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Dossier réalisé pour préparer un échange scolaire en décembre 2005 entre les élèves de Terminale du Lycée Français de Varsovie et du Lycée Français de Prague. Arnaud Léonard, professeur d’histoire-géographie du Lycée français de Varsovie.

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Dossier réalisé pour préparer un échange scolaire en décembre 2005 entre les élèves

de Terminale du Lycée Français de Varsovie et du Lycée Français de Prague.

Arnaud Léonard, professeur d’histoire-géographie du Lycée français de Varsovie.

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Une chronologie de Solidarność (1976-1989) I. Les prémisses de la contestation (1976-1980) 1976 - L'inflation atteint un taux de 60 %, les grèves paralysent le pays et de nouvelles émeutes éclatent à Radom et à Ursus près de Varsovie, où sont fabriqués les célèbres tracteurs des pays communistes. 23.IX.1976 - Fondation du Comité de Défense des Ouvriers (KOR), organisation d'opposition regroupant des intellectuels et des syndicalistes. 1977 - Visite du président américain Jimmy Carter. 6.I.1977 – Transformation du KOR en Comité d’Auto-Défense Sociale. 16.X.1978 - Le cardinal Karol Wojtyła est élu Pape, il prend le nom de Jean-Paul II. Ses premiers mots, « N’ayez pas peur. Ouvrez les frontières des Etats, les systèmes économiques et politiques », sonnent comme un signal pour les Polonais. 2-10.VI.1979 – Première visite du Pape en Pologne. Le pouvoir ne lui autorise que certains déplacements II.1980 – Crise économique en Pologne. 1.VII.1980 -Annonce de la hausse du prix de la viande, qui va jouer un rôle de détonateur. 10.VII.1980 - La grève générale est décrétée à Lublin ; en quelques semaines, les arrêts de travail paralysent tout le pays. II. Les grandes grèves d’août 1980 14.VIII.1980 - Les ouvriers du chantier naval de Gdansk « Lénine » arrêtent le travail. Principales revendications : réintégrer Anna Walentynowicz et Lech Wałęsa, militants des Syndicats Libres, non reconnus par l’Etat ; élever un monument aux travailleurs du chantier tombés lors de la révolte de décembre 1970 ; augmenter les salaires. 15.VIII.1980 - La grève s’étend à d’autres chantiers navals, ports et transports en commun de Gdańsk-Sopot-Gdynia. Les autorités coupent la liaison téléphonique entre la côte et le reste de la Pologne. 16.VIII.1980 – La direction des chantiers navals de Gdańsk accepte les revendications des ouvriers, mais ceux-ci continuent la grève par solidarité avec les équipes d’autres chantiers plus petits qui, seuls, n’ont aucune chance de faire valoir leurs revendications. Pendant la nuit, les représentants de 21 entreprises créent le MKS (comité de grève interentreprises) avec Wałęsa à sa tête. Au sein du Ministère de l’Intérieur, un état-major est créé pour mener l’opération « Eté 80 », afin de maîtriser la situation. 17.VIII.1980 - Les familles des grévistes et les habitants se rassemblent devant les usines. Une messe en plein air se déroule devant l’entrée du chantier. Les ouvriers marquent l’emplacement du monument à leurs amis tombés en 1970. Sur recommandation du MKS, une stricte prohibition de l’alcool est de règle dans les usines en grève. Les autorités créent une commission pour « examiner les revendications des ouvriers et les problèmes de la Côte », sous la direction du Vice-premier Ministre Tadeusz Pyka. Pendant la nuit, le MKS formule une liste de 21 revendications. 18.VIII.1980 - Le chantier de Szczecin entre en grève et devient le siège d’un autre MKS. A la demande des grévistes, les autorités de Gdańsk prononcent l’interdiction de vendre de l’alcool. Le MKS de Gdańsk regroupe déjà 156 entreprises. 19.VIII.1980 - Le MKS regroupe 250 entreprises. Toute la Côte est en grève. 20.VIII.1980 - Le MKS de Gdańsk rassemble 304 entreprises, le MKS de Szczecin en compte déjà plus de 30. Les services de sécurité arrêtent des membres et des collaborateurs du KOR et d’autres groupements d’opposition. La presse officielle mène une impitoyable campagne de dénigrement des grévistes. 64 intellectuels varsoviens lancent un appel au gouvernement pour que celui-ci reconnaisse le MKS et entame le dialogue avec les ouvriers.

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21.VIII.1980 - Le MKS de Gdansk regroupe 350 entreprises en grève ; celui de Szczecin en compte 82. Tadeusz Pyka est déchargé de sa fonction, c’est désormais le Vice-premier Ministre Mieczysław Jagielski qui se trouve à la tête de la commission gouvernementale à Gdańsk. Il continue d’ignorer le MKS. Une grève commence aux aciéries « Lénine » à Cracovie. 22.VIII.1980 - La commission gouvernementale négocie avec les grévistes de Szczecin. Tadeusz Mazowiecki et Bronisław Geremek, liés à l’opposition, arrivent sur les chantiers de Gdańsk. Ils apportent le texte de « l’Appel des intellectuels ». Le soir, à Gdańsk, la délégation du MKS rencontre le Vice-premier Ministre Mieczysław Jagielski. 23.VIII.1980 - Au chantier de Gdańsk paraît le premier numéro du « Bulletin d’information de grève Solidarność ». Le soir commencent les discussions du MKS de Gdansk (qui compte 388 entreprises) avec la commission gouvernementale, retransmises par radio sur tout le chantier. La délégation du MKS de Szczecin arrive à Gdańsk. 24.VIII.1980 - Les discussions avec la commission gouvernementale sont interrompues à Gdańsk et à Szczecin. Une commission d’experts est créée auprès du MKS, afin de préciser le premier point des revendications. Les unités militaires soviétiques stationnées en Pologne sont prêtes au combat. 25.VIII.1980 - En URSS, le bureau politique du comité central du PCUS créé une commission spéciale sur la Pologne. Le blocus téléphonique continuant à Gdańsk-Sopot-Gdynia, le MKS refuse de commencer la discussion avec la commission gouvernementale. A Szczecin 142 ateliers sont en grève ; une nouvelle session de discussions a lieu avec les représentants du gouvernement. 26.VIII.1980 - Une deuxième session de discussions a lieu entre le MKS et la commission gouvernementale. Une grève de solidarité des transports en commun et des usines commencent à Łódź et à Wrocław. 27.VIII.1980 - Le MKS de Gdańsk compte 500 entreprises en grève. Lors des discussions à Szczecin, le représentant du gouvernement rejette la création de syndicats libres. 28.VIII.1980 - La troisième session de discussions a lieu entre le MKS de Gdańsk et la commission gouvernementale. Les grèves s’étendent à Wrocław et Cracovie ; une grève est entamée dans la mine « Le Manifeste de Juillet » à Jastrzębie en Silésie. 29.VIII.1980 - Les négociations sont au point mort à cause du premier point. La vague de grève s’étend à tout le pays. La direction du Parti décide en conseil secret de continuer le dialogue avec les grévistes, repoussant l’alternative d’un règlement par la force. 30.VIII.1980 - Le MKS de Szczecin signe un accord avec les représentants du gouvernement. Cet accord est positif en ce qui concerne les aspects sociaux, mais reste évasif sur les points politiques. Signature des deux premiers points à Gdańsk. L’assemblée du comité central du POUP confirme être parvenu à un accord à Szczecin et décide de signer un accord à Gdańsk. 31.VIII.1980 - Le MKS et la commission gouvernementale signent un accord mettant fin à la grève et autorisant la création de syndicats indépendants et autogérés. Mieczysław Jagielski garantit la libération des prisonniers politiques. La « Pravda », quotidien du PCUS publié à Moscou, met en garde dans un commentaire la direction du POUP contre de nouvelles concessions. III. Espoirs et craintes (fin 1980-fin 1981) 1-3.IX.1980 - Les opposants liés au KOR ou à d’autres groupements sont libérés. Les comités de grève deviennent des comités fondateurs de syndicats. Le MKS de Jastrzębie, qui regroupe 56 mines et usines de Silésie, signe un accord de fin de grève. 5-6.IX.1980 – Chute de Gierek. Stanisław Kania devient Premier Secrétaire du Comité central du POUP. 17.IX.1980 - A Gdańsk a lieu la rencontre historique entre les délégués des comités fondateurs du pays tout entier. On décide de créer un syndicat indépendant et autogéré national à structure fédérale portant le nom de « Solidarność » (« Solidarité »). X-XI.1980 - Des sections du nouveau syndicat sont créées dans les usines de tout le pays. Il compte déjà cinq millions de membres environ.

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22.X.1980 - L’état-major général de l’armée polonaise entame les préparatifs de mise en place de la future loi martiale. 24.X.1980 – Le tribunal de voïvodie de Varsovie inscrit Solidarność au registre des syndicats, tout en apportant des changements arbitraires dans ses statuts (entre autres en limitant le droit de grève). Solidarność proteste énergiquement. 10.XI.1980 – Le syndicat indépendant autogéré Solidarność est enregistré sans les modifications du tribunal de voïvodie. Le syndicat reconnaît le rôle dirigeant du parti communiste dans l’Etat. 20.XI.1980 – Les autorités arrêtent l’imprimeur de Solidarność Jan Narożniak, qui avait imprimé l’instruction secrète du procureur général concernant les méthodes de lutte contre les « activités antisocialistes », entre autres celles du syndicat indépendant autogéré Solidarność. Après plusieurs jours de grève, les autorités cèdent et libèrent Jan Narożniak. 1-10.XII.1980 - Le commandement de l’armée polonaise reçoit l’information que des troupes des pays du Pacte de Varsovie se regroupent près des principales villes de Pologne. Zbigniew Brzeziński, conseiller de Jimmy Carter, est prévenu par l’espion de la CIA Ryszard Kukliński de ces manœuvres. Le Président des Etats-Unis informe l’URSS des conséquences qu’aurait une intervention militaire en Pologne. Jean-Paul II décide aussi d’écrire à Brejnev pour le dissuader d’envoyer des troupes. XII.1980 - Czesław Miłosz, poète et critique littéraire émigré, obtient le prix Nobel de littérature. 16-18.XII.1980 - Les célébrations de l’anniversaire de la révolte ouvrière de 1970 ont lieu à Gdańsk. On inaugure un monument aux ouvriers des chantiers, morts sous les balles de la répression. 22.XII.1980 - La direction du POUP décide de reporter la discussion avec Solidarność à une date ultérieure, adoptant ainsi la tactique de la « confrontation morcelée ». 2.I.1981 – La grève des agriculteurs commence. 13.I.1981 – Le maréchal soviétique Koulikov déclare au général Wojciech Jaruzelski que les problèmes de la Pologne doivent être résolus par des Polonais. 21.I.1981 – Les étudiants de Łódź entament une grève pour obtenir la légalisation de l’Union Indépendante des Etudiants, créée à la suite des événements de septembre, et pour accorder plus d’autonomie aux universités. I.1981 – Le Pape reçoit Wałęsa au Vatican. 10.II.1981 – La grève générale de Jelenia Góra, entamée depuis bientôt deux semaines, prend fin. Une des revendications des grévistes est acceptée : les lieux de villégiature de luxe détenus jusque-là par les autorités locales sont mis à disposition de la société civile. 11.II.1981 – Le général Wojciech Jaruzelski est nommé Premier ministre. Il lance un appel à 90 jours de paix. 19.II.1981 – L’Union Indépendante des Etudiants est enregistrée. 26.II.1981 – Le pouvoir dresse la liste des prisons destinées à être utilisées pendant la future loi martiale. 9.III.1981 – Est créé à Poznań le Syndicat Autogéré Indépendant des Agriculteurs individuels Solidarność, fonctionnant à l’échelle nationale. 16.III.1981 – Un groupe d’agriculteurs entame une grève avec occupation des locaux du POUP à Bydgoszcz. 19.III.1981 – Lors de la réunion des autorités de voïvodie de Bydgoszcz, on ne laisse la parole ni aux représentants des agriculteurs en grève, ni aux militants du Solidarność ouvrier qui les soutiennent. La milice fait irruption dans la salle des débats et évacue les syndiqués par la force, frappant à mort le délégué régional de Solidarność Jan Rulewski. Les autorités déclarent qu’il s’est blessé lui-même. La propagande s’attaque à Solidarność. 24.III.1981 – Solidarność prend la décision d’entamer une grève de mise en garde le 27 mars à l’échelle du pays, et une grève générale dès le 31 mars si les autorités refusent de révoquer les responsables de la provocation policière de Bydgoszcz et de s’expliquer sur l’agression des militants. 27.III.1981 – A lieu une grève de mise en garde de quatre heures, preuve de la mobilisation formidable du mouvement. 30.III.1981 – Le gouvernement et Solidarność parviennent à un accord qui met fin à la crise. 1.IV.1981 – Un système de tickets de rationnement est instauré pour la viande et ses dérivés.

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3.IV.1981 – Le premier numéro du « Tygodnik Solidarność » (« L’hebdomadaire Solidarność »), hebdomadaire national, paraît avec Tadeusz Mazowiecki comme rédacteur en chef. Les autorités discutent de l’accès de Solidarność à la télévision. 8.IV.1981 – Un groupe d’officiers soviétiques arrive à Varsovie pour s’assurer que les modifications qui avaient été suggérées dans les préparatifs de la loi martiale ont bien été effectuées. 22.IV.1981 – On met en place des tickets de rationnement pour le beurre, la farine, le riz et autres céréales. 12.V.1981 – Le syndicat agricole Solidarność est officiellement enregistré. V.1981 – Les profanations de cimetières militaires soviétiques se multiplient en Pologne, actes initiés par les services secrets. 5.VI.1981 – Moscou critique le parti communiste polonais pour avoir cédé à la « contre-révolution intérieure ». VII.1981 – IXe Congrès extraordinaire du POUP. Echec des réformateurs du Parti. 23.VII.1981 – On diminue les rations de viande sur tickets. 30.VII.1981 – Se déroulent des marches de la faim à Łódź et dans d’autres villes, auxquelles de nombreuses femmes participent. 1.VIII.1981 – Est mise en place une réglementation pour la vente des sucreries, du café, des matières grasses, des cigarettes et de la lessive 3.VIII.1981 – La manifestation des chauffeurs de bus de Varsovie avec leurs machines, organisée par Solidarność, est stoppée. Le carrefour principal de la capitale reste bloqué pendant trois jours. 26.VIII.1981 – A Moscou, on commence à imprimer les affiches de proclamation de la loi martiale. 5-10.IX.1981 - Se déroulent les débats du Parlement libre de Pologne, lors de la première session du Congrès national des délégués du syndicat indépendant autogéré Solidarność à Gdańsk. On rédige le « Message aux travailleurs d’Europe de l’Est » dont Leonid Brejnev dira : « C’est un document dangereux et provocateur ». 10.IX.1981 - L’appareil du Parti et de l’Etat reçoit des armes en cas de conflit avec Solidarność. 16.IX.1981 - Le bureau politique du POUP fait une déclaration très hostile à Solidarność. Les préparatifs secrets pour la mise en place de la loi martiale sont presque terminés. 18.IX.1981 - Moscou exige de faire stopper la propagande antisoviétique de Solidarność. 26.IX-7.X.1981 - A lieu la deuxième session des débats du Congrès du syndicat autogéré indépendant Solidarność. Les délégués élisent démocratiquement Lech Wałęsa à la tête de Solidarność et donnent aux autorités du syndicat le statut de commission nationale. On vote le programme économique autogéré de Solidarność. X.1981 - A l’invitation des syndicats français et de la gauche non communiste, Wałęsa effectue une visite triomphale à Paris. 16.X.1981 - Le gouvernement rallonge de deux mois le service militaire des soldats qui allaient rentrer chez eux. 18.X.1981 - Le premier secrétaire du comité central du parti, Stanisław Kania, est remplacé par le général Wojciech Jaruzelski, qui conserve en même temps ses fonctions de Premier ministre. 21.X-4.XI.1981 - Les ouvrières des usines textiles de Żyrardów se mettent en grève pour protester contre les graves problèmes d’approvisionnement en nourriture dans la ville. 28.X.1981 - Solidarność lance une grève de mise en garde d’une heure dans tout le pays, en raison de la menace qui pèse sur le syndicat et la société. 4.XI.1981 - Solidarność fait une proposition aux autorités pour sortir de la crise économique, exige l’accès à la télévision, une réforme de la police ainsi que l’indépendance du système judiciaire. 25.XI.1981 - Le ministre de l’Intérieur, le général Czesław Kiszczak, suggère à ses subordonnés d’utiliser la menace d’une intervention soviétique dans la propagande. 2.XII.1981 – Des unités spéciales de la milice cassent la grève de l’école de sapeurs-pompiers à Varsovie en utilisant des hélicoptères. 11-12.XII.1981 – La dernière réunion de la commission nationale se déroule à Gdańsk sous les attaques impitoyables de la propagande contre Solidarność.

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IV. Solidarność et la clandestinité (1981-1986) 12-13.XII.1981 – Dans la nuit, Jaruzelski fait un coup d’Etat et instaure la loi martiale (Stan wojenny) sur tout le territoire. Il crée le Conseil militaire de salut national (WRON). 10 000 militants de Solidarność sont arrêtés et placés en isolement jusqu’à nouvel ordre (dont Wałęsa). Les communications téléphoniques sont interrompues, ainsi que les émissions de radio et de télévision. On supprime les droits élémentaires : liberté d’expression et d’impression, secret de la correspondance, droit d’association et de réunion. Toutes les associations, les syndicats professionnels et enseignants sont suspendus. De nombreuses grèves commencent en réaction au coup d’Etat, mais elles sont brisées par la force. Jean-Paul II écrit à Jaruzelski en des termes très fermes. 13.XII.1981 - Claude Cheysson, ministre français des Relations extérieures, tient des propos malheureux en réponse à un journaliste qui lui demandait si le gouvernement français avait l'intention de faire quelque chose à la suite de la proclamation de la loi martiale en Pologne : « Bien entendu, nous n'allons rien faire ». 16.XII.1981 – Lors de l’attaque menée contre la mine en grève « Wujek » de Katowice, neuf mineurs meurent sous les balles du groupe d’intervention, de nombreux autres sont blessés. 18.XII.1981 – La plupart des parlementaires européens – hormis certains communistes - demandent l'abrogation de la loi martiale et la mise en liberté immédiate des personnes arrêtées. XI-XII.1982 – La loi martiale est allégée ; Wałęsa est libéré mais placé en résidence surveillée. 16-23.VI.1983 – Deuxième voyage du Pape en Pologne. Il peut rencontrer Wałęsa. 22.VII.1983 – Fin officielle de la loi martiale mais les répressions continuent. 5.X.1983 - Lech Wałęsa obtient le prix Nobel de la paix. 21.VII.1984 - Une loi d'amnistie des prisonniers politiques est promulguée à l'occasion du 40ème anniversaire de la République Populaire de Pologne. De nombreux sympathisants de Solidarność sont libérés. XI.1984 - L'amnistie lève quelques unes des préventions occidentales et, dès l'automne, les premiers visiteurs occidentaux de haut rang viennent rompre l'isolement diplomatique de la Pologne : le ministre des Affaires Etrangères d'Autriche arrive à Varsovie le 16 octobre 1984, suivi, le 22 octobre, par le premier ministre de Grèce, Andreas Papandreou. 19.X.1984 - Le père Jerzy Popiełuszko, proche de Solidarność, est enlevé et assassiné par trois officiers du service de sécurité. Ses funérailles, qui prennent la forme d’une manifestation, démontrent la force de Solidarność clandestine. 4.XII.1985 - François Mitterrand est le premier chef d’Etat occidental à recevoir le général Jaruzelski. Pour beaucoup, cela fait l'effet d'un coup de poignard dans le dos du peuple polonais, en même temps d'ailleurs qu'un reniement par la gauche d'une de ses attitudes les plus symboliques. V. Vers une Table ronde (1986-1989) 1.VII.1986 – Visite de Gorbatchev à Varsovie. 11.IX.1986 – Amnistie de tous les détenus politiques. 8-13.VI.1987 – Troisième visite du Pape en Pologne. Il peut se rendre à Gdańsk et se recueillir sur la tombe de Popiełuszko. 27.IX.1987 – Le vice-président américain George Bush, lors d'une visite officielle de normalisation des relations bilatérales, vient à Gdańsk rencontrer Wałęsa. V.1988 – Des défilés étudiants ont lieu le 1er mai. Grèves à Gdańsk ; Wałęsa reprend à contrecoeur son rôle de leader mais appelle à cesser le combat face à la violence du pouvoir. 11-14.VII.1988 – Visite de Gorbatchev en Pologne. VIII.1988 – Après de nouvelles grèves à Gdańsk, début de contacts non officiels entre le gouvernement et l’opposition ; dialogue des deux parties à Magdalenka. 4.XI.1988 – Wałęsa rencontre à Gdansk le premier ministre britannique, Margaret Thatcher. XII.1988 – Wałęsa est autorisé à se rendre en France où, avec A. Sakharov, F. Mitterrand le reçoit avec beaucoup d’honneurs.

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6.II.1989 - Le POUP décide officiellement d'entreprendre des négociations avec l'opposition démocratique. Début de la Table ronde (Okrągły stół). 5.IV.1989 – Accords de la Table ronde ; élections sous conditions à la Diète et libres au Sénat. Le lendemain, Jaruzelski rencontre Wałęsa, qu’il n’avait plus vu depuis 1981. 17.IV.1989 - Solidarność redevient légal. 21.IV.1989 – Une nouvelle visite de Wałęsa à Rome montre aux nombreux Polonais sceptiques que le Pape approuve cette marche prudente vers une semi-démocratie. 8.V.1989 – Première édition libre d’un journal d’opposition en Pologne (Gazeta Wyborcza). 9-10.V.1989 – Wałęsa est à Strasbourg, au siège du Conseil de l'Europe, pour y recevoir le prix européen des Droits de l'Homme. 17.V.1989 – Wałęsa en Belgique, à l'invitation des deux confédérations syndicales auxquelles est affilié "Solidarité", la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) et la Confédération Mondiale du Travail (CMT). Il est reçu par le président de la Commission des Communautés Européennes, Jacques Delors. 4.VI.1989 – Premières élections législatives libres. Solidarność emporte 90 % des sièges du Sénat ainsi que 160 des 161 des sièges qu’on lui a permis de briguer à la Diète. 9.VII.1989 – Le président des Etats-Unis George Bush rend une visite spectaculaire à Wałęsa à Gdansk mais surtout manifeste un soutien ostensible au général Jaruzelski. 19.VII.1989 – Jaruzelski devient Président de la République. 12.IX.1989 – Formation du gouvernement de Tadeusz Mazowiecki, premier chef non communiste en Europe de l’Est.

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Bibliographie (en français) : Czeslaw MILOSZ, La pensée captive, Gallimard, Paris, 1953. François FEJTO, Histoire des démocraties populaires, Point Seuil, 1979. Adam MICHNIK, L'Eglise et la gauche, le dialogue polonais, Le Seuil, Paris, 1979. Czeslaw MILOSZ, La prise du pouvoir, Gallimard, Paris, 1980. François GAULT, Walesa, Le Centurion, Paris, 1981, 195 p.. Jean-Yves POTEL, Scènes de grève en Pologne, Paris, Stock, 1981, 290 p.. Gdansk, la mémoire ouvrière : 1970-1980, (récits recueillis par Jean-Yves POTEL), Paris, F. Maspero, 1982. (Collection Actes et mémoires du peuple). Michel HELLER, Sous le regard de Moscou : Pologne (1980-1982), Calmann-Levy, Paris, 1982. Jadwiga STANISZKIS, Pologne: la révolution autolimitée, Paris, Presses univ. de France, 1982. Jean-François MARTOS, La contre-révolution polonaise, par ceux qui l'ont faite, Editions Champ Libre, Paris, 1983. André FONTAINE, Histoire de la guerre froide, Seuil, collection "Points"; tome II, Paris, 1983. Jan NOWAK, Courrier de Varsovie, Gallimard, Paris, 1983 Adam MICHNIK, Penser la Pologne, Morale et politique de la résistance, La Découverte/ Maspero, Paris, 1983. Tadeusz WYRWA, La résistance polonaise et la politique en Europe, France-Empire, Paris, 1983 Michel WIEWIORKA, Les Juifs de Pologne et Solidarnosc, Denoël, Paris, 1984. Henry ROLLET, La Pologne au XXème siècle, Paris, Pedone, 1985. Norman DAVIES, Histoire de la Pologne, Fayard, 1985. Romuald SPASOWSKI, J'ai conquis ma liberté, Paris, 1987. Lech WALESA, Un chemin d'espoir, Fayard, Paris, 1987. Patrick MICHEL, La société retrouvée, Fayard, Paris, 1988. Wladyslaw ADAMSKI,… La Pologne en temps de crise, Paris, Méridiens Klincksieck, 1988 Marcel LOZYNSKI, film La Pologne comme jamais vue à l'Ouest, La Sept, Paris, 1989. Miklos MOLNAR, La démocratie se lève à l'Est : société civile et communisme en Europe de l'Est : Pologne et Hongrie, Paris, Presses Universitaires de France, 1990. Bronislaw GEREMEK, La rupture ; la Pologne du communisme à la démocratie, Seuil, Paris, 1991. Lech WALESA, Les chemins de la démocratie, Fayard, Paris, 1991. Bernard LECOMTE, La vérité l'emportera toujours sur le mensonge, Jean-Claude Lattès, Paris, 1991. Pavel SMOLENSKI, Gazeta Wyborcza - Miroir d’une démocratie naissante, Editions Noir sur Blanc, Montricher, 1991. François FEJTO, La fin des démocraties populaires, Point Seuil, 1992. Wojciech JARUZELSKI, Les chaînes et le refuge, Jean-Claude Lattès, Paris, 1992. Daniel BEAUVOIS, Histoire de la Pologne, Hatier, 1995. Pierre BUHLER, Histoire de la Pologne communiste : autopsie d'une imposture, Editions Karthala, Paris, 1997Bernard BARBIER, Marcin ROSCISZEWSKI, La Pologne, PUF, Que sais-je, 1998. Teresa WYSOKINSKA, Alain van CRUGTEN, La Pologne au XXe siècle, Editions Complexe, 2001. Michał TYMOWSKI, Une histoire de la Pologne, Noir sur blanc, 2003 Daniel BEAUVOIS, Pologne : Histoire, société, culture, La Martinière, 2004, 512 p. Jerzy KLOCZOWSKI, Marie-Élizabeth DUCREUX & Daniel BEAUVOIS, éds., Histoire de l'Europe du Centre Est, Coll. « Nouvelle Clio », Presses universitaires de France, 2004, CXVI + 997 p,

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Sites internet : En français : http://solidarnosc.free.fr/index.htm http://www.solidarity.gov.pl http://www.beskid.com http://www.sciences-sociales.ens.fr/hss2002/societe-pouvoir/chronologie/Pologne.html http://coursenligne.sciences-po.fr/pierre_buhler/histoire_pologne.htm En polonais : http://www.solidarnosc.org.pl http://www.erazm.art.pl http://foto-km.de/html/str80/str80.html http://www.solidarnosc.zg.pl http://archsol.pl/ http://www.ilw.org.pl http://www.internowani.webpark.pl http://polskaludowa.com/ http://republika.pl/printo/warszawa/ http://www.geocities.com/wojciech_jaruzelski/ http://www.sw.org.pl/ http://lubin82.pl/fotografie1.html

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Projet d’échange des élèves de Terminale de Varsovie en Histoire

Les programmes des Terminales ont en commun de traiter la Guerre froide et les contestations du modèle soviétique (notamment dans les démocraties populaires).Il paraît intéressant, à l’heure où la Pologne vient de fêter les 25 ans de Solidarność, de comparer le processus polonais à la « révolution de velours » de la République tchèque. Le thème choisi est donc :

« Solidarność : la révolution pacifique (1976-1989) ».

La démarche de recherche, d’analyse et de présentation orale se base sur plusieurs principes : - des groupes de travail : 10 groupes de 3 ou 4 élèves. Ces groupes doivent si possible comporter au moins un élève polonophone afin de faciliter la récolte d’informations en langue nationale. - des sujets d’étude : chaque groupe choisit un sujet d’étude

Sujets d’étude Nom des élèves

1. Les prémisses de la contestation (1976-1980) Thomas Lacombe, Karolina Różycka, Marysia Stępinska

2. Les grandes grèves d’août 1980 Jean-Ferdinand Castañon, Marcin Obroniecki, Jan Polachowski

3. Revendications et accords de Gdańsk Vincent Ducaroir, Xavier Martin, Hubert Tarassoff

4. Espoirs et craintes (fin 1980-fin 1981) Ola Gawryś, Eleonora Koutny, Eloïse Sorin

5. Moyens d’action et non-violence Gabriela Lemauviel, Yann Menat, Ariète Oliveira, Wojtek Rocki

6. Les figures de Solidarność Kasia Jasik, Zofia Rak, Olga Sienkiewicz

7. Solidarność et la clandestinité (1981-1986) Joanna Benslimane, Marlène Cutanda, Anaïté Huber

8. Solidarność et l’Eglise Astrid de Bérail, Sophia Hassar, Solène Leclercq, Caroline Marbot

9. Solidarność vu de l’étranger Daniel Dykiel, Yann Eechout, Maksym Radziwiłł, Guillaume Roth

10. Vers une Table ronde (1986-1989) Piotr Bojanowski, Vincent Chami, Pierre-Rodolphe Jędraszewski, Cyriel Gaucher

- Le diaporama à commenter figure dans le dossier « Solidarność » situé dans le disque « classe » du réseau de l’établissement. Ce dossier se compose de plusieurs fichiers : un fichier « Présentation » qui est le diaporama Power Point avec les images de la période ; un dossier « Histoire » avec des informations diverses relatives à l’histoire de Solidarność ; un fichier Word « Dossier Solidarność » avec une chronologie, des sources et surtout des textes de la période.

- Chaque groupe doit rendre une disquette (ou un CD) avec environ une page (Word) d’analyse de sa partie du diaporama.

- La démarche doit consister pour chacun à relire rapidement l’histoire générale de la période (chronologie, dossier « Histoire » et textes) et à construire une présentation du diaporama pour éclairer le thème sélectionné puis à en faire une analyse précise.

- Chaque groupe choisit un (ou deux) élève(s) qui présente l’analyse aux élèves de Prague. Cette présentation se fait au vidéo-projecteur et dure entre 5 et 10 minutes. Le professeur d’histoire se charge d’amener le diaporama.

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3

1. Les prémisses de la contestation

(1976-1980)

1. Les prémisses de la contestation

(1976-1980)

4

Affiche rappelant les grandes heures de la contestation dans l’histoi re de la Pologne

5

Emeutes de Radom et Ursus en juin 1976

6

L’appel du KSS « KOR »

en septembre 1976

7

Les membres du KSS « KOR »

8

Réunion et messe du « KOR » en 1978 et 1979 :

en haut, J.J. Lipski, A. Michnik et H. Mikołajska

9

Octobre 1978, KarolWoj ty ła dev ient

Jean-Paul II

10

Juin 1979, première v isite

du Pape en Pologne

11

1er juillet 1980, annonce de la hausse du prix de la v iande

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10 juillet 1980, manifestations et grèv es à Lublin, non réprimées

par la force

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4. L’image correspondante prend la forme d’électrocardiogramme, ce qui permet de représenter les dates des grands événements qui ont marqué l’histoire de la Pologne depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale jusqu’aux début des années 1980, lorsque la contestation du système politique socialiste du pays a commencé à être de plus en plus forte, notamment grâce à l’action des opposants du mouvement « Solidarność » depuis 1980. De là, on peut observer que les pics illustrent les périodes d’agitations et de contestations entreprises par l’opposition contre le régime communiste polonais. En revanche, lorsque la courbe reste stable, on remarque qu’elle renvoit à des moments calmes et sans troubles particuliers. Ainsi, les dates les plus importantes mises en évidence par l’image de l’électrocardiogramme de « Solidarność » sont :

- En 1944, l’Insurrection de Varsovie a lieu : l’Armée Nationale polonaise (AK ou Armia Krajowa), soutenue par la population de la capitale manifeste et se soulève contre les occupants nazis afin de libérer la ville. L’Insurrection dure 63 jours et finit en vraie défaite avec entre 150 et 200 milles morts.

- En 1956, on assiste aux « événements d’octobre », ce qui est le nom donné depuis ce temps-là par les Polonais aux soulèvement des ouvriers contre le stalinisme et le pouvoir totalitaire qui a eu lieu justement en octobre de l’année en question.

- En 1968, c’est la Première du drame d’Adam Mickiewicz, Dziady (les Aïeux), au Théâtre National de Varsovie. Ce spectacle est à l’origine d’une révolte des étudiants contre la censure et le pouvoir totalitaire exercés par les partis politiques polonais. Parallèlement à cela, une vague de persécution antisémite de la part du gouvernement communiste avec en tête le Secrétaire Général Władysław Gomułka se fait ressentir très clairement sur les Juifs du pays.

- En 1970, les manifestations et grèves des travailleurs ont lieu dans la « stocznia Gdańska » (le chantier naval de la ville de Gdańsk). De plus, le gouvernement abat des ouvriers au moment-même où ils se rendaient au travail, ce qui est un choc énorme pour l’opinion publique polonaise : c’est ce que l’on appelle les événements de « décembre 70 ».

- En 1976, les manifestations et grèves des ouvriers ont de nouveau lieu, en juin, cette fois-ci à Ursus et Radom. En outre, est créé une organisation d’opposition au régime communiste polonais : le KSS « KOR ».

- En 1980, la vague de manifestations se répand sur toute la Pologne. En août 1980, le leader de l’organisation « Solidarność », Lech Wałęsa, saute à travers une clôture. Cette attitude pousse la conductrice de tramways Henryka Krzywonos à arrêter son tramway et dire : « Jest strajk ! » (C’est la grêve !). En deux jours, toute la Pologne se soulève sur ce cri qui devient symbolique des débuts de la contestation.

5. En 1970, Edward Gierek devient le Secrétaire Général de Pologne et remplace à ce poste Władysław Gomułka. Gierek met

en place une politique technocratique et gouverne avec l’aide des technocrates de Silésie (Śląsk). Ces derniers importent des produits de haute-technologie de l’Ouest mais ne savent pas s’en servir. Cela aboutit au fait qu’ils finissent même parfois par les ensevelir sous terre. Parallèlement, le Premier Ministre Piotr Jaroszewicz décide d’augmenter les prix des produits alimentaires, puisque avant la prise de pouvoir de Gierek, Gomułka avait augmenté les salaires des citoyens sans pour autant avoir fait évoluer ces prix. L’augmentation des prix dans le domaine alimentaire (on observe surtout une hausse des prix de la viande) pousse les ouvriers à arrêter de travailler et se mettre en grève deux fois, à Ursus puis à Radom. Le gouvernement réagit sévèrement à cela. Il crée une espèce de « ścieżka zdrowia » (chemin de survie, en quelque sorte), qui consiste à ce que les ouvriers, obligés de passer entre deux rangs de militaires ou de policiers, courent et soient battus par ces policiers des deux côtés. Cependant, le gouvernement finit par reporter sa décision de la hausse des prix et les grèves sont apaisées.

6. La création du KSS « KOR » s’est faite en deux étapes. D’abord, en 1976, l’organisation porte le nom de « KOR » («

Komitet Obrony Robotników » ou « Comité de Défense des Ouvriers ») pour devenir le KSS « KOR » en 1977 (Komitet Samoobrony Społecznej « Komitet Obrony Robotników » ou le Comité d’Auto-Défense Sociale « le Comité de Défense des Ouvriers »). Le KSS « KOR » est fondé par, entre autres, les deux figures de l’opposition polonaise Jacek Kuroń et Adam Michnik. La création s’accompagne, en septembre 1976, du fait que les membres de l’organisation décident de lancer un appel à la société tout entière. Ce dernier a pour but de rappeler que les émeutes ouvrières de 1976 ont révélé une crise de l’industrie et de l’économie du pays dont la faute repose sur le gouvernement. De plus, l’appel veut aussi pousser les citoyens à essayer de remédier aux difficultés sociales rencontrées, tout en soulignant que c’est le gouvernement qui est responsable de tous ces problèmes. Ainsi, les membres du KSS « KOR » veulent que l’expérience qu’ils ont acquise soit un avertissement pour le gouvernement afin de ne plus ignorer les problèmes troublants la vie de la société.

7. Le KSS « KOR » est la première organisation formelle et officielle d’opposition en Pologne. Créé par des intellectuels

engagés tels que le jeune historien Adam Michnik ou le politicien Jacek Kuroń, elle regroupe toute l’« intelligence » polonaise. Cette dernière désigne les gens ayant fini des études supérieurs, possédant une culture générale, issus de familles éduquées. Ces membres sont représentatifs de nombreux domaines professionnels. Le KSS « KOR » compte ainsi non seulement des juristes tel que Ludwik Cohn, ou des écrivains comme Jerzy Andrzejewski et Stanisław Barańczak, mais aussi des artistes comme Hanna Mikołajska, actrice connue, ou des économistes tel que Seweryn Blumsztajn.

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8. L’Eglise catholique polonaise est une institution qui s’oppose très fortement au communisme dans les années 1970. C’est donc pour cela qu’elle décide de soutenir KSS « KOR » dans leur lutte contre le régime. L’Eglise prône l’aide aux ouvriers et un de ses acteurs les plus importants est le Cardinal Stanisław Wyszyński. Entre-temps, le gouvernement limite la liberté des gens (droits de parole, de réunion et d’expression) afin d’éviter l’expansion du KSS « KOR ». A cause de cela, l’Eglise décide d’aider l’opposition et de leur accorder des endroits où ils pourraient se réunir. Cette aide ne se limite pas qu’au KSS « KOR » mais concerne aussi d’autres groupes peu favorables au régime, comme les littéraires polonais. C’est une de ces réunions que l’on peut voir sur le diaporama correspondant. Sur celui-ci apparaissent :

- Jan Józef Lipski : politicien, critique et historien de littérature, publiciste, ex-officier de l’AK et l’un des participants à l’Insurrection de Varsovie.

- Adam Michnik : militant politique, historien et publiciste. Aujourd’hui, il est le rédacteur en chef de Gazeta Wyborcza, le quotidien le plus connu de Pologne.

- Halina Mikołajska : actrice du « Teatr Współczesny » (Théâtre Moderne) à Varsovie. 9. Il s’agit d’un moment crucial dans l’histoire de la Pologne et de « Solidarność ». Les Polonais sont extrêmement fiers et en

parlent avec beaucoup d’optimisme. Leurs discours est le plus souvent : « Ils nous ont donné un fusil ! ». On dit que le nouveau Pape (qui s’appelle en réalité Karol Wojtyła et qui était avant le Métropolite de la ville de Cracovie) est un individu de fort caractère, loyal, avec une forte volonté, une posture invinciblement déterminée, une croyance religieuse et des règles morales va changer le monde. Pour les Polonais, c’est un nouvel espoir, un sentiment de certitude qu’ils ne sont plus seuls et que Dieu, en quelque sorte, est avec eux. Ce nouvel espoir et cette volonté d’agir, de faire quelque chose contre la situation présente sont d’autant plus forts, que les premiers mots du Pape retentissent comme très encourageants : « N’ayez pas peur. Ouvrez les frontières des Etats, les systèmes économiques et politiques ». Cette phrase fait un effet énorme sur les Polonais et constitue pour eux comme un appel à ne plus rester passifs.

10. Il s’agit de la première visite de ce représentant général de l’Eglise catholique, qui est en plus un Polonais, sur un territoire

plongé dans le communisme, le mensonge et le manque de liberté. Même si le gouvernement ne permet au Pape que quelques déplacements contrôlés par lui dans le pays (par exemple à Cracovie, où il était Métropolite avant de devenir Pape) parce qu’il a peur que le nouvel élu ait une influence trop grande sur le peuple déjà défavorable au communisme, cette visite est un signe pour les Polonais que tout n’est pas perdu, d’autant plus que le Pape veut apaiser le conflit entre l’opposition et le gouvernement communiste. Il propose un prémisse aux Polonais et leur dit : « Tout est entre vos mains (...) Vous devez être forts, chers frères et sœurs ! Vous devez être forts avec cette force que vous donne la foi ! Aujourd’hui, vous avez plus besoin de cette force que jamais auparavant ». Cette première visite du Pape a donné impulsion aux événements qui se sont passés en Pologne plusieurs mois plus tard, quand « Solidarność » était en train de se créer.

11. Le gouvernement décide encore une fois d’augmenter les prix. Le problème, c’est que les salaires restent toujours les

mêmes et les prix, régulés, deviennent peu à peu trop importants. La viande est tellement chère, que les gens en achètent en morceaux minimes. D’ailleurs, c’est ce que nous montre le diaporama avec le dessin des petites diapositives que l’homme sur l’image est en train de vendre. Cette métaphore signifie que les morceaux achetés sont comparables en épaisseur à ces diapositives, parce qu’un morceau normal est vendu trop cher pour que les gens puissent se le procurer. Cette hausse du prix de la viande va être à l’origine d’un mécontentement des citoyens qui engendrera des manifestations et des grèves à Lublin quelques jours après : des manifestations et des grèves qui auront des influences sur tout la pays.

12. A la suite de la hausse du prix de la viande, une manifestation éclate le 8 juillet dans l’usine de Świdnik. C’est le début de

ce que l’on appelle la période du « juillet de Lublin 80 ». Il s’agit d’un choc pour tout le monde car cette partie du pays est la plus calme dans ce temps-là. Cette manifestation entraîne un déclenchement de manifestations et de grèves dans un nombre très important d’établissements de la région. Entre le 8 et le 25 juillet, on relève le nombre de plus de 50 000 protestants et de plus de 150 établissements qui sont en grève. Les protestations de juillet se différencient de toutes les manifestations vues en Pologne auparavant. Pour la première fois, on renonce à sortir dans la rue où l’on pouvait être arrêté et pacifié par la police. Les gens s’enferment plutôt dans leurs établissements de travail et on évite par cela la répression par la force. Cette tactique connut un grand succès et a été reprise par la suite dans les manifestations à Lublin en août. Il y avait un caractère économique et politique à la cause de ces grèves de juillet : on voulait diminuer la bureaucratie, liquider les privilèges avec la création de retraites uniformes pour tout le monde, assurer les même critères à tous selon lesquels on pourrait se procurer des biens (appartements, voitures, ...). De plus, on désirait aussi que les gens coupables de gaspillage soient responsables de leurs actes, que la presse puisse disposer d’une plus grande liberté, ainsi qu’une possibilité de vote libre soit mise en place dans les syndicats.

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2. Les grandes grèves d’août 1980

2. Les grandes grèves d’août 1980

14

A. Walenty now icz et L. Wałęsa, licenciés en août 1980 pour sy ndicalisme

15

Le 14 août, la grèv e commence au chantier Lénine

16

Les grév istes occupent le chantier nav al et se hissent en haut des bateaux en construction

17

Les familles v iennent soutenir les grév istes de

l’autre côté des grilles

18

Les représentants du MKS débattent longuement des rev endications

19

A l’ex térieur de la salle des débats, les ouv riers essaient de se détendre en chantant

20

D’autres jouent près des grilles en surv eillant le pain

21

Le 22 août, des intellectuels arriv ent pour soutenir les grév istes : J. Kuroń, Z. Bujak, T. Mazow iecki

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14. Lech Walesa est licencié en 1976, pour tentative de commémoration des travailleurs du chantier morts pendant les révoltes de décembre 1970 (grèves et manifestations étant sévèrement réprimées, ayant eu lieu également dans les chantiers navals de Gdansk, durant lesquelles 42 personnes moururent) ; il s’agissait en réalité de l’excès d’autonomie dans l’action syndicale (dont il était le chef, mais qui était dépendante du Parti) qu’il voulait acquérir. Anna Walentynowicz est licenciée le 7 août 1980 pour des activités syndicalistes, notamment pour le colportage de brochures réactionnaires illégales et du magasine « Robotnik wybrzeza ». Les deux licenciements sont de nature anti-syndicaliste de la part des dirigeants du chantier. 15. Le 14 août 1980, commence la grève au chantier naval Lénine de Gdansk. Elle est déclenchée surtout par le licenciement de Walentynowicz – sujet ayant fait scandale dans les milieux ouvriers et l’objet de maintes brochures. Les ouvriers postulent entre autres pour la réintégration de Walesa et Walentynowicz au travail, une hausse des salaires. Dès ce 14 août commencent les négociations avec la direction du chantier naval, bien que la direction ne puisse réellement négocier sans l’avis du gouvernement. Néanmoins, il y a le premier accord sur la réintégration de Walesa et Walentynowicz au travail. 16. Les ouvriers s’emparent très rapidement de l’ensemble du territoire du chantier – ils surveillent le trafic d’entrée et de sortie, prennent possession des bâtiments de service d’hygiène et de sécurité du travail, ainsi que des navires en construction (étant donné que la grève avait lieu dans le chantier). 17. Les familles des grévistes venaient les soutenir de l’autre coté des grilles. Cela nous nous fait penser à une sorte d’emprisonnement des grévistes, d’un manque de liberté. 18. Le 14 août 1980 est crée le MKS (Międzyzakładowy Komitet Strajkowy) et Lech Walesa est à la tête du comité. Le 17 août, après la messe donnée par Henryk Jankowski, sont affichés sur les portes du chantier naval de Gdansk les « 21 postulats » du MKS. Ainsi, le 15 août 1980, dans la salle du BHP se réunissent les représentants du MKS et quelques experts du KOR ayant pour but de conseiller aux ouvriers comment négocier avec le gouvernement. Pour ce qu’il en est des « 21 postulats » il était difficile pour le gouvernement de les accepter, vu qu’ils ne concernaient pas uniquement l’économie. La première revendication du MKS était de leur assurer leur propre représentation dans le gouvernement. En général ils exigeaient le droit de pouvoir créer des syndicats, le respect des droits et des libertés constitutionnelles, l’abolition des privilèges (pour les membres du Parti) mais également une amélioration des conditions de travail et des « droits de propriété ». Il était clair et net qu’ils ne voulaient pas une abolition du pouvoir populaire. La peur d’une intervention militaire du Pacte de Varsovie freinait la motivation des grévistes, qui appelaient à la création d’un « communisme à visage humain ». Ils pensaient qu’il était possible de réformer un pays populaire afin d’améliorer la vie de la population. 19. À l’extérieur des salles de débat, des ouvriers essaient de se détendre en chantant « Mury » (murs) de Jacek Kaczmarski. 20. Les femmes des grévistes préparaient des casse-croûtes pour leurs maris, la plupart du temps la nourriture apportée par les gens de « derrière la grille » était en grande quantité mais parfois les ouvriers recevaient seulement une bassine de boudin. Les grévistes en surveillant le pain se divertissaient en jouant aux échecs ou aux cartes. 21. Le 22 août 1980, Jacek Kuron, Tadeusz Mazowiecki et Zbigniew Bujak, membres du KOR (Komitet Obrony Robotnikow) viennent soutenir et conseiller les grévistes. La situation est particulière car jamais encore les ouvriers ne s’allient à l’intelligence polonaise, ce qui oblige le gouvernement d’entreprendre des négociations avec les grévistes par rapport aux 21 postulats. Conclusion : Les idées du mouvement Solidarité se sont très rapidement répandues à travers la Pologne ; de plus en plus de syndicats ont été formés et ont rejoint la fédération. Son programme, bien que centré sur les revendications syndicales, a été perçu partout comme la première étape pour provoquer le démantèlement du monopole du Parti communiste.

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22

3. Revendications et accords de Gdańsk

3. Revendications et accords de Gdańsk

23

Les 7 premières rev endications du MKS

24

Les 14 rev endications suiv antes du MKS

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Des rev endications affichées

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Slogans de grèv e

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Slogans de grèv e

28

Slogans de grèv e

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Wałęsa guide le Premier ministre jusqu’à la salle des négociations

30

Les discussions sont retransmises

par radio sur tout le chantier

31

Le 31 août 1980, les accords sont signés (gros plan sur le sty lo)

32

Wałęsa brandi t dev ant la foule le sty lo av ec lequel les accords v iennent d’être signés

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23-24. Ces deux photos nous montrent que lors des « grèves d’août », le MKS (comité de grève inter-entreprise), siégeant à Gdansk et dirigé par Lech Walesa, a établi 21 revendications. Celles-ci visaient à une amélioration des conditions des travailleurs (revendications économiques politiques et sociales). Ainsi, nous vous traduirons la première des revendications : « Autoriser les syndicats libres, indépendants du Parti et des employeurs (…) », nous vous illustrons de cette manière la principale des revendications sociales. 25. Sur la première image de cette diapositive représentant l’entrée du chantier « Lénine » à Gdansk on peut observer les 21 revendications des ouvriers accrochées juste devant l’entrée de l’usine en grève. Pour les deux autres images (affiche de propagandes) les ouvriers veulent montrer que la solidarité ne se mettra en place que lorsque le gouvernement et ses représentants auront accepté les 21 revendications du MKS. Mais si le gouvernement n’en accepte que deux sur les 21 cela signifie que les négociations ne portent pas leurs fruits et qu’ils ne trouveront jamais un accord commun. 26. Suite à ces revendications, il nous est alors impératif de dire comment celles-ci se sont traduites, à savoir par des manifestations et grèves. Nous pouvons distinguer sur cette photo qu’un grand nombre de personnes semblent rassembler, ceci nous permettant d’affirmer que ce mouvement gréviste mobilise une grande partie de la population, démontrant alors l’importance de ces revendications pour le peuple. 27. Cette photo met en évidence des slogans grévistes réclamant la : « liberté aux politiciens ». Cela fait allusion à l’emprisonnement et à la persécution des opposants du régime communiste et montre l’intérêt du peuple envers ses porte-parole (Lech Walesa). « Les grèves de Solidarnosc continuent », ceci exprime simplement le fait que les grèves ne se termineront qu’une fois les accords signés. 28. Sur cette photo le thème n’est non pas porté sur la politique ni sur les grèves en elle-même, mais sur la liberté des hommes. Il est ici écrit : « A bas la censure » et « un homme naît et vit libre ». Nous pouvons traduire par cette phrase le désir du peuple d’acquérir plus de droits et de libertés afin de s’approcher vers un modèle plus « occidentalisé ». 29. En raison du mécontentement de la population, des discussions ont lieu entre le comité gouvernemental, présidé par le premier ministre polonais, et Lech Walesa au nom de MKS le 23 août 1980 à Gdansk. C’est dans cette salle de négociations que seront discutées les revendications du comité de grève. Nous voyons Walesa conduisant le premier ministre à la salle des négociations car ce dernier se trouve en quelque sorte sur le « terrain de Walesa ». 30. Nous voyons des grévistes se réunissant près d’un point radio. Les discussions du 23 août sont retransmises en direct à la radio afin que les premiers concernés s’en avisent. Ainsi, elles sont suivies par l’ensemble des travailleurs du chantier désirant connaître la tournure que prendront les négociations qui fixeront leurs règles de travail. 31. Deux autres sessions de discussions et quelques grèves à Lodz et Wroclaw, entre autres, ont lieu. Les négociations aboutissent le 29 août à un point mort : refus de la première revendication… Le Parti trouve alors un accord pacifique avec les grévistes. Le 30, les deux premières revendications sont signées à Gdansk. Finalement, le gouvernement et MKS aboutissent à la signature des accords de Gdansk le 31 mettant ainsi fin aux grèves (car la création de syndicats indépendants et autogérés est autorisée). 32. A la sortie des négociations, Walesa brandit triomphalement le stylo qui a permis de signer les accords. Il faut savoir que l’acceptation de celles-ci par le gouvernement a été obtenue difficilement. En effet, les deux premières revendications étaient celles qui allaient être les plus difficiles à négocier. De plus, la signature de ces accords a engendré la libération des prisonniers politiques (c’est le vice président Jagielski qui en a décidé ainsi).

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4. Espoirs et craintes (fin 1980-fin 1981)

4. Espoirs et craintes (fin 1980-fin 1981)

34

L’enregistrement du syndicat le 24 octobre 1980

35

Autogestion et élections syndicales dans tout le pays

36

Octobre 1980, les autorités arrêtent

l’imprimeur de Solidarność, Jan

Narożniak

37

La peur d’une intervention soviétique en décembre 1980

38

Décembre 1980, inauguration des

monuments aux morts de 1970 à Gdańsk et

Gdynia

39

Février 1981, les agriculteurs polonais manifestent pour la création d’un syndicat paysan

40

La répression policière à Bydgoszcz en mars 1981

41

Grève de mise en garde et grève générale en

mars 1981

42

Manifestation à Gdańsk le 3 mai 1981

43

Le 12 mai 1981, le syndicat des agriculteurs

indépendants est enregistré

44

27 mai 1981, L’Homme de fer de Wajda obtient la Palme d’or à Cannes

45

Le IXe Congrès du POUP en juillet 1981 voit l’échec des réformateurs. La crise

alimentaire s’accentue.

46

Juillet-août 1981, des marches de la faim ont lieu

dans tout le pays

47

Août 1981, grèves et manifestations à Varsovie

48

Le premier anniversaire du syndicat

49

Août-décembre1981 : le Carnaval

de Solidarność

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34. Enregistrement du syndicat : le 24 octobre 1980 l’Etat enregistre les statuts de „Solidarność”, le syndicat est donc reconnu par l’Etat. Cet événement montre la force que « Solidarność » a prise depuis sa création. Il s’annonce comme un nouveau pouvoir parallèle, représentant le peuple, de plus en plus puissant. Par cet acte, « Solidarność » va dépasser le cadre des revendications ouvrières, ils imposent leurs idées par des grèves générales. 35. Le syndicat conteste la gestion centralisée bureaucratiquement qui leur apparaît comme incompatible avec l’autogestion ouvrière. 36. Le 20 novembre, les autorités arrêtent l’imprimeur de Solidarność Jan Narożniak, qui avait imprimé l’instruction secrète du procureur général concernant les méthodes de lutte contre les « activités antisocialistes », entre autres celles du syndicat indépendant autogéré Solidarność. Après plusieurs jours de grève, les autorités cèdent et libèrent Jan Narożniak. 37. La peur d’une intervention soviétique vient du souvenir de la répression sanglante des grèves polonaises en 1970 et de l’intervention des forces du pacte de Varsovie en 1968 lors du printemps de Prague. Des mouvements de troupes du pacte de Varsovie en Pologne sont remarqués par les Américains. 38. L’inauguration des monuments aux morts est une commémoration officielle des morts de la répression policière des grèves ouvrières des 16-18 décembre 1970. C’est une reconnaissance de la responsabilité du gouvernement dans le conflit face aux ouvriers grévistes. Cela montre le recul du pouvoir politique qui accepte cette reconnaissance. Il y a un rassemblement d'ouvriers venus de toutes la Pologne. 39. Sous le régime communiste, les syndicats indépendants étaient interdits, il n’y avait qu’un seul syndicat officiel géré par le parti communiste au pouvoir. La création d’un syndicat libre et les manifestations pour la création d’un syndicat paysan sont très importantes pour les Polonais car elles marquent un premier pas pour briser la dictature du POUP (Parti ouvrier unifié polonais). 40. Les manifestants à Bydgoszcz demandent la légalisation de Solidarnosc rurale, syndicat paysan. Lors d’une manifestation, les policiers chargent la foule et passent à tabac de nombreux manifestants. Au final, 27 personnes seront blessées. L’évènement va servir d’étincelle, car à la nouvelle du passage à tabac des manifestants la menace de grève générale illimitée va s’étendre dans tout le pays. Cette affaire va aboutir à la collaboration officielle de du gouvernement communiste avec Solidarnosc. 41. En réponse aux événements de Solidarnosc, la base militante de Solidarnosc réclament une grève illimitée. La première grève va être considérée comme une réussite. Mais face à l’intransigeance des autorités communistes, la direction du syndicat indépendant lance un mot d’ordre de grève générale (dans tous les secteurs). Le pays est paralysé. La seconde grève va être annulée pas Lech Walesa sous la pression du Pape et du gouvernement. Le POUP dénonce alors Solidarnosc en l’accusant d’anarchie. Jaruzelski renonce à l’intervention militaire par peur que l’armée ne prenne le parti des ouvriers. 42. Le 3 mai est le jour de la fête nationale en Pologne, mais ce jour n’était pas célébré par le gouvernement communiste. Ce jour-là, des fidèles qui vont célébrer cet événement à la sortie de l’église Sainte Brigitte à Gdansk. A cela va s’ajouter la population de la ville qui va manifester pour soutenir les grévistes des chantiers navals. 43. Le 12 mai 1981, le syndicat des agriculteurs indépendant est enregistré : comme Solidarnosc, les statuts du nouveau syndicat vont être ratifiés par le gouvernement communiste. Après son enregistrement officiel on a pu assister à des explosions de joie devant le palais de justice à Varsovie (rue Opodowa) : pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale, un syndicat libre peut développer ses activités à la campagne. 44. Le 27 mai 1981, L’homme de fer de Wajda obtient la Palme d’or au Festival de Cannes : ce film d’Andrzej Wajda (réalisateur polonais) retrace l’inflexibilité d’un ouvrier polonais, face à la dictature communiste. La reconnaissance de ce film va soutenir la moral et la fermeté des polonais dans leur lutte contre le communisme. 45. Le IXe congres du POUP en juillet 1981 voit l’échec des réformateurs. Les difficultés d’approvisionnements de la population, en viande surtout, obligent les autorités communistes à convoquer le IXe congres du POUP dans l’espoir de trouver des solutions. En vain, la crise alimentaire s’accentue et sur les étagères des magasins, on ne voit que du vinaigre. 46. En juillet- août 1981, des marches de la faim ont lieu dans tout le pays. La population a faim, elle proteste dans les rues en tapant dans les casseroles vides. Le bruit est assourdissant. La police n’intervient pas, les autorités craignent d’affronter la population. 47. En août 1981, grèves et manifestations ont lieu à Varsovie. Les manifestations des syndicalistes de solidarité forment un immense cortège sur la rue Marszalkowska. Les velléités de certains dirigeants syndicalistes qui envisagent de diriger la manifestation depuis le siège du comité central à Nowy Swiat restent lettre morte. Les autorités font appel à d’importantes forces de ZOMO (CRS- compagnie républicaine de sécurité) qui interdit l’accès au comité. Un affrontement a été évité de peu. 48. 49.

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5. Moyens d’action et non-violence

5. Moyens d’action et non-violence

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Un « logo » essentiel

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La chaîne de la Solidarité

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Des affiches utilisant les

couleurs nationales

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Un signe de reconnaissance

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Tracts et journaux

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L’art de la contrefaçon : faux timbres, faux billets

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Grèv es, meetings,

défilés

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Le refus de la violence

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La satire, remède contre la peur

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51. Le logo de Solidarité a été inventé par Jerzy Janiszewski en août 1980 durant les grèves. Tout d’abord, le logo symbolise le portail du chantier naval de Gdańsk et chaque lettre son ouvrier. Puis, le rouge qui est très présent dans cette affiche est le symbole des luttes ouvrières. On peut remarquer, qu’ à la lettre N se trouve le drapeau de la Pologne qui symbolise la nation.

52. Le logo a été à l’occasion de la première assemblée générale du syndicat. Cette assemblée s’était déroulée en deux temps. Le premier entre le 5 et le 10 septembre et le second entre le 26 septembre et le 10 octobre 1980. La chaîne symbolise la force de solidarité, l’union entre les ouvriers et les intellectuels, mais aussi la Pologne sous l’emprise communiste. Puis, les deux mains symbolise l’union entre tous les habitants du pays afin de vaincre le communisme.

53. Les affiches utilisent les couleurs nationales : rouge et blanc ; on peut voir en effet sur cette image le drapeau polonais formant un nœud symbolisant l’union des ouvriers nationaux. De plus, il faut dire que la puissance de Solidarnosc est telle qu’on lui attribue très vite des responsabilités qui n’étaient pas les siennes. Ainsi, grâce à l’aide de plusieurs intellectuels, Solidarnosc est devenu une sorte de représentation de la nation. Il défend donc à la fois aussi bien les intérêts des ouvriers que de la nation toute entière.

54. Le 31 août 1980, un dimanche après midi, un nouvel homme surgit dans l’histoire de la Pologne : on l’appelle Lech Walesa, celui-ci vient de signer les fameux accords de Gdansk qui consistaient à accorder aux ouvriers le droit d’organiser des élections libres en dehors du contrôle du parti. Walesa, suivi des ouvriers, célèbre, en faisant le traditionnel signe de reconnaissance <<victory>> (qui était l’un des symboles de Solidarnosc) une victoire obtenue sans le moindre recours à la force .

55. Les bulletins ont souvent été distribués au chantier naval de Gdansk. Leur but était d’informer les ouvriers de ce qui se passait mais aussi des prochaines réunions. Par contre, le journal de Solidarité qui a été autorisé à être distribué le 31 octobre 1980 avait pour rôle de compléter et d’éclairer quelques événements de l’histoire comme on le voit ici avec l’insurrection de Varsovie en 1944 (qui a été faussée).

56. Sur l’image du haut, on voit deux faux timbres : le premier faisant référence aux révoltes de Poznan de 1956 qui furent très vite écrasées par le parti communiste. Le deuxième fait référence aux révoltes de Radom en 1976. La deuxième image représente un faux billet de cent zloty à l’effigie de Lech Walesa reconnaissable par sa légendaire moustache. Le but recherché par ces contrefaçons est peut-être de créer une économie souterraine très importante pour faire pression sur le gouvernement en place.

57. Tout d’abord, les trois photographies reflètent toutes des scènes de manifestation de la part du syndicat polonais Solidarnosc, validé par la présence de son logo, soit en forme de bannière (comme le montre la première image : Solidarnosc-Strajk) ou en forme de drapeau (les couleurs nationales avec l’écriture en rouge sur la partie blanche Solidarnosc). La première photographie présente l’implication du syndicat lors d’une grève. En effet, le groupe NSZZ « S » proteste pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs à travers toute la Pologne. Le syndicat concentra ses efforts en organisant des grèves massives dans les usines, par exemple, en août 1980, les premières grèves dans celle de Stocznowiec Gdansk. La deuxième photographie, montre un rassemblement massif d’ouvrier, sous la bannière de Solidarnosc. Nous pouvons supposer que ce « Rally » de travailleur a pour but d’informer sur le développement du groupe, offrir un soutien moral, ou clarifier et revendiquer les désirs du groupe, comme par exemple, lors des pèlerinages du Pape Jean Paul II, ou la visite du Président George H.W.Bush (1987). La troisième photographie met en évidence un manifestant en grève face à des policiers armés (ZOMO ou MO). Cela est un signe de résistance contre l’oppression et le droit de protester.

58. En commençant, la première photographie montre un char d’assaut avec une casquette de travailleur (ouvrier) sur son canon. Cela fait allusion à l’implication de l’armée soviétique (armée rouge), ainsi que de la police ou de des unités spéciales (ZOMO ou MO) dans la liquidation des manifestations et des grèves orchestrées par Solidarnosc. Or le syndicat, basé sur la non-violence, avait tous les droits pour protester (garantis par la déclaration du droit de l’homme) et chercher des moyens juridiques pour résoudre les problèmes. Le groupe utilise aussi la technique du « Hunger-Strike » pour montrer leurs engagement. Mais le gouvernement communiste (PZPR), ainsi que les dirigeants russes voulurent à tout prix anéantir ce groupe, donc ils eurent recours à la force, comme la violence lors de la démonstration dans la mine « Wujek » de Katowice en 1981. La deuxième photographie est une critique du gouvernement polonais communiste de l’époque (PZPR), en divulguant sa maladresse politique. L’utilisation du pouvoir de l’écriture, au lieu de la force, montre le côté non-violent du syndicat polonais. Nous pouvons supposer que cette critique fait allusion à l’argumentation parodique du PZPR pour son utilisation de la force pour stopper les démonstrations, comme lors de l’ « État de Guerre » imposé par le général-secrétaire Jaruzelski en 1981.

59. En haut à gauche, nous voyons une image satirique mettant en scène Leonid Brejnev, secrétaire général du PCUS en train de « regonfler » (le moral ?) un soldat polonais armé d’une baïonnette étant face à des militants de Solidarnosc. On remarque en bas à gauche du dessin qu’il a été réalisé en 1981, donc après la signature des accords de Gdansk pendant lesquels pour la première fois depuis la naissance du bloc communiste un gouvernement recula devant la pression populaire. Ainsi, on peut dire que Brejnev souhaite que le gouvernement ne cède pas à la pression populaire. Dans le même ordre d’idée, sur le dessin en bas à gauche nous voyons Leonid Brejnev dire à des membres du parti communiste « Allez Camarades, au travail ! ». Le membre du parti communiste du milieu est muni d’une corde pour « dresser » le cheval que représente le syndicat Solidarnosc. Enfin, sur l’image de droite, nous voyons de nouveau Brejnev, représenté de façon pantagruélique, un membre du parti communiste et un de Solidarnosc. Le membre du parti communiste s’adresse à Brejnev en disant « Papa, il ne veut pas avoir peur de moi », ayant le même sens que les deux premières images. Cette dernière image est l’exemple parfait montrant que la satire est utilisée comme un remède contre la peur.

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6. Les figures de Solidarność

6. Les figures de Solidarność

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Anna Walenty nowicz, la pasionaria des chantiers

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Lech Wałęsa, le leader charismatique

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Tadeusz Mazow iecki, l’intellectuel catholique

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Bronisław Geremek, le grand diplomate

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Adam Michnik, l’iconoclaste

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Jacek Kuroń, l’homme populaire

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Zbigniew Bujak, le Robin des Bois

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Włady sław Frasyniuk, l’homme enfermé

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61. Anna Walentynowicz est une figure de proue dans les évènements des années 80 dans les chantiers navals de Gdańsk. L'activité de cette personnalité commence dans les années 70 et, malgré les difficultés et les persécutions, elle n'a jamais abandonné la lutte. Elle a été co-organisatrice du Syndicat libre (WZZ) crée en 1977. En été 1980 c’est elle qui a fait l’objet de représailles : on lui changeait sans cesse de lieu de travail, on l’appelait au bureau du directeur ; et tout cela après 30 ans d’un travail irréprochable, et même étant citée comme exemple quatre fois. La police industrielle la retenait, et ensuite, à son lieu de travail, on notait son retard. Cette répression servait à dissuader les autres, pour que personne n’ose faire comme elle. Anna Walentynowicz est devenue gênante parce que, par son exemple, elle exerçait une influence sur les autres. Elle est devenue gênante parce qu’elle défendait les autres et qu’elle était capable de les organiser. Tout le monde se retourna contre elle : la police industrielle, le chef d’atelier, le contremaître et le directeur. Toutes les strates du chantier contre une seule personne. Elle a gagné son procès pour obtenir un retour au travail, mais personne ne voulait reconnaître la décision du juge. Et c'est le licenciement de cette ouvrière, le 7 août 1980, pour activités syndicales illégales, qui avait déclenché les grèves à Gdańsk. Les membres des Syndicats Libres ont commencé à coller des affiches annonçant son licenciement et exigeant des augmentations de salaire de mille zlotys. En conflit avec Lech Walesa, chef historique de Solidarité, qu'elle a accusé de collaboration avec les services secrets communistes, elle a quitté Solidarność dans les années 1980. 62. Syndicaliste et homme d’Etat polonais, né le 29 septembre 1943 à Popowo, il a commencé sa carrière politique par son activité en tant que dirigeant du syndicat autonome Solidarność. En 1966, il est embauché au chantier naval " Lénine " à Gdańsk. Wałęsa participe à sa première grève en 1970 et est licencié en 1976 à cause de ses activités syndicalistes. Electricien sur les chantiers navals de Gdańsk, il était l’une des quatre personnes au courant de la grève qui va débuter le 14 août au petit matin. Le directeur des chantiers essaye de convaincre les ouvriers de retourner au travail. Soudain Wałęsa apparaît et interpelle le directeur: « Vous vous souvenez de moi ? J'ai travaillé 10 ans au chantier et aujourd'hui je me considère comme faisant toujours partie de la maison. Je vous annonce que nous occupons l'usine ». A ce moment, Lech Wałęsa prend la tête du comité de grève et s’affirme comme leader. Il dénonce ouvertement la dictature et choisi donc de conduire un mouvement non-violent dès l’été 1980 marqué par les grandes grèves des chantiers navals de Gdańsk. En 1981, il fut élu président du syndicat Solidarność. Catholique militant, symbole de la résistance au pouvoir communiste, il fut emprisonné par les autorités communistes durant l’état de guerre et placé en résidence surveillée de décembre 1981 à novembre 1982. Considéré comme défenseur des droits de l’homme, qui contribua à l'arrêt de la guerre froide et à la chute du « Rideau de fer » , il reçut en 1983 le Prix Nobel de la paix qui récompensa « la personnalité ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation du progrès pour la paix. ». Mais les autorités polonaises, craignant son exil, le retiennent en Pologne. C'est sa femme, Danuta Wałęsa, qui ira chercher le prix en son nom le 10 décembre 1983. Principal artisan du rétablissement de la démocratie parlementaire en Pologne, Lech Wałęsa fut élu président de la République de 1990 à 1995 lors des élections libres, dès la fin de l’époque communiste en Pologne. Il a ensuite perdu les élections présidentielles en 1995 contre Aleksander Kwaśniewski (ex-communiste). De nombreux électeurs polonais lui reprochaient son conservatisme moral outré et l’importante place qu’occupait l’Eglise catholique dans la vie politique. En 2000 il s’est présenté à nouveau mais a recueilli moins d’1% des voix. Suite à cet échec, il a annoncé son retrait du monde politique. Cependant, il jouit encore à l’heure actuelle d’un grand prestige en Pologne. Très nombreux sont ceux qui le considèrent, à côté de Jean-Paul II, comme le libérateur de la Pologne du joug communiste. 63. Activiste social polonais, Tadeusz Mazowiecki est né en 1927. Il travaillait dans une coopérative d’édition à Varsovie, puis entra dans l’association catholique « PAX » (1946-1955). Il y sera rédacteur avant de fonder le mensuel Więź (Lien). Elu député, il est l’un des auteurs du traité sur les statuts du syndicat Solidarité à Gdańsk. Pendant l’état de guerre (1981-1982) il fut interné. En 1989 il participe aux débats avec le Parti communiste (négociations de la Table Ronde). Intellectuel catholique, militant de Solidarność, il devint Premier ministre et dirigea le premier gouvernement postcommuniste en Pologne après les élections de l’été 1989. Après son échec aux élections présidentielles de novembre 1990, il fut remplacé à la tête du gouvernement par Bielicki en janvier 1991. Il se brouilla avec Lech Wałęsa et fonda le Parti de l’Union démocratique, qu’il liera à celui de l’Union pour la Liberté (« Unia Wolności ») dont il sera également le dirigeant. Tadeusz Mazowiecki est aujourd’hui Président d’honneur de l’Union pour la Liberté. Il était reporteur spécial de l’ONU sur la question des droits de l’homme dans l’ex-Yougoslavie. Tadeusz Mazowiecki est connu pour avoir présenté, dès août 1992, un rapport dénonçant les conditions atroces dans lesquelles se déroulait la guerre. Ce rapport allait être suivi d’une série d’autres, jusqu’à sa démission en 1995, qui était aussi une protestation contre la carence des instances internationales. 64. Historien et homme politique polonais, Bronisław Geremek est né en 1932. Avant tout, auteur de travaux concernant l’histoire médiévale (La Potence ou la Pitié : l’Europe et les pauvres du Moyen Age à nos jours), notamment sur les marginaux (Les Marginaux parisiens aux XIVe et XVe s), il a enseigné dans plusieurs universités américaines et européennes. Il devint ensuite conseiller de Lech Wałęsa, et s’impliqua profondément dans le mouvement syndicaliste Solidarność. Expert de celui-ci, il prit une part active dans les négociations engagées avec le gouvernement communiste au début de 1989. La même année, il devient député au Parlement polonais et présida le groupe parlementaire Solidarność (1989-1990). Par la suite, de 1997 à 2000, il fut nommé ministre des Affaires étrangères de Pologne. Président de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en 1998, il était à la tête du Parti polonais « Union pour la Liberté ». Aujourd’hui, il est eurodéputé et préside la Commission parlementaire polonaise pour le droit européen.

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65. Historien, essayiste et publiciste politique Adam Michnik est né le 17 octobre 1946 à Varsovie. Il est rédacteur en chef du journal Gazeta Wyborcza où il publie souvent sous pseudonyme Andrzej Zagozda ou Andrzej Jagodziński. De 1968 à 1989, Michnik fut parmi les organisateurs de l’opposition démocratique clandestine en Pologne. Il est considéré jusqu’à nos jours comme l’une des personnes ayant le plus d’influence ainsi que l’une des plus controversées. Dès le lycée, il organise un Club de Recherche de Contradictions aux tendances de gauche. Ensuite, durant ses études, ses droits d’étudiant sont suspendus pour avoir répandu parmi ses collègues la lettre ouverte aux membres du PZPR – signée par Jacek Kuroń, entre autres – appelant à la réorganisation du système politique polonais. En 1965, ses essais furent complètement censurés. Dès lors, il adresse ses textes entre autres au journal Więź. En 1968, Michnik est définitivement expulsé de ses études pour avoir activement pris par aux manifestations étudiantes appelées « les événements de mars ». Peu après, il est arrêté et condamné à 3 ans de prison pour « vandalisme ». Suite à l’amnistie de 1969, Michnik est relâché mais ne peu poursuivre ses études qu’à partir de 1975. Dans les années 70, il travailla en liaison étroite avec Jacek Kuroń en tant qu’activiste d’organisations d’opposition. Dans les années 1977-1989, Michnik fut rédacteur en chef de nombreux journaux indépendants, clandestins mais échappant à la censure. De 1980 à 1989, il fut conseiller du Syndicat Solidarność dans la région de Mazovie. Durant l’état de guerre, en 1981, Michnik fut d’abord interné puis, après avoir refusé un « exil volontaire », arrêté et retenu jusqu’en 1984 où, suite à une amnistie, il fut libéré. En 1988 il devint conseiller du Comité de Coordination de Lech Wałęsa ; l’année suivante, il participa activement aux préparations aux négociations de la Table Ronde. C’est là que Lech Wałęsa lui demanda d’organiser un quotidien officiel et accessible dans toute la Pologne du Syndicat Solidarność : il s’agissait de la Gazeta Wyborcza. Le 4 juin 1989, Michnik fut élu député. En tant que journaliste et député, il soutint ouvertement Tadeusz Mazowiecki, y compris lors de sa candidature contre Lech Wałęsa. Michnik ne s’engagea jamais directement dans la vie politique récente.

66. Figure légendaire de cette fin de siècle, Jacek Kuroń est un symbole de la lutte anti-communiste et pour la liberté ainsi que défenseur des ouvriers, des plus démunis et des minorités. Idéaliste, jusqu’à la fin de sa vie il lutta pour la justice et la tolérance dans le monde. Kuron fut un homme d’action, un idéaliste qui défendait ses idées avec passion. Il était, avec son compagnon de lutte Zbigniew Bujak, l’un des rares politiques à ne pas avoir cédé à l’embourgeoisement de la Pologne (d’après Solidarność). Jacek Kuroń est né en 1934 à Lvov (Ukraine) et mourut le 17 juin 2004. Diplômé de la faculté d’histoire de l’Université de Varsovie, il s’engagea rapidement dans la vie des organisations de nature politique. D’abord dans les années 40 Jacek Kuron devient membre du Zwiazek Harcerstwa Polskiego, puis dans les années 50 - du Zwiazek Mlodziezy Polskiej pour ensuite entrer dans un parti communiste – le PZPR en 1956 dont il fut exclu définitivement en 1964. En 1975, il est à l’origine d’une lettre signée par 59 intellectuels défendant les droits de l’homme en Pologne. Il est ensuite le cofondateur avec entre autres Michnik, Modzelewski, Blumsztajn, Lityński, Celiński, Borusewicz du Comité de Défense des Ouvriers (KOR) dont l’activité s’étend de 1976 à 1981. Grâce à son initiative, s’organisèrent les actions d’aide pour les ouvriers. Son appartement devient « la boîte aux lettres » où arrivent les listes des dissidents. Il est le symbole d’opposition contre le pouvoir et il est considéré par celui-ci comme un « contre-révolutionnaire dangereux ». Sans le KOR et sans l’action sur le terrain de Kuroń et de ses compagnons, Solidarnosc n’aurait peut être jamais vu le jour. Au total, Jacek Kuron a passé 9 ans dans les prisons communistes, toujours à cause des ses idées et des actions contre le régime opprimant les plus faibles. Le 13 décembre 1981, il est de nouveau interné sous prétexte de tentatives de renversement du régime polonais. Il participe à la préparation des réformes politiques et devient, en 1989, député et Ministre du Travail dans le gouvernement démocratique de Tadeusz Mazowiecki. Dans le langage courant polonais, un nouveau mot a trouvé sa place : « kuroniówka », ce qui signifie pour la population le résultat de ses efforts, à savoir : indemnité de chômage, ainsi que un repas gratuit distribué aux plus nécessiteux. Jacek Kuroń ne connaissait pas la langue de bois. Il a ainsi réussi à gagner la confiance du peuple et il est jusqu’aujourd’hui l’un des politiques les plus appréciés en Pologne. Il restera le symbole du non-conformisme et de la vérité ainsi que du dévouement pour la cause publique.

67. Homme politique polonais aux tendances de centre-gauche, ex-activiste de l’Union pour le travail ainsi que de l’Union pour la Liberté, Zbigniew Bujak est né le 29 novembre 1954 à Łopuszna. En 1980, il s’engagea dans l’action de l’opposition démocratique. Il est également parmi les fondateur de l’NSZZ Solidarność à Varsovie. Dans les années 1980-1981, il est membre de la Présidence du Comité National de Solidarność. Après une longue période de cachette, il fut arrêté et emprisonné en 1986. Par la suite, en 1989, il devint député au Parlement et rejoint le club OKP. L’année suivante, il soutint la candidature de Mazowiecki aux élections présidentielles, ce qui causa un conflit avec Lech Wałęsa. En 1991, après avoir intégré l’Union Démocratique, il présida au Mouvement Socio-Démocrate. En 1992, convaincu par Ryszard Bugaj, Bujak rejoint l’Union pour le Travail. Il fut parlementaire jusqu’en 1997, lorsqu’au résultat d’élections législatives, aucun membre de l’Union pour le Travail ne parvint à obtenir un siège au Parlement. Dès le début du rapprochement entre l’Union pour le Travail et le parti socio-démocratie SLD, Bujak quitte ces derniers et rejoint l’Union pour la Liberté. Il renforce par ce geste la fraction socio-démocrate du parti. En 2002, Bujak annonça sa candidature au poste de président de Varsovie, mais n’obtint que 3% des voix. Apres cet échec, il se retira de la vie politique.

68. Né en 1954, Władysław Frasyniuk est l’un des anciens dirigeants clandestins du syndicat Solidarność, désormais président du Parti Démocratique. Dans les années 1981-1990, il fut le chef de Solidarność dans la région de la Basse Silésie. Toutefois, il a été obligé de vivre caché pour échapper aux répressions des autorités. Il a été arrêté en octobre 1982 et condamné à 6 ans de prison pour ses activités syndicales et pour avoir dirigé le Comité Régional de Grève à Wrocław. Suite à une amnistie, il a été libéré en juillet 1984, pour être arrêté de nouveau et condamné à 4 ans et demi de prison, en même temps que plusieurs autres personnalités de Solidarność accusées d’avoir dirigé le Comité Régional de Grève à Wrocław. En 1989, il participe aux négociations à « la Table Ronde ». Il fut le vice-dirigeant de l’Union Démocratique. Il fut également membre, puis, en 2001, leader du parti polonais « Union de la Liberté ». Avec Tadeusz Mazowiecki et Jerzy Hausner, il est l’initiateur de la création du Parti Démocratique.

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7. Solidarność et la clandestinité

(1981-1986)

7. Solidarność et la clandestinité

(1981-1986)

70

Jaruzelski annonce la loi martiale le 13 décembre 1981

71

Des milliers de sy ndicalistes sontarrêtés dans tout le

pay s

72

Lieux d’internement des prisonniers politiques

73

Une décision d’internement

74

Des prisonniers politiques

75

La liberté confisquée pendant plusieurs

années

76

1er mai 1982, manifestations

à Varsovie

77

Incidents le jour du 3ème anniversaire

des accords de Gdańsken août 1983

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1er mai 1983, la loi martiale, encore et toujours

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Malgré un allègement de la loi martiale, les procès continuent : Kuroń et Michnik (1984)

80

1er mai 1985, manifestations à Varsov ie

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70. Le 13 décembre 1981, le général Jaruzelski annonce la loi martiale qui va à l’encontre des décisions prises par le syndicat Solidarité : des militants, voire de simples partisans de « Solidarité » sont arrêtés avec plus ou moins d’égards : Michnik est passé tabac, d’autres sont traités avec courtoisie, certains, auxquels l’escouade policière n’a pas laissé le temps de réunir quelques affaires, restent en pyjama. Puis ils sont acheminés à travers les rues, désormais quadrillés par les blindés et les patrouilles de l’armée, vers les commissariats de la milice. Au même moment, à Varsovie, une « volga » noire s’arrête devant le domicile de chaque membre du Conseil d’Etat. Un officier en descend pour remettre une lettre du président de cette instance, Jablonski, qui convoque une session extraordinaire à une heure du matin. Le palais de Belvédère, où les « volga » déposent les uns après les autres les membres du conseil est le théatre d’un ballet d’ombres en uniformes. Peu avant une heure, devant l’aréopage au complet et une salle remplie de civils et de militaires, Jablonski ouvre la séance pour passer aussitôt la parole au général Tuczapski, vice ministre de la Défense. Celui-ci, après un long réquisitoire contre « Solidarité », annonce que l’armée prend la direction des affaires du pays, que la loi martiale est proclamée et qu’il appartient au Conseil d’Etat d’approuver formellement cette mesure. 71. Cette décision va donner naissance à de nombreuses contestations au sein de « Solidarité » avec comme dirigeant Lech Walesa. Ainsi les manifestations se multiplient et de nombreux membres du partis sont arrêtés (10 000 militants de Solidarnosc en tout). 72. Les prisonniers politiques sont envoyés dans des lieux d’internement situés dans toute la Pologne, on en dénombrera soixante dix-neuf sur le territoire polonais, généralement des établissements de repos de l’armée ou du parti. Les transferts sont quelquefois accompagnés de simulacres d’exécutions, arrêt des véhicules en rase campagne, gestes d’intimidation mais aussi des menaces de déportations en Sibérie. Dans les camps, le régime est variable selon le professionnalisme et le sadisme des gardiens. Les plus connus ont droit à un traitement favorable, les autres sont souvent maltraités. Avec le temps, ils finiront par obtenir quelques droits, comme celui de se promener et de se réunir. 73. A cause d’une décision prise d’internement, les prisonniers politiques sont envoyés dans des lieux d’internement. 74. Cependant les prisonniers tels que Kuron, Michnik et Walesa ne cessent de s’opposer à la loi martiale et luttent pour la liberté d’expression et de la presse. 75. La liberté est confisquée pendant plusieurs années. Les communications téléphoniques sont interrompues, ainsi que les émissions de radio et de télévision. On supprime les droits élémentaires : liberté d’expression et d’impression, secret de la correspondance, droit d’association et de réunion. Toutes les associations, les syndicats professionnels et enseignants sont suspendus. 76. Le 1er mai 1982, Varsovie connaît des manifestations importantes en réaction en coup d’Etat auxquels participent mineurs, intellectuels, etc. Mais elles sont brisées par la force. Par exemple lors de l’attaque menée contre la mine en grève « Wujek » de Katowice, neuf mineurs meurent sous les balles du groupe d’intervention, beaucoup d’autres sont blessés. 77. Incident le jour du troisième anniversaire des accords de Gdansk en août 1985 : une réunion de plusieurs dirigeants de Solidarité autour de Lech Walesa à Gdansk, le 13 juin 1985 est brutalement interrompue par la police politique : trois des participants, Frasyniuk, Lis, libéré deux mois plus tôt de prison, et Michnik sont arrêtés. Eclipsés par les « vedettes », les sans-grades, les militants locaux du syndicat ou de simples manifestants essuient par centaine les rigueurs de la répression policière : vidée de la quasi-totalité des détenus politiques par l’amnistie de 1984, les prisons se remplissent à nouveau pour retrouver un étiage de 200 à 300 prévenus ou condamnés. Les traditionnelles manifestations-anniversaires (16 décembre, 1er et 3 mai et 30 août) fournissent leur lot de manifestants interpellés. Les colporteurs de tracts, les imprimeurs clandestins, constituent le tout-venant des arrestations et de condamnations. S’y ajoute un phénomène nouveau en Pologne, l’objection de conscience, à l’initiative d’un mouvement, « Liberté et Paix », apparu à Cracovie en avril 1985. 78. Bien que la loi martiale soit officiellement abolie, les manifestations restent présentes. Les quatre dirigeants de la clandestinité : Frasyniuk (pour Wroclaw), Bujak (pour la Mazovie), Lis (pour Gdansk) et Hardek (pour Cracovie) fixent pour premier objectif la levée de la loi martiale, avec la libération des internés et des condamnés, le rétablissement des libertés civiques et la reprise des activités du syndicat. Et ils appellent à faire du 13 de chaque mois une « journée de protestation contre la force et l’arbitraire ». 79. Du côté du gouvernement français, la principale mesure de rétorsion adoptée à l’encontre de la junte militaire polonaise fut de décréter, de concert avec les autres démocraties occidentales, un embargo contre la Pologne. C’est en grande partie pour obtenir la levée de cet embargo que le général Jaruzelski proclama en juillet 1984, une amnistie concernant plus de 600 prisonniers politiques. En 1984 ont lieu les procès de Kuron et de Michnik. Une loi d’amnistie des prisonniers politiques est promulguée à l’occasion du quarantième anniversaire de la République de Pologne. De nombreux sympathisants de Solidarnosc sont libérés. 80. Le 1er mai 1985, le mouvement « Solidarité » montre qu’il existe toujours. A la suite de l’assassinat de Popieluszko le mouvement « Solidarité » montre sa force en organisant une marche. L’image de Popieluszko comme celle d’autres polonais nous montre la façon dont les polonais ont lutté clandestinement afin de vivre dans un pays libre.

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81

8. Solidarność et l’Eglise

8. Solidarność et l’Eglise

82

Messes et confessions pendant les

grèv es

83

Wałęsa est reçu par le Pape à Rome en janvier 1981

84

Seconde visite du Pape en Pologne en

juin 1983

85

Faux timbres-poste du Pape et du Primat de Pologne

86

Disparition puis découverte du corps du

Père Popiełuszko en octobre 1984

87

Pèlerinage de Solidarność à Częstochow a

en novembre 1986

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82. Le dimanche 17 août 1980, eut lieu la première messe pour les grévistes de Gdańsk. Plusieurs milliers de fidèles y participèrent et, à la fin de la cérémonie, les ouvriers dressèrent une croix en monument à la mémoire de leurs amis tombés en 1970. Cette première messe fut un véritable défi au communisme athée car, comme nous le savons, avec les témoignages des ouvriers, certains s’attendaient à voir arriver les tanks. Finalement, ce fut un sentiment de « victoire et de paix » qui se répandit parmi les ouvriers et les habitants de Gdańsk, et cela marqua le départ du lien entre la religion catholique et les grèves.

Le même jour, le gouvernement fut contraint d’ouvrir des négociations avec Solidarność et l’importance de la religions fut manifestée dans les accords de Gdańsk du 31 août 1980 : le gouvernement s’engagea à faire respecter « la protection des convictions religieuses et, en même temps, la protection des personnes non croyantes ». De plus, les messes proprement dites, considérées par les leaders de Solidarność comme un vecteur d’unification de la population, constituèrent l’une de leurs 21 revendications : « (…) Le gouvernement assurera la transmission par la radio de la messe dominicale dans le cadre d'un accord particulier avec l'épiscopat ».

Par la suite les messes furent un moment fort des manifestations. Le recours que trouvèrent les grévistes dans la foi les réconforta, et les poussa à ne pas user de violence face aux provocations du gouvernement. Sentiment patriotique et sentiment religieux se mêlèrent durant la période de lutte contre le communisme.

83. L’année 1979 est marquée la visite du pape en Pologne en juin. Jean-Paul II a soutenu le mouvement Solidarność, dès ses débuts. En effet, face aux menaces d'intervention des forces du

pacte de Varsovie, il s'était adressé à Leonid Brejnev, secrétaire générale du Parti Communiste, pour défendre la souveraineté de la Pologne. Le Pape prônait aussi la libération et l’ouverture des frontières, et notamment des systèmes économiques et politiques. Mais la rencontre, en janvier 1981, entre le leader syndicaliste et le Pape est également symbolique : à travers Jean Paul II c’est l’Occident et le monde entier qui s’intéresse à la cause polonaise. Il devient le porte-parole de son pays ainsi que le personnage symbolique de la lutte pour la justice.

84. En octobre 1978, le nouveau Pape prononça un discours qui restera célèbre : « N’ayez pas peur ! », ces mots s’adressant

notamment aux habitants des pays de l’Est sous l’emprise de l’URSS. L’élection de Jean-Paul II fut pour les polonais catholiques, majoritaires en Pologne, un formidable espoir et ils s’ensuivit un important mouvement d’unification et de redécouverte de la foi.

Moins de 6 mois après son élection, lors de sa première visite en Pologne, en avril 1979, le Pape affirme qu'il « ne peut y avoir d'Europe juste sans l'indépendance de la Pologne ».

Le deuxième voyage du Pape en Pologne du 16 au 23 juin 1983, à Varsovie fut entre autre accepté par les autorités communistes pour calmer les ardeurs des Polonais après les révélations faites sur les commanditaires de la tentative d’assassinat dont le Pape avait été victime l’année précédente. En effet, derrière les services secrets bulgares, soupçonnés d’avoir organisé son assassinat, beaucoup en Occident virent la main du KGB soviétique. Ces révélations ravivèrent le mécontentement du peuple polonais, et le désir de liberté qui en découlait. Jean-Paul II fut accueilli par près de deux millions de personnes (un record !), et beaucoup de Polonais pensent que la présence du Pape a été décisive dans la levée de la loi martiale, le 22 juillet suivant.

85. Le clergé polonais a eu un rôle tout a fait fondamental dans la lutte contre le communisme : l’Église catholique aussi bien

comme institution, comme éthique chrétienne, ou encore communauté des croyants, a rassemblé la société polonaise dans le même effort de lutte. Elle a soutenu moralement la société polonaise tout en la mettant en garde contre toute action violente et même, par la bouche du cardinal Wyszyński, invitait les ouvriers grévistes à la reprise du travail.

Après la victoire de Solidarność, l’influence de l’Eglise resta grande dans les décisions politiques polonaises. Ainsi, l’épiscopat et les cercles laïques catholiques dépêchèrent auprès de Walesa, devenu président du syndicat Solidarność, des conseillers-experts d’orientation chrétienne. Les traits particuliers du modèle polonais ont été ainsi décrits, en juin 1986, par le professeur Lopatka : « Un système d’exercice du pouvoir durablement ‘‘co-allié’’ (associations catholiques, P.O.U.P., Parti paysan, Parti démocrate), et un rôle social de l’Église plus important que dans tous les autres pays socialistes. ».

86. Jerzy Popiełuszko (1947 – 1984), à la demande des grévistes polonais, fut le premier prêtre a célébrer les messes a

l’usine de sidérurgie « Huta Warszawa », il devint également aumônier du mouvement Solidarność. Les sermons du prêtre devinrent rapidement très réputés dans tout le pays. Il organisait également une aide pour les familles des partisans de Solidarność qui étaient en prison.

Cependant, l’implication du prêtre dans les activités du syndicat déplurent aux Services Secrets communistes. Le 19 octobre 1984, il fut capturé, torturé et assassiné par trois fonctionnaires des Services Secrets. Son corps fut ensuite jeté dans la Vistule. Il fut retrouvé le 30 octobre. La nouvelle de son assassinat politique provoqua un fort mouvement de colère dans toute la Pologne.

87. Une action pastorale fut menée par le clergé polonais dans toutes les communautés, à partir d'une explication et d'une

base théologique, pour attirer l'attention sur la présence nécessaire dans chaque maison de trois manifestations de Foi : une croix, une icône de la Vierge Noire de Częstochowa et au moins un Nouveau Testament.

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9. Solidarność vu de l’étranger9. Solidarność

vu de l’étranger

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Un combat à dimension européenne

90

Wałęsa reçoit le prix Nobel de la paix, 5 octobre 1983

91

En France, le soutien de la gauche non communiste

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Le soutien et l’espoir américain

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Les Unes des grands journaux étrangers

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La Rév olution de velours en Tchécoslov aquie

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89. La crise polonaise provoque des tension au sein de l'Union Européenne. Les pays membres s'attendent ç une intervention armée de l'URSS. Celle-ci n'a pas lieu, et par conséquent il y a une déstabilisation des points de vue. Ainsi apparaît une tension franco-germanique (l'Allemagne visant a éviter toute perturbation sur le continent). Celle-ci est amplifiée par les Etats-Unis voulant forcer les pays européens à s'opposer à l'URSS. Il mettent en place un réel chantage avec le risque pour la France de ne plus être approvisionnée en gaz par l'URSS. Enfin, en 1982, il mettent un embargo sur les produits européens, comme une sanction pour ce manque de réaction (ou réaction trop modérée) des pays européens. 90. Le parlement norvégien, le "Storting", décerne le prix Nobel de la paix au Polonais Leszek Walesa pour son action au sein du syndicat "Solidarnosc" qui contribua à faire avancer pacifiquement les libertés en Pologne. Ainsi Walesa est ici le symbole de la lutte de tout un pays, le symbole de l'espoir. Car à travers sa personne, c'est toute une nation qui est représentée. Emprisonné en 1981 par le gouvernement polonais il est relâché en 1982, mais les autorités polonaises, craignant son exil, le retiennent en Pologne. C'est sa femme, Danuta Walesa, qui ira donc chercher le prix en son nom le 10 décembre 1983 à Oslo. Les photos de la plaquette de documents ne peuvent par conséquent pas être officielles. 91. 92. Après l'élection de Reagan en 1980, on assiste à un renouveau de la politique du containement. La CIA supporte des groupe anti-communistes locaux dans toute l’Europe de l'Est. C'est dans ce cadre plus général, que s'inscrit le soutient de Solidarnosc par la CIA. Dès 1981, cette aide devient réelle. D'autres organismes interviennent, tels le AFL-CIO, CFO, ou FO. Les Etats-Unis grâce à une puissante diaspora polonaise, soutiennent activement l'action de Solidarnosc. Cette aide se voit à travers la mobilisation de la FO, de la CFO , et de l'AFL-CIO (American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations), qui sont de puissant syndicat étrangers. Finalement, Solidarnosc profite de l'élection d'un pape Polonais. Cette décision même était en partie motivée par la politique de Carter. Ainsi Wojtyla entretient une correspondance avec Zbigniew Brzezinski (conseiller pour la sécurité aux USA). S'instaure une alliance anti-soviétique et pro-Solidarnosc entre le Vatican et les Etats-Unis. En témoignent les rencontres entre William Casey (directeur de la CIA) , Vernon Walters (ancien vice-president de la CIA) et le pape. Ils discutent du soutien financier et logistique de Solidarnosc. 93. Les Unes des grands journaux Time : Shaking up Communism Time : Poland’s angry workers Time : Lech Walesa , Man of the year Newsweek: Solidarity’s challenge Newsweek: Have they won Der Spiegel: Revolution in Soviet Block Paris Match : La lutte Paris Match : Pologne En France, malgré une opinion publique et presse favorable à l'action de Solidarnosc, les hommes politiques réagissent avec réserve (propos du ministre des affaires étrangères Claude Cheysson : "Bien entendu, nous ne ferons rien", qui font scandale). En Allemagne, le chancelier Schmidt, ne voulant pas perdre 10 ans d'effort pour établir un lien commercial, se met du côté de Gierek. Cette divergence met par ailleurs en péril, les relations franco-allemandes. En même temps que l'Occident réagit avec enthousiasme, la presse soviétique se montre hostile. De plus dès 1981, les justificatifs pour une éventuelle intervention militaire (de la part de l'URSS) sont prêts. 94. Tout comme Solidarnosc, le but de la révolution de velours était de se débarrasser du communisme mais de manière pacifique, sans violence ou coup de feu, se fondant sur l'exemple du Solidarnosc. Le but de Solidarnosc était le même que celui de la révolution de velours, exactement ce qui s'est passé lors de la "révolution" en Tchécoslovaquie. Solidarnosc était semble-t-il perçu comme un exemple, une voie à suivre surtout par les pays sous une forte emprise communiste comme un message d'espoir international.

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10. Vers une Table Ronde (1986-1989)

10. Vers une Table Ronde (1986-1989)

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Septembre 1986, amnistie des détenus politiques : J. Kuroń, K. Bieliński, A. Walentynowicz, H. Wujec, J. Zieja

97

Septembre 1986, amnistie des détenus politiques : K. Bieliński, Z. Bujak, A. Wajda, A. Michnik

98

Juin 1987, Jean-Paul II à Gdańsk

99

Septembre 1987, George Bush rencontre Wałęsa

100

1er mai 1988, défilé des étudiants à Varsovie

101

Août 1988, nouvelles grèves à Gdańsk et appel à Wałęsa

102

Novembre 1988, Margaret Thatcher à Gdańsk

103

Début des négociations entre gouvernement et opposition en février 1989

104

21ème anniversaire des révoltes étudiantes de

1968, mars 1989, Varsovie

105

Emeutes à Cracovie en avril 1989

106

Accords de la Table ronde, 5 avril 1989

107

1er mai 1989, défilé des étudiants à Varsovie

108

1er numéro de Gazeta Wyborcza,

8 mai 1989

109

Affiches pour les élections du 4 juin 1989

110

Meeting devant le Palais de la Culture, juin 1989

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T. Mazowiecki, Premier ministre le 12 septembre 1989

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Solidarność, la liberté retrouvée

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96. Les détenus politiques, arrêtés le 13 décembre 1981 ou lors de l’état de guerre (1981-83) sont libérés suite à une pression des Etats de l’Europe de l’Ouest qui ont arrêtés les aides financières à cause de la présence de prisonniers politiques. Le pouvoir cède et libère ses détenus. A noter la présence de Zieja qui lui pas n’est pas détenu mais qui supporte Solidarnosc dès les années 50. 97. Rencontre d’amis après la libération. Bujak ne fut détenu que tardivement car il a réussit a échapper à la première “pêche”. Wajda, lui, n’était pas détenu. 98. 3ème visite du Pape en Pologne. De là vient la phrase “pas de liberté sans Solidarnosc” (nie ma wolnosci bez solidarnosci). Les visites du Pape encouragent la lutte politique et elles ont un caractère de soutien moral. A noter le fait que la milice n’osait pas réagir face à une si grande réunion lors de laquelle étaient suggérés des propos antigouvernementaux. 99. La visite de George Bush est très importante dans le déroulement de la révolution pacifique. Sa visite a exposé au pouvoir l’opinion occidentale quant à la situation politique en Pologne. C’est une forme de pression sur le pouvoir que de montrer que l’on sait ce qu’il se passe en Pologne. En effet, lors de visites, c’est aussi avec l’opposition que le président américain discutait. Ainsi les images utopiques du gouvernement ne l’ont pas rendu aveugle. 100. Les contre-manifestations du 1er mai étaient un moyen de révolte. Le nombre d’étudiants présents à cette contre-manifestation étant très important, cela montre bien que les idéaux communistes commençaient à s’écrouler. 101. Le 31 août, Walesa, qui était ignoré par le pouvoir depuis 1981, rencontre Jaruzelski. Il fait cesser difficilement les grèves des chantiers navals de Gdansk. C’est le début de contacts non officiels entre le gouvernement et l’opposition, notamment par un dialogue des deux parties à Magdalenka qui constitue une sorte de « mini Table Ronde ». 102. 4.XI.1988 – Wałęsa rencontre à Gdansk le premier ministre britannique, Margaret Thatcher. On voit bien que ce syndicat, qui n’est alors même pas reconnu officiellement, prend une ampleur internationale. 103. 6.II.1989 – Le changement du discours politique soviétique après la perestroïka ainsi que les deux dernières vagues de grèves en 1988 ont été l'ultime sonnette d'alarme pour le pouvoir. Le POUP décide alors officiellement d'entreprendre des négociations avec l'opposition démocratique. C’est le début de la Table ronde (Okrągły stół). 104. Des manifestations étudiantes de 1968 dont l’initiateur supposé fut Jacek Kuron, l'un des fondateurs de Solidarité, sont sévèrement réprimées par la police. On pense que celles-ci sont dues au fait que le pouvoir a retiré de l’affiche la pièce de théâtre Dziady de Mickiewicz, jouée de manière à dénoncer les erreurs de l’URSS, ce qui fit un énorme scandale de la part des étudiants. 105. A partir de avril / mai 1989 les mineurs de la région de Cracovie se mettent en grève et beaucoup de jeunes les soutiennent. On assiste à de violents affrontements entre les grévistes et la milice. Une partie des manifestants sera arrêtée par la milice. 106. Le 5 avril 1989, avec l’accord de Gorbatchev dirigeant de l’U.R.SS, le général Jaruzelski et les dirigeants de Solidarnosc signent un accord historique visant à satisfaire les revendications du peuple polonais en révolte. Une opposition politique est permise désormais au sein de la Diète et du Sénat, représenté par Solidarnosc qui obtient 65% des sièges de la Diète, et il est prévu d’organiser des élections libres. Le syndicat Solidarnosc devient donc un mouvement politique légal et reconnu. De plus le journal Gazeta Wyborcza devient un journal libre et non censuré, le seul dans tout le bloc communiste. La Pologne bénéficie donc d’un statut privilégié par rapport aux autres pays du bloc. En effet pour les soviétiques, ces concessions sont un test qui doit protéger provisoirement le bloc communiste de l’implosion. 107. Les étudiants font de nouveau une contre manifestation en grand nombre à Varsovie le jour de la fête du travail du 1er mai 1989. Ils veulent montrer leur soutien au mouvement syndical de Solidarnosc et non aux communistes.

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108. On voit ici le premier numéro du journal polonais Gazeta Wyborcza (journal électoral) apparut suite aux accords de la « Table ronde ». C’est le premier et le seul journal de l’opposition entièrement légal et libre du bloc soviétique, qui n’est pas soumis à la censure du gouvernement communiste. 109. Solidarnosc w samo południe 4 czerwaca 1989 : solidarnosc en plein midi

aby jutro były z nas dumne : pour que demain soit fier de nous Głosujcie 4 czerwca : votez le 4 juin

4.VI.1989 - Premières élections législatives libres. Solidarność emporte 90 % des sièges du Sénat ainsi que 160 des 161 des sièges qu’on lui a permis de briguer à la Diète. Les consultations électorales de juin 1989 révèlent que le "rétrécissement de la base sociale" du pouvoir communiste dépasse les pires craintes des dirigeants communistes. Ce sont les communistes les moins conformistes qui sont élus. Le désarroi gagne la direction du parti communiste, qui propose la constitution d'un gouvernement d'union nationale avec la participation de Solidarnosc. Mais le syndicat refuse de lui servir de caution ; et les partis satellites qui, depuis les débuts du régime, n'étaient que les courroies de transmission du Parti dominant dans les milieux paysan, catholique ou des professions libérales, se réveillent in extremis et décident de s'affranchir de toute tutelle. Le général Jaruzelski estime ne pas avoir d'autre solution que de confier la direction du gouvernement à Solidarnosc. 110. Meeting devant le Palais de la Culture en juin 1989 111. 19.VII.1989 – Jaruzelski devient Président de la République. En 1981, Mazowiecki devient rédacteur en chef de Tygodnik Solidarnosc. Interné en décembre 1981, il devient le premier Premier Ministre non communiste à l'Est depuis l'après-guerre La décision est historique : le modèle polonais prend une autre signification que celle primitivement prévue. Les seules exigences des Soviétiques concernent le maintien de l'alliance avec l'URSS et l'intégrité du Pacte de Varsovie. Le Premier Ministre pressenti, Tadeusz Mazowiecki, qui sera investi le 12 septembre, accepte de céder quatre portefeuilles - dont la Défense et l'Intérieur - au parti communiste. 112. Jestem wolny polakiem : je suis un polonais libre Affiche publiée après la victoire de Solidarnosc.

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Recueil de textes (1976-1989)

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Le précédent d’Ursus Ursus, tout comme Gdansk et Szczecin, s'inscrira désormais en lettres d'or dans l'histoire de la classe

ouvrière de la Pologne populaire. En 1970, les ouvriers de la Baltique ont fait échec au pouvoir. Le 25 juin 76, ce fut au tour des grévistes d'Ursus d'obliger les dirigeants à revenir sur une décision impopulaire. Dans les deux cas, la cause fut la même: hausse des prix des produits alimentaires.

La petite ville d'Ursus, à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Varsovie, a été ce jour-là avec ses 32.000 habitants, le théâtre d'une farouche résistance d'une population en colère. Tout a commencé à l'usine de tracteurs qui porte le même nom. Quelque cinq mille ouvriers ont fait la grève sur le tas, laissant entendre résolument aux dirigeants du pays qu'ils étaient fermement décidés à défendre leur niveau de vie menacé par l'annonce pour lundi prochain d'une flambée des prix des vivres de première nécessité.

Après avoir rapidement mis au pas plusieurs membres du Parti qui n'entendaient pas suivre le mouvement, les grévistes ont endommagé les rails d'une voie ferrée à proximité de l'usine, provoquant ainsi un immense embouteillage de convois de marchandises et de voyageurs sur la ligne Varsovie/Prszkov, ville distante d'une vingtaine de kilomètres de la capitale. Et l'agglomération ouvrière d'Ursus prit vite l'allure d'une ville assiégée : des barrages de milice (police) interdisaient l'accès de ses principales artères tandis que des piquets de surveillance disposés par les ouvriers en gardaient les chemins de traverse. La tension montait, et l'on apprenait que le mécontentement faisait tâche d'huile et touchait d'autres usines à Varsovie.

Ce fut le suspens, allait-on assister à des événements dramatiques comme ce fut le cas sur le littoral il y a six ans ? Et soudain, à 20h10 locales (19 heures GMT), le président du Conseil des ministres, M. Piotr Jaroszewicz, celui-là même qui, jeudi dernier, avait annoncé la hausse des prix, apparaissait inopinément à la télévision. Grave, le visage fermé, le chef de l'exécutif annonça qu'il avait demandé au parlement d'annuler la hausse des prix. Le soulagement fut général et les grévistes d'Ursus, en signe de victoire, allumèrent d'immenses feux près de leur établissement.

Toutefois, la partie n'est pas encore jouée. M. Jaroszewicz a promis aux ouvriers de poursuivre le dialogue pour trouver en commun une solution aux difficultés économiques rencontrées par la Pologne, alors que la classe ouvrière est fermement résolue à ne pas céder. Mais contrairement à l'ancien dirigeant, M. Wladyslaw Gomulka, qui en 1970, s'obstina dans son erreur, M. Gierek et son équipe ont préféré reculer pour ne pas faire couler le sang.

Marian Kafarski (AFP), Varsovie, 26 juin 1976. L'action ouvrière clandestine en Pologne dans les années 1970 Souvenirs d'Alina Pienskowska, infirmière aux chantiers navals de Gdańsk.

Notre première rencontre avec Lech Walesa eut lieu en 1978 lors d'une réunion de la rédaction de L'Ouvrier du littoral. Nous étions traqués par les gens de la Sécurité. Nos réunions étaient repérées. Malgré tout, nous nous sentions bien dans notre peau.

Lech était un nouveau, mais il n'a pas loupé son entrée. Il venait tout juste de rentrer de congés et il s'est bien amusé à nous raconter comment il avait apporté le journal au poste de la milice « pour que les gars aient de la lecture ». Ça s'était passé dans un bled, et personne ne l'avait arrêté ni même flanqué à la porte. Ils s'étaient bornés à refuser le dialogue.

Lech était un élément très précieux pour la diffusion de notre matériel. La plupart de ceux qui distribuaient les tracts ou les bulletins devant l'église ou les chantiers étaient des hommes. Les gens qui n'avaient pu recevoir leur ration de lecture sur le pont qui fait face aux chantiers venaient jusque chez moi au dispensaire, telle était toute notre action subversive

In Lech WALESA, Un chemin d'espoir, Fayard, 1987.

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Communiqué de presse sur la visite officielle en Pologne de M. Valery Giscard d'Estaing, du 23 au 24 septembre 1978

A la suite de l'invitation faite par le premier secrétaire du comité central du parti ouvrier unifié polonais, M. Edward Gierek, au nom des autorités suprêmes de la république populaire de Pologne, le président de la république française, m. Valery Giscard d'Estaing, a effectué une visite en Pologne du 23 au 24 septembre 1978. Le président de la république française était accompagné par M. Jean-Francois Poncet, secrétaire général de la présidence de la république.

La rencontre entre les dirigeants des deux pays, s'est déroulée dans un climat d'amitié personnelle et de grande confiance. Pendant sa visite en Pologne, le président de la république a également rencontré : le président du conseil d'état, M. Henrik Jablonski, ainsi que le président du conseil des ministres par intérim, M. Mieczyslaw Jagielski, co-président de la commission polono-française pour la coopération économique.

Cette rencontre en Pologne a permis aux deux dirigeants d'examiner sans exclusion tous les sujets d'intérêt commun des deux pays

M. Edward Gierek et M. Valery Giscard d'Estaing ont constaté avec satisfaction que les relations polono-françaises bilatérales se développent dans de bonnes conditions, conformément aux dispositions de la charte des principes de la coopération amicale du 20 juin 1975, ainsi que des autres arrangements conclus entre les deux pays.

Les deux hommes d'état ont porté une grande attention au développement de la coopération économique entre la Pologne et la France. Ils ont exprimé leur volonté d'approfondir cette coopération et de l'élargir dans l'avenir, notamment en direction des petites et moyennes entreprises et de certains secteurs particuliers, en considérant qu'elle constitue un facteur particulièrement important du développement favorable de l'ensemble des relations amicales polono-françaises.

Passant en revue les problèmes internationaux d'actualité, M. Edward Gierek et M. Valery Giscard d'Estaing ont souligné le grand intérêt que les deux pays attachent au renforcement ainsi que l'approfondissement de la détente en Europe et dans le monde.

Ils ont marqué l'importance que la Pologne et la France attachent à la mise en oeuvre pratique de tous les principes et décisions de l'acte final de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) pour la consolidation du processus de la détente qui est appelé à se poursuivre.

Les deux hommes d'état ont également souligné la nécessité de mettre un terme à la course quantitative et qualitative aux armements et de parvenir à un désarmement réel tenant compte du droit de chaque nation d'assurer sa sécurité.

Ils ont échangé leurs vues sur les moyens d'atteindre ces objectifs. La rencontre entre les dirigeants des deux pays s'est déroulée dans l'esprit de l'amitié traditionnelle

qui unit les peuples de Pologne et de France. Discours de Jean-Paul II pour le début du Pontificat (22 octobre 1978) Le dimanche 22 octobre 1978, quelques jours après son élection sur le trône de Saint-Pierre, Jean-Paul II s'adresse à 250.000 fidèles réunis sur la place Saint-Pierre ainsi qu'aux délégations diplomatiques et aux télévisions du monde entier. Le message est adressé par le pape aux catholiques du monde entier et surtout à ses compatriotes de Pologne et à l'ensemble des Européens de l'Est qui vivent encore sous le joug soviétique. "Frères et soeurs, n'ayez pas peur d'accueillir le Christ et d'accepter son pouvoir ! N'ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! A sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N'ayez pas peur ! Le Christ sait ce qu'il y a dans l'homme ! Et lui seul le sait !"

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« Ces gens qui redressaient la tête ! »

Vint ensuite l'année 1980 et la grande grève au chantier naval. Sa grille de fer fut couverte des fleurs de ce bouleversement sans effusion de sang. Pendant près d'un mois, ce fut la grande fête des drapeaux, la fête du redressement progressif des têtes. Je suis resté avec les ouvriers en grève à l'intérieur du chantier. Durant des jours et des semaines, j'ai observé quelque chose qui rappelait une expérience mystique - voilà qu'une foule terne et surmenée se transformait en hommes. Je n'oublierai jamais l'image de tous ces gens qui redressaient la tête. Ils le faisaient avec un tel effort que l'on pouvait presque entendre le craquement des vertèbres.

Antoni Pawlak, écrivain polonais, Fleurs de Gdansk. Extraits de Pologne, Autrement, 1995.

Le 7 août 1980 : licenciement d’Anna Walentynowicz, ouvrière des chantiers navals de Gdańsk

L’été 1980 c’est moi qui ai fait l’objet de répressions : on me changeait sans cesse de lieu de travail,

on m’appelait au bureau du directeur ; et tout cela après 30 ans d’un travail irréprochable, et même cité en exemple quatre fois. La police industrielle me retenait, et ensuite on notait que j’arrivais en retard. Cette répression servait à dissuader les autres, pour que personne n’ose faire comme moi.

J’étais au bout de mes forces, seule face à ces répressions, car tout le monde était contre moi : la police industrielle, les ouvriers, le chef d’atelier, le contremaître et le directeur. Toutes les strates du chantier contre une seule personne ! J’ai gagné mon procès pour obtenir de retourner au travail, mais personne ne voulait reconnaître la décision du juge. Tous les soirs après le travail j’étais au bout de mes forces : ce n’est pas le travail qui m’épuisait, mais l’ambiance.[…]

J’ai été licenciée le 7 août. […] Je n’aurais jamais pensé à l’époque que le chantier se soulèverait, personne ne s’y attendait. Ceux des Syndicats Libres ont commencé à coller des affiches annonçant mon licenciement et exigeant des augmentations de salaire de mille zlotys.

Anna Walentynowicz citée dans http://www.solidarity.gov.pl Extrait de tract des Syndicats Libres

Anna Walentynowicz est devenue gênante parce que, par son exemple, elle avait une influence sur

les autres. Elle est devenue gênante parce qu’elle défendait les autres et qu’elle pouvait nous organiser. Les autorités essaient toujours d’isoler ceux qui pourraient devenir des meneurs. Si nous ne réussissons pas à stopper cela, il n’y aura personne pour s’opposer à l’augmentation des objectifs, au non-respect des règles de sécurité et d’hygiène ou à l’obligation de faire des heures supplémentaires.

Cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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Le 14 août 1980 : le début de la grève à Gdańsk Je suis arrivé au chantier à 4h15. Après avoir collé les affiches j’ai préparé un paquet de tracts, j’en

avais à peu près 500, et j’en donnais à tous ceux qui entraient au chantier en leur disant : « Tiens, lis ! Aujourd’hui tout le chantier fait la grève ».

On s’est retrouvés à trente et on est partis. Il y en a deux qui tenaient une affiche à l’avant. Les gens sont sortis de partout pour voir ce qu’il se passait. Et nous on leur criait : « Eteignez les machines et venez avec nous ! ». Beaucoup nous ont rejoints. Et c’est en groupe plus important qu’on a traversé le pont. […]

On était déjà plus de mille, on ne voyait plus le bout du cortège. De temps en temps je grimpais sur un pylône pour voir où ça s’arrêtait. A ce moment-là on était sûrs que ça marcherait. Les gens sortaient des cales, des bateaux, ils grimpaient après des échelles, très haut, ils nous voyaient et après ils redescendaient. On voyait qu’on était de plus en plus nombreux. […]

On est montés sur une excavatrice qui s’est tout de suite retrouvée entourée par la foule. Alors on a déclaré : « Nous devons élire un comité de grève. Nous avons besoin de gens de confiance qui ont de l’autorité dans les brigades. Qu’ils se fassent connaître ! ». Alors le directeur est arrivé avec toute sa suite, on l’a aidé à monter sur l’excavatrice. Quand il a commencé à parler, Lech Wałęsa est apparu tout à coup, il s’est approché du directeur par derrière et il lui a demandé d’une voix menaçante : « Vous me reconnaissez ? J’ai travaillé pendant dix ans dans ces chantiers, et je me considère toujours comme un ouvrier, parce que j’ai la confiance du personnel. Ca fait déjà 4 ans que je suis sans travail ». Puis il a dit : « Nous entamons une grève avec occupation ».

Jerzy Borowczak (ouvrier du chantier naval) cité dans http://www.solidarity.gov.pl Dimanche 17 août 1980 : première messe pour les grévistes de Gdańsk

Très tôt le matin des gens de Gdansk-Sopot-Gdynia ont commencé à se rassembler devant la deuxième entrée. Le chantier était silencieux et vide, il y avait seulement quelques personnes qui terminaient la décoration de l’autel. A l’intérieur aussi on se préparait : les ouvriers se rasaient et mettaient des vêtements de travail propres. Ils voulaient prouver ainsi leur foi en Dieu et en la patrie. Avant la messe, certains n’arrivaient pas à se faire à ces changements et s’imaginaient même que des tanks arriveraient pendant l’office, mais ce qu’ils racontaient n’avait aucune importance, car juste avant 9 heures s’est répandu un sentiment de victoire et de paix.

Edmund Soszyński (ouvrier du chantier) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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Les 21 revendications du MKS de Gdansk (17 août 1980) :

1. Autoriser les syndicats libres, indépendants du Parti et des employeurs, conformément à la Convention n° 87 de l’Organisation Internationale du Travail ratifiée par la République Populaire de Pologne.

2. Garantir le droit de grève ainsi que la sécurité des grévistes et des personnes qui les aident. 3. Respecter le droit de parole, d’impression et de publication, garanti par la Constitution de la

République Populaire de Pologne, ne pas réprimer les maisons d’édition indépendantes et mettre les mass media à disposition de toutes les confessions.

4. Arrêter la répression pour délit d'opinion et réintégrer les personnes suivantes dans leurs droits : o les personnes licenciées à la suite des grèves de 1970 et 1976, les étudiants renvoyés des

universités pour leurs opinions o libérer tous les prisonniers politiques 5. L'annonce dans tous les médias officiels de la création et des revendications du Comité de grève

inter-entreprises. 6. Le paiement des jours de grève. 7. Le relèvement des salaires mensuels de 2000 zlotys en compensation de la hausse des prix. 8. La retraite après 35 années de travail. 9. La suppression des PEWEX (magasins où des produits occidentaux sont vendus contre des

devises uniquement). 10. L'abolition des privilèges de l'appareil du Parti et des organes de sécurité. 11. La reconnaissance du principe de l'avancement selon des critères de compétence et non

d'appartenance au Parti.

« Programme en 21 points » du Comité de grève inter-entreprises, 17 août 1980. Cité dans P. Buhler, Histoire de la Pologne communiste, Karthala, 1997.

Extrait des déclarations du MKS sur l’existence de syndicats libres

Le premier point de nos revendications est un point-clé. Sans l’existence de syndicats indépendants,

nous pouvons considérer toutes les autres revendications comme perdues d’avance. Cela a déjà été le cas plus d’une fois dans la courte histoire de la Pologne Populaire. Les syndicats officiels non seulement ne défendent pas nos droits et nos intérêts, mais de plus ils font davantage preuve d’hostilité à l’encontre d’une grève légitime que le gouvernement et le parti eux-mêmes.

Cité dans http://www.solidarity.gov.pl La stratégie de revendication :

Nous avons structuré nos revendications de façon à imposer une tactique de négociation : du point

le plus difficile au plus facile. De toute façon tous les points devaient être discutés. Ainsi, même si pour des raisons tactiques on ne traitait pas le premier, en le laissant pour plus tard, il fallait tout de même y revenir, comme si c’était le principal. […]

Ce qui était important, c’était que les soviétiques n’aient pas de prétexte pour intervenir, comme ce fut le cas en Tchécoslovaquie en 1968. Les 21 revendications et leur premier point étaient aussi devenus un modèle pour les grévistes des usines sans groupe d’opposition.

Bogdan Borusewicz cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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Le soutien du KSS (comité d’autodéfense sociale) « KOR » :

Le KSS « KOR » et la rédaction du « Robotnik » (« L’ouvrier ») expriment leur solidarité avec le MKS et tous les grévistes, ainsi que leur admiration pour leur attitude. […]

Les grèves se déroulent dans une atmosphère de calme et de sérieux. Les ouvriers font preuve de responsabilité envers le sort du pays. Et pourtant, certains grévistes ou membres des MKS sont brimés par les services de sécurité. Leurs familles font l’objet de chantages, leurs appartements sont fouillés, on les surveille, et parfois même on les arrête : on les menace et on les provoque. […] Une fois de plus, les autorités tentent d’étouffer la vérité et les initiatives civiles indépendantes avec des méthodes policières. C’est une preuve d’irresponsabilité envers l’avenir du pays. Il faut cesser les négociations partout où les autorités continuent d’essayer de nous tromper, partout où la police politique intervient de manière ouverte ou cachée.

Cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Les autorités locales dépassées par les événements

La situation est vite devenue alarmante pour les autorités. Au bout de trois jours, c’est Gdańsk

entier qui faisait la grève, toute la voïvodie. Nous avions conscience que la grève s’organisait de plus en plus, et cela se faisait jour à travers le calme parfait et le contrôle de la situation en ville. En tant que représentant de l’autorité, je dois dire que nous remarquions avec déplaisir que la voïvodie n’était plus sous notre contrôle. […] Le souvenir de décembre [1970] nous retenait de prendre des décisions plus violentes, moins réfléchies.

Jerzy Kołodziejski (voïvode de Gdańsk) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Lech Wałęsa prône la non-violence et la discussion

Lors des réunions du MKS dans la salle du comité d’hygiène et de sécurité du travail (BHP), je me suis tout de suite rendu compte que les gens étaient trop portés par l’émotion, trop excités pour que l’on puisse mener une discussion importante et prendre une décision valable. Il y avait tout un cérémonial : les portes s’ouvraient, je m’avançais vers la table installée sur une petite estrade, je me retournais brusquement vers eux, je gardais le silence un instant, je déclarais la séance du MKS ouverte et je proposais d’entonner l’hymne national. Toute la salle se levait et chantait l’hymne en chœur. Ceux qui dix minutes auparavant préparaient des interventions agressives du style « on va leur en faire voir », acceptaient maintenant les décisions prises à l’issue de discussions en petits comités.

Cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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Une atmosphère d’union et d’espoir

Difficile de décrire l’atmosphère qui régnait ce jour-là sur les chantiers : un grand sérieux, la conscience que quelque chose d’important et d’irréversible était en train de se passer, un événement auquel participaient tous les gens réunis ici…Quand vers 17 ou 18h on a annoncé le début des prières du soir, tout le monde s’est regroupé devant le portail et s’est mis à prier : cette prière était comme un acte de foi dans le bien-fondé de la grève […]. Les croyants et non-croyants y participaient, c’était la voix de tous ceux qui se battaient et étaient convaincus par la légitimité de leur cause. D’un côté il y avait les ouvriers en grève, des délégués des autres usines représentées par le MKS, des journalistes de l’Europe entière, des sympathisants (comme moi) ; de l’autre côté se trouvaient les habitants de Gdansk-Sopot-Gdynia, des gens de passage sur la Côte et des touristes.

Maria Myślak (présente au chantier à ce moment) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Le portail ne séparait pas les gens, il les unissait. D’un côté il y avait les ouvriers du chantier,

de l’autre la ville. D’un côté les maris, de l’autre les femmes et les enfants. Les grévistes passaient le portail pour embrasser leurs enfants, dont beaucoup étaient encore tout petits, certains même dans des poussettes. […] C’était comme si au-delà de ces grilles se trouvait un monde tout à fait différent, régi par d’autres lois. C’est indescriptible. J’étais là-bas et j’observais. J’étais à la frontière d’un autre monde.

Wojciech Adamiecki (journaliste présent au chantier) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

On ressentait une certaine grandeur, de la joie, de l’espoir, du sérieux et de la dignité. C’était

comme ça sur les chantiers et aussi en ville. Malgré tous les problèmes, on sentait une approbation générale et comme de l’admiration envers les équipes en grèves. Les gens étaient fatigués par cette situation, mais pas autant que par la situation d’avant la grève. Ils disaient : « Qu’il arrive ce qui doit arriver, mais au moins que la grève continue, car on ne peut plus continuer à vivre comme avant ».

Et il s’est passé quelque chose de formidable et d’inhabituel pour la Pologne : les gens avaient un franc sourire aux lèvres, on voyait en eux du sérieux, de la sympathie et du respect […]. Ce furent des journées uniques.

Tadeusz Knade (journaliste présent au chantier) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

La nuit, la vue sur la mer était très impressionnante. Au-delà des grues immobiles, on pouvait

voir les lumières de dizaines de bateaux qui attendaient de pouvoir entrer dans le port. Cette vue s’étendait à une dizaine de mètres de la salle où nous nous trouvions, et qui était le point central de tous les événements. Cet aperçu de la baie avec ses bateaux en attente donnait le sentiment de la force inouïe de la grève. C’est toute la Pologne qui était immobilisée ainsi.

Ryszard Kapuściński (journaliste présent au chantier) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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Une journée des hommes et femmes grévistes

A 5h, toilette et rasage, et jusqu’à 6h, discussions au sujet des événements de la veille. Vers 6h je me trouvais devant l’entrée numéro 2, on chantait l’hymne national et Boże coś Polskę [chanson patriotique religieuse], Lech Wałęsa chantait toujours avec nous. Ensuite il y avait la promenade matinale. De mon côté, j’achetais toujours la presse, même si elle mentait sur ce qui se passait là-bas, mais il fallait tout de même lire et comparer avec la réalité ; et puis il y avait aussi les informations des stations de radio étrangères. Ensuite on lisait les bulletins et les communiqués de grève émis par le MKS. Vers 9h je me rendais à mon atelier et prenais mon petit-déjeuner. J’y restais environ une heure, on discutait, et certains jours je devais convaincre mes collègues encore sceptiques du bien-fondé de notre cause et de notre victoire inévitable.

A midi je me trouvais vers la salle des débats et l’entrée numéro 2, on y rencontrait des gens du pays entier et de la Côte et on entendait les dernières nouvelles. Vers 15h ma famille m’apportait à manger : le déjeuner et des provisions pour le dîner et le petit-déjeuner. A 17h avait lieu la prière commune du soir […]. Après le journal télévisé, dîner, et retour à la zone de la salle des débats, jusqu’à 22-23h. Après le retour à l’atelier, on écoutait les radios étrangères. Vers minuit j’allais me coucher, à côté de ma machine-outil, sur une planche et du polystyrène. Je m’endormais très vite, bien que le lit ne soit pas très confortable, et de plus chaque jour passé au chantier était plus dur que le précédent.

Edmund Soszyński (ouvrier) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Nous les femmes, rassemblées à droite dans la salle du comité d’hygiène et de sécurité, dès le

matin on découpait le pain, les saucisses, on faisait des sandwichs pour donner le plus vite possible à ceux qui venaient manger un morceau après une courte nuit. Des brigades spéciales nous apportaient tous les jours des cornichons, des tomates, des poivrons, du beurre, du pain. […] Il y avait aussi des moments plus difficiles, où le ravitaillement n’arrivait pas, la situation du marché se répercutant ici aussi. Un jour, on ne nous a apporté qu’une bassine de boudin, qu’on s’est efforcé de partager équitablement pour que chacun en ait au moins un morceau. […]

Genowefa Klamann (gréviste) citée dans http://www.solidarity.gov.pl On tapait à la machine jusqu’à 2 ou 3h du matin. On dormait où on pouvait, dans cette salle, sur

des chaises. Je me suis portée volontaire pour aider, car je voulais apporter ma modeste contribution de mère célibataire. Ma fille avait 12 ans, elle était seule à la maison. Elle est venue me voir devant l’entrée deux fois. Elle s’est approchée suffisamment pour qu’on puisse discuter. Mais elle comprenait la situation, et en partant elle m’a fait comprendre que tout allait bien, qu’elle se débrouillerait.

Jadwiga Piątowska (secrétaire dactylo aux ateliers de Gdansk) citée dans http://www.solidarity.gov.pl

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L’ « Appel des 64 intellectuels » à la discussion et au calme (20 août 1980)

Tous, gouvernés et gouvernants, nous devons avoir à l’esprit le bien de la Pologne. Dans la

situation actuelle, nous devons nous garder des paroles non réfléchies et des insultes, qui ne peuvent qu’exaspérer et diviser la société. Assez des campagnes diffamantes qui nourrissent la haine ! Apprenons ensemble à rester dignes.

Cité dans http://www.solidarity.gov.pl

L’arrivée des « experts » à Gdańsk (20 août 1980)

Plusieurs signataires de « l’Appel des intellectuels » ont estimé qu’un appel, c’était trop peu, et

que nous devions aller sur place, pour prouver notre solidarité aux grévistes. […] Et nous sommes justement arrivés au moment où l’on commençait à pouvoir attendre de proches négociations entre la commission gouvernementale et le MKS. […]

Nous nous sommes vite rendu compte que les ouvriers étaient non seulement courageux, mais qu’ils avaient en plus un vrai sentiment de responsabilité en ce qui concerne la situation dans le pays. Notre rôle s’est réduit à formuler leurs revendications dans un langage propre à la négociation.

Tadeusz Mazowiecki (intellectuel catholique) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Nous n’avions pas le temps de faire la liste des références de nos experts. Quand on a demandé

à Mazowiecki : « Jusqu’à quand serez-vous avec nous ? », il a répondu : « Jusqu’au bout ». Ils sont arrivés juste à temps. Ces 21 revendications étaient formidables, mais pendant les

négociations, puis ensuite dans la pratique, il risquait de n’en rester que des lambeaux. […] Une plate-forme venait ainsi d’être créée, et elle convenait aussi aux autorités. Celles-ci avaient jusque-là peur, non sans raison, du côté radical des formulations de gens simples et énervés.

Lech Wałęsa cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Extrait de compte-rendu de séance du bureau du comité politique central du POUP (20-21 août 1980)

- Camarade Wojciech Jaruzelski, Général : Nous devons être attentifs aux réactions soviétiques, les surveiller. Nos amis s’inquiètent

beaucoup de ce qui se passe chez nous. - Camarade Edward Gierek : La pression exercée par l’ennemi a créé une psychose d’une ampleur nouvelle. Il y a quelque

chose dans la société et dans le parti qui croît depuis des années. La crise de confiance est partout… […] Je peux à tout moment entreprendre des discussions avec les ouvriers.

- Camarade Stanisław Kania : La situation continue à évoluer de manière défavorable. […] Il y a un nouvel élément, «

l’Appel des intellectuels » (64 signataires), qui ne sont pas de notre côté, même s’ils ne sont pas non plus antisocialistes ; impossible de les juger en tant qu’ensemble.

Cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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L’arrivée du représentant du gouvernement à Gdańsk (23 août 1980) Personne ne m’a expliqué quelle serait l’étendue de mes compétences. On m’a juste dit : « Allez

régler ce conflit civil. Et aussi vite que possible, car la situation est grave ». […] Je me rappelle mon arrivée, les cris hostiles, les gens qui donnaient des coups dans l’autobus qui

nous transportait. […] Je ressentais cette agressivité. C’était épouvantable. Et c’est avec une forte arythmie cardiaque que j’étais supposé représenter l’Autorité.

Mieczysław Jagielski (Vice-premier Ministre) cité dans http://www.solidarity.gov.pl Je m’approche de la salle du comité d’hygiène et de sécurité à travers la foule des ouvriers […].

Jagielski descend du car. Son visage est pâle et étiré, il a un porte-document noir sous le bras […]. Je m’approche, je lui tends la main, je lui souhaite la bienvenue au chantier. Je suis détendu et souriant. « Leszek, Leszek ! », scande la foule comme un seul homme. C’est ainsi que s’exprime le mandat de confiance des grévistes ; les nouveaux arrivants doivent se rendre compte à quel point nous sommes maîtres de la situation. C’était une mer d’ouvriers, bras levé et poing serré.

Lech Wałęsa cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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Les dissensions au sein du POUP sur l’attitude à adopter - Tadeusz Fiszbach (1er secrétaire du comité de voïvodie du POUP de Gdańsk) : Il nous faut reconnaître que jusque ici, notre discours était souvent éloigné des opinions de la

société par le contenu, la forme et le langage. Il était trop souvent l’expression de nos propres souhaits plutôt que le reflet des idées, des besoins et des problèmes des travailleurs, et plus particulièrement de la classe ouvrière. […]

Ce serait une erreur de croire que la grève des chantiers navals de Gdańsk et des autres entreprises de Gdańsk-Sopot-Gdynia n’est que le fruit de l’action d’un petit groupe de représentants des forces antisocialistes, et que la genèse de cette grève, son déroulement et son but sont l’expression d’un courant coupé de la classe ouvrière ou hostile à la Pologne Populaire. […]

Seul un dialogue responsable peut nous faire sortir de cette impasse et conduire à la fin de la grève, c’est le sentiment de la population et des organismes du Parti.

- Jan Łabęcki (1er secrétaire de l’organisme de Parti du chantier de Gdańsk) : Je me risquerais à dire ceci : il est grand temps que le Parti se décide à faire le ménage chez lui, et

ce à tous les niveaux et à tous les postes. C’est le travail qui compte, pas les belles paroles. Chacun devrait être rémunéré selon son travail et l’effet de ce travail. C’est ce que les employés du chantier réclament depuis longtemps […]. Ce sont nos revendications, ne laissons pas les dissidents les reprendre à leur compte.

Interventions lors des séances plénières du comité central du POUP cité dans http://www.solidarity.gov.pl

L’ambassadeur [d’URSS] Aristoff a fait une déclaration officielle au nom de ses supérieurs,

exprimant leur inquiétude en ce qui concerne l’évolution de la situation en Pologne. Ils ont estimé que notre contre-offensive ne donnait pas suffisamment de résultats, qu’il n’y avait aucune action entreprenante, que la presse était soit autocritique soit défensive ; qu’il y avait sur la Côte encore de nombreux journalistes étrangers qui échauffaient les esprits. Ils se sont étonnés que nous n’ayons pas encore fermé la frontière à l’ouest. Il a demandé quelles solutions nous envisagions et quelles mesures nous allions prendre. […] Le ton de la déclaration était suffisamment catégorique, cela sonnait comme une mise en garde, une menace. […]

Dans la propagande il nous fallait bien souligner le fait que nous avions déjà examiné et traité les revendications des ouvriers et que nous n’examinerions pas les revendications des ennemis du socialisme.

Edward Gierek lors des séances du bureau politique du comité central du POUP cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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Le « Bulletin d’information de grève Solidarność », premier journal des grévistes

Nous avons créé ce journal à deux [avec Konrad Bieliński]. Nous commentions ce qu’il se passait

dans la salle des débats, nous imprimions les discours et autres documents. Nous rédigions peu de textes nous-mêmes, nous nous limitions aux commentaires. On n’avait pas le temps d’écrire. J’ai demandé à des journalistes professionnels de nous aider, mais la plupart ont prétendu ne pas avoir le temps […]. Dans presque chaque numéro on imprimait des poèmes écrits pendant la grève. L’un d’eux a même été écrit par la jeune femme qui tapait nos textes à la machine. Nous faisions cela pour que ce journal soit vraiment le journal des ouvriers, pour qu’ils s’en sentent eux aussi propriétaires, et qu’ils n’aient pas la sensation que c’était seulement un type de Varsovie et un autre de Wrocław qui étaient venus faire un quotidien quelconque. Ainsi, eux aussi se sentaient liés à ce bulletin ; c’était leur journal, tout simplement.

Pour imprimer le bulletin, nous avons dû entrer par effraction dans l’imprimerie du chantier, là où se trouvait un offset. Dans les périodes où cela marchait le mieux pour nous, nous faisions un numéro matinal et un l’après-midi. A 80 000 exemplaires chacun. Et ils partaient en un clin d’œil.

Mariusz Wilk (opposant de Wrocław, cofondateur du « Bulletin d’information de grève Solidarność »)

cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Créer de nouveaux syndicats ou moderniser les anciens ?

- Lech Wałęsa : Nous voulons des syndicats libres, indépendants et réellement autogérés. Il y a dans notre pays une

crise économique. Elle vient du fait que le monde du travail n’a pas de véritable représentation syndicale propre.

- Mieczysław Jagielski : Ce point a été abordé lors de la dernière réunion plénière du comité central de notre parti. […] Il a

été dit que la mise en valeur de l’action des syndicats était une tâche importante et urgente. […] Il faut absolument prendre des mesures pour ouvrir la voie à une amélioration radicale de la situation, permettre au mouvement syndical de renforcer son caractère de classe et trouver sa place parmi les masses. […]

- Andrzej Gwiazda (militant des Syndicats Libres) : Depuis des années, l’économie polonaise, les autorités locales et sectorielles sont évaluées d’après

leur production d’acier, de charbon, de mètres de câble. Personne ne les évalue d’après le niveau de vie des ouvriers, des enseignants, des ingénieurs et des fonctionnaires. Il y avait des syndicats dont le but principal était de défendre les travailleurs. Mais ces syndicats ne défendaient pas leurs intérêts, bien au contraire ; dirigés par l’administration de l’usine, ils faisaient ce qui convenait à la direction. […] Notre but est de créer une véritable organisation de travailleurs, en laquelle les gens puissent croire.

Extraits des discussions entre la commission gouvernementale et le MKS, 26 août 1980,

cités dans http://www.solidarity.gov.pl

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Le 29 août 1980 : le POUP se décide à la négociation - Camarade Edward Gierek : La situation est de plus en plus dangereuse, les grèves s’étendent, les revendications se multiplient.

Je dois avouer que je ne vois pas ce que l’on peut faire de plus qu’on n’ait déjà fait. Le Parti est démobilisé, il pense que nous ne contrôlons pas la situation. […]

En ce qui concerne les syndicats, de plus en plus de gens se déclarent pour. Moi je suis contre. Mais la situation est particulière, la grève générale nous guette. Il vaut peut-être mieux choisir un mal nécessaire, et tâcher de s’en sortir par la suite.

- Camarade Wojciech Jaruzelski, Général (ministre de la Défense) : On parlait de décréter un état exceptionnel, mais notre Constitution ne le prévoit pas. Il y a

seulement la loi martiale, mais ce n’était pas possible non plus, car comment peut-on mettre en œuvre des mesures rigoureuses quand c’est tout le pays qui se soulève ? Ce n’est pas réaliste. On ne peut pas ordonner quelque chose d’impossible à exécuter.

Extrait du compte-rendu de séance du bureau politique du comité central du POUP

cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Le 30 août 1980 : les accords sont presque terminés - Mieczysław Jagielski : Peut-être la longue durée de ces négociations impatiente-t-elle certains. La personne qui nous a

amenés ici et a voyagé dans le même car que nous me disait : « Vous venez nous voir trop rarement, monsieur le Premier Ministre ». Il me semble que l’important n’est pas le nombre des visites, mais plutôt de traiter les affaires de manière concrète pour pouvoir aller de l’avant. […]

Aujourd’hui, à la réunion plénière du comité central, notre parti veut préciser notre position de principe dans les questions dont nous débattons. […] Reconnaître ceci donne la meilleure garantie d’avoir la ferme volonté de réaliser politiquement les accords auxquels nous parvenons. […]

Ne serait-il pas judicieux de rédiger un communiqué, qui comporterait l’idée que nous sommes parvenus à une entente, afin de faire ce que nous souhaitons le plus : terminer la grève et retourner au travail. Nous avons ici un communiqué tout prêt. Des représentants pourraient rester pour le rédiger selon nos besoins. Quant à moi je reviendrais ce soir. […] Je voudrais que ce soit fait le plus vite possible, parce que tout le monde a envie de se reposer, on est tout de même samedi.

- Lech Wałęsa : Monsieur le Premier Ministre, les points principaux ne représentent vraiment pas beaucoup de

travail. Les autres iront assez vite. C’est pourquoi je propose de travailler là-dessus encore un peu, nous avons tellement attendu, c’est samedi, demain dimanche. […] Si tout va bien, nous avons réellement l’intention de retourner au travail lundi, mais il faut vraiment que tout soit noté noir sur blanc d’ici là.

- Mieczysław Jagielski : Ce sera noté noir sur blanc.

Extraits des discussions entre le MKS de Gdansk et la commission gouvernementale cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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Les accords de Gdańsk (31 août 1980) « La commission gouvernementale et le comité de grève interentreprises, après avoir analysé les vingt

et une revendications des ouvriers grévistes du littoral, sont arrivés aux conclusions suivantes : - En ce qui concerne le point n°1, dont le texte est : « Accepter les syndicats libres et indépendants du

parti et des employeurs sur la base de la convention n°87 de 1'O.I.T., Organisation internationale du travail, ratifiée par la Pologne et concernant les libertés syndicales », il a été entendu que :

1) L'activité des syndicats en Pologne populaire n'a pas répondu aux espoirs et aux aspirations des travailleurs. On estime qu'il serait utile de créer des syndicats nouveaux autogérés qui seraient une représentation authentique de la classe laborieuse. On ne met pas en cause le droit des travailleurs de continuer à adhérer à l'ancien syndicat et, pour l'avenir, la possibilité de coopération entre les deux syndicats sera étudiée ; 2) En créant des syndicats nouveaux, indépendants et autogérés, le M.K.S. déclare que ces derniers

respecteront les principes définis dans la Constitution de la Pologne populaire. Les nouveaux syndicats défendront les intérêts sociaux et matériels des ouvriers et n'ont pas l'intention de jouer un rôle de parti politique. Ils se fondent sur le principe de la propriété sociale des moyens de production, base du système socialiste existant en Pologne ; ils reconnaissent que le POUP (parti ouvrier unifié) joue un rôle dirigeant dans l'Etat et ne s'opposent pas au système existant des alliances internationales. Ils veulent assurer aux travailleurs les moyens convenables de contrôle, d'expression et de défense de leurs intérêts. La commission gouvernementale déclare que le gouvernement garantira et assurera le plein respect de l'indépendance et de l'autogestion des nouveaux syndicats, tant en ce qui concerne leurs structures d'organisation que leur fonctionnement à tous les niveaux de leur activité. Le gouvernement assurera aux nouveaux syndicats la pleine possibilité de remplir leurs fonctions fondamentales en ce qui concerne la défense des intérêts des travailleurs, afin de satisfaire les besoins matériels, sociaux et culturels des ouvriers. En même temps, il garantit que les nouveaux syndicats ne feront l'objet d'aucune discrimination ;

3) La création et le fonctionnement des syndicats indépendants autogérés sont conformes à la convention 87 du B. I. T. concernant les libertés syndicales et la protection des droits des syndicats et la convention 97 concernant le droit à association et aux négociations collectives, ces deux conventions ayant été ratifiées par la Pologne. La pluralité de la représentation syndicale professionnelle exigera des changements d'ordre législatif. C'est pourquoi le gouvernement s'engage à prendre des initiatives au plan législatif concernant particulièrement les lois sur les syndicats, sur les conseils ouvriers et sur le code du travail ;

4) Les comités de grève ont la possibilité de se transformer, au niveau de l'entreprise, en institution représentant les travailleurs, soit comme conseil ouvrier, conseil des travailleurs, comité ouvrier ou comité fondateur des nouveaux syndicats autogérés. Le M.K.S., en tant que comité fondateur de ces syndicats, a la liberté, de choisir la forme d'un syndicat ou d'une association à l'échelle du littoral. Les comités fondateurs fonctionneront jusqu'aux élections statutaires des nouvelles autorités syndicales. Le gouvernement s'engage à créer les conditions permettant l'enregistrement des nouveaux syndicats en dehors du Conseil central des syndicats ;

5) Les nouveaux syndicats devront avoir la possibilité réelle d'intervenir dans les décisions-clés qui déterminent les conditions de vie des ouvriers en ce qui concerne les principes de la répartition du revenu national entre consommation et accumulation, la répartition du Fonds de consommation sociale dans des objectifs variés (santé, éducation, culture), les principes de base des rémunérations et l'orientation de la politique des salaires, particulièrement en ce qui concerne le principe de l'augmentation automatique des salaires selon l'inflation, le plan économique à long terme, l'orientation de la politique des investissements et les modifications des prix. Le gouvernement s'engage à assurer les conditions nécessaires à la réalisation de ces fonctions ;

6) Le comité interentreprises créera un centre de recherches socioprofessionnelles dont le but serait une analyse objective de la situation des travailleurs, des conditions d'existence des ouvriers et des moyens de représenter correctement les intérêts des travailleurs. Ce centre fera aussi les expertises en ce qui concerne l'indexation des salaires et des prix et proposera des formes de compensation. Ce centre publiera les résultats de ses recherches. De plus, les nouveaux syndicats possèderont leurs propres

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publications ; 7) Le gouvernement assurera le respect de l'article n°1, point n°1, de la loi sur les syndicats datant de

1949, qui garantit aux ouvriers et aux travailleurs le droit de s'associer librement en syndicats. Le nouveau syndicat en création n'adhérera pas à l'association représentée par le Conseil central des syndicats et respectera ces principes. En même temps, on garantira la participation des représentants du M.K.S. ou des comités fondateurs du syndicat autogéré et des autres représentants des ouvriers à l'élaboration de cette loi.

- En ce qui concerne le point n°2, dont le texte est : « Garantir le droit de grève et la sécurité des grévistes et des personnes qui les aident », il a été entendu que :

- Le droit à la grève sera garanti dans la nouvelle loi sur les syndicats. La loi devra définir les conditions permettant de proclamer et d'organiser des grèves, les méthodes par lesquelles on devrait résoudre les conflits et les pénalités en cas de violation de la loi. Les articles n°52, 64 et 65 du code du travail (interdisant la grève) ne sauraient être utilisés contre les grévistes jusqu'au moment de l'adoption de la nouvelle loi ; le gouvernement garantit aux grévistes et aux personnes qui les aident la sécurité personnelle et le maintien de leurs conditions de travail.

- En ce qui concerne le point n°3, dont le texte est: « Respecter la liberté d'expression et de publication garantie par la Constitution de la Pologne populaire et donc de ne pas sévir contre les publications indépendantes et donner accès aux mass média aux représentants de toutes les religions », il a été entendu que :

1) Le gouvernement introduira à la Diète - dans un délai de trois mois - un projet de loi sur le contrôle de la presse, des publications et des spectacles qui se fondera sur les principes suivants : la censure doit protéger les intérêts de l'Etat. Cela signifie la protection des secrets de l'Etat et des secrets économiques tels qu'ils seront définis plus précisément par la loi, la protection de la sécurité de l'Etat et de ses intérêts internationaux importants, la protection des convictions religieuses et, en même temps, la protection des personnes non croyantes, ainsi que l'interdiction de la distribution du contenu de publications qui constituent une atteinte aux bonnes mœurs.

Le projet de loi inclura le droit de porter plainte devant le tribunal suprême administratif contre les décisions des institutions du contrôle de la presse, des publications et des spectacles. Cette loi sera incluse dans le code d'activités administratives par un amendement.

2) L'utilisation de mass média par les associations religieuses dans le domaine de leurs activités religieuses sera réalisée par la voie des accords entre les institutions de l'Etat et les associations religieuses, tant en ce qui concerne les problèmes de contenu que l'organisation. Le gouvernement assurera la transmission par la radio de la messe dominicale dans le cadre d'un accord particulier avec l'épiscopat.

3) L'activité de la radio et de la télévision ainsi que de la presse et des maisons d'édition doit servir à l'expression de diverses pensées, points de vue et opinions. Elle devrait être soumise au contrôle social.

4) La presse ainsi que les citoyens et leurs organisations doivent avoir accès aux documents publics, surtout aux actes administratifs et au plans socio-économiques, etc., qui sont publiés pas le gouvernement et les institutions administratives qui lui sont soumises. Les exceptions au principe de la transparence de l'activité administrative seront définies dans la loi en accord avec le point n°3, chapitre 1.

- En ce qui concerne le point n° 4 dont le texte est : « a) rétablir les droits des gens licenciés - après les grèves de 1970 et 1976, - des étudiants exclus des hautes écoles pour leurs opinions ; b) libérer tous les prisonniers politiques (y compris Edmund Zadrozynski, Jan Kozlowski et Marek Kozlowski) ; c) arrêter la répression pour opinion », il a été convenu :

a) L'analyse immédiate de la justification des licenciements d'après les grèves de 1970 et 1976. Dans tous les cas présentés et s'il existe une injustice, réembauche immédiate, en tenant compte de leur nouvelle qualification, si les personnes intéressées le désirent. On appliquera le même principe dans le cas des étudiants.

b) Présentation du cas des personnes mentionnés dans le point b) au ministre de la Justice qui, dans un délai de deux semaines, demandera à ses services de se pencher sur les dossiers ; dans le cas où les personnes mentionnées sont emprisonnées, il faut suspendre l'exécution de leur peine jusqu'au nouveau jugement. c) L'analyse des motifs des arrestations temporaires et la libération de personnes mentionnées dans

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l'annexe. d) Plein respect des libertés de l'expression des opinions dans la vie publique et professionnelle.

- En ce qui concerne le point n°5, dont le texte est : « Informer, par l'intermédiaire des mass media, de la création du M.K.S. et publier ses revendications ", il a été convenu que :

- Cette demande sera satisfaite par la publication dans les médias, à l'échelle nationale, de ce protocole. - En ce qui concerne le point n°6, dont le texte est : « Entreprendre des activités réelles ayant pour

but de sortir le pays de la situation de crise en commençant par donner au public toute l'information sur la situation socioéconomique ; et permettre à tous les milieux et groupes sociaux de participer aux discussions sur un programme de réformes », il a été convenu ce qui suit :

Nous considérons comme nécessaire l'accélération de la préparation d'une réforme économique. Les autorités définiront et publieront au cours des prochains mois les principes de base de réforme. Il faut permettre une large participation à la discussion publique sur la réforme. Les syndicats devront en particulier participer à l'élaboration des lois sur les entreprises socialistes et sur l'autogestion ouvrière. La réforme économique devra être basée sur l'élargissement, l'autonomie et la participation des conseils ouvriers à la gestion. Des réglementations spécifiques devront garantir que les syndicats pourront remplir leurs fonctions telles qu'elles ont été définies dans le point n° 1 de cet accord.

Seule une société consciente et ayant une bonne connaissance des réalités peut prendre l'initiative et réaliser des réformes de notre économie. Le gouvernement élargira d'une manière importante la sphère des informations socioéconomiques auxquelles la société, les syndicats et les organisations économiques et sociales ont accès.

Le M.K.S. suggère, en plus, de créer des perspectives durables pour le développement des propriétés agricoles familiales, fondement de l'agriculture polonaise, d'égaliser l'accès des secteurs agricoles (collectif et individuel) aux moyens de production, y compris à la terre ; de créer les conditions pour une renaissance des coopératives autogérées.

- En ce qui concerne le point n° 7 dont le texte est : « Payer tous les travailleurs participant à la grève pour la période de grève comme pour la période de congé, sur les fonds du Conseil central des syndicats », il a été convenu ce qui suit :

Les travailleurs des usines participant à la grève recevront pour la période de grève une avance de l'ordre de 40 % de leur salaire après leur retour au travail. Le reste, jusqu'à 100 % du salaire, sera compté comme pour la période de congé sur la base d'un jour de travail de huit heures. Le M.K.S. demande aux ouvriers qui en sont membres d'entreprendre - après la fin de la grève et en coopération avec la direction des entreprises et des usines - des actions visant à une augmentation du rendement du travail, à l'économie des matières premières et de l'énergie et à une plus grande discipline dans le travail.

- En ce qui concerne le point n° 8, dont le texte est : « Augmenter le salaire de base de chaque travailleur de 2000 zlotys par mois en compensation de l'augmentation des prix », il a été convenu ce qui suit :

Ces augmentations de salaires seront introduites graduellement pour toutes les catégories de travailleurs et surtout pour ceux dont les salaires sont les plus bas. On s'est mis d'accord sur le principe d'une augmentation des salaires par branches et usines. Les augmentations sont et seront réalisées en tenant compte de la spécificité des professions et des secteurs. Leur but sera de majorer les salaires par la révision des échelles ou par l'augmentation des autres éléments du salaire. En ce qui concerne les employés des entreprises, on augmentera leurs salaires sur une base

individuelle. Les augmentations de salaires discutées dans ce point devront être réalisées d'ici à la fin septembre 1980 en fonction de l'accord dans chaque branche. Le gouvernement, après avoir analysé la situation dans toutes les branches, présentera d'ici au 31

octobre 1980, avec l'accord des syndicats, le programme des augmentations de salaires à partir du 1er janvier 1981 pour ceux qui gagnent le moins, en mettant particulièrement l'accent sur les familles nombreuses. - En ce qui concerne le point n°9 dont le texte est : « Garantir l’échelle mobile », il a été convenu ce

qui suit : Il est nécessaire d'enrayer la hausse des prix des biens de consommation courante par un contrôle

accru des secteurs publics et privés, et particulièrement en supprimant les augmentations déguisées. ' A la suite de la décision du gouvernement, on entreprendra des études sur le coût de la vie. Ces études

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seront également faites par les syndicats et instituts scientifiques. Le gouvernement élaborera d'ici à la fin de l'année 1980 les principes d'une compensation de l'augmentation du coût de la vie, principes qui seront soumis à discussion publique. Après avoir été acceptés, ils entreront en vigueur. Dans ces principes, il faut tenir compte du problème du minimum social.

- En ce qui concerne le point n°10, dont le texte est : « Réaliser l'approvisionnement du marché intérieur en produits alimentaires et exporter seulement le surplus » et le point n° 11, dont le texte est : « Supprimer les prix commerciaux et la vente en devises étrangères sur le marché intérieur» et le point n° 12, dont le texte dit : « Introduire des cartes de rationnement pour la viande et les produits dérivés jusqu'à la stabilisation des marchés », il a été convenu :

Que serait amélioré l'approvisionnement en viande d'ici au 31 décembre 1980, et cela grâce à l'accroissement de la rentabilité de la production agricole, à la limitation au minimum indispensable des exportations de viande et par des importations supplémentaires de viande. En même temps, durant cette même période, on présentera un programme d'amélioration de l'approvisionnement en viande en tenant compte de la possibilité de l'introduction d'un système de rationnement par l'instauration de cartes ;

Que, dans les magasins « Pewex » (à devises), il ne sera pas vendu de produits nationaux déficitaires de consommation courante ;

La population sera informée, d'ici à la fin de l'année, de toutes les décisions concernant l'approvisionnement du marché. Le M.K.S. demande la suppression des magasins « commerciaux » (1), la mise en ordre et l'unification des prix de la viande et des produits dérivés à un niveau moyen.

- En ce qui concerne le point n° 13, dont le texte est : « Introduire le principe du choix des cadres basé sur la qualification et non sur l'appartenance au parti, et supprimer les privilèges de la police (M. O.) de la sûreté (S. B.) et de l'appareil du parti en égalisant les allocations familiales et en supprimant les systèmes spéciaux de ventes, etc. », il a été convenu ce qui suit :

On accepte la demande que le choix des cadres soit basé sur le principe des qualifications et des compétences parmi les membres du parti ouvrier unifié, du S.D. (parti démocrate qui regroupe en principe les petits artisans privés), du Z.S.L. (parti paysan unifié qui, avec les deux autres, forme la base d'unité du Front national) et les sans-parti. Le programme d'égalisation des allocations familiales pour tous les groupes professionnels sera présenté par le gouvernement d'ici au 31 décembre 1980. La commission gouvernementale déclare que c'est seulement dans l'appareil du parti qu'il y a des magasins de vente directe, comme dans les autres usines et institutions.

- En ce qui concerne le point n° 14, dont le texte est : « La possibilité de prendre la retraite pour les femmes à cinquante ans, pour les hommes à cinquante-cinq ans, ou après trente années de travail en Pologne populaire pour les femmes ou trente-cinq pour les hommes, sans tenir compte de l'âge », il a été entendu :

La commission gouvernementale considère ces postulats comme étant impossibles à satisfaire dans la situation économique et démographique actuelle du pays. Le problème pourra être discuté dans l'avenir.

Le M.K.S. demande que ces problèmes soient analysés d'ici au 31 décembre 1981, avec la possibilité d'abaisser de cinq ans l'âge de la retraite pour les gens qui travaillent dans des conditions pénibles (au moins pendant quinze ans). Cette demande devrait être satisfaite seulement si les travailleurs l'exigent.

- En ce qui concerne le point n° 15, dont le texte est : « Augmenter les retraites et les pensions anciennes jusqu'au niveau de celles qui sont payées actuellement », il a été entendu :

La commission gouvernementale déclare que l'augmentation des retraites et des pensions les plus basses se fera chaque année en fonction des possibilités économiques du pays et en fonction des augmentations de salaires les plus bas. Le gouvernement présentera un programme à cet effet d'ici au 1er décembre 1981. Le gouvernement préparera les projets d'augmentation des retraites et des pensions les plus basses jusqu'au niveau du minimum social défini sur la base d'études faites par des instituts scientifiques ; ils seront présentés à l'opinion publique et soumis au contrôle des syndicats.

Le M.K.S. souligne la grande urgence de ces problèmes et maintient ses revendications : augmenter les retraites et les pensions de l'ancien système jusqu'au niveau du système actuel ; tenir compte de l'augmentation du coût de la vie.

- En ce qui concerne le point n° 16, dont le texte est : « Améliorer les conditions de travail des services de santé afin d'assurer aux travailleurs une meilleure protection médicale », il a été entendu que :

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Il est nécessaire d'augmenter immédiatement les moyens destinés aux investissements dans les sphères des services de santé d'améliorer l'approvisionnement en médicaments par des importations supplémentaires de matières premières, d'augmenter les salaires de tous les employés de la santé (changement de catégorie des salaires des infirmières) et de préparer d'urgence des programmes gouvernementaux et ministériels visant à l'amélioration de la santé de la population. D'autres actions dans ce domaine sont mentionnées dans l'annexe. ,

- En ce qui concerne le point n° 17, dont le texte est : « Assurer dans les crèches et dans les écoles maternelles un nombre de places suffisant pour les enfants des femmes qui travaillent », il a été convenu que :

La commission gouvernementale est pleinement d'accord avec cette revendication. Sur ce point les autorités de la voïvodie (préfecture) présenteront un programme d'ici au 30 novembre 1980.

- En ce qui concerne le point n° 18, dont le texte est : « Allonger la durée du congé maternité payé à trois ans pour permettre à la mère d'élever son enfant », il a été convenu que :

D'ici au 31 décembre 1980, une analyse des possibilités de l'économie nationale sera faite en commun avec les syndicats, et on définira le montant d'une allocation mensuelle pour les femmes qui sont actuellement en congé de maternité non payé. Le M.K.S. demande qu'on inclue dans cette analyse l'établissement d'une telle allocation, dont le

montant, durant la première année après l'accouchement, devra être égal à 100 % du salaire et, durant la deuxième année, égal à 50 % du salaire, mais sans jamais être inférieur à 2000 zlotys mensuels. Cet objectif devrait être atteint graduellement en commençant dès la première moitié de l'année 81.

- En ce qui concerne le point n° 20, dont le texte est : « Augmenter de 40 à 100 zlotys les frais de déplacement », il a été convenu que :

Un accord sera conclu sur l'augmentation, à partir du 1er janvier 1981, du montant des frais de déplacement et de l'indemnité de déplacement. Le gouvernement présentera des propositions à cet effet d'ici au 31 octobre 1980.

- En ce qui concerne le point n° 21, dont le texte est : «Fixer le samedi comme jour de congé. Pour les travailleurs des usines à fonctionnement continu et qui appliquent le système des quatre équipes tournantes, compenser le samedi travaillé soit par une augmentation du nombre de jours de congé, soit par l'octroi d'un autre jour libre de la semaine (non fixe), il a été convenu que :

Le principe et l'application de ce programme instituant le samedi comme jour de congé ou une autre méthode d'instauration d'un temps de travail raccourci seront établis et présentés d'ici au 31 décembre 1980. Ce programme prévoira dès 1981 l'augmentation du nombre de samedis de congé.

Les autres possibilités d'action en la matière sont mentionnées dans l'annexe où figure le point de vue du M.K.S. Après être parvenu aux conclusions susmentionnées, il a été entendu encore que : Le gouvernement s'engage à : - Assurer la sécurité personnelle et à maintenir les conditions de travail actuelles aux participants à la grève ainsi qu'aux personnes qui l'ont appuyée ;

- Examiner à l'échelle des ministères les demandes spécifiques aux branches de production présentées par les ouvriers de toutes les usines associées dans le M.K.S. ;

- Publier immédiatement dans les mass media, à l'échelle nationale (presse, radio, télévision), le texte intégral du protocole d'accord. Le comité de grève interentreprises s'engage à finir la grève le 31 août 1980 à 17 heures. (1) Le réseau des magasins dits commerciaux a été institué pour remplacer une hausse de prix : on y trouve davantage de marchandises que dans les magasins normaux, mais à un prix augmenté d'une surtaxe de 50 % à 100 %. C'est l'application de ces prix « commerciaux » aux ventes directes sur les lieux de travail qui a mis le feu aux poudres au début de juillet.

Extrait de « Pologne, 500 jours de libertés qui ébranlèrent le communisme », Hors série, Libération, janvier-février 1982.

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Le 31 août 1980 : la fin de la grève est décidée

- Lech Wałęsa : Je voudrais encore une fois remercier Monsieur le Premier Ministre ainsi que tous ceux qui ont

permis de régler la situation sans l’utilisation de la force ; nous avons vraiment pu discuter de Polonais à Polonais. […]

Mes amis ! Nous retournons au travail le 1er septembre. […] Avons-nous obtenu tout ce que nous voulions, tout ce que nous désirions, tout ce dont nous rêvions ? J’ai l’habitude de dire toujours franchement et ouvertement ce que je pense. Et je vous dirais franchement : pas tout, mais nous savons tous que nous avons obtenu beaucoup. Vous m’avez fait confiance depuis le début, alors croyez-moi quand je vous dis ceci : nous avons eu tout ce qu’on pouvait obtenir dans la situation actuelle. Nous obtiendrons le reste également, car nous avons le plus important : des syndicats indépendants et autogérés. C’est notre garantie pour l’avenir. […] Je déclare la grève terminée.

- Mieczysław Jagielski : Tout au long de notre travail commun, nous avons essayé de comprendre les intentions qui vous

guidaient. […] Nous avons discuté comme devraient discuter des Polonais entre eux. […] Il n’y a ni perdants ni gagnants, ni vainqueurs ni vaincus. […] Nous sommes parvenus à un accord !

Extraits des dernières discussions entre le MKS et la commission gouvernementale

cité dans http://www.solidarity.gov.pl Qu’est-ce que la liberté syndicale ?

L’indépendance, c’est simplement ne plus être sujet aux influences d’autres organisations. Le

syndicat des travailleurs de Mazovie veut être indépendant de l’employeur, du Parti et du gouvernement.

N’oubliez pas ! Il n’est question que de l’indépendance du syndicat, puisque en tant que citoyens de la Pologne Populaire, conformément aux accords de Gdańsk, nous reconnaissons le rôle déterminant du POUP dans l’Etat, mais non dans les syndicats indépendants. […] Quand nous disons que notre syndicat est indépendant du Parti ou d’autres organisations, cela signifie avant tout ceci :

Lors de ses actions en tant que membre du syndicat, chaque adhérent ne doit avoir à l’esprit que le bien du syndicat, et non celui d’une organisation politique, sociale ou religieuse à laquelle il appartiendrait. […]

Encore une chose : notre syndicat est indépendant, donc il n’est pas soumis à l’influence d’un parti politique, car conformément aux accords de Gdańsk, notre syndicat est apolitique. Ce qui veut dire que la politique et l’organisation du pays appartiennent au gouvernement et au Parti. […]

Les autorités de nos syndicats autogérés expriment la volonté de la population d’en bas. Les autorités des anciens syndicats centraux ne faisaient qu’exécuter les recommandations d’en haut.

Zbigniew Bujak (ouvrier, président syndical de la plus grande région, la Mazovie)

cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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La reconnaissance de Solidarność le 24 octobre 1980.

« C'est le jour de l'enregistrement officiel de Solidarité. La Pologne est encore communiste. Et l'existence d'un premier syndicat indépendant est à l'époque quelque chose d'aberrant. Chacun pressent que c'est un germe qui peut faire éclater le communisme. Mais personne n'en dit mot. Pourtant on sait. Moi, je sais. Il y a foule. Elle me bouscule, et me hisse sur des épaules. Je suis heureux. C'est un moment clé, une étape qui rendra possible tout le reste : la perestroïka, la réunification de l'Allemagne, le départ des troupes soviétiques d'Europe de l’Est. »

Lech Walesa, entretien avec Annick Cojean, Le Monde, 22 août 1997.

L’« anarchie » des sections régionales de Solidarność

Dans tout le pays la société civile s’éveillait, tout le monde se sentait responsable, tout le monde voulait faire quelque chose. Des commissions et des comités poussaient comme des champignons après la pluie, ils étaient créés selon divers schémas et compétences, ce qui occasionnera pas mal de problèmes par la suite. Ces comités et ces commissions, qui s’enregistraient immédiatement, reconnaissaient certes le rôle dirigeant de Wałęsa et de Gdansk, mais ils voulaient être entièrement indépendants, et ne pas recevoir d’ordres ni d’instructions émanant d’eux. C’est la spécificité d’un mouvement créé par en bas.

Jacek Kuroń (conseiller de Solidarność) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Ce syndicat, comme aucun autre encore dans l’histoire, a été créé par un grand nombre de

personnes, de leurs propres mains. On l’a obtenu par la grève, même dans les usines où elle n’a pas eu lieu ; ceux qui ont adhéré au syndicat ont créé ce maillon, ils se sentaient pour la première fois auteurs de quelque chose de nouveau dans la société, et ils n’ont jamais permis qu’on leur enlève ce rôle de créateurs. Et pas seulement au commencement, ç’a été comme cela jusqu’au bout. C’est là l’atout et le défaut de ce mouvement. C’est l’un des facteurs qui a contribué à donner cette structure interne un peu anarchique au syndicat, cet aspect de petit Parlement […].

Quand les gens qui habitaient dans les zones [très pauvres] ont eu la possibilité de former leur propre organisation, elle est devenue leur outil pour agir. Et un outil puissant, ils le savaient déjà. Et ainsi leur premier désir fut de se venger des caciques locaux. Ce fut un mouvement de revanche sociale, peu connu dans les grands centres industriels mais qui se faisait parfois jour à l’échelle d’une entreprise […].

C’était une attaque contre les privilèges matériels de la nomenklatura. […] Il s’agissait à chaque fois de mettre à disposition de la société des bâtiments tels le sanatorium du Parti, le ministère de l’Intérieur ou encore l’immeuble du commissariat de voïvodie [la milice].

Karol Modzelewski (porte-parole de Solidarność) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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Jean-Paul II écrit à Brejnev en décembre 1980. "A son excellence, M Leonid Brejnev Président du Soviet suprême de l'Union des Républiques

socialistes soviétiques (1) Je me fais l'expression de l'inquiétude de l'Europe et de l'ensemble du monde à propos de la

tension engendrée par les événements intérieurs survenus en Pologne au cours de ces derniers mois. La Pologne est un des pays signataires des accords d'Helsinki. Cette nation fut, en septembre 1939, la première victime d'une agression à l'origine de la terrible période de l'Occupation, qui durerait jusqu'en 1945. Pendant toute la seconde Guerre mondiale, les Polonais restèrent aux côtés des Alliés, se battant sur chacun des fronts de la bataille, et la rage destructrice de ce conflit coûta à la Pologne la perte de près de six millions de ses fils, soit un cinquième de sa population.

Ayant donc à l'esprit les divers motifs graves de préoccupation engendrés par la tension concernant la situation actuelle en Pologne, je vous demande de faire tout ce qui est en votre pouvoir afin que disparaisse ce qui constitue, selon l'opinion générale, les causes de cette préoccupation. Cela est indispensable à la détente en Europe et dans le monde. Un tel résultat ne peut être obtenu ma semble-t-il qu'en demeurant fidèle aux principes solennels des accords de Helsinki, qui définissent les critères régulant les relations entre les Etats. Et notamment en respectant les droits relatifs à la souveraineté, ainsi que le principe de non-intervention dans les affaires intérieures de chacun des Etats participants. Les événements qui se sont déroulés en Pologne ces derniers mois ont été provoqués par la nécessité inéluctable d'une reconstruction économique du pays, qui exige, en même temps, une reconstruction morale fondée sur l'engagement conscient, dans la solidarité, de toutes les forces de la société.

Je suis sûr que vous ferez tout votre possible pour dissiper la tension actuelle, afin que l'opinion publique soit rassurée au sujet d'un problème aussi délicat et urgent.

J'espère vivement que vous serez assez aimable pour accueillir et examiner avec attention ce que j'ai cru de mon devoir de vous exposer, en considérant que je ne suis inspiré que par les intérêts de la paix et de la compréhension entre les peuples.

JOHANNES PAULUS PP.II, le Vatican, 16 décembre 1980" (1) Lettre écrite en français, sur un papier crème frappé des armes personnelles de J.P II, publiée

dans La vie en 1998

L’inauguration du monument aux morts de Gdańsk (17 décembre 1980)

En face de nous, au pied du monument, se trouve une petite estrade sur laquelle on a placé un autel de bois tout simple, barré d’un drapeau blanc-rouge. A côté de l’autel il y a une tribune. Une foule de plus en plus dense se presse sur la place du monument et dans les rues adjacentes […]. Les ouvriers du chantier, leur casque jaune sur la tête, maintiennent un ordre exemplaire, ils forment des haies pour laisser le passage aux délégations venues des usines du pays entier, et qui portent des gerbes de fleurs. […]

Puis soudain, illuminé par des centaines de projecteurs, le monument se détache de l’obscurité, apparition argentée pointant vers le ciel et formée de trois croix. Nous n’avions pas remarqué que sur l’une d’elle, un peu comme si c’était un mât, était accrochée une banderole aux couleurs nationales, qui faisait la moitié de la hauteur du monument […]. De gigantesques projecteurs militaires, positionnés loin derrière, envoient une lumière aveuglante le long des rues menant à cette place qui se trouve devant la deuxième entrée du chantier. Ils éclairent les têtes de cette foule compacte, innombrable.

Jacek Susuł (journaliste) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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La nouvelle stratégie du pouvoir : la « confrontation morcelée »

La meilleure tactique est celle de la « confrontation morcelée », afin de neutraliser les forces antisocialistes et de les mettre sur la défensive. Cette tactique a pour but de montrer la parfaite synchronisation des actions politiques et des actions de propagande ; elle doit aussi présenter un programme de solutions socio-économiques tout en usant de répression sur les meneurs et les centres directeurs des groupements antisocialistes. Cette tactique de « confrontation morcelée » a commencé à porter ses fruits, comme nous avons pu le voir lors d’opérations précises ; elle semble donc appropriée et permettra sans doute d’éviter une confrontation générale. Il nous faut cependant prendre en compte que chacune de nos actions peut engendrer une réaction de l’ennemi, engendrant ainsi des tensions et des affrontements locaux, régionaux, voire nationaux entre la société et les autorités.

Extrait des rapports de l’état-major de l’opération « Eté 80 » cité dans http://www.solidarity.gov.pl A mon sens, il ne fait aucun doute que la pression sur la société est à la limite du supportable, et

que le pays est sur le point d’exploser, s’il ne l’a pas déjà fait. La majorité de la population est en état de soulèvement non armé contre le système politique, on remet en question les structures politiques de l’Etat et du Parti ainsi que son rôle dirigeant. Toutes nos tentatives de concertation ne font que retarder le moment où ces forcenés obtiendront le pouvoir. La raison a cessé de fonctionner chez ces gens-là, la logique contre-révolutionnaire a pris le dessus sur l’évidence que seule une Pologne socialiste peut être indépendante à l’intérieur de ses frontières et se développer. […]

Après les discussions qui ont eu lieu à Moscou, il semblerait que notre seule option soit d’adopter une position ferme. Nos voisins s’inquiètent de la situation dans notre pays.

Stanisław Kociołek (Premier secrétaire du comité de voïvodie du POUP)

lors d’une réunion du bureau politique cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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La grève, outil de pression face aux agressions policières de mars 1981 Notre réponse doit être un coup de poing. Cependant la grève généralisée sans précision de durée

est effectivement un soulèvement national. Ayons pleine conscience de la décision que nous prenons. C’est pourquoi je conseille une grève de mise en garde, puis, si cela n’a pas d’effet, une grève générale mais d’une durée définie par avance.

Bronisław Geremek (conseiller de Solidarność) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Nous devons garder à l’esprit que le gouvernement du général Jaruzelski est la dernière carte qu’il

nous reste pour régler ce conflit de manière non militaire. Et même si cette carte est faible, nous devons la jouer. Donc il n’y aura qu’une grève de quelques heures à la fin de la semaine. Cette grève peut ébranler le système politique du pays, et faire changer ce que nous voulons.

Tadeusz Mazowiecki (expert de Solidarność) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

L’agression des militants à Bydgoszcz a servi à voir si l’on pouvait déjà s’en prendre à

Solidarność. Si notre riposte avait été trop faible, le syndicat aurait été vite attaqué. La mobilisation de la société les a contraints à reculer et les a certainement beaucoup surpris. Nous avons donc entamé les discussions dans une bonne position. Leur manière d’essayer de nous faire peur en nous parlant des tanks russes prouvait qu’ils avaient davantage peur de l’invasion soviétique que nous. Il me semblait qu’ils craignaient de perdre leur place et cette peur était à notre avantage. S’il y avait eu une intervention soviétique, elle aurait entraîné le changement de l’équipe actuelle. Si nous-mêmes nous étions décidés à faire la grève, celle-ci n’aurait pas lieu car ils devraient accepter nos conditions. C’était une guerre des nerfs, à celui qui tiendrait le plus longtemps.

Andrzej Gwiazda (militant de Solidarność, il a participé aux négociations du 30 mars)

cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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La CFDT à l'heure de Gdańsk. Un soutien sans faille.

En décembre 1980, une délégation de la CFDT menée par Edmond Maire se rendit en Pologne pour y rencontrer les principaux représentants du syndicat Solidarność (Lech Walęsa, Bronisław Geremek et Jacek Kuroń). Le communiqué final publié à cette occasion annonçait la visite de Walęsa à Paris pour mars 1981.

Mais, en Pologne, les événements se précipitèrent après l’agression de Bydgoszcz. Lech Walęsa considéra que son devoir était de rester en Pologne, décision qui fut officialisée par un échange de télex avec la CFDT, le 21 mars.

« Cher Edmond Maire, chers amis, La situation dans notre pays nous a obligés à annuler notre voyage en France. Nous l'avons fait à notre grand regret. Nous espérions que notre voyage renforcerait notre amitié et les liens entre travailleurs polonais et français. Nous sommes sûrs pour que les rapports entre Solidarité et la CFDT seront poursuivis dans un esprit d'amitié et que notre visite en France pourra avoir lieu à une autre date. Nous espérons que notre décision sera comprise par vous dans l'esprit de solidarité que vous avez témoigné toujours à l'égard de notre lutte syndicale. Lech Wałęsa ». « Cher Lech Wałęsa, chers amis, Nous partageons votre tristesse dans l'obligation où vous êtes de reporter votre voyage. Nous comprenons et soutenons votre décision. Votre place est aujourd'hui en Pologne pour surmonter les provocations et construire la stabilité et la démocratie.

Mercredi soir 25 mars, la CFDT appelle les travailleurs et le peuple parisien à manifester plus que jamais leur appui à votre cause. Nous souhaitons que votre voyage en France intervienne dès que possible. Vos difficultés ne peuvent que renforcer notre coopération. Amitiés chaleureuses, Edmond Maire ». Ce jour-là, devant une affluence nombreuse, les militants de Solidarność présents furent ovationnés tandis qu'Edmond Maire prononçait le discours suivant : « Ce soir, nous ressentons un vide... Camarades de Solidarité, votre lutte est d'ores et déjà un jalon important dans l'action du mouvement ouvrier international. Le meilleur soutien que nous pouvons vous apporter consiste à mener, ici, notre combat sur les mêmes principes que ceux qui vous animent. Unanimes, nous disons ce soir aux travailleurs polonais la confiance et l'amitié que nous leur portons. Nous leur disons combien leur combat est le nôtre, combien unis avec dix millions d'adhérents de Solidarność, des millions de travailleurs français affirment par notre voix ce soir : vive Solidarité ! ».

Jean-Marie CHARPENTIER et Henri ISRAEL, Solidarność : un an de luttes sociales en Pologne,

CFDT information, Montholon-Services, 1981, pp. 128-129.

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L’Etat-major polonais prépare la loi martiale avec les « conseillers » russes (avril 1981)

Après avoir pris connaissance de nos plans, les Russes ont estimé qu’ils n’étaient pas suffisants et

nous ont présenté leur opinion à ce sujet. Selon eux, la mise en place d’une loi martiale était nécessaire pour la défense du socialisme. En parallèle il fallait suspendre la Constitution et transférer l’autorité au commandement général de l’armée. […] La loi martiale devait être exécuté par l’armée, les services de sécurité et les forces actives du Parti. Pendant la loi martiale et lors de sa préparation, nous devions tâcher de démasquer la contre-révolution dans Solidarność, identifier les meneurs et les éléments extrémistes, découvrir l’endroit où ils résidaient, infiltrer les organisations ennemies et localiser les stations de radio et les imprimeries clandestines. Les Russes ont également recommandé de procéder à des arrestations 14 heures avant la mise en place de la loi martiale, puis de procéder à des enquêtes et des jugements immédiats.

Le colonel Ryszard Kukliński (officier de l’état-major général de l’armée polonaise et grand espion de la CIA) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

L’inauguration du monument aux victimes de Poznań (28 juin 1981)

La foule, recueillie, écoute les paroles déversées par les haut-parleurs, les paroles d’un cardinal, de

poètes, d’ouvriers et de dirigeants de Solidarność. Tout le monde est là, il y a des jeunes, des scouts, de vieilles femmes en deuil, des ouvriers et des employés de bureau.

Ils se souviennent de juin 1956, ils ne veulent pas l’oublier. Mais ils veulent aussi entendre dire que personne n’est menacé maintenant, qu’ils vont pouvoir dire tout haut ce qu’ils pensent, et que plus personne ne les trompera. […]

La ville retrouve sa dignité. Les gens lisent enfin la vérité, regardent des expositions de photos, ils entendent parler de coupables et de victimes. Et ils savent, ils savent très bien, que le fait qu’ils puissent s’exprimer et donner leur avis en public est la meilleure garantie pour l’avenir. C’est le meilleur barrage contre la répétition d’une telle tragédie. […]

Tout Poznań sait que les fleurs déposées sous le monument, les plaques apposées ou encore les nouveaux noms de rues sont le symbole de l’hommage et de la foi de tous les Polonais. La vérité constitue notre dignité et notre chance pour le futur.

Krzysztof Czabański (journaliste) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Les marches de la faim (30 juillet 1981)

L’économie s’effondrait, pourtant il semblait que dans l’ensemble les gens travaillaient mieux qu’avant. Dans les mines par exemple, malgré les nombreux samedis chômés, la quantité de charbon extrait avait à peine diminué ; de plus, sa valeur énergétique avait augmenté, car on n’ajoutait plus de cailloux dans la production pour en augmenter le poids. Mais à quoi cela nous avançait-il dans une économie socialiste qui consomme toujours plus de matières premières et d’énergie ? Donc il manquait de tout quand même. L’effondrement de cette organisation augmenta encore le gaspillage et eut pour conséquence une diminution brutale de la production. […]

Ces foules qui manifestaient dans les rues avec des banderoles brisaient le principe selon lequel il ne faut pas sortir des usines. A cause d’elles le climat était très tendu et le gouvernement a certainement paniqué.

Jacek Kuroń cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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« Message aux travailleurs d’Europe de l’Est » (10 septembre 1981) Les délégués réunis à Gdańsk pour le premier Congrès des délégués du syndicat indépendant

autogéré Solidarność saluent et expriment leur soutien aux travailleurs d’Albanie, de Bulgarie, de Tchécoslovaquie, de la République Démocratique Allemande, de Roumanie, de Hongrie ainsi qu’à tous les peuples de l’Union soviétique.

En tant que premier syndicat indépendant dans l’histoire d’après-guerre, nous ressentons profondément à quel point nos destins sont liés. Quoi qu’en disent les mensonges répandus dans vos pays, nous confirmons que nous sommes une véritable organisation de travailleurs, rassemblant 10 millions de personnes, créée lors des grèves ouvrières. Notre but est d’améliorer les conditions de vie de tous les travailleurs. Nous soutenons ceux qui, parmi vous, ont décidé de se battre pour obtenir des syndicats libres. Nous sommes persuadés que bientôt nos représentants et les vôtres pourront se rencontrer pour partager leurs expériences syndicales.

Premier Congrès des délégués du syndicat indépendant autogéré Solidarność, cité dans http://www.solidarity.gov.pl

La nomenklatura se prépare au combat, soutenue par Moscou

La situation politique du pays évolue de façon dangereuse. La situation économique s’aggrave, et la population vit dans des conditions de plus en plus difficiles. […]

Notre parti, les autorités de la Pologne Populaire ont mis en garde Solidarność à maintes reprises contre les éléments destructeurs et anarchistes qui se trouvent dans leurs rangs et participent à leurs actions. […]

Il est dans l’intérêt de la nation et de la Pologne indépendante de brider les forcenés politiques. […] Nous défendrons le socialisme comme il faut défendre l’indépendance de la Pologne. L’Etat usera

des moyens nécessaires pour ce faire.

Le bureau politique du POUP cité dans http://www.solidarity.gov.pl Le comité central du parti communiste de l’Union Soviétique et le gouvernement de l’URSS sont

contraints d’attirer l’attention du comité central du POUP et du gouvernement polonais sur l’antisoviétisme grandissant en Pologne, et qui a atteint des proportions dangereuses. […]

Les forces antisocialistes visent à répandre en Pologne un climat de nationalisme extrême, tout en lui donnant un caractère très clairement antisoviétique. L’intensité et l’hostilité de cette campagne antisoviétique en Pologne prennent l’aspect d’une hystérie antisoviétique, entretenue dans certains Etats impérialistes.

Déclaration du gouvernement de l’URSS cité dans http://www.solidarity.gov.pl

Au vu de l’évolution de la situation politique, je propose ceci : Il faut identifier les membres de l’appareil du Parti, des factions alliées, de l’appareil de l’Etat, et

en particulier du parquet, de la magistrature, de l’administration et des organisations sociales, dont la vie ou la santé peuvent être mis en danger si la situation évolue mal. Il faut effectuer ce repérage en consultant des dirigeants de confiance de l’appareil du Parti, de l’Etat et des institutions.

Nous devons mettre des armes à feu à disposition des personnes ainsi identifiées : des revolvers et des lance-grenades lacrymogènes.

Le général Bogusław Stachura (chef de l’état-major de l’opération « Eté 80 »)

cité dans http://www.solidarity.gov.pl Lycée Français de Varsovie. A. Léonard. 60

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Le manque de nourriture J’habite dans un bâtiment qui appartient à l’usine, comme les gens faisaient au siècle dernier […].

La pièce unique avec la cuisine fait 21 m2. Les toilettes sont à l’extérieur, il y a un poêle en faïence dans le coin, et il faut aller chercher l’eau dans le couloir. Un de mes enfants va à l’école primaire, l’autre est en maternelle. Quand le premier fait ses devoirs, le deuxième joue et ça le dérange. Moi aussi je les dérange car je fais la lessive et la cuisine dans la même pièce. L’aîné, qui a onze ans, s’occupe de son frère de six ans. Il l’emmène le matin à l’école, il va le chercher à la sortie l’après-midi.

Mes enfants portent des chaussures de sport, même quand il pleut. Je ne peux même pas leur acheter de chaussures de neige. Moi-même je n’ai que de vieilles chaussures de toile, que des collants filés. Il n’y a pas de viande, mais pourquoi n’y a-t-il pas de savon, de chaussures, de vêtements ? Car enfin tout le monde travaille. Nous travaillons même si nous n’en avons plus la force.

J.W. (ouvrière d’une entreprise de tissage du lin à Żyrardów, mère célibataire de deux enfants, membre de Solidarność) citée dans http://www.solidarity.gov.pl

Le général Wojciech Jaruzelski se résout à la loi martiale

La crise a atteint son apogée. Les forces contre-révolutionnaires ont clairement montré leurs

intentions. […]Il va nous falloir sous peu agir de façon à sortir victorieux de la confrontation imposée par notre ennemi. Nous ne reculerons pas. […]

Nous allons devoir prendre des décisions à très haute responsabilité. J’ai suffisamment d’expérience pour être décidé à lutter désespérément afin de sauver ce qui peut l’être. J’avais compté sur l’instinct de classe des ouvriers ; hélas, nous nous sommes montrés trop faibles, maladroits, nous n’avons pas fait le maximum. Nous avons fait des erreurs de décision et d’estimation. Mais notre bonne volonté est toujours là.

C’est une compromission affreuse pour notre parti que de devoir défendre son autorité par la force, après 36 ans de fonctionnement ; mais nous n’avons plus d’autre solution. Nous devons être prêts à prendre une décision qui permettra de sauver l’essentiel.

Cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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Le dernier discours de Wałęsa Dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981, une réunion nationale des responsables de Solidarność se

tenait à Gdańsk. Le principal objet des discussions portait sur l’inévitable affrontement avec le pouvoir, les blindés ayant déjà commencé leurs mouvements.

(...) Bien sûr, j'ai dit que je jouais, et j'en ai pris souvent pour mon grade. Qu'est-ce que cela veut dire

que je joue ? Dès le début, nous sommes tous partis pour la victoire. Je m'excuse auprès de tous ceux qui estiment que Bydgoszcz, c'était une défaite, un pas en arrière (après les événements de Bydgoszcz, le 19 mars 1981, au cours desquels plusieurs syndicalistes avaient été passés à tabac par la milice, Solidarité avait décidé une grève générale le 31 mars. Mais la veille, Lech Walesa, entouré de ses « experts », signait un accord avec les autorités et annulait le mot d'ordre, sans consulter les instances dirigeantes du syndicat. Cette attitude lui avait été par la suite maintes fois reprochée. NDLR). J'ai soutenu, envers et contre tous, qu'à Bydgoszcz, si nous avions organisé cette grève, nous aurions été non seulement des assassins mais aussi des suicidaires. Reconnaissez-le enfin : c'était un véritable coup de génie, de faire marche arrière.

Ce n'est pas tout. Après, nous avons eu avec nous une partie de la milice, des députés, des conseillers municipaux et d'autres personnes encore. C'était bien une réussite. A ce moment-là, on ne pouvait pas choisir le conflit. Même maintenant, il ne faut pas opter pour le conflit, car aujourd'hui encore, des voix se lèvent : comment faire, comment s'en sortir, quoi faire après, comment s'emparer du pouvoir ? Ces voix ne font qu'émerger. Et à l'époque, il n'y avait pas tout cela. En plus, il y en a qui disent que le syndicat recule. Moi, je dis envers et contre tous que le syndicat ne recule pas. Seulement, comme je l'ai dit lors de l'autre réunion (la réunion de Radom qui précédait celle de Gdansk, début décembre, NDLR), nous n'avons eu affaire jusqu'à présent qu'à de petits problèmes : l'augmentation, les licenciements, et d'autres choses de ce genre.

Et maintenant, nous sommes arrivés à des affaires diablement sérieuses, politiques, et nous devons discuter tous ensemble, côte à côte, et non pas par groupes, divisés : quoi faire et comment faire s'il y a confrontation, si nous évitons la confrontation, comment faire pour que les gens soient avec nous, et que faire pour que les autorités nous comprennent et pour que nous atteignions nos buts ? Si déjà nous comprenons ces idées essentielles, nous pouvons commencer la lutte. Mais n'oublions pas qu'aujourd'hui, les gens veulent manger, que vraiment... (là, Walesa s'interrompt. NDLR). Chez moi, quelqu'un me coupe sans arrêt la lumière. Hier, j'avais des invités, je n'ai rien pu faire car il n'y avait pas d'électricité. Quelqu'un en veut à mon immeuble (...)

Nous savons que (inaudible) il y a différentes conceptions. Jasio Rulewski (Jasio, diminutif de Jan, plus familier que Janik. NDLR) a parlé, les autres aussi. Moi aussi, j'ai une conception. C'est la même que celle de Jasio, sauf que Jasio n'a pas remarqué une chose. (inaudible). Il a parlé du « gouvernement provisoire ». Mais ce gouvernement provisoire, il ne va pas nous tomber du ciel, il faut bien que quelqu'un commence. Cette conception à trois (Walesa fait allusion à 'l'Eglise, au parti et à Solidarité, NDLR), que j'ai défendue, que je défendais autrefois, c'est ce qui doit préparer ce dont parle Jasio. Donc, et le référendum, et les élections, le scrutin, les candidats, la liste, etc., etc. (...)

En même temps, rendons-nous bien compte. Nous sommes arrivés à un moment que, moi, je prévoyais seulement pour le printemps, que je voulais encore arriver à contourner. Quitte à ce que vous me critiquiez et à ce que vous ne me laissiez pas tranquille, je voulais tenir encore jusqu'au printemps. Je ne voulais pas qu'on en arrive aux solutions politiques maintenant. J'ai tenu bon encore jusqu'à Radom (Walesa, à la réunion de Radom, début décembre, s'était abstenu de voter la résolution, adoptée à une très large majorité, décidant la grève générale en cas de pouvoirs d'exception,NDLR), et je me rends compte maintenant que je n'irai pas plus loin). Car il y a trop de résistances internes et trop de malentendus entre nous. J'en suis ainsi arrivé à la conviction qu'il n'y a pas d'autres solutions, que les solutions politiques doivent être prises plus tôt que je ne le pensais.

Voilà pourquoi Radom a été ce qu'il a été. Voilà pourquoi j'ai cessé d'être le bon Walesa - parce que quelqu'un avait cru, un jour, que j'étais un bon Walesa. Vous avez tous cru que j'étais un traître, qu'on a acheté, etc. Et pourtant, ça n'était pas vrai. Il faudrait que le plus de gens possible comprennent.

Et puis, encore une chose, chers militants ; (...) la crise économique aurait eu lieu de toute façon.

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Expliquez bien, partout dans vos publications, que la crise aurait encore été bien plus grave, et les tabassages encore plus nombreux, si Solidarité n'existait pas. Nous intervenons auprès du pouvoir pour qu'on ne licencie pas et pour que personne ne tire. La crise aurait été bien pire sans nous. Les gens seraient allés piller les magasins, il y aurait eu de la casse, etc. Alors, expliquez le plus vite possible aux gens que la crise économique était inévitable, que les autorités le savaient, qu'elles ont même autorisé notre création, (...) car elles savaient que Solidarité jouerait un rôle d'amortisseur, raisonnable, sérieux, qui n'allait pas liquider le parti.

Si les gens comprennent ça, ils ne nous diront pas que c'est à cause de Solidarité que les cigarettes manquent, que les files d'attente s'allongent devant les magasins, etc., etc. Nous aurons alors un peu de paix. (...)

Aujourd'hui, l'essentiel pour les gens, ce sont les files d'attente, les colis, l'aide, (inaudible), etc., etc. Et aussi, encore plus, de pouvoir profiter de cette autogestion dont nous construisons seulement 20 %. Quelle honte ! 20 % des entreprises disposent d'un organisme d'autogestion. Alors qu'à Lodz, les gens ont réussi un beau coup. On a découvert un jour que quelqu'un fabriquait des roulements à bille, que quelqu'un d'autre ensuite faisait fondre et transformait. Absurde ! Alors qu'on pouvait fabriquer des fourches (à fumier, NDLR) à la place. Quand nous sommes au pouvoir, ça marche un peu mieux. Car si les roulements à bille ne se vendent pas, on produit des fourches, et si les fourches ne se vendent pas, alors on fait des herses. A la place de la bêtise.

Et ne me dites pas que mon équipe ou ma région m'aura donné tout son appui, parce que bien sûr, Jasio (Walesa parle toujours de Jan Rulewski, NDLR) va intervenir, et il va être applaudi. Comme moi, je vais être applaudi, alors que j'aurai dit tout le contraire. C'est ça, la mentalité humaine, les gens peuvent se faire manipuler. Et vous, les dirigeants, vous le savez très bien. Nous sommes responsables des principaux courants. Nous savons qu'il y a des solutions politiques, nous nous y préparons, nous en discutons. Mais, dans les entreprises, il faut faire quelque chose pour les gens. (...)

Au sujet de la loi sur les syndicats et des dangers qu'elle comporte, d'après moi, on nous a de nouveau fourrés dans un cul-de-sac. Quelqu'un a parlé d'un grand danger du fait que des pouvoirs accordés par la Diète au gouvernement, qui nous doterait d'une loi sur les syndicats terriblement préjudiciable. (inau-dible). La nouvelle loi aboutit finalement à la même chose que l'ancienne, sauf qu'on peut faire l'aller et retour jusqu'à Lodz. Mais pour tout le reste, ça cogne aussi fort que l'autre loi. On peut suspendre le droit de grève pendant trois mois, et pendant ce temps-là, on peut faire augmenter les prix, dissoudre le syndicat et puis tout fermer. Car c'est la loi.

Bien sûr, nous, nous proposions une autre loi. Moi, j'ai protesté, je ne sais pas si vous le savez. Nous proposions une autre loi qui disait que, dans certaines situations, on acceptait la suspension du droit de grève mais que, dans ce cas, il était interdit d'augmenter les prix, de dissoudre le syndicat, et de tout fermer. Mais, pour l'instant, nous n'arrivons malheureusement pas à la faire passer. Et quand la loi, proposée par le gouvernement, sera mise en application, ça reviendra pour nous à la même chose qu'avant. Merci beaucoup.

Extrait de « Pologne, 500 jours de libertés qui ébranlèrent le communisme », Hors série, Libération, janvier-février 1982.

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L’allocution télévisée du général Jaruzelski le 13 décembre 1981 Dans la nuit du 12 au 13 décembre, vers 3 heures 30, Jaruzelski est arrivé dans un studio d'enregistrement spécialement aménagé dans une caserne de la capitale. Il enregistre d'abord son allocution pour la radio, s'y reprenant à trois fois. Puis, dans un autre studio, il prononce son discours télévisé devant un étendard aux couleurs nationales orné de l'aigle blanc. A 6 heures, la radio et la télévision commencent à diffuser les messages, d’abord annoncés par un présentateur et l'hymne national. Sanglé dans son uniforme, les yeux cachés par ses lunettes teintées, le général parle d’un ton monocorde, empreint d'affliction

« Citoyens de la République populaire de Pologne, je m'adresse à vous aujourd'hui en ma qualité de soldat et en tant que chef du gouvernement pour vous parler de sujets de la plus grande importance. Notre pays est au bord de l'abîme. Ce que plusieurs générations ont construit sur des ruines est en train de s'effondrer. Les structures de l'Etat ne fonctionnent plus. Chaque jour, notre économie moribonde subit de nouveaux chocs... Une atmosphère de conflits sans fin et de malentendus blesse nos traditions de tolérance. Les grèves, les alertes et actions de protestation sont devenues notre lot quotidien. La nuit dernière, les sièges de bon nombre d'institutions ont été occupés tandis que l'on entend appeler à l'affrontement physique avec les « rouges » avec les gens d'opinion différente. Il y a de plus en plus d'exemples de menaces terroristes, de lynchage moral, d'attaques frontales. Les crimes déferlent comme une vague sur tout le pays. Le chaos et la démoralisation ont atteint le niveau d'une débâcle et la nation est parvenue à la limite de ce qu'elle peut psychologiquement endurer. Désormais la catastrophe nationale n'est plus une affaire de jours mais d'heures... « Nul ne peut prétendre que nous n'avons pas fait preuve de bonne volonté, de modération, de

patience. Parfois nous en avons sans doute trop montré. L'initiative en faveur d'une grande entente nationale a été soutenue par des millions de Polonais. Elle a offert une chance d'approfondir la démocratie, le gouvernement du pays par le peuple, et d'élargir le champ des réformes. Or ces espoirs ont avorté.

Autour de la table, on n'a vu aucun dirigeant de Solidarité. Les discours de Radom et les débats de Gdansk ont montré quelles étaient leurs ambitions réelles. Ce qui se passe chaque jour le confirme : l'agressivité des extrémistes ne cesse de croître et elle se propose clairement d'abattre le système de l'Etat polonais. Combien de temps faudra-t-il attendre un retour au calme ? Combien de temps encore, la main tendue se heurtera-t-elle à un poing fermé ?

« Ce que je vous dis là, je le dis avec amertume, le cœur brisé. Dans notre pays, les choses auraient pu

se dérouler différemment. Elles auraient dû se passer autrement. Laisser cette situation se prolonger si peu que ce fût eût conduit à une catastrophe, à un chaos total, à la ruine et à la famine, tandis qu'un dur hiver eût multiplié les dommages.

« Ne rien faire, dans cette situation serait un crime contre la nation. Nous devons dire : Halte ! Cela suffit ! Nous devons prévenir, arrêter net l'affrontement que les dirigeants de Solidarité souhaitent ouvertement. Nous devons le faire aujourd'hui, sachant que demain sont prévues des manifestations politiques de masse dont certaines doivent se dérouler au cœur de Varsovie, et qu'elles sont convoquées en se référant à l'anniversaire des événements de 1970. .

« La tragédie d'alors ne saurait se répéter. Cela n'est pas tolérable. Nous ne pouvons pas laisser

l'étincelle de ces manifestations incendier tout le pays. Il faut prendre en compte l'instinct de conservation de la nation. Nous devons lier les mains des aventuriers avant qu'ils ne jettent le pays dans la guerre civile.

» Citoyens polonais, la responsabilité qui pèse sur mes épaules en ce moment si dramatique de l'histoire de la Pologne est très lourde. C'est pourtant mon devoir de l'assumer, de l'accepter car elle concerne l'avenir du pays pour lequel les hommes de ma génération se sont battus sur tous les fronts pendant la seconde guerre mondiale et ont donné les meilleures années de leurs vies.

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» Je vous annonce qu'en ce jour nous avons constitué un conseil militaire de salut national et que, conformément à la Constitution, le Conseil d'Etat a déclaré la loi martiale à minuit sur tout le territoire. Je vous demande à tous de comprendre mes motivations et les raisons de nos décisions. Nous ne voulons pas un coup d'Etat ou une dictature militaire. La nation est assez forte et assez sage pour développer un système démocratique de gouvernement socialiste. Dans un tel système, les forces armées pourraient rester là où est leur place, dans les casernements. Aucun des problèmes de la Pologne ne peut être résolu par la force.

» Le conseil militaire de salut national ne remplace pas le gouvernement constitutionnel. Son unique tâche est d'assurer le respect de la loi dans tout le pays et de garantir le rétablissement de l'ordre et de la discipline. C'est là le moyen de commencer à sortir, enfin, de la crise et de sauver le pays de l'effondrement.

» Le comité militaire de salut national a nommé des commissaires des forces armées à tous les niveaux de l'administration de l'Etat et dans certaines unités économiques. La loi leur accorde le pouvoir de superviser l'activité des organes de l'administration du niveau ministériel jusqu'à celui de l'autorité locale. La déclaration que le conseil militaire de salut national publie en ce jour, ainsi que divers décrets, définissent dans le détail les normes de l'ordre public pour la durée de l'application de l'état de guerre. Le conseil sera dissous lorsque la loi règnera de nouveau dans le pays et lorsque seront créées les conditions d'un fonctionnement normal de l'administration civile et des organismes représentatifs. Selon la façon dont se stabilisera ou non la situation, les limites de la liberté de la vie publique seront elles-mêmes restreintes ou élargies ! Que personne n'attende de nous de la faiblesse ou de l'indécision. Au nom de l'intérêt national, un groupe de personnes qui menacent la sécurité de l'Etat ont été internées à titre préventif. Les membres extrémistes de Solidarité sont du nombre ainsi que certains membres d'organisations illégales. A la demande du conseil militaire, plusieurs responsables à titre personnel d'une crise dans laquelle ils ont poussé le pays dans les années 70, coupables d'abus de leurs fonctions à des fins de profit personnel, ont également été internés. Parmi eux figurent Edward Gierek, Piotr Jaroszewicz, Jan Szydlak, Tadeusz Wazaszczyk et divers autres.

» Le conseil militaire prendra les moyens nécessaires à la lutte contre les crimes et délits. La spéculation assurant des profits illégaux et les comportements violant les normes de la vie publique feront l'objet de poursuites et de peines sévères. Les gains illégaux seront confisqués.

» Les dirigeants coupables d'avoir manqué à leurs devoirs, négligé ou exploité leurs fonctions, montré

une attitude inhumaine envers des citoyens polonais, seront punis par l'éviction de leurs postes sur la demande des commissaires militaires. Il faut restaurer le respect du travail humain et des garanties offertes par la loi. Nous devons aussi garantir la sécurité personnelle de tous ceux qui souhaitent vivre et travailler de façon pacifique. Les décrets que nous avons pris portent amnistie pour certaines infractions commises contre l'intérêt de l'Etat avant le 13 décembre 1981. Nous ne recherchons pas, en effet, une revanche, et tous ceux qui ont été égarés ou mus par des émotions doivent se voir offrir cette chance.

» Nous devons protéger les valeurs universelles du socialisme en les enrichissant constamment des

traditions et des éléments nationaux. Ainsi les idéaux socialistes seront plus proches de la majeure partie de la nation, des travailleurs qui ne sont pas membres du parti, de la Jeune génération et également de la tendance saine au sein de Solidarité, en particulier de la partie de la classe ouvrière qui, avec ses propres forces et dans son propre intérêt, se détachera des prophètes de la confrontation et de la contre-révolution...

» Je vous demande à tous, vous mes compagnons d'armes, soldats de l'armée polonaise en service

actif ou de réserve, d'être fidèles au serment que vous avez fait à la patrie pour le meilleur et pour le pire. C'est de votre attitude aujourd'hui que dépend le sort du pays.

» Je vous demande à vous, fonctionnaires de la milice et des services de sécurité, de protéger l'Etat contre l'ennemi, de protéger les travailleurs contre l'illégalité et la violence. Je m'adresse à tous les citoyens. Une heure de dure épreuve est arrivée ; nous devons nous montrer à la hauteur et prouver que nous sommes dignes de la Pologne.

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» Citoyens, le soldat polonais sert sa patrie et l'a toujours servie loyalement, que ce soit au front ou là où l'appelaient les besoins de la société. Il continuera, aujourd'hui, à la servir dans l'honneur. Nos soldats ont les mains propres, ils connaissent leur rude tâche et n'ont d'autre souci que l'intérêt que la nation.

» Toutefois, l'appel à l'aide de l'armée ne peut être que provisoire et extraordinaire. Elle ne remplacera

pas les mécanismes normaux de la démocratie socialiste, mais la démocratie ne peut être affirmée et développée que dans un pays fort et soumis à la loi. L'anarchie est son ennemi. Nous ne sommes qu'une goutte d'eau dans le fleuve de l'histoire polonaise. Elle n'a pas eu que des chapitres glorieux ; elle en a connu de sombres. Le cercle vicieux doit être brisé. Nous ne pouvons nous permettre une répétition de l'histoire.

» Nous voulons une grande Pologne, grande par ses réalisations, sa culture, ses formes de vie sociale, sa position en Europe. La seule façon de l'obtenir passe par le socialisme, qui est irréversible.

» Compatriotes ! A toute la nation polonaise et au monde entier, je veux répéter ces paroles immortelles : la Pologne n'est pas morte tant que nous sommes vivants ! »

(Texte diffusé par les agences de presse)

Le coup de force du général Jaruzelski, le 13 décembre 1981

En une nuit, pratiquement toutes les arrestations prévues ont été opérées. En une nuit, l'appareil de Solidarité a été détruit et tous ces autres hommes, intellectuels, journalistes,

ouvriers écoutés de leurs ateliers se sont retrouvés en prison. En cinq jours, la résistance des grandes usines a été brisée. En trois semaines, les dernières grandes « poches» ont été réduites [...].

On a tout simplement arrêté, et il suffit de dire cela, des hommes - tenons-nous en au chiffre officiel : cinq mille cinquante-cinq - dont le seul tort était d'avoir voulu, sans jamais violer une loi pourtant im-posée, sans jamais avoir recouru à une quelconque forme de violence, en ayant si peu préparé la subversion et la prise du pouvoir qu'ils se sont tous laissé cueillir comme des enfants, des hommes donc qui n'avaient jamais que réclamé ouvertement, dans des réunions toujours ouvertes, sans jamais se cacher de quoi que ce soit, plus de liberté. [...]

L'ordre règne, mais cet ordre se résume à la destruction de Solidarité.

Le Monde, 1er janvier 1982.

Je me rendais […] à une répétition au Théâtre Polonais. Et soudain j’ai vu les « paniers à salade »

devant le palais Staszic, on y faisait entrer de force des professeurs et des chercheurs de l’Académie Polonaise des Sciences. C’était terrible et désespérant à voir, c’était difficile à croire. Des miliciens accouraient avec des matraques […]. Dans la rue des attroupements se formaient, les fenêtres des immeubles alentour s’ouvraient, les gens commençaient à crier et à scander : « Gestapo ! Gestapo ! ». Je me suis joint à ces cris, et considérant cette scène je me rappelais les rafles de 1943 à Cracovie, lorsque les SS frappaient les jeunes à coups de pied au milieu de la rue. C’était une comparaison très douloureuse. On nous a dispersés, des centaines de gens ont fui dans les rues adjacentes. J’ai vu quelqu’un passer la main à travers les barreaux d’un des « paniers à salade » et lever l’index et le majeur en signe de victoire.

Une fois dans le théâtre j’ai appris qui avait été arrêté, le téléphone ne fonctionnait plus de toute façon. Et la répétition m’est devenue complètement indifférente. Je suis rentré chez moi et j’ai écrit une lettre expliquant pourquoi je quittais le Parti, et j’ai renvoyé ma carte.

Tadeusz Łomnicki (acteur) cité dans http://www.solidarity.gov.pl

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Les premières mesures de la loi martiale

Depuis samedi soir minuit, la Pologne vit sous le régime de 1a loi martiale. Au fil des heures, le Conseil militaire de salut national a précisé les mesures prises pour « normaliser » la situation. Le conseil militaire peut : - Arrêter tout citoyen et le détenir pour une durée illimitée sur simple décision administrative. - Réquisitionner à tout moment tout citoyen. - Réquisitionner les récoltes dans les campagnes. - Réquisitionner les appareils radio. - Exécuter toute personne qui s'oppose à ses décisions ou trouble l'ordre public, en le traduisant devant les tribunaux militaires. - Interner les étrangers dont les activités sont jugées « nuisibles ou pouvant nuire aux intérêts de la Pologne », Il est interdit de : - Sortir sans papiers d'identité. - Se rassembler, sauf dans une église à l'occasion d'un office religieux. - Circuler dans les rues entre 22h et 6h du matin, période de couvre-feu. - De faire grève, ou participer à toute action de protestation (la grève peut être punie de 3 à 5 ans de prison, et de la peine de mort dans les entreprises sous contrôle militaire). - De participer aux activités d'une des organisations « suspendues » (c'est à dire les syndicats). - De détenir une arme, ou tout objet pouvant menacer l'ordre public. - De sortir du pays, de faire du tourisme dans les régions frontalières (surtout le littoral de la Baltique) ou de se déplacer pendant plus de 48 heures à l'intérieur du pays. - De prendre des photos ou des films. Sont sous contrôle militaire: - Tous les Polonais travaillant pour des activités jugées vitales à la sécurité nationale et 'la défense civile sont sous commandement de l'armée. - Tous les secteurs vitaux de l'économie sont «militarisés », leurs employés étant soumis à la discipline militaire. - Tous les média, - radio, télévision et journaux - sont placés sous contrôle militaire. Seuls sont publiés Trybuna Ludu (organe du Parti) et Zolnierz Wolnosci (organe de l'armée). La télévision ne diffuse plus qu'un programme de films de guerre entrecoupés de communiqués officiels lus par des présentateurs en uniforme, choisis par l'armée. - Toutes les communications sont soumises à la censure militaire. On ne peut plus téléphoner qu'à partir des bureaux de poste, et les communications seront interrompues « si leur contenu est jugé nuisible à la sécurité ». Sont fermés ou suspendus: - Tous les établissements scolaires et universitaires. - Toutes les stations service. - Toutes les banques (pendant deux jours, au moins). - Toutes les liaisons aériennes intérieures et internationales et toutes les liaisons maritimes (en particulier les ferry entre la Pologne et la Suède ou le Danemark). - Tous les envois postaux, à l'intérieur du pays comme à destination de l'étranger, à l'exception de ceux de vêtements et de médicaments d'un poids inférieur à 5 kilos. - Tous les visas permettant aux étrangers d'entrer dans le pays. - Toutes les activités d'une série d'organisations syndicales (à commencer par Solidarité, mais aussi le syndicat étudiant NKZ, Solidarité rurale, l'Association des journalistes et même l'Association des chasseurs polonais). De nouvelles mesures sociales: - Les « samedis libres » sont supprimés. - La semaine de travail est de six jours, et peut être à tout moment portée à sept. - La journée de travail est de 8 heures, et peut être à tout moment portée à 12. - Les congés payés sont réduits de 26 jours par an à un jour par mois de travail effectif.

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« Prier pour Gdańsk» : la position de l'Église de France à l'égard du coup d'État du général Jaruzelski Né à Paris dans une famille juive en 1926, Jean-Marie Lustiger devint en février 1981 archevêque de Paris. C'est à ce titre qu'il prit la parole dans les colonnes du quotidien Le Monde en décembre 1981 pour préciser la position de l'Église de France à l’égard des événements de Pologne.

Depuis qu'est connue la nouvelle du coup d'État militaire qui écrase la Pologne, une question

revient sans cesse : Que pouvons nous faire ? Mais elle se précise quand on l'adresse à des chrétiens : elle devient l'épiscopat polonais prêche-t-il la soumission, en vue du même compromis - réaliste, lâche ou résigné - que les diplomaties occidentales1 ? Les chrétiens n'ont-ils décidément pas d'autre discours que la fuite dans le spirituel ? Ne pourrait-on pas faire plus que de prier ? L'Église, par les voix de Jean-Paul II et de Mgr Głemp2, une fois de plus ne pactise-t-elle pas avec les gros bataillons ?

Ici, comme souvent, les bonnes intentions ne suffisent pas pour comprendre une prise de position politiquement réaliste, mais surtout inévitable spirituellement. Je rappelle d'abord une évidence: si aujourd'hui les Polonais sont acculés au désespoir, leur désespoir ne date pas d'aujourd'hui. Il date de 1939: depuis que les autres Européens n'ont pas voulu mourir pour Dantzig, la Pologne a perdu six millions de personnes; depuis le partage du monde qui a suivi Yalta, elle a perdu la possibilité de la vie démocratique; aujourd'hui, après que l'effort purement légaliste de Solidarité se trouve contré par la force pure et simple, la Pologne n'a devant elle aucune solution politique. Aucune solution politique car la situation est bloquée à l'intérieur par la loi martiale, à l'extérieur par une division de l'Europe que les Occidentaux, cela est sûr, ne peuvent ni ne souhaitent modifier.

Pareille impasse devrait, à vue humaine, conduire au désespoir. Le désespoir, cela provoque la mort. La mort par insurrection réprimée dans le sang, la mort par normalisation policière, la mort par suicides individuels. Et on ne fait pas la part du feu, il dévore tout. Si les Polonais entreprennent, aujourd'hui, une fois de plus, de mourir pour la Pologne, alors ils feront mourir la Pologne : « La Pologne ne mourra pas tant que nous vivrons », dit l'hymne national; mais, si meurent les Polonais, la Pologne mourra. Le choix n'est pas entre la liberté ou la mort - parce que la liberté revendiquée en armes, ce serait la mort -, mais entre la mort et la vie.

Oui, mais quelle vie ? Une vie sans liberté, n'est-ce pas une vie infra-humaine ? Je remarquerai d'abord que nous autres, les riches, qui ne songeons qu'à notre lâche tranquillité, nous n'avons pas de leçon d'héroïsme à donner. Je remarque surtout que toute analyse politique, y compris celle que je viens d'esquisser ici, reste très en deçà de la réalité. Car si la Pologne, depuis 1939, et surtout depuis un an et demi, n'est pas morte, c'est parce qu'elle a vécu d'une vie spirituelle. Ce que Soljenitsyne3 et d'autres ont expérimenté à titre individuel - la puissance de l'esprit, la force de la morale authentique, le salut que donne Dieu dans la mort elle-même -, en Pologne, avec Solidarité et autour de la Vierge Noire4, c'est tout un peuple qui le vit. Quand Wałęsa me disait : « Je n'ai aucune arme, que la vérité, la foi, la prière. Je n'ai rien à perdre que ma vie et je la donne », il ne me disait qu'une évidence pour lui, pour eux. Ce qui a libéré - un peu - les Polonais de l'enfermement totalitaire, c'est, au-delà des justes revendications, qui n'auraient sinon pas même été dites ouvertement, une force spirituelle. Et aujourd'hui c'est cette force spirituelle qui seule peut leur permettre de surmonter une épreuve humainement intolérable.

L'épreuve, aujourd'hui, c'est la tentation du suicide, l'épreuve de force perdue par avance qui perdrait l'avenir. Le devoir, c'est aujourd'hui de ne pas dégainer l'épée du fourreau, comme le demandait le Christ à Pierre (Matthieu, 26, 52, et parallèles). Bref, c'est d'accepter de supporter l'insupportable : en termes chrétiens, d'accepter la Passion.

La Passion de la Pologne, c'est aujourd'hui d'avoir le courage spirituel non de mourir, mais de vivre, de ne pas se suicider par recours à la violence. Ce devoir de survivre plus longtemps que la persécution, c'est ce que proclamait Mgr Głemp : « L'Église ne transigera pas quant à la valeur de la vie humaine. Peu importe que l'Église soit accusée de lâcheté (...) L'Église veut défendre chaque vie humaine et donc, dans cet état de loi martiale, va appeler à la paix, quand ce sera possible, va appeler à la fin de la violence, à la prévention de luttes fratricides si elles venaient à avoir lieu (...) Chaque tête, chaque paire de mains sera nécessaire pour la reconstruction de la Pologne, qui viendra à la fin de la loi martiale ». A la violence ne peut répondre, si l'on veut vivre, que le refus de la violence, ce qui est l’exact opposé

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spirituel et pratique du pacifisme allemand « besser rot als tot », plutôt rouge que mort. Car il leur est demandé non de complaire à l’injustice, mais de triompher par la force impuissante de l'innocent, de la victime qui doit survivre à son bourreau.

Voilà pourquoi il faut d'abord prier : pour demander à Dieu que le peuple polonais qui a survécu par sa force spirituelle, qui a conquis un commencement de solidarité par sa force spirituelle, trouve assez de force spirituelle pour supporter l'insupportable, et ne pas se ruer dans le suicide collectif par une violence actuellement sans issue politique. Il faut aussi prier pour comprendre que les Polonais paient le prix de notre paix, achetée par nous, il y a plus de trente-cinq ans, au prix non de trente deniers, mais de leur asservissement, pour comprendre qu'ils nous dépassent de loin en force spirituelle, et qu'en un sens nous n'avons rien d'assez grand et d'assez fort à leur donner; bref pour comprendre ce que me disait encore Wałęsa : « Je ne vous comprends pas : vous avez tout, mais vous manquez de toute raison de vivre; nous, n'avons rien, mais nous savons pourquoi nous vivons et nous en sommes heureux ». La Pologne nous donne beaucoup plus que nous lui donnons : elle nous a montré ce que peut, politiquement et socialement, une force spirituelle. Il faut espérer - en termes chrétien s: prier - pour qu'elle nous montre que cette force permet de vivre l'invivable, de vivre malgré toutes les sortes de morts qu'inventent les hommes. Oser croire à la force de la paix, oser croire à l'amour plus fort que la mort, oser croire que le Christ peut nous faire ressusciter. Cela, nous les riches au cœur de pierre, nous ne pouvons l'apprendre que des pauvres aux mains nues, que Dieu aime d'abord, parce qu'ils portent, plus que les autres, son image et sa ressemblance.

1. Le 13 décembre 1981, Claude Cheysson, ministre des Relations extérieures, avait tenu ces propos malheureux en réponse à un journaliste qui lui demandait si le gouvernement français avait l'intention de faire quelque chose à la suite de la procla-mation de la loi martiale en Pologne: « Bien entendu, nous n'allons rien faire ». 2. Mgr Józef Głemp, né en 1928, évêque de Warmie et primat de Pologne. 3. Aleksandr Soljenitsyne, écrivain soviétique dont l'œuvre qui tourne autour de la dénonciation du totalitarisme soviétique lui valut de recevoir le prix Nobel de littérature en 1970. 4. La ville de Częstochowa abrite une image de la Vierge Noire attribuée à saint Luc et qui fait l'objet d'une fervente dévotion populaire, notamment lors de la procession du 15 août, à l'occasion de l'Assomption.

Jean-Marie LUSTIGER, « Prier pour Gdansk », dans Le Monde, 18 décembre 1981. La crise polonaise au Parlement européen

Le Parlement européen a adopté jeudi soir, par 180 voix pour, 2 contre et 4 abstentions une résolution « condamnant » les mesures prises à Varsovie […], demandant l'abrogation de l'état d'urgence et la mise en liberté immédiate des personnes arrêtées [...]. Plusieurs orateurs ont souligné la responsabilité de l’Union soviétique, le fait qu’il ne s’agissait en apparence que d’un conflit entre Polonais. « La répression émane de l’armée et de la police polonaise, mais cela n’est pas moins grave », a observé M. Pelikan (socialiste italien), ancien directeur de la télévision tchécoslovaque, qui, comme il l’a rappelé, « a vécu lui aussi, en 1968, la fin d’un grand espoir socialiste ».

La plupart des orateurs, critiquant l’attitude des Gouvernements de la Communauté ont estimé qu'une prudence excessive, sous prétexte de non-ingérence, était malvenue, et en tous cas dépassée […].

C'est au contraire parce qu' « ils ne veulent rien faire qui puisse aggraver les risques de guerre civile et d'intervention étrangère, dont ils ne veulent pas », que les communistes français sont défavorables à l'initiative du Parlement. M. Martin, leur porte-parole, [...] déplore l'état d'exception, les arrestations et les internements, mais il dénonce ensuite « le tapage indécent et cynique » de ceux qui ont soutenu ou s'accommodent des dictatures chilienne et turque et dont l'espoir, en fait, « est que le sang coule en Pologne ». M. Ephrémédis (PC, Grec) va plus loin. Il est lui aussi préoccupé par les événements mais estime que « la responsabilité en incombe à l’aile extrême de Solidarité. »

Philippe LEMAÎTRE, «Le Parlement européen condamne les mesures prises à Varsovie ",

Le Monde, 19 décembre 1981.

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Un hommage à Solidarność Poète, sociétaire des Gens de lettres et des Poètes français, membre du Centre français de la

Fédération internationale des PEN clubs, Frédéric Sumer est l'auteur des Variations en credo majeur (Paris, J. Grassin, 1976), qui lui valurent de recevoir le Grand Prix des Muses en 1976, et du Carrefour des Poètes, paru chez Grassin en 1977. Le coup de force du général Jaruzelski qui, à la tête d'une junte militaire, proclama, le 13 décembre 1981, la loi martiale en Pologne lui inspira ce recueil intitulé Cendre de martyrs qui se voulait un « Hommage à Solidarność ».

Six heures du matin ; sur la route de Gdansk à Varsovie, La neige roule en tourbillons, harcelant les convois de chars ; Jaruzelski prend le pouvoir et la nation endormie, Va s'éveiller, en se croyant toujours en proie aux cauchemars. L'heure n'est plus à l'espérance; elle appartient aux revanchards ; Te voici donc, pauvre Pologne, une fois encore asservie. Ils ont brisé « Solidarność », mis ses dirigeants en prison, Et « Mazowsze », le siège du syndicat de la capitale Vient d'être occupé ; la milice investit les quartiers et maisons ; La loi martiale est proclamée et l'état de guerre s'installe ; Polonais, qu'opposerez-vous à cette oppression brutale, Sinon les poings au coup de force et le mépris aux trahisons ? Était-ce vivre qu'exister sans même le strict nécessaire, Dans le mensonge permanent et sans aucune liberté ? C'est pourquoi, pendant seize mois, vous avez bravé l'adversaire. Lorsque le lait manque aux enfants, un peuple est vite révolté. Pourtant dix millions d'adhérents, groupés dans « Solidarité », Ont cédé devant la puissance et la ruse janissaires. Devant chaque usine, ainsi qu'à chaque carrefour, des blindés. Tout espoir est anéanti par une patrouille qui passe, Par le fusil que l'on épaule, ou par le soldat abordé. Dieu reste-t-il indifférent au libre arbitre qui trépasse, A tant de credo disparus dans la géhenne des impasses ? Quant à l'Église, elle est muette auprès de ses fils poignardés. Féroce est la répression, comme est totale la surprise. L'armée a tendu son filet en ne laissant rien au hasard : Axes routiers et ponts boudés ; partout l'on perçoit son emprise. Polonais, vous êtes tombés dans le plus vaste traquenard, Où l'on voit surgir de nouveau, le spectre de « Nuit et Brouillard », Avec ses camps, ses miradors et ses hideux chevaux de frise. Lech Walęsa pris en otage, et des milliers d'internements. Vous avez souvent combattu les hommes-loups, les hommes-hyènes ; En « Quarante », vos cavaliers chargèrent les tanks allemands ; Un peu plus tard, vous affrontiez la barbarie hitlérienne ; Mais être sans défense et seuls sont des entraves draconiennes, Qui paralysent à coup sûr le plus noble soulèvement. Il y a juste quarante ans, les jeunes juifs de Varsovie, Affamés, humiliés, n'ayant que Treblinka pour l'horizon, Se rebellaient dans leur ghetto, non dans l'espoir d'une survie, Mais pour lutter jusqu'au dernier contre l'esprit de déraison. Lance-flammes et bombardiers, les broyèrent dans leur prison, Que cernaient deux mille nazis, avec leur haine inassouvie. La pensée en garde un stigmate aussi terrible qu'exaltant,

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Car la révolte de ces gens restera toujours exemplaire ; Ne traduit-elle pas l'éveil d'un peuple opprimé trop longtemps, Et son courage surhumain, fait de sursaut et de colère, Devant les tyrans ? N'est-il pas l'image même de la pierre, Qui nargue par sa dureté l'usure implacable du temps ? Mais « Solidarność » était loin de présenter ce cas tragique, Car il ne se préparait pas à quelque affrontement mortel ; C'était un mouvement social au symbole démocratique, N'ayant pour seules armes que ses grands idéaux fraternels. Comment pouvait-il s'opposer à ce pouvoir de Machiavels, A son potentiel militaire, à sa milice fanatique ? Chantiers « Lénine» à Gdańsk en grève; usines de Wrocław, Poznań, Katowice et tracteurs « Ursus » également ; en Silésie, Grève aux mines de Ziemowit, de Piast ; à Wujek, permanents Engagements : blessés et morts ; on résiste avec frénésie ; La crainte que sème le « WRON »1 égale son hypocrisie ; Les Kalachnikov et les gaz, ses propos les plus avenants. Les couvre-feux sont décrétés, ni télex et ni téléphone ; Aucun courrier et pas d'essence; il fait très froid et l'on a faim ; Trop longue attente aux magasins, dès l'aube blême où l'on frissonne, Pour s'entendre dire : « Nie ma», signifiant : « Il n'y a plus rien ». La radio ? La télévision ? Les oppresseurs les ont en main ; Contre la junte et ses diktats, qui pourra résister ? Personne ! Certains se hasardaient à fuir vers l'Ouest, mais ils sont traqués ; Qu'ils soient du Syndicat ou du « KOR »2, l'on condamne les responsables. Les médias au garde-à-vous, n'exposent que des faits tronqués. L'intervention de Koulikov3 est la menace redoutable, Obsédant l'esprit de chacun, où des rappels ineffaçables, Ceux de Prague et de Budapest sont fatalement évoqués4. « W nędzy niewoli i głodzie » : « Dans la misère, la famine Et l'esclavage ». On lit ces mots, sous une crèche de Noël, A Varsovie ; ils disent bien le désespoir qui prédomine Dans l'âme ou le cœur de chacun, ainsi que le chagrin cruel, En découvrant que l'artisan de ce mouvement criminel, S'incarne en un concitoyen que désormais, l'on abomine. 1. Le WRON est le sigle désignant le Conseil militaire de Salut National dirigé par le général Jaruzelski qui prit le pouvoir le 13 décembre 1981. 2. Le KOR est le sigle désignant le Comité de défense ouvrière créé, le 23 septembre 1976, par des intellectuels solidaires des ouvriers dont les grèves avaient été durement réprimées. 3. Viktor Koulikov était le commandant en chef soviétique des forces du Pacte de Varsovie. 4. En 1956 et en 1968, les chars de l'Armée rouge étaient intervenus en Hongrie puis en Tchécoslovaquie pour y rétablir des gouvernements communistes orthodoxes.

Frédéric SUMER, Cendre de martyrs. Hommage à Solidarność, Paris, Jean Grassin, 1983, pp. 13-20.

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Le bilan du coup d’Etat par les militaires polonais

Au jour d’aujourd’hui, nous avons atteint notre but. […] L’action concertée de la milice et des services secrets a porté ses fruits. Nous avons franchi une première étape : nous avons paralysé l’ennemi, mais nous ne l’avons pas encore anéanti.

Conclusions : 1. La loi martiale doit se poursuivre, les forces armées doivent être prêtes, il ne faut pas mollir face

à l’ennemi. 2. A tous les niveaux, les autorités doivent surveiller le respect de la discipline et des rigueurs de

l’état de guerre. 3. Dans les cas justifiés, ne pas hésiter à faire une démonstration de force, ne pas non plus relâcher

le règlement pendant les fêtes de Noël. En revanche, là où cela est possible, nous pouvons adoucir les rigueurs de l’état de guerre.

4. Après avoir brisé la grève et isolé l’ennemi, nous ne pouvons pas laisser un vide politique. Nous devons convaincre les esprits ; il faut aussi que les forces du Parti s’engagent profondément.

Le général Florian Siwicki (chef de l’état-major de l’armée polonaise),

lors d’une réunion du bureau politique du Parti, cité dans http://www.solidarity.gov.pl

La situation en 1988

Ainsi, sept années après le coup d'État du général Jaruzelski, la Pologne ressemble de plus en plus à un pays en état d'anomie, invertébré, où l'on ne peut vivre sans avoir recours au système D. La dégrada-tion des services (jusqu'aux transports en commun plus chers, plus rares et de piètre qualité) s'ajoute aux revenus insuffisants et à la pénurie de nombreux biens. Tel est le premier et plus lourd échec de l'homme du 13 décembre 1981.

Un bouleversement semble s'être amorcé, il y a un peu plus d'un an, dans les profondeurs de la société polonaise. Il se caractérise par un mécontentement grandissant de la jeunesse ouvrière et étudiante, par un effondrement de la confiance à l'égard du pouvoir, et par un sentiment net que toute perspective est bouchée pour une majorité de la population. Ce pessimisme généralisé a eu des effets contradictoires : regain de l'émigration et repli sur soi, certes, mais aussi apparition d'un nouvel esprit revendicatif dans les entreprises et les universités.

J.- Y. Potel1, Le Monde diplomatique, octobre 1988.

1 : Jean-Yves Potel a écrit plusieurs ouvrages sur la fin du communisme.

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Le combat de Lech Walesa pour la libération de la Pologne

Pour l'instant, nous en sommes encore à combattre ce que les communistes appellent les « séquelles du stalinisme ». C'est-à-dire le monopole d'un parti unique, le contrôle de l'économie par la nomenklatura et l'existence d'une classe privilégiée qui n'obéit à aucune des lois. J'appelle ça le stalinisme. Et il faut en finir avec un tel exercice du pouvoir. […]

Aujourd'hui les problèmes de tous les pays de l'Est sont pratiquement identiques. Crise économique, crise de confiance, recherche d'un nouveau consensus. Chaque pays a son propre remède. En Pologne, c'est Solidarnosc, mais aussi l'Église catholique, qui n'a jamais été aussi puissante, et l'agriculture privée, actuellement protégée par le pouvoir car elle seule produit encore en dépit de la crise. En URSS, le remède est la perestroïka, et la situation est très différente, car l'initiative des réformes a été prise par le Parti. […]

Le malheur de Solidarnosc était d'avoir été une belle fleur solitaire qui a poussé trop tôt en hiver. Aujourd'hui, je vois clairement que Solidarnosc, dans la situation internationale de 1981, n'avait aucun avenir, que rien ne pouvait la sauver. Mais Solidarnosc a gagné sa bataille malgré tout. Les autorités polonaises ont compris que Solidarnosc n'est pas seulement un syndicat, pas seulement un mouvement, mais des réformes.

Interview recueillie par le correspondant de Libération à Varsovie, 8 décembre 1988.

La Une du premier journal d'opposition légalement autorisé

Chers lecteurs, Voilà, après 40 ans, on a en Pologne et peut-être dans tout le bloc communiste le premier

hebdomadaire normal et indépendant. On entend par « normal » le journal qui essaie avant tout d'informer, vite, objectivement, séparant le commentaire de l'information. [...]

Le journal a été créé sur l'accord de la « table ronde » mais on l'édite et rédige sous notre responsabilité. On se sent lié à Solidarnosc mais on veut présenter des opinions de toute la société indépendante.

L'équipe de rédaction.

Pas de liberté sans Solidarność On a écrit ce slogan sur nos drapeaux et on y est resté fidèle pendant les 7 ans de notre activité

clandestine. La vertu de l'endurance est récompensée [...]. Il s'est passé à peine un mois après la signature de l'accord conclu à la « table ronde » et déjà on n'a

pas seulement un syndicat mais aussi un programme électoral, des candidats pour l'Assemblée et le Sénat et enfin la Gazette électorale, le premier journal indépendant entre l'Elbe et le Pacifique et ça restera. [...]

On a les élections devant nous où pour la première fois on pourra choisir les candidats qu'on veut. Les gens demandent: qu'est-ce qui suit ? Qu'est-ce qu'il y aura dans 4 ans ? Pour une autre vie

meilleure, on doit gagner les élections1. Lech Walesa.

Extraits du 1er numéro de la Gazeta wyborcza,(« Gazette électorale ») du 8 mai 1989.

1. L'opposition remporte 99 % des sièges du nouveau Sénat et la quasi-totalité des 35 % des sièges renouvelés à l'Assemblée.

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Allocution prononcée par M. le Président de la République François Mitterrand lors du dîner offert par le général Jaruzelski et Mme Jaruzelski (palais Radziwiłł, 14 juin 1989) lors de sa visite officielle en Pologne du 14 au 16 juin 1989

Permettez-moi de vous dire, à vous même, à vos convives, à tous les Polonais combien je suis heureux de me trouver pour la première fois en Pologne, à ce moment de son histoire et de l'histoire de l'Europe. Je n'en apprécie que plus vivement votre invitation dont je vous remercie, en mon nom personnel, au nom de ma femme, de mes compagnons de voyage, du gouvernement français.

M. le Président, Madame, Mesdames et Messieurs, je suis venu renouer un lien exceptionnellement fort, trop longtemps distendu mais que rien n'a brisé. La véhémence des sentiments suscités chez mes compatriotes par les événements de Pologne à toute époque et aujourd'hui encore est à la mesure de l'intérêt passionné qu'ils nourrissent pour un pays plus cher à leur coeur que tant d'autres. Ce même désir de mieux comprendre, de mieux connaître la Pologne et votre peuple m'animait lorsque j'ai eu l'honneur de vous recevoir à Paris en décembre 1985. Je suis venu aussi pour rendre au peuple polonais l'hommage que méritent son courage, sa constance et son patriotisme. C'est une leçon qu'il donne au monde à l'heure où des hommes lucides et responsables ont su organiser un libre débat, une libre consultation et une profonde transformation de la vie publique en Pologne. Je suis venu enfin vous dire les raisons que j'ai d'espérer dans l'avenir de l'Europe car je crois à la nécessité d'une Europe pacifiée et unie. A cette tâche nul n'est de trop. Réussir voudra dire que nous aurons réussi ensemble.

La France et la Pologne attendent beaucoup l'une de l'autre et elles sont à même je le crois d'inaugurer un nouveau modèle de relations entre les parties séparées de l'Europe. Tout nous y porte : l'ancienneté de nos rapports, vous les avez rappelés, je les résumerai. Voici plus de mille ans que nos deux pays, constitués en Etats à la même époque croisent leurs destins sans jamais se dresser l'un contre l'autre. […] Mais comment reprendre aujourd'hui le fil de cette riche tradition. D'abord, et c'est un objectif de ma visite, en examinant avec les responsables polonais ce que la France peut faire pour apporter un appui réaliste et concret aux réformes en cours. La dette polonaise je n'y insisterai pas mais je dis ici publiquement qu'elle mérite un traitement particulier. Je souhaite que dans les instances internationales compétentes l'on fasse un peu preuve d'imagination et d'audace pour aider la Pologne à passer un cap difficile en se fondant sur une évaluation réaliste. Comme je l'ai dit, la France, pour sa part, prêchera l'exemple et se fera l'avocat de sa cause au Club de Paris.

Nos échanges économiques et commerciaux doivent prendre un nouveau départ. Nous sommes prêts à assouplir les conditions de notre politique d'assurance-crédit à court et moyen terme pour financer des projets précis. Trois secteurs prioritaires - projets industriels, agroalimentaire et tourisme - ont déjà été identifiés en commun afin d'ouvrir l'éventail de notre coopération et de préparer l'avenir. Plusieurs accords importants ont été ou seront signés au cours de ma visite en particulier sur les échanges de jeunes, l'environnement et la formation des cadres de gestion. Nous envisageons de rénover, avec votre accord bien entendu, nos instituts culturels de Varsovie et de Cracovie. Je souhaite enfin que nos programmes de télévision puissent être prochainement diffusés ; ainsi se mettront en place les premiers éléments d'un plan d'action et de solidarité destiné à accompagner le relèvement économique de la Pologne.

Lorsque j'exprime ces propositions, j'entends bien que l'Histoire est ainsi faite qu'aujourd'hui la Pologne a besoin de l'amitié agissante de peuples qui sont ses compagnons de l'Histoire. C'est arrivé à la France en d'autres temps cela pourrait arriver un jour à nouveau. Rien n'est invariable et la vraie solidarité consiste à ne pas faire de comptes d'apothicaire : la solidarité c'est pour toujours. Cela va dans les deux sens, selon les circonstances ou les avatars de l'Histoire.

Or l'enjeu de ce qui se passe dans votre pays va bien au-delà du seul avenir de la Pologne. Nous, je puis vous l'exprimer, nous souhaitons le succès de l'expérience en cours. L'Europe à l'Est comme à l'Ouest, selon moi, s'en trouvera mieux. La réconciliation des Polonais autour de valeurs de liberté facilitera le rapprochement des Européens et la Pologne trouvera dans l'Europe recomposée les meilleures chances de son épanouissement. Comment venir à bout d'une division qui affaiblit l'Europe au moment où de nouvelles puissances économiques et démographiques se profilent sur la scène

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mondiale ? Le grand vent de liberté qui balaie notre continent, en cette année du bicentenaire de la Révolution française montre à quel point les évolutions souhaitées sont possibles.

J'ai bien entendu, je ne suis pas le seul, M. Gorbatchev parler de maison commune européenne. C'est une belle formule et je la retiens. Que les dirigeants soviétiques évoquent un avenir commun et non une division renforcée, qui s'en plaindra ? Mais cet objectif suppose une méthode. J'ajouterai qu'une maison existe déjà en Europe : c'est la Communauté des Douze. Elle est fondée sur la libre adhésion d'Etats souverains. Aucun d'entre eux ne peut dicter sa loi au voisin. La solidarité repose sur l'égalité des droits et des devoirs. Aucun mur n'y sépare les peuples. Nul n'y est à la merci de l'arbitraire. Voilà de saines règles et un précédent dont on pourrait s'inspirer à l'échelle du continent.

La Communauté européenne n'est pas pour autant cette tour retranchée que d'aucuns dépeignent ou redoutent. Nous ne cherchons pas à abolir les frontières entre les Douze pour en ériger de plus étanches avec l'autre Europe. Nous ne voulons pas au moment où les effets du Yalta politique et idéologique sur lesquels j'ai mon appréciation et vous le savez un peu plus réservée que la vôtre, semblent s'atténuer, y substituer une autre forme de séparation économique, technologique et culturelle. Les Douze continueront de développer des accords d'association avec les autres pays européens. C'est le cas déjà pour la Hongrie, ce le sera bientôt je l'espère, pour la Pologne et je veillerai pendant la présidence française de la Communauté, à partir du 1er juillet prochain, à ce qu'ils soient intégralement appliqués et, si possible, améliorés en toutes circonstances. Bref, les pays européens disposent déjà de lieux de rencontre. Citerai-je la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, seul cadre où tous les pays européens aient voix au chapitre sur toutes les questions qui les intéressent et cette conférence a vocation à devenir un creuset où seront précisément discutés les intérêts de l'Europe future. De son côté le Conseil de l'Europe s'entrouvre aux pays dits de l'Est et amorce une utile réflexion sur les Droits de l’Homme et la culture. Les accords entre la Communauté économique européenne et les pays du Comité d'assistance économique mutuelle dessinent de nouveaux réseaux de coopération et de solidarité. Ces institutions ne répondront jamais mieux à leur vocation qu'en tissant jour après jour une trame de l'Europe de demain et qu'en nous réhabituant à vivre ensemble sur notre continent.

Quant aux terrains d'action, ils sont connus, le désarmement d'abord, au service d'une sécurité accrue pour tous. Moins d'armes pour plus de sécurité. Je me réjouis qu'aient commencé à Vienne des négociations sur la réduction des arsenaux conventionnels en Europe. C'est là que doivent être concentrés les efforts afin de mettre un terme aux déséquilibres dangereux, de renoncer aux attitudes agressives ou aux tentatives d'intimidation entre Etats. L'objectif est d'atteindre un équilibre vérifiable au plus bas niveau et de s'y maintenir. Les Droits de l’Homme ensuite. Le moment se prête à faire de ce qui était un objet de confrontation un thème de coopération afin que progresse, comme je l'ai dit en ouvrant à Paris la Conférence sur la dimension humaine, l'état de droit européen. La détente ne se fera pas entre les Etats si elle n'advient pas aussi entre gouvernants et gouvernés. L'identité culturelle de l'Europe est, je le pense en péril si nous n'y prenons garde. Sans la libre circulation des créateurs, des savants, des artistes toute culture s'étiole. Pourquoi ce qui était usuel il y a cinq siècles lorsque les étudiants d'Europe inscrivaient leur cursus par les universités multiples - mais l'une d'entre elles était considérée comme un passage obligé : je veux dire l'université Jagellonne de Cracovie - serait hors de notre portée aujourd'hui ? Les supports modernes de communication nous offrent si nous savons les maîtriser, la chance d'une nouvelle renaissance. C'est dans cet esprit que j'ai lancé le projet Eurêka audiovisuel et que j'ai le plaisir de convier la Pologne à assister aux premières assises européennes de l'audiovisuel qui se tiendront à Paris à l'automne. Je pourrais énumérer dans les mêmes termes, d'autres champs de coopération tout aussi importants : environnement, communications, énergie que sais-je ? Mon propos n'est pas de dresser un programme exhaustif mais de rappeler qu'il reste des obstacles à aplanir afin d'assurer la stabilité de l'édifice.

Voilà M. le Président, Madame, j'ai beaucoup parlé de l'Europe mais à Varsovie quoi de plus naturel ? Je songeais, au moment d'atterrir dans votre capitale, qu'elle n'est pas plus éloignée de Paris que ne le sont Naples ou Séville. A la longue l'idéologie cédera le pas devant la géographie. L'une et l'autre sont nécessaires, au demeurant mais les réalités de la géographie qui commandent celles de l'Histoire elles sont là et nous devons les observer, en tenir compte. Voilà pourquoi je suis chez vous l'esprit non prévenu. Les circonstances veulent que je sois l'un des premiers chefs d'Etat étranger témoin d'un changement historique mené ici même avec un esprit de responsabilité exemplaire. Ma visite me confirmera sans doute que l'Occident n'a pas l'apanage de l'invention démocratique. Que nous

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avons nous aussi à apprendre de vous comme vous avez à apprendre de nous. Tant mieux si les termes s'équilibrent de nouveau. Les termes du dialogue entrepris depuis si longtemps et que nous revivifions. Ce dialogue n'en sera que plus fructueux. Particulièrement grâce à l'action des jeunes de nos pays qui pourront cesser de contempler leur avenir dans le miroir brisé de l'Europe, nous travaillons pour eux et j'espère que les accords que nous avons signés permettront à nos jeunesses de se connaître tout à fait. Que puis-je souhaiter d'autre, sinon que de Pologne continuent de nous parvenir de bonnes nouvelles, que le débat pluraliste s'étoffe, que la démocratie parlementaire y développe les germes de la démocratie tout court, que les Polonais assurés de leur destin, jouissent du bien-être auquel ils aspirent. Je ne sous-estime pas les difficultés qui vous attendent, mais comment douterais-je d'un peuple qui a tant de fois montré dans l'adversité sa force de caractère et sa vitalité ?

M. le Président, l'écrivain, Paul Valéry reprochait à l'Europe du début du siècle de ne pas avoir eu -je le cite - « la politique de sa pensée ». Et bien nous voulons aujourd'hui qu'au sein d'une Europe réconciliée la Pologne et la France fortifient leur amitié et retrouvent leur alliance de toujours. C'est dans cet esprit qu'à mon tour je vous proposerai de lever selon le geste traditionnel et symbolique nos verres. Je le proposerai à la santé de M. le Président du Conseil de l'Etat et Mme Jaruzelski, des êtres qui leurs sont chers, de leurs proches, de leur famille, de leurs amis. Je lève mon verre à la santé de toutes les personnalités polonaises qui ont bien voulu se joindre à nous ce soir, représentatives je le crois, d'un large horizon. Je lève mon verre à la santé du peuple polonais, je le cite en dernier par un sentiment de hiérarchie, car après tout le peuple polonais c'est vous tous rassemblés. Je lève mon verre à la santé de la liberté que vous avez entrepris d'édifier pour le service de la patrie.

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Annexes :

Solidarność 25 ans après

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Pologne, à la recherche du sens perdu

Pour Adam Michnik, rédacteur en chef du principal quotidien polonais, il faut, à l'occasion du 25e anniversaire de Solidarité, retrouver la vraie dimension de la révolution et de ses héros salis par les récentes publications sauvages d'archives de l'ex-police politique communiste.

Par Adam Michnik, rédacteur en chef de «Gazeta Wyborcza». Libération. Mardi 30 août 2005 .

Il y a vingt-cinq ans, en août 1980, la Pologne a changé la face du monde. Je ferme les yeux et je revois : l'époque était magnifique et les gens étaient magnifiques. J'avais alors 34 ans et la conviction que ma génération écrivait une page importante de l'histoire. En me remémorant ces jours merveilleux, je relis mes notes de l'époque. Je n'ai plus confiance dans ma mémoire. Trop d'amertume et de tristesse se sont accumulées ces dernières années. C'est pourquoi je ne sais pas si je fais bien en écrivant ces remarques amères, qui cadrent mal avec cet anniversaire solennel. Wladyslaw Frasyniuk, mon ami et leader des protestations ouvrières à Wroclaw en 1980, chef légendaire de Solidarité aux temps de la clandestinité et prisonnier lors de l'Etat de siège, a récemment lancé un appel pour que les cérémonies marquant cet anniversaire se déroulent dans un esprit de réconciliation, que les vieilles discordes soient «mises de côté», que l'«on ne parle plus de traîtres». J'aimerais écrire dans cet esprit mais je ne sais pas. Je ne crois plus en l'unité de l'époque, je ne veux pas et je ne peux pas participer à des commémorations avec ceux qui aujourd'hui tirent leurs connaissances sur l'opposition démocratique et sur Solidarité des archives de la SB (l'ex-police politique communiste, ndlr) et pour qui les rapports de police sont comme la Bible. J'ai le sentiment qu'ils m'ont craché à la figure. Cette expérience, historique et personnelle, ne peut se raconter avec la langue des rapports policiers. Nous devons nous-mêmes essayer de comprendre le sens de ce que nous avons eu le courage de faire. Nous devons retrouver le sens de nos biographies.

La cravache et les crachats, ainsi était la maison polonaise

L'année dernière, Nike, le prix littéraire polonais le plus prestigieux, a été décerné à Wojciech Kuczok pour son roman Gnój (« le Fumier»). Ce jeune écrivain d'une trentaine d'années y raconte l'histoire d'un enfer familial, c'est-à-dire l'histoire d'une famille polonaise, simple et provinciale. Dans ce roman, à première vue éducatif, on peut cependant voir, comme chez Balzac ou Flaubert, l'image d'une Pologne dont les Polonais ne parlent pas et qu'ils préfèrent passer sous silence. Dans cette Pologne, il n'y a pas de grandes idées, pas de lutte des classes ni d'avenir radieux, de même qu'il n'y a pas de Dieu, d'honneur et de patrie. Cette Pologne est un pays triste, peuplé de gens tristes et inintéressants, de gens, comme l'écrit l'auteur, «dénoyautés : ils ont leurs racines et des branches, mais à l'intérieur ils sont vides ; ils s'enferment dans ce vide» et se barricadent devant le monde. Et dans ce monde c'est la cravache qui règne, la cravache avec laquelle le père battait son fils pour l'éduquer, avec laquelle un vieux frappait un jeune, le plus fort inculquait la raison au plus faible. Et le plus jeune, battu et faible, ne savait que crier : «Papa, ne frappe plus !» Puis le plus jeune, sous les coups de cravache, devait écouter la leçon selon laquelle il faisait partie d'une génération que «l'Histoire a gâtée» parce qu'il n'a pas vécu la guerre. Le jeune a aussi reçu une leçon des crachats. Déjà à l'école, cracher était la norme. Il fallait s'attendre à recevoir des crachats «de tous côtés, en pleine figure si l'adversaire était à court de mots». Ceux qui crachaient étaient partout : «Je sentais leur souffle derrière moi», «ils me crachaient dans le dos quand je traversais la rue», «ils me marquaient ainsi». A la maison la cravache, dehors les crachats. Ainsi était la maison polonaise.

Puis cette maison a vieilli. Elle s'est enlaidie plus que les hommes. «Les maisons vieillissent odieusement, la vieillesse s'y glisse secrètement, puis, sans qu'on s'en aperçoive, elle cesse d'être visible pour ses habitants. En revanche les invités la ressentent dès l'entrée, dans la puanteur de l'odeur de moisi.» La maison de la Pologne communiste appelée PRL (pour «république populaire de Pologne») s'est effondrée dans cette odeur. C'était un pays où la politique étrangère, l'armée, la police, étaient soumises aux décisions de l'Union soviétique, où régnaient la nomenklatura communiste, l'infiltration par la police, une idéologie imposée, la peur et l'hypocrisie. L'homme battu et sur lequel on crachait était le produit de ce système. Il devenait un peu plus courageux après avoir bu de l'alcool, pour manifester sa haine envers tout et tous. Le système

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communiste faisait pousser sa rage. Il savait parfaitement utiliser ce qui est mauvais et faible dans l'homme. Les petits esprits apeurés étaient légion, tout comme l'opportunisme, l'apathie, le cynisme. Tous les jours, le rejet de l'omniprésent fumier moral s'amenuisait. Oui, on sentait bien l'odeur du moisi.

La dictature hors la loi

En août 1980, la Pologne a respiré avec ses deux poumons de l'air frais et propre. Une vague de grèves s'est déversée sur le pays et celle dans les chantiers navals de Gdansk, inspirée par l'opposition démocratique, soutenue par les intellectuels et par l'Eglise catholique, s'est achevée par la signature des accords de Gdansk et par la création des syndicats libres. Ce ne fut pas une nouvelle reculade, ponctuelle, du pouvoir communiste. Ce fut une mise hors la loi totale de la dictature. Le système, qui se présentait comme une dictature du prolétariat, a été moralement disqualifié par les grandes grèves ouvrières. Si le concept de «révolution» est un vaste changement, précédé par une puissante manifestation sociale et une paralysie totale du pouvoir, on peut parler de «la révolution de Solidarité». Août 1980 fut avant tout une fête de la démocratie polonaise : il a redonné un sens à la liberté, à la dignité de l'homme et à la vérité.

Le temps des grèves, je l'ai passé en prison, la SB m'ayant arrêté à titre préventif avec de nombreux autres militants de l'opposition démocratique. «Ils» croyaient encore que la police pouvait agir sur l'histoire. Le 31 août 1980, les accords mettant fin aux grèves ont été signés. Le 1er septembre, nous avons été libérés et nous nous sommes retrouvés dans un autre monde. Au lieu du moisi, nous avons senti l'odeur magnifique de la liberté. Je notais sur le moment : «la détermination résolue des grévistes, une discipline spontanée, la maturité des revendications des ouvriers». J'ai noté aussi : les grévistes réclamaient des «transformations importantes dans le fonctionnement du pouvoir mais ils se sont arrêtés devant les limites imposées par la présence militaire soviétique en Pologne». J'ai noté : «Les ouvriers militaient en faveur des intérêts de toute la société, pour les droits sociaux, civiques, pour la liberté de parole, le droit d'association, les syndicats libres, la libération des prisonniers politiques.» Avec respect, je constatais que «les autorités avaient choisi les négociations et non la solution de force». Je notais aussi la quadrature du cercle. Les derniers événements ont prouvé, écrivais-je, que «la société polonaise ne pouvait et ne voulait plus exister dans un mensonge toujours plus profond, dans la soumission et la paupérisation» : «C'est un motif de fierté que nous ayons su militer pour nos droits par des moyens si raisonnables. Car la vie des Polonais dépendait aussi de la domination soviétique, acceptée par l'Occident. Leurs justes aspirations à la liberté et à la souveraineté devaient se réaliser de manière à ce que les Soviétiques jugent le coût d'une intervention militaire en Pologne plus lourd sur le plan diplomatique que le coût d'une non-intervention.» Pour être bref, je croyais en la possibilité d'obtenir une vaste autonomie et des libertés démocratiques dans le cadre de la «doctrine Brejnev»(ou doctrine de la souveraineté limitée accordée aux «pays frères» de l'Union soviétique). Ce devait être l'horizon de pensée de tout Solidarité.

Un carnaval de liberté, de patriotisme et de vérité

Ces jours, ces débats… Ces foules en joie et avides de vérité lors des rencontres dans les halles des chantiers et dans les universités, c'était comme le plus beau des rêves. Pour nous, militants de l'opposition démocratique qui avions vécu la révolte des étudiants, les persécutions de l'intelligentsia et les purges antisémites, la répression policière de mars 1968, le massacre des ouvriers à Gdansk en décembre 1970, puis les répressions en 1976 contre les ouvriers engagés dans le KOR – Comité de défense des ouvriers – et dans les autres groupes d'opposition anticommuniste, le temps de la récompense était enfin venu. Après des années de cravache et de crachats, de bassesse, de désespoir et de cynisme, nos actions ont alors trouvé un sens existentiel et historique. Sans le KOR et sans l'opposition démocratique, il n'y aurait pas eu la victoire d'août 1980, arrachée sans effusion de sang. Ce sont en grande partie les militants du KOR qui ont dirigé les grèves de Gdansk. Ce n'était pas facile, le pouvoir nous harcelait ; on nous arrêtait, on nous battait, on nous privait de travail, avec des chantages et des calomnies. On nous tendait des pièges, on fabriquait des preuves compromettantes et on nous crachait au visage, on semait la discorde entre nous par le biais d'intrigues mensongères, on nous provoquait sans cesse. Beaucoup n'ont pas tenu sous cette pression, ont abandonné la lutte, pris le chemin de l'exil. Les plus courageux étaient persécutés sans relâche. Avec les matériaux fabriqués par la SB sur Jacek Kuron ou Jan Jozef Lipski (opposants historiques et fondateurs du KOR) pour les discréditer, on pourrait recouvrir tout le palais de la Culture (le plus haut bâtiment de Varsovie, cadeau de Staline à la Pologne communiste).

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Aucun d'entre nous ne pouvait imaginer que des années plus tard, quand la SB n'existerait plus, ni le PC, ni même l'URSS, les archives de la SB vivraient leur propre vie, que le temps magnifique des hommes magnifiques se transformerait en une boue de rapports de la SB. Car cette révolution polonaise, pleine de solidarité, sans effusion de sang, fut vraiment magnifique. Ce fut un carnaval de liberté, de patriotisme et de vérité. Ce mouvement faisait ressortir ce qu'il y avait de plus précieux dans l'homme : le désintéressement, la tolérance, la générosité, l'attention à l'autre. Ce mouvement créait et ne détruisait pas, redonnait sa dignité à l'homme, et ne réclamait pas vengeance. Jamais avant ni plus tard la Pologne ne fut un pays si sympathique, les hommes ne furent si libres, égaux et frères.

L'époque des trois miracles polonais

Ce fut l'époque de trois miracles polonais : celui de l'élection du pape Jean Paul II et de sa visite en Pologne en juin 1979, celui des grèves de Gdansk, de Lech Walesa et de Solidarité, enfin celui de l'attribution du prix Nobel de littérature à Czeslaw Milosz. Pendant des années, nous nous répétions qu'il ne fallait pas attendre de miracle, mais agir pour l'obtenir. En 1980, les Polonais ont enfin pu voir les fruits de leurs efforts. A la fin de la visite de Jean Paul II, je notais : «Quelque chose d'étrange s'est passé. Ces mêmes hommes, frustrés et agressifs dans les files d'attente devant les magasins, se sont transformés en une communauté joyeuse, ils sont devenus des citoyens pleins de dignité. Ils ont retrouvé leur dignité, et avec elle la conscience de leur force et de leur unité. La milice a disparu des rues principales et un ordre exemplaire y régnait. La société assujettie pendant des années a retrouvé d'un seul coup le plaisir de décider d'elle-même.»

Jean Paul II a dit : «N'ayez pas peur !» et les hommes ont cessé d'avoir peur. Juin 1979 fut une avant-première d'août 1980. C'est pourquoi la révolution ouvrière s'est faite sous les croix et les portraits de Jean Paul II. «Oui, c'est l'Histoire qui se moque impitoyablement de la théorie», ironisait le philosophe Leszek Kolakowski. Le «pape polonais», puis un ouvrier polonais des chantiers navals, ont démonté les premières briques du mur de Berlin. Et l'écrivain polonais Czeslaw Milosz, poète exilé, a démasqué le mécanisme de la Pensée captive. Il a révélé au monde la famille européenne captive, il a parlé à voix haute des pays Baltes annexés par l'URSS. Pendant trente ans, ses livres ont circulé sous le manteau, dans des versions clandestines ou dans des éditions étrangères. Milosz fut l'icône de l'opposition démocratique. Jean Paul II est devenu la meilleure image de l'Eglise catholique polonaise ; les grèves de Gdansk et Lech Walesa ont été le couronnement des révoltes ouvrières polonaises ; Czeslaw Milosz est devenu le symbole de l'intelligentsia polonaise indomptable. C'étaient les trois signes visibles des tendances qui allaient s'exprimer au sein de Solidarité : la première mettant l'accent sur le caractère national et catholique du mouvement, la seconde sur son caractère ouvrier et revendicatif, la troisième enfin qui insistait sur les valeurs démocratiques et humanistes. Ces trois tendances n'étaient pas alors perçues comme contradictoires mais complémentaires. Elles cachaient l'éclosion de futures divergences.

Tout cela a modifié l'image de la Pologne dans le monde. La Pologne, perçue comme un pays de chevaliers chargeant des chars, ou comme un pays d'ivrognes, de mal-éduqués et d'antisémites, est devenu un pays important, dont on suivait de près l'évolution. On regardait avec respect le courage des Polonais, mais aussi leur sagesse, leur patriotisme et leur sens de l'honneur, ainsi que leur modération et leur réalisme. La révolution polonaise qui s'autolimitait ne cherchait pas le pouvoir en s'accaparant l'Etat. Solidarité préconisait un modèle de démocratie locale, partant de l'entreprise, puis passant par la ville avant d'arriver aux institutions centrales de l'Etat. Il y avait beaucoup de réalisme dans sa démarche, il fallait agir par petits pas et éviter la confrontation ouverte. Mais il y avait aussi beaucoup d'illusions car ce type de démocratie n'a jamais fonctionné nulle part dans le monde.

Solidarité a survécu grâce à sa sagesse

Il est important de souligner que Solidarité était prêt à des compromis. Le pouvoir communiste, sous la pression brutale de Moscou, n'était pas en mesure de proposer un modèle raisonnable de coexistence. Il s'affaiblissait de jour en jour. Pour se protéger, peut-être même pour empêcher une intervention soviétique, il a eu recours à l'ultime argument. Dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981, l'état de guerre a été décrété. Les leaders de Solidarité ont été emprisonnés. Solidarité a été mis hors la loi. Réfugié dans la clandestinité, il a tenu sept ans, il a surmonté les persécutions, les capitulations dramatiques de certains militants, de

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nombreux départs en exil. Il a survécu grâce à des leaders du mouvement clandestin comme Zbigniew Bujak, grâce à des prisonniers politiques comme Jacek Kuron, Karol Modzelewski, Bronislaw Geremek et Tadeusz Mazowiecki, qui refusaient de rendre les armes. Grâce aussi à Jean Paul II et aux prêtres héroïques, au soutien de l'opinion mondiale, aux millions de Polonais qui ne voulaient pas renoncer à leur rêve d'une Pologne libre.

Solidarité a également survécu grâce à sa sagesse. Il a lancé la lutte en renonçant à la violence et n'a jamais cessé de déclarer sa volonté de compromis. Il ne s'est pas laissé briser, n'a pas sombré dans l'extrémisme fanatique qui se nourrit du mal qu'on lui inflige et du besoin de vengeance. Il a toujours déclaré depuis août 1980 qu'il voulait bâtir et non détruire. Ce fut sept années de travail clandestin, de répression, de risques quotidiens et d'impuissance. On se racontait souvent une blague, rapportée par nos amis de Prague si j'ai bonne mémoire : «Que faut-il faire pour que l'armée soviétique quitte la Pologne ? Il y a deux possibilités, l'une rationnelle, l'autre tenant du miracle. La première : saint Georges qui a tué le dragon vient en Pologne et chasse l'armée soviétique. La seconde, le miracle, serait qu'elle parte d'elle-même.»

Le miracle de la perestroïka

De notre point de vue, la perestroïka de Gorbatchev fut vraiment un miracle. Au début nous étions sceptiques. Nous n'avions pas de raison de faire confiance aux déclarations d'un leader soviétique. Et puis on n'arrivait pas à y croire. Enfin l'espoir est né. Le ferment en Russie a donné une nouvelle perspective aux changements, en Pologne et dans d'autres pays. Le lien entre la perestroïka et Solidarité était évident. La révolution de Solidarité fut pour le système soviétique ce que la Réforme fut pour l'Eglise catholique, une remise en cause des dogmes de l'institution et non des dogmes de la foi. Aussi le système soviétique a-t-il répliqué par une sorte de Contre-réforme – une réponse assimilant les éléments critiques de la Réforme pour sauver l'institution. Dans les débats soviétiques, on pouvait ainsi entendre les idées prônées lors des événements polonais. On réclamait la vérité sur le passé stalinien, sur la situation économique, on demandait la liberté de parole, le pluralisme, des réformes. Les dirigeants du PC polonais lisaient attentivement les journaux soviétiques. Ce nouveau langage a dû à la fois les inquiéter et les surprendre. En même temps ils ont compris que leur marge de manœuvre s'agrandissait. Les deux dernières vagues de grèves en 1988 ont été pour eux l'ultime sonnette d'alarme. Ils ont alors proposé les négociations de la Table ronde (entre le pouvoir et Solidarité). L'un des résultats a été la légalisation de Solidarité et des élections semi-libres. Solidarité a triomphé ; les communistes ont rendu le pouvoir, tout s'est passé sans une barricade, sans un coup de fusil, sans une victime. L'esprit de 1980 a ressuscité, la lutte pour la liberté sans violence ni haine fanatique. La révolution de Solidarité est alors arrivée à son terme. Et les transformations ont commencé.

Jerzy Jedlicki, historien et journaliste, a écrit quelques années plus tard : «Le mérite de l'opposition anticommuniste des années 70 et 80 a été de garder l'équilibre durant les différentes étapes de la lutte et sa capacité de parvenir à des compromis. Une part du mérite revient au camp adverse, car cette méthode n'aurait jamais marché avec un pouvoir absolu. Aujourd'hui, quand on crache sur la Table ronde, je réplique que cet accord fut un chef-d'œuvre d'art et d'éthique politiques. Ce modèle a peut-être évité des torrents de sang héroïque en Europe de l'Est.» Je partage l'opinion de Jerzy Jedlicki. Mais ceux qui «crachent» sont légion. Pourquoi ? demandent souvent les étrangers. Difficile à comprendre en effet…

Prenons un exemple. Le 1er août 1944 débute l'insurrection de Varsovie, qui après soixante-trois jours de lutte héroïque s'achève par la capitulation de la Pologne et par une catastrophe totale. La fine fleure de la jeunesse polonaise est éliminée, des milliers de civils sont tués, la capitale de la Pologne est quasiment rasée, les gains politiques sont inexistants. Pourtant aujourd'hui cet acte de patriotisme polonais, payé si cher, est publiquement glorifié, célébré par des monuments. Et le succès de la Table ronde qui a ouvert pacifiquement aux Polonais – et pas seulement à eux – la voie de la liberté est considéré comme un complot infâme et un acte de trahison nationale. Pourquoi les Polonais, demandent les étrangers, ne savent-ils pas être fiers de ce qu'ils ont accompli de magnifique, de courageux, de sage et raisonnable aux yeux du monde entier ? Ne sauraient-ils que rendre hommage aux vaincus, aux morts et aux victimes ?

De la lutte pour la liberté à la lutte pour le pouvoir

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Alexis de Tocqueville a écrit un jour : «Quoique nous devrions être habitués à l'instabilité des caractères humains, de si grands changements dans les dispositions morales d'un peuple peuvent surprendre, un si grand égoïsme qui succède à un si grand sacrifice, une si grande indifférence après une si grande passion, une si grande peur après un si grand héroïsme, et tant de mépris pour ce qui fut objet de grands espoirs et qui a été payé si cher.» Souvent je songe aux mots de ce grand penseur français lorsque j'analyse les méandres de l'histoire de la Pologne de ces quinze dernières années, quand le temps de la lutte pour la liberté s'est achevé et que celui des divisions et de la lutte pour le pouvoir a commencé. Est ainsi arrivée l'époque des promesses démagogiques et des accusations infâmes de trahison, d'affaires de corruption, d'intrigues, de clientélisme, de mépris de la vérité et d'insultes lancées contre les plus méritants. En même temps, ce furent les quinze meilleures années dans l'histoire de la Pologne au cours des trois derniers siècles.

Quel est le bilan des transformations en Pologne ? Les ouvriers qui revendiquaient leurs droits civiques en août 1980 les ont tous aujourd'hui, même si les conditions de vie sont dramatiques et que les propriétaires des entreprises pratiquent plutôt le capitalisme sauvage. Les ouvriers disposent de syndicats libres, indépendants du pouvoir. Les syndicats savent-ils utiliser leurs droits ? C'est une autre affaire. Ont-ils renoncé au mythe de leur ancienne puissance et ont-ils trouvé d'autres formes de protestation que celles du temps de la lutte contre la dictature ? A l'époque, chaque grève, chaque manifestation, chaque barrage routier était un moyen d'affaiblir la dictature ; aujourd'hui il faut chercher d'autres moyens, dans les conditions d'un Etat démocratique. Les syndicats ont-ils renoncé à la rhétorique populiste, aux revendications irréalisables, aux étranges coalitions avec des partis xénophobes et antieuropéens ? Sont-ils en mesure de formuler un programme de défense des intérêts des ouvriers dans le cadre d'une économie privatisée, d'un chômage élevé et de la mondialisation ? Laissons ces questions ouvertes. Ce n'est bien sûr pas un phénomène propre à la Pologne. Tout le mouvement syndical européen est à la recherche d'une nouvelle formule dans une Europe unifiée.

Les agriculteurs jouissent aussi de tous leurs droits. Mais la peur domine face à la concurrence ainsi que devant les changements inévitables dans la structure de la campagne polonaise. Les intellectuels et les artistes ont reçu tous leurs droits. Pas plus que la censure, aucun devoir idéologique ne les contraint plus. Ils écrivent et publient ce qu'ils veulent mais ils s'indignent en voyant l'Etat couper dans les dépenses pour la culture et l'éducation. Leur voix, si forte à l'époque de la dictature, se perd dans la cacophonie des mots et des sons de la culture de masse. L'Eglise catholique a reçu tous les droits et même certains privilèges réclamés sous la dictature. Cependant les prêtres se plaignent que leurs ouailles ne vivent pas selon les critères de l'Eglise. En politique, la voix de l'Eglise a cessé d'être décisive : les fidèles n'écoutent pas les appels des évêques et des curés durant la campagne électorale, et ils votent selon leurs intérêts et leurs opinions. Ainsi, bien que tous aient obtenu les droits pour lesquels les Polonais ont lutté en août 1980, personne n'est satisfait de la Pologne libre. Dans le livre de Wojciech Kuczok, il y a un monologue du Vieux K. : «Dans quelle époque vivons-nous, des voleurs pillent au grand jour. Si j'avais le pouvoir, j'éliminerais toute cette peste, j'arracherais tout jusqu'aux racines…»

Le mécontentement social se traduit lors de chaque élection parlementaire. C'est d'ailleurs la preuve que le système fonctionne bien : la société a obtenu le droit de changer le pouvoir pacifiquement et elle s'en sert. Le seul problème est qu'après chaque changement on attend un miracle. Or le temps des miracles est bel et bien révolu. D'abord, la chute du gouvernement de Tadeusz Mazowiecki (en novembre 1990) et l'arrivée à la présidence de Lech Walesa (en décembre 1990) devaient être un miracle ; puis l'accession au pouvoir des postcommunistes (en 1993) annonçait un retour nostalgique à l'emploi garanti et aux acquis sociaux de l'époque communiste.

Le temps de l'héroïsme est dépassé

La frustration due au chômage a fait naître une autre frustration, nourrie par la conviction qu'il n'y a pas de justice. De nombreux militants de l'opposition démocratique et de Solidarité éprouvent de la colère devant les réussites financières des anciens apparatchiks. Ils observent une vague de criminalité organisée, la corruption qui se propage, l'égoïsme, le cynisme et l'autosatisfaction des vassaux de l'ancien régime, et ils cherchent les responsables. Souvent ils disent que la révolution de Solidarité a été trahie ou qu'elle n'a pas été achevée ; selon eux, la solution se trouve dans la poursuite des anciens agents de la SB. Ils disent que les

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comptes n'ont pas été réglés, que la justice n'a pas été faite. Ils ont d'une certaine façon raison : les comptes des souffrances n'ont pas été réglés, le crime n'a pas été puni et la vertu n'a pas été récompensée. Au contraire. L'idée principale de la révolution de Solidarité – la démocratie locale à partir de l'entreprise, passant par la commune et la ville jusqu'aux institutions centrales de l'Etat – a été remplacée par une démocratie parlementaire et par une économie de marché basée sur la propriété privée. Le temps de l'héroïsme qui n'attend rien en retour – l'èthos même de Solidarité – est dépassé. Il a été remplacé par l'esprit d'entreprise et de concurrence. La générosité des bénévoles, la bravoure, l'honneur chevaleresque, sont devenus des marchandises aussi rares que peu appréciées sur le marché polonais. Le calcul, la brutalité, le culot, sont devenus populaires dans ces temps nouveaux. Rien d'étonnant que les hommes qui, lors de la lutte pour une Pologne libre, ont donné les meilleures années de leur vie, se sentent frustrés.

Mais chaque grande révolution éveille des espoirs et des attentes hors d'atteinte. En ce sens chaque révolution est inachevée ou trahie. Aucune ne fait que les pécheurs sont punis et les justes récompensés. Que les bons esprits nous gardent des révolutions qui ont réglé les comptes des blessures, du bien et du mal, qui se sont achevés. Car la fin, c'est la guillotine ou le peloton d'exécution. Régler les blessures passées ne fait qu'ouvrir de nouvelles blessures, souvent plus pénibles. Il suffit de voir les révolutions des deux derniers siècles. Qui veut une justice parfaite doit savoir que seules les exécutions sont parfaites.

Au début de l'année, l'opinion en Pologne a été bouleversée par la publication d'une longue liste d'anciens fonctionnaires de la police politique, d'agents de la SB et de personnes que la SB a tenté d'engager. Tous les noms étaient mélangés – il était impossible de comprendre selon quelle méthode ils avaient été regroupés. Des dizaines d'hommes ont eu l'impression qu'on leur crachait dessus et ce n'était que le début du spectacle. Depuis, la presse et la télévision publient sans cesse de nouveaux noms d'agents présumés, se fondant sur des archives policières. Choqué, Wladyslaw Frasyniuk, héros incontestable de la révolution de Solidarité, a écrit : «Je ne peux rester muet quand Lech Walesa se retrouve sous le poteau, accusé de collaboration avec la SB, quand une lustration sauvage (la vérification que quelqu'un n'a pas été un agent en consultant les archives de l'ex-police politique) a été lancée contre plusieurs hommes politiques, le Président, l'ancien et l'actuel Premier ministre, qui avaient déjà subi une procédure de vérification, lorsqu'on va dire que Zbigniew Bujak fut une “porte d'entrée pour la SB” dans la clandestinité.»

Le Fumier de Wojciech Kuczok se termine par un appel : «Que la foudre tombe et détruise tout cela à jamais !» «Mais, écrit Kuczok, au lieu de la foudre, ils ont eu le fumier : soudain, ils ont senti une odeur se répandre dans toute la maison, jusqu'au grenier, ils ont eu peur et ont commencé à se demander “mais qu'est-ce qui peut bien puer ainsi ?”, inquiets que leurs consciences aient commencé à pourrir. […] Ils sont descendus, ont ouvert légèrement la porte et de l'eau avec de la merde s'est déversée sur le voisin qui habitait tout en bas ; une odeur infecte les a alors frappés. Les femmes se lamentaient en s'évanouissant : Jésus, les égouts sont en train de se répandre…»

Insulter la révolution de Solidarité et ses héros à l'aide des archives de la SB est pour certains un acte héroïque, pour d'autres c'est une grenade lancée dans les égouts: elle tuera certains, en blessera d'autres et tout le monde en sortira en sentant mauvais. Ainsi blessés, frustrés, salis, nous allons fêter le 25e anniversaire de la révolution de Solidarité. Il reste à espérer que le corps polonais rejettera le poison de cette histoire faussée et la dérive ignoble de la vie publique. Il reste à espérer qu'après ce déversement de boue on pourra encore retrouver le sens perdu, que nous saurons parler avec sagesse de ce que nous avons osé faire. Car démonter sans effusion de sang la dictature communiste, mettre en place une démocratie parlementaire et une économie de marché, regagner la souveraineté, retrouver la croissance économique, adhérer à l'Otan et à l'UE, assurer des frontières sûres, de bonnes relations avec les voisins et les minorités, ce n'est pas peu…

C'est pourquoi, vingt-cinq ans après août 1980, je me redis ce que le poète polonais Antoni Slonimski m'a appris. La Pologne est un pays d'événements magnifiques et surprenants ; à tour de rôle, l'ange et le diable sont dans le pot polonais. En Pologne tout est possible, même des changements pour le mieux. •

Traduit du polonais par Maja Zoltowska

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Wladyslaw Frasyniuk, ancien dirigeant clandestin de Solidarité

"Solidarité appartient à l'Europe tout entière"

LE MONDE | 30.08.05 | Wladyslaw Frasyniuk, vous êtes président du Parti démocratique et un des anciens dirigeants clandestins de Solidarité pendant l'état de guerre. Pourquoi ce 25e anniversaire de la signature des accords de Gdansk prend-il un tel relief ? Il est important de se rappeler l'esprit d'unité, de tolérance et d'ouverture qui a animé les événements d'août 1980. L'insurrection organisée par Solidarité est l'une des rares de notre histoire à avoir réussi. En Pologne on se souvient surtout des tragédies. Enfin, si le monde entier nous respecte, c'est grâce à ce combat. Et puis nous sortons de quinze années de douloureuses transformations politiques, économiques et sociales qui ont accouché d'une société pourrie par la pauvreté, dominée par un pragmatisme glacé où l'argent est la valeur suprême, où l'enrichissement personnel y compris en politique est la règle. La société est démoralisée. Cet anniversaire doit donc souligner qu'il existe des valeurs et une énergie positives indispensables pour que la société progresse. Il est important que les Polonais aient conscience de ce qu'ils ont apporté à la liberté en Europe.

Est-ce que l'invitation du président Alexandre Kwasniewski, un ex-communiste, est le signe d'une unité retrouvée ?

Je suis l'un des militants de Solidarité qui a passé le plus de temps en prison. Je suis la preuve vivante que la démocratie peut offrir une nouvelle vie politique, une deuxième chance. C'est aussi le cas pour (le président) Kwasniewski ou pour tous ceux qui n'ont pas eu le courage de se battre à l'époque pour la démocratie. Solidarité appartient à la société tout entière. Tout comme elle appartient à l'Europe centrale et orientale, à l'Ukraine, la Biélorussie, l'ex-Yougoslavie ou encore l'Amérique latine. Pourquoi alors la refuser au président Kwasniewski ?

L'actuel syndicat Solidarité poursuit-il l'action du mouvement d'avant 1989 ?

Solidarité a oublié ses racines. Ce n'est plus un mouvement moderne comme dans les années 1980. J'aurais aimé que le syndicat s'associe au processus de privatisation après 1989. Un syndicat moderne se bat pour créer des emplois stables. Aujourd'hui, les syndicats sont pratiquement absents du secteur privé. Leurs fiefs sont dans des secteurs qui grèvent l'économie du pays tels que les mines.

N'est-ce pas le populisme et le radicalisme qui risquent de canaliser le mécontentement ?

Il y a en Pologne environ 20 à 25 % de radicaux (ex-communistes, populistes, nationalistes...). Mais la société polonaise devient plus pragmatique. Nous vivons dans une économie de marché concurrentielle. Le problème est que les hommes politiques ont perdu le sens des responsabilités et que les gens qui ont réussi ou bien les jeunes ne veulent pas s'engager politiquement. Nous vivons encore dans une société post-esclavagiste typique. Pendant cinquante ans nous étions puni pour nos initiatives. Il fallait renoncer à ses ambitions, ses opinions. Tout était la faute des juifs, des francs maçons... Cela a survécu. Propos recueillis par Christophe Châtelot

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Vingt-cinq ans après les grèves de Gdansk, les héros sont fatigués

Jan Krauze, LE MONDE | 29.08.05 | Adam Michnik, Bronislaw Geremek, Tadeusz Mazowiecki, Wladyslaw Frasyniuk, Zbigniew Bujak : autour de Lech Walesa, ces hommes forçaient le pouvoir communiste, avec les accords de Gdansk du 31 août 1980, à reconnaître l'existence de Solidarité, le premier syndicat libre à l'est du rideau de fer. Aujourd'hui marginalisés, certains préparent tout de même les élections présidentielle et législatives de l'automne. D'autres se sont retirés de l'arène politique. Le Monde 2 les a rencontrés : espoirs et doutes, attentes et déceptions de ceux qui ont contribué à forger la Pologne actuelle.

Midi pile, le 4 juin 2005, dans la cour d'une ancienne redoute de la citadelle de Varsovie, construite à l'époque de l'occupation russe. Sous un soleil de plomb, les dirigeants du Parti démocratique présentent le candidat qu'ils ont choisi pour les représenter à l'élection présidentielle de l'automne. Ce Parti démocratique, récemment créé, n'est qu'une nouvelle mouture de l'Union de la liberté, une formation qui hébergeait la plus forte concentration des "élites" de Solidarité, de ceux qui ont accouché la nouvelle Pologne. Il y a là Tadeusz Mazowiecki, qui fut le premier chef d'un gouvernement démocratique, Wladyslaw Frasyniuk, un des anciens dirigeants clandestins du syndicat à l'époque de l'"état de guerre", désormais président du Parti démocratique. Pas mal de monde, mais pas vraiment foule. Quelques jeunes filles largement décolletées, quelques acteurs, la presse et la télé, de la musique, et d'autres anciens : Bronislaw Geremek, actuel député européen, ancien ministre des affaires étrangères, Jan Litynski, un ancien du KOR (le Comité de défense des ouvriers, créé en 1977).

Le jour et l'heure n'ont pas été choisis au hasard. Seize ans plus tôt exactement, le 4 juin 1989 s'étaient tenues les premières élections partiellement libres depuis la guerre. Une affichette éditée par Solidarité montrait un Gary Cooper arrivant à "midi pile" (High Noon, titre original du Train sifflera trois fois, de Fred Zinnemann) pour le règlement de comptes final. Et le miracle, inespéré, s'était produit : tous les candidats de Solidarité (ils avaient tous posé auprès de Walesa sur leurs affiches de campagne) avaient été élus… Les communistes, en dépit des 65 % de sièges qui leur étaient garantis, avaient pris une claque mémorable et définitive. Dans une Europe où le rideau de fer était toujours bien en place et les Ceausescu et autres Honecker toujours au pouvoir, la Pologne avait ouvert la voie dans laquelle toutes les autres démocraties populaires allaient sous peu s'engouffrer.

"AU LIEU DE LA DÉMOCRATIE, L'ARGENT"

Beaucoup d'eau a coulé depuis. Les hommes et les femmes de Solidarité se sont divisés. Walesa a écrasé Mazowiecki à la première élection présidentielle, en 1990, avant d'être battu à son tour par un ex-communiste rhabillé de neuf, l'actuel président Aleksander Kwasniewski, dont le second mandat arrive à son terme. Les anciens opposants au régime, les anciens militants du syndicalisme libre, se retrouvent désormais dans une multitude de partis, situés de la droite au centre gauche, qui vont s'affronter aux élections législatives, prévues également pour l'automne.

Mais c'est bien ici, dans la cour de ce petit fortin, qu'est en principe représenté, à son état le plus pur, l'esprit qui porta Solidarité : l'idéal d'une société libre, démocratique, solidaire. Et qui donc ces héros d'un autre temps ont-ils choisi, in extremis, pour les représenter à l'élection présidentielle ? Une femme, Henryka Bochniarz. Mais une femme qui est surtout connue pour présider une des principales organisations du patronat polonais. Par ailleurs ancienne communiste, membre du parti pendant l'"état de guerre" (au moment où les dirigeants de Solidarité étaient en prison) et jusqu'en 1991… Etrange choix. Les anciens de l'opposition démocratique n'ont-ils d'autre candidat à présenter qu'une représentante du business, communiste reconvertie, même si elle est par ailleurs énergique et respectée ?

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Est-ce ainsi qu'ils peuvent retrouver les faveurs d'un électorat dégoûté par les connexions trop voyantes, dans la Pologne d'aujourd'hui, entre les affaires et la politique, par tous ceux qui n'ont toujours pas digéré l'oubli des idéaux sociaux et éthiques du premier syndicat "libre" ? "Au lieu de la démocratie, l'argent. Au lieu d'une grande idée, l'argent (…). Au lieu de la dignité, de l'honneur et de la solidarité, l'argent." C'est Adam Michnik, une autre grande figure de l'ex-opposition, qui l'écrit. En principe, il parle de l'époque de la Restauration française, et du dégoût qu'elle inspirait à Stendhal. Mais l'"essai" qu'il a publié dans les colonnes de son journal, Gazeta, est ostensiblement à double sens. Ce pays où "disparaissent les gens qui portent une idée, et où s'avancent ceux qui font carrière", ce pays où tout se vend, où le grand souffle napoléonien a laissé la place à la médiocrité affairiste, c'est sans doute la France de 1820, mais c'est surtout la Pologne d'aujourd'hui, vue par un Michnik étrangement amer. Un Michnik qui refuse de nous parler – "je suis en dehors de tout" – et qui a même pris ses distances avec son propre journal. Ce tout petit "journal électoral", créé précisément au printemps 1989 pour relayer les idées des candidats de Solidarité, et qui est devenu en quelques années une énorme success story, un "énorme business", comme Michnik lui-même le soulignait il y a quelques années. Mais qui désormais a cédé sa place de premier quotidien polonais à un tabloïd plutôt nauséabond lancé par un groupe de presse allemand, Springer.

UN MONDE POLITIQUE MALADE

La Pologne, décidément, a bien changé. Mais le tableau est-il aussi noir que veut bien l'écrire Adam Michnik ? Non, répond Bronislaw Geremek, aujourd'hui installé dans un vaste appartement moderne – cela fait belle lurette qu'il a quitté son antre de la vieille ville encombré de livres et où il était constamment sur écoutes, du temps de l'ancien régime. "Le texte d'Adam est brillant, mais ce n'est pas une analyse politique juste." Pour le professeur diplomate, ce n'est pas la Pologne qui est malade, mais le monde politique polonais. Avec une corruption pas forcément pire qu'ailleurs, mais qui est devenue "un problème fondamental du débat public". Ce qui nourrit les extrémismes, les partis populistes, mais aussi les programmes autoritaires. En particulier celui des frères Kaczynski, des jumeaux, eux-mêmes anciens de Solidarité, qui dirigent le parti le mieux noté dans les sondages d'opinion, Droit et justice. Ils réclament le rétablissement de la peine de mort ; ils veulent surtout balayer ce qu'on appelle en Pologne la "troisième république" (celle qui est née en 1989 avec le retour de la démocratie) et agitent l'idée d'un état d'exception. Un programme que Geremek juge "jacobin", voire "bolchevique". Pour lui, la "troisième république" – la Pologne d'aujourd'hui – n'est pas à jeter. Certes, Solidarité était "une révolution morale", et il ne pensait pas qu'elle conduirait à une société où "l'argent est devenu le critère unique", où "les remarquables succès macro-économiques du pays accentueraient à ce point les contrastes sociaux, créant un sentiment d'injustice". Mais, avec tous ses défauts, ses "pathologies de haine et d'envie", elle est bien un pays "libre et indépendant". Ce pays dont il rêvait jadis, dans l'opposition, sans espérer jamais le voir de son vivant. "La Pologne va mieux que les Polonais ne le disent." Cette fois, c'est Tadeusz Mazowiecki qui parle. L'intellectuel catholique qui avait ferraillé pendant des décennies avec les communistes, dans les limites tolérées par le système, est à présent un vieux monsieur de 78 ans, mais il n'a pas changé. Il parle toujours aussi lentement, en choisissant soigneusement ses mots, et affiche une modération de propos parfois encanaillée d'une lueur d'ironie. C'est lui qui, en tant que premier ministre, a dû assurer la transition entre le régime socialiste et la démocratie, lui qui a assumé le lancement de réformes économiques radicales (le plan Balcerowicz) qui ont propulsé rapidement la Pologne en tête du développement économique de la région, mais aussi suscité un immense désarroi, une profonde déception, en particulier dans la classe ouvrière, qui avait fourni les gros bataillons de Solidarité. Il l'avait payé cher, avait subi une défaite humiliante à l'élection présidentielle. Un peu plus de vingt ans après, Mazowiecki apparaît pourtant dans les sondages comme le meilleur premier ministre qu'ait connu la Pologne démocratique. L'incarnation de la probité, du refus des compromissions, d'une indépendance d'esprit qu'il avait aussi manifestée pendant la guerre de Bosnie, quand il avait démissionné de ses fonctions de délégué spécial de l'ONU, scandalisé par la lâcheté des Occidentaux après le massacre de Srebrenica.

DES DIFFICULTÉS SOCIALES NON RÉSOLUES

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Que pense-t-il aujourd'hui de l'état de son pays ? Il est à la fois "content et déçu". Content, parce que "c'est une démocratie ouverte, avec une forte démocratie locale, bon nombre d'organisations non gouvernementales" (il nous reçoit , comme d'habitude, au siège de la Fondation Schuman [qui soutient les nouvelles démocraties européennes] qui lui réserve depuis des années un bureau). Et puis ses compatriotes sont encore, à l'occasion, capables d'impressionnantes manifestations d'unité nationale. La plus récente, celle qui a suivi la mort du pape, a même "dépassé toutes ses attentes", avec ces immenses rassemblements de jeunes qui s'étaient spontanément contactés par SMS pour se retrouver et se recueillir ensemble. Cette disparition, par parenthèse, n'a pas seulement secoué la jeunesse, la "génération Jean Paul II", mais a aussi eu de curieux effets sur certains personnages politiques. Ainsi Lech Walesa et son successeur ex-communiste Aleksander Kwasniewski se sont-ils publiquement réconciliés, à Rome et en présence de Mazowiecki. Depuis, ils affichent les meilleures relations du monde. Walesa, qui nourrissait jusque-là le plus total mépris pour l'actuel président, a exigé qu'il soit invité à la célébration solennelle du 25e anniversaire des accords de Gdansk, le 31 août, et en attendant il l'a invité chez lui, pour sa fête, laquelle est du coup devenue une manifestation d'unité nationale… Mais alors, par quoi donc l'ancien premier ministre est-il déçu ? Par le spectacle offert par le monde politique, et surtout par l'incapacité du pays à résoudre les difficultés sociales, l'exclusion, le chômage (18 % en moyenne, avec, dans certaines régions, des niveaux catastrophiques, 35 % au nord de la Mazurie). Il en prend sa part de responsabilité : "Sans doute quelques erreurs ont-elles été commises, mais personne n'avait l'expérience de la transition entre le socialisme et le capitalisme. Si j'avais su qu'il y aurait 18 % de chômeurs, je serais peut-être allé moins vite." Mais on ne refait pas l'histoire, surtout quand elle a tout bousculé. Entre le moment où Mazowiecki est apparu, en août 1980, au chantier Lénine de Gdansk, en tant qu'"expert", auprès des ouvriers en grève, et la naissance de Solidarité, premier mouvement indépendant du monde communiste, il ne s'était écoulé que quelques semaines. Et après les élections décisives du printemps 1989, il n'imaginait pas qu'il puisse s'agir d'autre chose que d'"élargir le champ des libertés". Mais deux mois plus tard, quand il a pris la tête du gouvernement – le général Jaruzelski, l'homme qui l'avait fait interner au moment de l'"état de guerre", étant toujours président –, il a acquis la conviction qu'un vrai changement, la démocratie et la liberté "étaient possibles". Aujourd'hui encore, il entend lutter contre le "sentiment d'impuissance". Cette "troisième république", qu'il a portée sur les fonts baptismaux, il voudrait en "corriger les défauts", mais surtout pas la détruire au profit d'un "modèle autoritaire de type sud-américain".

RÉVÉLÉS DANS UNE SITUATION D'EXCEPTION

Changement de décor, changement de génération : on est au siège du Parti démocratique, avec son président, Wladyslaw Frasyniuk. Il respire l'énergie, la confiance – lui qui a la lourde tâche d'essayer de faire revivre une formation dont la précédente mouture (l'Union de la liberté) n'a même pas réussi à entrer au Parlement. Frasyniuk, c'est l'un de ces ouvriers (il était mécanicien) qui n'avaient pas froid aux yeux quand il fallait se battre contre le système communiste. Pendant l'"état de guerre", alors qu'il était recherché par toutes les polices, il se payait le luxe de distribuer lui-même des tracts dans les tramways… En prison, il s'était très vite fait adopter par le "milieu", les voleurs et les assassins, ses codétenus. La prison était sa "deuxième maison", persuadé qu'il était que le succès contre ce régime était hors de portée. "Moi, je suis un représentant du socialisme", explique celui qui dirige un parti tenu aujourd'hui pour élitiste. Il rappelle que ses parents se sont rencontrés "pendant un défilé du 1erMai". Et que Solidarité, incontestablement, portait des "valeurs de gauche". Alors pourquoi avoir choisi, pour la prochaine élection présidentielle, cette représentante du monde des affaires, par ailleurs ex-communiste ? Parce qu'aujourd'hui "80 % des Polonais travaillent dans le secteur privé". Parce qu'à Wroclaw (sa ville d'origine), en août 1980, "le chef du comité de grève était au parti", et parce que "la démocratie donne une seconde chance". Frasyniuk et ses amis n'ont sans doute pas fait le bon choix (depuis sa désignation, leur candidate n'a jamais réussi à émerger du tréfonds des sondages, et une défaite cuisante se profile). Ont-ils perdu la main, ou bien ont-ils toujours, au fond, été étrangers au monde de la politique normale, ces hommes et ces femmes qui se sont révélés dans une situation d'exception ? Zbigniew Bujak est, parmi eux, un cas extrême, l'exemple peut-être le plus pur de ce que la Pologne était et de ce qu'elle n'est plus. Bujak, c'était une véritable légende. Ouvrier de l'usine de tracteurs d'Ursus, gréviste de la première heure, il était devenu le chef de la principale organisation

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régionale de Solidarité, celle de la Mazovie (autour de Varsovie) : plus de 1 million d'adhérents en 1981. Le jour de la proclamation de l'"état de guerre", il avait réussi à échapper à l'arrestation, et était devenu le chef de la direction clandestine du syndicat. Déguisements, postiches, changements constants d'appartement, organisation de manifestations interdites, rencontres hautement risquées avec Walesa (et plus tard Frasyniuk), arrestation et… libération (les policiers ne l'avaient pas reconnu !). Et aussi une mémorable rencontre avec les représentants du New York Times et du Monde au terme d'un étonnant parcours destiné aussi bien à semer les policiers qu'à démontrer l'efficacité de l'organisation des structures clandestines… Bujak, c'était Robin des Bois, pendant plus de quatre ans, et quand il a fini par tomber, en 1986, à un moment où l'opposition touchait le fond, le régime socialiste avait cru tenir sa victoire définitive.

"QUELQUE CHOSE NE FONCTIONNE PAS"

Aujourd'hui, Bujak a 50 ans, et il prépare un doctorat de sciences politiques sur "les effets pervers des réformes systémiques"... Et c'est, comme il se doit, à la cafétéria du siège de l'Académie des sciences qu'il nous parle, des heures durant, de ses convictions, de ses expériences, amères parfois. Sa soif d'apprendre, de théoriser ce qu'il a vécu n'est pas nouvelle. Mais cela ne fait pas si longtemps qu'il a, définitivement semble-t-il, renoncé à participer au jeu politique. Sa tentative de créer, au début des années 1990, un petit parti de gauche fidèle aux idéaux sociaux de Solidarité avait fini en quenouille. Et Bujak, renonçant au Parlement et à la grande politique, avait décidé de mettre les mains dans le cambouis, d'éprouver ses forces dans l'administration : l'ancien clandestin était devenu président de l'office des douanes, avec pour ambition de mettre de l'ordre et de la moralité dans un monde notoirement corrompu. Et il a eu l'impression de faire œuvre utile, d'apporter la preuve qu'il était "facile, si on le voulait, de corriger certaines choses".

Le retour des communistes lui ayant fait perdre son poste, il s'était imaginé un autre rôle, une autre tâche bien concrète : devenir maire de Varsovie. Dans la campagne électorale, il portait les couleurs de ses anciens amis de l'Union de la liberté. Avec, outre sa notoriété, sa réputation d'homme probe et droit, un avantage non négligeable : l'ancien ouvrier qui, après sa libération de prison, s'était attelé, pour survivre, à la création d'un atelier de fabrication de clous, était riche, et pouvait financer sa campagne. Riche par procuration, par un heureux coup du sort : au moment du lancement du journal Gazeta, en 1989, il figurait parmi les premiers actionnaires "symboliques", aux côtés du cinéaste Andrzej Wajda. Et quand le journal, devenu immensément prospère, est entré en Bourse et a décidé de récompenser ses anciens, des chauffeurs aux rédacteurs en chef (Adam Michnik a été le seul à refuser la manne), Bujak s'est vu attribuer un peu plus de 1 million de dollars. De quoi financer sa campagne… et la poursuite de ses études. Hélas, la campagne pour la mairie s'était soldée par un échec cuisant : 2,8 % des voix. Cela lui a fait très mal et, à vrai dire, aujourd'hui il ne comprend pas vraiment pourquoi. Il pensait qu'il fallait "être ouvert, dire la vérité", mais ensuite on lui a expliqué que c'était "une erreur cardinale, qu'il ne fallait rien dire de concret, rien dévoiler de ses convictions". C'en était fini d'"une certaine manière de faire de la politique", la sienne. Alors il a repris ses livres. Il croit aux vertus de l'enseignement, dirige un séminaire d'étudiants – quitte à s'interrompre quelques semaines pour aller à Kiev, l'automne dernier, pour retrouver le souffle de la révolution et apporter, avec beaucoup d'autres Polonais, son soutien aux démocrates ukrainiens. Parfois, il lui faut aussi défendre son honneur, quand par exemple un "historien" prétend établir que son évasion, sous l'"état de guerre", était une mise en scène de la police politique : la Pologne d'aujourd'hui est malade de la théorie du complot, les plus zélés dans les "révélations" les plus aberrantes étant ceux qui étaient prudemment restés à l'écart de la bagarre contre le régime. Pour le reste, il porte un regard un peu triste, un peu désabusé sur l'état de son pays, où "quelque chose ne fonctionne pas", où le spectre de l'autoritarisme est toujours présent. Cela ne l'empêche pas de se dire "optimiste", d'être convaincu de faire œuvre utile en expliquant à ses étudiants qu'il faut faire le pari de la liberté, de la confiance et de la responsabilité, et "leur enlever de la tête les solutions autoritaires". Et il croit à son doctorat, où il décrit "le rejet des élites qui ont conduit la transformation d'un système". Mais il ne se présentera plus jamais à une élection. Et cite avec le sourire Hanna Arendt : "Triste est le sort des héros qui ne sont pas morts d'une mort héroïque."

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Solidarnosc, le désenchantement en trompe l'œil

Sylvie Kauffmann, LE MONDE | 30.08.05 |

Lech Walesa va rendre sa carte à Solidarnosc, un syndicat de travailleurs auquel il n'a plus guère de raisons d'adhérer. Adam Michnik, le brillant conseiller de Solidarité devenu patron de presse, s'est mis à l'écart des festivités du 25e anniversaire des accords de Gdansk qui, le 31 août 1980, donnèrent naissance au premier syndicat indépendant du monde communiste.

Jacek Kuron, son compère, génial tacticien de la "table ronde" qui devait signer la perte du pouvoir communiste en 1989, a succombé en 2004 à un cancer.

Et Karol Wojtyla, ce pape polonais dont le premier voyage dans sa terre natale, en 1979, enhardit tant de ses compatriotes qu'ils trouvèrent presque naturel, l'année suivante, de participer en masse à la création de Solidarité, a disparu à son tour, laissant une Pologne orpheline.

Ces jours-ci, Adam Michnik distille sa perplexité dans une puissante analyse empreinte d'amertume que vient de publier son quotidien Gazeta Wyborcza , sous le titre "A la recherche du sens perdu". Il y parle du succès littéraire du moment, signé d'un jeune homme qui a grandi avec Solidarité, Wojciech Kuczok ; Kuczok dépeint ses contemporains de 2005, une société polonaise triste et médiocre, "pourvue de racines et de branches mais vide en son milieu" et repliée sur elle-même. Michnik refuse cette vision, comme il rejette la lecture négative de l'histoire de Solidarité à travers une chasse aux prétendus collaborateurs.

Les Polonais ne sont pas connus pour leur propension immodérée à l'optimisme et cet anniversaire ne démentira pas leur réputation. Du taux de chômage le plus élevé de l'Union européenne (près de 18 %) à l'émiettement de partis politiques dans lesquels on cherche en vain le souffle de l'épopée glorieuse de 1980-1989, les raisons du désenchantement ne manquent pas.

Plutôt que de se complaire dans l'idée qu'il passera à la postérité comme le premier chef de gouvernement non communiste du bloc de l'Est, Tadeusz Mazowiecki, à 78 ans, dissèque les erreurs qu'il aurait peut-être pu éviter si seulement il y avait eu un précédent à cette expérience historique de transition à l'économie de marché.

L'ironie a voulu que "Solidarité, un mouvement syndical, culturel et religieux, devienne le constructeur du capitalisme de la Pologne", souligne Aleksander Smolar, qui fut le conseiller politique de M. Mazowiecki. Certains ne reculent pas devant le mot de trahison à propos de la classe ouvrière.

[…] Les milliers de militants raflés par les soldats du général Jaruzelski une froide nuit de décembre 1981 imaginaient-ils que, si peu de temps après, leur pays non seulement aurait recouvré pacifiquement son indépendance mais aurait en prime accédé au club fermé de l'Europe ? Si fermé que leurs amis de l'Ouest s'étaient ingéniés un temps à imaginer toutes sortes de succédanés, comme le projet de Confédération cher à François Mitterrand, pour les garder à distance respectueuse...

Aujourd'hui, non seulement la Pologne est membre de l'Union européenne mais à certains égards elle a aussi renoué, par une audacieuse politique de soutien à la démocratisation à l'Est, avec un activisme au sein même de l'Europe des 25 qui n'est pas totalement étranger au rôle de pionnier que Solidarnosc avait joué en 1980 vis-à-vis du reste du bloc socialiste.

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En Ukraine l'hiver dernier, en Biélorussie aujourd'hui, la classe politique polonaise exporte volontiers son credo démocratique. Lech Walesa comme Aleksander Kwasniewski, l'ancien membre du comité central du Parti communiste polonais devenu président de Pologne en se flattant de n'avoir jamais lu un manuel de marxisme-léninisme, se sont rendus à Kiev pour encourager la révolution orange. Varsovie a même joué un rôle moteur à Bruxelles pour entraîner la diplomatie européenne dans son soutien ouvert à l'équipe de Viktor Iouchtchenko face à un adversaire soutenu par Moscou.

L'HÉRITAGE

Il y a bien là un lien avec l'héritage de Solidarité. La génération aujourd'hui au pouvoir en Pologne, reconnaît M. Smolar, appartient à une classe d'âge, à une classe intellectuelle et politique qui a été imprégnée par la culture d'opposition démocratique et de résistance à l'URSS. Pour des raisons évidentes, la sensibilité antitotalitaire est plus forte dans la nouvelle Europe. L'un des candidats aux élections du 7 octobre, Donald Tusk, un ancien de Solidarité, ne vient-il pas de redorer son blason en allant soutenir la minorité polonaise en Biélorussie, très active dans l'opposition au président Loukachenko ? Il est, depuis, en hausse dans les sondages.

C'est aussi cette fidélité à l'idéal démocratique des années 1980, et au soutien sans faille apporté à Solidarité par les Etats-Unis, qui explique en grande partie l'alignement de la Pologne sur la position américaine lors de l'invasion de l'Irak, si mal perçue par ses partenaires européens.

Enfin, la longue et douloureuse histoire des relations polono-russes, et surtout polono-soviétiques, fait aussi partie de l'héritage de Solidarité, et il est rare qu'un commentateur polonais évoque la politique orientale actuelle de Varsovie sans mentionner dans le même souffle l'évolution à Moscou. On cite volontiers, à Varsovie, cette phrase de l'ancien conseiller du président Carter, Zbigniew Brzezinski : "La Russie sans l'Ukraine, c'est une hypothèse démocratique ; la Russie plus l'Ukraine, c'est un empire." D'où l'intérêt réel de la Pologne pour que l'entreprise démocratique réussisse chez son voisin ukrainien.

L'activisme de la Pologne en la matière comporte aussi des risques. Son soutien à l'opposition démocratique biélorusse n'est pas sans conséquences diplomatiques, comme en témoigne la série d'incidents, entre expulsions et agressions, qui a assombri ces derniers temps les relations entre Moscou et Varsovie.

De 1980 à 1990, le mouvement a connu diverses phases du soviétisme. "Sciemment ou non, Gorbatchev participait à une entreprise de destruction , souligne aujourd'hui Bronislaw Geremek. A présent, nous sommes face à une volonté de reconstruction impériale à Moscou, et la Russie voit dans la Pologne l'avant-garde européenne de l'opposition à ses desseins." Là encore, les héritiers de Solidarité sont en terrain familier.

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Le 25e anniversaire de Solidarité anime le débat politique en Pologne

LE MONDE | 27.08.05 | GDANSK de notre envoyé spécial Le 25e anniversaire de la signature des accords de Gdansk marquant la création, le 31 août 1980, de Solidarnosc, premier syndicat libre dans l'espace soviétique, sera faste avec la présence d'une vingtaine de chefs d'Etat ou de gouvernements étrangers mais controversé, à quatre semaines des élections générales en Pologne. Si chacun s'accorde sur le caractère historique de cet événement qui fit vaciller le bloc communiste jusqu'à son effondrement dix ans plus tard, la présence du président polonais, Alexandre Kwasniewski, un ex-communiste reconverti à la social-démocratie, fait grincer des dents les membres de l'actuel syndicat Solidarité.

Sa présence est certes le signe d'un apaisement seize ans après la chute du régime, mais la controverse souligne la persistance des divisions au sein de la classe politique et dans la société. "Il était de l'autre côté de la table ronde", rappelle Teresa Zabza, de la commission nationale de Solidarité, en référence aux négociations de 1989 entre les communistes et l'opposition qui débouchèrent sur les premières élections semi-libres en Pologne.

"Cette fête nous appartient, je ne vois pas l'intérêt de l'inviter", ajoute cette militante de la première heure. Le syndicat organise d'ailleurs un congrès international la veille de la cérémonie officielle, qu'elle menace de bouder. "J'appartiens à la vieille génération, et tout le monde ne partage pas mon avis", ponctue Teresa Zabza. C'est notamment le cas de Bogdan Lis, l'un des leaders historiques du mouvement, président de la Fondation Solidarité et organisateur des cérémonies officielles aux côtés de l'ancien président Lech Walesa et de la municipalité de Gdansk. "Kwasniewski a été élu démocratiquement, le Parlement [dominé par les ex-communistes du SLD] a proclamé le 31 août jour de fête d'Etat, il n'y avait pas de raison de ne pas inviter les plus hautes autorités du pays", ajoute-t-il.

Il y a cinq ans, c'était inimaginable. "L'atmosphère a changé", observe Alexandre Smolar, spécialiste de la Pologne au CNRS. Il perçoit également des arrière-pensées politiques à l'approche des élections législatives et présidentielle d'automne. "On assiste à une montée de la droite, qui insiste sur le retour aux traditions nationales et aux valeurs morales en opposition au pragmatisme des années 1990, qui a débouché sur un accroissement de la pauvreté d'une partie de la population et la multiplication des scandales politico-financiers, ajoute-t-il. Solidarité, comme mouvement national et catholique, est donc une référence."

UN SUCCÈS AVÉRÉ

Et puis, entre-temps, le Prix Nobel de la paix et dirigeant mythique du mouvement, Lech Walesa revenu sur le devant de la scène médiatique après avoir été ignoré pendant de longs mois, s'est réconcilié avec le président Kwasniewski pendant les obsèques du pape Jean Paul II, en avril. Il a également participé à un débat télévisé avec le général Jaruzelski, celui qui en décembre 1981 décréta l'Etat de guerre qui plongea Solidarité dans l'illégalité et jeta des milliers de ses militants en prison.

Autre signe de changement, plus anecdotique, Lech Walesa tournera définitivement la page en rendant sa carte du syndicat à l'issue des cérémonies afin de ne pas "devenir l'arrière-grand-mère de Solidarité", nous a-t-il déclaré. "Aujourd'hui, Solidarité est un syndicat de 500 000 membres, j'en avais 10 millions", ajoute, toujours bravache, le premier président de la Pologne démocratique.

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La présence du chef de l'Etat polonais aux cérémonies du jubilé permet de donner un relief international à l'événement. Elle permet la venue de représentants étrangers, dont les présidents ukrainien Viktor Iouchtchenko, géorgien Mikhaïl Saakachvili, et allemand Horst Köhler, mais aussi le président de la Commission européenne, José Manuel Durao Barroso, et le Tchèque Vaclav Havel.

Alexandre Smolar remarque "le sentiment d'injustice chez les Polonais, qui estiment que l'Allemagne a raflé la mise historique du processus d'effondrement du communisme associé dans l'imaginaire universel à la chute du mur de Berlin". Les Polonais, ajoute M. Smolar, rappelleront, "à raison, que tout a commencé en Pologne, que la naissance de Solidarité en 1980 et la table ronde de 1989 sont un modèle de révolution pacifique". "L'Europe a besoin de l'esprit qui animait Solidarité, elle lui est redevable", résume Lech Walesa.

Un "esprit" dont chacun essaie aujourd'hui de tirer profit. Jusqu'au SLD bâti sur les ruines d'un Parti ouvrier unifié polonais (POUP, communiste), mais qui a cyniquement détourné le célèbre manifeste en 21 points de 1980 pour sa campagne électorale, en insistant sur sa dimension sociale. Dimension oubliée sur la route d'une douloureuse transition économique, comme l'illustre l'avenir incertain des chantiers navals, foyer de la révolte, il y a vingt-cinq ans, sur les bords de la Baltique. Mais finalement, pour Pawel Adamowicz, maire de Gdansk (opposition libérale), "que l'ancien régime essaie de se réapproprier l'histoire de Solidarité prouve son succès".

Christophe Châtelot

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Autour des chantiers navals au bord de la faillite, la fierté le dispute à l'amertume Les héros désenchantés de Gdansk

Gdansk : de notre envoyée spéciale Arielle Thedrel. [Le Figaro, 31 août 2005]

Cela fait bientôt vingt ans que Roman Galezowski travaille aux chantiers navals de Gdansk. Il est délégué du syndicat Solidarnosc, et son bureau se trouve tout au bout de la rue du magasin 250, une route poussiéreuse bordée d'herbes folles et de hangars aussi déserts que délabrés. Par la fenêtre, on aperçoit au loin des silhouettes d'ouvriers s'affairant sur un cargo flambant neuf destiné à un armateur allemand.

Des bateaux, on n'en construit plus beaucoup sur ces chantiers qui furent jadis l'un des fleurons industriels de la Pologne communiste. «Cette année, à peine quatre bâtiments de 30 000 tonnes en moyenne, précise Roman Galezowski. Et de 17 000 employés au début des années 80, nous sommes tombés à 3 500.» Surendettés, en permanence au bord de la faillite, les chantiers tournent aujourd'hui au ralenti. Rattachés aux chantiers de Gdynia, la ville voisine, dont l'Etat reste l'actionnaire majoritaire, ils n'occupent plus que les 70 hectares de l'île Ostrow, entre la Vistule et le canal Leniwki. Les 80 hectares restants ont été vendus à une société américaine, Synergia, et à une multitude de petites et moyennes entreprises liées ou non aux activités des chantiers.

En août 1980, Roman Galezowski était venu soutenir les milliers de grévistes qui osèrent défier le pouvoir communiste, mais, pour lui, les cérémonies officielles du 25e anniversaire de Solidarité seront surtout l'occasion de «faire savoir que ça va mal et qu'il se sent trahi».

A quelques centaines de mètres de là, sur le fronton du petit immeuble abritant le siège du syndicat, le sigle en lettres rouges de Solidarité surmonté du drapeau polonais est resté intact. Le syndicat n'a pourtant plus grand-chose à voir avec le formidable mouvement de masse des années 80, lorsque les Polonais, toutes tendances politiques confondues, s'étaient unis pour abattre l'ennemi commun. «Et c'est bien normal, explique son président, Janusz Sniadek. En août 1980, nous luttions pour l'indépendance, la liberté, la démocratie. Tout cela est désormais acquis. Les défis d'aujourd'hui sont d'une autre nature.»

Solidarité revendique aujourd'hui quelque 700 000 adhérents, contre dix millions en 1980, et son aura s'est sérieusement ternie. Fer de lance des réformes autrefois, il n'est plus à présent que l'avocat des perdants de la transition. Abandonné par la plupart de ses leaders historiques, ce n'est plus qu'un syndicat banal où, selon l'historien Aleksander Hall, ex-leader du mouvement des années 80, «la bureaucratie pèse hélas plus que le sens du bien commun». Lech Walesa lui-même menace de rendre bientôt sa carte, irrité par les multiples obstructions du syndicat à l'organisation des cérémonies officielles. A la mi-août, les ouvriers des chantiers ont défilé en souvenir des grèves d'août. L'ancien aumônier de Solidarité, Henryk Jankowski, en a profité pour prononcer une homélie fustigeant «les commissaires de Bruxelles, les gourous de Washington, les francs-maçons anticatholiques et les banquiers juifs».

A Gdansk, les héros sont fatigués. Le père Jankowski habite toujours près de l'église Sainte-Brigitte, mais ses litanies antisémites et des soupçons de pédophilie lui ont valu d'être révoqué. Proche des ultracatholiques de Radio Maryja, Anna Walentynowicz, la pasionaria des chantiers, celle par qui tout avait commencé, tire aujourd'hui à boulets rouges sur Lech Walesa, coupable, selon elle, d'avoir défiguré les idéaux de Solidarnosc. Andrzej Gwiazda, cofondateur du syndicat, en fait de même,

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accusant son ancien compagnon de lutte d'avoir collaboré avec la police politique communiste. Quant à Lech Walesa, spectaculairement désavoué à la dernière élection présidentielle (1% des suffrages), il semble enfin avoir renoncé à la politique, se contentant désormais de donner des conférences à travers le monde ou de recevoir des journalistes dans son bureau, au coeur de la vieille ville de Gdansk envahie de touristes. Son fils Jaroslaw, 28 ans, rêve de prendre la relève. Il est candidat aux législatives de septembre sur la liste de la Plate-Forme civique, un parti libéral en tête des sondages.

Tenté il y a quelques années par la politique, le légendaire syndicat y a finalement renoncé après un cinglant camouflet aux dernières élections. Il ne se prive pas pour autant de manifester sa préférence pour le PIS, un parti de droite nationaliste et catholique. C'est qu'à l'approche des élections législatives et présidentielle de cet automne, le 25e anniversaire de «Mademoiselle Solidarité», comme on l'appelait autrefois, attire une foule de prétendants. A la télévision, les spots électoraux des deux principaux candidats de la droite à la présidence, Donald Tusk et Lech Kaczynski, se réfèrent aux événements de l'époque. Malin, le populiste Andrzej Lepper, chef de Samoobrona, un parti qui abrite pourtant bon nombre d'anciens apparatchiks, a repris à son compte le vieux clivage qui caractérisait la République populaire de Pologne : «eux et nous». La gauche ex-communiste n'est pas en reste. Sans complexes, son nouveau président, Wojcieh Olejniczak, âgé de 31 ans, vient de revendiquer dans un encart publicitaire les 21 points de l'accord signé le 31 août 1980 !

Bogdan Lis, ancienne figure de proue du syndicat, aujourd'hui chef d'entreprise et président de la Fondation Solidarité, s'en amuse. «Tout le monde essaie à présent de s'approprier l'héritage de Solidarité.» Lui-même vient d'adhérer à une nouvelle formation politique, le Parti démocratique, qui regroupe d'anciens leaders du syndicat et des ex-communistes réformateurs. Un mariage sans la moindre équivoque, à en croire Bogdan Lis, car «nous ne laissons pas entrer n'importe qui».

Retiré dans son modeste pavillon à Sopot, station balnéaire à la mode, mitoyenne de Gdansk, Aleksander Hall observe avec philosophie son ancienne famille laver son linge sale en public. «Bien sûr que Walesa s'est révélé par la suite autoritaire et hâbleur, que Gwiazda et Valentinowicz sont des utopistes et que les ouvriers des chantiers navals ont le sentiment d'avoir été floués. Les réalités de l'économie de marché et l'individualisme qu'engendre le modèle capitaliste ne favorisent pas les valeurs de l'ancienne Solidarité. Mais cela n'enlève rien au fait que ces grèves d'août ont marqué le début de la fin du communisme à l'Est. Elles ont constitué l'acte fondateur d'une nouvelle donne géopolitique en Europe. Ce sont elles qui ont rendu possible la chute du mur de Berlin.»

Journaliste et ancien clandestin de Solidarité, Konstanty Gebert ne dit pas autre chose : «Nous fêtons quelque chose qui n'existe plus. Mademoiselle Solidarité est morte. N'empêche, elle a laissé une progéniture. Nous l'avons constaté encore récemment en Ukraine. La Pologne qu'elle a enfantée est un succès extraordinaire. Pour cela, elle mérite de belles funérailles.»

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«Je savais que la victoire arriverait»

SABINE VERHEST. 30/08/2005

Le 31 août 1980, les grévistes des chantiers navals de Gdansk, emmenés par Lech Walesa, obtiennent gain de cause. Solidarité peut voir le jour. Retour sur les événements avec quelques-uns de leurs acteurs.

Un vieil homme plié sur sa canne lit consciencieusement les mots gravés sur le monument à la mémoire des ouvriers polonais tombés sous les balles en 1970. «Ils ont sacrifié leur vie pour que tu puisses vivre dans la dignité.» A deux pas, un père accroupi près de son jeune fils regarde, à travers la célèbre grille d'entrée, ce qu'il reste des chantiers navals de Gdansk, 25 ans après les grandes grèves qui permirent la construction du monument et, surtout, donnèrent naissance au premier syndicat libre, Solidarnosc. L'été 1980 est particulièrement chaud. La hausse du coût de la vie dans une Pologne accablée par la crise économique entraîne dans plusieurs grandes entreprises du pays des arrêts de travail qui échappent au contrôle des organisations syndicales officielles. Aux chantiers navals de Gdansk, c'est le licenciement d'Anna Walentynowicz pour activités syndicales illégales qui met le feu aux poudres.

Avec Lech Walesa, «nous étions cinq et nous avons commencé à organiser la grève le 9 août», explique Jerzy Borowczak, 48 ans et toujours une allure de jeune homme. Vers 6 h du matin, le 14 août 1980, les compagnons pénètrent sur le chantier Lénine et poussent les 17000 ouvriers à la grève. Walesa «n'a pu arriver qu'à 10h30, parce qu'il était suivi depuis 5 h du matin». Agé de 37 ans à l'époque, il avait été engagé en 1967 comme électricien aux chantiers navals. Il participa à la révolte ouvrière de 1970, se lia à l'opposition démocratique en 1976 et finit licencié. «Je ne suis pas devenu chef par hasard», se gargarise-t-il aujourd'hui.

Très vite pourtant, les ouvriers obtiennent ce qu'ils demandent. «Quand je suis arrivée aux chantiers le 16 août, j'ai appris que la grève allait finir», se souvient Henryka Krzywonos, 51 ans, qui, la veille, avait stoppé son tram et paralysé les transports en commun. «Je leur ai expliqué que, sans eux, nous allions être anéantis.» Deux femmes, dont Walentynowicz, prennent sa défense, «et les ouvriers ont fait demi-tour. Walesa a dit: «Puisque c'est comme ça, on continue». Il n'allait pas vaincre trois femmes!».

Cette grève de solidarité - d'où le nom - se structure, les comités avancent des revendications non seulement matérielles, comme l'augmentation des salaires et la création de crèches, mais aussi politiques, telles que la reconnaissance de syndicats libres, le droit de grève ou la liberté d'expression et d'information. «C'étaient aux demandes politiques que les ouvriers tenaient le plus», se souvient Bronislaw Geremek, 73 ans, aujourd'hui eurodéputé.

Cet ancien ministre des Affaires étrangères (1997-2000) n'est pas arrivé à Gdansk par hasard. «Des amis journalistes m'avaient raconté qu'il y avait dans ce mouvement une détermination, un espoir et donc un danger sans précédent. Dans les milieux de l'opposition démocratique à Varsovie, nous avons pensé qu'il fallait faire quelque chose.» Lui et Tadeusz Mazowiecki, qui deviendra Premier ministre en 1989, sont chargés d'apporter aux ouvriers une lettre de soutien des intellectuels. Sur place, le 22 août, «Walesa nous a dit: nous n'avons que faire de lettres, mais nous avons besoin d'être aidés, parce que nous risquons d'être roulés». C'est ainsi que les ouvriers s'entourent d'experts, dissidents et intellectuels opposés au régime. «Nous étions très contents de les avoir avec nous», se rappelle Jerzy Borowczak, qui a été élu député en 1997. «Nous savions que leur présence était très importante.»

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«Quand nous sommes arrivés, Gdansk nous a semblé incroyable: c'était une ville libre», relate Geremek. «Le portrait de Jean-Paul II était présent, les ouvriers écoutaient Radio Free Europe, il y avait la messe, on se confessait sur le chantier. Ce qui ne devait jamais être public l'était devenu.» Les grévistes, qui gardent en mémoire la répression sanglante des grèves de 1970 et les interventions soviétiques en Hongrie (1956) et en Tchécoslovaquie (1968), ont la peur au ventre, mais le souvenir de Jean-Paul II qui, un an plus tôt, leur avait lancé «n'ayez pas peur», leur donne la force de poursuivre. «C'était une révolution pour la liberté, mais une révolution marquée dès le début par le refus de la violence», rappelle Geremek.

«Au moment où toute la Pologne s'est jointe à nous, ils (les dirigeants communistes) ont compris qu'ils étaient obligés de négocier», estime Borowczak. Néanmoins, «nous étions conscients qu'il ne fallait pas dépasser la ligne rouge. Nous savions que nous ne pouvions pas demander les élections libres ou l'abolition de la censure. Mais nous étions tout le temps sur cette ligne rouge», témoigne Geremek.

Après 17 jours d'âpres négociations avec le pouvoir, les grévistes obtiennent gain de cause. Dans la grande salle de conférence du chantier, où le buste de Lénine voisine avec un crucifix, Lech Walesa - un énorme stylo à l'effigie du Pape en main - signe avec le vice-Premier ministre Jagielski les accords de Gdansk, qui prévoient notamment la reconnaissance de syndicats libres derrière le rideau de fer. Le 31 août à 16h35, Walesa annonce la fin de la grève.

Solidarnosc, institué dans la foulée, revendique bientôt près de 10 millions de membres. Trop, beaucoup trop pour Moscou et Varsovie. Pour briser l'élan, le général Jaruzelski décrète le 13 décembre 1981 la loi martiale en Pologne. Une chape de plomb s'abat sur le pays. Le syndicat est rejeté dans la clandestinité, l'électricien placé en résidence surveillée, puis libéré. Mais l'espoir résiste.

«Quand j'étais en prison, on m'a introduit une petite radio dans un grand pain. Une nuit, j'ai pu entendre qu'on savait à l'étranger ce qu'il se passait», se souvient Geremek. A Moscou, Mikhaïl Gorbatchev arrive au pouvoir. En Pologne, la pression ouvrière n'a de cesse et le pouvoir communiste est contraint à la négociation. Le 4 juin 1989, des candidats de l'opposition sont élus au Parlement sous la bannière de Solidarité. Le régime est mort. Aujourd'hui, Lech Walesa l'affirme: «Avant d'entrer sur le chantier et de prendre la tête du mouvement, je savais que la victoire arriverait un jour».

© La Libre Belgique 2005

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L'Express du 29/08/2005 par Bernard Guetta Pologne. Quand le communisme a chancelé Il y a vingt-cinq ans naissait avec les accords de Gdansk le premier syndicat libre dans un pays du bloc soviétique. C'était le début de la fin d'un régime que l'on croyait à l'époque sans retour Aux pieds d'un Lénine en plâtre, Walesa ronfle. Il s'est écroulé de sommeil, épuisé par ces heures où, grimpant sur les grilles du chantier naval, il a pris la tête de la grève, haranguant ses camarades, gouailleur, énergique, multipliant les bons mots. Douze heures plus tôt, la direction avait proposé 1 500 zlotys d'augmentation mensuelle, le tiers du salaire moyen, en échange d'une reprise du travail. Les délégués d'atelier avaient accepté. Tout semblait fini mais, aux portes du chantier, les délégations des autres usines de la région protestaient: «Si vous reprenez, nous n'obtiendrons rien», avait lancé le représentant d'un dépôt de bus. Walesa l'avait approuvé et la base avait suivi ce moustachu, électro-mécanicien de 37 ans, catholique fervent et ancien des comités de grève de 1970, qui avait appelé, lui, à poursuivre le mouvement «jusqu'à la victoire de tous». Loin de finir, c'est à ce moment-là que tout avait commencé. «Cent ans! Qu'il vive cent ans», avaient entonné les ouvriers, engoncés dans leurs vestes matelassées, casques vissés sur la tête, avant de projeter leur héros en l'air au rythme de ce vieux chant. Walesa allait bientôt devenir Sa Majesté Lech Walesa, emblème de la Pologne, futur Prix Nobel et tombeur du communisme, mais pour l'heure, il dormait, pendant que la première réunion du comité de grève régional élaborait sa liste de «revendications unitaires». La scène dépasse l'imagination d'une époque où l'on croyait le communisme sans retour. Dans cette nuit du 16 au 17 août 1980, totalement indifférents à Lénine et s'appuyant sur les conventions internationales signées par leur pays, donc sur la loi, une trentaine d'ouvriers polonais rédigent un cahier de doléances, tout aussi révolutionnaire que ceux de 1789 en France. Mains calleuses, droit sortis d'une toile réaliste socialiste, au cœur du plus grand des pays européens alliés de l'URSS, ils écrivent une nouvelle Déclaration des droits de l'homme. J'étais là, arrivé la veille à Varsovie, accouru à Gdansk, seul journaliste à participer à cette réunion, et je croyais revoir le film à l'envers: retour à 1917, aux soviets, mais changement de scénario. Les mencheviques l'emportent, la révolution prolétarienne ne sera pas bolchevique mais démocratique. A minuit, ils ont déjà acté le respect de la liberté d'expression, l'indépendance du pouvoir judiciaire, la suppression des privilèges de l'appareil du parti et, naturellement, la formation de syndicats libres. C'est un austère ingénieur, Andrzej Gwiazda, qui cite les conventions. Une conductrice de bus, matrone rousse à la flamme de Flora Tristan, pousse les feux. On progresse par consensus et, lorsqu'on en arrive aux élections pluralistes, dimanche avant l'aube, le 17 août, les membres du KOR - Comité de défense des ouvriers - échangent des regards affolés. Trois ans plus tôt, ces jeunes intellectuels ont arraché au pouvoir l'amnistie des émeutiers de Radom et d'Ursus, d'autres ouvriers qui avaient débrayé pour la même raison que ceux de Gdansk: une

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augmentation du prix de la viande. Depuis, l'opposition a pignon sur rue, traquée, harcelée mais, en fait, tolérée, car son prestige est si grand et le pouvoir si faible qu'elle a imposé un rapport de forces au parti. Communisme ou pas, il y a alors une vie politique en Pologne, fruit des premières concessions du régime après les manifestations de 1956 à Poznan, de la puissance que l'Eglise avait recouvrée à la faveur de cet «Octobre polonais», des manifestations étudiantes de 1968, des révoltes ouvrières de 1970 et 1976 et de l'élection, bien sûr, de Jean-Paul II. En cet été 1980, tous les courants de l'opposition savent que cette nouvelle grève, rampante depuis cinq semaines et désormais montante dans tout le pays, peut permettre de nouveaux progrès, mais qu'il faut savoir ne pas aller trop loin. Les élections libres, c'est trop. «C'est du maximalisme! Si le parti cédait sur les élections, Moscou interviendrait», s'exclame un oppositionnel en agitant le spectre de Budapest, de l'écrasement de l'insurrection hongroise par l'Armée rouge. «Il faut leur permettre de sauver la face», poursuit-il. Attentifs, les délégués ne sont pas convaincus: «On leur laisse une porte de sortie, puisqu'on les laisse gouverner», rétorque la conductrice de bus. L'argument porte. La salle est pour elle. C'est l'aspiration du pays, dit-on. Pourquoi ne pas réclamer ce que chacun veut? Désemparés, les oppositionnels secouent Walesa, le réveillent. «Pas tout tout de suite!» dit-il, les yeux bouffis. Mais ce n'est qu'au petit matin qu'il finit par obtenir le remplacement du pluralisme électoral par la libération des prisonniers politiques. Le premier syndicat libre du monde communiste vient de naître. En quelques jours, la grève s'étend à tout le pays. Solidarnosc va compter 10 millions de membres. Le régime est échec et mat, et le 31 août, il y a vingt-cinq ans, le bureau politique cède sur toute la ligne. «J'accepte, je signe», dit à chaque revendication le vice-Premier ministre, venu négocier au chantier. Mais cette bataille aux pieds de Lénine, cette tension de l'accouchement entre les têtes de l'opposition et la base ouvrière durera seize mois, jusqu'au coup d'Etat du général Jaruzelski. Seize mois durant, cette lutte se répétera de semaine en semaine entre des ouvriers très majoritairement arrivés à l'âge adulte après la déstalinisation, qui n'ont pas vraiment peur d'un pouvoir dont ils vivent la faillite, qui veulent que cela change car cela doit changer, et des militants et des universitaires, devenus conseillers politiques de Walesa, qui voient, eux, le monde paniquer. Heure par heure, toutes les capitales les supplient de ne pas aller trop loin et les alertent sur les mouvements de troupes soviétiques. Président d'un syndicat, Walesa passera seize mois à arrêter et non pas à lancer des grèves, à canaliser la colère qui éclate, systématiquement, chaque fois que le pouvoir tente de reprendre la main. L'histoire de Solidarnosc est celle d'un camion de pompiers ambulants, sillonnant le pays pour éteindre les incendies politiques, mais si Walesa finit toujours par se faire entendre, à faire triompher la raison comme il l'avait fait dans cette nuit du 16 au 17 août, c'est que cette insurrection ouvrière est en même temps une insurrection nationale - la poursuite de l'interminable et héroïque bataille polonaise pour l'indépendance. Ce n'est pas seulement que même les plus radicaux des syndiqués savent jusqu'où il ne faut pas aller - au point où le Kremlin aurait encore plus à perdre à ne pas intervenir qu'à intervenir - qu'il faut «s'autolimiter», comme disent les militants du KOR. C'est aussi que, mi-syndicat mi-mouvement national, Solidarnosc a une haute conscience des intérêts supérieurs de la patrie, d'un pays qu'il veut moderne, efficace, prospère et pesant son poids dans le monde. Le seul point sur lequel les grévistes transigeront le 31 août porte sur l'augmentation des salaires. Auraient-ils insisté, le pouvoir aurait accepté, mais, quand Walesa lance, toujours devant Lénine,

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toujours dans cette grande salle de conférence du chantier: «On ne peut pas imprimer de billets s'il n'y a pas d'argent en caisse», personne ne proteste. Bien avant sa légalisation, ce syndicat s'est senti dépositaire du destin polonais. Neutralité ou autonomie de la Pologne au sein du bloc soviétique, le rêve qui l'animait était un modus vivendi avec le Kremlin, non pas l'écroulement soviétique mais la reconnaissance d'une exception polonaise dans le partage du monde. Bien avant la signature des accords, Walesa martelait qu'il fallait faire de la Pologne un «nouveau Japon», et c'est ce désir historique qui explique ce qu'est devenu le pays après la chute du Mur, la vitesse et l'enthousiasme avec lesquels il s'est lancé dans le libéralisme et la «thérapie de choc» économique, son admiration pour les Etats-Unis et sa condescendance envers les syndicats et les gauches de la vieille Europe. Asservie, divisée depuis tant de siècles par tous ses voisins, la Pologne de 1980 voulait renaître, redevenir la puissance qu'elle avait été et tout semblait lui en donner la capacité. Tout confortait cette ambition: la fusion de ses identités nationale et religieuse comme la longue résistance à ses oppresseurs successifs; la subtilité d'une élite intellectuelle forgée par les universalismes catholique, juif et communiste comme la tragique expérience qu'elle fit des deux totalitarismes; cette rencontre unique entre les forces d'un mouvement ouvrier et d'un élan national comme ce hasard qui fit naître Solidarnosc quand Brejnev se mourait et que l'URSS s'empêtrait dans l'aventure afghane. L'Histoire s'est écrite à Gdansk. Elle fut noble, haletante, magnifique. Je n'ai à peu près pas dormi pendant seize mois et, le jour de la proclamation de l'état de guerre, après avoir vu arrêter tous mes amis dans la nuit, après avoir tenté de faire échapper Bronislaw Geremek à la rafle, j'étais encore au chantier, pleurant comme un enfant perdu avec Anna Walentynowicz, toute petite et si grande dame de cette épopée. Pour le monde libre, la page était tournée. Vu de l'Ouest, la normalisation allait immanquablement triompher, comme toujours. Mais, de Varsovie quadrillée, de ce pays soudain coupé du monde comme Gdansk l'avait été pendant la grève, je voyais un tout autre tableau, celui d'un pays que l'URSS n'avait pas osé envahir, celui d'un parti si gangrené par la contestation que le système lui avait préféré l'armée pour rétablir l'ordre - le tableau d'un communisme aux abois qui devait recourir, pour se survivre, à la banalité d'une dictature militaire. L'agonie communiste avait commencé le 17 août 1980. Je ne l'imaginais pas aussi courte. J'envisageais une longue série de crises. Je ne me doutais certainement pas que le coup de grâce serait donné, du Kremlin, par un réformateur soviétique qui a préféré démissionner plutôt que suivre l'exemple de Jaruzelski. Je pouvais encore moins concevoir que ce mouvement ouvrier serait, au bout du compte, le triomphe de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan; mais, pour moi, la cause était entendue. Le communisme n'était plus sans retour.

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A Gdansk, les chefs d'Etat et de gouvernement rendent hommage à Solidarité

GDANSK (AFP, 31 août) –

Des centaines de personnalités, dont une vingtaine de chefs d'Etat et de gouvernement, célèbrent aujourd'hui à Gdansk les vingt-cinq ans de Solidarité, premier syndicat libre du monde communiste, né des grandes grèves des chantiers navals. Parmi les hauts dirigeants attendus figurent les présidents allemand Horst Koehler, ukrainien Viktor Iouchtchenko, géorgien Mikhaïl Saakachvili, hongrois Laslo Solyom, le vice-premier ministre britannique John Prescott, le président de la Commission européenne José Manuel Durao Barroso, les premiers ministres belge Guy Verhofstadt, finlandais Matti Vanhanen et néerlandais Jan Peter Balkenende.

Dans deux lettres adressées au président polonais Aleksander Kwasniewski et à Lech Walesa, Jacques Chirac a tenu à saluer «les héros de Gdansk» en rappelant que les grèves d'août 1980 avaient «imprimé un cours nouveau à l'histoire de l'Europe». L'ancien président tchèque Vaclav Havel, artisan de la «révolution de velours» dans l'ex-Tchécoslovaquie, participe à cet anniversaire, célébré également à Bruxelles, Paris, Londres et New York. Invité lui aussi, l'ancien président soviétique Mikhaïl Gorbatchev a refusé de se joindre à ces commémorations, estimant qu'il ne fallait pas exagérer le rôle des grévistes de Gdansk par rapport à celui de la perestroïka dont il fut l'instigateur en URSS.

Lundi déjà, une conférence internationale de deux jours a réuni à Varsovie près de 800 personnalités, dont le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, le défenseur russe des droits de l'homme Sergueï Kovaliov, le cardinal Jean-Marie Lustiger, l'ancienne secrétaire d'Etat américaine Madeleine Albright, l'ancien conseiller du président Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, ainsi que les fondateurs et conseillers du syndicat. «L'élan polonais vers la liberté, puis le courage et la détermination des peuples de l'Europe centrale et orientale ont fait qu'en 1989 le système communiste s'est écroulé, le Mur de Berlin est tombé, et c'est grâce à cela que l'Europe a pu s'unir en 2004», a rappelé Bronislaw Geremek, grande figure de Solidarnosc, ancien ministre des Affaires étrangères et aujourd'hui député européen.

Les manifestations comprennent aussi une conférence de dissidents d'une dizaine de pays soumis à des régimes autoritaires. Parrainée par une ONG internationale, The New Atlantic Initiative, la conférence donnera lieu à plusieurs débats, notamment sur la situation en Corée du Nord, à Cuba, en Biélorussie et au Moyen-Orient. A cette occasion, Lech Walesa a appelé ces pays à «s'inspirer du modèle de Solidarnosc».

Une exposition de photos organisée dans la capitale polonaise rappelle depuis dimanche les grands moments des 17 jours de grève qui ont tenu le monde en haleine. S'y ajoutent de nombreux films ou documentaires. Demain, une messe aura lieu au pied du monument dédié aux victimes des révoltes ouvrières sous le communisme, à l'entrée des chantiers. Une cérémonie officielle verra aussi la pose de la première pierre d'un Centre de solidarité européenne.

Ce renversement s'est produit "sans un seul coup de fusil, sans effusion de sang", a souligné le chef historique de Solidarité, Lech Walesa, au dernier jour d'une Conférence intitulée: "De Solidarité à la liberté".

Pour le président de la Commission européenne José Manuel Durao Barroso, qui a dit un "grand merci" au mouvement, il n'y pas de doute: "Sans Solidarité, il n'y aurait pas d'Europe élargie".

"Vos efforts ont mobilisé les peuples vivant sous le joug soviétique", a-t-il ajouté. Lycée Français de Varsovie. A. Léonard. 100

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M. Walesa a rappelé qu'en Pologne stationnaient à l'époque quelque 200.000 soldats soviétiques et qu'elle était encerclée par un million d'autres. "Qui aurait imaginé de faire une révolution dans ces conditions-là ?", s'est-il interrogé ?

"Comme dans un jeu de dominos, Solidarité a fait tomber les régimes autoritaires de l'Allemagne démocratique, de la République tchèque et de la Hongrie", a rappelé le président polonais Aleksander Kwasniewski.

Les présidents ukrainien Viktor Iouchtchenko, allemand Horst Köhler, hongrois Laszlo Solyom, serbe Boris Tadic et géorgien Mikhaïl Saakachvili, les premiers ministres de plusieurs pays européens et d'anciens dissidents comme Vaclav Havel étaient à Gdansk. Le président américain George W. Bush a envoyé un message spécial pour l'occasion.

Une grande messe en plein air a été célébrée face à l'entrée des chantiers navals de Gdansk et au monument aux victimes de la révolte ouvrière de 1970 par l'ancien secrétaire particulier de Jean Paul II, Mgr Stanislaw Dziwisz. Tout juste nommé archevêque de Cracovie et chargé de représenter Benoît XVI à Gdansk, il a rappelé le soutien du pape décédé à Solidarité, le qualifiant de "père" incontestable du mouvement.

A l'arrivée du président polonais Kwasniewski, accompagné de M. Walesa, des sifflements ont retenti parmi les quelque 15.000 personnes présentes. "Voleur, à bas les communistes", ont-ils scandé, sans doute à l'adresse du chef de l'Etat, un ex-communiste reconverti à la social-démocratie.

Beaucoup sont venus des quatre coins de la Pologne, tel Romuald Tatus, 56 ans, ancien mineur à Wodzislaw (sud), qui a fait 12 heures de train. Il fait partie d'une multitude de délégations syndicales venues avec les étendards qu'elles avaient dû ranger quand le général Wojciech Jaruzelski avait tenté d'écraser Solidarité en instaurant l'état de siège le 13 décembre 1981.

Aujourd'hui, ils les ont brandi avec fierté. "Il faut célébrer cet anniversaire", juge Tatus.

Le parlement polonais a décrété que dorénavant le 31 août est une fête nationale, le "jour de Solidarité et de la liberté".

D'autres sont venus à pied ou au pas de course, tels un groupe d'anciens syndicalistes qui ont parcouru 600 km depuis la frontière polono-tchèque. "Notre course, notre sueur, nos efforts, c'est pour Solidarité", a déclaré Edward Ogonowski, 56 ans, technicien dans une société de surgelés, en revêtement sportif aux couleurs nationales rouge et blanche sur un T-shirt frappé de l'insigne de Solidarnosc.

Les cérémonies ont été boycottées par certains syndicalistes et d'anciens proches de Walesa, tels Anna Walentynowicz et Andrzej Gwiazda.

Pour protester contre la baisse des activités des chantiers navals de Gdansk, 200 syndicalistes ont organisé leur propre cérémonie et passé la nuit sur le site pour "pour montrer qu'il reste beaucoup à faire en Pologne au niveau social", selon le président de Solidarité des chantiers Roman Galezewski. 18% de la population active est sans travail.

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«Un mythe historique s'écrit en Pologne» S.Vt. 31/08/2005 Solidarité est essentiel dans la chute du communisme. Mais il n'est pas seul. S' il n'y avait pas eu Solidarnosc, les préparatifs du centenaire de la révolution d'octobre auraient commencé!» L'eurodéputé Bronislaw Geremek, l'une des figures intellectuelles du syndicat, relaie une idée ardemment défendue en Pologne: les grandes grèves de 1980 ont pavé la voie vers la liberté sur le vieux continent. «Il est très important que Solidarité soit inscrite dans le cadre de la mémoire collective européenne.» Les Polonais en ont fait leur slogan - «C'est à Gdansk que tout a commencé» - et ils entendent bien que le monde s'en souvienne. Si la planète garde en mémoire les images aussi spectaculaires qu'émouvantes de la chute du mur de Berlin, symbole de la disparition du rideau de fer, «1989, la grande date historique, n'est pas celle de la Pologne», rappelle Jean-Michel De Waele, spécialiste de l'Europe centrale et orientale à l'ULB. «C'est en Pologne que la résistance au communisme a depuis toujours été la plus forte. Staline aurait dit que le socialisme allait à la Pologne comme une selle à un cochon! Et Solidarité est le résultat d'une greffe qui ne prendra jamais. La Pologne est partie la première, bien avant tout le monde, mais elle est arrivée la dernière. Les premières vraies élections, totalement démocratiques, aux deux chambres datent de 1991, à un moment où les autres Etats étaient déjà passés à la démocratie. Il y a là une dissociation avec le courant général de l'histoire.» La Diète vient de proclamer fête d'Etat la journée du 31 août, date anniversaire des accords de Gdansk. «Solidarité est essentiel dans la chute du communisme. Il a ouvert la voie, il a montré que, malgré toutes les tentatives, les réformes économiques dans le socialisme d'Etat ne pouvaient pas aboutir, il a montré que la classe ouvrière, au nom de laquelle les régimes de type soviétique parlaient, était massivement opposée au régime», rappelle le Pr. De Waele. «Mais faire de la lutte de Solidarité le facteur qui explique la chute du communisme, c'est un mythe polonais», poursuit-il, rappelant la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev et le «courage des dirigeants hongrois» qui ont ouvert le rideau de fer pour laisser passer les Allemands de l'Est. «Les choses n'ont pas bougé avant que ne commencent les transformations en Union soviétique», a récemment rappelé à l'agence Itar-Tass l'ancien président soviétique. Pour le Pr. De Waele, les brèches ouvertes dans le mur communiste «ne suffisent pas à expliquer sa fin» : «Les régimes avaient perdu toute force propulsive, ils étaient épuisés jusqu'à la corde, les dirigeants eux-mêmes n'y croyaient plus. Il n'y avait plus moyen de les réformer. Solidarité est le résultat de la crise du socialisme d'Etat, pas la cause.» Cela n'empêche pas «une série d'élites, qui sont en campagne électorale d'ailleurs, d'essayer de se réapproprier la fin du communisme», analyse le professeur. A commencer par les ex-communistes au pouvoir! «C'est la preuve de notre victoire», sourit Geremek. © La Libre Belgique 2005

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GLOSSAIRE DES SIGLES POLONAIS

A..K. Armia Krajowa Armée Nationale, non communiste

K.O.R. Komitet Obrony Robotników Comité de Défense des Ouvriers

K.P.N. Konfederacja Polski Niepodległej Confédération de la Pologne indépendante

K.S.N. Kongres Solidarnośći Narodu Congrès National de Solidarité

K.S.S. Komitet Samoobrony Społecznej Comité d’Autodéfense Sociale

M.K.S. Miedzyzakładowy Komitet Strajkowy Comité de Grève Inter-entreprises

M.K.Z. Miedzyzakładowy Komitet Założycielski Comité Inter-entreprises Fondateur

N.S.Z.Z. Niezależny Samorządowy Związek Zawodowy

Syndicat Indépendant et Autogéré

N.S.Z.Z. R.I. N.S.Z.Z. Rolników Indywidualnych Syndicat Indépendant et Autogéré des

Agriculteurs Individuels

N.Z.S. Niezależny Związek Studentów Syndicat Indépendant des Etudiants

P.R.L. Polska Republika Ludowa République Populaire de Pologne

P.Z.P.R. Polska Zjednoczona Partia Robotnicza Parti Ouvrier Unifié Polonais

S.B. Służba Bezpieczenstwa Services de Sécurité (services secrets)

S.K.S. Studencki Komitet Solidarnosci Comité Etudiant Solidarité

W.R.N. Wolność-Równość-Niepodległość Liberté-Egalité-Indépendance

W.R.O.N. Wojskowa Rada Ocalenia Narodowego Comité Militaire de Salut National

Z.O.M.O. Zmechanizowane Oddziały Milicji Obywatelskiej

Unités Motorisés de la Milice Civique (unités spécialisées anti-émeutes)

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