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Du même auteur :

– Les chants de la vigne

Les personnages de ce roman relèvent de l’invention pure et ne peuvent

être comparés à une quelconque personne ayant existé ou existerait encore, cependant, si c’était le cas, la similitude due au hasard, serait pure coïncidence et indépendante de la volonté de l’auteur.

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Écoute le vent, écoute la pluie… Écoute le ramage des oiseaux et le chant des ruisseaux, écoute le bruit, écoute la vie et vois comme c’est beau. Mais surtout, écoute les gens qui ont quelque chose à dire !

Nine Margueritte

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Diane prit la direction de la Concorde, bifurqua sur la droite, longea la

Seine et poursuivit sa route jusqu’à Epinay, elle avait rendez-vous aux studios qui se trouvaient en face de l’ancienne maison de disques. Comme d’habitude la rue était encombrée et elle dut faire plusieurs fois le tour du quartier pour trouver une place, quelques minutes plus tard elle put se garer. La jeune femme arrêta le moteur, prit le dossier posé sur le siège à côté d’elle, se regarda vite fait dans le rétroviseur, arrangea sa coiffure qui n’en avait pas besoin et sortit du véhicule. Elle avait une heure de retard, pourtant la jeune femme était sans inquiétude car elle savait que les essais ne commenceraient pas sans sa présence. Les personnes qui venaient pour le casting devaient frémir d’impatience mais cela faisait partie du scénario, plus les candidats stressaient, mieux elle les jugeait. Diane entra dans le petit immeuble et salua le gardien.

– Bonjour Monsieur Donatello. – Bonjour Mademoiselle Dainter. – Ils sont arrivés ? – Oui Mademoiselle, ils sont tous là-haut. – Parfait. Le gardien la regarda partir en se disant que cette jeune femme avait une

classe folle. – Une peau de vache dans un corps de déesse, marmonna-t-il. Elle était grande, l’allure décidée, un peu gironde, toujours bien

habillée. À peine maquillée la jeune femme affichait peu de bijoux. Ses cheveux châtains tantôt libres sur les épaules tantôt tirés en chignon, faisaient ressortir son visage clair et ses yeux marron foncé.

Donatello travaillait ici depuis sept ans, il se souvint comme si c’était hier du jour où elle s’était présentée. C’est lui qui l’avait reçue, il n’était pas près de l’oublier. Ce fut accompagnés de sifflements admiratifs et de quolibets osés qu’ils marchèrent vers le bureau de la direction. Il avait jeté un coup d’œil vers la jeune femme s’attendant à voir son visage empourpré, mais il ne vit qu’un sourire ironique, il lui sembla même

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qu’elle accentua sa démarche en roulant des hanches. Au fil des années il l’apprécia à sa juste valeur. Il n’avait jamais vu une femme comme elle, jolie, mais arborant systématiquement un air sévère, elle avait une façon de parler directe et froide. Sa réputation de femme insensible avait fait le tour de la société de publicité pour laquelle elle travaillait, aussi son surnom de « blizzard » lui allait comme un gant. Le gardien hocha la tête et se replongea dans son magazine sportif.

Il y avait beaucoup de personnes pour le casting, la salle était remplie d’hommes et de femmes, les voix cessèrent à son arrivée. Aujourd’hui Diane recherchait un couple pour jouer dans un spot publicitaire qu’une chaîne de télévision voulait retransmettre en mini-feuilleton. Elle prit le temps de regarder l’assemblée avant de dire bonjour.

– Nous pouvons commencer, dit-elle ensuite. Un homme lui fit signe de loin, puis il vint s’asseoir auprès d’elle. – Qu’y a-t-il Julien ? demanda-t-elle à mi-voix. – Pour le rôle masculin je te recommande le jeune garçon qui est assis

sur les marches, le numéro 1. Diane regarda les comédiens, ils portaient tous un badge avec un

numéro différent, elle s’attarda plus longtemps sur celui qui lui avait été désigné et sourit en disant :

– Un de tes préférés ? Devant son silence elle ajouta pour le taquiner. – Qui me conseilles-tu pour le rôle féminin ? Julien avait l’habitude et ne répondit pas, il lui prit la main et effleura le

bout de ses doigts d’un baiser. Les essais durèrent toute la journée, Diane était le genre de femme

perfectionniste et ne laissait pas la moindre chance à ceux qui y venaient pour s’amuser, elle renvoya sur-le-champ trois personnes et sur les trente auditionnées elle n’en retint que douze.

– Je ne comprends pas, ils veulent devenir comédiens mais il n’y a rien de naturel qui sort de leur bouche, ce n’est pourtant pas difficile, il n’y a qu’à lire le texte.

Comme toujours elle finissait les auditions en râlant et en demandant l’avis de sa secrétaire.

– Qu’en pensez-vous Estelle ? – Le 3 n’est pas mal. – Le 1 aussi, fit remarquer Julien. Diane eut un geste d’impatience.

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– Bon, voyons si c’est si difficile que ça… Julien, prend le texte et donne-moi la réplique, dit-elle en lui tendant les feuilles.

Il saisit les pages et commença, à la fin du dialogue elle se tourna vers Estelle.

– Alors ? – Bravo Diane, vous êtes douée, lui répondit-elle en applaudissant. Julien lui rendit les feuilles et sortit sans ajouter un mot. – Attends ! cria-t-elle à son égard, j’ai quelque chose à te dire. Elle le rejoignit en courant, prit son bras et lui parla à l’oreille. Un peu plus tard, ils étaient assis devant une boisson, à la terrasse du

café où ils avaient l’habitude de venir. – Je pense que nous allons faire un malheur, je suis satisfaite de notre

sélection. – De ta sélection, souligna Julien. – Pourquoi ? je suis sûre que le candidat numéro 1 sera très bien, dit-elle

en faisant semblant de s’intéresser aux passants. Julien but d’un trait puis posa tranquillement son verre. – Bien, répondit-il simplement. – Tu n’es pas d’accord ? Diane le fixait maintenant, Julien sourit et lui jeta un regard plein de

malice. – Si, mais je croyais que… – Tu avais raison, va pour le numéro 1, il devra travailler, je compte sur

toi. – Il ne nous décevra pas, tu verras, je me charge de lui. – J’en suis persuadée, répondit Diane, j’espère que tous nos candidats

sont majeurs ? – Oui, dit-il, pourquoi cette question ? – Je les trouve bien jeunes. – Je contrôlerai une dernière fois pour en être sûr. – Tant mieux, j’aurai peut-être besoin un de ces jours de consulter la

base de données. – Quand tu voudras mais fais-moi signe avant, je préparerai le fichier,

ça t’évitera de chercher. Julien avait répondu précipitamment, trop peut-être. – Bien, Julien, je te laisse, j’ai encore des choses à mettre au point, à

demain, dit-elle en se levant. – À demain 14 heures.

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– Il ne faudra pas compter finir avant 22 heures au moins. Julien hocha la tête, puis lui fit un petit signe de la main en guise d’au

revoir. La jeune femme partit à pied à sa voiture, le retour se fit sans problème, la circulation était devenue fluide. Elle gara son véhicule au parking privé mais ne rentra pas tout de suite chez elle, Diane flâna devant les vitrines, elle avait envie de marcher, c’était sa façon à elle d’évacuer le stress.

De nouveau aux studios, Julien s’installa dans un fauteuil et visionna les essais de l’après-midi. Il revint plus longuement sur certains, une lueur particulière éclaira son regard lorsqu’il arrêta l’image sur le numéro 1. Il resta ainsi un bon moment à l’observer, puis rembobina la cassette, éteignit l’appareil et sortit, il n’avait qu’à traverser la rue pour rejoindre l’immeuble d’en face et monter à son appartement situé au deuxième étage. Voyant l’heure, il se mit à préparer son repas en chantonnant et mangea dans la petite cuisine. Un peu plus tard, le regard dans le vague, il pensa à Diane.

Il fit sa connaissance lors d’une promenade au jardin public du Champ-de-Mars, elle était assise sur un banc et regardait les promeneurs, il s’installa à ses côtés. Au bout de quelques minutes ils échangèrent poliment quelques mots, puis la conversation s’anima et ils se firent quelques confidences.

– Comment vous appelez-vous ? – Julien, et vous ? – Diane, que faites-vous dans la vie ? – Je surveille. – Ah, vous êtes vigile. – En quelque sorte, avait-il répondu en souriant. – Ce n’est pas fatiguant ? – Par moment, surtout lorsque je suis en équipe de nuit, et vous ? – Je dirige le secteur publicitaire d’une société audiovisuelle. – Ce doit être intéressant. – Passionnant vous voulez dire. – Si ce n’est pas indiscret, où habitez-vous ? – Vers le Sacré-Cœur, rue Paul Albert. – Beau quartier, je le connais un peu. Seule ? pardon, oubliez ma

question. – Oui, je suis célibataire.

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– Moi je vis avec Michel, nous habitons Epinay, l’ancienne maison de disque aménagée en appartements.

– Ce n’est pas vrai ! s’exclama-t-elle, je travaille en face. – Alors nous sommes presque voisins et… amis. – Amis, avait-elle répondu en lui serrant la main. Au moment de partir Julien l’invita à boire un pot, la jeune femme

accepta sans se faire prier. Il y eut d’autres rencontres, d’autres sorties. Diane parlait souvent de

son métier, de ses craintes, de ses difficultés qu’elle avait pour superviser de gros projets. Le jeune homme écoutait avec attention et lui donnait son avis sur le sujet. Sa façon de voir les choses avait plu à la jeune femme, elle l’appréciait et c’était réciproque, depuis il était devenu son conseiller. Lorsque quelque chose n’allait pas ou semblait impossible à faire, ils se retrouvaient pour en parler, maintenant lors des castings, des scènes ou des répétitions, elle lui demandait d’y assister, selon bien sûr ses disponibilités.

– Je vous paierai vos heures. – Il n’en est pas question. – Je ne peux pas accepter. – Je fais très souvent du bénévolat et j’aime ça. Diane l’avait remercié, il sourit à se souvenir, le dernier service qu’il lui

rendit, fut de trouver de jeunes comédiens pour jouer dans un clip. Julien la trouvait charmante, les hommes en général la trouvaient

surtout charnelle, mais curieusement, à chaque tentative d’approche, elle les remettait à leur place. Il avait deviné un problème chez cette femme et était persuadé qu’elle avait dû souffrir moralement, peut-être physiquement aussi, mais jamais elle ne lui avait fait de confidence à ce sujet. Il regrettait beaucoup que leur relation soit purement professionnelle, non pas pour la drague mais parce qu’il aurait souhaité être son ami, un vrai, avec un grand A. Il rinça sa tasse et se dirigea vers la chambre puis s’allongea sur le lit en attendant Michel, il saisit un album placé sur la table de chevet et l’ouvrit, des photos défilèrent lentement devant ses yeux attentifs jusqu’à tard dans la nuit.

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Le premier candidat récitait son texte, Diane avait choisi au hasard un extrait de Cyrano de Bergerac et le reprit plusieurs fois tout en observant la réaction du jeune homme. Celui-ci n’avait jamais lu l’auteur et se retrouva assis avec le texte à étudier pour tenter un deuxième essai, cependant s’il le souhaitait, il pouvait partir immédiatement, elle leur laissait toujours le libre arbitre.

– À vous, dit-elle en désignant le protégé de Julien. Le jeune homme monta sur scène et demanda : – Qui me donne la réplique ? – Vous Mademoiselle, oui, vous tout en noir, répondit Diane d’une voix

forte. La jeune fille se précipita vers le candidat déjà en place et resta droite

comme un piquet, impressionnée d’avoir été choisie. – Avant de commencer je veux connaître vos prénoms. – Ludovic. – Clotilde. – Bien on y va, et pas de timidité, sinon vous êtes perdus, c’est

compris ? Les deux candidats pétrifiés firent oui de la tête et commencèrent. CL – Aujourd’hui… Vos mots sont hésitants. Pourquoi ? LU – C’est qu’il fait nuit, Dans cette ombre, à tâtons, il s cherchent votre oreille. CL – Les miens n’éprouvent pas difficulté pareille. LU – Ils trouvent tout de suite ? oh ! cela va de soi, Puisque c’est dans mon cœur, eux, que je les reçois ; Or, moi, j’ai le cœur grand, vous, l’oreille petite. D’ailleurs vos mots à vous, descendent : ils vont vite.

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Les miens montent, Madame : il leur faut plus de temps ! CL – Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants. LU – De cette gymnastique, ils ont pris l’habitude ! CL – Je vous parle, en effet, d’une vraie altitude ! LU – Certes, et vous me tueriez si de cette hauteur Vous me laissiez tomber un mot dur sur le cœur ! – Très bien, aux suivants on se dépêche, cria Diane. Tous les candidats jouèrent la même scène, maintenant il ne restait que

le dernier et pas de femme pour lui donner la réplique, amusée Diane lui demanda :

– Comment vous appelez-vous ? – Dimitri. Diane le détailla, il était grand, mince, blond, les yeux bleus et le visage

très jeune. – Choisissez dans le texte une phrase de Cyrano et lisez-la. – N’importe laquelle ? demanda le jeune homme surpris. – Ne perdez pas de temps, je vous écoute, répondit la jeune femme en

s’approchant de lui. Elle savait que sa façon de parler déstabilisait le candidat, mais ça lui

permettait de juger la personnalité du jeune comédien, Dimitri commença son texte en l’accompagnant de gestes.

« – Mais oui, c’est adorable. On se devine à peine. Vous voyez la noirceur d’un long manteau qui traîne, j’aperçois la blancheur d’une robe d’été : Moi je ne suis qu’une ombre, et vous qu’une clarté ! Vous ignorez pour moi ce que sont ces minutes ! Si quelquefois je fus éloquent… Une voix féminine donna la réponse. – Vous le fûtes ! » Le jeune homme ne fut pas surpris d’entendre la réplique, il avait les

yeux braqués sur Diane, qui, de tête récitait la suite et lui faisait signe de continuer, elle assura le rôle jusqu’à la fin de la scène, puis ajouta satisfaite.

– On arrête, c’est pas mal, nous allons travailler ensemble, je vous garde tous, on fait une pause d’une demi-heure.

Les candidats s’embrassèrent avec effusion puis ils sortirent un moment, laissant Diane et Julien seuls.

– Tu es magnifique Diane, puis-je te poser une question ?

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– Bien sûr, je t’écoute. – Pourquoi n’es-tu pas devenue comédienne : être face au public ça ne

te tentait pas ? – Si, mais j’ai fait le choix de travailler derrière, dans les coulisses. Julien hocha la tête, voyant sa mine déconfite elle ajouta : – Ne suis-je pas une bonne créatrice de jeunes talents ? – Tu es parfaite ! s’exclama l’homme qui se leva et l’embrassa sur le

front. – Que penses-tu des candidats ? – Toi qu’en penses-tu ? – Les filles sont bien. – Et les garçons ? – Ils sont bien aussi. – Super, répondit Julien en souriant de satisfaction. – Ne sont-ils pas un peu immatures ? demanda-t-elle. – Qui peut le savoir ? – Parfait, nous les gardons, je trouverais des petits rôles en attendant…

dis-leur de travailler, c’est très important. – Les voilà qui reviennent. – L’exactitude c’est ce que j’aime, je pense que nous allons faire une

équipe sérieuse, tu peux t’en occuper ? Julien acquiesça, frappa dans les mains et demanda une attention toute

particulière aux comédiens, il parla avec eux et peu à peu l’atmosphère se détendit, puis il distribua un nouveau texte, celui prévu pour le scénario, en mentionnant le rôle de chacun.

– À étudier par cœur pour la fin de la semaine et pas d’excuse ce jour-là sinon c’est la porte.

Il donna les dernières recommandations puis s’adressa à Diane. – Voilà, je crois qu’ils sont heureux. – Je le crois aussi. – Et toi Diane, toujours décidée à partir ? – J’y réfléchis. – C’est une grande décision. – Oui. – As-tu pensé à tout ce que tu laisses ici, tes amis, ton travail, ton

salaire, tu ne trouveras jamais l’équivalent en province. – J’en suis consciente. – Tu vas me manquer.

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– À moi aussi, vous allez tous me manquer. – Quoi que tu fasses, l’important c’est que tu sois heureuse. – Je vais au Cottage passer le week-end, on verra à mon retour. – D’accord, quand pars-tu ? – Ce soir, au train de 20h30. – Je suis libre, veux-tu que je t’y dépose ? – Non merci je prendrai un taxi, ciao, dit-elle en l’embrassant. – Comme tu veux, amuse-toi bien. – Alors à mardi. – D’accord, appelle-moi. Diane l’embrassa, rentra chez elle, mis un peu d’ordre dans la maison et

prépara son sac de voyages, elle regarda l’heure, se dépêcha d’appeler un taxi et le guetta de sa fenêtre, il arriva dix minutes après. En un rien de temps elle fut en bas, le chauffeur mit son bagage dans le coffre, tandis qu’elle s’installait à l’arrière de la voiture.

– Où allons-nous ? – Gare d’Austerlitz s’il vous plaît. – Bien madame. Pendant le trajet Diane se détendit, quand elle allait au Cottage, elle était

toujours pressée et un peu excitée.

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Le virage était plus prononcé à cet endroit, mais Quentin ne s’en rendit

même pas compte, ses mains tapaient sur le volant, scandant la musique qui sortait en hurlant des enceintes. Il était encore loin de chez lui, le jour se levait, brumeux, peu de monde circulait à 5 heures du matin. Heureusement qu’il ne roulait pas vite, car sa conduite était dangereuse, il allait de gauche à droite sans raison, ou plutôt si, il était saoul et complètement hilare. Le jeune homme se sentait heureux, la soirée lui avait plu, pourtant il y avait été contraint et forcé. Stéphane, un de ses amis, se mariait et ils avaient enterré sa vie de garçon. La bande de copains avait organisé une sortie, il ne manquait que lui et fut harcelé sans relâche. Pour ne pas faire de peine au futur marié Quentin avait fini par céder.

Il ouvrit la vitre, l’air froid le dégrisa légèrement. – Qu’est-ce que je tiens. Il ralentit et freina sans rétrograder, la voiture cala et s’arrêta. – Putain, qu’est-ce que je tiens. Les arbres qui longeaient la route sur plusieurs kilomètres

assombrissaient l’endroit, il descendit du véhicule et se libéra avec plaisir d’une envie naturelle qui le tenaillait depuis un moment. Quentin repensait à son copain qui dansait avec lui, habillé et maquillé en fille, aux jeux organisés pour la soirée et à son départ qui dura plus d’une heure parce que personne ne voulait le voir s’en aller. Subitement, sans raison, il se mit à rire, un rire gras qui résonna étrangement dans le sous-bois. Au bout de cinq minutes il poussa un soupir d’aise, tira sur la fermeture Éclair et réajusta son pantalon.

Il repartit tant bien que mal, la fatigue se fit sentir, il se frotta les yeux et bailla à se décrocher la mâchoire. En une fraction de seconde il aperçut une silhouette devant lui et posa un pied lourd sur le frein, fit une embardée et se retrouva dans le champ en contrebas. Il sortit avec beaucoup de mal de la voiture, pesta, jura, reprit ses esprits et courut comme un fou vers la route. Son cœur s’arrêta de battre à la vue d’une forme allongée sur le bas-côté.

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– Je l’ai tuée, gémit-il tout haut. Il s’approcha et se pencha. – Eh ! eh ! Puis voyant que le corps restait immobile il le secoua légèrement. – Vous allez bien ? répondez-moi. Sa bouche pâteuse laissait passer difficilement les mots et sa voix ne

semblait pas être la sienne, il tourna sur lui-même plusieurs fois, les bras ballants.

– Je vous ai tuée ? Sans faire le moindre geste pour secourir la personne, il passa

machinalement sa main dans les cheveux. – Quelle poisse… qu’est-ce que je vais faire maintenant ? ah oui je sais,

je vais appeler la police, non les pompiers, c’est ça les pompiers, je crois que c’est mieux.

– Vous ne pouvez pas faire attention espèce d’abruti. L’homme s’immobilisa et observa la forme qui commençait à bouger. – Vous parlez ? – Aidez-moi à me relever au lieu de rester planter sans rien faire. Il se mit à rire bêtement et se pencha vers elle, mais perdit l’équilibre et

s’affala sur la route. – Vous êtes vraiment un gros nul. Quentin se remit debout avec difficulté, un sourire idiot aux lèvres, il

écarquilla les yeux et regarda celle qui se tenait devant lui. – Vous êtes une femme ? – Jusqu’à preuve du contraire oui, d’où sortez-vous espèce de

péquenaud. – Vous n’avez rien, c’est le principal, marmonna-t-il. Soudain une réaction incontrôlable le saisit, ses mains se mirent à

trembler et son cœur cogna très fort, il aurait pu la tuer. « Merci mon Dieu » pria-t-il.

– Encore heureux, grinça la jeune femme en remettant de l’ordre dans sa tenue.

– Mais qu’est-ce que vous foutez sur la route à cette heure-ci ? votre mari vous a plaquée ou vous voulez vous suicider ?

– Crétin. – Où allez-vous ? – Chez ma tante. – On s’est déjà vu quelque part.

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Quentin, un doigt sur ses lèvres, prit une attitude pensive en la regardant.

– Ne vous fatiguez pas, lança la jeune femme excédée. – Allez, sans rancune, puis cherchant sa voiture il ajouta, où est-ce que

je l’ai garée ? – Ce n’est pas celle que je vois dans le terrain, là-bas ? répondit-elle

ironique. – Ah oui, dit-il en se dirigeant tant bien que mal vers le véhicule. Diane récupéra son sac à main et le suivit inquiète, cet homme avait un

comportement singulier, pendant qu’il s’évertuait à démarrer la voiture, elle eut tout le loisir de l’observer.

– Venez pousser, lui cria-t-il. Tout en gardant son sac elle obéit, sans se presser ni forcer, la jeune

femme comprit enfin pourquoi il chancelait de temps à autre, il était ivre, mais à part ça il présentait bien, la quarantaine environ, il donnait l’impression d’un homme tranquille. Elle remarqua ses mains larges et épaisses, des mains de paysan, il ne portait pas d’alliance. Au fur et à mesure qu’elle le détaillait une sensation étrange l’envahit. La jeune femme avait connu cet homme quelques années auparavant et le destin venait de le remettre sur son chemin.

– Comment est-ce possible ? murmura-t-elle. – Je vous ai demandé de pousser, hurla-t-il. – Je n’y arrive pas. – Attifée comme vous l’êtes vous ne risquez pas, prenez ma place, je

vais pousser. Diane obéit mais le moteur cala. – Vous démarrez en accélérant à fond, c’est une vieille voiture, ok ? Il pestait contre cette bonne femme qui ne comprenait rien à rien, puis le

moteur démarra en projetant une fumée noire, Quentin se mit à tousser et s’éloigna, il était asphyxié et en nage. Diane, inquiète de ne plus l’entendre râler, sortit de la voiture et le vit quelques mètres plus loin, ployé en avant, les mains sur les cuisses, comme un sportif qui reprend son souffle.

– Que faites-vous ? – Je travaille, ça ne se voit pas ? on y va, lui dit-il. – Mon sac ! s’exclama-t-elle. – Quoi votre sac, vous le tenez entre vos mains, répondit-il hargneux. – Oui, je veux dire non… pas celui-ci, j’avais aussi un bagage à main. – Nom de Dieu, jura l’homme en partant.

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Il grimpa le talus, se dirigea vers l’endroit où la jeune femme était tombée, chercha un moment et leva les bras au ciel.

– Regardez dans le fossé, il y est peut-être, cria Diane. – Le fossé ? ah oui, je n’y avais pas pensé. Il redescendit le talus, perdit l’équilibre, se releva et revint avec l’objet

en question. – C’est ça ? – Oui, regardez dans quel état il est, s’esclaffa Diane en voyant les

dégâts. Effectivement, le bagage grand ouvert laissait voir des vêtements, il le

referma brutalement et le jeta à ses pieds en grognant. – Quelle idée de prendre un sac si fragile. – Allez voir s’il ne reste rien plutôt que de critiquer, répliqua la jeune

femme en colère. Il y retourna, mais revint sur ses pas passablement énervé. – Je vous suggère d’attendre que le jour se lève, vous y verrez mieux,

lui lança-t-il d’un ton sec. – Merci du conseil, répondit-elle du tac au tac. Diane inspecta méticuleusement le sac, constatant avec soulagement

que rien n’était abîmé, ni ne manquait, elle monta dans la voiture sans y être invitée.

– Je vois qu’on peut repartir, dit-il en s’installant au volant. Elle ne décrocha pas un mot et resserra son manteau d’un geste frileux.

Il roula dans le terrain qui par chance était sec et regagna la route. L’homme se tourna vers elle et demanda :

– Où allez-vous ? – À Berniès. – Vous êtes encore loin, lui dit-il en faisant craquer la vitesse. – Je sais, grommela la jeune femme. – Je veux dire à pied, ajouta-t-il moqueur. – Je suppose que ce serait trop vous demander de m’y accompagner,

répliqua-t-elle sur le même ton. – Le commandant vous souhaite un bon voyage, allons-y, attachez votre

ceinture. Sa voix pâteuse transformait certaines consonnes en S ou en Z, Diane se

sentit gagnée par un fou rire mais se contint. – Vous n’avez qu’à me laisser au prochain village. – Alors on est bientôt arrivé.

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Le jour blafard éclairait le paysage et le rendait irréel. Il accéléra comme pour rattraper le temps perdu et glissa un coup d’œil vers la passagère. Vu sa tenue, elle devait avoir les moyens, sa robe échancrée que son manteau avait du mal à dissimuler montrait un décolleté à damner un saint. Quentin passa de nouveau la main sur son visage et écarquilla les yeux, il se dégrisait doucement mais tombait de sommeil.

– Puis-je vous offrir un café ? lui dit-elle en remarquant son geste. – Ce n’est pas de refus. Il prit la rue principale, voyant une place libre près du seul café ouvert

de la ville, il se gara brutalement, Diane fut projetée contre la portière et poussa un cri. Sans s’excuser, il sortit et entra directement dans le bistrot.

– Salut Robert. – Tu es bien matinal aujourd’hui, lui fit remarquer celui-ci. – Sers-moi un café bien fort. – Je vois. – Bonjour Monsieur. – Bonjour Madame, répondit Robert avec étonnement. Voyant que la dame s’asseyait près de Quentin, il sourit d’un air

entendu. – Qu’est-ce que je vous sers ? – Un crème s’il vous plaît. Il revint quelques minutes plus tard et posa les deux tasses devant eux. – Désolé pour les croissants, si j’avais su que tu étais accompagné je les

aurais commandés, lança-t-il à l’égard du jeune homme. Celui-ci ne répondit pas et Diane fit semblant de ne pas remarquer

l’allusion, trop occupée à observer l’homme complètement avachi sur la banquette. Elle avait une lueur étrange dans son regard et s’était radoucie.

– Merci pour le café, si je peux encore faire quelque chose pour vous ne vous gênez pas.

La jeune femme sursauta, l’homme s’était redressé et avait prononcé ces mots d’une voix endormie.

– Merci à vous de m’avoir déposée ici, je vous dois une explication, répondit doucement la jeune femme.

– Faites vite, je tombe de sommeil. – Je viens de Paris. – De Paris, répéta Quentin. – Comment vous appelez-vous ? – Quentin.

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– Quentin comment ? – Cramont, Quentin Cramont. – Moi c’est Diane. – J’ai connu une jeune fille qui s’appelait Diane, elle était très belle, une

vraie déesse. – Ah oui ? répondit-elle intéressée et vous la voyez toujours ? – Non, elle est partie, je ne l’ai plus jamais revue. Subitement Diane se renferma, pourquoi l’espace d’une seconde avait-

elle espéré que c’était d’elle qu’il parlait, il l’avait certainement oubliée, de plus des quantités de femmes s’appellent Diane. L’homme avait du mal à tenir sa cuillère et piquait lentement du nez, elle se leva et demanda au patron.

– Savez-vous s’il y a un car pour Berniès ? – Pas à cette heure ma petite dame. Il s’adressa à un homme assis plus loin qui finissait de boire son café. – Dis-donc Frédo, tu n’irais pas du côté de la maison à Faruget des fois ? – Tu veux dire la propriété du pendu sur la route qui mène à

Marmande ? – Oui, « les Chausseaux ». Au fait, tu sais qu’il a pris quelqu’un pour

l’aider, un pauvre bougre qui cherchait du travail. – J’en ai entendu parler, répondit laconiquement Frédo. – Il paraît qu’il est vaillant. Frédo semblait réfléchir sur les renseignements qu’il venait d’entendre

et reposa la tasse. – En passant par là-bas c’est comme qui dirait mon chemin. – Tu peux peut-être déposer cette charmante dame où elle te dira ? Celui-ci regarda par-dessus ses lunettes, détailla la jeune femme, puis il

se leva et s’approcha du comptoir. – Et lui ? dit-il en désignant Quentin. – Laisse, je m’en occupe. – Si ce n’est pas malheureux de le voir dans cet état. – Frédo, pour qui tu le fais passer, c’est la première fois qu’il est comme

ça. – N’empêche que s’il avait une femme, il ne serait pas ici en train de

cuver son vin. – Occupe-toi de madame. Le cafetier les salua poliment, Diane regarda une dernière fois l’homme

écroulé sur la table, Frédo saisit le sac de voyages et sortit.

Page 20: Du même auteur - fnac-static.com...– Qui me donne la réplique ? – Vous Mademoiselle, oui, vous tout en noir, répondit Diane d’une voix forte. La jeune fille se précipita

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– Le break noir devant vous, installez-vous pendant que je mets votre bagage dans le coffre.

– Merci, répondit Diane. Pendant le trajet, Frédo ne posa pas de question, il lui demanda

seulement où il devait la déposer, elle lui demanda de la laisser sur la route qui menait aux terres d’expérimentations du lycée agricole, ensuite elle se débrouillerait et irait à pied jusqu’au « Deux Bouleaux »

– Au « Deux Bouleaux », vous voulez dire le Cottage ? répéta l’homme en la dévisageant.

– Oui, vous connaissez ? – Chez Gaby ? bien sûr que je connais, j’ai connu son mari il avait mon

âge, le pauvre homme il était brave, puis sa pauvre fille qui est morte dans un accident de voiture avec son mari laissant un bébé orphelin, une petite fille. Je ne me souviens plus de son prénom, vous savez c’est Gaby qui l’a élevée seule, cette femme était un exemple de courage, toujours prête à rendre service.

– Je sais, répondit doucement Diane. Alerté par le son de sa voix, il tourna la tête et observa la jeune femme. – Vous êtes d’ici ? – Oui. – Nous sommes presque arrivés, tenez, regardez, on voit la maison de la

route, les volets sont fermés, mais Clara vient voir tous les jours en faisant sa tournée, peut-être la connaissez-vous ?

– Oui, elle est infirmière. – Alors tout va bien, je suis content pour vous. – Je vous remercie. – Voilà, c’est là, mais dites-moi j’y pense d’un seul coup, vous ne

pouvez pas entrer, vous n’avez pas les clés. – J’en ai un jeu dans mon sac. – C’est parfait. – Merci encore, Monsieur Frédo. – Si vous avez besoin d’un service n’hésitez pas, j’habite la propriété

derrière celle-ci. – Oui je la vois. Il souleva son béret poliment pour lui dire au revoir. – Je m’appelle Diane Dainter, lui lança-t-elle.