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Danser a capella…8 être quelque chose de plate. Je m’en foutais. Je voulais juste être différent. Bon. J’ai maintenant vingt-sept ans, pis je veux encore être unique ! Sauf

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Ce n’est pas précisément un recueil de nouvelles.

Appelons plutôt ça un recueil de monologues dynamiques, conçus pour la scène, mais lisibles dans le confort reposant de son foyer.

Danser a capella, c’est sept personnages délicatement marginaux qui se livrent en vrac, ne lésinant pas sur leur désarroi ordinaire et ludique. On côtoie entre autres un caissier de Jean-Coutu cos-tumé en chauve-souris qui tente de séduire un vampire, un v.-p. de boîte d’assurance pris de compassion pour une danseuse vedette peinturée dans un coin en pleine entrevue télévisuelle, une femme en peine d’amour qui fuit en Russie et participe à un marathon sur talon aiguille, sans oublier cet homme, ce Simon, alter ego de l’auteur, qui révèle comment il a perdu la foi, en muant live en plein cœur de son solo chanté à l’église paroissiale, devant les fi dèles consternés.

Sept monologues, donc, qui donnent viscéralement envie de dan-ser et de courir jusqu’à l’épuisement, mais surtout de vivre son unicité jusqu’au bout. Qu’il y ait musique ou pas.

ISBN - 978-2-923553-11-5

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Simon Boulerice

Danser a capellaMonologues dynamiques

Ta mère

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Conception graphique : Benoit TardifRévision linguistique : Maude Nepveu-VilleneuveDirection littéraire : Maude Nepveu-Villeneuve et Maxime RaymondInfographie : Rachel Sansregret et Benoit Tardif

Achevé d’imprimer en septembre 2012, à Gatineau.Bibliothèque et Archives nationales du Québec - 2012Bibliothèque et Archives du Canada - 2012ISBN (PDF) - 978-2-923553-35-1

© Éditions de Ta Mère

www.tamere.org

Nous remercions de son soutien le Conseil des Arts du Canada, qui a investi 20,1 millions de dollars l’an dernier dans les lettres et l’édition partout au Canada.

We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts which last year invested $20.1 million in writing and publishing throughout Canada.

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Quand j’étais petit, que j’avais genre huit ans, je rêvais de saigner du nez. Pour moi, c’était quelque chose de rare. Quelque chose de différent. À l’école, ça arrivait pas souvent que quelqu’un saigne du nez. Pis quand ça arrivait, c’était comme si la Terre arrêtait de tourner. La prof paniquait. Appelait une autre prof avec une voix de désarroi. L’autre accourait. Pis les deux s’obstinaient.

« Y faut qu’y penche sa tête par en bas, pour que le sang coule. Non ? »« Ben non, y faut qu’y la penche par en arrière. Pour éviter que le sang coule. Franchement. »« Je pense pas. »« Ben moi, je pense que oui. »« Le méchant, faut que ça sorte. »« Tu le sais pas, si c’est du mauvais sang. C’est peut-être du très bon sang. C’est mieux de garder son sang dedans. C’est comme si t’encourageais une hémorragie ! »

Je voulais tellement saigner du nez pour que les profs et les élèves s’activent autour de moi. Qu’ils me fassent tous un passage, comme un genre de haie d’honneur. Que je représente une urgence.

Je me rappelle qu’une fois, j’avais un petit rhume, et je m’étais mis à me moucher plus fort

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que nécessaire, pour provoquer un saignement nasal. J’avais distingué trois petits points rouges de sang dans mon kleenex. Ça y était. Mon hémorragie interne était enfin commencée. Je m’étais mis à me moucher de toutes mes forces. À m’en éclater l’aile du nez.

Pis là, j’avais senti quelque chose se déchirer. J’avais brisé le cartilage, j’en étais sûr. Je pensais me vider à grande eau. Je m’imaginais une saignée nasale. J’allais être au cœur d’une urgence. J’allais être un cas unique !

Je me disais en boucle : « Regardez comment je saigne ! Regardez comment je saigne ! Regardez comment je saigne ! »

J’avais regardé dans mon kleenex. Il y avait une petite ligne de sang, dans la morve. Très petite, mais tout de même, ça ressemblait vraiment à du sang, et ça provenait de mon nez. Je m’étais mis à sourire de bon cœur. J’étais allé voir ma professeure pour lui montrer l’œuvre dans mon kleenex. Je voulais tellement l’alarmer. Qu’elle scinde la classe, qu’elle pousse les pupitres sur mon passage. Qu’elle fende le groupe comme Jésus séparait la mer Rouge. C’est Moïse ou Jésus qui a fait ça ? Difficile à dire. Ils sont tellement semblables, ces personnages-là…

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En tout cas. Ma prof avait rien fait. Rien pantoute. Elle s’était juste indignée.

« Pourquoi tu me montres ça, Ambroise ! ? »Oui, je m’appelle Ambroise. C’est particulier, hein ? Mais j’aime ça. Je trouve ça farfelu. Ça fait différent des noms qu’on entend généralement.

En tout cas. Ma prof était pas particulièrement charmée par mon prénom.

« Pourquoi tu me montres ça, Ambroise ! ? »« Y a du sang. C’est forcément grave. »

J’étais allé piteusement jeter mon kleenex dans la poubelle, pis j’étais retourné à mon pupitre. La classe s’était pas fendue pour moi. Personne avait bougé. Y avait juste deux trois collègues de classe qui avaient ri. C’est tout.

Saigner du nez m’aurait démarqué des autres. On m’aurait catalogué : « ce gars-là saigne du nez », pis ça m’aurait sorti du lot. J’aurais été un cas. Parce que tout ce que je voulais, au fond, c’était être différent. Jouir de quelque chose d’unique. Mon plus grand souhait, secrètement, c’était de figurer dans le Livre des records Guinness. Être le meilleur dans quelque chose. N’importe quoi, là. Ça me dérangeait pas. Ça pouvait très bien

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être quelque chose de plate. Je m’en foutais. Je voulais juste être différent.

Bon. J’ai maintenant vingt-sept ans, pis je veux encore être unique ! Sauf que jusqu’à il y a une heure, j’avais plus ou moins réussi. Je m’explique : je suis réceptionniste à la Caisse populaire d’Hochelaga-Maisonneuve (quartier où j’ai grandi, d’ailleurs), je suis célibataire depuis pas mal vingt-sept ans, j’ai une vie sexuelle qui frôle l’inexistence, et mon activité la plus folle de la journée, c’est quand je fais le pont dans le bain, le matin, en prenant ma douche. (J’utilise le mur de carrelage pour descendre… Ça travaille la flexibilité de mon dos.) J’ai pas d’enfants, pas de chum, pas d’allégeance politique. J’ai pas grand-chose. J’ai une vie crissement plate.

Mais hier nuit, ma vie a pris un tournant unique. Enfin. Je suis allé dans le party de Noël du bureau. Je dois dire que j’aime beaucoup les partys de Noël. Les femmes sentent le spray net pis la vanille, les hommes sentent l’after-shave pis la menthe au chocolat, pis j’ai toujours trouvé que le mélange de toute ça, ben ça sentait Noël. Pis j’aime beaucoup Noël.

J’ai bu pas mal, pendant le party. J’avais apporté une grosse quille de Tornade aux baies

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sauvages. J’avais jamais bu ça de ma vie. C’était vraiment un guess. J’aime pas le vin pis la bière. J’aime juste l’alcool sucré. Faque Francine, la fille qui dépouille les enveloppes des guichets automatiques le matin, m’a conseillé ça, la Tornade ! Elle m’a dit : « C’est sucré, pis ça coûte pas cher ! Je bois tout le temps ça. » Faque j’ai fait comme elle. Eille, l’an passé, ça m’a coûté câlissement trop cher en drinks de fille. Tout le monde apporte leur vin ? Ben Francine pis moi, on s’est apporté une grosse Tornade aux baies sauvages !

J’avais fait exprès de pas manger beaucoup pour que ma Tornade aux baies sauvages fesse pas mal, pour qu’elle fasse des ravages sur son passage, partout dans mon corps. Eille, je me saoule rien qu’une fois par année, faque laissez-moi mon party de Noël du bureau. Y’était pas encore dix heures, pis j’étais ben ben funny. J’avais déjà toute calé ma quille de Tornade aux baies sauvages. Faque quand on m’a demandé de faire la roue, comme chaque Noël, je me suis pas fait prier. Faut dire que quand je bois, j’ai une pudeur très limitée.

« Ambroise ! La roue ! Ambroise ! La roue ! Ambroise ! La roue ! » « OK, OK. M’a la faire. »

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Après ça, c’était la split.

« Ambroise ! La split ! Ambroise ! La split ! Ambroise ! La split ! » « OK, OK. M’a la faire. »

Pis on finissait tout le temps avec mon classique : le pont.

« Ambroise ! Le pont ! Ambroise ! Le pont ! Ambroise ! Le pont ! » « Mais il me faut un mur pour descendre… »« Prends une chaise ! ! ! ! »« OK, OK. M’a le faire avec une chaise. »

Quand je bois, je fais souvent des folies. Mon élégance a tendance à aller prendre une ‘tite marche pis à me laisser tout seul. Pis je deviens hyperémotif. Je braille pour pas grand-chose, je me pends au bras de tout le monde, sans distinction aucune, pour leur dire que je les trouve importants dans ma vie. Que moi, Ambroise Masson, j’ai beaucoup d’affection pour eux. Pis surtout, je réalise que je me sens tu-seul. Que j’aimerais ça avoir quelqu’un dans ma vie. C’est ce que je dis à mes collègues, un par un.

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« Paul : tout ce que je veux pour Noël, au fond, c’est quelqu’un qui m’aime. » « Chantal : tout ce que je veux pour Noël, au fond, c’est quelqu’un qui m’aime. »« Francine : tout ce que je veux pour Noël, c’est quelqu’un qui m’aime. »

Je suis pas fou, tsé, je le vois ben que les autres finissent par me trouver lourd. Faque je finis toujours la soirée du party de Noël du bureau en boule dans un coin, parmi les cadeaux, en dessous du sapin. Pis je murmure tout bas, avec un gros chou que je me suis collé préalablement sur le front : « Prenez-moi. Prenez-moi. » Un peu comme Kate Winslet dans Titanic, quand elle murmure « Y a moi. Y a moi. »

Pis, heureusement, y a tout le temps quelqu’un qui se décide à me prendre. Mais c’est juste pour me relever, pis me donner un ‘tit peu de dignité. Je m’en fous, de la dignité. Un gars qui fait le pont sur commande dans un party, ça se câlisse très certainement de préserver sa dignité.

Cette année, c’est Paul qui m’a pris. Paul, c’est notre meilleur conseiller financier. Mais y’est pas particulièrement beau. Mais ça on s’en fout. Au moins, y m’a pris. Y m’a pris, pis y m’a amené sur une chaise. Toutes les chaises étaient placées

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en rond. Paul m’a annoncé qu’on allait jouer à la mitaine chaude. J’adore jouer à la mitaine chaude. J’adore pas mal toutes les jeux, mais j’adore particulièrement la mitaine chaude ! L’idée, avec la mitaine chaude, c’est qu’y faut déballer un cadeau avec des mitaines à four. On est une gang pis on fait un gros cercle. On a genre 30 secondes chacun, pis quand tu réussis pas, ben tu le passes à ton voisin. Le cadeau a genre 30 épaisseurs de papier d’emballage. Ça fait que c’est pas évident à déballer. Surtout avec des mitaines à four. Pis surtout quand t’es saoul. Tout le monde était pas mal poche. J’ai eu la chance d’être le dernier. Faque quand le cadeau est arrivé à moi, y’était pas mal déjà toute déballé. Je voyais que ça ressemblait pas mal à un CD avec, dessus, une fille à genoux, dans’ neige, dans un suit sexy. Un suit de Noël. Une genre de Mère Noël, mais un peu cochonne, genre. Avec mes grosses mitaines à four, j’ai réussi à toute arracher le papier d’emballage, pis, ben, j’ai gagné le cadeau !

C’était un vieux CD de Noël de 1994 intitulé Merry Christmas de Mariah Carey. Honnêtement, j’ai jamais vraiment aimé Mariah Carey. Faut dire qu’elle m’a toujours gossé pas mal avec sa voix d’ultra-son, pis ses moves de main quand elle atteint ses notes agaçantes. J’ai passé mon adolescence à rire de ses cris, pis à mimer que je

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saignais des oreilles quand elle chantait à la radio. C’était mon tout premier CD d’une chanteuse à voix, pis ça me faisait ben rire.

Je suis pas rentré chez moi en taxi tu-seul. Je suis pas rentré avec Paul. Non, je suis rentré avec Mariah Carey ! À la maison, j’ai déballé le CD de Mariah, pis comme je me sentais encore ben tu-seul, je l’ai écouté. Je me suis dit : « Ça va peut-être me dessaouler. » Pis, ben, y m’est arrivé quelque chose d’un peu weird. Quand la toune All I Want For Christmas Is You a retenti dans mon haut-parleur, je me suis mis à brailler. Je braillais, je braillais comme une vraie Marie-Madeleine. Je braillais, même si c’est contre mes principes auditifs d’être ému par Mariah Carey.

Un moment donné, en m’essuyant avec le revers de la main, j’ai réalisé que j’avais les jointures pis les doigts toutes rouges. J’ai freaké, j’ai couru devant un miroir, pis c’est là que j’ai catché que je braillais du sang. Je pleurais du sang, comme Jésus sur la croix. Je badtrippais solide. Quand la toune a arrêté, j’ai arrêté de brailler du sang. J’ai écouté le reste de l’album sans qu’y se passe quoi que ce soit de pas normal. J’ai fini par rire de tout ça. Je pouvais pas avoir braillé du sang. J’étais juste trop fatigué. J’avais bu un peu trop de Tornade. J’ai écouté chacune des autres tounes de

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l’album en souriant, impressionné par leur inutilité systématique. Pis après la dernière chanson du CD, j’ai remis All I want For Christmas Is You. Pis imaginez-vous donc que j’ai recommencé à brailler. Encore du sang. C’était ben tannant. À l’écoute de cette voix pleine d’entrain pis de trémolos, surgissant d’un flot de clochettes, de tambourine, de synthétiseur, de batterie, je me liquéfiais. Je perdais mon sang. Ça faisait pas mal, rien. Je veux dire, c’est pas comme si j’étais blessé des yeux. Genre qu’on m’avait rentré des aiguilles dedans. Non. C’était juste des larmes. Des larmes de chagrin. Des larmes de gars ému. C’était juste très gênant que ce soit Mariah Carey qui me fasse ça.

J’ai eu un drôle de réflexe. Dans Google, j’ai eu l’idée de taper « pleurer du sang ». Je suis tombé sur des sites de paranormal pis de religieux. C’est là que j’ai appris que le Christ a pas vraiment pleuré du sang sur la croix. C’était le sang de son front percé d’épines qui lui coulait sur les joues. Partout, on racontait que dans l’histoire de pleurage de sang, c’était surtout les statues de la Vierge qui étaient bonnes là-dedans. J’ai fait des recherches très très poussées (j’ai passé genre trois heures là-dessus). OK, plusieurs cas étaient des canulars. Mais d’autres se pouvaient ! Entre autres, un cas particulièrement intéressant. Le 1er novembre 1994, aux alentours de midi, dans un

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jardin derrière une chapelle de Long Island aux États-Unis, une statue de la Sainte Vierge s’est mise à brailler rouge, comme moi.

C’était écrit que « de nombreux témoins ont pu observer ce phénomène en direct. Mgr Grillo, un évêque de la région, s’est rendu sur les lieux. La statue s’est mise à pleurer alors qu’il la tenait dans ses mains. Il l’a ensuite confiée à des scientifiques qui l’ont examinée minutieusement et qui n’ont trouvé aucun trucage ! »

J’ai continué ma recherche. 1er novembre 1994 ? Long Island ? Tout convergeait vers Mariah Carey. Sur Wikipédia, j’ai appris qu’elle était née à Long Island. C’est pas tout ! Elle a lancé Merry Christmas le 1er novembre 1994, à midi ! Ça pouvait pas être une coïncidence ! C’étaient des signes. Des genres de signes qu’on appelle « divins ».

Je me suis dit : « OK. Quelqu’un tente de me dire quelque chose. Je suis un privilégié. Un élu, peut-être ? Peut-être que la Vierge veut se réincarner dans mon corps de puceau de vingt-sept ans ? »

Bon, OK, puceau, c’est vite dit. Mais j’ai pas fait grand-chose. J’ai une espèce de pureté, moi aussi. Un genre d’auréole. Y a une lumière qui émane

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de moi. C’est ça que Francine me dit souvent. Je suis super fin. Je travaille bien. Mes collègues me trouvent toujours de bonne humeur. Je pourrais être un élu, non ?

Mais au cas où j’en étais pas un, pis que ça soit grave, j’ai appelé à Info-Santé. La madame était pas très positive. Elle m’a pas mal obligé à aller à l’hôpital. Elle trouvait ça inquiétant. Faque j’ai sauté dans un taxi.

À l’hôpital, y m’ont passé tout de suite. J’étais une urgence, y paraît ! J’ai passé le restant de la nuit pis toute la matinée en observation. Mon médecin, Dr Blouin qu’y s’appelle, m’a donné mon diagnostique tantôt : je souffrirais de saignements oculaires. Ouin. Y paraît que je suis allergique à la Tornade. C’est ça que la batterie de tests a déterminé. L’ordonnance de Dr Blouin : ne plus boire de Tornade. Juste ça. Je lui ai parlé de Mariah Carey. Lui ai dit que seule une chanson me faisait pleurer. Y m’a dit que c’était sans doute parce que la chanson m’émouvait. Que la voix de Mariah Carey me faisait pleurer. J’y ai dit que j’aimais pas sa voix. Pis y m’a dit : « Ben d’abord, c’est les mots de la chanson qui doivent avoir une résonance chez vous. »

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« All I want for Christmas is you. »« Tout ce que je veux pour Noël, c’est toi. »

Je suis un cas unique. La combinaison de mon allergie à la Tornade et de la toune de Noël de Mariah Carey qui m’émeut me fait pleurer du sang. Tout à l’heure, j’ai écrit une lettre au Livre des records Guinness, en Angleterre. Eille, c’est loin quand même, cette affaire-là. Ça m’a fait penser à quand je postais une lettre au père Noël au Pôle Nord. J’écrivais le code postal HOH OHO sur l’enveloppe, pis quelques semaines après, le père Noël me réécrivait.

J’attends la réponse des records Guinness. C’est écrit sur leur site que « la commission des records se déplace toujours là où une tentative d’établir un record a lieu, sans distinction. » Faque y a des juges anglais qu’y vont venir me voir, dans mon Ho-Ma. Pour voir si c’est vrai que je peux saigner des yeux sur commande. J’ai pas encore eu de réponse, mais c’est normal. C’est le temps des Fêtes. Les bureaux des records Guinness doivent être fermés. Mais quand y vont revenir de leurs vacances, c’est sûr qu’y vont venir me filmer à’ maison. Je vas boire de la Tornade, pis je vas écouter All I Want For Christmas Is You. Pis je vas brailler des larmes de sang. Pis y vont capoter. Y vont me mettre dans le Livre des records Guinness ipso facto. Ambroise Masson dans le Livre des records Guinness.

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Ce n’est pas précisément un recueil de nouvelles.

Appelons plutôt ça un recueil de monologues dynamiques, conçus pour la scène, mais lisibles dans le confort reposant de son foyer.

Danser a capella, c’est sept personnages délicatement marginaux qui se livrent en vrac, ne lésinant pas sur leur désarroi ordinaire et ludique. On côtoie entre autres un caissier de Jean-Coutu cos-tumé en chauve-souris qui tente de séduire un vampire, un v.-p. de boîte d’assurance pris de compassion pour une danseuse vedette peinturée dans un coin en pleine entrevue télévisuelle, une femme en peine d’amour qui fuit en Russie et participe à un marathon sur talon aiguille, sans oublier cet homme, ce Simon, alter ego de l’auteur, qui révèle comment il a perdu la foi, en muant live en plein cœur de son solo chanté à l’église paroissiale, devant les fi dèles consternés.

Sept monologues, donc, qui donnent viscéralement envie de dan-ser et de courir jusqu’à l’épuisement, mais surtout de vivre son unicité jusqu’au bout. Qu’il y ait musique ou pas.

ISBN - 978-2-923553-11-5

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