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L'Année du Maghreb (2004) Dossier : L’espace euro-maghrébin ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Thierry Desrues De la Monarchie exécutive ou les apories de la gestion de la rente géostratégique ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Thierry Desrues, « De la Monarchie exécutive ou les apories de la gestion de la rente géostratégique », L'Année du Maghreb [En ligne], I | 2004, mis en ligne le 08 juillet 2010, consulté le 06 août 2012. URL : http:// anneemaghreb.revues.org/312 ; DOI : 10.4000/anneemaghreb.312 Éditeur : CNRS Éditions http://anneemaghreb.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://anneemaghreb.revues.org/312 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © Tous droits réservés

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L'Année du MaghrebI  (2004)Dossier : L’espace euro-maghrébin

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Thierry Desrues

De la Monarchie exécutive ou lesapories de la gestion de la rentegéostratégique................................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'éditionélectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

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Référence électroniqueThierry Desrues, « De la Monarchie exécutive ou les apories de la gestion de la rente géostratégique »,L'Année du Maghreb [En ligne], I | 2004, mis en ligne le 08 juillet 2010, consulté le 06 août 2012. URL : http://anneemaghreb.revues.org/312 ; DOI : 10.4000/anneemaghreb.312

Éditeur : CNRS Éditionshttp://anneemaghreb.revues.orghttp://www.revues.org

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L’Année du Maghreb, 2004, CNRS ÉDITIONS

CHRONIQUE POLITIQUE

De la Monarchie exécutiveou les apories de la gestionde la rente géostratégique

Thierry Desrues *

n 2004, le Maroc a clos la cinquième année de la « nouvelle ère ». La pressemarocaine a profité de l’occasion pour présenter un bilan du règne de

Mohamed VI qui apparaît marqué du sceau de la réforme 1. Si certaines plumesn’ont pas dérogé à la tentation apologétique, tel H. Aourid 2, l’état des lieux esten général nuancé, selon que les analyses mettent l’accent sur les réalisationsou sur les carences de la « transition démocratique » ; ce qui, en soi, est unindice des progrès chaotiques, au gré de la fixation des lignes rouges, vers laconsolidation d’une opinion publique. Les avancées vers la démocratie et lamodernité au nom de la réforme du Code de la famille et de la création del’Instance Équité et Réconciliation (IER) contrastent avec les critiques quiportent principalement sur le maintien de pratiques propres au mode degouvernance makhzénien 3. Ce type d’exercice sortant du cadre qu’impose lachronique annuelle, il s’agira ici de présenter une sélection d’événements quinous ont semblé saillants tout en les situant dans une trajectoire, afin, dans lamesure du possible, de dégager ou non des régularités.

Les principes, à défaut de développements, qui articulent le projet poli-tique et les choix de société divulgués par les discours du roi, se résument àl’édification d’un Maroc uni, démocratique, solidaire, ouvert et développédans le cadre d’une monarchie exécutive qui règne et gouverne. Tels sont lestermes d’une équation qui se prête à la confrontation avec les événements,mais dont la solution demeure du domaine de l’incertitude, vu la généralité

1. Chercheur de l’Instituto de estudios sociales de Andalucía (IESA-A) du Consejo Supériorde investigaciones científicas (CSIC), chercheur associé à l’IREMAM, [email protected]

1. La Vie Économique, « Cinq ans qui changent le Maroc », Dossier Spécial, 29 juillet2004 ; La Nouvelle Tribune, « 1999-2004 », « Le Maroc se réforme », 29 juillet 2004 ; Maroc-Hebdo International, « Les cinq années de réformes de SM le Roi Mohammed VI : biland’étape », 28 juillet – 3 août 2004 ; Le Journal Hebdomadaire, « Dossier de Hassan II à Mohamed VI.D’un Monarque à l’autre des systèmes de gouvernance peu différenciés », 31 juillet 2004.

2. Voir l’article du porte-parole officiel du Palais Royal, H. AOURID, « Les choix stratégi-ques de Sa Majesté Mohamed VI », La Vie Économique, 29 juillet 2004.

3. Dans un éditorial, A. JAMAÏ revient sur « les changements institutionnels que son héri-tier (d’Hassan II) n’arrive pas à entamer » l’héritage permettant « de relativiser la situationactuelle », Le Journal Hebdomadaire, 31 juillet 2004.

E

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des principes, le manque de lisibilité des processus de prise de décision et laprécarité ou le déficit d’institutionnalisation des instances et des acteurs quiconcourent à la représentation de la souveraineté populaire 4.

La cohérence du discours et de l’équation dépendent de la conclusionde questions, souvent récurrentes, reçues en héritage, et qui fondent leprogramme à venir du gouvernement, à savoir : la résolution définitive de lasouveraineté marocaine du Sahara occidental ; l’affermissement et l’accéléra-tion de la transition démocratique ; l’ancrage des valeurs d’une citoyennetéengagée ; l’adoption d’un nouveau contrat social ; la consolidation du déve-loppement rural et du secteur agricole ; l’édification d’un système écono-mique moderne, productif, solidaire et compétitif, permettant de relever lesdéfis de la mondialisation et du libre-échange ; et enfin, la consolidation de laplace du pays en tant que pôle régional et acteur international actif, dans unmonde marqué par des mutations rapides et décisives 5. La voie fut tracée parHassan II, qui au cours des dernières années de son règne n’aurait sans doutepas renié pareilles directives, et il semble bel et bien que cela soit à l’aune deson approfondissement ou de son éloignement que l’action de son successeurest jaugée.

La relecture des chroniques de l’Annuaire de l’Afrique du Nord deJ.-N. Ferrié (2002, 2004) et de M. Catusse (2000a) rappelle que l’avènementdu nouveau roi n’a pas été accompagné d’un changement de régime et que lacontinuité ou la stabilité de celui-ci dépend de sa capacité à introduire deschangements ou à reconduire la croyance dans leur réalisation future tout enmaintenant son emprise sur les différentes forces sociales, économiques etpolitiques qui pourraient le questionner ou l’appuyer. Certaines réformescomme celles du Code de la famille ou du travail ont abouti 6. D’autres sonttoujours en chantier, mais leur élaboration a connu une certaine accélération,telles que l’introduction de l’enseignement de l’amazigh ou le projet de loi surles partis politiques. D’autres, enfin, reviennent comme un serpent de mer etn’ont toujours pas été entendues comme la révision de la Constitution ou dela régionalisation. Des événements tels que les attentats du 11 septembre2001 ou du 16 mai 2003 ont été saisis comme autant de fenêtres d’opportu-nité pour faire avancer certains dossiers bloqués par un mode de gouvernancequi demeure très empirique, erratique, centralisé et personnalisé ainsi quepar l’existence d’un rapport de force peu favorable aux visées de la Monar-chie. Le nouveau Code de la famille répond sans doute aux convictions duroi 7 et permet de promouvoir l’image d’une monarchie moderne, ce à quoisont sensibles les alliés occidentaux du pays, mais son application se heurterasans doute à la situation sociale et économique des femmes marocaines

4. La presse indépendante Le Journal Hebdomadaire et Tel Quel reviendront tout aulong de l’année sur ces questions.

5. Ce sont les termes du programme contenu dans le discours du trône du 30 juillet2004. « Discours de SM le Roi à l’occasion de la Fête du Trône », Rabat, vendredi 30 juillet 2004,http://www.mincom.ma (consulté le 10 août 2004).

6. Pour une analyse fine de la réforme du Code de la famille et du travail, nous renvoyonsrespectivement à A. ROUSSILLON (2004) et M. CATUSSE (2005c).

7. C’est ce que défend M. Boucetta, président de la Commission royale pour la réformede la Moudawana dans l’entretien qu’il a concédé au Journal Hebdomadaire, « Moudawana :les coulisses de la réforme », 29 juillet 2004.

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(Mejjati Alami, 2005) et au conservatisme d’une société peu disposée àdiscuter ce qu’elle considère, à tort ou à raison, comme étant la tradition,c’est-à-dire, la fidélité à soi-même (Laroui, 2005). En 2002, la réforme des loissur les libertés publiques promise par le gouvernement d’alternance (1998-2002) s’inscrit, contrairement aux aspirations de la « société civile » et decertains groupes parlementaires, dans une logique de contrôle et de tout sécu-ritaire que parachève la promulgation de la loi sur le terrorisme le 28 mai 2003(Bendourou, 2004). La fin d’un laxisme qui n’a jamais eu lieu (Sarafi, 2003) seconcrétise dans une juridicisation de l’autoritarisme qui participe du renou-vellement du droit de l’État au nom de la consolidation de l’État de droit. Paral-lèlement, le consensus continue à être érigé en vecteur des débatscontribuant à leur dépolitisation.

La capacité de réaction, bien que ponctuelle, paraît avoir été sous-estimée, tant la discontinuité semble marquer l’action d’un monarque quis’engage dans ses discours à apporter des solutions et s’investit directementdans certaines réformes, mais qui s’absente souvent ou ne répond pas présentlà où on l’attendait ou au moment où on l’espérait 8. Il en résulte un relentd’ambivalence, voire une inquiétude qui rejoint la déception qui avaitsuccédé à l’enthousiasme suscité par les signes de changement ayant inauguréle règne de Mohamed VI. Les commentaires sur le manque de direction ou lemortel attentisme 9 du nouveau règne n’ont pas disparu 10 et si l’on en croitl’ancien journaliste de l’Agence France Presse au Maroc, I. Dalle :

« Ce qu’il y a sans doute de plus préoccupant dans le nouveau règne, c’estqu’on n’a toujours pas la moindre idée de la direction que Mohamed VI entendprendre. Le sait-il lui-même ? ou a-t-il décidé de faire de cette absence de cap uneméthode de gouvernement » (Dalle, 2004, p. 782).

Or, on semble avoir oublié que la fonction du roi n’est pas tantd’amorcer le débat que d’y mettre fin en renforçant l’institution monarchiquedans son caractère instituant (Roussillon, 2004 ; Laroui, 2005). R. Leveau(2002, p. 202-203), synthétise à ce propos le dilemme de la Monarchie et ledésarroi de certains analystes :

« Le silence du roi s’explique peut-être par cet ensemble d’incertitudes surla voie qu’il entend suivre, mais aussi tout simplement sur la nécessité de créerdes rapports de force clairs avant de passer à l’action. »

Il est certain que la Monarchie s’expose de plus en plus en s’investissantdans tous les domaines que ce soit le champ social et politique ou religieux,sans renoncer à son hégémonie au sein de l’économie marocaine et dans lesaffaires extérieures.

8. L’absence du roi lors des funérailles de Yasser Arafat a été qualifiée « d’incompréhen-sible » par A. JAMAÏ dans Le Journal Hebdomadaire, 22 novembre 2004.

9. Alaoui HICHAM M., « Mortel attentisme au Maroc », Le Monde, 27 juin 2001.10. Revenant sur les rumeurs d’un remaniement ministériel, de la nomination d’un

nouveau Premier ministre et d’une réforme constitutionnelle durant le premier semestre del’année 2004, l’hebdomadaire Tel Quel se demande : « Et le roi, que fait-il ? Tout le pouvoir estconcentré entre ses mains, on est donc en droit d’attendre qu’il crée un peu de mouvement ».Ahmed BENCHEMSI, « Lassant, déprimant », 25 septembre 2004, http://telquel-online.com(consulté le 15 octobre 2004). Quant au Journal Hebdomadaire, il intitule son dossier de débutd’année 2005, « Que fait le roi ? », 1er janvier 2005.

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Ces apories de la Monarchie exécutive (attentisme et implication)conduisent de nombreuses analyses à insister sur le risque que court le régimede subir les changements imposés par l’évolution de la société, les attentes deses alliés occidentaux et des bailleurs de fonds, les conséquences non souhai-tées des processus en cours, les imprévisibles catastrophes naturelles ouencore les éventuels revers dans la gestion de la « cause sacrée » du Sahara.Durant le règne précédant, la Monarchie a su faire preuve de pragmatismepour asseoir son hégémonie intérieure en se conciliant des appuis exté-rieurs 11. Dans quelle mesure maintient-elle sa capacité à articuler avec succèsla gestion de la rente géostratégique et l’évolution des conditionnements poli-tiques intérieurs en vue de renforcer son rôle central ? L’analyse de l’année2004 s’inscrit dans ces questionnements tant la gestion du pays semblerelever de son adéquation avec le « temps mondial ».

L’Accord de libre-échange (ALE) entre le Maroc et les États-Unis :« le salut est dans l’Atlantique 1212 »

Au cours de la deuxième visite officielle du roi Mohamed VI aux États-Unis en avril 2002, la décision avait été prise d’établir une zone de libre-échange entre les deux pays. Les négociations ont commencé le 1er janvier2003 et étaient supposées aboutir, avant la fin de cette même année 13. Aprèssept rounds de négociations répartis sur une période de treize mois, l’ALE a étéenfin conclu le 2 mars 2004 à Washington et signé par les gouvernements desdeux pays le 15 juin. Quelques jours avant la signature, le Maroc a reçu lestatut d’allié préférentiel des États-Unis en dehors de l’OTAN, ce qui lui permetnotamment d’accéder à des fonds pour financer l’achat de matériel militaire.Les relations entre les deux pays, bien qu’excellentes, ont été toutefois terniesà plusieurs reprises par l’administration Bush qui a reproché les entorses auxdroits de l’Homme et aux libertés publiques commises par son allié et,surtout, qui a appuyé le plan Baker II pour la résolution du conflit du Saharapassant outre les réticences marocaines. Salué comme un choix stratégiquepar certains, comme une menace par d’autres, l’ALE possède une portée poli-tique qui dépasse les enjeux économiques.

Le contenu de l’accord couvre l’ensemble des secteurs d’activitéséconomiques, ainsi que des questions relatives aux investissements, à lapropriété intellectuelle, aux marchés publics et à l’environnement. Lesproduits industriels ont été classés dans des listes qui déterminent le taux tari-faire d’entrée et le calendrier de démantèlement. Les services et les télécom-munications ont été l’objet de fortes concessions aboutissant au libre accèsnon-discriminatoire dans des délais plus ou moins graduels et brefs. Au coursdes négociations, les dossiers du textile et de l’agriculture ont été particuliè-rement ardus retardant la clôture de l’accord de trois mois. Le traitement de

11. La question de l’articulation entre la politique intérieure et la politique extérieure deHassan II a été analysée par M. HERNANDO DE LARRAMENDI (1997) et elle est au centre de l’argu-mentaire des travaux de R. LEVEAU (2004).

12. Expression que nous reprenons à A. LAROUI (2005, p. 239). 13. L’accord devait être signé et ratifié par le Congrès américain avant la célébration des

élections présidentielles de novembre 2004.

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ces secteurs ainsi que le volet de la propriété intellectuelle ont provoqué lesplus vifs débats. Cependant, ceux-ci sont apparus tardivement une fois lesnégociations bien avancées tant l’opacité du côté marocain était grande 14.Face aux critiques de la société civile 15 et à celles des opérateurs économi-ques relatives au manque de transparence du processus de négociations, ladiplomatie marocaine a justifié la confidentialité de sa démarche comme étantnécessaire pour favoriser les intérêts du pays. De toute façon, l’accord devaitaboutir puisqu’il en avait été décidé ainsi au plus haut niveau de l’État.

Les arguments économiques d’une alliance politique

En fait, le débat dont la presse a été le relais est passé du contenu del’ALE et de ses conséquences 16 aux raisons qui ont motivé la décision d’établirun tel accord avec la première puissance économique mondiale. LorsqueMohamed VI se rend aux États-Unis le 22 avril 2002, une manifestation enappui aux Palestiniens et contre la politique du gouvernement israéliensoutenue par l’administration Bush venait de réunir le 7 avril à Rabat plusd’un million de personnes 17. Peu après les attentats du 11 septembre 2001et à la veille de l’intervention de la coalition en Afghanistan, des islamistes etdes oulémas avaient déclaré illicites toutes alliances avec les États-Unis. Dèslors, qu’est-ce qui a poussé le roi, président du Comité Al-Qods, à annoncerun accord 18, alors que les États-Unis augmentaient la pression sur l’Iraq, lais-sant entrevoir la probabilité d’une future intervention qui ne manquerait pasde susciter de nouvelles mobilisations populaires 19 ?

Les défenseurs de l’ALE ont mis en avant des motivations économiques,telles que l’accès au marché américain des produits marocains, la possibilitépour le pays de se convertir en plate-forme vers l’Europe et le reste dumonde arabe pour les investissements américains et le sursaut que nemanquerait pas de provoquer une signature qui devrait relancer la miseà niveau de l’économie. Ces arguments pour justifier « un partenariat

14. « Absence de débat, le droit de savoir » titre l’éditorial de F. YATA in La NouvelleTribune, 4 mars 2004, http://lanouvelletribune.com (consulté le 15 mai 2005).

15. La société civile s’est mobilisée notamment contre les dispositions concernant lapropriété intellectuelle et la culture. La formation d’une « Coalition marocaine pour l’accès auxsoins et aux médicaments », soutenue par diverses associations et l’ordre des pharmaciens, jugeque l’accord ne reflète pas les dispositions de l’OMC, puisqu’un délai de dix ans a été ajouté à ladurée de protection des médicaments, menaçant l’industrie marocaine des médicaments généri-ques. Quant à la culture elle est considérée comme un service comme les autres, même sicertains principes concernant la diversité culturelle sont introduits.

16. Le quotidien L’Économiste a reproduit tout au long des négociations les différentesopinions sur les gains et l’impact de l’accord.

17. Selon les organisateurs, deux millions de personnes ont manifesté. A. RBOUB etA. MAGHRI, « Palestine : grande marche à Rabat », L’Économiste, 8 avril 2002. Les membres dugouvernement présents au Parlement ont été empêchés de prendre la tête d’un cortège qui ascandé des slogans contre l’impuissance du gouvernement marocain. M.C., « Le gouvernementempêché de prendre la tête du cortège », L’Économiste, 8 avril 2002.

18. L’Économiste, « Le souverain aux États-Unis », 22 avril 2002.19. Selon le quotidien, L’Économiste, 300 000 personnes ont manifesté à Rabat le

30 mars 2003. Parmi les slogans scandés par la foule, « Le peuple irakien résiste et les gouverne-ments négocient » est une référence flagrante à l’ALE. M. CHAOUI « Soutien à l’Irak : la sociétécivile mobilisée », L’Économiste, 31 mars 2003.

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stratégique » sont peu probants. Le commerce avec les États-Unis neconcerne qu’environ 3 % des exportations et des importations marocainesalors que les échanges avec l’Union européenne (UE) comptent pour 74 %des importations et 69 % des exportations marocaines. Quant à la mise àniveau, il s’agit d’un leurre qu’illustre le bilan de l’expérience de l’accordd’Association signé avec l’UE en 1996. Par ailleurs, la signature est aussi unmessage dirigé au partenaire européen qui venait de négocier en 2003 levolet agricole de l’accord d’association 20.

Pour beaucoup, l’ALE contredit l’approche européenne dans son parte-nariat avec le Maroc fondé sur une démarche progressive accompagnée dufinancement de projets de mise à niveau de certains secteurs stratégiques.Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne l’agriculture 21. Pour lapremière fois, le Maroc a renoncé à l’exceptionnalité du secteur agricole(Akesbi, 2005). Dès le départ, les États-Unis ont voulu imposer que ce secteursoit considéré comme un autre. S’ils ont obtenu l’ajout d’une clause de préfé-rence qui fait que le régime des quotas attribué aux produits agricoles ne doitpas être moins favorable que celui réservé à d’autres partenaires, menaçantainsi la relation privilégiée de l’UE, ils ont fini par reconnaître les défis quedevrait relever l’agriculture marocaine. Le gouvernement marocain a obtenuune période de transition s’étalant de quinze à dix-huit ans et la soumission àdes quotas pour les produits « explosifs » socialement tels que les blés tendreset durs et les viandes rouges (bovines, ovines et caprines). Enfin, bien que laplupart des analystes aient insisté sur l’absence de contreparties financières,la diplomatie marocaine n’a pas perdu complètement sa capacité à externa-liser le financement de ses politiques publiques. Les déclarations des respon-sables américains semblent le confirmer, puisque le Middle East PartnershipInitiative (MEPI) devrait apporter six millions de dollars dans le cadre de l’assis-tance à l’ALE ; et, pour la période 2004-2008, ce sont 135 millions de dollarsque l’Agence américaine pour le développement international (USAID) consa-crera au Maroc, ce qui revient à doubler son budget par rapport auxpériodes précédentes 22. Des programmes de coopération articulés autourde trois grands axes seront proposés : croissance économique (agricultureet agro-industrie sont privilégiés, soutien à la PME/PMI, amélioration de l’envi-ronnement à l’investissement) ; éducation de base et formation profession-nelle (en milieu rural scolarisation des filles, technologies de l’information) ;et, gouvernance et renforcement de la démocratie (formation des parlemen-taires, des inspecteurs généraux, amélioration de la qualité de vie dans lesvilles).

20. Les réactions européennes ont laissé percé un certain désappointement, qui est alléjusqu’au dépit de la part du secteur agricole français et l’hostilité du côté du ministère duCommerce extérieur français.

21. Lors des négociations avec l’UE, H. Abderrazik, secrétaire général du ministère del’Agriculture, avait proclamé que le « Maroc n’était pas prêt à sacrifier ses agriculteurs »,Kh. MASMOUDI, L’Économiste, 31 mars 2003.

22. « Assistance américaine au développement. L’USAID double son budget pour leMaroc », L’Économiste, 25 mars 2004. « Thomas T. Riley, ambassadeur des USA au Maroc : lestermes de l’accord de libre-échange prévoient des exceptions », La Gazette du Maroc,13 septembre 2004.

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Quant au pari sur le choc de l’ouverture commerciale pour enclencherenfin la mise à niveau du secteur 23, il relève plus des vœux pieux que d’unefuture réalité. Dans le cas de l’agriculture, mais aussi dans d’autres secteurs,le discours de la réforme a perdu sa crédibilité vis-à-vis des opérateurs, euégard à l’expérience des années 1990 marquées par la récurrence desdiscours et des projets de réformes pour faire face à la libéralisation commer-ciale que supposaient les accords du GATT (1994) et d’Association avec l’UE

(Desrues, 2005). Trois ministres de l’Agriculture se sont succédé sous la« nouvelle ère » : si H. El Malki avait une stratégie, elle resta en grande partielettre morte ; son successeur I. Alaoui remit en question la vocation agricoledu pays, limitant son action à gérer les effets de la sécheresse considéréedésormais comme une donnée structurelle (Akesbi, 2002) ; enfin, le ministreactuel, M. Laenser, s’est caractérisé à ce jour par l’absence d’une stratégie enmatière agricole. Toutefois, les négociations de l’accord auront eu le méritede réintroduire la question de la politique agricole sur l’agenda politique, leroi reprenant dans son discours du 31 juillet 2004 les principes de la« Stratégie de développement agricole » présentée en 2000. La pauvreté dumonde rural, le fait que l’agriculture y fournisse 80 % des emplois et quel’exode rural soit perçu comme un facteur de risque menaçant la stabilité desvilles ne sont pas étrangers à cet intérêt. En fait, tant les négociateurs que lesorganisations professionnelles agricoles et les journalistes omettent souventde préciser que le secteur agricole est hétérogène et que partant, les intérêtsdes différents groupes de producteurs qui le composent sont divergents.Malgré cette hétérogénéité, on peut définir deux positionnements face àl’accord correspondant à deux grands types d’agriculteurs : d’abord, les entre-preneurs agricoles des secteurs destinés à l’exportation (agrumes etprimeurs) possèdent des organisations professionnelles puissantes qui ontparticipé aux négociations à travers la Fédération nationale de l’agro-industrie(FENAGRI) et qui sont plutôt satisfaits de l’ALE ; ensuite, les agriculteurs fami-liaux et paysans, qui se consacrent à la production de blé et à l’élevage, dontla spécialisation productive, le mode de production et la contrainte de l’aléaclimatique les situent dans un cadre de concurrence défavorable. Ceux-ci nesont pas ou très peu concernés par l’organisation professionnelle. Vu que leParlement, où siègent les notables censés les représenter, en particulier ausein du Collège des Chambres d’agriculture de la Chambre des conseillers, n’aété consulté que pour entériner l’accord, c’est le gouvernement qui a négociépour eux. Finalement, l’approche du secteur agricole reste marquée, enl’absence de politique volontariste de modernisation, par un double objectif :sécuritaire, en poursuivant le maintien de la population dans le monde rural,et commercial, en recherchant l’ouverture de nouveaux marchés pour lesecteur exportateur afin d’obtenir des devises.

Par ailleurs, la signature de l’ALE avec les États-Unis n’est pas isolée. Ellerejoint l’accord de libre-échange signé en février avec la Jordanie, la Tunisieet l’Égypte (Accord d’Agadir), puis les négociations avec la Turquie. Cesaccords permettent au Maroc de se maintenir parmi les bons élèves du

23. Seddik MOUAFFAH, « Le volet agricole des négociations pour l’accord de libre-échangeavec les USA. Le pot de terre contre le pot de fer », Maroc-Hebdo International, 27 février 2004,http://maroc-hebdo.press.ma (consulté le 15 mars 2004).

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Processus de Barcelone, mais ils ne compensent pas les malentendus au seinde l’UE, et en particulier, avec la France, suscités par l’ouverture commercialevers les États-Unis. Si pour le partenariat euro-méditerranéen, l’heure est enfinaux accords de libre-échange horizontaux entre pays de la rive sud de la Médi-terranée, ceux-ci présentent une série de limites telles que l’absence de conti-nuité territoriale entre les pays signataires, l’existence de problèmes decohérence et de compatibilité entre les accords ou avec ceux signés dans lecadre de l’OMC. De l’avis d’I. Martín (2003), il s’agit d’une intégration superfi-cielle ou négative qui ne résout pas le principal problème de l’intégrationsous-régionale du Maroc dans son environnement maghrébin : le déblocagede l’Union du Maghreb Arabe 24.

Finalement, comme le défend L. Jaïdi, le Maroc n’est toujours pas libre-échangiste à l’instar des États-Unis. La signature de ce type d’accords relève-rait de l’opportunité politique dictée par une conjoncture donnée : l’ALE « estessentiellement une question de politique étrangère, plutôt qu’un enjeuéconomique pour les deux partenaires » 25.

L’Initiative pour le Grand Moyen-Orient et le Sahara occidental :évolution ou involution de la politique étrangère marocaine ?

Les motivations politiques apparaissent primordiales, contrairement auxréactions indignées du responsable des négociations du côté marocain,T. Fassi Fihri, ministre délégué aux Affaires étrangères et à la Coopération, quis’exclamait :

« L’accord n’est en rien un accord politique, son contenu est strictementéconomique. Il ne s’inscrit en rien dans la logique du projet américain de faireun accord de libre-échange avec le Grand Moyen-Orient d’ici à 2013 26. »

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le Maroc poursuit une poli-tique de rapprochement avec les États-Unis afin d’obtenir notamment un statutd’allié privilégié. En dehors de la collaboration étroite entre les services de sécu-rité des deux pays dans la lutte anti-terroriste 27, qui rejoint la coopération dans

24. D’après I. MARTÍN (2003), le coût du non-Maghreb s’élèverait à 4 600 millions dedollars américains (données d’une étude du ministère des Finances de juillet 2003) et se tradui-rait par une perte des investissements étrangers, la limitation des échanges commerciaux et leralentissement de la création d’emplois, pour ne pas citer l’effet multiplicateur sur la capacité denégociation, si les cinq pays de la région arrivaient à coordonner leurs interventions dans lesnégociations internationales. Qui plus est, on peut parier qu’une intégration économiquepoussée avec l’Algérie et la Libye permettrait au Maroc de diminuer sa dépendance énergétique.

25. L’économiste, L. JAÏDI, avance que la liberté des échanges existe déjà, que l’étroitessedu marché marocain et de son économie n’en font ni un fournisseur ni un débouché. Il affirmeque « le Maroc n’est pas plus libre-échangiste que les États-Unis » et qu’il s’agit d’une garantieque le Maroc poursuivra ses réformes. « Trois vérités sur l’accord Maroc-USA », La Vie Écono-mique, 12 mars 2004, http://www.lavieeco.com (consulté le 12 mars 2004).

26. Mouna KADIRI, « L’agro-industrie face au libre-échange UE-USA : le Maroc électrocutéou électrisé ? », L’Économiste, 18 mars 2004.

27. En matière de sécurité, la collaboration du Maroc avec le FBI et la CIA est allée jusqu’àaccepter la sous-traitance des interrogatoires de présumés terroristes, selon les révélationsdu journal The Washington Post. « Conclusion d’un accord de libre-échange avec les États-Unis.Un traité d’une portée politique inédite », Le Journal Hebdomadaire, 2 mars 2004,http://www.lejournal-hebdo.com (consulté le 15 mars 2004).

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le domaine militaire, le régime marocain se présente comme un modèle deréformes politiques (élections acceptables, grâces de détenus d’opinion, récon-ciliation avec les victimes des années de plomb), économiques (équilibresmacro-économiques et libéralisation du commerce extérieur) et sociales(promulgation du Code de la famille et du Code du travail) au sein du mondearabe 28. Bien qu’antérieure, cette politique de collaboration concorde avec leprojet américain d’« Initiative pour le Grand Moyen-Orient » (IGMO) 29 annoncépar le président Bush à la fin de l’année 2003 et dont l’objectif est le renforce-ment de la sécurité nationale des États-Unis à travers la recomposition politiquede la région. Ce projet préconise la consolidation d’alliances stables et durablesavec les gouvernements arabes et musulmans qui sont encouragés à réaliser desefforts pour désamorcer l’hostilité de leurs opinions publiques vis-à-vis desÉtats-Unis. C’est pourquoi, parallèlement à la démarche contractuelle de la libé-ralisation commerciale, il s’agit aussi d’améliorer la gouvernance interne desÉtats en termes d’équité et de citoyenneté. Ceci explique notamment lesremontrances concernant les manquements du Maroc envers le respect desdroits de l’Homme. Il n’est pas étonnant dès lors que le secrétaire d’État améri-cain de l’époque, C. Powell, ait joué un rôle important dans la libération dedétenus d’opinion (plus particulièrement le journaliste A. Mrabet) graciés parle roi en janvier 2004, au moment même où le Premier ministre, D. Jettou, enta-mait une visite à Washington afin de clore les négociations de l’ALE.

Du côté marocain, l’hypothèse d’une lecture politique s’impose d’autantplus que la question du Sahara ne peut être absente de ses objectifs 30, bienque le territoire en litige ne soit pas inclus dans l’accord 31. Au cours des négo-ciations de l’ALE, des décisions marocaines et américaines ont abouti à desdéconvenues qui révèlent des problèmes de communication et des diver-gences d’appréciation sur certaines questions entre les deux administrations.Il faut d’abord rappeler la crise de l’îlot du Perejil/Leïla en juin 2002, cette« petite île stupide » qui occupa le secrétaire d’État américain, C. Powell,durant deux jours. Mais, c’est surtout la déposition d’un projet de résolution

28. Le Journal Hebdomadaire présente les différents éléments qui participent de larecherche d’un statut privilégié plus politique qu’économique dans la zone MENA. Il évoquenotamment la candidature du Maroc au Millenium challenge account (MCA) programme d’aidefinancière conçu comme une réponse au 11 septembre 2001. « Le Maroc va-t-il vers la feuille deroute de Bush ? », 17 janvier 2004, http://www.lejournal-hebdo.com (consulté le 2 janvier 2005).

29. L’Initiative pour le Grand Moyen-Orient (IGMO) répond au constat de l’échec des poli-tiques occidentales qui se sont accommodées de l’absence de liberté et n’ont pu contenir lesmenaces émanant de la région. Il s’agit de promouvoir la réforme politique et économique despays arabes et musulmans du Maroc au Pakistan dans le cadre du G8, le groupe des nations lesplus industrialisées. Dans sa première version l’IGMO proposait : de contourner les gouverne-ments et d’agir directement auprès des sociétés civiles et particulièrement des « associations deplaidoyer » ; de lutter pour la levée des entraves aux libertés publiques ; enfin, d’effectuer desévaluations annuelles sur les progrès des réformes judiciaires ou de la liberté de la presse dans larégion. Le contenu de l’IGMO fut filtré à la presse en février 2004 provoquant une réactionoutrée de la part des dirigeants arabes qui joignaient leurs réticences à celles de certains gouver-nements européens. Une nouvelle version sera adoptée lors du sommet du G8 célébré en juin.

30. C’est la thèse que défend Le Journal-Hebdomadaire, notamment dans les articles dudossier « Conclusion d’un accord de libre-échange avec les États-Unis. Un traité d’une portéepolitique inédite », http://www.lejournal-hebdo.com, 2 mars 2004 (consulté le 15 février 2005).

31. Je tiens à remercier B. López García pour ses remarques concernant le dossier duSahara. Il va de soi que la responsabilité des lignes qui suivent est exclusivement mienne.

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par les États-Unis soumettant à votation le « Plan de paix pour l’autodétermi-nation du peuple du Sahara occidental », au Conseil de Sécurité des l’ONU enjuillet 2003, qui a surpris et provoqué le désarroi de la diplomatie marocaine.Depuis la présentation du nouveau plan de paix en mai 2003, le Maroc avaitsoulevé de nombreuses réserves, alors que celui-ci avait été accepté parl’Algérie puis par le Front Polisario. Quant aux États-Unis, ils considèrent leconflit du Sahara comme un enjeu mineur qui doit être résolu afin de ne pasentraver leur projet régional. Ce plan, connu comme Plan Baker II, du nom del’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, J. Baker, propose une périoded’autonomie de cinq ans pour le territoire suivie d’un référendum d’autodé-termination 32. Le Conseil de Sécurité, qui a appuyé (et non pas approuvé) àl’unanimité le 31 juillet 2003 la résolution 1495, a mis la diplomatie marocaineau pied du mur 33 qui, dès lors, a cherché à gagner du temps en demandant undélai « pour réfléchir et consulter ».

Pure coïncidence ou pas, quoi qu’il en soit en avril 2004, le Maroc arefusé le « Plan Baker II » et le 11 juin, K. Anan rendait publique la démissionde son envoyé pour le Sahara occidental, ce que les dirigeants marocains et lapresse ont considéré comme une victoire. Cependant, en optant pour lerefus, le Maroc se retrouve dans une position internationale délicate puisqu’ilapporte des arguments à ses détracteurs en laissant apparaître ce que cesderniers considèrent comme étant sa stratégie de toujours, à savoir : gagnerdu temps afin d’entériner une intégration territoriale de fait 34. De même, cetteoption contredit la décision prise en 1981 d’accepter l’organisation d’un réfé-rendum et en 2000 d’attribuer une large autonomie aux territoires. Enfin, enlaissant planer la possibilité d’un règlement en dehors du cadre de l’ONU alorsque l’Algérie considère toujours qu’il s’agit d’un conflit bilatéral entre la Répu-blique arabe sahraoui démocratique (RASD) et le Maroc, celui-ci multiplie lesincohérences.

Gestion sécuritaire et immobilisme institutionnel : un jeu à somme nulle ?

Pour le Maroc, le référendum doit être positif ou ne pas avoir lieu. Or,l’acceptation du Front Polisario, l’exemple de l’indépendance récente deTimor oriental et une estimation à la hausse des velléités d’indépendance dela population sahraouie sous administration marocaine 35 ont renforcé lescraintes du royaume de perdre le contrôle de la population au cours des cinqans d’autonomie que prévoit le plan. Ces craintes sont révélatrices d’undouble échec dans la gestion du dossier qui a prévalu jusqu’ici. D’une part, lastratégie du tout sécuritaire et la sacralisation de la cause ont empêché toutdébat au sein de la société marocaine, les voix discordantes étant réprimées.

32. Une présentation du plan Baker II se trouve dans l’analyse historique du contentieuxque réalise W. RUF (2004).

33. Dossier de l’hebdomadaire Tel Quel, « Sahara. Le Maroc au pied du mur », 19 juillet2003.

34. C’est d’ailleurs ce qui motivera l’établissement de relations diplomatiques entre laRASD et l’Afrique du Sud en septembre 2004.

35. Les manifestations de Laâyun de septembre 1999 qui précipitèrent la destitution deDriss Basri en sont un exemple.

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Qui plus est, des déclarations au plus haut niveau, qui franchissent des pointsde non-retour et contredisent la réalité de la situation, ont caractérisé la« nouvelle ère » 36. D’autre part, le statut d’autonomie proposé par le Marocn’a toujours pas de contenu. Or, pour pouvoir prospérer et recevoir l’appuide la communauté internationale, il exige une série de réformes qui devraientaller dans le sens d’un transfert de prérogatives et sans doute d’une démocra-tisation des institutions représentatives locales, ce qui requiert une modifica-tion de la Constitution et un travail législatif qui demandent du temps et quiremettent en cause l’architecture actuelle et la trajectoire de l’État maro-cain 37. Enfin, la politique de régionalisation, de par sa philosophie et sonimmobilisme actuels, s’apparente plus à une déconcentration administrativequ’à une réelle décentralisation (Ojeda, 2002). Par conséquent, elle n’offrepas une alternative tangible et concrète dont le bilan pourrait servir les inté-rêts de la cause marocaine. En outre, se pose la question de savoir si le statutd’autonomie devrait se limiter au territoire du Sahara ou s’étendre àl’ensemble du territoire national. L’établissement d’un statut différencié duSahara, dans l’attente d’une reconnaissance internationale de la souverainetémarocaine, risquerait d’avoir des conséquences internes difficiles à évaluer.Des difficultés pourraient surgir, d’une nouvelle distribution du pouvoir ausein des institutions régionales, avec le risque de provoquer une opposition,non pas tant des partis politiques que des « mafias » et des intérêts existantsnotamment au sein de l’armée et des notabilités des Provinces du sud. Demême, d’autres régions ne manqueraient pas de revendiquer un approfondis-sement de la régionalisation, voire un statut équivalent, avec pour consé-quence la réapparition des craintes ancestrales de la dissidence. Enfin,l’évolution du pays vers le tout sécuritaire et le contenu de l’avant-projet deloi sur les partis politiques interdisant la formation de partis sur une baserégionale et donc d’un parti explicitement sahraoui vont aussi à l’encontred’une solution qui passerait par la régionalisation et l’autonomie du Sahara 38.

La question du Sahara est au point mort et la monarchie doit composeravec une situation à l’issue toujours incertaine et de plus en plus crispée. Dansune certaine mesure, la signature de l’ALE, les reproches concernant les droits del’Homme et l’appui des États-Unis au Plan Baker II, indiquent une dépendance

36. Dans un entretien au journal Le Figaro, en date du 4 septembre 2001, le roi avaitannoncé qu’il avait « réglé la question du Sahara qui nous empoisonnait depuis vingt-cinq ans ».« Sa Majesté le Roi Mohamed VI accorde une interview au quotidien français Le Figaro »,http://www.maec.gov.ma/fr (consulté le 16 juillet 2004).

37. Le statut d’autonomie et sa généralisation gagnent des adeptes tels que A. Benamour,l’un des fondateurs du Collectif Sahara-Maghreb et de l’association Alternatives, et M. Boucetta,ancien président de l’Istiqlal. Chafik LAABI, « Quel statut pour le Sahara ? », La Vie Économique,1er octobre 2004, http://www.lavieeco.com (consulté le 5 janvier 2005). Mohamed BOUCETTA,« Il faudrait tenir un référendum pour décider d’une régionalisation généralisée, La Vie Écono-mique, 1er octobre 2004, http://www.lavieeco.com (consulté le 5 janvier 2005). B. LópezGarcía et M. Hernando de Larramendi défendent la thèse d’un Maroc des autonomies, seul àmême de sortir de l’impasse actuelle et de conduire à un Maroc ouvert, pluriel, transparent etdémocratique. B. LÓPEZ GARCÍA et M. HERNANDO DE LARRAMENDI, « El Sáhara Occidental, obstá-culo en la construcción magrebí », Documento del Real Instituto, Real Instituto Elcano, 23 mars2005, http://www.realinstitutoelcano.org/documentos (consulté le 20 juin 2005).

38. Ali AMAR, « Les dessous du libre-échange. Les non-dits d’un traité précipité »,Le Journal Hebdomadaire, 6-12 mars 2004.

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accrue vis-à-vis du soutien américain sans que celui-ci soit suffisant dans la pers-pective d’une solution définitive du conflit favorable aux thèses marocaines. Audemeurant, l’alliance avec les États-Unis est toujours concurrencée par l’intérêtque ceux-ci portent à l’Algérie. Enfin, l’opacité des négociations de l’ALE rejointla gestion de la question du Sahara, autant de domaines réservés qui sont symp-tomatiques d’une gouvernance aux prises avec des contradictions entre ladémarche sécuritaire et ses excès et la nécessité de donner des gages de réformevers l’État de droit et la démocratie. La célébration du Forum de l’avenir, dernieravatar de l’IGMO, à Rabat en décembre 2004 en l’absence du roi, et les manifesta-tions d’opposition de la société civile marocaine doublée par la sortie remarquéedu mouvement islamiste, Justice et Bienfaisance, en sont l’illustration 39.

Tremblements de terre dans la région d’Al-Hoceima :fonctionnalité et disfonctionnements de la gouvernabilitéd’une région hors norme

La nuit du 24 février 2004 un tremblement de terre survenu dans larégion de la capitale du Rif, Al-Hoceima, a fait plus de 600 victimes. Au-delàdes pertes humaines, cette catastrophe fait ressortir la réalité sociale, écono-mique et politique d’une région sinistrée bien avant le séisme. Dans un articlepublié il y a quinze ans, Jean-François Clément (1990) soulignait l’absence deréflexion approfondie sur les catastrophes naturelles et sur leurs consé-quences possibles. Il avançait deux raisons :

« Pour les particuliers, il n’y a guère d’assurances privées et il n’y a que rare-ment des indemnisations publiques. Quant à l’État, il espère, dans l’éventualitéde telles catastrophes recevoir des aides internationales. »

De cette double motivation, on peut déduire que seul l’État peut tirerdes bénéfices de telles catastrophes. Mais en sort-il pour autant renforcé ?

Les disfonctionnements du nouveau makhzen

Bien que les risques sismiques soient connus, puisqu’il faut rappelerqu’en 1994 cette même région avait subi des secousses et que le Marocpossède une certaine expérience en la matière depuis la destruction de la villed’Agadir en 1961, les mesures concernant la politique de construction ou lesmoyens logistiques, humains et matériels en cas de tremblement de terre,n’ont guère été appliquées. Cette absence de scénarios catastrophes, prêts àl’emploi, susceptibles d’être mis en marche en très peu de temps a retardél’arrivée des secours. En fait, la catastrophe et ses conséquences ainsi que lagestion des secours ont agi comme un révélateur 40.

C’est le système de gouvernance qui est de façon plus ou moins expliciteau centre des critiques des hebdomadaires indépendants, Le Journal Hebdo-madaire et Tel Quel rappellent que le Nord est toujours dans une situation

39. K. BOUKHARI, « Le Forum de toutes les discordes », Tel Quel, 11 décembre 2004.40. Abdellatif MANSOUR, « Les sinistrés d’Al Hoceima manifestent leur colère contre la

mauvaise organisation des secours. Le jour d’après », Maroc-Hebdo International, 27 février2004, http://www.maroc-hebdo.press.ma.

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d’abandon cinq ans après le voyage de « réconciliation » que le roi a effectuéà la fin 1999. La gouvernance de la cour itinérante d’une Monarchie« exécutive » adoubée lors de l’avènement de la « nouvelle ère » est désormaisl’objet de critiques. Pour les autorités locales, la visite du roi, qui a finalementeu lieu le 28 février, est passée avant l’arrivée des secours 41. Par ailleurs,l’opprobre a été jeté sur le Premier ministre, absent, et le gouvernement, quin’a pas modifié son agenda.

Qui plus est, les modalités de la gestion marocaine ne supportent pas lacomparaison avec la coopération internationale qu’elle provienne des Étatsou des organisations non-gouvernementales. Les autorités ont maintenul’option sécuritaire dans la gestion de l’arrivée et la distribution de l’aide,reproduisant une rigidité administrative mêlée de cafouillages en tous genresqui ont entravé l’accès aux victimes. Quant à la canalisation de l’aide interna-tionale non-gouvernementale par la Fondation Mohamed-V pour la solidarité,elle a été ressentie par les associations locales comme un obstacle et unetentative de capter la solidarité internationale à leur détriment 42. Dans cecontexte, des rumeurs plus ou moins fondées sur des cas de détournement sesont propagées et ont abouti à des manifestations de mécontentement et despillages violemment réprimés. Cette présentation de la gestion des consé-quences du séisme a laissé apparaître au grand jour les disfonctionnements dela gouvernance locale et nationale 43. Il est certain, comme l’écrit, A. Jamaï,dans un éditorial du Journal Hebdomadaire, que la situation provoquée parla catastrophe est révélatrice d’une région « hors normes », de non-droit, d’unÉtat démissionnaire, des défauts du système de la gouvernance promue par lesdirigeants politiques actuels 44 :

« Une région qui vit de la contrebande, la culture et le trafic de drogue, desindustries qui ne peuvent prospérer sans un degré certain de corruption desautorités. Retards dans l’arrivée des secours, du matériel, de l’aide internatio-nale. Le séisme a réveillé le mécontentement d’une région “berbère”, qui peuts’étendre à d’autres régions du pays. »

Des nuisances constitutives de l’identification d’une région en quête de reconnaissance

Le Rif, et de plus en plus le Nord en général de Larache à Nador, concen-trent une série de problèmes qui froissent l’image extérieure du pays et qui

41. Ahmed BENCHEMSI, « Séisme d’Al Hoceima. Détestable mentalité makhzénienne »,Tel Quel, 8 mars 2004, http://www.telquel-online.com (consulté le 2 avril 2004).

42. Laetitia GROTTI, « Al Hoceima : après le séisme le Makhzen », Tel Quel, 17 mars 2004.http://www.telquel-online.com (consulté le 30 mars 2004).

43. La presse s’est fait l’écho des manifestations de la population contre l’incurie desautorités et des responsables, qui ont été traités de corrompus et de voleurs. À la répression quia suivi s’ajoute une gestion calamiteuse de l’information par les médias publics qui n’a pascontribué à rétablir leur crédibilité. Voir aussi l’analyse de P. A. CLAISSE dont on retiendra ladissociation dans la gestion des catastrophes entre « un Makhzen sécuritaire » rodé durant lerègne de Hassan II et sa substitution par « un Makhzen spectacle » : « Analyse : le Makhzen et lacatastrophe », Tel Quel, http://www.telquel-online.com (consulté le 30 mai 2005).

44. Abou BAKR JAMAÏ, « Éditorial », Le Journal Hebdomadaire, 2-8 mars 2004,http://www.lejournal-hebdo.com (consulté le 2 avril 2004).

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ont été reconnus pour la première fois par le roi Hassan II en 1993. Définiede façon négative, cette reconnaissance s’inscrivait alors dans la perspectived’un processus de régionalisation qui a accouché en 1996 d’une nouvelle divi-sion tripartite à la verticalité certes moins prononcée que lors du découpagede 1971, mais faisant fi des affinités linguistiques et culturelles (López Garcíaet Hernando de Larramendi, 1997). Cette entité est utilisée par le pouvoiraussi comme un instrument de négociations diplomatiques fondé sur la capa-cité de nuisance que représentent l’immigration, la contrebande et le trafic dedrogue au départ de la côte méditerranéenne. Il s’agit pour l’État marocain derecevoir des aides de la coopération internationale 45 censées contribuer àéradiquer ces phénomènes.

En 2003, Mohamed VI a autorisé la première évaluation des superficiesde culture de cannabis. Le rapport de l’ONUDC 46 a révélé l’ampleur d’unphénomène en pleine croissance concentré dans les provinces de Chef-chaouen (50 %), Taounate et Al-Hoceima et dans une moindre mesure deLarache et Tétouan. Les surfaces de culture, qui ont été multipliées par deuxen l’espace de dix ans, atteignent 134 000 hectares, soit 25 % de la surfaceagricole utile de la région. Quant au potentiel de production, il s’élève à plusde 3 000 tonnes de résine (haschisch) procurant la moitié du revenu annuelde 800 000 personnes, soit 75 % de la population rurale de cette région et2,7 % de la population marocaine. Enfin, c’est un marché de dix milliardsd’euros qui est entre les mains de trafiquants opérant principalement enEurope.

En dehors des facteurs historiques et socio-économiques pour justifier laplace du Rif dans la contrebande et sa conversion en première régionmondiale productrice de cannabis, les autorités marocaines ont toujoursinsisté sur la consommation de cannabis en Europe et l’existence de réseauxmafieux européens. L’expansion spectaculaire de la consommation de

45. Dans une étude sur les enjeux de l’ouverture économique au Maroc promue parl’accord d’association avec l’Union européenne, B. HIBOU (1996) signale que « les activités defraude, de contrebande, de production et de transit de drogue, d’immigration clandestine, decontrefaçon ne peuvent plus être considérées, comme des symptômes marginaux de dysfonc-tionnement de l’économie ; elles doivent être analysées comme faisant partie du système écono-mique, au cœur même du fonctionnement économique et politique du Maroc. Elles constituentune part importante des exportations, des importations et des mouvements de capitaux, maisaussi des éléments diplomatiques ».

46. Les informations, qui suivent, procèdent du rapport de l’ONUDC, Maroc : enquête surle cannabis 2003, décembre 2003, www.unodc.org/unodc. Certaines données seront reprisesdans l’édition de La Vie Économique du 11 décembre 2004, à l’occasion d’un entretien avecAlain Labrousse, sociologue et rédacteur en chef du bulletin mensuel « Trafic international ».L’hebdomadaire Tel Quel consacrera un dossier « Drogue. Au cœur du trafic. La route du Kif »,21 décembre 2004. Les données concernant les superficies cultivées en cannabis mettent enévidence une extension de cette culture, qui a été multipliée par deux depuis 1993 aux dépenssouvent des cultures traditionnelles. Le rapport de l’ONUDC précise (2003, p. 8) : « Le Maroc estl’un des principaux pays producteurs de cannabis et le principal exportateur de résine decannabis vers l’Europe. Un lien peut être établi entre la production de cannabis et le niveau rela-tivement faible de développement socio-économique de la région de production. Mais il fautaussi souligner l’existence de disparités significatives dans les provinces, voire au sein même descommunes ou des douars. En effet, dans certaines zones, le cannabis n’est pas nécessairementou seulement un moyen de survie ou une conséquence du sous-développement. »

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cannabis en Europe à partir des années 1970 47 est avancée pour justifier uneapproche des solutions qui associent le pays producteur aux pays consomma-teurs. Or selon Ph. Bordes et A. Labrousse (2004) c’est l’État qui fixe leslimites à ne pas franchir par des organisations criminelles qui n’échappent pasà sa tutelle et à celle de ses représentants. Qui plus est les réseaux de contre-bande et d’immigration clandestine appartiennent ou recoupent les mêmesfilières.

« [Ces mêmes auteurs se demandent] si la décision de Mohamed VI d’auto-riser la première évaluation des superficies de culture et de s’en prendre depuisl’été 2003, à d’importants trafiquants et à leurs complices dans l’appareil d’Étatest le signe d’un changement de politique dans ce domaine ou bien seulementun rideau de fumée, comme ce fut à deux reprises au moins le cas sous le règnede Hassan II ? »

Il faut sans doute replacer cette initiative et la campagne dans leurcontexte politique, à savoir : la préparation des élections municipales deseptembre 2003 et les négociations du volet agricole de l’accord d’associationavec l’Union européenne et de l’ALE avec les États-Unis. L’arrestation de trafi-quants, de juges et de membres des services de sécurité a été suivie de la radia-tion de candidats peu présentables avec l’image de lutte contre la corruptionet transparence dans la gestion des affaires publiques qu’a voulue donner lerégime à cette occasion.

Les rares bénéfices apportés par l’État centralisateur depuis l’indépen-dance sont de peu de poids dans une région au long passé de siba (i.e. de dissi-dence) ancré dans la mémoire historique : la région a connu une expériencecoloniale différente du reste du pays et a été marquée par les stigmates de larépression de la révolte de 1958-1959 ainsi que les manifestations des deuxdernières décennies (1981, 1984, 1990 et 1995). La répression et les arresta-tions qui se sont produits ont ravivé le sentiment particulariste et le dépit vis-à-vis du Makhzen, fut-il nouveau, alors que la demande de réparation et dereconnaissance est plus que jamais d’actualité 48.

47. Driss Benhima, directeur général de l’Agence pour la promotion et le développementéconomique et social des préfectures et provinces du nord du Royaume écrit dans la préface durapport de l’ONUDC : « Par le biais de ce travail, il a été clairement établi que toute approche delutte contre les cultures illicites ne peut être conçue à l’échelle d’un seul pays. La problématiqueest beaucoup plus large et concerne aussi bien les pays producteurs que les pays consomma-teurs où des marchés importants existent et où des flux financiers considérables sont en jeu. Lasuperficie des cultures mise à jour par le présent rapport témoigne de l’importance internatio-nale du phénomène. Il s’agit bien d’un marché mondial du cannabis. Notre pays souffre doncd’une activité préjudiciable à son développement et dont les facteurs de croissance lui échap-pent largement. […] elle [l’agence] souhaite […] aborder avec sérénité le fond du problème enparticulier à travers le programme prometteur des cultures alternatives. Il est évident que lacoopération internationale sera, là encore, la bienvenue compte tenu des moyens matériels etfinanciers à mobiliser. »

48. Les hebdomadaires Maroc-Hebdo International, Tel Quel et Le Journal Hebdo Inter-national ont insisté sur le particularisme berbère de la région et les risques d’une contagion destroubles vers d’autres régions. L’absence de contagion semble confirmer que la vitalité de l’iden-tité amazigh ne doit pas être confondue avec l’agitation de certains porte-parole du mouvement,virulents et populistes.

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L’Instance équité et réconciliation

L’Instance équité et réconciliation (IER), installée en janvier 2004 a pucommencer officiellement ses travaux une fois ses statuts publiés par DahirRoyal le 12 avril 49. L’IER est une commission du Conseil consultatif des droitsde l’Homme (CCDH), dont le sous-titre, qui accompagne son intitulé, précise :une commission nationale pour la vérité, l’équité et la réconciliation. L’initia-tive a provoqué des sentiments différenciés. Célébrée par beaucoup avecenthousiasme ou réflexivité comme une avancée pour tourner définitivementla page des années de plomb, elle rejoindrait l’itinéraire de la réforme (Codede la famille, création de l’Institut royal de la culture amazighe et del’ombusman, etc.) vers la transition démocratique 50. En revanche, elle suscitela désapprobation de certains fidèles du régime d’Hassan II et les craintes deceux qui ont été mêlés de près ou de loin à la répression et dont certains fonttoujours partie de la direction de l’appareil sécuritaire. Pour d’autres enfin,malgré les progrès qu’elle suppose, elle comporterait une série de limitesdont la principale est sans doute le maintien de l’impunité, qui découle del’exclusion du recours à la voie judiciaire 51. Partant, elle empêcherait l’abou-tissement de la réconciliation, ne garantirait pas la reproduction des dérivespassées et ne justifierait pas la mobilisation de la catégorie de « transitiondémocratique » 52.

Présentation de l’IER : ses objectifs, missions et composition 53 53

L’IER dispose de compétences non-judiciaires en matière de règlementdes graves violations des droits de l’Homme survenues au cours d’une périodequi s’étend du début de l’indépendance (1956) à la date d’approbation de lacréation de l’Instance indépendante d’arbitrage (1999). La durée de sonmandat est fixée à neuf mois et peut être prolongée de trois mois. Elle a pourmissions, l’investigation, l’évaluation, l’arbitrage, la recherche et la présenta-tion de recommandations et de propositions. Parmi ses objectifs on peutsignaler les suivants : recueillir les témoignages, évaluer le processus d’indem-nisation, rechercher les cas de disparitions forcées encore non élucidés,

49. Au début de ses travaux, l’IER avait reçu plus de vingt mille dossiers, ce qui donne unaperçu de l’ampleur de la tâche qui lui a été confiée.

50. C’est la version des membres de l’IER si l’on suit les déclarations de son président,D. Benzekri, ou l’article publié sur le site Internet de l’IER : « 2004 : une année de réconciliationet d’actes pour tourner la page du passé », 3 janvier 2005, http://www.ier.ma.

51. L’Association marocaine des droits humains (AMDH) développe un argumentairesur les limites de l’instance et annonce, dans l’attente de connaître sa composition pourarrêter sa position officielle, l’accord de sa coopération de principe dans tout ce quipermet de faire avancer même partiellement, la situation des droits humains au Maroc.http://www.amdh.org.ma (consulté le 20 avril 2004).

52. Le Symposium sur les violations graves des droits de l’Homme organisé par le Forumvérité et justice, l’Association marocaine des droits humains et l’Organisation marocaine desdroits de l’Homme en novembre 2001 avait soulevé quatre grandes questions : la vérité, lesindemnisations, les poursuites et les réformes constitutionnelles.

53. Ces informations sont disponibles sur le site Internet de l’IER : http://www.ier.ma.Sur ce site peuvent être également consultés des articles sur le sujet publiés dans la presse.Parmi ceux-ci, signalons celui de Christine DAURE-SERFATY, « Le Maroc vers les droits de l’Hommeà petits pas », Le Monde, 10 décembre 2004.

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déterminer les lieux d’inhumations des victimes, élaborer des conditionssociales et de réhabilitation pour les victimes et finalement mettre en placeun programme de réadaptation psychologique et médicale. À la fin de sonmandat, elle devra remettre un rapport final au roi incluant des recommanda-tions, afin de garantir la sauvegarde de la mémoire et la prévention et la non-répétition des pratiques abusives du passé. Enfin, le travail de réconciliationqu’elle doit mener se fonde sur la culture du dialogue en vue « de consoliderla transition démocratique et l’État de droit et de promouvoir les valeurscitoyennes et la culture des droits de l’Homme ».

Formée par dix-sept commissionnaires, dont d’anciens détenus etexilés politiques choisis au sein du CCDH ou du mouvement de défense desdroits de l’Homme, elle est présidée par le secrétaire général du CCDH,D. Benzekri, membre fondateur du Forum justice et vérité (FVJ). La présencede D. El-Yazami, secrétaire général de la Fédération internationale des droitsde l’Homme (FIDH), est une caution de plus et une réponse au suivi des orga-nisations internationales. L’image de consensus que ses promoteurs ontvoulu lui donner est, cependant, assombrie par l’opacité qui a entouré lesnominations. De fait, aucun membre de l’Association marocaine des droitshumains (AMDH) n’a été convié. Cependant, celle-ci pose son accord de prin-cipe pour collaborer aux progrès de la défense des droits humains.

Limites du processus de réconciliation

Bien que la plupart des observateurs et des défenseurs des droitshumains reconnaissent le travail de l’IER, les critiques sont relatives à l’impu-nité, la définition de la catégorie de victimes, la durée arbitraire de la périodesoumise à investigations et au mandat de l’instance. Les activités de l’IER sesituent en dehors du cadre des responsabilités individuelles et judiciaires(art. 6). En accord avec l’article 9 de ses statuts, la commission ne peut pasnommer les responsables des actes de répression. Qui plus est, elle ne peutprendre aucune initiative qui pourrait engendrer des « rancœurs, dissensionsou discordes ». En ce qui concerne l’impunité, les membres de la commissionrétorquent que l’IER peut à travers les résultats de ses investigations inciter lesautorités judiciaires ou les victimes à entreprendre des actions légales et solli-citer des actions administratives contre les fonctionnaires. Le problème qui sepose dès lors concerne l’indépendance de la justice marocaine et l’assistancejuridique aux victimes. Par ailleurs, la définition restrictive de la notion de« victime », limitée aux disparitions forcées et détentions arbitraires, écartantle reste des abus perpétrés a soulevé de nombreuses réactions. Cela resteinsuffisant pour l’AMDH, le FVJ et les organisations internationales des droits del’Homme qui ont demandé l’inclusion de toutes les formes d’abus gravescontre les droits humains internationalement reconnus. En outre, si les auto-rités sont appelées à coopérer avec l’IER, celle-ci n’a aucun pouvoir de sanc-tion en cas de refus.

Les rapports des organisations de défense des droits de l’Homme et, enparticulier, ceux des organisations internationales, s’accordent pour affirmerqu’au cours des années 1990 des progrès ont été réalisés en matière de droitshumains, de liberté d’expression et d’association. Toutefois, les disparitions,les arrestations arbitraires, l’usage de la torture et les jugements expéditifs ne

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sont pas un phénomène révolu. Après les attentats de Casablanca, ces abusse sont multipliés, notamment au sein du centre secret de détention, au siègemême de la Direction nationale de la surveillance du territoire (DNST) àTémara. Les cas de tortures dénoncés par les avocats des détenus et les orga-nisations de défense des droits de l’Homme contredisent la mission de véritéet jettent le doute sur la crédibilité et l’efficacité du processus en cours. Demême, le rapport timoré sur les droits de l’Homme du CCDH rendu public enjuin 2004 s’éloigne des conclusions sans complaisances d’Amnesty interna-tional 54 et de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) 55. Aucontraire, les officiels marocains ont essayé de minimiser les dépassements,de nier les cas de torture et de justifier les 1 200 condamnations survenuesaprès le 16 mai devant la Commission pour les droits de l’Homme de l’ONU 56.Face au rapport de cette dernière soulignant l’objectif de répondre « auxarguments du gouvernement marocain, selon lesquels les allégations detorture sont infondées », le gouvernement acculé a annoncé son intention deprésenter un projet de loi criminalisant la torture.

L’annonce de la célébration d’auditions publiques des victimes et leurretransmission à la télévision a réactivé l’intérêt pour les activités de l’IER. Àpartir du 21 décembre et jusqu’au mois de mars 2005, ce sont 180 témoins etvictimes qui devraient participer à ces auditions au cours desquelles chaqueparticipant présentera son récit personnel sans aucun commentaire de l’IER oude l’assistance qui ne pourra poser aucune question. Les organisations desdroits humains ont insisté sur l’impact sur la société marocaine que permettrala retransmission. Toutefois, les réactions sont contradictoires. Il y a ceux quisoulignent qu’il s’agit d’une première en Afrique du Nord et au Moyen-Orientet partagent l’avis de l’IER selon lequel la mission centrale assignée aux audi-tions publiques réside dans la restauration de la dignité des victimes et le réta-blissement de la confiance du public dans l’État de droit. Ensuite, ceux quis’interrogent et ne souhaitent pas assister au procès du règne d’Hassan II 57

sans en connaître les tenants et les aboutissants. Enfin, en réponse aux limitesimposées aux témoignages de l’IER, l’AMDH annonce qu’elle lancera des« audiences publiques parallèles » sans limitation du temps de parole accordéaux victimes et aux témoins, en élargissant à la période actuelle les infractionset en laissant la possibilité pour les victimes qui le désirent de citer les nomsde leurs tortionnaires.

54. Rapport spécial d’Amnesty international sur le centre de détention de Témara :« Torture in the “Anti-Terrorism” Campaign. The Case of Temara Detention Centre » MDE/29/004/2004, 24 juin 2004, http://web.amnesty.org.

55. Il s’agit de deux rapports de la FIDH : « Les autorités marocaines à l’épreuve duterrorisme : la tentation de l’arbitraire », Rapport nº 379, février 2004, et « Les commissions devérité et de réconciliation. L’expérience marocaine », Séminaire, Rabat, Maroc, 25-27 mars 2004,Rapport nº 391, juillet 2004, http://www.fidh.org.

56. « Observations finales du Comité des droits de l’Homme : Morocco », Genève, Officeof the United Nations High Commissioner for Human Rights, CCPR/CO/82/MAR/Rev., 5 novembre2004.

57. Mustapha SEHIMI, « Reality show », Maroc-Hebdo International, 10 décembre 2004.Quant à A. Khatib, président fondateur du Parti de la justice et du développement (PJD) et loyalserviteur de la monarchie, il s’indigne du procès au deux précédents monarques à travers unprocessus dit de la vérité initié par d’anciens « éléments subversifs ». K. BOUKHARI, « Les parti-sans du NON », Tel Quel, janvier 2005.

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En fait, les enjeux, que recouvre l’IER, se posent à des niveaux différents :celui de la réhabilitation des victimes d’abord, de l’identification des respon-sabilités ensuite, des possibles aboutissements enfin. Si les statuts et les objec-tifs sont clairement définis, les membres de la commission ont su élargir sonaudience sans toutefois satisfaire les partisans d’une solution judiciaire sanstransition. En prenant l’initiative de célébrer des auditions publiques, l’IER

induit, par victimes interposées, le jugement populaire du système de gouver-nement dominant sous Hassan II. L’un des enjeux qu’elle incarne réside doncdans la distinction du moment présent par rapport au règne précédent. Celle-ci passe par la diffusion de représentations dominantes constitutives de laperception de « la nouvelle ère » et de leur réappropriation par la société.D’où, la lutte de la part des divers protagonistes pour infirmer ou confirmerla mise en récit officielle 58.

Il n’empêche que la mise en place de l’IER a donné lieu à un véritabledébat public, qui a laissé libre cours aux discours des thuriféraires du régimecomme de ses critiques. Les dissensions qui n’ont épargné ni l’instance ni lesorganisations de défense des droits de l’Homme reflètent la permanence de lamobilisation pour la cause des victimes mais aussi pour la définition du projetde société du Maroc. Quant aux membres de l’IER, en jugeant l’État et non pasdes individualités, et en acceptant les termes posés par le palais, ils estimentcontribuer à opérer une transition pacifique du régime vers l’État de droit.Leur démarche de réforme de l’intérieur du système part de la nécessité del’interaction entre le mouvement démocratique et les éléments ouverts durégime ainsi que de la prise de conscience des obstructions dont ils sontl’objet 59. Il semble donc que certains membres de l’IER ont la conviction departiciper à la mise en place des conditions nécessaires à la transition démo-cratique. Dans cette perspective, clore le dossier des années de plomb n’estpas une fin en soi et apparaît comme un pré-requis à la redéfinition du pactepolitique pour faire avancer la « transition » en marche. Ainsi, les conditionspour l’élaboration d’un pacte entre le mouvement démocratique et lesnouveaux hommes forts du régime seraient réunis. Or, pour d’autres, l’éven-tuelle démocratisation du régime montrerait plutôt qu’il a été pris à sonpropre piège empêtré dans ses contradictions. Une des conséquences dutravail de l’IER pourrait être la sortie forcée d’éléments de l’appareil sécuritaireauparavant épargné, mais devenus emblématiques de la répression au fil destémoignages. Toutefois, les nouveaux hommes montants du régime, qui entireraient profit, n’ont pas apporté les preuves de leur qualité de démo-crates 60. Au-delà du jeu prospectif entre les éléments ouverts et fermés de

58. Le parcours de l’IER avalise la thèse de F. VAIREL (2004, p. 181) considérant leprocessus en cours comme une réponse institutionnelle à la mobilisation depuis la fin desannées 1990 du FVJ et des organisations de défense des droits de l’Homme et comme une réfé-rence ambiguë aux expériences étrangères. Ce faisant, la mise en place de l’IER montrerait lacapacité du régime à détourner les ressources et les énoncés de la mondialisation à son profit etparticiperait d’un autoritarisme renouvelé.

59. Nous renvoyons à l’article d’Ahmed HERZENNI, « De la démocratie au Maroc », Le Matin,3 janvier 2005 et à l’entretien accordé au journaliste de La Vie Économique, Karim DOUICHI,« Avons-nous réellement été des démocrates à l’époque ? », 7 janvier 2005, http://lavieeco.com(consulté le 14 mai 2005).

60. C’est dans l’ensemble la thèse que défend le Journal Hebdomadaire.

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chaque côté propre au paradigme « transitologique », on observe unetendance croissante dans les discours à la subordination de la question deslibertés publiques et des droits civils aux droits socio-économiques, plaçantde nouveau la question sociale au sommet de la hiérarchie des préoccupa-tions de la « nouvelle ère ». Le traitement social de la pauvreté, celle-ci étantconsidérée comme une des causes du terrorisme, est en train d’imposer unnouveau consensus 61.

Le cinquième congrès du Parti de la justice et du développement (PJD)

Après des résultats officiels et officieux convaincants obtenus lors desélections législatives de 2002 (Catusse, 2005a) et communales de septembre2003 (Catusse 2005b), la célébration du cinquième congrès du PJD du 9 au11 avril 2004 confirme les tenants du maintien de la stratégie d’institutionna-lisation négociée et consensuelle du parti dans le champ politique marocain.Les concessions et l’autolimitation ne préjugent pas d’une assise socialeétendue, leur conjugaison devant conduire le parti à une future participationau gouvernement qui devrait se produire après les scrutins prévus en 2007.D’ailleurs le thème du congrès, « Démocratie, engagement et responsabilité »se voulait explicite. Son nouveau secrétaire général, S. El Otmani, qui succèdeau Dr Khatib, nommé au poste honorifique de président fondateur, a résuméles objectifs du parti : approfondir la démocratie interne, consacrer la culturede l’alternance au niveau des responsabilités, défendre la justice sociale etconstruire l’État de droit. Le cycle électoral achevé, il n’est plus questiond’interdire le PJD, bien qu’il en ait été question après les attentats du 13 mai 62.La présence au congrès des représentants de toutes les forces politiquessiégeant au Parlement confirme une normalisation ratifiée par la lettre de féli-citations du roi lue lors de la clôture des travaux.

Tout a été fait pour que les instances du parti soient renouvelées dansl’ordre et que celui-ci apparaisse comme un modèle d’organisation et degestion. Le parti a ainsi répondu aux invectives du roi sur la mise à niveau despartis politiques et continue à se distinguer du reste du champ partisan. Ladistinction, que les porte-parole du mouvement sauront souligner, repose surles éléments suivants : l’organisation du congrès dans les délais prévus par lesstatuts, l’élection du secrétaire général par vote confidentiel, la pluralité descandidatures, la régularité des mécanismes de vote et la transparence vis-à-visdes médias 63. Elle vise notamment l’Union socialiste des forces populaires

61. Nous renvoyons, en particulier, au rapport de la Banque Mondiale qui mentionne lesdifférents types de préoccupations du gouvernement qui dérivent du phénomène de lapauvreté : social, politique et sécuritaire. Banque Mondiale, Rapport sur la pauvreté :Comprendre les dimensions géographiques de la pauvreté pour en améliorer l’appréhensionà travers les politiques publiques, Royaume du Maroc, Rapport nº 28223-MOR, septembre 2004,http://Inweb.worldbank.org. Sur la mise sur agenda de la question sociale, voir M. CATUSSE

(2005c).62. « Faut-il interdire le PJD », Le Journal Hebdomadaire, 31 mai 2003.63. La « distinction » est soulignée par la presse en général et en particulier par l’hebdo-

madaire du parti, al Asr, qui rappelle triomphant que le « parti accusé de ne pas être démocra-tique donne aux autres une leçon de pratique partisane saine », al-Asr, 9 avril 2004. Ce trait a étéremarqué par M. CATUSSE (2005b).

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(USFP), seul parti à échapper au nomadisme post-électoral, mais dont le visiblemanque de démocratie et l’indiscipline interne, ainsi que les dissensions et lesruptures issues du VIe congrès célébré en 2001, ont nui à son image et à sacrédibilité en tant que premier parti politique du pays. Cependant, il semble-rait que le PJD ne soit pas immunisé contre de telles dérives. Parmi les signes,qui le rapproche du reste de l’échiquier politique, sont avancées la multipli-cation des organes et du nombre de leurs membres, afin d’intégrer une majo-rité de l’élite du parti et de désactiver les litiges potentiels, ainsi que laproposition et l’approbation du candidat au secrétariat général par le cerclerestreint des membres du secrétariat général. Il faudrait ajouter des conflitsinternes provenant de certaines sections qui n’ont pas accepté les modalitésde la participation limitée aux dernières élections 64 et de certains leadersdont les prises de position dérogent à la ligne officielle du parti. Bien que leministère de l’Intérieur intervienne aussi en dehors du moment électoral, lasoumission du PJD à ses pressions n’est pas seule à l’origine de cette indisci-pline. En fait, le parti est aux prises avec des logiques qui procèdent de sonmode d’insertion dans le champ politique marocain.

Les interférences du ministère de l’Intérieur :la dialectique de la notabilisation et de la dissidence relative

Au cours des années 1990, la fonction tribunitienne a été l’attribut prin-cipal des associations (al-Islah wat-Tajdid et al-Mustaqbal al-islami) qui ontanticipé le PJD. Or, comme le signale M. Tozy (2004), l’intégration dans lechamp partisan officiel conduit à un processus de notabilisation, puisqueémerge ou se consolide une classe d’élus qui sont amenés à interagir conti-nuellement avec le système. En revanche, les autres leaders, qui ont étéexclus, ont suivi l’ancienne logique de la prédication, prônant l’exemplarité,la piété et la proximité envers les militants et diffusant un discours aux tona-lités populistes dirigé vers la base. Ce sont eux qui restent attachés à unesélection des cadres à travers des mécanismes de démocratie directe à lafaveur d’assemblées qui les favorisent. Or, la notabilisation et les nouveauxobjectifs politiques du PJD, qui résultent de l’expérience des mandats munici-paux et parlementaires, supposent un changement qui n’est pas sansproduire des contradictions et des tensions entre les deux types de dirigeantset entre ceux-ci et les militants 65. Les logiques de ses entrepreneurs politiques

64. Les attentats du 16 mai ont servi les intérêts du ministère de l’Intérieur qui a pu négo-cier dans des conditions qui lui étaient favorables les modalités d’une participation contrôlée duparti aux élections municipales. Les sections de Tanger et d’Oujda avaient rejeté les choix dusecrétaire général concernant la sélection des candidats et la stratégie de participation électo-rale. Nous renvoyons aux déclarations d’A. AMARA, membre du secrétariat général, trésorier duparti et député de Salé au Journal Hebdomadaire, « Historiquement proches de l’Istiqlal »,http://www.lejournal-hebdo.com (consulté le 23 avril 2004).

65. M. Tozy parle d’« un effet de système » sur le parti qui se produit comme consé-quence du conflit entre les nouvelles notabilités (les élus) et les anciennes (les prédicateurs)et conduit à une transformation idéologique et organisationnelle du parti. Cette analyse estdéveloppée dans Chafik LAABI, « Islamisme : Le PJD tend-il à devenir un parti comme les autres ? »,La Vie Économique, 2 avril 2004, http://www.lavieeco.com/Politique (consulté le 7 avril2004). Nous renvoyons aussi à R. EL MOSSADEQ (2000) qui analyse la logique interne au parti quia accompagné son institutionnalisation.

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divergent et dès lors surgit un conflit entre les deux profils pour imposer unmodèle de parti, qui se trouve biaisé par les interférences du ministère del’Intérieur.

C’est dans ce cadre qu’il semble falloir analyser deux phénomènes à larelation dialectique : l’indiscipline illustrée par les frondes périodiques deM. Ramid 66 et l’intransigeance sur des questions morales, d’une part, et la réor-ganisation du fonctionnement du parti, de l’autre. À la veille du congrès,M. Ramid, chef de file des critiques envers la direction du PJD, part du constatque le pouvoir n’a pas de volonté de réforme et de changement pour poserpubliquement la question de la Constitution, c’est-à-dire du rôle du roi. Lesgrandes lignes de sa proposition consistent à convertir le roi en arbitre, protec-teur de l’islam, en sa qualité de commandeur des croyants 67. La diffusion de ceprojet, qui était prêt avant les attentats de Casablanca, est mobilisée par sonmentor comme une ressource qui n’avait pu être utilisée dans la perspectivedes élections municipales. Elle permet à M. Ramid de se positionner vis-à-visde la future direction 68 et de la base du parti et de lancer un message au minis-tère de l’Intérieur, qui n’est pas étranger aux déconvenues du charismatiqueleader islamiste. Elle est à mettre en relation aussi avec le projet de législationsur la séparation entre religion et politique qui devrait toucher les partis quise réclament de l’islamisme.

Mis à part la question constitutionnelle, l’impression de cacophonie ausein du PJD concerne aussi les prises de positions déclarées ou attribuées à descadres et des militants sur des questions de comportements individuels etcollectifs considérés comme déviants de la morale islamique. Parmi ces voix,celles de A. Raissouni et M. Ramid sont les plus médiatisées. Elles condamnenten particulier, les festivals de musiques et les moussems qui se multiplientsouvent sous le patronage des autorités et de personnalités proches du Palaiset, à l’approche de l’été, la promiscuité sur les plages. Il s’agirait là deséléments d’une régression générale accompagnée par la fermeture demosquées et la prolifération des débits de boissons. Ce type de déclarations

66. Voir la brève présentation de son parcours que propose M. TOZY (1999, p. 123).67. Le projet de réforme a été repris dans As-sahifa al-Ousbouiya, 1er avril 2004 et

Al Ayam, 8 avril 2004 (en arabe). Il peut être résumé de la façon suivante : pour que le roi règneet que le gouvernement gouverne, le monarque devrait être soumis à la Constitution et déléguerla gestion du pays au Premier ministre, véritable chef de gouvernement provenant d’une majo-rité parlementaire issue des urnes. Cette proposition s’inscrit, néanmoins, dans la perspectivede la protection et du renforcement de l’institution monarchique car, dans la situation actuelle,les prérogatives royales feraient que le roi s’expose à des risques puisque l’autorité doit êtreresponsable.

68. Le pavé dans la mare lancé par M. Ramid a reçu une réponse de la part du parti qui apublié dans l’hebdomadaire, al-Asr, le communiqué final du Conseil national réuni le 20 et21 mars. Le texte du communiqué renouvelle l’allégeance au roi en réaffirmant l’attachement duparti à l’islam, à la monarchie constitutionnelle, à la pratique démocratique, et à la poursuite dela mobilisation pour la défense de l’intégrité territoriale. Il réitère la condamnation des opéra-tions terroristes et criminelles qui ont frappé Madrid le 11 mars, apprécie l’avancée que repré-sente l’installation de l’IER et appelle à remédier au recul noté en matière des droits de l’Hommeet de libertés publiques. Al Asr, 26 mars 2004 (en arabe). Voir aussi les déclarations deL. DAOUDI, membre du Secrétariat général du PJD au Journal Hebdomadaire : « Daoudi : ledocument de Mustapha Ramid n’engage que lui et pas du tout le parti », Le Journal : Hebdoma-daire, 10 avril 2004, http://www.lejournal-hebdo.com (consulté le 10 février 2005).

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trouve sa tribune, notamment, dans le quotidien at-Tajdid proche du Mouve-ment de l’unification et de la réforme (MUR) 69. Ce côté « obscurantiste » donnelieu à des ripostes par voie de presse qui dénoncent un double langage érigéen stratégie qui constituerait le vrai visage de l’islamisme. En général, al-Asr,l’hebdomadaire du PJD a démenti ces accusations alléguant des rumeursmensongères et affirmant qu’il ne s’agissait pas de la position officielle duparti. Quoi qu’il en soit, ces élans de populisme séduisent une base socialeque la participation au système désenchante.

L’hypothèse de la démarcation de la politique conciliante de la directiondu PJD comme stratégie de M. Ramid a pris corps à la lumière de son compor-tement durant le congrès, quand, plébiscité par le Conseil National, il a appelécelui-ci à ne pas voter pour lui. Il ressort de ce procédé, qui ne semble pasavoir été apprécié par les nouveaux dirigeants, qu’il permet d’anticiper safuture exclusion tout en acceptant a posteriori la discipline partisane. Cetype de coups se transforme en gain de popularité auprès des militants etconforte le message de l’existence d’une alternative au sein du parti, qui plusest, blanchie des soupçons de cooptation par le ministère de l’Intérieur. Ainsi,lors de l’élection en octobre à la présidence du groupe parlementaire du PJD,M. Ramid a été écarté alors qu’il était arrivé en tête des suffrages des parle-mentaires parmi les trois candidats susceptibles de briguer le poste. Le secré-tariat général a préféré A. Baha, répondant de nouveau aux souhaits duministère de l’Intérieur qui avait déjà forcé la démission de Ramid du groupeparlementaire à l’automne 2003. Le grand succès du ministère de l’Intérieur,note judicieusement Le Journal-Hebdo 70, est d’avoir instauré une sorte deréflexe d’autodiscipline du PJD, qui a choisi à nouveau d’envoyer des signesde bonne volonté au pouvoir.

Il n’empêche que les conflits des jeux de pouvoirs peuvent acquérirune fonctionnalité certaine en servant les intérêts de chacune des parties ausein du parti islamiste. D’abord, l’appel à la réforme de la Constitution neconstitue pas un tabou puisqu’il ne fait que reprendre les anciennes thèsesde l’opposition issue du Mouvement national maintenues aujourd’hui par lagauche non-gouvernementale. M. Ramid s’inscrit alors dans une « dissidencerelative » vis-à-vis de l’État et du parti, tout en garantissant la fonction tribu-nitienne de ce dernier. D’ailleurs, il continue à s’identifier au parti, qui,comme tous les partis, est traversé par des clivages, éloignant, pour lemoment, le risque de scissiparité 71. Pour la direction du PJD, le résultat du jeu

69. Ce quotidien a reproduit aussi des dérapages antisémites, sans oublier la thèse polé-mique sur l’origine du Tsunami, qui a dévasté le Sud-Est asiatique. L’interprétation de la catas-trophe, comme étant un châtiment divin répondant à la dépravation des mœurs et au tourismesexuel a été présentée comme un avertissement pour le Royaume.

70. « Radicalité, notabilisation : le PJD a fait son choix », Le Journal Hebdomadaire,2 octobre 2004, http://www.lejournal-hebdo.com (consulté le 15 octobre 2004).

71. Cependant, le risque de scissiparité ne peut être écarté puisque c’est l’un des traitscaractéristiques du champ partisan marocain que le ministère de l’Intérieur a utilisé, encouragéou entériné. Il faut aussi signaler que la trajectoire de M. Ramid ne s’inscrit pas dans celle desdirigeants du MUR, le principal courant au sein du PJD, qu’il ne rejoindra qu’en 1997, mais d’un« clerc » qui passe au politique (Tozy, 1999, p. 126). Parmi les nouveaux partis se réclamant del’islamisme qui ont surgi dernièrement, signalons Al-Yakada wa Al-Fadila (Vigilance et vertu)formé par d’anciens membres du MPDC, tels que M. Khalidi qui n’ont pas accepté leur marginali-sation au sein du PJD au profit du MUR.

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des intérêts n’est pas à somme négative. Elle peut toujours arguer face à l’Étatqu’elle est plus modérée et pragmatique que sa base et qu’elle contrôle lesradicaux. Sortie vainqueur des élections internes, elle peut dès lors se consa-crer à une remise en ordre et reprendre le contrôle d’éléments dont lesslogans et certaines interventions lors du congrès, ont été qualifiés de « tropislamistes ». La nouvelle équipe à la tête de laquelle se situe S. El-Othmani seprésente comme moderniste, gestionnaire et pragmatique 72. La mise encohérence de ce discours avec les faits passe par la gestion municipale.

L’apprentissage et la pédagogie des responsabilités politiques

Au lendemain des élections municipales, en optant pour une démarche« pédagogique » et d’apprentissage, le PJD a montré qu’il continuait à s’inscriredans le long terme. Lors de l’élection des maires, il a préféré s’accommoderavec les autres forces politiques et se retirer plutôt que de briguer lespremiers postes 73. Il a montré aussi sa capacité à inclure des notables parmises candidats tels que A. Belkora, aujourd’hui maire de Meknès dont la filiationfamiliale et professionnelle aurait pu conduire aussi bien au Rassemblementnational des indépendants (RNI) qu’au sein de la Mouvance populaire ou àl’Istiqlal. Ce savoir-faire démontre le maintien du refus d’une exclusive, duprincipe de participation, d’interaction et de collaboration avec ceux quiacceptent de travailler dans le sens d’une élévation du niveau du respect del’islam dans la vie des individus et des groupes (Tozy, 1999, p. 236). Pour leparti, il s’agit d’acquérir et de démontrer des compétences politiques et degestion à l’horizon restreint (municipalités et Parlement) qui serviront àl’avenir pour postuler à la direction du gouvernement. En outre, ce succès estun facteur d’attraction pour nombres de jeunes cadres en quête de réussiteou de reconnaissance sociale bloquée par la rareté des ressources dont ladistribution est encore monopolisée par une autre génération politique quiappartient aux partis gouvernementaux. Par ailleurs, la militance islamisteapparaîtrait même comme le vecteur d’une repolitisation de la sociétéurbaine marocaine (Catusse, 2005b ; Bennani Chraïbi, 2005).

Depuis, la formation du gouvernement de l’alternance en 1998, le PJD

occupe la place de l’opposition parlementaire, antérieurement dévolue auxpartis issus du Mouvement national. Aucune formation politique officielle nesera en mesure de la lui disputer tant que les partis participant au gouverne-ment resteront dans une logique de parlementarisme oligarchique comptantplutôt sur les équilibres souhaités par le ministère de l’Intérieur que sur leur

72. C’est ce qui ressort des entretiens de son secrétaire général à la presse. Ainsi, dans unentretien au site internet « Islam on-line » que reproduira l’hebdomadaire du parti, al Asr, dansson édition du 30 avril, S. OTHMANI annonce que : « Dans le contexte actuel, les mouvementsislamistes doivent prendre en compte deux priorités : la première concerne le fait que cesmouvements ne doivent pas se contenter d’un discours identitaire ou idéologique, car ilsdoivent mettre en application le programme de réformes ; la seconde priorité se rapporte aufait que ces mouvements doivent fournir le climat politique adéquat pour faire réussir cesréformes, à travers un consensus entre les institutions et les autres mouvements politiques. »http://www.ambafrance-ma.org.

73. Le PJD a ainsi soutenu les candidatures de l’Union constitutionnelle à Casablanca, del’USFP, à Agadir et du Mouvement populaire à Salé.

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implantation sociale. Les adversaires idéologiques du PJD qui forment le frontdu refus réuni autour de la Gauche socialiste unie sont minoritaires, mêmes’ils peuvent engranger les fruits du travail de « vérité » mené par les ONG deplaidoyer et l’action de proximité de certaines associations, il s’agit d’unprojet encore en construction 74. Quant à ses concurrents dans le champ isla-miste, al-Adl wal-Ihsan (Justice et Bienfaisance), son maintien en dehors dujeu électoral et l’inconnue que constitue l’après Yassine, son leader, permet-tent au PJD de monopoliser le vote islamiste et de protestation et de se distin-guer d’un projet politique qui manque de définition et suscite toujours lessuspicions du Palais. La récupération de la marche de soutien avec les peuplespalestinien et irakien du 28 novembre en réunissant plusieurs dizaines demilliers de militants clairement identifiables comme appartenant à Justice etBienfaisance est un message envoyé au PJD et au pouvoir. En se distinguant duPJD, ils nient la prétention de celui-ci à représenter l’ensemble de l’islamisme,revendiquent la place de premier mouvement islamiste tout en rappelant ainsileur existence auprès du pouvoir. Dans cette optique, il peut s’agir aussi d’unappel à la négociation avec ce dernier.

Le PJD proclame qu’un parti a pour objectif de gouverner afin de réaliserson programme. Quant au reste des partis, ils semblent admettre l’idée qu’ilfaudra gouverner avec les islamistes. Les dirigeants islamistes mènent aussiune offensive de séduction envers le monde des affaires et les chancellerieseuropéennes. C’est du moins la lecture qu’on peut réaliser des rencontrespubliques avec A. Lahjouji, l’ancien patron des patrons et président du partiForces citoyennes, ou de l’annonce de visites d’information auprès desgouvernements de plusieurs pays de l’Union européenne en 2005. Le PJD n’estpeut-être pas prêt à gouverner, mais il s’y prépare 75.

Gestion du champ religieux, mobilisation amazigheet avant-projet de loi sur les partis politiques

L’année 2004 a aussi été marquée par la restructuration du champ reli-gieux, le maintien de la mobilisation amazighe et les consultations sur l’avant-projet de loi sur les partis politiques. Parmi les points polémiques soulevés parce dernier, celui de l’interdiction de constituer des partis sur une base reli-gieuse, linguistique, ethnique ou régionale n’est pas des moindres.

À la veille du premier anniversaire des attentats de Casablanca, le30 avril, le roi a exposé les grandes lignes de la politique religieuse officielleet les moyens de sa réalisation. Les décisions annoncées concernent la recon-figuration du ministère des Affaires religieuses, dont le titulaire, A. Taoufik, est

74. Le front du refus de gauche coordonné au sein du Rassemblement de la gauchedémocratique est composé par la Gauche socialiste unie (GSU), Fidélité à la démocratie, qui lorsde la célébration de son 1er congrès national le 27 et 28 novembre a décidé de fusionner à termeavec la GSU, Ennahj ad-dimucrati (La voie démocratique) et le Parti de l’avant-garde socialiste.

75. Lors d’un entretien avec S. El-Othmani, le journaliste de La Vie Économique conclutque le PJD n’a pas de programme économique et social, qu’il manque d’expérience et qu’il estloin de posséder des appareils rodés et puissants comme ceux de l’USFP. M. JAMAA, « S’il a desambitions, le PJD n’est pas encore en mesure de gouverner », La Vie Économique, le 28 mai2004, http//www.lavieeco.com (consulté le 15 juillet 2004).

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maintenu. En plus de la création de trois nouvelles directions – Affaires islami-ques, Mosquées et Enseignement originel – et de seize délégations régionalesdes Affaires islamiques 76, cette reprise en main touche aussi le renouvelle-ment des membres du Conseil supérieur des oulémas et des conseils régio-naux. Le maillage territorial que ces derniers doivent réaliser s’est traduit,derrière l’euphémisme de « politique de proximité », par un accroissement dunombre des oulémas officiels et leur sélection minutieuse déterminée par unprofil établi par le souverain 77 :

« Des théologiens connus et reconnus pour leur loyauté aux constantes etaux institutions sacrées de la nation et pour leurs capacités d’allier érudition etouverture sur la modernité. »

Quant au Conseil supérieur, onze de ses quinze membres ont été renou-velés. La revendication des pouvoirs religieux entre les mains du roi, laconcentration et le monopole qui en découlent, sont légitimés au nom del’imamat et font que la fusion entre politique et religion s’effectue seulementà son niveau. Sur le plan de la doctrine, l’insistance du monarque sur la tradi-tion malékite d’un islam tolérant et ouvert sur les transformations du monderejoint l’affirmation d’une religion enracinée dans une trajectoire historiquenationale, adaptée au pays et identifiée au chérifisme. De même, il en résulteune acceptation des pratiques religieuses populaires, un respect et la protectiondes cultes monothéistes, juif et chrétien, mais un rejet des dogmes « étrangers »,en référence aux déviations « salafistes » contraires à la tradition marocaine. Cesmesures répondent à l’échec de la gestion antérieure du champ religieux touten s’insérant dans une logique similaire. En attendant, ni la justice ni l’islam offi-ciel marocain n’ont répondu aux appels des divers mouvements de protestationdes « salafistes » incarcérés contre leurs conditions de détentions ou de l’injus-tice dont ils sont l’objet. Malgré le refus de leur accorder un statut d’interlocu-teur, ces mobilisations pourraient annoncer la structuration à terme de lamouvance, tant ses ressorts s’apparentent à ceux qui ont formé les réseaux devictimes des années de plomb 78.

Une autre mobilisation, celle du mouvement amazigh continue à porterses revendications sur le terrain des droits de l’Homme et des libertés 79. Elleapparaît comme autant de réponses aux initiatives des institutions et despersonnalités officielles en charge de cette question. En Juin 2004, la « Chartedes revendications amazighes à propos de la révision du texte constitutionnel »a été rendue publique alors qu’elle avait été conclue à la fin de l’année 2003.Elle revendique entre autre la constitutionnalisation de l’amazighité et duprincipe de laïcité ; la consécration de l’égalité linguistique et la transitiond’un État jacobin vers un État des régions. Dans une certaine mesure, ellerépond à H. Aourid, un des hommes du palais dans la gestion de la cause, qui

76. La Vie Économique, « La séparation entre le politique et le religieux au centre desdébats », 31 décembre 2004, http://www.lavieeco.com.

77. « Discours de SM le Roi devant les membres du Conseil supérieur et des conseilsprovinciaux des Oulémas », Casablanca 30 avril 2004, http://www.mincom.gov.ma (consulté le14 août 2004).

78. À propos de la structuration des mobilisations et des réseaux des victimes des annéesde plomb, voir l’article de F. Vairel (2004).

79. À ce sujet, nous renvoyons à l’article de L. Feliu dans ce volume.

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avait déclaré peu de temps avant sa diffusion, que l’impératif de l’unité exigeque le pays se dote d’une seule langue, l’arabe dans un cadre général définipar la loi suprême du pays. Autre fait marquant, le Comité mondial amazigh(CMA) a remis un rapport alternatif à celui du gouvernement marocain auprèsdu Comité des droits de l’Homme de l’ONU. Intitulé, « Les Amazighs au Maroc :un peuple minorisé », comme le souligne l’hebdomadaire Tel Quel, loin d’êtreanodin le choix du titre résonne au contraire comme une réponse cinglanteau gouvernement, lequel a évoqué la problématique amazighe dans lechapitre de son rapport consacré au « droit des minorités » 80. Le rapport duCMA concentre ses arguments sur la négation du peuple amazigh, ens’appuyant sur les discriminations que suppose leur situation linguistiquedevant la loi. Il soulève aussi la question de la laïcité en pointant « l’absence deliberté de conscience et de culte ». Ni les discours officiels regorgeant de réfé-rences à l’identité plurielle du Maroc, ni la création de l’Institut royal de laculture amazighe ou l’adoption du tifinagh comme alphabet officiel et l’intro-duction progressive de l’enseignement ne semblent satisfaire une mobilisa-tion qui croît et sait utiliser l’effet multiplicateur des tribunes desorganisations supranationales, sans avoir réussi cependant à s’unifier à ce jour.Face à ces obstacles, un secteur du mouvement est impatient d’investir lechamp partisan. Le « Réseau amazigh pour la citoyenneté », qui se revendiquestatutairement laïc, attend depuis deux ans la délivrance de son récépisséd’association. Un délai motivé par le fait que les autorités le considère commele premier pas vers la formation d’un parti politique.

Enfin, cette année les partis politiques n’ont pas échappé aux remon-trances du roi concernant leur mise à niveau :

« Allons-nous devoir attendre la veille de l’échéance électorale de 2007 pourrechercher un consensus superficiel et improvisé qui ne fera qu’accentuer labalkanisation de la carte politique du pays ? Assurément non 81 ! »

L’avant-projet de loi sur les partis politiques s’inscrit dans l’itinéraire dutravail législatif réformant le cadre juridique des libertés publiques (droit d’asso-ciation, de manifestation et de liberté de la presse). Cet avant-projet en prépa-ration depuis plusieurs années est passé du ministère des droits de l’Homme àcelui de l’Intérieur, confirmant les indices de la primauté des considérationssécuritaires sur une approche plus libérale. Il rejoint le processus de juridicisa-tion de l’autoritarisme qui apparaît comme une des marques de la « nouvelleère ». Les propos sur le discrédit de la classe politique et des partis se sontétendus au gouvernement qui a été l’objet de rumeurs durant le premiersemestre à propos d’un remaniement ministériel et de la substitution deD. Jettou que les fuites sur les colères du roi au sein du conseil de gouverne-ment n’ont fait qu’alimenter. Le remaniement ministériel a finalement eu lieu le8 juin. L’opacité relative aux motifs de sa nécessité et sa conclusion par unsimple réajustement avec l’entrée de trois ministres technocrates n’ont pascontribué à améliorer la crédibilité des discours sur la modernisation des struc-tures partisanes. En effet, le choix de trois nouveaux ministres hors du champ

80. Laetitia GROTTI, « Droits de l’Homme. La voix des hommes », Tel Quel, 20 novembre2004.

81. « Discours de SM le Roi à l’occasion de la Fête du Trône », op. cit.

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partisan termine d’éroder la légitimité de la capacité politique et de gestion despartis associés à un gouvernement dirigé par un « technocrate ».

La sortie de ce qu’on pourrait appeler un mode de gouvernance à unautre, d’un ancien rôle à un autre comporte des risques (Hammoudi, 2002).La Monarchie en continuant à gouverner, en s’impliquant directement dans lapoursuite d’objectifs qui relèvent du gouvernement s’expose à un droitd’inventaire. En mobilisant la capacité d’expertise technocratique en dehorsdes institutions démocratiques (gouvernement, parlement et partis), elle meten exergue la faiblesse de la classe politique tandis que certains partis redé-couvrent les vertus de la Commanderie des croyants. Elle se pose en pôleexemplaire dont le programme doit être exécuté par le gouvernement qu’ellevoudrait issu d’une majorité homogène. La bipolarité appelée de tous sesvœux apparaît comme la panacée. La majorité et l’opposition, sommées de sedéfinir non pas en termes idéologiques, mais de bonne gouvernance, alterne-raient selon le verdict des urnes. En attendant, le silence demeure face auxappels à la réforme de la Constitution quelle que soit sa provenance, la monar-chie exécutive composant avec la gestion de la rente géostratégique et lesmobilisations de la société. Ce faisant, le processus en cours de refondationdu régime emprunte la voie de la réconciliation et la réincorporation decertains secteurs de la société sans qu’il puisse être assimilé à ce jour auxrépertoires de la démocratisation.

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