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Du texte au réseau : lire la langue 1) La belle lisse poire du prince de Motordu , Pef Folio Benjamin A n'en pas douter, le prince de Motordu menait la belle vie. I1 habitait un chapeau magnifique au-dessus duquel, le dimanche, flottaient les crapauds bleu blanc rouge qu'on pouvait voir de loin. Le prince de Motordu ne s'ennuyait jamais. Lorsque venait l'hiver, il faisait d'extraordinaires batailles de poules de neige. Et le soir, il restait bien au chaud à jouer aux tartes avec ses coussins …dans la grande salle à danger du chapeau. Le prince vivait à la campagne. Un jour, on le voyait mener paître son troupeau de boutons. Le lendemain, on pouvait l'admirer filant comme le vent sur son râteau à voiles. Et quand le dimanche arrivait, il invitait ses amis à déjeuner. Le menu était copieux Menu du jour Boulet rôti Purée de petit bois Pattes fraîches à volonté Suisses de Grenouilles Au dessert Braises du jardin Confiture de murs de la maison. Un jour, le père du prince de Motordu, qui habitait le chapeau voisin, dit à son fils : - Mon fils, il est grand temps de te marier. - Me marier ? Et pourquoi donc, répondit le prince, je suis très bien tout seul dans mon chapeau. Sa mère essaya de le convaincre : - Si tu venais à tomber salade, lui dit-elle, qui donc te repasserait ton singe ? Sans compter qu'une épouse pourrait te raconter de belles lisses poires avant de t'endormir. Le prince se montra sensible à ces arguments et prit la ferme résolution de se marier bientôt. Il ferma donc son chapeau à clé, rentra son troupeau de boutons dans les tables, puis monta dans sa toiture de course pour se mettre en quête d'une fiancée. Hélas, en cours de route, un pneu de sa toiture creva. - Quelle tuile ! ronchonna le prince, heureusement que j'ai pensé à emporter ma boue de secours. Au même moment, il aperçut une jeune flamme qui avait l'air de cueillir des braises des bois. - Bonjour, dit le prince en s'approchant d'elle, je suis le prince de Motordu. - Et moi, je suis la princesse Dézécolle et je suis institutrice dans une école publique, gratuite et obligatoire, répondit l'autre. - Fort bien, dit le prince, et que diriez-vous d'une promenade dans ce petit pois qu'on voit là-bas ? - Un petit pois ? s’étonna la princesse, mais on ne se promène pas dans un petit pois ! C'est un petit bois qu'on voit là-bas. 1

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Du texte au réseau : lire la langue

1) La belle lisse poire du prince de Motordu , Pef Folio Benjamin

A n'en pas douter, le prince de Motordu menait la belle vie.I1 habitait un chapeau magnifique au-dessus duquel, le dimanche, flottaient les crapauds bleu blanc rouge qu'on pouvait voir de loin.Le prince de Motordu ne s'ennuyait jamais. Lorsque venait l'hiver, il faisait d'extraordinaires batailles de poules de neige. Et le soir, il restait bien au chaud à jouer aux tartes avec ses coussins …dans la grande salle à danger du chapeau.Le prince vivait à la campagne. Un jour, on le voyait mener paître son troupeau de boutons. Le lendemain, on pouvait l'admirer filant comme le vent sur son râteau à voiles.Et quand le dimanche arrivait, il invitait ses amis à déjeuner. Le menu était copieux

Menu du jourBoulet rôti

Purée de petit boisPattes fraîches à volontéSuisses de Grenouilles

Au dessertBraises du jardin

Confiture de murs de la maison.

Un jour, le père du prince de Motordu, qui habitait le chapeau voisin, dit à son fils : - Mon fils, il est grand temps de te marier. - Me marier ? Et pourquoi donc, répondit le prince, je suis très bien tout seuldans mon chapeau.Sa mère essaya de le convaincre :- Si tu venais à tomber salade, lui dit-elle, qui donc te repasserait ton singe ? Sans compter qu'une épouse pourrait te raconter de belles lisses poires avant de t'endormir.Le prince se montra sensible à ces arguments et prit la ferme résolution de se marier bientôt. Il ferma donc son chapeau à clé, rentra son troupeau de boutons dans les tables, puis monta dans sa toiture de course pour se mettre en quête d'une fiancée.Hélas, en cours de route, un pneu de sa toiture creva.- Quelle tuile ! ronchonna le prince, heureusement que j'ai pensé à emporter ma boue de secours. Au même moment, il aperçut une jeune flamme qui avait l'air de cueillir des braises des bois.- Bonjour, dit le prince en s'approchant d'elle, je suis le prince de Motordu.- Et moi, je suis la princesse Dézécolle et je suis institutrice dans une école publique, gratuite et obligatoire, répondit l'autre.- Fort bien, dit le prince, et que diriez-vous d'une promenade dans ce petit pois qu'on voit là-bas ?

- Un petit pois ? s’étonna la princesse, mais on ne se promène pas dans un petit pois ! C'est un petit bois qu'on voit là-bas.

- Un petit bois ? Pas du tout, répondit le prince, les petits bois, on les mange. J'en suis d'ailleurs friand et il m'arrive d'en manger tant que j'en tombe salade. J'attrape alors de vilains moutons qui me démangent toute la nuit- À mon avis, vous souffrez de mots de tête, s'exclama la princesse Dézécolle et je vais vous soigner dans mon école publique, gratuite et obligatoire.

Il n'y avait pas beaucoup d'élèves dans l'école de la princesse et on n'eut aucun mal à trouver une table libre pour le prince de Motordu, le nouveau de la classe. Mais, dès qu'il commença à répondre aux questions qu'on lui posait, le prince déclencha l'hilarité parmi ses nouveaux camarades. Ils n' avaient jamais entendu quelqu'un parler ainsi !Quant à son cahier, il était, à chaque ligne, plein de taches et de ratures : on eût dit un véritable torchon .

Calcul.quatre et quatre : huître,quatre et cinq : boeuf,

cinq et six :bronze,Six et six : bouse.

Que fabrique un frigo ?Un frigo fabrique des petits garçons qu’on met dans

l’eau pour la rafraîchir.

Histoire.Napoléon déclara la guerre aux puces il envahit la

Lucie mais les puces mirent le feu à Moscou et l'empereur fut chassé par les vers très froids qu’il

faisait cette année là, glaglagla…Je n’ai pas tout compris. Bonne écriture D

Mais la princesse Dézécolle n'abandonna pas pour

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autant. Patiemment, chaque jour, elle essaya de lui apprendre à parler comme tout le monde.- On ne dit pas j'habite un papillon, mais j'habite un pavillon.Peu à peu, le prince de Motordu, grâce aux efforts constants de son institutrice, commença à faire des progrès. Au bout de quelques semaines, il parvint à parler normalement, mais ses camarades le trouvaient beaucoup moins drôle depuis qu'il ne tordait plus les mots.A la fin de l'année, cependant, il obtint le prix de camaraderie car, comme il était riche, il achetait chaque jour des kilos de bonbons qu'il distribuait sans compter. Lorsqu'il revint chez lui, après avoir passé une année en classe, le prince de Motordu avait complètement oublié de se marier.Mais quelques jours plus tard, il reçut une lettre qui lui rafraîchit la mémoire.

Mardi 6Cher Motordu

A présent que vous ne souffrez plus de mots de tête,j’aimerais savoir si vous aimeriez bien vous marier

avec moi !Princesse Dézécolle

Ps : vous avez oublié de me rendre votre livre de géographie.

Merci.

Il s'empressa d'y répondre, le jour même.

J’ai fini de lire le livre, il est très bien etj’accepte de me marier avec vous et avec joie.

Amitiés. Stop.Signé Motordu.

Et c'est ainsi que le prince de Motordu épousa la princesse Dézécolle. Le mariage eut lieu à l'école même et tous les élèves furent invités.

Un soir, la princesse dit à son mari :- Je voudrais des enfants.- Combien ? demanda le prince qui était en train de passer l'aspirateur.- Beaucoup, répondit la princesse, plein de petits glaçons et de petites billes.Le prince la regarda avec étonnement, puis il éclata de rire.- Décidément, dit-il, vous êtes vraiment la femme qu'il me fallait, madame de Motordu. Soit, nous aurons des enfants et en attendant qu'ils soient là, commençons, dès maintenant, à leur tricoter des bulles et des josettes pour l'hiver...

4) Vers le réseau

L’école, le collège, le lycée a pour rôle d'aider les élèves à "entrer en lecture" et à se construire une culture littéraire. Ces deux objectifs peuvent trouver leur réalisation dans la mise en réseau des livres proposés par l'enseignant.

 Établir des liensToute œuvre s'inscrit dans une histoire. Les albums, forme littéraire relativement récente, ne dérogent pas à cette règle. Leur spécificité, la mise en scène conjointe du texte et de l'image, renvoie à deux histoires simultanément, celle du texte littéraire et celle des arts graphiques. Le lecteur aussi, si jeune soit-il, a son histoire. Il emmagasine des images, des souvenirs de lectures qui ont marqué son imaginaire et qui lui servent, le plus souvent sans qu'il s'en rende compte, de points d'ancrage et de référents pour ses nouvelles lectures.Certains maîtres évoquent le cas d'élèves de Grande section qui " refaisaient des liens " (avec des albums lus en petite section) et du bonheur que ces maîtres en éprouvaient. La question qui agite les enseignants est bien évidemment celle-ci : comment aider les jeunes lecteurs à tresser des liens entre les textes ? La lecture en réseau, organisée par l'enseignant, peut permettre aux élèves de prendre conscience de ces histoires, c'est-à-dire des relations que les livres entretiennent entre eux, et que les lecteurs peuvent établir entre ces livres qui se répondent et en appellent d'autres. La mise en évidence de ces liens favorise l'émergence de l'histoire des lectures de chacun et alimente les parcours singuliers des lecteurs. La notion de réseau doit en effet être pensée, non comme une addition de lectures, mais comme un dispositif heuristique qui vise un triple objectif :

le réseau vise à développer une posture spécifique de lecteur, comme l'a rappelé Catherine Tauveron en citant Michel de Certeau, lecteur braconnier qui met en relation et tisse.

le réseau cherche à accroître et à structurer la culture du jeune lecteur : il est donc un objet d'enseignement. Sans culture, il n'est pas de lecteur littéraire possible, l'acte de lire nourrissant le fait de savoir lire.

le réseau aide à lire en éclairant des zones d'ombre dans un texte et en faisant découvrir des terres inconnues. On pourrait citer l'exemple d'élèves de deuxième cycle lisant et relisant Papa de Philippe Corentin et y prélevant à chaque fois de nouveaux indices, inventant de nouveaux tissages grâce à de nouvelles mises en résonances du texte : "Corentin, on le connaît de mieux en mieux et on sait bien qu'il cherche à nous tromper ".

Quels réseaux ?

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Si le réseau est un instrument didactique qui n'aurait rien à voir avec un quelconque rapprochement spontané, la difficulté pour les enseignants et en particulier pour les jeunes maîtres réside dans la constitution des réseaux. Les mêmes questions reviennent sans cesse dans l'espace de la formation : quel réseau puis-je constituer ? Y a-t-il de bons ou de mauvais réseaux ? Dans quel réseau pourrait-on mettre tel ouvrage ?

Ces interrogations soulèvent à leur tour d'autres interrogations. Est en jeu la propre lecture de chaque enseignant et notamment la crainte de ne pas savoir suffisamment bien lire. Y aurait-il des différences entre la lecture de l'adulte ( formé à l'université) et un acte de lecture professionnelle fondée non plus seulement sur un savoir lire, interpréter, comprendre, mettre en relation, et une lecture à visée didactique , celle qui aurait pour objectif d'enseigner le lire? Nous y reviendrons. Nous sommes ainsi en plein paradoxe : en effet, il n'est pas impertinent de penser que certains réseaux sont plus mauvais que d'autres (ou plutôt moins efficaces que d'autres), à commencer par les réseaux thématiques. Dans le même temps, on peut difficilement soutenir l'idée que sa lecture propre est meilleure que celle d'un autre, et partant que son réseau est meilleur.

Le réseau de livres. Des livres organisés en réseaux, identifiés, rassemblés sous une même problématique afin de construire un savoir littéraire, thématique, culturel, transversal.

La constellation: un livre phare et sa constellation de textes qui : soit le complètent, le modifient, le détournent. : soit l'inscrivent dans un projet d'écriture ou de production et rassemble autour de ce texte phare des types de textes d'ouvrages en lien avec le projet.

le parcours de lecture: un texte en entraîne un autre puis un autre, dans une logique de lecture, de la réception, de l'acquisition d'un savoir.

Le réseau thématique?Concernant le thème, il paraît nécessaire de repérer le lieu commun qui se cache sous ce mot et de traquer les fausses évidences. Parler du thème revient à penser la littérature comme un embellissement du réel ou une ornementation. La littérature parlerait ainsi de la fuite du temps ou de l'amour. On voit combien un réseau constitué sur l'un de ces thèmes ne serait pas de grande utilité pour la formation du lecteur - car il pourrait embrasser presque tous les textes. Et pourtant tout se passe comme si nous n'en avions jamais fini avec le thème : chassé par la porte, il revient par la fenêtre et …au galop. Le rapprochement thématique est probablement ce qu'on convoque en premier, et c'est peut-être aussi ce qu'au bout du compte on construit. Si l'on examine dans la lecture la part qui revient au texte et celle dévolue au lecteur, le thème (re)devient tout à fait noble. Il ne s'agirait plus de penser le thème comme " ce dont parle le texte ", mais comme une conception du lecteur, un lecteur qui dans une démarche interprétative thématiserait en quelque sorte le texte (ainsi Yakouba parlerait pour certains du pacifisme, pour d'autres de l'honneur . Il y aurait par ailleurs une erreur fondamentale à vouloir extraire des thèmes de la littérature : la littérature nous parle sans cesse de la vie, de la mort, de la liberté et où les élèves font partie de cette humanité dont il est question. Pourtant, bon nombre de réseaux strictement thématiques (qui rappellent tant une certaine pédagogie "fourre-tout" - par thème justement) conduisent souvent les maîtres à des impasses. Je prendrai pour exemple une jeune stagiaire démunie face à " son réseau " sur les animaux de la ferme : " J'ai fait la poule, j'ai fait le cochon, j'ai fait le lapin et maintenant je fais quoi ? " et qui ne savait plus comment intéresser ses jeunes élèves de grande section. La réponse vient souvent des élèves eux-mêmes, et ce sont eux en l'occurrence qui ont fait sentir à la maîtresse que le réseau proposé n'était pas pertinent.

Des précautions d'usageEntre rapprochement spontané, subjectif et formalisme excessif, le réseau peut devenir la pire des horreurs pédagogiques. Il ne faudrait pas avoir échappé à une polarisation sur la compréhension pour entrer dans une nouvelle obsession : celle du réseau. Il importe avant tout de ne pas oublier l'élève, jeune lecteur singulier qui a besoin de temps, qui vit et lit dans un temps donné. Le moment de la lecture est toujours inscrit dans un temps et le réseau n'est qu'un ordre possible, significatif, une construction historique et donc modifiable. Si les motifs de constitution des réseaux sont déterminables en fonction d'objectifs, ils ne sont jamais finis. Chaque nouveau texte lu réinterroge le réseau, chaque nouvelle lecture le déstabilise et à son tour réinterroge la lecture. Le réseau ne peut donc se penser que dans la durée et comme indéfiniment provisoire. Il convient également de rappeler que la seule démarche pertinente est de lire les textes : trop de jeunes maîtres pensent le réseau avant le texte et peuvent ainsi chercher à constituer des réseaux à partir de titres. Enfin, la résonance spontanée est toujours momentanément une bonne réponse ; les réflexions du type " ce texte me fait penser à …" peuvent ouvrir des pistes intéressantes. Mais la question cent fois posée aux formateurs " Ce texte, de quoi pourrait-on le rapprocher ? ", si elle est fondamentalement légitime, présente un risque majeur : elle laisse supposer que l'on peut dire comment il faut lire les textes. Les formateurs et les chercheurs proposent des réseaux et se risquent à des interprétations, ce qui ne doit pas empêcher de revendiquer les tâtonnements pour les maîtres comme ensuite (mais pas au même moment) pour tous les élèves. Et s'il n'y a pas de bons et de

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mauvais réseaux, il importe de se rendre compte que certains réseaux induisent ou produisent certains effets de lecture alors que d'autres conduiront à des lectures différentes, voire même à des impasses. Organiser la mise en réseauxLes entrées que l'on choisira pour mettre en relation des ouvrages doivent pouvoir aider les élèves dans leur compréhension des œuvres et dans leur mise en perspective littéraire. ·        Sur le plan littéraireToutes les instances du récit de fiction (personnages, lieux, temps ..), les notions de forme littéraire, de genre, de tonalité, d'univers d'un auteur, peuvent être questionnées grâce à des parcours organisés de lectures.À partir de quelques livres choisis en conséquence, les élèves cerneront par exemple l'archétype du loup; ils découvriront qu'un même type de personnage peut endosser des rôles différents et que son statut dans les histoires (méchant/ bon, naïf/rusé ...) a une incidence sur les dynamiques ou les tonalités des récits; ils s'interrogeront sur la raison d'être d'animaux anthropomorphes dans les albums et en confronteront les sens induits.Si au cycle 2, on établit des liens entre des récits qui se passent dans un même type de lieu et ce que ce lieu peut avoir comme influence sur les relations entre les personnages, au cycle 3, en partant par exemple de L'île du Monstril , on évoquera la symbolique liée à un type de lieu, l'île, et on établira la relation avec des robinsonnades classiques.La mise en relation de John Chatterton détective , de La reine des fourmis a disparu et de Touchez pas au roquefort ! , conduira à une approche de la notion de genre, policier en l'occurrence, ou fera découvrir les liens explicites avec d'autres œuvres (intertextualité) et le sens qui est ainsi programmé par l'auteur.·        Sur le plan visuelLes techniques d'illustration et leurs utilisations spécifiques qui font le style des illustrateurs, font également sens et participent par exemple à la mise en place de la tonalité du récit. Comparer des représentations de forêts conduit à constater qu'un même lieu peut se charger d'un sens différent. Certains illustrateurs citent explicitement des peintres tels que Magritte et Van Gogh : les mettre en relation, c'est s'interroger sur la fonction de ces citations dans l'album, ou dans la mise en place de leur univers. ·        Sur le plan des valeursLa mise en réseau des œuvres suscite également des débats d'interprétation. Ainsi la lecture de L'île aux lapins [5] conduira-t-elle avec la lecture de Remue-ménage chez Madame K [6] et d'autres encore à un débat sur les conceptions de la liberté. Développer un comportement culturelLa mise en réseau est un travail de confrontation et de comparaison, d'élucidation des convergences et des divergences, des incidences qu'elles peuvent avoir sur la réception de l'œuvre par le lecteur. Elle aide à comprendre, à interpréter, à trouver des liens de sens entre les livres, à les inscrire dans une histoire littéraire ou graphique. Elle conduit le jeune lecteur à donner du liant à ses lectures personnelles en établissant peu à peu lui-même les connexions d'un album à l'autre. Elle est le fondement d'une lecture distanciée d'appréciation, donc d'un comportement culturel autonome. Pour reprendre brièvement Genette, c'est parce que tout texte littéraire s'inscrit toujours dans d'autres textes qu'il réagence ou avec lesquels il entretient une sorte de dialogue que le réseau s'impose comme une évidence. C'est lui qui va mettre en évidence qu'une part de la cohérence du texte littéraire provient des relations qu'il entretient avec d'autres textes. Constitutif d'une conception interprétative, le réseau est donc également un outil au service de la formation du lecteur littéraire.

5)  GUIDE METHODOLOGIQUE POUR FABRIQUER UN RESEAU

1-Dénommer le réseau: annoncer le topos principal de cette mise en réseau - autour d’un genre; - autour d’un type de texte; - autour d’un auteur;

- autour d’un thème problématique; - autour d’un type de personnage; - autour d’une époque...

2- Niveau concerné: cycle et niveau dans le cycleOn peut prévoir des livres différents adaptés à divers niveaux

3- Objectifs d’apprentissage:-les énoncer en termes de savoirs / savoir-faire / savoir-être;-situer le réseau dans les objectifs de l’année (avant quoi? après quoi? en liaison avec quoi?)

4- Liste de livres: - par ordre chronologique;

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- par degré de facilité; - etc.Indiquer les documents annexés

5- Durée du réseau: mention du temps prévu (entrée dans le réseau- vie du réseau, évaluation)

6- Activités annexées: -production de textes, d'images, d'outils multimédias etc. - groupements de texte

- lectures commentées d’extraits; - construction d’outils d’analyse;

- conceptualisation.

7- Elaboration d’outils de lecture et d’écriture adaptés et choix d’outils d’analyse pertinents en fonction du réseau.

8- Faire apparaître clairement les éléments de comparaisons à dégager

9- Evaluation permettant :-d’apprécier le niveau de maîtrise des objectifs visés; -de faire le bilan des acquis méthodologiques, culturels et personnels.

6) Un réseau : Lire la langue

Au cycle 3 mais aussi en classes de 6ème et de 5ème, les élèves ont besoin d’apprendre à se concentrer sur une tâche. Leur habitude de zapping permanent les met dans l’impatience de comprendre très vite, de comprendre

avant d’avoir lu, avant de savoir exactement. D’où ces erreurs d’interprétation que le professeur constate quand il essaie de vérifier la compréhension des textes lus en classe ou à la maison ; d’où ce constat qu’ils ne sont pas allés jusqu’au bout de leur lecture, qu’ils n’ont pas lu, vu, ni compris la fin d’un récit. En conséquence, l’effort intellectuel qui consiste, quand on fait de la grammaire ou de l’orthographe à objectiver la langue -c’est-à-dire à poser, observer les faits langagiers, sa façon de parler ou d’écrire comme celle des autres- se révèle très difficile,

voire impossible.L’objectif des activités suivantes vise à travailler avec les élèves, quels qu’ils soient et même si ce sont d’excellents élèves, une forme d’attention à la chose écrite. Et pour que l’élève risque de se faire plus attentif, il faudrait que l’écrit le surprenne, casse la chaîne logique de ce à quoi il s’attend, de ce qui tombe sous le sens -le sens commun s’entend ; il faut que l’écrit joue avec la forme (le dessin, l’alphabet, la calligraphie), avec les sons (homophones, polyphonie en harmonie ou en cacophonie) et avec le sens (antonymes, paronymes, polysémie avec sens dit « propre » ou « figuré ») ; il faut que l’écrit retrouve une connivence avec les légendes qui donnent au diable le pouvoir de faire sortir la langue et les mots de la bouche et de la tête d’un personnage, les faisant apparaître et disparaître au gré de l’alternance des prépositions avec ou sans.L’enseignant trouve des supports extraordinaires auprès d’écrivains de la littérature de jeunesse, comme Pef qui invente et réinvente la langue, matériau idéal que l’on peut tordre et distordre à l’envi ; comme tous les écrivains qui s’interrogent sur le langage et sur le sens de leur métier quand se dressent les barrières des interdits et des censures. Il en trouve aussi dans de superbes albums qui, s’adressant aux tout petits, usent et abusent des interférences et de l’interaction entre images et mots.

Le petit Motordu Pef , Folio benjamin.

Lecture cursive .. et bien sûr, on peut faire inventer par les élèves l’événement qui a permis au petit Motordu de devenir le digne héritier de son père. ( texte lacunaire)

Le petit Motordu Pef , Folio benjamin.

En ce temps-là, le petit Motordu n'était pas encore le célèbre prince de Motordu qu'il allait devenir. Ses parents , la comtesse Carreau -Ligne de Motordu et son mari, le duc S.Thomas de Motordu l'aimaient bien sûr de tout leur cœur. . Dès que l'enfant fut en âge de marcher, on espéra qu'il allait rapidement nommer tout ce qui l'entourait. Mais le petit

Motordu ouvrait sur le monde de grands yeux étonnés et demeurait silencieux. Un jour comme son père lui tendait les bras, le jeune prince s'y précipita et l'embrassa jusque dans les moustaches. - Papa…!Le petit prince de Motordu parlait!Enfin!

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Son père fut très ému, évidemment, mais aussi quelque peu étonné.- Comment? - Papa! Répétait le bambin.- Brave petit! s'exclama le duc de Motordu.

Le langage est une chose toute nouvelle pour toi, il est donc normal que tu t'y perdes un peu.

Mais dans la famille de Motordu, on parle en mots tordus, On dit donc " tata" à son père et non "papa"!Et celui qui voulait se faire appeler "tata" reposa son fils par terre. - Papa! répéta l'enfant pour la troisième fois. - On dit" tata" , répliqua aussitôt le duc, et

non pas papa, pas papa!- Papapapapapa, s'amusa le petit Motordu.Alors le duc de Motordu, totalement découragé, s'éloigna la larme à l'œil, préférant s'en aller arroser les fleurs de son jardin. C'est là que le trouva son épouse Carreau-Ligne, de retour des commissions.- Mais mon chéri, vous avez l'alarme à l'œil! Qui vous a volé votre bonne humeur:- C'est notre fils, soupira le jeune père, il n'a

pas l'air normal. - Il est salade? s'inquiéta la maman. Lui avez

vous pris sa fève? Le duc hocha la tête- Ah c'est la fin des haricots et je…Mais déjà, la mère du petit Motordu était auprès de son fils qui cherchait son père en faisant un bruit bizarre avec sa bouche:- Papa?Le cœur de la comtesse se serra douloureusement mais elle n'en laissa rien paraître. - Mon tendre amour regarde ce que je t'ai

apporté du marché. L'enfant souleva le couvercle de la boîte et en tira un magnifique….

- Chapeau! s'exclama-t-il. - Ah non! rectifia sa mère, je t'ai offert un

château. Ainsi ta tête sera-t-elle à l'abri du méchant soleil et de la méchante pluie.

- Chapeau! Chapeau! s'obstina l'enfant.Les parents du petit prince de Motordu attendirent que l'enfant soit ben endormi pour discuter de ce grave problème.Le duc se lamentait:- Notre fils à nous, les Motordu, ne parle pas

tordu! Ce n'est pas, normal, quel malheur!- La comtesse essaya de le consoler:- Il va peut-être faire des progrès, et tout va

s'arranger, espérons le! Mais le duc n'était pas convaincu.

- Tout de même, mettre un chapeau sur sa tête, c'est grave! Mon fils n'est pas notre fils!

Carreau-Ligne lui tapota la main:- Allons, votre mauvais sang me fait

beaucoup de veine!Mais le duc , déjà, pensait à l'avenir:- Ce petit ne prendra aucun plaisir à

appendre par peur la fable du corbeau et du renard!

- Alors que la table du corps gros et de gros lard, quelle rigolade! pouffa la comtesse.

Le lendemain, les parents emmenèrent le petit prince en promenade.- Mon chéri, regarde ces boules dans le pré,

dit maman. Elles sont drôlement polies, elle roulent, roulent pour que le oeufs de toutes ces boules soient bien ronds, bien doux, bien polis

- Jolies Poules ! cria l'enfant.- Polies boules! cria plus fort le père en

secouant la poulette pliante qui transportait son fils.

- Jolies poules!- Crotte, crotte, colère! hurla le duc.

Le retour à la maison s'effectua rapidement.

- Mais on ne lui a pas encore montré les cheveux, les bâches et les cafards, protestait la comtesse!

- Les chevaux, les vaches et les canards! corrigeait son fils.

Le duc se désolait encore.- Si au moins, il disait les meuh-meuh et les

coin-coin, il y aurait un peu d'espoir! Mais c'est à croire que notre fils ne voit pas les mêmes choses que nous. S'il ne devient pas rapidement tordu, sa vie sera un enfer.

Alors le lendemain les pauvres parents du petit Motordu enfermèrent celui-ci dans une chambre qu'il avaient à moitié remplie de chapeaux de toutes les formes, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. - Ah, tu veux des chapeaux rugit le père, eh

bien, en voilà. J'espère que tu en auras une indigestion, mauvais fils!.

Et le duc et la comtesse de Motordu refermèrent la chambre de leur fils. Puis ils montèrent sur un bateau à carreaux blancs et noirs et entamèrent une partie de rames. Mais le cœur n'y était pas et ils retournèrent près de leur jeune enfant, devant l'entrée de leur chambre.- Tu peux sortir, annoncèrent-ils enfin, c'est

ouvert.- Non c'est tout bleu, fit une petite voix

derrière la porte.

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Les parents sursautèrent. Avaient-ils bien entendu? - Tu peux répéter? supplia la mère qui n'en

croyait pas ses oreilles. C'est fermé ou c'est ouvert?

- Non maman, c'est tout bleu.De bonheur les parents faillirent défoncer le porte. Dans la chambre, le petit prince de Motordu avait réalisé un extraordinaire échafaudage de chapeaux. Tendant le bras en direction de la fragile construction, il la nomma ainsi:- Château! Château!Le duc faillit s'évanouir.- Mon fils, ma chair , mon sang. Je le savais

, tu es tordu, tu es sauvé!

Depuis ce jour mémorable, le petit Motordu connut une enfance normale, digne de sa famille. Tout naturellement il chassait les perles du jardin pour mieux les entendre siffler. Il menait au pré son petit troupeau de bâches ou de boutons et fredonnait:- " Le bon roi Dagobert a pris l'autoroute à

l'envers…"Mais pour fêter l'arrivée de son fils dans le monde des tordus, sa maman prit soin de confectionner ce fameux chapeau-château qui ne devait plus jamais quitter la tête du prince de Motordu !

Façons de parler. Bernard Friot

Papa, il est prof de français…Oh, pardon : mon père enseigne la langue et la littérature françaises. C’est pas marrant tous les jours ! Je veux dire : parfois, la profession de mon père est pour moi cause de certains désagréments. L’autre jour , par exemple. En sciant du bois, je me suis coupé le pouce. Profond  ! J’ai couru trouver papa qui lisait dans le salon. - Papa, papa ! Va vite chercher un pansement, je pisse le sang ! ai-je hurlé en tendant mon doigt blessé. - Je te prie de bien vouloir t’exprimer correctement, a répondu mon père sans même lever le nez de son livre. - Très cher père, ai-je corrigé, je me suis entaillé le pouce et le sang s'écoule abondamment de la plaie! - Voilà un exposé des faits clair et précis, a déclaré papa.- Mais grouille-toi, ça fait vachement mal! ai-je lâché, n'y tenant plus - Luc je ne comprends pas ce langage, a répliqué papa, insensible. - La douleur est intolérable, ai-je traduit, je te serais donc extrêmement reconnaissant de bien m’accorder sans délai les soins nécessaires.- Ah, voilà qui est mieux, a commenté papa satisfait. Examinons d’un peu plus près cette égratignure. Il a baissé son livre et m’a aperçu, grimaçant de douleur et serrant mon pouce sanguinolent.- Mais t’es cinglé ou quoi ? a-t-il hurlé, furieux. Veux-tu foutre le camp , tu pisses le sang ! Tu as dégueulassé la moquette ! File à la salle de bains et démerde-toi ! Je ne veux pas voir cette boucherie !- J’ai failli répondre : «  Très cher papa, votre façon de parler m’est complètement étrangère. Je vous saurais gré de bien vouloir vous exprimer en français.» Mais j’ai préféré ne rien dire. De toute façon, j’avais parfaitement compris. Je suis doué pour les langues , moi.

Façons de parler.

Le supermarché des motsMarcello Argilli

A) Avant le texte1) Voici le début d'une histoire.

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- Attention, Daniel, choisis-les bien, lui dit son père. Tous les samedis tu en achètes cent, et pourtant il ne me semble pas que tu fasses des progrès. Souviens-toi que plus tu en as, plus tu auras du succès dans la vie. - Oui papa, marmonna Daniel, en sortant pour se rendre au.....

2) De quoi parle le papa de Daniel? Des livres? non, il ne pourrait pas en lire cent en une semaine.Des encyclopédies? encore moins!Des bonbons? ça ne sert pas à progresser!Des cahiers, des crayons, des gommes? pourquoi autant?Des documents? pourquoi pas , mais où les stocker? Des définitions? Voilà une bonne idée. En fait Daniel va au supermarché des mots. Il pourrait aller dans des magasins qui pourraient s'appeler:"Au clair mot, Aux mots pas chers, Morama, La halle aux mots, Mot chant, mots en stock."

Le supermarché des mots.Texte « manipulé »

- Attention, Daniel, choisis-les bien, lui dit son père. Tous les samedis tu en achètes cent, et pourtant il ne me semble pas que tu fasses des progrès. Souviens-toi que plus tu en as, plus tu auras du succès dans la vie.- Oui papa, marmonna Daniel, en sortant pour se rendre au supermarché des mots. Il y allait tous les samedis, quand ses parents lui donnaient son argent de poche. Cet argent, il ne le gaspillait pas en chewing-gums, en glaces, en illustrés, en parties de flipper, il le dépensait tout là. Dans son pays, en effet, les mots s’achetaient : on ne pouvait utiliser que ceux qu’on avait achetés. On les trouvait tous au supermarché comme dans le dictionnaire, répartis dans les divers rayons selon les genres. A la disposition des acheteurs, il y avait des vendeurs très compétents, tous maîtres et maîtresses d’école diplômés, capables de donner n’importe quel conseil. Dès son entrée, Daniel se retrouva dans un rayon où était diffusée en sourdine de la musique classique : c’était celui des mots rares, fréquenté surtout par des poètes et des écrivains, qui farfouillaient dans les étagères, en quête de termes élégants et raffinés comme :

Mais pensez voir si Daniel allait gaspiller ses sous pour des mots pareils. Poursuivant son chemin, il traversa un rayon décoré en rose, celui des adjectifs destinés aux compliments amoureux. Un jeune homme s’adressant à une maîtresse-vendeuse, était en train de murmurer, timide et embarrassé :

- J’en voudrais une douzaine…- A qui as-tu l’intention de les dire ? demanda la maîtresse-vendeuse.- Heu…. Voilà…. Je voudrais les… je devrais les dire à…Le jeune homme rougit.- J’ai compris. Que penses-tu de ces

adjectifs :

? Mais si tu me décris comment est ta bien-aimée, je pourrai te conseiller avec plus de précision. Si elle est blonde je te proposerai

Daniel eut un petit sourire de compassion : il trouvait ridicule d’employer de tels adjectifs. Il arriva à un rayon où les étagères étaient pleines à craquer de verbes. Garçons et filles s’y approvisionnaient selon leur tempérament : les plus aventuriers achetaient des verbes comme :

D’autres au contraire préféraient des verbes comme :

Des adultes en costume strict et cravate, en revanche, choisissaient plutôt

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Daniel n’était pas non plus intéressé par les verbes, et moins encore par les mots du rayon voisin, où la radio diffusait des marches militaires et des musiques de films de guerre et de supermen. Là, les clients étaient presque tous des jeunes portant des blousons de cuir, des ceinturons à grosses boucles métalliques et des bottes de « marine » américain. C’était le rayon des mots agressifs, et sur les étagères on trouvait des mots comme :

Seuls des maniaques, pensa Daniel, pouvaient faire des achats à ce rayon. Un rock endiablé provenait d’un rayon balayé de lumières de toutes les couleurs. Un maître-vendeur, en jean et tee-shirt portant l’inscription N.Y.Columbus University, parlait au micro avec l’accent exotique de certains disc-jockeys.- Come on, boys ! disait-il . Mots américains garantis d’origine, fraîchement arrivés des United States. Si vous tenez à être OK., approvisionnez-vous ici ! A ce rayon on vendait des mots comme :

On se les arrachait, et les clients, garçons et filles, poussaient tous les trois secondes de retentissants O.K. qui se mélangeaient au chewing-gum qu’ils mastiquaient.- Quels crétins ! murmura Daniel en s’éloignant. Tandis qu’il continuait à se balader à travers les rayons, il fut abordé par une maîtresse-vendeuse.- Puis-je t’aider ? lui demanda-t-elle gentiment. Quel genre de mots cherches-tu ? - T’occupe, c’est pas tes oignons, fiche-moi la paix, ronchonna Daniel.- Je comprends, répondit la vendeuse sans s’étonner. Dernier rayon au fond à droite. Mais le renseignement était superflu : ce rayon là, Daniel le connaissait comme sa

poche. Il aurait pu le trouver les yeux fermés, car il le fréquentait assidûment chaque semaine. Comme d’habitude, il y avait foule, surtout des garçons. Tout d’abord il vérifia qu’il y avait de nouveaux arrivages, puis il se mit à faire son choix, farfouillant méticuleusement dans toutes les étagères. Il prit son temps, essayant les mots un à un. Il en savait un bout dans ce domaine : pensez donc, c’était le rayon des gros mots. Il en choisit vingt, de véritables chefs-d’œuvre. Ils coûtaient très cher et, quand il les eut payés, il ne lui restait plus beaucoup d’argent pour les quatre-vingts autres qu’il devait acheter, mais cela ne l’inquiéta pas. Comme d’habitude, il les prendrait au rayon où l’on vendait les plus économiques, celui des mots faux, plein de fautes d’orthographe et de prononciation. Ils étaient tous en solde, et pour quelques francs on pouvait en avoir des kilos. Des mots du genre : médessin, chossettes, orlogerie, bijous, cordonier, septambre, profeseure, aréoport, girafle, enrevoir, sans parler de tout un assortiment de verbes comme vous faisez, il courit, ils rompèrent, tu mouriras, il est été, il tombat, il s’a cassé… Certes, des mots pareils ça faisait mauvais effet à l’école et les enseignants vous flanquaient des zéros à tour de bras, mais Daniel s’en fichait. Ce qui lui importait c’était la considération de ses copains : en effet personne ne connaissait autant de gros mots que lui. Chaque fois qu’il faisait étalage de son répertoire, ils restaient tous bouche bée. Tandis qu’il rentrait à la maison, il se souvint que ses parents l’attendaient avec impatience pour lui demander quels mots il avait achetés, s’il avait bien choisi les plus beaux, les plus utiles…- Merde, pensa-t-il, mes vieux vont encore me les casser ! Mais il retrouva sa bonne humeur en pensant à ses copains :- P…., lundi, dans ce foutu bahut, la gueule qu’ils vont tirer, les mecs ! Ils vont tous en crever d’envie, ces c… .

Marcello Argilli

Travail d’analyse.

1 Le texte est troué… Dans les cadres indiqués, trouve les mots qui manquent. Attention, relis bien ce qui précède !

2 Peux tu expliquer comment les mots sont rangés dans le supermarché ? Est-il possible de faire d’autres classements ?

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3 Invente toi-même un rayon de ce supermarché. Quels mots y mettrais-tu ? Comment seraient-ils rangés ?

4 Sur ton classeur dessine le plan du «  supermarché des mots » Pour ce faire, relis le texte en entier.

5 Dans la galerie marchande de ce supermarché, il existe un «  réparateur de mots cassés ». Il a beaucoup de travail, aide-le à réparer les « mots fautifs » que tu peux trouver dans le texte.

6 Hélas, ce réparateur ne peut supprimer ni les gros mots, ni les insultes. Il ne peut que les maquiller, les arranger pour les rendre plus jolis. Par exemple, il a maquillé l’expression de Daniel- Merde, pensa-t-il, mes vieux vont encore me les casser ! en « Corne bleue de licorne, pensa-t-il, mes donneurs de leçons vont me friser les oreilles… » A toi de l’aider pour les autres gros mots. Essaie d’inventer quelque chose de poétique…et de drôle.

C) Et si on inventait notre supermarché de mots?

1) Inventons un nom à ce supermarché. Servons-nous des noms que nous connaissons.

U CHANT DU MOTLa vie Le mot

MotsmarchéBricomotsVêtimots

Les mousquetaires du vocabulaire

 2)  Nous avons reçu un prospectus sur l'Euro. Nous avons donc décidé de calculer les  nouveaux prix des mots que nous allons vendre:

- Je vends le mot "mirifique" pour 1 centime d'Euro parce que ce mot est beau à entendre. J'en connais d'autres que je vendrais au même prix: merveille, féerie, tendresse..Je le vendrais si peu cher pour qu'il ne soit pas réservé aux  poètes. Imaginez une classe où les enfants utiliseraient ces mots: Dans les salles, les élèves diraient des poèmes et raconteraient des contes. Ils ne se disputeraient plus et dessineraient sur les murs de beaux paysages. … Les professeurs ne crieraient plus, ne donneraient plus de devoirs. Ils raconteraient des tas d'histoires. On s'amuserait. Je le vendrais enfin pour que tout le monde puisse acquérir du vocabulaire pour pas cher. - Je vends mon plus beau  gros mot pour 400€, parce que les gros mots empêchent de grandir, qu'ils abîment les oreilles et qu'il y en a trop. Par contre je donne pour 1 centime d'Euro les jolies insultes que j'ai inventées: espèce de tables à oreilles, de soleil en poudre… - Je vends le vocabulaire informatique pour 1 €, parce que tout le monde doit pouvoir utiliser l'ordinateur et que c'est maintenant nécessaire de bien s'y connaître en informatique.

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- Je vends le mot "guerre" pour 500 000 000 000 000 000 € parce que c'est un mot qui apporte la mort, qui tue la famille  et qui ne sert à rien qu'à faire du mal. - Je vends le mot " famille" pour un Euro, parce que la famille c'est l'amour, la tendresse et la douceur.  Je le vends pas cher pour que ceux qui n' ont pas de famille puissent en acheter.

Le coupeur de motsHans Joachim Schädlich

Voici un texte qui pose la langue, la grammaire, comme espace de liberté. Si on nous coupe la langue, si nous ne la partageons pas, nous devenons des êtres manipulés, perdus. Sasn possibilité d’échanger avec l’autre.

Avant la lecture :a) Écrire le titre sur une demie feuille.  « Vous avez là un titre de roman. A vous d’illustrer ce que ce titre vous évoque.. Ensuite vous imaginerez une quatrième de couverture qui résumerait l’histoire que votre dessin pourrait illustrer. »b) Donner ensuite la vraie couverture. Quel autre scénario cette couverture propose-t-elle ? »

Première partie. Le réveil et le départ à l’école.a) Lire le texte avec les élèves. (traces de lecture)Proposer, pendant la relecture de ce début un peu complexe, de faire deux dessins : L’itinéraire de la maison à l’école vu par la mère, vu par Paul.b) Ensuite demander de faire la même chose pour leur propre itinéraire ( de la maison au collège): Une vision « normale » des choses, une vision poétique ou imaginaire de cet itinéraire c) Écriture : A partir de votre «  plan poétique » choisissez une maison qui vous a fait rêver et décrivez la.Ecriture à partir d’un schéma simple : Tous les jours je passe devant ( nom de la maison et description rapide….. ) Peut-être que ( que se passe-t-il à l’intérieur, ses habitants etc…)

Tous les jours je passe près d'une maison prison. Elle est entourée de grilles qui montent jusqu'au ciel. Peut-être que les habitants de cette maison dont eux-mêmes des prisonniers et qu'ils cassent des cailloux.

Tous les jours je passe près d'une maison à longs poils. Il y a toujours un gros chien qui aboie dans son jardin. Peut-être que, à l'intérieur, les lits sont des niches, les assiettes des gamelles.. Peut-être qu'on y mange des croquettes.

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Tous les jours je passe près d'une maison chanteuse. Plein d'enfants y chantent tout le temps. Peut-être qu'il y a un professeur de chant. Peut-être aussi que les tables sont assemblées en notes de musique.

Deuxième partie : la rencontre avec le coupeur de mots.

* Passages effacés ( encadrés) dans le texte : Ici les mots grammaticaux sont enlevés. Aux élèves de les retrouver.* Les images remplacent les lacunes du texte. Les élèves doivent remplir ces lacunes en parlant comme le héros de la nouvelle. * Enfin…  « l’exercice final » est à faire en groupe.

Le coupeur de mots , Hans Joachim Schädlich

Le lundi, le mardi, le mercredi. le jeudi, le vendredi et le samedi, à six heures trente précises, le gros réveil sonne si fort, juste à l'oreille de Paul, que Paul croit rêver d'un gros réveil qui sonnerait très fort, juste à son oreille. Mais comme c'est un rêve, ou que tout au moins Paul le croit, il se tourne de l'autre côté pour se rendormir. Mais comme le réveil sonnait si fort dans le rêve de Paul que Paul s'est éveillé, Paul s'éveille, se retourne et regarde à six heures trente précises le gros réveil qui vient juste de sonner. Ce réveil ne sonne décidément pas, se dit Paul, j'ai donc bien rêvé.

Qu'est-ce que Paul devrait faire ? se demande Paul. Il réfléchit un moment, puis ça lui revient : s'asseoir dans son lit, repousser la couverture, poser les pieds par terre. Ouh ! Quel froid ! Paul se recouvre jusqu'au menton. Sinon, pas un bruit. A moins que ? Non, pas un bruit. Paul ferme les yeux et se dit : le sommeil

qui vient après le réveil est le meilleur sommeil.

C'est alors que la porte s'ouvre; la maman de Paul crie d'une voix bien trop forte : « Debout, Paul ! » Elle allume une lumière bien trop éblouissante. La voix bien trop forte de la maman de Paul et cette lumière bien trop éblouissante, c'en est trop pour Paul ! Finis le lit chaud et le meilleur sommeil après le réveil.

Paul s'assied dans son lit, repousse la couverture et pose les pieds par terre. Ouh ! Encore plus froid que Paul ne l'avait pensé.

Quand il fait froid, le matin, Paul inverse toujours l'ordre des opérations : il commence par s'habiller, puis il se lave.

Le petit déjeuner de Paul ne prend pas plus de cinq minutes. Paul n'est pourtant pas pressé d'aller à l'école.

Sur le chemin de l'école, il y a toujours quelque chose à voir. Et pourquoi Paul ne regarderait-il pas lorsqu'il y a quelque chose à

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voir ? Plus d'une fois, déjà, Paul est arrivé en retard parce qu'il avait regardé ce qu'il y avait à voir. Dans ces cas-là, il dit qu'il s'est rendormi. Un jour, il a dit qu'il y avait eu trop de choses à voir en chemin. Mais lorsque le maître lui a demandé ce que c'était, Paul n'a plus eu envie de raconter. Alors le maître a décrété que c'était une mauvaise excuse de la part de Paul, parce que Paul ne voulait pas avouer qu'il s'était rendormi. Depuis ce jour, Paul prend le chemin de l'école à sept heures précises. Et la maman de Paul demande tous les matins : « Pourquoi pars-tu si tôt, Paul ? » Mais elle ne s'étonne pas outre mesure. Elle sait qu'il lui faut toujours beaucoup de temps. Par conséquent, elle trouve finalement que Paul a raison de partir si tôt.

La première chose que voit Paul est un arbre blanc géant qui flotte dans le ciel au-dessus de la tête de Paul. Un arbre-du-ciel qui flotte, se dit Paul. Un arbre géant, blanc. Un arbre blanc, géant. Un géant du ciel, un arbre blanc. Un arbre géant, blanc, dans le ciel. Au bout de sept pas — Paul va très lentement —,l'arbre est un éléphant. Six pas plus loin, l'éléphant est une locomotive. Cinq pas plus loin, la locomotive est un lit. Le vent fait du nuage ce qu'il veut : arbre-nuage, éléphant-nuage, locomotive-nuage, lit-nuage.

Paul, qui se sent encore fatigué, s'assiérait bien sur le dos de l'éléphant-nuage qui le mènerait confortablement à l'école. Il aimerait encore mieux s'allonger dans le lit-nuage. Il ne dormirait pas, c'est sûr, il ne ferait que somnoler. Les minces lambeaux de nuages qui s'effilochent et s'entremêlent autour du lit-nuage ressemblent à de la choucroute. De temps en temps, Paul prendrait bien une portion de choucroute dans le bleu du ciel.

Paul est arrivé à l'arrêt du tram. Un tramway, certes, ce n'est pas une locomotive-nuage, mais ce n'est quand même pas rien. Paul se poste derrière le conducteur et le regarde actionner la sonnette puis démarrer.

En fait, Paul n'aime pas cette sonnette. Elle lui rappelle que le temps passe et que l'école va commencer. Les passagers se bousculent; il faut que Paul fasse bien attention de ne pas être emporté dans cette bousculade. Un vieux monsieur dit à un autre monsieur, plus jeune : « Tous les matins, je prends ce tramway, et tous les matins c'est le même cirque. On te secoue, on te cahote à te faire passer les derniers restes de fatigue si jamais tu étais encore fatigué ! » Le tramway secoue et cahote en poursuivant sa route, mais Paul n'écoute pas plus longtemps l'entretien matinal des deux hommes. Il s'aperçoit qu'il commence à

pleuvoir.Des paquets de pluie s'écrasent sur le tramway comme des vagues qui, de la hauteur d'une maison , s'écraseraient sur un navire. L'eau frappe contre les vitres et ruisselle à torrents sur ces vitres: Paul se voit tout entouré d'eau. Le tramway chemine à côté d'un camion de charbon, qui fraie péniblement sa voie sur la chaussée inondée. Peu avant d'arriver à l'école, les rails sont si bossus et tordus que le tramway-navire tangue et rechigne. Le capitaine réduit le régime de moitié. Le cargo de charbon se faufile devant le tramway-bateau. Derrière le tramway-bateau s'est glissée une voiture-canot vert grenouille qui veut obliquer sur la gauche dans un canal latéral. Personne n'a plus le droit de passer à côté du tramway-bateau, parce que le tramway s'arrête. Un autre tramway arrive en sens inverse, il croise le tramway de Paul. Entre ces deux tramways, il y a si peu d'espace que même Paul ne pourrait sans doute pas se faufiler.

Paul descend. L'école n'est plus très loin. Paul ferait bien un détour, mais il est déjà sept heures quarante. En plus, il pleut.

Alors Paul se presse.Après ses rencontres avec un éléphant-

nuage et un tramway-bateau, Paul ne s'étonne pas de voir surgir devant l'école un homme dont l'aspect couperait le souffle même à un garçon plus grand que Paul.

L'homme ouvre un grand parapluie vert, monte sur une caisse de bois qui ressemble à une valise et se met à chanter ! Mais ce n'est pas véritablement un chant. Paul croit entendre à la fois un corbeau, une planche de grenier et un ours. L'ours grogne, la planche craque et le corbeau croasse :

Reprends vos prépositionsAux meilleures conditions.

Enlève attributs en lots,contre salade de mots.

Vous débarrasse à prix fixede vos consonnes (sauf x).Cédez présents, imparfaits

contre vos devoirs tout faits.

Paul arrive juste à temps en classe. Aujourd'hui Paul a sciences nat', mathématiques, anglais,

français, français, anglais. Les cours sont comme tous les jours. Paul ne travaille pas plus qu'à l'habitude, il ne travaille pas moins non plus. Il attend plus impatiemment aujourd'hui la grande récréation pour discuter de

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l'entraînement avec tous les joueurs de son équipe de foot.

Les cours finis, Paul rentre vite à la maison. Il a oublié l'homme à la valise de bois et sa chanson. Paul a décidé de se débarrasser de ses devoirs de classe avant l'entraînement de foot. Paul allait juste ouvrir son cahier de français quand on sonne à la porte. Paul entrouvre un peu la porte et il en oublie de refermer la bouche ! L'homme à la valise de bois se tient sur le seuil.

- Je m'appelle Filolog, dit l'homme d'une voix grondante, craquante et croassante. J'ai une proposition à te faire, ajoute-t-il en tapant sur sa valise.

Paul répond :- Mes parents travaillent, reviens plutôt ce

soir, s'il te plaît !Mais l'homme poursuit : - Je me charge de tous tes devoirs de classe

pendant une semaine si tu me donnes toutes tes disons, par exemple, tes . Ce n'est pas grand-chose.

Paul réfléchit et réplique : - Mais comment est-ce que je te donnerais

mes et quoi que ce soit de ce genre ? Je ne les ai pas dans mon placard.

- Tu dis que tu me les donnes, un point c'est tout. Et bien sûr, je te fais un reçu.

Alors Paul se dit : « Toute une semaine sans devoirs à la maison... Et il me suffit de dire : "Je te donne mes et... et quoi ? Ah, oui, mes Si ce n'est que ça. »

Paul a décidé : - D'accord, je te donne mes et

mes . Il conduit l'homme jusqu'à sa chambre. Filolog pose son grand parapluie vert dans un coin, ouvre sa valise en bois et en sort un bloc-notes. Pendant qu'il rédige le reçu, Paul voit ce que contient la valise. Elle est remplie de petites boîtes en bois et chaque petite boîte porte une étiquette. Paul lit sur une étiquette le mot « pronoms » et un nom qu'il croit connaître. Paul se souvient que c'est celui d'un élève de la classe au-dessus, il se dit : « Je ne suis donc pas le seul.»

Filolog, assis au bureau de Paul, tend le reçu à Paul et s'attaque immédiatement à ses devoirs.

Paul fourre le reçu dans la poche de son pantalon et dit :

- Je vais stade.Filolog arbore un sourire satisfait.

Le soir la maman de Paul demande si Paul a fait devoirs.

- Oui, répond Paul.- Et qu'est-ce que tu as fait d'autre ?

demande la maman de Paul.- Oh, répond Paul, je suis allé entraînement

foot. Ensuite nous sommes allés marchand de glaces.

La maman de Paul fixe Paul avec de grands yeux, mais elle ne dit rien. Elle pense que Paul a sans doute encore inventé un nouveau jeu.

A propos de la pluie qu'il a reçue le matin même, Paul raconte :

- Pluie s'écrasait tramway, comme des vagues aussi hautes que maison.

La maman de Paul l'interrompt :- Tu ne vas quand même pas me raconter

que le tramway a été écrasé par la pluie !- Mais, je n'ai jamais dit ça ! rétorque Paul. C'est à l'école que les choses se gâtent

vraiment.Le professeur ( …)

(Ecris le dialogue entre Paul et le professeur…)

Au directeur qui passe dans le couloir pendant la récréation et veut savoir si le professeur est encore dans la classe, Paul répond:

- Non, il n'est pas classe.Le directeur en reste une seconde sans voix.

Dans son affolement, Paul oublie ce que dit le directeur. Ce n'est, en tout cas rien de très agréable.

Mais être dispensé de devoirs à la maison, Paul trouve quand même ça vraiment bien. Enfin, il peut faire ce qui lui plaît en sortant de l'école. Ce qu'il préfère c'est jouer au football. Mais il est tout seul. Les autres ne viennent au stade que lorsqu'ils ont terminé leurs devoirs. Qu'est-ce que Paul pourrait bien faire pendant ce temps ? Il s'allonge dans l'herbe et regarde le ciel. Paul s'ennuie.

Le lundi suivant, la semaine sans devoirs est écoulée. Paul revient de l'école et soupire déjà parce qu'il trouve qu'il aurait dû être libéré plus d'une semaine. Paul ne prend plus vraiment plaisir à regarder ce qu'il y a à voir, parce qu'il ne peut plus vraiment le raconter comme il faudrait. Il n'a pas non plus vraiment plaisir à parler. Ses camarades se moquent de lui, le professeur

pense qu'il fait de mauvaises plaisanteries, et le directeur se, fâche.

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« J'aurais dû exiger au moins deux semaines », se dit Paul, et il s'assied à son bureau.

C'est alors que la sonnette retentit; Filolog est sur le pas de la porte. Paul l'invite à entrer et dit :

- Il faut que tu me donnes encore une semaine.

- Bon, mais pas gratuitement, craque la planche de grenier.

- Qu'est-ce que tu veux en échange ?- Je veux toutes tes formes verbales, croasse

la voix.- Toutes mes formes verbales ? s'enquiert

Paul, effaré.- L'infinitif, tu peux le garder, ça m'est égal,

grogne l'homme. Paul réfléchit : « Après tout, l'infinitif suffit

peut-être. Et je pourrais aller me baigner tous les après-midi, en attendant que les autres viennent jouer au foot. En plus, cet après-midi, il y a un cirque!" - D'accord, répond Paul.

Filolog ouvre la valise, en sort une nouvelle petite boîte sur laquelle il inscrit " formes verbales" et, au dessus, le nom de Paul. Paul prend son reçu et part au cirque.

La représentation ti Le soir, à table, Paul veut à tout prix parler du cirque à ses parents.

( Paul raconte le spectacle. Aide-toi de l’image qui illustre ce moment)

Cette fois, Paul voit bien que ses parents sont très tristes.

Paul parti dans sa chambre, sa maman dit :-Au début, j'ai cru qu'il avait inventé un nouveau jeu. Mais ça n'a plus rien du jeu. Qu'est-ce qui peut bien lui arriver ? - Peut-être est-il malade ? s'interroge le père.La mère reprend : - Non, certainement pas. Je m'en serais aperçu. Il doit y avoir autre chose. Mais quoi ?-Attendons, répond le père. Il faut que nous

prenions patience.A l'école, Paul parle le moins possible. Ses

camarades sont là, attendant qu'il ouvre la bouche pour pouffer de rire. Ils sont persuadés que Paul a trouvé un truc pour se payer la tête du professeur . Seul Fritz, qui n'a jamais été l'ami de Paul, dit à Paul pendant la récréation:

- Etre petit bout, falloir aller maternelle. Ou rester jupe sa maman.

Pour finir, le professeur appelle Paul et se fâche.

- Si cela continue, nous allons te dire deux mots. Qu'est-ce que tu crois exactement? Tu peux imaginer que tu peux tout te permettre, hein? Ressaisis-toi, s'il te plaît et arrête tes sottises! Le troisième lundi, Paul dit à Filolog :- Je ne pouvoir plus rien faire tout seul. Tu ne devoir pas me laisser tomber maintenant.Filolog est content. Mais, bien sûr, il ne fait rien pour rien !Paul proteste :- Tu avoir déjà pris assez ! Mais Filolog reste intraitable.Pour finir, Paul cède :

- Alors, tu vouloir quoi ? Et Filolog répond :- De tous les mots qui commencent par deux consonnes, je demande la première des deux, ce n'est pas une affaire.Dès le lendemain, Paul mesure l'ampleur des dégâts.Au déjeuner, sa maman lui demande de faire les courses en sortant de l'école. Paul doit acheter une part de brie, des quenelles de brochet, deux grappes de chasselas, une frisée. En plus, sa mère a besoin d'un paquet de frites congelées pour accompagner les brochettes.- Tu veux que je te fasse une liste, ou est-ce que tu t'en souviendras ? interroge la maman de Paul. - Pas liste.A la sortie de l'école, Paul va à la petite épicerie du coin.La vendeuse lui demande : - Qu'est-ce qu'il te faut, Paul ?Paul débite d'un trait la commande de sa mère:

Écris ce que dit Paul à la commerçante.

La vendeuse, qui a entendu parler de ce qui arrive à Paul, répond en s'efforçant de garder son sérieux :- Je regrette, Paul, nous n'avons pas ça. Il faut que tu essaies ailleurs.

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Paul sort en trébuchant. Tout l'après-midi, il arpente les rues de la ville. Il s'apprête à renoncer, lorsqu'il aperçoit enfin Filolog sortant d'une maison. Filolog porte dans la main gauche son parapluie, dans la main droite sa valise en bois.- Filolog ! appelle Paul. Filolog se retourne et attend. A bout de souffle, Paul s'arrête devant Filolog et lance le plus vite qu'il peut :- Je vouloir tout reprendre !Mais Filolog se contente de lui éclater de rire au nez.-N'importe qui peut venir me dire ça, répond-il. Nous avons conclu un marché, sérieux, et basta! Ou bien est-ce que par hasard, je n'aurais pas fait tes devoirs?Paul est désespéré. Je te donner mes indiens, mes voitures et même mon racteur. Et mon ballon foot! dit PaulFilolog rit.- Je ne collectionne pas ce genre d'objets, réplique-t-il, mais j'ai une idée.Il ouvre sa valise et en tire une feuille de papier.- Je te rendrai tout, déclare-t-il, si tu trouves tout ce qui manque sur cette feuille. Tu as un jour de délai. Nous nous retrouverons ici même.Paul arrache le papier des mains de Filolog et rentre chez lui en courant. Sa maman est très en colère parce qu'il n'a pas fait les courses. Maintenant il faut qu'elle aille faire les commissions elle-même, alors qu'elle est fatiguée par son travail. Paul s'éclipse dans sa chambre et lit la page de Filolog. Et voilà ce qu'il lit :

Il y avoir une fois un homme randes oreilles. Homme aimer manger des choses rès étranges. Il rire tout seul et parfois aller romenade. II porter un costume ris. Ses vêtements être joliment rippés. Il s'arrêter chaque maison et tendre oreille. Il vouloir entendre enfants. Homme avoir toujours sa valise main, Souvent il rentrer une maison et discuter cachette des parents. Appartement homme être un désordre extraordinaire. De tous côtés, il y avoir des boites bois. Quelquefois yeux homme rétiller quand il rendre boîtes

et les jeter air. Boîtes atterrir rigidaire, ou atterrir lampe. Homme ne faire que rire. Homme sembler être rès négligent.

Soir il s'asseoir table et, nouveau, leurer rire. Souvent il lire ses raffitis haute voix. Cela n'avoir pas rande allure. Mais à minuit pile Homme avoir habitude sauter table en chanter.

"Ce que je veux, je l'auraiSi je l'ai, je le tordrai

mot à mot et trait pour traitchat mord chien, chien chat

mordrait"

De son côté Filolog, rentré chez lui entre-temps, fait des bonds autour de la table et lance ses petites boîtes en l'air en chantant:

Paul le folFol de Paul

Ses deux jambes il lui fallaitmais dans sa tête a pensé

Qu'avec une ça irait,Et l'autre il me l'a donnée. Ce que j'aurai il n'a pasCe que j'ai il n'aura pas

Filolog est si content du malheur des autres qu'il en devient écarlate. Il faut qu'il reprenne son souffle, il s'assied sur sa valise en bois, haletant : « ce que j'ai, il ne l'aura pas... »Paul n'en dort pas pendant la moitié de la nuit. Le lendemain, il demande à Bruno de l'aider. Ils se retrouvent chez Paul après la classe et Paul trahit son secret à Bruno.- Dis donc, mon vieux, tu as fait n'importe quoi !- Je savoir bien, répond Paul, mais que vouloir tu que je faire maintenant ?- Il faut que tu réapprennes tout ce que tu as donné à Filolog, répond Bruno.- Et comment ? demande Paul.-Tu cherches dans ta grammaire et dans ton dictionnaire.Phrase après phrase, Paul rétablit les choses. Il faut parfois que Bruno vienne à son secours. Ce n'est pas si facile que cela pour Bruno. Mais , ça l'est quand même plus, parce qu'il a tout dans sa tête. Paul doit au contraire se reporter constamment à sa grammaire ou a son dictionnaire.A la fin, la page est entièrement gribouillée:

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Paul a corrigé au feutre bleu et voilà le résultat.:

Écris ici la correction du devoir que Filolog a donné à Paul..

Bah! Le reste, paul ne veut plus en entendre parler.

Il se fait tard. Paul met la feuille dans sa poche. Bruno l'accompagne au rendez-vous du coin de la rue. Filolog est déjà là. Paul lui tend la feuille sous le nez et, de colère, Filolog lâche sa valise en bois.

- Bon, d'accord, grogne-t-il. Il fouille à grand-peine dans sa valise, en tire quatre boîtes qu'il ouvre et dont il vide le contenu.- Voilà, croasse-t-il.Paul ajoute encore:- Quant à moi, je ne te donnerai plus rien, pas même la moindre petite syllabe!Il se retourne et s'en va avec Bruno.Filolog l'entend seulement crier- Filolog, coupeur de mots, coupeur de langue

Hans Joachim Schädlich

.

Dictionnaire: Le petit rebelle. Claudine Desmarteau.

Moic'est important de commencer ce livre par Moi, parce que c'est Moi qui ai écrit tous les trucs intelligents qui vont suivre.

Ranger

Dans ma vie , on m'a trop demandé de ranger ma chambre. Les mots de ce livre ne sont pas rangés par ordre alphabétique. Ils sont rangés dans l'ordre qui me plaît et d'ailleurs ce livre n'est pas une chambre.

aimerJe n'aime pas les cravates moches et le jogging affreux de papa. Mais j'aime quand même Papa.

RireOn peut rire de tout , mais pas avec n'importe quels parents. Par exemple "les pieds de papa puent le pâté périmé" ne les fait pas rire du tout. Alors que c'est très drôle.

BêtiseIl n'y a pas que les enfants qui font des bêtises. Les parents en font plein mais il n'y a personne pour les gronder.

Regarderles parents regardent toujours les mêmes choses: l'heure, les devoirs, la télé. S'ils ouvraient les yeux, ils découvriraient des objets et des êtres merveilleux.

Courage

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Je n'ai pas le courage de dire à papa que ses cravates sont encore plus horribles que son immonde jogging et de toute façon ça ne servirait à rien.

Grandir.Plus je grandis plus mes parents vieillissent. C'est nul, mais je suis compréhensif et je ne leur en veux pas.

FrèreUne petit frère c'est bien. Un petit frère serviable , c'est mieux.RéfléchirLes parents ne réfléchissent plus. Ils agissent en s'agitant. Moi, plus je les regarde courir, plus ça me fait réfléchir.

TravailUn jour, un imbécile a dit " le travail, c'est la santé" Mes parents travaillent et leur santé laisse à désirer.

PatronQuand un travailleur est nul, il se fait gronder par son patron. Mais quand un patron est nul, qui le gronde? Sa femme.

JouerLes parents n'ont jamais le temps de jouer à rien. Du coup, ils sont jaloux et se vengent toujours avec la même phrase: " Tu as fait tes devoirs? " C'est un peu facile.

TempsUn jour un imbécile a dit:" Le temps c'est de l'argent." Dans la rue , il y a un tas de gens qui ont beaucoup de temps et pas d'argent du tout.

BricolerJe trouve ça nul de bricoler. Je trouve ça nul de bricoler le dimanche. Je trouve ça nul de bricoler le dimanche en jogging moche.

MétierIl y a des métiers nuls ( passer ses journées à vendre du dentifrice et des brosses à dents, par exemple)

NonA la question " qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand? " je réponds : " non!"

Propre

Bien sûr que je suis propre. Je me lave les mains plusieurs fois par semaine et les dents plusieurs fois par mois.

AcariensC'et un peu comme Dieu et le Père Noël . Ils existent mais on ne les voit pas.

Grand parentsSouvent les grands parents sont très fiers de leurs petits-enfants alors qu'ils sont moyennement fiers de leurs enfants. C'est vrai que c'est agréable d'avoir un petit-fils drôle et intelligent comme moi.

DrôleQuand papa raconte des histoires drôles en jogging, j'ai envie de pleurer.

RéveillerC'est l'histoire d'un petit enfant qui dort comme un ange sous une couette alors que dehors c'est l'hiver et qu'il fait super très froid. Soudain sa mère arrive dans la chambre ( sans prévenir en plus) et crie dans sa petite oreille:" réveille toi, tu vas être en retard." Je trouve ça inhumain comme histoire.

CartableC'est l'histoire d'un petit enfant qui porte sur ses toutes petites épaules un monstrueux cartable plein de livres très très lourds qu'il doit tous apprendre par cœur dans l'année . Je trouve ça inhumain comme histoire.

Cauchemarpapa et sa cravate viennent me chercher à l'école.

MentirOn ne dit pas " qui ment à un œuf, ment à un bœuf" Ce n'est pas très grave de faire un tout petit mensonge de brossage de dents de rien du tout.

PollutionSaloperies de marchand de pétrole.

MajoritéQuand j'aurai la majorité je ferai ce que je veux avec mes dents.

StressQuand maman rentre du travail, elle pourrait laisser son stress sur le paillasson J'enlève bien mon cartable moi.

Cantine

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Lundi-épinards-chou-blettes,Mardi-betteraves-céleri-endives,Jeudi-blettes-chou-céleri,Vendredi-épinards-endives-blettes.

PoilsUne fois par mois, maman s'arrache les poils des jambes avec une pâte rose qui fume, et ça sent le poulet brûlé. Ce jour-là, ce n'est pas la peine de lui demander de l'argent de poche.

AmourC'est pas avec des épinards, du chou et des endives qu'on nourrit correctement un enfant.

Maths Dans matheux il y a eux mais pas moi.

AcadémieTous les jours, les cellules de mon cerveau se multiplient. A l'Académie, c'est l'inverse. Et pourquoi, j'y rentrerais pas moi à l'Académie?Les enfants ont aussi leur mot à dire.

Fin

Un jour, un imbécile a dit: " tout a une fin" C'est faux. Les devoirs sont sans fin, les poils des jambes de maman repoussent sans fin, la poussière revient sans fin, la bêtise est sans fin, et ce dictionnaire est sans fin car c'est à toi de le continuer.

Enjeux de la démarche

Il s'agit pour moi d' amener les élèves à réfléchir sur la langue, non pas seulement comme un ensemble de codes et de systèmes déjà là, normés, "scientifiques" ( on le fait à d'autres moments du cours) mais aussi comme un espace affectif, comme un espace de maîtrise où chacun s'approprie sa langue pour dire et agir sur son monde. Ce dico du petit rebelle et l'activité que je propose autour de cet album veulent être l'exact négatif,au sens photographique du terme, d'un cours sur le classement des mots ( voir la première et la deuxième question de la démarche.) En effet, dans le rebelle, le classement n'est pas un classement alphabétique, on n'y évoque pas les natures des mots, ni leur polysémie. L'auteur travaille au contraire sur la subjectivité du rapport à la langue et au vocabulaire et il me semble intéressant de faire réfléchir , écrire, et inventer les élèves à partir de ce point de vue.

A Projet de démarche

J'écris au tableau ceci:

Dictionnaire du petit rebelle

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a) Quelles sont les idées que vous évoquent ces trois mots ( on peut aussi les donner en deux ou trois temps) et qui nous permettront d'émettre des hypothèses sur ce livre.

b) lecture du texte et validation des hypothèses: - retour sur la notion de dictionnaire, (Comment sont fabriquées les définitions? En quoi sont-elles différentes? Pourquoi ? organisation du dico….)- du locuteur/personnage;( qui est-il, que sait-on de lui, de son rapport à sa famille, à l'école; au monde etc) - du mot rebelle.( pourquoi ce mot? A quoi voit-on que l'enfant est rebelle, que le dico est rebelle?) c) Parmi tous ces mots, lesquels garderiez vous pour constituer votre propre dictionnaire du petit rebelle. Lequel supprimeriez-vous? Lequel transformeriez vous? Lequel rajouteriez vous? Si les élèves ne trouvent pas de mots on peut en donner! Prof de français, devoirs, repas du dimanche, notes, musique, racisme, télé,zéro, politique…

d) Inventons des dictionnaires du petit….(amoureux, moderne, collégien, responsable, garnement, ange etc etc)comment l'organiser, le présenter, place des illustrations…Quel type de "définitions " écrire.

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Voici la démarche réalisée.

Commentaires des élèves sur le petit rebelle.

a) Quelles sont les idées que vous évoquent ces trois mots et qui nous permettront d'émettre des hypothèses sur ce livre.

Dictionnaire Le petit rebelleMots, lettres, graphème, homonymes, synonymes, noms commun, adj, adv..alphabet, alphabétique.Noms propres, illustrations, tables , tableaux, cartes,Définitions, langues, ordre alphabétiquePhonétique, C'est la description d'un dico.

Petit dico, dico pour enfants, des enfants qui lisent des mots, le petit ( robert)

Dire non, méchant, en colère, gros mots, un livre qui ne veut pas s'ouvrir

b) Hypothèses: Comment va être le livre ?

On va lire un dico rigolo, vulgaire, méchant, pour les enfants. Il y aura tous les mots qu'on ne dit pas. C'est sans doute un dictionnaire interdit. Il n'y aura que les mots de colère.

c) Réactions après la lecture du livre

C'est pas un dictionnaire. C'est des histoires. Y'a pas d'ordre. On ne peut pas s'en servir. C'est un enfant qui l'écrit, pas l'éditeur des dictionnaires (D'après les élèves, un dico est écrit par les éditeurs, par des profs de français, par les profs en général.) . C'est une femme qui l'écrit comme un enfant. C'est pas des petites histoires, mais ce qu'on pense. C'est trop court pour être un dico. C'est comme des définitions, mais c'en est pas. Ca ressemble à un dictionnaire, mais y'a pas tout du dictionnaire ( nature des mots, synonymes..) Il dit qu'il est rebelle aux parents, (les poils de sa mère) . Il dit qu'il aime rien, la pollution. C'est pas pour les adultes. C'est un livre d'enfants. Les images sont drôles. Y'a pas d'ordre et il répète( son père) Le début il dit qu'il parle de lui, qu'il est intelligent, il se la pète un peu. Il dit qu'il range rien. Il dit sa vie. C'est rigolo donc c'est pas un dico. On dirait qu'il parle de mon frère. C'est un garçon qui parle. Il aime pas les maths. Il dit sa vie et ce qu'on pense.Il est rebelle, même le dico, mais y'a un début et une fin. Il n'a pas d'ordre dedans. C'est comme une histoire.

d) Que garderiez vous / supprimeriez-vous dans votre propre dictionnaire Rebelle?

Moi je garderais dans " mon dictionnaire petit rebelle perso"Bêtises, frère, cantine, jouer, amour, travail ( mes parents sont comme ça) maths ( c'est moi qui l'ai écrit!) , pollution, réveiller ( dur le mercredi)

Moi je ne mettrais pas dans mon dico: jouer ( mon père joue) cantine ( ici c'est bon) rire ( on rigole avec mes parents) grands parents ( ils sont bêtes et m'empêchent tout le temps) temps ( c'est débile comme phrase) Non ( je veux faire aviateur) . propre ( j'adore me laver)

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Moi je transformerais frère en sœur, jouer mais c'est pas les parents, c'est les profs qui ne jouent pas.

je rajouterais: Sœur,ma sœur vient toujours me déranger quand je joue.Je ne supporte pas qu'elle mette la musique à fond et qu'elle se maquille. Ça fait laid.

filles Elles sont souvent bêtes et demandent à sortir avec.

garçons,J'aime pas quand un garçon me quitte pour une fille plus laide.

racisme, Les racistes sont gros et débiles.

écoleIl y a des profs qui mettent des zéros sans raison.

prof,Il aime m'engueler et dire que je suis trop petite.

baladeJe n'aime pas faire des ballades au camping avec mes parents, je préfère rester au mobil home avec les filles.

Vingt.je n'aime pas avoir 20 parce que je ne sais pas pourquoi et que je passe pour un intello. e) Quelques exemples de dictionnaires ( travaux de groupes)

a) Le dictionnaire du petit rebelle et le monde.

Sarkozy.( nom propre)Depuis que ce ministre a interdit de boire de l'alcool, mes parents font la tête tous les samedis soirs. Pas moi!

Voyager: ( verbe du 1° groupe)Mon rêve c'est de voyager dans le monde. mais comme mes parents ne me donnent que 5 euros par semaine, je me traîne sur le net.

Guerre ( nom féminin)Saloperies de terroristes! Saloperies de soldats qui chassent les terroristes!

Grève ( nom féminin)C'est bien les grèves mais il n'y en jamais assez! C'est tellement bien d'être au collège sans les profs.

Continent ( nom masculin)C'est difficile à apprendre, c'est long a parcourire mais c'est joli à regarder sur une carte!

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Président des Etats-Unis ( GN)Le président bush joue au base-ball pendant que ses troupes se font massacrer.

b) Le dictionnaire du petit Rebelle à la maison.

Jardin. ( nom masculin)J'adore jouer dans le jardin, surtout quand il pleut. Quand je rentre à la maison je suis tout déguelasse et je salis le carrelage.

Belle. ( adjectif) Qu'elle est belle la maison de ma voisine Georgette! Y'a plein de trucs dans le jardin qu'elle récupère dans les poubelles du quartier. Mes parents veulent porter plainte, ils ne comprennent rien.

Table ( nom masculin)Une table ça sert à manger. Ça sert aussi à faire ses devoirs. Moi je m'y endors dessus quand j'en ai marre de faire mon exercice de maths.

Petit-déjeuner ( nom commun)J'adore le petit-déjeuner du dimanche. Mon père se lève et arrive dans la cuisine avec un pyjamas rouge avec un mickey dessus. Ça me fait rire!

c) Le dictionnaire du petit rebelle en vacances

Tente (nom féminin)C'est un endroit en toile où j'aimerais dormir avec ma copine. Au lieu de ça, je dors avec mon petit frère et sa peluche qui pue.

Bronzer ( verbe du premier groupe)J'aimerais être bronzé pour plaire aux filles. Au lieu de ça, j'attrape des coups de soleil et je pèle pendant le reste des vacances.

String ( nom commun)Mon grand plaisir c'est d'apercevoir le string des filles qui dépasse de leurs pantalons.

Cahier de vacances. ( GN)C'est nul les devoirs de vacances! On doit travailler tous les matins. Pas grave quand même, moi je fais semblant.

Barbecue ( nom masculin)J'aime les barbecues! On mange avec les doigts et mon père met un tablier de ma mère et fait toujours l'idiot.

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A partir des albums d’Alain Le Saux, Papa m’a dit ; Maman m’a dit ; Mon copain Max m’a dit,

aux Editions Rivages

Un « exercice » pour aider les élèves à faire la différence entre signifiant et signifié. où l’on retrouve le dessin pour aborder l’expression imagée, le sens figuré du langage.

- Du côté du professeur : Faire un choix d’expressions proposées par l’auteur ; enlever la légende et la mettre de côté en la réservant pour plus tard ; laisser sous chaque image un espace blanc pour inviter les élèves à écrire. Ecrire quoi ? La consigne reste volontairement floue : on peut écrire ce qu’on voit sur l’image, ce à quoi cela nous fait penser, ce qu’on imagine…- Du côté des élèves : Leurs écrits relevés font généralement état de 3 possibilités : une écriture descriptive, narrative, enfin une écriture plus « symbolique » qui propose des expressions imagées ( par exemple une « demi-sœur »). - Les écrits tapés et regroupés sont lus en classe. Les élèves sont invités ensuite à les classer selon le classement qui leur semble pertinent et sous le titre qui leur semble le plus adéquat.- Mise en commun des propositions de classements et discussion sur ce qui fait la différence entre ces écrits. C’est à ce moment-là, pour certains élèves, que se fait le déclic, qu’ils comprennent que les images de l’album jouent sur le sens et les mots des expressions imagées.- Il reste à poursuivre cette découverte souvent jubilatoire : le langage lui-même peut être source de jeux, d’histoires. On peut partir des mots, de la façon dont ils peuvent jouer entre eux, des images qu’ils proposent quand on les assemble autrement pour écrire un récit plus long, plus complet. Les élèves sont invités à choisir parmi ces textes celui qui les fait rêver ou rire pour écrire tout autour une histoire entière.- La dernière étape peut être facultative : les légendes de l’album correspondant aux images, disposées sur une même feuille et dans un ordre différent de celui des images, sont distribués aux élèves. Il s’agit alors de retrouver pour chaque image sa légende en reliant, sur chaque ensemble, par des traits de couleur, les correspondances entre mots et éléments de dessins (par exemple : le dessin de la chaîne sera rattaché à la racine chaîne dans l’expression « déchaîné »).

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Deux textes pour compléter le thème…

Pascal Garnier, Dico dingoNathan, 1996

unCatastrophe !

MAIS où l'a-t-elle rangée ?...Le petit Robert jette un coup d'œil circulaire à sa chambre parfaitement ordonnée. Sa

mallette, son indispensable fourre-tout où il accumule les bouts de ficelle, les vieux ressorts, les bouchons, les clous tordus, les cadenas sans clés, tout ce qu'il ramasse dans la rue, ses trésors, où sa mère a-t-elle bien pu la ranger ?

C'est que chez les Robert, on ne rigole pas avec l'ordre et la propreté. Comme dit le père : une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. Sur un bureau, les crayons sont toujours alignés dans la boîte marquée « Crayons », les papiers empilés dans le tiroir à papier, les gommes posées dans le panier à gommes et les livres rigoureusement classés par ordre alphabétique dans la bibliothèque, si serrés que pas une poussière ne pourrait s'y glisser.

Mme Robert est aussi maniaque que son mari. Elle passe son temps à arranger, organiser, ordonner tout ce qui lui passe entre les doigts. Dans sa cuisine, la boîte marquée« F » ne peut contenir que de la farine, celle avec un « C », du café et rien d'autre, ainsi de suite. Pour le « S », c'est plus difficile : sucre ou sel ?... Voilà des années que Mme Robert se pose la question. Comme elle n'a pas trouvé de solution, eh bien on mange sans sucre ni sel.

L'important, chez les Robert, c'est que tout soit parfaitement en place de la cave au grenier. Il faut qu'on puisse retrouver les yeux fermés le lit, le fauteuil ou le canapé et, pour être sûr qu'ils ne puissent pas bouger, M. Robert les a même vissés au plancher.

Malheureusement, le petit Robert, que ses parents ont prénommé Robert (Robert Robert, on ne peut pas se tromper), est, au grand désespoir de ses parents, plutôt... désordonné. Il lui arrive souvent de partir pour l'école avec deux chaussures du même pied, de mettre ses habits du dimanche un 1undi, de ranger ses jouets dans le panier à linge et son linge dans le coffre à jouets. Si elle ne risquait pas de faire des taches, Mme Robert en pleurerait et son mari s'en arracherait les cheveux s'il ne se les faisait pas couper à ras pour plus de commodité.

Quelques minutes plus tard, après avoir mis sa chambre sens dessus dessous, Robert aperçoit soudain la fameuse mallette.

Ah ! la voilà, en haut de l'armoire!Il tire une chaise, grimpe dessus, mais il lui manque encore dix bons centimètres. Quatre à

quatre il dévale l'escalier jusqu'au rez-de-chaussée et va chercher le gros dictionnaire dans le bureau de son père.

Bras tendus, sur la pointe des pieds, il atteint la mallette quand la chaise se met à trembler, vacille et... PATATRAS !... chaise, petit Robert et dictionnaire, tout tombe par terre.

La chaise n'a presque rien, le petit Robert à peine un bleu aux genoux, mais le dictionnaire! Il y a des mots partout, comme un sac de billes renversé, des noms communs, des noms propres, des mots simples comme « bonjour » et d'autres très compliqués, comme « zygomatique, xérodermie, yttrialite », etc. Catastrophe! on dirait des insectes grouillant sur le parquet, des chenilles noires qu'on n'ose pas toucher tant elles sont longues et sinueuses. D'autres mots plus courts, comme « ah! eh! », sautent, pareils à des puces, dès qu'on veut les attraper. Quelle histoire ça ferait si son père ou sa mère entrait à l'instant dans sa chambre !

Tant bien que mal, Robert ramasse ce qu'il peut et remet tout en vrac entre les pages du dico. Heureusement qu'il n'y a pas de gros mots, il n'aurait jamais pu le refermer. Il reste bien quelques « tétragone, clafoutis, mobylette, alpaga », etc. qui traînent encore par-ci par-là, mais

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on les utilise tellement rarement que personne ne s'en apercevra.

deuxAlpaga, paillasson

SEPT heures trente, il a enfin terminé. Ouf ! Il était temps. Il vient à peine de glisser à la lettre « D » le gros dictionnaire illustré sur l'étagère que, dans l'entrée, la sonnette se met à tinter. Ce sont les Azertyuiop qui viennent dîner.

On se serre la main, on s'embrasse, on essuie bien ses pieds et on s'aventure sur le parquet ciré de la salle à manger.

M. Azertyuiop est un collègue du père de Robert. il est très grand, très maigre, très noir, avec une petite tête ronde juchée au-dessus de ses épaules comme un point sur un « I ». C'est tout le contraire de sa femme, aussi ronde qu'un « O » majuscule en caractère gras.

Avec eux, pas un mot plus haut que l'autre, il faut parler tout bas, comme à l'église.À présent, tout le monde est installé autour de la table, assis du bout des fesses sur des

chaises aussi maigres que de vieilles chèvres. Comme toujours dans ces cas-là, on ne sait pas par où commencer, on pianote du bout des doigts, un peu gêné.

C'est M. Robert qui se jette à l'eau.- Chérie, si tu servais l'alpaga à nos invités avec quelques ampoules farcies et des tranches

de mobylette ?Mme Robert écarquille les yeux.- Pardon ?- Je te demande si tu veux nous servir l'alpaga avec des ampoules farcies et des tranches de

mobylette, qu'y a-t-il d'étonnant à ça ?- Tu peux répéter ?M. Robert commence à devenir tout rouge.- Mais enfin, Arlette, sers-nous l'alpaga, des ampoules et de la mobylette !- Et pourquoi pas du cerf-volant avec une bonne couche de serpentin ?- Parce que ça me fait mal au foie, tu le sais très bien.Le petit Robert regarde ses parents tour à tour. « Aïe, aïe, aïe ! Je n'ai sans doute pas remis

tous les mots au bon endroit ! » Mais il est trop tard. Entre son père et sa mère, le ton monte.- Mal au foie, toi !... Tu es capable d'avaler un paillasson entier arrosé de quatre ou cinq

lessives!- Mais qui te parle de paillasson ? Sers-nous donc l'alpaga au lieu de badigeonner n'importe

quoi ! Il y a de quoi devenir corne de brume !- Corne de brume toi-même! Espèce de... de...Mme Robert cherche le mot mais celui-ci a dû rester coincé entre les lames du parquet de

la chambre de Robert.- De... de napperon! C'est ça, tu n'es qu'un napperon !Le petit Robert se fait encore plus petit, pas plus gros

qu'une punaise enfoncée sur son siège. M. et Mme Azertyuiop se lancent des coups d'œil embarrassés. M. Robert se lève de table, prêt à éclater.

- Tu n'as pas honte de me traiter de napperon devant nos invités! Tu ferais mieux d'appeler le plombier, tu as sûrement un rapporteur sous le couvercle !

- Comment oses-tu! C'est ça, appelons le plombier, on verra qui est le plus galipette de nous deux !

Mme Azertyuiop tente d'intervenir en toussant dans son poing.- Je vous en prie, alpaga, paillasson, aucune importance. Mon mari et moi sommes au

régime. Un doigt de sparadrap et deux ou trois épuisettes nous font un repas. N' est-ce pas, Jules ?

- Absolument, Julie. Cela dit, je préfère le paillasson de Mme Robert à tes épuisettes.- C'est la meilleure, celle-là ! La dernière fois tu m'as dit que le paillasson de Mme Robert

était bien trop globulaire.

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À ces mots, la maman de Robert oublie instantanément la dispute avec son mari et se tourne vers Mme Azertyuiop.

- Trop globulaire, mon paillasson ?- Parfaitement, trop globulaire et même un peu gourbi.- Un peu gourbi ? Il vaut mieux être bigorneau que d'entendre ça. C"est vrai que quand on

se nourrit d'épuisettes interlignes...- Madame Robert, je ne vous permets pas !...M. Azertyuiop lève la main en signe d'apaisement.- Allons, allons, mesdames, il n'y a pas de quoi se mettre dans un tel clafoutis ! Vous êtes

aussi patinettes l'une que l'autre...- Ah ! ça suffit, Azertyuiop ! Traitez votre femme de patinette si vous voulez, mais pas la

mienne ! Il ne faudrait quand même pas dépasser les brochettes !À présent tout le monde est debout et gesticule en postillonnant. Tout le monde sauf le

petit Robert qui donnerait tout pour être ailleurs. Les insultes les plus saugrenues commencent à voler au-dessus des têtes : « Tétragone ! Vestibule ! Ripolin ! Papyrus !... » Tant et si bien que les Azertyuiop reprennent leurs cliques et leurs claques et quittent les Robert sans un au revoir, le menton haut.

troisPire qu'une bombe atomique

L'ÉCHO de la porte claquée dans leur dos résonne un moment dans l'entrée. M. Robert fait mine de se laver les mains.

- Bon gribouillage ! Qu'est-ce que c'est que ces mirli-tons ? Non mais alors, on boursicote les gens chez eux ! On aura tout vu !...

Tandis que Mme Robert, alertée par une soudaine odeur de brûlé, se précipite dans la cuisine, M. Robert allume la télé, histoire de se calmer les nerfs. Il n'a pas le temps de se laisser tomber dans le canapé que le téléphone se met à sonner. Il décroche en bougonnant.

- Olé ?... Olé... Salami, belle-maman, salami... Com-ment ?... Mais non, je ne bassine pas l'épagneul, je... c'est ça, je vous la passe... Salami, belle-maman.

M. Robert lève les yeux au ciel et crie en direction de la cuisine :- Arlette, c'est ta confiote ! Elle est encore plus tamponnée de la fiche que d'habitude, elle

croyait que je bassinais l'épagneul !Mme Robert sort de la cuisine en s'essuyant les mains à son tablier et attrape le combiné

que lui tend son mari.- Veux-tu te taire! Et baisse un peu l'aquarium, s'il te plaît... Ali, Baba ?... c'est moi, oui,

comment vas-tu ?...M. Robert hausse les épaules et s'apprête à s'asseoir quand il se tape sur le front.- Zut! J'ai oublié de garer le potiron dans l'igloo.Il disparaît, laissant le petit Robert seul devant l'écran bleuté de la télé. Là, apparemment,

tout semble normal. Mais c'est difficile à dire puisqu'il s'agit d'un débat politique. Deux députés, la cravate dénouée, l'œil allumé, se lancent au visage des chiffres et des formules que personne ne comprend, comme d'habitude. Robert zappe et là, tout s'aggrave. Qu'il s'agisse d'un jeu, d'un film ou même d'un documentaire animalier, de chaîne en chaîne, le monde se déchaîne. Personne ne comprend plus personne et chacun veut convaincre l'autre. La planète entière semble avoir attrapé le virus. Écœuré, Robert coupe la télé.

« Mon Dieu, mon Dieu ! Tout ça est ma faute !... À cause de ce fichu dictionnaire, j'ai mis le monde à feu et à sang, j'ai déclenché la Troisième Guerre mondiale. Je suis pire qu'une bombe atomique. »

Son secret est trop lourd, il faut qu'il se confie à quelqu'un. Mais à qui ?... Félix, bien sûr! Son vieux copain Félix qui habite le pavillon mitoyen. Il leur arrive souvent de communiquer à l'aide d'un talkie-walkie d'une maison à l'autre en cachette de leurs parents. Robert fonce

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dans sa chambre et lance son S.O.S.- Allô ! Tango Charly, répondez !- Au bout de trois ou quatre appels de détresse, la voix nasillarde de Félix lui parvient au

milieu des crachotements de l'appareil.- Allô, ici Tango Charly, je vous reçois cinq sur cinq. Parlez ?- Félix ! Tu... tu vas bien ?- Ben oui.- Et tes parents ?- Mes parents aussi. Pourquoi ?- Tout est vraiment... normal ?- Parfaitement. On s'apprêtait à jouer au Scrabble.- Au Scrabble ?- Oui, la serpette est en panne, on s'est dit qu'on pourrait sarcler la patache pendant une

paire de béquilles.Robert ouvre la bouche mais aucun son n'en sort. Félix, son vieux copain, contaminé, lui

aussi ! Et ses parents !... S'ils se mettent à jouer au Scrabble, ils vont s'entre-tuer. Il faut absolument les en empêcher !

- Félix, écoute-moi bien. Il ne faut pas que vous jouiez au Scrabble. Il ne faut surtout pas !...

- Mais qu'est-ce qui te prend, Robert, tu virgules de la girouette ou quoi ?...Que dire ?... que faire ?... la police ?... les pompiers ?... C'est inutile, personne ne

l'écoutera, personne ne le comprendra, c'est comme s'il était en Chine, en Papouasie ! Robert se sent aussi seul que s'il venait de débarquer sur la planète Mars.

Mais une clameur venant de la rue stoppe net le flot de larmes qui commence à lui brûler les yeux, il se précipite à la fenêtre. Devant la maison, la voiture de M. Robert bloque la circulation. Celui-ci est aux prises avec une meute d'automobilistes tous plus menaçants les uns que les autres. Il n'y a plus à hésiter. Tant pis pour les cadeaux de Noël, les punitions à venir, il y va du sort de l'humanité.

Épilogue

AU rez-de-chaussée, la mère de Robert est toujours en train de postillonner dans le téléphone. Elle est tellement empêtrée dans sa conversation loufoque qu'elle n'a pas entendu le concert d'éclats de voix et de klaxons venant de la rue. Robert se catapulte hors de la maison. Au prix d'efforts démesurés, il parvient à tirer son père hors de la mêlée qui transforme la rue en un véritable champ de bataille. Une fois chez eux, il débranche le téléphone, obligeant sa mère à revenir sur terre et, la tête basse, leur avoue la cause de tout ce chaos : la mallette, la chaise, le dictionnaire.

Son père ouvre la bouche mais pose aussitôt sa main dessus. Le moindre mot serait un mot de trop. Il n'y a plus qu'à se mettre au travail, passer la maison au peigne fin puis classer et ranger les mots un par un, page après page.

M. et Mme Robert ont beau être experts en tâches ménagères, ils y passent la nuit. Au petit jour, tout est rentré dans l'ordre, ou presque. Il manque encore certains mots, comme : « Corne de brume, tétragone, Ripolin, papyrus », etc. Mais c'est peut-être aussi bien comme ça.

D'un commun accord, personne n'a plus parlé de cette étrange soirée. Les Azertyuiop et les Robert se sont réconciliés. Dans la maison, chaque chose est à nouveau à sa place.

Il arrive parfois que l'un d'eux, à la recherche de son parapluie par exemple, demande :- Quelqu'un sait où est mon artichaut ?

- Dans ce cas-là on se contente de sourire et ce petit grain de folie donne un peu de soleil dans la vie si bien rangée de la famille Robert.

Alice au pays des lettres.

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Roland Topor petit point.

elotonnée dans un fauteuil du salon, Alice releva la tête du livre qu'elle était en train de feuilleter et jeta un regard vers la fenêtre. Elle poussa un soupir: la pluie qui tombait depuis le matin redoublait de violence.« Quel ennui! s'exclama-t- elle. Bien sûr, c'est amusant d'aller chercher des escargots dans le jardin après la pluie, mais, pour ça, il faut qu'elle s'arrête.J'aime beaucoup lire, mais je crois que je préfère tout de même courir après mon cerceau, ou organiser un pique-nique. »

Puis elle ajouta, songeuse : « C'est parce que je suis une petite fille, je suppose. »Elle tenta de reprendre sa lecture, mais les lettres étaient soudain devenues floues. Elle s'approcha du livre sans obtenir d'amélioration. Alors elle posa la joue contre la page vingt-trois et s'endormit.Une sensation de chatouillis sur le visage lui . fit entrouvrir les yeux. Tout de suite elle remarqua que la page vingt-trois, ainsi que la page vingt-deux, d'ailleurs, était devenue toute blanche.« Tiens, la neige a recouvert les caractères », se dit Alice.Il aurait pourtant été curieux que la neige soit tombée dans le salon De plus, elle n'avait pas froid. Comme elle se sentait de nouveau chatouillée sur la joue, elle ouvrit tout à fait les yeux.

Elle vit un petit personnage qui se tortillait pour dégager sa jambe coincée entre la joue et le papier. En l'examinant avec attention, elle constata que le petit bonhomme n'était rien d'autre qu'une lettre, un A plus précisément.

Alice s'empressa de le libérer. Il se mit aussitôt à frotter sa jambe endolorie en maugréant sur la distraction des petites filles. (Alice entendit « écervelée », mais elle préféra jouer celle qui n'avait rien remarqué.)Elle comprenait maintenant pourquoi les pages étaient blanches : les lettres étaient parties.D'ailleurs, elle les voyait se hâter vers un endroit mystérieux situé en dessous de la bibliothèque.« Je vais être le dernier, ronchonna le A, pourvu qu'il reste un engagement pour moi ! »

En boitillant, il rejoignit les autres caractères d'imprimerie.Intriguée, Alice le suivit.

Il y avait là toutes les lettres : des B, des L, des U, enfin tous ces signes qui, convenablement placés, constituent l'alphabet.Elle aperçut un O avec sa fille, Mademoiselle O rougissante et timide.Elle vit également une j et un E qui se tenaient par le bras.C'était sans doute un jeune couple en pleine lune de miel. Il y avait des milliers de caractères de toutes sortes qui se pressaient, se bousculaient, comme s'ils avaient quelque chose de très important à faire. « Peut-être vont-ils prendre leur goûter ? » se demanda Alice.

En s'approchant de la bibliothèque, elle avisa une espèce de guichet dans lequel une grosse femme tenait des listes à la main.De temps à autre elle annonçait d'une voix forte :« Un rôle pour S ! Un rôle pour E ! Un rôle pour J ! »

Alice comprit qu'il s'agissait d'une espèce de régisseur de théâtre qui distribuait des rôles pour une représentation. Elle battit des mains, car elle avait joué une fois le rôle du Petit

Chaperon rouge dans une fête, et tout le monde lui avait dit qu'elle était très bonne actrice.

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«  Ils voudront peut-être de moi ? »Mais à ce moment même, la grosse femme déclara : «  Tous les rôles sont distribués, c’est fini pour cette séance. » Alice le regretta, mais sans être vraiment triste. Ce n'était pas le cas des autres lettres qui n'avaient pas trouvé d'engagement.Un Z à genoux, se mit à pleurer.« Quoi, s'écria-t-il, encore rien pour moi? J'ai une femme, plusieurs enfants, et pas de travail !Je suis toujours au chômage ! »Alice se sentit très émue par le sort du Z.Elle chercha ce qu'elle pourrait dire pour le consoler mais elle ne trouva rien. Cependant, le Z continuait d'une voix changée : « Il n'y a pas assez d'assez Pas assez de vous voyez De vous mangez, de vous buvez .Pas assez de zèbres, de zébus De zozos, de zazous, de zéthus'De Z il n'y en a pas assez De Z il y en a zéro. » Alice trouva le poème du Z joli, niais un peu compliqué.

« Si vous voulez voir le spectacle, dit la grosse femme, dépêchez-vous. Les trois coups vont être frappés. »La salle de théâtre était derrière le guichet. Alice arriva au moment où le rideau se levait.

Les lettres qui se trouvaient sur scène se disposèrent habilement, comme des petits rats dans un ballet. Les unes escaladèrent les autres, et enfin Alice put lire : VIVE LA CONFITURE.Elle applaudit beaucoup car c'était très impressionnant, et elle était absolument d'accord avec la morale de la pièce.

Le spectacle se poursuivit par d'autres mots, et par d'autres lettres. C'était toujours aussi joli, mais, à la longue, Alice se sentit un peu fatiguée. Au moment de sortir de la salle, elle aperçut un M emmené entre deux parenthèses. Il avait des menottes.

«Qu'est-ce qu'il a fait? » demanda-t-elle à un R voisin.«Une faute d'orthographe », lui répondit-il.«Il va être jugé et condamné. »Le R avait réellement l'air tres effrayé.«jugé par qui? » s'enquit Alice.Le R eut un hoquet d'épouvante.«Chut! Parlez plus bas, pour l'amour du ciel! Il va être jugé par les deux tyrans qui nous gouvernent. »«Mais qui? »«L’Orthographe et la Grammaire. »Alice suivit discrètement les parenthèses. Elles arrivèrent devant une estrade où se trouvaient deux vieilles femmes assises sur des chaises. L'une avait un G sur la tête, ce devait être la Grammaire, l'autre un O, c'était sûrement l’Orthographe. La même expression de méchanceté était peinte sur leur visage.Alice frissonna.« Pauvre M, pensa-t-elle. Moi aussi, je fais des fautes d'orthographe, mais ma maîtresse a l’air moins sévère. »

Au pied de l'estrade, des lettres habillées comme des bagnards avaient un boulet attaché par une chaîne à la cheville pour les empêcher de s'évader.Alice était triste, elle avait envie de pleurer.Le M allait être jugé, quand un grand bruit se fit au-dehors.

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Alice courut voir ce que c'était.Elle découvrit des milliers de lettres avec des banderoles et des pancartes qui venaient vers l'estrade.«C'est assez », pouvait-elle lire, et aussi « Démission », et même « A mort ».Elle trouva que les lettres avaient raison de se révolter. De tout son coeur, elle souhaita que les deux méchantes vieilles dames soient chassées.Mais elles envoyèrent des coups de points, des nuées de virgules, des salves de tirets contre les lettres. La bataille faisait rage, quand finalement Alice vit que les lettres avaient gagné.La Grammaire et l’Orthographe s'enfuirent sous les huées. De nombreux blessés restaient sur le carreau.Elle voulut soigner un Y quiavait les jambes cassées, mais il l'en empêcha :«Ce n'est pas la peine. Je pense qu'on me donnera un point prisonnier pour entreprendre une carrière de I. Je suis jeune, une vie nouvelle s'ouvre devant moi. »Alice le trouva très courageux. Elle lui souhaita bonne chance.Cependant, pour célébrer la victoire, les lettres organisèrent une grande fête. Elles se mettaient ensemble sans souci d'orthographe ou d'accord.Alice lut des mots comme« TYREZSNGLUP » OU « YTJJHYGV », ou encore «RTRGHUILJPUYTRFDEESEZALLZE ».Ils ne manquaient pas de fantaisie, mais risquaient de donner la migraine.« Assez ! » cria-t-elle. Les lettres continuaient :«GYGYGYGYTRZZZZYYYYXUT. »«Assez ! Assez ! Assez ! Pour l'amour du Z ! »«GHUIJIUGUIGUIGUI. »Alice se réveilla.Elle se trouvait dans le fauteuil du salon. Le livre avait glissé à terre. Les pages étaient couvertes de lettres, comme avant.Alice regarda vers la fenêtre. Il ne pleuvait plus. Un arc-en-ciel émergeait des nuages. Elle courut coller son visage contre la vitre pour mieux voir.« Je vais aller chercher des escargots dans le jardin », pensa-t-elle.

Le mangeur de mots.Dedieu, Seuil Jeunesse, 1996 (album)

Son nom, c'est Le Bougni Antoine, ou le Bougni tout court, c'est comme on veut.

Le Bougni, au début, était un enfant comme un autre. Rien ne le distinguait des petits garçons de son âge. Comme eux, il préférait déballer ses jouets que ranger sa chambre. Comme eux, il aimait mieux les pâtes que les petits pois, les bonbons plutôt que les fessées.

Pareil, tout comme.Il voulait tout savoir, tout connaître. Dès qu'il

sut parler, il posa des centaines de questions.- Quand est-ce qu'on mange ?- Pourquoi les maisons ont des toits sur la tête ?- C'est quoi un olibrius ?- Qui a mis tous les poissons dans l'eau ?- Pourquoi les arbres poussent vers le haut ?- Qui ? Que ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ?

Il contemplait le monde derrière une forêt de poins d'interrogation.

Quand il ne posait pas de questions, Le Bougni avançait des suppositions, se donnait des explications, inventait des solutions Tout le temps,il parlait. Parlait, parlait.

Pour sa mère, c'était dur.Pour son père c'était dur.Dans la tête de Le Bougni, les idées se

croisaient. Il parlait d'une chose, et déjà lui venait l'idée d'une autre. Qui naissait, grandissait et qui attendait à la porte de ses lèvres. Ça se bousculait dans la bouche. Ça chahutait. Et forcément, ça se chevauchait.

Dehors, on ne comprenait rien. Il ne séparait plus les mots. Tous étaient collés à la suite. Ça donnait des phrases comme ça :

Leballonestdégonflécardemaincémercredi. Yaplusdelaitdansmoncartablépuisé ? Céquiquiataché-montablierauchocolat ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ?

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? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ?

Le Bougni s'était fabriqué son propre langage. Il parlait le « Le Bougni ».

Ses parents étaient inquiets. Le dialogue était impossible. Sa mère lui demandait de bien articuler tous les mots, de sé-pa-rer tou-tes les syl-la-bes. Mais rien n'y faisait. C'était du chinois, en pire.

Un jour, excédés, ses parents lui dirent qu'ils ne lui parleraient plus tant qu'il mangerait tous ses mots.

Pour Le Bougni, ce fut la révélation. Mais, oui, c'était donc ça ! Comme d'autres sont buveurs d'eau, mâcheurs de chewing-gum, ou suceurs d'os de poulet, lui était : mangeur de mots.

Et il y prit goût.Bien sûr, il se nourrissait de yaourt et de viande,

mais aussi de verbes et de sujets, parfois même de compléments.

Il écoutait puis il répétait les mots qui lui semblaient les plus appétissants : « chantilly fraise couscous spaghetti », « poulet vanille »...

Puis il eut l'appétit d'autres mots : « locomotive », « bigoudi ». Il préférait les mots ronds et joufflus. Certains mots l'agaçaient : le mot « taxi » le faisait tousser, il le recrachait tout de suite. Pareil pour « casquette » ou « tarentule ».

Le Bougni apprit à lire ou, du moins, à reconnaître la forme des mots. Il ouvrait un livre à n'importe quelle page et composait son menu.

En entrée, les petits mots : les « déjà, là, oui, bof », etc.

En plat principal, les mots un peu gras : « gargouille », « administration » ou « voisinage »... Les mots en sauce avaient sa préférence : « au-delà du pont », « en face de la gare ».

Enfin, au dessert, il se régalait de pâtisseries (car il n'aimait pas le fromage). Une « menuiserie » avec une « alouette » sur le dessus, comme la cerise sur le gâteau.

Le Bougni mangeait goulûment. Sans mâcher. Il dévorait plus qu'il ne savourait. Pour « menuiserie-alouette », on entendait : « menuette ».

C'était joli, mais inaudible, presque indigeste.

Surtout qu'au lieu de goûter raisonnablement, et de s'abstenir de manger entre les lectures à haute voix, il grignotait sans cesse. Gobant, là, un mot sur une affiche dans la rue, picorant, ici, un complément d'objet direct dans le titre d'un journal, suçant une épithète...

Si bien, qu'un beau jour il fit une indigestion. Plus rien n'arrivait à passer, même pas une interjection, oh ! là ! là ! Rien.

Dans un gargouillement, il tomba à genoux et vomit deux ou trois consonnes.

Ses parents affolés, après l'avoir allongé sur le lit, appelèrent le médecin. Il ausculta Le Bougni et lui fit prononcer : 33, 33. Et Le Bougni répéta : « tendres doigts, tendres doigts ». Le médecin retira

vite ses doigts de la bouche de l'enfant et conclut que Le Bougni mangeait trop. Les parents furent étonnés par ce diagnostic, car leur enfant s'alimentait normalement. Pourtant, dans le doute, ils suivirent le conseil du médecin et demandèrent à Le Bougni de suivre un régime. En enfant sage, Le Bougni fut d'accord.

Désormais, il ferait attention à ce qu'il dirait.

Ses parents surveillaient son alimentation, et Le Bougni surveillait ses récitations. Il se contentait le matin de dire le jour et la date marqués sur le calendrier, accompagnés de deux ou trois réflexions sur le temps qu'il faisait et puis il filait à l'école avec, dans le ventre, un petit creux.

Fini de rabâcher la liste des élèves pendant les récréations. Fini de goûter d'une page d'un magazine.

Le régime était sévère, mais très vite, il porta ses fruits. Le Bougni se faisait comprendre, son débit plus lent lui permettait de bien séparer les mots à la grande joie de ses parents. Mais pour lui, tout n'était que frustration. Tout ce qu'il avait en tête, toutes ses idées, ses interrogations n'arrivaient pas à se concrétiser avec si peu de mots.

À quoi bon demander : quel temps fait-il ? Quand, au fond de soi-même, on voudrait savoir : comment naissent les nuages ? Comment se fabrique la pluie ? Pourquoi le soleil ne brille que le jour ?...

Alors Le Bougni fit la grève de la faim. Il se tut.

On rappela le médecin. Le Bougni ouvrit grand sa bouche. On ne constata aucune anomalie. Les organes de la parole étaient intacts. On crut alors qu'il était sourd. Le Bougni ouvrit grand ses oreilles. Les organes de l'audition étaient intacts.

On dut se rendre à l'évidence. Le Bougni était muet. Volontairement muet.

Voici un exemple de sa réponse, quand sa mère lui demandait ce qu'il avait fait à l'école dans la journée :

«..................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... »

Même s'il ne parlait plus, Le Bougni n'arrêtait pas de penser, de regarder, de sentir et de ressentir. Alors, pour se faire comprendre sans parole, il utilisa son nez, ses mains, sa peau, son regard... Tout participait à lui faire découvrir le monde et à s'en faire comprendre.

Un jour qu'il était dans sa chambre, finissant de s'habiller pour sortir, son chat lui dit : « N'oublie pas tes bottes et ton ciré, il va pleuvoir. » Le Bougni le remercia de son conseil, et s'habilla en conséquence.

Le chat bien évidemment n'avait émis aucun son, mais le dialogue avait bien eu lieu. Le matou

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avait passé sa patte derrière son oreille pour prévenir de l'orage et Le Bougni l'avait remercié d'un clignement d'œil.

Les progrès de communication de Le Bougni étaient considérables.

Le langage du corps s'avérait bien plus expressif que tous les mots dont disposent les hommes. Le regard, à lui seul, pouvait exprimer des centaines d'émotions (doute, joie, peine, lassitude, peur, passion...).

Et les mains ! qui se crispent, se figent, serrent, caressent, tremblent, suent, battent, saluent...

Tout ce nouveau vocabulaire permettait à Le Bougni d'exprimer plusieurs sentiments en même temps. La peau parcourue d'un frisson, un sourcil qui se soulève, un front qui se plisse, un index qui désigne, une main qui frôle, des lèvres qui se cabrent puis esquissent un sourire...

Tout en lui était expressif.

Ses meilleurs professeurs étaient les animaux.Du chien, il apprit le rôle des oreilles, du nez, du

regard, certains gestes de soumission ou de domination.

Du chat, le rôle des poils. Des leçons de sagesse, de méditation. Savoir être vif quand il le faut, garder son calme le reste du temps. Patience. Ruse. Détermination. Indépendance.

L'apprentissage aidant, Le Bougni explora des langues volatiles.

Celle des fleurs, par exemple. Il pouvait discuter des heures avec les marguerites, écouter le glaïeul lui raconter sa folle jeunesse parmi les pissenlits.

C'était merveilleux, il aimait ça. Ça se sentait.Le Bougni parlait aussi des langues marginales,

discrètes à l'excès, comme le « statue » dans les jardins publics, le « dictionnaire des bibliothèques » ou encore le « mobilier » réservé aux chaises, tables et buffets de salon... Les crises de rire avec la scie égoïne ! Les disputes avec le tabouret de cuisine et les leçons de choses avec la porte cochère !

Il n'était pas dans la norme. On plaça Le Bougni en « maison ». Un établissement spécialisé où il retrouva des enfants comme lui.

Quand Le Bougni entra dans la vaste pièce où ils étaient rassemblés, il fut accueilli par un silence assourdissant.

Aucun mot n'avait été prononcé, mais chacun, dans son langage, avait salué Le Bougni, qui, à son tour, se présenta en langue « fourmi ». Par petits gestes saccadés, par d'innombrables battements de cils, deux ruades et une reculade, il dit son nom, qu'il était content de faire leur connaissance.

Qu'il était sûr de bien s'entendre avec eux.

Pas si facile pourtant de communiquer avec les autres pensionnaires. Ils connaissaient trop de façons de s'exprimer.

L'un pouvait employer le langage « fleurs », et l'autre lui répondre en « chat » et tout aussi bien poursuivre ses explications en « lit pliant ». Il fallait toujours être attentif au moindre signe émis.

Quand votre interlocuteur se grattait, par exemple, cela pouvait vouloir dire : « Je préfère le lait » ou « je vais courir dans le champ » ou « j'en ai pour l'après-midi ».

Les jours passaient et Le Bougni s'était fait à sa nouvelle vie. Lorsqu'un événement vint subitement bouleverser son existence.

L'événement s'appelait : Lola.Et c'était la fille du concierge de l'établissement.

Le Bougni imaginait qu'elle était comme les autres enfants de la maison.

Mais, un jour, il découvrit que Lola parlait l'« humain ». D'une voix si douce, si mélodieuse que Le Bougni en resta muet d'admiration. De sa bouche sortaient des mots si harmonieux, qu'il lui vint même l'envie de se remettre à cette langue pourtant si étriquée. Il faut dire que lorsque Lola parlait, c'était...

C'était bien.Quand elle disait « j'aime la couleur orange »,

on comprenait : « De toutes les couleurs, celle qui pour moi est la plus chatoyante, c'est la couleur du soleil qui plonge dans la mer, celle du fruit sucré du pays des mille et une nuits qui rafraîchit le bédouin assoiffé par un long voyage. »

C'était bien.C'était miel. Dans un premier temps, Le Bougni essaya de

communiquer avec Lola, de lui faire comprendre qu'il voulait être son ami. Une fois, il lui laissa, à la manière des papillons de nuit, des messages odorants, sur le rebord des fenêtres et sur les poignées de porte. L'effet fut désastreux. Dès que Lola le croisait, elle se pinçait le nez. Le Bougni eut alors recours à la mode du fer à repasser amoureux. À l'aide de mouchoirs, il confectionnait de savants pliages qui représentaient des formes animales. Ainsi, Lola trouvait souvent sur sa chaise ou son bureau, un morceau de tissu plié en forme de grenouille ou de lapin. Mais le message restait confus. Le Bougni dut se rendre à l'évidence, Lola ne comprenait rien, à part le langage humain.

Après de longues hésitations, Le Bougni prit la résolution de reparler avec des mots d'homme. Mais il serait très sévère dans leur sélection, il les choisirait avec précaution, pour leur harmonie, leur sens, leur couleur, pour le rythme des lèvres.

Pour que chaque mot prononcé ne soit pas un mot de plus dans le vacarme des hommes. Pour qu'il soit comme un diamant qu'il offrirait à qui saurait l'écouter.

Et, alors que Le Bougni s'apprêtait à exprimer son premier mot, Lola échangea sa première parole de papier.Dedieu,

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