis j'ai l'impression que souvent on en parle pas
vraiment de ça. (P10, H, Mts, Ext, Freq)
Avoir de la difficulté à poser un bon diagnostic. Dans la difficulté à poser un bon
diagnostic, on retrouve à la fois l’idée qu’il est plus difficile de faire un bon diagnostic en
situation interculturelle et qu’il est possible de confondre culture et personnalité :
P03 : […] mais quelqu'un qui ne s'intéresse pas aux.. aux particularités de
l'interculturel dans une situation d'intervention, je pense aurait tout simplement
conclut à « c'est une personnalité euh.. limite-là qui faut he c'est ça encadrer au
plus vite », aurait devenu très directif, aurait peut-être rejeté la personne
carrément euh.. aurait même peut-être, se serait peut-être même levé puis dis
euh.. « regardez, vous sortez puis je vous veux plus en thérapie là ». Ça allait à
ce point-là à certains moments-là. Donc he, aurait peut-être rapidement fermé,
coupé le lien avec, avec la personne..pour des aspects à la fois peut-être
culturels et personnels. (P03, H, Qc, Can, Freq)
171
P10 : [...] Mais je peux aussi avoir l'impression que certains psychologues
pourraient se sentir un peu interloqués par le ton, l'attitude avec laquelle la
cliente elle a fait cette critique et que pourraient avoir remarqué quelque chose
de plus impertinent, un peu contrôlant, de la part de la cliente et qui aurait pu
rester d'avantage uniquement sur cette dimension-là. Euh… je peux imaginer
certains psychologues qui se questionneraient pas nécessairement sur la
différence culturelle, sur le fait qu'ils ont aussi une vision du monde avec
laquelle ils arrivent dans l'intervention et que... ils oublieraient que y'a là une
rencontre de deux visions différentes, pas juste une question entre un spécialiste
pis quelqu'un en détresse, mais que y'a deux rencontres, une rencontre entre
deux cultures, entre deux visions. (P10, H, Mts, Ext, Freq)
Limites au cadre habituel de la thérapie. Deux participants expliquent même des
limites dans le cadre de l’intervention qu’ils privilégient dans leur travail actuel, notamment
dans le format « un-à-un » des rencontres avec un psychologue :
P03 : […] Pour une personne qui s'est construit dans une société traditionnelle
africaine il a des croyances par exemple en la sorcellerie, le un-à-un est à se
méfier. Le un-à-un euh… c'est là qui peut y avoir he par exemple, de la
sorcellerie qui circule. C'est comme si la personne he, ne peut que ff.. que
s'appuyer finalement sur le seul individu qui est devant elle.. connait pas bien
ses intentions. Bon, la symbolique du chaman sorcier porte un savoir ou il
transige avec des esprits aussi donc il y a un certain euh… comment je dirais…
Un certain privilège avec le monde des esprits qui peut servir à bien ou à mal.
Donc le un-à-un est à se méfier... si par exemple aussi, il y aurait une rencontre
qui serait avec une femme, où dans la représentation du euh... Euh... Bien du
mariage, des valeurs un peu d'une union de mariage, une femme va pas
consulter un homme seule, à ce moment-là ça peut causer problème aussi. (P03,
H, Qc, Can, Freq)
P12 : Mais j'te dirais que quand, par exemple, on vient d'une… d'une famille
qui s'est inscrit dans un pays qui est plus collectiviste, ben notre rapport à l'autre
va être différent. Pis la thérapie, qui est très très individuelle, des fois ça va
clasher à c'te niveau-là. (P12, F, Mtl, Can, Freq)
Résistances du patient et limites dans l’expression du patient. Une partie des
résistances perçues dans les situations rapportées sont des manifestations habituelles de
résistances en thérapie : terminer un processus thérapeutique prématurément, ne pas
travailler dans la direction du changement souhaité ou ne pas faire les devoirs proposés,
mentir et cacher des choses au psychologue, présenter une attitude défensive, irritable ou
172
méprisante envers le psychologue, entrer en compétition sur le terrain des connaissances
théoriques, être en refus par rapport à une idée ou même devenir opposant à l’égard de la
démarche thérapeutique.
P09 : Ben parfois, les gens he sont déçus ou sont contrariés ou sont pas contents
des soins qui reçoivent pis y nous demandent he, y trouvent que ça va pas vite,
y trouvent que c'est c'est c'est, qu'on se voit pas assez souvent, que que que je
m'occupe pas bien d'eux donc c'est sûr que de temps en temps un peu de.. j'me
leurre pas là je sais bien que ça dure pas tout le temps ni dans un sens ni dans
l'autre, mais quand on est beaucoup mis à l'épreuve pis beaucoup attaqué au
plan intellectuel au plan théorique au plan culturel, ben c'est fatiguant. On le vit
c'est sûr. Les patients, les gens qui viennent ici c'est des gens qui sont souffrants
pis qui sont à vifs he, y faut pas prétendre he c'est pas parce que les gens sont
souffrants qui veulent he, qui qui sont contents qu'on s'mêle de leurs affaires pis
qu'on triture leur he leur he leur he leur he leur trippes leurs leurs.. donc y
réagissent là. (P09, F, Qc, Can, Freq)
Comme le mentionne cette participante, l’expérience de travailler avec les
résistances du patient en consultation peut devenir fatiguant. Certains mentionnent à cet
égard qu’ils deviennent vigilants pour éviter leurs propres réactions contre-transférentielles
face à ces résistances. Le plus souvent ces résistances sont comprises comme étant une
forme de rigidité chez le patient, et l’étiologie de cette rigidité peut être associée à des
éléments de personnalité et, plus rarement, à des éléments culturels.
Certains conceptualisent les résistances en tenant compte de l’interaction entre la
personnalité et les aspects culturels. C’est ce qu’on trouve dans les propos des participants
qui disent que certains patients se cachent derrière la culture pour ne pas assumer la
responsabilité d’un comportement :
P14 : […] j'ai vu que les problèmes entre guillemets, problèmes culturels,
étaient pas des problèmes culturels. C'était ses problèmes à lui. Il était de
culture arabe, de culture musulmane, mais tellement extrémiste et comme moi
j'ai eu l'occasion de lire le Coran en arabe, de connaître certains versets du
Coran, je le confrontais à ça en lui disant : « Ben, oui vous dites ci, mais y'a ça
aussi dans le coran ». Donc ça a été, bon, une confrontation polie, euh… […] il
était extrémiste et tous les musulmans sont pas comme ça. Ça me… Mais
d'ailleurs dans les rapports que j'ai dû rédiger j'ai pu le noter que… il se cachait
derrière les éléments culturels, mais que c'était ses difficultés personnelles à lui
qui étaient en cause. Parce que même les Québécois se laissaient prendre à ça
« Ah, ben oui c'est sa culture ». Non. Pas un problème de culture. (P14, F, Qc,
Ext, Occas)
173
De façon similaire P16 rapporte que son client avait évoqué des raisons culturelles
pour dire que sa femme ne pouvait pas divorcer, mais cette information a été infirmée
lorsque le psychologue s’est informé auprès d’un informateur culturel.
Un autre type de limite attribué au patient est que « y'a des choses qui se disent plus
tard » (P19), notamment sur les sujets sensibles comme le racisme ou les situations
extrêmes vécues à l’étranger.
P19 : Jamais ces personnes-là m'ont parlées d'elles-mêmes du fait qu'ils vivaient
du racisme. Toujours plus à mots couverts, de façon he.. par des, des, des
exemples, mais où on dit pas han que on est en présence de, de, personnes qui
peuvent avoir des propos, ça reste…On dirait qu'à chaque fois, y'a quelque
chose où y vont devenir un peu flou. Pis ça j'ai remarqué vraiment chez les trois
personnes. (P19, F, Mtl, Can, Freq)
P07 raconte qu’un de ses patients en consultation a parlé pendant une certaine
période de ses difficultés liées à ses relations amicales et son parcours scolaire. Or, le
psychologue a eu connaissance d’une nouvelle liée au pays d’origine de son patient et il a
eu l’intuition de demander si le patient avait été enfant soldat. Cette question précise a
permis d’ouvrir sur un sujet très souffrant pour la personne qui n’avait pas été
préalablement abordé :
P07 : […] Alors tsé au départ quelqu'un qui parle pas, bon…. On peut poser, on
peut amener ben des hypothèses, on peut poser ben des jugements, tant qu'on
sait pas. Mais moi j'avais dans mon idée que y'avait quelque chose qui
l'empêchait de parler. Pis c'était ça [qu’il avait été enfant soldat]. […] j'ai
découvert quelqu'un qui avait une souffrance énorme là. Qui au premier abord
ne paraît pas. Mais c'est énorme. Pis on peut pas se l'imaginer […] (P07, H, Qc,
Can, Occas)
4.3.2.4. Différences perçues. Les participants font référence à de très nombreuses
occasions dans leur discours à des différences culturelles qu’ils perçoivent en ISI. Bien que
certains expriment ces différences culturelles en tenant compte de la perspective
individuelle du patient, la plupart les ont abordées en les généralisant à un groupe donné.
Ce recours fréquent à la généralisation a complexifié le travail de classement de ces codes.
En effet, il était impossible avec le discours produit en entrevue de déterminer s’il s’agissait
d’une collection d’expériences vécues en clinique qui a mené les participants à construire
174
ces généralisations ou s’il s’agissait de stéréotypes culturels appris par les participants dans
leurs milieux de socialisation. J’ai donc mis de côté l’idée de comprendre l’origine de ces
généralisations pour m’intéresser plutôt à leur fonction.
Dans la poursuite du travail d’organisation des codes, il est apparu clairement
qu’une grande proportion des généralisations culturelles a pour fonction de tenter
d’expliquer des limites et des difficultés rencontrées dans le cadre du travail
psychothérapeutique. Ainsi, par ce procédé, la difficulté est attribuée non pas au
psychologue ou à l’Autre, mais plutôt dans l’écart culturel qui existe entre l’Autre et le
cadre psychothérapeutique privilégié par le psychologue. Les limites à l’ISI expliquées par
des différences culturelles touchent notamment le rapport aux soins (médicaux et
psychothérapeutiques), au temps, à la parole, à la présentation de soi, à l’expression
émotionnelle, à la proximité, aux limites interpersonnelles, aux rapports homme-femme
ainsi qu’aux comportements antisociaux (violence, extrémisme et délinquance).
Généralisations sur le rapport aux soins. Des différences entre le patient et le
psychologue quant aux conceptions des soins psychologiques et biomédicaux sont apparues
dans les discours. Une représentation partagée par plusieurs est que les soins
psychologiques ainsi que le vocabulaire biomédical associé (ex. : anxiété, dépression, etc.)
sont moins importants, voire inexistants dans certains pays. On retrouve aussi l’idée que la
personne ou sa « communauté culturelle » (P12) peuvent associer le fait de consulter un
psychologue comme un signe de folie et auraient ainsi davantage une vision défavorable de
ce type de soin. Le plus souvent, cela est associé par les participants à une ignorance dans
le groupe culturel de la personne qui consulte de ce qu’est la psychothérapie et le rôle de
psychologue. Une participante explique aussi que cette ignorance du rôle du psychologue,
mais la reconnaissance qu’il s’agit par ailleurs d’un expert, peut amener certains patients à
attendre que le psychologue parle. L’intervention privilégiée pour pallier aux difficultés
découlant de la méconnaissance des soins psychologiques est d’expliquer clairement au
patient le cadre de la thérapie.
Une autre situation s’est présentée occasionnellement dans les discours sur les
différences culturelles où le patient présente des explications tirées de croyances culturelles
175
et religieuses pour expliquer le problème pour lequel il consulte. Un participant nomme
cela des situations avec un codage culturel fort :
P03 : Le codage c'est tout ce qui, dans le discours de la personne, quand elle se
présente, euh? je sais pas moi si quelqu'un arriverait en disant euh? euh bon!
J'ai perdu euh .. C'est arrivé d'ailleurs, une dame [qui raconte des difficultés en
lien avec la maternité] : « de plus en plus j'ai l'impression que je suis victime
de.. d'un bon, d'une attaque voodoo. Attaque vaudou qui a été posée par qui, je
ne le sais pas encore, mais j'ai découvert que [nomme les indices lui ont fait
penser à une attaque voodoo], puis j'aimerais ça pouvoir être aidée parce que
j'arrive plus à fonctionner toute… je vis pleins d'échecs à cause de ça. Puis c'est
pour ça que je consulte. » Là on est dans du codage culturel assez, assez fort.
(P03, H, Qc, Can, Freq)
Celui-ci croit que ces situations sont moins fréquentes au privé, car ces personnes
auraient moins de connaissances sur ce qu’est la psychothérapie. Toutefois, dans la présente
recherche il est arrivé à quelques occasions que des participants rencontrent ce type
d’explications en pratique privée, notamment concernant le Voodoo, mais aussi avec
l’Islam et la religion catholique. Un attachement fort à ces croyances est souvent
conceptualisé comme un frein à la psychothérapie :
P11 : […] mon rôle c'est de… l'aider à … activer tout ça, tout son potentiel
pour s'en sortir. Et là, j'veux dire, j'étais comme… y'avait un frein. Un frein de
ces… de ces croyances-là [à propos du Voodoo]. (P11, F, Mtl, Can, Freq)
Un autre aspect important dans les discours sur les différences culturelles est la
correspondance (ou non) des patients avec l’approche psychothérapeutique préconisée.
Dans cette perspective, le pays d’origine des personnes ayant migré serait lié à leur capacité
ou non de réaliser un traitement psychologique. Il s’est avéré dans les cas discuté que les
psychologues pouvaient se sentir inconfortables, ou à l’inverse très confortables, selon la
familiarité du patient avec leur propre conception de la psychothérapie. De façon générale,
il est rapporté que les patients d’origine d’Europe de l’Ouest, notamment les français,
auraient plus de facilité pour parler de leurs émotions et faire de l’introspection. Un
participant dit aussi que les juifs aiment parler, ce qui favorable à être en psychothérapie.
Ces caractéristiques peuvent plus ou moins correspondre aux pratiques
psychothérapeutiques des participants. Une participante d’approche éclectique qui utilise
176
l’histoire familiale trouve qu’il est plus facile de faire l’arbre généalogique avec la clientèle
européenne qu’avec la clientèle québécoise, ce qu’elle attribue à l’importance de la
transmission familiale en Europe. Une autre psychologue d’approche psychanalytique
rapporte un plus grand confort lorsqu’elle travaille avec des personnes familières avec la
psychanalyse, soit des français ou des argentins. À contrario, deux participantes, une qui dit
être orientée vers le changement et l’autre qui adopte une approche médicale structurée,
rapportent des difficultés à faire correspondre leur cadre psychothérapeutique avec certains
patients européens, ce qu’elles attribuent justement à l’influence de la psychanalyse. Deux
situations ont été discutées en ce sens et le résultat de ces rencontres a été soit une
compétition pour les connaissances ou une résistance du patient à faire autrement que juste
parler de ses difficultés.
Dans un registre similaire, des difficultés à faire un travail psychothérapeutique ont
été rapportées avec des personnes de religion musulmane ou arabes. Le point commun entre
les expériences rapportées à cet égard semble être de rencontrer des difficultés à exercer
son rôle de psychologue auprès de ces clientèles mais les explications proposées divergent :
P11 : […] dans la religion musulmane euh… quelque chose qui est mon dieu, y
t'arrives de quoi, soit que toi tu as fait quelque chose ou tes ancêtres ou ta
famille ou tes…, mais tu expies quelque chose. Tu expies quelque chose, donc
ça vient beaucoup entraver la psychothérapie, parce que c'est comme une
punition de Dieu. Donc j'dois euh… euh… comment j'pourrais dire, la subir,
expier. Donc euh… bien souvent on a beaucoup de difficulté à les mobiliser
[…]. (P11, F, Mtl, Can, Freq)
P06 : […] Y'a la différence chez l'occidental, l'introspection, tout à fait aisée,
normale et qui vient, qui va de soi quasiment. Alors que chez l'Arabe ou chez le
non-Occidental, l'introspection c'est de la folie, c'est complètement ridicule,
c'est une insulte. Les gens, les gens ne tolèrent pas ça du tout du tout, donc il
faut assurer le traitement sans qu'ils en arrivent à à vivre une atmosphère
comparable à l'introspection. Donc c'est, c'est dur. C'est pas évident. [...] Ben,
simplement euh, dans la pratique analytique tu as la fameuse loi… j'sais pas
comment on appelle ça la… la première recommandation que qu'on fait au
patient c'est de dire tout ce qui lui vient à l'esprit sans, sans sélectionner, même
les choses les plus banales. Bon, comme blanc occidental ça va très bien; il est
très heureux avec cette consigne. Bon il a peut-être un peu de mal au début,
mais il y va après très facilement. Mais avec un non-Occidental, l'angoisse
monte… au bout de, il tolère pas ça plus d'une séance, c'est intolérable,
intolérable. (P06, H, Mtl, Ext, Freq)
177
Généralisations sur le rapport au temps. Le thème des différences dans le rapport
au temps a lui aussi été nommé fréquemment et il apparaît lié au cadre psychothérapeutique
par la capacité du patient à venir à un rendez-vous à heure fixe. Les participants disent
observer une tendance à arriver en retard chez des patients originaires d’Afrique ou d’Haïti,
les Arabes ou les Autochtones du Québec vivant sur des réserves. Il est rapporté que de
« savoir » que certains groupes ont tendance à être en retard ou avoir une hypothèse
culturelle pour expliquer des difficultés à tenir un rendez-vous à heure fixe permettrait de
mieux composer avec le sentiment de frustration que génèrent ces situations pour le
psychologue :
P09 : À l'époque j'prends un exemple très spécifique quand j'avais commencé à
travailler à l'université on m'avait dit les Africains sont toujours en retard, parce
qu'y ont rencontré quelqu'un en s'en venant pis c'est pas une offense, euh nous
on l'prend comme ça donc he, mais c'est pas un offense c'est pas un manque de
respect c'est juste qui, c'est c'est comme ça pis euh après ça pis ça va prendre un
moment de de. On m'avait dit ça, on m'avait dit ça, pis ce qui s'est avéré aussi
mais je le, je le savais donc j'faisais avec […]. (P09, F, Qc, Can, Freq)
P04 : Pis aussi la notion du temps, eh, moi j'rencontre des gens, j'arrive dans,
dans l'village, pis y me disent « Ah t'es là cette semaine, super! Eh j'prends
rendez-vous avec toi, OK j'appelle [la réceptionniste] pis j'prends rendez-vous».
[La réceptionniste] mettons c'est celle qui prend les rendez-vous. Parfait. Prend
rendez-vous pis tout ça, oups se présente pas. Je l'recroise « Ah ben oui j'ai
manqué le rendez-vous, eh.. j'avais pas de gardienne » ou eh.. « mon frère m'a
invité à chasse, j'partis à chasse ». Y r'prend un autre rendez-vous, y pourrait
arriver qu'y se représente pas, et c'est pas parce qu'y'a pas l'goût d'venir. C'est
pas parce qu'y veut te faire chier. C'est que y'a la notion du « right time », à ce
moment-là y'avait quelque chose d'autre qui se présentait. Et, c'est ça. C'est
une, c'est une autre relation au temps, alors si on n'a pas un peu lu, et si on n'est
pas un peu ouvert à essayer de comprendre on, on on vit constamment dans,
dans une frustration un désarroi, pis j'dirais que ça enlève pas toute la
frustration et tout le désarroi, ça, encore après quinze ans, quand j'ai sept clients
pis y en a juste un qui se présente, c'est pas l'fun. Ça arrive de moins en moins
j'te dirais, c'est quand même beaucoup plus rare maintenant. Ça enlève pas tout
le désarroi mais ça, ça aide à … ça aide à … (silence 2 secondes) à mieux vivre
avec disons. (P04, H, Qc, Can, Occas)
Généralisations sur l’expression de soi. Le thème des différences dans l’expression
des émotions et de la détresse est souvent relevé et apparaît comme un aspect important à
178
tenir en compte pour s’assurer d’avoir une bonne appréciation du vécu subjectif de la
personne :
P11 : […] y'a ça aussi [la dramatisation] qui faut que je dose dans les
différentes cultures. Ok. Euh… des euh… pis là, ben on est quand même en
Occident mais on ne… chez les Italiens, j'pense c'est un peu connu comment
tout, tsé, j'veux dire sont beaucoup plus démonstratifs. Et dans beaucoup de
cultures, les gens vont démontrer leur peine ou leur joie d'une façon plus
expressive euh… chez les Latinos, les choses comme ça que nous. Des fois
quand he, t'es en interaction, en thérapie, faut aussi que tu te rappelles que peut-
être que oui… y'a une partie qui euh… plus démonstrative de… euh… de… tsé
comme de la souffrance, de la douleur. La douleur, nous, on va être stoïque, on
veut pas, ou on, tsé on va dire, c'est bien de… de pas montrer notre souffrance.
Ok. De pas montrer non, c'est bien de voir que la personne voit qu'on souffre
mais que on est fort et on s'plaint pas. Ok. J'veux dire, se plaindre, c'est pas…
socialement euh… Accepté. Alors que dans d'autres, y faut que tu te plaignes.
Y faut que tu te plaignes pour montrer que ça fait mal et nous ça nous irrite. Ok.
Parce que ça vient nous… nous heurter à nos valeurs que euh… non, tu dois pas
te plaindre. Tu peux dire que tu souffres, mais être correcte, alors que l'autre
faut qu'à se plaigne. Fak euh j'veux dire tsé des euh… des choses comme ça,
fak y faut, quand tu rencontres quelqu'un pis que c'est beaucoup dans la plainte
de la douleur, regarder est-ce que ce, et ne pas, elle souffre assurément mais pas
plus probablement qu'un autre Québécoise qui va dire « j'ai mal » ou un
Québécoise ou un autre culture qui va te dire « j'ai mal » mais qui ne fera pas
toute la plainte parce que, j'veux dire, c'est pas de… dans sa culture ben on
dit « j'ai mal » (rire). Pis là tu la vois sur la chaise pis là tu sais que ça y fait
mal, tandis qu'eux autres vont te le montrer. Mais tu as l'impression que ça y
fait peut-être pas mal. Mais j'veux dire, bon, à souffre un peu là, j'vous dis pas
qu'à souffre pas là, mais y'a des façons de démontrer différemment puis euh…
et à quelque part, comment toi tu peux l'aider là-dedans, tsé. Là-dedans de… de
l'autre, de faire attention que oui, c'est signe que peut-être faudrait qu'à, peut-
être qu'à fasse plus attention à ses choses, pis l'autre ben peut-être que le fait
d'amplifier ça l'aide pas non plus à contrôler sa douleur. Tsé de… fak euh ben,
pour elle n'amplifie pas mais tsé d'une autre façon mais de… de… de regarder
comment ça, comment on peut agir là-dedans. (Rire). (P11, F, Mtl, Can, Freq)
Une autre psychologue rapporte aussi avoir eu des difficultés répétées avec des
patients qui présentaient des attitudes, qu’elle associe à la culture, à se plaindre sans
chercher de solutions chez les européens de l’est ou à dramatiser chez les haïtiens :
179
P01 : […] J'ai tendance à voir que les personnes de l'Europe de l'est sont
beaucoup dans une attitude euh…, heum, très misérabiliste. Très euh…, heum,
et ça, ça crée une espèce d'insatisfaction, tsé, de la misère confortable; très
misère confortable. Russe, Roumain, j'ai eu cette tangente-là. […] Je me
confrontais toujours, je me frappais toujours au même mur; c'est qu'on essaie de
les rendre plus proactifs, mais non non non, les changements sont jamais
possibles, parce que les obstacles sont trop grands, donc on se crée toute une
vision de de qui nous paralyse et on reste dans notre situation dans laquelle on
souffre, pour laquelle on vient consulter, mais on se met très peu en action. […]
à chaque fois que t'amènes quelque chose, à chaque fois que t'essaies de faire un
peu de résolution de problèmes…, toujours c'est des faits, de l'autres côté. Des
faits, des faits, des faits. Donc c'est jamais possible, c'est jamais correct, c'est
genre non non non. Donc y'a cet espèce de désir presque de rester dans cette
misère confortable-là. Et je sais pas trop qu'est-ce qu'ils recherchent en venant
ici, dans un bureau de psychologue, parce que j'suis pas là juste pour les écouter
ventiler, ou se plaindre, ou exprimer ce qui les désarçonne, ce qui les fait
souffrir dans la situation actuelle, j'suis là aussi pour les aider à en sortir, ne
serait-ce que psychologiquement d'en sortir, même s'ils peuvent pas modifier la
situation actuelle. Et on se retrouve devant des gens qui ont vraiment cette
vision-là, où euh…, ils se présentent dans un cul-de-sac pis on dirait qu'ils
veulent se maintenir dans une vision cul-de-sac. Alors c'est très limité ce qu'on
peut faire comme intervention, dans un contexte comme ça. Et j'ai remarqué,
effectivement, que Europe de l'est, Russie, Roumanie, Ukraine; tendance, forte
tendance à être un peu dans cette mentalité-là. (P01, F, Qc, Can, Occas)
P01 : Je dirais ça pour les Haïtiens aussi, avec les tendances aux dropouts que
j'ai, c'est que si la personne- parce que y'a cette tendance-là, mais de l'autre côté
c'est pas tant que…, mais c'est plus dans la dramatisation que ça crée ce cul-de-
sac-là pis qu'on tourne en rond, mais plus que c'est ça; c'est des populations
avec lesquelles j'ai tendance à ne pas pouvoir compléter mes interventions,
parce que ça manque ça manque d'engagement, donc parce que ces personnes-
là ont peut-être une certaine idée par rapport à ce que c'est l'intervention
psychologique pis moi surtout dans mon approche, ce n'est pas une approche où
on ne fait qu'écouter du contenu, des inquiétudes à haute voix ou de la tristesse
à haute voix pendant cinquante minutes. On est vraiment là pour essayer des
choses, donc ça prend un certain engagement, pis si la personne est pas prête à
avoir ça, j'suis pas le bon psychologue pour elle, clairement, que ce soit culturel
ou pas. (P01, F, Qc, Can, Occas)
Dans le deuxième extrait, la participante met clairement en évidence que ces
attitudes ne correspondent pas à son approche thérapeutique qu’elle décrit comme étant
orientée vers le changement. Elle illustre aussi comment la différence d’expression des
émotions entre le patient et le psychologue a pu paralyser son rôle professionnel. Bien
qu’elle conceptualise ces attitudes comme étant culturelles, elle précise plus loin en
180
entrevue qu’elle ne considère pas que ces difficultés sont spécifiques à un groupe donné et
qu’elles peuvent être rencontrées par des clients de toute origine, bien qu’elle trouve cela
plus présent dans certains groupes.
De façon similaire, des différences sont relevées aussi en ce qui concerne la
présentation de soi en séance. Notamment, les « asiatiques » sont souvent décrits comme
étant stoïques, ne présentant pas d’émotions, qui auraient besoin d’exprimer beaucoup de
honte en début de suivi et qui peuvent avoir tendance à dire ce que les autres ont envie
d’entendre :
P07 : […] les vietnamiens ne comptent pas de menteries, mais ils vont te dire ce
qui pensent que t'as envies d'entendre. Ha ha ha. Alors ça il y a plusieurs
peuples asiatiques qui sont comme ça. Y te mentent pas, dans leur tête y
mentent pas. Ils te disent ce qu'ils pensent qui va te faire plaisir d'entendre.
(P07, H, Qc, Can, Occas)
P01 : […] Et personne aussi, très (silence 3 secondes) elle me sourit tout le
temps…, très contenue, extrêmement contenue dans son affect, et en dit très
peu, se livre très peu; elle se livre par petites bribes qui ont l'air d'exploser, qui
ont l'air de lui échapper plus que de venir vraiment volontairement. Donc ça, ça
peut être un peu plus difficile à travailler. M'a menti, m'a caché des choses,
régulièrement pendant la thérapie, mais vu que c'était en lien, je m'attendais pas
à ce qu'a fasse de spécial, parce que c'était moi, le comportement était bien
ancré chez elle alors... Donc ça c'est un exemple un peu flagrant de ce que son
environnement culturel a pu provoquer chez elle. Mais je pense pas que c'est
propre aux personnes d'origines vietnamiennes de faire ça. Mais elle, placée
dans cette mentalité-là de parenting vietnamien, a choisi cette voie-là, et l'a
tenue pendant de nombreuses années. (P01, F, Qc, Can, Occas)
Généralisations sur les normes morales. Il est aussi rapporté que certaines émotions
seront davantage valorisées selon certains pays d’origine, notamment en lien avec les
différences de normes morales. Ainsi, les personnes issues de cultures davantage judéo-
chrétiennes présenteraient davantage de culpabilité et de responsabilité, alors que ce
seraient davantage les émotions de honte, de fierté et d’honneur qui seraient mises de
l’avant dans des sociétés « non-occidentales », arabes, chez les personnes provenant
d’Amérique Latine, d’Afrique ou d’Asie du Sud. Une participante explique sa théorie à ce
sujet :
181
P11 : […] Au niveau des différences culturelles, pour moi, euh, s'pour ça que
jviens toujours honte et responsabilité c'est comme ça que je le vois, entre notre
monde Occidental qui est basé beaucoup sur la responsabilité, les valeurs de
responsabilité et de là de la culpabilité, les problèmes de culpabilité que les
gens vont arriver dans mon bureau. Quand j'arrive et que des gens qui sont nés
et qui ont vécus assez longtemps dans des pays, j'veux dire, non-Occidental,
euh, moins organisés, j'suis dans un niveau de honte et de fierté et les gens vont
arriver, la valeur principale ça va être la fierté et ils vont arriver avec des
problèmes liés beaucoup à la honte. Et bien souvent, moi, qui est, bon,
québécoise, j'me mind avant même des recevoir sur le fait que j'suis dans la
fierté. J'suis pas dans la responsabilité. […]C'est beaucoup… cette chose-là
euh… pour moi j'trouve ça fondamental. Cette cette… puis, là, j'viens de lire
Cyrulnik sur la honte et y'a euh… à la fin du livre, pis d'ailleurs j'étais là pis j'ai
relu le passage parce que quand j'avais lu ça j'étais « ah! intéressant! » parce
que moi j'sav. Lui, pis y parle que dans des sociétés euh non-organ, euh…. Non
organisées, moins organisées, l'honneur devient très important. C'est ça qui
régularise la société. Euh… j'veux dire, dans le sens que… euh… pour euh…
t'as pas la police, t'as pas le… le système car, tsé judiciaire ou des choses
comme ça, donc toi, si quelqu'un attaque ta femme ou ta fille, comme homme tu
dois, par honneur, les défendre. Et… te battre, tsé, te battre et tout ça parce que
c'est… c'est le… pis faut pas que tu fasses honte à la famille. Euh, tsé a, et
c'est… c'est… ces systèmes-là sont dans les structures non organisées où là,
nous, dans nos structures, on devient, on dit, plus individualistes mais où on a
pas euh… pis là y donnait un exemple des États-Unis mais c'est on était au nord
et au sud, c'est quelqu'un qui mettait dans son CV j'pense qui avait tué
quelqu'un qui l'avait insulté pis au nord c'était vu comme étant pas possible, ce
qui était complètement, alors qu'au sud c'était vu « ah mon dieu c'est un homme
fort ». Alors, et effectivement, dans les sociétés moins organisées, nous, y'a la
police pis tu… pour nous, socialement euh… tu dois te référer à la police pis
euh… au système judiciaire et non pas te faire justice toi-même. Ok. Et euh…
j'ai trouvé ça… j'ai trouvé ça très très intéressant cette euh… euh… que lui,
parce que, moi, au début, j'pensais à l'Afrique, après ça j'ai eu des Latinos pis
j'ai dit « ah mon dieu ils fonctionnent comme ça ». Là ben c'est les Maghrébins
sont plus récents, les Latinos c'était y'a quelque, parce qu'on j'ai eu la phase
beaucoup Latinos. J'en ai, j'en ai encore… et euh… et, puis, même chez les
Asiatiques, y'a beaucoup l'honneur ok. Alors… pis là j'étais là tsé pis j'me
disais : « mon dieu, sont toutes »… Tsé j'veux dire, on est toutes là-dedans, là
j'disais juste l'Occident pis le non-Occidental et euh… pis là, lui m'apportait un
éclairage sur le fait du besoin que de… c'est ça, de l'honneur et du chef pis de…
de suivre euh le chef, d'écouter et tout ça de… du… quand t'as pas de structure.
Quand t'as pas de structure.
(P11, F, Mtl, Can, Freq)
4.3.2.5. Rapport à la culture dans la rencontre clinique. Lorsqu’il était demandé
aux participants de me parler de leur conception de la culture et du culturel en clinique, des
182
définitions diverses ont été nommées. Il a été difficile initialement de les regrouper en
raison d’une grande diversité de termes employés pour décrire les phénomènes culturels.
Un regroupement a pu être réalisé selon le degré auquel une importance est mise entre les
aspects individuels et culturels dans la rencontre psychothérapeutique. Ces différentes
conceptions peuvent se retrouver dans le discours d’un même participant. Celles-ci sont
brièvement résumées dans la présente section.
L’absence de perception des phénomènes culturels. Dans plusieurs situations, il est
rapporté qu’il n’y a pas de différence entre l’ISI et l’intervention habituelle. D’une part, il
est avancé une certaine emphase sur l’humain dans le travail psychologique, où on
intervient au niveau de la personne, on la reçoit de la même manière peu importe la culture
et où on ne sort pas de son rôle. Le travail est comme avec les autres patients et au final, on
s’intéresse aux besoins de base et aux valeurs communes à tous.
Parfois aussi, les participants rapportent que le culturel ou les différences culturelles
sont pas si importants. Il y a alors une emphase sur le fait qu’il y a davantage de
ressemblances que de différences. Pour certains, ne pas tenir compte de cela met le
psychologue à risque de penser qu’il y a une différence quand il n’y en a pas.
Enfin, il arrive aussi que le culturel soit ramené à une autre dimension plus proche
des repères habituels du psychologue, comme la dimension familiale ou de personnalité. On
retrouve alors aussi des discours sur les sous-cultures qui sont définies à partir des concepts
de différences des sexes, d’orientation sexuelle, d’âge, de préférences, etc. Ces discours
témoignent d’une confusion entre la dimension culturelle et ces autres dimensions de la
personne qui apparaissent difficiles à départager aux yeux des participants.
L’omniprésence de la culture. À l’inverse, le culturel peut être perçu comme étant
présent partout et on retrouve des définitions qui font état d’une énumération de
phénomènes culturels. Parfois, ce caractère complexe des phénomènes relevés semble
rendre difficile d’en tirer une définition qui soit opérationnalisable en clinique. C’est
comme si en disant la culture est partout, elle n’est nulle part.
183
D’autres vont plus parler de l’omniprésence du culturel en mettant une emphase
réelle sur cette dimension dans leur travail. Ils vont parler du culturel comme une réalité
incontournable et ils ont la perception de travailler tout le temps en interculturel. Soit que
c’est une définition large de la culture qui va amener cette perception ou l’identification du
participant à un groupe minoritaire qui peut leur donner l’impression que toute rencontre
est interculturelle. On retrouve aussi cette idée chez les participants qui ont travaillé dans
les communautés autochtones et qui rapportent que c’est différent d’aller dans une
communauté par rapport à recevoir un immigrant dans son bureau.
L’interaction individu-culture. Une autre conception du culturel en clinique tient
compte à la fois du niveau individuel et du niveau culturel. On retrouve l’idée qu’il est
important d’avoir un équilibre entre tenir compte de la culture ou mettre trop d’emphase.
Aussi, il est considéré que chaque personne porte sa culture, réagit à des influences
culturelles, que la culture est un aspect de la personne et qu’elle teinte la personne.
4.3.2.6. Rapport aux connaissances-ressources. Il est apparu dans les discours sur
les ISIs différents rapports aux connaissances. Ces rapports témoignent d’attitudes
différentes selon la fonction ou le danger attribués aux connaissances, notamment à celles
qui ne proviennent pas du patient.
Attitude positive à l’égard des connaissances-ressources. Dans le registre des
attitudes positives recensées à l’égard des connaissances et des ressources externes,
plusieurs interventions témoignent du fait que les participants avaient déjà certaines
connaissances culturelles avant la situation rencontrée. Le niveau d’élaboration de ces
connaissances varie entre d’un côté des généralisations culturelles transmises par un autre
professionnel ou formées par le cumul d’expériences similaires et d’un autre côté le
développement de grilles de compréhension culturellement sensibles qui sont souvent le
résultat d’années de formation à l’interculturel ou dans un champ connexe (ex. : théologie,
anthropologie) combinées à la pratique interculturelle. Cette attitude positive se reflète
aussi dans la référence à différentes ressources, telles que la supervision sur des sujets
184
interculturels, le travail d’équipe et de collaboration, et la vérification d’une information
auprès d’informateurs de la communauté culturelle.
Attitude conditionnelle à l’égard des connaissances. L’attitude conditionnelle à
l’égard des connaissances est davantage retrouvée chez des participants qui rapportent avoir
peu d’expériences d’ISI. Certains dans cette situation avancent qu’ils se renseigneraient
davantage sur la culture s’ils avaient dans leur clientèle une forte représentation d’un
groupe culturel donné. Cette attitude semble davantage correspondre à une absence de
motivation à acquérir des connaissances culturelles.
Attitudes négatives à l’égard des informations externes. Les attitudes négatives sont
exprimées exclusivement à l’égard des informations externes à la consultation, souvent en
lien avec la désir de ne pas généraliser une information sur la situation du patient. En ce
sens, certains expriment une méfiance envers l’information externe qui pourrait même
nuire. Par exemple, une participante dit les connaissances et les modèles théoriques
peuvent amener de la rigidité chez le psychologue et elle préconise davantage une attitude
ouverte et réceptive à toutes formes de situations.
Critiques de sa pratique-profession. Certains participants utilisent les connaissances
culturelles qu’ils ont pour porter un regard critique sur la pratique de la psychologie,
notamment sur les ethnocentrismes de cette profession. Notamment, un participant qui
critique l’universalité prétendue des théories psychologiques dit avoir fait un long travail de
recherche pour contextualiser les théories qu’il a apprises selon le milieu social et
historique dans lequel elles ont vu le jour. Il en est venu par ce travail à développer une
approche clinique qu’il considère applicable à tous les patients, peu importe la culture.
Parfois, c’est la rencontre avec le patient qui suscite ce recul et ce regard critique
envers sa propre culture. Ici, l’expérience de l’ISI est considérée comme une occasion
d’apprendre comment le groupe culturel du psychologue est perçu par les patients
considérés culturellement différents.
185
Enfin, la critique peut être tournée envers les collègues ou l’établissement. C’est ce
que l’on retrouve chez ceux qui critiquent le racisme de l’institution, qui remettent en doute
une opinion d’un autre professionnel ou qui veulent expliquer des notions culturelles à leurs
collègues ou développer leur tolérance.
4.3.2.7. Expériences émotionnelles. C’est sans surprise que les participants ont parlé
de leurs réactions émotionnelles dans les ISI. Lorsque celles-ci n’étaient pas abordées
d’emblée dans les situations discutées, j’utilisais des questions de relance pour explorer un
peu plus ce vécu émotionnel.
Un premier constat général sur ce thème est que les expériences rapportées d’ISIs
ont suscité des réactions affectives de tonalité et d’intensité variées. Dans les discours, il
apparaît que ces réactions émotionnelles sont souvent en cohérence avec les difficultés
rapportées par le patient ou avec les difficultés dans la relation thérapeutique. Parmi les
mots employés pour discuter de ces émotions, on retrouve notamment : se sentir touché,
ému, anxieux, inconfortable, ressentir de la peur, de la colère ou de la rage, être choqué par
une réalité difficile à imaginer ou par des différences de valeur, mais aussi avoir envie de
rire, trouver son expérience « le fun », se sentir valorisé dans son rôle de psychologue,
sentir un enrichissement ou se sentir honoré. La réaction la plus fréquemment nommée a
été de se sentir touché ou ému par les propos des patients, ce qui apparaît en cohérence avec
le rôle du psychologue qui tente d’offrir une écoute empathique à son interlocuteur. Les
thèmes que les participants ont trouvés touchants sont variés mais ont comme point
commun la souffrance ressentie et les difficultés vécues par le patient.
On retrouve aussi l’émotion de la peur dans des situations impliquant un risque réel
ou imaginé pour le patient ou le psychologue. Notamment, P17 rapporte avoir déjà eu peur
pour sa sécurité et celle d’un patient en raison de l’implication d’un proche du patient
comme militaire dans un autre pays. Cette participante avait d’ailleurs déjà eu une occasion
où des personnes se sont présentées avec une arme à feu dans un autre emploi qu’elle a
occupé avant d’être psychologue.
Le risque de violence ou d’extrémisme a occasionné de la peur aussi chez une autre
participante :
186
P14 : J'ai appris la peur, parce qu'il me faisait peur ce jeune homme. Je… je me
sentais, moi-même, tsé en me disant « Mais est-ce que c'est une graine de
terroriste? Est-ce qu'il pourrait être terroriste? Est-ce qu'il pourrait faire partie
d'une cellule dormante? Il est tellement extrême, il est tellement… » Et j'ai
appris que je pouvais avoir peur et que… et j'aimais pas ça.
T14 : Pis quand vous dites « j'ai appris que je pouvais avoir peur » euh… peur
par rapport à quoi?
P14 : Ben… euh… c'est un peu gros, mais peur qu'il mette une bombe dans
mon bureau quand il était pas content. Par moment il avait l'air d'une grenade
dégoupillée. La rage qu'il avait pis… Et j'ai jamais eu peur… j'ai jamais, jamais,
jamais eu peur en [pays du Moyen-Orient où elle a déjà vécu]. Alors qu'est-ce
qui faisait qu'ici, tant d'années plus tard par rapport à quelqu'un d'origine
musulmane j'avais cette espèce de réticence, de peur… ben j'ai appris que je
pouvais être raciste aussi, par moments. (P14, F, Qc, Ext, Occas)
Parmi les expériences les plus déstabilisantes, l’écoute de situations extrêmes
vécues à l’étranger semble susciter les réactions les plus fortes. Cette déstabilisation a déjà
été discutée dans les limites au rôle du psychologue. Néanmoins, des expériences positives
sont aussi rapportées en lien avec l’écoute de récits difficiles :
P03 : […] cette personne-là de voir comment elle en est ressorti de de son
cheminement, he vraiment avec c'est la, en queque part une confiance en l'être
humain, en ce qu'y est capable de de reconstruire, de ré, de réparer en lui-
même à partir de ses ressources. Y'a une force de résilience he, incroyable, he,
pis j'irais jusqu'à dire avec cette personne-là queque chose de spirituel j'pense,
queque chose de.. qui dépasse, qui qui qui dépasse ce qui se déroule comme
travail he thérapeutique comme tel, mais queque chose de plus.
(P03, H, Qc, Can, Freq)
P04 : […] mais là queque chose qui me vient c'est que j'apprends que l'être
humain est fait fort, en tout cas les autochtones sont faits forts. Hem.. qu'on
peut continuer à vivre, he.. pis se développer, fonder une famille même, en
ayant vécu toutes ces choses-là. Hem, passer des dizaines d'années de de
souffrances, de consommations mais continuer à.. à vivre. (P04, H, Qc, Can,
Occas)
T14 : Comme si, pour vous, c'était une expérience aussi que vous qualifiez
d'unique justement.
P14 : Oui.
T14 : Euh… Pis dans ce que vous dites, c'qui a d'unique c'est à la fois l'ampleur
des traumatismes, mais aussi euh… la force que vous avez vue chez cette.
P14 : La résilience.
T14 : La résilience…
187
P14 : C'est un terme qui est un peu galvaudé, mais la résilience chez cette
survivante. (P14, F, Qc, Ext, Occas)
P16 : C'est beaucoup, j'vais te résumer ça, lorsqu'on a terminé notre formation à
Washington, on était une trentaine, la formatrice nous a demandé nos
commentaires et sans se concerter, tout le monde on a dit à quel point on
admirait nos clients. Je pense que ma vision c'est la résilience des gens, c'est un
étonnement incroyable comment c'que c't'e monde-là a réussi à être fonctionnel,
pour moi, ça me fascine. Le, la force, c'est ça ma vision. [rapporte des
expériences de personnes qui ont pu se réaliser malgré des mauvais traitements]
pis c'est des personnes immigrantes qu'y'ont été sévèrement maltraitées, j'sais
pas si tu vois? C'est, c'est ça ma vision. L'incroyable résilience de l'être humain,
j'te dirais. (P16, H, Mtl, Can, Occas)
P21 : […] y'a quand même une certaine satisfaction à sentir une certaine action
là-d'dans, ne serait-ce que l'action d'écouter. T'sais, ne serait-ce que l'action
d'être capable de recevoir. (P21, F, Mtl, Can, Occas)
Ces extraits témoignent bien du rôle du psychologue qui consiste justement à
écouter et accueillir les situations de vie difficiles vécues par les patients.
4.3.3. Organisation des catégories. Les résultats de l’analyse thématique
présentés jusqu’ici donnent une description des catégories et des thèmes relevés dans les
entrevues semi-structurées. Pour un peu mieux comprendre comment s’organise le discours
entre ces différents thèmes et catégories, il sera tenté d’en dégager une organisation
générale et de voir comment cette organisation se comporte lorsqu’on tient compte des
positions sociales retenues à l’étude, soit le pays de naissance et la fréquence des ISIs. Pour
ces analyses quantitatives, une entrevue sera retirée car elle n’a été complétée que
partiellement, ne donnant pas d’informations sur certaines des grandes catégories de
l’étude. Inclure cette entrevue aurait eu pour effet d’augmenter artificiellement la
représentativité des catégories abordées dans cette entrevue. Cela porte le nombre de
participants considérés pour les analyses subséquentes à 20.
4.3.3.1. Organisation de l’arbre thématique. Une analyse de fréquence de mots
codés par catégorie et de cooccurrence entre catégories sont opérées à l’aide du logiciel
188
QDA Miner pour vérifier quantitativement les proportions et l’organisation des catégories
du discours. Pour l’analyse de cooccurrence, le critère retenu est que deux catégories
doivent se chevaucher pour considérer qu’il y a cooccurrence. Pour faciliter une
visualisation des indices de fréquence et de similarité, ceux-ci sont présentés sous forme de
schéma à la Figure 7.
Figure 7. Représentation visuelle de l’agglomération des catégories, avec les pourcentages
de mots codés et les indices de similarité entre catégories (N = 20)
De façon générale, la Figure 7 montre que les indices de similarité entre les
catégories paraissent relativement bas. Cela pourrait indiquer que chaque catégorie
développe un type de discours indépendant qui est très peu redondant avec le discours
énoncé dans d’autres catégories. Toutefois, le choix du critère de chevauchement des
segments (comparativement aux critères qui auraient considéré comme cooccurrents des
Problématiques des patients
(40,8%)
Différences perçues (23,9%)
Pratique professionnelle
(52,9%)
Rapport à la culture dans la rencontre clinique (16,0%)
Rapport aux connaissances ressources (9,5%)
Obstacles en ISI (31,8%)
Expériences émotionnelles (7,5%)
0,181 0,154
0,101
0,049
0,034
0,043
Noeud 1
Noeud 2
Noeud 3
Noeud 4
Noeud 5
189
segments espacés par un certain nombre de paragraphes ou retrouvés dans un même cas peu
importe à quel point ils sont espacés) donne un calcul relativement conservateur des
cooccurrences, ce qui permet de penser que ces indices ont une certaine signification
malgré leur faible valeur statistique.
La classification hiérarchique montre que les catégories du nœud 2 que sont
« problématiques des patients », « pratique professionnelle » et « obstacles en ISI » sont à
la fois les plus fréquentes et les plus cooccurrentes, alors que les autres catégories sont
moins fréquentes et davantage indépendantes. Ainsi, il est possible que le nœud 2
corresponde aux éléments plus importants dans le discours sur l’ISI par rapport aux autres
catégories. Cela met en évidence comment le discours des participants semble se structurer
autour de la dialectique patient en difficulté-rôle du psychologue, ce qui est cohérent avec
les questions de recherche qui visaient à explorer les représentations de l’Autre
culturellement différent et du rôle du psychologue. De plus, cette relation dialectique
semble teintée par le vécu d’obstacles propres à l’ISI qui seraient probablement les plus
caractéristiques de ce type d’expérience clinique par rapport à la pratique habituelle.
Pour les autres catégories, moins fréquentes et moins cooccurrentes, « différences
perçues » apparaît comme la première catégorie à se surajouter au nœud 2. En effet, dans le
discours sur les ISIs, les participants référaient fréquemment à des généralisations
culturelles qui faisaient office de marqueurs de la différence. La perception de ces
différences teintait l’interprétation de la conceptualisation des difficultés du patient, du rôle
du psychologue et des obstacles propres à l’ISI.
La catégorie « rapport à la culture dans la rencontre clinique » apparaît associée aux
quatre premières catégories discutées (nœud 3), mais l’indice de similarité est plus faible.
Les participants n’avaient pas tendance à expliquer d’emblée leur conception de la culture
dans les ISIs rencontrées et le discours à cette catégorie est davantage produit à la suite de
questions théoriques que je demandais aux participants, notamment dans les premières
phases de l’entrevue.
Les catégories « rapport aux connaissances-ressources » et « expériences
émotionnelles » présentent une similarité plus grande entre elles qu’avec les autres
catégories, ce qui fait apparaître ce groupe (nœud 4) comme étant plus indépendant du
190
reste. Dans l’entrevue, les expériences émotionnelles étaient souvent discutées après des
questions de relance de ma part et le rapport aux connaissances-ressources recoupe aussi
des questions théoriques de l’entrevue qui ne sont pas directement associées aux ISIs
discutées. Toutefois, un lien qualitatif est dans les discours entre ces catégories chez
certains participants : dans le discours sur les expériences émotionnelles déstabilisantes,
certains expliquaient comment ils utilisaient leurs connaissances ou les ressources
extérieures à la consultation pour tenter de prendre du recul et retrouver leur capacité
d’intervenir.
4.3.3.2. Catégories selon le pays de naissance et la fréquence des ISIs. Les analyses
de fréquence et de cooccurrence sont aussi utilisées pour faire ressortir l’organisation des
catégories selon que les participants soient nés au Canada ou à l’extérieur (Figure 8) ou
selon qu’ils aient eu des ISIs occasionnellement ou fréquemment au courant de leur carrière
(Figure 9). Les similarités et les différences sur la taille et l’organisation des catégories
seront discutées. Ces comparaisons présentent la double utilité de vérifier statistiquement
en quoi le positionnement des participants est susceptible de provoquer des discours
différent et aussi pour voir la stabilité des catégories lorsqu’on s’intéresse à différents sous-
groupes de l’échantillon.
191
Figure 8. Comparaison de l’agglomération des catégories à l’analyse thématique selon le
pays de naissance, pourcentages de mots codés et indices de similarité (N = 20)
Problématiques des patients (36,7%)
Différences perçues (27,1%)
Pratique professionnelle
(44,9%)
Rapport à la culture dans la rencontre clinique (32,3%)
Rapport aux connaissances ressources (10,2%)
Obstacles en ISI (26,6%)
Expériences émotionnelles (7,8%)
0,126
0,191
0,113
0,054
0,037
Noeud 1
Noeud 2
Noeud 3
Noeud 5
Noeud 4
0,028
Problématiques des patients
(42,2%)
Différences perçues (22,8%)
Pratique professionnelle
(55,5%)
Rapport à la culture dans la rencontre clinique (10,7%)
Rapport aux connaissances
ressources (9,3%)
Obstacles en ISI (33,5%)
Expériences émotionnelles
(7,4%)
0,158
0,193
0,096
0,047
0,034
Noeud 1
Noeud 2
Noeud 3
Noeud 5
Noeud 4
0,052
Participants nés hors Canada N = 6
Participants nés au Canada N = 14
192
4.3.3.3. Organisation des catégories selon la fréquence des ISIs.
Figure 9. Comparaison de l’agglomération des catégories à l’analyse thématique selon la
fréquence des ISIs au courant de la carrière, pourcentages de mots codés et indices de
similarité (N = 20)
Une analyse de fréquence des codes dans QDA Miner fait ressortir que la catégorie
« pratique professionnelle » demeure constamment celle qui présente les plus fortes
mesures de fréquence et de cooccurrence, même après introduction de critères
différentiateurs de prise de position. En effet, elle démontre les propriétés 1) d’englober
plus de discours que les autres catégories, 2) d’avoir une position centrale selon les résultats
Problématiques des patients (45,2%)
Différences perçues (23,9%)
Pratique professionnelle
(47,9%)
Rapport à la culture dans la rencontre clinique (13,8%)
Rapport aux connaissances
ressources (11,5%)
Obstacles en ISI (33,3%)
Expériences émotionnelles
(11,3%)
0,156
0,253
0,119
0,065
0,020
Noeud 1
Noeud 2
Noeud 3
Noeud 5
Noeud 4
0,089
Problématiques des patients
(37,8%)
Différences perçues (23,8%)
Pratique professionnelle
(56,3%)
Rapport à la culture dans la rencontre clinique (17,5%)
Rapport aux connaissances
ressources (8,1%)
Obstacles en ISI (30,7%)
Expériences émotionnelles (4,9%)
0,129
0,197
0,093
0,059
0,021
Noeud 1
Noeud 2
Noeud 3
Noeud 4
Noeud 5
0,026
Occasionnellement dans la carrière N = 8
Souvent dans la carrière N = 12
193
à l’analyse de similitudes et 3), contrairement aux autres catégories, elle ne semble pas
présenter de tendances lorsqu’on tient compte des positions sociales à l’étude, elle apparaît
donc comme la plus stable.
La catégorie « difficultés du patient » apparaît constamment comme la deuxième
plus fréquente. Ce résultat est surprenant puisque l’entrevue ne visait pas directement à
obtenir des informations sur les clientèles considérées culturellement différentes, mais
ciblait plutôt la pratique professionnelle. Dans les discours, il était fréquent que les
participants racontent des « cas » interculturels qu’ils ont rencontré en clinique avant même
que des questions portant spécifiquement sur les ISIs ne soient posées. De plus, il était aussi
fréquent que les participants tentent d’exprimer une idée théorique en me racontant un cas à
partir duquel je pouvais poser des questions de relance afin d’approfondir leur perspective
de professionnel dans cette situation. Ainsi, c’est comme si la discussion de cas avait une
place essentielle dans les entrevues et laisse entrevoir combien les psychologues rencontrés
ont développé une forte habileté à mettre en récit le discours du patient de façon à illustrer
les idées complexes qu’ils tentent de formuler à leur sujet. Dans la perspective des
représentations sociales, on perçoit que le discours du patient, et plus particulièrement sur
ses difficultés, est la matière première à partir de laquelle un travail psychothérapeutique
s’engage. C’est donc dans une dialectique difficulté du patient – rôle du psychologue que
semble se nouer la relation psychothérapeutique.
La catégorie « obstacles en ISI » apparaît aussi relativement fréquente. Son contenu
semble servir à mettre en évidence les particularités associées aux situations
interculturelles, ce qui crée un contraste avec les situations habituelles.
La catégorie des « différences perçues » est associée de près au groupe qui englobe
les trois catégories discutées précédemment. Ces différences sont exprimées dans le
discours sous forme de généralisations et parfois de stéréotypes culturels. Lorsqu’on
compare l’organisation des catégories selon le pays de naissance des participants, il est
notable chez ceux nés hors du Canada que même si la catégorie « problématique des
patients » demeure plus fréquente que celle des « différences perçues », cette dernière se
hisse à la troisième position dans les indices de cooccurrence, ce qui en fait la catégorie la
plus associée au discours sur la « pratique professionnelle » et les « difficultés du patient ».
194
De plus, la référence à la catégorie « rapport à la culture dans la rencontre clinique » est
trois fois plus fréquente dans ce sous-groupe par rapport à ceux nés au Canada. Cela est
cohérent avec le fait que tous les participants nés hors du Canada parlent à un moment où
un autre de leur sentiment d’être eux-mêmes différents pour le patient dans tout type de
consultation. Le rapport à la culture et les différences perçues sont davantage présents dans
la trame de leur discours qui est souvent teinté d’expériences personnelles significatives.
Les catégories des « expériences émotionnelles », du « rapport à la culture » et du
« rapport aux connaissances » apparaissent elles comme étant assurément moins fréquentes
et moins cooccurrentes. Elles sont davantage mobiles lorsqu’on tient compte des positions
sociales dans l’analyse et leur contenu a la propriété de démontrer des différences de
positionnements individuels (ex. : être favorable/défavorable à la recherche d’information
externe à la consultation) conditionnels à certaines représentations (ex. : avoir une
perspective individuelle vs. culturelle envers les difficultés du patient). Leur mouvement en
fonction des positions sociales des participants semble difficile à interpréter.
195
5. Discussion
5.1. Retour sur les questions de recherche
La question de recherche principale, celle qui a guidé l'ensemble de l'investigation,
est « comment sont représentées et vécues les expériences d'intervention interculturelle
chez des psychologues du Québec ». La méthodologie et les résultats ont permis de faire
ressortir un ensemble de représentations et d'expériences, autant individuelles que
partagées, de l'ISI. Les sous-questions de recherche visaient à étoffer un peu plus cet
objectif en faisant émerger les représentations se rattachant au patient considéré
culturellement différent et au rôle du psychologue. Il était de plus envisagé de décrire quels
types de rapport à l’Autre se trouvent dans les ISI en fonction du cadre théorique qui repose
sur les notions : 1) de sensibilité aux différentes identités culturelles; 2) de reconnaissance
des influences acculturatives; 3) de pratiques qui tiennent compte des particularités et
difficultés spécifiques à l’ISI; et 4) du rapport aux normes professionnelles.
Au final, tant les résultats à l’association libre qu’à l’analyse thématique ont permis
de fournir des informations sur ces différentes questions et angles d’analyse. Une
discussion plus approfondie des résultats mettra en lumière comment le devis de recherche
et les résultats répondent aux questions initialement posées.
5.2. Représentations de l’Autre
Les représentations de l’Autre culturellement différent ont émergé plus facilement
que les représentations de soi comme psychologue, autant à la tâche d’association libre que
dans les entrevues. Quatre constats seront mis en évidence dans les prochaines sous-
sections de la discussion. Premièrement, les représentations de l’Autre sont fortement
teintées par le rôle social du psychologue qui vise à travailler sur des difficultés
personnelles d’ordre principalement psychologique. Deuxièmement, les représentations de
ces difficultés sont souvent cohérentes avec les difficultés recensées dans les recherches sur
la santé mentale des immigrants. Troisièmement, les représentations de l’Autre favorisent
chacune des discours qui témoignent d’orientations d’acculturation différentes.
196
Quatrièmement, les généralisations sur l’Autre révèlent les menaces aux cadres
psychothérapeutique et social qui entourent le rôle du psychologue.
5.2.1. La représentation générale du patient. L’analyse thématique montre
combien le patient est le plus souvent représenté comme une personne en difficulté, tel
qu’il était formulé dans la préconception 1. Les difficultés sont nommées ou sous-
entendues dans presque l’ensemble des thèmes touchant le patient. De plus, la catégorie des
difficultés du patient constitue celle qui représente la plus grande proportion des discours.
Les thèmes se rapportant aux difficultés non-spécifiquement liées à un aspect interculturel
montrent qu’elles sont conceptualisées en termes de troubles psychologiques et d’un vécu
de situations de vie difficiles. La perspective adoptée est individuelle et interne.
Bien que cette représentation générale légitime le rôle social du psychologue qui
travaille sur ces difficultés, adopter une perspective uniquement psychologique interne
pourrait limiter la capacité du psychologue d’adopter d’autres conceptualisations et rôles
notamment sur les enjeux systémiques et culturels liés aux problématiques du patient en ISI
(Sue et al., 1982). Pourtant, la compétence interculturelle consistant à pouvoir avoir
conscience des enjeux socio-politiques qui touchent le patient est rapporté comme étant
associé positivement à la satisfaction du client (Constantine, 2002).
Il est néanmoins remarquable que c’est une minorité de participants qui adoptent
une style d’intervention plutôt psychologisant. Nombreux sont ceux qui greffent à la
représentation du patient des représentations élaborées autour de certaines figures de
l’altérité culturelle.
5.2.2. Les représentations de l’Autre culturellement différent. Les
représentations de l’Autre considéré culturellement différent ont en commun avec la
représentation générale du patient d’être aussi centrées sur ses difficultés. Cette observation
se retrouve autant à la tâche d’association libre qu’à l’analyse thématique. Bien que le
thème de la résilience apparaisse aussi, c’est pour illustrer comment la personne a pu
trouver la force de traverser des épreuves humaines difficiles, ce qui ramène la perspective
des difficultés. Ce rapprochement entre les représentations habituelles du patient en
197
psychothérapie et les représentations de l’Autre considéré comme culturellement différent
semble donc se faire par le biais d’une perception commune qu’il s’agit d’une personne en
difficulté. Cette représentation permet probablement aux psychologues de continuer à
mobiliser leur rôle en situation interculturelle.
D’autres représentations de l’Autre culturellement différent se dessinent, et
s’ajoutent à celle de la personne en difficulté, en fonction des problématiques spécifiques
qui sont discutées et des différences culturelles relevées comme étant plus marquantes. La
thématisation a mis en évidence des représentations récurrentes à cet égard. Il faut
cependant noter que ce sont les portraits d’ensemble qui permettent de dégager ces
différentes représentations, qui ne correspondent pas avec les positions individuelles. D’une
part, chacun présente un discours qui montre une élaboration plus ou moins grande des
représentations autour des différentes figures de l’Autre. D’autre part, des divergences de
position face à ces représentations apparaissent. Les représentations de l’Autre considéré
culturellement différent les plus courantes sont discutées ici. Elles ont toutes en commun de
traiter d’enjeux acculturatifs qui seront discutés plus loin.
5.2.2.1. L’immigrant en adaptation. L’analyse thématique montre que l’Autre
culturellement différent est très souvent représenté comme un immigrant qui doit
nécessairement s’adapter à de nouvelles réalités. En effet, la plupart des catégories portant
sur les difficultés potentiellement liées à des situations interculturelles décrivent des
personnes aux prises avec des enjeux migratoires et adaptatifs qui touchent différentes
sphères de leur vie comme leur identité, leur appartenance sociale et leur statut socio-
économique.
Le discours des participants sur ces difficultés d’adaptation migratoire apporte un
certain éclairage sur les représentations sous-jacentes. Lorsque l'autre est considéré comme
un migrant, il est rapporté que celui-ci peut vivre des difficultés d'adaptation et des
obstacles à son intégration, il peut ne pas savoir s'il veut s'établir ou repartir à ce moment-ci
de son parcours et certains sous-groupes (femmes, réfugiés) sont plus vulnérables. Il peut
ne pas être en mesure de (re)connaître la valeur de ses particularités personnelles et
culturelles et il peut vivre des difficultés d'appartenance tant auprès de la société d'accueil
198
qu’auprès de sa communauté culturelle. Plusieurs situations sociales hors de son contrôle
peuvent mener à son exclusion et la famille peut être à risque de décohésion et de tensions à
la suite du contact avec la société d'accueil. En plus, il se peut que lui ou ses proches aient
vécu des situations extrêmes dans leur pays d’origine. La migration peut occasionner une
rupture dans l'identité en faisant une coupure entre le passé et le présent. Ainsi, on ne peut
pas demander une adaptation rapide au migrant, car l’adaptation culturelle est un processus
long et en étapes. En ce sens, les participants démontrent généralement une capacité à tenir
compte de l’impact de certains facteurs migratoires recensés comme étant liés aux
problèmes psychologiques des patients migrants (Kirmayer et al., 2011).
5.2.2.2. L’immigrant vulnérable. Cette représentation de l’Autre comme un
immigrant en adaptation est plus ou moins teintée, selon les positions individuelles, d’une
représentation d’un immigrant en position de vulnérabilité. Cette représentation rejoint
celle de la personne en difficulté, qui s’explique par la position sociale des psychologues
qui s’intéressent aux difficultés vécues par le patient afin de légitimer l’aide qu’ils peuvent
apporter par leur rôle. Toutefois, les participants qui mettaient davantage l’accent sur une
représentation de l’immigrant vulnérable ont aussi tendance à discuter surtout de
l’adaptation de la personne à la société québécoise ou des facteurs de vulnérabilité qui
entravent cette adaptation. Une représentation fortement teintée par la vulnérabilité pourrait
mettre à risque de considérer l’Autre comme une personne désavantagée en raison de ses
appartenances culturelle (Qureshi & Collazos, 2011). De plus, adopter uniquement cette
perspective pourrait aussi occulter d’autres dimensions de la personne, notamment son
besoin de valoriser son identité culturelle. D’ailleurs, il est rapporté dans la littérature que
conserver certains aspects identitaires de la culture d’origine serait associé à un meilleur
bien-être psychologique (Horton & Shweder, 2004). Ainsi, bien que vouloir favoriser
l’adaptation à la société d’accueil comporte de bonnes intentions, des ISIs principalement
centrées sur cet objectif pourraient être quelque peu réductrices par rapport à l’ensemble
des particularités de la personne et à ses besoins identitaires.
199
5.2.2.3. Nuances sur l’immigrant idéal. Une représentation inverse, celle d’un
immigrant idéal, est aussi apparue en négatif des discours qui présentent avec nuance les
difficultés qui peuvent joncher tout parcours d’adaptation culturelle. En effet, si les
participants ont jugé bon de m’informer de ces difficultés, c'est que celles-ci ne vont pas de
soi. Il est probable que leur discours en tant que groupe ait comme fonction de contrer un
stéréotype d’un immigrant qui serait idéal aux yeux de la société d’accueil, c’est-à-dire un
immigrant : qui s'adapte rapidement et sans difficultés importantes, qui sait clairement où il
en est dans son parcours migratoire et ce qu'il souhaite pour l'avenir, qui est en paix avec
son histoire de vie et son parcours migratoire et sait tirer le meilleur de sa vie passée et
actuelle, qui connaît bien ses particularités personnelles et culturelles et qui les valorise
sainement, qui affirme ses besoins et ses limites lorsque nécessaire, qui crée des liens avec
la société québécoise. Celui-ci s'intègre bien et prend racine, en même temps qu'il préserve
de bonnes relations avec sa famille et sa communauté d'origine. Ainsi, il est reconnu par la
société comme membre à part entière et il ne serait dont pas isolé, exclu ou marginalisé. Cet
idéal social d’un immigrant adapté, ou adaptable, semble en lien avec certaines valeurs
cadres-guides (Cohen-Emerique, 2015) prônées en contexte québécois. Notamment, la
Charte des droits et libertés reconnaît qu’un individu qui jouit pleinement de ses droits dans
la société est respecté dans ses droits à la liberté de conscience et de religion, à l'égalité, à la
vie et à l’association pacifique (Québec, 1975). Sans dire que les psychologues témoignent
de représentations d’un immigrant idéal dans leur discours sur l’ISI, ils semblent
reconnaître les points d’achoppement à la capacité de leur clientèle immigrante de jouir
pleinement de leurs droits citoyens fondamentaux. À plusieurs égards, les
conceptualisations faites par les participants à propos des difficultés du patient et leurs
interventions qui en découlent favorisent le respect et la sauvegarde de ces droits. On voit
ici une fonction sociale de la pratique de la psychologie comme profession à l’intérieur
d’une société interculturelle comme le Québec.
5.2.2.4. La deuxième génération assimilée ou biculturelle. La deuxième génération
apparaît dans le sillage de la représentation de l’immigrant. Lorsque les rapports
intergénérationnels sont discutés, on retrouve une distinction entre le parent identifié au
migrant et l’enfant de deuxième génération souvent devenu adulte au moment de la
200
consultation. Le statut de vulnérabilité est davantage représenté du côté des parents, qui
sont perçus comme ayant des difficultés d’adaptation à la société, notamment au niveau de
la langue, et comme étant davantage liés au pays d’origine. Il est rapporté que la deuxième
génération est porteuse des rêves des parents et qu’elle se débrouille mieux qu’eux. De
plus, les difficultés des enfants de migrants sont souvent conceptualisées comme la
résultante de conflits internes ou relationnels entre évoluer dans la société québécoise et
vivre certaines formes de pressions parentales associées à des normes culturelles issues du
pays d’origine. Cette conceptualisation est cohérente avec la littérature qui rapporte une
tendance envers une prévalence plus élevée de symptômes internalisés chez les enfants de
migrants par rapport aux migrants de première génération (Belhadj Kouider, Koglin, &
Petermann, 2014).
La perception que la deuxième génération est similaire à la société québécoise
amène à penser l’acculturation sur un plan intergénérationnel où l’héritage culturel de la
famille d’origine est peu mis de l’avant au profit d’une identité perçue comme étant très
québécoise, ce qu’on ne retrouve pas dans le discours sur les personnes considérées
immigrantes. D’un point de vue acculturatif, il semblerait que les participants qui se
représentent l’Autre comme un migrant présentent un discours davantage de type
intégration, alors que parler de la seconde génération est associé à un discours
assimilationniste semblable à ce que Bourhis et Bougie (1998) décrivent par rapport aux
théories acculturatives unidimensionnelles où l’assimilation est la dernière étape de
l’intégration culturelle. D’ailleurs, la recension de Belhadj Kouider et ses collègues (2014)
souligne que les éléments contextuels liés à la migration familiale ont une influence
probable sur la santé mentale des enfants de migrants. Avoir une représentation trop centrée
sur l’identité québécoise des enfants de migrants pourrait mettre les psychologues à risque
de ne pas bien investiguer les aspects intergénérationnels de la migration familiale.
Certains participants considèrent aussi l’héritage culturel intergénérationnel, la
biculturalité des enfants de migrants ou les aspects systémiques de la migration familiale.
Cela témoigne d’une capacité à reconnaître la part de l’identité qui prend racine dans
l’histoire de la migration familiale, ce qui est plus difficile dans une perspective
assimilationniste.
201
5.2.2.5. L’autochtone. Les discours sur les autochtones sont moins présents en
raison du nombre peu fréquent de participants qui ont eu des expériences de travail auprès
de cette population. Néanmoins, certains recoupements peuvent être faits en fonction des
diverses informations récoltées. La représentation de la vulnérabilité est très présente dans
le discours sur les autochtones et cette vulnérabilité n’est plus seulement perçue sur le plan
individuel, mais aussi collectif. Une grande partie des thèmes portent sur le vécu de
traumatismes individuels et collectifs, la consommation d’alcool et la violence. L’aspect
collectif est expliqué par les politiques assimilationnistes qui ont été mises en place au fil
de l’histoire, notamment par le biais des pensionnats autochtones.
Contrairement aux représentations du migrant ou de la deuxième génération où le
psychologue peut percevoir qu’il adopte un certain rôle d’agent acculturatif, les deux
participants qui ont travaillé dans une réserve autochtone décrivent comment c’est eux-
mêmes qui ont dû changer leur perspective. Dans ce contexte d’intervention,
l’identification historique à un blanc oppresseur devient plus évidente et ces participants en
sont très sensibles. Les deux expriment comment ils ont développé une attitude flexible,
voire créatrice, par rapport à leur cadre thérapeutique pour travailler dans ce contexte. En
effet, tenir un cadre à l’occidental comporte des limites pour intervenir dans ce contexte.
Alors que l’intégration culturelle est valorisée pour l’immigrant et que l’assimilation
est sous-entendue dans certains discours sur les enfants de migrant, ces orientations
d’acculturation ne s’expriment pas du tout dans le travail auprès de communautés
autochtones. Pour les participants qui ont parlé de ces expériences, c’est très différent de
recevoir un migrant que de se déplacer sur un territoire autochtone. C’est comme si, au sein
de la rencontre clinique, la direction du mouvement dans la rencontre de l’Autre (aller sur
le territoire de l’Autre vs. l’Autre vient sur son propre territoire) légitime ou interdit
certains rôles acculturatifs en fonction de la position sociale des protagonistes en présence.
Alors qu’il apparaît tout à fait aisé de dire que l’immigrant doit nécessairement s’adapter à
la société d’accueil, on ne retrouve pas du tout de discours qui valoriserait une assimilation
culturelle des communautés autochtones à la majorité Québécoise. Cette différence au
niveau des représentations traduit probablement les contacts acculturatifs trouvés au sein de
202
la société. Alors que l’immigration internationale met en contact des minorités culturelles
avec une majorité québécoise, les réserves autochtones, notamment en régions plus
éloignées des grands centres, traduisent plutôt une ségrégation entre groupes culturels
différents. Probablement que des discours différents auraient été retrouvés dans le travail
auprès de patients s’identifiant comme autochtones et résidant en ville.
5.2.3. Les généralisations sur l’Autre culturellement différent révèlent les
cadres du psychologue. Il était parfois très frappant de constater dans le discours des
participants comment la description des différences culturelles pouvait être presque
identique d’un à l’autre, notamment lorsque ces descriptions correspondent à des grands
groupes (ex. : les africains) et non pas à un cas individuel. La référence à des situations
générales, ce que Flick (1997) nomme comme étant des répisodes ou des épisodes répétés,
suscite des représentations davantage stéréotypées. La grande présence de généralisations et
de stéréotypes culturels à travers les discours est révélatrice de certaines micro-agressions
raciales qui pourraient avoir un impact négatif si elles étaient exprimées, même
involontairement, dans le contexte de la relation psychologue-patient (Sue et al., 2007).
Parmi les généralisations exprimées par rapport à certains groupes culturels, certains
participants ont assumé un comportement donné ou ont normalisé des comportements
dysfonctionnels en fonction de l’appartenance à ces groupes (Constantine, 2007),
présentant ainsi sur des aspects dévalorisants du groupe culturel d’origine de certains de
leurs patients.
Au-delà de la stéréotypie de plusieurs représentations de la différence culturelle, on
peut aussi s’intéresser à la fonction que comportent ces représentations. Par exemple, à quoi
ça sert de penser que les africains sont souvent en retard? Ici, la position prise dans
l’analyse n’a pas été de vérifier la part de vérité statistique dans ce que rapportent les
participants, ni de prendre ces propos comme une donnée objective parce que rapportée de
façon similaire par certains, mais de voir qu’est-ce que révèlent ces stéréotypes du point de
vue de ceux qui l’énoncent.
L’hypothèse qui est apparue de plus en plus plausible au fil de la réflexion serait que
les généralisations culturelles révèlent des éléments qui constituent le cadre de travail des
203
psychologues et qui sont perçus comme étant menacés dans certaines ISIs. Les thèmes qui
sont le plus souvent évoqués dans les stéréotypes sont l’engagement dans le temps, qui
nécessite de se présenter à l’heure aux rendez-vous prévus, et le travail à l’intérieur de la
relation thérapeutique (un-à-un) et non pas à l’extérieur comme le feraient d’autres
professionnels tels que les travailleurs sociaux. Ce sont d’ailleurs les deux points qui sont
les plus remis en question dans le travail dans les communautés autochtones. Ces deux
points sont aussi les menaces les plus évidentes au cadre de travail des participants en
général.
D’autres menaces sont nommées moins fréquemment et sont moins partagées. Elles
reflètent alors des aspects du cadre dont l’importance paraît moins partagée. Dans ce
registre, certains rapportent des difficultés lorsque le patient a des difficultés à s’exprimer, à
montrer ses réactions émotionnelles et à faire de l’introspection. Aussi, quelques-uns
rapportent que le psychologue est appelé à certaines prescriptions dans son rôle en fonction
du cadre psychothérapeutique. Notamment on retrouve l’importance de ne pas dire son
opinion personnelle, ne pas démontrer ses réactions émotionnelles et de maintenir une
certaine distance professionnelle qui empêche de tomber dans un lien social. On retrouve
aussi l’importance parfois de préserver le cadre ou de recadrer dans les discours sur
l’intervention auprès de troubles de la personnalité et auprès de personnes ayant des
différences culturelles marquées. Il est aussi nommé que le travail est facilité lorsque le
patient partage des représentations communes avec le psychologue, notamment sur les
représentations de la santé et des soins (psychologiques). À cet égard, la familiarité du
patient avec la psychanalyse, souvent associée à des origines culturelles européennes, est
perçue positivement par les psychologues qui utilisent cette approche, alors que d’autres
perçoivent plus négativement ces patients. De plus, les attentes envers l’engagement au
changement thérapeutique ne sont pas les mêmes d’un participant à l’autre. Ainsi, la
perception que le patient a une propension à être davantage dans la plainte que le
changement génère chez certains des discours stéréotypés sur les patients provenant
d’Europe de l’Est, d’Amérique Latine ou d’Italie. D’autres disent plutôt accepter que le
patient souhaite à certains égards ne pas changer, alors on ne retrouve plus ces
généralisations culturelles.
204
Le discours sur les différences culturelles, qui représente d’ailleurs une des
catégories les plus fréquentes, fait donc apparaître les zones où la rencontre de l’Autre est le
plus susceptible de susciter une menace au cadre psychothérapeutique. Alors que la
littérature s’est surtout attardée, sans arriver à des conclusions claires, à établir des liens
entre l’approche théorique et les compétences interculturelles (Maxie et al., 2006;
Tummala–Narra et al., 2012), il apparaît plutôt ici que l’approche thérapeutique semble en
lien avec les menaces pouvant potentiellement déstabiliser le psychologue. Lorsque le cadre
psychothérapeutique ne correspond pas à certaines caractéristiques du patient, l’origine du
choc est plus facilement attribuée aux origines culturelles du patient plutôt qu’à la
différence des cadres, ce qui constitue un obstacle à la décentration de son propre cadre.
L’Autre devient une altérité radicalement différente de soi et cette altérité est maîtrisée à
partir de concepts réifiants qui permettent d’attribuer un sens à la différence qui diminue le
sentiment de menace. Les généralisations sur l’Autre révèlent le processus de totalisation
de l’altérité (Michaud Labonté & Leanza, 2013) dans sa forme la plus évidente.
Parfois aussi, la menace interculturelle apparaît plus largement en lien avec la
rencontre de systèmes familiaux qui représentent des valeurs sociales différentes aux yeux
de psychologues qui valorisent une société basée sur l’égalité. Cette menace traduit les
valeurs guides qui agissent souvent au niveau inconscient mais qui activent des réactions
fortes lorsqu’il y a perception qu’elles sont menacées (Cohen-Emerique, 2015).
Contrairement à ce qui était avancé dans la préconception 2, ce ne sont pas tant les
expériences interculturelles antérieures qui semblent imprégner les représentations
spécifiques de l’Autre culturellement différent. Ce serait plutôt l’adhésion à un certain
registre de pratiques et de valeurs définissant l’identité professionnelle et sociale qui met en
relief les situations où cette identité se heurte à des façons de faire différentes. C’est là où il
y aurait construction, représentation, d’une altérité, entre autres par le biais de
généralisations et de stéréotypes.
5.3. Représentations du rôle du psychologue
Lorsqu’on s’intéresse aux représentations du rôle du psychologue, les résultats à
l'association libre et à l'analyse thématique sont beaucoup plus idiosyncrasiques et les
205
regroupements conceptuels deviennent plus difficiles à faire. Cela peut être le résultat de
parler de soi-même, où chacun présente les nuances de sa position amenant une impression
d’idiosyncrasie. Or, malgré la diversité des explications sur le rôle, des tendances ressortent
selon le degré auquel chacun rapporte s’adapter en ISI.
5.3.1. La représentation générale du rôle du psychologue. Du côté du rôle du
psychologue, la représentation dominante du patient comme un individu en difficultés
suscite des interventions telles que l’accueil de la parole du patient, l’exploration par sa
propre mise en récit des difficultés l’ayant poussé à consulter, la compréhension
empathique de celles-ci, le soutien dans un travail thérapeutique pour obtenir des
changements internes et l’accompagnement tout au long de ce travail. Tout comme les
difficultés du patient sont conceptualisées sous l’angle des impacts et des contributions
individuelles et internes, ces interventions visent elles aussi à obtenir des impacts
individuels, bien que des impacts sur l’entourage puissent être escomptés. Les participants
perçoivent dans une grande majorité des ISIs rapportées qu’ils ne sont pas sortis de leur
rôle et une minorité présente aussi un style d’intervention qui change peu entre les
situations considérées habituelles et celles considérées interculturelles. Cette perspective
sur son propre rôle, si elle n’admet pas une réflexion plus large, comporte le risque de ne
pas tenir compte de ses propres valeurs et biais qui influencent inévitablement toute ISI
(Sue et al., 1982; Daniel et al., 2004).
5.3.2. Rôles du psychologue en ISI. En dehors de la perception partagée de ne pas
faire différent, à un certain degré à tout le moins, plusieurs décrivent certains rôles
spécifiques en ISI et les interventions rapportées témoignent d’une sensibilité à l’Autre
considéré culturellement différent. La perception d’une différence culturelle dans l’ISI par
rapport aux situations habituelles entraîne chez plusieurs une modulation de certaines
interventions qu’ils posent déjà dans leur cadre habituel. Ces adaptations, de nature et
d’amplitude variées, vont dans le sens de la préconception 7 qui suggérait un lien entre les
représentations de l’Autre culturellement différent et de la consultation interculturelle avec
les représentations du rôle. À l’exception des situations de déstabilisation où l’intervention
206
peut être limitée, les interventions des psychologues sont cohérentes avec les
représentations qu’ils ont des éléments contenus dans la consultation en ISI.
C’est ainsi qu’explorer l’histoire du patient, l’accompagner et le soutenir, favoriser
des changements internes et favoriser la relation thérapeutique apparaissent pertinents dans
tout type de situation. Cela rejoint l’idée que la capacité de l’intervenant à exercer son rôle
habituel est une ressource importante en situation interculturelle (Cohen-Emerique & Hohl,
2002) et que la nécessité de s’adapter aux aspects interculturels peut être variable selon les
situations rencontrées (Chang & Berk, 2009; Chang & Yoon, 2011).
C’est autour de trois rôles habituels du psychologue qu’ont pu être observés un plus
grand nombre d’adaptation témoignant de leur flexibilité, soit l’exploration, les
interventions visant un changement interne et l’établissement de la relation thérapeutique.
Ainsi, l'ISI semble se pratiquer à l'intérieur des frontières du cadre psychothérapeutique
habituel où certaines flexibilités dans le rôle sont envisagées mais non pas de sorties de
rôle. Ces points de flexibilité sont autant de tentatives de s’adapter à des situations où il y a
perception de différences culturelles et ce tout au long du processus de la consultation
psychologique. Cet effort, peu importe les expressions qu’il prend, est considéré comme
étant favorable à la satisfaction des patients envers leur psychothérapie en ISI (Chang &
Berk, 2009; Smith, 2010).
5.3.2.1. L’exploration culturellement sensible. Les participants qui se représentent
l’ISI comme étant plus à risque d’incompréhensions montrent des adaptations de leur
recherche habituelle d’information pour explorer aussi la sphère culturelle. L’exploration
culturelle peut viser à comprendre comment la personne vit et porte sa culture pour adapter
l’intervention afin qu’elle soit mieux acceptée par le patient. On retrouve aussi l’idée de
tenir compte de la culture afin de bien pouvoir faire le différentiel entre ce qui est culturel,
familial ou lié à la personnalité dans la problématique du patient. Aussi, devant la
reconnaissance de différences de représentations des soins, certains cherchent à décoder la
vision du monde culturelle du patient, notamment sur la façon de recevoir un traitement ou
de l’aide dans le pays d’origine. Ces adaptations visent à réduire l’incompréhension du côté
207
du psychologue et à ajouter des éléments dans l’évaluation de la situation posant problème
pour le patient.
Bien que des réticences à investiguer les éléments culturels dans la rencontre
apparaissent lorsque les participants craignent que le patient se sente étiqueté, une certaine
forme d’exploration culturelle, ne serait-ce qu’en étant sensible aux éléments culturels dans
l’histoire de vie de la personne, est rapportée chez presque tous. Une seule personne se
montre défavorable à la recherche d’information culturelle auprès du patient. Celui-ci
cherche à ce que le patient puisse obtenir une réduction rapide de ses symptômes et il pense
que ce dernier n’a pas à informer le psychologue sur sa culture, mais que le travail
d’information culturelle devrait être fait avant la rencontre. Au final, chez les participants
en tant que groupe, il apparaît qu’explorer davantage ou explorer des thèmes spécifiques en
ISI est la norme, quoi qu’il soit aussi possible d’avoir une opinion défavorable à ces
pratiques. L’attitude généralement favorable à l’exploration culturelle au sein de la relation
de consultation psychothérapeutique ouvre à la possibilité de mettre en place certains des
processus simples des ressources interculturelles (Cohen-Emerique & Hohl, 2002),
notamment la recherche d’indices dans une position de découverte de l’Autre et
l’engagement dans une démarche d’éclaircissement. Il n’en est pas de même concernant la
recherche d’informations externes, ce qui sera discuté plus loin dans la sous-section portant
sur le rapport aux connaissances.
5.3.2.2. Tenir compte de la culture dans l’intervention. Parmi les adaptations
touchant plus spécifiquement l’intervention psychologique, un certain nombre constitue des
adaptations d’interventions habituellement utilisées dans la pratique alors que d’autres
découlent spécifiquement d’aspects qui ont été considérés comme étant interculturels dans
la conceptualisation des difficultés du patient.
Les adaptations des interventions habituelles en fonction de particularités culturelles
sont similaires à celles proposées par le modèle de Bernal et Santiago (2006), qui
pourraient alors être conceptualisées comme des adaptations comportementales visant à
rendre les interventions psychothérapeutiques davantage cohérentes avec les particularités
culturelles du patient. Il peut s’agir notamment d’adapter son langage, utiliser des symboles
208
culturels, tenir compte des valeurs de la personne ou considérer le contexte migratoire, par
exemple. Dans les discours, ce type d’adaptation est rapporté comme favorisant
l’intervention, en permettant par exemple de surmonter certaines impasses thérapeutiques
en intégrant les croyances religieuses du patient dans l’intervention.
Un autre registre d’interventions découle des représentations de l’Autre considéré
culturellement différent. Concernant les représentations de l’immigrant en difficultés, les
psychologues qui présentent une vision centrée sur l’adaptation à la société québécoise
perçoivent dans leur rôle qu’ils favorisent l’adaptation culturelle en donnant des
informations ou en représentant la société d’accueil dans la rencontre thérapeutique. Ceux
qui conceptualisent davantage les impacts identitaires à la migration sont portés à aider la
personne à intégrer son passé et son présent dans son identité personnelle et à reconnaître et
valoriser ses particularités culturelles. L’écoute de récits traumatisants amène à se percevoir
dans un rôle de témoin et de contenant affectif de ces récits. Les interventions pensées à
l’égard de la deuxième génération visent souvent à développer la capacité du patient à
pouvoir assumer ses choix personnels malgré la pression familiale ou de rétablir une
meilleure communication avec les parents. C’est donc dire combien les représentations de
l’Autre culturellement différent ont un impact sur les interventions envisagées, ce qui,
encore une fois, va dans le sens de la préconception 7. La sensibilité théorique et
interculturelle du psychologue est susceptible d’influencer ses grilles d’analyse, ce qui peut
avoir un impact sur les thèmes qui seront plus saillants en thérapie.
Les adaptations de l’intervention psychothérapeutique en fonction d’éléments
culturels est associé dans la littérature scientifique à une meilleure efficacité thérapeutique
(Bernal & Sáez-Santiago, 2006; Griner & Smith, 2006; Smith et al., 2011). Sur ce registre,
les participants se montrent généralement volontaires à intégrer des éléments culturels à
leurs interventions et perçoivent des résultats positifs pour le patient et la thérapie à la suite
de ces adaptations.
5.3.2.3. Tenir compte de la culture pour créer le lien. L’ensemble des adaptations
retrouvées pour l’exploration et l’intervention sont aussi susceptibles, selon les participants,
de favoriser une relation de confiance entre le psychologue et le patient. Par exemple, en
209
tenant compte de la culture dans l’exploration des difficultés du patient, certains expliquent
comment le patient peut trouver des explications non psychologisantes à ses difficultés et
faire en sorte qu’il se sente davantage compris. Certaines interventions sont aussi mises en
place pour viser spécifiquement l’établissement et le maintien du lien de confiance : ne pas
mettre trop d’emphase sur les différences et trouver un point commun avec le patient,
adopter une attitude calme, sans jugement, curieuse et ouverte face à des comportements
même socialement inacceptables, adopter une posture humble plutôt qu’experte, explorer
les possibles incompréhensions tant sur le plan de la langue que des significations, adapter
la communication non-verbale (poignée de main, façon de s’adresser à la personne) selon
les connaissances que l’on a des normes culturelles, accepter de répondre à une question
personnelle ou se dévoiler si cela peut aider le patient à être plus confortable.
Ce lien positif entre les adaptations culturelles et l’alliance thérapeutique est aussi
appuyé empiriquement (Chang & Berk, 2009; Smith, 2010) et pourrait favoriser la
sauvegarde du lien psychothérapeutique nécessaire pour que d’autres processus simples des
ressources interculturelles puissent se mettre en place, tels que la poursuite de l’interaction
malgré les possibilités de rupture (Cohen-Emerique & Hohl, 2002).
5.4. Représentations des expériences d’intervention en situation interculturelle
Dans les discours, trois types principaux d'expériences de l’ISI se distinguent selon
le potentiel de déstabilisation et le niveau d'étrangeté perçus dans celles-ci. Premièrement,
certaines ISIs sont vécues comme des expériences familières qui ne changent rien par
rapport aux autres situations vécues en clinique. Une conceptualisation psychologique des
difficultés du patient et la mise en place des interventions habituelles (adaptées)
apparaissent suffisantes. Deuxièmement, des expériences plus inconfortables teintées
d'incompréhensions et d’étrangeté sont rapportées, mais ne sont pas vécues (consciemment)
comme étant déstabilisantes pour le rôle professionnel. Troisièmement, des expériences
extrêmes où le psychologue est plus à risque de tomber dans la déstabilisation de son rôle et
dans l'impuissance sont plus rarement discutées. Ces trois niveaux de déstabilisation en ISI
valident la préconception 5 en reconnaissant que les ISIs peuvent être vécues avec ou sans
sentiment de déstabilisation. Les deux premiers types d’expérience sont les plus
210
fréquemment rapportées et souvent vécues comme n’étant pas déstabilisantes voire même
comme n’étant pas différentes de la pratique habituelle. Cela contraste avec les recherches
empiriques qui montrent une diversité de réactions d’inconfort (Utsey, Hammar, & Gernat,
2005) ou même de menace (Hohl & Cohen-Emerique, 1999; Cohen-Emerique & Hohl,
2004) à la différence culturelle. Ce constat appuie deux hypothèses qui pourraient être
vérifiées ultérieurement.
D’un côté, il se peut que le discours de psychologues sur des ISIs vécues de façon
générale montre que cette pratique n’est pas vécue et représentée comme étant plus
déstabilisante que la pratique habituelle. Cela vient nuancer ce qui avait pu être avancé au
départ à la préconception 4 : bien que des défis et difficultés spécifiques soient discutés en
lien avec l’ISI et les clientèles considérées culturellement différentes, certains sont
considérés comme peu différents de ceux rencontrés habituellement. En ayant choisi
d’interroger les expériences de l’ISI de façon générale plutôt que d’avoir interrogé
d’emblée les expériences plus difficiles, comme on le trouve dans les études qui emploient
la méthode des incidents critiques (Cohen-Emerique, 2015), il apparaît normal que le
discours des participants témoigne d’un registre d’expérience plus variées et pas
nécessairement vécues comme difficiles.
Comme hypothèse alternative, on pourrait aussi penser que l’ISI serait généralement
plus déstabilisante que la pratique générale, mais que certains éléments du contexte de la
recherche ont limité la possibilité d’en rendre bien compte. Quelques indices appuient cette
hypothèse. À cet effet, l’analyse des situations rapportées montre que les réactions des
psychologues en ISI ne sont pas nécessairement traduites consciemment dans leurs discours
comme étant des réactions à la différence culturelle. D’ailleurs, plusieurs auteurs parlent du
caractère non-intentionnel ou inconscient des réactions à la différence (Sue et al., 2007;
Qureshi & Collazos, 2011; Cohen-Emerique, 2015). Cette part difficile à conscientiser peut
mettre à risque des psychologues de ne pas réaliser pour eux-mêmes qu’ils ont moins accès
à leurs ressources professionnelles, ce qui limite la possibilité de réaliser des apprentissages
face à ces situations et ce qui favorise l’équilibration simple du système cognitif plutôt que
l’équilibration majorante (Cohen-Emerique & Hohl, 2002, 2004). Autrement dit, ne pas
avoir conscience d’une déstabilisation en soi limite la capacité à percevoir les défis
spécifiques aux situations d’ISI et de développer les compétences et ressources
211
interculturelles pertinentes à ce contexte d’intervention. Par contraste, dans les expériences
d’écoute de situations extrêmes, la déstabilisation est reconnue facilement, faisant
apparaître à la fois les limites à une écoute empathique face à ce genre de situation
(Kirmayer, 2008), mais les psychologues parlent aussi des ressources qu’ils ont mis en
place pour leur permettre de préserver leur rôle professionnel (Cohen-Emerique & Hohl,
2002). Comme autre indice à l’hypothèse d’une plus grande déstabilisation en ISI, il était
notable que certains participants se surprenaient de raconter les expériences qu’ils ont
trouvé les plus difficiles plus tard en entrevue. Il se peut que parler du caractère menaçant
de certaines expériences nécessite une grande confiance envers la personne qui reçoit cette
confidence, ce qui aurait pu limiter le recueil de tels discours. Un contexte alternatif où il
aurait pu y avoir une réflexion continue sur des ISIs, comme on retrouve dans une
supervision réalisée sur une base régulière, aurait pu favoriser de nouvelles compréhensions
sur les situations vécues et aurait peut-être été plus à même de mettre en évidence des
réactions de menace. Dans le cadre de cette recherche sur les ISIs, ces réactions sont la
plupart du temps inférées par l’analyse des situations rapportées.
5.5. Rapport à l’Autre en intervention en situation interculturelle
En plus de cette description synthétique des résultats sous l’angle des
représentations des participants, les résultats seront aussi mis en dialogue avec les théories
visitées dans la construction de la présente recherche. Ici, c’est davantage le discours en
entrevue qui a permis de voir comment les participants se situaient selon les différentes
théories. Ce travail de catégorisation a été aidé par la réalisation d’une matrice synthèse
thèmes x participants (annexe D).
5.5.1. Rapport aux identités culturelles différentes. Parmi les six stades du
développement de la sensibilité interculturelle prévus dans le DMIS (Bennett, 1986), les
participants ont tous présenté un discours qui peut être caractéristique au moins du stade de
la minimisation, ce qui rejoint la préconception 8. Ce stade était initialement prévu dans le
DMIS comme un stade ethnocentrique, mais les développements théoriques subséquents le
posent plutôt comme un stade intermédiaire et transitoire entre l’ethnocentrisme et
212
l’ethnorelativisme (Hammer, 2009). L’absence des niveaux nettement ethnocentriques
témoigne d’un certain niveau de sensibilité interculturelle chez les participants, ce qui n’est
pas surprenant en raison de leur motivation à participer à l’étude.
Au stade de la minimisation, les différences sont comprises à partir de catégories
familières et universelles ou de concepts transcendants (biologiques, religieux,
économiques ou philosophiques). Les participants catégorisés à ce stade sont ceux qui se
représentent de façon prédominante les difficultés du patient en tenant peu compte des
aspects culturels, qui se représentent les différences culturelles surtout sous l’angle des
différences de traits psychologiques associés à des généralisations culturelles ou qui
mettent l’emphase sur les besoins humains universels au détriment des particularismes
culturels.
Les discours associés au stade de l’acceptation et de l’adaptation se ressemblaient,
ainsi ils ont été regroupés dans une seule et même catégorie d’acceptation-adaptation.
L’acceptation-adaptation se caractérise de façon générale par l’utilisation des catégories
culturelles pour identifier des différences et des contrastes, une relativisation des
différences de valeur, une capacité à changer de cadre de référence et une empathie
cognitive, affective et comportementale. Les participants catégorisés dans ce stade sont
nombreux et ont tous exprimé tenir compte d’aspects culturels dans la compréhension
empathique qu’ils portaient sur les situations rencontrées.
Enfin, l’intégration a aussi été retrouvée, surtout chez les participants ayant vécu
eux-mêmes l’expérience de la migration, mais aussi chez un participant né au Québec qui
s’identifie à différents groupes culturels. De façon théorique, ce stade englobe le précédent.
De plus, on y retrouve une version encapsulée où la biculturalité fait se sentir dans la marge
et une version constructive où la biculturalité est appréciée dans le développement
identitaire. Ces deux formes ont été retrouvées dans les discours, notamment en lien avec
les expériences personnelles vécues autour de la migration. Dans l’ensemble des discours,
l’intégration apparaît comme une dimension supplémentaire à l’analyse qui correspond au
développement identitaire davantage qu’à la sensibilité interculturelle telle que traduite en
ISI.
213
Tableau 20
Catégorisation des participants selon le concept de sensibilité interculturelle (Bennett,
1986).
Minimisation Acceptation-Adaptation Intégration
Différences comprises à
partir de catégories
familières et universelles,
concepts transcendants
(biologiques, religieux,
économiques ou
philosophiques)
Utilise des catégories culturelles
pour identifier des différences et
des contrastes. Relativise les
différences de valeur. Capacité à
changer de cadre de référence,
empathie cognitive, affective et
comportementale.
Appréciation de la
biculturalité dans le
développement
identitaire / sentiment de
marginalisation en lien
avec l’identité culturelle
P01, P02, P15, P18, P05 P04, P07, P08, P09, P11, P12,
P13, P16, P17, P19, P21
P03, P14, P06, P10
5.5.2. Rapport acculturatif. Les représentations de l’Autre culturellement
différent révèlent les orientations d’acculturation des participants. Le rapport aux
différentes figures de l’altérité met en évidence comment chaque participant perçoit son
rôle acculturatif dans la rencontre avec le patient considéré culturellement différent. Les
positions qui se dégagent à l’égard des discours acculturatifs peuvent être comprises à
l’aide des orientations d’acculturation définies par Bourhis (1998). Aucun participant en
lui-même ne correspond tout à fait à une catégorie, mais ceux-ci ont pu être catégorisés à
partir de la prédominance de leur discours envers l’une ou l’autre des formes d’orientation
d’acculturation. Cette catégorisation ne préjuge pas non plus de la capacité des participants
d’adopter d’autres positions que celle dans laquelle ils ont été identifiés dans la présente
recherche.
Trois participants avaient un discours principalement centré sur les difficultés
psychologiques des patients. Ils parlent peu ou pas de l’impact des contacts interculturels
dans la vie du patient, même lorsqu’il est identifié comme étant migrant. Pour eux, les
différences individuelles prévalent sur des différences plus globales et leur discours ne fait
214
presque pas référence à des notions culturelles. Ces caractéristiques s’apparentent à
l’orientation individualiste.
La majorité des participants ont un discours qui nuance une perspective seulement
centrée sur l’adaptation en mettant aussi de l’avant les besoins identitaires et
d’appartenance sociale. En ce sens, ils sont plus près de l’orientation d’intégrationnisme où
tant l’apport de la personne en position de minorité que celui de la société majoritaire sont
tenus en compte dans les contacts acculturatifs. Il apparaît aussi différentes façons de
considérer que le patient a avantage à tenir compte à la fois du besoin de créer des liens
avec la société dominante et de maintenir son identité culturelle. Certains, dans un volet
plus comportemental, vont faire référence à des compromis culturels entre les normes
culturelles héritées et celles de la société québécoise. D’autres voient cette intégration dans
la façon dont la personne articule différentes identités culturelles. Il est à noter que P04
figure dans cette catégorie même s’il rapporte exclusivement des situations d’intervention
en réserves autochtones. Dans son discours, il ne prône pas nécessairement des
changements acculturatifs bidirectionnels, mais toutefois il tient compte des effets
acculturatifs bidirectionnels lorsque d’une part il considère comment sa position de blanc le
met à risque de représenter un néo-colonisateur et que d’autre part il adapte son
intervention aux représentations partagées dans les communautés autochtones.
Enfin, parmi les participants dont le discours témoigne davantage de l’orientation
d’intégration, seulement deux se démarquent clairement en exprimant en quoi les contacts
acculturatifs sont source d’enrichissement pour la société et démontrent de façon concrète
comment ils adressent certains aspects de la culture d’accueil pour favoriser l’intégration
des minorités culturelles. Cela les positionne dans l’orientation d’intégration de
transformation. Sans surprise, personne n’a tenu de discours adoptant une orientation de
ségrégation ethnique, d’exclusion ou de marginalisation.
215
Tableau 21
Catégorisation des participants selon le concept d’orientation d’acculturation (Bourhis,
1998).
Individualisme Intégrationnisme Intégrationnisme de
transformation
Définitions selon les
caractéristiques personnelles
plutôt qu’en fonction de
l’appartenance groupale
Immigrants adoptent la
culture d’accueil tout en
soutenant le maintien de leur
culture
Valorisation de la culture
d’origine et volonté de
modifier certains aspects de
la culture d’accueil pour
faciliter l’intégration des
immigrants
P01, P02, P15, P18 P04, P05, P06, P07, P08,
P09, P10, P11, P12, P13,
P14, P17, P19, P21
P03, P16
Ainsi, en cohérence avec la préconception 9, les discours témoignent en plus grande
proportion d’orientations d’acculturation relevées dans la littérature comme étant
favorables à la diversité culturelle et une absence d’orientations défavorables (Montreuil &
Bourhis, 2001, 2004; Bourhis et al., 2008).
Toutefois, contrairement à ce qui était supposé dans la préconception 9, aucun
participant n’adopte complètement l’orientation d’acculturation assimilationniste.
Néanmoins, certains discours assimilationnistes sont relevés en lien avec certaines
représentations spécifiques de l’Autre culturellement différent. À ce sujet, deux participants
ont plutôt un discours centré sur les difficultés d’adaptation sociale des patients. Cette
insistance sur l’adaptation par rapport aux autres aspects des phénomènes acculturatifs,
dont le désir (ou non) de préserver son identité culturelle, rappelle l’orientation
d’acculturation assimilationniste. À ce sujet, P05 perçoit que la religion peut être un
obstacle à l’intégration et P07 distingue des immigrants prêts à s’intégrer en opposition à
ceux qui ne le sont pas. Cette position semble répondre à une représentation de l’Autre
comme étant un immigrant vulnérable qui a tout intérêt à adopter rapidement les normes
sociales dominantes afin de mieux vivre sa migration. Toutefois, ces participants présentent
216
aussi une certaine sensibilité aux différences culturelles et ne présentent pas non plus la
position où ils croiraient qu’il serait mieux que les immigrants rejettent leur culture
d’origine. Autre cas de figure, P16, qui se situe généralement dans l’orientation
d’intégrationnisme de transformation, tient un discours plutôt assimilationniste lorsqu’il
considère l’intégration culturelle des enfants de migrants, rejoignant en quelque sorte la
perspective unidimensionnelle de l’acculturation basée sur un modèle d’assimilation des
communautés migrantes (Bourhis & Bougie, 1998). Chez ces trois participants, on pourrait
davantage parler de discours assimilationnistes spécifiques à certaines représentations de
l’Autre culturellement différent qui ne définissent pas nécessairement leur orientation
d’acculturation générale.
5.5.3. Rapport à la connaissance. La recherche d’informations externe amène des
positions variées chez les participants par rapport aux autres thèmes de leur rôle
professionnel. Ces positions envers la recherche d’information externes correspondent à des
attitudes positives, négatives et conditionnelles. Les positions des psychologues ne sont pas
exclusives ni fixes, bien que leur discours individuel montre une position prédominante sur
les autres.
217
Tableau 22
Catégorisation des participants selon leur attitude envers les informations externes
Menace
perçue
Attitude
conditionnelle
Utilisation des
acquis
Recherche active Critique
Risque d’être
biaisé, de
catégoriser
ou d’être
rigide
Utile de
s’informer
lorsqu’on a
plusieurs clients
d’un pays en
particulier
Utilisation
d’informations
culturelles déjà
acquises,
validation de
celles-ci dans
l’intervention
Besoin actif de
recherche
d’information
dans un but
précisé, les
sources sont
variées
Les
informations
externes sont
utilisées ET
contextualisées
ou remises en
question
P01, P15 P02, P18 P05, P07, P09,
P10, P11, P12,
P17, P21
P04, P08, P13,
P14
P03, P06, P16,
P19
Dans la position de menace perçue, le discours est davantage centré sur la nécessité
de ne pas catégoriser le patient en fonction de ses origines, car le psychologue serait à
risque de généraliser une information externe ou de devenir rigide dans son intervention.
Cette menace perçue est surreprésentée dans le discours de P01 et P15. Toutefois, tous les
participants sont d’avis, à un certain point, qu’une utilisation non-critique d’informations
externes à la relation de consultation entraîne un risque de poser des généralisations qui ne
donneraient pas un portrait adéquat des particularités du patient. L’expression de cette
crainte partagée montre que les psychologues tentent d’éviter de tomber dans le risque réel,
par exemple, d’utiliser des descriptions qui favoriseraient une vision statique et stéréotypée
d’un groupe culturel au détriment de ses aspects dynamiques (Leanza, 2011b; Hassan et al.,
2012). Toutefois, une trop grande emphase sur ce risque pourrait empêcher le psychologue
d’acquérir des connaissances nécessaires au développement de certaines compétences en
ISI, comme comprendre les particularités du groupe culturel du patient, comprendre les
dynamiques d’oppression en jeu dans le système socio-politique et la relation de
218
consultation et être au courant des barrières institutionnelles entravant les processus de
recherche d’aide (Sue et al., 1982).
Dans l’attitude conditionnelle, les participants verraient des avantages à s’informer
un peu plus dans le cas où ils auraient davantage de clients d’un pays en particulier.
Toutefois, il apparaît que les participants qui tiennent ce discours nomment avoir dans leur
clientèle des patients qui partagent des caractéristiques culturelles perçues comme étant
semblables (ex. : avoir dans sa clientèle des français qui se questionnent sur leur parcours
migratoire) sans pour autant que cela n’entraîne un questionnement sur la nécessité de
s’informer davantage ou non. Ainsi, il n’est pas clair à partir de quel critère il est jugé
qu’une recherche d’informations culturelles serait pertinente. Ce flou laisse penser que
l’attitude conditionnelle sert à justifier une absence de motivation à aller chercher des
informations externes.
Les deux premières positions à l’égard des connaissances externes montrent qu’une
minorité de participants ne répondent pas dans le sens de la préconception 10, où il était
plutôt attendu de retrouver chez tous une adhésion à une exigence de s’informer auprès de
sources variées. D’ailleurs, l’exigence déontologique d’agir dans les limites de ses
compétences n’apparaît que très rarement en entrevue et lorsque cela est discuté, c’est en
référence à des situations hypothétiques. Toutefois, les raisons évoquées pour justifier ces
attitudes plutôt défavorables à la recherche d’informations externes semblent cohérentes
avec la préconception 11 voulant que les psychologues agissent selon une norme de non-
discrimination.
Les trois autres positions témoignent d’une attitude plus favorable à intégrer des
informations externes à la consultation. Les participants rapportent alors des expériences où
ces informations ont été validées dans la rencontre et ont favorisé l’intervention clinique ou
la résolution d’impasses thérapeutiques. Parmi ces positions, la première réfère aux
participants qui utilisent des connaissances culturelles déjà acquises auparavant, soit par des
expériences cliniques antérieures, la formation professionnelle, les médias populaires ou
des formations spécifiques sur des thématiques interculturelles.
La catégorie de recherche active est très similaire à la précédente. La différence est
que les participants discutent explicitement dans le contexte des ISI rapportées de leur
219
besoin d’avoir davantage d’informations sur une situation donnée, des moyens entrepris
dans leur recherche (ex. : lectures, supervision) et des buts visés (ex. : mieux comprendre
l’environnement physique et culturel d’un pays donné, prendre une distance émotionnelle
suite à l’écoute d’une situation traumatisante en pays étranger). L’utilisation des acquis et la
recherche active ne supposent pas nécessairement une utilisation critique des
connaissances, mais on ne peut pas non plus affirmer avec les entrevues que ces
participants ne sont pas critiques dans leur réflexion.
Dans la position plus critique, les participants présentent des discours où les
informations culturelles sont à la fois utilisées dans leur travail en ISI, mais où ils
considèrent aussi une perspective critique à l’égard de ces informations. Ainsi, on ne trouve
pas le rejet d’informations externes davantage retrouvé dans les positions de menace perçue
et d’attitude conditionnelle et il n’y a pas non plus une adoption non-critique des
informations davantage caractéristique des positions d’utilisation des acquis et de recherche
active.
De façon générale, les positions reflétant des attitudes positives envers la recherche
d’informations culturelles externes favorisent aussi l’utilisation d’autres cadres de référence
que la psychologie dans l’ISI. Les actes posés dans ces positions sont autant de leviers pour
favoriser l’adoption d’une approche complexe qui intégrerait plusieurs hypothèses pour
comprendre l’Autre culturellement différent, ce qui correspond à l’une des ressources en
situation interculturelles décrites par Cohen-Emerique (Cohen-Emerique & Hohl, 2002).
Par exemple, l’entrevue de P16 illustre comment il est très actif dans sa recherche
d’informations auprès d’une multitude de sources et comment chaque expérience d’ISI est
utilisée pour valider ou infirmer ce qu’il pensait sur un phénomène donné. P06 a fait
pendant 40 ans un travail de critique des théories qu’il a acquis afin de dégager ce qui
pourrait être universel ou particulier à un contexte socio-historique donnée et il a créé une
approche clinique en fonction de ce travail de recherche. P03 a eu l’occasion
d’expérimenter des cadres thérapeutiques différents, tel le travail en communauté
autochtone et l’ethnopsychiatrie. Il adopte une posture critique face au cadre habituel et
contextualise la pertinence du cadre psychothérapeutique selon les contextes d’intervention
qu’il a avec ses patients.
220
5.5.4. Rapport aux normes sociales et professionnelles. Alors que les
dimensions représentationnelles, acculturatives, ethnoculturelles ainsi que le rapport à la
pratique professionnelle émergent relativement spontanément dans les mots à l’association
libre ou dans les discours à l’entrevue chez tous les participants, c’est davantage un travail
d’enquête, guidé par les théories et écrits sur le sujet, qui permet de tracer le contour de
normes pouvant entrer en ligne de compte dans les propos des participants. Ainsi, il
apparaît le plus souvent que les normes ne sont pas discutées explicitement, mais déduites à
travers ce qu’il y a d’implicite dans le discours des participants. Le caractère implicite de la
référence aux normes sociales et professionnelles a fait en sorte de rendre plus difficile
l’établissement de liens entre les aspects représentationnels, soit en lien avec le rôle
professionnel ou les spécificités de l’ISI (patient ou consultation), et le rapport aux normes.
Ainsi les préconceptions 3 et 6 n’ont pas pu être confirmées ou invalidées.
Une explication à cette impression de ne pas pouvoir voir aisément les normes dans
les mots et discours des participants réside peut-être dans la spécificité professionnelle des
psychologues dont le travail est orienté sur l’individu, dans une relation un-à-un, dans le
contexte d’un travail autonome en pratique privée. À titre de comparaison, d’autres
professions, comme la médecine ou le droit, se réfèrent quotidiennement à un ensemble de
connaissances et de normes dans leur pratique. Par exemple, les pédiatres de l’étude de
Leanza (2007, 2011a) se partagent entre une attitude convaincue et le doute face à des
normes et standards biomédicaux appris très clairement lors de la formation. Aussi les
juristes et juges de l’étude de Wyvekens (2015) questionnent l’application en situation
interculturelle de normes établies par le droit français et l’effet de leurs décisions sur le
maintien ou le changement institutionnel de la société française. Alors qu’en est-t-il des
psychologues en ISI ?
Dans les mots et discours relevés, les normes véhiculées par les psychologues ne se
situent en effet pas du côté de l’imposition d’un savoir biomédical, de l’application d’une
loi, d’une normalisation institutionnelle du patient ou d’une contrainte au traitement,
comme soulevé dans l’introduction théorique au sujet d’autres professions. Ce constat m’a
fait initialement penser que le travail du psychologue avait pour effet de s’affranchir de
221
normes contraignantes, tant pour lui-même comme professionnel autonome que pour le
patient chez qui on valorise une certaine autonomie. La perspective sociologique m’a
toutefois permis de prendre une distance à l’égard de cette hypothèse initiale. L’essai
d’Alain Ehrenberg (2005), qui décrit comment les changements institutionnels en matière
de santé mentale sont survenus aussi dans un contexte de renversement des normes perçues
comme contraintes à une norme de l’autonomie située dans l’intériorité du patient, est entré
en résonnance avec de nombreuses allusions faites par les participants à une certaine
intériorité autant dans leur conception du patient que de leur propre rôle. Leurs mots et
discours sont aussi marqués par un certain encouragement à se développer comme un
individu autonome et capable d’entrer en relation, ou les deux pour certains. Tel que
rapporté dans la littérature (Angeli, 2006; Angeli et al., 2006), on retrouve aussi la
contestation d’autres normes lorsqu’elles sont perçues comme une contrainte à l’individu.
Lorsqu’il était question de l’attachement considéré rigide à une croyance religieuse ou de
familles considérées régies par un père autoritaire, le spectre de l’hétéronomie se faisait
sentir comme une menace à peine voilée.
Considérant, au niveau théorique, que les normes de l’autonomie, de la relation et
de l’intériorité seraient positionnées à l’intérieur de l’individu, il a probablement été plus
difficile pour les participants de considérer ces normes avec un certain détachement pour
pouvoir en parler consciemment et nommer leur positionnement face à celles-ci. Cela
pourrait être à l’origine du caractère implicite des mots et discours révélateurs de normes. Il
va sans dire qu’étant moi-même en formation pour devenir psychologue, il m’a pris du
temps avant d’apprécier cette perspective pour pouvoir en discuter à l’aide des résultats de
cette recherche. Cette perspective permet de penser que le travail du psychologue, même (et
surtout) au privé, ne se fait pas hors normes, mais bien plutôt selon des normes dont on ne
situe pas l’origine dans des contraintes externes, mais plutôt dans un soi intime. Les normes
de l’autonomie et de la relation semblent avoir des rôles complémentaires dans la
consultation psychologique. En aidant l’individu à développer une plus grande capacité à
composer de façon autonome avec ses difficultés, le psychologue favorise aussi la capacité
de l’individu à fonctionner au contact d’autres personnes dans les systèmes qui l’entourent.
En aidant l’individu à être davantage capable d’entrer en relation, le psychologue favorise
aussi l’autonomie personnelle dans une société qui demande nécessairement à entrer en
222
relation dans des rôles divers. Donc, la préconception 12 voulant que les psychologues
représentent certaines normes dans leur rôle professionnel se confirme à travers cette
analyse et on pourrait même ajouter que les psychologues agissent à titre de représentant
des normes sociales plus larges.
Plutôt que de catégoriser les participants selon les normes exprimées, il est choisi de
s’intéresser à leur rapport aux normes dont ils se font les porteurs, que celles-ci soient du
côté de l’autonomie, de la relation ou d’autres normes plus minoritaires dans la profession.
Le Tableau 23 résume les différents rapports à ces normes.
Tableau 23
Catégorisation des participants selon leurs rapports aux normes
Normalisation Internormalisation Négociation
Prédominance du rôle
habituel
Utilisation de plus d’une
norme pour conceptualiser une
situation et décentration par
rapport au rôle habituel
Mise en évidence explicite
des cadres culturels en
présence dans le but de les
faire se rencontrer
P01, P02, P05, P07, P15,
P17, P18, P21
P03, P04, P06, P08, P09, P11,
P12, P13, P14, P19
P10, P16
Le Tableau 23 montre que les participants se répartissent environ moitié-moitié
entre une tendance à la normalisation et une tendance à l’internormalisation. Les
participants caractéristiques de la normalisation présentent une prédominance du rôle
habituel. Si des différences culturelles peuvent être reconnues et que même certains
adaptent la thérapie aux différences qu’ils reconnaissent, ces participants témoignent peu ou
pas de relativisation des normes qui fondent leur travail. Dans la position
d’internormalisation, l’internormativité de la relation de consultation apparaît évidente, soit
dans la valorisation des hypothèses culturelles du patient, dans la valorisation de son refus
(sa résistance) à entrer dans le processus psychothérapeutique ou dans la prise en compte
d’autres normes professionnelles. La position de négociation est elle-aussi considérée du
223
côté de l’internormalisation, avec en plus la particularité de rechercher la négociation des
cadres culturels différents.
5.5.5. Synthèse du rapport à l’Autre. Une synthèse de la catégorisation des
participants selon les différents points de vue théoriques du rapport à l’Autre (Tableau 24) a
permis de réaliser une typologie qui distingue quatre positions : l’indifférenciation, la
différenciation normalisante, la différenciation contextualisante et la négociation. Il est à
noter que c’est le rapport aux normes qui a été le plus déterminant dans cette organisation,
qui départage les participants selon une tendance à la normalisation ou à la prise en compte
de l’internormativité (qui inclut la négociation). Un coup d’œil sur le Tableau 24 permet de
constater que ni la fréquence des ISI ni le pays de naissance ne montrent de tendance
particulière par rapport à la répartition dans l’une ou l’autre des catégories de rapport à
l’Autre, ce qui va à l’encontre des préconceptions 13 et 14.
224
Tableau 24
Typologie du rapport à l’Autre en ISI
Participant Sensibilité
interculturelle
Orientation
d’acculturation
Connaissances
culturelles
Rapport aux
normes
Synthèse
P15, F, Qc, Can, Freq Minimisation Individualisme Menace Normalisation
Indifférenciation P01, F, Qc, Can, Occas Minimisation Individualisme Menace Normalisation
P18, H, Mtl, Ext, Occas Minimisation Individualisme Condition Normalisation
P02, F, Qc, Can, Occas Minimisation Individualisme Condition Normalisation
P05, H, Mtl, Ext, Freq Minimisation Intégrationnisme Acquis Normalisation
Différenciation
normalisante
P07, H, Qc, Can, Occas Accept-Adapt Intégrationnisme Acquis Normalisation
P17, F, Mtl, Can, Freq Accept-Adapt Intégrationnisme Acquis Normalisation
P21, F, Mtl, Can, Occas Accept-Adapt Intégrationnisme Acquis Normalisation
P09, F, Qc, Can, Freq Accept-Adapt Intégrationnisme Acquis Internorm
Différenciation
contextualisante
P11, F, Mtl, Can, Freq Accept-Adapt Intégrationnisme Acquis Internorm
P12, F, Mtl, Can, Freq Accept-Adapt Intégrationnisme Acquis Internorm
P08, H, Qc, Can, Freq Accept-Adapt Intégrationnisme Actif Internorm
P13, F, Mtl, Ext, Occas Accept-Adapt Intégrationnisme Actif Internorm
P14, F, Qc, Ext, Occas Intégration Intégrationnisme Actif Internorm
P04, H, Qc, Can, Occas Accept-Adapt Intégrationnisme Critique Internorm
P19, F, Mtl, Can, Freq Accept-Adapt Intégrationnisme Critique Internorm
P06, H, Mtl, Ext, Freq Intégration Intégrationnisme Critique Internorm
P03, H, Qc, Can, Freq Intégration Intég Tranfo Critique Internorm
P10, H, Mtl, Ext, Freq Intégration Intégrationnisme Critique Négociation Négociation
P16, H, Mtl, Can, Occas Accept-Adapt Intég Tranfo Critique Négociation
225
5.5.5.1. Indifférenciation. Dans la première position, nommée « indifférenciation »,
on retrouve les participants dont leur discours témoigne d’une forte normalisation en ISI. Ils
ont tendance à minimiser les aspects interculturels au profit d’une compréhension plutôt
psychologique ou relationnelle des difficultés du patient. En ce sens, l’orientation
d’acculturation représentée dans ce type de rapport à l’Autre est dans tous les cas
individualiste. L’attitude envers les connaissances interculturelles est défavorable, car
celles-ci sont soit considérées comme une menace ou comme étant peu nécessaires si on n’a
pas beaucoup de clients d’un groupe donné. Ainsi, dans ce rapport à l’Autre, il semble y
avoir une motivation à ne pas faire différent d’habitude et à éviter l’introduction de
connaissances, ce qui limite la possibilité d’initier un mouvement de décentration. Les
participants dans cette position sont peut-être plus à risque de ne pas reconnaître des
déstabilisations vécues en ISI ce qui pourrait bloquer la possibilité de tirer des
apprentissages nouveaux des situations interculturelles rencontrées et favoriserait une
équilibration simple plutôt que majorante (Cohen-Emerique & Hohl, 2002). Toutefois, les
motivations invoquées pour adopter cette position sont légitimes : constater que la thérapie
fonctionne sans adaptation interculturelles spécifiques, éviter de catégoriser la personne,
miser sur les similitudes pour que la personne se sente à l’aise dans la relation
thérapeutique, etc. Ainsi, ce sont les représentations associées à la consultation
psychologique habituelle qui sont mises de l’avant, autant concernant les représentations
des difficultés du patient comme celles liées aux rôles du psychologue. Une remarque
s’impose quant à l’orientation d’acculturation typique de cette position. Alors que
l’orientation d’individualisme est généralement considérée dans la littérature comme une
orientation accueillante envers la diversité culturelle (Montreuil & Bourhis, 2001, 2004;
Bourhis et al., 2008), le témoignage des participants indique plutôt que ceux qui se situent
du côté de l’individualisme prônent en fait une normalisation plus forte dans leur rôle de
psychologue au détriment d’une reconnaissance des différences culturelles ainsi qu’une
attitude négative envers les connaissances interculturelles. En fait, cette position
individualiste, telle qu’elle a été relevée dans les discours sur l’ISI, pourrait mettre les
psychologues à risque de manquer de sensibilité envers certains phénomènes interculturels,
ce qui serait similaire à la microagression nommée color blindness (Sue et al., 2007) qui a
pour effet de nuire à l’empathie en situation interculturelle (Burkard & Knox, 2004). Le
226
psychologue pourrait aussi trop peu tenir compte de la culture d’origine de la personne dans
son identité, dont le maintien et la valorisation serait pourtant le plus associé à la santé
psychologique des migrants (Horton & Shweder, 2004). Ainsi, il est probable que ce type
de rapport à l’Autre puisse relativement bien être vécu par des patients qui accordent eux-
mêmes peu d’importance à leurs caractéristiques culturelles dans leur compréhension de
leur problématique (Chang & Berk, 2009), ce qui traduirait chez ces patients une stratégie
d’acculturation plus près de l’individualisme ou de l’assimilationnisme.
5.5.5.2. Différenciation normalisante. Dans la deuxième position, nommée
« différenciation normalisante », les participants présentent à la fois une attitude favorable
envers les connaissances interculturelles qu’ils ont acquises par le passé et une sensibilité
interculturelle permettant d’accepter la différence culturelle et de poser des adaptations
concrètes en séance. Cette prise en compte minimale de l’interculturel en ISI et la mise en
place d’adaptations subséquentes sont potentiellement favorables à la relation
psychothérapeutique (Bernal & Sáez-Santiago, 2006; Griner & Smith, 2006; Benish et al.,
2011; Smith et al., 2011). Néanmoins, les adaptations soulevées n’impliquent pas encore de
pouvoir changer de cadre de référence culturel. La tendance demeure forte à la
normalisation en dépit des aspects interculturels qui sont nommés, souvent sous forme de
généralisations. On retrouvait fréquemment chez ces participants des descriptions de ce
qu’ils considéraient comme étant culturellement différent, sans que ces constats ne
semblent avoir été validés auprès du patient. De plus, les discours sont davantage centrés
sur une représentation d’un patient vulnérable en raison de sa position d’altérité culturelle.
La représentation de vulnérabilité légitime la position de retour à une pratique normalisante
en dépit de la perception de différences culturelles : le travail psychothérapeutique vise à
obtenir une réduction rapide de la souffrance à l’aide des outils habituels ou une adaptation
rapide à la société d’accueil pour ces populations considérées vulnérables. Cette
représentation comporte le risque que le psychologue se place dans un contre-transfert
interculturel où le désir d’aider est motivé par une perception d’infériorité en raison de
l’identification du patient à un groupe culturel considéré inférieur (Qureshi & Collazos,
2011), ce qui peut avoir des impacts négatifs sur la relation psychothérapeutique si le
contre-transfert n’est pas perçu.
227
5.5.5.3. Différenciation contextualisante. Dans la troisième position, celle de la
« différenciation contextualisante », tous les participants montrent une prise en compte des
différences de norme (internormativité) qui se rencontrent dans le contexte d’une relation
de consultation interculturelle. Cela permet que les enjeux de pouvoir soient davantage
reconnus et pris en compte, notamment dans la relation thérapeutique, ce qui amène une
plus grande sensibilité aux effets des dynamiques identitaires (Cohen-Emerique, 2015) sur
la relation de consultation en ISI. D’ailleurs, les difficultés du patient sont souvent
représentées au travers des enjeux identitaires découlant des appartenances auquel il est
identifié. Il est notable dans cette position que des connaissances spécifiques à des thèmes
interculturels procuraient à ces participants certains points de repères leur permettant, pour
eux-mêmes à tout le moins, de tenir compte de normes différentes afin de se décentrer de
leur propre point de vue et d’ainsi arriver à une meilleure empathie (socioculturelle). Les
rapports aux connaissances interculturelles sont variés, allant de l’utilisation des acquis, à
une recherche active ou à une critique des connaissances. Dans tous les cas, celles-ci sont
utilisées pour favoriser une contextualisation culturelle de leur compréhension ainsi qu’une
validation de ces connaissances dans l’intervention. Ceux qui utilisent leurs acquis
expliquent comment les grilles de lecture qu’ils ont développées au fil du temps leur
permettent d’envisager une situation selon d’autres représentations que celles dont ils ont
hérité dans leur formation initiale en psychologie. Ceux qui sont dans la recherche active
montrent comment ils utilisent les situations d’étrangeté et de déstabilisation pour chercher
à s’informer et ainsi mieux intervenir dans ces situations en dépit d’un manque de
connaissances initiales. Ceux qui critiquent la connaissance témoignent de tentatives de
décentration par rapport à leur propre point de vue pour parvenir à relativiser ce qui a pu
être appris dans les formations antérieures. Bien que le rapport aux connaissances distingue
trois sous-groupes dans la position de différenciation contextualisante, il a été choisi de ne
retenir qu’une seule catégorie de rapport à l’autre qui les engloberait. En effet, le résultat de
l’intervention est similaire dans les trois sous-groupes, car peu importe le rapport aux
connaissances, l’intervention permet de tenir compte explicitement des différences de
normes plutôt que de favoriser une normalisation forte. Dès lors, tous témoignent au
minimum d’un niveau de sensibilité interculturelle de type acceptation-adaptation.
228
D’ailleurs, Bennett (1986) concevait que la forme la plus courante du stade de l’adaptation
est l’empathie qui permet un changement temporaire de cadre de référence. Il postule qu’à
mesure que la personne répète ce changement de cadre, elle en vient graduellement à
développer un pluralisme culturel, c’est-à-dire une capacité à changer véritablement de
cadre de référence selon le contexte culturel de l’Autre. L’inclusion d’informations
culturelles dans la tentative de comprendre l’Autre empathiquement permet de ressentir
davantage la « texture du monde vécu de l’Autre » (Kirmayer, 2008, p. 465) et de pouvoir
se référer à des éléments contextuels qui influencent le patient dont lui-même peut ne pas
être capable de savoir et de nommer (Kirmayer, 2008).
5.5.5.4. Négociation. Enfin, la position de « négociation » intègre les éléments
discutés dans la « différenciation contextualisante » à quoi s’ajoute une recherche explicite
de mise en évidence des cadres culturels différents pour tenter d’arriver à un
rapprochement. La négociation est minoritaire dans la présente étude. Les deux participants
représentés valorisent la négociation explicite d’un cadre de travail commun, ce qui
implique aussi de se questionner sur ce qu’ils sont prêts à faire et ne pas faire pour eux-
mêmes s’adapter en thérapie. Dans une perspective praxéologique, il s’agirait d’une
modalité possible de la prise en compte de l’internormativité (Nélisse, 1997) qui permet de
tenir compte des cadres de références différents pour arriver à trouver un compromis qui
fait sens pour les acteurs de l’interaction en fonction de leur identité culturelle respective et
de la nature professionnelle de leur rencontre. Le processus de négociation est central dans
l’approche interculturelle en clinique (Cohen-Emerique, 2015) au côté du processus de
décentration.
229
6. Conclusion
6.1. Implications et pistes de recherche futures
L’ensemble des résultats sont résumés de façon synthétique à la Figure 10, qui
reprend cadre d’analyse praxéologique du rapport à l’Autre culturellement différent (Figure
3, voir chapitre 2) pour y intégrer les éléments qui sont ressortis spécifiquement dans cette
thèse. Les éléments de la Figure 10 qui sont à l’extérieur du cadre internormatif sont
considérés comme étant des éléments contextuels plus éloignés de la situation de
consultation, alors que les éléments juxtaposés au modèle d’origine témoignent de ce qui se
produit au sein de la consultation en ISI. Cette conclusion présentera quelques pistes de
réflexion dans le but de pousser un peu plus loin certaines explications aux descriptions et
interprétations présentées jusqu’ici.
6.1.1. Color-blindness et self-blindness. La Figure 10 montre d’abord qu’un
grand nombre de particularités viennent teinter l’intervention en situation interculturelle.
Une contradiction apparaît lorsqu’on considère les propos des participants qui disent qu’il
n’y a pas de différences entre les ISIs et les situations d’intervention habituelles, alors
même qu’ils ont agi à titre d’informateurs dans cette thèse en révélant les particularités
rencontrées en ISI. Cette contradiction est le résultat d’une tendance chez certains à la
minimisation, qui d’ailleurs semble fréquente chez des professionnels de l’humain en raison
des valeurs démocratiques sous-tendues dans leur rôle professionnel (Gulfi, 2015).
230
Figure 10. Synthèse des particularités de l’intervention en situation interculturelle – un point de vue praxéologique
231
Pour tenter d’expliquer un peu plus cette contradiction, je propose qu’un certain
aveuglement à sa propre position sociale limite la capacité de décentration et donc la
capacité de considérer en quoi l’Autre différent, c’est aussi soi pour le patient. Cet
aveuglement touche plus particulièrement sa propre position sociale, qui suppose une
adhésion à des normes personnelles et professionnelles spécifiques ainsi qu’un partage de
représentations sociales spécifiques à certains objets sociaux donnés, et qui confère un
certain statut de pouvoir aux personnes de l’interaction. Il s’agirait du pendant
complémentaire au concept de color-blindness (Bonilla-Silva, 2003; Burkard & Knox,
2004), où on s’intéresse traditionnellement au degré auquel les particularités culturelles de
l’Autre sont minimisées ou niées, qui se manifesterait plutôt par un aveuglement à ses
propres particularités liées à sa propre position socio-culturelle. Un self-blindness en
quelques sortes.
L’idée que l’humain pourrait être aveugle à soi-même a été débattue en philosophie
pour évaluer, dans un questionnement plus large sur la conscience de soi, la possibilité
d’avoir réellement conscience de soi en l’absence de références tierces (Rey, 2013). Plus
spécifiquement, les recherches et les guides de pratique dans le domaine des relations
interculturelles valorisent la conscience culturelle de soi comme moyen (parmi d’autres) de
développer la sensibilité et les compétences interculturelles (Sue et al., 1982; Bennett,
1993), mais peu d’études empiriques ont pu évaluer les liens entre la conscience de (ou
l’aveuglement à) soi et la pratique. Une étude récente montre toutefois auprès d’étudiants
dans un cours interculturel que le développement de la conscience culturelle de soi
semblerait liée au développement de la conscience des préjudices, ce qui serait préalable à
la réduction des préjudices dans les relations interculturelles (Hosokawa, 2012).
La présente recherche montre comment les deux premières positions de la typologie
du rapport à l’Autre, soit l’indifférenciation et la différenciation normalisante, sont
associées à une absence de prise de distance par rapport à une pratique normalisante, ou
psychologisante. Il en résulte que près de la moitié des participants présente des limites à la
décentration culturelle. En reprenant la perspective de la phénoménologie herméneutique,
on peut avancer qu’un manque de sensibilité envers ses propres préconceptions
(professionnelles, personnelles ou liées au contexte) affecte le processus d’interprétation
(Qureshi, 2005) dans le contexte de l’ISI. L’absence d’une perception claire de sa propre
232
position, de ses propres préconceptions, prive le psychologue d’un point de repère essentiel
pour percevoir la différence en relation interculturelle : soi. En effet, dans la perspective
interculturelle, on ne s’intéresse pas à comment l’Autre est essentiellement un être
différent, mais plutôt à la différence qui se trouve au creux de la relation entre soi et
l’Autre. En ce sens, le color-blindness et le self-blindness auraient des effets tout aussi
nuisibles sur la capacité de considérer sérieusement la vision du monde de l’Autre. Cela
amène donc à des positions duelles où soit les particularités culturelles sont niées ou soit
qu’elles sont surreprésentées par rapport à la situation. Ainsi, l’indifférenciation et la
différenciation normalisante pourraient être les deux revers d’une même pièce qui limite
dans tous les cas la capacité d’utiliser les particularités culturelles d’une façon productive
dans le contexte d’une consultation psychologique. À cet effet, Ogay et Edelman (2016)
supposent qu’une exagération des valeurs d’égalité ou bien de diversité amèneraient
respectivement de l’indifférence ou de la culturalisation, positions défavorables à une réelle
prise en compte de la différence en contexte d’intervention interculturelle. L’aveuglement
aux différences ou l’exagération de celles-ci engage le psychologue dans une relation
perçue à travers au travers d’un miroir déformant. Ogay et Edelman (2016) encouragent
plutôt le développement d’un équilibre dialectique entre ces tendances antagonistes.
L’hypothèse que la conscience culturelle de soi serait nécessaire au développement
de la capacité à percevoir adéquatement les différences culturelles pourrait être étudiée dans
une recherche qui s’intéresserait à ces deux dimensions de façon indépendante et
orthogonale. En effet, l’échelle de la sensibilité interculturelle (Bennett, 1993) confond
développement de la capacité à percevoir des différences culturelles et développement de la
capacité à intégrer une identité pluriculturelle, alors que ces deux processus pourraient
présenter des évolutions différentes. Ainsi, il pourrait être intéressant d’identifier ce qui
pourrait favoriser/limiter le développement sur ces deux dimensions et d’explorer les liens
entre celles-ci.
6.1.2. Menace épistémique. La présente étude met aussi en lumière comment la
perspective de la psychologie atteint une limite dans certains contextes d’intervention et
que l’ISI est particulièrement révélateur de ces limites. Utiliser les façons de faire
233
habituelles en situations interculturelles apparaît aidant dans nombre de situations, mais
pose aussi des problèmes si on ne parvient pas, lorsque nécessaire, à se décentrer de notre
propre cadre de référence dans la rencontre de l’Autre pour adopter des pratiques qui
tiennent compte des rapports internormatifs. Ceux qui adoptent des pratiques dont la
finalité légitime à tout coup l’intervention habituelle, ou la normalisation, ne laissent pas
place à la déstabilisation ainsi qu’à des conceptualisations alternatives, sinon que
temporairement chez ceux caractéristiques de la différenciation normalisante. Ces
psychologues n’apparaissent pas non plus inclinés à inclure des éléments discordants avec
leur modèle d’intervention, ce qui les rend moins sensibles aux particularités des situations
interculturelles. Alors, les connaissances interculturelles semblent vécues comme des
OPNIs, des objets perturbateurs non identifiés (Saint-Arnaud, 1997) : en l’absence d’une
préparation adéquate à utiliser ces informations d’une façon contextualisée, il devient plus
aisé de s’en distancier plutôt que de s’y intéresser dans une approche active, critique et
constructive qui permette d’apprécier les circonstances dans lesquelles elles trouveront une
pertinence clinique. Il est surprenant de constater qu’une menace soit apparue chez les
psychologues en lien avec l’idée d’intégrer des connaissances extérieures à la relation
thérapeutique (notamment des connaissances spécifiques à la culture) qui pourraient venir,
selon des participants, biaiser le jugement professionnel. En effet, les réactions de menace
en situation interculturelle ont plutôt été étudiées dans les dynamiques identitaires en jeu
dans la relation interculturelle (Janine & Margalit, 1999; Cohen-Emerique & Hohl, 2004).
Ce sentiment de menace à l’égard des connaissances extérieures pourrait être nommé une
menace épistémique.
Cela me rappelle l’anecdote personnelle, vécue fréquemment à la suite de
formations sur des sujets touchant la psychologie, où j’entends des collègues me dire à peu
près : « J’ai pas appris grand-chose, mais ça fait du bien de se faire rafraichir la mémoire
sur les choses qui sont essentielles à tenir en compte dans la psychothérapie ». J’entends par
là comment il apparaît parfois nécessaire de réduire pour soi-même la complexité du travail
psychothérapeutique, d’en dégager des essentiels, parfois même au détriment
d’apprentissages nouveaux. En ce sens, il pourrait être intéressant de mener d’autres études
qui s’intéresseraient aux facteurs favorisant et limitant la motivation à apprendre des
234
connaissances spécialisées aux relations interculturelles et à les appliquer à des situations
réelles et complexes.
Du côté de la formation, certains participants ont pointé du doigt leur formation en
psychologie qu’ils considéraient trop centrée sur l’individu. Néanmoins, les discours riches
sur les différentes nuances de la consultation psychologique interculturelle laissent
supposer que les psychologues pourraient bénéficier dans leur formation d’un apprentissage
de connaissances spécifiques aux situations interculturelles (les cases vertes de la Figure
10) combiné avec des ateliers pratiques supervisés demandant de formuler une
compréhension sur des situations interculturelles réelles et complexes. Ce contexte
d’apprentissage permettrait aux apprenants d’expérimenter la possibilité d’envisager
différents rapports à l’Autre et leur pertinence selon les situations rencontrées, et cela dans
le contexte sécurisant de la formation. Ces ateliers permettraient une préparation minimale
des psychologues au travail en situations interculturelles et pourraient s’inscrire dans un
volet plus large d’une formation à la dimension internormative de toute situation
d’intervention. En effet, la formation académique vise trop souvent l’acquisition de
connaissances qui deviennent difficilement applicables dans la pratique réelle (Saint-
Arnaud, 1997) au détriment de la formation à la résolution de problèmes complexes et
déstabilisants. Le travail supervisé en situation interculturelle dès la formation doctorale
pourrait même faire partie d’un volet plus large de la formation à l’internormativité, qui
comprendrait notamment la formation au travail en interdisciplinarité, travail pour lequel
les psychologues semblent peu formés (Angeli et al., 2006).
Enfin, il est probable aussi que la menace épistémique surgisse à des moments
inattendus de la consultation psychologique en situation interculturelle. Ce constat de
quelques participants que « certaines choses se disent plus tard » m’a amené à me
demander comment ces « choses » émergent dans la consultation ? Quel impact cela a-t-il
sur la relation thérapeutique ? Et comment le psychologue compose avec l’arrivée d’une
information nouvelle, potentiellement déstabilisante, mais aussi potentiellement porteuse de
sens ? Ces questions pourraient être explorées plus en profondeur dans une recherche qui
recueillerait le récit de psychologues qui viennent tout juste d’apprendre une information
nouvelle et potentiellement déstabilisante dans le contexte de l’ISI.
235
6.1.3. Les psychologues, agents de socialisation au monde intérieur. Au terme
de ce questionnement qui a abordé la psychologie comme une pratique sociale, je propose
que les psychologues agissent comme des agents de socialisation au monde intérieur dans
une société valorisant un individu à la fois autonome, capable de relations et capable de se
mouvoir entre différents repères normatifs. Les conceptualisations des difficultés du patient
apparaissent comme autant de limites à cette autonomie et à cette capacité relationnelle sur
lesquelles le psychologue tente d’avoir une action, en socialisant le patient à son monde
interne et à la possibilité que ce monde interne puisse avoir une validité dans le social.
Ainsi, leur rôle suppose nécessairement une certaine forme de normalisation. Même ceux
qui tiennent davantage compte de l’internormativité n’échappent pas au processus de
socialisation du patient, cette fois-ci en l’amenant à expérimenter un déplacement et une
relativisation par rapport à d’autres normes vécues comme contraintes. Dans ce volet, la
socialisation à l’internormativité aiderait les patients à être mieux adaptés pour vivre dans
un monde internormatif, capacité favorable à une certaine forme d’autonomie à l’ère de la
mondialisation. Cette proposition est novatrice par rapport à une conception que les
professions du social, notamment les psychologues, aident la personne à s’affranchir de la
pression de normes représentées par des experts en développant sa capacité à développer
une prise de perspective personnelle (Saint-Arnaud, 1997).
En fait, les rapports aux normes sont multiples et on pourrait s’intéresser dans des
recherches ultérieures à savoir quels facteurs contribuent à différents rapports aux normes
et qu’est-ce qui serait favorable à la capacité de travailler en tenant compte de
l’internormativité. La présente thèse n’offre pas d’hypothèse explicative claire. Dans les
histoires personnelles qui ont été racontées, tous ont rapporté des expériences
interculturelles variées dans différents domaines de leur existence. Il est apparu que certains
ont pu vivre des expériences dans des contextes d’apprentissages ou d’intervention où le
changement de perspective selon des normes culturelles différentes a été vécu positivement.
Les participants qui témoignent d’une plus grande prise en compte de l’internormativité
semblent avoir été marqués par des expériences professionnelles ou académiques
significatives et soutenues dans des situations où la différence de norme doit être prise en
compte. Parmi ces expériences, le fait d’avoir fait des études dans un autre domaine,
236
comme l’anthropologie ou la théologie, ou les expériences interculturelles dans un contexte
de travail interdisciplinaire semblent favoriser la décentration par rapport aux normes de la
psychologie et avoir une incidence positive sur la capacité de travailler en interculturel. Les
expériences interculturelles de vie semblent aussi avoir leur poids de signification, mais
peuvent aussi favoriser davantage l’affirmation de pratiques normalisantes, notamment
lorsqu’elles sont marquées par des expériences adverses. Ces observations ont toutefois
valeur d’hypothèses qui mériteraient d’être explorée plus en profondeur, car la présente
thèse s’est concentrée davantage sur les expériences d’ISI que sur les autres expériences qui
favoriseraient certains types de rapport à l’Autre.
Ainsi, on pourrait s’intéresser plus encore aux mécanismes psychologiques par
lesquels une expérience de la différence permet d’intérioriser une attitude positive envers le
déplacement de normes. Cela pourrait être étudié dans le contexte de relations
interculturelles, mais aussi de relations professionnelles interdisciplinaires.
6.2. Forces, limites et recommandations méthodologiques
6.2.1. Remarques sur l’exploration de la perspective subjective des
participants Plusieurs indices appuient l’idée que les discours et les mots produits dans la
présente recherche témoignent de « représentations d’expériences » et non pas « des
expériences et des représentations » tel qu’il était formulé initialement. Par exemple, les
éléments qui auraient pu être considérés plus près de faits objectifs (ex. : le pays de
naissance d’un patient, les propos qui ont été dits en séance) semblent affectés par le biais
de rappel des participants. Certaines confusions apparaissent sur des détails qui ne sont pas
anodins (ex. : ne pas se souvenir si la personne a vécu la migration ou si elle est née au
Québec de parents migrants). Lorsque les confusions apparaissent et que les souvenirs se
mêlent, alors il est vraisemblable d'admettre que ce qui est dit est représenté, présenté une
seconde fois à quelqu'un qui n'était pas là pour témoigner au moment où l’expérience s’est
vécue. D’autres méthodologies, comme l’observation de consultations interculturelles ou
des entrevues réalisées juste après une ISI, auraient été plus à même de recueillir des
données objectivables sur le déroulement d’une consultation réelle.
237
En ce sens, la portée des propos des participants se limite au champ de l’expérience
vécue. Ainsi, les résultats présentés ne peuvent pas être interprétés comme étant des faits
objectifs. Cette précaution est d’autant plus importante concernant ce qui a pu être dit au
sujet de l’Autre considéré culturellement différent. Les résultats à la présente thèse ne sont
pas des données obtenues par des informateurs de seconde main sur les populations
immigrantes, réfugiées et autochtones qui ont pu être rencontrées par les participants dans
le cadre de leur travail clinique. Cette limite circonscrit le champ interprétatif des
informations recueillies. La perspective s’adresse véritablement à l’expérience subjective
des participants. C’est d’ailleurs la visée que permet l’entretien individuel : Explorer en
profondeur la perspective de la personne interrogée (Baribeau & Royer, 2012).
D’ailleurs, ce n’est pas la vérité (truth) qui est recherchée en recherche qualitative,
mais plutôt la fiabilité (trustworthiness) qui peut être obtenue, entre-autre, en permettant au
lecteur d’avoir accès au processus interprétatif, en expliquant les transformations des
informations, en donnant accès aux données brutes et en donnant la possibilité aux
participants de s’exprimer sur l’entrevue (Bates, 2004). Ces procédures ont été mises en
place dans la présente recherche en citant plusieurs passages des entrevues pour appuyer les
observations et les interprétations, en donnant accès au lecteur aux démarches analytiques
et à certaines de mes préconceptions, en distinguant les informations recueillies des
interprétations locales et globale ainsi qu’en questionnant les participants à la fin de chaque
entrevue sur leur impression que leur point de vue a bien été reflété par les questions. En ce
sens, l’objectif de s’intéresser à la perspective subjective semble rencontré.
6.2.2. Remarques sur le choix d’une approche multi-méthodologique
L’utilisation d’une approche multi-méthode, combinant une entrevue semi-structurée et une
tâche d’association libre, visait à favoriser l’étude des représentations liées à l’ISI, tel que
recommandé dans la littérature sur les représentations sociales (Abric, 1994). La question
de la mise en commun des résultats obtenus par différentes méthodes a été particulièrement
discutée avec le concept de triangulation. La discussion sur les enjeux méthodologiques à
ce sujet a connu plusieurs évolutions à travers la recherche en sciences sociales (Denzin,
238
2010) et le but ici n’est pas de recenser les perspectives à ce sujet. Il s’agit plutôt de voir de
quelle façon la pluralité des méthodes a été envisagée et réalisée.
Au final, la présente thèse a employé deux types de triangulation : une triangulation
méthodologique et une triangulation théorique (Turner & Turner, 2009). Le premier type de
triangulation se reflète par l’emploi de deux méthodes de collecte de données. Il s’est avéré
que les résultats à l’association libre et à l’analyse thématique ont montré certains points de
convergence. Notamment, autant les mots que les discours reflétaient certaines orientations
d’acculturation des participants ou mettaient en lumière des représentations de l’Autre
culturellement différent. Toutefois, la plupart du temps, les deux méthodes ont amené des
résultats qui gagnaient à être discutés de façon indépendante, ce qu’a permis l’utilisation de
deux niveaux interprétatifs que sont les niveaux local et global (Duchastel & Laberge,
1999). Il était notable aussi que l’association libre permettait davantage des interprétations
au niveau social alors que les interprétations psychologiques pouvaient être plus difficiles.
Avec l’entretien semi-structuré, l’inverse est observé, car il donnait accès davantage à la
perspective très particulière que chacun souhaitait développer. De plus, il n’a pas été
possible de combiner les résultats aux deux tâches d’une façon systématique et cohérente
pour le lecteur10. Ainsi, les résultats appuient clairement le fait que ce n’est pas si évident
de faire des regroupements entre résultats à deux méthodes différentes (Denzin, 2010). Il
pourrait être recommandé pour des recherches ultérieures qui combinent l’association libre
avec un entretien d’établir a priori des points sur lesquels le chercheur souhaitera établir
des comparaisons systématiques afin d’augmenter la possibilité de pouvoir mettre en
évidence des similitudes et des différences entre les méthodes employées.
La triangulation méthodologique (Turner & Turner, 2009) a aussi été possible par la
conversion de certaines informations qualitatives en données quantitatives pour vérifier les
liens autrement que par une démarche qui recourt uniquement aux processus cognitifs du
chercheur. L’utilisation de logiciels pour coder les entrevues, analyser ce codage et créer
des représentations visuelles a été une aide certaine pour arriver à gérer la complexité du
10 Des tentatives de synthèses visuelles ont été tentées, sans permettre de donner une représentation
synthétique qui permettrait d’interpréter globalement les résultats.
239
corpus étudié. Le fait de quantifier certaines informations, notamment à l’association libre,
a facilité la mise en évidence de certaines tendances et a favorisé le processus interprétatif.
Le second type de triangulation, soit la triangulation théorique (Turner & Turner,
2009), apparaît dans l’intégration des résultats selon les différentes théories qui ont servies
à construire le cadre de recherche. L’apport complémentaire de ces perspectives a favorisé
la différenciation des phénomènes observés, surtout à travers les discours des participants.
L’application a posteriori du cadre théorique a permis premièrement d’apprécier le
discours des participants tel qu’il s’est présenté à moi, puis d’élever petit à petit le niveau
d’interprétation que je pouvais porter sur ce discours. Ainsi, il a été possible de générer des
interprétations qui tentent de faire du sens à la fois avec l’expérience rapportée par chacun
mais aussi pour le groupe des psychologues de façon plus large en regard des angles
théoriques abordés.
6.2.3. Remarques sur la nature des représentations étudiées. La présente thèse
permet de relever des élaborations cognitives dont certaines paraissent socialement
partagées. On peut se demander à quel point les représentations relevées sont plus ou moins
sociales ou plus ou moins individuelles. À plusieurs égards, la grande influence des
perspectives individuelles sur les discours est indéniable. Elle s’explique entre autres par
certains choix méthodologiques : ne pas définir ce qu’est la culture pour les participants, ne
pas avoir sélectionné de critères pour la participation, ne pas avoir imposé de thèmes à
l’entrevue autre que les expériences d’interventions en situation interculturelle, ne pas avoir
employé de grille d’analyse établie a priori, etc. Tous ces choix se voulaient cohérents avec
une démarche la plus exploratoire possible, ce qui a favorisé la collecte de discours très
riches, personnels et nuancés. De plus, l’objet d’étude « intervention en situation
interculturelle » n’est pas un objet communément partagé, même dans un groupe de
professionnels qui la pratiquent. Ainsi, les référents auxquels les participants se sont
rattachés pour m’informer de leur réalité ont pu être très divers, contribuant encore à
l’idiosyncrasie des discours et des mots produits. Toutefois, là où le discours et les mots
pouvaient produire des similitudes entre participants, c’est quand ils ont référé à des objets
sociaux plus simples et communs pour élaborer leur discours personnel (ex. : l’immigrant,
240
le respect, etc.). Et c’est à ces occasions que les participants se servent des représentations
sociales pour construire leur perspective individuelle. C’est donc dire combien la tâche
proposée dans la présente thèse a contraint les participants à une grande créativité et à une
prise de position personnelle, mais en même temps l’absence de repères sur le sujet les a
amenés à utiliser ce avec quoi ils étaient plus familiers dans leur production singulière. Je
conclurai donc que les représentations relevées se présentaient tour à tour comme étant
individuelles ou sociales, selon les besoins de la communication. Toutefois, la présente
thèse est limitée quant aux généralisations qui peuvent être posées dans le champ d’étude
des représentations sociales.
6.2.4. Remarques sur la définition de l’objet de recherche. Selon les théories
des représentations sociales, la division du travail définit des rôles sociaux dans des
rapports de pouvoir complémentaires (Flament & Rouquette, 2003). Sans surprise alors,
dans les discours sur l’intervention en situation interculturelle, la psychothérapie est
apparue comme le travail qui organise les rôles entre patient et psychologue. Dans le
contexte de la présente thèse, cette division des rôles a montré d’un côté un patient en
souffrance et de l’autre un psychologue travaillant avec le patient sur cette souffrance dans
un cadre psychothérapeutique. Il a été constaté à la tâche d’association libre que la notion
d’intervention, que l’on retrouve dans l’expression « intervention en situation
interculturelle », réfère pour les participants à quelque chose de plus large que la
psychothérapie et qu’elle ne définit pas nécessairement leur travail spécifique.
Probablement que l’Ordre des psychologues a introduit l’expression dans cette forme pour
inclure les deux actes réservés aux psychologues, soit la psychothérapie et l’évaluation
psychologique. Or, les psychologues interviewés discutent peu de l’évaluation
psychologique en contexte interculturel, sinon comme un travail préalable à une bonne
psychothérapie. Il est probable que l’évaluation psychologique soit représentée
différemment chez les psychologues et que la présente thèse n’en rende compte que bien
partiellement.
Tout cela amène à poser l’hypothèse que ce n’est pas l’objet de recherche défini
pour la présente thèse, soit « l’intervention en situation interculturelle », qui apparaît
241
comme un objet de représentation. En effet, il ne s’agit pas d’une pratique sociale qui
permette une différenciation des groupes sociaux. Ça serait plus simplement la
psychothérapie qui serait investie comme une représentation sociale dans le discours des
participants. C’est ainsi que l’objet d’étude de la présente thèse pourrait bien être modifié
pour devenir plutôt « la psychothérapie en contexte interculturel », ce qui a l’avantage
d’englober une fonction spécifique définie dans le rôle des psychologues interviewés. Cette
proposition de redéfinition de l’objet de recherche est cohérente avec une des visées
principales de la recherche exploratoire, soit d’arriver à mieux circonscrire un objet de
recherche (Trudel & Vonarx, 2007).
6.3. Ouverture
Mêler dans un même projet l’étude de la pratique de la psychologie et l’étude des
relations interculturelles c’est un peu comme mélanger de l’huile et de l’eau : chacune des
composantes est mue par des forces qui tendent à les éloigner l’une de l’autre, à montrer
des facettes qui n’apparaissent pas a priori compatibles.
D’un côté, la psychologie comme profession scientifique et clinique s’est
professionnalisée au courant des dernières décennies et sa reconnaissance sociale s’acquiert
à mesure qu’elle démontre empiriquement son efficacité, qu’elle opérationnalise ses
processus et qu’elle vulgarise ses découvertes séduisant ainsi l’imaginaire de citoyens en
quête du mieux-être que leur hygiène de vie ne leur permet pas d’atteindre. Tantôt
instrument de l’état pour rétablir la capacité de fonctionner des citoyens aux prises avec des
psychopathologies diminuant leur autonomie et leur capacité relationnelle, tantôt service
requis individuellement pour contribuer au développement personnel de patients qui n’ont
pas pu ou voulu s’insérer dans le système publique de soins psychologiques, la psychologie
a tout intérêt à maintenir un certain niveau de professionnalisme et de compétence, et même
le développer plus encore, afin de préserver et renforcer sa légitimité sociale. Pour que ce
mouvement continue sa progression, elle se doit de comprendre et maîtriser davantage les
problématiques sur lesquelles elle prétend pouvoir agir dans l’éventualité de les normaliser.
Poussé à l’extrême, ce mouvement aboutirait à une connaissance approfondie de toutes les
problématiques psychologiques et au développement d’interventions adaptées à toutes
242
situations. Les psychologues, ou on pourrait dire à ce stade les psychotechniciens, seraient
comme des poissons dans l’eau, tout à fait adaptés à vivre et se mouvoir dans ce grand
bassin de connaissances psychologisantes. Utopie qui serait en fait dystopie si cela se
réalisait.
À l’opposé, les relations interculturelles, ou même je dirais internormatives,
apparaissent comme étant des situations exemplaires où compréhension et maîtrise
atteignent certaines limites, et parfois même ne sont pas possibles. Ce qui, du côté de la
pratique habituelle, prend la forme de réponses aux (ou de travail à partir des) angoisses
humaines, devient, du côté de la reconnaissance de la différence interculturelle-
internormative, ouverture vers un questionnement infini de notre rapport à l’Autre, en
l’absence de certitudes, à la seule exception d’avoir la certitude de ne jamais tout savoir et
maîtriser. Cette position inverse n’est pas envisageable comme unique modalité du rapport
à l’Autre, par la totale impuissance qu’elle suppose et le confinement à un questionnement
jamais résolu.
Le constat général est que, malgré ces mouvements opposés, les cliniciens que j’ai
rencontrés ont tous démontré, malgré les écueils relevés, sous des formes et à des
amplitudes variées, une certaine capacité à réunir ces tendances antagonistes dans leur
discours sur l’intervention en situation interculturelle. Leur discours est émulsifiant : il
permet que leurs représentations de la pratique habituelle et leurs représentations des
différences culturelles se structurent ensemble pour concevoir des interventions flexibles et
adaptées au cas-par-cas. Ils reconnaissent que le patient qu’ils considèrent culturellement
différent est tout autant dans l’attente d’une normalisation de sa situation problématique
que n’importe quel autre. C’est alors une profonde humanité, motivée par le désir d’aller
vers l’Autre, cette radicale altérité, qui devient le moteur d’actions originales et flexibles
par rapport aux conceptions habituelles de l’intervention. Les psychologues interrogés qui
ont montré le plus de sensibilité à la différence culturelle ont aussi décrit comment la
perception des différences les amène en terrain glissant (huileux!), même si par ailleurs ils
ne se sentent pas toujours déstabilisés par ces glissements. Ce qui, chez les uns, demeure
dans le mouvement de connaissance et maîtrise par manque de reconnaissance des
différences, se révèle être chez les autres un fléchissement de ce mouvement pour revenir
sur sa propre position, questionner sa propre profession (décentration), puis se risquer à se
243
diriger vers l’Autre (rencontre) à travers l’éthique plutôt que la maîtrise. Ce qui est « acte
professionnel » dans la pratique habituelle devient aussi « questionnement éthique » devant
la reconnaissance de l’altérité : quel rapport à l’Autre doit être envisagé considérant que la
différence ne peut jamais être totalement réduite et maîtrisée ? C’est à travers la dialectique
« pratique-éthique » que pourrait se trouver la tension la plus productive pour envisager
l’ISI d’une façon qui permette réellement aux psychologues d’opérer leur rôle social
d’humanisation face aux souffrances aliénantes de l’humain.
244
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Paris: Institut des Sciences sociales du Politique, Mission de Recherche "Droit &
Justice".
251
Annexe A : Questionnaire des données sociodémographiques
Expériences et représentations de « l’intervention en situation interculturelle » chez
des psychologues du Québec travaillant au privé
Données sociodémographiques
1. Sexe : □ Femme
□ Homme
□ Autre
2. Âge : _________________ ans
3. Citoyenneté(s) : _____________________
4. Pays de naissance : _____________________
5. Est-ce que vous vous identifiez personnellement comme étant québécois(e)? Ici,
s’identifier réfère à sentiment subjectif d’appartenir à un groupe ethnoculturel donné. Il est
possible de s’identifier à plus d’un groupe ethnoculturel.
□ Non
□ Oui. Précisez à quel point vous vous identifiez à ce groupe : □ Tout à fait
□ Beaucoup
□ Moyennement
□Un peu
□ Très peu
6. Est-ce que vous vous identifiez personnellement à d’autres groupes ethnoculturels que
québécois(e) (ex. : Haïtien(ne), Colombien(ne), Français(e), etc.)? Ici, s’identifier réfère à
sentiment subjectif d’appartenir à un groupe ethnoculturel donné. Il est possible de
s’identifier à plus d’un groupe ethnoculturel.
□ Non
□ Oui.
Si oui, précisez à quel(s) groupe(s) ethnoculturel(s) vous vous identifiez et à quel point
vous vous identifiez à ce(s) groupe(s).
Section à l’intention du chercheur
Code du participant : _________________
252
#1_______________ #2_______________ #3_______________ #4______________
□ Tout à fait □ Tout à fait □ Tout à fait □ Tout à fait
□ Beaucoup □ Beaucoup □ Beaucoup □ Beaucoup
□ Moyennement □ Moyennement □ Moyennement □ Moyennement
□ Un peu □ Un peu □ Un peu □ Un peu
□ Très peu □ Très peu □ Très peu □ Très peu
7. Langue(s) maîtrisées :
Maternelle(s) :
______________________________________________________
Parlée(s) :
______________________________________________________
Écrite(s) :
______________________________________________________
8. Université où a été obtenu le diplôme donnant accès à la pratique de psychologue : ____
Dernier grade atteint (M.A., Ph.D., D.Psy., autre) : ______________
Année d’obtention : ______________
9. Année d’obtention d’un permis de l’Ordre des psychologues du Québec : ________
10. Nombre d’années de pratique (excluant les arrêts de travail) : ________
11. Ville de pratique actuelle : ______________________, depuis _________________
années
12. Semaine typique de travail (actuellement) :
12.1 Répartition actuelle :
Nombre de jour/semaine au privé : __________________
Nombre de jour/semaine au public : _________________
12.2 Types de mandats (indiquer le pourcentage de temps consacré de la réalisation de
chaque mandat considérant votre semaine de travail typique) :
253
Évaluation psychologique : ___________ %
Psychothérapie : ___________ %
Supervision : ___________ %
Autre(s) : ___________ % Spécifier : _____________
13. Est-ce que vous vous identifiez comme ayant une ou des spécialisations cliniques?
□ Non
□ Oui. Précisez :
_____________________________________________________________________
_____________________________________________________________________
14. Comment définissez-vous votre/vos orientation(s) théorique(s)? Indiquez toutes celles
auxquelles vous vous identifiez ET qui, selon vous, définissent votre pratique. Commencez
par nommer la plus importante et en allant vers la moins importante selon vous :
___________________________________________________________________
___________________________________________________________________
___________________________________________________________________
15. Avez-vous déjà pratiqué la psychologie à l’extérieur de la province de Québec?
□ Non
□ Oui, précisez où : __________________________________________
De quand à quand? __________________________________________
16. Quelles expériences interculturelles significatives avez-vous déjà vécues dans votre vie
(cochez toutes celles qui s’appliquent)?
□ Immigration □ Être/avoir été en couple mixte □ Adoption d’un enfant
à l’international
□ Voyage significatif □ Ami(e)s de cultures différentes □ Travail auprès de
populations
immigrantes
□ Stage/travail à l’étranger □ Activités sociales interculturelles □ Travail auprès de
populations
autochtones
□ Autres (préciser) : ___________________________________________
___________________________________________
254
17. À quelle fréquence considérez-vous avoir pratiqué la psychologie clinique en situation
interculturelle?
Au cours de la dernière année : □ Tous les jours ou presque
□ Toutes les semaines ou presque
□ Tous les mois ou presque
□ Une ou quelques fois dans l’année
□ Jamais lors de la dernière année
Au cours de votre carrière, en moyenne : □ Tous les jours ou presque
□ Toutes les semaines ou presque
□ Tous les mois ou presque
□ Tous les ans ou presque
□ Une ou quelques fois au cours de la carrière
□ Jamais
18. Avez-vous déjà travaillé avec un interprète dans votre pratique de psychologue?
□ Non
□ Oui. Précisez la fréquence au cours de la dernière année :
□ Tous les jours ou presque
□ Toutes les semaines ou presque
□ Tous les mois ou presque
□ Une ou quelques fois dans l’année
□ Jamais lors de la dernière année
Au cours de votre carrière, en moyenne :
□ Tous les jours ou presque
□ Toutes les semaines ou presque
□ Tous les mois ou presque
□ Tous les ans ou presque
□ Une ou quelques fois au cours de la carrière
□ Jamais
255
19. Avez-vous déjà suivi une ou des formations touchant spécifiquement à l’intervention
psychologique en situation interculturelle?
□ Non
□ Oui. Quand : ________ Thème de la formation : _____________ Durée : ___________
Quand : ________ Thème de la formation : _____________ Durée : ___________
Quand : ________ Thème de la formation : _____________ Durée : ___________
20. Quelles ressources avez-vous actuellement à votre disposition pour vous aider à
intervenir en situation interculturelles ?
□ Bases de données □ Interprète(s) □ Conseils de
psychologue(s)
□ Bibliothèque □ Organisme communautaire □ Conseils d’autre(s)
professionnel(s)
□ Dépliants, brochures, etc. □ Établissement(s) de santé □ Informateur(s) clé(s)
pour un groupe ethnoculturel
donné
□ Autre(s), précisez : _____________________________________________________
256
Annexe B : Entrevue semi-structurée
Expériences et représentations de « l’intervention en situation interculturelle » chez
des psychologues du Québec travaillant au privé
Entrevue semi-structurée
La présente entrevue est basée sur le schéma de l’entrevue épisodique proposé par Uwe
Flick (1997) et intègre une tâche d’association libre. Les parties en italique sont les
consignes qui sont transmises aux participants.
Phase 1 : Introduire le principe de l’entrevue
Consigne : Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour votre intérêt pour mon étude. Il y a
très peu d’études jusqu’à maintenant qui cherchent à comprendre la perspective du
psychologue dans les situations interculturelles, c’est pourquoi votre point de vue est très
important dans cette entrevue, que vous ayez l’impression d’avoir eu très peu ou beaucoup
d’expériences interculturelles.
Au cours de l’entrevue, vous allez constater que je vous pose certaines questions sur des
thèmes généraux en lien avec l’intervention en situation interculturelle, mais aussi sur
certaines de vos expériences plus spécifiques afin de connaître votre vécu sur la question.
N’hésitez pas à me le demander si vous voulez prendre une pause au cours de l’entrevue.
Question 0 : Est-ce que vous avez des questions avant de commencer?
Phase 2 : Association libre de mots (voir sous-annexe 1)
Consigne 1 : Avant de commencer l’entrevue à proprement parler, je vais vous présenter
des mots un à un et qui sont en lien avec le sujet à l’étude, c’est-à-dire l’intervention en
situation interculturelle. Je vais vous demander de me dire 5 mots ou expressions qui vous
viennent spontanément à l’esprit suite à la lecture de chacun de ces mots.
Mots inducteurs :
Différence culturelle
Thérapie
Immigrant
Religion
Intervention
Discrimination
Si le participant donne moins de 3 mots, l’amener si possible à en produire au moins 3 :
Seriez-vous capable de dire encore X (nombre de mots manquants pour avoir 3 mots
produits) mots par rapport à [mot inducteur]?
Travail du participant sur les mots produits (en lui montrant la liste des mots qu’il a
produite)
Section à l’intention du chercheur
Code du participant : _________________
257
Consigne 2 : Maintenant, pour chacune des colonnes, j’aimerais que vous
construisiez une phrase qui contiendrait 2 ou 3 des mots que vous avez produits dans cette
colonne.
Phase 2 : Les concepts généraux de l’interviewé à propos du thème de la recherche.
Question 1 : Merci. Pour commencer, j’aimerais que vous me parliez de ce qui vous a
motivé à participer à cette étude?
Thèmes pouvant être explorés (selon les propos de l’interviewé) :
• Aviez-vous des attentes, des buts?
• Aviez-vous des questionnements précis?
• Comment vous percevez globalement votre participation au projet?
Question 2 : En quelques mots seulement, j’aimerais que vous me décriviez votre parcours
de psychologue, du moment où vous étiez aux études jusqu’à aujourd’hui, puis que vous me
fassiez un portrait global de votre travail actuel.
Question 3 : Et brièvement, comment décririez-vous votre orientation théorique en
quelques mots?
Question 4 : D’après vous, quelle vision de l’être humain et de vos rapports avec les gens
est véhiculée dans votre orientation théorique?
Question 5 : Ok. Maintenant, je vais vous poser des questions un peu plus en lien avec le
sujet de l’étude. Le culturel pour vous, ça vous dit quoi en général ?
Thèmes pouvant être explorés (selon les propos de l’interviewé) :
• À quoi le culturel vous fait penser de prime abord?
• Où le culturel si situe-t-il? Dans l’individu, le groupe, dans les contacts, etc. ?
• Comment le culturel s’exprime concrètement?
Question 6 : Et vous diriez quoi du culturel par rapport à votre propre pratique clinique?
Thèmes pouvant être explorés (selon les propos de l’interviewé) :
• Est-ce qu’une certaine expérience du culturel est vécue dans la pratique clinique?
• Faites-vous des liens entre le culturel et la psychologie clinique?
• Où la culture se situe-t-elle dans la pratique clinique? Comment la perçoit-on?
Question 7 : En partant de votre pratique clinique, pourriez-vous me dire à quoi
ressemblerait une « situation interculturelle » hypothétique?
Si le participant exprime qu’il ne sait pas ce qu’est une situation interculturelle, lui
suggérer : Il n’existe pas une seule bonne façon de considérer qu’une situation est
interculturelle. Par exemple, pour certains, il s’agit d’une situation caractérisée par une ou
des différences culturelles entre vous et la personne qui vous consulte.
Sous question 7.1 : Est-il pertinent de parler de situations interculturelles et de
différences culturelles? Pourquoi?
Thèmes pouvant être explorés (selon les propos de l’interviewé) :
258
• Comment fait-on pour reconnaître une situation interculturelle? Y a-t-il des
critères?
• Qu’est-ce qui distingue une situation interculturelle d’autres types de
situations?
Question 8 : Comment faites-vous pour déterminer s’il y a présence ou non de différences
culturelles entre vous?
Question 9 : Comment vous décririez votre travail en tant que psychologue en situation
interculturelle? Comment faites-vous concrètement dans ce genre de situations?
Sous-question 9.1 : Qu’est-ce que vous faites de différent en situation
interculturelle?
Thèmes pouvant être explorés (selon les propos de l’interviewé) :
• Comment décririez-vous votre rôle/travail de psychologue en général?
• Quels effets auraient les situations interculturelles sur votre rôle/travail de
psychologue?
• Quels thèmes aborderiez-vous en lien avec ce type de situation?
• Comment les situations interculturelles changent votre pratique?
• Est-ce que les situations interculturelles amènent certaines remises en question?
Question 10 : Dans la profession de psychologue, on peut être amené à jouer plusieurs
rôles différents selon les situations. Comment décririez-vous vos rôles en situation
interculturelle?
Sous-question 10.1 : Est-ce qu’il vous arrive de sortir de votre rôle de thérapeute dans ces
situations?
Question 11 : Maintenant je vais vous demander de me parler de certaines situations
interculturelles que vous avez vécues. Quand vous pensez à vos années de pratique
clinique, quelles expériences ont contribué à la vision que vous avez de la culture et de
votre rôle dans les situations d’interventions interculturelles? Pour l’instant, j’aimerais
que vous discutiez seulement de vos expériences vécues dans le cadre de votre pratique
clinique en psychologie.
Questions d’approfondissement (selon les propos de l’interviewé) :
• Pourriez-vous m’en dire davantage sur cette expérience?
• Dans quel contexte cela est survenu? Où en étiez-vous dans votre parcours?
• Comment avez-vous perçu votre rôle dans cette situation?
• Brièvement, comment est-ce que vous qualifieriez cette expérience (positive,
négative, neutre, marquante, anodine, problématique, enrichissante, etc.)?
• Qu’avez-vous appris de cette expérience?
• Comment vous imaginez vous qu’un autre psychologue aurait pu réagir s’il avait
vécu la même situation?
Question pour amener le participant à raconter d’autres expériences :
259
• Pourriez-vous s’il-vous-plaît me raconter une autre situation tirée de votre
pratique clinique qui aurait contribué à la vision que vous avez de la culture
et de votre rôle dans les situations d’interventions interculturelles?
Question 12 : Et maintenant, si vous pensez à vos années de formation professionnelle pour
devenir psychologue, quelles expériences ont contribué à la vision que vous avez de la
culture et de votre rôle dans les situations d’interventions interculturelles?
Questions d’approfondissement (selon les propos de l’interviewé) :
• Pourriez-vous m’en dire davantage sur cette expérience?
• Dans quel contexte cela est survenu? Où en étiez-vous dans votre vie?
• Brièvement, comment est-ce que vous qualifieriez cette expérience (positive,
négative, neutre, marquante, ordinaire, problématique, enrichissante, etc.)?
• Qu’avez-vous appris de cette expérience?
Question pour amener le participant à raconter d’autres expériences :
• Pourriez-vous s’il-vous-plaît me raconter une autre situation de votre
formation professionnelle qui aurait contribué à la vision que vous avez de
la culture et de votre rôle dans les situations d’interventions
interculturelles?
Question 13 : Et si vous pensez à vos expériences de vie plus générales, lesquelles ont
contribué à la vision que vous avez de la culture et de votre rôle dans les situations
d’interventions interculturelles?
Questions d’approfondissement (selon les propos de l’interviewé) :
• Pourriez-vous m’en dire davantage sur cette expérience?
• Dans quel contexte cela est survenu? Où en étiez-vous dans votre vie?
• Brièvement, comment est-ce que vous qualifieriez cette expérience (positive,
négative, neutre, marquante, ordinaire, problématique, enrichissante, etc.)?
• Qu’avez-vous appris de cette expérience?
Question pour amener le participant à raconter d’autres expériences :
• Pourriez-vous s’il-vous-plaît me raconter une autre situation de votre vie en
général qui aurait contribué à la vision que vous avez de la culture et de
votre rôle dans les situations d’interventions interculturelles?
Question 14 : Parmi toutes les expériences que vous avez nommées jusqu’à maintenant au
cours de l’entrevue, lesquelles étaient les plus significatives pour vous?
Question 15 : Diriez-vous qu’il y a eu une évolution dans votre vision de la culture et de
votre rôle dans les situations d’interventions interculturelles? De quelle façon?
Phase 3 : La signification de la question dans la vie quotidienne de l’interviewé
Consigne : Maintenant, j’aimerais vous questionner sur des aspects plus précis de votre
pratique.
Question 16 : Est-ce que, d’après-vous, votre orientation théorique a contribué à votre
conception de votre rôle dans les situations cliniques interculturelles?
260
Si « oui » : De quelle façon?
Si le participant a de la difficulté à répondre : Vous pouvez partir d’une situation
que vous avez vécue pour élaborer votre réponse?
Question 17 : Est-ce qu’il vous arrive de tenir compte de la culture lorsque vous...
...élaborez une compréhension clinique des personnes qui vous consultent?
...déterminez les objectifs de la thérapie?
...faites des interventions cliniques?
...travaillez à créer et maintenir une bonne relation thérapeutique?
Pour chaque élément où le participant dit « oui » : De quelle façon?
Question 18 : Voyez-vous d'autres éléments de votre pratique que je n'aurais pas nommés
pour lesquels il vous arrive de tenir compte de la culture?
Pour chaque élément nommé par le participant : De quelle façon?
Phase 5 : Sujets plus généraux référant à l’objet d’étude.
Consigne : Maintenant je vais vous demander de vous positionner par rapport aux
affirmations que je vais vous présenter. J’aimerais que vous me disiez si vous êtes d’accord
ou non avec ces affirmations et que vous m’expliquiez pourquoi vous êtes d’accord ou non.
Question 19 : Commentez l’affirmation suivante : « Si le client [...] se sent incompris dans
ce qu’il est et dans ce qu’il vit, il ne pourra développer un lien basé sur la confiance avec
son thérapeute et, par conséquent, il ne pourra adhérer entièrement au traitement. Il
développera, sans doute, beaucoup de résistance et pourrait même abandonner le
traitement. »
Question 20 : Commentez l’affirmation suivante : « En situation interculturelle, le
psychologue perd lui aussi ses repères et, de ce fait, il devient facile d’émettre des opinions
cliniques erronées et de faire des recommandations inappropriées. »
Question 21 : Commentez l’affirmation suivante : « Comme la plupart des gens en société,
les conseillers et les thérapeutes se perçoivent comment étant des individus justes et
décents qui ne s’engageraient jamais consciemment et délibérément dans des actes racistes
envers les clients de couleur ».
Question 22 : Commentez l’affirmation suivante : « Les psychologues doivent s’assurer,
s’ils travaillent auprès de clients d’autres cultures, de développer des compétences pour
[travailler] dans ce contexte ».
Question 23 : Les affirmations que je viens de vous présenter dans cette section de
l’entrevue sont des extraits tirés des textes que voici (l’interviewer montre les textes). Est-
ce que pour vous ça change quelque chose de voir ces affirmations dans le contexte où elles
ont été écrites?
Phase 6 : Évaluation, discussion libre et fin de l’entrevue
261
Question 24 : L’entrevue tire maintenant à sa fin. Est-ce que vous aimeriez ajouter quelque
chose?
Question 25 : Qu’est-ce qui manquait dans cette entrevue pour bien refléter votre point de
vue à propos de l’intervention interculturelle?
Question 26 : Est-ce que des choses vous ont dérangé au cours de l’entrevue?
262
Annexe C : Grille de cotation de la tâche d’association de mots
Différence
culturelle
Thérapie
Immigrant Religion
Intervention
Discrimination
263
Annexe D : Résumé des thèmes par participants
264
Représentations de l’Autre Représentations de l’ISI Représentations du rôle du psychologue
Cas Problématiques* Différences Expériences
émotionnelles
Obstacles* Culture et
catégorisations
Pratique
Habituelle*
Pratiques en ISI* (modification quanti
des pratiques habituelles à gauche,
modifs quali à droite)
Connaissances
P15
F
Qc
AuCan
DiffNon
Se faire du mal,
difficultés émotions
Médication,
émotions
Fun, intérêt quand
ça touche mes
goûts
Mauvaise
connaissance du
français = tannant
Risque de
généraliser, pas
vouloir travailler
avec une population
Culture = teinte
monde interne,
pas pertinent en
clinique, pas
capable de dire
ce qui est
culturel, le
monde interne
de la personne,
différences
individuelles,
co-construction
en thérapie
Exploration du
monde interne,
aider à faire des
liens, résoudre
les
contradictions,
intégrer ce qui
fait du bien,
enlever ce qui
fait du mal, ne
pas prendre
parti, priorité
aux situations
dangereuses
Poser plus de
questions (?), ne
pas explorer afin
de garder le lien,
montrer du
respect, rencontre
pas famille
négatif (pas
m’informer
ailleurs, fouillis,
peut nuire, idées
préconçues,
débrouiller avec
attitude
d’ouverture)
P01
F
Qc
AuCan
DiffNon
Personnalité
(rigidité et
intensité), couple,
famille
temps,
émotions,
psychanalyse,
passivité
Calme face aux
différences
Intervention limitée,
résistances,
obstacles culturels
Ne pas tenir compte
de la culture = pas
respectueux
Interventions
au niveau de la
personne
La personne est
plus ou moins
fusionnée avec
influence
culturelle
Changement
cpts, flexibilité
dans la
personnalité,
compréhension
patterns, contact
émotions, ne
pas juste écouter
plainte
Respect, explore
pas culture
(attend), aller
dans le sens du
cadre culturel de
l’Autre (?)
recadrer, amener
la personne à
faire différent
d’habitude
négatif (rigidité)
ou conditionnel
(clientèle)
P18
H
Mtl
Couple, abus,
discrimination
Homme-
femme,
émotions,
parole,
proximité,
Ignorance,
inconfort, anxiété à
l’idée de révéler
ses stéréotypes,
zone de confort
Risque de créer de
l’inconfort, de trop
réagir
Chaque
rencontre =
interculturels,
plus de
ressemblances
Se dévoiler,
mettre
confortable,
connexion,
vérifier si client
Partager mon
ignorance, trouver
familiarité pour
connecter
conditionnel
(clientèle),
s’informe d’abord
au client et se
tourne vers autre
265
HorsCan
DiffOui
consommation,
violence
culturel que de
différences, pas
important que
ça soit culturel
ou familial,
besoins
universels
(attachement,
proximité)
S’identifie
comme
immigrant,
étranger,
outsider, vécu
racisme
à l’aise avec
caractéristiques
du psy
chose si
nécessaire
P07
H
Qc
AuCan
DiffNon
Adaptation (refaire
ses repères),
traumatismes à
l’étranger, famille,
exclusion sociale,
autochtones, couple
temps,
palabres,
expressions,
violence,
alcool, morale
Remise en question
sur la nature
humaine, réalise
privilèges
Sujets tabous,
besoin de répéter
Risque
d’incompréhension
Culture =
ancré,
perception,
animaux,
préjugés
Anamnèse, ne
pas poser une
interprétation
rapidement,
S’imaginer le
vécu de l’Autre
connaître ce qui
dérange le client,
répéter, mettre de
côté ses préjugés,
vérifier
compréhension
Faire prendre
conscience qu’il
faut s’adapter,
accepter son
nouveau milieu et
se faire accepter,
expliquer ce qui
se passe ici,
s’adapter à
l’autre, ne pas
charger, poser
une question
spécifique
Positif (faire avec
connaissances en
autant que tu
fasses pas de
dégâts), non-
critique des
connaissances
P05
H
Mtl
Adaptation,
traumatismes,
accidents, crise
familiale post-
Expériences
touchantes, se
sentir utile
Difficulté à parler
de situations,
vulnérabilité
Différences =
superficielles,
besoins
universels, Être
Ne sors pas de
son rôle, travail
= le même,
Réduire la
ne pas demander
une information
culturelle au
patient, langage
Adaptation
culturelle,
représenter
société d’accueil,
positif (savoir
avant de
rencontrer, liens
avec organismes),
266
HorsCan
DiffOui
migratoire, langue,
discrimination,
religion = obstacle
à l’intégration
énergie
transformatrice
soi-même
immigrant
souffrance,
changement
corporel, adapter
lang
présenter les
ressources du
milieu
négatif (ne pas
demander au
patient)
P02
F
Qc
AuCan
DiffNon
Migration
temporaire,
préjugés, trauma
(non-culturel)
Passé-futur,
couple
Pas choquée par
différences
Prend quelque
chose pour acquis,
limites à
compréhension,
impuissance,
sentiment
d’étrangeté,
situations
complexes
Culturel =
définition
complexe et
abstraite
Importance de
la rencontre,
technique,
éducation
Rôle et
intervention ne
changent pas,
Pose plus de
questions (?),
adapte
information
positif (se sentir
moins étrangère),
négatif (pas
nécessaire) ou
conditionnel
(clientèle)
P11
F
Mtl
AuCan
DiffNon
Adaptation,
relations fam
interculturelles,
travail,
discrimination
(positive)
Morale,
émotions,
passivité
Impuissance Choses se disent
plus tard, religion =
rigidité, voodoo
Risque de rester
dans son carcan
Différences
individuelles,
besoins
universels,
traits culturels
Changement,
lien de
confiance
S’adapter au
schème
Explorer
croyances,
différentiel
culture-perso,
parallèles
croyances-
interventions,
compromis
culturel,
transformer
culture pour
qu’elle soit
aidante, question
culturelle
spécifique,
expliquer culture
Qc, savoir ses
propres référents
positif
(intervention)
267
culturels, se
minder
P17
F
Mtl
AuCan
DiffNon
Brûlés,
personnalité,
situations de vie,
langue, statut, abus,
traumas à
l’étranger, traumas
au Qc, violence
conjugale, vision
tunellaire de
religion
Maladie
mentale,
psychothérapie,
émotions et
douleur,
morale, voodoo
Avoir peur,
richesse
TP fait réagir, ment,
cache des choses,
etc. Risque de
manquer de
connaissances, de
mal évaluer, de faire
des
recommandations
inappropriées,
causer du tort
Tous les
mêmes besoins,
traits culturels
Évaluation
psychologique,
modèle médical,
contact
émotions, tx Sx,
travailler c-t,
protéger
ne pas juger Explorer race,
statut, langue,
fonctionnement
de la
communauté
culturelle, climat
de
compréhension,
objectifs
d’intégration,
compromis
culturel, adapter
poignée de main,
expressions,
langage, tarif,
valoriser
positif (cours, exp
de vie)
P19
F
Mtl
AuCan
DiffOui
Adaptation,
affirmation,
identité (cohésion,
peur
d’embrigadement),
famille,
appartenance,
racisme,
vulnérabilité, abus
Thérapie,
voodoo, sous-
cultures
Impuissance,
incompétence,
peur, gratification
Vulnérabilité entre
changer et maintenir
cohésion, difficulté
à parler, honte, peur
d’être jugé, menacé
Risque d’avoir
points aveugles,
blanche groupe
dominant, pouvoir
d’influence,
incompréhension
Tension de
catégorisation
= hold it
lightly,
équilibre entre
trop ou pas
tenir compte de
la culture,
culture = large,
chx avec exp
Contact avec la
personne,
différences
individuelles
Exploration,
empathie,
distinguer
situation
actuelle vs
passée
M’adapter,
Rétablir
continuité dans
l’expérience, ne
pas imposer,
présenter une
croyance
inclut proche,
adapte son
langage, explorer
demande d’aide
dans la culture,
parcours
migratoire,
croyances, poser
des questions
spécifiques
(racisme),
représenter
société Qc,
utiliser ressources
positif (questions
supplémentaire,
background
général), négatif
(méfiance,
médias, opinions)
268
Lesbienne =
minoritaire,
sensibilité à la
discrimination
du milieu,
P06
H
Mtl
HorsCan
DiffOui
Pression à se
conformer,
isolement
Introspection,
temps, arabes
Échecs, obligation
de s’occuper de
l’interculturel
Introspection =
panique chez les
non-occidentaux
Risque d’être
intransigeant avec
repères,
incompréhension
Tout le temps
interculturel,
Soi-même =
immigrant,
étranger
Jeu avec
signifiants,
reformulation,
exploration
Même technique
pour tous
développer une
approche,
atmosphère
anthropologique,
traite diff selon
l’origine
positif
(contextualisation
et critique des
théories,
développement
d’une approche)
P08
H
Qc
AuCan
DiffOui
Adaptation,
relations fam et
conj
interculturelles,
valorisation et
besoin
d’appartenance,
discrimination,
isolement, travail,
langue
géographie,
médecine,
expression
Sentiment de vide
culturel,
enrichissement
Difficile de faire un
diagnostic, besoin
de plus de temps,
difficultés
linguistiques
Risque
d’idéalisation,
penser qu’on
comprend, déformer
Culture =
partout, valeurs
et besoins
communs à
tous
Être
homosexuel =
similitudes
Raconter son
histoire, mise en
contexte,
croissance
personnelle,
zone de
changement
poser plus de
questions, ne pas
imposer, Ne sors
pas de mon rôle
Exploration
culturelle,
explorer sa propre
culture,
ressources au Qc,
constater la
différence,
valorisation,
s’adapter au cadre
de l’Autre,
décentration
positif
(comprendre)
P21
F
Mtl
AuCan
DiffNon
Adaptation,
affirmation, conflit
valeurs et désirs,
jeunes, travail,
trauma à l’étranger,
couple
Psychologues,
mort, autorité,
discipline
Vision idéalisée,
pas savoir quoi
faire,
incompétence (?),
guerre devient une
réalité, réagir à une
croyance, émue,
exp marquante,
marcher sur des
œufs, envie de rire,
Risque de vouloir
assimilation, de dire
une énormité, de
braquer la personne,
incompréhension,
polarisation
Souffrances
différentes
Confronter,
empathie, aider
à mettre ses
limites avec
souplesse,
améliorer lien,
bonnes
intentions
Représenter
société Qc,
explorer origines,
langue, relations
avec Qc,
expliquer impact
des différences
culturelles,
expliquer
racisme, Inclure
Pas clair (lit sur la
politique)
269
choc, vouloir en
faire plus
un proche,
moduler les tarifs
P13
F
Mtl
HorsCan
DiffOui
Famille, adaptation,
sentir qu’on fait
défaut, double
marginalisation,
isolement, couple
Maladie,
famille
Émue, colère Risque de prendre
quelque chose pour
acquis, pathologiser,
généraliser, assumer
que c’est différent
Interculturel =
tout le temps,
avantages
Soi-même =
immigrant
Explorer, prise
de conscience,
apaiser, trouver
ses solutions,
pas dire ce
qu’on pense,
questionner
opinion pro,
préserver rôle
poser plus de
questions,
demander pr un
mot, normaliser,
contextualiser,
pas imposer
vision médicale,
Explorer culture,
différentiel
culture-patho,
constater
différences,
adapter langage,
adaptation =
rencontre la
famille
positif (latinos,
supervision)
P09
F
Qc
AuCan
DiffNon
Adaptation,
traumatismes à
l’étranger,
isolement,
étrangeté, double
marginalisation,
passé, impact
intergénérationnel,
discrimination,
résilience
temps, couple,
expression,
maltraitance
Expérience
d’étrangeté,
impuissance (récit
traumatisant),
confiante, habituée
à déstabilisation,
exp marquante,
colère
Risque de ne pas
tenir compte de
culture, ramener
dans sa propre
culture, demander
adaptation,
recadrage, réagir,
rester étranger
Citoyenne
avant
psychologue,
sors jamais de
mon rôle
Interculturel =
toujours,
différences
multiples, choc
des cultures, la
personne porte
sa culture et
l’interprète
Élaboration,
résoudre
conflits
intérieurs, paix
avec son
histoire, écouter
plainte,
composer avec
ses propres
réactions, ne pas
confondre ses a
prioris avec la
réalité
poser plus de
questions, ne sait
pas
Explore tx culture
d’origine et
culture, les
intègre si le peut,
ambassadrice,
facilite
immigration et
liens avec
communauté
culturelle,
Favorable à
adaptation
(proche dans
séance,
consommation)
Connaissances et
supervision =
positif, permet
recul
P12
F
Mtl
AuCan
Identité
(polarisation
rigide), intégration,
école, famille,
jeunes
Thérapie, santé
mentale
Risque de manquer
de connaissance, ne
pas reconnaître diff,
pathologiser,
préjugés
Personne
porteuse de
culture,
différences
multiples
Monde interne,
résoudre
contradictions,
regard autre,
présence
relationnelle
Exploration
culturelle
(historique,
migration),
différentiel
culture-
positif (bonnes
pratiques)
270
DiffNon pathologie, grille
d’analyse interc,
favoriser
adaptation, tirer
le meilleur des
deux, impact de
mes
caractéristiques,
Adapter ses
expressions pour
proximité
P14
F
Qc
HorsCan
DiffOui
Personnalité,
migration (deuils,
pas désiré), identité
multiple,
appartenance,
résilience, traumas
à l’étranger,
extrémisme,
infériorité
Présentation de
soi
Remises en
question sur la
nature humaine,
émue, peur
Se cacher derrière
culture, défenses
culturelles
Risque de manquer
de connaissance,
généraliser, mal
évaluer, ne pas voir
les sous-couches à
la différence
culturelle
Interculturel =
tout le temps,
être différent
Explorer,
interpréter,
confronter,
liberté
intérieure,
diminuer les
défenses,
écouter la
plainte
contenant affectif,
ne pas catégoriser,
Retrouver sa
parole, témoin,
représentante
société Qc,
traducteur ou
pont entre
cultures,
reconnaît un
préjugé qui
émerge,
différentiel
culture-perso,
S’adapter,
répondre aux
questions,
accepter cadeaux,
pleurer en séance,
adapter langage
positif (lire sur
religion, prendre
recul)
P10
H
Difficultés
migratoires,
adaptation,
affirmation,
frontières,
thérapie
Ne pas se sentir
aidant, étrangeté,
incompréhensions,
curiosité anxiogène
Résistance, réaction,
familiarité, honte,
peur d’être jugé,
Interculturel =
tout le temps,
situations
Changement,
impact de ses
caractéristiques
sur patient,
curiosité
culturelle, vérifier
compréhension,
Négocier
différences,
représenter
société d’accueil,
positif (lire,
contacts dans
communautaire)
271
Mtl
HorsCan
DiffOui
dévalorisation
culturelle, double
marginalisation,
sentiment
d’appartenance,
perte d’identité,
discrimination,
travail, démotion
sociale, honte
et excitante incompris
Risque de ne pas se
comprendre,
prendre quelque
chose pour acquis,
ignorer culture,
psychologiser,
demander
adaptation contre-
nature, devenir
froid, faire du
dommage, aliéner,
être perçu comme
oppresseur
intraculturelles
Soi-même =
immigrant
normaliser et
valider, écouter
la plainte,
accueillir la
nécessité de
rester inchangé
établir frontière,
préserver rôle,
Favorable à
adaptation
(Proche dans
séance)
P16
H
Mtl
AuCan
DiffNon
Adaptation,
famille,
discrimination
systémique,
pauvreté,
résilience, couple,
musulmanes,
violence, traumas,
abus
Violence,
obéissance au
père,
musulmanes
débarrées,
client s’en fout
des différences
Ne pas savoir si
client dit la vérité,
réagir à une norme
différente, tolère de
perdre ses repères,
de ne pas savoir,
ému, choqué,
perdu, envie de
vomir, fasciné
Se cacher derrière la
culture
Risque de prendre
quelque chose pour
acquis, manquer
d’information,
mauvais dx, nier
son cadre
Interculturel =
différences de
cadres
(violence,
délinquance,
valeurs)
Compréhension
empathique,
curiosité,
dilemme empathie
et ne pas nier
cadre, S’adapter
au cadre de
l’autre,
Explorer le cadre
de l’autre,
présenter son
cadre (féminisme,
autorité du père),
ne pas imposer,
constater la
différence, faire
rencontrer cadres,
pairage culturel,
interprète, inclure
un proche
positif (travail
d’équipe,
informateur
culturel,
compétences,
critique de
l’établissement)
P03
H
Qc
AuCan
Personnalité,
adaptation et
identité, réfugiés,
discrimination,
autochtones,
résilience,
codage culturel Remises en
question sur la
nature humaine,
exp marquante
Résistances, se
cacher derrière
culture, réactivité
(aux caractéristiques
du psy),
intervention limitée,
Être quelqu’un
de différent
pour client
Parole,
reconstruction,
adaptation,
intégration
identitaire
ne pas imposer,
ne pas prendre
pour acquis qu’on
sait
Différentiel entre
culture-
personnalité,
exploration
culturel, travail
contre-transfert pr
positif (Critique
de psycho et
cadre)
272
DiffNon traumatismes à
l’étranger
complexité, cadre
peut ne pas convenir
Risques
d’idéalisation, de
forcer assimilation,
de pratiques
normatives et
prescriptives, de ne
pas pouvoir
entendre récits
traumatisants, de
couper le lien
éviter préjugés,
atmosphère
interculturelle,
négociation
repères culturels,
représentant
culturel,
clarification du
cadre, Favorable
à changement de
cadres et sorties
de rôle
P04
H
Qc
AuCan
DiffNon
Autochtones,
trauma perso et
collectifs,
dévalorisation
culturelle,
discrimination,
décohésion sociale,
force
temps, parole,
croyances
traditionnelles
Humilité, Exp
marquantes,
inconfortables, se
sentir honoré,
traumatisation
vicariante
Rôle limité,
impuissance,
décentration
difficile, isolement,
plus long pour se
comprendre
Risque de sur-
idenfication,
psychologisation,
imposer vision et
valeurs, réagir,
position
néocolonisateur
Différences de
visions du
monde
PGRO,
Identification,
répétition,
réparation
Aider à se faire du
bien, témoin,
accompagnement,
ne pas imposer,
réparation dans
rel thérapeutique
avec blanc non-
abuseur, constat
des différences
culturelles,
valorisation,
décentration,
apprend sur
l’Autre,
explications
culturelles,
changement de
cadres et sortie de
rôle (TS), travail
d’équipe
positif (mieux
vivre avec la
différence,
favoriser la
décentration),
concepts
spécifiques
P20
F
Mtl
Adaptation Tout le monde
a un bagage
culturel
différent
273
AuCan
Diff?
Soi-même
minoritaire
(juif)