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ECONOMIE INTERNATIONALE I C H A P I T R E 10 ECONOMIES D'ECHELLE ET COMMERCE INTERNATIONAL Jusqu'à présent, nous avons considéré deux causes de la spécialisation et de l'échange international : d'abord, une différence de productivités entre les nations (Ricardo), ensuite une différence dans la dotation relative en facteurs et dans les techniques de production utilisées (Heckscher-Ohlin). L'explication ricardienne de l'échange implique un domaine de production convexe à coûts d'opportunité constants tandis que le modèle d'Heckscher- Ohlin s'inscrit dans un domaine de production convexe à coûts d'opportunité croissants. Constants dans le modèle de Ricardo, les rendements d'échelle sont non-croissants dans le modèle d'Heckscher-Ohlin. Rappelons qu'ils sont décroissants si des facteurs de production non pris en compte dans le modèle ne peuvent évoluer dans les mêmes proportions que les facteurs considérés. Dans un cadre parfaitement concurrentiel, la spécialisation fondée sur les avantages comparatifs générée par ces modèles conduit à un commerce international où un bien exporté par un pays ne sera pas importé et vice-versa. Pourtant, l'observation des échanges entre pays témoigne de l'existence d'échanges croisés d'un "même" bien ou plutôt d'un bien satisfaisant un besoin identique. Les Mercedès, Golf, Audi, ... sont vendues en France par les industries allemandes alors que les Renault, Peugeot et Citroën... sont exportées en Allemagne par les entreprises françaises. Le chocolat suisse se vend en Belgique alors que le chocolat belge se vend en Suisse. On peut ainsi multiplier les exemples d'échanges dit "intra-industriels" qui pour le moins interpellent la théorie classique et néo-classique.

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EECCOONNOOMMIIEE IINNTTEERRNNAATTIIOONNAALLEE II

CC HH AA PP II TT RR EE 1100

EECCOONNOOMMIIEESS DD''EECCHHEELLLLEE EETT CCOOMMMMEERRCCEE IINNTTEERRNNAATTIIOONNAALL

Jusqu'à présent, nous avons considéré deux causes de la spécialisation et del'échange international : d'abord, une différence de productivités entre lesnations (Ricardo), ensuite une différence dans la dotation relative en facteurs etdans les techniques de production utilisées (Heckscher-Ohlin).

L'explication ricardienne de l'échange implique un domaine de productionconvexe à coûts d'opportunité constants tandis que le modèle d'Heckscher-Ohlin s'inscrit dans un domaine de production convexe à coûts d'opportunitécroissants. Constants dans le modèle de Ricardo, les rendements d'échelle sontnon-croissants dans le modèle d'Heckscher-Ohlin. Rappelons qu'ils sontdécroissants si des facteurs de production non pris en compte dans le modèlene peuvent évoluer dans les mêmes proportions que les facteurs considérés.

Dans un cadre parfaitement concurrentiel, la spécialisation fondée sur lesavantages comparatifs générée par ces modèles conduit à un commerceinternational où un bien exporté par un pays ne sera pas importé et vice-versa.

Pourtant, l'observation des échanges entre pays témoigne de l'existenced'échanges croisés d'un "même" bien ou plutôt d'un bien satisfaisant un besoinidentique. Les Mercedès, Golf, Audi, ... sont vendues en France par lesindustries allemandes alors que les Renault, Peugeot et Citroën... sontexportées en Allemagne par les entreprises françaises. Le chocolat suisse sevend en Belgique alors que le chocolat belge se vend en Suisse.

On peut ainsi multiplier les exemples d'échanges dit "intra-industriels" quipour le moins interpellent la théorie classique et néo-classique.

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Divers travaux empiriques montrent que, tout au moins entre pays de mêmeniveau de développement, ces échanges intra-industriels par opposition auxéchanges inter-industriels, considérés par la théorie classique et néo-classique,constituent la grande majorité des échanges.En fait, c'est l'hypothèse (H7) des rendements constants d'échelle et celle deconcurrence parfaite (H2), y associée, qui ne sont pas adaptées pourappréhender correctement ces échanges intra-industriels.

Il convient donc d'approcher l'explication de la spécialisation et de l'échangeinternational dans un cadre de concurrence imparfaite qu'impliquent d'ailleursles économies d'échelle.

1. ECONOMIES D'ECHELLE

L'évolution technologique engendre, pour un grand nombre de secteursindustriels, des fonctions de production à rendements croissants. On dit queles entreprises de ces secteurs font des économies d'échelle. Autrement dit, laproduction s'accroît plus que proportionnellement à l'utilisation des facteurs. Ilen est ainsi, par exemple, pour la sidérurgie, la chimie de base, la pétro-chimie,l'automobile, l'aviation, l'industrie électronique,...

Pour bien saisir la réalité caractérisée par des économies d'échelle, unedistinction fondamentale s'avère nécessaire suivant l'origine des économiesd'échelle.

D'une part, les économies internes d'échelle se manifestent lorsque le coût moyenunitaire de production d'une entreprise décroît au fur et à mesure que saproduction augmente. Les économies internes d'échelle dépendent donc de lataille des firmes individuelles mais pas nécessairement de la dimension del'industrie les rassemblant.

D'autre part, les économies externes d'échelle existent lorsque le coût moyenunitaire dépend de la dimension de l'industrie mais pas nécessairement de lataille d'une entreprise particulière qui en fait partie.

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Ainsi, la restructuration de la sidérurgie européenne au cours des années 80 anotamment consisté à supprimer les entités peu performantes tout enregroupant d'autres entreprises (fusions, synergies) afin de bénéficier deséconomies internes d'échelle en vue de rendre la production plus efficiente touten diminuant la capacité totale du secteur au niveau européen.

Par ailleurs, la concentration de sous-traitants de petite taille autour de grandspôles industriels relève des économies externes d'échelle, car l'efficience desentreprises s'accroît du fait de leur complémentarité. Le secteur de la sous-traitance peut ainsi acquérir une dimension plus importante, même si chaqueentreprise conserve une taille réduite. On peut citer d'autres exemplesd'économies externes d'échelle, telles, la concentration des fabricants de semi-conducteurs dans la Sillicon Valley en Californie, la concentration des servicesfinanciers dans la City à Londres, ...

On le voit, les économies internes et externes d'échelle ont des implicationsdifférentes pour la structure industrielle. Les économies internes d'échelleincitent à accroître la taille des entreprises et conduisent à un marché régi parla concurrence imparfaite.

Par contre, si les économies d'échelle sont purement externes, l'industrie secomposera de nombreuses petites entreprises et le marché se rapprochera d'unmarché de concurrence parfaite.

Les économies d'échelle internes et externes influencent toutes deux lecommerce international. Les recherches dans ce domaine ont surtout étéimpulsées au cours de la décennie 80 par les travaux de P.R. Krugman etHelpman. Mais l'accent est davantage mis sur les économies internes d'échelleque sur les économies externes car celles-là sont plus facilement identifiablesque celles-ci.

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2. ECONOMIES INTERNES D'ECHELLE

Soulignons d'abord qu'il n'est pas exclu qu'une firme en position derendements croissants puisse connaître des rendements décroissants au delàd'une certaine taille. Mais, en tout état de cause, les firmes ayant la possibilitéde réaliser des économies d'échelle, postulent une taille très importante avantd'être confrontées à des rendements décroissants.

De plus au sein de la firme, les économies d'échelle n'évoluent pasnécessairement de façon continue à la production. Au contraire, tant pour desraisons technologiques que d'organisation, la recherche d'économies d'échelleimplique des "sauts" de capacité plus ou moins importants dépendant desinvestissements réalisés.

Il en résulte deux types de comportements.

Le premier concerne l'entreprise qui, disposant à un moment donné d'unecapacité donnée, réalisera des économies d'échelle en accroissant sa productiongrâce à une répartition des frais fixes sur un plus grand nombre d'unitésproduites. Il s'agit de rendements croissants dus à une utilisation accrue descapacités (facteurs de production) existantes (voir figure 1).On a la relation suivante :

C = F + c. q

où C : coût totalF : frais fixesc : coût marginal supposé constant sur les figures 1 et 2q : quantité produite

On en déduit :

C = = F + c

q qC

où C est le coût moyen unitaire

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coût moyen unitaire

production

coût marginal supposé constant

coût moyen

Figure 1 : Coût moyen et coût marginalLe coût moyen diminue avec l'augmentation de la production.

Le second comportement suppose des investissements en vue d'accroître lescapacités de production de la firme et ainsi, atteindre une taille plus grande. Ils'agit ici de modifier l'organisation et la technique de production existante, cequi impliquera un accroissement important de la production afin de bénéficierdes économies d'échelle que la nouvelle taille confère à la firme (voir figure 2).On peut légitimement supposer que plus l'entité (l'équipement) est grande,plus les charges fixes sont importantes.

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coût par unité

production

coût marginal supposé constant

coût moyen

F1

F0

q0

q2

q1

max max0

Figure 2 : Constitution du coût moyen avec accroissement descapacités de production

Si, par des investissements supplémentaires, l'entreprise passe d'une capacitémaximale de production q0 max à une capacité maximale q1 max, le coût

moyen dans la nouvelle entité ne sera inférieur au coût moyen minimum del'ancienne entité que si la production est supérieure àq2 > q0 max.

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3. ECONOMIES INTERNES D'ECHELLE ET CONCURRENCE

Les économies internes d'échelle postulent des rendements croissants, donc uncoût moyen de production décroissant.

Or, le coût moyen de production est décroissant si et seulement si le coûtmarginal est inférieur au coût moyen pour tout niveau de production considéré1.

La logique du comportement de la firme qui maximise son profit est deproduire une quantité à un niveau tel que le revenu marginal égalise le coûtmarginal.

En régime de concurrence parfaite, on sait qu'à l'équilibre (niveau deproduction où la firme maximise son profit), le revenu marginal est égal auprix fixé par le marché. Comme à l'équilibre celui-ci est égal au coût marginal,lui-même inférieur au coût moyen, le prix de marché se fixe en-dessous ducoût moyen : les firmes sont en perte et doivent disparaître.

En conséquence, un régime de concurrence parfaite est incompatible avec unesituation d'économies d'échelle.

Dès lors, une industrie caractérisée par des économies internes d'échelle seranécessairement en situation de concurrence imparfaite où le nombre de

1 Soit C : coût total; q : quantitié produite; C =

Cq

= coût moyen; c =

dCdq

: coûtmarginal;

CV = c . q = coût variable; C V =

CVq

= coût variable moyen; F : coûts fixes.

On a : C = CV + F

⇔ C = c +

Fq

⇒ C > c

Autrement:

dCVdq

=dCdq

= c

dC dq

< 0 ⇔

dCVdq

. q − CV − F

q2 < 0 ⇔ c < C

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producteurs sera limité. Chaque entreprise sera consciente de sa capacitéd'influencer le prix du marché et du fait qu'elle pourra vendre plus enréduisant son prix.

On considère habituellement trois formes de marchés en concurrence imparfaite :

- la situation de monopole où il existe un seul vendeur pour un produitface à un grand nombre de consommateurs;

- la situation d'oligopole où le nombre de vendeurs est suffisamment réduitpour que chacun craigne les réactions de ses rivaux à ses propresactions. A l'intérieur du marché national, les économies d'échelle, ladifférenciation du produit ... facilitent la domination du marché parquelques vendeurs;

- la concurrence monopolistique qui postule l'existence d'un grand nombrede vendeurs ayant chacun une influence sur le prix moyen du marché,mais telle qu'aucun ne craint de voir les autres réagir à ses décisionsparce que les concurrents sont si nombreux que le marché de chacunn'est pas affecté de façon appréciable par l'action de l'un d'eux. Enconcurrence monopolistique, chaque producteur essaie de différencierson produit de ceux de ses rivaux.

Ces entraves à la concurrence parfaite sur les marchés nationaux influencent lecommerce international de différentes manières. Nous en aborderons lesaspects principaux aux chapitres suivants. Elles affectent la divisioninternationale du travail et elles provoquent des distorsions de prix, eu égard àce qui se passerait en concurrence parfaite. Tous les régimes de concurrenceimparfaite étant souvent caractérisés par des économies d'échelle, nous allonsd'abord préciser comment celles-ci affectent le commerce et la spécialisationinternationale.

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4. ECONOMIES INTERNES D'ECHELLE ET COMMERCEINTERNATIONAL

La référence théorique néo-classique, fondée sur la concurrence parfaite, estévidemment mal adaptée pour rendre compte des économies d'échelle.

Néanmoins, il est possible, à partir du domaine de production représentatif derendements croissants, de faire ressortir les gains à l'échange qu'autorise lecommerce international.

Si on suppose une économie à deux biens, tous deux caractérisés par unefonction de production à rendements croissants, le domaine de production eststrictement concave et peut être représenté par la figure 3 ci-dessous.

x1

B

x 2C0

A

Figure 3 : Domaine de production strictement concave

La courbe des possibilités de production révèle des coûts d'opportunitédécroissants. En effet, si à partir d'un point quelconque de la courbe, parexemple, la position d'équilibre autarcique A, on augmente la production d'unbien, il faudra renoncer à de moins en moins de production de l'autre bien,pour produire, en plein emploi, une unité supplémentaire du bien del'industrie en expansion.

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Toutefois, en autarcie, pour des préférences données des consommateurs,l'équilibre se situe en un point "intérieur", de la courbe B A C, tel que A, car onsuppose que les consommateurs consomment les deux biens.

On devine dès lors qu'une solution plus efficiente que l'équilibre autarcique estpossible si l'étranger, soumis aux mêmes conditions de production, sespécialise complètement dans le bien qu'abandonnerait le système productifdu pays domestique à condition que l'échange international soit possible pourpermettre aux consommateurs de chaque pays de consommer les deux biens.Afin de faire ressortir les gains à l'échange résultant strictement des effetsd'économie d'échelle, supposons que l'économie mondiale, produisant lesbiens 1 et 2, se réduise à deux pays ayant les mêmes dotations en facteurs etutilisant les mêmes techniques de production pour la production de chacundes biens, ce qui confère aux deux pays un domaine de production concaveidentique.

Afin que les échanges ne soient pas influencés par des préférencesdifférenciées des consommateurs, supposons que les fonctions d'utilité duconsommateur représentatif soient également identiques; dans ce cas, chaquepays produit et consomme en autarcie la même quantité de chaque bien.

On peut représenter cette économie mondiale par la "boîte" de la figure 4 oùles équilibres autarciques sont respectivement les points A et A*.A titre d'exemple, supposons que le pays domestique se spécialisecomplètement dans la production du bien 1, l'étranger se spécialisantcomplètement dans la production du bien 2.

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B 0

C0

D

A

A

b

b

*

y0*

**

y1

*y

0

y1

Figure 4 : Economie mondiale avec économies d'échelle

Le prix relatif d'équilibre international est compris entre les prix relatifsd'équilibre en économie fermée, figurés par les pentes des droites Bb et Bb*.De plus, ce prix relatif d'équilibre doit égaliser production et consommationmondiale. Il est dès lors nécessairement déterminé par la pente de la droiteBC, les consommations étant fixées au point D, point de tangence communedes courbes d'indifférence des deux pays avec la droite des prix relatifs.Remarquons que compte tenu de nos hypothèses (identité des deux fonctionsd'utilité et des conditions de production dans les deux pays), la quantité dechaque bien consommée est identique dans chaque pays.

L'utilité des consommateurs des deux pays s'est accrue en passant de la courbe

d'indifférence y0 (resp. y

0*

) à y1 (resp. y

1*). Ainsi, nous avons démontré que

la présence d'économies internes d'échelle pour la production de chaque bien danschacun des pays est une condition suffisante pour qu'il y ait gain à l'échange.

L'exemple chiffré du tableau 1 ci-dessous illustre, du seul point de vue de laproduction, la possibilité d'accroître la production mondiale avec la même

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quantité de facteurs lorsqu'il y a économies d'échelle et spécialisationinternationale.

Spécialisation internationale pour bénéficier des économies d'échelle

Tableau 1 : Production et coût avec économies d'échelle et productivité identique dans les deux pays A et B.

Automobile Vêtement

Productionen unités

Unité detravail

Unité detravail parunité de

production

Productionen unités

Unité detravail

Unité detravail parunité de

production

1020304050

90140180210230

976

5 1/44 3/5

10203040

90160200230

98

6 2/35 3/4

60 250 4 1/6 50 250 5

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En dotant chaque pays de 250 unités de travail, envisageons successivement etcomparons la solution en spécialisation partielle et spécialisation complète :

1. Solution où chaque pays produit les deux biens :

Production Unité de travail

Pays A 10 unités d'automobile20 unités de vêtement

90160250

Pays B 10 unités d'automobile20 unités de vêtement

90160250

Monde20 unités d'automobile

40 unités de vêtement avec 500

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2. Solution où un des pays (A) affecte 250 unités de travail à la productiond'automobiles et l'autre pays (B) affecte les 250 unités de travail à laproduction de vêtements

Production Unités de travail

Pays A 60 unités d'automobile 250

Pays B 50 unités de vêtement 250

Monde60 unités d'automobile

50 unités de vêtement avec 500

La spécialisation complète de chacun des pays dans l'un ou l'autre bienpermet de produire plus des deux biens au niveau mondial avec la mêmequantité de travail.

Ainsi, nous avons montré qu'un commerce mutuellement profitable peut sedévelopper sur base des économies internes d'échelle. Dans la pratique,chaque pays aura intérêt à se spécialiser dans un nombre limité de biens car,ainsi, les productions seront plus efficientes que s'il produisait tous les biensdemandés par les consommateurs. Grâce à l'échange international, lesconsommateurs pourront continuer à consommer la variété de biensdisponibles en autarcie.

En fait, nous verrons au chapitre 3, que la structure de marché qu'implique leséconomies internes d'échelle va, grâce au commerce international, accroître lavariété des biens disponibles en autarcie.

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5. ECONOMIES EXTERNES ET ECHANGE INTERNATIONAL

Dans ce modèle d'échange international, on a supposé que les économiesd'échelle étaient internes à l'entreprise : le coût moyen unitaire d'une entrepriseest d'autant plus bas que sa production est élevée.

Cependant, les économies d'échelle peuvent également être externes àl'entreprise individuelle.

On observe souvent que les entreprises d'un même secteur ou des entreprisescomplémentaires concentrent leurs lieux de production en un nombre restreintd'endroits. Ce phénomène de concentration peut concerner les grandesentreprises - par exemple, la sidérurgie liégeoise se composait dans le passé detrès grandes entreprises - Cockerill, Ougrée-Marihaye et Providence - ou despetites et moyennes entreprises - par exemple, la sous-traitance, les servicesfinanciers et de conseil ont tendance à se regrouper au même endroit.

D'autres exemples peuvent être cités : outre celui bien connu de la SilliconValley déjà cité pour l'appareillage électronique, rappelons des exemples plusproches, telles l'industrie textile dans la région de Mouscron en Belgique, lacontruction automobile aux confins de l'agglomération bruxelloise, ...

Ce phénomène d'effets externes est d'ailleurs à la base de la constitution desagglomérations urbaines.

D'un point de vue strictement économique, les économies externes d'échelle semanifestent sous diverses formes : complémentarité entre entreprises,concentration d'une certaine main d'oeuvre qualifiée, infrastructures adaptées,... D'une manière générale, on parle d'effets externes lorsque les décisions deproduction ou de consommation d'un agent affectent directement lasatisfaction ou le profit d'autres agents sans que le marché évalue et fasse payerou rétribuer l'agent pour cette intéraction.

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5.1. Economies externes et structure des échanges

Les économies externes peuvent jouer un rôle dans les échangesinternationaux, mais elles opèrent de façon très différente par rapport auxéconomies internes d'échelle. Lorsqu'une industrie bénéficie d'économiesexternes importantes dans un pays, elle peut avoir, toutes choses égales parailleurs, des coûts de production plus bas ce qui favorise une extension de laproduction. Ainsi, de fortes économies externes tendent à confirmer lastructure d'échanges inter-industriels : des pays qui sont de gros producteursdans certaines industries tendent à rester gros producteurs tout au moinspendant un certain temps.

Un exemple emprunté à P.R. Krugman et M. Obstfeld 2 peut illustrer cephénomène.

Considérons la production de montres où deux pays sont représentés, la Suisseet la Thaïlande. Les coûts moyens et la demande mondiale sont représentéspar la figure 5. Supposons que cette demande mondiale puisse être satisfaitepar la Suisse ou la Thaïlande. Faisons de plus l'hypothèse que les économiesd'échelle dans la production de montres soient entièrement externes auxfirmes. L'industrie ne bénéficiant pas d'économies internes d'échelle, elle estvraisemblablement composée dans chaque pays de nombreuses petitesentreprises en situation de concurrence parfaite 3. La concurrence fait doncbaisser le prix des montres au niveau du coût moyen.

Nous supposons que la courbe de coût moyen de la Thaïlande se situe en-dessous de celle de la Suisse, par exemple, parce que les salaires sont plus basen Thaïlande qu'en Suisse. On devrait s'attendre à ce que la Thaïlandealimente le marché mondial. Toutefois, ce ne sera pas le cas.

2 op. CIT pp 176-1773 Dans la réalité toutefois, la concurrence monopolistique avec différenciation du

produit est plus probable

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Si on suppose, pour des raisons historiques, que la Suisse s'est engagée dans laproduction de montres avant la Thaïlande, initialement l'équilibre mondial du

marché des montres se situera au point 1 de la figure 5 avec une production q1

pour un prix p1 .

Si la Thaïlande envisage de produire des montres, elle pourrait espérers'emparer du marché mondial en déplaçant l'équilibre au point 2. Cependant,comme au départ il n'y a aucune production en Thaïlande, toute firme

individuelle serait confrontée à un coût moyen de production de C0 . Ce coûtest supérieur au prix auquel l'industrie traditionnelle suisse bénéficiantd'économies externes peut produire les montres. Ainsi, bien que la Thaïlandepuisse produire les montres (suisses!) à un prix plus faible que l'industriesuisse, le fait pour la Suisse d'avoir pris une avance dans le temps luipermettra de maintenir son activité dans cette industrie.

Comme le montre cet exemple, les économies externes font jouer un rôleimportant à des accidents historiques pour déterminer quel bien est produitpar quel pays. Elles peuvent aussi permettre à des industries de se maintenirmême lorsqu'elles cessent de faire valoir des avantages comparatifs. Toutefois,comme nous allons le voir à la section suivante, une approche dynamique duphénomène montre qu'une telle situation n'est pas nécessairement permanente.

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prix, coût par montre

C0

P1

1

2

C-

SUISSE

-C THAI

q1

Quantité de montres

Demande

Figure 5 : Economies externes et spécialisation

5.2. Courbe d'apprentissage et économies externes

L'exemple précédent peut aussi s'interpréter comme un phénomèned'économies externes dû à l'accumulation du savoir. Lorsqu'une entrepriseindividuelle améliore ses produits et ses techniques de production, par sonexpérience et par ses efforts en recherche et développement, d'autres firmesl'imiteront vraisemblablement et bénéficieront de l'amélioration desconnaissances. Il en résulte des économies externes, car cette diffusion dusavoir permet d'abaisser les coûts de production des entreprises individuellesau fur et à mesure que l'industrie accumule de l'expérience. En définitive, lescoûts de production dépendent de l'expérience qui est habituellement mesuréepar la production cumulée de l'industrie à un moment donné.

Ce type de relation est souvent nommé courbe d'apprentissage. Elle relie le coûtunitaire d'un bien à sa production cumulée.

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Lorsque les coûts diminuent au fil des années avec la production cumuléeplutôt qu'avec la production courante, on dira qu'on se trouve dans un cas derendements croissants dynamiques ou d'économies d'échelle dynamiques.

Bien que ces effets externes liés à l'apprentissage soient parfois importants, ilest très difficile d'en mesurer l'impact.

Coût unitaire

C*0

C1

C

q1

Production cumulée

C*

Figure 6 : La courbe d'apprentissage

Les économies externes dynamiques qu'offre l'apprentissage permettent,comme les autres économies externes, de consolider l'avantage initial.

Sur la figure 6, la courbe d'apprentissage C est celle du pays pionnier dansl'industrie, C* représentant celle d'un pays qui a des coûts unitaires plus faiblessuite, par exemple, aux bas salaires, mais possède une moindre expérience dela production. Si le pays pionnier a une avance chronologique suffisante, les

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coûts potentiellement plus bas de l'autre pays peuvent ne pas permettre à celui-ci d'entrer dans le marché.

Supposons que le pays pionnier ait une production cumulée de q1 unités, lui

confèrant un coût unitaire C1 , tandis que l'autre pays ne s'est pas encore

engagé dans la production. Cet autre pays aura un coût initial de C0

* qui est

plus élevé que le coût unitaire courant, C1 , de l'industrie qui a démarré laproduction du bien considéré.

Les économies externes paraissent justifier potentiellement le protectionnisme,pour permettre à une industrie d'acquérir l'expérience nécessaire. Cetargument est connu sous le nom de argument de l'industrie naissante. Il a jouéun rôle important dans les débats sur le rôle de la politique commerciale dansle développement économique.

5.3. Echanges et bien-être dans une situation d'économies externes

Les échanges fondés sur les économies externes ont des effets moins certainssur le bien-être national que ceux basés sur les avantages comparatifs ou ceuxbasés sur les économies internes d'échelle. La concentration d'une industrie enun lieu donné en vue de réaliser des économies externes peut certes se traduirepar des gains au niveau de l'économie mondiale. Mais, il n'est pas certain, qu'àun moment donné, ce soit le pays potentiellement le plus performant quiproduise le bien sujet à des économies externes. Il est même possible que lecommerce basé sur les économies externes place effectivement le pays dans unesituation pire que celle qui aurait été la sienne en l'absence d'échange.

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Ainsi, la figure 7 4 , ci-dessous, montre que la Thaïlande pourrait fabriquer àcoût plus faible que la Suisse mais la Suisse s'est installée la première dansl'industrie de la montre. Le pays producteur étant la Suisse, l'équilibremondial s'établit au point 1. Par contre, si on considère la demande intérieurethaïlandaise, la Thaïlande aurait intérêt à fermer ses frontières aux montressuisses pour les produire elle-même. En effet, dans ce cas l'équilibre interne à

la Thaïlande, est au point 2 à un prix P2 plus bas qu'avec commerceinternational qui postule l'absence de production thaïlandaise et établit le prix

au niveau P1 > P2 .

Cependant, avant de conclure à la nécessité du protectionnisme, il convient denoter qu'il est particulièrement difficile d'identifier dans la pratique unesituation telle que celle de la figure 7.

Prix, coût par montre

C*0

P1

1

C-

SUISSE

C-

THAI

Quantité de montres

2

Demande mondiale

P 2

Demande THAI

Figure 7 : Economies externes et pertes dues aux échanges

4 P.R. Krugman et M. Obstfeld, op CIT p. 179