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DANSE ÉVALUATION BAC maîtrise/performance PAR C. ESTIENNE Comment attribuer une note à une production artistique ? Comment passer d'une appréciation subjective et sensible à une notation objective ? Cet article s'appuie sur une recherche à laquelle une vingtaine de collègues d'Ile-de- France ont participé (1). Il dresse un bilan des résultats obte- nus afin de déboucher sur des conclusions allant vers un effort de cohérence entre les directives officielles et la spécificité de l'activité. La danse est une APSA comme les autres et doit donc s'aligner sur les directives offi- cielles qui proposent une répartition de la note selon deux modalités qui sont la maîtrise d'exécution (MEX) et la performance (PERF), sachant que le nombre de points à attribuer àlamaîtrise d'exécution ne peut être inférieur au nombre de points à attribuer au résultat de la performance (2). Sur un total de 15 points on peut donc en déduire que plusieurs solutions sont possibles : l'égalité 7,5 - 7,5. la supériorité absolue 15 (pour la MEX) - 0 (pour la PERF) ou toute autre combinaison. Le problème qui se pose autour du choix de cette répartition de points est avant tout un problème de fond : d'une part, choisir une répartition suppose que l'on est capable de la justifier : d'autre part, il s'agit de définir maî- trise et performance en danse afin de savoir pertinemment ce que l'on évalue. Maîtrise d'exécution Le texte précise que la MEX s'évalue en fonc- tion de critères définis par l'équipe pédago- gique, ces critères concernent l'ensemble des savoirs en action, notamment ceux de carac- tère technique que l'élève construit au cours de ses apprentissages (2). On peut déjà s'in- terroger sur la notion de technique en danse dans le cadre scolaire. Quel type de technique évalue-t-on en danse ? Sous quelle forme ? Quelles sont les acquisitions attendues dans ce domaine ? Quels types de contenus d'ensei- gnement prédominent à cet apprentissage technique ? Performance Elle révèle, selon les textes officiels, un ensemble de compétences stabilisées qui résultent des apprentissages. On parle alors de zone de prestation ou de réalisation pour les activités non barèmées. Cette notion semble difficile à cerner. Quelle différence y-a-t-il entre ces deux modalités ? D'un côté, des savoirs en action de caractère technique, de l'autre, des compétences stabilisées. NOTRE RECHERCHE Notre réflexion s'appuie sur des résultats obtenus dans le cadre d'un DEA en didactique des APS en 1997. Ce travail de recherche s'at- tachait à décrire les pratiques évaluatives en danse au bac en contrôle continu et par là même l'adaptation des collègues aux nou- velles modalités. Les collègues ont communi- qué les outils d'évaluation et les modalités de l'épreuve dans leur établissement. L'analyse 68 Revue EP.S n°297 Septembre-Octobre 2002 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

DANSE maîtrise/performanc ÉVALUATION BAC e

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DANSE

ÉVALUATION BAC maîtrise/performance PAR C. ESTIENNE

Comment attribuer une note à une production artistique ? Comment passer d'une appréciation subjective et sensible à une notat ion o b j e c t i v e ? C e t a r t ic le s ' a p p u i e sur une recherche à laquelle une vingtaine de col lègues d'Ile-de-France ont participé (1). Il dresse un bilan des résultats obte­nus afin de déboucher sur des conclusions allant vers un effort de cohérence entre les directives officielles et la spécificité de l'activité.

La danse est une APSA comme les autres et doit donc s'aligner sur les directives offi­cielles qui proposent une répartition de la note selon deux modalités qui sont la maîtrise d'exécution (MEX) et la performance (PERF), sachant que le nombre de points à attribuer à la maîtrise d'exécution ne peut être inférieur au nombre de points à attribuer au résultat de la performance (2). Sur un total de 15 points on peut donc en déduire que plusieurs solutions sont possibles : l'égalité 7,5 - 7,5. la supériorité absolue 15 (pour la MEX) - 0 (pour la PERF) ou toute autre combinaison. Le problème qui se pose autour du choix de cette répartition de points est avant tout un problème de fond : d'une part, choisir une répartition suppose que l'on est capable de la justifier : d'autre part, il s'agit de définir maî­trise et performance en danse afin de savoir pertinemment ce que l'on évalue.

Maîtrise d'exécution

Le texte précise que la MEX s'évalue en fonc­tion de critères définis par l'équipe pédago­gique, ces critères concernent l'ensemble des savoirs en action, notamment ceux de carac­tère technique que l'élève construit au cours de ses apprentissages (2). On peut déjà s'in­terroger sur la notion de technique en danse dans le cadre scolaire. Quel type de technique évalue-t-on en danse ? Sous quelle forme ? Quelles sont les acquisitions attendues dans ce domaine ? Quels types de contenus d'ensei­gnement prédominent à cet apprentissage technique ?

Performance

Elle révèle, selon les textes officiels, un ensemble de compétences stabilisées qui résultent des apprentissages. On parle alors de zone de prestation ou de réalisation pour les activités non barèmées. Cette notion semble difficile à cerner. Quelle différence y-a-t-il entre ces deux modalités ? D'un côté, des savoirs en action de caractère technique, de l'autre, des compétences stabilisées.

NOTRE RECHERCHE

Notre réflexion s'appuie sur des résultats obtenus dans le cadre d'un DEA en didactique des APS en 1997. Ce travail de recherche s'at­tachait à décrire les pratiques évaluatives en danse au bac en contrôle continu et par là même l'adaptation des collègues aux nou­velles modalités. Les collègues ont communi­qué les outils d'évaluation et les modalités de l'épreuve dans leur établissement. L'analyse

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de leurs référentiels ainsi que des question­naires et des entretiens ont permis de recueillir un certain nombre de données : un aperçu certes non significatif mais indicatif des pro­blèmes posés par cette répartition. À partir des documents recueillis chez les col­lègues nous nous proposons de décrire et de repérer les arrangements et les phénomènes d'adaptation des enseignants à la certification.

Trois hypothèses de travail

• La danse ne se prête pas à l'évaluation proposée. • Les enseignants, pour la plupart, adaptent leurs contenus sans pour cela renoncer à leurs pratiques personnelles. • L'évaluation reste cependant le moteur pour faire évoluer les pratiques et entraîner des efforts de réflexion. Sur sept départements (95, 78, 91, 92, 75, 94, 93), certains avaient organisé très rapidement des commissions de réflexion à propos des textes afin d'harmoniser l'épreuve, d'autres ont confié cette tâche aux équipes pédago­giques. Enfin des collègues ont procédé de manière isolée. Ainsi, notre échantillonnage est le reflet d'une grande disparité au niveau des pratiques évaluatives et de leur formalisation.

Étude en trois temps

• Un recueil de données auprès de 21 col­lègues suivi d'une analyse quantitative des référentiels. Cette analyse débouchant sur des insuffisances a nécessité une autre investigation.

• Trois entretiens ont permis une analyse de contenus afin de dégager des catégories. • Un questionnaire résulte de ces catégories. Il tend vers une vérification des tendances rele­vées précédemment. L'analyse de ces questionnaires a débouché sur un croisement des résultats afin de vérifier les hypothèses émises au préalable.

NOTRE ANALYSE

Maîtrise/Performance

Afin de contextualiser nos résultats nous avons dressé un portrait de l'évaluation de la danse d'un point de vue général en prenant pour référence les chiffres recueillis sur l'aca­

démie de Versailles par la commission de suivi académique du contrôle en cours de for­mation sur l'année 1995/96. Il apparaît que sur 2601 menus, 114 proposent de la danse (tableau 1). Elle arrive 10e sur 14 A PSA réper­toriées, avant le rugby ou le judo par exemple. La répartition MEX/PERF a été étudiée en fonction des 53 retours de fiches à l'inspec­tion académique (tableau 2). Ces chiffres se confirment dans notre étude. La majorité des collègues ont retenu la répartition entre 9 et 6 comme l'a confirmé l'étude de l'analyse des référentiels d'évaluation (tableau 3) et des questionnaires (tableau 4). Certaines répartitions sont originales et néces­sitent un calcul spécial pour ramener la note

Tableau 1. Fréquence d 'appari t ion de la danse dans les menus-bac

Tableau 2. Répartition des notes MEX/PERF

Tableau 3. Répartition MEX/PERF à l'analyse des référentiels d'évaluation

Tableau 4. Répartition MEX/PERF après analyse des questionnaires

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sur 15 points. Ces modalités sont souvent associées à des prestations individuelles et collectives. Il nous semble que les moyens et les fins se confondent, les formes de presta­tion et les façons de les évaluer prennent le pas sur une véritable définition de ces modalités. Que la prestation soit individuelle ou collec­tive il reste à savoir ce que l'on doit évaluer et comment.

Connaissances

L'évaluation sur 5 points prend des aspects très différents. D'un côté des propositions allant dans le sens de l'évaluation par le spec­tateur (comparaison de l'appréciation de l'élève avec celle du professeur) ou bien une évaluation transversale prenant appui sur les trois APS du menu-bac comme par exemple réchauffement.

Entretiens

L'analyse fait ressortir quelques divergences. Les collègues interrogées sur la signification de ces deux modalités répondent : la MEX c'est plutôt pour moi le travail d'équipe, la PERF concerne ce qu'ils font en solo. La MEX c'est plus un travail de scénario, de construction chorégraphique, la PERF c'est le niveau technique individuel. La MEX est plus dans la création, l'agencement tech­nique, la PERF en danse est collective, c'est la création du groupe, la maîtrise c'est le module individuel... L'analyse de ces unités de sens émanant chacune de personnes diffé­rentes révèle des contradictions intéressantes engendrées par cette évaluation et les modali­tés qui la composent.

Résultats complémentaires

On note également au fil de cette analyse que la nature de l'épreuve proposée est variée, tan­tôt individuelle, tantôt collective tantôt les deux. Plus de 50 9c des collègues disent éva­luer de la danse contemporaine. • Les contenus d'évaluation sont aussi très divers allant d'une gestuelle apprise à repro­duire ou à restructurer jusqu'à une création libre. La place de l'élève est importante : très impliqué dans le processus, on l'encourage, on le sollicite pour donner son avis. • Les notes aussi sont encourageantes : l'an­née dernière j'avais 12,5 de moyenne, j'ai du mal à mettre des mauvaises notes, quand je mets une mauvaise note je me justifie presque, ça va de 17-18 à 14,5, les filles qui sont à 4,5 c'est qu 'elles ne prêtent aucun intérêt il l'ac­tivité : ne respectent pas les consignes... Il semble difficile de mettre des mauvaises notes en danse, plusieurs éléments de réponses s'offrent à nous : - l'acceptation de la danse dans les menus-bac ne se fait pas toujours facilement, certains col­lègues doivent trouver des arguments pour convaincre l'équipe pédagogique, - une fois les menus proposés il faut des can­didats potentiels pour remplir les effectifs, l'encouragement par les notes obtenues l'an­née précédente peut faciliter le recrutement, - cette activité à forte connotation affective incite les enseignants à apprécier avant tout l'engagement identitaire de l'élève au détri­ment quelquefois de ses qualités techniques.

Tableau 5. Choix de la norme d'excellence

Tableau 6. Récapitulatif des pratiques évaluatives recensées sur l'échantillon et caractéris­tiques du niveau d'excellence visé

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Quoi qu'il en soit ce tour d'horizon a permis de mettre en exergue les principaux problèmes rencontrés par les collègues lors de cette évaluation.

Vers le choix d'une norme

Nous avons vu que les formes d'évaluation étaient tantôt collectives tantôt individuelles, tantôt les deux. Les contenus de cette évalua­tion sont aussi très variés, styles de danse dif­férents, gestualité apprise ou entièrement créée, composition imposée ou libre. Il nous semble que ces éléments sont détermi­nants dans le choix de la répartition MEX/PERF ainsi que dans la manière de les définir. À ce titre, la définition proposée par T. Pérez et A. Thomas (3) nous semble tout à fait claire. La MEX serait plutôt de l'ordre du pro­cessus et l'interprétation le produit. Nous en déduisons que le processus se caractérise par tout ce qui a trait à la composition et le produit à la performance. Cette dichotomie interpréta­tion/composition est d'ailleurs utilisée de manière courante dans différents référentiels (UNSS, professorat des écoles, UFR STAPS. ainsi que ceux de nombreuses collègues réper­toriées dans cette étude).

En fonction du rôle que l'on fait jouer à l'élève (danseur et/ou chorégraphe) corres­pondant à une norme d'excellence visée, c'est-à-dire le meilleur niveau pouvant être atteint en terminale, la MEX et la PERF ne seront pas caractérisées de la même manière. La répartition des points pourra, elle aussi, varier suivant les priorités que l'on aura don­nées durant le cycle (priorité à la composition ou exigences techniques importantes par exemple) (tableau 5). Le tableau tend à démontrer qu'en fonction de ces différents rôles poussés à l'extrême on sera amené à reconsidérer les modalités

d'évaluation. Il faut souli­gner que dans la majorité des cas c'est le danseur-choré­graphe qui est évalué, ce double rôle représente pour l'élève une difficulté de taille, notamment dans les solos. Les collègues regret­tent le peu de temps accordé aux élèves pour travailler leur production. Il s'agit donc de mettre en relation le temps d'apprentissage et les contenus de cette évaluation, de faire des choix. Que peut-on réellement évaluer à l'is­sue de 10 à 12 h de pratique effective (tableau 6) ?

Vers la construction d'un

référentiel

Face aux difficultés rencon­trées et constatées pour ren­trer dans le cadre de cette évaluation, nous proposons l'utilisation d'un vocabu­laire spécifique comme cri­tères d'évaluation. Les termes d'interprétation et de composition semblent s'im­poser pour construire un outil opérationnel et compris

de tous (tableau 7). La répartition des points se fera en fonction des contenus enseignés, pas de dérive possible du côté de la perfor­mance car elle ne se définit pas comme dans les autres activités. Dans le cas par exemple d'une chorégraphie apprise à reproduire l'in­terprétation sera évaluée et déclinée en cri­tères observables du type : - mémoire du rôle, - amplitude des mouvements, - respect de la structure rythmique, etc. Le rôle du danseur sera ici mis en avant. L'enseignement de la danse en EPS est spéci­fique. Les textes proposés (2) obligent les col­

lègues à avoir une réflexion qui amène des contradic­tions. Cette activité phy­sique et artistique mérite peut-être un traitement de faveur en matière d'évalua­tion afin de lui garantir un minimum de cohérence.

Corinne Estienne

Professeur agrégée d'EPS, Division STAPS ORSAY -

Paris XI.

(1) Travail mené conjointement à une recherche en cours du labora­toire EPS à l ' INRP sous la direction de B. David « Observatoire des pra­tiques évaluatives au baccalauréat ».

(2) BO n° 46 du 14/12/95. Modalités d'organisation du contrôle en cours de formation et de l'examen terminal pour l 'EPS au lycée.

(3) Perez (T.) Thomas (A.), Danser en milieu scolaire, CRDP de Nantes. 1994.

Tableau 7. Proposition d'un modèle pour aller vers un référentiel

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