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LES MICRONUTRIMENTS DU LAIT ET DES PRODUITS LAITIERS : ACTUALITÉS SCIENTIFIQUES ET BÉNÉFICES SANTÉ LAIT ET ÉQUILIBRE ACIDE-BASE : HYPOTHÈSES ET ÉVIDENCE SCIENTIFIQUE Tanis Fenton Department of Community Health Sciences, Faculty of Medicine University of Calgary, Canada Depuis quelque temps circule dans certains media grand public l’idée que la consommation de produits laitiers serait « acidogène » et aurait des effets négatifs sur la santé. Selon cette théorie, les protéines et le phosphate conte- nus dans le lait et les produits laitiers génèrent la production d’acides, ce qui acidifierait l’organisme engendrant les maladies modernes dites de civilisation. Cependant les données scientifiques ne soutiennent aucune de ces alléga- tions. Le lait et les produits laitiers ne sont pas des aliments acidogènes, l’alimentation n’entraîne pas d’acidose et les arguments scientifiques ne supportent pas l’hypothèse d’une association entre laits et produits laitiers et maladies de civilisation. Le lait et les produits laitiers ont été accusés d’ « entraîner une perte urinaire de calcium et d’être ainsi responsables d’une déplétion du calcium contenu dans le squelette » (1). On a pu lire que « les fractures liées à l’ostéoporose sont plus fréquentes dans les pays qui consomment le plus de produits laitiers, de calcium et de protéines animales » et certains ont affirmé que les produits laitiers sont néfastes pour la santé osseuse (2, 3). Le but de cette revue est de faire une analyse critique de ces allégations en s’appuyant sur les connaissances scientifi- quement prouvées. Le lait serait acidogène : un concept basé sur une méthode d’estimation imparfaite. Un système de classification des aliments souvent cité définit le lait comme « légèrement acidifiant » en s’appuyant sur le fait que le catabolisme du lait conduit à l’excrétion de phosphate et de sulfates protonés, qui sont des acides. Une partie des sulfates et des phosphates est en effet éliminée dans les urines sous forme protonée, et certains ont formulé l’hypothèse que les protéines alimentaires induiraient une excrétion d’ « acide » qui serait associée avec un bilan calcique négatif et donc, que cet « acide d’origine alimentaire » serait délétère pour la santé osseuse. Cependant une méta-analyse de l’influence du phosphate sur le métabolisme calcique, incluant 12 études de supplémentation, 30 interventions et 269 sujets, ne valide pas ce concept (5). Cette méta-analyse a montré une diminution signifi- cative de l’excrétion urinaire du calcium et pas d’effet négatif sur la balance calcique en réponse aux suppléments de phosphate. Les résultats étaient identiques que l’on se trouve en situation d’apports calciques faibles ou élevés, ou que les suppléments de phosphate soient « acides « ou « basiques ». Ces données vont à l’encontre de l’hypothèse acide-base qui suggère que l’excrétion de phosphate est associée à une perte de calcium d’origine osseuse via l’aug- mentation de la calciurie. L’excrétion nette d’acide n’influence pas le métabolisme calcique de façon importante. Bien que la calciurie augmente lorsque l’excrétion nette d’acide augmente, la balance calcique n’est pas affectée. Une équipe pluridisciplinaire de l’Université de Calgary a réalisé une méta-analyse des essais d’intervention de très bon- ne qualité méthodologique : interventions nutritionnelles ou avec des suppléments, acidifiantes ou alcalinisantes, modifiant donc l’excrétion nette d’acide, pour tester leurs effets sur la calciurie et la balance calcique (6). Pour dimi-

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Les m icronutr iments du La i te t des produi ts La i t i ers :actuaL i t és sc i ent i f iques e t bénéf i ces santé

PRODUITS LAITIERSD’EUROPE

Lait et équiLibre acide-base : hypothèses et évidence scientifique

tanis fentonDepartment of Community Health Sciences, Faculty of Medicineuniversity of calgary, canada

Depuis quelque temps circule dans certains media grand public l’idée que la consommation de produits laitiers serait « acidogène » et aurait des effets négatifs sur la santé. Selon cette théorie, les protéines et le phosphate conte-nus dans le lait et les produits laitiers génèrent la production d’acides, ce qui acidifierait l’organisme engendrant les maladies modernes dites de civilisation. Cependant les données scientifiques ne soutiennent aucune de ces alléga-tions. Le lait et les produits laitiers ne sont pas des aliments acidogènes, l’alimentation n’entraîne pas d’acidose et les arguments scientifiques ne supportent pas l’hypothèse d’une association entre laits et produits laitiers et maladies de civilisation.

Le lait et les produits laitiers ont été accusés d’ « entraîner une perte urinaire de calcium et d’être ainsi responsables d’une déplétion du calcium contenu dans le squelette » (1). On a pu lire que « les fractures liées à l’ostéoporose sont plus fréquentes dans les pays qui consomment le plus de produits laitiers, de calcium et de protéines animales » et certains ont affirmé que les produits laitiers sont néfastes pour la santé osseuse (2, 3).

Le but de cette revue est de faire une analyse critique de ces allégations en s’appuyant sur les connaissances scientifi-quement prouvées.

Le lait serait acidogène : un concept basé sur une méthode d’estimation imparfaite.Un système de classification des aliments souvent cité définit le lait comme « légèrement acidifiant » en s’appuyant sur le fait que le catabolisme du lait conduit à l’excrétion de phosphate et de sulfates protonés, qui sont des acides. Une partie des sulfates et des phosphates est en effet éliminée dans les urines sous forme protonée, et certains ont formulé l’hypothèse que les protéines alimentaires induiraient une excrétion d’ « acide » qui serait associée avec un bilan calcique négatif et donc, que cet « acide d’origine alimentaire » serait délétère pour la santé osseuse. Cependant une méta-analyse de l’influence du phosphate sur le métabolisme calcique, incluant 12 études de supplémentation, 30 interventions et 269 sujets, ne valide pas ce concept (5). Cette méta-analyse a montré une diminution signifi-cative de l’excrétion urinaire du calcium et pas d’effet négatif sur la balance calcique en réponse aux suppléments de phosphate. Les résultats étaient identiques que l’on se trouve en situation d’apports calciques faibles ou élevés, ou que les suppléments de phosphate soient « acides « ou « basiques ». Ces données vont à l’encontre de l’hypothèse acide-base qui suggère que l’excrétion de phosphate est associée à une perte de calcium d’origine osseuse via l’aug-mentation de la calciurie.

L’excrétion nette d’acide n’influence pas le métabolisme calcique de façon importante.Bien que la calciurie augmente lorsque l’excrétion nette d’acide augmente, la balance calcique n’est pas affectée. Une équipe pluridisciplinaire de l’Université de Calgary a réalisé une méta-analyse des essais d’intervention de très bon-ne qualité méthodologique : interventions nutritionnelles ou avec des suppléments, acidifiantes ou alcalinisantes, modifiant donc l’excrétion nette d’acide, pour tester leurs effets sur la calciurie et la balance calcique (6). Pour dimi-

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nuer le risque de biais, n’ont été incluses que les études dont les sujets avaient été randomisés ; les recommandations de l’Institut de médecine pour l’étude du métabolisme calcique ont été appliquées. Cette méta-analyse a montré que l’augmentation de l’excrétion nette d’acide résultant de l’augmentation de la consommation de protéines s’accom-pagnait d’une plus grande excrétion urinaire de calcium. Mais l’excrétion nette d’acide n’était pas associée au bilan calcique, donc à la rétention de calcium au niveau de l’organisme. Les données scientifiques ne confirment donc pas l’allégation selon laquelle les aliments « acidogènes » altèrent le bilan calcique. Les études dont les conclusions sont uniquement basées sur le calcium urinaire et non pas sur le bilan calcique peuvent seulement générer des hypo-thèses mais en aucun cas être interprétées comme validant un hypothétique effet négatif des apports protéiques.

Les produits laitiers ne sont pas acidifiants.Deux études ont testé l’effet de la consommation de lait sur l’excrétion urinaire d’acide (7,8). D’une part le lait induit une charge alcaline (8). D’autre part les protéines de lait entraînent une excrétion nette d’acide identique à celle des protéines de soja (7). De plus la consommation de lait ne diminue pas le pH urinaire mais l’augmente légèrement par rapport à la valeur mesurée à jeun.

Les régimes alcalinisants ne modifient pas le pH sanguin mais le pH urinaire.L’effet d’un régime alcalinisant a été comparé à celui d’un régime « moderne » acidifiant chez 8 sujets en bonne san-té, les 2 régimes ayant une teneur identique en énergie, protéines, calcium, phosphate et sodium (9). Le pH urinaire a changé de façon importante, de 6,4 à 7- de 1,02 en moyenne- (p<0,001) alors que le pH sanguin n’a pas significa-tivement varié (0,014 unité). A noter que pour les patients dont le pH sanguin se situe dans les valeurs de référence (pH = 7,35-7,45), une variation de 0,014 ne dépasse pas, et de loin, la marge d’erreur analytique. Par comparaison l’acidose métabolique, elle, correspond à un pH sanguin <7,35.

La prévalence de l’ostéoporose est élevée dans les pays sédentaires.Il a été dit que «les fractures ostéoporotiques sont plus fréquentes dans les pays où l’on consomme le plus de pro-duits laitiers, de calcium et de protéines animales» et certains en ont conclu que les produits laitiers ne sont pas bénéfiques à la santé osseuse (2,3). On a présumé que la prévalence élevée de fractures dans les pays industrialisés pourrait être due à l’excrétion d’acide associée aux régimes riches en protéines (3). En fait les taux élevés de frac-tures observés dans les pays développés pourrait être dus à la moindre activité physique et à la sédentarité. L’asso-ciation entre l’incidence des fractures et l’industrialisation provient d’études observationnelles de populations aux modes de vie très différents. Par exemple, les Chinois consomment moins de produits laitiers et de calcium que les populations occidentales. Pourtant les Chinois urbains ont des taux de fractures similaires à ceux des Américains urbains (10,11). Les différences d’incidence de fracture entre les Chinois ruraux et les Américains urbains pour-raient être dues aux différences de niveau d’activité physique entre le mode de vie rural et le mode de vie urbain plus sédentaire (10,11), et ainsi n’avoir aucune relation avec la consommation de lait.

En conclusion, l’évidence scientifique issue des études de bonne qualité montre que le lait et les produits laitiers n’induisent pas d’acidose métabolique ; ils ne génèrent pas d’acide et notre organisme n’est pas acidifié par l’alimen-tation moderne. De plus elle ne confirme pas d’association entre les produits laitiers et l’ostéoporose, si l’on prend en compte l’activité physique. Le lait demeure une bonne source de protéines.

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références

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