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Laboratoire d’Économie d’Orléans Collegium DEG Rue de Blois - BP 26739 45067 Orléans Cedex 2 Tél. : (33) (0)2 38 41 70 37 e-mail : [email protected] www.leo-univ-orleans.fr/ Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans Working Paper Series, Economic Research Department of the University of Orléans (LEO), France DR LEO 2018-04 Lorenzo Tonti, inventeur de la tontine Georges GALLAIS-HAMONNO Christian RIETSCH Mise en ligne / Online : XX/XX/XXXX Mise en ligne / Online : 06/10/2020 Remplace une version précédente du même numéro / Replaces a previous version of the same DR LEO number Cette version remplace celle du / This replaces the previous version dated : 22/09/2019

Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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Page 1: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

Laboratoire d’Économie d’Orléans Collegium DEG

Rue de Blois - BP 26739 45067 Orléans Cedex 2

Tél. : (33) (0)2 38 41 70 37 e-mail : [email protected]

www.leo-univ-orleans.fr/

Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans Working Paper Series, Economic Research Department of the University of Orléans (LEO), France

DR LEO 2018-04

Lorenzo Tonti, inventeur de la tontine

Georges GALLAIS-HAMONNO Christian RIETSCH

Mise en ligne / Online : XX/XX/XXXX

Mise en ligne / Online : 06/10/2020 Remplace une version précédente du même numéro / Replaces a previous version of the same

DR LEO number Cette version remplace celle du / This replaces the previous version dated : 22/09/2019

Page 2: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

1

Lorenzo Tonti, inventeur de la tontine Georges GALLAIS-HAMONNO 1

Christian RIETSCH**

Tonti est mort ; je dois même dire que je n’ai jamais vu personne pour le regretter.

Stevenson et Osbourne, Le mort vivant, p. 2

1 Professeur émérite, , Université d’Orléans, CNRS, LEO.

** Maître de conférences émérite, Univ. d’Orléans, CNRS, LEO, FRE 2014, rue de Blois - BP 26739, 45 067

Orléans Cedex 02.

christian.rietsch@univ-orléans.fr

Version de juillet 2020

Page 3: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

2

Diverses sources sur Internet indiquent que Lorenzo Tonti 1 nait en 1602 (mais

d’autres sources indiquent 1603, 1620 et 1630 2), qu’il est ensuite est gouverneur de Gaète

(Gayette, comme l’écrivent les Français à l’époque, à mi-chemin entre Naples et Rome), qu’il

s’agit d’un banquier napolitain en vue et qu’il épouse Isabela di Lieto (Isabelle de Liette) avec

qui il a trois enfants : Henri de Tonti, Alphonse de Tonti, Enrico de Tonti.

De l’avis général, le premier enfant, Henri, nait probablement à Gaète, entre 16473 ou

1650 ; son deuxième fils, Alphonse, voit le jour à Paris en 16594 ; le dernier fils ne semble pas

avoir laissé de traces si ce ne sont un projet d’exploitation de mines qu’il propose à

Pontchartrain (Louis II Phélyppeaux, comte de Pontchartrain, 1643-1727) pour le compte de

son frère 5 ainsi, peut-être, que quelques poèmes 6. Lorenzo Tonti meurt en 1684 (ou en 1685,

1695 et même en 1715 d’après les biographies italiennes 1).

1 Son nom est parfois écorché en Tontin, Tontino ou Tontini dans les commentaires de deuxième ou troisième

main. (par ex. Tontin dans Richelet P., Dictionnaire de la langue françoise, ancienne et moderne, Volume 2,

p. 744, Chez Jean-Marie Bruyset Imprimeur-Libraire, 1759, article Tontine : « ce mot est nouveau ; il vient de

son inventeur, Laurent Tontin, Italien… » ; idem dans la note de bas de page par Chéruel dans les Mémoires du

duc de Saint-Simon (p.24) qui évoque une autorisation de Louis XIII ; Tontino dans Voltaire, Dictionnaire

philosophique, article Âge, « les tontines, invention d’un usurier nommé Tontino… » ; Tontini dans Antoine et

Préfort Sabatier de Castres (l’abbé Bassin de), Moutard, 1777, article Tontine, p. 567 : « Ce mot est venu de

Laurent Tontini, Napolitain, qui inventa une espece de rentes viageres sur le Roi, avec droit d’accroissement

pour les survivans ». Un ouvrage contemporain, italien, qui évoque la révolte de Naples parle de Tontoli :

« Lieto, Capitano della sua guadia, e cugnato del Tontoli… » (Lieto, capitaine de sa garde et beau frère de

Tontoli) (Santis, p. 345). Un Anglais le prénomme Antonio (Pocock, p. 15), Thivaud (p. 182) parle de Nicolas et

Hassoun (p. 108) de Florent ; le Dictionnaire français le prénomme Leonardo.

(https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition-tontine/).

Sans plus de raison, Duplomb le qualifie de Sicilien (p. 93) ; il est Florentin dans un ouvrage sur l’histoire des

loteries (Corblet, p. 22). Dans l’article « Loterie » du Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts

il est Florentin et redevient Napolitain dans l’article « Tontine » du même dictionnaire ; il est Vénitien dans le

Lexicon allemand de 1755…

2 Il est tout à fait possible qu’il s’agisse de fautes de frappe ou d’inversion des chiffres indiquant les dizaines et

les unités. Le duc de Guise, en 1647, parle comme d’un homme fait qui a une certaine expérience. Il est

impossible qu’il soit né en 1630, car il n’aurait que 7 ans lorsqu’il travaille chez le comte de Monterey qui quitte

Naples en 1637, et peu vraisemblable qu’il soit né en 1620, ce qui lui donnerait seulement 17 ans lors de ce

départ. Donc, sa naissance se situe quelque part vers 1602 et 1610. 3 Le titre d’un livre récent indique cette date, même si l’auteur avoue ne rien en savoir. Vitelli, p. 16. 4 Né le mercredi saint, il est baptisé le 7 juillet 1659 à l’église Saint-Sulpice à Paris. Fils de Laurent Tonty et

d’Angélique de Lieto ; avec pour parrain Alphonse de Carafa, duc de Castelno et pour marraine Catherine de

Morel, fille du seigneur d’Aubigny. Registre des baptêmes Saint-Sulpice 1537-1748.

(https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9057364t/f3.image.r=.langFR#) 5 Mémoire au sujet d’une mine près de Témiscamingue qu’Alphonse Tonti était en mesure d’exploiter. Selon le

mémoire, il faut six hommes et deux canots pour transporter chaque année les munitions et les marchandises

qu’on offrirait aux Indiens qui traitent avec les Anglais de la baie d’Hudson. On utiliserait les embarcations pour

ramener dans la colonie le métal, que le mémoire n’identifie pas. Les intendants Jacques et Antoine-Denis

Raudot considèrent que le projet est bon, mais s’opposent fermement aux privilèges de traite que sollicitent

Tonty. Il semble que Pontchartrain endosse ces restrictions, car les Tonty abandonnent bientôt l’affaire. Or deux

cents ans plus tard, on exploite effectivement différents minerais dans cette région et on y a créé la ville de

Cobalt. http://www.biographi.ca/fr/bio.php?BioId=35251 6 Comme l’écrit le Mercure Galant, 1690/11, p. 259 : Monsieur Tonti « dont un de ses ancêtres a été le premier

qui ait proposé l’établissement de la tontine » écrit le poème à la gloire de la tontine, dont nous extrayons les

deux vers suivants : « Toi qui de mes ayeux tire son origine/A tous ces grands desseins tu vas servir, Tontine ».

Ce descendant de Tonti versifie et, à plusieurs occasions le Mercure Galant, qui évoque un « gentilhomme

italien », (Mercure galant : 1688/08, p. 259 ; 1689/09, p. 26 ; 1690/03, p. 246 ; 1690/11, p. 288 ; 1698/11,

Page 4: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

3

Nous allons voir que la plupart de ces informations sont à prendre avec beaucoup de

doutes, tant la vie de Tonti contient de mystère et de rebondissements. Nous allons en

éclaircir un grand nombre et en même temps redresser un certain nombre d’erreurs et

d’approximations contenues dans les éléments de biographie disponibles.

Devenir Tonti

Lorenzo Baroncini 2 nait dans un milieu très modeste de Simon Baroncini, jardinier

(ortolano) près des jardins du Monte Cavallo à Rome et d’Alessandra, blanchisseuse

(lavannara). Il est baptisé (sans date indiquée) à la paroisse de S. Marcello à Rome. Sa

jeunesse est dissipée et il va de taverne (hostaria) en maison de tolérance (prostriboli). Un

moment, il travaille à la cuisine de l’abbé Montaldo ; puis il passe au service de Giuscaro

Gentile, agent de Paolo Giordano II Orsini, duc de Bracciano à Rome. Enfin, il devient

brodeur (ricamatore) auprès du duc de Bracciano (1591-1656) et en profite pour espionner

toute la maisonnée 3. Puis il refait les chaises du grand Inquisiteur Salgado et, ce faisant, passe

au service du vice-roi espagnol (en fonction de 1631 à 1637), Manuel de Acevedo y Zúñiga,

comte de Monterey (1586-1653), puis au rappel de ce dernier et pendant qu’il prépare son

départ, l’espionne pour le compte de son successeur Ramiro Núñez de Guzmán, duc de

Medina de Las Torres (1600-1668) (en fonction de 1637 à 1643), arrivé incognito. Il trouve

ainsi le moyen de gagner sa vie : il donne des avis (notamment en matière financière), ce qui

lui en rapporte toujours quelque récompense (sans doute, l’origine de la légende de Tonti,

banquier). Il passe ensuite à Rome et s’attache au duc Ludovisi (Niccolò, 1613-1664), neveu

du pape. Il change de nom, il devient celui que nous connaissons, Lorenzo Tonti, et laisse

entendre une parenté avec feu le Cardinal de Nazareth, Michelangelo Tonti (1566-1622),

archiprêtre de Cesena 4, en profitant de la présence de l’abbé Tonti (Arnauld, p. 387), lui-

même neveu du Cardinal 5. A ce moment, il devient espion salarié de Ludovisi pour 100 écus

p. 114 ; 1701/01, p. 80) publie un de ses poèmes sans jamais indiquer son prénom. En 1679, un gentilhomme

italien qui vient d’être amené en France, Michel Angelo Tonti, rime un éloge (en italien) pour Louis XIV

(Mercure galant, 1679/6, p. 62-65). On peut se demander si ce gentilhomme italien ne serait pas le même que le

gentilhomme qui donne les autres vers et, dans ce cas, ne serait pas un fils du premier lit de Lorenzo Tonti (voir

plus loin). 1 « Tónti, Lorenzo. — Banchiere (n. Napoli 1630 - m. 1685), ideatore di un’ operazione finanziaria diretta a

facilitare la contrazione di prestiti pubblici, ... » Umberto Bosco, Lessico universale italiano, Volume 23, p.166,

Istituto della Enciclopedia italiana, 1968 ; « Nacque verso il 1630 a Napoli ; morì a Parigi verso il 1695 »

Dizionario generale di scienze, lettere, arti, storia, geografia ; dalla Società l’Unione Tipografico-Editrice,

1866 ; « T0NTI Lorenzo. E l’inventore delle celebri tontine. Nacque verso il 1620 a Napoli e morì a Parigi

verso il 1715 ». Vallardi F, Enciclopedia universale illustrata - Volume 10 – p. 782, Milano, 1899. 2 Nous suivons ici Camillo Tutini (1594-1667/70) (p. 271-280) qui semble posséder une connaissance

personnelle du personnage et d’Agostino di Lieto durant les années italiennes, qui les déteste tous les deux, ayant

souffert des exactions du dernier. Il existe une autre version : Tonti serait le fils de Simonazzo Tontoli, charretier

(Coniglio, p. 285 et Capecelatro, T.2, p. 116) et se ferait parfois appeler Zonti (jeu de mot sur la lettre Z,

Semprini, p. 13 and p. 28). Vitelli (p. 55) le prétend fils de Cassandra, une sœur du Cardinal Michel Ange Tonti.

Il existe enfin l’hypothèse que Tonti soit né le 2 août 1602 à Rimini (Torriani, p. 16), mais il est possible qu’il

s’agisse d’une confusion avec un autre Lorenzo Tonti, capitaine d’infanterie que nous retrouverons plus loin. 3 « servire il duca di Bracciano nel mestier di racamare… s’ingeri nella casa di detto signore spiando » (servir

le duc de Bracciano dans le métier de brodeur… s’ingère dans la maison du dit seigneur à espionner) (Tutini,

p. 272) 4 « E con gran sfacciataggine si spaccie esser nipote del Cardinal Tonti, lasciando il cognome di Baroncino, e si

pose quello del Tonti » Tutini p. 273 (Et avec une grande impudence il prétend être neveu du Cardinal Tonti,

abandonnant le nom de Baroncino, et il a pris celui de Tonti). Il lui est d’autant plus facile de se prétendre en

parenté avec Michelangelo Tonti que le père du Cardinal se prénomme Lorenzo… 5 Il doit s’agir de Francesco Tonti dont parle Belmonti Rimenese, p. 56.

Page 5: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

4

par an (Tutini, p. 272) et ne manque pas de faire donner à son beau-frère Agostino di Lieto,

(qui vient de se réfugier à Rome après avoir dérobé des plats d’argent au duc d’Arcos à

Naples - Tutini, p. 276), une compagnie dans le bataillon Calabre (Mémoires du duc de Guise,

p. 36). Il se marie avec Angela di Lieto, prostituée qui pratique son activité avec toutes sortes

de personnes, comme d’ailleurs une autre de ses sœurs 1 (Tutini, p. 273 et 331), même si un

site parle de Loretta 2, et que la plupart des références indiquent Isabella. Les relations avec

son beau-frère, Agostino di Lieto, (fils d’un repriseur de chausses - figliuolo d’un rapezzatore

di calzette, Tutini, p. 420), lui-même attrapé avec un jeune homme dans une affaire de mœurs

(et qui trouvera partout des jeunes gens aux mœurs dissolues, p. 331), seront de confiance

réciproque durant toute sa vie 3.

Par le truchement du prince Ludovisi, Tonti obtient de gérer la principauté de Rossano

et de gouverner la ville de Rossano 4 ; mais ses vols le font haïr de la noblesse locale, il doit

se résigner à fuir et se retrouve à Rome au moment où éclate l’affaire de Naples, ayant de

grands besoins et de petits moyens 5.

D’autre part, dans la Gazette de 1646, n°132, p. 986, on lit « De Venise le 3 octobre

1646… les sieurs… Agostino…Tonti … ont été déclaré Nobles par notre grand Conseil,

moyennant 100 000 ducats chacun » ; nous ne pensons pas qu’il s’agit de nos deux individus,

mais nous pouvons être sûr qu’ils se servent de ce genre d’entrefilet pour se donner des titres

qu’ils n’ont pas, ceci d’autant plus qu’il existe, à ce moment, en Italie, au moins deux familles

nobles de Tonti (l’une de Pistoia, l’autre de Rimini - voir Spreti). Lorenzo Tonti profite de la

confusion qui existe pour prendre un nom et se prévaloir de titres qu’il n’a pas, d’autant qu’en

dehors de l’abbé Tonti, il existe dans l’entourage du duc de Guise un comte Antonio Tonti 6

1 « Angela di Lieto, publico meretrice e moglie di Lorenzo Baroncini che cambiatosi il cognome, si fe chiamare

di casa Tonti… bene addottrinato in ogni vitio et enormità » (Angela di Lieto, prostituée publique et épouse de

Lorenzo Baroncini change son nom, se fait appeler de la maison Tonti … bien endoctriné dans chaque vice et

énormité) (Tutini, p. 331), ce qui semble confirmé par Fuidoro (p. 245) : « Agostino cognato di Lorenzo Tonti

(che teneva per moglie (Angela) di Lieto, sua sorella » (Agostino est le beau-frère de Lorenzo Tonti (qui tenait

pour femme (Angela) de Lieto, sa sœur). Dans ces conditions, Angela (appelée Angélique de Lieto en France)

serait la première épouse de Lorenzo Tonti. 2 https://www.findagrave.com/cgi-bin/fg.cgi?page=gr&GRid=128400498 3 Il n’est d’ailleurs pas exclu que la famille Lieto ait été en rapport avec celle d’Aniello (Giovanna de Lieto

marraine ?), ce qui pourrait expliquer l’ascension prodigieuse d’Agostino Lieto en quelques jours, qui de petit

voleur devient chef d’un bataillon de gardes. En effet, dans le livre de baptême, nous trouvons la mention :

« Libro dei battezzati, al foglio 44 verso scrisse : A 29 Giugno 1620. Thomaso Aniello figlio di Cicco d’Amalfi et

Antonia Gargano è stato battezzato da me D. Giovanni Matteo Peta, e levate del sacro fonte da Agostino

Monaco et Giovanna de Lieto al vico Rotto. » Capasso, p. 83. (Livre des baptisés, dans le feuillet 44, il est écrit :

Le 29 juin 1620, Thomaso Aniello, fils de Cicco d’Amalfi et Antonia Gargano, a été baptisé par moi, père

Giovanni Matteo Peta et élevé des fonds baptismaux par Agostino Monaco et Giovanna de Lieto). 4 La princesse de Rossano, Olimpia Aldobrandini (1623-1681) vient d’épouser en 1647 le neveu du Pape

Camilio Pamphili (1622-1666) qui vient de quitter sa fonction de Cardinal dans ce but. Donc, diriger Rossano,

petite bourgade, n’est pas quelque chose de négligeable. La mère de Camilio, Olimpia Maidalcini (1594-1657), a

une grande influence sur le Pape Innocent X et en tire d’innombrables bénéfices en vendant au plus offrant les

dignités civiles et ecclésiastiques. A partir de 1651, Olimpia Aldobrandini la remplace dans l’affection du Pape

et dans les bénéfices qu’elle en retire. 5 Tutini écrit p. 474 : « ove si porto infamissimamente per li forti e latrocini che egli commise in quel governo;

perloché fu dalla nobiltà grandemente odiato » (il se porte de manière infâme par les vols qu’il commet dans ce

gouvernement ; c’est pourquoi il a été fortement détesté par la noblesse). Il est possible que cet épisode, dans

lequel Tonti dirige une petite principauté, constitue l’origine de la légende de Tonti commandant la forteresse de

Gaète. 6 Le duc de Guise en parle dans ses Mémoires, p. 324 et la Généalogie de Belmonti Riminese confirme

qu’Antonio Tonti obtient un brevet de colonel de la part du duc de Guise et précise qu’il existe un Lorenzo

Page 6: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

5

(Mémoires du duc de Guise, p. 324). De façon certaine, à partir de 1647, Tonti se donne le

titre de Gentilhomme Romain, de Chevalier de Paludi, etc., titres que prendront ses fils 1. Plus

tard, à Paris, il francise son prénom (il passe de Lorenzo à Laurent ou Laurens) et met un y à

son nom : il devient Laurent Tonty.

Tonti, activiste napolitain, du parti Français

En 1647, Naples est sous la domination espagnole, représentée sur place par le vice-

roi, Rodrigo Ponce de León, duc d’Arcos (1602-1658). Une hausse des taxes sur les fruits

provoque une émeute, dont Masaniello (1620-1647, diminutif de Tommaso Aniello) prend la

tête, alors que le vice-roi se retire dans une forteresse. Quelques jours plus tard, Masaniello

est assassiné par ordre du vice-roi 2. Un autre vice-roi est nommé, ce qui calme un moment les

Napolitains. La révolution reprend sous la direction d’un armurier, Gennaro Annese (1604-

1648), qui proclame une étrange République Royale, sous la protection du duc Henri II de

Lorraine, 5e duc de Guise (1614-1664), et au travers de cet homme, de la France – cette

dernière est d’ailleurs assez circonspecte concernant les chances du duc de Guise 3 . La

République prend fin le 5 avril 1648, date de l’entrée dans la ville des troupes espagnoles.

Quand la Révolution de Naples éclate, cela n’étonne pas Tonti, car son beau-frère

l’avait averti de l’agitation régnant à Naples au moment de sa fuite, et il en profite pour

s’insinuer parmi les proches du duc de Guise, et le pousse à vouloir se mettre à la tête de la

révolution napolitaine : « Tonti innesca il cervello del duca di Ghisa di venir in Napoli », dit

Tutini (p. 275). Il gagne sa confiance à force de renseignements obtenus par son beau-frère et

d’autres qu’il glane dans les tavernes du port. Le duc de Guise décrit assez longuement Tonti

et son beau-frère, « ces deux hommes… ayant joué un rôle assez considérable l’un et l’autre

dans le cours de toutes les affaires. » Tonti, « cherchant avec soin les moyens de se faire

valoir et quelques nouveautés pour les lui faire naître, était l’un de ces débiteurs de nouvelles

qui écrivent à toutes sortes de gens pour se procurer des réponses, montrent leurs lettres à

beaucoup de personnes, et bien souvent les font eux-mêmes, les remplissant de tout ce qu’ils

ont appris de beaucoup de différentes sortes de gens, qu’ils réduisent et mettent en ordre, et

par-là sont bien reçus de tous les curieux et des ministres de tous les princes, dont ils tirent

parfois quelques gratifications. » (Mémoire du duc de Guise, p. 106).

Tonti, capitaine d’infanterie, conseiller, de Cesena, Forlimpopoli et Rimini (p. 56). Il sera aisé plus tard, pour

notre Lorenzo Tonti, de jouer de la confusion des noms et des fonctions. 1 Armes : D’argent à la bande engraillée de sable. Cimier : un oiseau au naturel affronté de trois plumes

d’autruche de gueules comme descendant des comtes Dondi à Venise. Couronne de baron et de seigneur. (La

Revue franco-américaine, p. 212). 2 Sulte affirme qu’au moment de la révolution de Masaniello, Salvatore Rosa, peintre et Lorenzo Tonti, banquier

sont ses principaux officiers et que Tonti s’empare ensuite de la forteresse de Gaète qu’il commande durant tous

les événements (Roy, Le père du chevalier Tonty, Bulletin des recherches historiques janvier 1900, vol. 6 ; n°1,

p. 31) ; au témoignage de l’Ambassadeur de France et du duc de Guise, et contrairement à cette affirmation, nous

l’apercevons à Rome et à Naples et, à l’époque, personne parmi ceux qui le connaissent (Tutini, Capecelatro)

n’évoque un commandement du fort de Gaète durant la révolte de Naples. Une autre preuve en est donnée par les

instructions aux forces françaises de prendre Gaète, alors aux mains des forces espagnoles, si cela est possible : « Il faudra voir aussy s’il y auroit moyen de venir à bout de Gaiète avec les forces du peuple et l’assistance de

nostre armée ». (Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais, p. 201). Ce commandement par Tonti

nous semble donc une pure invention. 3 Une lettre de Mazarin du 7 octobre loue son zèle, mais l’engage, au nom du Roi, « à modérer cette généreuse

ardeur … il ne lui semblait pas que le fruit fut encore mûr … on le suppliait donc de bien examiner toutes choses

avec l’ambassadeur de France … avant de se hasarder en un dessein si périlleux. » Bazin, p. 361.

Page 7: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

6

Il devient l’homme qui peut faire passer un message au Pape, à l’Ambassadeur de

France à Rome, François du Val Fontenay-Mareuil (1594 ?-1665) (et à travers lui, à Mazarin

et à la Cour de France), et au duc de Guise. En même temps, il est nommé représentant de la

République à Rome auprès du Pape et des ministres de France (Residente in Roma per lo

Regno di Napoli) avec une provision de 500 écus par mois (Arnauld, p. 370). Il est donc au

centre d’un écheveau d’intrigues, d’autant plus compliquées à démêler que les instructions

mettent du temps à arriver (21 jours entre Naples et Paris, sauf courrier exprès qui prend une

quinzaine de jours) et que la situation évolue très vite, au milieu des ambitions qui se

déchainent et des trahisons qui se multiplient.

Cette position centrale lui vaut du pouvoir et donc de l’argent. Du pouvoir, il en a le

titre, puisqu’il est qualifié de « Signor Capitano » dans la lettre patente que lui fait le duc de

Guise (Siri, p. 519) et qu’il fait nommer Agostino di Lieto, qui se vante d’obtenir le soutien

des Capes Noires - la petite bourgeoisie - capitaine des gardes du duc de Guise. Comme les

fois précédentes, ses protecteurs louent son savoir faire, son entregent, ses renseignements (le

détail de toutes les forces militaires, les réserves d’or et de blé, etc. qu’il communique en les

gonflant), mais aussi sa prudence et ses conseils avisés. Ainsi, le duc de Guise décrit ainsi un

homme « de peu de naissance, mais un esprit adroit »1, comme une personne « diligente et

fidèle » (lettre patente, Siri p. 519). Donzelli évoque l’excellence de ses vertus et sa noble

naissance (que con l’excellenza del virtuoso operare crescere maggiormento lo splendore de

nobili suoi natali, p. 212). L’abbé Arnauld (1597-1692, frère d’Arnauld d’Andilly, qui a pour

mission le chapeau cardinalice pour Michel Mazarin), représentant de la France à Rome,

esprit exalté par l’aventure napolitaine (Tutini, p. 275-276), dit que « Lorenzo Tonti, dont la

femme est Napolitaine… est toutpuissant auprès de lui [le duc de Guise] … Lorenzo est très

habile. Il a été autrefois parfaitement bien auprès du Comte de Monterey, viceroi de Naples »

(lettre du 8 février 1648, p. 387). Même Tutini loue l’extrême intelligence de Tonti, au milieu

d’une situation délicate à gérer. Agostino di Lieto (15 octobre 1647, écrivant « à Monsieur le

duc de Guise, mon maître ») et Tonti donnent des conseils à Guise sur son comportement à

Naples (10 nov. 1647 - Pastoret, p. 150), et qu’il convient en particulier que les Français

n’importunassent pas les femmes de Naples. Leurs conseils sont judicieux, la clairvoyance et

la prudence de Tonti sont prisées : le 21 décembre 1647, Mazarin écrit à l’Ambassadeur et

évoque les projets de Tonti qui aident à éloigner le péril espagnol2.

1 Mémoire du duc de Guise, p. 106 2« J’ay veu aussy, par la lettre du sieur Lorenzo Tonti, les projects qu’il avoit faits pour les premieres fonctions

de son generalat, qui estoient d’aller nettoyer les environs de Naples » Chéruel, p. 557 (noté p. 1058).

Page 8: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

7

Illustration 1 – Cardinal Jules Mazarin

Source : atelier de Pierre Mignard, 1658-1660, Chantilly, musée Condé.

https://www.histoire-image.org/fr/etudes/portrait-cardinal-mazarin?i=1272

Bien sûr, Tonti n’hésite pas à solliciter de l’argent pour ses services 1 . Diverses

pensions sont accordées à Tonti et à Lieto durant ce temps ; mais ils les complètent (surtout

Lieto qui est sur place) par de vastes détournements d’argent 2, des prélèvements sur des

sommes qui leur sont confiées, un trafic d’armes (Tutini, p. 332, confirmé par les Mémoires

du duc de Modène, p. 226), des ventes de pain dans Naples affamé, des vols auprès des

bourgeois 3 et des institutions financières de Naples 4, de trafics de passeport (Tutini, p. 346)

ou ont des exigences 5 accompagnées de menaces de chantage et de dénonciations 1.

1 « Il me pria, en écrivant à la cour, de faire valoir les services de son beau-frère, et les siens, et leur ménager

des pensions et quelques sommes considérables, pour récompenser ses correspondants, et amis, et attirerait par

des bienfaits beaucoup de Napolitains dans les intérêts de la France, lui acquérir des créatures, et lui former

une puissante cabale, pour disposer en temps et en lieu les esprits à la servir utilement, et contribuer à ses

avantages ». Mémoires du duc de Guise, p. 62. 2 « si spesero 18 mila scudi, il tutto passè per le mani di Agostino, …, et rubó con quello molte migliara di

scudi. » (vous avez dépensé 18 mille écus, tous passé par les mains d’Agostino…, et voler ainsi beaucoup de

milliers d’écus). Tutini, p. 331. Le duc de Modène raconte aussi comment Lieto récupère la somme de 1000 écus

de la part de Guise (Mémoires, p. 226). 3 « Presero dalle case di molti nobili napolitani gran quantità di mobili… » (saisi dans les maisons de beaucoup

de nobles napolitains de grande quantité de meubles). Tutini, p. 332. Idem dans les Mémoires du duc de

Modène : « Le Liéto ne s’appliquait qu’à la recherche des maisons où il y avait quelque chose à prendre »

p. 455). Quand le duc de Modène se fait arrêter par Guise, Lieto lui vole le maximum et le dépouille de ses

écuries (p. 460). 4 « Furono da’ Banchi di Napoli presi i danari… pervennero nelle mani di Agostino » (dans les banques de

Naples a pris l’argent… … a atteint les mains d’Agostino). Tutini, p. 332. « danaro tolto dal Banco della Casa

del Annunziata , da quello del Monte della Pietà e da alcuni altre » (de l’argent pris dans la Banque de la Caisse

de l’Annonciation, dans celle du Mont-de-Piété et quelques autres). Capecelatro, T.2, p. 317. 5 Un jour, Lieto exige de l’Ambassadeur de France 100 000 écus, dont 50 000 à titre de remboursement de ses

frais et 50 000 devant servir pour des projets à Naples, à verser dans ses mains (« ma pur in sua mano doveano

pervenire ». Tonti lui demande la même somme, pour le duc de Guise. (Tutini, p. 333 et 592).

Page 9: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

8

Durant tout le temps où les forces françaises opèrent en Italie, Tonti sert d’agent à

Mazarin et obéit à ses ordres. Tonti intercepte des lettres et les lui communique 2. Il espionne

Clerisantes (l’envoyé du roi de France) pour l’Ambassadeur de France et Mazarin. De

Loménie, pour tenter de faire avancer la cause de la France, fait différentes promesses de

sureté 3 et prévoit des engagements financiers, sous la forme d’un fond spécial, doté de 50 000

livres et de chaines d’or, pour « gratifier les personnes » qui ont aidé la France : « On a

pourveu à un fondz de cinquante mil livres pour estre employé à ces affaires, et notamment à

faire des gratifications à diverses personnes qui ont bien servi et qui peuvent le faire encore

utilement », dont Annese et Tonti : « Quant au Sr Laurenso Tonti, on pourra luy donner

quelque bon présent, soit en argent et en une chaisne, ou tout en argent s’il l’ayme mieux, et

avec cela un brevet de pension des meilleurs » 4.

Or, tous se méfient de Tonti, trop avide et peu digne de confiance. Mazarin, mis en

garde par son jeune frère Michele Mazzarino, Cardinal de Sainte-Cécile (1605-1648), le

soupçonne d’être prêt à le trahir à tout moment et de n’agir que pour de l’argent. Le 7 février

1648, à Fontenay-Mareuil, il évoque Tonti : « tout n’a été que pure invention pour tirer de

nous quelque argent » (Pastoret, p. 160-164)5. De mêmee, Mazarin écrit au Cardinal Grimaldi

(Girolamo Grimaldi-Cavalleroni, 1595-1685), le 22 février 1648 : « J’ai toujours douté que

Lorenzo Tonti n’est pas de la farine nette, et l’ambassadeur a mal fait de se jeter avec toute

sa confiance dans la main de cet homme. Je ne dois pas montrer de la méfiance à son égard,

il suffit de le regarder et de ne pas communiquer quoi que ce soit d’important… Je

dissimule » 6 . Un peu plus tard, le 24 avril 1648 (alors que l’aventure napolitaine s’est

écroulée, mais sans qu’il le sache encore), Mazarin écrit à Fontenay-Mareuil de se débarrasser

des deux acolytes : « Lorenzo Tonti et son beau-frère ne valent rien à ce que je puis juger de

toutes les relations qui me viennent, et sont capables de toutte meschancetez…il faudra

tascher de faire en sorte que M. de Guise en soit délivré ». Toujours le 24 avril, Mazarin écrit

au Cardinal Grimaldi, une phrase prémonitoire : « …cette sorte des gens sont d’une telle

1 « Agostino, unito col Tonti suo cognato, scrissero alla corte che il marchese di Fontané era del partito

spagnolo e che haveva soldo da Spagna… » (Agostino, avec Tonti son beau-frère, a écrit à la Cour que le

marquis de Fontenay était du parti espagnol et recevait de l’argent de l’Espagne). (Tutini, p. 592). 2 Tonti a appris de Don Gioseppe Francischino, archiprêtre de Cerignola, à intercepter des lettres, à les ouvrir, à

en fabriquer de fausses, à faire se répandre des bruits et des rumeurs, à imiter les signatures, à utiliser des codes

(Tutini, p. 275 et Mémoires du duc de Guise, p. 35). 3 « On peut encores faire toucher au doigt à ceux qui ont le plus offensé les Espagnolz, comme le capitaine

Gennaro et Luigi del Ferro et autres, que ce seroit leur entière seureté et qu’ilz n’auront jamais rien à craindre

si nous pouvons nous bien establir, au lieu qu’il sera fort périlleux pour eux de demeurer toujours sans appuy ni

retraite asseurée, exposez d’un costé aux insultes et à la vengeance des Espagnolz et de leurs adhérens, et de

l’autre à la discrétion d’un peuple volage qui peut changer d’inclination et de maxime du soir au matin. »

(Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais, p. 217). Ce mémoire d’instructions à Fontenay-Mareuil,

« ambassadeur extraordinaire prez du Pape » compte 45 pages et est signé Louis (qui a alors 11 ans), et

contresigné de Loménie, le véritable auteur du texte. 4 Idem, p. 221. 5 « Je me remets à vous de donner ce que vous estimez à propos au sieur Lorenzo Tonti… je continuerai à lui

donner de bonnes paroles et des espérances d’être récompensé. » Chéruel, T. 3, p. 32. Et c’est ce qu’il fait par

une lettre à Tonti du 19 février 1648, évoquant l’arrivée de la marine à Naples (p. 38). 6 « Ho sempre dubitato che Lorenzo Tonti non sia farina netta, e l’ambasciatore fece male à gettarsi con tutta la

confidenza in mano di quest’ huomo ; non bisogna mostrar diffidenza di lui, bastando di guardarsene e non

communicar seco cosa d’importanza… Io però dissimulo seco… ». Chéruel, T. 3, p. 44.

Page 10: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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condition et profession, que si un jour vient, ils vont vendre aux Espagnols et leur personne

et la France »1.

Tout le monde joue un jeu compliqué, fait d’arrière-pensées, de trahisons, de chausse-

trappes… et la maladresse de certains du parti français n’arrange rien, alors que les Espagnols

sont présents en force et avec beaucoup d’argent.

Conclusion : Il apparaît aussi que Tonti ment sur tout l’épisode italien quand il arrive à

Paris : d’abord sur son identité (Baroncini et non Tonti), ensuite sur son activité passée (il est

de pauvre extraction et n’a pas été un banquier en vue à Naples 2) et enfin il n’a jamais

commandé la forteresse de Gaète 3.

Tonti, agent de Mazarin

Lorsque la Révolution échoue, l’Ambassadeur Fontenay-Mareuil trouve deux boucs

émissaires - Tonti et l’abbé Arnauld - et le fait savoir (Arnauld, p. 445). Mazarin reprochera,

dans une lettre du 15 mai 1648, à Tonti de n’avoir commencé à critiquer le duc de Guise

qu’après sa chute. Toutefois, par deux dépêches à Fontenay-Mareuil (30 juin et 3 août 1648),

il annonce que le roi donne une pension de 600 écus à Tonti et une gratification (d’un montant

non précisé) à son beau-frère (Pastoret, p. 309). Cela agace prodigieusement le Cardinal

Barberini, qui s’en plaint dans une lettre à Lionne du 18 septembre 1648 : « ils voient Tonti

récompensé … alors qu’il n’avait servi ni son pays, ni Sa Majesté et que son beau-frère a

contribué à ruiner le duc de Guise et à s’enrichir dans le désordre » 4

Lorsque l’Espagne reprend Naples, à l’exception d’un ou deux pardons (Hugon

p. 241), la répression s’abat sur tous ceux qui ont pris fait et cause pour la révolution

napolitaine et le parti français. Des milliers d’individus sont traqués, jugés, exécutés (Annese)

ou assassinés. Plus de dix mille partent se réfugier à Rome où leur situation est difficile

(Serradileo). Tonti et Lieto partent d’abord en Toscane, puis au Piémont (Boni, p. 176) et

enfin quittent l’Italie pour Paris en 1650 afin d’échapper aux poursuites. La famille de Tonti

semble rester à Rome un certain temps, puisque Gueffier, second de l’Ambassade, « résident

perpétuel » (dit Arnauld), la trouve dans la misère en juillet 1651, quand il va la voir sur

instruction de Loménie de Brienne (Ravaisson, p. 294).

1 « che simil sorte di gente sono di tal conditione e professione, che se un giorno verrà loro ben fatto,

venderanno a i Spagnuoli e la persona sua e la Francia ». Chéruel, T. 3, p. 93. 2 Dans le monde germanique, Tonti est souvent qualifié de médecin (Arzt). Par exemple : « Sie erhielten ihren

Namen nach dem italienischen Arzt Lorenzo Tonti » (Elles [les tontines] ont pris leur nom du médecin italien

Lorenzo Tonti) Meyers Konversations Lexikon, vol. 16, p. 941) et des détails sont donnés par Grosse p. 19,

repris par O’Donnell p. 160 et par Milevsky p. 42. Nous pensons qu’il s’agit d’une confusion avec un autre

Tonti, indiqué sous le nom « Tonti Medico Napoletano », qui fait des expériences de chimie dans les années

1790 avec le professeur Anton Rup(p)recht von Eggenberg (1750-1808) à Schemnitz. 3 Le seul élément en faveur du commandement du port ( ? habituellement, on lit du fort) de Gaète est indiqué par

Boni p. 176. Or tout son récit apologétique concernant Tonti à Gaète est douteux, comme le montre l’épisode de

la femme de Tonti relaté ci-après. Un article sur Internet prétend que Tonti a été gouverneur de la région de

Gaète (https://bmirgain.skyrock.com/3272739472-L-ANTONOMASE-A-LA-DEROBADE.html), mais comme

ce même article prétend aussi que Tonti est le parrain que Louis XIII donne au futur Louis XIV – on se demande

comment Tonti aurait été en relation avec la Cour de France en 1638, date de la naissance du futur Louis XIV, et

qu’il est de connaissance publique que le parrain de Louis XIV est Mazarin - il y a lieu d’écarter purement et

simplement l’ensemble de ces prétentions hautement fantaisistes. 4 « vedono rimunerato il Tonti … in poi non ha servito né alla Patria, né a S. M., et il suo cognato ha aiutato a

rovinare il Duca di Guisa et con il rubbare si sia arricchito. » (cité par Miceli, p. 183).

Page 11: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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Après l’échec de sa première tentative à Naples, Henri de Guise est fait prisonnier ; de

1648 à 1652, il est détenu en Espagne. À peine libéré, grâce au grand Condé (Louis II de

Bourbon-Condé, 1621-1686) qui l’échange contre quelques services que lui doit l’Espagne, il

songe une fois de plus à s’emparer de Naples, en dépit de ses engagements formels envers le

roi d’Espagne. Il s’en ouvre à Mazarin, qui le soutient cette fois de façon officielle et le

nomme lieutenant-général « représentant de la personne du Roy » (23 mai 1653) et choisit

Colbert (Charles de Croissy, 1629-1696, frère cadet de Jean-Baptiste - Roergas de Serviez,

p. 54) comme délégué aux finances, chargé du ravitaillement de l’expédition et le marquis de

Plessis-Bellière (Jacques de Rougé, 1602-1654) en tant que lieutenant-général des troupes,

second de l’expédition. Guise vend la baronnie et le château de Meudon à Servien (Abel,

1593-1659, surintendant des finances), hypothèque son château d’Eu au profit de son jeune

frère, vend des tapisseries et des tentures pour financer son expédition. Une escadre est réunie

à Toulon, dont le lieutenant-général est le chevalier Paul (Jean-Paul de Semeur, 1597-1667),

mais on se rend compte assez vite qu’elle est faite de bric et de broc (une galère coule avec le

pain et les munitions, une autre avec 400 soldats d’un régiment, on manque de cordage, etc.).

Mazarin cherche les soutiens du côté de Rome auprès de son agent le Cardinal Barberini 1 et

du Cardinal d’Este (Rinaldo, 1618-1672, frère du duc de Modène) et leur fait passer des

sommes destinées au recrutement ainsi qu’à l’achat de chevaux et d’armes. Il y renvoie aussi

l’ensemble de ses anciens protégés italiens, qui ont l’espoir de retrouver leur patrie et une

situation, pour intriguer et semer la discorde chez les ennemis. C’est ainsi que Lorenzo Tonti,

repart en direction de l’Italie 2 (Mumms & Richards, p. 150).

Cette seconde campagne du duc de Guise à Naples a lieu à la fin de l’année 1654 (la

flotte quitte très tardivement Toulon le 6 octobre 1654). Guise arrive à débarquer et prend le

contrôle d’un point fortifié non loin de Naples, Casellamare (13 novembre 1654), d’où il

cherche à bloquer le ravitaillement en farine de Naples, mais se heurte à une résistance plus

forte que prévu lors de l’attaque de la ligne des moulins. Les soldats levés par la France, qui

doivent jeter le trouble dans différentes provinces contrôlées par les Espagnols, ne font pas

grand chose ; la cavalerie manque chez les Français ; dans une escarmouche, Plessis-Bellière

est tué ; les vivres et les munitions s’épuisent d’autant plus vite qu’il n’y avait de provisions

que pour deux mois et qu’une partie a été perdue ; les Espagnols envoient une armée sous les

ordres de Don Carlo de la Gatta, alors que le bruit court que l’Espagne a réussi à rallier 4000

bandits qui menacent d’attaquer ; la population de Naples ne se soulève pas pour le duc de

Guise et la noblesse locale, au lieu de l’accueillir, le combat. La situation se complique encore

pour les Français, car une flotte anglaise dirigée par Robert Blake (1598-1657) arrive en

Méditerranée, alors que la flotte française du Ponant, sous les ordres de Nuchèze (François de,

v.1600-1667) tarde. Finalement, manquant de munitions et de pain, après un conseil de

guerre, Guise rembarque, le 23 novembre, en direction de Toulon (Guise, Suite…, p. 117).

Et une fois encore, Tonti se réfugie en France à partir de l’Italie (Mumms & Richards,

p. 166) tout en continuant à servir d’agent à Mazarin.

1 Antonio, 1607-1671, dit le Cardinal Antoine, frère du précédent Pape. Antonio Barberini est en même temps

grand aumônier de France et évêque de Poitiers. 2 Si l’expédition du duc de Guise de 1654 est bien connue, que l’on voit bien Mazarin réactiver ses réseaux pour

la préparer (les réfugiés italiens en France, les factions françaises de Rome et les mécontents de Naples), les

seules références à Tonti sont celles de Charles Gregory dans son article « Parthenope’s Call: The Duke of

Guise’s Return to Naples in 1654 » dans Mumms & Richards. Cet aller-retour est donc à prendre sous les plus

grandes réserves — d’autant que Tonti est à ce moment préoccupé par l’avancement de sa première tentative de

tontine qu’il croit encore fermement réussir — même si on ne saurait l’exclure.

Page 12: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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De 1649 à 1660, Mazarin fait verser à Tonti une pension annuelle de 6000 livres, et,

par l’intermédiaire de l’archevêque de Reims, 400 pistoles (Coudy, p. 128)1. En même temps,

il fait surveiller Tonti et Lieto et un autre Italien, Gioanni, arracheur de dents, qu’il soupçonne

de sédition. Dans une lettre du 18 septembre 1650 de Mazarin à Michel Le Tellier (1603-

1685), il écrit : « La Reyne désire absolument qu’aprez en avoir parlé à S. A. R. et qu’elle

l’aura approuvé, on fasse arrester Lorenzo Tonti et Agostino Lieti, Napolitains, qui sont à

Paris et qu’on devroit desja en avoir chassez il y a longtemps… de meschants esprits, qui

donnent des advis en Flandres, qui sèment des bruits pour allumer des séditions dans Paris,

et qui, en dernier lieu, n’ont rien oublié, au Palais, pour aigrir les esprits ». Mais, après tout

ce que Mazarin a comme raisons de se méfier de Tonti, il continue à lui verser sa pension, ce

qui ne laisse pas de surprendre quelque peu…

En 1651, Tonti se vante d’avoir sauvé la famille royale, grâce à un avis qu’il aurait

donné à Louis I de Bourbon (1612-1669), Cardinal de Vendôme, qui l’aurait communiqué à

la reine-mère (Laloy, p. 406). Il a ses entrées à la cour, il correspond avec Mazarin, Jean-

Baptiste Colbert (1619-1683), Pierre Louis Reich de Pennautier (1614-1711) 2, Charles de la

Porte, maréchal de la Meilleraye (1602-1664) 3 ; Gian Lorenzo Bernini (le Cavalier Bernin,

1598-1680) 4 vient lui rendre visite lors de son voyage en France durant l’été 1665 et le soir il

signe une liste de tableau en affirmant qu’ils sont beaux - ce qui leur assure une immédiate

plus-value- (Fréart de Chantelou, p. 229), il connaît la reine-mère, etc.

Clairement, c’est un homme en vue, comme veulent le faire accroire les deux gravures

ci-après.

1 Ces sommes correspondent grossièrement à ce que proposait le comte de Brienne au marquis de Fontenay (28

nov. 1647). 2 Personnage considérable, financier, protégé par le Cardinal de Bonzi, il est à la fois trésorier de la bourse de la

province de Languedoc (région riche) et receveur général du Clergé de France (chargé de collecter les impôts

pour l’Eglise de France) ; il est mêlé à l’affaire des poisons. 3 Lieutenant-général de Bretagne en 1632, surintendant des finances en 1648-1649, personnage intègre dans des

temps troubles et propices à la corruption la plus effrénée ; on l’a critiqué pour son manque de compétence en

matière de finances publiques. 4 Le Cardinal Chighi (Chigi), neveu du Pape, vient très humblement à Paris (de mai à août 1664) pour régler le

contentieux entre la France et le Vatican, suite à l’incident du 20 août 1661 au cours duquel le duc Charles de

Créquy (1623-1687), ambassadeur de France à Rome, a été insulté par la garde corse du pape qui a tiré sur son

carrosse et tué un de ses pages. Paul Fréart de Chantelou, maître d’hôtel de Louis XIV, accompagne (surveille)

le Cardinal Chigi durant son voyage en France et en fait rapport.

Page 13: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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Illustration 2 - Louis XIV et Tonti ?

Tonti vers 1653

O’Donnell, History of Life Insurance,

1936, p. 160. Auteur et références

inconnus.

Le Conservateur explique que Tonti est l’homme à grande perruque à gauche

et que Mazarin est en habit noir à côté du roi Louis XIV. Ces explications

doivent rassurer l’investisseur sur le sérieux de Tonti, proche des grands de la

Cour et sur l’importance reconnue de la tontine depuis trois cents ans.

Le médaillon est clairement

utilisé dans la gravure ci-contre.

Sur la grande gravure, en provenance du site du Conservateur 1 nous sommes censés

être vers 1653. Dans le commentaire oral du petit film de présentation du Conservateur, qui

expose le concept de tontine et propose de participer au montage annuel que cette entreprise

organise, l’homme en noir portant une grande croix est dit être Mazarin et l’homme à la

grande perruque qui fait face sur la gauche, Tonti, un ingénieux banquier napolitain sollicité

pour remplir les caisses de l’Etat au moyen d’un nouveau type d’emprunt. Tonti est montré

comme un proche de ces personnages ; il apparaît comme un homme mûr, d’une cinquantaine

d’années, ce qui pourrait conforter l’hypothèse d’une naissance vers 1603. Sauf que tout cela

est faux.

En effet, cette gravure trouve son point de départ dans une œuvre célèbre

d’Henri Testelin (1616-1695) « Colbert présente à Louis XIV les membres de

l’Académie Royale des Sciences », commandé par Louis XIV pour réaliser une

tapisserie par la manufacture des Gobelins. Il s’agit d’un grand tableau de

348 x 590 cm exposé à Versailles 2 (voir Annexe). Le sujet traité est une visite

du roi Louis XIV qui a lieu le 22 décembre 1666 (et non vers 1653), que le

1 Le groupe Le Conservateur s’enorgueillit de réaliser des montages tontiniers depuis 1844. A l’occasion de ses

170 ans, pour l’édification de ses clients, la compagnie fait réaliser un petit film qui retrace son histoire et de son

produit phare, les tontines.

https://www.conservateur.fr ou https://www.youtube.com/watch?v=x-IRypeoP1o&t=61s&frags=pl%2Cwn

https://vimeo.com/84223787 ou http://rodama1789.blogspot.fr/2017/05/winning-lottery-of-life-tontines.html

Cette gravure est reprise par l’entreprise Tontinetrust qui assure que l’homme au centre est l’Evêque de France

qui informe le roi Louis XIV qu’il ne peut se lancer dans une nouvelle guerre. Lorenzo Tonti, à gauche, dispose

d’une solution : “The Bishop of France (centre) informs his King that they cannot afford to go to war, Lorenzo

Tonti (left) “I got this”. https://blog.tontinetrust.com/the-history-of-the-tontine-c7511e04a2f5 2 https://www.histoire-image.org/fr/etudes/colbert-presente-louis-xiv-membres-academie-royale-sciences

https://www.reseau-canope.fr/musee/collections/en/museum/mne/fondation-de-l-observatoire-1669-colbert-

presente-au-roi-les-membres-de-l-academie-des-sciences/55eb920a-8cf7-4a7e-9b87-62210112cac9

Page 14: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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peintre met en scène, avec une sphère céleste, un quadrant, des plans, des

squelettes d’animaux,… et un ensemble de personnages bien connus qui sont

les membres initiaux de l’Académie : l’homme en noir qui porte la croix,

insigne de l’ordre du Saint-Esprit, est Jean-Baptiste Colbert 1, qui en a promu

l’idée aidé de Charles Perrault (l’individu portant des documents) ; Monsieur,

le frère du Roi, assis, est habillé en rouge ; le religieux qui fait face au roi,

devant lequel il s’incline respectueusement, est l’abbé Jean-Baptiste du Hamel,

premier secrétaire de l’Académie ; les personnages sur la gauche sont les

savants qui sont les premiers membres de l’Académie des Sciences (La Hire,

Du Clos, Roberval, Mariotte…). C’est donc Colbert, et non Mazarin, qui figure

sur le tableau. Au moment où Testelin peint son tableau (vers 1667-1668),

Tonti n’est plus dans l’environnement de Colbert et de la Cour (il va être

emprisonné à la Bastille quelques mois plus tard). Tonti n’apparaît pas sur le

tableau de Testelin et n’a d’ailleurs aucune raison d’être représenté au milieu

des membres initiaux de l’Académie Royale des Sciences qui sont autant de

savants dans différentes branches des sciences.

Dans un deuxième temps, plus d’un siècle et demi après l’événement (vers

1840), une gravure est réalisée, d’après ce tableau, par Louis Gustave Thibault 2 (voir Annexe) par eau-forte et burin et, d’après les indications à différents

endroits de cette gravure, selon un dessin de Léopold Massard reproduisant le

tableau de Charles Lebrun (en réalité l’idée du précédent tableau est de Lebrun,

l’œuvre étant réalisée par Testelin) par diagraphe et pantographe de Gavard ; le

nom de l’œuvre devient « Fondation de l’Observatoire (1669) » avec pour

sous-titre « Colbert présente au roi les membres de l’Académie des Sciences ».

Très logiquement, la tête de celui qui est censé être Tonti n’apparait pas et

Tonti n’est pas présent dans la gravure de Thibault effectuée d’après le tableau

de Testelin.

Dans un troisième temps, la gravure ci-dessus apparaît, et seulement dans un

petit film de présentation de la société Le Conservateur – film historique 2014

– 170 ans (sans que la société Le Conservateur, sollicitée, ait donné des

informations sur son origine). Et c’est dans cette gravure que nous trouvons un

homme qui fait face au spectateur et qui est dit être Tonti (de fait, le portrait de

Tonti semble avoir été mis à la place d’un des académiciens). Nous

soupçonnons donc la société Le Conservateur, qui naît en 1844, quasiment au

moment où Thibault réalise sa gravure, d’avoir fait réaliser un montage, en

incrustant le portrait de Tonti (dont nous n’avons pas pu retrouver les

références) dans la gravure de Thibault, pour se donner de la respectabilité et

une référence historique. Il est au demeurant possible que ce travail soit aussi

l’œuvre de Thibault.

Tonti, projeteur

Tonti est un réfugié Italien, en cheville avec le Cardinal Mazarin. C’est un « grand

donneur d’avis » d’après Savary des Bruslons (1657-1716), en particulier financiers : son

affaire, son invention, ce sont des rentes viagères avec le droit d’accroissement (reditus ad

1 Colbert vient d’être nommé Grand-Trésorier de l’Ordre du Saint-Esprit en 1665. Mazarin, décédé en 1661,

n’est pas titulaire de cet ordre, ce qui disqualifie encore, s’il en était besoin, le commentaire du Conservateur. 2 http://www.astrolabium.be/mesurercieletterre/Colbert-presente-les-membres-de-l

Page 15: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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vitam cum augmento 1) pour les survivants, que l’on nommera plus tard, d’après son nom, les

tontines.

La grande affaire : les tontines

On a toujours argué que les tontines trouvaient leur origine dans une institution

italienne appelée Monte delle Doti, ou mont-de-dot, pratiquée notamment à Florence depuis

1425, dont un résumé se trouve dans le livre VI de la République de Jean Bodin2. Le montage

évoqué est le suivant : « celui qui a une fille, au jour de sa naissance, met cent écus au mont

de piété à charge d’en recevoir mille pour la marier quand elle aura 18 ans ». Le mont-de-

dot (la division du mont-de-piété qui s’occupe de cette affaire) capitalise à raison de 5 % l’an.

L’idée est simple : si la jeune fille meurt, il n’y a nul besoin de dot et la mise initiale des 100

écus revient au mont-de-dot 3 (les parents ont perdu leur fille et l’argent déposé) ; si la jeune

fille est toujours vivante, elle pourra se marier honorablement sans que ses parents eussent à

se priver durant toute la jeunesse de la jeune fille.

Rendons justice à Tonti : s’il a pu trouver l’idée dans le montage italien, dans lequel

la mortalité de certaines accroît aux survivantes, il est indéniable que l’opération telle qu’elle

est décrite est à la fois incomplète et défectueuse.

Incomplète, car le contrat de dot que le Monte met en œuvre est constitué d’un

faisceau de contrats entre chacun des parents et le Monte. Il ne s’agit pas d’un

emprunt auprès d’un ensemble de souscripteurs, dont l’accroissement des

arrérages passe par le décès des nominés et dont le terme est la mort de la

dernière tête choisie.

Défectueuse, car les trois quarts des filles doivent mourir avant leurs 18 ans

pour que le quart des survivantes puisse se marier avec une dot de 1000 écus.

Or la mortalité du genre humain est considérablement inférieure 4. Et si le père

1 Dictionnaire universel François et Latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux : Contenant la

Signification et la Définition des mots de l’une et de l’autre Langue ; ... Avec des remarques d’érudition et de

critique, Volume 8, p. 59, [Anonymus AC09811611], Par la Compagnie des Libraires Associés, 1771. 2 Tonti connaît le livre et en parle dans sa Relation…, p. 37 (voir plus loin). En réalité, l’idée de capitaliser

pendant un certain temps, en profitant de l’aléa de mortalité d’un certain nombre de déposants, est dans l’air : en

1401, à Berlin, le conseil vend une annuité à trois individus, sachant que ce sont les survivants qui se partagent

chaque année les arrérages (Jack, p. 174). Un peu plus tard, Ammirato indique que si le prince doit donner une

pension à des soldats, la mort de certains d’entre eux au bout de 20 ans de carrière militaire, rendra la dépense

plus légère (Ammirato, p. 59). Mais on a aussi l’exemple, dès 1629, de la Compagnie Commerciale du

Morbihan qui cherche à trouver des actionnaires en promettant de rendre au bout de 16 ans un capital sextuple

de la mise initiale et rien en cas de décès ; toutefois l’opération reste au stade du projet. Enfin, au Portugal,

Nicolas Bourey propose au Senado de Lisboa en 1641 un emprunt d’Etat, avec aléa de mortalité, une tontine, à

laquelle aucune suite n’est donnée. L’original du texte de cette proposition est dans Colleccao Pombalina à la

Biblioteca Nacional de Lisboa (#650, fol 133-134) et est réimprimé par A. H. de Oliveira Marques, Para a

historia dos seguros em Portugal, notas e documentos (1977). Enfin, sans qu’une date soit indiquée, le même

type d’opération est supposé en Angleterre : « Il y a en Angleterre une espèce de Mont-de-piété, ou de Banque,

où le public peut mettre une somme de cent pistoles, pour un enfant naissant, c’est-à-dire, quelques mois après

sa naissance en portant son extrait baptistaire ; à l’effet que si l’enfant vient à mourir avant douze ans

accomplis, la somme se trouve en pure perte pour ceux qui l’ont donnée, et demeure au profit du Mont-de-piété

ou Banque ; et que s’il survit passé les douze ans, l’enfant a cent pistoles de rente par an sa vie durant, à

commencer depuis les douze ans accomplis jusqu’à sa mort. C’est un excellent moyen pour assurer la

subsistance honnête d’un enfant, qui n’auraient pas d’autres sûretez. » Charpentier, p. 372. 3 « Et morendo avanti detto tempo, il tutto restasse al Monte », Sc. Ammirato, Istoria fiorentine, Liv. XIX. 4 La démonstration se déduit des travaux de Deparcieux (qui évoque la Banque de Venise, p. 128, 1746 et p. 6,

1760).

Page 16: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

15

dépose l’argent au Monte seulement lorsque la petite fille atteint l’âge de 5 ans,

le temps de capitalisation se réduit alors même qu’est écartée la mortalité

élevée des premières années qui, en fauchant les enfants, permet les gros

accroissements. Inversement, lorsque l’on évoque un taux de capitalisation de

11 ou 12 %, l’opération devient financièrement possible pour les parents, mais

très difficile à tenir par le Monte qui risque d’avoir promis aux ayants droit

plus que ce qu’il est en mesure de récupérer sur le marché.

Enfin, ce montage n’est pas une tontine, pour trois raisons : le décès d’une jeune fille

n’accroit pas aux survivantes ; le chiffre de l’augmentation est déterminé par avance et par

contrat ; le Monte fait face à l’obligation de payer une fois, alors que, dans la tontine, le roi a

l’obligation de payer souvent et durant très longtemps. En réalité, le montage dotal proposé

est un contrat d’assurance en cas de survie 1.

Revenons à l’origine de la tontine de 1653 2. La situation financière et politique de la

France est difficile, puisque nous sommes à la fin de la Fronde 3. On se rend compte que la

dette publique est très importante et risque de grever le budget pendant de longues années. On

pense à transformer les rentes perpétuelles en rentes à terme, notamment viagères4, ce qui

conduirait, espère-t-on, au miracle financier de l’extinction de la dette au bout d’un certain

temps.

Durant les années 1651-1653, plusieurs surintendants des finances se succèdent très

rapidement : Mesme (décès le 16 novembre 1650), Longueuil (relevé de ses fonctions le 5

septembre 1651), Vieuville (décès le 2 janvier 1653), Servien et Fouquet en parallèle

(nommés le 8 février 1653).

La tontine de 1653

En février 1652, le roi est à Saumur ; Tonti est dans l’environnement de la Cour,

puisque, dans un Avis présenté au Roi par Laurens Tonti où il expose son invention, daté du 6

février 1652 5, de Saumur, il expose une proposition assez étrange dans laquelle « un parti,

nommé la tontine royale », représenté par Tonti et ses associés, disposant d’un fonds annuel

de 4 millions de livres, verra cette somme employée à une affaire mystérieuse nommée

Tontine royale (dont aucun détail n’est évoqué, si ce n’est le montant du fonds annuel).

1 L’idée d’un montage dotal est durable, témoignant d’un problème non réglé de financement de la dot

nécessaire au mariage d’une jeune fille de bonne famille : en 1802 (an X), une Tontine commerciale ou mont-de-

piété établi en tontine avec l’approbation et sous la surveillance du gouvernement est projetée par le général

Desperrières (Archives du Mont-de-piété, 2e série, n°413) qui demande à en être le Directeur général,

inamovible. Durant tout le XIXe siècle, il existe des montages appelés tontines dotales qui sont parfois des

tontines, mais plus souvent des montages assurantiels. Enfin, la prégnance de la question de la dot pour marier

une jeune fille transparaît au travers d’une boutade de Balzac, en 1840 dans la pièce de théâtre Le Faiseur :

« Une fille, pour sa dot, ne s’adresse plus à sa famille, mais à une tontine ». 2 D’après le Nouveau dictionnaire universel (Le Châtre) à l’article Tontine, l’idée de Tonti lui serait venue en

1640. C’est un peu rapide, Tonti est encore jeune à ce moment… 3 Le préambule de l’acte de création de la tontine de 1653 énonce : « les guerres, tant domestiques qu’étrangères

de ce royaume, nous ayant obligé de si grandes et si excessives dépenses, que non seulement nous avons été

contraints, pour les soutenir, outre la recette de nos revenus ordinaires, d’avoir recours à des moyens

extraordinaires… ». 4 «… contre l’intention que nous avons de faire payer ponctuellement les dits arrérages de rente, même d’en

racheter le principal, si l’état de nos affaires le pouvait permettre pour décharger nos revenus dudit

paiement… » Préambule de l’acte de création de la tontine de 1653. 5 Manuscrits Godefroy 130 / folio 135 ; copie dans l’Annexe de Hébrard.

Page 17: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

16

Ce qui est prévu et énoncé, ce sont les frais et commissions, au total 100 000 livres à

moitié pour l’administration de la tontine et à moitié pour rémunérer l’apporteur de l’affaire,

Tonti. Celui-ci a droit à un droit du dixième sur les montants levés, un office héréditaire (la

survivance) et un dixième de ces droits qui s’appliqueraient aussi à d’éventuels futurs

montages de tontine, lui et ses héritiers bénéficiant des privilèges héréditaires dont jouissent

les anciens nobles du royaume ; enfin Tonti obtiendrait des lettres de naturalisation. On peut

noter que si ces 4 millions annuels constituent les arrérages, il faudrait lever (au taux auquel

rêvent les autorités) 80 millions, chose absolument hors de portée dans la France exsangue

d’alors !

Dans cette lettre, deux éléments sont à noter :

D’abord, le mot « parti », qui, en langage financier, signifie « un traité que l’on fait

pour des affaires de finances » (Dictionnaire de l’Académie, 1694, p. 188), « un

marché que les particuliers font avec le Roi » ; les individus qui prennent des affaires

en parti s’appellent des partisans ou des traitants (Encyclopédie des finances, vol.3,

p. 297) 1 . Tonti propose donc qu’un groupe d’individus, apporteurs d’argent,

regroupés en tant que tel, font un accord financier avec le roi.

Ensuite, le mot « tontine », qui constitue le coup de génie de Tonti qui donne son nom

au produit financier qu’il essaie de « vendre » au roi, et par-delà à l’ensemble des

souscripteurs potentiels. Très simplement, il ajoute un suffixe à son patronyme de

façon à créer un nouveau nom pour une nouvelle classe d’affaires financières 2. Le

mot « tontine » se répand durablement 3.

1 On a connu, bien avant, un tel groupement de personnes ayant avancé de grosses sommes au roi, le « Grand

parti de Lyon », qui est le nom d’un emprunt lancé par Henri II en 1555 (Gallais-Hamonno, 2006). Tonti se

glisse donc dans la continuité de cette organisation des emprunts royaux. 2 Dans le cas de la tontine, le nom commun a pour origine le nom propre de son inventeur, Tonti. Il s’agit donc

d’un anthroponyme. Le terme de la linguistique qui qualifie cette création de nom est appelé antonomase. Dans

une antonomase, le nom commun peut être soit identique à l’anthroponyme, soit présenter une modification

orthographique, soit en être une forme francisée ou modifiée par l’adjonction d’un suffixe, comme c’est le cas

ici. 3 Le mot « tontine » connaît une fortune immédiate, d’abord dans un jeu aujourd’hui quasi oublié, ensuite dans

un montage financier que les notaires utilisent encore, et enfin dans une pratique financière qui n’a rien à voir

avec l’invention de Tonti, mais qui en porte le nom.

La tontine est un jeu « dont il n’a jamais paru de règles », qui se joue avec 52 cartes, et qui est d’autant plus

amusant que le nombre de joueurs est important et que chaque joueur dispose au début d’un nombre conséquent

de jetons. Théodore Legras en indique les modalités en 1725 (p. 50 et s.) : chaque joueur dépose un certain

nombre de jetons dans un corbillon, appelé tontine, qui joue le rôle de poule, et, selon la distribution des cartes, il

doit remettre des jetons à ses voisins ou récupérer des jetons dans le corbillon. Un joueur qui ne dispose plus de

jetons est considéré comme mort, mais il peut ressusciter s’il reçoit à nouveau des jetons d’un de ses voisins.

Lorsqu’un seul joueur est en possession de tous les jetons, la partie est terminée et ce joueur est le gagnant de

tous les jetons du corbillon. https://academiedesjeux.jeuxsoc.fr/tontine.htm

Bien connu des notaires, le pacte tontinier, ou tontine ou clause d’accroissement est une convention conclue

entre plusieurs personnes qui achètent un même bien en commun ; insérée dans un contrat d’achat, celle-ci

prévoit que le bien reviendra en pleine propriété au dernier des survivants, après le décès de tous les autres co-

acquéreurs. Cet arrangement financier peut présenter des avantages intéressants, notamment en matière fiscale et

lors d’une succession.

Dans de nombreux pays, il existe une pratique d’Association rotative d’épargne et de crédit (Arec ; en anglais

Rosca, Rotating Savings and Credit Association). Il s’agit d’une pratique informelle consistant à collecter dans

un groupe restreint de participants (10, 15 personnes), à intervalles réguliers (tous les mois, toutes les semaines),

une somme donnée et à remettre l’ensemble, à tour de rôle, à l’une des personnes du groupe (voir Bouman).

Page 18: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

17

Tonti remet à Mazarin plusieurs mémoires, dans lesquels il expose son invention de la

tontine 1 , auxquels fait allusion le préambule de l’édit de 1653. D’autres propositions

concurrentes sont aussi faites.

Le roi entre à Paris le 21 octobre 1652 et Mazarin le 3 février 1653. Suite à l’agitation

des rentiers, appuyés par différentes délégations de grands commerçants, le roi est contraint

de promettre d’assurer dorénavant le paiement des rentes sur l’Hôtel-de-Ville, arrérages et

principal. Il faut donc trouver les moyens de le faire sans altérer les finances de l’État, c’est-à-

dire solder les armées et financer les ralliements, et pour cela lever des fonds rapidement.

Depuis le 18 octobre, le roi est à Châlons-en-Champagne pour surveiller le siège de

Sainte-Menehould, distante d’une cinquantaine de kilomètres, et Mazarin est près de lui

(Priorato, vol. 2, p. 86). La ville tombe le 24 novembre. Quelques jours plus tard, le roi

revient à Paris. C’est donc dans cet intervalle que l’« Édict du Roy, portant création de la

tontine royale » est « donné à Châlons, au mois de novembre, l’an de grâce 1653 ». Après

examen et délibération dans le Conseil du roi où siègent « la Reine, notre très honorée dame

et mère et plusieurs princes, ducs, etc. », sa conclusion est que, de tous les projets, « celui de

Laurent Tonti fut trouvé le plus avantageux à l’État et aux propriétaires des rentes ; ce qui le

fit préférer à tous les autres » 2 : en conséquence, « nous avons par ce présent édit perpétuel

et irrévocable créé, érigé et établi… une société qui sera nommée tontine royale ». Tonti a

dès lors fait passer officiellement son nom en terme générique. Le texte est signé

« LOUIS, et plus bas, par le Roi : de GUENEGAUD3, et scellé du grand sceau de cire verte »,

indiquant un acte à valeur perpétuelle. L’édit est imprimé à Paris par J. Bouillerot en 1654.

Illustration 3 - Edict du roy pour la création de la société de la tontine royale

Considérons maintenant le montage de cette tontine.

Par rapport au projet de l’Avis de Saumur, les choses se sont bien réduites : la tontine

royale de 1653 est composée de 10 classes, chaque classe versant 2 050 000 livres en espèces,

la part ou action étant de 300 livres. Par ce montage, Tonti prétend donc procurer à l’État un

fonds de 20 millions, c’est-à-dire un quart de l’objectif précédent. En contrepartie de ce prêt,

le roi s’engage à payer annuellement 102 500 livres pour chacune des 10 classes (soit au total

1 Hennequin (p. 201) affirme qu’il a vu cette requête revêtue de l’autorisation donnée par le chancelier d’Aligre

le 16 février 1652 (le factum fait référence à cette signature — voir Hébrard, Annexes, p. 112) avec renvoi au

Conseil du roi. Il affirme aussi avoir tenu en ses mains l’ordonnance de novembre 1653 qui propose la tontine

royale. 2 Le préambule de l’acte de création de 1653 évoque Tonty (avec y) et lui-même signe de ce nom ses différentes

lettres. 3 Henri Duplessis-Guénégaud, 1609-1676, secrétaire d’Etat à la Maison du roi.

Page 19: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

18

1 025 000 livres de rente). Compte tenu du prix de l’action, et comme chaque action rapporte

initialement 15 livres, le taux d’arrérage est le denier 20 (c’est-à-dire de 5 %) pour un capital

versé à fonds perdus. Mais cette somme (et le taux d’arrérages correspondant) doit augmenter

par le décès des membres de la classe : « les places pour chacune des dix classes dont notre

société se trouvera remplie, demeureront éteintes par la mort des acquéreurs, et les intérêts

d’icelles appartiendront aux cointéressés survivants en même classe par droit

d’accroissement, et seront divisés à leur profit d’année en année ». Ainsi, si la classe est

remplie, pour un versement initial de 300 livres, on peut espérer toucher la somme de 100 000

livres par an, si l’on est le dernier survivant d’une classe. Cette promesse d’enrichissement

constitue le moyen de faire sortir l’argent conservé dans ces circonstances difficiles.

Les dix classes d’âge sont réparties selon une progression de 7 ans : la première classe

du jour de la naissance à l’âge de sept ans, la deuxième classe de 7 à 14 ans, …, la dixième

classe de 63 ans et au-delà 1.

L’Édit exhorte chacun à souscrire : « convier un chacun d’entrer d’autant plus

volontiers dans ladite société », que la souscription est ouverte à tous, hommes, femmes,

nationaux, étrangers (sans que les droits particuliers de ceux-ci soient évoqués : renonciation

au droit d’aubaine, à la confiscation en temps de guerre…), laïcs et religieux (sans évoquer la

permission de leur supérieur dans les communautés) et ceci en trois temps (Hébrard, Annexe,

p. 99) :

Dans le résumé de l’Édit, l’appel s’adresse à tous les sujets : « En laquelle

société tous nos dits sujets de quelque qualité, sexe et condition qu’ils soient,

tant ecclésiastiques que séculiers, pourront s’y intéresser et acheter tel nombre

de places qu’ils voudront ».

Dans le détail du texte : tous les sujets (et les catégories sont précisées), mais

aussi les étrangers sont appelés à souscrire : « Permettons à cette fin à tous nos

sujets de l’un et de l’autre sexe, tant ecclésiastiques que séculiers, de la

noblesse et du Tiers État, religieux, religieuses et toutes sortes de

communautés et autres généralement quelconques, d’acheter des places en

ladite société, en baillant par lesdites communautés homme vivant et mourant,

comme pareillement à toutes personnes, tant originaires du royaume

qu’étrangers de l’un et de l’autre sexe, de quelque âge, condition et profession

qu’elles soient, même femmes séparées de biens d’avec leurs maris d’entrer en

ladite société, sans qu’elles puissent en être empêchées pour quelque cause ou

prétexte que ce soit. ».

Enfin, dans le traitement particulier réservé pour ceux qui auraient quelques

difficultés à souscrire, notamment les provinciaux et les étrangers. « Et

d’autant qu’il pourrait arriver que plusieurs étrangers, et même de nos sujets

éloignés de notre bonne ville de Paris, ayant l’intention de s’intéresser en

ladite société, en pourraient être divertis par la crainte de s’exposer aux périls

et dépenses d’un long voyage. Pour y remédier nous avons ordonné et

ordonnons qu’il suffira pour jouir des avantages de ladite société, d’envoyer à

un particulier tel que bon semblera un acte passé devant notaire en la forme

ci- dessus déclarée, avec les circonstances prescrites par ces dites présentes, et

1 Il n’existe aucune explication rationnelle à ces 7 ans. Nous pensons qu’il s’agit d’une réminiscence des

nombres sacrés qui conduira plus tard à la théorie climatérique de Leibnitz : selon ce dernier, le renouvellement

des cellules du corps humain se faisant tous les 7 ans, cette année est particulièrement néfaste et conduit à un pic

de mortalité, la pire année étant la 63e, la grande climatérique.

Page 20: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

19

que les intéressés absents seront payés de leurs intérêts, en vertu de leurs

procurations expédiées en la même forme que dessus. »

Diverses garanties sont données aux souscripteurs :

Les revenus de la tontine sont insaisissables : « sans que les deniers en

provenant puissent jamais etre saisis ni arretés pour les dettes qu’ils auront

contractées, ni meme pour nos propres deniers et affaires, ni pour quelque

autre occasion ou prétexte que ce puisse etre ».

La gouvernance de la tontine est mise dans la main des souscripteurs, les

souscripteurs de chaque classe se gouvernant eux-mêmes. Cela ne pose pas de

problèmes pour les 7 classes des majeurs, les membres de chaque classe

désignant 12 d’entre eux pour les représenter et parmi ces derniers, celui qui

sera choisi pour calculer les recettes affectées au paiement des arrérages ;

parmi les 84 représentants des classes de majeurs, ceux-ci en choisissent 36

pour veiller aux intérêts des trois classes des mineurs, c’est-à-dire pour les

enfants de moins de sept ans, pour ceux entre 7 et 14 ans, et pour ceux de 14 à

21 ans, et dans un deuxième temps un administrateur est choisi dans chaque

classe parmi les précédents pour enregistrer les décès et réaliser le calcul des

accroissements. Ces administrateurs doivent rendre compte chaque année aux

douze qui les ont élus, et tous les deux ans, ils font un compte-rendu général

aux cent plus importants souscripteurs de chaque classe. Ces dix

administrateurs qui font le travail de suivi et de collecte des extraits de vie

perçoivent une rémunération de 1250 livres par an (il s’agit de la fonction du

syndic onéraire dans les futures tontines).

« Et pour ôter tout soupcon que lesdits deniers soient surement et utilement

employés au profit de ceux qui y seront entrés », les sommes collectées sont

mises hors de la main royale pour ce qui concerne la perception et la

distribution des revenus : « dix bons et notables bourgeois de notre bonne ville

de Paris, seront par nous commis et préposés pour les deniers qui

proviendront de ladite société » (sans d’ailleurs prévoir de rémunération pour

cette activité).

La souscription est ouverte quinze jours après l’enregistrement de l’édit et

restera ouverte durant 3 mois. Les intérêts commenceront à courir à partir du

jour de la souscription. Un décompte précis sera effectué au 31 décembre

1654.

Le contrôle de la vie et de la mort des souscripteurs est prévu : d’abord au

moment de la souscription, l’identité est soigneusement contrôlée ; ensuite,

chaque année, un acte officiel certifie que l’individu est encore en vie : « à

chaque paiement qui sera fait au registre du contrôle général, un acte passé

par devant notaire, ou autre personne publique, faisant foi de sa vie et de sa

connaissance ».

Des peines sont prévues pour les fraudeurs, sous forme d’une amende de 6000

livres et, en cas d’impossibilité de la payer, des peines corporelles (dont la

nature n’est pas précisée) : « nous voulons que les coupables de ladite

supposition soient condamnés à six mille livres d’amende, applicable, savoir

un tiers à l’Hôtel de Ville de notre bonne ville de Paris, un tiers aux intéressés

en la classe, entre lesquels il sera partagé à proportion de leur part, et un tiers

Page 21: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

20

au dénonciateur, ou qu’ils soient punis corporellement, s’ils n’ont de quoi

payer ladite amende ».

Une administration de la tontine est prévue, aux ordres de Tonty, nommé

contrôleur-général de la tontine royale. Celui-ci est chargé de « de contrôler

toutes quittances de finances, certificats et autres actes concernant ledit

contrôle » et pour cela emploie des « receveurs, payeurs, commis ».

L’objet de la tontine, comme dans le projet de Saumur, est de racheter des titres de la

dette publique, qui se vendent à bas prix sur le marché secondaire. Pour ce faire, dix

bourgeois sont nommés et procèdent à ces achats, sans qu’il soit indiqué de rémunération

pour eux. C’est donc par le biais de ces achats de titres qui rapportent intérêt que les revenus

de la tontine seront obtenus. « Pour faire la recette des deniers provenant de ladite société,

nous avons ordonné et ordonnons que dix bons et notables bourgeois de notre bonne ville de

Paris, seront par nous commis et préposés pour les deniers qui proviendront de ladite société,

être employés au rachat des rentes par nous dues, selon les états qui en seront pour ce

dressés et arretés dans notre conseil, suivant le prix courant, et ainsi qu’elles sont en

commerce présentement, et les fonds des rentes ainsi amorties, affectés aussi au paiement des

revenus desdits intéressés en ladite société. »

En même temps, un deuxième moyen est indiqué pour que les souscripteurs soient

sûrs d’obtenir leurs arrérages : « Tous lesquels fonds seront pris des plus clairs et assurés

revenus de nos finances ordinaires, et dont nous recevons les deniers toutes les années, et

distraits des recettes générales et particulières de nos finances et de fermes, pour être

spécialement affectés et hypothéqués au paiement des intéressés en ladite société, sans qu’il

en puisse être fait aucun divertissement ni reculement pour quelque cause, considération ou

prétexte que ce soit, meme des nécessités les plus pressantes de nos affaires, pour occasion de

guerre, ni autre généralement quelconque ». Et dans la suite, il est précisé que l’on prendra

les fonds sur les recettes des entrées dans Paris : « nous avons dès à présent affecté sur les

deniers des entrées de notre dite bonne ville de Paris… par préférence à la partie de

l’Epargne sur les deniers de ladite ferme des entrées de Paris » : il s’agit donc d’une

diversion de fonds, qui assèche le budget général.

Tonti n’est pas oublié dans l’édit : son nom est cité à trois reprises, comme apporteur

de projet et de contrôleur général.

Tonti est nommé contrôleur général de la tontine : « nous avons par icelui

commis et commettons ledit sieur Tonty contrôleur général de ladite société,

pour en jouir sa vie durant irrévocablement ».

Il a le privilège lié à l’invention : « Faisons très expresses inhibitions et

défenses à tous et chacun nos sujets de quelque qualité et condition qu’ils

soient, de faire établir aucune société pareille. »

Tonti est rémunéré pour l’administration de la tontine et pour son travail par

une somme de 12 500 livres et cela est précisé quatre fois dans l’édit :

o « les autres douze mille cinq cents livres tant pour le contrôleur général

que pour ceux par lui employés pour le contrôle. »

o « auquel contrôleur général nous avons attribué et attribuons par ces

dites présentes, la somme de douze mille cinq cent livres par chacun an

et qui sera augmentée à l’avenir à proportion du revenu que nous

augmenterons en ladite tontine royale, pour tous gages, appointements,

taxations frais, droits et émoluments qu’il pourrait prétendre pour raison

Page 22: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

21

de son dit office et entretien de ses commis, aux charges et conditions de

faire expédier tous les enregistrements et contrôles nécessaires aux dits

intéressés, ainsi qu’il a été dit ci-dessus. »

o « laquelle somme de douze mille cinq cent livres, ou outre à proportion

du fonds total de ladite société, il prendra sur ses simples quittances. »

o « pareille somme de douze mille cinq cents livres, tant pour le contrôleur

général d’icelle, que ceux qui seront par lui employés pour ledit

contrôle. »

Le 1er décembre 1653, et sans attendre l’enregistrement du Parlement de Paris, Tonti

obtient le privilège du roi pour en faire imprimer le texte par Pierre Le Petit, Imprimeur &

libraire ordinaire du Roy, ainsi qu’un monopole de la vente de l’opuscule au public, sous

peine d’une amende de 3000 livres pour tout imprimeur ou libraire contrevenant. La brochure

de 31 pages, datée de 1654, est intitulée Edict du roy pour la création de la société de la

tontine royalle (avec deux « l »), avec un Advis touchant l’establissement d’icelle et les

advantages généraux et particuliers qu’elle produira et comporte comme sous-titre, Avec les

raisons qui doivent oster aux interessés en icelle toute crainte de voir jamais divertir les fonds

destinés au payement de leurs revenus (Coudy, p. 130).

La substance de la brochure est la suivante : il s’agit d’abord de la reproduction de

l’Edit, puis d’une présentation des avantages du montage tontinier, destinée à appâter le

chaland : pour la modique somme de 300 livres, le souscripteur peut « avoir des espérances si

disproportionnées au fonds qui les produit… qu’elles ne sont pas quasi concevables » ; « avec

cent écus on peut avoir un jour cent mille livres de rente et en jouir sa vie durant » et,

réminiscence du système italien des Monte delle doti, « les filles auront par ce même moyen

assez de bien pour être mariées avantageusement ». Il explique aussi que les cadets des

maisons nobles, à qui la coutume ne laisse qu’une fort petite part, y « trouveraient un moyen

infaillible de soutenir la splendeur de leur naissance ». La vieillesse, qui était jusque-là une

calamité, conduira dorénavant l’entourage à choyer le vieillard qui « se trouvera avec assez

de bien pour obliger au respect et aux soins les personnes qui auront intérêt d’en souhaiter la

durée », en somme la tontine est un produit financier destiné à couvrir la retraite. Enfin, un

maître pourra témoigner de sa reconnaissance à un domestique en lui léguant une part dans

une tontine.

Grâce aux sommes collectées, « Sa Majesté ne pouvait trouver un plus assuré moyen

pour rétablir la foi publique », le roi pourra employer les fonds au rachat des rentes sur

l’Hôtel-de-Ville, rentes qui étaient financées par un grand nombre de recettes (on y rajoutait

« un million vingt-cinq mille livres sur les deniers des entrées de Paris, par préférence … à la

partie de l’Epargne sur les deniers de ferme des entrées de Paris ») : la dette publique

seraient progressivement éteinte : « il lui sera aisé, non seulement d’éteindre toutes les

rentes » - ce qui constitue un des objectifs du plan initial - mais aussi de « soulager le peuple

des levées extraordinaires » et de « retirer tous les domaines engagés ». Tonti en déduit

qu’avec des finances restaurées, la France « se rendrait redoutable à toutes celles [les

puissances] de l’Europe, et mettrait le nom François en la même vénération, parmi toutes les

nations, qu’il l’était au temps de l’empereur Charlemagne ». Comparer Louis XIV au grand

empereur, quelle perspective enthousiasmante ! Quel doux bruit aux oreilles de ceux qui sont

dans les embarras financiers et guerriers !

Le 7 septembre 1652, le roi fait délivrer un brevet à Tonti pour lui accorder un

dixième de toutes les sommes qui proviendraient de la souscription à la tontine ; ce brevet est

signé de MM. Phélypeaux (Louis Phélypeaux de la Vrillière, 1599-1681), Loménie (Henri-

Auguste de Loménie-Brienne, 1594-1666), Le Tellier et de Guénegaud (Henri Duplessis-

Page 23: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

22

Guénégaud, 1609-1676), tous quatre secrétaires d’État. Le 23 novembre 1652, le roi confirme

ce brevet par un arrêt de son conseil d’État, en exécution duquel un édit est expédié au mois

de novembre 1653.

Tonti sent que l’affaire est en bonne voie et, avant même que celle-ci soit terminée,

commence par remercier celui qui l’a aidé dans ses démarches. Pour les peines qu’il « a prises

et employées pour parvenir à l’obtention du brevet de don que sa Majesté a accordé audit

sieur Tonti », « chevalier, baron de Paloudy, demeurant à Paris, rue des Charités Saint-

Denis, paroisse Saint-André des Arts, à l’enseigne de l’Hôtel-de-Lyon » celui-ci fait

donation le 30 mars 1652 à Henri de Codony, conseiller et maître d’hôtel ordinaire du roi et

de la reine, demeurant à Saint-Germain des Prés, rue du Bac, des « dixiesme des deniers qui

pourront provenir des advis qu’il propose ou proposera à sa dite Majesté, pour le bien et

adventage de ses affaires, soulagement de ses subjectz et augmentation de ses finances » ainsi

que « de la vingtième partie des deux tiers dudit dixième des deniers à lui accordés par ledit

brevet » ; le 30 septembre, il lui fait une autre donation d’une part équivalente à prendre sur le

profit que lui procurera, dans l’avenir, un autre brevet de même nature qu’il vient d’obtenir du

roi ; à ce moment, il habite rue Dauphine, paroisse Saint-André des Arts, à l’hôtel de

Mouy (Insinuations, fol. 243 V°).

Mais tout le monde va tomber de haut, Tonti, le ministre et le roi. En effet, le texte est

communiqué aux Corps de la Ville, au Châtelet et au Parlement, et renvoyé par la Cour aux

Six Corps de Marchands ; les Lettres du roi ne sont pas vérifiées, c’est-à-dire qu’elles ne

peuvent pas être enregistrées ; en conséquence, cette tontine n’est pas émise 1. Comme le dit

Honorat de Racan (1589-1670), elle n’eut « point de lieu qu’en la bouche des colporteurs »

(Racan, p. 59). Ce refus trouve son origine dans deux grandes raisons officielles : d’abord

l’impossibilité pour l’État de calculer le prix de l’emprunt (ce qui est faux, et il le calcule bien

pour les rentes viagères) ; ensuite, parce que le taux de rente versé aux souscripteurs est le

même quel que soit leur âge à la souscription, ce qui parait inéquitable pour les souscripteurs

âgés - argument totalement exact dont l’observation constituera précisément l’innovation de

la tontine de 1689. Il existe aussi deux raisons officieuses, qui n’émergeront que plus tard :

d’un côté, aucun gage n’est prévu pour les notables bourgeois entre les mains desquels tout

l’argent doit être consigné (des gages sont prévus pour la gestion courante) ; de l’autre, le taux

d’arrérage (denier 20) semble trop bas aux membres du Parlement, potentiels participants à

cette tontine, car à la même époque, les rentes perpétuelles sont émises au denier 18 (taux

légal depuis 1634), et les rentes viagères sur l’Hôtel-de-Ville (Béguin 2012, Béguin et Pradier

2011) ou sur l’Hôtel-Dieu ou l’Hôpital général (Fosseyeux, p. 189) sont tarifées de façon

assez subtile, tenant compte de l’âge 2.D’autre part, il n’est pas exclu qu’une courte période de

1 L’article Tontine de l’Encyclopédie rédigé par le chevalier Louis de Jaucourt (T. XVI, 1766) laisse entendre

que l’émission de cette tontine a été un succès, et que ce succès a été coûteux, alors qu’elle n’a jamais été

réalisée : « Le privilège qu’ont les acquéreurs d’hériter de la portion de ceux qui décèdent, était très propre à

engager les particuliers à y employer quelque somme, et à procurer très promptement au gouvernement les

fonds dont il avait besoin. C’est en effet ce qu’on vit arriver : la tontine dont nous parlons, fut d’un million 25

mille livres de rente, et coûta fort cher à Louis XIV. » De même, pour la Biographie universelle (Tome 46,

p. 231, article Tonti), cette première tontine a été réalisée : « Le Ministère établit, pour la première fois, une

tontine en 1653 ; et le Trésor se trouva surchargé d’une dette annuelle d’un million 25 000 livres ». L’article

conclut de façon sentencieuse : « La science des finances a fait de tels progrès, qu’on peut croire qu’un pareil

moyen ne sera plus employé. » 2 Par exemple, les rentes viagères sur l’Hôtel-Dieu rapportent le denier 20 (soit 5 %) pour un souscripteur de 30

ans, le denier 17 (soit 5,67 %) à 35 ans, … le denier 11 (soit 9,09 %) à 55 ans et le denier 10 (soit 10 %) à 60

ans. L’Hôpital général est plus généreux : denier 16 (6,25 %) à 30 ans … denier 9 (11,11 %) à 65 ans et denier 8

(12,5 %) à 70 ans. On comprend bien qu’un arrérage de 5 % pour tout le monde (même si par le biais du

Page 24: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

23

légère abondance monétaire se soit produite à ce moment-là, rendant moins nécessaire le

recours à cette tontine 1.

Le refus d’enregistrement du Parlement de Paris porte un rude coup à Tonti. On le sent

intervenir de tous côtés ; il est sûr que cette tontine se fera bientôt et il l’écrit à son beau-

frère : « mon affaire s’achemine icy si lentement que je ne puis pas me promettre de toucher

aucune somme considérable jusqu’à la fin du moyt prochain… les apparances me font

espérer un heureuz succès » (13 décembre 1653) et, au même, « mon affaire est en très bon

état » (19 décembre 1653). Contrairement aux espoirs de Tonti, ses affaires n’avancent pas et,

pour certains, après avoir récupéré à son profit l’argent des premières souscriptions de la part

de riches investisseurs, il s’enfuit en Pologne et y consomme sa petite fortune 2. Mais ses

intérêts sont liés à la France où on le retrouve un peu plus tard.

Ce qui est certain, c’est qu’au début de 1657 notre homme se trouve à Paris. Suite à

une déclaration du 30 décembre 1656, confirmée le 10 janvier 1657, « Laurent Tonty,

escuyer, » obtient « la permission de s’establir en cette ville de Paris » et que cette

déclaration sera enregistrée au registre des bannières au Parlement de Paris (Registres des

tutelles, Paris 01/01/1657 - 31/03/1657 | AN Y3939A).

Tonti n’abandonne pas son invention : durant 10 ans il y revient, il l’améliore, il en

change certains éléments très importants.

Une lettre à Fouquet (Nicolas Fouquet, 1615-1680), en voyage en Bretagne, donne des

nouvelles de Paris, le 3 septembre 1661, précise quelque peu le déroulé des faits : « … je ne

vois pas autre chose que les enregistrements qui furent hier faits au Parlement des

déclarations concernant les rentes à vie, de la tontine… Car pour la tontine, qui [à ce qu’il]

semble, produirait quelque chose, si elle avait lieu, encore qu’elle soit vérifiée, ç’a été à la

charge de modification qui seront arrêtées par six commissaires de la cour, qui

s’assembleront pour les dresser et en feront rapport à la compagnie. Ainsi c’est encore bien

tirer de longue. … » (Chéruel, p. 499). Visiblement il y a des problèmes : rien n’est acté et

tout peut se compliquer. Cela se produit d’autant plus que Nicolas Fouquet, surintendant des

finances, est arrêté deux jours plus tard, le 5 septembre 1661. Enfin, le brevet est enregistré

au Parlement de Paris le 7 septembre 1661, soit 9 ans plus tard (!) (Le Marié d’Aubigny) et

ensuite à la Chambre des Comptes à la Cour des Aydes après avoir été communiqué à l’Hôtel-

de-Ville, aux Six Corps de Marchands et au Châtelet de Paris où il est dûment enregistré,

d’après Tonti dans un grand élan de succès (factum de 1684) 3.

Mais l’affaire n’est pas finie : le 4 avril 1662, Tonti envoie à Colbert un placet destiné

au roi lui demandant de le communiquer au premier président et au procureur du roi au

Châtelet, en rappelant à ce dernier que le souverain lui avait demandé « de revoir l’affaire de

la tontine ». En particulier, le revenu des participants « n’était pas assez considérable au

revenant-de-bon ce taux doit augmenter pour un souscripteur) ne saurait attirer un souscripteur âgé, qui a besoin

de 20 ans pour récupérer son capital, c’est-à-dire obtenir un simple pay-back ! 1 « Ces deux années 1653 et 1654, pour la plus grande partie, on ne manqua pas d’argent, les gens d’affaires

payaient ponctuellement et faisaient volontiers des prêts et avances… la raison de cette facilité provenait du

rabais des monnaies que je proposais. » Fouquet, VI, p. 269. 2 Jennings et Trout (p. 669) indiquent que Tonti se réfugie alors durant quelque temps en Pologne après avoir

« récupéré » de l’argent en provenance d’investisseurs avides (he had collected a lot of money from gullible

investors… sought temporary refuge in Poland). Ces auteurs indiquent trois références, mais après consultation

de celles-ci, rien ne permet de soutenir cette assertion. Nous pensons qu’il s’est éventuellement rendu en Italie

où se prépare le second débarquement de Naples (voir plus haut). 3 Les références sont indiquées dans diverses publications : « 8. Vol. ordonnances de Louis XIV cotté (sic) 3. Q,

fol. 560 ». Nous n’avons pas pu retrouver ce texte.

Page 25: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

24

denier 20 », qu’en conséquence il fallait passer au denier 14 1, « parce que chacun sait que

dans tous les états où il se paye des rentes viagères, ils sont du moins au denier 10 ou 8 » ;

d’autre part, le premier président et les parlementaires, réunis en commission, sont d’avis

d’exclure les étrangers pour éviter la fraude. Enfin, pour la sûreté des paiements, une autre

procédure devait être organisée.

Illustration 4 – Jean-Baptiste Colbert, gestionnaire de la fortune de Mazarin, contrôleur

général des finances de 1665 à 1683, « protecteur » de Tonti

Source : Portrait de Colbert en tenue de l’ordre du Saint-Esprit, par Claude Lefèbvre, 1666, musée du

château de Versailles.

https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File:Colbert-5.jpg&oldid=363723308

En janvier 1663, rien n’est encore acté et, dans un nouveau placet, Tonti se plaint des

retards et des frais engagés, le projet de tontine ayant « été retardé à cause de la chambre de

justice » 2. De nouvelles lettres patentes sont expédiées au cours du mois de février 1663, qui

modifient substantiellement les premières en ce sens que ceux qui auraient acheté des places

de la tontine au denier 20 obtiendraient une réévaluation des revenus sur le pied du denier 14.

Le 1er mars 1663, Tonti remercie Colbert très vivement pour un second édit concernant une

tontine : « Je vous rends un million de grâces de la bonté que vous avoiz eu de faire sceller un

1 « Pour ce qui est du revenu des places de cette société, Votre Majesté ayant trouvé bon à Fontainebleau qu’il

fut payé au denier quatorze au lieu du denier vingt porté par l’édit de création, Messieurs du Parlement, en suite

des conclusions de Monsieur le Procureur général, ont ordonné que Votre Majesté serait très humblement

suppliée de le confirmer par sa nouvelle déclaration… » alors même que Tonti affirme dans sa lettre que « Il

n’est pas possible de la réduire au denier seize sans ruiner l’affaire ». 2 Cette Chambre de justice instituée en novembre 1661 (registrée le 3 décembre) permet, via des menaces et des

emprisonnements, de récupérer auprès de financiers et de grands bourgeois de fortes sommes. De ce fait, elle sert

de substitut à l’émission d’un emprunt et rend la tontine projetée moins nécessaire. Le premier accusé est

Fouquet ; mais globalement, jusqu’à sa dissolution en 1669, cette Chambre de justice permet de récupérer

environ 110 millions sur plus de 250 individus à Paris et dans les provinces, d’autant plus facilement que les

condamnation à des peines pécuniaires (amendes, restitutions, confiscations) se combinent avec des peines

corporelles – 12 condamnations à mort, 3 aux galères, 5 bannissements.

Page 26: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

25

segund édit de tontine » et il espère que « par votre ministère le Roi voira bientôt cette affaire

établie… »1. Encore une fois, rien ne se passe…

Tonti n’est pas rebuté par le premier insuccès. Il se lance dans un deuxième montage

qu’il qualifie de tontine particulière.

La seconde « tontine » : une loterie ou Blanque royale

En 1656, un ancien pont de bois, dit pont des Thuilleries, pont Sainte-Anne (en

référence à Anne d’Autriche), pont Rouge (à cause de sa couleur) ou pont Le Barbier

(financier, promoteur de ce pont), entre le Louvre et le faubourg Saint-Germain, brûle, « le

feu s’étant pris par accident à un grand bateau rempli de foin, qui était attaché au pont des

Thuilleries, plus de la moitié de ce pont a été réduit en cendres » 2.

Illustration 5 - Veue de la Galerie du Louvre et du Pont des Tuilleries comme il estoit en

l'annee 1657

Source : Israel Silvestre, cum privil. Regis, 1657 Catalogue raisonné de toutes les estampes qui forment

l'oeuvre d'Israël Silvestre / par L. E. Faucheux, 1857, n° 65.5. Babelon note : « Depuis la rive gauche, Silvestre

nous montre la galerie du Bord-de-l'eau, la tour de Bois et la porte Neuve. la passerelle du pont Rouge est, à

cette date, en fâcheux état, depuis qu'elle a été emportée par les eaux en 1656 »

https://israel.silvestre.fr/israel-silvestre/gravure-65-5-/veue-de-la-galerie-du-louure-et-du-pont-des-tuilleries-

comme-il-estoit-en-l-annee-1657

Pour financer le pont en pierre « entre les Galleries du Chasteau du Louvre et le Faux-

bourg sainct-Germain » et la pompe détruite, Tonti compte sur « l’establissement d’une

Blanque » (lettre patente du roi). Cette loterie (le mot blanque signifie loterie) est parfois, et à

tort, qualifiée de tontine, « parce qu’on avait encore la mémoire fraîche de la première

1 Malgré des recherches approfondies, personne n’a retrouvé cet édit (voir Hébrard, p. 202). Il nous semble

possible que cet édit ainsi que différents autres documents liés à la tontine aient disparu dans la procédure

intentée à Fouquet. 2 Gazette, 1656, n°118, p 1028. A cause d’une machine que l’ingénieur Jolly avait dressé à côté pour l’élévation

des eaux de la Seine affirme Félibien (p. 1462) ; il est certain que la pompe a brûlé et qu’il faut la reconstruire

(lettre patente).

Page 27: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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tontine que Monsieur Tonti avait inventée ». (Racan, p. 60) et ceci est confirmé par le

Mercure galant du mois d’octobre 1705 : « Il y a environ cinquante ans, que l’usage des

loteries fut introduit en France par Monsieur Tonti, Italien ; ce qui fut cause que plusieurs

donnèrent en ce tems là, le nom de Tontine aux Lotteries » (p. 189). En réalité, cette

confusion dure puisque le dictionnaire de Trévoux (1740) affirme que la tontine « est une

espèce de loterie » ; Paganucci (1762, p. 486) plus de cent ans après parle encore d’une

seconde tontine à propos de cette loterie et Bujon (1887, p. 200) poursuit la même erreur deux

cents trente ans plus tard en évoquant « des loteries à Paris appelées tontines ». Cette

confusion s’étend d’ailleurs au mont-de-piété : « The mont-de-piété, or tontine, established in

Rio de Janeiro in June 1835… » (Sturz p. 108). Différents auteurs écrivent « banque » au lieu

de « blanque » pour loterie, ce qui engendre un autre type de méprise. Ainsi, dans les papiers

de Colbert, il est fait mention en 1656 d’un Édit pour l’établissement d’une banque inventée

par Tonti (Lettres, instructions et mémoires de Colbert, Chronologie, p. CXXIII) ou un

document collecté par Delamare fait la publicité d’une loterie tirée par le Roi et la Cour, le 30

novembre 1660, définie comme une Banque Royale 1(Delamare, f°253). On peut glisser

jusqu’à une double confusion, lorsque le 30 décembre 1656, un bourgeois de Caen note dans

son journal que « le Parlement de Paris a registré … l’établissement d’une banque inventée

par Laurent Tonti, ce qui fait l’appeler la Tontine » (Journal d’un bourgeois de Caen, p. 11).

Idem dans Blanchard (1715, p. 2065-2066). La confusion la plus importante associe le projet

de Tonti, en 1797, à une Banque royale, 2 une Koninglijke Bank (Nieuwe vaderlandsche

bibliotheek…, p. 252), erreur reprise par Grosse (1888, p. 23), « eine Königliche Bank », ce

qui finit par l’attribution au « fameux Tonty » de l’invention « de la banque d’Etat appelée de

son nom tontine » (Gravier, p. 91). Aujourd’hui, sur Internet, les articles sur le pont Royal

évoquent un financement par une « banque de spéculation », sans que l’on puisse

comprendre de quoi il s’agit.

Pour l’établissement de cette entreprise, au mois de décembre 1656, le roi accorde 3

des lettres patentes qui sont vérifiées par le Parlement le 30 décembre 1656 et enregistrées au

Châtelet et à l’Hôtel-de-Ville le 10 janvier 1657. Le Lieutenant Civil autorise l’ouverture la

blanque le 8 janvier 1657 4. Tout semble avancer à merveille.

Voyons les détails du montage. Cette loterie comporte 50 000 billets au prix de 2 louis

d’or chacun (22 livres), donnant un capital de 1 100 000 livres. Sur cette somme, 540 000

livres sont prévues pour la construction du pont et d’une nouvelle pompe ; 60 000 livres sont

destinées à l’organisateur, Tonti, tant pour son droit d’avis que pour les frais d’établissement

1 La Banque Royale faite au Louvre par leurs Majestez, Avec l’Inventaire des Lots & des noms de ceux auxquels

ils sont arrivez par le sort (f°253). 2 https://www.wikiwand.com/fr/Pont_Royal_(Paris)

http://wikimonde.com/article/Pont_Royal_%28Paris%29 3 « Comme nous n’en pouvons faire présentement la dépense, sans avoir recours à des moyens extraordinaires…

nous avons fait examiner plusieurs propositions qui nous ont été faites, entre lesquels nous n’en avons trouvé

aucune plus innocente et moins à la foule de nosdits sujets que celle du sieur Laurent Tonty… ». Lettres patentes

de décembre 1656 pour l’établissement d’une Blanque (copie complète dans Delamare, p. 472). 4 « L’usage de la loterie fut apporté d’Italie sous le titre de blanque, di bianca, c’est ainsi que les Italiens le

nommaient, en sous-entendant charta, à cause des billets blancs qui y sont en plus grand nombre que les noirs ;

et encore parce qu’en la tirant, l’usage est en Italie, lorsque c’est un billet blanc, de dire à haute voix bianca ;

ainsi ce mot souvent réitéré a donné originairement ce nom à ce jeu. » (Delamare, p. 502). On peut aussi y

trouver le refus de Vaugelas – directeur de la toute première loterie en France – d’utiliser le mot loterie (dont il

déplorait la provenance génoise lotteria ou lottaria) et de lui préférer le mot blanque.

Page 28: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

27

et de la direction de la loterie 1. Il reste donc 500 000 livres partagées en 1215 lots, dont un de

30 000 livres, quatre de 10 000 livres, 10 de 3000, 200 de 500 et 1000 de 300 livres. À ces

1215 billets contenant les lots, on ajoute 48 785 billets perdants, paraphés par Tonti en

présence du maréchal de L’Hôpital, du prévôt des marchands, des échevins, du procureur du

roi, du comte de Brienne, secrétaire des commandements du roi et des avocats et des

procureurs du roi au Châtelet.

Tableau 1 - Eléments du coût de l’opération de construction du pont et de la loterie

Eléments du coût de l’opération Coût Billets Gain unitaire Coût loterie

Construction du pont et de la pompe 540 000 1 30 000 30 000

Loterie (détail à droite) 500 000 4 10 000 40 000

Frais 60 000 10 3 000 30 000 (administration, Tonti pour son droit d’avis) 200 500 100 000

Coût total 1 100 000 1 000 300 300 000

48 785 0 0

50 000 Total 500 000

L’ensemble des billets doit être mis dans un coffre fermé par quatre clés remises, l’une

au maréchal de L’Hôpital, la deuxième au prévôt des marchands, la troisième au comte de

Brienne, la dernière aux officiers du roi du Châtelet. Le coffre fermé est déposé à l’Hôtel-de-

Ville. Il ne sera ouvert que pour le tirage au Grand Bureau des Pauvres de la Place de la

Grève. La loterie serait tirée quand le nombre des soumissions serait parvenu à 50 000. Un

enfant de 12 à 14 ans doit alors tirer un à un les billets à mesure qu’on fait la lecture des

soumissions selon la date des enregistrements et les gagnants doivent être payés sur le champ,

« au fur et à mesure qu’ils seront tirez, sans qu’il puisse y avoir aucun empeschement ny les

dits deniers divertis, pour quelque prétexte ou occasion que ce soit, non pas même pour nos

propres deniers et affaires ».

Tout le monde est favorable à ce plan « tellement nécessaire pour le commerce de l’un

& de l’autre côté de ladite ville » (lettre patente), et tout à coup les choses pressent. Une

ordonnance de police pour l’établissement de cette loterie est publiée le 6 février 1657,

affirmant qu’il est « nécessaire d’accélérer au plutôt » et que la blanque sera ouverte à

compter du 8 février. Les individus désirant prendre les billets doivent en faire la déclaration

au Lieutenant général qui enregistre leur soumission, puis partir les acquitter au bureau de

l’Hôtel-de-Ville.

Après toute cette agitation, puis le coup d’accélérateur donné par l’ordonnance de

police, on découvre que la blanque n’est ni remplie, ni tirée. Diverses explications sont

avancées, techniques d’abord, plus politiques ensuite :

La misère est partout (Feillet), et l’argent manque, car le pays sort d’une guerre

étrangère et d’une guerre civile (la Fronde), à l’issue desquelles les besoins du

Trésor sont immenses, que l’on saisit l’argent où il se trouve.

Personne, à Paris, ne veut faire confiance à une loterie établie par un Italien,

cette origine étant stigmatisée comme rapace et voleuse (voir les Mazarinades,

le renom du Contrôleur Particelli, etc.).

1 « …les soixante mille livres restants, sa Majesté les a accordées au dit Sieur Tonty, tant pour son droit d’avis

que pour les frais qu’il lui conviendra faire pour l’établissement et la direction de ladite Blanque… ».

(Delamarre, p. 474).

Page 29: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

28

Le prix du billet est élevé (on a pu l’estimer à environ 77 fois le prix d’une

journée de manœuvre), avec des probabilités de gains faibles 1 , ce qui est

rédhibitoire pour les loteries.

La crainte d’un manquement à la foi publique paralyse les souscripteurs2 ,

crainte d’autant plus justifiée que les quartiers de rentes sont supprimés année

après année (en dépit des promesses les plus solennelles), les arrérages des

emprunts anciens ne sont pas payés ou alors de façon aléatoire et partielle3. De

plus, on sort d’une banqueroute partielle de l’Etat français, ce qui ne rassure

pas l’investisseur potentiel.

Un procès antérieur concerne une loterie de marchandises et d’effets pour

laquelle la marquise de Rambouillet avait obtenu des lettres patentes ; les Six

Corps de Marchands s’opposaient à son enregistrement depuis des années en

arguant du préjudice que cette loterie causerait au commerce. Le procès était

resté indécis. L’entreprise de Tonti réveillent l’attention des parties intéressées

qui font une nouvelle requête ; les Six Corps de Marchands persistent dans leur

opposition, d’autant qu’ils voient dans le pont une concurrence (Delamare,

p. 430).

On peut ajouter que l’idée de financer des travaux publics au moyen d’une loterie

constitue une innovation financière majeure pour la France 4 qui n’est jamais mise au crédit

de Tonti. En effet, jusque-là les loteries permettent de gagner des objets (bijoux en or ou en

argent, mêlés à des invendus ou à des objets d’occasion, et un peu plus tard des objets

religieux) ou à gagner de l’argent (loterie de type vénitien ou génois). Ce n’est qu’au XVIIIe

siècle que les loteries serviront au financement de grands ensembles, tels les travaux des

églises de Saint-Louis-en-l’Ile (1701), de Saint-Roch (1709), de Saint-Sulpice (1721), la

réalisation de la coupole du Panthéon (1754) et la construction de l’Ecole militaire (1757) …

Curieusement, personne ne songe que c’est Tonti qui, le premier en France, a proposé ce

genre de montage financier.

Le 16 janvier 1658, un Arrêt du Parlement prononce une interdiction de la loterie de

Madame de Rambouillet (fait défenses d’exercer la loterie). L’Arrêt ne fait aucune référence

à la loterie de Tonti, mais à partir de ce moment, plus personne n’évoque son projet. Comme

le note Guy Patin : « Ce 16e de janvier. Aujourd’hui au matin a été rendu au Parlement un

arrêt de la Cour fort solennel, parties ouïes, à la requête des Six corps des marchands, par

lequel la loterie a été abattue et renversée. » Le 11 mai 1661, un Arrêt du Parlement interdit à

l’avenir toutes les loteries (privées).

La conclusion de cette affaire est la suivante : comme le montre la gravure d’Israël

Silvestre, les gens qui désirent traverser sont obligés de cheminer sur des réparations de

1 Le coût du billet est de 22 livres ; l’espérance mathématique de gain de 10 livres ; la probabilité d’être parmi

les gagnants de 2,43 %. 2 « …Le public n’y ayant aucune confiance » (Beausobre, p. 103) au point que « rien ne pût dissiper la peur

qu’on eut qu’avec le tems on n’en prît les fonds pour les besoins de l’Etat » (Racan, p. 60). 3 Par exemple, l’emprunt sur les tailles de 1634, normalement rémunéré au denier 18, ne l’est plus qu’au denier

36 ; sur ce résidu, un seul quartier est payé en 1649, 1650, et 1651, rien en 1652, et un seul quartier en 1653,

1654 et 1655 (Hébrard, p. 187). Le préambule servant de justification à l’Edit de 1653 confirme que le roi a été

obligé de « reculer le paiement des arrérages des rentes constituées en divers temps sur l’Hôtel de notre bonne

ville de Paris… ».

4 Dans le monde anglo-saxon, le financement par loterie (et par tontine) de nombreuses constructions, publiques

et privées, est beaucoup plus commun.

Page 30: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

29

fortune, puis pont est rebâti en bois en 1660, consolidé en 1673 et finalement emporté par la

débâcle des glaces dans la nuit du 28 au 29 février 1684. Il est enfin rebâti en pierre, entre

1685 et 1689, sur fonds personnels de Louis XIV, d’où son nom : « Pont Royal » (et il existe

encore aujourd’hui) 1.

Après de si grands espoirs, c’est l’échec du deuxième projet. Après avoir entrevu la

fortune, Tonti ne se décourage pas, monte d’autres plans, se lance dans d’autres

combinaisons, mais finit par reprendre l’idée d’une véritable tontine. L’affaire concerne cette

fois une population très particulière, le clergé.

L’affaire des tontines ecclésiastiques

Trois ans plus tard après avoir échoué à lancer la loterie, Lorenzo Tonti revient à des

projets de tontine qu’il soumet au clergé de France.

La proposition de tontine de 1660

En 1660, Tonti se propose de lancer un établissement sous le nom de « tontine

ecclésiastique pour fournir des fonds à l’effet d’éteindre la dette du clergé ».

Pour réussir, Tonti se donne tous les éléments de la respectabilité et se fait appeler

désormais du nom de messire, de chevalier et de baron de Paludi 2 : c’est que l’affaire est

d’importance pour lui qui espère être le véritable Contrôleur général de la future tontine aux

gages de 25 000 livres.

Le 25 septembre 1660, pour présenter l’argumentation devant l’assemblée ordinaire du

clergé réunie dans le couvent des Grands-Augustins à Paris, il utilise un homme de paille, M.

de Bragelone, Maître de la Chambre aux deniers. Celui-ci, qualifié de Monsieur le Promoteur,

prévient la compagnie qu’il va proposer une affaire qui, au premier abord, pourrait paraitre

extraordinaire par sa nouveauté, mais qui dans sa suite, pourra être très facile d’exécution. De

plus, le plan développé, est, assure-t-il, « si conforme à la justice qu’une assemblée aussi

sainte que le clergé doit rendre à son prochain, qu’elle en pourrait profiter sans créer de

nouveaux fonds, sans faire de nouvelles impositions, et sans même manquer de foi à ses

contrats. » Ayant créé l’attente, ayant montré que la proposition peut rentrer dans les vues de

l’Eglise, il s’agit maintenant de rassurer et de développer le plan.

D’abord, rassurer : Il s’agit d’une proposition venant d’une « personne de

probité de mérite, et qui a de grands biens » (Procès-verbal, p. 511) : c’est de

Tonti que Bragelone parle !

Ensuite indiquer le but, acquitter les dettes du clergé. L’argent collecté servira

au remboursement des rentes, des droits et des gages dus par le clergé :

« demande que la compagnie le subroge dans le pouvoir qu’elle a de

rembourser les receveurs et contrôleurs provinciaux diocésains des décimes

pour disposer de ce même revenu après le remboursement » (Procès-verbal, p.

511).

1 Le Magasin pittoresque, t. II, p. 117 écrit, bien à tort, que le Pont Royal a été bâti avec les deniers levés par

Tonti. 2 Paludi en italien signifie marais. Il existe, à ce moment, une petite ville de Paludi, non loin de Naples

(aujourd’hui un quartier pauvre de la ville) ; des marais non loin de Rome, que Tonti connaît ; et une petite ville

de Paludi en Calabre. Etre baron de Paludi n’est peut-être pas aussi prestigieux que ce que l’on peut en penser en

France ou au Canada…

Page 31: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

30

Enfin, préciser le moyen proposé : une tontine, copie de celle de 1653. Il s’agit

de « créer des rentes à vie pour les particuliers, dont le fonds de chacun ne

pouvait excéder 300 livres, et qu’on diviserait le revenu en dix classes, dont la

première seraient des enfants de moins de sept ans, et ainsi que sept ans en

sept ans jusqu’à 63 ans inclusivement ; que chacun pourrait alors profiter de

la rente de ceux qui viendront à mourir, en sorte que chaque classe étant

composé de six à 7000 places, à raison de 100 000 livres par classe. »

(Procès-verbal, p. 511).

M. de Bragelone devait en être le receveur général et, par ce montage, assurait au

clergé, disait-il, un présent d’une somme considérable : lorsque « tous ceux qui composent la

classe venant à décéder, la rente reviendra au profit du Clergé, et qu’ainsi de temps en temps

le Clergé héritera de 100 000 livres, et par succession de temps d’un million de rentes sans

rien débourser. Il est facile de juger par là de l’avantage qu’elle peut tirer de cette sorte

d’affaire » (Procès-verbal, p. 512). Cerise sur le gâteau, le receveur général ferait dire à ses

dépens en l’église des grands Augustins, le 15 mars de chaque année, une grand-messe et un

service solennel pour le repos des âmes des associés morts ; les prélats les députés, les

directeurs, les officiers, les associés de la tontine qui seraient alors à Paris devraient y assister.

Les propositions sont très bien accueillies par l’assemblée ; de plus, le roi y est

favorable. Une commission, destinée à étudier la proposition, est nommée, comprenant les

évêques d’Auxerre, de Chartres et de Laon avec l’aide des archidiacres de Narbonne, de

Vannes et de Toulon et Monsieur l’abbé de Groslières. Le 20 novembre 1660, « après que

Monseigneur l’Evêque d’Auxerre a eu rapporté fort exactement l’affaire, délibération prise

par Provinces », le projet de tontine est écarté de manière quelque peu jésuitique :

l’assemblée juge « qu’elle n’est pas en état de pouvoir accepter la proposition », tout en

louant le projet : « l’invention lui en paraissait belle et ingénieuse » mais qu’elle « n’a pas

voulu la condamner ou l’approuver, mais seulement la rejeter » (Procès-verbal, p. 512). À

l’arrière-plan, on devine l’idée que le clergé ne peut s’engager dans une spéculation sur la vie

des hommes, dans une espèce de loterie macabre (« les conséquences en parurent équivoques

à l’assemblée du clergé » dit Savary, p. 453), entre des personnes inconnues qui ne

s’associent que pour désirer la mort de leur prochain et s’enrichir aux dépens de leur vie ; que

des chrétiens ne doivent pas fomenter de désir si dénaturé, ni profiter de la mort de leurs

frères (Racan, p. 61).

La proposition de tontine de 1665/66

L’Assemblée générale du clergé se réunit à nouveau à Pontoise à partir du 6 juin 1665,

puis se déplace à Paris aux Augustins, à partir du 22 août. Louis XIV a un urgent besoin de

fonds. Il attend que l’église de France viennent à son aide au moyen du don du roi ou don

gratuit ; le 26 août, le montant attendu est précisé : « Sa majesté la restreignait à la somme de

quatre millions » (Procès-verbal, p. 893). Sur le principe, la question ne se pose pas, mais sur

le montant et sur les moyens, l’Assemblée tergiverse en dépit de plusieurs demandes du roi,

puis, le 19 mars 1666, est fermement rappelée à l’ordre par le chancelier d’Aligre : « Sa

Majesté s’étonne, qu’après tant de mois écoulés il n’y a rien d’avancé pour son regard… Sa

Majesté nous a commandé expressément de vous dire qu’elle désire que vous délibérez et

incessamment, et au premier jour, sur le secours qu’elle vous demande… elle ne peut plus

souffrir de formalités retardantes, ni aucune remise » (Procès-verbal, p. 896). Le 23 mars

1665, les commissaires, sous la direction de l’archevêque de Bordeaux, établissent qu’il y a

quatre moyens pour financer ce don gratuit : le premier est de taxer les menses des religieux

qui ne paient pas de décimes, mais les commissaires trouvent qu’il y a de grandes difficultés à

le faire ; le deuxième consiste en taxes sur les abbés qui ne sont pas prêtres, mais la

Page 32: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

31

commission considère ne pas devoir se servir de ce moyen ; le troisième moyen est

l’aliénation des baux emphytéotiques, et la commission n’y est pas favorable. Le dernier

moyen est « proposé par le sieur Tontin (sic), duquel les conditions ayant été lues, ce moyen

a été quelque temps discuté ; et sur ce qu’il a été dit, que les traitants faisaient offre de payer,

argent comptant, dans 18 mois, une somme considérable dont ils donneraient bonne et

suffisante caution » (Procès-verbal, p. 896). En fait, un cinquième moyen apparaitra dans les

discussions : une taxe sur les Officiers des décimes. Si nous revenons à l’offre de Tonti, nous

voyons que celle-ci est tout aussi peu claire que la proposition initiale de la tontine de

1652/53. Dans ces conditions, l’un des commissaires, l’abbé de Valbelle demande de

retrouver Tonti et les traitants, le 24 mars, aux Augustins, pour les entendre plus précisément

sur leurs offres ; on comprend un peu plus tard qu’il s’agit d’un montage de tontine, sans que

l’on en connaisse les détails, le procès-verbal étant muet là-dessus.

Le 24 mars, les commissaires font leur rapport sur les moyens pour payer ce don

gratuit et finissent par conclure qu’il n’en restait qu’un seul : « faire une taxe sur les Officiers

des décimes, tant Provinciaux que Diocésains ».

« Ensuite de quoi, l’affaire de la Tontine a été agitée, et les avis des Provinces

recueillis, il a été résolu de nommer des commissaires pour l’examiner, et en faire rapport

sans retarder les affaires du Roi ». Une commission comprenant les évêques de Chartres, de

Séez (en Savoie) et de Castres avec les abbés de Fontaines, de Piancourt et de Valbelle, est

nommée pour examiner la proposition.

Le 29 mars 1666, après en avoir délibéré, et aux instances pressantes de Colbert, une

députation d’évêques offre, à titre de don gratuit, la somme de 2,4 millions de livres, ce que le

roi accepte « très gracieusement ». Encore faut-il financer cette somme. Les Officiers des

décimes obtiennent de verser 500 000 livres. Le reste (en fait bien plus, car ce qui reste est

évalué à 2,15 millions) consiste en une taxe sur les pensions du clergé « sur le pied de

Mantes, rectifié en 1646 » : à quel taux ? Le 12 avril, celui-ci propose un taux de 20 % ou de

16,6 % (la 5e ou 6e partie) ; la contre-proposition du 14 avril est de 25 % (le quart à la

décharge des titulaires). On finit par transiger le 16 avril pour le taux de 20 % : « La

Compagnie consentit qu’ils ne fussent imposés qu’au cinquième » (Procès-verbal, p. 598).

L’ensemble du don gratuit doit être payé en quatre termes ; au dernier moment, avant de

signer, le roi exige une taxation à 25 % et un paiement en trois termes ; très poliment, la

Compagnie refuse et finit par signer aux termes initiaux. Et la tontine, alors ? On n’en parle

plus ; visiblement, suite à l’entrevue du 24 mars, la Commission écarte le recours à cet

instrument novateur en faveur de quelque chose de plus habituel et aucun détail n’émerge du

procès-verbal.

Il s’agit du dernier grand plan public de tontine de notre projeteur.

Les autres tentatives de tontines

La tontine du Danemark

En fin 1653, pendant qu’il monte son premier projet de tontine en France, Tonti

envoie son beau-frère Agostino di Lieto pour négocier l’établissement d’une tontine au

Danemark, avec Poul Klingenberg (1615-1690), pendant que lui-même fait avancer son

affaire en France. Là-dessus, Klingenberg part à Copenhague pour discuter avec les autorités

sans disposer encore de l’ensemble du projet ; il y est surveillé par un correspondant de Tonti,

Honoré II de Coriolis, baron de Limay (1600-1668). Lorsque les affaires sont plus avancées,

Tonti expédie à Klingenberg les détails de la tontine, en partie par code (technique apprise

Page 33: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

32

dans sa jeunesse en Italie 1), en lui permettant d’en dévoiler la teneur au roi, à condition que

celui-ci s’engage par lettre à ne pas en divulguer le détail. Les négociations sont interrompues

par une offre concurrente en provenance de Hambourg faite par le marchand Duarte de Lima ;

les deux propositions sont soumises au Conseil du roi les 4 et 6 avril 1653. Finalement,

Klingenberg obtient un brevet du roi et commence à mettre en place la tontine qui porte le

nom de Compagnie Fruitière Générale (Die Frugtbringende Selskab) ou en allemand, Société

Bénéficiaire (Nutzbringende Gesellschaft). La tontine danoise constitue donc le premier

début de réalisation des idées de Tonti à l’échelle mondiale.

Illustration 6 - Première page de la publication

danoise

Illustration 7 - Poul Klingenberg

Daté de mai 1653, sous le nom de Frederik III qui annonce

la tontine de Poffvel (Poul) Klingenberg. Les décrets

royaux n’avaient généralement pas de page de titre.

Portrait de Poul Klingenberg, attribué au peintre

de Cour Karel van Mander.

(Source: Radio-Post & Tele Museum, Danmark)

Klingenberg organise la publicité de la tontine au moyen d’un opuscule de 49 pages,

dont 23 pages qui décrivent la société et 22 pages d’annexes qui détaillent les calculs

techniques sur la base des deux classes extrêmes, et il indique les garanties offertes,

notamment en matière de revenus fiscaux. Le document est édité en allemand - 125

exemplaires sur du bon papier et 175 exemplaires sur du papier commun -, et en danois - 100

exemplaires sur du bon papier et 350 exemplaires sur du papier commun -, dont quelques

exemplaires reliés avec de la soie (Wagenvoort).

1 Le code est très simple et n’aurait pas posé de problème à un cryptologue de l’époque : 8=a, 7=b, 6=c, 5=d,

4=e, 2=g, 9=h, … tout en conservant certaines lettres.

Page 34: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

33

Par des lettres envoyées dans tout le royaume, Klingenberg invite toute la haute

société danoise à souscrire en promettant à tout souscripteur de 10 actions les libertés

municipales et, pour les étrangers qui en achètent 20, les mêmes libertés que celle des

citoyens de Copenhague. Cette tontine est composée de huit classes d’âge, de huit ans

d’amplitude (de la naissance à 8 ans, … jusqu’à la classe de 56 à 64 ans) et comprend 2000

actions de 100 couronnes par classe ; la tontine rapporte initialement 5 % et ceci quelle que

soit la classe, comme dans le projet de tontine français de la même époque. Dans la première

mouture du projet, les organisateurs doivent toucher 20 % du montant émis, pourcentage

finalement réduit à 10 %, et Tonti est à moitié dans l’affaire, l’autre moitié étant pour

Klingenberg et ses associés (Heusch, un marchand hollandais établi en France et le baron de

Limay).

Malheureusement, à cause du manque d’argent et des menaces de guerre, le projet, qui

avait suscité une énorme émotion dans le pays, n’est pas un succès, puisqu’il n’engrange que

qu’environ 5 % du montant attendu (Hald, p. 120). Parmi les souscriptions, on note celle du

chancelier Christian Thomesen Sehested (1590-1657), avec lequel Klingenberg avait négocié,

qui prend 20 actions (mais demande à Klingenberg de lui en racheter 15…). L’affaire étant

mal engagée, Klingenberg envoie un agent dans le pays pour solliciter les souscriptions de

personnages importants, mais se heurte encore aux mêmes difficultés. L’affaire s’arrête là

pour la tontine, mais constitue la première marche de la fortune de Klingenberg, dont chacun,

à la cour danoise, a pu observer l’énergie et l’intelligence. L’année suivante, il sera nommé

Grand Maître de la Poste ; plus tard, il sera membre du conseil de l’amirauté, des affaires

étrangères, avant de terminer ruiné et s’occupant des jardins dont il est un grand spécialiste.

Le projet de tontine municipale

Tonti évoque, dans une lettre du 19 décembre 1653 à Lieto, une autre tontine privée

que son correspondant Klingenberg pense pouvoir établir à Hambourg, sa ville d’origine,

entre bourgeois et marchands. Dans l’immédiat, rien ne se passe. Mais l’idée d’une tontine

finit par avoir des applications, puisque les villes de Kampen et de Groningue en 1670, puis

de Mittelburg et Goes en 1671 et 1673 organisent des tontines à l’échelle municipale.

Amsterdam en crée une en 1671 pour financer la guerre. Tonti sait désormais que ses idées

sont réalisables.

Le projet de tontine des Etats de Bretagne

Dans une lettre du 19 octobre 1663 à Colbert, il apparaît que Tonti a proposé une

tontine en Bretagne, par l’intermédiaire du maréchal de La Meilleraye qui « avait jugé

l’affaire de la tontine fort bonne, et très avantageuse pour la province de Bretagne ». Là

encore, le projet échoue, cette fois parce que les Etats n’ont aucun revenu disponible pour

garantir les versements annuels aux souscripteurs, « se trouvant les fonds tout aliénés pour

quatre ou cinq ans ». Enfin, Tonti assure que le roi lui a fait donner l’ordre « de ne point

envoyer cette affaire à Rome où elle se serait réussie infailliblement au préjudice de Sa

Majesté ».

Page 35: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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Le projet de tontine des Etats du Languedoc

Tonti revient encore à son invention en proposant une tontine aux Etats du Languedoc

en 1667, ce qui se réalise d’autant moins que Colbert tente d’établir une tontine particulière

pour la province du Languedoc, à son initiative et selon ses idées 1.

L’année suivante, il est en prison (voir plus loin). Quand il en sort, affaibli (« mon

père se trouvant indisposé » écrit le fils le 9 novembre 1677), il revient à son idée de tontine

dans les Etats du Languedoc. Il propose au président des Etats de Languedoc, par

l’intermédiaire de son fils, une « tontine royalle » d’un modèle plus élaboré, qui sur certains

points, ressemble aux propositions défendues en son nom par La Salle (voir plus loin) 2. En

effet, dans sa proposition, il y a 14 classes d’âge, allant de cinq ans en cinq ans, la dernière

« commencera à la soixante-cinquième année pour finir à la soixante-dixième, avec pouvoir

néanmoins à ceux qui auront un âge plus avancé de se faire inscrire, sy bon leur semble ».

Ces classes d’âge sont tarifées, « affin d’éviter le préjudice que causeroit la disparité des

âges », avec une gradation tous les quinze ans, sauf en ce qui concerne la première classe qui

va de la naissance à 25 ans : « à la 14e, 13e et 12e classe, l’intérêt au denier 10 ; à la 11e, 10e

et 9e classe, l’intérêt au denier 11 ; à la 8e, 7e et 6e classe, l’intérêt au denier 12 ; et à la 5e,

4e, 3e, 2e et 1ère classe, l’intérêt au denier 13. » Ensuite, il introduit des dispositions rendant

cette tontine extraordinairement attractive pour ceux qui voudraient bien y souscrire de forts

montants (un peu à l’image de ce qui était proposé à la tontine du Danemark), propositions

qui ne seront jamais reprises : « Que tous les estrangers qui y achepteront dix places ou au-

dessus, seront naturalisés françois et jouïront des privilèges de la nation. Que tous ceux qui

achepteront cent place, tant françois qu’estrangers, seront déclarés nobles… ». Il ne s’oublie

pas dans la distribution en reprenant à peu près les termes de la lettre de Saumur : « pour

avoir esté l’autheur de la tontine royalle », il lui sera accordé un brevet « signé par les quatre

secrétaires d’estat », et il sera « en titre d’office héréditaire et à perpétuité », lui et ses

héritiers, le « controoleur général » de cette tontine ainsi que « de toutes celles qui

s’établiront dans le royaume ». A titre de rémunération, il dit avoir droit à la « dixième partie

de toutes les sommes qui proviendront par l’establissement de la tontine ». Mais il est « prest

à se désister de ce droit » et à se contenter de la « dixième partie des augmentations qui se

feront par la mort des associés », ainsi que d’un « louis d’or seulement » pour chaque titre

placé. Si l’affaire marche, c’est la fortune ! Mais sa position est délicate, sa santé fragile, et on

se méfie de lui. Il le sent bien : il sollicite son correspondant pour qu’il intervienne auprès de

Colbert afin d’être appelé à préparer ce projet sur place : ainsi il supplie « très humblement

votre Eminence de vouloir agréer afin que l’on m’envoie aux estats travailler à cette belle

affaire, et y ménager mes intérêts » et pour cela il convient de « de m’y rendre nécessaire, et

me demander à Mgr Colbert ». Cela rétablirait sa position officielle : « cela me remettrait en

commerce avec ce ministre » (ce qui signifie qu’il ne l’est plus). En même temps, cela

restaurerait ses finances : « ayderoit infiniment à faire réussir quelques desseins qui regardent

le restablissement de notre famille après tant de disgrâces ». Il renouvelle ces demandes

quelques semaines plus tard. Les demandes sont transmises à Colbert (20 décembre 1677),

puis plus rien ne se passe, ce qui signifie que l’affaire est enterrée pour ce qui concerne

1 C’est du moins ce que prétend plus tard La Salle dans le factum de 1684 « Monseigneur Colbert, qui préférait

les inventions qui venaient de son génie à toutes les autres, et qui trouva d’autres moyens de rétablir les affaires

du Roi, balança longtemps s’il accepterait celui-ci quoiqu’il l’eut plusieurs fois approuvé comme il paraît par

l’édit du mois de février 1663 qui fut expédié de son temps, par quelques écrits que l’on a qui sont apostillés de

sa main, et par la tentative qu’il fit d’établir une tontine particulière pour la province du Languedoc… » (cité

par Hébrard, p. 201, qui pense qu’il s’agit d’une réécriture de l’histoire). 2 Les Chroniques de Languedoc, p. 58-66. Tous les extraits qui suivent en proviennent. Voir aussi Fonds

Gaignères, fol. 398, Le Cabinet historique, Revue, p. 211, H. Menu, Paris, 1862.

Page 36: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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Tonti : ses projets sont décidément « démonétisés » auprès du ministre qui ne veut plus

entendre parler du personnage et de ses propositions.

Pourtant, sept ans plus tard, en 1684, au moment où Tonti est en train de mourir, une

nouvelle proposition en direction du président des Etats de Languedoc est réalisée, avec dix

classes seulement, tarifées sur le pied du denier 14 de la naissance à quarante ans et du denier

12 au-delà. Vraisemblablement, ce projet émane des syndics généraux et constitue une pâle

copie du projet porté par Tonti 1.

Nous pourrions dire avec Racan (p. 58) « Laurent Tonti … a publié trois tontines qui

ont fait grand bruit et peu d’effet… » ; outre qu’il en a proposé bien plus, la remarque est sans

doute péjorative à l’égard de quelqu’un qui a créé un montage, dont il a pu apercevoir des

débuts de réalisation à l’étranger, qui existe encore aujourd’hui sous une forme assez

différente. Mais son activité ne s’est pas cantonnée à ce domaine, il a aussi multiplié les

propositions.

Les projets de Tonti dans des domaines variés

Tonti est un donneur d’avis, un faiseur de projet, un projeteur, un aventurier 2, comme

on les aime à cette époque ; ses idées embrassent la finance et l’économie, et plus

généralement d’autres projets utiles à la France.

De Fontainebleau, le 11 juillet 1664, Tonti propose à Colbert d’autoriser le réemploi

dans la tontine des arrérages que l’Hôtel-de-Ville verse aux rentiers, quitte à créer un quart de

capital en plus dans la tontine (dans laquelle il n’a visiblement pas perdu espoir) : « la plupart

de ceux qui auront reçu leurs deniers seront en peine de trouver occasion de les employer

sûrement et utilement… et seraient ravis de les pouvoir loger avec advantage.…

L’établissement de la tontine serait le plus propre, en donnant… un quart de plus en places

dans la tontine… ».

Le 22 mai 1666, dans une grande lettre Tonti soumet à Colbert3 de multiples projets :

d’abord une affaire de manufacture sur laquelle sur laquelle il ne s’étend pas ; ensuite, s’il en

était besoin pour l’inventeur de la préférence nationale via le mercantilisme, il lui

recommande de se méfier de la contrebande et du trafic de bas en provenance d’Angleterre

qui risque d’amener la peste ; dans un autre registre, il lui suggère d’établir des pépinières de

mûriers blancs dans tout le royaume, d’en planter le long des chemins, pour dispenser la

population d’avoir recours à des soies étrangères (ce qui doit sonner agréablement à l’oreille

de Colbert) et « sera un Pérou pour la France » : il oublie seulement la diversité des climats

de plaine, de montagne… du pays ; il lui offre aussi un projet de loi qui empêchera « toutes

oppressions et violences des grands seigneurs envers les faibles, toutes rapines, voleries et

pillages des officiers de justice » (vaste programme qui est toujours d’actualité) ; enfin, il a

une idée « pour rendre la société des Indes en moins d’un an la plus puissante de l’Europe » :

1 Par une lettre du 13 décembre 1689, de Lamoignon de Basville, on apprend que les États de Languedoc

souhaitent que le roi autorise une tontine à concurrence de trois millions de livres, pour fournir l'argent qu'il

faudrait emprunter et pour payer les dettes. Il apparaît toutefois que le projet pourrait nuire à la satisfaction des

demandes du roi, mais les États allèguent que peu de personnes enverront 100 écus à Paris, alors que beaucoup

verseront cette somme si l'intérêt est reçu dans la province. On pourrait commencer la tontine en Languedoc,

après la fermeture de celle de l’hôtel de ville de Paris. Il appartient au roi de prendre une décision et d'informer

la province. Archives nationales, 1689 (G/7/299) 2 Au sens du Dictionnaire de l’Académie de 1694 : « celui qui n’a aucune fortune et qui cherche à s’établir par

des aventures ». 3 Mélanges Colbert, 137, f°844. Un extrait de cette lettre est publié dans Depping, Correspondance…, p. 21

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il s’agit d’organiser une grande compagnie des Indes grâce à laquelle « on trouvera un

nouveau fonds de 40 à 50 millions ». Il s’agit d’un projet extraordinairement mystérieux dans

lequel toutes les personnes du royaume, les nobles, les officiers et d’autres voudraient rentrer

avec joie, même s’ils étaient sûrs d’y perdre ce qu’ils y mettaient, car cette combinaison

présente d’incroyables avantages : les sommes levées pourraient être telles que l’abondance

financière régnerait. « Si tout ce grand fonds ne peut pas être employé dans le commerce, le

Roi seul pourra se servir d’une partie pour rembourser son domaine et exécuter d’autres

desseins… ». On pourra même offrir à ceux qui voudraient en sortir le remboursement de leur

mise : « pour fermer la bouche aux mécontents… on pourra faire offre à tous ceux qui sont

entrés ci-devant, si quelqu’un y a regret, qu’il ait à retirer son argent ». Mais cette offre est

tellement favorable que personne n’en sortira : « personne ne le fera, à cause des grands

avantages qu’il rencontrera par mon expédient ». Le mystère est encore épaissi par la

proposition de Tonti d’organiser cette combinaison de façon secrète : « cela pourra se faire

sans qu’on le sache », mais, si par hasard la combinaison venait à être divulguée, cela ne

poserait aucun problème : « quand on le saurait, on n’y trouvera pas en redire, puisque l’on

paiera les intérêts de la société ». Cette offre est mirifique et la proposition doit susciter une

demande d’éclaircissement de la part du ministre : « Si la proposition agréée à Votre

Excellence, je donnerai aussi les moyens pour faire voir la facilité de l’exécution. » On n’en

saura pas plus : le prestidigitateur a appâté le chaland. Par malheur pour Tonti, Colbert ne

réagit pas.

Parfois, notre homme se pique aussi de politique, et en particulier de celle de son pays

d’origine. Et il n’hésite pas à avancer des propositions. Et quelles propositions !

Tout d’abord, vers 1663, au plus fort de la querelle entre Louis XIV et le pape

Alexandre VII, Tonti, « gentilhomme romain », essaye de se faire donner de l’argent (il cite

son beau frère, le capitaine « Carlo di Lieto » comme homme de confiance pour les

opérations – observons le prénom) en offrant de se servir de 2000 à 3000 brigands à sa

dévotion dans les Abruzzes, pour enlever le Pape et sa famille à Castel Gandolfo, de faire

brûler dans la même nuit tous les palais et meubles des parents du Pape dans la campagne

romaine, de les amener à la côte et les mettre dans des bateaux pour les conduire vers un

navire de guerre français qui attendrait vers l’île de Ponce et les emmènerait en France. A

l’époque, on enlevait bien des diplomates (par exemple, le comte Ercole Mattioli), mais un

Pape ! Toujours est-il que le plan rocambolesque ne paraît pas avoir été pris en considération

(Laloy, p. 406), d’autant que le Pape ne tarde pas à avoir la bonne idée d’envoyer le Cardinal

Chigi et le cavalier Bernin en France pour apaiser la tension, ce qui nous vaut un nouveau

problème pour notre aventurier.

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Illustration 8 - Proposition d’enlever le Pape, destinée au roi Louis XIV

Source : Archives Naples, vol. 11, f°57, Ministère des Affaires étrangères.

Après le voyage du Cardinal Chigi (été 1664) en France, paraît un ouvrage intitulé

« Relation de la conduite présente de la cour de France »1 afin de satisfaire la curiosité des

lecteurs italiens sur ce qui se passe en France à cette époque. Le thème du livre est une

description de la conduite des affaires du Royaume de France, censément adressée à un

Cardinal à Rome, par un religieux, de la suite de son Eminence le Cardinal Chigi, neveu du

Souverain pontife Alexandre VII, à l’occasion du déplacement de ce dernier en France, afin

de retisser les relations entre le Vatican et le roi Louis XIV, mises à mal par l’affaire de

l’Ambassadeur Créquy (voir plus haut). L’ouvrage est composé en deux parties : d’abord la

description du roi et de la Cour de France (92 pages), censément traduites de l’italien, et

ensuite d’une réponse qui explique la raison d’être de l’écrit et dans quelles conditions

l’ouvrage est rédigé en français (14 pages). Le rapport et la réponse forment un genre littéraire

assez classique, donnant un parfum de véracité, via le double éclairage, et l’ensemble est

généralement du même auteur, rédigé en même temps. Dans la première partie, ce religieux,

qui se prétend Seigneur Romain, éclaire de ses lumières les événements récents, à l’attention

d’un autre Cardinal (non nommé). Forcément, les passages sur le roi et ses ministres ne

tarissent pas d’éloge ; mais au milieu de l’ouvrage, nous trouvons une critique des financiers

trop avides à qui la Chambre de Justice fait rendre gorge ; l’auteur montre la foule des

quémandeurs qui transmettent des placets au roi ou à un de ses ministres, les manœuvres des

traitants et des financiers et quelques allusions à des fortunes obtenues sont assez

transparentes…

L’auteur de cette première partie signe « L.T. De Paris ce 11 aoust 1664 » et se dit

« Seigneur Romain » et l’on peut penser que cette partie, qui constitue le gros de l’ouvrage,

est bien réalisée à la signature de Lorenzo Tonti. Cela est d’autant plus vraisemblable que

dans le placet au roi, Tonti admet que « que j’avois composé l’année dernière » la Relation.

1 Le titre complet est Relation de la conduite présente de la cour de France, adressée à un Cardinal à Rome, par

un seigneur romain de la suite de Son Éminence monseigneur le Cardinal Flavio Chigi, légat du Saint-Siège vers

le Roi très-chrétien. Le livre de l’édition de Fribourg date de 1665, mais une autre édition (« plus correcte »)

paraît en 1666 ; nous avons vu aussi un opuscule sans lieu ou date d’édition et celui de l’édition de Leyde de

1665. Une seconde édition, précédée d’une note du traducteur au lecteur, « corrigée et purgée de fautes de la

première édition furtivement faite à Leyde », est publiée à Cologne, chez Jacques Neelson en 1665 : le livre

constitue donc un succès d’édition que l’on s’arrache en Europe.

Page 39: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

38

Une deuxième partie, sous le nom de Lettre d’un gentilhomme français à un prélat romain

sur la relation italienne de la conduite présente de la Cour de France, explique dans quelles

conditions la Relation a été traduite en français et précise, en contrepoint, quelques

événements récents (notamment le débarquement à l’Est d’Alger, puis le rembarquement des

troupes françaises – l’affaire de Gigery – Djidjelli aujourd’hui). Cette réponse, censément

dater du 25 novembre 1664, est signée SVNV et cette signature est attribuée à l’époque à

Giovanni Battista Gasparo Nani (1616-1678), ambassadeur de Venise en France. Toutefois,

dans le genre littéraire dont il est question ici, le texte est vraisemblablement de la même

plume que le premier, donc de Tonti.

Dans un mot du 30 août 1665 qu’il envoie à Colbert, on apprend que Tonti a rédigé la

Relation en 1664 ; que le chancelier Le Tellier, au nom du roi, lui a défendu de publier ce

volume ; et c’est, malgré lui, à ce qu’il écrit, qu’un « libraire a eu l’effronterie de [le] faire

imprimer » : il en appelle, au travers de Colbert, à la justice du roi.

On peut penser qu’à la suite de l’ordre reçu, Tonti prend peur par la suite, obéissant

ainsi aux instructions qu’il a eues et qu’il cherche à se dégager par toutes les manières. Dans

les éditions ultérieures apparaît une « préface du traducteur au lecteur » de quatre pages, qui

explique que cette Relation devait rester privée, mais qu’il est « néanmoins arrivé, contre

mon espérance et à mon insu, elle s’est trouvée imprimée à Leyde chez François du Val, sur

une copie furtivement prise et fort remplie d’erreurs grossières » ; il en dénombre quatorze,

« d’avantage (sic) que cette édition de Leyde compte de pages » et il en donne deux exemples 1. Plus tard, quand Tonti sera en prison, la vraie raison n’en sera jamais évoquée et les

biographes soit n’en comprendront pas la cause, soit penseront à l’impression de ce livre.

1 L’éditeur de l’édition de Leyde, que cite Tonti, François du Val, est en réalité François Foppens de Bruxelles,

qui est bien connu pour ses imitations et contrefaçons de publications. Cet élément constitue le point fort de la

défense de Tonti, lui donnant avec raison un supplément de véracité et de bonne foi concernant l’impression

indue.

Page 40: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

39

Illustration 9 - Lettre du 31 août 1665 de Tonti à Colbert demandant justice pour le livre

imprimé à son insu

Source : Correspondance de Colbert d’août-septembre 1665, vol 131 bis, Mélanges Colbert.

Pour conclure et évaluer l’activité de conseiller et de projeteur de notre homme,

revenons à Racan (p. 58) qui a décidément la dent dure pour ce pauvre Tonti qui va d’échec

en échec : « Laurent Tonti… s’est érigé en donneur d’avis, où il a été fort fertile et peu

heureux, et n’a rien oublié pour faire accroire qu’il savait une infinité de moyens d’enrichir

ceux qui le voudraient écouter, en peu de temps, à peu de frais et sans être à charge à qui que

ce soit ; mais n’ayant su prendre pour soi-même les trésors qu’il promettait aux autres, il

mène une vie obscure et se repaît encore ou d’espérances ou de fumée. »

Les problèmes financiers de Tonti

Lorsque la révolution populaire de Naples s’effondre, tout ceux qui y ont participé

fuient dans les autres principautés italiennes et, pour un grand nombre, se réfugient en France.

Pour ces derniers, le Cardinal Mazarin, leur compatriote, fait toujours ce qu’il peut et les

emploie le plus possible, en se réservant la possibilité de les utiliser, à l’avantage de la France,

pour le cas où les choses prendraient une autre tournure en Italie. Après sa mort (1661), la

situation des réfugiés italiens change. Louis XIV n’ayant plus que des ambitions réduites en

Italie, le sentiment en France à cette époque est qu’il faut s’abstenir de toute intervention dans

ce pays pour réaliser dans le Nord et dans l’Est de la France des conquêtes plus utiles et plus

faciles à garder. D’un autre côté, Colbert cherche à diminuer les dépenses qui ne cadrent ni

avec les plans du roi, ni avec les siens. Les réfugiés napolitains sont les victimes directes de

ce changement de politique : les jours de misère commencent pour eux.

Dans ses lettres à Colbert, Tonti dit qu’il a touché la pension depuis 1648 (parfois

1649) jusqu’en 1660. Dans les années suivantes, il ne reçoit plus que de la moitié (« depuis

Page 41: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

40

trois ans je n'ai reçu que 3000 livres de la pension de 6000 livres par an que Sa Majesté m'a

fait payer depuis l'année 1649 jusqu'à 1660 » Depping, p. 19), et encore celle-ci n’est payée

que de temps en temps. Dès lors, Tonti multiplie les courriers à Colbert et au roi avec

l’argumentaire suivant :

D’un côté, il montre ce qu’il apporte à la France, et se prévaut toujours du

jugement de Mazarin, qui estimait que « l’affaire de la Tontine était un trésor

caché dans ce royaume » (1er mars 1663), « une minière d’or pour le Roi, et

d’en tirer tous les ans plusieurs millions qui ne seront jamais sujets à

remboursement » (19 janvier 1663).

De l’autre côté, il ne manque jamais de rappeler des services anciens qu’il a

rendu à la France à l’époque où il était en Italie et tout ce que cela lui a coûté :

« en considération des grands services qu’il a rendu à Vostre Majesté tant

dedans, que dehors le royaume » (placet au roi) et « pour m’être sacrifié pour

son service, les grandes pertes que j’ai fait pour la même cause » (à Colbert,

19 janvier 1663) ; « en considération des services que j’ai rendus à l’État et

des pertes de biens que j’ai souffert pour m’être sacrifié pour cette couronne »

(1er mars 1663).

Ses lettres sont remplies de doléances sur la gêne dans laquelle il vit avec une famille

de dix-sept (et même de dix-neuf personnes). Il avoue sa misère (« il luy est du tout

impossible de pouvoir plus subsister »), il dit avoir mendié, il exprime la crainte d’être

incarcéré (« comme je suis pourseui par mes créanciers »), et implore la pitié du roi et du

ministre, conjurant celui-ci, au nom de Mazarin, leur ancien protecteur commun, « de

glorieuse mémoire », de venir à son secours. Par le truchement de Colbert, le 19 janvier 1663,

Tonti envoie un placet au roi de lui payer la pension qui est déjà bien en retard : il n’a rien

reçu pendant les « années 1661 et 1662 de la pension de six mille livres par an que feu

Monsieur le Cardinal Mazarini lui faisait donner par ordre de Sa Majesté », à la fois en

considération des services rendus en dehors du royaume et pour les frais encourus pour

l’avancement et l’établissement de la tontine, « retardée à cause de la chambre de justice ». Il

évoque une grande famille de dix neuf personnes, « et entre autres cinq grandes filles bien

faites » (espérant peut-être aguicher le jeune roi de 25 ans) 1.

1 La lettre de Tonti à Colbert (folio 393) et le placet au roi (folio 394) figurent parmi les pièces de la

Correspondance de Colbert de janvier-février 1663, volume 114. Comme ces pièces sont conservées dans les

documents de Colbert, nous soupçonnons ce dernier d’avoir gardé par-devers lui ce placet au roi et de ne pas le

lui avoir transmis. Dans ces conditions, on comprend que Tonti attendra longtemps la pension de 6000 livres

qu’il espérait toucher…

Page 42: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

41

Illustration 10 - Placet au roi, annexé à la lettre à Colbert du 19 janvier 1663

Source : Mélanges Colbert 114, p. 394. Noter la calligraphie professionnelle du document, d’une

écriture très différente de celle des lettres de Tonti.

Le 27 novembre 1664, il sollicite encore Colbert et, par lui, le roi, de lui procurer un

prompt secours sur ce qui lui est « dû du passé, et le rétablissement de la pension qui m’a été

payée depuis l’année 1648 jusqu’à 1660 ».

Le 19 octobre 1668, alors qu’il est en prison, Tonti, par l’entremise de Colbert,

sollicite la femme de ce dernier de contribuer « par ses soins et par ses diligences » au

trousseau d’entrée de ses filles dans un couvent, car il veut donner deux de ses filles « pour

épouse à Jésus-Christ, qui prieront toute leur vie pour la santé et la prospérité de toute votre

famille » (Depping, p. 19)1. Dans une note annexée à la lettre, Tonti désire que la Reine

veuille bien s’intéresser au placement de ses filles dans un couvent. Une demande précédente

avait été couronnée de succès, car dans les Nouvelles ordinaires de la Gazette (de feu

Théophraste Renaudot) du 12 janvier 1664, (p. 48) on lit que, le 7 janvier 1664, la reine-mère

était allée au couvent des Filles de la Miséricorde dans le Faubourg Saint-Germain, où « sa

Majesté donna le voile à la fille du Sieur Tonty, gentilhomme romain, la cérémonie ayant été

faite par le Cardinal Antoine et la prédication par l’évêque d’Amiens, qui contenta

grandement son auditoire ».

Tonti en prison

Tonti, grâce à ses projets, espère bien récupérer 25 000 livres de rente dans la première

tontine, puis 60 000 livres de sa seconde tontine ou loterie. Encore une fois avec la troisième

tontine, il compte recevoir 25 000 livres de rente. A chaque fois, le projet échoue, et c’est la

déception.

Pourtant, il lui faut de l’argent pour vivre, pour entretenir sa famille et ses dépendants,

17 (parfois 19) personnes. La France semble sourde à ses appels ; sans le sou, pressé par le

1 Proposer de mettre ses filles sous la protection et aux soins de Madame Colbert pour entrer au couvent est sans

doute un choix habile : Louis XIV avait confié à Madame Colbert la petite Marie-Anne qu’il a eue avec

Mademoiselle de La Vallière en 1666 (qui sera connue sous le nom de Mlle de Blois).

Page 43: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

42

besoin, délaissé par le roi, déçu, donc à la fois pour des raisons financières et pour des raisons

morales, « piqué au plus haut point du peu de cas que l’on faisait à la cour de ses services

considérables », Tonti a recours à une autre solution, qui vient du plus profond de l’histoire

pour les Napolitains, dont toute la politique consiste à profiter de la rivalité de la France et de

l’Espagne : comme les espoirs qu’il avait mis dans la cause française ont été déçus, il va

tenter de jouer la carte espagnole.

C’est ainsi que, dans une longue lettre en italien du 5 août 1667, qui témoigne de

relations épistolaires plus anciennes, Tonti décide d’offrir ses services à l’ambassadeur

d’Espagne pour le compte de son roi. Il est « résolu de se sacrifier désormais pour le service

du Roi d’Espagne » (extrait 1). Il se déclare prêt à susciter des troubles en France, ce qui sera

aisé, étant donné le mécontentement existant « dans toutes les classes et conditions à cause

des poursuites faites par le trésor royal pour leur extorquer le dernier sous ». Il offre de

l’informer de tout ce que ferait le roi de France et des intelligences qu’il aurait avec les

souverains étrangers. Il fait observer qu’il a accès à la Cour en raison de sa tontine et qu’il a

« l’amitié des grands de la cour et particulièrement de M. de Turenne et de ses fils servant

auprès du Roi », ce qui lui permettrait de servir tous les plans de l’ambassadeur (extrait 2).

Ce changement d’allégeance doit être rémunéré à la juste valeur de ce que Tonti

estime nécessaire pour être assuré de rétablir sa fortune. Ses demandes sont conséquentes : il

lui faut au moins cinq chevaux pour quatre personnes et des serviteurs (extrait 3).

Malheureusement pour lui, ce document édifiant, « cette belle lettre » dit Laloy, son

découvreur (p. 407), tombe entre les mains du gouvernement français 1, mais personne ne le

lui dit ou ne l’écrit officiellement. Décidément, Mazarin avait bien jugé le personnage en

l’estimant capable de trahir la France au profit de ses ennemis espagnols !

1 Affaires Etrangères, Naples, vol. 11, f°57 et 85. Le document est découvert par Laloy, pp. 406-408. Pour de

nombreux auteurs, les raisons de l’emprisonnement de Lorenzo Tonti demeurent mystérieuses. La plupart des

textes laissent entendre que c’est la publication de la « Relation… » qui explique son envoi à la Bastille – mais

trois ans plus tard, quel serait l’intérêt de l’envoyer alors en prison ? Tonti lui-même n’évoque jamais les raisons

de son séjour en prison.

Page 44: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

43

Illustration 11 – Extraits de la lettre de Tonti à l’Ambassadeur d’Espagne, se proposant

de trahir la France

Source : Min. Aff. Etrangères. Fonds Naples, vol. 11, f°85.

Les conséquences de la découverte de cette offre de trahison ne tardent pas :

brutalement, sans qu’on lui en indique la raison, Laurent Tonty est incarcéré à la Bastille en

vertu d’une lettre de cachet du 30 janvier 1668 contresignée par Le Tellier (secrétaire d’État

de la Guerre) (Hébrard, Annexes, p. 93). Ses deux fils le suivent : le « fils ainé de celui que

vous détenez par mon ordre dans mon château de la Bastille » le 15 février (contresignée par

Lionne - secrétaire d’État aux Affaires étrangères, 1611-1671) et le second, « l’un des

mousquetaires de ma seconde compagnie de mousquetaires à cheval », un « mousquetaire

noir » (c’est la robe des chevaux de cette compagnie qui est noire), le 3 mars (par Le Tellier),

avec stricte interdiction qu’ils puissent communiquer entre eux et particulièrement avec leur

père (« sans souffrir qu’il ait communication avec personne de vive voix ou par écrit et

particulièrement son père »). Quelques semaines plus tard, les prisonniers sont autorisés à se

promener sur la terrasse (1er juin 1668, par Le Tellier), puis les deux fils peuvent partager la

même chambre (8 septembre 1668, par Le Tellier) ; enfin le père aussi partagera cette

chambre (22 avril 1669, par Le Tellier). En mars 1669, la femme de Tonti meurt, sans doute

de misère. Le roi, « ayant écouté avec sa bénignité ordinaire la supplication de la famille »

que celle-ci puisse lui apprendre cette mauvaise nouvelle, l’autorise à lui annoncer le décès

par le truchement d’un « jésuite ou telle autre personne que le gouverneur de la Bastille

désignerait » (Ravaisson, p. 294) 1.

1 Schiavo G., Four Centuries of Italian-American History, Center for Migration Studies, New York, 1992 avec

ce qui est dit être un fac-similé (p. 86) de différents courriers de et à Tonti à la Bastille, en réalité les relevés de

Ravaisson.

http://www.italic.org/books/fourcenturiesofitalianamericanhistory.pdf

Page 45: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

44

Tonti est un prisonnier à ses frais, c’est-à-dire qu’il doit se nourrir et se vêtir à son

propre compte ; naturellement, n’ayant plus d’argent, il est obligé d’emprunter à ses geôliers.

Il cherche aussi de l’argent ailleurs : ainsi le Cardinal de Retz (Jean-François Paul de Gondi,

1613-1679), le 17 juin 1669, explique à son correspondant que Tonti qui est à la Bastille « lui

demande effrontément de l’argent » et qu’il ne va pas lui en verser (Retz, p. 270). Quelques

années plus tard, la situation commence à s’améliorer : le 4 mars 1675, il remercie très

poliment Colbert de lui avoir fait obtenir par le roi un secours de 600 livres, « lesquels ont été

employés à m’habiller et à me donner du linge comme aussi pour donner les mêmes choses à

mes deux fils qui sont détenus en ce lieu avec moi ». Mais une fois de plus, il ne peut

s’empêcher de solliciter de l’argent : « J’espère aussi que Son Excellence me procurera de Sa

Majesté, lorsque le bon Dieu le lui inspirera, les 1600 livres que je dois à ceux de ce château

qui m’ont fourni depuis sept ans les choses qui m’ont été nécessaires et à mes fils aussi ;

cependant je vous conjure, … de continuer vos bontés pour la subsistance de ma fille, qui est

chargée du reste de la famille, et laquelle est réduite dans la dernière nécessité ». (Ravaisson,

p. 296).

Les choses s’accélèrent : le 20 octobre 1675, le directeur de la Bastille, François de

Montlezun de Besmaus libère Tonti, pour « se faire tailler » (opérer) de la pierre dit une note,

sous la garde du sieur de la Salle, ordre contresigné Seignelay (Jean-Baptiste Antoine Colbert,

Marquis de Seignelay, 1651-1690 – fils de Colbert, déjà associé aux affaires de l’Etat et qui

prendra sa suite) ; les deux fils Tonti sont libérés le 29 novembre 1675 sous la garde et la

responsabilité du même de la Salle contre sa promesse écrite de les représenter à chaque fois

que besoin (ordre contresigné de Colbert).

Le problème est que les fils emprisonnés ne sont pas ceux que l’on croit et qui sont

communément cités, Henri et Alphonse.

On considère que « le fils ainé » désigne Henri, ce qui est impossible, car durant tout

ce temps, il sert dans la Marine royale : en 1668, il s’enrôle comme cadet dans la Marine. Il

est garde-marine 4 ans à Marseille et à Toulon ; il fait 7 campagnes, dont 4 sur des vaisseaux

et 3 sur des galères. A Messine, il est nommé capitaine-lieutenant du maistre de camp « où il y

avait vingt-mille hommes » écrit-il dans un mémoire, en exagérant le chiffre (l’équivalent

aujourd’hui de colonel de la première compagnie du régiment). Au siège de Messine, lors de

l’attaque de la porte de Libisso, en 1677, il a la main emportée par une grenade1, puis est fait

prisonnier durant six mois à Métasse, pour être finalement échangé contre le fils du

gouverneur. Rentré en France, il sollicite quelque bienfait du roi Louis XIV et reçoit 300

livres, puis repart pour la Sicile où il sert comme volontaire sur une galère jusqu’à la fin des

hostilités ; la paix de Nimègue (1678) le laisse sans emploi et c’est dans ces conditions qu’il

revient à Paris (Sulte, p. 4 ; Pétition du chevalier Tonty au comte Pontchartrain, ministre de

la marine, publiée dans Gravier, Découvertes et établissements de Cavelier de la Salle …,

p. 366).

De même, il est impossible que le deuxième fils emprisonné soit Alphonse car, né en

1659, il n’a que 9 ans en 1668, ce qui ferait à la fois un bien jeune « Mousquetaire » comme il

est expressément précisé dans l’ordre d’arrestation et de détention et un singulier espion à la

solde des Espagnols !

Qui est alors emprisonné avec Lorenzo Tonti ? Nous ne le savons pas, mais Tonti

parle de 17 ou de 19 personnes à sa charge, dont 5 filles. Comme il n’y a pas de plainte pour

1 C’est Henri qui parle d’une grenade : « j'eus la main droite emportée par une grenade ». Bacqueville (p. 144)

donne des précisions : « Ce gentilhomme dans une sortie qui se fit à Messine eut un coup de sabre au poing, et

pris prisonnier, il se le coupa lui-même avec un couteau, sans attendre qu’un chirurgien lui en fit l’opération. »

Page 46: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

45

erreur sur l’identité des fils Tonti et qu’il parle de ses fils emprisonnés avec lui dans sa lettre à

Colbert, nous pouvons penser qu’il s’agit bien de la famille directe de Tonti. Qui alors ? Nous

pouvons émettre l’hypothèse suivante, susceptible de concilier les différentes informations

disponibles et non contradictoire avec ce que nous savons : les deux fils emprisonnés sont

ceux de Tonti avec Angela di Lieto (dont parle Tutini, p. 273 et à laquelle fait référence l’acte

de baptême d’Alphonse en 1659), en plus des trois garçons évoqués dans l’introduction (dont

peut-être, le poète versificateur vu en note au début), dont Henri et Alphonse qui partiront au

Canada ; après le décès d’Angela, il épouse Isabella di Lieto, sa sœur (l’épouse qui décède

pendant qu’il est en prison), et a d’autres enfants, dont peut-être Nicolas et Louis dont nous

parlerons plus loin, et une fille prénommée Anne-Marie. Quant aux quatre autres filles, nous

ne savons pas quelle était leur mère.

Qui est ce Sieur de la Salle qui prend sous sa garde Tonti et ses fils et que vient-il faire

dans cette histoire ? Habituellement (par exemple, Ravaisson, p. 296), on affirme qu’il s’agit

de René Robert Cavelier (1643-1687) qui est précisément en France en 1674-75 et qui vient

d’obtenir ses lettres de noblesse le 13 mai 1675 ainsi que le droit d’ajouter « de la Salle » à

son nom ; il serait donc le sieur de La Salle sous la garde duquel le père, puis les fils, sont

libérés. Or la réalité, très différente, est découverte par Hébrard (p. 200) : il s’agit de François

de La Salle, seigneur d’Amaranthe et de Chastelus, un donneur d’avis, gentilhomme ordinaire

de la Chambre du Roi qui a environ 63 ans à ce moment, comme il résulte de Hozier de

Sérigny (Armorial…, p. 304 1).

La confusion provient de ce que, quelques années plus tard, en 1678, Cavelier de la

Salle 2 recrute, pour l’accompagner au Canada, d’abord Henri en 1678, puis après quelques

années, en 1685, Alphonse de Tonty (les vrais) 3. Le recrutement de Henri se réalise de la

manière suivante, d’après ses écrits : un jour qu’il était à Versailles à la recherche d’une

1 François de la Salle sert de témoin quant à la noblesse de Vital Chappuis en mars 1676. Il est donc né en 1613. 2 Il s’agit bien cette fois de Cavelier de la Salle, l’explorateur du Canada, protégé de Conti. Il emmène les deux

fils de Tonti au Canada et, plus loin, à la découverte du Mississippi ; ils s’y distingueront au service de la France. 3 L’aîné, Henri, bien connu pour sa main de fer qui remplace celle qu’un éclat de grenade avait emportée lors de

la campagne de Sicile, organise avec une énergie peu commune, l’exploration du Canada et du bassin du

Mississipi - nommé par lui fleuve Colbert dont il baptise les rives de grande et de petite tontine (« e i cantoni ch’

e’ popolò in riva al gran fiume, furono detti Piccole e Grandi Tontine » (Cantù, p. 335). Une île avait été

baptisée du nom de Tonti en son honneur sur le lac Ontario (aujourd’hui île Amherst), et il subsiste encore

aujourd’hui Tontitown en Arkansas, petite ville fondée par un prêtre italien en 1898. Tous les enfants nord-

américains connaissent l’épopée de l’homme à la main de fer, The Man with the Iron Hand, compagnon fidèle de

Cavelier de La Salle, dont l’épopée est notamment évoquée par Catherwood, McNeil, Parish…

http://www.biographi.ca/en/bio/tonty_henri_2E.html

Le cadet, Pierre-Alphonse de Tonty, baron de Paludy (avec un y – le nom s’est conservé Revue nobiliaire,

héraldique et biographique, 1872, T7), fonde un poste français à Détroit, Fort Pontchartrain du Détroit

(Pontchartrain émet la première tontine : remerciement implicite ? ironie de l’histoire ?). Alphonse est connu

pour son caractère irascible (querelle avec Cavelier de la Salle, avec les Hurons, avec les Européens de

passage …) et pour ses problèmes d’argent qu’il essaie de résoudre de toutes les manières possibles, d’où

d’innombrables trafics, pas toujours très propres. Il a, comme aide de camp, son cousin Liette/de Liette/Deliette

(Pierre-Charles de Lieto), dont le dernier descendant, Charles Henri Joseph de Tonty de Liette meurt à Montréal

le 9 juillet 1749 (Il Veltro, vol. 29, Il veltro editrice, 1985, p. 151).

http://www.biographi.ca/en/bio/tonty_alphonse_2E.html

Enfin, il ne faut pas confondre ces deux fils Tonty avec un soldat du régiment de Carignan, Boissard Alexandre,

surnommé pour une raison inconnue « le prince de Tonty », arrivé au Québec 19 aout 1665 sur le navire La Paix.

https://www.naviresnouvellefrance.net/html/vaisseaux2/soldats/soldatsBizBom.html#boissardalexandre

Page 47: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

46

nouvelle affectation, et patronné par le prince de Conti, il est recommandé à Cavelier de la

Salle 1.

Revenons à François de la Salle. Le document de sa main (daté d’un temps où Robert

Cavelier de La Salle est au Canada – ce qui rend impossible toute implication de sa part et

valide la solution découverte par Hébrard) commence par rappeler la genèse de l’invention de

la tontine et les démêlés de Tonti pour faire reconnaître son invention : un brevet du 7

septembre 1652 signé des quatre secrétaires d’État pour son invention, brevet confirmé le 23

novembre 1652 par un arrêt du Conseil d’État, en exécution duquel l’édit du mois de

novembre de création de la tontine est pris, mais qui n’est enregistré au Parlement que le 7

septembre 1661 et ensuite à la « chambre des comptes et à la cour des aides, après avoir été

communiqué à l’Hôtel de Ville, aux corps des marchands et au Chatelet de Paris, où il fut

reçu avec un applaudissement universel ». Mais, après ce triomphe (certes tardif), il lui faut

bien expliquer pourquoi l’invention de Tonti n’est toujours pas mise en œuvre : « comme dans

un temps de guerres et de minorité la foi des édits et des déclarations n’était pas aussi

parfaitement établie qu’elle l’est présentement, et que d’ailleurs le revenu de l’argent que les

particuliers apporteront pour acheter des places dans la tontine n’était que sur le pieds du

denier vingt, et qu’il faut un revenu plus avantageux pour obliger grande quantité de gens à y

entrer, il fut expédié un autre édit du mois de février 1663. … Mais la conduite des finances

ayant passé de la main de M Fouquet à celle de M Colbert, et la chambre de justice ayant été

établie, on ne crut pas que cette affaire put être regardée favorablement par les peuples en un

temps de recherches comme celles qui se faisaient alors. » Par le truchement de son associé

La Salle, et maintenant que Colbert est décédé, Tonti, qui jusque-là faisait partie de ses

courtisans, charge son ancien protecteur. Il laisse entendre que Colbert ne faisait les choses

que si elles étaient à son avantage, qu’il voulait s’attribuer les mérites de ses protégés, dont

l’innovation financière de Tonti : « Ensuite, Monseigneur Colbert, qui préférait les inventions

qui venaient de son génie à toutes les autres, et qui trouva d’autres moyens de rétablir les

affaires du Roi, balança longtemps s’il accepterait celui-ci quoiqu’il l’eut plusieurs fois

approuvé comme il paraît par l’édit du mois de février 1663 qui fut expédié de son temps, par

quelques écrits que l’on a qui sont apostillés de sa main, et par la tentative qu’il fit d’établir

une tontine particulière pour la province du Languedoc » (Hébrard, Annexes, p. 112).

Enfin, La Salle montre dans quelles conditions a pris la succession de Tonti dans la

promotion de l’affaire : « M. de la Salle … a travaillé à cette affaire dès son commencement

et … est chargé de toutes les propositions de la famille du dit Tonti » avec mission de le

représenter et d’organiser la promotion de l’ensemble de ses projets. C’est dans ces conditions

qu’il se propose d’exposer son plan : « si M le chancelier et M le Contrôleur Général ont

agréable d’entendre là-dessus M. de la Salle … il se promet de faire voir qu’il en reviendra

de très grands avantages, non seulement au public mais encore aux finances de Sa Majesté »

(factum de 1684, par Hébrard, Annexes, p. 112). Il propose de créer une nouvelle tontine

1 « Après huit années de service, tant sur terre que sur mer, ayant eu en Sicile une main emportée par un éclat

de grenade, j’étais à la cour dans le dessein de solliciter un emploi… Le prince de Conti qui m’honorait de sa

protection, eu la bonté de me proposer à lui pour l’accompagner dans ses voyages… » (Dernières découvertes

dans l’Amérique septentrionale de M. de la Sale (sic), mises au jour par M le chevalier Tonti, gouverneur du

fort Saint Louis aux Illinois, Paris 1697), Préface, 2-3 – Le livre a été désavoué par Henry de Tonti (dans une

mémoire de d’Iberville, qui le mentionne comme venant de la bouche même de Henri de Tonty. « M. de Tonty

désavoue fort, écrit-il, d’avoir jamais fait de relation de ce pays-là et dit que c’est un aventurier de Paris qui l’a

faite sur de faux mémoires, le tout pour gagner de l’argent. » (D’Iberville, Lettre datée des Bayagoulas, du 26

fév. 1700), mais le texte du livre repose largement sur des pétitions et mémoires envoyés par lui à Paris, dont

presque mot-à-mot celle qu’il a envoyé au comte Pontchartrain (dans Gravier, p. 366) et un mémoire publié dans

Magry, p. 7 ; le rédacteur de l’ouvrage est donc quelqu’un de l’environnement immédiat du comte de

Pontchartrain, bénéficiant de la lecture des rapports et des notes et brodant quelque peu là-dessus.

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royale « sans y changer ni ajouter que fort peu de choses », alors qu’il en modifie

complètement l’architecture : les classes passent de 10 de 15, leur amplitude chute de 7 à 5

ans, les seuls régnicoles habitant en France peuvent souscrire, le revenu initial est compté sur

le pied du denier 14 (ce qui fait 21 l 8 s 5 d de revenus pour une « place » de 300 livres), sur

lequel une retenue d’une livre est opérée pour les frais d’administration. La durée de la

souscription est de quatre mois. On observe que la proposition est celle d’un taux d’arrérages

uniforme à travers toutes les classes, une absurdité qui avait été soulignée trente ans plus tôt.

Un projet d’édit suit, qui bouleverse une nouvelle fois et radicalement le montage que

nous venons de décrire, tout en actant le décès de Lorenzo Tonti :

D’abord, l’affaire dépassant les forces des enfants de Tonti, l’administration de

la tontine passerait dans les mains royales qui s’occuperaient de tout (« la faire

régir sous nos ordres et sous notre autorité immédiate ») : d’une gestion sous

la coupe de l’inventeur, on passe à une gestion par la puissance publique. Mais

pour cela, il convient de dédommager les enfants de toutes les pertes qu’ils ont

subies ainsi que des frais engagés par leur père (« leur conserver … telle part

que nous estimerons à propos, eu égard à la perte qu’ils ont faite et … et même

aux dépenses extraordinaires que leur père et eux ont fait depuis tant

d’années »). Ce dédommagement est immédiatement précisé : il leur sera

accordé la finance des trésoriers de chaque classe (« le prix qui proviendra de

la vente desdits offices tienne lieu aux enfants dudit Tonty du don que nous lui

avions fait »).

Ensuite, le projet d’édit se propose de tenir compte des âges des souscripteurs :

« les premiers mourants n’auraient pas été suffisamment récompensés de la

perte de leur capital, si leur revenu n’avait été payé qu’au denier vingt » ; de

ce fait, la rémunération devient progressive, selon des classes de 5 ans en 5

ans, allant du denier 18 pour les plus jeunes au denier 10 pour les vieillards, les

hausses s’échelonnant de deux classes en deux classes.

Enfin, c’est La Salle qui en serait le contrôleur général et, à sa mort, les enfants

Tonti hériteraient de ses droits, en auraient la survivance, et en attendant

bénéficieraient de la finance des trésoriers de chaque classe (art. 20 : « nous

avons accordé et fait don … aux enfants dudit défunt Sr Tonty de la finance qui

proviendra de la vente desdits offices, pour en disposer comme chose à eux

appartenante ».

Ce projet d’édit n’est pas concrétisé en tant que tel.

Une grande ressemblance dans les montages existe entre le projet le projet de tontine

proposé aux États du Languedoc 1 en 1677 et le projet de tontine de 1684 : dans le premier, il

existe déjà une gradation des taux d’arrérages selon des groupes d’âges de cinq ans en cinq

ans (mais la gradation ne commence qu’après l’âge de 25 ans et la structure hiérarchique du

taux des arrérages est particulièrement tassée et débute avec un premier taux très élevé). Le

projet de tontine de 1684 ressemble à la tontine de 1689 par trois caractères : des groupes

d’âges de 5 ans ; une gradation de taux d’arrérages de deux groupes d’âges en deux groupes

d’âges ; une tarification du même type (sans être identique). Mais ce projet diffère de la

première réalisation de 1689 par trois grands traits : une classe de plus dans le projet de 1684 ;

des sommes à collecter par classe et des taux d’arrérages proposés différents ; la souscription

possible pour les étrangers dans le projet de 1684 et non dans la première tontine de 1689. On

1 La Salle laisse entendre que Colbert voulait y mettre en œuvre une tontine à sa manière (voir note plus haut).

Page 49: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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peut ajouter que la hiérarchie des taux, qui commence avec le denier 20 dans la création de la

tontine de 1689, met la première classe sous le taux du marché comme le démontre Hébrard

(p. 197) et participe certainement à l’échec relatif de cette tontine (en dépit des avis élogieux

du Mercure galant ou des encensements des intendants 1 qui sont assez rapidement plus

mesurés 2).

On peut donc dire que le dernier projet de Tonti, tel qu’il est présenté par de La Salle,

constitue l’original de la première tontine créée en France par Pontchartrain. Nous en voulons

pour preuve que certaines phrases dans les justifications de hiérarchie de taux sont presque les

mêmes dans le projet de 1684 et dans l’acte de création de 1689 3.

1 « On y court en foule et cela ne doit point surprendre puisqu’il est impossible de placer jamais de l’argent de

manière plus avantageuse. » (Mercure galant, 1689/12, p. 263). Monsieur de Séraucourt, intendant en Berry

écrit au Contrôleur général, le 17 décembre 1689 : « J’aurais peine à vous expliquer l’applaudissement qu’on lui

donne dans cette province. Tant pour l’intention (chacun présumant qu’il vivra plus que les autres et espérant

par-là parvenir à une grande fortune) que par la sagesse avec laquelle tous les cas qui peuvent tomber dans

l’imagination ont été prévus. L’empressement avec lequel tout le monde y portera ce qu’il a d’argent vous le

persuadera bien mieux que tout ce que je pourrais vous dire. » (Correspondance des contrôleurs généraux…,

lettre 820, p. 211). Le 28 novembre 1689, le Contrôleur général interdit aux Etats de Languedoc qui voulaient

lancer une tontine de le faire, « de peur que cette émission nuise à celle des rentes qui ont été créées à Paris »

(Correspondance des contrôleurs généraux…, lettre 835, p. 215). 2 M. Lebret, intendant en Provence, note que l’enthousiasme pour ce nouveau produit financier se calme assez

vite : « Il m’avait paru d’abord quelque chaleur pour cette nouvelle manière de se faire avec une bonne santé un

revenu considérable pour peu d’argent ;…des nouvelles … portent … que cette affaire n’a pas un si grand cours

à Paris qu’on s’était imaginé » (Correspondance des contrôleurs généraux…, lettre 839, p. 216). 3 En témoignent les deux citations suivantes : « Il ne serait pas juste que les jeunes gens, qui selon le cours de

nature doivent vivre plus longtemps et par conséquent jouir plus longuement de leur revenu en aient d’abord

autant que les vieux … » (Projet de 1684) à comparer avec « Il ne serait pas juste que les enfants et autres

personnes d’un âge robuste, qui selon le cours de nature doivent plus longtemps jouir desdites rentes… » (Arrêt

de création 1689). Comme le dit le Mercure galant (1689/12, p. 263) avec un délicat euphémisme : « Les

Ministres … la mirent par leurs lumières en état de perfection. »

Page 50: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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Tableau 2 - Comparaison des montages du projet tontine du Languedoc (Tonti), du projet

de tontine de 1684 (Tonti et Chastelus) et de la tontine effective de 1689 (Pontchartrain)

Âges Projet tontine du

Languedoc 1677 Projet tontine 1684 Tontine effective 1689

Denier

Taux

d’intérêt Denier

Taux

d’intérêt Denier

Taux

d’intérêt

0 — 5 13 7,69 18 5,56 20 5,00

5 — 10 13 7,69 18 5,56 20 5,00

10 — 15 13 7,69 17 5,88 18 5,56

15 — 20 13 7,69 17 5,88 18 5,56

20 — 25 13 7,69 16 6,25 16 6,25

25 — 30 12 8,33 16 6,25 16 6,25

30 — 35 12 8,33 15 6,67 14 7,14

35 — 40 12 8,33 15 6,67 14 7,14

40 — 45 11 9,09 14 7,14 12 8,33

45 — 50 11 9,09 14 7,14 12 8,33

50 — 55 11 9,09 13 7,69 10 10,00

55 — 60 10 10,00 13 7,69 10 10,00

60 — 65 10 10,00 12 8,33 8 12,50

65 — 70/et plus 10 10,00 12 8,33 8 12,50

70 et plus 10 10,00

Sources : Le cabinet historique ; Hébrard p. 203 ; Édit de création 1689.

Il n’est pas exclu que ce soit la mort successive des deux promoteurs (en 1684, Tonti

est déjà décédé et La Salle a 71 ans) qui ait fini par enterrer l’affaire. Ce ne serait donc pas la

longue mémoire des services du Contrôle général qui aurait conduit à la redécouverte de la

proposition, mais l’activisme de Tonti et de son associé, puis successeur, durant toutes ces

années qui auraient porté l’affaire. Notons aussi que le Contrôle général des finances vient de

changer de titulaire avec l’arrivée, le 29 septembre 1689, de Louis Phélypeaux, comte de

Pontchartrain, à la place de Claude Le Peletier de Morfontaine qui vient de démissionner le 20

septembre. Enfin, après ce que nous soupçonnons du décès de La Salle, un certain « M. du

Perier 1 la présenta d’une nouvelle manière et quoy que ce fut toujours sur l’idée de Mr

Tonty, elle paru avoir entièrement changé de face et être beaucoup plus facile et plus

avantageuse ». (Mercure galant, 1689/12, p. 262). Le 22 novembre, Dangeau (Philippe de

Courcillon, 1638-1720, marquis de) note dans son Journal (p. 28) que le montage de la

1 Le prénom n’est pas cité. Mais nous observons parmi les premiers souscripteurs à la tontine deux patronymes

Perier (Mercure galant, 1690/3 p. 240 et 245) : ce ne peut être Charles du Perier (1632-1692, poète) qui prend

pour 1200 Livres (donc 4 parts), mais c’est M. du Perier (sans indication de prénom), qui prend pour lui et sa

famille, pour 3000 Livres (donc 10 parts), ce que le journal explicite : « C’est celuy dont je vous ay déjà parlé,

qui a travaillé à l’établissement de la Tontine ». Nous aurions tendance à penser à l’ancien laquais de Molière,

François du Mouriez du Perier (v.1650-1723), à ce moment-là (assez mauvais) comédien, sans doute déjà dans

diverses affaires ; un peu plus tard, il y révélera un vrai don, introduisant les pompes à incendie en France vers

1705, prenant des parts dans les fermes (Monval). On trouve aussi dans cette tontine le poète Boileau (1636-

1711, sous le nom de Boilleau-Despréaux pour 1200 Livres ; p. 240), le lieutenant-général des armées Catinat

(Nicolas Catinat de La Fauconnerie, 1637-1712) pour 1500 Livres, Vauban (Sébastien Le Prestre de Vauban,

1633-1707) pour 2100 Livres…

Page 51: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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tontine est entièrement résolu et que le roi espère en tirer 12 à 15 millions (en réalité l’édit

vise 19,6 millions, dont seuls 3,6 millions seront levés, signifiant son échec financier -

Berthon & Gallais-Hamonno, p. 48) ; le 1er décembre, Dangeau note encore (p. 32) que l’édit

de création est publié et imprimé 1. Le titre de l’Edit est lui-même révélateur : Edit portant

création de 1 400 000 livres de Rentes Viagères sur l’Hôtel de Ville de Paris, qui seront

acquises suivant les différens âges portés par le présent Edit.

Illustration 12 - Louis II Phélypeaux de Pontchartrain, contrôleur des finances du 29

septembre 1689 au 5 septembre 1699, qui met en place la première tontine en France

Source : Robert Le Vrac de Tournières, Versailles, musée national du château et des Trianons

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Louis_pontchartrain.JPG

Sans doute choix délibéré de son auteur, Pontchartrain, de ne pas soulever la question

de la paternité de l’invention (ni de payer les finances associées au projet), la tontine de 1689

n’est jamais qualifiée ainsi et Tonti n’est mentionné nulle part 2 : l’Édit de création n’évoque

que des rentes viagères, insaisissables, et précise dans le sous-titre qu’il y aura

« accroissement de l’interest des mourans, au profit des survivans » ; l’Édit de création est

registré au Parlement le 1er décembre (Gazette du 10 décembre 1689), « en la Chambre des

Comptes et en la Cour des Aydes à Paris, au mois de décembre 1689 ». Les actes subséquents

(déclaration du 19 avril 1690, arrêt du 15 mars 1695) n’évoqueront pas plus Tonti et la

tontine.

1 Officiellement, l’Edit de création est « donné à Versailles au mois de novembre 1689 » sans plus de précision ;

l’Edit est « registré en Parlement, en la Chambre des Comptes & à la Cour des Aydes ». Certaines compilations

de textes juridiques datent l’acte du 2 décembre. 2 L’article Tontinen du Meyers Konversations Lexikon crédite Tonti, non d’avoir inventé la tontine, mais d’en

avoir lancé la première en France : « …Lorenzo Tonti, welcher zwar nicht ihr Erfinder war, aber 1689 die erste

Tontine in Frankreich einführte » (Lorenzo Tonti, qui n’était d’ailleurs pas son inventeur, mais celui qui a

introduit la première tontine en France en 1689).

Page 52: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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Illustration 13 - Édit de création de la tontine de 1689, ne mentionnant pas le mot tontine

Le fait que ces textes officiels ne citent pas Tonti et n’évoquent pas son invention ne

trompe personne. Ainsi, le Mercure galant (1689/12 p. 260) rappelle que « ces rentes

viagères connues sous le nom de Tontine » constituent l’innovation de Tonti et note que l’on

« parle de cette affaire depuis vingt-sept ans, sans que jusques à présent on ait trouvé les

moyens de la mettre au point où elle est. » Ou bien, un grand commis de l’État, l’intendant en

Berry, de Séraucourt écrit à Pontchartrain en parlant du montage tontinier : « J’ai reçu l’édit

que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer, pour la création des rentes viagères sur l’Hôtel

de Ville que l’on appelle la Tontine royale… » (Correspondance des contrôleurs généraux…,

lettre 820, p. 211). De même, dans sa correspondance avec le Contrôle général, l’archevêque

de Lyon indique que l’édit de la tontine vient d’être publié, que le sieur Clémencet en sera le

receveur et il conclut que « beaucoup de personnes achèteront » (Archives Nat. 1689,

Généralité de Lyon (G7/355). Dès l’année suivante, une collection de textes juridiques,

imprimée par Frédéric Léonard, Premier Imprimeur ordinaire du Roi, et seul pour les

Finances, avec Privilège de Sa Majesté, 1690, reprend le mot Tontine dans sa page de titre :

« La Tontine ou Recueil de tout ce qui s’est fait pour les Rentes Viagères, créés sur l’Hostel

de Ville de Paris, par Édit du Roy du mois de Novembre 1689 » et, dans sa dernière page,

termine par un tableau synthétique intitulé « Calcul pour l’intelligence des rentes viagères,

sous le nom de la Tontine ». Visiblement, nul n’est dupe…

Pourtant ce n’est que lors du lancement de la seconde tontine, en 1696, que l’édit

de création fera mention de la forme tontinière et réparera « l’oubli » de l’édit de 1689 :

d’abord dans le titre Édit du Roy portant création de nouvelles rentes viagères, dites la

Tontine et immédiatement après, le texte fait référence à la première tontine : « rentes

viagères, dites rentes de la Tontine créées par notre Édit du mois de novembre 1689 ». Une

fois l’habitude prise, les textes officiels y font référence sans difficulté comme dans

l’Arrêt du Conseil d’État du Roi qui porte règlement pour le mode de paiement des rentes

viagères, dite Tontines, dans les provinces et généralités du royaume du 10 octobre 1702,

dans lequel non seulement, le mot tontine apparaît dans le titre, mais encore un peu plus

loin, puisque le texte parle de « rentes viagères, dites tontines, constituées … en vertu de

l’édit de novembre 1689 ». La messe est dite…

Page 53: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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Illustration 14 - Édit de création de la tontine de 1696, mentionnant la tontine de

novembre 1689

Épilogue

Le factum de 1684 s’ouvre sur les mots : « La tontine royale est une affaire qui fut

inventée en l’année 1652 par le défunt Laurens Tonti » (Hébrard, p. 181), laissant entendre

que Tonti est décédé cette année-là ou avant. Or ce n’est que quatre ans plus tard que trois des

enfants qu’il a eu avec Isabelle de Liette, Nicolas et Louis de Tonty, écuyers, et leur sœur non

mariée Anne-Marie de Tonty, fille majeure en pleine possession de ses droits, habitant

ensemble rue de Verneuil, paroisse Saint-Sulpice, à Paris et comparaissant le 5 janvier 1688

devant le notaire Pierre de Clersin et Nicolas Lefranc, déclarent renoncer à la succession de

leur père Laurent de Tonty, gentilhomme romain, baron de Paludy, la succession étant « plus

onéreuse que profitable ». Ils jurent n’avoir pas touché aux biens de la succession.

(http://www.fichierorigine.com/dossiers/243958.pdf). Un peu plus tard, lorsque la première

tontine royale est lancée à l’instigation de M. du Perier, un développement du Mercure

galant, de décembre 1689, p. 261, confirme sa mort en évoquant « feu Mr Tonty qui proposa

la création de rentes viagères sous le nom de Tontine ».

A l’époque, Laurent Tonty n’est pas oublié – ce qui dément quelque peu la citation

initiale de notre article - , puisque le luthiste Robert de Visée (1660-1732), musicien de

chambre de Louis XIV (1680), maître de guitare du Dauphin (1682), puis du Roi (1695), lui

dédie un hommage funèbre (ce que l’on appelle un tombeau), le tombeau de Tonty, une pièce

de guitare transposée au luth, non datée (Rollin, p. 75). Une autre pièce de luth des Gallot

Page 54: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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(sans doute de Jacques Gallot, mais il existe aussi Alexandre Gallot dit Vieux Gallot d’Angers

et Pierre Gallot dit Gallot le jeune), s’intitule La tontine, « une courante, dixième

inemployée », en fa mineur (Rollin).

Illustration 15 - Tombeau de Tonty par Robert de Visée ; pièce pour luth en A mi la

tierce mineure, transposée de la guitare

Source : Rebours

La vie de Tonti est tout à fait extraordinaire, mais en même temps assez typique de

celle des projecteurs de son temps 1. Qu’on y songe ! Sorti des classes les plus pauvres,

humble mais hâbleur, il prend le nom d’un autre, il utilise son intelligence pour s’immiscer

dans des querelles qui lui sont étrangères, il y fait son argent, sa puissance, son pouvoir.

Quand sa première expérience s’écroule, il arrive par son entregent à se faire accepter à

l’étranger, et il profite de ce qu’il a vu dans sa patrie, pour en proposer un schéma d’une tout

autre ampleur, sur lequel lui et ses protecteurs se font quelques illusions. Les idées lui

viennent facilement et les projets se multiplient. Pourtant aucun de ces projets ne sera mené à

son terme et ce ne sera pas de sa faute. Quand Tonti meurt « inconnu, plus malheureux, plus

1 Dans ce portrait du donneur d’avis, on croit voir Tonti à l’œuvre. « Ils se glissent dans les antichambres, usent

les seuils des administrations publiques et tiennent des conversations mystérieuses avec des femmes galantes.

Leur aujourd’hui est misérable ; mais leur demain est plein de promesses et de lumière. Ils sont intelligents,

mais ont plus d’imagination que de jugement.… L’avis qu’ils donnent résume leur idée d’aujourd’hui : pour la

communication de leur avis, pour la vente de leur idée ils obtiennent une rémunération qui s’appelle droit

d’avis. … On nous les décrit comme des gens inquiets, toujours aux aguets, toujours en éruption, comme des

gens au regard perçant, aux doigts crochus, faisant toujours la chasse aux thalers. On trouve dans leurs rangs

des inventeurs méconnus, des romantiques de l’action, des banqueroutiers coiffés de chapeaux aux larges bords,

des bohèmes qui se sont évadés du milieu bourgeois et qui voudraient bien y rentrer, des gens audacieux et

pleins de ressources qui grignotent leur croûte de pain dans le coin d’une rôtisserie, dans l’attente de la dupe à

écorcher, des aventuriers malpropres qui finissent leurs jours sur le fumier de la rue ou dans la peau d’un grand

financier. » Sombart, p. 46.

Page 55: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

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pauvre que quand il vint en France » (Merger, p. 19), tout dans sa vie semble un échec, à

l’image des projeteurs de haute fantaisie de l’époque : sa révolution napolitaine a fait long

feu ; ses multiples projets se sont révélés des chimères ; il a acclimaté en France l’idée d’une

loterie, mais celle-ci n’a pas eu l’occasion de fonctionner ; enfin, sa grande idée, la tontine,

connaît de multiples expériences, à petite échelle, dans les pays étrangers, et sans qu’il y soit

intéressé, mais non dans le pays dans lequel il habite, l’a proposée pour un grand montage et

où il espérait faire fortune.

Tonti apporte en France deux choses qui, si elles existent déjà sous une forme ou une

autre en Italie, constituent des innovations dans ce pays : la loterie et la tontine. Dans le cas de

la loterie, déjà expérimentée en France, mais jamais envisagée pour la réalisation d’un édifice

public, l’aléa est celui du tirage ; dans la tontine, l’aléa est celui de la mortalité, et ceci

doublement : la mortalité des autres, sa propre mortalité. La tontine est une loterie sur la vie,

un jeu de la mort et du hasard, une sorte de loterie funèbre. Mais tant dans la loterie que dans

la tontine, l’aléa peut conduire à la fortune 1. Or ce lien est déjà observé dans l’Encyclopédie

méthodique, Finances, à l’article « Tontine » (p. 705) qui énonce qu’il s’agit d’une « espèce

de rente, qui a pris son nom de Laurent Tonti, Napolitain, qui, le premier, proposa cette sorte

de loterie en France, en 1653 ».

A sa mort, Tonti a un seul succès à son actif – et il n’est pas mince -, celui d’avoir fait

passer son nom à la postérité 2 dans l’arrangement financier qu’il a exposé, un montage qui

aujourd’hui encore porte son nom et qui a fait rêver des milliers de gens à la fortune dans

leurs vieux jours.

1 « On dit d’une personne qui a mis sur un vaisseau ou à la Tontine, qu’elle est riche en espérance ». Mercure

de France, février 1725, p. 255. 2 Encore que cette postérité tarde à enregistrer ce mot. On comprend bien que le Nouveau dictionnaire de

Richelet (1694) prétende que « ce mot est nouveau », car la première tontine n’a que cinq ans ; il est toutefois

surprenant que, plus de cinquante ans après la première réalisation, et après avoir donné l’historique des tontines

qui se sont multipliées depuis, tant le Dictionnaire de Trévoux en 1740 que le Dictionnaire Oeconomique de N.

Chomel, dans son édition lorraine de 1741, reprennent la même affirmation…

Page 56: Document de Recherche du Laboratoire d’Économie d’Orléans

55

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https://www.histoire-image.org/fr/etudes/colbert-presente-louis-xiv-membres-academie-royale-sciences

Illustration 15 - Gravure de Thibault, d’après le tableau de Testelin

https://www.reseau-canope.fr/musee/collections/en/museum/mne/fondation-de-l-observatoire-1669-colbert-presente-au-roi-les-membres-de-

l-academie-des-sciences/55eb920a-8cf7-4a7e-9b87-62210112cac9