Défense et Sécurité européenne

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Défense et Sécurité européenne

Henri Pac

Avant-Propos de P.-H. CHALVIDAN et P. WEISS

E 61, boulevard Saint-Germain - 75005 PARIS EYROLLES 1991

L'auteur :

Politologue, ancien Commissaire en Chef de la Marine, Henri PAC est Conseiller de Tribunal administratif et Expert-consultant en géostratégie. Docteur d'Etat en science politique, spécialiste du droit nucléaire, il est l'auteur de Politologie de la Défense nationale (Masson, 1986) et Le droit de la Défense nucléaire (PUF, Que sais-je, 1989).

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© Editions EYROLLES, 1991

AVANT-PROPOS

La construction économique et politique de l'Europe sont des thèmes auxquels un large public du Vieux Continent est aujourd'hui sensibi- lisé. Il n'en va pas de même pour les questions - interdépendantes comme les deux faces d'une même médaille - de la défense et de la sécurité, lesquelles constituent pourtant un test décisif pour la concréti- sation de l'idée européenne. Echappant à la technicité, voire à l'ésotérisme qui, trop souvent, sont le lot des ouvrages consacrés à cette matière, le présent manuel offre un tableau clair, concis - et néanmoins exhaustif - des enjeux et des débats de la défense et de la sécurité européenne, resituées dans leur contexte historique, doctrinal et politique. Henri PAC tient pleinement compte des tout récents développements intervenus dans ce domaine, par exemple la création de la brigade franco-allemande ou la signature de la Charte de Paris pour une nou- velle Europe. Cette "actualisation" nécessaire s'inscrit cependant toujours - c'est là le mérite de ce manuel - dans une réflexion prospec- tive propre à stimuler l'intelligence de l'étudiant sur une question à propos de laquelle il convient de souligner, avec l'auteur, que "les dés ne sont pas encore près de rouler".

Pierre-Henri CHALVIDAN et Pierre WEISS

INTRODUCTION

QU'EST-CE QUE LA DÉFENSE EUROPÉENNE ?

Un concept de sécurité remis au goût du jour par le nouveau contexte

Surgissant de l'Europe de l'Est, des événements, à la fois inattendus et prévisibles, révèlent cette crise du monde communiste dont il ne faut surtout pas négliger l'étendue planétaire et les terribles potentialités. Progressivement toutes les composantes du désordre établi par cette crise structurelle des relations trans-européennes sont mises en relief par la logique même de l'évolution historique. Chute du mur de Berlin qui cristallisait dans son monolithisme oppressant l'affrontement sans pitié du monde capitaliste et du monde communiste ; déconstruction de celui-ci par l'implosion des fondements mêmes de la démocratie soi- disant populaire ; affadissement du Pacte de Varsovie en voie de vérita- ble décomposition ; réunification de l'Allemagne ; ébranlement de l'empire soviétique ; rupture de la problématique guerre froide des blocs et préfiguration d'un nouvel ordre européen dans le cadre de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe. Tous ces événements ne sont que des manifestations de plus en plus brutales, de plus en plus précipitées par l'accélération de l'histoire, de la crise majeure du monde communiste suscitée par l'enchaînement fatal de la massification idéologique et de l'étatisme sans frein. Dans la perspective de la projection du désordre établi par ce véritable bouleversement des relations trans-européennes sur le plan du devenir sécuritaire de l'Europe, la question lancinante de la défense européenne constitue le problème fondamental. Mais elle se pose aussi avec la même acuité à travers les conséquences de la crise du Golfe sur la sécu- rité de l'Europe, révélant ainsi qu'elle ne saurait être disjointe des situa- tions régionales qui ne concernent pas pourtant directement sa zone d'application. Sous l'effet de ce double contexte, elle connaît aujour-

d'hui une nouvelle dynamique que la lettre commune adressée le 9 décembre 1990 par MM. Mitterrand et Kohl au président en exercice de la Communauté a semble-t-il définitivement amorcée, en affirmant que "l'union politique devrait inclure une véritable politique de sécurité qui mènerait à terme à une défense commune". C'est pourquoi s'impose que soit abordée sans retard l'étude de cette notion, d'autant que l'image qui la poursuit lui confère une signification à la fois trouble et confuse.

Ce n'est pas un des moindres paradoxes de notre temps que de proposer à la dévotion des peuples européens un système de sécurité collective que ceux-là mêmes qui s'en réclament avec le plus de véhémence seraient bien en peine de définir. Tout le monde en évoque avec force la nécessité, mais quant aux signes concrets par où doit se traduire ce renforcement décisif de la solidarité européenne, aucune indication n'est fournie comme si tous les Etats européens étaient conscients du danger que courraient les possibilités d'entente si, par-delà les mots, il fallait définir la chose. Qu'est donc, en effet, cette défense européenne dont l'établissement doit parachever la construction politique de l'Europe trop longtemps, dit-on, abusivement comprimée dans les limi- tes étriquées de la seule communauté économique ? Assurément, l'idée d'un système défensif commun à l'ensemble des pays européens n'est pas nouvelle. C'est elle qui, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, et après que la rupture entre l'Est et l'Ouest eut été consommée, va constituer l'élément moteur dans l'évolution de la politique qui allait conduire les Etats européens à s'engager dans la voie de l'intégration européenne. La conscience que le redressement nécessaire de l'économie de pays dont les ressources, les produits et l'appareil économique étaient usés par la guerre, allait de pair avec la création d'un réseau de solidarités militaires destiné à renforcer la posi- tion de défense de l'Europe occidentale a joué un rôle déterminant dans l'avènement de l'organisation européenne. L'essor considérable que les institutions européennes vont prendre dans les années 1950 tient donc non seulement à des causes économiques mais surtout à la néces- sité de plus en plus évidente de se défendre contre la volonté d'expan- sion de l'U.R.S.S. Toutefois, les constructions doctrinales et de fait étaient bien peu de choses — tant à raison de leurs divergences qu'à cause des résistances des Etats-nations — auprès du dynamisme irrationnel inclus dans le terme même de défense européenne ; la défense européenne, c'était l'édification sur l'Europe des Patries d'une organisation destinée à dépasser le système de la souveraineté nationale avec tout ce que cette perspective comportait alors d'incertitudes quant aux moyens et de révolutionnaire dans la démarche et les buts.

De cette préhistoire de la défense européenne, on ne peut guère retenir que la puissance magique qui s'est attachée à un mot. Quant à la chose elle-même, il est bien certain qu'une fois dépouillée de son auréole mythique et sortie de son enveloppe atlantique, devenue un objectif purement européen à atteindre de sang-froid, sa description est infini- ment plus malaisée. Il n'est pas douteux, en tout cas, que les contradic- tions et les ambiguïtés que l'observation révèle dans la pratique com- munautaire des Etats européens sont, pour la plus grande part, imputa- bles à la notion de défense commune à laquelle les Etats européens se prétendent attachés sans s'être accordés sur ses exigences profondes, ni sur les mécanismes institutionnels qu'elle suppose. Cette incertitude n'est d'ailleurs, en un sens, qu'un effet de la richesse et de l'intensité des croyances ou des espoirs que résume la notion de défense européenne. Si le qualificatif européen connaît, depuis une dizaine d'années, et surtout depuis que se rapproche à grands pas la perspective du grand marché unique européen, la faveur qui lui vaut d'être utilisé à propos de tout et de rien et d'être proposé par l'ensem- ble des Etats comme le remède miracle à tous leurs maux, ce n'est pas par la seule contagion d'un mode terminologique. C'est parce que cha- cun cherche à exploiter la force de suggestion que recèle le terme : européen. Il n'en va pas autrement de la défense : en la faisant accéder à la dimension européenne, on tend à l'enrichir de toutes les promesses incluses dans ce maître-mot de la seconde moitié du xxe siècle. Mais, du même coup, on prouve que ces promesses correspondent à des exi- gences qui ne peuvent être éludées dès lors qu'on leur reconnaît par là même une signification vitale pour l'avenir de l'Europe. Et, comme notre époque est assez portée à considérer davantage les voix qui récla- ment plutôt que ce qui est réclamé, on en arrive, à la limite, à promettre la réalisation d'un vœu dont le contenu doit à son imprécision la plus grande part de sa force persuasive.

Un concept pluriel et multiforme, à la signification trouble.

Si, cependant, on s'efforce de dégager la notion de défense européenne de l'aura mystérieuse qui l'entoure, il semble qu'on puisse lui assigner deux sens complémentaires à certains égards, mais cependant distincts. On peut considérer d'abord comme défense européenne un système de défense commune dont l'armature institutionnelle communautaire doit assurer contre toute agression la défense de l'Europe occidentale. Le principe fondamental d'un tel système de sécurité collective est la fusion des forces armées des Etats membres. Bref, en ce premier sens, la défense européenne pourrait être définie : le régime de la défense de l'Europe par l'armée européenne. Ce qui compte, ce n'est ni la nature des règles qui président à une telle intégration militaire, ni l'origine des décisions qui les fixent ; c'est l'existence, en fait, d'un sanctuaire

européen où sont satisfaites les exigences fondamentales des Etats membres quant à des conditions de sécurité qui leur garantissent, par la mobilisation commune, l'intégrité de leur territoire. Selon une seconde conception, la défense européenne correspond à une modalité de la procédure conmunautaire dont l'objectif est d'unir dans la construction européenne les desseins politiques aux buts écono- miques. Il s'agit alors d'une application dans le domaine de la sécurité collective des principes et des techniques de l'intégration européenne, c'est-à-dire de la subordination des relations militaires et des méca- nismes stratégiques à l'objectif de la construction européenne sur le plan politique. Il apparaît ainsi que, dans cette seconde acception du terme, ce qui caractérise la défense européenne c'est moins un certain état de sécurité collective que la contribution que celui-ci apporte à la construction de l'Europe politique. Alors que, selon le premier sens que nous lui avons reconnu, la défense européenne se reconnaît statiquement dans un territoire européen sanc- tuarisé par la fusion des forces armées des Etats membres dans une armée commune, ici elle se définit dynamiquement par le service de l'Europe politique dont elle contribue, d'une manière décisive, à nour- rir la pertinence. Les conséquences qui s'attachent à l'une ou à l'autre de ces interpréta- tions de la notion de défense européenne sont innombrables. Pour ren- dre plus sensible leur opposition, nous irons d'emblée aux extrêmes en disant que, si toutes deux supposent à des degrés divers la subordina- tion de la souveraineté nationale à un intérêt communautaire supérieur, dans son premier sens, la défense européenne peut s'accommoder des diplomaties nationales quitte à leur apporter des corrections progres- sives, tandis que dans le second elle postule une véritable révolution institutionnelle et l'adoption par les Etats européens d'une politique extérieure commune. Nous établirons, à l'occasion de la problématique de la défense européenne qui fera l'objet de la deuxième partie de cette étude, le bien-fondé de cette double proposition. Auparavant, pour éviter que notre propos ne revête un accent intemporel dont il n'y a pas ici à tirer profit, il paraît utile de rappeler les grandes étapes de l'idée de défense européenne et de situer les attitudes des politiques contemporaines en face de l'interrogation majeure que pose la notion de défense européenne. L'ensemble de l'ouvrage est ainsi divisé en deux parties : la première traite de l'évolution historique de la notion de défense européenne, la seconde des principes d'organisation et de conduite sur lesquels débouche la vision européenne dans le domaine de la défense com- mune.

La première partie présente donc un aspect essentiellement historique ; il convient de retracer le chemin parcouru par l'idée de défense européenne depuis la fin de la première guerre mondiale. Mais il faut aussi la saisir dans le présent en faisant le point sur le débat auquel elle donne lieu et en dressant le constat de ses réalisations concrètes. La seconde partie est consacrée à la problématique de la défense européenne. Il s'agit de déterminer les contours actuels de la défense européenne au regard du modèle de sécurité que laisse entrevoir le nou- veau contexte. Ce faisant, se révèlera la nécessité de localiser ce projet par rapport aux données politiques, juridiques et stratégiques dont son concept pluriel postule la fédération, et d'assembler dans une synthèse doctrinale les éléments d'une construction possible de l'Europe sur le plan de la sécurité collective.

Epoque de transition où se révèlent déjà les contours militaires de la nouvelle Europe que lui dessine la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, l'ère de l'après-guerre froide bouscule tous les dogmes sur lesquels reposait jusqu'à présent la sécurité européenne.

Dans ce nouveau contexte compliqué à l'envi par la réalité brutale de la crise du Golfe, DEFENSE ET SECURITE EUROPEENNE est le premier ouvrage à étudier les grands problèmes de la sécurité militaire de l'Europe à la lumière des principes de la défense européenne.

On trouvera dans cet ouvrage : - un rappel des grandes étapes de l'idée de défense européenne; - un bilan de la construction européenne en matière de défense

commune; - un voyage à l'intérieur de l'Europe militaire et une présentation de

son régime politique; - une réflexion sur la redistribution du jeu stratégique européen; - une recherche sur un nouveau modèle de sécurité européenne et les voies de sa réalisation.

Cet ouvrage s'adresse notamment aux étudiants, mais aussi à un public de plus en plus vaste que la conjoncture internationale sensibilise avec acuité aux problèmes de la sécurité européenne.

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