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1) El S TITRES DE NOBLESSE ET DES NOMS NOBILIAIRES Le rapport de M. le Ministre de la justice, du mois d'avril dernier, qui appelle le conseil d'Etat à rédiger un projet de loi au sujet des usurpations des titres de noblesse, vient de donner un nouvel intérêt à des questions ou- bliées depuis longtemps. Je me propose d'examiner en peu de mots s'il y a opportunité, comme paraît l'insinuer le rapport dont il s'agit, à édicter une peine contre ceux qui prendraient des titres nobi- liaires auxquels ils n'auraient pas droit; mais surtout s'il n'y aurait pas plutôt utilité à Document l I I Il Ill 11L i III lil 0000005548897

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1) El S

TITRES DE NOBLESSEET DES

NOMS NOBILIAIRES

Le rapport de M. le Ministre de la justice,du mois d'avril dernier, qui appelle le conseild'Etat à rédiger un projet de loi au sujet desusurpations des titres de noblesse, vient dedonner un nouvel intérêt à des questions ou-bliées depuis longtemps.

Je me propose d'examiner en peu de motss'il y a opportunité, comme paraît l'insinuerle rapport dont il s'agit, à édicter une peinecontre ceux qui prendraient des titres nobi-

liaires auxquels ils n'auraient pas droit; maissurtout s'il n'y aurait pas plutôt utilité à

Document

l I I

Il

Ill11L i III lil0000005548897

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réprimer l'usurpation des noms nobiiia.it es

dont ce rapport n'a pas dit un mot', ou, cc quirevient au même, si cette dernière prohibitionne renfermerait pas toutes les autres que l'étatde la société peut réclamer.

Depuis bien des siècles, on le sait, sousl'ancienne monarchie, la noblesse de raceavait disparu, et il n'existait plus que la no-blesse d'anoblissement. A mesure que lesgrands vassaux ou feudataires de la couronne,qui n'étaient, du reste, eux-mêmes que lesusurpateurs des droits de la nation, avaientété détruits ou s'étaient éteints, nos rois s'é-taient figuré qu'ils avaient le pouvoir de créerdes nobles en anoblissant ce qu'on appelaitdes bourgeois ou des individus appartenant àd'autres classes. C'est Philippe III, dit-on,qui le premier s'arrogea ce droite.

C'était, en réalité, changer l'état et pourainsi dire la nature des hommes; c'était fairece que Dieu lui-même n'a pas le pouvoir ou nese croit pasle droit d'opérer. Aussi, lanobiesse,

Voir le Post—Scnpturn, page 36.Voltaire. Esprit et mœurs des mitions, chap 9.

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fondée sur la volonté unique du souverain,ne peut-elle être considérée que comme unefiction, que chacun est libre d'admettre ou dene pas admettre, au moins intérieurement;suivant ses opinions personnelles à ce sujet.

Il n'est pas douteux que la noblesse futquelquefois conférée pour des services rendusau pays, le plus souvent au souverain, dontl'intérêt ne s'identifia pas toujours avec celuidu pays; mais bien souvent aussi, elle fut lerésultat de la faveur et de l'intrigue, et enfinà certaines époques on peut dire qu'elle sevendit. C'est à cette classe de nobles surtoutque s'applique le mot de Jean-Jacques Rous-seau, que ce

'qu'il voyait de Plus honorable

pour eux, c'était le privilége de n'être paspendus'.

Quoi qu'il en soit, les vices des familles no-bles, surtout de celles qui étaient attachées b.la cour, les progrès de la raison et les maximesde la philosophie avaient déjà miné cette in-stitution, quand éclata la révolution de 1789.

Nouvelle Héloïse, note, à la lettre 62, 4" partie.

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Un des premiers actes de l'Assemblée con-stituante fut d'abolir tous les priviléges enmatière de subsides, qui se liaient si étroite-ment à l'établissement de l'ancienne noblesse(â août 1789). La loi du 5 novembre suivantproclama ce grand principe, qu'il n'y auraitplus en France aucune distinction d'ordres; etenfin, le décret du 19 juin 1790, l'un des plusmémorables de ceux que rendit cette célèbreassemblée, s'exprima ainsi

Art. 1'. « La noblesse héréditaire est pourtoujours abolie; en conséquence, les titres deprince, de duc, de comte, marquis, vicomte,vidame, baron, chevalier , messire, écuyernoble, et tous autres titres semblables , neseront ni pris par qui que ce soit, ni donnésà personne.

Art. 2. « Aucun citoyen ne pourra prendreque le vrai nom de sa fa?nille. Personne nepourra porter ni faire porter des livrées, niavoir d'armoiries. L'encens ne sera brûlé dansles temples que pour honorer la Divinité, etne sera offert à qui que ce soit. i

Cette loi fut suivie du décret du 27 sep-

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ternbre 1791, destiné à en garantir l'exécution.Ce dernier décret portait que les citoyens fran-çais qui inséreraient dorénavant dans leursactes quelques-unes des qualifications sup-primées par la constitution, OU quelques-unsdes titres ci-devant attribués à des fonctionsqui n'existaient plus, seraient condamnés àune amende égale à six fois la valeur de lacontribution mobilière , et en outre rayés dutableau civique, et déclarés incapables d'oc-cuper aucun emploi civil et militaire.

Les notaires ou tous autres fonctionnaireset officiers publics qui énonçaient dans lesactes les qualifications et titres supprimés,étaient passibles d'interdiction; et les pré-posés au droit d'enregistrement devaient ar-rêter les actes où ces mentions étaient faites,et les remettre au commissaire du roi près letribunal, pour qu'il agît en conséquence decé qui vient d'être dit.

Ces dispositions s'exécutèrent pendant ladurée de la République, qui avait succédé kla monarchie constitutionnelle fondée en 1791.Mais lorsque l'Empire vint à la remplacer elle-

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même en 180!i, l'empereur Napoléon crut de-voir créer une noblesse nouvelle par le décretimpérial du 1er mars 1808.

Cette noblesse était principalement atta-chée à certaines fonctions. Elle était viagèrepour ceux qui ne constituaient pas de majorat,transmissible à la descendance de ceux quiformaient des majorats de diverses sommes,et se résumait dans les titres de comte et debaron. Il y avait aussi des princes et des ducs;c'étaient les titulaires des grandes dignitésde l'Empire et leurs fils aînés. Enfin, l'Empe-reur se réservait d'accorder les titres qu'iljugerait convenables aux généraux, officierscivils et militaires et autres de ses sujets quise seraient distingués par des services rendusà l'État. il défendait de s'arroger des titres etqualifications qu'il n'aurait pas conférés, etaux officiers de l'état civil, notaires et autresde les leur donner; renouvelant, autant quebesoin serait, contre les contrevenants, leslois actuellement en vigueur.

Il résultait de tout cela que l'ancienne no-blesse restait abolie, et qu'aucun, de ses mem-

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bres n'avait le droit de prendre les titres etqualifications qui leur avaient appartenu avantles lois de 90 et de 91.

Cette noblesse recouvra ses droits, k la chutede l'Empire, par la Charte constitutionnellede 1814, qui disait dans son article 71: « La« noblesse ancienne reprend ses titres; la nou-« velle conserve les siens. Le roi fait des nobles

volonté; mais il ne leur accorde que des« rangs et des honneurs, sans aucune excmp-« tion des charges et des devoirs de la société.

A peine une année s'était écoulée, que lanoblesse ancienne fut de nouveau abolie parun décret de Napoléon, daté de Lyon, du 13mars 1815, lors de son retour de l'île d'Elbe.

Ce décret, très-remarquable et par l'époqueoù il fut rendu et par les dispositions qu'il ren-ferme, était ainsi conçu

Art. l. « La noblesse est abolie, et les loisde l'Assemblée constituante seront mises envigueur.

Art. 2. « Les Litres féodaux sont supprimésles lois de nos assemblées nationales serontmises en vigueur. »

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Art. 3. « Les individus qui ont obtenu denous des titres nationaux, comme récompensenationale, et dont les lettres-patentes ont étévérifiées au conseil du sceau des titres, cotiti-flueront à les porter. »

Art. l. u Nous nous réservons de donner destitres aux descendants des hommes qui ontillustré te nom français dans les dilïéren[ssiècles, soit dans le commandement des ar-mées de terre et de mer, dans les conseils (lusouverain , dans les administrations civiles etjudiciaires, soit enfin dans les sciences et artset dans le commerce, conformément à la loiqui sera promulguée sur cette matière. »

Cette loi ne fut jamais rendue, et elle étaitfort difficile à faire. Son application surtoutaux descendanis des hommes prétendus émi-nents de toutes les époqu de la monarchieétait encore plus délicate; témoin ce qui arrivasous le règne de Louis-Philippe, quand onvoulut formuler un projet de loi pour ouvrirle Panthéon aux grands hommes de la France,soit des temps actuels, soit des temps passés.Il n'y a guère qu'en gypte, et encore dans

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-9-des périodes très-reculés, que le jugementporté sur les morts peut être considéré commeayant été juste et impartial.

Seulement, on remarque que la nouvellenoblesse était provisoirement réduite, par lateneur de ce décret du 13 mars 1815 , à destitres purement viagers.

Ces déclarations étaient un gage queNapoléon donnait à l'opinion populaire, dontil espérait s'aider dans la lutte qu'il pressentaitavoir k soutenir prochainement contre l'Eu-rope, qui se coaliserait de nouveau pour dé-fendre la monarchie des Bourbons, qu'ellevenait de rétablir. Reste à savoir si ces pro-messes auraient été tenues après la victoire.

Quoi qu'il en soit, ce décret d'une portéetrès-élevée n'eut aucune suite, puisqu'il tombatrois mois après, avec le pouvoir de celui quil'avait édicté.

On avait eu le temps, pendant les quinzeannées que dura la Restauration, de recon-naître la vanité et même le danger des titresnobiliaires. Non-seulement, ils tendent toujoursk faire une classe à part -des hommes qui en

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- 40 -sont revêtus, en les séparant du reste de lanation; mais ils leur inspirent des prétentionset des idées en opposition avec l'intérêt gé-néral, et ils avaient été l'une des principalescauses des fautes et de la chute de ce gouver-nement.

Aussi, quand après, la révolution de Juillet1830 on fit si rapidement la nouvelle charteconstitutionnelle, on maintint bien la disposi-tion de la charte de Louis XViII relative à lanoblesse ancienne et nouvelle ; mais on peutdire qu'on l'annihila de fait, en très-grandepartie, lors de la révision du code pénal de1810, en supprimant de l'art. 59 de ce codeles termes de cet article qui parlaient des titresimpériaux, et ensuite royaux, que des indivi-dus s'attribuaient sans qu'ils leur eussent étélégalement conférés.

C'était permettre indirectement à chaquepersonne de prendre les titres ou qualifica-tions qu'il lui plairait, en laissant le méprisou la risée publique faire justice de pareillesprétentions.

Le gouvernement républicain, qui succéda

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à la monarchie parlementaire de Louis-Phi-lippe, fut plus rationnel. Il supprima de nou-veau les titres de noblesse et défendit parconséquent de se les attribuer. Cette défensefut renouvelée dans la constitution républicainedu 1 novembre J 84 ; elle subsisté jusqu'audécret du 2â janvier 185e rendu par Louis-Napoléon, pendant la dictature qui suivit lecoup d'Etat du 9 décembre 1851. Ce décretannula la suppression desl titres de noblesseprononcée par la dernière constitution, et remitles choses au même état qu'avant.

Il s'agirait aujourd'hui de rechercher lameilleure législation qu'il coijviendrait d'éta-blir en cette matière; et c'est :'t faire cette re-cherche que le conseil d'Etat est appelé parle rapport précité. C'est assez dire que tousles autres citoyens sont également appelés àfournir leur contingent d'idées et de lumièressur le même sujet.

Dans mon opinion, qui est, je crois, cellede la grande majorité des Français, la mesurela plus sage à prendre serait d'abroger le dé-cret de 1852, qui a rétabli la noblesse Cette

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abrogation, qui peut se faire par une loi ordi-naire, ainsi qu'on l'a déjà remarqué, puisqu'iln'est point inséré dans la constitution actuelle,aurait l'avantage de mettre cette partie de lalégislation en rapport avec cette constitution,laquelle est, au fond, démocratique, basée surle suffrage universel et rédigée sous l'invoca-tion des principes de 89. Les distinctions socia-les que suppose l'établissement d'une noblessecontredisent visiblement les principes d'égalitéet de démocratie, auxquels le nouveau gouver-nemnent impérial déclare se rattacher.

La nobtesse, particulièrement celle du der-nier siècle et du nôtre, n'a rien dede réel. De-puis longtemps il n'y a plus de ducs, de comtesou de marquis proprement dits, duces, comites,

rn=P tiplonss, c'est-L-dire de chefs d'armées,

(lu prince, défenseurs des mar-cI/es 011 frontières ce sont des mots qui ontsirvécu quand les choses n'existaient plus. Cesrnne représen. ent plus rien aujourd'hui ';c'est" -qpelle une chimère, et ils ne

III tome II ch'p Des nobles

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servent qu'à satisfaire la vanité des personnesqui approchent des souverains. Ceux-ci ontmême tort de regarder cette noblesse commele soutien de leur trône; elle est tout au pluspour eux et pour leur cour un ornement, unobjet de parade, de même nature que les cor-dons, les ordres et les décorations qui furentaussi inventés, à diverses époques, pour mieuxdistinguer ces nobles et leur donner encoreplus de relief.

La noblesse, telle qu'on l'a conçue chez lesnations modernes, n'était pas connue dansl'antiquité. 01] était alors considéré personnel-lement, suivant le degré de mérite ou de vertuque l'on avait montré; et les enfants de l'hom-me qui avait exercé d'éminentes fonctions avecl'approbation de tous étaient eux-mêmes con-sidérés, s'ils en étaient dignes par leur propreconduite; cela valait peut-être mieux que devoir d'indignes fils jouir de tous les honneurset marques de dignité originairement accor-dés au père vertueux et honoré.

A Rome même, le l)atriciat était un ordrede citoyens formant contrepoids dans la con-

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stitution aristocratique de cette république, etjouant le rôle des plus imposés dans plusieursrépubliques grecques. Les familles qui en fai-saient partie se perdaient dans la nuit destemps et se liaient le plus souvent à la fonda-tion même de l'État. Elles avaient bien eudroit primitivement k toutes les magistratureset à toutes les dignités; mais elles les avaientdepuis partagées avec le peuple, qui en avaiteu sa bonne part. Aussi, ne connaissait-on pasà Rome le genre de distinction ou de récom-pense admis dans nos temps modernes pourservices rendus k la patrie. Celui qui avaitsauvé un citoyen recevait une couronne dechêne, celui qui avait défendu une ville lacouronne murale, et le général qui avait con-quis une province prenait un surnom tiré dela province conquise. Scipion, qui avait déli-vré l'Italie de l'occupation d'Annibal et réduitl'Afrique à l'extrémité, était surfioinmé l'Afri-cain; son frère, après avoir vaincu Antio-chus, devenait l'Asiatique. Mais le vainqueurdans tous les cas ne perdait pas son nom, il nechangeait pas de qualité. S'il était plebéien, il

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- 45 -restait encore plehéien, même après le triom-phe, le plus grand honneur que l'on pût obtenir.

Le défaut essentiel de la noblesse conféréede nos jours, c'est que l'on sache très-bien quecelui qui en est revêtu était, la veille, de laclasse de tout le monde, et que l'on ne peutcroire à une transformation soudaine qui fassede lui et de sa famille un homme et une fa-mille à part, supérieurs à leurs égaux et pres-que d'une autre espèce qu'eux. Ce que l'onpense du noble d'hier, on le pense aussi dunoble même antique, puisqu'on connaît lemoment plus ou moins éloigné où les ancêtresde celui-ci étaient roturiers et pareils à leurségaux. Comment se croire inférieur à l'un ou àl'autre? C'est une magie, c'est un prodige quenous ne pouvons admettre à notre époque.

Si donc le décret du 24 janvier 1852 étaitrévoqué, et que les lois de nos assemblées na-tionales qui ont supprimé la noblesse et les ti-tres féodaux étaient remises en vigueur, commedisait Napoléon en 1815, sauf les récompen-ses à accorder à ceux qui ont bien mérité de lapatrie, il n'y aurait pas les difficultés que l'on

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cherche à surmonter aujourd'hui au sujet destitres nobiliaires, et à la solution desquelles tousles jurisconsultes et tous les politiques sont in-directement conviés par le rapport du ministre.

Toutefois, il ne faut pas compter sur cetteabrogatioii. Le rapport est fait dans d'autresvues, et le conseil d'État est appelé à formulerune législation Opposée. L'objet principal deses délibérations paraît être de savoir s'ilfaudra conserver le système actuel d'après le-quel il n'existe aucune peine contre ceux quiprendront des titres nobiliaires auxquels ilsn'ont aucun droit, ou s'il faut rétablir une pé-nalité contre ces individus quelles mesures,enfin, il y aurait à prendre contre les usurpa-terS de noblesse.

Le ministre semble peu favorable au sys-tème actuel, si l'on en juge par les citationsqu'il fait des opinions d'hommes influents auSénat et ailleurs. Comment admettre, dit-il,que le premier venu puisse s'affubler de titresqui sont le propre du mérite et des servicesrendus? Si ces titres étaient toujours accordés,en effet, pour un mérite notoire et des services

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bien avérés, il y aurait une sorte de délitsocial à se les attribuer par sa seule volonté.S'ils n'avaient pas été quelquefois conférés àdes personnes dont les qualités étaient très-contestables, si les descendants, à leur tour,ne démentaient pas quelquefois leur noble ori-gine, il n'y aurait pas assez de réprobationcontre ceux qui voudraient s'assimiler à eux,sans y être autorisés. Mais, comme il y a sou-vent parité entre les nobles de par la volontéroyale et les nobles de par la volonté des in-dividus, le public ne s'intéresse guère à cesusurpations, au moins pour ce qui concernel'honneur et la dignité des uns ou des autres.Il ne s'en occupe que sur un point dont je par-lerai tout à l'heure.

Mais, ajoute-t-on, ces usurpations amènentune confusion et un désordre très-considérabledans l'état des familles, en faisant supposerque les individus qui se les permettent appar-tiennent à d'autres familles que les leurs, oumême à des familles chimériques. Sous cerapport, dit-on, le danger est des plus gravespour la société.

2.

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4 cet égard il faut s'entendre. Si l'usurpa-tion se borne au titre, elle est sans importance;si elle va jusqu'au nom, elle a le plus grandinconvénient. Ainsi, s'il inc plaît de me faireappeler M. le comte Girard, cela ne inc dé-nature pas, cela ne change pas ma personne,cela ne me sépare pas de la famille à laquellej'appartiens; on peut facilement retrouver larelation qui existe entre ma famille et moi.Tels étaient les titres de comte ou de baronattachés à la fonction, d'après le décret impé-rial de 1808. C'est ainsi que l'on disait lecomte Réai, le comte Treilbard, etc.

Mais si en prenant, ou même en ne prenantpas le titre de comte, je me fais appeler d'a-bord M. Girard de la Chesnaye, et, quelquesannées après, M. de la Chesnayc, alors je metransforme, je deviens étranger à ma famille;on ne sait plus à quelle famille j'appartiens, età la longue, surtout après quelques généra-tions, tous les liens avec ma famille véritablesont rompus; on peut me croire d'une touteautre essence et une toute autre personne queje suis réellement. Mais alors, le mal sérieux,

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- 49 -véritable, celui qui appelle un remède, n'estpas, comme on voit, dans l'usurpation du ti-tre; il est dans l'usurpation du nom. C'estdonc l'affectation d'un nom nobiliaire, car onn'en prend guère d'autre, qui doit attirer toutel'attention du législateur; et elle le doit d'au-tant plus que par le fait il y a une utilité pra-tique beaucoup plus grande à cette questionqu'à celle des titres nobiliaires.

En effet, combien y a-t-il de personnes quiprennent des titres nobiliaires?— Et en cela,je ne comprends pas ici les titres de vidame,chevalier, écuyer, messire et autres titres in-férieurs que personne ne daigne usurper, etdont les véritables titulaires eux-mêmes veu-lent à peine se décorer; je ne comprends queles titres supérieurs de duc, de marquis oude comte. - Un petit nombre en réalité lesprend, au moins comparativement à ceux quise donnent des noms nobiliaires.

Il n'est pas facile de se faire intituler ducde son plein gré. Il n'y a pas tellement deducs que l'on ne reconnaisse facilement ceuxqui s'attribueraient cette qualification. Le titre

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de marquis est moins ambitionné depuis lescomédies de Molière et de Regnard. Reste doncle titre de comte, qui n'est pas autant en vue,qui n'offusque pas autant. C'est celui que lesintrus de la noblesse affectionnent le plus, etqui donne lieu aux plus nombreuses transfor-mations; et encore, je le répète, elles sont peunombreuses en proportion de l'autre abus.

Quant à celui-ci, l'abus des noms nobiliaires,sans attribution de titres précis, et qui con-siste à substituer un nom de localité ou dechose quelconque à son nom de famille, il datede fort loin chez nous.

Molière s'en est assez moqué du temps, deLouis XIV.

Arnoiphe, de l'École des Femmes, avaitvoulu se faire appeler M. de la Souche, etChrysalde, l'homme raisonnable de la pièce,lui répond:

Qui diable vous a fait aussi vous aviser,A quarante-deux ans, de vous débaptiser,Et d'un vieux trou pourri de votre métairieVous faire dans le monde un nom de seigneurie?

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Quel abus de quitter le vrai nom de ses pères,Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimèresDe la plupart des gens c'est la démangeaison;Et, sans vous embrasser dans la comparaison,Je sais un paysan qu'on appelait Gros-Pierre,Qui n'ayant pour tout bien qu'un seul quattierde terre,Y fit tout à l'entour faire un fossé bourbeux,Et de Monsieur de l'Isle en putt le nom pompeux.

Arnolphe persiste, bien entendu, et répliqueChrysalde

Vous pointiez vous passer d'exemple de la sorte,Mais enfin (le la Souche est le noni que je porteJ'y vois de la raison, j' y trouve des appas,Et m'appeler de l'autre est ne m'obliger pas.

Eh bien! ce que Molière a critiqué si p lai-sannnent ici, non-seulement a continué depuislui (car la comédie fait rire, mais ne corrigeguère), mais, de plus,a augmenté à un pointtel que c'est devenu un véritable et dangereuxabus.

Ceux qui ont ainsi pris ces dénominationsont fini par les posséder et les acquérir en quel-que sorte par habitude et par prescription. Aforce de trouver mauvais, comme M. de laSouche, qu'on les appelât de leur vrai nom,

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leurs amis, leurs connaissances, leurs voisinsse sont décidés à. leur donner ce nom qui leurplaît tant. Au bout d'un certain nombre d'an-nées, on ne les connaît plus que sous ce nom;c'est à. peine s'ils se reconnaîtraient eux-mêmes, si on les appelait de leur anciennom; ils seraient les premiers à. croire qu'ils'agit d'une autre personne. Plusieurs mêmesprendraient cette appellation pour une injure.

Il faut ajouter qu'ils sont aidés en cela,surtout dans nos provinces, par la conni-vence de beaucoup de gens de leur entour

= qui aspirent de leur côté au même but, outombent dans le même travers; et c'est ainsique pour les uns et les autres, sous la conditionde réciprocité, le nom d'emprunt devient levéritable.

Ce qui arrive aux pètes a encore bien pluslieu pour les enfants. N'ayant jamais entendunommer leurs parents que sous ce nom d'em-prunt, n'en ayant jamais connu d'autre pource qui les concerne, ils ne se doutent pasqu'ils sont Gros-Pierre ou Gros-Jean, maisse croient M. de la Souche, M. de l'Isle, ou

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une foule d'autres choses pareilles; car, pourne désigner personne, je ne fais d'autre allu-sion que celle fournie par la comédie.

Il y a bien les actes de notaire, les actesjudiciaires, et même les actes de l'état civil,où il faut énoncer le vrai nom; mais, dans leprincipe, on le fait suivre du nom d'emprunt,comme le noble patenté qui, même en dé-clarant son nom de terre ou de village, estbien obligé de faire connaïtre son nom origi-naire de famille, pour que l'on ne puisse seméprendre sur l'individu; et, à la longue, lesuns et les autres suppriment même le nom defamille dans les actes, pour ne laisser que lenom de terre ou de distinction. Cela arrivesurtout très-fréquemment à ceux qui aban-donnent leur lieu de naissance pour habiterles grandes villes, où ils ne sont pas connus,et où leur nom nobiliaire n'est contesté depersonne.

Il est certain que cette manie étant devenuegénérale ou au moins très-commune, il en ré-sulte de très-grandes difficultés pour suivre lesfiliations, pour reconnaître les parentés, sur-

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tout en ligne collatérale, et pour attribuer parsuite les successions dans cette ligne. Cet i ncon-vénient est bien plus fréquent par l'effet dedénominations nobiliaires ainsi ajoutées, quepar l'effet de faux titres qui ne sont toujoursqu'une exception relativement aux autres.

Cet abus gagne tellement que ceux mêmedont les ancêtres s'étaient fait appeler dansl'origine Dubois, Duval, 1)elabarre, Dela-haye, etc., sans intention préméditée d'ano-blissement, signent aujourd'hui du Bois, duVal, de la Barre, de la llaye, etc.

Par la même raison, ceux qui n'avaient pasde particule à leur nom l'ajoutent sans façon etse donnent très-facilement toutes les apparen-ces de la noblesse; car la petite noblesse, celledont j'ai parlé plus haut, ne prenant pas laI)lUPa1't du temps ses titres inférieurs, on peutcroire que messieurs les bourgeois se disantgentilshommes appartiennent à celle-ci, et il esten réalité fort difficile d'en faire la distinction.

il n' en peut guère être autrement, quand nousvoyons que ceux qui possèdent ces noms plussonores, et leurs enfants qui y succèdent, sont

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plus considérés dans le monde que ceux quiont conservé leur nom plus modeste, et qu'ilsont plus de facilités à obtenir les faveurs desgouvernements à toutes les époques. Combieny a-t-il de familles dont les noms d'empruntont fait le principal mérite, et dont les diffé-rents membres sont arrivés aux places et auxfonctions lucratives par suite de la bienveil-lance attachée à ces dénominations plus bril-lantes? Combien n'ont eu d'autre titre à desunions matrimoniales fort avantageuses? Tantil est vrai que nous sommes dans tous les tempsdupes des apparences et des qualités imagi-naires!

Sans doute, pour beaucoup, le mobile deces changements ou altérations des noms estune puérile et ridicule vanité; mais pour uncertain nombre aussi, c'est l'intention de sedistinguer de ses égaux et de s'élever au des-sus d'eux, c'est le désir de se créer une sortede supériorité ou de prééminence sur ceux quiles entourent, c'est le mépris de l'égalité, etun sentiment de dédain à l'égard de ceux quisont restés roturiers en conservant le nom

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primitif qu'ils ont reçu de leurs pères. Eh bien!ce mépris du principe de l'égalité, cette affec-tation d'une orgueilleuse supériorité ou mêmecette manifestation d'une ridicule vanité doiventêtre réprimés, dans une société démocratiquebien ordonnée.Que l'on n'oublie pas que la plu-part de ceux qui se sont attribué les apparencesde la noblesse ont toujours fait gloire de serattacher à l'aristocratie et d'en partager lesopinions et les tendances.

Il y a, d'ailleurs, dans cette manière d'agirune infraction à la loi qui permet les change-ments de nom (celle du 11 germinal an XI),et qui par conséquent les défend quand sesconditions ne sont pas accomplies. Cette loi aété faite dans des vues d'ordre et de justicesociale qu'il ne faut pas méconnaître. Cetteinfraction doit également être réprimée.

On conçoit de suite que la prohibition etle moyen de répression qui s'appliqueront àl'emploi des noms nobiliaires embrasseronttout naturellement les usurpateurs des titresnobiliaires, ces individus ne manquant jamaisde prendre un nom tiré d'une terre ou d'une

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autre chose quelconque, à la suite de leur pré-tendu titre de noblesse.

Toutefois, sur ce point, il conviendra sansdoute de réviser et de compléter la loi du 6fructidor an li sur les noms.

Cette loi disposait dans son article 1: Au-« cun citoyen ne pourra porter de nom ni de« prénom autres que ceux exprimés dans son« acte de naissance. Ceux qui les auront quittés« seront tenus de les reprendre. »

Dans l'art. 2 u il est également défendu« d'ajouter aucun surnom à son nom propre,« à moins qu'il n'ait servi jusqu'ici à distin-

guer les membres d'urte même famille, sansrappeler des qualifications féodales ou no-biliaires4.On pourrait continuer les mêmes disposi-

tions, qui ne sont pas d'ailleurs abrogées, aumoins quant à la prohibition des qualifications

t Si cet article 2 n'a proscrit que les qualifications nobi-liircs, c'est qu'à cette époque les ci-devant roturiers se ear.daiciit bien de prendre des dénominations nobiliaires, ou dumoins de les tendre apparentes par la manière d'écrire leur110111,

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féodales, en remplaçant les derniers mots del'article 2 par ceuxci : « sans que l'on puisse

dans aucun cas rappeler des qualificationsféodales, et sans que l'on puisse non plusprendre ou rappeler des dénominations no-

» biliaires, à moins qu'elles n'aient été auto-risées d'une manière perpétuelle par les

û lettres d'anoblissement, ou par l'arrêté« permettant le changement de nom.

On peut se demander seulement si les fa-milles, nobles ou non, qui se sont attribué desdénominations nobiliaires depuis un tempsplus ou moins éloigné, seraient obligées, dansle système que je propose, de reprendre leurnom primitif; car cela ferait une granderévolution dans ces familles. En voyant leursnoms brillants, et même souvent magnifiques,on s'est habitué, par un préjugé qui n'est quetrop naturel, à les considérer comme de hautset puissants seigneurs, tout au moins commede grands et respectables personnages; et onserait tout étonné, en les revoyant avec leurnom véritable, de les trouver des êtres orga-nisés comme tous les autres, et n'ayant pas

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plus de valeur réelle que la plupart des autreshommes. Ils ressembleraient à ces grandeursdéchues dont parlent les orateurs sacrés, quiaprès leur mort sont dépouillées de leurs ti-tres, de leurs couronnes, de leurs blasons, etde tous leurs autres ornements, et ont à peineun nom dans le monde.

Tous les nobles, dans notre pays, surtoutceux élevés en pouvoir et en dignité, ont prisen général des noms tirés de leurs terres ou deleurs possessions. Nous ne pouvons retrouverleurs noms primitifs après un certain temps;mais nous en avons encore la possibilité pourbeaucoup de ceux qui ont été anoblis sousLouis XLV, et qui ont joué un certain rôle sousson règne.

C'est ainsi que nous savons que le fameuxmarquis de Louvois était simplement Letel-lier, que le comte de Pontchartrain était Plie-lypeaux, que le marquis de Torcy était unColbert, fils d'un frère du grand Colbert; tan-dis que celui-ci, et dans l'histoire et dans leslivres de généalogie , a gardé son nom defamille.

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Sous Louis XV ou son successeur, nousvoyons le duc de la Vrillière et le comte deMaurepas qui étaient aussi des Phelypeaux,car cette famille, comme beaucoup de famillesroturières anoblies, s'était avancée par lescharges et les emplois aux plus hautes qualifi-cations de la noblesse; le marquis d'Argensonétait Voyer; le comte de Belle-Isle, Fou-quet; d'Epremenil, Duval; de MiromesnilHue, etc.

Je ne cite ici que des individus qui ont laisséquelque trace dans l'histoire. ii y en a desmilliers d'autres dont l'anoblissement a passéinaperçu. J'avoue que les descendants de cesfamilles anoblies seraient bien amoindris, di-sons-le même , bien dégradés, s'ils étaientobligés, par l'abolition de la noblesse ou leréglement seul des dénominations, de repren-dre leur nom originaire de Denis, Pasquier,Lefebvre, etc. J'avoue aussi que ceux mêmequi, sans avoir possédé effectivement la no-blesse, s'en sont arrogé toutes les apparencesen prenant des noms nobiliaires, seraient biencruellement affectés s'il leur fallait renoncer à

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ces dénominations auxquelles ils attachenttant d'importance.

Il le faudra bien pourtant, si l'on veut réta-blir de la régularité dans cette partie de nosrelations sociales. Toutefois, on ne le feraitqu'avec les ménagements que la nature deschoses comporte; et, de même que la noblessedans l'ancien droit était réputée s'établir suf-fisamment par une possession de cent ans 1,

pendant lesquels la même famille avait vécunoblement, de même la famille qui auraitporté pendant cent ans un nom nobiliaire, parelle substitué à son nom propre et naturel,aurait acquis celui-là par une sorte de pres-cription et serait autorisée à le conserver. Ilen serait de même, évidemment, des noblesvéritables, qui ont pris leur nom actuel deterres qu'ils ne possèdent plus'. Ils pourraient

1(te jurisp., vt'rbo NOBLESSE, § 6 et 7.Lorsqu'un individu était créé marquis par exemple, et

qu'une terre à lui appartenant était érigée in marquisat, iln'éLai en réalité autorisé (à moins d'une déclaration expressedu roi permettant le changement de nom) à prendre le nom,ou pour mieux dire le surnom de la terre, que pendant saPossession ; et celui qui achetait ensuite la terre pouvait s'en

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le garder, si depuis cent ans ils jouissaientde cette dénomination.

C'est donc, comme on peut voir, au nomqu'il faut s'attacher dans l'examen des ques-tions sérieuses résultant du rapport de M. leMinistre de la justice d'avril dernier; c'est lenom qu'il faut défendre de tous les envahisse-ments que tant d'individus veulent en faire pourse donner une apparence nobiliaire. C'est aunom nobiliaire, en un mot, qu'il faut viser,parce qu'il comprend toutes les autres usur-pations et avant tout celle de la noblesse, etqu'en réprimant la prise illicite du nom nobi-liaire on pare à tous les autres abus.

Quel sera le moyen de répression? Ce nesera sans doute pas la prison, comme la pro-nonçaient la loi de l'aim Il pour l'emploi de qua-lifications nobiliaires, et le Code pénal de 1810pour l'usurpation de titres de noblesse. Unepeine aussi rigoureuse et aussi dispropor-tionnée avec la nature du délit serait rarement

intituler seigneur, mais sans prendre à son tour la qualifi-cation de marquis, propre au précédent propriétaire on àsa famille. Répert. (lejurisp., verbo iuRQuls.—fdem, COMTE.

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appliquée. Je serais d'avis que l'on revînt ausystème des amendes, telles que les établissaitla loi du 27 septembre - 16 octobre 1791,contre ceux qui prenaient des titres de no-blesse alors abolis; ces amendes étaient, si onveut bien se le rappeler, pour chaque contre-venant, de six fois la valeur de sa contributionmobilière. Ce taux pourrait être maintenu.

Mais, suivant moi, ce ne serait pas le rece-veur de l'enregistrement qu'il faudrait chargerde constater les contraventions, comme lefaisait cette loi de 1791 ; on ne prendrait pasces fausses dénominations dans les actes, aumoins jusqu'à ce que le nom d'emprunt seserait bien implanté, et le receveur de l'en-registrement, changeant souvent de résidence,ne saurait jamais s'il doit absoudre ou con-damner le nouveau nom.

L'amende étant basée sur la valeur de lacontribution, il vaudrait mieux que ce fût lecontrôleur des contributions qui fût chargéd'en reconnaître les causes; par suite, il por-terait au rôle des conttibutions ceux qui l'au-raient encourue, et elle se percevrait de la

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même manière. La noblesse d'emprunt seraitainsi soumise à la taille, à raison de ses pré-tentions. Ce serait la meilleure et la plusjuste punition à lui infliger. D'ailleurs, cetteamende-contribution aurait pour objet d'in-demniser l'État des droits de sceau qu'il auraitperçus si'les anoblissenenis usurpés s'étaientfaits réellement.

On peut être sûr que personne parmi lesdélinquants n'échapperait à la peine. Les con-trôleurs des contributions rechercheraient lescontraventions avec le même zèle qu'ils re-cherchent les autres choses imposables. Ce neseraient pas les tribunaux qui jugeraient ceuxqui voudraient s'y soustraire; ce seraient lesconseils de préfecture, comme en toute ma-tière d'impôt. rfOUtCS les preuves seraientbonnes pour constater le fait, les cartes de vi-site, les lettres de faire part pour mariage ounaissance, où cette tendance se révèle et sedémontre le plus souvent, etc. ; en un mot,ces conseils décideraient d'après leur convic-tion et agiraient comme jurés.

Sans doute, comme on l'a déjà dit, tant que

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le décret qui rétablit la noblesse serait main-tenu, ceux qui pourraient justifier par leursparchemins, ou par une longue et incontestablepossession, de leur noblesse petite ou grande,et de leur droit à porter le nom dont ils jouis-sent présentement, ne seraient pas atteints;mais leur nombre comparé aux usurpateurs desnoms nobiliaires, avec ou sans attribution detitres de noblesse, ne serait pas considérable.

Il va sans dire aussi que ceux qui ont reçude leurs pères des noms nobiliaires par destendances et des prétentions personnelles àceux-ci, et à qui on ne pourrait rapporterd'autre nom, devraient être exemptés de l'a-mende, s'ils abjuraient des sentiments con-traires à l'égalité, s'ils abandonnaient la par-ticule distinctive ou se décidaient à écrireleur nom sans aucune affectation nobiliaire.

Quant à ceux qui même après avoir étéinscrits au rôle des contributions pour cette

t La défense de changer de nom sans la permission (luroi renfermait, dans l'ancien droit, celle d'ajouter sans lamême permission au nom que l'on portait l'article de ou du.(&perL de jurisp., verbu NOM, § 3.) U en est de même au-jourd'hui.

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cause, pendant un an, persisteraient dans lamême tendance, et préféreraient payer l'impôtannuellement plutôt que d'abandonner un nomqui a pour eux tant d'appas, le fait du chan-gement ou de l'altération du nom serait con-staté d'une manière patente, et l'on pourraitretrouver très-facilement, quand on y auraitintérêt, la famille à laquelle ces individusappartiendraient. En même temps le trésorpublic s'enrichirait aux dépens de leur vanité.

J. GIRARD.

P. S. Depuis que cet écrit a été livra à l'impression, UflC

circulaire du Ministre de la justice enjoint à tous tes magistrats de ne prendre d'autre nom, titre et particule que ceuxqui sont portés dans leur acte de naissance. Si une pareillecirculaire était adressée par les autres ministres à leurs su-bordonnés, ce serait déjà un commencement d'amélioration, etbien des personnes appartenant aux diverses adinui)stratiouspubliques se trouveraient ds,wbilisées.

Mais il faut alter plus loin; car beaucoup d'actes de nais-sauce, par les rn'tifs que j'ai donnés, contiennent des énon-ciations de hotus OU de surnoms nobiliaires ajoutés auxnoms propres, et qui ne peuvent conférer de di-oit aux en-fants. D'ailleurs le remède au niai dont on se plaint ne peutexister que par une loi s'appliquant à tout le inonde et par-lant d'une manière impérative ce remède est indiqué sur-tout aux pages 27, 28 et suivantes de cet écrit.

PARIS — IMPRIME CHEZ ROIrAYEN'TCRS ET OUCESSOIS,55, quai us AUGUSTINS.