134 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , AÉRIEN ET DES TRANSPORTS - 1995 LE COURTIER D'ASSURANCES MARITIMES Notre revue a décidé de consacrer, périodiquement, un numéro spécial à une profession du secteur des transports. C'est le cas aujourd'hui du courtier d'assurances maritimes. Un prochain numéro sera consacré à la profession de transitaire. Nos lecteurs trouveront dans ce numéro, un rappel de ce qu'a été le courtier juré d'assurances maritimes, et une étude sur le courtier d'assurances maritimes d'aujourd'hui. Une importante jurisprudence, inédite pour sa plus grande part, illustre cette étude. Alors que nous accueillons Gérald Duron parmi les principaux collaborateurs de cette revue, il a bien voulu rédiger cette remarquable étude consacrée au rôle et à la responsabilité du courtier d'assurances maritimes. Après avoir rappelé l'origine du courtage, notamment à Marseille, et en avoir retracé l'historique, l'auteur expose le rôle du courtier et nous donne la vision d'un professionnel. Le courtier est un juriste, nous dit l'auteur, il nous le prouve dans la deuxième partie de son étude consacrée à la responsabilité du courtier. De très nombreux cas de jurisprudence y sont étudiés. Une troisième partie est consacrée à l'étude des courtiers en Amérique du Nord et dans l'Union Européenne. Professionnel, juriste, Gérald Duron est aussi maritimiste ainsi que doit l'être avant tout, le courtier d'assurances maritimes. Même à Marseille, on ne pouvait bâtir ce numéro sans rendre hommage aux anciens courtiers jurés : "Une survivance de l'ancien régime abolie en l'année 1978". Tous nos remerciements à cet "ancien courtier juré" qui a su si bien les faire revivre ... et qui par excès de modestie a préféré rester anonyme. Le monde de l'assurance maritime pourra rester fondé sur la bonne foi si demain comme aujourd'hui et hier, les courtiers qui en sont la clef de voûte demeurent "des gens de bien" ...
1. 134 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 LE COURTIER D'ASSURANCES MARITIMES Notre revue a
dcid de consacrer, priodiquement, un numro spcial une profession du
secteur des transports. C'est le cas aujourd'hui du courtier
d'assurances maritimes. Un prochain numro sera consacr la
profession de transitaire. Nos lecteurs trouveront dans ce numro,
un rappel de ce qu'a t le courtier jur d'assurances maritimes, et
une tude sur le courtier d'assurances maritimes d'aujourd'hui. Une
importante jurisprudence, indite pour sa plus grande part, illustre
cette tude. Alors que nous accueillons Grald Duron parmi les
principaux collaborateurs de cette revue, il a bien voulu rdiger
cette remarquable tude consacre au rle et la responsabilit du
courtier d'assurances maritimes. Aprs avoir rappel l'origine du
courtage, notamment Marseille, et en avoir retrac l'historique,
l'auteur expose le rle du courtier et nous donne la vision d'un
professionnel. Le courtier est un juriste, nous dit l'auteur, il
nous le prouve dans la deuxime partie de son tude consacre la
responsabilit du courtier. De trs nombreux cas de jurisprudence y
sont tudis. Une troisime partie est consacre l'tude des courtiers
en Amrique du Nord et dans l'Union Europenne. Professionnel,
juriste, Grald Duron est aussi maritimiste ainsi que doit l'tre
avant tout, le courtier d'assurances maritimes. Mme Marseille, on
ne pouvait btir ce numro sans rendre hommage aux anciens courtiers
jurs : "Une survivance de l'ancien rgime abolie en l'anne 1978".
Tous nos remerciements cet "ancien courtier jur" qui a su si bien
les faire revivre ... et qui par excs de modestie a prfr rester
anonyme. Le monde de l'assurance maritime pourra rester fond sur la
bonne foi si demain comme aujourd'hui et hier, les courtiers qui en
sont la clef de vote demeurent "des gens de bien" ...
2. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 135 Christian SCAPEL Jacques BONNAUD
3. 136 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 DOCTRINE LE COURTIER JURE : UNE SURVIVANCE DE
L'ANCIEN REGIME ABOLIE EN L'ANNEE 1978 "Sur l'ordonnance verbale de
Monsieur le Prsident, la main droite leve Dieu, il a prt le serment
suivant : Je jure de remplir avec honneur et probit les devoirs de
ma profession de courtier jur d'assurances maritimes". Ces termes
hraldiques ne relatent pas l'adoubement d'un chevalier. Ils sont
extraits du registre des actes de prestations de serment des
officiers ministriels, tenu au greffe du Tribunal de commerce,
lequel prcise que la crmonie a lieu conformment l'arrt du 29
Germinal an IX. Et ceci se passait il y a 25 annes. Tous les
privilges n'ont pas t abolis dans la fameuse nuit du 4 aot 1789. Il
n'y a gure, le privilge du courtier jur d'assurances subsistait
encore, non sans avoir subi de nombreuses vicissitudes. Il
consistait dans un monopole confr ce professionnel par le Code de
Commerce pour la rdaction des polices d'assurances maritimes,
monopole partag thoriquement avec les notaires. Mais ces derniers -
hors le cas trs particulier de la place de Marseille - ne sont
jamais intervenus, car ils taient extrieurs au cercle assez ferm du
monde maritime et n'avaient pas la formation spcifique ncessaire .
Les charges de courtiers jurs taient, pour chaque place concerne,
en nombre limit, le numerus clausus tant fix par le Ministre des
Transports. Elles bnficiaient donc d'une certaine protection contre
une concurrence anarchique. Le courtier jur, officier ministriel,
ressentait confusment une certaine fiert de ses origines
historiques aux rfrences prestigieuses : l'ordonnance de la Marine,
oeuvre de Colbert en 1681, et la loi du 28 Ventose an IX. La magie
des mots voque le charme dsuet des vieilles gravures, car le monde
maritime a longtemps vcu dans l'exaltation d'un pass lgendaire qui
ne s'efface pas totalement, et la nostalgie de la "marine en bois"
subsiste dans l'imaginaire. Mme aprs la deuxime guerre mondiale, au
cours de runions corporatives, de brillants confrenciers ( cheveux
blancs, il est vrai) ont souvent voqu le souvenir des forts de mats
dans les ports aux parfums de vanille, et les voiles qui claquaient
au vent. Ce climat sentimental subconscient, parfois exprim dans la
dcoration des locaux professionnels, n'entrane aucun archasme dans
l'exercice des professions relevant de l'Assurance Maritime. Mais
il contribue crer une sorte de lien et gnre une communaut de pense
dans le Monde de la Mer. Le courtier jur tait trs pntr de sa
spcialisation maritime et se considrait comme incorpor dans une
sorte de club international prestigieux dont les rseaux enserraient
tout le globe par l'intermdiaire de divers corps administratifs :
experts, commissaires d'avaries, P and I clubs, etc... Son cachet
professionnel tait celui de tous les officiers ministriels
auxiliaires de Justice et confrait ses crits le caractre d'actes
authentiques ayant date certaine. On a pu dire qu'il tait "le
notaire de l'assurance maritime". Effectivement, il rdigeait
lui-mme les contrats d'assurances, o apparaissaient parfois,
parsemes, quelques clauses d'un style traditionnel dont le
pittoresque dsuet voquait le tabellion. Mais son vocabulaire,
souvent color d'anglicismes, tait bien celui d'un technicien
contemporain de l'exploitation maritime moderne. Et chaque
paragraphe, chaque terme de ses rdactions taient minutieusement
pess, de telle sorte qu'aucune interprtation ne puisse tre quivoque
ou laisse au hasard. Cette mticulosit, qui vient d'tre souligne,
tait inhrente la particularit de son statut juridique. Car le
courtier jur tait le mandataire lgal de l'assur, qualit qui
rsultait d'une jurisprudence ancienne et constante, plutt que de la
loi. En consquence, non
4. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 137 seulement il reprsentait son client pour
dfendre ses intrts, mais il se substituait lui pour toutes les
formalits et la gestion du contrat aux lieu et place de ce client
et ceci, de plein droit sans aucun mandat formel. Sa responsabilit
tait donc trs lourde, sa vigilance devait tre constante et sa
conscience professionnelle mritait le slogan : "Rigueur et qualit
du service". Ce statut juridique apportait dans la pratique un
avantage considrable pour la rapidit des transactions. Le donneur
d'ordres d'assurances tait souvent trs loign gographiquement. Ses
instructions parvenaient par courrier, tlphone ou fax. Le courtier
jur tablissait aussitt la police ou les avenants, prsentait les
documents la signature des assureurs, et les signait lui-mme, la
place de l'assur, en vertu de son mandat lgal. Il faut noter que
l'importateur/exportateur titulaire d'une police d'abonnement fait
couvrir des expditions presque quotidiennement. Point n'est besoin
d'insister sur la simplification pratique rsultant du systme. Aprs
la modification du statut du courtier, il fallut trouver une
solution dont nous parlerons ultrieurement. En vertu de la qualit
d'officier ministriel du courtier jur, la police ou ses avenants,
actes authentiques taient tablis en un seul exemplaire original
sign conserv dans la charge. Il tait dlivr des copies, certifies
conformes si ncessaire, ventuellement aussi des avenants
documentaires destins aux banques. Quand on pense la facilit, la
rapidit avec laquelle le fameux "privilge" a t aboli en dcembre
1978, on ne peut voquer sans ironie les complications (voire les
tribulations) affronter pour en arriver la nomination de courtier
jur. Il faut d'abord rappeler que le libre tablissement tait
interdit, le numerus clausus fixe par le Ministre des Transports
prohibait toute cration de charge. Il tait donc ncessaire de
racheter une charge existante, devenue vacante par dmission,
retraite ou dcs du titulaire. L'imptrant devait ensuite prsenter
une demande de nomination au secrtariat gnral de la Marine
Marchande auprs du Ministre des Transports. La nomenclature des
documents fournir comprenait 16 postes, parmi ceux-ci des titres de
comptence, et "un certificat d'aptitude dlivr par 4 notables
commerants"! L'pais dossier devait tre dpos la Prfecture qui
transmettait au Ministre. Le droulement des formalits durait
environ 3 mois, avant qu'un arrt du Ministre (publi au J.O.)
annonce la nomination, d'ailleurs subordonne la crmonie de
prestation de serment devant le Tribunal de Commerce, la main
droite leve Dieu. Mais tout n'tait pas termin! Pour tre accept
comme membre de la Chambre Syndicale, le nouveau venu devait, au
cours d'une Assemble Gnrale, subir un examen de comptence devant
ses confrres, questionn par eux. Quoique le candidat ait eu
largement le temps, pendant le purgatoire des dmarches, de rviser
ses manuels de droit maritime et les commentaires sur les lois les
plus rcentes, il savait n'tre pas l'abri d'une question insidieuse
mettant mal son amour-propre. Mais la lgre inquitude de la veille
d'armes tait compense, en fin de sance, par la convivialit d'un
champagne. Tout ce formalisme compliqu fut donc supprim par la loi
n 1170 du 16 dcembre 1978 qui modifiait le statut juridique des
courtiers jurs d'assurances maritimes, et par voie de consquence
mettait fin leur monopole privilgi. La rumeur prtend que, lors du
vote, l'Assemble Nationale tait constitue par douze dputs, la
question ne passionnait gure l'opinion publique. Le privilge des
courtiers jurs avait vcu, ceux-ci devenaient des courtiers
ordinaires rgis par le droit commun. Il est vrai que la France
devait se mettre en harmonie avec les autres pays de la CEE o le
courtage tait libre. Il est vrai aussi que les courtiers jurs se
trouvaient quelque peu prisonniers de leur statut d'officiers
ministriels qui leur interdisait de se constituer en socit,
d'tendre leur activit d'autres secteurs et les obligeait rester en
nom propre. Ils ont donc eux-mmes, par l'intermdiaire de leur
Chambre Syndicale Nationale, rclam la modification de leur statut.
D'autre part, l'exemple des courtiers marseillais restait en
filigrane dans les penses. Ceux-ci, vers la fin du sicle dernier
avaient renonc leur privilge et reu de l'tat, en contrepartie, une
indemnit substantielle. Or, grce leur comptence spcifique, ils
avaient cependant russi conserver un monopole de fait, et rester
dans la lgalit en prenant des accords avec les notaires qui
contresignaient les polices. Ces courtiers marseillais taient
d'ailleurs rattachs la Chambre Syndicale des courtiers jurs. En
considration de ce prcdent, lorsqu'il fut question de la
modification du statut des courtiers jurs, des ngociations furent
entreprises auprs du Ministre des finances, afin d'obtenir une
indemnisation pour la suppression du privilge, car les alas
dcoulant de la perte
5. 138 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 du monopole taient rels, mme si l'on esprait en
attnuer les effets. Hlas, ces ngociations n'ont pas abouti et le
seul avantage obtenu fut l'exemption des droits fiscaux en cas de
transformation, dans un certain dlai, de l'ex-charge en socit. Tous
les courtiers ayant dsormais accs l'assurance maritime, on pouvait
craindre un parpillement des affaires entranant une perte pour les
anciennes charges. Or, dans l'ensemble, la chute de clientle fut
minime. Grce leur spcialisation, leur introduction dans
l'organisation du monde de l'assurance maritime (comits
d'assureurs, rseaux d'experts, commissaires d'avaries) les
ex-courtiers jurs ont sensiblement maintenu leurs affaires, compte
tenu de la conjoncture conomique difficile, de l'apparition de
nouveaux intermdiaires et de l'pret de la concurrence. On constate
plutt une rorganisation de la profession, une tendance dans le sens
de regroupements, de constitution de socits de courtages toutes
branches, avec un dpartement maritime spcialis. L'ensemble des
courtiers a adhr au "Syndicat National des Courtiers d'Assurance et
de Rassurance" (SNCAR), mais les spcialistes de la branche maritime
et transports ont constitu dans le sein de ce syndicat une cellule
de techniciens dnomme "Groupement Professionnel et Technique du
Courtage d'Assurance Maritime et Transport en France" (1 Ainsi le
"Club" maritimiste s'est reconstitu et son tendard peut firement
flotter au vent. ). Il restait rsoudre le problme pratique de la
rapidit des transactions, ci-dessus voqu. Certes, le courtier est
le mandataire de son client dont il a reu l'ordre d'assurance. Il a
le devoir de conseil, et de ngocier au mieux des intrts de ce
client, mais il n'a pas le pouvoir de se substituer lui pour la
signature des documents. Le courtier (ex-jur) a palli la difficult
en obtenant de ce client un mandat exprs, crit, lui permettant non
seulement de signer la police en ses lieu et place, mais de grer
toutes les situations dcoulant du contrat d'assurance... "et plus
gnralement faire le ncessaire". L'acte authentique n'existe plus.
La police d'assurance est devenue dsormais un contrat
synallagmatique ordinaire, tabli en deux exemplaires originaux.
Dans ce rapide expos sur l'volution du statut juridique du courtier
jur, les rapports commerciaux avec les assureurs n'ont pas t voqus.
C'est un domaine, en effet, o la qualit d'officier ministriel
n'intervient en aucune faon. Les assureurs, reprsentant les intrts
des compagnies, ont toujours t des adver- saires difficiles pour le
courtier, jur ou non, soucieux de soutenir les intrts de ses
clients. Selon une vieille tradition de la branche maritime,
l'heure de la Bourse runissait, et rassemble encore en un mme lieu
les courtiers, et les assureurs qui viennent signer les documents
tablis. On discute aussi, maintenant comme autrefois, les taux et
conditions des garanties proposes. On examine l'tat des dossiers de
sinistres en cours. Plac entre les positions opposes de l'assureur
et de l'assure, le courtier, qu'il soit ou non jure, a toujours eu
bien du souci pour dfendre objectivement les intrts de son client,
ce qui ne peut aboutir qu'en conciliant les parties (si faire se
peut!). L'assureur exprime son mcontentement lorsque le montant des
sinistres excde celui des primes (ce n'est pas tellement rare!) et
le client proteste toujours contre toute revalorisation ventuelle.
Or, personne n'est jamais d'accord sur la statistique, sujet de
contestations sans fin. Surgissent parfois aussi des litiges lors
de la liquidation des sinistres : montant du quantum, garanties non
prvues par la police ou exclues par elle, dsaccord sur les
conclusions de l'expertise, sur l'assiette de la franchise ...
etc... Il faut alors un long combat pour faire admettre aux deux
parties une "transaction titre commercial et sans crer de
prcdent..." Ces remarques voquent seulement quelques problmes de
base, parmi tant d'autres qui exigent de nombreux va-et-vient entre
les deux parties, et des entrevues parfois orageuses. Au cours de
ces relations technico-commerciales, la vie professionnelle du
courtier ressemble davantage un torrent tumultueux qu' un long
fleuve tranquille, mais son statut juridique n'intervient pas, n'a
aucune incidence. Dans l'intrt mme de son client, le courtier,
aujourd'hui comme autrefois, doit dmontrer, l'une comme l'autre des
parties, o se situe l'quit. Il doit savoir faire preuve
d'objectivit, et se conduire selon le prcepte du Vieux Droit Romain
si souvent mconnu : "UT INTER BONOS OPPORTET AGERE" (Comme il
convient d'agir entre gens de bien) (1) Souvent cit sous le sigle
abrg et phontiquement malencontreux de GPT.
6. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 139 UN ANCIEN COURTIER JURE
7. 140 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 LE COURTIER DASSURANCES MARITIMES ET SES
RESPONSABILITES par Grald DURON Quand un client utilise un courtier
pour effectuer une assurance pour son compte, il est fond compter
sur lexercice dun soin et dune comptence raisonnables, de la part
du courtier qui excute ses instructions, et si ces instructions ne
sont pas convenablement appliques, et quune perte survient qui, de
ce fait, nest pas recouvrable sous la police dassurances, alors, le
courtier est responsable pour breach of contract. On va mme jusqu
considrer quil ny a pas dobligation absolue du client, qui utilise
un courtier, dexaminer la police dassurances quand il la reoit,
pour vrifier si ses instructions ont t ou non suivies. Ces
principes rendent coup sr dlicat lexercice de la profession de
courtier dassurances, mais justifient pleinement que sa fonction se
perptue, car il joue un rle conomique vident. Il propose de la
scurit, apporte ses conseils, aide la gestion, participant ainsi,
avec les autres vecteurs du commerce, au bon fonctionnement des
changes internationaux. Cela ressort de lhistoire des sicles passs
qui fait apparatre le rle du courtier, souligne ses devoirs envers
ses clients et les responsabilits quil encourt. On ne peut rflchir
cette activit essentielle dans le ngoce sans linsrer dans un
contexte international. UN PEU D'HISTOIRE : Nous ne restons pas
indiffrents quand Cicron vante le gouvernement de Marseille,
crivant alors : "neminem illi civitati inimicum esse arbitror qui
amicus sit huic civitati". (Selon lui, il n'tait pas possible qu'on
puisse aimer Rome et tre en mme temps l'ennemi de Marseille). Avant
lui, Dmosthne fit l'loge des Lois Nautiques de Marseille (1).
Tenant compte de l'importance de ce port, de son anciennet, de ses
traditions, il est intressant de noter l'volution du corratier
sorti au fil des sicles de sa chrysalide, pour devenir un moderne
courtier. Rappelons que lune des formes les plus anciennes du
courtage s'est exerce en matire matrimoniale. A Rome, les
entremetteurs de mariage trs nombreux taient protgs par le
lgislateur qui voyait l un moyen d'accroitre le nombre de mariages
(2). Ils bnficiaient mme d'une action en paiement de leur salaire
("Proxenetica licito jure petuntur", dit Ulpien, dans le Digeste!).
A) Origine du courtage et des courtiers travers Marseille et son
environnement conomico-politique : On assigne gnralement la date de
1257, au travail de compilation approuv par le Comte de Provence,
qui constitue un vritable statut municipal de Marseille. La rgle XL
du Titre premier est justement intitule "de Corraterijs". En l'anne
1455, le grand Snchal de Provence, l'effet d'empcher que le choix
des corratiers (courtiers) ne soit livr la cupidit des Viguiers,
mande ceux-ci (1) : "...nul, si ce n'est un citoyen de Marseille,
ne pourra tre courtier, ni ne pourra s'immiscer dans l'exercice du
courtage, et le seul citoyen de Marseille le pourra, quand il aura
prt son serment.. ." "Et si un courtier agissait diffremment, il
serait puni par le recteur et, de plus, dpouill de sa charge, ce
qu'on ferait connaitre son de trompe dans la ville. Ils jureront de
se comporter, dans leur office, avec bonne foi, l'gard de tous ceux
qui se serviront de leur ministre, et de ne pas recevoir au-del de
ce que veut la coutume..." "Et si quelqu'un agissait contre les
rgles susdites, il serait contraint de rendre ce qu'il aurait reu
et n'en serait pas moins puni par le recteur, d'une amende de xxv
livres royales
8. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 141 couronnes, pour chaque manquement ; s'il ne
pouvait acquitter cette amende, il serait fustig par toute la
ville". Antrieurement, nous trouvons une sentence rendue par le
Viguier de Marseille le 16 Fvrier 1350, la requte des syndics, sur
le point de savoir entre les mains de qui les corratiers devaient
prter le serment annuel et fournir la caution d'usage (3). En 1601,
un rglement fixe 36 les corratiers jurs de la ville de Marseille,
dont 30 pour les marchandises en gnral, le change et les
assurances... Suivant l'ouvrage de Valin dit en 1766, consacr au "
Nouveau Commentaire sur l'Ordonnance de la Marine de 1681" (4),
furent crs en dcembre 1657 deux offices de notaires-greffiers en
chacun des siges de l'Amiraut du Royaume. Les notaires partageaient
alors avec les courtiers le privilge de recevoir et passer tous
contrats maritimes et polices d'assurances. Valin crit l'art. 2 du
Titre VI de son ouvrage, le commentaire suivant : "Beaucoup
d'assurances se faisaient sans crit et pour cette raison on les
appelait assurances "en confiance". Cette forme d'assurance donnait
lieu de tels abus qu'on l'a supprime, et l'on exigea que les
assurances soient faites par crit et par devant notaire ou par le
ministre d'un greffier des polices d'assurance". On peut y voir
l'bauche des courtiers jurs rcemment disparus! Les Echevins de
Marseille qui avaient remplac les Consuls, seconds par la Chambre
de Commerce, d'institution toute rcente, promulgurent en 1670 un
rglement spcial pour les courtiers d'assurances. Voici ce qu'crit
F.Timon-David (3) : "cette catgorie d'agents n'tait pas absolument
irrprochable, en croire les plaintes nombreuses du commerce
consignes dans une requte la Chambre. L'habitude de faire signer
des polices en blanc avait notamment donn lieu des abus
regrettables". "Pour tre admis dans le corps, il fallait avoir l'ge
comptent, vingt-cinq ans, justifier de sa qualit de citadin ou, ce
qui revenait au mme, qu'on avait pous une femme de la ville, enfin
tre bien fam et morign, ce qui s'tablissait l'aide d'un certificat
de BONNES MOEURS et DEPORTEMENTS. Il fallait ensuite prter serment
entre les mains du Viguier, et jurer, la main sur l'Evangile : "de
bien et deubement exercer sa charge sans aulcung dol, fraude et
malversation, estre et demeurer toujours obissant, fidle, bien
affectionn sa Majest et aux dicts sieurs Eschevins, ne fere ny
permettre estre faict ains (mais) empescher tous monopoles et abus
en leurs dictes charges et fere tout ce que le debvoir d'icelles
les oblige". Notons qu'un tiers avait alors le droit de s'opposer
au serment d'un censal, en fournissant justification et raison, et
le candidat devait se dfendre. Dans un procs-verbal de 1641 (3), on
lit ainsi : "au contraire, s'est prsent Urbain Bonifay, du dit
Marseille, lequel, comme intress dans le bien public, a dit qu'il
est opposant la prestation de serment du dit Asquier, ne pouvant
exercer la dite charge, pour ne savoir ni lire ni crire...Sur quoi
le dit Asquier a dit que le dit Bonifay s'oppose par animosit..."
On remarquera que le courtier ne nie pas ne savoir ni lire ni
crire! On peut imaginer qu' l'poque considre, le volume des
affaires tait diffrent, les connaissances livresques moins tendues,
l'activit plus intuitive. B) Cration des courtiers royaux : Au mois
de Mai 1692, parut un Edit royal abolissant l'ancien rgime des
Censaux Jurs, conservant toutefois dans leurs fonctions tous ceux
qui en faisaient partie, moyennant l'acquit d'une certaine taxe
(fixe 3.50O Livres par office), et les tablissant en titre
d'offices hrditaires "aux mmes droits et moluments qu'ils avaient
coutume de recevoir". Dans cette volution, la ncessit d'organiser
la profession se fit sentir, aboutissant, par exemple, le 13
juillet 1748, ce que le premier Prsident et Intendant de Justice,
homologue une Dlibration portant dfense expresse de faire remise
des courtages. En voici quelques considrants : "...cette facult
arbitraire, ainsi introduite, permettrait chaque membre de faire la
remise de ses droits plus ou moins grande, selon son avidit ou ses
vues malentendues, de sorte que les affaires qui se traitent par le
ministre des courtiers, seraient dsormais au rabais et passeraient
par les mains de ceux qui feraient la remise de leurs droits la
plus considrable, ce qui serait un vrai brigandage...". Selon
l'analyse faite par F. Timon-David (3) : "malgr bien des dceptions,
la carrire du courtage tentait encore beaucoup d'ambitieux... Mais
en ralit les heureux n'taient que l'exception". L'Intendant de
Provence crivait alors en termes un peu crus :
9. 142 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 "la fortune clatante de quelques-uns de ces
industrieux fait casser la tte tous les autres. J'en ai vu beaucoup
russir parce qu'ils ne craignaient pas le Diable". Il citait alors
cette Sentence de Juvnal : "probitas laudatur et alget" (on loue la
probit et on la laisse se morfondre). Au cours de la priode
1760-1770, clata l'affaire dite des courtiers royaux de Marseille.
Les abus s'tant multiplis, de nombreuses faillites se succdrent qui
firent scandale, conduisant le Roi, sous la pression de la Chambre
de Commerce, rendre l'Edit de Versailles de Janvier 1777 : les
Offices sont supprims, leurs titulaires indemniss, tandis que de
nouveaux courtiers seront lus pour 5 ans et prteront serment devant
les Officiers de l'Amiraut de Marseille. Le jurisconsulte italien
Casaregis crivait au XVIII sicle que de son temps et dans son pays,
les fraudes taient si frquentes que les assureurs taient plus
dignes de piti que les assurs : "digni plus miseratione censeri
debent assecuratores quam assecurati!" Georges Sicard (4), fait
mention de trois documents qui montrent la sollicitude du pouvoir
central l'gard des Courtiers de Marseille. Il s'agit : - d'un
Rglement en forme de Lettres patentes sur la politique qui sera
observe par les nouveaux courtiers de Marseille dans l'exercice de
leurs fonctions (Marly le 29 Mai I778). - de Lettres patentes
portant sur les salaires et moluments des courtiers de Marseille.
(Versailles le 7 Novembre 1778). - de Lettres patentes du Roi
(Versailles le 6 Fvrier 1779). Ces textes contiennent des
prescriptions diverses concernant les Assurances : - il ne doit y
avoir aucun blanc dans les polices, - le courtier ne doit prendre
aucun intrt personnel dans le contrat, et ne se mler en rien de son
excution, - tout courtier qui aurait contrevenu ces rgles ou prt
son nom pour ce faire, serait dchu de tous droits rsultant de la
Police, et serait condamn une amende, sans prjudice de sa
destitution, - notons galement cette prescription curieuse selon
laquelle les courtiers ne doivent en aucun cas "courir ni
entreprendre les uns sur les autres". Cette philosophie contraire
toute ide de concurrence, n'est gure favorable l'intrt du
consommateur, et serait de nos jours prohibe, notamment par les
textes communautaires europens (entente illicite!), - les
"salaires" des courtiers sont fixes : ils ne peuvent recevoir
davantage, sous peine de concussion. Les courtages perus sur les
montants assurs, sont fixs comme suit : - demi pour mille lorsque
la prime n'excdera pas 3 pct, - un pour mille pour une prime
comprise entre 3 et 10 pct, - deux pour mille pour une prime
suprieure 10 pct. On peut s'tonner des taux de prime envisags : 3
10 pct., voire davantage, alors qu' l'poque considre seuls les
risques majeurs sont garantis. Il faut y voir le fruit des
incertitudes de la navigation! Il est difficile d' imaginer de nos
jours des taux de primes identiques, mme pour les marchandises les
plus fragiles : les professionnels de l'assurance auraient le souci
de combiner prime et franchise pour viter une tarification trop
importante. C) Le courtage travers la Rvolution, l'Empire et la
Restauration : Par dcrets des 21 avril et 8 mai 1791, l'Assemble
constituante supprime tous les Offices de courtiers. Les fonctions
exerces deviennent pratiquement libres : il suffit de prendre
patente et de se faire inscrire au Tribunal de Commerce. Ds le 28
ventose an IX, soit le 19 mars 1801, les courtiers retrouvent leurs
prrogatives. Une srie d'Arrts est prise instituant 59 Bourses de
Commerce, et prcisant le nombre de courtiers comme les fonctions
qu'ils peuvent exercer : 228 titulaires dans 9 villes pouvaient
pratiquer le courtage d'assurances. L'art. 4 de l'Arrt du 27
prairial an X interdit, alors, "l'exercice du courtage tous ceux
qui ne sont pas pourvus du titre de Courtier Royal". En 1807, le
Code de Commerce dans ses articles 71 90, s'est efforc de
rglementer la profession - dfinissant ainsi : - art. 79 : "les
courtiers d'assurances rdigent les contrats ou polices
d'assurances, concurremment avec les notaires ; ils en attestent la
vrit par leur signature, certifient le taux des primes pour tous
les voyages de mer ou de rivire", - art. 81 : "le mme individu
peut...cumuler les fonctions d'agent de change, de courtier de
marchandises ou d'assurances, de courtier interprte et conducteur
de navires".
10. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 143 Les rgles fondamentales de l'exercice de la
profession de courtier d'assurances sont par ailleurs rappeles : -
ils ne doivent pas avoir t en faillite, - ils doivent tenir leurs
livres sous certaines formes, - ils ne peuvent faire aucune affaire
pour leur propre compte. A notre connaissance, la Compagnie des
courtiers de commerce et des courtiers d'assurances prs la Bourse
de Paris, a t la premire rdiger un Rglement de police intrieure et
de discipline, fait et arrt en assemble gnrale le 23 Fvrier 1844,
et approuv par Ordonnance du Roi Louis-Philippe le 23 Dcembre 1844.
Par ce Rglement, les courtiers se placent sous l'autorit
disciplinaire d'une chambre syndicale (art. 1), qui aura notamment
connaitre du "cours lgal" des primes d'assurances (art 40)! Cela
parait trange, et pourtant en France, pendant de nombreuses annes
aprs la dernire guerre mondiale, un Comit de tarification
intervenait pour fixer les taux de primes, tant pour les
marchandises que pour les navires! Il y a peu d'annes encore, une
organisation professionnelle runissant les reprsentants des
principales Compagnies d'Assurances : l'A.F.A.T (Association
Franaise de l'Assurance Transport), dlibrait avant le
renouvellement des flottes de navires assures sur le march franais,
dictait les rgles de renouvellement, et jouait un rle incitatif
quant la tarification applicable : la concurrence tait largement
bloque! Seuls, quelques courtiers habiles, aids par des assureurs
"franc-tireurs", chappaient au systme, leur plus grand profit. Le
courtage d'assurances a t organis, Marseille, par plusieurs lois
que nous allons examiner brivement (6). On se souviendra que l'arrt
du 13 messidor an IX tablissait une Bourse de commerce et fixait 50
le nombre des courtiers de commerce, assurances...Le dcret du 22
janvier 1813 modifia cet arrt dans les termes suivants (art 8) : "
l'avenir, les courtiers de commerce qui seront nomms et qui
voudront exercer les fonctions de courtiers d'assurances, subiront
un examen devant un jury compos du Prsident du Tribunal de
Commerce, du Prsident de la Chambre de Commerce, de deux ngociants
armateurs et de deux ngociants assureurs". Nous n'avons pas
connaissance d'une obligation similaire sur les autres Places. Une
ordonnance du 26 aot 1839 porta 140 le nombre de courtiers prs la
Bourse de Marseille. Parmi eux, 19 exeraient l'activit de courtiers
d'assurances lorsque la loi du 18 juillet 1866 abrogea le caractre
privilgi des courtiers en marchandises. Etant donn qu' Marseille,
les courtiers d'assurances maritimes se trouvaient en mme temps
courtiers en marchandises, ce fut l'occasion pour les intresss de
renoncer simultanment leur privilge en matire d'assurance. Les
courtiers reurent alors de l'tat une indemnit de 100.000- francs.
Ils conservaient leur titre, mais perdaient leur privilge - la
profession tant depuis lors rpute, Marseille, de libre
tablissement. Bien sr, un nouveau formalisme s'imposa, puisque les
courtiers prirent soin de faire contresigner les polices par un
Officier ministriel. A Paris, notamment, les professionnels
demeuraient des courtiers jurs, titulaires d'une charge, tout au
moins pour ce qui a trait l'assurance maritime et fluviale qui
constituait, l'poque considre, l'essentiel sinon la globalit de
cette activit. Au fil des dcennies, en fait jusqu'en 1978, ce
particularisme de Marseille par rapport Paris et aux autres places,
allait se perptuer. Le monopole des courtiers jurs n'tait pas
absolu, car les notaires avaient thoriquement les mmes pouvoirs.
Seulement, ils avaient depuis longtemps renonc s'occuper
d'assurances maritimes, et se bornaient, l o le courtage tait libre
( Marseille), signer et authentifier les polices que les courtiers
leur apportaient. D) Libert du courtage : Ainsi que le rappelle le
Doyen Rodire (7) : "la directive du Conseil des Communauts, destine
faciliter l'exercice effectif de la libert d'tablissement et de la
libert de prestation des services pour les activits de courtier
d'assurances, est entre en vigueur le 30 juin 1978. Elle condamnait
les courtiers jurs d'assurances maritimes franais et conduisait la
France s'aligner sur les autres pays de la Communaut Economique
Europenne qui ne connaissaient que le courtage libre". "Aussi, la
demande mme des courtiers d'assurances maritimes, et quoiqu'ils ne
fussent pas (directement) viss par la directive prcite puisqu'elle
ne s'applique pas en principe aux activits participant de l'autorit
publique, le gouvernement a dpos un projet de loi qui devait
11. 144 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 devenir la loi n 78/1170 du 16 dcembre 1978,
portant modification du statut des courtiers d'assurances
maritimes". Cette rforme, en harmonie avec les directives
communautaires, rpondait, au surplus, l'internationalisation de
plus en plus prononce d'une profession naturellement tourne vers
les grands espaces, et soumise de ce fait une concurrence sans
cesse accrue. Dsormais, les courtiers jurs de Paris, de Bordeaux,
du Havre, de Rouen, de Bayonne, de Nantes, de Dunkerque, de Caen,
de Grandville et de Ste (ils taient 25 au total, lors de l'adoption
de la loi de 1978), ne sont plus des officiers ministriels, titre
flatteur mais encombrant : ils deviennent des commerants, tout
comme leurs collgues du grand port phocen. En 1867, alors que la
nouvelle loi tait entre en vigueur, il y avait toujours, Marseille,
19 courtiers d'assurances : 11 exerant uniquement cette profession
tandis que 8 autres taient galement pourvus du titre de courtiers
conducteurs de navires. Notons qu'au mme moment, il y avait 8
courtiers d'assurances Paris, 7 Bordeaux, 4 au Havre et 2 Rouen.
L'importance conomique de Marseille sur le plan de l'activit
portuaire tait alors essentielle. En 1995, le nombre des courtiers
s'est amenuis. Comme dans la plupart des activits, il y a eu des
concentrations. La disparition du privilge a favoris, chez les
courtiers terrestres les plus importants, l'mergence de cellules
qui se sont leur tour spcialises dans l'assurance "transports"
devenant souvent, du fait de leur poids conomique, des concurrents
srieux pour les firmes traditionnelles existantes. Des courtiers
trangers, essentiellement britanniques mais aussi amricains, ont
pass des accords avec des socits franaises, ou les ont rachetes. Ce
monde volue, mais travers des structures diverses, au-del de l'cume
des mouvements de surface, ce mtier conserve des caractristiques
communes qui plongent leurs racines dans un pass que l'on retrouve
travers la lecture du Guidon de la mer, au XVI s., de l'Ordonnance
de la Marine, en 1681, et en visitant symboliquement la taverne
d'un certain Edward Lloyd, la fin du XVII s., Londres. PREMIERE
PARTIE : LE ROLE DU COURTIER Il doit conseiller le ngociant comme
l'industriel, les rendre attentifs aux risques encourus, leur
proposer les garanties ncessaires, les aider dans la gestion de
leurs problmes d'assurances. Il joue galement un rle conomique
participant une activit dont les principes taient dj noncs dans
l'ordonnance de 1681 (8) : "permettons tous nos Sujets d'assurer et
de faire assurer dans l'tendue de notre Royaume". A) Le courtier
est le mandataire de son client : Le courtier, ce personnage
hybride, a plusieurs caractristiques : mandataire de son client, il
est la fois commerant, technicien et juriste. Par un jugement du
2.12.1874 (8), le tribunal de Marseille a considr que le courtier
tant le mandataire de l'assur, il tait inutile que la signature de
l'assur ft appose au bas de la police : "quand le mandataire a
parl, le mandant ne peut plus se ddire". M G. Denis Weil (8) crit
encore : "En Angleterre, le courtier a un rle encore plus
prpondrant. Celui qui veut se faire assurer remet un slip ou
memorandum au courtier qui le soumet la signature de l'assureur. La
remise au courtier et la signature crent un lien juridique entre
les parties. L'assur devient dbiteur de la prime envers le courtier
qui l'en dbite et en crdite l'assureur. D'un autre ct, l'assureur
devient en cas de sinistre dbiteur envers lui de l'indemnit dont le
courtier crdite le compte de l'assur". Le doyen Georges Ripert
insiste galement sur ce rle du courtier mandataire de l'assur
citant dans ce sens l'arrt rendu par la Cour de Cassation le 6
fvrier 1865 (9). Plus rcemment, la Cour Suprme (Cass. civ. 15 mai
1990 - Semaine juridique 25.7.90), a jug que "le courtier...agit
comme mandataire de l'assur, dont il se borne reproduire les
dclarations". Mandataire de ses clients, le courtier est soumis la
concurrence qui l'oblige sans cesse se remettre en cause, en
tentant d'amliorer ses prestations. Le courtier indpendant a pour
seul rle de dfendre les intrts de ses clients, qui peuvent s'en
sparer "ad nutum". Il a l'exprience fonde sur la diversit de son
portefeuille, et de ce fait, un poids commercial non ngligeable
auprs des compagnies d'assurances. Dans un environnement o les
agressions sont frquentes, le courtier apporte l'assureur et au
client ce supplment d'imagination qui permet d'anticiper sur les
besoins, de les
12. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 145 analyser, d'offrir tous les choix.
L'assurance transports est un mtier technique, et le courtier doit
tre imaginatif mais srieux, efficace car comptent. Il a bien une
triple fonction : - un rle commercial (dtection des affaires), - un
rle technique (tudes et placements auprs des compagnies), - un rle
de gestionnaire du risque, de support pour le client,
d'intermdiaire suffisamment indpendant pour savoir, dans la dmarche
auprs des compagnies distinguer, si ncessaire, ce qui est d par
l'assureur du rglement sollicit titre commercial. Sa philosophie
pourrait tre : payer ce qui est d, en respectant la lettre et
l'esprit du contrat! Au-del, chaque fois que cela est possible,
solliciter et faire le maximum pour obtenir des assureurs le
paiement des pertes et dommages en litige - sans omettre de
souligner alors, auprs du client concern, le ct commercial d'une
telle transaction. Un courtier a certainement ce devoir permanent
de responsabiliser sa clientle, disons-le de l'duquer. C'est
d'ailleurs son intrt objectif, puisqu'il ne peut que tirer un crdit
moral de la liquidation favorable pour son client d'une dossier
irrgulier. Faut-il encore que le client soit avis de la position
exacte de son dossier, et du fait qu'un paiement intervient le cas
chant "ex-gratia"! Tout est assurable - ou presque - sauf, bien sr,
la faute intentionnelle ou lourde et la fraude de l'assur, qui sont
exclues par les art. L. 172-6 et L. 172.13 du Code des assurances,
auxquels il n'est pas possible de droger. Tout est question de
capacit financire des Compagnies d'assurances, de conditions et de
taux. Si ncessaire, le courtier franais consultera un autre march
(anglais, amricain, scandinave, allemand ou japonais), pour
arbitrer les taux et conditions fixs par les compagnies franaises
sur tel ou tel risque, et faire tout simplement jouer la
concurrence. Cela est possible depuis que le dveloppement de la
construction europenne a contraint le lgislateur franais autoriser
cet largissement. Auparavant, un client franais devait tre assur
sur le march franais, sauf drogation. En dcembre I987, Bruxelles,
la dcision de mettre en place la libert de prestations des services
dans l'assurance a t dcide. Il s'agit l d'une dcision politique et
conomique de porte importante. B) Fonction commerciale du courtier
: Dans l'assurance transports, le courtier pratique la protection
rapproche de son client, lui apportant avis et conseils. La vie des
affaires, leur dveloppement, les obstacles rencontrs, les solutions
construites ensemble, sont le meilleur et le seul ferment qui gnre
la prennit des relations et l'apparition d'un nouveau substrat. On
pourrait dire : hors de cette vision, point de salut! Des
tentatives ont t faites, des expriences conduites par tel ou tel
cabinet important en vue de gnrer des affaires nouvelles par une
sollicitation systmatique de clients potentiels : envoi de lettres
sur des socits pralablement cibles, publicit dans des revues
spcialises, brochures luxueuses distribues. Il s'avre que le
rsultat de telles initiatives a toujours t trs dcevant. En fait, un
nouveau client se conquiert sur le terrain : un sinistre dlicat,
important, gr avec srieux et habilet, constitue un argument de
poids, spcialement l'gard d'un porteur de documents ayant en mains
un certificat d'assurances mis pour compte de son vendeur Cot
Assurance et Fret (CIF). Cet acheteur utilisera peut-tre un jour
les services de ce courtier que les circonstances ont mis sur son
chemin : l'avenir se construit au prsent. C) Fonction conomique du
courtier : Par son chiffre d'affaires, le courtage franais est le
troisime au classement mondial, aprs les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne. D'aprs Bruno Clappier, Prsident du Groupement
Professionnel du Courtage d'Assurances Maritimes et Transports, les
primes ralises dans cette branche (incluant les marchandises
transportes, les navires ainsi que les responsabilits y affrentes,
l'aviation et le spatial), totalisent en 1993 : 12,54 milliards de
francs (soit 2,32 pour cent des primes souscrites par l'ensemble du
march de l'assurance, en France!). Des conditions conomiques
dfavorables participent actuellement l'volution de la profession de
courtier d'assurances transports. Un rythme de croissance rduit,
non seulement en France mais dans le monde entier, tend diminuer la
matire assurable elle-mme : - rgression de la flotte mondiale, -
baisse du cours des matires premires, - contraction des changes
conomiques, fruit de la rcession...
13. 146 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 Les indicateurs sont progressivement en train de
s'inverser : les navires, trop souvent mal entretenus, devront tre
remplacs ; quelques mauvaises rcoltes s'ajoutant une reprise
modeste mais incontestable, poussent la hausse bien des produits.
Enfin, les rsultats techniques dsastreux des marchs spcialiss de
l'assurance, entrainent une augmentation des taux de primes qu'une
concurrence sauvage avait, d'anne en anne, abaiss des niveaux peu
raisonnables! Cela est vrai pour lassurance des navires tandis que
la concurrence acharne des Compagnies sur le march international
empche une remise en ordre srieuse des taux pratiqus pour
lassurance des marchandises.
14. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 147 D) Le Courtier est un technicien de
lassurance et un juriste : L'Entreprise moderne doit avoir une
politique d'assurance. En bnficiant des conseils de son courtier,
elle aura le soin de grer, mais aussi de prvoir, d'organiser, de
chiffrer les cots, d'innover. L'assurance est le ciment
indispensable qui garantit la solidit de l'difice commercial. Le
courtier doit conduire sans relche, avec son mandant, une rflexion
2 niveaux : - quand assurer ? - comment assurer ? c'est--dire
quelles conditions ? A) Quand l'assurance doit-elle tre soigne ? On
ne peut imaginer une politique commerciale sans une rflexion pousse
sur la responsabilit du vendeur (ou de l'acheteur). Voici trois
principes intangibles : 1) L'assur doit disposer d'une police
flottante : Elle lui permettra de bnficier de la clause dite de
"fidlit". En contrepartie de son engagement, pendant la dure de la
police flottante, de n'utiliser que le contrat ouvert son nom -
cette socit sera automatiquement garantie, alors mme qu'elle aurait
omis de dclarer une expdition ses assureurs, mme si ce retard ou
cette omission apparaissait aprs sinistre. Le fonctionnement du
contrat est extrmement simple : conditions et taux de primes sont
librement dbattus entre les parties ; un certificat d'assurance est
mis pour chaque expdition, dans les termes prvus par le contrat
commercial, en tenant compte, s'il y a lieu, des obligations
pouvant rsulter de l'accrditif bancaire. 2) L'assur doit connaitre
ses risques : Afin d'viter les difficults tenant l'interprtation
par les parties des contrats signs par elles, la Chambre de
Commerce Internationale (C.C.I.) a, dans les INCOTERMS, codifi,
contrat par contrat, les obligations rciproques de l'acheteur et du
vendeur. Comme l'crit Laurent Amice (10) : "Les Incoterms
contribuent rendre l'environnement des transactions commerciales
internationales moins incertain... parce que (ils) se prsentent
comme un langage commun au service des oprateurs du commerce
international". Ayons toutefois la sagesse de considrer que
l'internationalisation du langage maritime des affaires n'est pas
acheve, si l'on tient compte notamment du particularisme des
Etats-Unis d'Amrique, sans compter que les nouvelles techniques de
transport (conteneurs, RO-RO...), bousculent les habitudes, et ne
rpondent pas toujours aux anciennes dfinitions. C'est ce
qu'illustre Laurent Amice (10) lorsqu'il crit : "cette difficult a
t mise en vidence avec justesse par un jugement d'un tribunal
anglais qui avait conclu dans le rglement d'un litige :...seul
l'avocat le plus zl pourrait regarder avec satisfaction le
spectacle des responsabilits se dplaant maladroitement, pendant que
la cargaison oscille au bout d'un mt de charge travers une
perpendiculaire imaginaire, leve depuis le bastingage du navire".
3) L'assur doit maitriser sa politique d'achat et de vente : Il est
souhaitable que les dirigeants d'entreprise choisissent de pousser
aussi loin que possible les ventes, et d'aller chercher aussi loin
que possible les achats. Le vendeur peut maitriser fret et
assurance, et l'acheteur aussi. C'est un outil important dans leur
politique commerciale. Il s'agit au surplus d'une attitude claire
qui leur permettra d'chapper pas mal de dboires. En effet,
l'utilisation volontariste d'un contrat d'assurance permet
d'obtenir taux et conditions amliors et d'chapper aux hiatus
invitables dans la chaine des proprits successives. Par ailleurs,
tout le monde comprendra qu'il est en principe plus facile
d'obtenir le remboursement d'un prjudice de ses propres assureurs,
travers son courtier, plutt que de solliciter les assureurs de son
vendeur. Que dire enfin de la situation de l'expditeur, vendeur ex
usine (EXW), Franco-Bord (FOB), ou Cot et Fret (CFR), qui n'a pas
encaiss la totalit de sa facture (soit que le contrat ait prvu, ce
qui est assez frquent : un "performance-bond" finalis aprs bonne et
loyale
15. 148 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 excution- soit, tout simplement, que l'acheteur
ait, de facon autoritaire, dduit de la facture impaye le montant
total du sinistre qu'il a support).
16. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 149 B) Comment assurer ? c'est--dire quelles
conditions ? Il faut tout d'abord se conformer aux obligations du
contrat mais, dans le mme temps, rflchir aux risques rels de
l'entreprise. 1) L'exportateur : Quatre cas de figure peuvent tre
considrs : a) Obligations contractuelles du vendeur CIF : Il devra
s'y conformer en assurant par consquent les risques dfinis dans le
contrat de vente, pendant la priode prvue cet effet : - soit aux
conditions restrictives : FAP sauf (*) - soit des conditions plus
tendues : Tous Risques (**) - soit encore selon des modalits
spciales souhaites par le vendeur, mises au point par le courtier
avec les assureurs, et tenant compte de la spcificit d'un trafic
dtermin. (*) : FAP sauf signifie que seuls sont couverts les pertes
et dommages rsultant d'un vnement majeur (incendie, abordage,
chouement, perte totale, avaries communes....). Les avaries
particulires ne sont pas garanties, sauf si elles rsultent de l'un
des vnements limitativement numrs dans la police d'assurances.
L'assur doit prouver qu'il y a un lien de causalit entre le dommage
et l'vnement survenu. (**) : Tous Risques : la marchandise est
assure contre tous les risques de transport. Alors, il appartient
le cas chant l'assureur de dmontrer que les pertes et avaries sont
la consquence d'un vnement exclu de sa garantie : vice propre de la
chose, fraude, faute lourde ou intentionnelle de l'assur. On peut
dire que la plupart des contrats commerciaux prvoient, au surplus,
la couverture des risques de guerre, grves et mouvements populaires
aux conditions "waterborne" (c'est--dire depuis que la marchandise
quitte la terre au port d'embarquement, jusqu'au moment o elle
touche la terre destination). Notons que le march franais est le
seul offrir une assurance contre les risques exceptionnels
(guerre...etc.), suivant la formule dite "de bout en bout",
incluant, pendant une priode dtermine, le sjour terre au dpart
ainsi qu' destination, et la mise en magasins. Cette garantie
rserve aux entreprises franaises, mais tendue par drogation
quelques socits trangres clientes des assureurs franais, est
souscrite auprs de la Caisse Centrale de Rassurance (C.C.R) - soit
en direct, soit travers les compagnies du march, qui se rassurent
auprs de la C.C.R., avec des pourcentages de conservation plus ou
moins importants. Il s'agit l d'un produit promouvoir auprs des
entreprises franaises, spcialement dans la priode trouble que nous
connaissons. Le respect strict des clauses d'assurance dictes par
les contrats de vente est suffisant sur le plan documentaire, mais
ne couvre pas forcment la totalit des prils encourus par le
vendeur. C'est ainsi que certains contrats utiliss pour le ngoce
international des huiles, graines olagineuses et produits drivs
(tels les contrats F.O.S.F.A : Federation of Oils, Seeds and Fats
Associations, ou G.A.F.T.A : the Grain And Feed Trade Association)
- stipulent que le vendeur CIF a la seule obligation d'assurer la
marchandise des conditions restrictives. C'est le cas du contrat
GAFTA 100 (Edit. 1990), utilis pour la vente des tourteaux
(sous-produits des graines olagineuses, aprs extraction de l'huile)
- dont la clause "Insurance" est ainsi rdige : "Sellers shall
provide insurance on terms not less favourable than those set out
hereunder... Risks covered : Cargo Clauses (W.A.), with average
payable, with 3 pct franchise or better terms". Le vendeur peut se
contenter d'assurer sa marchandise aux strictes conditions
anglaises "W.A." (avec avarie et une franchise de 3 pour cent).
Cette garantie correspond, en fait, celle des vnements majeurs :
abordage, chouement, incendie, perte totale... auxquels on peut
ajouter les pertes ou dommages causs par "entry of sea, lake or
river water into vessel..." (entre d'eau de mer, de lac ou de
rivire dans le navire). On s'aperoit ainsi que le vendeur en poids
et qualit dlivrs, en cas de manquants ou de contamination ne
rsultant pas de l'un des vnements limitativement numrs dans la
couverture d'assurance, supportera alors des risques de transport
non assurs. Un tel vendeur serait bien inspir d'assurer ses
exportations en "Tous Risques", en gardant son profit la
17. 150 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 diffrence de conditions. Il est ais de constater
que le courtier de cette firme a un rle de conseil jouer. b)
Situation particulire du vendeur la commission : Il s'agit de celui
qui expdie destination d'un port dtermin des marchandises qui
seront confies un commissionnaire. Ce dernier, en fonction des
ventes ralises pour compte de son mandant, le crditera du produit
net obtenu. Aucune obligation ne pse sur ce vendeur puisque la
marchandise qui lui appartient voyage ses risques et prils. Il a
nanmoins le plus grand intrt couvrir sa cargaison aux conditions
les plus tendues. C'est une situation que l'on rencontre notamment
dans le commerce des fruits et lgumes (par exemple les bananes du
Camroun et de Cte d'Ivoire). Au fil des annes, des sinistres
considrables ont ainsi t rgls par les Assureurs (mauvais
fonctionnement des installations du froid dans les cales du navire,
avaries de machines en cours de voyage prolongeant sa dure,
incendie, perte totale...). c) Situation des bateaux dits
"flottants" : Les bateaux "flottants" sont l'une des
caractristiques du ngoce du riz. Plusieurs millions de tonnes de
riz en vrac et en sacs, sont vendus chaque anne par les Etats-Unis
d'Amrique, ainsi que par les pays asiatiques (tels la Chine, la
Thailande, le Vietnam, le Pakistan...), principalement aux pays
africains, et sud-amricains qui sont des consommateurs importants.
Au dpart, il y a souvent une opration de "barter" (troc) qui permet
au producteur de riz, pauvre en devises (par exemple le Vietnam),
d'acheter de la farine, du sucre ou des biens industriels, et de
payer au moyen de livraisons de riz. La firme de ngoce
international va affrter un bateau pour transporter les 12.000 ou
15.000 T. de riz qui auront ainsi t mises sa disposition. Elle ne
trouvera que rarement un acheteur immdiat. Le plus souvent, le
navire flottera pendant plusieurs semaines, se dirigeant, par
exemple, vers l'Afrique de l'Ouest. L'affrteur sera attentif
l'volution du march du riz, utilisant toutes ses relations pour
finaliser son contrat de vente. Pendant cette priode, il est
l'unique propritaire de cette cargaison qu'il a le devoir
d'assurer, dans son propre intrt et celui de la banque qui finance
ventuellement l'opration. A cet gard, on s'aperoit avec tonnement
que les tablissements financiers sont gnralement peu attentifs aux
problmes d'assurance, alors qu'il en va, en dfinitive, de la scurit
finale de l'opration commerciale, et par consquent de leur crance.
d) Ventes Franco Bord ou Cot et Fret : Que peut et que doit faire
le vendeur ? La vente CFR est une vente au dpart (Cass. com., 5
octobre 1982, n 79.11.108, DMF 1983, p. 345) dans le cadre de
laquelle le vendeur s'oblige livrer la marchandise bord du navire
au port d'embarquement. L'acheteur supporte tous les risques et
frais que peut courir la marchandise partir du moment o elle a t
charge dans le navire au port d'embarquement, le transfert de
proprit s'oprant ce stade (CA Bordeaux, 2 ch., 20 octobre 1982 ; CA
Versailles, 21 dcembre 1983, DMF 1984 p. 544) - et, partir de ce
mme moment c'est lui de prendre toutes initiatives utiles en vue de
la dfense de ses intrts (Cass. com., 7 juillet 1992, n 90-19.522
(11). De mme, sous l'empire des Incoterms FOB le transfert des
risques intervient ds le franchissement du bastingage du navire.
Bien sr, le vendeur doit imprativement assurer sa marchandise
jusqu'au transfert de proprit. Est-ce suffisant ? Il n'est pas
inutile d'insister nouveau sur l'intrt que prsente une lecture
attentive du contrat de vente, voire des contrats d'achat et de
vente, dans une filire commerciale. Il faut se mfier du faux "back
to back", donnant la prilleuse illusion d'un transfert pur et
simple des droits acquis en amont, en obligations supportes par
aval. A cet gard, voici deux situations vcues qui incitent la
prudence : d1) Une erreur d'analyse qui cote cher : L'exemple cit
par Ren Prillier (12) : est singulier : "le Franais X... vend FOB
Anvers un acheteur vnzulien, pour un prix de dix millions de
francs, un ensemble mcanique compos de plusieurs machine-outils
fabriques par lui (valeur
18. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 151 huit millions de francs), et d'un gnrateur
d'nergie (valeur deux millions de francs) composant un seul colis
achet pralablement en Autriche, aux conditions "FOB Anvers". "Les
risques de transport depuis Autriche jusqu' FOB Anvers tant
apparemment la charge du vendeur autrichien, le Franais X...
considre qu'il est protg ds l'instant qu'il assure le seul matriel
fabriqu par lui jusqu' FOB Anvers." "Lors de la mise bord du navire
Anvers du gnrateur d'nergie, l'lingue casse et le gnrateur fait sur
le quai une chute de plusieurs mtres, qui le met totalement hors
d'usage." "Or, ce moment-l, il apparait que : - le gnrateur n'est
pas la proprit de l'acheteur vnzulien, le contrat d'achat ayant t
stipul "FOB Anvers Incoterms", c'est--dire avec transfert de
proprit au moment seulement o la marchandise passe le bastingage du
navire, - ce gnrateur n'est plus la proprit du vendeur autrichien,
son contrat de vente ayant t stipul "FOB Anvers usage du port"-
c'est--dire avec transfert de proprit lorsque la marchandise est
livre sur le quai, contre le bord du navire transporteur."
"Monsieur X... doit, par consquent, le prix son vendeur autrichien
(la vente a t accomplie, la livraison a t faite). Il ne peut le
rcuprer sur son acheteur vnzulien (la vente n'ayant pas t ralise).
Il perd par consquent deux millions de francs pour n'avoir pas prt
attention une diffrence juge sans importance entre les clauses
"FOB", et n'avoir pas assur l'opration de mise bord du gnrateur".
On peut ajouter qu'une telle garantie lui aurait t facilement
accorde moyennant une prime comprise entre 0,025 et 0,05 pour cent!
De telles situations sont frquentes, car rares sont les entreprises
industrielles comme les socits de ngoce qui pratiquent de manire
permanente le ncessaire dialogue avec leur reprsentant auprs des
assureurs : le courtier. Toute une gamme de produits est ainsi
offerte l'exportateur comme l'importateur dsireux d'appliquer une
politique de scurit pour leur entreprise, tant l'assurance est
oeuvre d'imagination et de prudence. Le vendeur (FOB ou CFR) qui ne
maitrise pas l'assurance peut ainsi couvrir ses intrts de vendeur
(contingency risks). Cette garantie, confidentielle l'gard de
l'acheteur et des tiers, sortira effet lorsque le vendeur n'tant
pas pay, se produit un vnement couvert par la police d'assurance,
et qu'il y a carence vrifie de l'acheteur et des assureurs de
l'acheteur. Aprs le dlai contractuel, les assureurs du vendeur
l'indemniseront, se rservant le droit d'agir contre l'acheteur et
l'assureur dfaillants. d2) Le vendeur FOB doit tre attentif au
contenu de l'ouverture de crdit effectue par son acheteur : On peut
cet gard citer un cas exemplaire : le groupe I... vend FOB arrim
Anvers, l'organisme albanais AGROEKSPORT, 3900 T. de sucre en sacs,
d'une valeur de 983.100- $. Une lettre de crdit documentaire est
ouverte par la State Bank of Albania et confirme par la socit
Gnrale Paris. Le chargement s'achve le 8 Fvrier 1988 sur le navire
DELFINOR, et la totalit de la documentation est prsente la socit
Gnrale, mais l'acqureur refuse le paiement (au motif que la lettre
de crdit ne prvoyait pas la prsentation de connaissements se rfrant
une charte-partie, ce qui tait le cas en l'espce). Les banques se
drobent. On aperoit ici toute la malice des acheteurs FOB, qui on
pourrait appliquer l'adage "nemo auditur propriam turpitudinem
allegans!" En effet, il leur appartenait de dsigner le bateau, et
par consquent de choisir un navire de ligne rgulire battant ou non
pavillon albanais. Pour des raisons d'conomie, sans doute, ils
affrtent un bateau quelconque (on en verra les consquences plus
tard...), et remettent les connaissements leur vendeur ou leur
banque. Ensuite, ils tirent argument du fait que le titre de
transport fait rfrence l'existence d'un contrat d'affrtement pour
ne pas payer! Le bateau flotte, le litige s'enlise. C'est alors que
le courtier du vendeur, qui avait conseill son client, avant
l'embarquement, de souscrire une police "intrts du vendeur",
apprend que le navire aurait coul au large des ctes italiennes.
Aprs enqute, cette information est infirme puisqu'il apparait qu'en
fait le DELFINOR a t dtourn par son quipage, et que sa cargaison
est vendue au Sud Liban - alors, en pleine insurrection.
AGROEKSPORT maintient sa position, et les banquiers s'abstiennent
de payer le vendeur, malgr les mises en demeure opres. I... se
retourne contre ses propres assureurs qui, dans les deux mois du
sinistre, consentent ddommager leur client, puis engagent avec lui
une action commune contre AGROEKSPORT. Cette firme est condamne
(T.C. Paris, 24 juin 1988) au paiement de l'entire valeur de la
marchandise- la livraison de celle-ci tant
19. 152 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 intervenue, et le transfert de proprit opr selon
les rgles d'usance et en plein respect des conditions du contrat
FOB. A ce stade, trois rflexions peuvent intervenir : - il est
prudent, en raison du dsordre actuel des marchs, et de l'volution
des mentalits, qu'un vendeur FOB ou CFR, assure ses intrts de
vendeur, - la garantie tant souscrite, faut-il encore que le client
aid de son courtier soit efficace et convaincant lorsqu'il est
confront des cas ressemblant la prsente espce. Comme le disait un
commentateur malicieux des conditions des polices d'assurances :
"ce qui est important, c'est la rdaction du contrat! ce qui est
essentiel, c'est la statistique du contrat! mais ce qui est
fondamental, c'est le talent additionn du client et de son courtier
convaincre les assureurs!", - il ne suffit pas de bien assurer et
de bien grer- mme si ces deux critres sont les plus importants : il
faut encore prvoir la dure, organiser la prennit de la police
d'assurance. Nous avons vu que le rfr organis devant le Tribunal de
commerce de Paris avait permis d'obtenir la condamnation de
l'importateur albanais dfaillant. Mais cette socit tatique n'a tenu
aucun compte de cette contrainte. Alors, invoquant la thorie de
l'manation, I... et ses Assureurs ont prsent requte au Prsident du
Tribunal de commerce de Ste le 2 septembre 1988 aux fins d'obtenir
l'autorisation de saisir un navire albanais se trouvant dans ce
port. Ils ont obtenu satisfaction par ordonnance du mme jour. Le
litige s'est alors rapidement solutionn puisque, aussitt que le
navire TEUTA a t bloqu, les documents litigieux ont t pays par les
banquiers, et les assureurs ont rcupr la totalit de leurs dbours,
soit, avec les frais et les intrts, plus d'un million de $. En
rsum, cette aventure dmontre quel rle peut et doit jouer le
courtier auprs de son client : CONSEILLER, GESTIONNAIRE, et
DEFENSEUR de ses droits tant l'gard des assureurs que des tiers.
Etant donn que des pays de plus en plus nombreux dictent des textes
obligeant leurs importateurs s'assurer localement avec contrle
douanier - (66 pays sont actuellement recenss, bnficiant d'une
lgislation protectrice) - l'assurance des intrts du vendeur offre
aux exportateurs la ncessaire alternative. 2) L'importateur :
Frileux, ou contraint par les traditions du ngoce, il sera acheteur
CIF - (laissant le soin son vendeur de traiter l'assurance et le
transport). Dsireux de participer la transformation du contrat, de
grer les services complmentaires, d'avoir un poids conomique plus
grand, de maitriser les fonctions essentielles que sont le choix
d'un navire et d'un contrat d'assurance- il se positionnera comme
acheteur FOB ou CFR. Etudions les deux situations, les prils
encourus, les solutions proposes, dans la dfinition desquelles le
courtier d'assurances, une nouvelle fois, a un rle essentiel jouer.
a) L'Acheteur Cot Assurance et Fret : Il peut rencontrer des
difficults avec l'assureur de son vendeur. Des solutions sont mises
sa disposition pour les rsoudre : a1) Difficults : L'acheteur CIF
aura en mains un certificat d'assurance pouvant maner d'une
compagnie qu'il ne connait pas, et sur laquelle il n'aura en toute
hypothse aucun moyen conomique de pression (puisqu'il ne travaille
pas avec elle de faon rgulire). Cet lment est primordial, tant
l'interprtation des clauses d'un contrat d'assurance est chose bien
souvent dlicate, et que l'tat d'esprit des parties peut influer,
dans un sens ou dans l'autre, sur la dcision qui sera prise
l'occasion de tel ou tel rglement. Il faut ajouter ces
considrations l'incertitude conomique qui est telle que, certains
marchs de l'assurance parmi les plus rputs, ont des problmes
financiers graves. Au cours des annes 1992 et 1993, par exemple,
les compagnies : - Scan Re Insurance Company Limited, - English and
American, - Andrew Weir Insurance Company Limited,
20. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 153 qui jouissaient d'une excellente rputation
sur le march anglais, ont brutalement arrt leur activit et cess
d'effectuer tous paiements. Un problme identique s'est prsent en
France, il y a quelques annes, avec la compagnie "Union Nationale"
qui a prouv de graves difficults financires. Toutefois, notre
connaissance, il n'en est rsult aucune consquence dommageable pour
l'assur franais- lequel, avec retard parfois, a t indemnis. Cette
situation privilgie est, il faut le dire, le fruit du contrle troit
qu'assure l'administration, et notamment le Ministre des Finances,
sur le fonctionnement des compagnies d'assurances souscrivant sur
le march franais (obligation de rserves, supervision des
rsultats...). Lintgration europenne, si lon ny veille, risque
malheureusement de provoquer en France un effritement de cette
scurit, du fait de la contagion avec la pratique plus laxiste de
certains de ses partenaires. Etant donn qu'il n'existe aucune
solidarit entre les compagnies d'assurances sur un contrat dtermin,
il est donc galement important d'tre parfaitement renseign sur la
capacit de telle ou telle compagnie implique dans un risque, de
supporter les alas d'un sinistre. Cela entre encore dans la mission
du courtier. a2) Solutions : Il existe des garanties originales
mais utiles : consolidation et substitution : L'acheteur Cot,
Assurance et Fret peut obtenir, sur sa propre police flottante, une
garantie dite de "consolidation" qui, en cas de carence vrifie de
l'assureur d'origine, lui permettra nanmoins d'tre ddommag (les
assureurs "consolidation" se rservant la possibilit, s'ils
l'estiment possible et souhaitable, de poursuivre ensuite leurs
frais et risques le recouvrement des dommages dont ils ont fait
l'avance, auprs du premier groupe d'assureurs). Il existe un
contrat encore plus "performant", puisque l'acheteur CIF peut se
garantir en optant pour une assurance de substitution. Alors,
disparait le dlai de carence (en gnral de six mois) au-del duquel
l'assureur "consolidation" intervient. Le bnficiaire de l'assurance
"substitution" est immdiatement indemnis sur prsentation d'un
dossier complet et rgulier. b) L'acheteur FOB ou CFR : Titulaire
d'une police flottante, il sera donc assur automatiquement compter
du transfert de proprit qui s'opre au chargement, sur le navire de
mer, suivant les INCOTERMS. En appliquant le principe selon lequel
"le bnfice de l'assurance suit la filire mais ne la remonte pas" -
l'acheteur FRANCO BORD ou COT et FRET, ne serait pas garanti contre
les dommages au cours du transport prliminaire, le stockage au port
d'embarquement, le chargement... alors mme qu'il aurait t amen
payer l'intgralit de la valeur de la marchandise (ce qui pourrait
notamment se produire si le transporteur omettait de prendre des
rserves sur le connaissement). Il sera donc prudent d'inclure dans
la police ouverte une disposition selon laquelle l'assur sera
garanti, nonobstant les dispositions de son contrat d'achat, pour
les dommages antrieurs au transfert de proprit qu'il aurait
supporter. Bien sr, les assureurs de l'acheteur conservent la
possibilit thorique d'exercer un recours contre le vendeur, son
assureur, ou autre tiers responsable. 3) L'affrteur : L'affrtement
maritime peut se dfinir comme le contrat par lequel "le frteur
s'engage, moyennant rmunration, mettre un navire la disposition
d'un affrteur" (L. n 66-420, 18 juin I966, art. 1). Le contrat
tabli s'appelle une charte-partie. Il existe divers types
d'affrtements : au voyage, temps, coque-nu - et les contrats
s'adaptent cette diversit, en tenant compte, au surplus, de la
nature des produits transports (produits ptroliers, crales, huile
en vrac, marchandises diverses). Selon les chartes, les
responsabilits entre armateurs et affrteurs sont distribues
diffremment. Bien souvent, l'affrteur sera aussi le vendeur ou
l'acheteur de la cargaison transporte. L'exprience dmontre que le
ngociant qui affrte un bateau, occasionnellement ou non, sera
rarement attentif couvrir les responsabilits qu'il encourt tant
l'gard des armateurs que vis--vis des tiers. La fourniture de
soutes de mauvaise qualit, par exemple, peut entrainer de graves
dsordres dans la gestion nautique du navire : elle concerne
l'affrteur temps. La dsignation d'un port "unsafe" (non-sr),
pourrait, le cas chant, mettre en cause galement la
21. 154 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 responsabilit de l'affrteur au voyage (mais dans
des circonstances exceptionnelles que nous examinerons plus loin).
Dans un ouvrage consacr par M. le Clere l'affrtement (13), il est
crit : "notre opinion est donc qu'il est normal que, dans les
chartes temps, l'affrteur prenne les risques d'avaries au navire
soit dans le choix du port (entre et sortie dans un safe port au
point de vue nautique et politique), soit l'intrieur du port (safe
berth), parce que c'est lui qui est maitre des choix. Au contraire,
dans les chartes au voyage, l'armateur s'est charg d'organiser le
transport : il n'ignore pas dans quel port on lui propose d'envoyer
le navire ; il lui appartient d'tudier les conditions d'accs et de
sjour dans ce port, puis de choisir : ou prendre les risques ou
refuser la charte". Le point de vue de Ren Prillier (12) n'est gure
diffrent. D'aprs lui : "dans un affrtement par charte-partie du
type Gencon, par exemple, (charte au voyage), l'affrteur n'aura ni
la gestion nautique ni la gestion commerciale du navire. Dans ce
document, en effet, il est convenu que le navire affrt se rendra
...ou aussi prs de l, qu'il pourra parvenir en scurit et demeurer
toujours flot, et l chargera une pleine et entire cargaison
de...que les affrteurs s'engagent embarquer, et tant ainsi charg se
rendra ...et l y dbarquera la cargaison contre paiement du fret sur
la quantit dlivre/embarque...". N'ayons pas peur de considrer que,
selon la formule clbre du Juge Donaldson : "les clauses des
charte-parties sont des animaux tranges". Examinons successivement
: - la notion de port sr, - les garanties dont dispose l'affrteur
auprs des assureurs, - la responsabilit de l'affrteur l'gard de la
marchandise, - la situation de l'affrteur victime d'un conflit
auquel il est tranger, - le rle du courtier conseil et
gestionnaire. a) La notion de port sr : La responsabilit de
l'affrteur pourra tre recherche en raison du choix d'un port non
sr, sous rserve qu'il n'ait pas t connu du frteur avant le dpart du
navire. Tel est souvent le cas des cargaisons de riz vendues
pendant que le navire est flottant ; alors, la charte-partie
indique simplement comme destination : 1, 2, ou 3 ports (par
exemple de la Cte Ouest de l'Afrique, avec ou sans exclusion).
L'ala de la dsignation d'un port "unsafe" pse alors
incontestablement sur l'affrteur. Tout ce qui touche au contentieux
des charte-parties, est dlicat et subtil! Ainsi, ces contrats
contiennent-ils en gnral une disposition dfinissant la zone
gographique l'intrieur de laquelle l'affrteur peut utiliser le
navire. Si celui-ci sort de cette zone (que les assureurs anglais
appellent : I.W.L.- ou Institute Warranty Limits) - l'affrteur a
l'obligation pralable d'obtenir l'accord de l'armateur, qui lui
demandera le remboursement de la prime additionnelle de aux
assureurs du navire : soit pour les risques ordinaires de
navigation, soit pour la situation de guerre civile ou autre. On
pourrait imaginer qu' partir du moment o l'armateur accepte cette
situation, ainsi que ses assureurs, et qu'une surprime est paye ces
derniers pour risques aggravs, l'affrteur n'a plus de soucis se
faire. Il n'en est rien! En effet, il appartient galement
l'affrteur de demander et d'obtenir des assureurs du navire leur
agrment pour tre considr comme "co-assur"- dfaut de quoi, en dpit
du paiement de la surprime, l'affrteur peut tre recherch pour
dommages au bateau rsultant d'un port non-sr (Beyrouth, pendant la
priode de guerre..., la zone des Grands Lacs, en certaine priode de
l'anne...). C'est dans ce sens qu'a jug la Chambre Commerciale de
la "Queen's bench division", le 8 octobre 1979 (lloyd's law reports
(1980) vol. 2, p. 95), dans l'affaire "Helen Miller" : "The New
York Produce form charter for the "Helen Miller" contained an
additional clause defining the trading limits as being "between
safe ports within I.W.L. including St. Lawrence up to and including
Montreal, but excluding Cuba...Guinea, and all unsafe ports, but
Charterers have the liberty of breaking limits, they paying extra
insurance, if any...".The charterers ordered the ship to ports
outside the I.W.L. and she suffered ice damage on voyages to these
ports, which were found to have been unsafe at the relevant time.
Mustill J., held that the charterers were liable for this damage.
The owners had given general consent to trading outside the Limits
but this did not detract from the charterer's duty to select ports
which were safe, and this was not affected by the charterer's
payment of extra insurance premium : "by paying the premium the
charterer does obtain a benefit- the benefit of being able to send
the ship on a voyage which the owner would not otherwise allow her
to perform. But this is not at all the same as saying that the
charterer thereby obtains the right to send her on such a voyage
risk-free".
22. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 155 L'exemple est difiant, mais nous avons trouv
des dcisions similaires l'occasion de litiges opposant, par
exemple, un affrteur qui avait pourtant pay la surprime sollicite
par les assureurs du navire pour maintenir leur couverture pour un
voyage destination de Beyrouth, pendant la priode de guerre civile.
L'affrteur n'tant pas dclar "co-assur" dans la police, s'est vu
rclamer, avec succs, le remboursement de la valeur totale du bateau
coul la suite d'un attentat, et ce pour avoir choisi un port
"unsafe"! La responsabilit de l'affrteur pourra encore tre
recherche au titre des dommages causs au navire ou des tiers
(matriels et corporels) lors des oprations de chargement et/ou
arrimage et/ou dchargement, si celles-ci lui incombent aux termes
de la charte (fret trait FIOS - "free in and out and stowed"). Il
existe heureusement pour l'affrteur des assurances qui le mettront
l'abri de dboires certains. b) Garanties dont dispose l'affrteur
auprs des assureurs : Il est possible de couvrir les responsabilits
de l'affrteur l'gard des armateurs et l'gard des tiers, tant sur le
plan matriel que sur le plan corporel. Sont gnralement exclues les
responsabilits de l'affrteur l'gard de la marchandise, sauf
garantie particulire. On peut souligner que les primes requises
sont trs raisonnables. Pour citer un exemple, on pourrait envisager
de couvrir par navire et par voyage un capital de deux millions de
$., moyennant une prime de 0,45 $. par GT (tonneau de jauge brute),
avec un minimum de 1.50O GT, et par anne de navigation (prorata
temporis- minimum 3 mois). Cela signifie que, sous rserve
d'approuver les termes de la charte-partie, et le navire, les
assureurs couvriront dans la limite des capitaux indiqus ci-dessus,
la responsabilit de l'affrteur du navire "X" dont le GT ressort
1.50O, pour une prime de : 675 $/an soit 168.75 $ pour trois mois.
Nous sommes dans le cadre d'un navire construit depuis moins de 20
ans. Cette prime correspond 12 mois de couverture. Elle sera ramene
169 $. pour une priode n'excdant pas trois mois de risques (un
voyage). Naturellement, il s'agit d'un contrat pour un client
spcifique mais cela donne une ide de la tarification applique, qui
est modeste compte-tenu du caractre des risques garantis. Ajoutons
que les pnalits financires (surestaries, frais de dtention du
navire...), que supporte l'affrteur, n'entrent pas dans l'assurance
type que nous venons de dcrire. c) Responsabilit de l'affrteur
l'gard de la marchandise : Demeure en suspens la question de la
responsabilit de l'affrteur l'gard des marchandises transportes,
qui lui appartiennent gnralement, mais sont aussi destines, la
plupart du temps, tre revendues. Si l'affrteur est vendeur CIF, il
peut "maitriser" les ractions de ses assureurs, et obtenir d'eux de
renoncer tous recours mettant justement en cause sa responsabilit.
Il n'en est pas de mme du vendeur Cot et Fret, puisque les
marchandises seront alors couvertes par son acheteur, et que les
assureurs de ce dernier poursuivront le recours en toute
circonstance. En effet, l'affrteur aura ngoci le connaissement sous
l'empire duquel l'armateur se verra rclamer des dommages dont il
entendait ventuellement tre exonr suivant la charte-partie signe.
L'affrteur se verrait alors demander rparation par l'armateur, par
voie d'arbitrage, conformment la clause compromissoire de la
charte. Les "Protecting and Indemnity Clubs", qui sont des
mutuelles essentiellement britanniques et scandinaves, couvrent les
armateurs contre les recours de tiers, les problmes de pollution,
de gestion (amendes en douane, clandestins voyageant bord des
navires...), et, bien sr, les rclamations pour dommages aux
marchandises transportes. Certains de ces Clubs acceptent de
fournir une couverture approprie aux affrteurs, mme si cela n'entre
pas encore tout fait dans leur culture! d) Situation de l'affrteur
victime d'un conflit auquel il est tranger : Nous nous plaons dans
l'hypothse o la marchandise qui lui appartient se trouve embarque
sur un bateau qui est saisi en cours de voyage par suite d'un
conflit entre l'armateur et une autre partie (conflit auquel
l'affrteur doit tre tranger). Il est possible, dans une telle
hypothse, de garantir les frais de dchargement, transit,
rechargement et nouveau fret pour acheminer la cargaison
destination finale. Cette garantie est par exemple sortie effet
dans l'espce suivante : une cargaison de riz a t charge au Vietnam
suivant charte-partie de fvrier I993, pour compte de la socit
23. 156 REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 franaise X., qui avait affrt le navire R.
(pavillon : Malte, registre : Lloyd's Register). Le navire toucha
son premier port : Pointe Noire en juillet I993, pour y dbarquer
partie de son chargement. Avant la fin de cette opration, le R. est
saisi par les autorits congolaises, en application de la rsolution
820 des Nations-Unies, visant les biens appartenant des intrts
yougoslaves. Il semble en effet que ce bateau, sous couvert d'un
pavillon neutre qui lui servait de "paravent", avait conserv des
liens financiers avec son armateur antrieur (la socit Prekooveanska
Plovidba, de Bar, Yougoslavie). Aprs de dlicates et longues
discussions, les autorits autorisent enfin le dchargement du riz
destin Pointe-Noire, puis le transfert des 6.000 T. destines deux
autres ports africains. Mais il est ncessaire d'organiser le
transbordement, puis l'affrtement d'un nouveau bateau - soit une
dpense de plusieurs centaines de milliers de dollars. L'assurance
des frais spciaux heureusement souscrite par l'affrteur -
propritaire de la marchandise - sur la vive insistance de son
courtier, permit ce client d'tre totalement indemnis. Nanmoins, il
est bien prfrable, plutt que de souscrire de telles garanties
d'ailleurs difficiles placer sur un march spcial satur, d'inviter
l'affrteur se montrer particulirement vigilant en ce qui concerne
la qualit du navire qu'il affrte, de son armateur, et de son
oprateur. De plus en plus, les assureurs sont attentifs obtenir la
certitude que tel navire qui est affrt par l'un de leurs clients,
bnficie bien d'une couverture "club" en cours de validit. En effet,
en cas de litige, sauf obtenir ds la fin du voyage une caution
bancaire ou une garantie du club - ce qui n'est pas toujours
possible - les assureurs, qui doivent dsormais renoncer l'ide
d'engager une action directe contre le club (jurisprudence
dfavorable de la Chambre des Lords dans les affaires FANTI et PADRE
ISLAND), apprhendent de se trouver dans la situation suivante : -
un armateur impcunieux, - un club qui a retir sa couverture pour
non paiement des primes... Mais il faut admettre qu'il est
extrmement difficile d'obtenir cet gard une preuve incontestable -
tant entendu que des mentions du style : "...le navire "X" est
inscrit au pandi club "Y", et cette couverture sera maintenue
pendant toute la dure de l'affrtement", figurant dans la
charte-partie, n'a strictement aucune valeur vis--vis du club vis,
et peut tre insre de manire tout fait fantaisiste. e) Rle du
courtier - conseil et gestionnaire : Le risque de perte totale
comme le danger d'avaries communes (suite un incendie ncessitant
des mesures de sauvegarde dans l'intrt gnral, ou une avarie de
machines entrainant une assistance), augmentent videmment avec la
vtust du bateau. L'entretien du navire, et la qualit de sa gestion,
sont galement des lments dterminants du risque. Il existe des
lments aggravants complmentaires tels : - le dfaut de cote par un
registre de classification reconnu, - le fait de battre pavillon de
complaisance (ce qui correspond, bien souvent, pour le personnel
navigant considr, une absence de couverture sociale, ainsi qu' une
moindre exigence en matire de diplmes, par consquent de comptence).
Voici une illustration de notre propos : le navire KORTANK battant
pavillon grec, charg d'une cargaison de ptrole destination de DAKAR
(Sngal), s'est chou la sortie du port de Salonique, le 27 fvrier
1989. Il a d tre assist, sur la base d'un contrat "no cure no pay".
Ses armateurs l'ont dclar en avaries communes. Les assureurs de la
marchandise, assists de leur courtier, ont procd une enqute. Il est
alors apparu que le capitaine, en fin de carrire, avait une vue
dficiente qui l'obligeait porter des verres grossissants. Au
surplus, ce navire KORTANK avait un quipage d'une belle diversit :
5 langues y taient en usage! Ainsi, la conviction des experts
fut-elle que le capitaine n'avait eu qu'une vision imparfaite de la
position du bateau, comme des mesures prendre. Au surplus, ses
ordres dans cette tour de Babel arrivaient tardivement et dforms. A
vrai dire, le KORTANK tait "unseaworthy"- c'est--dire :
innavigable. Voici d'ailleurs quelques lments de l'enqute laquelle
il fut procd : "...the master was seriously short-sighted. He
thought that the vessel's course was 200 when it was in fact
230...He was unable to command and/or navigate the vessel safely,
properly or correctly... ...the vessel's master, officers and/or
crew were made up of individuals from several different countries
whose command of the english language was imperfect and/or
inadequate...(they) were unable adequately or at all to work
together and/or communicate with each other for the purposes of the
safe navigation of the vessel...".
24. REVUE DE DROIT COMMERCIAL, MARITIME , ARIEN ET DES
TRANSPORTS - 1995 157 Une action volontariste mene par le
courtier-gestionnaire, pour compte commun de la cargaison et de ses
assureurs, a permis d'obtenir l'abandon de la procdure d'avaries
communes, et le remboursement de l'essentiel des dpenses exposes
(soit un gain pour les Assureurs d'environ 500.000- $.). Nous
sommes loin du courtier traditionnel, qu'il soit courtier jur ou de
libre tablissement. Cette situation nouvelle s'est forge au fil des
preuves : tant dans la conception que dans l'excution des affaires.
Ce mandataire ne peut vraiment pas se contenter d'tre un
intermdiaire passif entre clients et assureurs, un apporteur
d'affaires dont il ne s'occuperait qu'une fois par an, au moment du
renouvellement des contrats. Il doit s'impliquer, se remettre en
cause, si ncessaire, avec les risques techniques que cela comporte.
Il est vrai que certains courtiers spcialiss dans l'assurance
maritime avaient dj acquis cette philosophie, et l'appliquaient
naturellement dans leur activit. Tous devront suivre pour tenir
compte des mutations intervenues, et pour rester l'interface
incontournable de ce personnage nouveau apparue dans les
entreprises modernes : le RISK-MANAGER. Nous verrons dans la
deuxime partie, l'attitude de la jurisprudence l'gard de ce
professionnel que nous dcouvrons ensemble : le COURTIER. DEUXIEME
PARTIE : LA RESPONSABILITE DU COURTIER Nous le savons, le courtier
d'assurances maritimes est le mandataire de ses clients : les
assurs. Ainsi que l'crit le doyen Rodire (7) : "cette qualification
tient son rle et commande sa responsabilit. Pour l'assur, il est
l'homme de confiance qui s'occupe de tout ce qui se rattache de prs
ou de loin la police ; c'est lui qui choisit, sauf exception, la ou
les compagnies d'assurance qui vont couvrir, dans les conditions
que le courtier dbattra pour lui, les risques prvus par la police
souscrire. Son rle est si important que, dans la pratique, les
assurs tiennent volontiers le courtier pour leur assureur, ce qu'il
n'est pas". "Sa responsabilit sera celle d'un mandataire, selon le
droit commun de l'article 1992 du Code civil". Rappelons le contenu
de cet article : "le mandataire rpond non seulement du dol, mais
encore des fautes qu'il commet dans sa gestion...". Bien sr, la
situation dcrite ci-dessus tend voluer : les groupes industriels,
les compagnies de navigation, les firmes de ngoce les plus
importantes, ont des services chargs des problmes d'assurance, qui
s'en acquittent souvent avec comptence. Certains lient mme leur
sort des compagnies d'assurance "captives", qui, par le jeu des
rassurances, leur permettent de rcuprer une partie de leurs primes.
D'autres prfrent grer leur portefeuille dans le cadre d'un bureau
de courtage "captif", avec la double volont d'conomiser une partie
de la commission de l'intermdiaire, et de tenter d'apporter un soin
supplmentaire leurs propres affaires. Il s'agit l, il faut le dire,
de comportements marginaux, qui laissent un large domaine
d'intervention au courtier multi-cellulaire. Celui-ci est nanmoins
soumis des sollicitations continuelles rsultant au surplus : - de
la concurrence du courtage international - ce qui est lgitime, - de
la pression aggrave de clients dsireux d'obtenir, sans cesse, des
taux plus bas, des conditions plus tendues, et des prestations plus
larges. Dans le mme temps, les rsultats techniques des compagnies
d'assurances, spcialement dans la branche transports, sont
hsitants, leurs plus-values boursires se sont amenuises, et la
valeur des immeubles qui constituent une partie de leurs rserves a
dcru! Dans cet environnement particulier, attachons nous, travers
la jurisprudence, passer en revue : A) les attributions du
courtier, mandatair