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Chapitre1
Parti de Rome, le bus arrivait à présent à proximité de Florence, berceau de la Renaissanceitalienne et cité des puissantsMédicis. L’après-midi touchait à sa fin et le soleil déclinait lentement,baignantd’unedoucelumièresépialespaysagesenchanteursdelaToscanequidéfilaientsouslesyeuxcharmés deFanny.Tous ces villages aux toits rouges, nichés au cœur de vallées aux courbes presqueféminines,cesrangéesdevignes,surlescoteaux,succédantauxhaiesdecyprès,l’émerveillaient…
Cependant, cesmerveilles semblaient totalement échapper à ses collèguesd’Air Provence, petitecompagnie aériennequi assurait la liaisonentreNiceetRome. Ils avaient rencontré leurshomologuesitaliens le temps d’un week-end. À présent, ils étaient sur le chemin du retour direction la frontièrefrançaise.
Baptiste,l’undesstewards,vints’asseoirsurl’accoudoir,àcôtéd’elle.–J’ai toujoursaimé l’Italie,dit-ilavecunsourireenjôleur, recoiffantmachinalementsescheveux
blonds.Jetrouvecepaystellementromantique.Pastoi?Fannytournalatêteetdardasurluiunregardhautain,espérantledécouragerdepoursuivre.–Ohoui!C’estterriblementromantique!s’exclamaJulie,s’immisçantdanslaconversation.Baptistel’ignoraetselevapourrejoindrelesautresstewards,aufonddubus.Julieprofitadeson
départpourprendresaplacesur l’accoudoir.C’étaituneblondesculpturaleauvisageharmonieux,quiaurait pu être mannequin si elle n’avait pas mesuré un mètre soixante. Et ses chaussures aux talonsvertigineuxn’ychangeaientrien.
–Tuesdureaveclui,Fanny!Ilestdinguedetoiettoi,tulerejettescommeunevieillechaussette.–Jen’appréciepasdutoutcetyped’homme.–Tuesvraimentdifficile!Touteslesfillesd’AirProvencepaieraientcherpouruncomplimentde
lui!–Pasmoi.–Jecomprendsmieuxpourquoituestoujourscélibataireàvingt-huitans!LevisagedeFannysecrispaimperceptiblement.–Tuconnaisledicton:«Mieuxvautêtreseulequemalaccompagnée»,dit-elled’unevoixqu’elle
espéraitenjouée.–MalaccompagnéeavecBaptiste?Ilparaîtqu’aulit,c’estunsupercoup.– Julie ! Je ne veux pas savoir si tes informations sont fondées ou non. Ni comment tu les as
obtenues!– Il s’agit juste de rumeurs. Tu es peut-être la fille la plus belle et la plus intelligente que je
connaisse,tuasbesoind’amour.Commenoustoutes.
–S’iln’yaqueça…J’adopteraiunchien.–Paslapeine:Baptistebavedéjàrienqu’enregardanttonombre!Fannyéclataderire.Unrirecristallinetmélodieux.–N’insistepas,Julie.Jeneveuxpasd’unhommecommeluidansmavie.Ladiscussionétaitclose.Elles’adossacontresonsiègeetlaissasonregarderrerparlafenêtre.Le
minibuss’étaitarrêtéaufeu,etuneélégantevoiturerouges’arrêtajusteàsonniveau,attirantl’attentionde Fanny.C’était un coupé sport au châssis très bas. Sa ligne originale avait quelque chose de rétro.Plaquant son front contre la vitre, elle détailla le petit bolide. La peinture vermeille accrochait lesderniersfeuxdusoleil.Lacapotebaisséeetleslignessportivesdelacarrosserieinvitaientauxlonguesbaladescheveuxauvent.
Soudain,leconducteurtournalatêteverselle.Avecsesmâchoirescarréesetsonnezdroit,ilavaitlabeauté intemporelledeces statuesenmarbrequ’elleavaitvuesdans lesmusées,àRome.Sesyeuxétaientdissimulésderrièredes lunettesdesoleil.Unemonture indémodabledestyleaviateur.Derrièreses verres miroir, il semblait la dévisager. Ses lèvres fines et sensuelles s’étirèrent en un sourireéblouissantetelleeutl’impressiond’êtretraverséeparunedéchargeélectrique.Soncœurs’affola.Ellese trouva incapablededétourner le regard.Elle nepouvait ni expliquer ni contrôler l’attirance subitequ’elleéprouvaitpourceparfaitinconnu.
–Eh,lesfilles!criaJulie.Venezvoircequenousavonssousnosfenêtres!Elledésignaleconducteurdelavoituredesport.Toutesserassemblèrentdevantlesvitresetcefut
unconcertd’exclamations:–Waouh!Commeilestbeau!–Tropcraquant!Alertésparcetteeffervescence,leshommesnefurentpasenreste.–Eh,lesmecs!Venezvoir…–UneAlfaRomeo8CSpider!– Ça, c’est de la bagnole ! Quatre cent cinquante chevaux sous le capot et six rapports avec
commandeauvolant…Lescommentairesfusaient,sansquelechauffeurdubolidenesedépartedesonséduisantsourire.– Vous êtes ridicules ! les interrompit Baptiste. À croire que vous n’avez jamais vu un de ces
frimeursd’Italiens.–Jamaisunquisoitaussibeau,rétorquaJulie,enroulantdesyeuxextatiques.–Nidansunevoitureaussi…–Aussichère?suggéraunbagagiste.–Cen’estqu’unm’as-tu-vu,crachaBaptiste.–Ilmefaudraittoutdemêmedixansdesalairepourm’acheterunebagnolepareille,rétorqual’un
desstewards.–Reprenezvosplaces,ditencoreBaptiste,quinecachaitplussamauvaisehumeur.Vousallezfaire
chavirerlebus.Toute à sa contemplation, Fanny n’avait pas pris part à l’échange. Les cris et les rires de ses
collègues ne l’atteignaient pas. Le monde extérieur lui était soudain devenu indifférent, son attentionentièrementfocaliséesurleconducteurdel’AlfaSpider.Elleétaitpersuadéeque,derrièreseslunettes,iln’avaitd’yeuxquepourelle.Unesensationétrangelasaisitaucreuxdel’estomac.Unsentimentinconnuetsipuissantqu’ill’effraya.
Lefeupassaenfinauvert.Lebel Italien luiadressaalorsunderniersourireravageuretdémarradansunvrombissementdemoteur.Fanny tendit lecou,espérantnepas leperdredevue.Mais lebus,
beaucouptroplent,futrapidementdépassé.–Ça,c’estdelavoiture,soupiraunbagagiste.–Ça,c’estdumec,réponditenéchounehôtesse.L’équipepartitdansungrandéclatderireetcettesingulièrerencontrealimentaleursconversations
jusqu’ausoir.Fanny,quantàelle,nedesserrapaslesdentsdurantlerestedutrajet.Nil’humourdeJulie,nileseffortsdeséductiondeBaptisteneladéridèrent.Elleétaittoujourssouslecharmedecetinconnu.
Cene futqu’une foischezelle,àNice,danssonpetitappartementdonnant sur lapromenadedes
Anglais, queFanny réalisa combien son attitude était dénuée de sens.Comment pouvait-elle être à cepoint troubléeparunhommequ’elleavaitsimplemententrevu?Pourtant, l’imagedesonvisagenimbéparlalumièredusoleilcouchantpersistaitdanssonesprit,etchaquefoisqu’elleenévoquaitlesouvenir,unlongfrissons’emparaitd’elle.Soncorpsréagissaitdefaçonincontrôléeetincontrôlable.Quiétait-il?Unjeuneprétentieuxparadantavecsadécapotable,commel’avaitsuggéréBaptiste?Ellenelesauraitprobablementjamais.Etpuis,àbienyréfléchir,ellen’étaitmêmepascertainequeleursregardss’étaientréellementcroisés.Elles’étaitlaisséemporterparsonimagination,etilneresteraitdeluiqu’unevisionfurtive.Unfantasme.
Chapitre2
Encedébutdematinée, l’aéroportdeNiceCôted’Azurgrouillaitdéjàd’une foulecompacte.Lasaisonestivaletouchaitàsafinetdenombreuxvacanciersrentraientchezeux.FannyretrouvaJulieauxbanques d’enregistrement. L’uniforme aux couleurs d’Air Provence lui seyait à ravir, elle le savait,commeleluiconfirmèrentlesnombreuxregardsmasculinsquilasuivaientavecadmiration.Sarobebleulavande moulait sa silhouette élancée et son élégant port de tête conférait à sa démarche une allurearistocratique. Elle ne portait aucun bijou et ne se maquillait pas. Sa beauté n’avait besoin d’aucunartifice.
–VoicilaPNL,dit-elleenutilisantl’acronymedelaPassengerNameList,autrementditlalistedespassagersenregistréspourlevol.Ellesorttoutechaudedel’ordinateur!
ElleétaitentréeunanauparavantàAirProvenceentantquesaisonnière,etelleavaitaujourd’huilaresponsabilitédel’équipeausol.Consciencieuseetappliquée,ellenecomptaitpassesheures.Pourquoileferait-elle,alorsquepersonnenel’attendaitchezelle?
–Quenousréservelevold’aujourd’hui?–NousavonsdeuxUM.UM,UnaccompagnedMinor…Desenfantsvoyageantseuls.–Quelâgeontlesboutsdechou?demandaJulie.–Sixetneufans.–Tun’asjamaisrêvéd’avoirdesenfants?Cettequestioninnocente,prononcéesurletondelaconversation,réveillaunedouleuraiguëdansle
cœurdeFanny.Sonestomacsecontractaetellesentitlesangrefluerdesesjoues.C’étaittoujourspourelleunsujetsensible.
–Si,commetoutlemonde,répondit-elle,masquantmalsonémotion.–J’adoreraisavoirdesjumeaux!–Drôled’idée…–Jesuissûrequesituleluidemandais,Baptisteteferaituneribambelledepetitsaussiblondsque
lui.–Quellehorreur!Jetelelaissevolontiers.–C’estgentildetapart,maisjen’enveuxpas.Deplus,jedoutequ’ilacceptemacandidature.Iln’a
d’yeuxquepournotreprincessedeSibérie.–J’enaidelachance…,soupiraFanny,levantlesyeuxauciel.Julieéclataderire,etFannyl’imita.Elleavaitapprisàaimercesobriquet.Audébut,l’équipela
taquinaitgentimentsursaréservequifrôlaitl’indifférence.Quelqu’unl’avaitalorsappeléelaprincesse
deSibérie.Cesurnomluiallaitbien,elledevaitlereconnaître,illustrantsonportaltiermaiségalementsaparfaitemaîtrisedesesémotions.Lesmoispassant,elles’étaitlaisséapprivoiserparsescollègues.Ils étaient devenus presqueune famille pour elle.Le surnométait resté, devenu affectueux et plein derespect.
L’enregistrement et l’embarquement du vol dumatin se déroulèrent sans encombre. La PNL à lamain,Fannyrejoignitensuitel’appareild’AirProvencerangésurlapiste.Letarmacrenvoyaitlachaleurdesrayonsdusoleiletdesréacteursdesavions.L’airétaitsaturédel’odeurcaractéristiquedukérosèneetdusifflementdesmoteurs.
Elle avait appris à apprécier cette ambiance que d’autres auraient trouvée angoissante. Pourquelques instants, ellequittait la ruchebourdonnantequ’était l’aérogarepourgagnerunavionpleindepassagers,prêtàdécoller.Elleaimait lesresponsabilitésquecelasupposaitetcesminutesdesolitudevoléesàl’équipequ’elledirigeait.
Lepiloteenpersonnel’accueillitenhautdelapasserelle.C’étaitunbelItaliend’unequarantained’années,trèsbrunettoujourssouriant.
– Fanny, cara mia ! l’interpella-t-il avec son charmant accent. Comment fais-tu pour être aussisublime?
–BonjourMario.Toujoursaussiflatteuràcequejeconstate.–Nedispasça,caramia,tufaisdemoil’hommeleplusmalheureuxdelaTerre.–Quelgoûtdudrame!VoicilaPNL.–Moi,c’esttoncœurquejeveux.–Mario…,legourmanda-t-ellegentiment.Situn’existaispas,ilfaudraitt’inventer!Elle avait l’habitude de ces plaisanteries qui se terminaient invariablement en un éclat de rire.
ContrairementàBaptiste,Marionecherchaitpasàlaconquérir,illarespectait,lui!–TuasvuMario?demandaJulie,quandellereparut.–Toutjuste!– Quand c’est moi qui porte la PNL, j’ai droit au chef de cabine. Pour toi, c’est le pilote en
personnequisedéplace.Julielataquinaitvolontiers,carellesappréciaienttouteslesdeuxlabonnehumeurdeMario.Mais
leurssouriress’effacèrent, lorsqueBaptiste lesrejoignit. Il invitaFannyàdéjeuneretcommetoujours,ellerefusa.
–Ilfautquejeteparle,insista-t-il.–Jedoisyaller.–C’estimportant,Fanny…Commeellefaisaitminedepartir,illarattrapaparlebras.Cesimplecontactluidéplutetellele
foudroyaduregard.Pourquoinecomprenait-ilpasqu’ellen’éprouvaitrienpourlui?–AirProvenceaétéracheté,lâcha-t-il,alorsqu’ellesedégageait.Elleportalamainàlabouche,sousl’effetdelasurprise.–C’estimpossible!Nousl’aurionsforcémentsu.–Ilfautcroirequenon.–Ettoi,commenttul’asappris?demandaJulie.–Cenesontpastesoignons!Fanny fronça les sourcils. Elle n’aimait pas la façon dont il parlait à Julie. Toutefois, elle était
curieuse de savoir comment il avait pu obtenir une information si confidentielle. Elle doutait de sasincérité,etlesoupçonnaitd’avoirinventécettehistoire.Unsimpleprétextepourdiscuteravecelle.Ellesoutintsonregard,cherchantàylirelavérité.
Sil’onfaisaitabstractiondesasuffisance, ilfallaitreconnaîtrequ’ilavaitunphysiqueagréable:grand, athlétique, arborant une magnifique crinière blonde qui faisait sa fierté. Elle comprenaitparfaitementqued’autresfemmespuissentletrouverattirant.Cependant,plusellelecôtoyait,pluselletrouvait lepersonnagedétestable. Il lui rappelaitunpaonsepavanantavec suffisancedansunebasse-cour.
Elle s’éloigna avec Julie, et toutes deux gagnèrent la cafétéria de l’aéroport, commentantl’incroyablenouvelle.
–Tucroisquec’estvrai?demandaJuliepourlatroisièmefois.–Jen’ensaisrien.Jen’aiaucuneconfianceenBaptiste.–Ilnousauraitmenti?–Jenesaispas.Detoutefaçon,nousconnaîtronsbienasseztôtlavérité.–Tupensesqu’ilyauradeslicenciements?Fannyhaussalesépaulesensigned’ignorance.–Toi,tun’asrienàcraindre,repritJulie.Tueslaplusparfaitedesemployéesausol!–Merci.Jeteretournelecomplimentcarjeterappellequec’esttoiquim’asformée!UnpâlesourirenaquitsurleslèvresdeJulie,quiparutunpeurassérénée.Peu après, alors qu’elle traversait la zone réservée aux départs, Fanny s’écarta au passage d’un
chariotremplidebagages.Lepèrelepoussaitd’unemain,unbraspasséautourdelatailledesafemme.Leursenfantss’égayaientautourd’euxenpoussantdescrisdejoie.Ilsdonnaientuneimagedubonheursiparfaitequ’ellesesurpritàlesjalouser.Elleserepritrapidement,sachantqu’elleétaitinjuste.Cesgensn’étaientpasresponsablesdudésastredesavie,etlesenviern’ychangeraitrien.Ellen’enfiniraitdoncjamaisavecsesvieuxdémons?Elleinspiraprofondémentetchassacespenséesnégativesdesonesprit.
Unéclatdelumièredanslacohueattiraalorssonattention.Ouplusprécisémentlaréverbérationdusoleil sur les verresmiroir d’une paire de lunettes de soleil. Immédiatement, elle songea à l’inconnucroiséprèsdeFlorence,danssadécapotablerouge.Àlapenséequ’ilpuisseêtreici,siprèsd’elle,soncœursemitàcogneràtoutrompre.Elleallaitlerevoiretpeut-êtremêmeluiparler!Savoirenfinquiilétait… Sa propre impatience la surprit. Elle se mit sur la pointe des pieds et scruta la foule. Maisl’affluenceétaittellequ’ilétaitimpossibledereconnaîtrequiquecesoit.Ladéceptiondel’avoirperdufut cuisante. Puis elle se sermonna, furieuse de s’être comportée comme une enfant, tâchant de sepersuaderquecettevisionn’étaitquelefruitdesonimagination.
Aprèsl’arrivéeduvolenprovenancedeRome,Julieetelles’assurèrentqu’iln’yavaitaucunlitigebagage. C’est alors que le responsable du personnel de piste, venu les rejoindre, leur confirma lanouvelleduchangementdedirection.
–AinsiBaptistedisaitlavérité…,soufflaFanny,atterrée.–Baptiste!Illesavaitetilnenousariendit?Leurcollèguedigéral’informationetpoursuivit,lavoixaltéréeparlacontrariété:–Le responsable syndical vient tout juste de nous l’apprendre et une réunion est prévue ce soir,
aprèsledernieravion.Lenouveaupropriétaireseralà.–Quic’est?demandaJulie.–Jen’ensaispasplus,avoua-t-il.Vousviendrez?–Biensûr!affirmaFanny.–Tucroisquenousgarderonsnosjolisuniformesbleulavande?demandaJulieaprèsledépartdu
responsable.Jem’étaishabituéeàcettecouleur.
–Tu feras part de tes réclamations au nouveau directeur. Peut-être découvrirons-nous un hommeaimableetséduisant.
–Tuparles!Attends-toiplutôtàunvieuxmonsieurchauveavecungrosventre!Le soir venu, la nouvelle avait fait le tour de l’aérogare, et tout le personnel était impatient de
connaître son sort. Chacun avait son hypothèse. Dans le brouhaha le plus total, de folles rumeurscommençaientàcirculer.Lemot«licenciement»étaitdanstouteslestêtes.C’étaitlacrainteprincipaledeceshommesetcesfemmesquiavaientcontribuéaudéveloppementdelacompagnie.AlorsqueJulieprenaitpartà l’effervescencecollective,Fannypréféra restersagementau fondde lasalle.Mal luienprit,carBaptistel’aperçut,etprofitadecequ’elleétaitseulepourl’aborder.
–Qu’enpenses-tu?demanda-t-ilàvoixbasse,leslèvrespresquecontresonoreille.Fannysursautaets’écartaaussitôt.–Qu’est-cequetudisdetoutça?répéta-t-il,montrantlasallecomble.–Rien.Elleespéraitquesaréponselapidaireluiferaitcomprendrequ’ellen’avaitpasenviedepoursuivre
laconversation.Baptisten’eutdetoutefaçonpasletempsdepoursuivre:unsilencedeplombs’abattitsurlapièce.Touslesregardsconvergèrentalorsdanslamêmedirection,puisunmurmures’élevadansl’assemblée.
– Mesdames et Messieurs, bonsoir, dit une voix masculine. Je vous remercie d’être venus sinombreux.
L’hommequivenaitd’entrerdevintimmédiatementlecentredetouslesregards.Ildépassaitparlataillelamajoritédesonauditoire,etFannyputsanspeineobserversonvisage.Elleaperçutdescheveuxnoirscoupéscourt.Puisdeuxyeuxàlachaudecouleurbrune.Uneétrangeimpressiondedéjà-vuaccéléralesbattementsdesoncœur.
–Jevaisêtrebref.Jem’appelleEliotEndrieuetjesuislenouveaudirecteurd’AirProvence.Àcetteannonce,lepersonnels’agitaetleschuchotementss’intensifièrent.– C’est donc lui ! éructa Baptiste. Dans combien de temps va-t-il nous annoncer les mauvaises
nouvelles?–Qu’est-cequitefaitcroirequ’ilyenaura?Fannydésapprouvaitletonméprisantethautainqu’ilavaitemployé.–RedescendssurTerre,Fanny!Cemecesticipourseremplirlespoches.Cen’estpasleprince
charmantquetuasdevanttoi!Le prince charmant. À en juger par les sourires béats des femmes présentes dans la salle,
l’expression était particulièrement bien choisie. Son entrée remarquée et son assurance naturellecadraient parfaitement avec le personnage. Il ne manquait pour compléter l’image d’Épinal, qu’undestrierblancetuneépéeétincelante.
–Chut!Écoutonscequ’ilaànousdire,luiintima-t-elle.Les sourcils froncés, elle voulut s’éloigner deBaptiste,mais elle était coincée contre lemur.Se
résignantdoncàsubirsaprésence,ellereportasonattentionsurceluiquiétaitdorénavantsonemployeur.–Je tiensàvousrassurer,ditcedernierdesavoixgrave. Iln’yauraaucun licenciementpour le
moment.Unevaguedesoulagementfutaussitôtperceptibleparmilessalariés.–Tuvois,ditFannyavecuneexpressiontriomphante.Pasdelicenciement.–Iladit«pourlemoment»,soulignaBaptiste.Malgrélalueurmauvaisequibrillaitdanssonregard,elledutadmettrequ’ilavaitraison.
–Ceseratoutpourcesoir,repritEliotEndrieu.Jevousremercied’êtrevenus.Sansautreformalité,ilsedirigeaverslasortie.–C’esttout!Ilnousafaitdéplacerpournousdireça!Quelfrimeur!sifflaBaptisteàl’oreillede
Fanny.Il était si proche d’elle qu’il la frôlait presque. À ce moment précis, le nouveau patron d’Air
Provence tourna le visage dans leur direction. Son regard accrocha celui de Fanny et ses prunellessombres la transpercèrent jusqu’à l’âme.Elle tressaillit, incapabledebaisser lesyeux.Lapièceetsesoccupantsdisparurentdansunbrouillardflou.SeulcomptaitEliotEndrieu.Illuisemblaitqu’ilsétaientconnectésparunliensecretconnud’euxseuls.Ellevitseslèvress’étirerenunsourirecarnassier,puisildétournalatête,etquittadéfinitivementlapièce,lalaissantdanslaplusgrandeconfusion.
Ellesavaitquiilétait.L’hommequ’elleavaitaperçuenItaliedanssoncoupésport.L’hommesurquielleavaittantfantasmé.Etàencroireleregarddontill’avaitenveloppée,ill’avaitreconnuecommeelle-mêmevenaitdelefaire.Encoresouslecoupdel’émotion,elleduts’adosseraumur.Illuisemblaitquesoncœurs’étaitarrêtédebattreetqu’ilallaitsedécrocherdesapoitrine.
–Ah!Tueslà!s’exclamaJulie,jouantdescoudespourlarejoindre.Jetecherchaispartout.ElleparutsurprisedelatrouverencompagniedeBaptiste.– Finalement, je suis bien contente qu’Air Provence ait été racheté, reprit-elle, enthousiaste. Ce
patron-làestplutôtbeaugosse.–Plutôtbeaugosse?s’exclamaunehôtessequisetrouvaitprèsd’elle.C’estlemeclepluscanon
quejeconnaisse!–Cebellâtre?raillaBaptiste.Qu’est-cequevouspouvezbienluitrouver?–Jeviensdeledire:ilesttrèsbeau,réponditl’hôtesse.Etpleinauxas,manifestement,cequine
gâcherien.Julieetellegloussèrent.–Nemedispasquetoiaussituletrouvesmignon?demandaBaptistescandalisé,prenantFannyà
témoin.–Jen’aipasd’opinion.Personne ne semblait remarquer sa pâleur et sa voix étranglée. Tant mieux… Pas plus qu’ils
n’avaientfaitlerapprochementavecl’hommeàl’AlfaSpider.Incapablederesterpluslongtempsàlesécouterparlerd’EliotEndrieu,ellesedirigeaverslaporte.
Julielarattrapa.–Tut’envasdéjà?–Jesuisfatiguée.–Onnemelafaitpas,àmoi.Tuestoutebizarre.C’estBaptiste?–Jel’aisuffisammentsupportépouraujourd’hui,réponditFanny.UnefaçonderépondreàJuliesansvraimentluimentir.–Fuirn’estpaslabonnesolution.–Tuascertainementraison,maisjen’enaipasd’autrepourlemoment.–Parle-lui.–Commentveux-turaisonneruntelentêté?Jefaispourtanttoutpourledécourager!–Espéronsqu’ilfiniraunjourparcomprendre.–Ilfaudraitunmiracle,etilyalongtempsquejenecroisplusauxmiracles,Julie…
Chapitre3
Aprèsavoirsaluéàlacantonade,Fannysedirigeaversleparkingréservéaupersonnel.ApercevantBaptistequisortaitàsontourdel’aéroport,elleaccéléralepas.Ilétaitbienladernièrepersonnequ’ellesouhaitaitvoir !Arrivéedevant sapetiteClio,elle fouilla sonsac fiévreusement, espérant trouver sesclésdevoitureauplusvite.
–Bonsoir,ditalorsunevoixd’hommederrièreelle.Prenant conscience qu’elle était seule dans le parking désert, Fanny fut prise d’une crainte
irraisonnée.Malgrélapénombre,ellereconnutavecsoulagementlahautesilhouetted’EliotEndrieu.–Oh!C’estvous,articula-t-elle,lesoufflecourt.–Voussemblezdéçue.Vousattendiezquelqu’und’autre?–Non,personne.Il était sous la lumière d’un lampadaire, et elle reconnut tout à fait les traits du bel Italien à la
voituredesportdanslevisagedunouveaupropriétaired’AirProvence.Sescheveuxcourtsdégageaientunfrontintelligent.Unelignedesourcilsfournismaisbiendessinéssoulignaitunregardvifetpétillant.Presqueinsolent.Sesjoues,parfaitementrasées,encadraientunnezfinetdroit.
–Votreamin’estpaslà?reprit-il.–Julie?–Non,l’homme.–Quelhomme?Il eut de nouveau ce sourire carnassier qui le faisait ressembler à un prédateur. Elle tressaillit,
hypnotiséeetimpressionnéeparsaprésence.–Voussaveztrèsbiendequijeparle.–Non,jevousassure,répondit-elleentoutefranchise.–Quelgenredefemmeêtes-vousdoncpouravoirdéjàoubliél’hommequisecollaitencoreàvous
ilyaseulementquelquesinstants?Ellecompritaveceffroiqu’ilparlaitdeBaptiste.Maisellen’eutpasletempsd’objecterquedéjàil
poursuivait:–Vousêtespartierapidementaprèslaréunion.Illuisemblaentendreunepointedereprochedanssavoixgrave.–Vous-mêmen’yêtespasrestétrèslongtemps.–Jen’avaisriend’autreàajouteretpuis,j’aivucequej’avaisàvoir.Ellesentitlefeudesonregardseposersurelleavecuneintensitéquilalaissasansvoix.Elleétait
certaine que la fin de la phrase lui était destinée, et qu’il faisait allusion à ce brefmoment où leurs
regardss’étaientcroisés,enItalie.Ilss’observèrentensilence,commedeuxadversairesquisejaugent.– Ainsi donc, vous travaillez à Air Provence…, dit-il enfin, brisant le silence. J’étais loin de
l’imaginer,quandjevousaivuedanslebus.–Qu’avez-vousimaginé?–Etvous?Il lui avait retourné la question et elle se sentit prise au dépourvu. Il la dominait d’une tête.
Paraissaitplussûrdeluiquedanslasalle.Presquemenaçant.–Oùhabitez-vous?demanda-t-iltoutdego.–SurlapromenadedesAnglais.–Cen’estpastrèsloin.Montezdansvotrevoiture.Jevoussuisaveclamienne.–Mesuivre?Pourquoi?–Vousn’avezjamaisentenduparlerdecar-jacking?Elleeutsoudainl’impressiond’êtreuneenfantréprimandéeparsonpère.–Jevousremerciedevotresollicitude,dit-elleavecunecourtoisiequedémentaitsonregardfroid.
Néanmoins,jesuisunegrandefilleetjemedébrouilletrèsbientouteseule.Presque toujours, corrigea-t-elle en son for intérieur. Ne pouvait-il pas s’en aller et la laisser
tranquille ? La situation était déjà assez embarrassante pour elle. Elle se sentait tellement coupable !Pourquois’était-elleabandonnéeàlarêverie,cejour-là,lefrontappuyécontrelavitredubus?
Desoncôté,ilsemblaittrèsàl’aise.Elleétaitcertainequesoncostumegrisclairétaitcoupésurmesure. Sa veste épousait lamusculature de ses épaules, et il ne portait pas de cravate. Elle nota dediscretsboutonsdemanchettes.Élégant,sansluxeostentatoire,ildégageaituncharmeravageur.Iln’étaitpasleprincecharmantdescontesdefées,néanmoinsilagissaitenseigneuretmaître.Lemondesemblaitluiappartenir.Àcettepensée,elleeutunsursautderévolte.
–Jen’aipasbesoindevotreaide,monsieurEndrieu.Sonintonationétaitsansappel.Ellerelevalementonavecfierté,montarésolumentdanssavoiture,
etactionnaledémarreur.Hélas,seseffortspourpartirdignementfurentréduitsànéant.Elleavaitbeaus’échineràtournerlaclédecontact,laCliorefusaobstinémentdedémarrer!
–Nemelâchepas!supplia-t-elleentresesdents.Pasmaintenant.
***
Restédeboutàcôtédelaportière,Eliotnelaquittaitpasdesyeux.Pasunseulinstant,ellenes’étaitdoutéequ’ill’avaitattendueetsuivie.Ilavaitétéfrappédestupeurenlaretrouvantparmilesemployésdecettepetitecompagnieaérienne.Etlechocqu’ilavaitressentienreconnaissantl’éclatdesonregardl’avaitcomplètementébranlé.Unéclairtombantducieletlefoudroyantneluiauraitpasfaitplusd’effet!Tantbienquemal,ilavaitréussiàcontenirsonémotion,maiss’étaittrouvédansl’incapacitédefairelelongdiscoursqu’ilavaitpréparé.Etvoircethommeauxcheveuxblondsse tenirsiprèsd’ellen’avaitrienarrangé!
***
–Allez,démarre!marmonnaFanny,s’acharnantsurledémarreur.–Unproblème?Lavoixd’EliotEndrieuétaitétrangementcalme.Cetteconstatationnesemblaitguèrelesurprendre.
Aucontraire,sonsourires’étiracommesicettepannedevoiturelesatisfaisaitpleinement.Fanny,quantà
elle,étaitdésespérée.Lesorts’acharnaitdécidémentcontreelle!–Cen’estrien,répondit-elle,lavoixmalassurée.–Vousallezfinirparnoyerlemoteur.Ilouvritlaportière.Lesgondsprotestèrentengrinçant,peuhabituésàuntraitementaussiénergique.–J’ail’habitude.Cen’estpaslapremièrefoisqu’elleadumalàdémarrer.–Laplacedecettevoitureestàlacasse!–Ilsuffitquej’attendeunmoment.–C’esthorsdequestion!–Pourquoi?–Vousn’allezcertainementpasrestertouteseuleici.–Jenevousretienspas!–Etmoi,jevousordonnedesortirdecettevoiture!Ellen’appréciapasdutoutsontonpéremptoire.Pourquiseprenait-il?–Mais,je…–Jevousraccompagne,lacoupa-t-il.–Non,jeneveuxpasl’abandonnerici.–C’estunevoiture.Pasunchien.–Sij’appelaisundépanneur?–Çasuffitmaintenant.Sortezdelà!Elleeutladésagréableimpressionqu’illaconsidéraitcommeuneenfantgâtéefaisantuncaprice.Il
luiattrapalepoignetetaucontactdesalargepaumesursapeau,ellefrissonna.Sanseffort,ill’extirpade l’habitacle. Elle se sentit sans défense face à une telle démonstration de puissance, incapable des’opposeràlui.
–Nerestonspaslà,dit-ilavecautorité.Commeellehésitait,ilajouta:–Jevousramène.Son intonation ne souffrait aucune objection. Lamort dans l’âme, Fanny verrouilla sa voiture. Il
avaitraison,àproposdelaClio:ilétaitinutiledes’acharner.Illuiouvritlaportièrecôtépassagerd’ungros4×4d’uneprestigieusemarqueallemande.Ilpoussa
lagalanteriejusqu’àluiproposersamainpourl’aideràmontersurlemarchepied.Malgrésafrustration,elleapprécialegeste.Salargepaumeenserrasesdoigtsfinsetlesconservaunpeupluslongtempsquenécessaire.Puis,sedétournantd’elle,ilfermalaporteets’installaàlaplaceduconducteur.
–LapromenadedesAnglais?demanda-t-il,endémarrant.–Oui.–Jolieadresse.–J’aimebiencetteavenue.–CommetoutlemondeàNice.Undébutdeconversationd’unebanalitéaffligeante!Lemoteurronronnaitensourdineetlavoitures’engageadanslacirculationdusoir.Ilsroulèrentun
momentsansparler.–Qu’avez-vousfaitdevotrevoiturerouge?–C’estuneAlfaRomeo8CSpider.–Jesais,nousavonseudroitàuncoursmagistraldelapartdesgarçons.–Lesgarçons?
– L’ensemble du personnel masculin de la compagnie. Ceux qui travaillent sur les pistes et lesbagagistes.
–Jel’ailaisséeaugarage;elleestunpeutropvoyante.–Cen’estriendeledire!Mais,entrenous,votregrostout-terrainn’estpasdesplusdiscretsnon
plus.–Probablement.Cependant,ildémarreauquartdetour.–L’inverseauraitétéétonnant:ilestneuf.–C’estunecritique?–Non,unesimpleconstatation.Cette fois, la discussion prenait une tournure qui ne présageait rien de bon.Manifestement,Eliot
Endrieu était un homme inflexible et susceptible.Que deviendraitAir Provence entre sesmains ? LeregarddeFannyseposamachinalementsursesdoigtsauxonglessoignésenserrantlevolant.Uninstant,elleeutenviedeconnaîtrelasensationdesespaumescaressantsapeaunue.Elleréprimaunfrissonetsecoua la tête, voulant chasser ces pensées incongrues. Malgré ses efforts, elle avait du mal à faireabstractionde saprésencecharismatique.Sonparfumaux fragrancesboisées, terriblementmasculines,n’arrangeaitrienetaccentuaitsontrouble.
–Quelssontvosprojets?finit-ellepardemander.–Quevoulez-vousdire?–MaintenantquevousavezachetéAirProvence,qu’allez-vousenfaire?–Jen’aipasencored’idéearrêtée.–Vousavezagisuruncoupdetête?–J’aisimplementprofitéd’uneexcellenteopportunitéquis’offraitàmoi.–Lacompagnien’estdoncpourvousqu’unsimpleplacement?–Onpeutvoirleschosesainsi.–Vousnepouvezagiravecautantdelégèreté!Ellesemorditlalèvredèsquelesmotseurentfranchisabouche.Ellen’auraitpasdûparlerainsià
sonnouveaupatron.Letonétaitaccusateur;safranchiseluijouaitdestours.–Ilnes’agitpasqued’argent,reprit-elle.Avez-vousoubliélesemployésdecetteentreprise?–Biensûrquenon.–Alorsquellessontvosintentionsàleursujet?–Vousn’avezpasécoutécequej’aiditenréunion,toutàl’heure?–Si,mais…–Jesuisunhommed’affaires,alorslaissez-moigérercettesociétéàmaguise.Elle détourna la tête pour dissimuler samine affligée.Baptiste avait raison : cet homme n’avait
rachetéAirProvencequepourseremplirlespoches.Froid,calculateur,ilnesongeaitqu’àsonprofit.Àlalumièredecetteconstatation,elleacquitlacertitudequ’illaraccompagnaituniquementpourapaisersaconscience.
–Commentvousappelez-vous?demanda-t-ilsubitement.–FannyPerrault.–Quelleestvotrefonctionauseind’AirProvence?–Jefaispartiedupersonnelausol.–Vousn’êtespashôtessedel’air?–Non.–Votrephysiquecorrespondpourtantparfaitementauxcritèresrecherchés,dit-il,enlajaugeantdes
piedsàlatête.
–Et je n’ai jamais été tentéede rejoindre lePNC, s’empressa-t-elle d’ajouter, ne souhaitant pasl’encourageràpoursuivresesconsidérationssursaplastique.
–Qu’est-cequelePNC?–Lepersonnelnavigantcommercial,c’est-à-direlesstewardsetleshôtessesembarqués.–J’enapprendsdeschosesàvotrecontact!L’ironieneluiéchappapas,aussirétorqua-t-elle:–Parcequevouspensiezvousimproviserdirecteurdecompagnieaériennedujouraulendemain?–Vousvoulezm’apprendrelemétier?Illuiadressaunsourireencoinqu’ellenesutcommentinterpréter.–Detoutefaçon,nousauronsl’occasiondefaireplusampleconnaissance.Devantsonregardinterrogateur,ilprécisa:–Jecomptepassercesprochainsjoursauseindel’entreprise,parmilesemployés.Pourquoiunetelledémarche?sedemandaFanny.Cesrencontresluiserviraient-ellesàdéciderde
futurslicenciements?Sic’étaitlecas,celasignifiaitqu’illuiavaitmenti.Étrangement,l’idéequ’ilaitpuabuserdesaconfianceluifutintolérable.
–Àmoinsquevousn’ayezuneobjection?ajouta-t-il,seméprenantsursonsilence.–Non,aucune.–Voilàquiestfortaimabledevotrepart.–C’estvouslepatron,vousfaitescommevousvoulez.–Raviquevousenayezpleinementconscience!–Cependant,çanevousautorisepasàvousmontrersiarrogant.–Finalement,j’auraisdûvouslaisserseulesurceparkingobscur.–C’estexactementcequejevousaidemandé.–Impossible.–Pourquoi?–Jamais,jenevousauraisabandonnée.Jamais.Ildardasurelleunregardsidéterminéqu’elleenfrissonna,etperdittoutefacultéderaisonnement.
Une idée pourtant s’accrocha à son esprit : cette conversation orageuse était le prélude de rapportsconflictuels.Elleavaitespéréqu’iloublieraitlesconditionsdeleurpremierface-à-face,maishélas,onétaitloinducompte!
IlsarrivèrentbientôtsurlapluscélèbreruedeNice,etFannydésignasonimmeuble.C’étaitundecesbâtimentsrésidentielsbienentretenus.Avecsafaçadeblancheetsesbalconsarrondis,ilpossédaitcecharmedésuetdesannéesvingt.
–Nousysommes,dit-elle,soulagée.–Trèscoquet.–Arrêtez-vouslà,s’ilvousplaît.Ilmitsonclignotantetsegaraendoublefile.Fannyleremerciarapidementetsortitdelavoiture.
Ellen’avaitqu’unehâte:fuircethommeaumagnétismepuissant.–Attendez!cria-t-il,descendantàsontour.Elleentenditlebruitdesespasrésonnerderrièreelle.Avantqu’elleaitpuintroduirelaclédansla
serrure,ilétaittoutprèselle.Illuiattrapalepoignetd’ungestevifetl’obligeaàluifaireface.–Quecomptez-vousfairedevotrevoiture?demanda-t-il.Son intonationétaitcalme,sansaucuneanimosité.Sesdoigts,chaudscontresapeau, l’irradiaient
toutentière.Elleenfutsidécontenancéequ’elleneputarticulerlemoindremot.–Qu’allez-vousenfaire?insista-t-il.
Gagnéeparunedoucetorpeur,ellehaussalesépaules,indifférente.SaClioétaitbienledernierdesessoucis.Etencoremoinsceluid’EliotEndrieu!
– Ne vous inquiétez pas. Je ne pense pas qu’un voleur se risquera à fracturer la portière d’unvéhiculequinedémarrequ’unefoissurdeux!
–C’estvrai.Quivoudraitdecetteépave?–Cetteépave,commevousditessiélégamment,étaitleseulvéhiculedansmesmoyens!–Sivousaviezunhommeàlamaison,ilvousauraitmieuxconseillée.Vousn’auriezpasdépensé
votreargentinutilement.–Sij’avaisunhommeàlamaison,ilseraitvenumechercheràlasortiedutravail.Çavousaurait
évitéledéplacement!
***
Eliotdevinaitunreprochederrièresontonsévère.Siellen’avaitriendévoilédesavieprivée,ilétait tout demême satisfait que le dénomméBaptiste ne soit pas venu la secourir ni qu’elle-même aitsongé à solliciter son aide.De toute façon, il ne lui en aurait pas laissé l’occasion. Il n’aurait jamaissongénonplusàpasserdutempsaveclesemployésd’AirProvence,ainsiqu’illeluiavaitannoncéunpeuplus tôt, s’il n’avait pas souhaitémieux la connaître et surtout cerner sa relation avec ce stewardblond.
–Fièreetindépendante?constata-t-ilavecunsouriresauvage.–Disonsquej’ail’espritpragmatique.–Cen’estpaspourmedéplaire.–Cen’étaitpasmonobjectif.–Dommage…
***
Ilaccompagnasaremarqued’unsouriresuffisant,etellecompritqu’ils’amusaitàsesdépens.Ellepensa un instant se justifier,mais en abandonna aussitôt l’idée. Il était tard et ce qu’il pensait d’ellen’avaitguèred’importance.
–Bonsoir,monsieurEndrieu.Elletournalestalonsets’engouffradanslehalld’entréedesonimmeuble.EliotEndrieuretourna
danssonimposantvéhiculedontlemoteurtournaittoujours.–Àdemain!luilança-t-ilparlavitrebaissée.Puisils’éloignaavecunsignedelamain.Fannysuivitlavoitureduregard.Cetterencontreimpromptueluilaissaituneimpressionétrange.À
l’instardeCendrillonlesoirdubal,elleétaitpartierapidement.Ellen’avaitpaslaisséderrièreellesapantoufledevair,maissavoituresurleparking.Leprincecharmantétaitalorsapparucommeparmagiedansunbeaucarrosseéquipédesiègesencuir.Unespritromantiqueauraitpuvoirdansl’aventureuneversionmoderneducontedeCharlesPerrault,sonhomonyme.Cetteanalogieluiauraitmêmearrachéunsourire,siellen’avaitpasétésicontrariéeparl’attitudedunouveaudirecteurd’AirProvence.Certes,illuiavaitportéassistance,maisenl’écrasantdesapuissanceetdesarichesse.Direqu’ils’étaitimposéauraitétéplusjuste.MaispourFanny,seulcomptaitl’avenirdelacompagnie.Ellecraignaittantquelefrêleéquilibrequ’elles’étaitpatiemmentconstruitsoitmenacé!
Chapitre4
Soncourrier à lamain,Fannypassa la porte de son appartement.Elle ôta ses escarpins avecunsoupirdesoulagement.Parmiquelquesprospectusetunefacture,elle trouvaune lettreémanantdesonavocat. Aussitôt, elle sentit son estomac se contracter. Elle ferma sa porte à double tour et jetal’envelopped’ungesterageursurlatablebasse.Ilétaitinutilequ’ellel’ouvre,ellesavaitdéjàcequ’ellecontenait.Sonhumeurmoroses’entrouvaaggravée.
Elle parcourut son salon d’un regard devenu sombre : une pièce sobrementmeublée sur laquelles’ouvraitunepetitecuisine.Lachambreetlasalledebainsétaientaufond.Elleavaitquittésansaucunregretunegrandevillapourcepetitappartement.Elles’ysentaitchezelleet,pourmarquersonterritoire,sonpremiergesteavaitétéenyarrivantdepeindrelesmursenblanc.Lecanapé, latablebasseet leschaisesautourducomptoirdelacuisineétaientgrissouris.Cestonalitésfroidesauraientdéstabilisélepremiervenu,s’iln’yavaiteuuneimmensereproductionduBaiserdeGustavKlimtaccrochéeaumur.Fannyavaittoujoursaimécettepeinturereprésentantuncoupleenlacé,enveloppédansunelargetenturedorée,décoréede fleursetdemosaïques.Elleaimait l’expressiond’abandonde la femmeamoureuse,ainsiquel’attitudetendreetprotectricedel’homme.Pourtant,encetinstant, lavisiondecetableauneparvenaitpasàl’apaiser.
Elle ouvrit la porte-fenêtre et sortit sur le balcon. Son regard embrassa lamer, quasiment à sespieds.Lesvaguesmontaientà l’assautdesgaletsavec indolenceet lebruitduressacs’élevait jusqu’àelleenungrondementcontinu.Elleinspiraprofondémentl’airiodé,puisdécidadesefairecoulerunbonbain.Beaucoupdemousse ainsi qu’unverredemuscat suffiraient à ladélasser et à chasser ses idéesnoires.Celamarcha…audébut…Hélas,lepasséfinitparresurgir.Déménagern’avaitrienchangé.
Sonhistoireétaittristementbanale.ElleavaitrencontréMarcquatreansauparavant.Séduiteparsonphysiqueet le trouvantparéde toutes lesqualités, elle l’avait épouséaprèsquelquesmoisd’unecourassidue.Mais leurunions’était soldéeparunéchec retentissant, troisansplus tard.Leur joliemaisonavecjardinavaitétévendueetlalettrequilanarguaitsurlatabledusalonétaitsonjugementdedivorce.
Résolueàs’ensortirtouteseuleetvoulantcouperlespontsavecsonpassédouloureux,elleavaittrouvé un travail sur Nice. L’équipe d’Air Provence l’avait parfaitement intégrée et elle s’était liéed’amitiéavecJulie.Duhautdesapetite taille,commecettedernièreseplaisaitàdire,elleavaitprisFannysoussonaile.Sesexcentricitésetsafranchiseavaientréussiàluifaireretrouverlesourire.Elles’était alors composé une sorte de cocon dans cette routine agréable, entre l’aéroport et son petitappartementsurplombantlabaiedesAnges.Elleétaitparvenueàtrouveruncertainéquilibre.Jusqu’àcequ’EliotEndrieurachèteAirProvence…
Elle se remémora sa silhouette athlétique et son visage viril. Penser qu’il était cet apollon sifurtivementaperçuenItalielaplongeaitdansunprofondembarras.Elleavaitétéinexorablementattiréepar l’homme à la voiture rouge.Quels étaient ses sentiments,maintenant qu’elle savait qu’il était sonnouvelemployeur?Unverdict impitoyables’imposaalorsàsonesprit,poursonplusgranddésarroi :l’attractionqu’elleressentaitrestaitlamême.
Le lendemain, en arrivant, Fanny trouva la salle de repos d’Air Provence saisie d’une intense
effervescence.–Tunedevinerasjamaiscequejeviensd’apprendre!s’exclamaJulie,enlavoyant.–Quoi?–EliotEndrieuestici!LesangdeFannysefigeadanssesveines.Ellenes’étaitpasattendueàlerevoirsitôt.–Ilestvenufaireunetournéed’inspection.–Oui,jesais.–Commentça?Tuesdéjàaucourant?–Jel’aicroisé,hiersoir.–Tul’asvuaprèslaréunion?Fannysemorditlalèvre,contrariéeden’avoirpassusetaire.–Oui.AllonsprendrelaPNLetouvrirlevol.–Toi,tunesortiraspasdecettepiècesansm’avoirtoutdit!Lesmainssur leshanches, Juliese tenaiten traversde laporte.Devantsonairdécidé,Fannyse
résignaetobtempéra.–J’étaissurleparkingdupersonneletmavoituren’apasvouludémarrer.–Combiendefoist’ai-jeditdetedébarrasserdecettepoubelle!–Tunemeledirasplus,carjecroisqu’elleadéfinitivementrendul’âme.–Çadevaitarriverunjour.QuelestlerapportavecEndrieu?–Ilavuquej’étaisenpanneetilaproposédemeraccompagner.–Quellechance!Fannyétaitloindepartagersonenthousiasme,maiss’abstintd’exprimerlefonddesapensée.–Enchemin,ilm’aditqu’ilcomptaitpasserdutempsparmilepersonnel.C’estcommeçaqueje
suisaucourant.–Vousavezdiscutélongtemps,touslesdeux?«Discuter»étaitunbiengrandmotpourdéfinirlaconversationqu’ilsavaienteue.–Tunerépondspas?Tuaspeurdecebeaugosse?–Pasdutout!sedéfenditFanny.–Qu’est-cequetucrains,alors?Qu’iltevoleunbaiser?Juliesemitàriredesaplaisanteriesansremarquerqu’elletombaitàplat.Penserqu’EliotEndrieu
s’abaisserait à embrasser l’une de ses employées était ridicule ! Il appartenait à un autremonde. Ununiversdanslequelleshommesportaientdesboutonsdemanchettesetlesfemmesroulaientenvoituredeluxe.
–Nedispasdebêtises!Prendsplutôttontalkie-walkie,c’estl’heured’yaller.Leurnouveaupatronappartenaitpeut-êtreàuneclassesocialeplusélevée,maisc’étaitunhomme
de parole. Comme il l’avait annoncé, il se mêla au personnel et débuta sa visite par le tarmac. Lesbagagistesetl’équipedespistesfurentravisdecetraitementdefaveur.Aprèsavoirlonguementdiscuté
aveclui,ilsl’escortèrentjusqu’àl’aérogare,bavardantcommes’ilsétaientdevieuxamis.EliotEndrieupassaalorsdevantelles,saluaJulied’unsignedetête,puisdévisageaFannyavecattention.
–Jecroisquetuluiplais,luiglissaJulieàl’oreille,tandisqu’ils’éloignait.–Nedispasn’importequoi!– Vraiment ? Alors comment expliques-tu qu’il m’ait à peine regardée, alors qu’il a carrément
bloquésurtoi?–J’ai…Jenemel’expliquepas.–Àmonavis,vousavezfaitbienplusquediscutersurceparking,hier!–Non,jet’assureque…–Tun’aspasàtejustifier,Fanny.Sic’étaitmoiquiavaiscroiséEliotEndrieuàlatombéedelanuit
dansunendroitdésert,j’auraisprofitédel’occasion,crois-moi!–Tunechangerasjamais.–Toinonplus.Tuesuneindécrottableasociale.Aufait,ontevoit,cesoir?Une fois par mois, l’ensemble des employés se retrouvait pour la soirée, en dehors du cadre
professionnel.C’étaitunrituel.Cesoir-là,undînerétaitprévudansunrestaurantquifaisaitégalementofficededancing.MêmesiFannyappréciaitl’ambiancequirégnaitauseindel’entreprise,ellenegoûtaitpasàcesgrandesréunionsmensuelles.Sanssonuniformeetendehorsdesrèglesrassurantesédictéesparsontravail,ellesesentaitdémunie.Aussirefusait-elled’yparticiper,trouvanttoujoursunprétexte.
–Jenesaispas,répondit-elle,fidèleàsalignedeconduite.–Cen’étaitpasvraimentunequestion,enfait.Jepasseraitechercher.Point.Etc’estcequ’ellefit.Lorsqu’elles arrivèrent dans la salle du restaurant, où était dressée une longue table, elles furent
saluéesparuntonnerred’applaudissements.D’abordparcequ’ellesétaientlesdernières,etsurtoutparcequelaprésencedeFannyétaitunvéritableévénement.
–Caramia,tuesvenue,s’exclamaMario,lepilote.Moncœurchantedetevoir.–MerciMario.Quellyrisme!–Vienst’asseoiràcôtédemoi.Tuilluminerasmasoirée.ElleauraitaiméresteravecJulie,mais,apercevantBaptistequis’étaitstratégiquementrapproché,
elleacceptalachaisequeMarioluitendait.Ravalantmanifestementsafrustration,Baptisteseconsola,pensantsansdoutequ’ilavaittoutelasoiréedevantlui.Fannydoutaitqu’ilenresteraitlà,hélas…
LerepasétaitdélicieuxetMarioauxpetitssoins.Ilagissaitàl’imaged’ungrandfrère,prévenantetdrôle.Aumomentdesdesserts,unegrandeagitationcourutparmilescollèguesinstallésenboutdetable,prèsdelaported’entrée.Deconviveenconvive,larumeurleurparvintbientôt:EliotEndrieuétaitlà.
–Ildirettore!s’étonnaMario.Qu’est-cequ’ilfaitici?–Cesontlesbagagistesquiluiontproposédevenir,cematin,expliquaunhommedepiste.–Surprenant…,commentaMario,l’airsongeur.Pourquoiest-cequ’ilaacceptél’invitation?–Ilsouhaitemieuxconnaîtresesemployés,l’informaFanny.– Louable intention. Mais c’est une soirée privée… Pourquoi ne se cantonne-t-il pas au cadre
professionnel?Pendantcetemps,leurnouveaupatronfaisaitletourdelapièce,saluantchacun.ArrivéàFanny,il
s’attarda.Sonregardglissaostensiblementdesonvisagefinàsarobebustierdesoierouge,etelleenfuttrèsgênée.
–BonsoirFanny.J’espéraisbienquevousviendriez.
Elleluioffritunsourirecontrit,nesachants’ilétaitsincèreousiseulelacourtoisieluidictaitcesparoles.Àsongrandsoulagement,ils’éloignaaussitôt.
–Tuveuxmerendrefoudejalousie,caramia?chuchotaMario,pourn’êtreentenduqued’elle.–Pourquoitudisça?–Ildirettore,iln’ad’yeuxquepourtoi!–Cen’estpasvrai.–Entoutcas,ilal’airbiencontentquetusoisvenue.–Tutetrompes.Ilestlàdansl’uniqueintentiondes’attirerlesbonnesgrâcesdupersonnel.–Admettons.Danscecas,onappelleçajoindrel’utileàl’agréable,réponditMarioavecunepointe
dephilosophie.Après le repas, tout le monde se dirigea vers le coin dancing. L’endroit était réputé pour son
ambiance rétro. On n’y diffusait que des tubes des années soixante-dix et quatre-vingt. Les habituelsboute-en-trainétaientdéjàsurlapiste.Mariolepremier.Ilessayad’yentraînerFanny,maiscelle-cisedéfilapourretrouverJulie.
–Incroyable!Lepatronenpersonnequisedéplace!s’exclamacettedernière.Onn’ajamaisvuça.–Effectivement,c’estunegrandepremière.–Nonseulement ilestbeaucommeundieu,maisenplus ilestcool.Lerêve!Tucroisqu’ilest
marié?–Commentveux-tuquejelesache?–Jevaisluidemander.–Non,viensplutôtsurlapiste.–Tuveuxdanser?Toi?s’étonnaJulie.LespremièresnotesentraînantesdelacélèbreJavadeBroadwaydeMichelSardous’élevèrentau
même moment. Cette musique enjouée était devenue l’hymne des employés d’Air Provence. Aucunesoirée digne de ce nom n’était réussie sans cette sacro-sainte chanson. Tous se retrouvèrent sous leslumièresdesstroboscopesàchanter le refrainà tue-tête.AlorsqueJuliesedéhanchaitsanscomplexe,Fanny ne put se départir de son habituelle réserve. Elle fut tentée de retourner s’asseoir, cependant,voyantBaptistequil’attendait,ellepréféraresterprudemmentaumilieudesdanseurs.
QuantàEliotEndrieu,ils’étaitadosséaucomptoir,unverreàlamain.IllesobservaitaveccequiparutàFannyunmélanged’amusementetd’envie.
***
Ilsavaientl’airdebiens’amuser,surlapistededanse,songeaitEliot.Ilauraitaimésemêleràeux,hélas,sapositionneleluipermettaitpas.Sonautoritépouvaitenpâtir.
Toutefois, sa présence ici ne s’expliquait pas uniquement par son souci d’être apprécié de sesnouveauxemployés.Lorsquel’undesbagagistesluiavaitparlédecettesoirée,ilavaitimmédiatementvul’occasion d’y croiser Fanny. Il s’était discrètement renseigné sur elle, et ce qu’il avait appris l’avaitvivement surpris. Même si tout le monde l’adorait, elle se mêlait rarement aux autres, en dehors dutravail. Pasmême lors de ces fameuses sortiesmensuelles que les autres nemanquaient apparemmentpour rien au monde. Ensuite, il avait découvert que sa personnalité si secrète lui avait valu un bienétrangesurnom.
Leschansonss’enchaînaientetlapistenedésemplissaitpas.Ducoindel’œil,EliotvitsoudainlestewardblondquiavaitcolléFannydurantlaréuniondelaveilleseleveretsedirigerverslapistededanse,faisantcapsurellesansaucundoutepossible.Uneboufféed’unsentimentquiressemblaitàdela
colèremenaçaalorsdel’engloutir.SansréfléchiretsansquitterFannydesyeux,ilfonçaaumilieudesdanseurs.Letempoavaitchangéetcertainsdanseursretournaients’asseoir.
Avantqu’ellenesuivelemouvement,ill’attrapaparlamain.–Voulez-vousdanseravecmoi?
***
Lavoixd’EliotEndrieuétaitprofondeetsonregardtroublant…Fannys’imaginaaussitôtdanssesbras et l’affolement la gagna. Il était pourtant inconcevable de danser avec leur patron devant sescollègues!Ellecherchadésespérémentuneéchappatoire.MaislavisiondeBaptisteapprochantd’unpasrésolulaconvainquitd’accepter.
–Oui,s’entendit-elleacquiescerd’unevoixétranglée.Lemomentréservéauxslowsvenaitdedébuter.Lesstroboscopesnediffusaientplusqu’unelumière
tamisée et quelques couples s’étaient formés. L’introduction de Je vais t’aimer, de Sardou, se fitentendre, confirmant laprédilectiondudisc-jockeypour le chanteur.Fannyaurait toutdonnépour êtreailleurs.Elleétaitbouleverséesanssavoirpourquoi.Était-ceàcausedecettemusiquepoignante,decesparolesd’uneraresensualité,oudececorpsmasculinsiprochedusien?SiBaptistelesscrutaitd’unairmauvais,lesautresemployéslesconsidéraientavecétonnement.
Eliotposalamainsursahanche,laguidantavecunmélangededouceuretdefermeté.Ellecalquasespassurlessiens,ets’appliquaàmaintenirunedistanceconvenableentreeux.Elleposalamainsurson épaule avec une nonchalance feinte.Mais lemasque d’impassibilité qu’elle s’efforçait d’afficherdissimulaituntroubleindéfinissable.Timidement,ellelevalementonpourcroisersonregard,etsesyeuxs’accrochèrent aux siens. Ils tournaient lentement au centre de la piste, au rythme de la musique.Imperceptiblement,etsanscesserdelafixer,EliotEndrieuresserrasonétreinte.Ilfinitparentourerdesonbrassataillefine,etleurshanchessefrôlèrent.
Fanny sentait sa jupe de soie onduler délicatement autour de ses jambes. Entraînée dans cetourbillon grisant, elle ne vit bientôt plus rien de son environnement. Ni les autres danseurs, ni leslumièresdes stroboscopes. Il n’yavaitplusqu’Eliot la tenant serréecontre lui.Elle était terriblementconsciente de sa force et de sa chaleur. Tremblante et le souffle court, elle ferma les paupières pourmieuxgoûtercemomenthorsdutemps.Ilsdansèrentensilence,depeurquelesmotsbrisentlamagiedel’instant.
Lachansonterminée,ilrelâchadoucementsonétreinte,maisellefutincapabledes’écarterdelui,encoresouslecharme.Sesjambeslasoutenaientàpeineetellen’osaitretirersesmainsdeseslargesépaules.Cettedansel’avaitplongéedansunesortedetransedontelleavaittouteslespeinesdumondeàsortir.Etsonregardtoujoursrivésurellen’arrangeaitrien!
Heureusement, Mario arriva à sa rescousse. Il l’entraîna dans un nouveau slow, plaisantant etbabillant.Ensonforintérieur,Fannyluienfutreconnaissantecar,danssesbrasamicaux,elleputenfinrecouvrersesesprits.
Àlafindumorceau,Mariol’escortajusqu’àsachaise,etluiservitungrandverred’eau.–Caramia, quelle joie d’avoir dansé avec toi, ce soir ! Je suis l’homme le plus heureux de la
Terre!–MerciMario.Tuesunvéritableami.Illuiadressaunclind’œilcomplice.Tousdeuxs’étaientcomprissansunmot.–Moiaussi,j’auraisbienaimédanseraveclepatron,ditJuliequilesavaitrejoints.–Ilestparti?demandaMario.
–Soi-disantuntrucurgentàfaire.Dommage!–Àcroirequ’ilvoulaitfuirquelquechose.–Tantmieux,caramia,commeça,touteslesautresdansessontpourmoi!Pourleremercierdesaflatterie,Fannyluidécernaungrandsourire.Maislecœurn’yétaitpas.Elle
était partagée entre le soulagement et la déception que lui causait le départ précipité d’EliotEndrieu.Rien n’expliquait son attitude, mais peut-être était-ce mieux ainsi. Elle s’était sentie si faible, sivulnérabledanssesbras!Queseserait-ilpassé,s’ilétaitresté?Mieuxvalaitqu’ellenelesachepas.
–Àvoirtatête,jedevinequetuveuxrentrer,déclaraJulie.–Suis-jesitransparentequeça?–Unvéritablelivreouvert!Allez…Prendstonsac,onyva.–Jenevoudraispastepriverdurestedelasoirée.Jeprendraiuntaxi.–Pasquestion.Tuviensavecmoi.Maisdépêche-toi:Baptisterôde!–J’enavaispresqueoubliésaprésence.–Jepeuxtedirequeluinedigérerapascettesortiedesitôt.Ilal’airfurieux.–Danscecas,partonsvite!EllessaluèrentMario,quisedésoladevoirdéjàpartirses«deuxsoleils».–Maintenantquenoussommesseules,ditJulie,lorsqu’ellesarrivèrentsurleparkingdurestaurant,
tupeuxmeparler.–Dequoi?–D’EliotEndrieu.Qu’est-cequisepasse,entrevous?Fannys’empourpraetaffirmad’unevoixbientropaiguë:–Riendutout.–Àd’autres!Tueslaseulequ’ilaitinvitéeàdanser.Quiplusestpourunslow.–Simplehasard.–Vousétiezsacrémentprochestouslesdeux,etiltebuvaitdesyeux.Fannyesquissaunsourirecrispé.–Tunedirasriencommed’habitude,n’est-cepas?soupiraJulie.–Parcequ’iln’yarienàdire.–Commetuvoudras.Unedernièrechose:siEndrieunet’intéressevraimentpas,glisse-luiunmot
enmafaveur.Jem’inscrissurlalisted’attente!Fannyexplosaderire.Cependantsabonnehumeurs’effaçadèsqu’ellefutderetourchezelle.Les
parolesdeJulierésonnaientencoredanssatête.Ellenesavaitcommentinterpréterlecomportementdeleur patron. Comment aurait-elle pu ? Il n’avait pas desserré les dents durant tout le slow ! Étrangecavalierquecethommequil’avaitenlacée,puisavaitquittélasoiréecommeunvoleur.Ellesereprochadenepasavoirsuivisonidéepremièreetrefusédeserendreàlasoirée.Ellen’auraitjamaisdanséaveclui et n’aurait pas connu le trouble qu’elle avait ressenti dans ses bras.Une sensation grisante qui lapoursuivaitjusquedanslerefugedesonappartement.
***
Le lendemainmatin,Baptistearrivavolontairementenavanceà l’aérogare. Il fallaitqu’ilparleàFanny.Sajoiedelavoirlaveilleausoiraurestaurantn’avaitpasfaitlongfeu.Iln’avaitpul’approcherdetoutelasoirée!D’abordàcausedecetidiotdeMario.PuisEndrieus’enétaitmêlé.
Dieucommecettefemmelerendaitfou!Était-cesabeautéparfaitequiaiguillonnaittantsondésir,ou lefaitqu’ellen’ait jamaisréponduàaucunedesesavances?Il laconvoitaitdepuis le jourdeson
arrivée àAir Provence. Ses yeux verts ourlés de longs cils noirs, pareils à ceux d’un chat, l’avaientcomplètementhypnotisé.Brillants et animés, ils lui conféraientunair sauvagequi contrastait avec sesmanièresdélicates.Etquediredesescheveuxsinoirsqu’ilsenparaissaientbleutés?Ellelesportaitenun petit carré court et lisse qui dégageait parfaitement son visage aux traits fins. Mais il avait beaumultiplier les approches, c’est à peine si elle daignait lui adresser la parole. Et cette indifférence lemettaitausupplice.
La voyant en train de fermer sa banque d’enregistrement, il se dirigea droit vers elle.Machinalement, il se passa la main dans les cheveux, puis réajusta la cravate. Comme il devaitembarquersurleprochainvol,ilavaitrevêtusonuniformequ’ilsavaitmettreparfaitementenvaleursasilhouetteentretenueensalledesport.
–Salutmabelle!s’exclama-t-il,arborantunsourirecharmeur.–Bonjour.L’intonationdeFannyétaitglacialeetsonvisagefermé.Unefoisencore.–Tuespartietôt,hiersoir.–J’étaisfatiguée.–Displutôtquetuvoulaisfuir.–Pasdutout.–Àmoi, tupeuxbien l’avouer.Tuvoulaisdéguerpiravantqu’Endrieune temettedenouveau le
grappindessus!
***
Fannyfitmined’êtreabsorbéeparsonécran.Qu’aurait-ellepurépondreàcela?Sielleobjectait,Baptistel’accuseraitdedéfendreEliotEndrieuetsajalousieenseraitdécuplée.Sielleacquiesçait,ilyverraitunencouragement.Aucunedesdeuxsituationsn’étaitenviable.
–C’estvraimentdommagequejen’aiepaseuletempsd’intervenir.Sinon,c’estavecmoiquetuauraisdansé.
–J’enaidelachance,murmura-t-elleentresesdents.Mais Baptiste ne l’écoutait déjà plus. Ses yeux étaient rivés sur une silhouette qui approchait à
grandspas.Fannysuivitsonregardetn’eutaucunmalàreconnaîtreleuremployeuràsadémarchesoupleetpleined’assurance.Ilportaitunpantalongrisclairparfaitementcoupéetunechemiseblanchedontilavaitretroussélesmanches.Letissufinétaittendusursesépaulesmuscléesetlaissaitdevineruntorsepuissant.Le souvenir de son corpsviril plaqué contre le siendurant le slowde la veille était encorevivacedanssonesprit.Unlégervertigelagagnaetsagorgesenoua.
–Regarde-moiceprétentieux!crachaBaptisteavecdédain.Àlevoir,ondiraitquelemondeluiappartient!
–Lemonde,peut-êtrepas.MaisAirProvence,oui…Alorsmodèretonlangage,outuvasfinirparavoirdesennuis.
–Jen’aipaspeurdelui.–Tun’asqu’àleluidire.Baptisten’eutpasletempsderéagirquedéjàEliotétaitdevanteux.–Bonjour…Baptiste,c’estbiença?ditEliotEndrieuenluitendantlamain.Après un instant d’hésitation,Baptiste la serra.Cependant, il retira vite ses doigts, comme si ce
contact lui était profondément désagréable.À la crispation de sesmâchoires et à l’éclat froid de sonregard,Fannycompritquelenouveaudirecteurn’appréciaitguèresonattitude.
–Jeconstatequevousêtesdéjàentenue,prêtàdécoller.Vousneverrezpasd’inconvénientàcequejevousaccompagnesurcevol?
Letonétaitpoli,maisnesouffraitaucunedérobade.
***
Enentrantdansl’aérogare,EliotavaitaussitôtaperçuFanny.Sespass’étaientnaturellementdirigésverselle.Maisendécouvrantlestewardblondprèsd’elle,unsentimentdésagréableluiavaitvrillélecœur.Manifestement,cesdeux-làétaientinséparables.
–Non,biensûrquenon,réponditBaptistesanschaleur.–Danscecas,allons-y.Baptistehochalatêtedemauvaisegrâce.Cetteperspectivenel’enthousiasmaitvisiblementpas.–Bonjour,mademoisellePerrault,ditalorsEliot,ensetournantversFanny.–Bonjour,monsieurledirecteur.–Appelez-moiEliot,s’ilvousplaît.–Bien…D’accord,balbutia-t-elle.–Puis-jeégalementvousappelerparvotreprénom?Aprèstout,noustravaillonsensemble.Elleacquiesçatimidement.–D’aprèscequej’aipucomprendre,AirProvenceestunegrandefamille,poursuit-il.–C’estexact,approuva-t-elle.–J’aiappréciélasoiréed’hieretj’aimel’idéequevousvousréunissieztouslesmoisendehorsdu
travail.–C’estunesortieentreemployésuniquement,soulignaBaptiste.–Vousaurais-jedérangé?demandaEliotd’untoncassant.–Vouslesaurezpourlaprochainefois,repritBaptiste.–Exact:jesauraiquemaprésenceàvossoiréesnevousplaîtpas.Etc’estbienledernierdemes
soucis!Ilss’affrontèrentduregardunepoignéedesecondes,puisBaptistedétournalesyeux.–J’aihâtedefairemonpremiervolsurunappareildelacompagnie,poursuivitEliot.–Vousapprécierez,j’ensuiscertaine,ditFanny.–Venezavecnous,proposaEliot.– C’est impossible, argua Baptiste, répondant à sa place. Elle doit faire l’enregistrement du
prochainvol.–Jesuisaucourant:j’aivulesplannings.Aussiai-jedemandéàVirginiedelaremplacer.Il n’appréciait vraiment pas que ce Baptiste s’immisce dans leur conversation. Il s’interrogeait
toujourssurlanaturedeleursrelations.C’étaitmêmedevenuuneidéefixe.C’estpourquoiilavaittoutprémédité.
***
EliotEndrieuavaitprésentésapropositioncommeuneéventualité,maisFannysavaitque,fortdesonautorité,iln’avaitpasdoutéuninstantqu’elleaccepte.Unequestionsubsistait:pourquoi?Elleétaitresponsable du personnel au sol et rien ne justifiait sa présence à bord. Cet homme était décidémentdifficileàcerner!
Ilsmontèrentlespremiersdansl’avionpeintauxcouleursd’AirProvence.EliotEndrieuserenditdirectementaupostedepilotage,tandisqueBaptisteréglaitlesderniersdétailsavecl’hôtesse.Pendantce temps,Fannyprit place audernier rang.Eliot ressortit du cockpit et la cherchades yeux.Sahautetaille l’obligeait à baisser la tête pour passer la porte. Lorsqu’il la vit, son visage s’éclaira. Il larejoignit,sedéplaçantavecsouplesseentrelesrangéesdesièges.
Arrivéàsonniveau,ilsepenchaverselle,l’enveloppantdesonparfumboisé.–Venezàl’avantdel’appareil,dit-il.–Jenevoudraispasdéranger.–J’insiste.–Je…Commevousvoulez.Ellelesuivit,renonçantàs’expliquercenouveaucaprice.IlpassadevantBaptistesansunregard.
Cedernierlafixad’unœilnoir.Rougissanteetcontrariée,elles’avançadansl’étroitcouloiràlasuitedeson employeur. Lamoquette couleur lavande étouffait leurs pas. Eliot Endrieu lui désigna le premiersiège.
–Installez-vousici.–Cen’étaitpeut-êtrepasutilede…Ellecherchaitsesmots,nesachantcommentexprimersonembarras.–Aprèsledécollage,vousviendrezmerejoindredanslepostedepilotage.–Danslecockpit?Entendantcetteultimeexcentricité,elleeutcouragedeluidemander:–Pourquoimoi?–Quevoulez-vousdire?–Pourquoim’avoirdemandédemonteràbord?–Parcequej’enavaisenvie.Pourquoicetteréponsenelasurprenait-ellepas?Lacolèrelagagna.Considérait-ilsesemployés
commedespions?Ilavaitacheté lacompagnie,maiscelane l’autorisaitpasàsecomporterdefaçonaussidésinvolte!
–VousavezdéjàBaptisteavecvoussurcevol.Ilpourrarépondreàtoutesvosquestions.Ileutunriremauvais.–Cetypenem’estd’aucuneutilité!Ilnemâchaitpassesmots,etcequ’ellepensait seconfirma : ilneportaitpasBaptistedansson
cœur.Sid’aventureilyavaitdeslicenciements,soncollègueseraitcertainementlepremiersurlaliste.–Jemesuisrenseignésurvous,reprit-ildesavoixgrave.CetteidéedérangeaFannyautantqu’ellelaflatta.–Vousavezsugagnerrapidementlaconfiancedesemployésausol,ilsvousrespectent.–Ilyauntrèsbonétatd’espritauseindelacompagnie.Oùvoulait-ilenvenir?Commeellelesupposait,soninvitationàbordn’étaitpasanodine.Ilavait
uneidéederrièrelatête.Cherchait-ilàutilisersonexcellenteréputationàsonprofit?Pensait-ilquesescollèguesaccepteraientplusfacilementdesremaniements,s’ilsleurétaientprésentésparlaprincessedeSibérie?
–J’aimêmeapprisquevousaviezunsurnom,poursuivit-il,sesparolesfaisantéchoàsespensées.–Quivousl’adit?–Qu’importe.OnvousappellelaprincessedeSibérie,n’est-cepas?–C’estexact.–Pourquoi?
–C’estunsurnomamical.–Ilestvraiqu’ilesttoujoursflatteurpourunefemmed’êtrenomméeprincesse.–Lessurnomsn’ontpastoujoursd’explicationslogiques,dit-elle,haussantlesépaules.–Êtes-vousd’originerusse?–Pasdutout.–Alorsc’estàcausedevotrephysique?Elledutavoirl’airsurprise,carilprécisa:– Votre teint de porcelaine, vos cheveux sombres, votre silhouette élancée… Une vraie poupée
russe!Savoixs’étaitfaiteplusrauque,etsarespirationirrégulière,maisilseressaisitrapidement.–Mettezvotreceinture.Jevousverraitoutàl’heure.Ilregagnalacabineaprèsl’avoirenveloppéedecelongregardqu’ellecommençaitàconnaître.–Qu’est-cequ’ilvoulait?demandaBaptiste,surgissantàcôtéd’elle.–Jenesaispastrop.–Iltedrague?–Tuescomplètementàcôtédelaplaque.Nousparlionsdel’entreprise.Cen’étaitqu’unedemi-vérité,maisellevoulaitabsolumentéviterunescènedejalousie,alorsque
lespremierspassagersarrivaient.Baptisteregagnasonposte,l’airboudeur.Laportedupostedepilotageétaitrestéeentrouverteetd’oùellesetenait,Fannyavaitunevued’ensembleducockpit.Surlesiègededroite, le copilote avait déjà coiffé son casque. Quelle ne fut pas sa stupéfaction de découvrir EliotEndrieuauxcommandes.Ellenevoyaitque son largedos,mais elle avait reconnu ses cheveuxcourtssoigneusementcoiffés.Sentantsansdoutesonregardposésur lui, il tourna la tête,et il luidécochaunsourireéclatant.LecœurdeFannys’emballaetellesentitlerougeluimonterauxjoues.Heureusementpour son rythme cardiaque, elle n’avait pu croiser son regard, dissimulé derrière les verres de seslunettes.Lesmêmesquecellesqu’ilportaitenItalieetquil’avaientdéjàtantfrustrée.
–Tuferaismieuxdebienattachertaceinture,luiconseillaBaptiste,sematérialisantunefoisencoreàsescôtés.
Interrompuedanssespensées,elleluidemandad’untonacerbe:–Pourquoi?–Aujourd’hui,c’estlebellâtrequipilote.Leur patrondans le rôle du commandant debord ?Nul doute queBaptiste n’avait pas fini de le
détester!–Intéressant…,dit-elle,réprimantunsourire.–J’espèrequ’ilsaitcequ’ilfait.Ilalaviedenospassagersentresesmains.–Tuexagères.–Cen’estvraimentqu’unsalefrimeur!Fannyneluidonnapastoutàfait tortsurcedernierpoint.Elleétaitcertainequ’EliotEndrieului
avaitdemandédes’asseoiràl’avantdel’appareiluniquementpourqu’ellelevoieauxcommandes.Est-cequ’ilcherchaitàl’impressionner?Amusée,ellesongeaquemêmel’immenseAirbus380,leplusgrosaviondelignejamaisconstruit,n’étaitpasassezgrandpourcontenirl’egodecethomme!
Chapitre5
Ledécollagesefitsansencombre,nià-coup.Eliotserévélaunexcellentpilote.Unefoisatteintel’altitudedecroisière,Baptistequittasaplaceetrejoignitl’hôtessepourproposerdesrafraîchissements.CefutlemomentquechoisitEliotpourouvrirlaportedelacabine.
–Est-cequevousaimeriezvisiterlepostedepilotage?demanda-t-ilàFanny.–C’estpossible?–Biensûr,venez.Coincé derrière son chariot à boissons,Baptiste se tordait le cou pour l’apercevoir. Il enrageait
manifestement.–Asseyez-vous,proposaEliot,luidésignantlesiègequ’iloccupaitquelquesminutesauparavant.–Jenecroispasquecesoitunebonneidée,dit-elle,effrayée.–Vousnecraignezrien,lepilotageautomatiqueestenclenché.Fannypritalorsplace,nesachantoùposerlesyeux,fascinéepartouscesboutonsetcescadrans,
maisgardantlesmainssagementposéessurlesgenoux.–J’ignoraisquevouspilotiez.–C’étaitunrêved’enfant.–Vousavezdelachanced’avoirpuleconcrétiser.–Monpèreétaitpilote,c’estluiquim’atransmislevirus.–Pourquellecompagnievolait-il?–Ilétaitcoloneldansl’arméedel’air.–C’estunepassionfamiliale,alors…Pourquoinepasvousêtreengagéàvotretour?–J’avoueyavoirsongé.L’imaginantavecunecasquetteettoutuntasdedécorationsbrillantesaccrochéesàsaveste,Fanny
sesentit rougir.Enuniformed’aviateur, ildevenait l’incarnationmêmed’undesplusgrands fantasmesféminins.
– Seulement, mon père était souvent enmission à l’étranger, reprit-il, le visage devenu soudainsombre.Etj’aisouffertdesonabsence.
–Jesuisdésolée.–Illefaisaitpournous.Pourquenousayonsunevieagréable.–C’estunjolisacrifice.–Àprésentquejesuisadulte,j’enmesuremieuxlaportée.–Ilvoulaitvousoffrirlemeilleur,commetouslesparents.Soncœurseserra,tandisqu’elleprononçaitcesderniersmots.
–Vousavezraison.Néanmoins,lorsquej’étaisenfant,jetrouvaiscesséparationsinsupportables.Elle savait maintenant d’où il tenait ce caractère inflexible, ce goût pour la rigueur et cette
intransigeancefaceàquiconques’opposaitàlui.Cependant,ellecompatitdevantsonvisageempreintdegravité.Sonregards’étaitunesecondevoilédetristesse,avantdereprendresonéclatdurhabituel.
–Jenevoulaispasimposercettevieauxmiens…
***
Incroyable!Ilvenaitdeseconfieràcettefemmequ’ilconnaissaitàpeine!Luiquiavaittoujourssoigneusementcachécetteblessure…Mêmedevant sapropremère, il s’était toujoursefforcéde fairebonnefigure.MaislesgrandsyeuxémeraudequeFannyposaitsurluiavaientannihilétouteslesbarrièresqu’ilavaitpatiemmentérigéesenlui.
Lesyeuxvertslesplusmagnétiquesquej’aiejamaisvus…–Jecomprends,acquiesça-t-ellefaiblement.–Aujourd’hui,mesparentssontàlaretraite.–Vousavezsumettrevosrancœursdecôté?–Oui,j’aienfincomprisquetoutcequ’ilsontfait,ilsl’ontfaitpourmoi.–Ilsdoiventêtrefiersdevous,àprésent.Vousêtesunhommed’affairesaccompli.–C’estàeuxquejeledois.JeleuraioffertunemaisonducôtédeMenton.Monpères’estmisau
jardinageetmamères’occupedesaroseraie.Commeàsonhabitude, ilminimisait lasituation.Sonparcoursétaitatypique.Eneffet,durantses
études,ilavaitcumulélespetitsboulots.Alorsquesesamissortaientaurestaurantouendiscothèque,ilrédigeaitlesstatutsdesafuturesociété.Surfantsurlestendancesdumarché,ilavaitd’abordmontéunestart-up avec un ami informaticien.Leur idée de centraliser les places vides dans les avions pour lesproposerauxenchèresàladernièreminuteavaitattiréplusieursentreprisesdevoyagesenligne.L’uned’elles leur avait fait une offre qu’ils n’avaient pu refuser et avait permis à Eliot de se constituer unsolidecapitalpourd’autresprojets.Commelerachatd’AirProvence.
***
Fanny imaginait parfaitement le tableau : unedame aux cheveuxblancs cueillant des brassées defleursparfumées.Sonmari,droitcommeun imalgré lepoidsdesans,venant la rejoindreaprèsavoirramassélegazonfraîchementtondu.Ensemble,ilsiraientprendrelethésurlaterrasseetparleraientdeleurfilsprodige.
–C’esttouchant,dit-elleavecunsourireattendri.–Quoidonc?–Qu’un couple partage lesmêmes valeurs après tant d’années.À notre époque, on se sépare si
facilementetsirapidement!Ilacquiesça,semblanttouchéparl’émotionqu’elleexprimait.Uneémotionloind’êtrefeinte.–Àcesujet,voussavezcequedisaitFrancisCarco?–Quiest-ce?– Un écrivain, poète et journaliste d’origine corse, qui a vécu durant la première moitié du
XXesiècle.–Etquedisait-il?demanda-t-elle,impressionnéeparsaculture.
–«Lecœurn’ajamaisderides.Iln’aquedescicatrices.»–C’esttrèsjolimentdit.Sonregardsefitrêveur.Elleaimaitcetteimaged’unhommeetd’unefemmevieillissantensemble.
Unrêvequi lui semblait inaccessible,aprèscequ’elleavaitvécu.Cebonheursimplen’étaitpaspourelle.Soncœurétaitencorecouturédeblessuresfraîches.
Elledétournalatêteetfitminedes’intéresseraucockpit.–Voussavezréellementutilisertoutça?demanda-t-elled’unevoixqu’elleespéraitenjouée.–Jesuisobligédevousrépondrequeoui,sinonvousallezvousaffoler.–Ilyatellementdeboutonsetdevoyants!Difficiledes’yretrouver.–Avecunbrevetdepiloteenpocheetpasmald’heuresdevol, toutdevientbeaucoupplusclair,
voussavez!Il se pencha doucement au-dessus d’elle et entreprit de lui expliquer la fonction de quelques
commandes. La cabine était exiguë et basse de plafond, si bien qu’il ne pouvait se tenir debout. Elles’avisasoudainqu’ilavaitainsiunevueplongeantesurl’échancruredesonchemisieretlanaissancedesagorge, et elleen futperturbée.Luiaussi semblaun instantdécontenancé.Elleperçut sa respiration,plus rapide, et croisa son regard trouble. Il détourna alors brusquement les yeux et lui demanda assezsèchementdequittersonsiège,arguantqu’ildevaitreprendrelescommandes.
Elle obtempéra sans discuter, déstabilisée par ce brusque changement d’humeur. Il ne savaitdécidémentpascequ’ilvoulait!Peut-êtreavait-ilcessédes’amuseravecelle,enl’éblouissantavecsestalentsdepilote,etlarenvoyait-ilcommeoncongédiesonpersonneldemaison.
***
TandisqueFannyquittait lacabine,Eliotse traitamentalementd’imbécile. Ilvoyaitbienqu’il ladéroutait.Commentaurait-ilpuenêtreautrement?Illuiavaitdemandédel’accompagnersouslecoupd’uneimpulsion,dépassantlargementsesprérogativesdepatron.Ilavaitmêmefaitpreuved’unégoïsmerareenexigeantsaprésence.Untelcomportementrisquaitdeluijouerdestours,carilserendaitcomptequ’ilavaitsous-estimélepouvoirqu’elleexerçaitsurlui.Constatantavecquellefacilitéils’étaitlaisséallerauxconfidences,iln’étaitplussûrdecontrôlerlongtempslasituation.Or,tantqu’iln’ensavaitpasplussurlabelleFannyPerrault,ildevaitrestermaîtredelui-même.
***
ÀleurarrivéeàRome,Fannylaissadébarquerlespassagers,restanttranquillementassisesursonsiègeàl’avantdel’appareil.Eliotsortitdupostedepilotageetvintverselle.
– Je dois me rendre à un rendez-vous professionnel dans l’aérogare. Voudriez-vousm’accompagner?
Avantqu’ellepuisserépondre,Baptistes’interposa.Unenouvellefois.Ilavaitdécidémentledondesematérialiseraumomentoùons’yattendaitlemoins!
–Elle n’ira nulle part, dit-il.Le tempsde faire le pleinde carburant, d’embarquer les nouveauxpassagers,etnousrentronsàNice.
Toutenparlant, ils’étaitrapprochéd’elleetavaitposéunemainpossessivesursonépaule.Sanschercher à le ménager, elle se dégagea prestement. Bien que son premier réflexe soit de refuser lapropositiond’Eliot,ellecompritqu’ellen’auraitputrouvermeilleurprétexte.Ilnepouvaits’opposerà
une demande expresse de leur patron et elle n’était pas fâchée de le contredire. Rien d’urgent nel’attendaitàNice,ellepourraitrentrerparleprochainvol.
–J’accepteavecplaisir,répondit-elled’unevoixclaire.–Parfait.Danscecas,allons-y.Ils’écartagalammentpourlalaisserpasser,puisluiemboîtalepas.–Enquoiconsistevotrerendez-vous?demanda-t-elle,lorsqu’ilsarrivèrentenbasdel’escalier.–Lechefd’escaledel’aéroportaprévuunepetiteréceptionpourmesouhaiterlabienvenueentant
quenouveaudirecteurd’AirProvence.–Qu’entendez-vouspar«petiteréception»?–Une conférence de presse suivie d’un apéritif où sera conviée toute la bonne société romaine.
Charmanteattention,n’est-cepas?–Charmante,répéta-t-ellemachinalement,toutensongeantqu’elleétaittoujoursenuniforme.Voyant une limousine s’arrêter devant eux, elle comprit qu’il était trop tard pour reculer. Le
conducteur, un Italien volubile, accueillit Eliot Endrieu avec effusion, puis les conduisit jusqu’àl’aérogare.Ilseprécipitaensuitepourleurouvrirlaportièresurunlargetapisrouge.
L’endroitavaitétéaménagéavecdesplantesenpots,desbrasséesdefleurs,ainsiquedesfanionsauxcouleursdelaFranceetdel’Italie.Auboutdutapissedressaitunepetiteestradeavecunpupitre.Lesjournalistesetlesinvitéssepressèrentaussitôtautourd’Eliot,jouantdescoudesetparlantenmêmetemps.
Distribuant sourires et poignéesdemain, ce dernier semblait parfaitement à l’aise dans cegenred’exercice.Fanny,quantàelle, restait troispasderrière lui,nesachantoùétaitsaplacedanscevastecapharnaüm.Eliotsefaufilaadroitementdanslafouleet,laprenantdélicatementparlecoude,l’invitaàmontersurl’estradeaveclui.Comprenantqu’ilseraitmalvenuderefuser,elleplaquaunpâlesouriresurseslèvresets’assitàcôtédelui,puisque,manifestement,c’étaitcequ’ilattendaitd’elle.
Ellen’entenditriendesondiscourspourtantchaleureusementapplaudiparunpublicconquisparsaprestanceetsonéloquence.Elledétaillalafoulecomposéedejournalistes–microsetcamérastendus–,d’élus apprêtésdans leursbeaux costumes et de femmes ruisselant debijoux.Pasunde ses collèguesitaliensn’étaitprésent.PasmêmeMario.De touteévidence,n’avaitété invitéàcette réceptionque lehautdupanier.
Perdue dans ses réflexions, c’est à peine si elle remarqua que les hommes de l’assistance ladévoraientdesyeux.Savestecourteetcintrée,sursonchemisiercouleur lavande,mettaitenvaleursataille fine. De sa jupe coordonnée dépassaient de longues jambes fuselées dont les chevilles étaientsagementcroiséessouslachaise.Lefoulardqu’elleavaitnouéautourducourehaussaitlablancheurdesonteintetl’éclatmagnétiquedesonregard.Ledosdroitetlesmainsjointessurlesgenoux,elleposaitavecgrâce,totalementétrangèreàcequil’entourait.
Lacérémonies’étiraitenlongueur.Unélupuisunresponsabledel’aéroportserelayèrentpourlireleurdiscours.Puistoussedirigèrentversunélégantbuffetoùdesserveursengantsblancsdistribuaientchampagneetpetits-fours.Alorsqu’Eliotétaitaccaparédetoutesparts,Fannyrestaitconsciencieusementà l’écart. Elle ne détestait rien tant que cette ambiance pleine d’excessive politesse, voire de franchehypocrisie.
Les esprits calmés et les ventres repus, l’excitation retomba un peu, et Eliot en profita pours’approcherd’elle,unecoupedanschaquemain.
–Vousvousamusezbien?demanda-t-il,enluientendantune.–Pasvraiment.–Dommage,c’estuneréceptiontrèsréussie.
–Devotrepointdevuepeut-être.–Quevoulez-vousdire?–Depuisquejesuismontéedanslalimousine,jem’interrogesurlesraisonsdemaprésenceici.
***
LavoixdeFannyétait calme,maisEliotdevinait saperplexitéderrière lemasque imperturbablequ’elle luioffrait. Il trempa les lèvresdanssonchampagneafindese laisser le tempsde la réflexion.Elleavaitraisondes’interroger.Leproblème,c’estqu’iln’avaitaucuneexplicationvalableàluidonner.Ilnecomprenaitpaslui-mêmelaraisondesesagissements.L’arrivéed’uneéléganteItalienneausourireenjôleurledispensafortheureusementderépondre.Ellel’entraînadansunsillagedeparfumcapiteux,etilselaissafaire.D’ailleurscommentaurait-ilpuagirautrement!Elleétaitl’unedesactionnairesdelasociétépossédantlagestiondel’aéroportdeRome,maiségalementceluideGênes.Aucunepisten’étaitànégligerafindediversifiersonentreprise!
***
LafemmequiavaitabordéEliotlemonopolisasilongtempsqueFannycrutqu’ill’avaitoubliée.Ilneréapparutquelorsquelesderniersinvitésprenaientcongé.
–Jedésespéraisdevousrevoir!luidit-elle,nonsansironie.–Unempêchementdedernièreminute.Ellen’étaitpasdupe.LabelleItalienneétaitl’uniqueraisondesonabsenceprolongée.–Ilesttempsd’attrapernotrevol,dit-elle.–PourquoinepasresterquelquesheuresdeplusetprofiterdeRome?– Jepréférerais retourner àNice et libérerVirginiequi a eu lagentillessedeme remplacer.Sur
votredemande.–Cessezdoncdevoustourmenteretprofitezdecettejournée.Fanny aurait aimé suivre ce conseil, mais elle était bien trop tendue pour cela. Malgré les
apparences,sonsortn’avaitriend’enviable.Elleavaitlargementeuletempsderéfléchiràlasituation.ElleétaitcoincéeenItalie,sansunsou,àlamercidelaprochainelubied’EliotEndrieu.
–Pourquoiêtes-voussipresséederentrer?–Jevousl’aidit,je…–Auriez-vousquelquesscrupulesàavoirabandonnévotrecheramisteward?–Baptistesedébrouilletrèsbiensansmoi.–Vousnevoyezpasd’inconvénientàcequenousrentrionsparlaroute?demanda-t-il.–Parlaroute?Leprochainvolestdansuneheure,nousavonslargementletempsdeleprendre.–Ladernièrefoisquejesuisvenu,j’ailaissémavoiture.JevoudraislaramenerenFrance.Fannypoussaunsoupirrésigné;unenouvellefois,illamettaitaupieddumur.Sachantqu’ilyavait
sept heures de route entre Rome et Nice, elle songea avec contrariété que cet homme avait de bienétrangeslubies!Pourquoivouloirabsolumentrentrerenvoiturequandonestpiloted’avion?
Ils empruntèrent la limousine jusqu’à un hangar, non loin des pistes d’atterrissage. Fanny resta àl’extérieuretattendit.Unvrombissementdemoteurderrièreellelafitsoudainsursauter.Ellesetournavivement. Un capot rouge vermillon s’immobilisa à quelques centimètres d’elle. Elle reconnutimmédiatement lepetitbolidedécapotablequ’elleavaitvuquelques joursplus tôt.Àcesouvenir, sonrythmecardiaques’accéléra.Eliotétaitauvolant, lafixantintensément.Ellesesentitdéfaillirquandil
mitseslunettesdesoleil,avecunelenteurquiluiparutdélibérée.Lesrayonsdusoleilseréfléchissaientsurlesverresmiroir.Ilétaittelqu’ellel’avaitvulapremièrefois,telqu’ellel’avaitidéalisé.
Le moteur de l’Alfa Spider tournait toujours et ses sonorités graves soulignaient la tension dumoment.Unventdepaniques’emparad’elle.Lagorgeserréeet les jambes tremblantes,ellepensauninstants’enfuir.Fuir loindececorpsd’apollonquelaissaitdevinersachemiseentrouverte, loindeceregardqui la sondait jusqu’à l’âme.Elle avaitpeurdecequ’il éveillait en elle,des émotionsqu’ellecroyaitoubliées.Depuisunan,elles’étaitrenferméesurelle-même,persuadéequeplusjamaisunhommene la troublerait. Mais depuis qu’Eliot était entré dans sa vie, la carapace qu’elle s’était forgée sefissurait.
Inconscientdutroublequ’ilprovoquaitchezelle,ilsautapar-dessuslaportièredansungestesoupleets’approcha.
–Qu’enpensez-vous?Ellen’étaitpasenétatderépondre.Lespenséess’entrechoquaientdanssoncerveau.–Jolievoiture,n’est-cepas?–Oui,réussit-elleàarticuler.Maisj’imaginequejenesuispaslapremièreàvousledire.–C’estvraiqu’aveccemodèle,jenepassepasinaperçu!–Etvousadorezqu’onseretournesurvous,pasvrai?Elleavaitencoreàlamémoirelaconférencedepressedontilavaitétél’uniquecentred’intérêt.Ily
avaitparuaussiàl’aisequ’unpoissondansl’eau.–C’estunsentimentquenouspartageons,rétorqua-t-il.–Parcequevouscroyezmeconnaître?–AvouezquevousvouscomplaisezdansvotrerôledeprincessedeSibérie.Leshommesadorent
lesbeautésinaccessiblesdansvotregenre.–Vousvousmépreneztotalementsurmoncompte!–Leprocédéestefficace,puisquevousavezdéjàcapturéBaptistedansvosfilets.Ilestimpossible
devousparlersanslevoirapparaîtredanslaseconde.–Cessezdeparlerdelui!
***
Ainsi,elleprenaitsadéfense?songea-t-ilavecamertume.Iln’aimaitpascequecelasupposaitetserralespoings.Autantl’attitudedeBaptistetrahissaitsonattachementpourFanny,autant,jusque-là,ellen’avait rien dévoilé de ses sentiments.Elle restait une énigmepour lui.Durant la réception, il l’avaitobservéeàsoninsu.Ellesemblait indifférenteàcequi l’entourait.Sonvisageaffichaituneexpressionpolie teintéed’unvagueennui.Laveilleausoir,au restaurant, ilavaitnotésa retenueet sesmanièresraffinées. Elleméritait pleinement son surnom de princesse de Sibérie. Que pouvait-elle bien cacherderrièrecetteapparence?Ilétaitdéterminéàlesavoir.Elleétaitpourluicommeunesplendidebastilleinexpugnableàlaquelleildonneraitvolontiersl’assaut.
–Montez,nousavonsdelaroute,dit-ilplusrudementqu’ilnel’auraitvoulu.Puisildémarrasèchementsouslesoleildel’après-midiquichauffaitl’asphalteetdéformaitl’air.
Lerugissementdesavionssurlapistediminuaitd’intensitéaufuretàmesurequ’ilss’éloignaient.Capotebaissée,lavoitures’engageasurl’autorouteendirectiondelaFrance.
Chapitre6
L’Alfa Spider avalait les kilomètres avec gourmandise. Lesmontagnes transalpines remplacèrentbientôtlesdouxpaysagesdelaToscane.L’autoroutemonotoneétaitdevenuesinueuse,longeantlesparoisgrises couvertes de végétation. Les tunnels se succédaient, obligeant les conducteurs à allumer leurspharesenpleinaprès-midi.
Eliots’interrogeaittoujourssurlaplacequ’occupaitBaptistedanslecœurdeFanny.Jusqu’àquelpointcesdeux-làétaient-ilsproches?Ilavaitsongéuncourtmomentàconvoquerlestewarddanssonbureaudès son retour pour lui soutirer la vérité, puis renoncé à l’idée.Le faire aurait été un aveudefaiblesse,etilnevoulaitpasluioffrircettesatisfaction.Deplus,iln’avaitguèreenviequesonintérêtpourFannynes’ébruite.Illuirestaitdoncàinterrogerl’intéresséeelle-même.Aprèstout,n’avait-ilpasentrepris ce voyage dans ce but ? Toutefois, il ne pouvait lui poser la question directement. Elle sebraqueraitetiln’obtiendraitplusriend’elle.Ilensavaitdéjàsipeu!
–Vousaimezvotretravail?demanda-t-ilauboutd’unmoment.–Oui.Commechaquemembredel’équiped’AirProvence.–Jevois…Était-ce unmessage ? Il avait remarqué, lors de la réunion, combien lesmembres du personnel
étaientinquietspourleuremploi.Leurscraintesétaientinjustifiées,carilappréciaitdéjàleurimplicationet leur efficacité. Chaque jour, il se félicitait un peu plus d’avoir acheté cette petite compagnie. Plusencore,lorsqu’ilposaitlesyeuxsurFanny.
–Depuiscombiendetempstravaillez-vouspourAirProvence?–Unan.–Pasplus?Surprenant… Elle faisait montre d’une telle aisance ! Il aurait cru qu’elle avait beaucoup plus
d’expérience…–J’aiprislepremieremploiqu’onm’aproposéàl’époque.–Quefaisiez-vous,auparavant?–Jetravaillaisdansleluxe.Ilneputretenirunpetitsourire.Ilauraitdûs’endouter.Cettedistinction,cetteélégance,bienque
certainementinnées,avaientétécultivées.–Dansqueldomaine?–Jegéraisuneboutiquedejoaillerieappartenantàuneprestigieusemarquefrançaise.–Prestigieuseàquelpoint?–Aupointdefaireégalementdelahautecoutureetdes’offrirunmagasinplaceVendômeàParis.
–Jevois…Etvousaimiezcequevousfaisiez?–Audébut,c’étaitgrisant.J’ai rencontrédegrandscréateurs,portédebellesrobesetdesbijoux
somptueux.Jefréquentaislahautesociétéetparfoislajet-set.Ilsongeaqu’elleavaitdûs’attirerbiendesjalousiesdelapartdesactricesetdesmannequinsqui
avaientcroisésaroute.Saclasseenavaitcertainementéclipséplusd’une.–Maisc’estdevenumoinsexcitant?supposa-t-il.–J’aidécouvertl’enversdudécor,cequecachentlestrassetlespaillettes.Ettoutçaafiniparme
peser.–C’estlaraisondevotredépart?–J’aidonnémadémissionpourraisonspersonnelles,répondit-elleavecuneréticencemanifeste.Àsoninflexionetàlacontractiondesesmâchoires,ilcompritqu’ilavaittouchéunpointsensible.
Enfin,ellelevaituncoinduvoilesursavieprivée.–Pourquoiavoiracceptécepostesansaucunrapportavecvotreexpérience?–J’avaisdes facturesàpayeretun réfrigérateurà remplir.Desconsidérationsquevous ignorez,
sansaucundoute…–Est-cequevouscherchezàmefaireculpabiliserd’avoirréussienaffaires?–Iln’yapasquel’argentdanslavie.–Cen’estpasparcequevousavezfréquentédesgensrichesetodieuxquevousdevezgénéraliser.Ignorantsaremarque,ellecontinuasursalancée:–Air Provence n’est pas un caprice que vous pouvez vous offrir ! Ce sont des hommes et des
femmesquiaimentleurboulotetquiapprécientd’êtreensemble.C’estunefamille!
***
FannyvitEliotaccueillirsesdernièresparolesd’unairstupéfié,etellecompritqu’elleétaitalléetroploin.Jamaisilnecomprendraitquedesimplescollèguespuissentdevenirdevéritablesamis.
–Quecachez-vous,Fanny?demanda-t-ilaprèsunlongsilence.–Jenecomprendspas.–Uneentreprisenepeutjamaisremplacerunvraifoyer.–Commentpouvez-vousêtreaussicynique?–Etvous,commentenêtes-vousarrivéeàpenserunetellechose?Décontenancéeparcettequestion,ellesentitl’airseviderdesespoumons.Leslarmesluimontèrent
auxyeuxetseslèvrestremblèrent.Ilavaitraison:descollègues,siadorablessoient-ils,nepourraientjamaissesubstitueràunefamille.
–Jevousaiblessée,j’ensuisdésolé,s’excusa-t-il.Il paraissait sincère. Il chercha sa main et noua ses doigts aux siens. Cette manifestation de
sympathielafittressailliretlatroubla.–Vousavezfroid?Voustremblez.–N’est-cepasnaturelpouruneprincessedeSibérie?Elleluioffritunpâlesourire,espérantqu’ilchangeraitdesujetdeconversation.Peineperdue…–Jecroisquevotreattitudedistanten’estqu’unefaçadederrièrelaquellevousdissimulezunlourd
secret.–Commevousdramatisez!–Jen’aipasraison,peut-être?
Savoixgraves’étaitfaitetendreets’insinuajusqu’aucœurdeFanny.Elledétournalatête,cachantsesyeuxhumides.
–Jenesuispasvotreennemi,dit-ilencoredoucement.Aucontraire,j’aimeraisvousaider.–Vousnepouvezrienfairepourmoi.–Pourquoitoutgarderpourvous?Jesensbienqueçavouspèse.–Je…Quicelaintéresserait-il?–Moi.–Vous!s’exclama-t-elle,sansmasquersonscepticisme.–Biensûr.–Vousnemeconnaissezpas.Quiplusest,vousêtesmonpatron!–Vousmefaitespenseràunanimalblesséquis’enfuitdèsqu’onl’approche.–Peut-êtreparcequec’estunpeucequejeressens,répondit-elletristement.–Parlez-moi,Fanny.–Jenepeuxpas…Mêmesiellenevoyaitpassonregarddissimuléderrièreses lunettes,elleendevinait l’intensité.
Peuàpeu,ellesentitsarésistances’affaiblir.–Ouvrezvotrecœur.Cefutlecoupdegrâce,lesésamequibrisasesdernièresdéfenses.–J’aiétémariée,dit-ellefaiblement.–Pardon?Aveclacapotebaissée,leventemportaitlesparoles.–J’aiétémariéeduranttroisans,répéta-t-elle,enforçantlavoix.–Jel’ignorais.–Personnen’estaucourant.PasmêmeJulie,mameilleureamie.
***
Ainsi,elleavaitétémariée…Ilnes’attendaitpasàunetelledéclaration!Durantdesannées,elleavait partagé la vie d’un homme et sûrement beaucoup d’autres choses… Il eut soudain l’impressionqu’unemainglacée lui enserrait le cœur.Ladouleur et le froid lui irradièrent le corps, et il se sentitcomplètementengourdi,incapablederéfléchir.
Maisqu’est-cequ’ils’étaitimaginé?Qu’àsonâge,elleétaitencoreuneviergeinnocente?–Ques’est-ilpassé?demanda-t-il.Maintenant qu’un coin dumystère était levé, il voulait tout savoir. Qu’importe que ses aveux le
fassentsouffrir.–Jen’aipastrèsenvied’enparler.–Sivousditesquevousavezétémariée,c’estqu’àprésentvousnel’êtesplus.Pourquoi?–Marcetmoiavonsdivorcél’annéedernière.Ellesemblaitavoirdumalàprononcercesmots,commes’ils luiblessaient lagorge.Ilperçut la
fêluredesavoixetsongeaquecetépisoden’étaitpassilointain.Éprouvait-elledelanostalgie?Était-elle encoreamoureusede sonex-mari ?Bon sang, combiend’hommes sedresseraient-ils entre elle etlui?Commesil’arrogantBaptistenesuffisaitpas!
Les doigts crispés sur le volant, Eliot sentit une colère sourde l’envahir. Il regrettait amèrementd’avoirtantinsistépourqu’elleseconfie.Larouteétaitlongueencoreetilauraittoutletempsderuminersesdésagréablespensées.Ilavaitl’impressiond’avoirouvertlaboîtedePandore.Sacuriositéluiavait
jouéunbienvilaintouret,pourtant,tantdequestionsrestaientensuspens!Ilavaitbesoinderetrouverunpeudepaix et d’yvoirplus clair. Il savait cequ’il devait fairepour cela.Fort de cette résolution, ilappuyasurl’accélérateuretleschevauxdel’AlfaSpiderréagirentaussitôt.
***
Lesoirtombaitlorsqu’ilsarrivèrentàlafrontière.– Est-ce que vous verriez un inconvénient à ce que nous nous arrêtions àMenton pour dîner ?
demandaEliot.C’estsurnotrechemin.–Non,aucun.Fannyn’étaitplusàuncapriceprès.Aprèslesquestionsd’Eliotsursonmariage,ellel’avaitsenti
changerbrusquementd’humeuretelles’étaitretranchéederrièreunsilenceprudent.Elleavaittropparléet s’envoulait terriblement. Il était sonemployeuret lui avouerqu’elle s’étaitmariéepourdivorceràpeine quelques années plus tard, c’était faire montre d’une certaine inconstance et d’immaturité.Heureusement,cen’étaitpasunmotifdelicenciement,maiscelaajoutaituneombreàl’imagedéjàbiennoirequ’ildevaitavoird’elle.
Aprèslafrontière,ilempruntaunepetitedépartementalequigrimpaitàflancdecolline,ets’arrêtabientôtdevantunportaildeboispeintenblancqu’ilouvritcommeunvieilhabitué.Unchemindegravierserpentaitparmilespinsparasolsetleslauriersenfleuretaboutissaitàunemaisonprovençale.Onn’endistinguait que les tuiles ocre du toit et les volets bleus. Le reste disparaissant sous des cascades degéraniumsdescendantdesfenêtres.
–VoilàEliot!s’exclamaunevoixdefemme.Unlabradoràlalanguependante,pleind’ardeur,précédaunedameauxcheveuxblancs.–Commejesuiscontentedetevoir!–Moiaussi,maman.Maman?Fanny se figea.Cettepetite femmemince au chignon impeccable et à la robede coton
jauneétait lamèred’Eliot?CepetitdétourparMentonétaitdoncunprétextepourrendrevisiteàsesparents,etnonpourmangeraurestaurant,commeellel’avaitinitialementcru.Ellen’eutpasletempsderevenirdesasurprisequ’ils’adressaitdéjààelle.
–Maman,jeteprésenteFannyPerraultquitravailleàAirProvence.Fanny,voicimamère.AlorsqueFannys’apprêtaitàluiserrerlamain,lamèred’Eliotluidonnal’accoladeetposadeux
bisessonoressursesjoues.–Jesuisenchantéedefairevotreconnaissance,mademoiselle.Vousêtreravissante!–Merci,madameEndrieu.–Appelez-moiGeneviève.–Je…Sivousvoulez.–Est-cevotreuniforme?demanda-t-elle,endésignantsonensemble.C’esttrèsélégant.–Oui,mada…Oui,ilestauxcouleursdelacompagnie.–Ilvoussiedàravir,machère!Maisc’estvraiqu’avecunesilhouettecommelavôtreonpeuttout
sepermettre.–Pendantquevousparlezchiffons,jevaisdirebonjouràpapa,lesinterrompitEliot.–Tuletrouverasdanslegarage,ilréparelatondeuseàgazon.Alors qu’Eliot s’éloignait, sa mère prit le bras de Fanny avec tendresse, et lui proposa d’aller
prendre un rafraîchissement sur la terrasse. Devant son sourire aimable, Fanny accepta d’autant plusvolontiersqu’elleétaitassoiffée.
Lamaisonétaitposéeaumilieud’uneoasisdeverdure,sibienqu’onnedistinguaitpasMentonencontrebas.Lespalmiers et les cyprès jetaient leurs silhouettes longilignesvers le ciel.À l’horizon, lesoleilcouchantsemblaitincendierlamerétale.Qu’ildevaitêtreagréabledevivreici!
Assisedevantunecitronnadebienfraîche,Fannylaissasonregarderrersurdemagnifiquesmassifsderoses.Leurparfumsuaveimprégnaitl’airdusoir.Elles’adossaaudossierdesachaiseenosieretsedétenditcomplètement.
–Vosfleurssontmagnifiques,Geneviève.Vousavezvraimentlamainverte.–Merci,maisj’aipeudemérite,carj’adorelejardinage.Fannycaressalelabradordelamaisonquiavaitposélatêtesursesgenouxetlevaitsurelledes
yeuxpleinsd’affection.–Voustravaillezavecmonfils,machèreFanny?–Ilestmonpatrondepuispeu.–C’estungentilgarçon.–Jen’endoutepas.–Peut-êtrenesuis-jepastrèsobjective…Fannyluisourit,ellelatrouvaittrèsattachante.–C’estluiquinousaoffertcettemaisonpournotreretraite.–Jel’aiappris.C’esttrèsgénéreuxdesapart.–Eliotvousaparlédenous?Ilestsisecret,d’habitude…–Ilasimplementévoquésonenfance.–J’imaginequ’ilvousaparlédumétierdesonpère.–J’aicrucomprendrequelepilotageétaitunehistoiredefamille.–C’estunevéritablepassion,oui!Quim’adonnéquelquescheveuxblancs.–Vousétiezinquiète?–D’abordpourmonmariquiétaittrèssouventenmissionàl’étranger.PuispourEliot,dévorépar
cettemêmeflamme.Malgrésonsourireavenant,levisagedeGenevièveexprimaitl’inquiétude.– Heureusement, Eliot ne s’est pas engagé. Il s’est tourné vers les affaires. Avec beaucoup de
succès,ilfautlereconnaître.–Vousdevezêtresoulagée.– Je l’étais… jusqu’à ce qu’il achète cette compagnie aérienne ! C’est un prétexte pour piloter.
Cependant, je dois admettre qu’il semble particulièrement impliqué et qu’il prend son rôle de patrond’AirProvencetrèsàcœur.
–Jesuiségalementtrèsattachéeàlacompagnie.–Jen’endoutepasuninstant!Vousparaissezêtreunejeunefemmebiensoustousrapports.Jesuis
contentequemonfilsvousaitamenéecesoir.–Merci,maisvousn’êtespasobligéededireça.–Etd’unefranchisedésarmante!–Jenevoulaispasvousfroisser,s’empressad’ajouterFanny,consciented’avoircommisunimpair.–Rassurez-vous,jenemesensabsolumentpasvexée.Sijevousaiditça,c’estqu’Eliotn’accorde
pasfacilementsaconfiance.Niaussirapidement.C’estdoncquevousêtesquelqu’und’exceptionnel.Cette déclaration laissa Fanny sans voix. Cependant elle n’eut pas le temps d’approfondir la
question,cardeséclatsdevoixmasculinesluiparvinrent.Eliotapprochaitenriantauxcôtésd’unhommequiauraitpuêtresonjumeau,misàpartlescheveuxpoivreetsel,ainsiquelesridesaucoindesyeux.
–Papa,jeteprésenteFanny.
–Meshommages,mademoiselle,déclaralepèred’Eliotd’untonunriensolennel.–Raviedevousconnaître,répondit-elle,enluitendantlamain.–Vousrestezàdîner,naturellement?demandaGeneviève.J’aiachetédebeauxfiletsderouget,ce
matin,aumarché.–C’estgentil,maisnousnefaisionsquepasser,s’excusaFanny.Sielleétaittouchéeparcetteinvitation,elleappréhendaitl’idéedepasserplusdetempsavecles
parentsd’Eliot.Ilsétaientcharmantsetaccueillants,maisellen’avaitpassaplaceparmieux.Ellen’étaitqu’uneemployée,ballottéeparlescapricesdesonemployeur.
–Vousnenousdérangezabsolumentpas,machère.Deplus,ilestprévuqueSarahnousrejoigne.Jesuistellementcontentedevousavoirtousàtable!
–Tuconnaistamère,elleaencorecuisinépourdix,commentalepèreàl’intentiond’Eliot.Restez,çam’éviterademangerdurougetpendanttoutelasemaine.
–Alain,tuexagères!–Tusaistrèsbienquepapaaraison.Tunouspréparestoujoursdesrepasgargantuesques.– Vous ne méritez pas tous les efforts culinaires que je fais pour vous, feignit de s’offusquer
Geneviève.–QuiestSarah?demandadiscrètementFannyàEliot.–Masœur.ElleallaitdoncdînerencompagniedelafamilleEndrieuaugrandcomplet…Etcettefoisencore,
ellen’avaitaucuneéchappatoire.Décidément,depuisqu’elleavaitquittéNice,elleallaitdesurpriseensurprise ! La journée n’était pas terminée et qui sait si le destin n’allait pas lui réserver un dernierrebondissement…
Chapitre7
Lesparentsd’Eliotétantdeshôtesattentifsetchaleureux,Fannysesentitrapidementàl’aiseaveceuxetpritpartnaturellementàlaconversation.Ilssemblaientformeruncoupletrèsunietl’amourqu’ilsseportaientétait touchant.Deplus, ilsmanifestaientàEliotunetendressedesplusattachantes.Elleenoubliaitpresquequ’ilétaitsonpatron.
–Jesuiscontentequetutesoisarrêté,disaitGenevièveàsonfils.Tusaiscombienjesuisinquiètedetesavoirsurlarouteavectavoituredesport.
–Queveux-tuqu’illuiarrive?Leshommesdelafamillesontdespilotesnés,intervintsonmari,l’airimportant.
–Vraiment?Ilmesemblequelorsd’uncertainvoldereconnaissance,ilafalluquetut’éjectesdetonavion!
–Unproblèmetechnique,cen’étaitpasmafaute,bougonnaAlain,visiblementvexéquesonépouseluirappellecesouvenir.Detoutefaçon,avecunefemmeaussicharmanteàsonbord,jesuiscertainquesaconduiteaétédesplusprudentes.
–Mercipour lecompliment,monsieurEndrieu.Eliotesteffectivementunexcellentpilote,quecesoitsurrouteoudansleciel.Soyezrassurée,ajoutaFanny,ensetournantversGeneviève.
–Heureuxquevousl’ayezremarqué,réponditl’intéressé,quiavaitgardélesilencejusque-là.Illuiadressaunpetitsourirevictorieuxquilafittressaillir.Elleavalaunegorgéedesodapourse
donnerunecontenance.Ils terminaientdeprendre l’apéritif sur la terrasse, lorsqueSarahentra.Elleétaitavenante,aussi
brune que son frère, et Fanny la trouva d’emblée sympathique. Mais elle eut un haut-le-cœur endécouvrantsonventrerond.Sarahétaitenceinte.Sansremarquersapâleur,Eliotlaluiprésenta.
–Sarah,voiciFanny,macollaboratrice.ElleestresponsabledupersonnelausolàAirProvence.Attentionàcequetudisd’elle,carpapalatrouvecharmante!
–VousdevezêtremagiciennepourplaireàAlainEndrieu!plaisantaSarah.Jesuistrèscontentedefairevotreconnaissance.
Les lèvres de Fanny s’étirèrent sur un sourire de convenance. Elle était incapable de faireabstractiondel’étatdelajeunefemme.
–J’ajouteraiquevousdevezmêmeêtreuneexcellentemagicienne,pourquemonfrèrevousinviteàlamaison.
–C’étaitsurlechemin,arguaEliot,luiévitantainsiderépondre.Fannylesentitnerveux.Regrettait-ildel’avoiremmenée?–Àtable!claironnaGeneviève.Monrougetàl’anisvousattend.
Alainprésida,tandisqueGenevièveetSarahs’installaientcôteàcôte,laissantFannyprèsd’Eliot.–Vousvousensortezbien,luichuchota-t-il.–Vouspensiezquejen’avaisaucuneéducation?–Loindemoicetteidée!Seulement,c’estunvéritableexploitdeplaireàtouslesmembresdema
familleenuneseulesoirée.Surtoutàmonpère.–Àvousécouter,j’ail’impressiondepasserunexamendevantungrandjury.–Ilyaunpeudeça,répondit-ild’unairmystérieux.La discussion tourna bientôt autour de la grossesse de Sarah. L’été précédent, apprit rapidement
Fanny,elleavaitépouséunmédecin,retenucesoir-làparunegarde.Lecoupleattendaitunepetitefille.Leur premier enfant. Fanny s’efforça de paraître enchantée devant l’expression extasiée de la jeunefemme,maislecœurn’yétaitpas.L’estomacnoué,elletouchaàpeineàsonpoisson,pourtantdélicieux.
– Avez-vous enfin trouvé un prénom ? demanda Alain avec sa voix de stentor. Pourquoi pasGeneviève?
–Papa,onenadéjàparlé!s’exclamaSarah,enlevantlesyeuxauciel.–Tonpèretetaquine,machérie,larassurasamère.–Tusaistrèsbienquejepréféreraisunprénomcourt.CommeFanny,parexemple.L’intéresséelevalenezdesonassietteetseretrouvafaceàquatrepairesd’yeuxbraquéssurelle.–C’estuntrèsjoliprénom,jenepeuxpasdirelecontraire,commenta-t-elle,ensesentantrougir.Ungrandéclatderiresuivitsadéclaration.L’ambianceétaitdétendue.Aprèslerepas,leshommes
prirentlecafésurlaterrassependantqueGenevièverangeaitsacuisine.
***
L’embarras de Fanny durant le repas n’avait pas échappé à Sarah. Quand elle n’évitait pas sonregard,ellejetaitdescoupsd’œilaccabléssursonventre,etSarahsedemandaitcequilatourmentait.CommeFannys’étaitproposéepourdébarrasserlatable,elleenprofitapouravoirunediscussionavecelle.
–Vousavezdesenfants,Fanny?–Non,pasencore.–Etvousaimeriezenavoir?–Biensûr,commetoutlemonde.Constatantqu’ellen’obtiendraitrienainsi,Sarahdécidadeluiposerlaquestionfranchement.–Est-cequelefaitquejesoisenceintevousdérange?–Pasdutout!–J’aipourtantl’impressionquevousêtesmalàl’aiseenmaprésence.Pourquoi?–Cetarrêtchezvosparentsn’étaitpasprévu.Jesuispeut-êtreunpeuintimidée…Sarahsecontentadecetteexplication,maispoursuivitsoninterrogatoire:–Quelâgeavez-vous?–Vingt-huitans.–Vousavezquelqu’undansvotrevie?–Je…Non.–Sijevousdemandetoutça,c’estparcequ’Eliotn’ajamaisprésentédefilleànosparents.– Je suis son employée et comme je vous le disais, nous étions sur la route. C’est un simple
concoursdecirconstances.–Eliotvousappréciebeaucoup.
–Jenecroispas,non…Le sourire malicieux de Sarah eut exactement l’effet qu’elle escomptait, car Fanny demanda
aussitôt:–Ilvousl’adit?–Pasbesoin,jelelisdanssesyeux.–Machérie,peux-tuapporterlesucre,s’ilteplaît?demandaAlainparlafenêtreouverte.Etn’en
profitepaspourendonnerauchienaupassage!LaissantFannyenproieàuneprofondeperplexité,ellesortitdelapièce,etretrouvasonfrèresurla
terrasse.Profitantque leurpères’était levépourenleverunefleurfanée,ellechuchotaà l’attentiondesonfrère:
–Tuesunpetitcachottier,toi!–Qu’est-cequej’aiencorefait?–Demandeplutôtcequetun’aspasencorefait.–Jet’écoute,petitesœur.–Elleestsympaetmignonne.–Dequiparles-tu?–DeFanny,biensûr.Jel’aimebien.Eliotgardalesilence,lesmainsserréesautourdesatassedecafé.–Ettoiaussi,tul’aimesbien,continua-t-elle.C’étaituneaffirmationetnonunequestion.–Celle-là,c’estlabonne,poursuivitSarah.–Tusemblesbiensûredetoi.Voyantqueleursparentsrevenaientsurlaterrassepourprendrelecafé,ellesedépêchad’ajouterà
l’oreilledesonfrère:–Épouse-la!–Siseulementc’étaitaussifacile,laissa-t-iléchappermalgrélui.MaisSarahn’entenditpassaréponsecarsamèreluiproposaitunetisane.–Pasdecaféinepourmapetite-fille,décrétaGeneviève.–Ellen’estpasencorenéequ’elleadéjàdroitàtousleségards!commentasonmari,faussement
bougon.
***
Fannylesrejoignitenfin,encoretroubléequeSarahl’aitsifacilementdémasquée.Elleavaitessayédes’entirerparunepirouette,maisellesedoutaitbienquelajeunefemmen’avaitpasétédupedesonpauvrestratagème.
– Vous êtes adorable, Fanny, la remercia Geneviève. Il ne fallait pas vous donner cette peine,j’auraisdébarrasséaprèsvotredépart.
–Çanem’apasdérangéetpuis,c’estbiennaturel,réponditFanny.Elleaccepta la tasseque lui tenditGenevièveet suivitd’uneoreilledistraite laconversation.Le
labradorsehâtadereprendresaplacecontredesgenoux.EllefutsoulagéequandEliotseleva,annonçantqu’ilétaittard.Personnenesemblaitavoirremarquésonsilencedepuislafindurepas.
–Promettez-nousderevenirbientôt,luiditGenevièveenl’embrassant.Jecomptesurtoi,Eliot.– Bonne nuit, maman, répondit ce dernier, éludant l’invitation. Nous avons encore de la route
jusqu’àNice.
***
Alorsquel’AlfaSpiders’éloignait,Sarahsepenchaverssamèrepourluimurmurer:–Ilsformentuntrèsbeaucouple.–Jemefaisaisexactementlamêmeréflexion.–Laissez-lesdonctranquilles,tonnalavoixd’Alain.Ilssontbienassezgrandspoursedébrouiller
sansvous.Lesdeuxfemmespouffèrent.
***
Danslapetitevoiturerouge,l’ambianceétaitàlaméditationpourEliot.Ilréfléchissaitauxparolesdesasœur.Elleseulepouvait luiparleraussi franchementsansqu’iln’enprenneombrage.Maiscettefois, elle avait outrepassé ses prérogatives. Voir en Fanny une future épouse, alors qu’il venait de larencontrer ? Insensé ! Les hormones liées à la grossesse lui jouaient certainement des tours ! Alorspourquoin’avait-ilpasréagiparuneboutade,toutàl’heure?Iln’avaitrienobjecté.Pire,ilavaitaffirméquelasituationn’étaitpassimple!Cequiétaitvrai.Rienn’étaitsimpleavecFannyPerrault.Altièreetenretrait,lorsdelaconférencedepresse,ill’avaitdécouverteamicaleetsociablechezsesparents.Sapersonnalitéétaitcomplexeetsespenséesimpénétrables.
–Jevousremerciepourcettesoirée,dit-elle,alorsqu’ilsabordaientlapromenadedesAnglais.–Iln’yapasdequoi.–Vosparentsontétéadorablesavecmoi.–Jecroisqu’ilsvousapprécient.–Pourquoivousêtes-vousarrêtéchezeux?–Unepetitepausesurlarouteétaitlabienvenue.Deplus,jevoulaisvoirmasœur.C’était unmensonge éhonté, car il ignorait que Sarah devait venir jusqu’à ce que samère le lui
apprenne.IlavaitsimplementeuenviedepasserquelquesheuresdeplusenlacompagniedeFanny.Deplus,sanspouvoirsel’expliquer,ilavaitéprouvélebesoindelaprésenteràsafamille.Commeuntest,unritedepassage.Qu’elleavaitd’ailleursréussihautlamain!AbandonnantsonrôledeprincessedeSibérie, elle s’était montrée sous un jour plus décontracté, chaleureuse et pleine d’humour. Et cettefemme-làluiplaisaitplusencore.
Il freinadevant l’immeubledeFanny, et, comme lepremier soiroù il l’avait raccompagnéechezelle,luiouvritlaportière.Elleleremerciad’unmotetmontasurletrottoir.Sesyeuxsetrouvèrentalorsà la hauteur des siens.Droite dans son uniforme, éclairée par le halo lumineux des lampadaires, ellesemblaituneapparitionirréelle.Ilcrutlireunehésitationdanssonregard.Lui-mêmeétaitindécisquantàla conduite à tenir. Elle était si près qu’il n’avait qu’à tendre la main pour la toucher. Il en eut ladouloureuse tentation, mais préféra s’éloigner d’un pas, conscient qu’un geste maladroit pouvait toutbriserentreeux.
–J’aiappréciécettejournée,dit-ildoucement.Bonnenuit,Fanny.
***
L’émotionluinouaitlagorge,l’empêchantdeparler.Uneseconde,ellehésitaàluiserrerlamain,puis s’abstint, jugeant cette attitude bien trop formelle. Ne venaient-ils pas de passer la journéeensemble?Finalement,ellesecontentad’unsimplesignedetête.Peut-êtreaurait-elleagidifféremment,
s’il avait esquissé un geste vers elle. Mais il était resté les mains dans les poches, aussi immobilequ’elle.Alorsqu’ilrepartaitverssavoiture,elleentradansl’immeubleavecunsentimentd’inachevé.
Lelendemainmatin,FannycroisaJulie,alorsquecettedernièresortaitdesvestiairesréservésaux
femmes.–Salut,Fanny!Onseretrouveàl’enregistrement!–Tuesdéjàprête?–Jesuistombéedulit,cematin.–Jemechangeetj’arrive.–Prendstontemps,noussommesenavance.Fannyouvritsoncasieretydéposasonsacàmain.L’endroit,exigu,s’apparentaitplusàuncouloir
qu’à une véritable pièce.Habituellement, elle arrivait à l’aéroport déjà en uniforme.Mais, privée devoiture,elleétaitvenueenbus,etelleavaitcraintqu’ilnesefroissedurantletrajet.
Ellesecontorsionnapourôtersonjeanetsablouselilas.Puisellesaisitsarobebleulavandeàlacoupe cintrée et auxmanches courtes.Après l’avoir enfilée prestement, elle remonta dans son dos lafermetureÉclairquisebloquamalencontreusementàmi-parcours.Fannypesta,tiradetoutessesforces,maismalgrésesefforts,lafermeturerestacoincée.
–Est-cequejepeuxvousaider?La voix grave, se répercutant dans la pièce, la fit sursauter. Elle se tourna si vivement qu’elle
manquadetrébucher.Soncœurs’emballalorsqu’elledécouvritEliotEndrieunonchalammentappuyéauchambranledelaporte.Sobrementhabilléd’unjeanetd’unpoloblanc,iln’endégageaitpasmoinsuneéléganceetuncharmeindéniables.
–Qu’est-cequevous faites ici?s’exclama-t-elle,dépitéed’avoirétésurpriseenaussimauvaiseposture.
Instinctivement, elle se plaqua contre lemur, cherchant à cacher son dos nu.Depuis combien detempsétait-illà?L’avait-ilvuesedévêtir?
–Jepassaisparlàetjevousaientendue.J’aisupposéquevousaviezbesoind’aide.J’aifrappéàlaporteavantd’entrer.
–Vousêtesdanslevestiairedesfemmes!–Çaposeunproblème?–Vousêtesunhommedansunendroitréservéauxdames.Sesyeuxdechatlançaientdeséclairs.Elleétaitsincèrementoffusquée.Ilétaitpeut-êtrelepatron,
maiscelaneluidonnaitpasledroitd’entreràsaguisedanscettepièce!Mêmel’arrogantBaptistenes’yétaitjamaisaventuré.
–Trèsbien.Jem’envais.Iltournalestalonsetcommençaàs’éloigner.–Uninstant!appela-t-elle.Lamainsurlapoignée,ilsuspenditsongeste.–Je…D’accord,j’aibesoindevous,concéda-t-elle.MafermetureÉclairestcoincée.– Suis-je autorisé à pénétrer dans le sacro-saint vestiaire des femmes, ou préférez-vous que
j’arrangeçadanslehall?–Vouspouvezentrer.Uniquementpourcettefois.–Quelhonneur…,ironisa-t-il.–Considérezçacommeuncasdeforcemajeure.Ilfutdevantelleenuneenjambée.
–Tournez-vous…Sonregardbruns’étaitfaitplussombre.Commeellehésitait,ilajoutasèchement:–JeneréparepaslesfermeturesÉclairpartransmissiondepensée.Fannys’exécutaàcontrecœur.Ellemauditsamalchance,rageantdesamaladressequilaplaçaità
samerci.
***
Ellepenchadélicatementlatêtesurlecôtéenungestepleindegrâce,retenantsescheveuxd’unemain, et Eliot en cessa presque de respirer. Une mèche aussi noire que l’ébène s’échappa et glissalentement le long de sa joue. Sa peau, diaphane et sans défauts, l’attira irrésistiblement. Il aperçut ladentelledesonsoutien-gorgeetcettevisionluienflammalessens.Portantlesmainsàlahauteurdelafermeture,ilvitqu’ellestremblaient.
Ildutcanalisertoutesavolontépoursesaisirdelalanguetteettirerd’uncoupsec.Larobeétaitàprésent fermée,mais aucun d’eux ne bougea. Il était si proche d’elle que son souffle lui caressait lanuque.Illavitfermerlespaupières,commeenuneinvitationmuette.Sesmainsquittèrentalorsletissudelarobepoursuivrelecontourdesesépaulesetdescendrelelongdesesbras.Ill’effleuraitàpeine.Sapeau,soussesdoigts,étaitsiveloutéequ’ilvoulutlagoûter.Doucement,ilposasaboucheàlabasedesanuque.Ilperçutsesfrissonsetpritpeur.Peurdenepouvoirsecontrôler,peurd’allertroploinetdeleregretter.Ils’écartabrusquement,commebrûlé.
– C’est réparé, dit-il d’une voix éraillée par l’émotion, puis il s’enfuit, plus qu’il ne sortit, duvestiaire.
***
FannyseretournalongtempsaprèsavoirentendulaporteserefermersurEliot.Elleavaitlesjouesen feu et son cœur cognait à tout rompredans sapoitrine.Ses jambesne laportaientplus, et elleduts’adosser à son casier. Que lui était-il arrivé ? Grisée par les caresses d’Eliot, elle n’avait opposéaucunerésistance.Soncorpss’étaitembrasé,réagissantaupluslégerfrôlement.
Elleauraitdûréagirpourtantetlerepousser.Maisc’étaitau-dessusdesesforces.Pire,elleavaitespéré…Quoi,aujuste?Ellesecoualatêtepourrecouvrersesesprits.Cequivenaitdesepassern’étaitqu’unsimplemomentd’égarement.Inutiledes’appesantirdessus.Elledevaitseressaisiretoublier.Elleavaitunvolàpréparer.
Lorsqu’elle rejoignit Julie, celle-ci la dévisagea bien un peu, remarquant son trouble et son airabsent,mais elle s’abstint de tout commentaire et Fanny lui en fut reconnaissante. Lorsqu’elles eurentenregistré ledernierpassager, Julieclôtura levol, tandisqueFanny rejoignait le tarmacavec laPNL.Sanssurprise,Baptistemitcapsurelledèsqu’ill’aperçut.
–Comments’estpasséetajournéed’hier?–Bien,jeteremercie.Elleavaitemployéletoncourtoisteintéd’indifférencequ’elleluiréservait.–TuétaisavecEndrieu?Çaadûêtreennuyeuxàmourir!Tuauraismieuxfaitderentreravecmoi.Commeellenerépondaitpas,ilinsista:–J’aibiencruqu’ilt’avaitkidnappée.Jen’aimepassafaçond’agir.–Displutôtquetunel’aimespastoutcourt.
–ObligerVirginieàrestertoutl’après-midi,pendantquevousvousamusezensemble,jetrouveçamoche.
–C’étaitpourletravail.Ildevaitassisteràuneréceptionorganiséeenl’honneurd’AirProvence.–Etilfallaitabsolumentquetuysois?–Jefaispartiedupersonnel.C’étaitnormalquejem’yrendeégalement.Pourquoi prenait-elle la défense d’Eliot ?Durant tout leur périple, elle s’était interrogée sur les
raisonsdesaprésenceàsescôtésetvoilàqu’elleluicherchaitdesjustifications?–Elledevaitêtresacrémentimportante,cetteréception,pourquetuneprennespasledernieravion.Ellen’aimaitpassessous-entendusniletoninquisiteurqu’ilavaitadopté.–Tum’espionnes?–Non,jem’inquiète.Jenesuispastranquilledetesavoirseuleaveccebellâtre.–Jesuisassezgrandepourleteniràdistance.Ettueneslameilleurepreuve!seretint-elled’ajouter.
***
Eliot n’avait rien perdu de cette conversation. Il avait reconnu de loin la silhouette de Fanny,flanquéedesonhabituelangegardien,etsacontrariétél’avaitpousséàs’approcherendouceetàécouterleuréchange.IlavaittouràtoursourienentendantlesréponsesdeFannyets’étaitagacédevantl’attitudeméprisante du steward.Mais ce qui l’avait vraimentmis hors de lui, c’était ce regard brûlant dont ilenveloppaitFanny,regardquinelaissaitaucundoutesurlanaturedesessentiments.Laquestionétaitdesavoirs’ilsétaientréciproques.Elleparaissaitsiimpassible,commehabituéeàêtrel’objetdetoutessesattentions.Commentpourrait-il en être autrement, celadit ?Majestueuseetdistinguée, elle était d’unebeauté époustouflante. Elle ne semblait pas avoir conscience du charme qu’elle dégageait, ce qui larendaitplusdésirableencore.Mêmesonsourirecompasséavaitquelquechosed’énigmatique.Ilfallaitabsolumentqu’illessépare!Illuiétaitinsupportabledelesvoirensemble.
IlsedécidaàinterveniretditàFanny:–Suivez-moidansmonbureau.
***
FannysursautaetfixaEliot,hébétée.Depuiscombiendetempsétait-illà?Qu’avait-ilentendudeleur conversation ?Décidément, il était écrit qu’aujourd’hui il devait la surprendre, et toujours à sondésavantage!
–Jesouhaiteraisvousparler,enprivé.SansjeterlemoindreregardàBaptiste,illaprécédajusqu’aupremierétagedel’aérogare,réservé
à l’administratif. Cette convocation et le ton comminatoire sur lequel elle lui avait été signifiéeinquiétèrentFanny.Ellenelereconnaissaitpas.Était-cebiencethommequil’avaitinvitéeàdînerchezses parents, la veille ? Cet homme qui l’avait électrisée de ses caresses, le matin même, dans lesvestiaires?
Unefouledequestions tourbillonnaientdanssa tête, tandisqu’elle lesuivait.Elleespéraitque lerestedelajournéeseraitpluscalmequelaveille.Était-cetropdemander?
Chapitre8
Aupremiercoupd’œil,Fannyremarquaqu’Eliotavaitentièrementréaménagélebureaudirectorial.Elleavaitconnulapièceremplied’uncapharnaümindescriptible,depapiers,depiècesd’uniformeetdegobelets en plastique. Aujourd’hui, les murs blancs étaient recouverts de grandes photos d’avionsencadréesavecsoin.Untapisaugraphismemodernemasquaitlesolabîmé.Enfacedesfenêtrestrônaitunlargebureaudeverresurlequelétaitposéunordinateurportablederniercri.Elleavisalamaquetted’un petit biplan posé sur une étagère. Constituée d’ailes en pelles à tarte, de pneus en capuchon desalièreetd’unehéliceencuillèreàcafé,laminiatureconstituaitunensembletrèsinsolite.
–C’estuneœuvredusculpteurAnge,luiexpliqua-t-il.Vousaimez?–C’estunecréationoriginale.–Jel’aiachetéelorsqu’ilexposaitencoredansdepetitesgaleriesdeprovince.Sacoteatellement
montédepuisquejepourraislavendreetprendremaretraite.Pour quelle raison lui disait-il cela ?Certes, la sculpture était jolie et inventive,mais le fait de
mettreautantd’argentdansuneœuvred’art luiéchappait totalement.Voulait-il l’éblouir?Sic’était lecas,ilsedonnaitbeaucoupdemalpourrien.Qu’ilaitachetéunecompagnieaérienneouunesculpturedecefameuxAngelalaissaitparfaitementindifférente!Elleavaitfréquentédesgensbienplusrichesdontlesfantaisiesn’étaientquepoudreauxyeux,vantardises,etellesavaitàquois’entenir.
–Dequoivoulez-vousmeparler?demanda-t-ellefroidement.–J’aidesprojetspourAirProvence.–Est-cequevoussongezdéjààrevendrelacompagniepouraméliorervotreretraite?Siletonétaithumoristique,sonregardn’enétaitpasmoinsgrave,etsaquestionsérieuse.– Je serais foude faireune tellechose !Leséquipes sontbien rodéeset la ligneNice-Romeest
rentable.Elle laissa échapper un soupir de soulagement. D’une, il n’évoquait aucune restructuration
susceptible de menacer l’entreprise. De deux, cette discussion ne la concernait pas personnellement.Aucuneallusionàl’épisodedesvestiaires.Elleputsedétendrecomplètement.
–Vousnem’apprenezrien,dit-ellealorsavecunfrancsourire.Jesaisparfaitementcequevalentlesemployésd’AirProvence.
–MêmeBaptiste?–C’estunstewardconsciencieuxetunbonchefdecabine.Sabontéd’âme l’empêchait dedire cequ’ellepensait réellementde lui.Elle tut doncqu’elle le
trouvaitégoïsteetvaniteux.–Jeveuxouvrirunenouvelleligne,repritEliot.
–Pourquoi?Lenombrederotationsavecl’Italieestsuffisant,mesemble-t-il.–Jesouhaitequ’AirProvenceproposerapidementdesvolsentreNiceetBarcelone.–EnEspagne?–Qu’enpensez-vous?demanda-t-il,posantsescoudessurlebureau,etpenchantlebusteenavant.–Je…Oui,pourquoipas.Àdirevrai,ellen’avaitaucunavissurlaquestion.Laseulechosequiluiimportaitétaitlapérennité
d’AirProvence,assuréebienau-delàdesesespérances.–J’aimeraismerendreàBarceloneauplustôt…Encoreunefois,ellen’avaitpasd’opinionetsebornaàhocherlatête.–Etjeveuxquevousm’accompagniez.–Moi?Pourquelleraison?N’avait-il pas des gestionnaires et des comptables pour le conseiller ? Elle était peut-être
responsable du personnel au sol, mais n’en restait pas moins simple salariée. Que pouvait-elle luiapporter?
Alorsqu’ilallait reprendre laparole,onfrappaà laporteàcoupsredoublés,puisBaptisteentrasansyêtreinvité.
–Onaunproblème,dit-ilsanspréambule.–Qu’ya-t-il?demandaEliot,sanschercheràmasquersonexaspération.–Lepersonneld’AzurAirlinesestengrève.EliotsetournaversFanny,l’airinterrogateur.–C’estunecompagniespécialiséedanslesvolsentreNiceetlenorddel’Europe,luiexpliqua-t-
ellealors.Ses lignes sontouvertesdemaiàoctobreet ellesdesserventLondres,Dublin,BruxellesetBerlin.
–Pourquoisont-ilsengrève?–Lepersonneln’estpaspayédepuisunmois,réponditBaptiste.–Quelssontnosrapportsaveceux?Etquellesconséquencesleurmouvementpourrait-ilavoirsur
AirProvence?demandaEliot,lesyeuxplissésdeconcentration.–Lepersonnelestessentiellementcomposédessaisonniersquichangentd’uneannéesurl’autreet
nousnousfréquentonsdecefaitassezpeu.Toutefois,nosrelationsaveceuxsontcordiales,ditFanny.Jenepensepasquecettegrèveaitdesrépercussionssurnotreactivité.Àmoinsqu’ilsdécidentdebloquerletrafic…
–Pour lemoment, tous les employés sont rassemblés dans le hall. Ilsmenacent de prendre leurdirecteurenotage,précisaBaptisteavecunsouriremauvais.
–Jevaisallerdiscuteraveccethommeetvoirdequoiilretourne.Quantàvous,Fanny,j’aimeraisquevousrencontriezdesmembresdupersonnelpourconnaîtreleursmotivations.
Tandisqu’Eliotsedirigeaitvers lesbureauxd’AzurAirlines,BaptisteaccompagnaFannydans lehall.Elletrouvarapidementsonhomologue,responsabledupersonnelausol,unefemmeénergiqued’unequarantained’années.L’unedesraressalariéespermanentesdel’entreprise.
–Bonjour,Martine.J’apprendsquevousêtesengrève…Qu’est-cequequisepasse?–Ilsepassequenousnevoulonsplusêtreexploités!–Cespatrons,touslesmêmes!crachaBaptiste.Martineleurraconta,avecsonaccentméridional,queleursalairen’étaitplusversédepuislemois
précédent,etqueleuremployeurfaisaitlasourdeoreille,arguantdesdifficultéspassagères.–Jesuissûrequec’estduflan!conclutMartine.–Ilmentpoursecouvrir,renchéritBaptiste.
Fannyluilançaunregardnoir.–Jecomprends…Lescirconstancessontdélicates,dit-elle,pourcalmerlesesprits.Encemoment,
notredirecteur,EliotEndrieu,estentraindeluiparler.J’espèrequ’ilpourradébloquerlasituation.–C’estvraiquevousavezunnouveaupatron,serappelaMartine.D’aprèscequej’aientendu,ilest
plutôtbeaugosse.–Ilnefautpascroiretoutcequ’onraconte,protestaBaptiste.–Attendonsdevoircequedonnecetentretien, repritFanny.Tescollègues t’ontdésignéecomme
porte-parole,Martine,etjetrouvequ’ilsonteuraison.Jesaisquetunechercheraspasàenvenimerleschoses.
Déterminés, les employés d’Azur Airlinesn’en poursuivirent pasmoins leurmouvement toute lajournée,etlespassagersdesvolsensouffranceoccupaientaufuretàmesurelehall,assissurlesbancsouàmêmelesol.Lasituationsemblaitbeletbienbloquée.
–Jecroisquelebellâtres’estdégonflé…,raillaBaptistequisuivaitFannyàlatrace.–Dequoiparles-tu?–C’estunpatron,luiaussi.Ilssesoutiennententreeux.Martineetlesautresneverrontjamaisle
moindrecentimedecequileurrevient.Fannyletoisaavechauteur.Soncynismel’écœurait.Cependant,elledutreconnaîtrequeleschoses
n’avaientguèreévolué.Lenombredepassagerscoincésàl’aéroportnecessaitdecroîtreetlesespritscommençaientàs’échauffer.Ledésarroidecesfamillesperduesetencolèrelatouchait,etelledécidadeprendreleschosesenmain.
Ellemontajusqu’auxlocauxd’AzurAirlines.Eliotensortitaumêmemoment,levisagemarquéparlafatigue.
–Lesnégociationssontplusdifficilesqueprévu?demanda-t-elle.–J’aibesoind’uncafé.Allonsdansmonbureau.Enchemin, il luiexpliquaqueledirecteurd’AzurAirlines s’étaitvuréclamer lepaiementdeses
charges avant l’échéance prévue. Ses débiteurs lui avaient mis une telle pression qu’il avait dûs’exécuter,lésantsespropressalariés.Sanstrésorerie,ilsetrouvaitàprésentdansuneimpasse.
–Coincéentrelemarteauetl’enclume…,résumaFanny,acceptantl’expressoqu’Eliotluitendait.–Jen’envieguèrelesortdecethomme!–Nepeut-onrienfaire?–Depuisdesheures,noustournonsleproblèmedanstouslessenssanstrouverdesolution.Ilsepassalesmainsdanslescheveuxetpoussaunsoupirdelassitude.LecœurdeFannysegonfla
decompassiondevantsestraitstirésetsonregardépuisé.Elleréprimal’enviedeposersesdoigtssursajouegriséeparl’ombred’unebarbenaissante.Elleauraittantaimél’apaiser!
– C’est généreux de votre part d’être intervenu, dit-elle d’une voix douce, gardant ses mainssagementderrièreledos.
–Saufquejusqu’àprésent,çan’amenénullepart!–J’aimeraisvousaider.Jecroisavoiruneidée.–Jevousécoute.–Vousdevriezrencontrerlessalariésd’AzurAirlines.Peut-êtreseront-ilssensiblesàvosparoles?–Vouspensezquecesoitpossible?– Je vous présenterai Martine. Elle est responsable du personnel au sol, comme moi. C’est
l’employéelaplusanciennedelacompagnieetlachefdefiledumouvement.Lesautresl’écouteront.–Pourquoipas.Aupointoùilsensont…
Il s’apprêtait à sortir de la pièce,mais, remarquant qu’elle n’avait pas bougé, il l’interrogea duregard.
–J’aimeraisfairequelquechosedemoncôté,pendantquevousparlezàMartine.–Quoidonc?–L’équiped’AirProvencepossèdeunepetitecagnotte.Onpuisededansencasdecoupsdurs.–Vousnecomptezpasrembourserlescréancesd’AzurAirlines,j’espère!–Non,nousn’enavonspaslesmoyens!J’avaisuneautreidéeentête.–Laquelle?–Offrir aux passagers qui attendent de quoi se restaurer.De plus, Julie connaît le capitaine des
sapeurs-pompiersdelacasernedeNice.Peut-êtrepourront-ilsnousprêterdescouverturesetdeslitsdecamp?
–Jevaisvousaider,s’exclama-t-ilaussitôt.–IlseraitpréférablequevousparliezàMartined’abord.Julieetmoinousoccuperonsdureste.–Vousavezraison.Maisjeveuxfairequelquechose.Tenez…Ilpritsonportefeuilleetensortitunecartebancairequ’illuitendit.–Avecça,vouspourrezachetercequ’ilfaut.–Merci,mais…–Quelestleproblème?–Vousnecraignezpasquej’enprofitepourvidervoscomptes?–Non,j’aiconfianceenvous.CetaveufitmonterlerougeauxjouesdeFanny.–C’esttrèsaimabledevotrepart,maisjenepeuxpasaccepter.–Inutiledepuiserdansvotrecagnotte,puisquejevousproposedepayersurmespropresdeniers.–Peut-être,maismeprêtervotrecartebancaire,c’est…C’esttrop!–Bien,n’enparlonsplus.Ilrangeasacarteetcurieusement,Fannyenressentitunepointededéception.–J’espèrecependantquevousnemeferezpasl’affrontderefuserceci,dit-il,s’approchantd’elle.Ilavaitenmainuneliassedebilletsqu’ilvenaitdesortirdumêmeportefeuille.Ellelevasurluidesyeuxécarquillésdestupeur.–Jen’agispasparbontéd’âme,voussavez.–Pourquelsmotifs,alors?–Toutcommevous,jeveuxquecettecrisesetermineviteetbien.Alorsjemetstoutesleschances
demoncôté.–Qu’avez-vousàygagner?–Jenetienspasàcequecemouvementfassetached’huile.–Àmaconnaissance,lesemployésd’AirProvencenesesontjamaismisengrève.– Tant mieux. Cependant, je pense que certaines personnes aimeraient beaucoup me voir en
difficulté.FannypensaimmédiatementàBaptiste.Détestait-illeurnouvelemployeuraupointdesoulevertous
lessalariéscontre lui?Ellen’enauraitpasétéplussurprisequecela.Elleprit lesbillets,assurantàEliotqu’elleenferaitbonusage,puis,ensemble,ilsregagnèrentl’aérogare.AvisantMartinequiparlaitaumilieudugrouped’employésd’AzurAirlines,ellefenditlafoulepourlesmettreenrelation.
–Martine…VoiciEliotEndrieu.Ils’estentretenuplusieursheuresavectonpatron.MartinejetaunregardnoiràEliot.Elleneparaissaitguèreapprécierleprocédé.
– Je te le demande comme une faveur : écoute-le, insista Fanny. Il n’est pas ton ennemi. Aucontraire,ilchercheunesolutionquiconviendraitàtous.
–Trèsbien.Jelefaisparcequej’aidurespectpourtoi,Fanny.Maisnet’attendspasàcequejemerangeàsesarguments.
Fannyvoulutobjecter,maisEliotl’arrêtad’ungestedelamain.–Laissez,Fanny, jesauraimedéfendre toutseul.Allezdoncvousoccuperdecequenousavons
prévu.Aprèsundernierregardsureux,FannyfouillalehalldesyeuxàlarecherchedeJulie.Àsongrand
regret,aulieudetrouversonamie,elletombasurBaptiste.–Qu’est-cequevouscomplotez,vousdeux?demanda-t-il,levisagedéforméparlacolère.–Martinetentede…–Jeneteparlepasdecettevieillepeau!Quefaisais-tuavecEndrieu?Interloquéeparsagrossièreté,ilfallutquelquessecondesàFannyavantderépondre.–J’essaied’apaiserunesituationquetutecomplaisàenvenimer.–Cen’estpasvrai…–Tais-toi,Baptiste!Jeneveuxrienentendre.Puiselleluitournaledosets’éloignad’unpasvif.Juliel’interceptaàcemoment-là.–Tuasl’airdanstoustesétats!J’aimanquéquelquechose?–JeviensderemettreBaptisteàsaplace.–C’estuneexcellentenouvelle.Pourquoinepasl’avoirfaitplustôt?–Neparlonsplusdelui.Jetecherchais.J’aibesoindetoi.Fannyluirésumaladiscussionqu’elleavaiteueavecEliotetluimontralesbilletsqu’illuiavaitsi
généreusementdonnés.Juliesifflad’admirationenlescomptant.–Ilnes’estpasmoquédetoi!–Jevaisrassemblerdesvolontairespourm’aider.Detoncôté,voiscequetupeuxfaireavecles
pompiers.–Pasdeproblème.Tupeuxcomptersurmoi!Ellesseséparèrent,pleinesd’enthousiasme.LespompiersnepurentrienrefuseràJulieetfournirentdequoicoucherunecentainedepersonnes.
PuisFannyrevint,avecdesplatschaudsetdesboissons.Lesbagagistess’étaientregroupéspourinstallerlecampement,tandisqueleshôtessesdistribuaientlesrations.Lagentillesseetlessouriresdonttouslesgratifièrentmirentdubaumeaucœurauxmalheureuxpassagers.Sansseconsulter,lamajoritédel’équipemangeasurplaceetpassa lanuit sur les litsdecamp.Onn’aurait sudiredequi ilsétaient solidairesexactement.Ilsétaientlà,c’étaittoutcequicomptait.
Avantd’allersecoucher,Fannyfitletourdespassagerspours’assurerqu’ilsétaientbieninstallés.Enparticulierlesfamillesavecenfants.Pourcesderniers,elleavaitréussiàdénicherquelquespaquetsdecartesetdesvieuxjeuxdesociété.Lesparentsapprécièrent legesteet luienfurentreconnaissants.Elle accueillit leurs remerciements d’un haussement d’épaules désinvolte. Voir les enfants dormirsereinementoujouerlarécompensaitlargementdesesefforts.Etcefutpresqueenpaixavecelle-mêmequ’elleregagnasonlitdefortune.
Chapitre9
Lanuitétaittombéedepuislongtemps,maisl’éclairageétaittoujoursvifdansl’aéroport.Allongéesurleventre,JuliesetournaversFanny.
–Tuesunevéritableprincesse,chuchota-t-elle.Tuenaslagrâceetlabeautéd’âme.– Je te renvoie le compliment, car je te rappelle que c’est grâce à toi qu’on ne dort pas sur le
carrelage.–Sérieusement,iln’yavaitquetoipouravoiruneidéepareille.–Jen’auraisrienpufairesansl’argentd’Eliot.Lacaissed’AirProvencen’auraitpassuffi.–Commentas-tufait?–J’aivucesfamillesloindechezelles,sansrien.Jen’imaginaispasleursenfantsdormirparterre.–Cequejevoulaisdire,c’estcommenttuasdécidéEndrieuàtedonnerautantd’argent.–Jen’airiendemandé.–En toutcas,cesgens-làpeuvent luidiremerci !Tucroisquenouspourronscompterenheures
supplémentairesletempsquenouspassonsici?Fannyéclataderire,etsouhaitabonnenuitàJulie.Lesémotionsdelajournéeeurentbientôtraison
d’elle,etellesombradansunsommeilprofond.
***
Aumatin,alorsquetousdormaientencore,Eliotseglissaentreleslits.Sespaslemenèrentjusqu’àFanny endormie. Il contempla un instant l’ombre de ses longs cils sur sa joue veloutée. Il écouta sonsoufflelégers’échapperdeseslèvresentrouvertes.Etuneboufféededésirluivrillalecorps.
Il s’assit sur lebordde son lit et caressadoucement sescheveux sombres.Elledutpercevoir saprésence, car elle ouvrit aussitôt les yeux.Ses paupières s’écarquillèrent en le découvrant penché au-dessusd’elle.
–Jenevoulaispasvousréveiller,murmuraEliot.Biendormi?–Pastropmal,auvudescirconstances.–Jevoulaisvousremercier.–Moi?Pourquoi?–Grâceàvouslepiquetdegrèveestlevé.–Vraiment?C’estuneexcellentenouvelle!Maisjen’ysuispourrien.–Détrompez-vous,vousavezfaitdesmerveilles.Pourcommencer,sansvous,jen’auraisjamaispu
parleràMartine.Cettefemmem’auraitmangétoutcru!
–Jesuiscertainequevousvousêtestrèsbiendéfendutoutseul,objectaFannyavecunsourire.–Etpuis,apporterunpeuderéconfortauxpassagersapermisdegarderlasituationsouscontrôle.–Toutestbienquifinitbien,alors…Commentleschosesvontsedérouler,àprésent?–AzurAirlines reprendses rotationscematin. Jepeuxaffréterplusieursavionspour rattraper le
retard,simespropresemployéssontd’accord,biensûr…Etdanscecas,toutserarentrédansl’ordrecesoir.
–Voulez-vousquejeparleàmescollègues?–Jen’osaispasvousledemander.Vousenavezdéjàtellementfait!–Laissez-moiletempsdemedébarbouilleretjebatslerappeldestroupes.Illagratifiad’unsourirereconnaissant,maisellenelevitpas.Elles’étaitassisesurlelitdecamp,
ets’étirait.Cegesteanodinrevêtaitchezelleunesensualitéfolle!Malgrésarobed’uniformefroisséeetses cheveux ébouriffés, elle était sublime. Il se leva et s’éloigna, terriblement conscient de ce corpsencorechauddesommeilàportéedemain.Ilavaitveilléunegrandepartiedelanuitaveclessalariésd’AzurAirlinesetleurdirecteur,jouantlerôledemédiateur,etcherchantaveceuxunaccordsatisfaisant.Maisreclusdefatiguecommeil l’étaitcematin, iln’étaitpassûrdepouvoirmaîtrisersespulsions.Ilavaitdéjàeudumalàsecontrôlerlaveille,danslevestiairedesfemmes.Alorsiljugeaplusraisonnabledegardersesdistancesavecelle.
***
Fannyfutcettefoisencored’uneefficacitéexemplaire.Elleexposalasituationàsescollèguesdesavoix claire, et sut si bien les convaincre que la plupart d’entre eux acceptèrent d’assurer les volssupplémentaires,enplusdesvols réguliersd’AirProvence.Elle coordonna ensuite les équipes au solavecsonprofessionnalismehabituel.Personnenecontesta l’autoritédontelle faisaitpreuvedanscettesituation exceptionnelle. Julie ne la reconnaissait plus et Mario, toujours en verve, ne tarissait pasd’élogesàsonsujet.SeulBaptistegardaitlesilence.Ilavaitparticipéàl’effortcollectif,pluspeut-êtrepournepasêtremisàl’indexqueparvéritablealtruisme.MaisilsemblaitdésapprouvercetteferveurgénéralequientouraitFanny.
La journée passa dans un tourbillon d’enregistrements et de débarquements. Il fallut gérer lesbagages et les créneaux horaires.Malgré l’effervescence, pas un grain de sable ne grippa la parfaitemécaniquequ’étaitAirProvence.
Enfind’après-midi,unefoisquetoutleretardfutrésorbé,Eliotvintlacomplimenter.–Jevoulaisvousféliciterdenouveau.Ellehaussalesépaules.Àsesyeux,ellen’avaitrienfaitdespécial.–J’aimeraisvousinvitercesoirpourvousremercier.–M’«inviter»?«Cesoir»?–Oui…Ilyaunproblème?–Cesdernièresquarante-huitheuresontétééprouvantes,etjepensaisrentrerchezmoimereposer.Ill’observaalorsattentivement,paraissantremarquerseulementsesyeuxvertssoulignésdecernes
violetsetsarobetoutefroisséedanslaquelleelleavaitdormi.–Bien,dit-ilavecunsoupirdedéception.Alorsdemainsoir,à20heures,devantl’Opéra.Ilnesemblaitpasdouterqu’elleaccepterait.Detoutefaçon,mêmesielleavaitvoulurefuser,elle
n’auraitpu le faire, cardéjà il s’éloignait.Heureusement, le lendemainétait sa journéede repos.Elleallaitenfinpouvoirsouffler.Ellen’avaitqu’unehâte:rentrerchezelle!
Tandisqu’ellepoussaitlaportedesonappartement,Fannysongeaqu’ellepourraitallerauparcduChâteau, après s’être douchée et changée. Elle aimait cet endroit paisible, en dehors de l’agitationcitadine. Le panorama qu’il offrait s’ouvrait sur les façades jaunes et les toits de tuiles orange desimmeubles.Niceressemblaitalorsàunvillageprovençalhérissédeclochers.Maissonsourires’effaça,lorsque son regard tomba sur la lettre de son avocat, restée sur la table basse du salon. Elle l’avaitcomplètementoubliée.Rassemblantsoncourage,ellel’ouvritd’ungestevifetensortitplusieursfeuilletsportantlesceauofficieldujugedesaffairesfamiliales.
Elle se rappela alors son attente devant lesmarches du palais de justice, un an auparavant. Sonavocat était arrivé au derniermoment, sans s’excuser de son retard. La façade imposante du bâtimentl’avait bouleversée. Son malaise s’était accru dans le bureau impersonnel du juge. La pièce étaitencombréedepilesdedossiersmenaçantdes’effondreraumoindrecourantd’air.Marcétaitlà,avecsonpropreavocat.Illuiavaitàpeinejetéunregard,lorsqu’elleétaitentrée.C’étaitcommesiellen’existaitplus,commes’ilavaitdéjàfaituntraitsurleurstroisannéesdemariage.Leurtentativededivorceparconsentementmutuelavaitlamentablementéchouéquelquessemainesplustôt.Ilsenétaientdoncarrivésàraconterleurhistoiredevantunjuge,etêtreobligéededéballersavieintimedevantceparfaitétrangerluiavaitdonnélanausée.
Elleavaitencoreàl’espritlesargumentsàchargedel’avocatdeMarc,faisantpesersurelletoutelaresponsabilitédeleuréchec.Ilavaitétésanspitié.Elles’étaitsentiesouillée,humiliée,alorsquesesproposn’étaientqu’untissudemensonges.Marcn’avaitpasélevéuneseuleprotestation,l’abandonnantenpâtureàsondéfenseur.Quantàsonpropreavocat,iln’avaitformuléquedefaiblesobjections.Elle-même,souslechocdecedéballagesordide,n’avaitsutrouverlesmotspoursedéfendre.
ElleavaitquittélebureauduJAFtotalementanéantie.Sanslevoirvéritablement,elleavaitserrélamaindesonavocatquiluiavaitalorsrappelélemontantdeseshonoraires,puisportésonattentionsurMarc.Durant l’entretien, iln’avaitpasouvert laboucheetavaitsoigneusementévitéde la regarder. Ils’étaitlevéetétaitpassédevantellecommesielleétaitinvisible.Leurdivorceétaitconsommé.
Lesoirmême,ellequittaitledomicileconjugal.Ellenepouvaitplusvivreàcôtéd’unhommequiluiavaitmentietl’avaitmépriséeavecautantdeforce.Pourtant,ellel’avaitaimé.Dumoinslecroyait-elle.
Elle avait trouvé cet appartement agréable sur la promenade des Anglais, un nouveau travail etsurtoutuneamiefidèleenlapersonnedeJulie.Maiscombiendetempsparviendrait-elleàmaintenircefragile équilibre ? Elle se reconstruisait à peine. Son divorce l’avait ébranlée bien plus qu’elle nel’aurait pensé.À vrai dire, elle n’aurait jamais cru en arriver à une telle extrémité un jour.Dans sonesprit,onsemariaitpourlavie.MaisJulieavaitraison:elleétaitbientropcandide!Ilétaittempspourelle de devenir plus en phase avec la réalité. Et pour cela, pourquoi ne pas commencer par accepterl’invitationd’Eliot?Ilvoulaitcertainementluiparlerd’AirProvenceetdecemouvementdegrèvequilesavait tousébranlés.Qu’avait-ildit,déjà?À20heures,devant l’OpéradeNice.Ceseraitdoncunrepasdetravail.Encharmantecompagnie.
Elle profita de son après-midi pour flâner placeMassena. Situé à la jonction de plusieurs lieuxtouristiquesetregorgeantdeboutiques,l’endroitfourmillaitdemonde.Enpassantdevantunevitrine,elleremarquaunejolierobecourteàfinesbretelles,recouverted’unecascadedefranges.Danslepluspurstylecharleston!Malgrésonprixélevé,ellenerésistapasàlatentationdel’essayer.Sacouleurvioletterehaussait l’éclat de ses prunelles et ses franges virevoltant autour d’elle épousaient parfaitement soncorpsmince.Lavendeusenemitpaslongtempsàlaconvaincreetelleressortitdumagasin,satisfaitedesonachat.Elle l’étrennerait le soirmême,décida-t-elle, avecunevestedeblazernoiretde spartiatescoordonnéesàtalonshauts.
Lorsqu’ellearrivaaurendez-vous,Eliotl’attendaitdéjà.Ilavaitrevêtuunsmokingsombresurune
chemiseblanche.Sesboutonsdemanchettesetsamontreaubraceletenmétalbrillaientàsonpoignet.Elleletrouvatrèsélégant.Tropélégantpourunesimplesortieaurestaurant.
–Vousêtesponctuelle,dit-ilenl’apercevant.Ilsrestèrentuninstantfaceàface,sedévisageant.–Entrons,çavacommencer,annonça-t-il.–Quoidonc?Oùm’emmenez-vous?–Àl’opéra,biensûr.Ellen’eutpasletempsdeluifairepartdesaméprise,quedéjàill’escortaitàl’intérieur.Iln’était
doncpasquestionderestaurant,maisdespectacle…Ellemasquadumieuxqu’elleputsadéconvenueetsa timidité. Jamais auparavant, elle n’était entrée dans le majestueux bâtiment classé monumenthistorique.
Ensemble,ilsmontèrentleslargesmarchesdemarbreblancencadréesdechandeliers.–Vousêtesmagnifique,luiglissa-t-ilàl’oreille,alorsqu’ilsparvenaientàl’entréed’uneloge.–Jevousremercie.Vous…Vousn’êtespasmalnonplus.Unsourireéblouissantrécompensasoncomplimentetsoncœurs’emballa.–Jenesuisjamaisalléeàl’opéra,avoua-t-elle.Qu’allons-nousécouter?–Pasdechantlyrique,cesoir.Durideaudeveloursautissudesfauteuils,enpassantparlamoquetteetmêmeleplafond,toutétait
grenatdanslaloge.Fannysepenchalégèrementau-dessusdubalconpourdécouvrirlasalleau-dessousd’elle.Elleyretrouva lesmêmes teintesécarlates, rehausséesd’or. Ilsétaientplacésdans lapremièregalerie,justeàcôtédelagrandeloged’honneur.Undesmeilleursemplacements.Eliotl’aidagalammentàretirersaveste.Sesdoigtsfrôlèrentsesépauleset lemêmefrissonincontrôlablequ’elleavaitconnudanslesvestiairesl’envahit.
–Cesoir,jevousproposeleLacdescygnes,reprit-ilàvoixbasse.À peine eut-il terminé sa phrase que les lumières s’éteignirent. Une véritable bénédiction pour
Fannyquifrissonnaitdesesavoirseuledansunelogeaveclui.Elleessayadesesouvenirdel’histoire…celled’unprincetristeetd’uncygneblancquisetransformaitenbellejeunefille.L’histoired’unamourimpossible,contrecarréparunmagicienetsafille,incarnéeenuncygnenoir.Ellereconnutlamusiquenostalgique de Tchaïkovski. Les longs accords de violon, où perçait l’âme slave du musicien,s’infiltraient jusquedans sa chair.Sous sesyeux sedéployait unvéritabledécorhumaindeballerinesservant d’écrin à une gracieuse danseuse étoile. La lumière éclaboussait leurs tutus d’une blancheurimmaculée.Ellesondoyaient,papillonnaient,sautillaientaveclégèreté.
EllesongeaalorsàlabelleJuliaRobertsemmenéeàl’opéraparRichardGeredansPrettyWoman.Cependant,sonhistoireàellen’avaitriend’uncontedeféesmoderne.Sonexistenceétaitàl’imagedecetopéraduXIXesiècle:unamouridéalisé,unrêveévanouietunefinmalheureuse.Oppresséeparlatensionduspectaclequisejouaitsoussesyeux,elleaccueillitl’entracteavecsoulagement.
–Vousavezaimécepremieracte?luidemandaEliot.–Jenesuisjamaisalléeàl’opéraetjecomprendspourquoi!Ilaccueillitsaréponseavecunegrimacecomique.–Dois-jecomprendrequevousn’appréciezpasleballet?–Neleprenezpasmal.J’admirelaprouessetechniquedesdanseuses,maisjetrouvel’histoiresi
triste…–Cen’estqu’unconte.Unelégende.
–Vousavezraison,maiscepauvreprince,amoureuxd’uncygne,mechagrine.–Parcequevousvousidentifiezàlui,peut-être?–Jenecroispas.–Pourtantceprince,contraintparsamèredechoisiruneépouse,etquipartauborddecelacpar
dépit…–Sous-entendez-vousquejemesuismariéefautedemieux?– C’est vous qui y voyez un rapport. Pas moi. Je pensais simplement qu’une femme était plus
sensibleàcegenredetiraillemententredevoiretsentiments.
***
Eliot comptait passer une agréable soirée,mais ses plans ne se déroulaient pas commeprévu. IlavaitespéréqueleballetetlamusiquedeTchaïkovskiferaientoublieràFannylestensionsdesderniersjours…Manifestement, iln’enétait rien !Aucontraire,ellesemblaitcontrariée.Etcommeelle restaitsilencieuse,ellel’obligeaàenchaîner:
–Commejevous ledisais justeavantquecettegrèven’éclate, jesouhaiteouvrirune ligneentreNice et Barcelone. Je dois rencontrer mes partenaires espagnols ce week-end. Je voudrais que vousveniezavecmoi.
–Pourquoi?Jenesuispasqualifiée.–Cen’estpasuneétudedefaisabilitéquejevousdemande.–Mevoicirassurée!ironisa-t-elle.– J’ai besoin d’un regard extérieur. Sans compter que les Espagnols ne manqueront pas d’être
sensiblesàuneprésenceféminine.
***
Qu’était-ellecenséecomprendre?Qu’ilexigeaitsaprésencepourfairedelafiguration,commeàlaréception,àl’aéroportdeRome?Oubiensefigurait-ilqueparcequ’elleétaitintervenuepourdénouerleconflit,ilpourraittoujourscomptersursabonnevolonté?IlavaitachetéAirProvence,pasl’âmedesesemployés!songea-t-elle,dansunepousséedecolère.
–Vousvoustrompezdepersonne,dit-elled’unevoixglaciale.Adressez-vousàquelqu’und’autre.Ilparutaccuserlecoup.–C’estluiquivousenempêche?demanda-t-ilâprement.–Dequiparlez-vous?–Nejouezpasl’innocenteavecmoi!Vouslesaveztrèsbien.–VousparlezdeBaptiste?–Bienentendu !Dequid’autre ?Dèsque jevousvois, il n’est jamaisbien loin.Qu’est-il pour
vous?J’avaispourtantcrucomprendrequevotredivorcevousavaitlaisséunsouvenirdouloureux.Qu’est-cequeçavoulaitdire?Sous-entendait-ilqueBaptisteetelleétaientamants?Unvoileglacé
luicouvritlefront.–Lefaitquevoussoyezmonpatronnevousautoriseenaucunefaçonàmeparlerdelasorte,dit-
elled’unevoixblanche.Ellelefusilladuregardetfitminedeselever.–Attendez!rugitEliot.Jen’enaipasfiniavecvous.–Ehbien,moi,jen’aiplusrienàvousdire!
Elleétaithorsd’elle.Ellesortitdelalogeets’éloignaàgrandspas,maisilcourutàsasuitedanslesescaliersdemarbre,l’appelant.L’entracteétaitterminéetlesspectateursrefluaientendirectiondesloges.Elles’immobilisasoudain,remarquantdanslafouleunesilhouettefamilière.Ellepensad’abordàune illusion,mais il n’y avait aucundoute :Marc, son ex-mari,marchait dans sadirection, un sourireconquérant sur les lèvres, comme s’il cherchait à la narguer. Elle fut plus déstabilisée encore endécouvrantlajeunefemmequ’iltenaitamoureusementparlamain.Elleeutl’impressionderecevoiruncoupdepoignarddanslecœur.Ilavaitdoncrefaitsavie,déjà,traçantuntraitsurleurstroisannéesdemariage. Le couple se rapprochait et, immanquablement, Marc passerait à sa hauteur. Elle sentit lapaniquelagagneretvouluts’enfuiràtoutesjambes.
–Vousallezbien?demandaEliotquiavaitfiniparlarattraper.Sonintonation,toutcommesonregard,trahissaitsoninquiétude.Marcetlajeunefemmen’étaient
plusqu’àquelquesmètresd’eux.Fannyeutalorsuneidéetotalementfolle.–Vous savez quoi, dit-elle d’un tonmutin qui l’étonna elle-même. J’adorerais aller en Espagne
avecvous!Pourfairebonnemesure,ellesejetaaucoud’Eliotavecunsourireextatique.–Vousenêtescertaine?–Unweek-endàBarceloneencettesaisondoitêtreidyllique!Marcvenaitdelesdépassersansralentir.Elleespéraitqu’iln’avaitpasperduunemiettedecette
petitemiseenscène.–Jesuisraviquevousayezchangéd’avis,approuvaEliot.Dansungesteinstinctif,ill’avaitenlacéedesesbrasmusclés.–Nouspouvonspartirleweek-endprochain,sivousêtesd’accord.–Déjà?Ilfallaitabsolumentqu’elleledétrompe!Elles’étaitserviedeluietn’enétaitpasfière.Maisillui
étaitdifficilederéfléchir,alorsquesonvisageétaitpenchéau-dessusdusien.Ellesentitsonsoufflesursesjoues.Latêteluitournalégèrementetsesjambessedérobèrent.Parréflexe,elles’accrochaàlui.
***
Eliot n’en espérait pas tant, et, abasourdi, reçut son corps frêle contre le sien. Une foudroyanteboufféededésirmontaalorsenlui,rejetanttoutsursonpassage.Iln’yavaitplusqueFannyetsesgrandsyeuxverts.
Il inclina doucement la tête et s’empara de sa bouche. Il étouffa son petit cri, qui se transformarapidementenunsoupir.Seslèvresdoucesétaientuneinvitationirrésistible.Ilglissasalangueentresesdentspourlamêleràlasienne.
***
Passélepremierinstantdesurprise,Fannyn’opposaaucunerésistance.Aucontraire,ellenouasesmainsderrièrelanuqued’Eliotetréponditàsesbaisersavecfougue.Lecœurbattantetlecorpsenfeu,elleselaissagriserparlacaressedeseslèvres.Elleenoublialemondeautourd’elle,l’OpéraetMarc.
Lorsqu’ildesserraenfinsonétreinte,ellepritvéritablementconsciencedelaportéedesongeste.Haletanteet les jouesbrûlantes,elle reculad’unpas.Eliotavait l’airaussihébétéqu’elle,commes’ilavaitégalementperdulecontrôledelasituation.Ilfallaitdireaussiqu’elles’étaitlittéralementjetéeàsoncou!Commentfairemarchearrière,maintenant?
–Noussommesdoncd’accordpourleweek-endprochain,dit-ild’unevoixéraillée.Elle hocha la tête machinalement, cherchant à recouvrer la maîtrise d’elle-même. Elle s’était
conduite comme une idiote dans l’unique but de montrer à Marc qu’elle vivait leur séparation aussisereinementquelui.Àprésent,elleleregrettaitamèrement.
–Retournezdanslaloge,déclara-t-ild’unevoixsanschaleur.Vousallezmanquerleplustragique.Leprincechoisitunefemmequin’estpaspourlui.Lorsqu’ilserendcomptedesonerreur,ilenmeurtdechagrin.
Sur ce résumé secde la finduballet, il tourna les talons.Maisparlait-il uniquementduballet ?Seule et le visage décomposé, Fanny regagna le balcon. La grâce des danseuses et la beauté de lamusiqueneréussirentpasàapaisersonâmetourmentée.
Unedernièrepenséeachevadelaplongerdansunprofonddésarroi.EnrevoyantMarc,elleavaitprisombragedesonairvictorieux,voirearrogant.Etdanssonesprit,unautrevisages’étaitsubstituéuninstantausien.CeluideBaptiste.Commentsonex-maripouvait-illuirappelersonenvahissantcollègue?La réponse lui apparut aussitôt, très simple : tous les deux possédaient cettemême attitude suffisante,teintée de condescendance, qu’elle ne supportait plus. À la lumière de cette révélation, elle compritmieux sonaversionpourBaptiste.Sesdéfauts lui remémoraient ceuxdeMarc.Était-elle condamnéeàn’attirerquecetyped’homme?Ceuxquilaferaientsouffrir?
Chapitre10
Baptistenedécoléraitpasdepuis laveille. Ilnesupportaitpas laconnivencequ’ildevinaitentreFanny et Eliot Endrieu. Il n’était pas né de la dernière pluie et savait très bien ce que ce derniermanigançait.MaisilétaithorsdequestionquecesaletypeluipiqueFanny!Elleétaitàlui!Celafaisaitdesmoisqu’ilmultipliait lesattentions, toujourssanssuccès.Cette femmeétaitunvraiglaçonetc’estjustementcequiluiplaisait.Elleétaitlaseuleàluirésisteravecautantd’entêtement.Commelesautres,ellefiniraitpourtantparcéderàsesavances.Etpourcela,ildevaitsedébarrasserdelaconcurrence.
Il savait qu’à cette heure, il trouveraitEndrieu dans la salle de repos du personnel. Il poussa laporteetletrouvaeneffetentraindeseprélassersurl’undesfauteuilsdéfoncés.IlremerciaitJuliequivenaitdeluiapporteruncaféenminaudant.Baptisteaffichaunairdétachéets’assitnonchalammentenfacedelui.
–Apporte-m’enunaussi,demanda-t-ilàJulie,sansautreformedepolitesse.–Valecherchertoi-même!Puiselles’éloignadignement.–Ondiraitqu’ellenevousportepasdanssoncœur,commentaEndrieu.–C’estunpetitjeuentreelleetmoi.–Biensûr…Visiblement,iln’encroyaitpasunmot.Qu’est-cequeFannypouvaitbienluitrouver?–Jecroisqu’ellem’enveutunpeud’êtreavecsameilleureamie,repritBaptiste,exagérantsonair
détaché.–Pardon?Endrieu avait brutalement reposé sa tasse sur la soucoupe,manquant de renverser son café. Son
visageexprimaitàlafoisl’incrédulitéetlarage.–Fannyetmoisortonsensemble,répétaBaptiste,savourantsontriomphe.La belle assurance du bellâtre s’était envolée. Un petit mensonge, et hop, évincé le redoutable
adversaire!Etpuis,cen’étaitpasvraimentunmensonge…Ilavaitjustearrangélavéritécar,unjour,ilenétaitcertain,Fannyseraitàlui.
***
Ainsi donc c’était vrai ! songea Eliot. Ses pires craintes se confirmaient. Une sourde colèrel’envahitetsonregardsefitglacial.Àcemomentprécis,s’ilnes’étaitpastrouvédansunepiècepleinedemonde,ilseseraitjetésurlestewardpourluifaireravalersonsourirevictorieux.
–Je…Jel’ignorais,finit-ilpardire,espérantmaîtriserlestremblementsdesavoix.–Gardezçapourvous…Fannyneveutpasqueças’ébruite.Voilàdoncpourquoielleéludaitchacunedesesquestions…–Jecomprends,marmonnaencoreEliot,sedemandantvraimentcequiattiraitFannychezcetype.–Puisquenoussommesentrehommes,jepeuxbienvousledire…Baptisteavaitàprésentdesairsdeconspirateur.–Ilnefautpassefieràsonairsageetdistant.Aulit,c’estunevraiebombe!Cettefoisc’enfuttroppourEliot!Cecrétindépassaitlesbornes.–Vousêtesabject!Sortez!Sentantprobablementqu’ilneferaitpasboninsister,lestewards’éclipsadiscrètement.Restéseul,
Eliot rumina sa colère. Il les imagina ensemble, étroitement enlacés. Et lentement, insidieusement, lajalousie s’infiltra dans son cœur. Elle gagna lamoindre de ses cellules, tel un poison se diffusant encontinuetcontrelequeliln’existaitaucunantidote.
Pourtant,unepartiedesonespritrefusaitdecroireàcequ’ilvenaitd’entendre.MalgrécequeluiavaitaffirméBaptiste,iln’arrivaitpasàimaginerFannyaveccethommearrogantetpleindesuffisance.Lasavoirdanssesbras, l’embrassantcommeelle l’avaitembrassé laveilleausoir,à l’Opéra…Non,c’étaitimpossible!Ildevaitenavoirlecœurnet!
***
IlétaitconvenuqueFannyretrouveraitEliotàl’aéroportdeNiceCôted’Azurtôtlesamedimatin,etcenefutpassansunepointed’appréhensionqu’ellerefermalaportedesonappartement.Pourlaénièmefois, elle sedemandaitpourquoiellene lui avaitpas révélé lavéritéetn’avaitpasannulécevoyage.Maiscommentluiavouerqu’elleavaitsimplementjouélacomédiedevantsonex-mari?Qu’elleavaitsimplementvoulufairecroireàMarcquesavien’étaitpasaussidéprimantequ’ellel’étaitenréalité?Lavanitél’avaitpousséeàcommettreungesteirréfléchi,etelleétaitsacrémentcoincée,àprésent!
Enpassantdevant leparkingdupersonnel, elleavisa lebolide rougevermillond’Eliot.Ainsi, ilétaitdéjàlà.Ellenepouvaitplussedérober.
Effectivement,ill’attendaitdevantlazoneréservéeauxdéparts.–BonjourFanny,dit-il,enl’accueillantavecungrandsourire.J’espèrequevousêtesbienreposée.–J’aidormicommeunbébé.Àdire vrai, elle n’avait pas fermé l’œil. Tout comme la nuit d’avant.Elle souffrait d’insomnies
depuisqu’ellesavaitqu’elledevaitpartiraveclui.Lesouvenirdecebaiseréchangél’avaitlaisséedansun état de tension que rien ne semblait vouloir soulager. Et ce n’était pas la vision d’Eliot avec sonsourireéclatant, ses lunettesd’aviateuret sacombinaisondepilotebleumarinequi allait arranger leschoses!L’expression«leprestigedel’uniforme»prenaitmêmetoutesasignification.
La bouche sèche et le souffle altéré, elle détourna le regard. Ceweek-end promettait d’être unevéritableépreuvepoursesnerfs!
–Prêtealors?–Biensûr,dit-ellepourdonnerlechange.–Allons-y.Lesconditionsatmosphériquessontexcellentes.Nousauronsunvolagréable.Illuipritgalammentsavalisedesmainsetlaprécéda.Habituéeauxcomptoirsd’enregistrementet
auxzonesd’embarquement,Fannys’étonnadelevoiremprunteruncouloirqu’elleneconnaissaitpas.–Oùallons-nous?demanda-t-elle.–Aujourd’huivousavezdroitàuntraitementVIP.
–C’est-à-dire?–Vousvoyagerezenpremièreclasse.Devantsonsourireénigmatique,ellen’osalequestionnerdavantage.Il poussa une porte, sortit directement sur le tarmac, et se dirigea droit vers un petit jet qui les
attendait.SesdeuxréacteursétaientdéjàenmarcheetlesémanationsfamilièresdekérosèneremplirentlesnarinesdeFanny.
–Jevousoffrevotrebaptêmedel’airsurunFalcon2000!lançaEliotavecfierté.–Ilestsuperbe!Elleécarquilla lesyeuxetadmira l’avion.Avecsonnezpointuet sesailes fines, l’appareil était
dessiné pour fendre le ciel. Les rayons du soleilmatinal se réverbéraient sur sa carlingue d’un blancrutilant.Souslecharme,elleprit le tempsdel’observerdanslevrombissementdesmoteurset l’odeurentêtanteducarburant.Puis,voyantqu’Eliotl’attendaitaupieddelapetitepasserelle,ellehâtalepasetgrimpaàbord.
Unefoismontéedansl’appareil,elles’immobilisa.Jamaisellenes’étaitattendueàuntelluxedansun avion d’à peine vingtmètres de long !De confortables sièges en cuir rembourrés l’attendaient. Lamoquettecrèmeetdesboiseriesprécieusesaubasdeshublotsajoutaientunenoteraffinée.Àl’exceptionducopilote,déjàauxcommandes,ilsétaientseulsdansl’avion.
–Choisissezunsiège,luiditEliot,endésignantl’appareilvide.–Iln’yapasd’autrepassager?–Non,rienquenous.Fannysentitlesangluimonterauxjoues.–C’estvraimentuntraitementVIP,plaisanta-t-elle,légèrementtendue.–Attachez votre ceinture, nous décollons immédiatement. Je ne voudrais pasmanquer notre slot
horaire.Elle obtempéra, tandis qu’il regagnait le cockpit. Puis il vint la rejoindre un moment après le
décollage.Fanny fut légèrementcontrariéede levoir s’asseoirdans le siègeen faced’elle.Elleavaitespéréqueleursrapportsselimiteraientaustrictnécessaire.
–Quipilote?demanda-t-elle.–Vousêtesinquiète?–Non,simplecuriosité.–Moncopiloteestauxcommandes.Laréponselasatisfitetellelaissasonregardseperdredansleciel,autraversduhublot.–Cetavionestàvous?demanda-t-elle.–Oui.Ouplusexactementàmasociété,grâceauxbonssoinsdemoncomptable.–Bienentendu…,dit-elle,commesilachoseallaitdesoi.–Çavouschoquequejepuissem’offrirunjet?–C’estvotreargent,vousenfaitescequevousvoulez.Elledétourna la tête,embarrassée.Quecherchait-ilà faire?L’écraseravecsa fortune?Baptiste
étaitarrogant,maisluinevalaitpasmieux.–N’avez-vousjamaisrêvéd’avoirunevieplusfacile?demanda-t-il,sepenchantverselle.–Quevoulez-vousdire?–Leschosessonttoujourspluscompliquéespourunefemme,lorsqu’elleestcélibataire,non?Par
exemple,quandvotrevoiturerendl’âme.Oùvoulait-ilenvenir?–Votreaideaétéprécieuse,maisjemeseraisdébrouilléesansvous.
–Jen’endoutepas.N’avez-vousjamaisregrettévotredivorce?–Non.Pourtant, j’ai connu cette vie facile dont vous parliez à l’instant.Grâce àmon travail, je
bénéficiaisdebeaucoupd’avantages.Deplus,monex-marivenaitdecemilieu-là.–Vousenparlezcommes’ils’agissaitd’unemaladiehonteuse.Elleremuasursonsiège,malàl’aise.–C’estununiversétrange.J’aifréquentélahautesociété : lesamisdemonépoux,mesclients…
Maisj’airomputouslescontactsaprèsmondivorce.–Cen’étaitpasvraimentvotremonde?–Pasvraiment,eneffet…Monparcoursestatypique.–Racontez-moi.Ilavaitl’airsincèrementintéresséetelleselaissaconvaincre.–Jen’aipasfaitdelonguesétudes,alorsquandunphotographed’uneagencedemannequinsm’a
repérée,j’aisautésurl’occasion.–Vousétieztop-modèle?–Non,simplementmannequinpourvaloriserlesproduitsd’unegrandemarque.Enl’occurrencedes
montresdeluxe.–Effectivement,c’estpeubanal.–Et rémunérateur !Après lesphotos,onm’aproposéd’assurer lapromotionenboutique. Il faut
croirequejemedébrouillaisplutôtbien,puisquejemesuisvuconfierlagestiondumagasin.–C’estlàquevousavezrencontrévotremari?–Ex-mari,précisaFanny.Oui.Ilétaitvenuacheteruncadeaupouruneamie.Quandj’ypense,c’est
assez paradoxal. Il était si fier de moi et de ce poste que j’avais décroché au sein d’une illustreentreprise.J’avaismêmeparfoisl’impressionqu’ilm’exhibaitcommeuntrophée.Pourtant,aprèsnotremariage,ilavouluquejedémissionne.
–Vousl’avezfait?–Oui…,répondit-elletimidement,commepriseenfaute.–Cetypeestunidiot!Pourquoivousempêcherdetravailler?Sivousétiezmafemme,jamaisjene
vousauraiscontrainteàquitterunemploidanslequelvousvousépanouissiez!IlavaitparléavecferveuretFannyserevitdanscetteboutiqueplaceVendôme,quifutuntempsson
royaume. Mais le scénario était différent. Eliot venait la chercher à la fin de la journée pour laraccompagnerchezeux.
Unelégèrerougeurcolorasesjouesetelledéglutitrapidementavantdereprendre:–Noussortionsbeaucoupetçan’étaitpastoujourscompatibleavecuneactivitéprofessionnelle.–Vousavezaussilaissécetteviesocialederrièrevous,sansremords?C’estplutôtextrême,comme
attitude.–Detoutefaçon,cesgens-làm’auraienttournéledos.Jen’espéraisriend’eux.–Vousparaissezdésenchantée.–Jesuisréalisteetpragmatique.–Est-cequevousavezsongéàvousremarier?Elleleregardaavechorreur.–J’aiabordélesujetquifâche,ondirait!constata-t-ilenriant.Vousêtesjeune,alorspourquoine
passongeràrefairevotrevie?–Jen’enaiaucuneenvie.–MêmeavecBaptiste?–Surtoutpasaveclui!
–Jepensaisquevousétiezproches.–Noussommescollèguesdetravail,c’esttout.–Vousnevousvoyezpasendehors?–Jamais!Jelecôtoiedéjàdanslajournée,alorslesupporterlesoirenplus…Prenantconsciencedecequ’ellevenaitdefaire,elleportalesmainsàsabouche.–Jesuisdésolée,s’excusa-t-elle.Jen’auraisjamaisdûvousdireça.–Pourquoi?Vousavezétéfrancheetj’apprécie.–Jenevoudraispasquemesbavardagesluicausentdutort.–Vousprenezsadéfense,maintenant?demanda-t-il,levisagedevenuombrageux.–Non,ilestassezbelliqueuxpoursedéfendreseul.Maisvousallezmeprendrepourunemauvaise
langue.–Cen’estpasdutoutl’imagequej’aidevous.Dans un geste spontané, il voulut prendre sa main, mais l’arrivée du copilote interrompit son
mouvement.Saprésenceétaitrequisepourlesmanœuvresd’approche.–Nousallonsatterrir.Est-cequevousvoulezvoircommentçasedéroule?proposaEliot.–C’estpossible?–Sivousmepromettezd’êtresageetdenepasdétournerl’avion,répondit-ilavecunclind’œil.Elle sourit à sa note d’humour et détacha sa ceinture pour le suivre. Il prit place sur le siège à
gauche.–AéroportElPratInternationalbonjour,dit-il.IciFox-trotOscarAlphaPapaEcho,enprovenance
deNice,àcinqminutesdevosinstallations.–Fox-trotPapaEcho,ElPratbonjour.Lavoixétaitnasillardeetsemblaitvenirdutableaudecommande.– C’est la tour de contrôle de Barcelone qui nous répond, chuchota le copilote à l’attention de
Fanny.–Fox-trotPapaEcho,visuelterrain,repritEliot,trèsconcentrésurlamanœuvre.Fannyregardaparlepare-briseetdécouvritlapiste,justeàcôtédelamer.Ellecrispalesmains.
L’atterrissagedevaitêtreminutieusementexécutésouspeinedeterminerlesrouesdansl’eau.–Fox-trotPapaEchoenfinalepouruncomplet.–Ildemandel’autorisationd’atterrir,luitraduisitlecopilote.Fannysentitl’avionralentir.Lapousséedesréacteurss’étaitinversée.–Fox-trotPapaEcho,pistedégagée,annonçalecontrôleuraérien.Letrainétaitsortiettouchaletarmacavecdouceur.–Fox-trotPapaEcho,roulezauparking,ordonnalatourdecontrôle.L’avionroulasurlapisteetgagnalazonequiluiétaitattribuée,àcôtéd’autrespetitsavions.–Fox-trotPapaEchoauparkingpourquitter,ditlecontrôleur.–Jequittelafréquence,mercietaurevoir,Fox-trotPapaEcho.–Uneapprochetoutendouceur,commed’habitude,lecomplimentalecopilote.–Merci.Çavousaplu,Fanny?–Oui.Àvousvoirfaire,çaal’airsisimple!Ellenecherchaitpasàdissimulersonenthousiasme.–Jen’aipasdemérite,car riennem’amuseplusquedevoler.C’estunevéritablepassionpour
moi.–C’estpourcetteraisonquevousavezachetéAirProvence?–Effectivement.Pourquoinepasmêlerplaisiretaffaires?
Cettephraserésonnaétrangementàsesoreilles,etsoninstinctluisoufflaqu’elleauraitdûrenonceràcevoyage.Ellepressentaitqu’elleallaitau-devantdecomplications.Maisfaceausourired’Eliotquilui tendait lamainpour l’aideràdescendre lapasserelle, toussesdoutess’envolèrent.Ellevoulait selaisserporterparl’instantprésent,neplusréfléchirauxconséquencesdesesactesoudesesparoles.Ellevoulait se sentir libre.Tout simplement.Sans aucune contrainte.Une sensationqu’ellen’avait pas euedepuisdesannées…
Chapitre11
Aprèsquelecopiloteleseutsaluésetfutpartidesoncôté,ilsprirentuntaxipourserendredanslecentredeBarcelone.Levéhicule lesdéposadevantun immeuble imposantsur lesRamblas, lacélèbreavenuede laville.Hautdehuit étageset couleur terredeSienne, lebâtiment surplombait la rueavecmajesté.
Àlaréception,Eliotsefitremettrelescartesmagnétiques,puissedirigeaversl’ascenseur.Fannylesuivitsansunmot.Arrivédanslesétages,ils’arrêtadevantuneporteetl’ouvrit.
–Cesontnoschambres,expliqua-t-il.Illuitenditlasecondecarteetdésignalaported’àcôté.–Nousseronsvoisins,ellessontcontiguës.Elle leremerciaetdéverrouillasaporte.Laquestiondulogementnes’étaitpasposée,etellefut
soulagéedeconstaterqu’ilavaittoutprévu.Elle entra et passa devant une vaste salle de bains en marbre brun. Puis elle traversa un salon
meublédedeuxcanapésdetissucouleurcarameletd’unetablebassedebois,avantdedébouchersurlachambreauxteintescrème.L’ensembledégageaituneagréableimpressiondesérénité.
Fannys’approchadelabaievitréeetdécouvritlavietrépidantedesRamblasàsespieds.–Çavousplaît?demandaEliotquil’avaitrejointe.–Beaucoup.Encoremercipourlachambre.–VousameneràBarceloneenavionprivépuisvouslaisserdormirsouslespontsauraitétéduplus
mauvaiseffet!–Vouscraignezquejesalissevotreréputationauprèsdemescollègues?plaisanta-t-elle.–Cen’estpasleuravisquim’intéresse.Ils’approchanonchalamment,lesmainsenfoncéesdanslespoches.Ilnes’étaitpaschangédepuis
l’aéroportetportait toujourssacombinaisondepilote,qui luiseyaitàravir.Ilétaitprèsd’elle,etsonparfumboiséauxaccordsdesantall’enveloppa.
–Votrevieprivéenemeregardepas,maisjesaisquevotredivorcen’estpasvotreuniquesecret,dit-ilgravement.
–Qu’est-cequivousfaitpenserça?–VotreattitudedeprincessedeSibérie.–Cen’estqu’unsurnom.–Quivousdéfinitàmerveille.Vousavezlagénérositéd’uneprincesseetlafroideurdelaSibérie,
enapparencedumoins.–Quelrapportavecmondivorce?
–Denosjours,quasimentuncouplesurdeuxdivorce.Cequiétaitinfamantpournosgrands-parentsnel’estpluspournotregénération.Alorspourquoin’avoirriendit?
–Vous êtes directeur de compagnie aérienne, pilote de ligne et aussi psychologue ? railla-t-elle.C’estàsedemanderquandvoustrouvezletempsdedormir!
– J’aimerais seulement comprendre.Vousavez souffert etvouscherchezàvousprotégerderrièrecetteattitudeglaciale.D’ailleurssij’enjugeparvotreréponse,c’estunsujettoujourssensible.
–Jen’aipasenvied’enparler.Ilsemblahésiteruninstantàpoursuivre,puisrecula,commeàregret.–Jevaismechangeretensuitenousironsdéjeuner.Ellehochalatêtesansquitterl’avenuedesyeux.Restée seule, elle s’allongea sur le lit et fixa leplafond, sans levoir.Pourquoi laquestionnait-il
avecautantd’insistance?Avait-ilpitiéd’elle?Cettecompassionlablessaitet,àtoutprendre,elleauraitpréféré son indifférence. Sauf que lorsqu’Eliot Endrieu avait quelque chose en tête, rien ne semblaitpouvoirledétournerdesonbut.
Après une longue inspiration, elle sauta sur ses pieds et se dirigea vers la salle de bains. Unedoucherapideluifitdubien,puiselleenfilauneblousemauveserréeparunelargeceinturesurunejupecourtedetoileblanche.Elleterminaitdesebrosserlescheveuxlorsqu’elleentendittaperàlaporte.
Eliotlaconsidérauninstant,aprèsqu’elleluieutouvert.Elleavaitramenésescheveuxderrièrelesoreillesavecdeuxbarrettes.Unecoiffurequiluidégageaitlevisage,etlafaisaitparaîtreplusjeune,ellelesavait.Détailquin’avaitpaséchappéàEliot,sielleenjugeaitparl’insistancedesonregard.
–Joliecoiffure,commenta-t-il.Allonsmanger,jemeursdefaim.Etvous?–Moiaussi.Monpetitdéjeunerestdéjàbienloin.–UnvolenFalconvalaitbienceréveilmatinal.Alorsqu’ilfermaitlaporte,elleeuttoutleloisird’appréciersanouvelletenue:unpolobleuciel
surunpantalonen toilebeige.Devantcemélangededécontractionetd’élégance, elle sentit soncœurs’emballer.Serait-ellecapabledemettreassezdedistanceentreeux?Nes’était-ellepasjetéedanslagueuleduloup,envenantenEspagne?
Sortantdel’hôtel,ilsdébouchèrentdirectementsurlesRamblas.Fannydécouvritunelargeavenuegrouillante de monde et ombragée de platanes. Les terrasses des cafés se mêlaient aux échoppesambulantes pour touristes et aux stands chargés de fleurs fraîches. Son regard étonné se posa sur despigeonsetdesartistesdéguisésenstatuesvivantes.Cetteruesemblaitcontinuellementenfête.
–Jem’imaginaisquelquechoseressemblantauxChamps-Élysées,dit-elleenfin.–Vousn’êtespasdéçue?–Pasdutout.C’estjuste…différent.VousconnaissiezdéjàBarcelone?–Oui,j’ysuisdéjàvenuplusieursfois…Sûrementavecuneprécédenteconquête,songea-t-elleavecunepointedejalousie.–…pourmon projet, poursuivit-il, contredisant ses pensées.D’ailleurs, je compte y acheter un
appartement.Jesuislasdedevoirtoujoursdescendreàl’hôtel.Mêmesil’hôtelenquestionétaitunluxueuxétablissement?s’étonnaFanny.Ilnelésinaitpassurles
moyens!Ouétait-ceunefaçond’étalersaréussite?Maisnon…Pourquoi le ferait-il? Iln’avaitplusrienàprouver.Ilavaitsimplementdegrosmoyensetlesutilisaitpourserendrelavieplusagréable.Iln’avaitrienencommunaveccespersonnesquidépensaientleurargentdansl’uniquebutdeparaîtreetd’êtrereconnues.
Après avoir laissé l’agitation de l’avenue derrière eux, Eliot la guida dans un dédale de ruellespavées et de placettes pour arriver devant un établissement à la façade couleur chocolat, ornée de
drapeauxrouges.Lenomdurestaurantsedétachaitenéléganteslettresdorées.Ilpoussalaporteets’effaçadevantelle.ElledécouvritalorsunevastesalletoutdeboiseriesArt
déco.Lesnappesdetissublanc,leschaisesàbarreauxetlesserveursentabliersurleurshabitsnoirsluirappelèrentl’ambiancedesbrasseriesparisiennes.Ilsfurentconduitsàunetableprèsdelafenêtre,d’oùl’onpouvaitvoiretêtrevu.
Fannyouvritlemenuqu’onluitendait,maisgrimaçaenconstatantquetoutétaitrédigéenespagnol.–Unproblème?demandaEliot.–Jenecomprendspascequiestécrit.–Laissez-moichoisirpourvous.–Jenesaispas…–N’ayezcrainte,ici,toutestdélicieux.Àpeinelaserveuse,quin’avaitd’yeuxquepourEliot,eut-ellefinideprendrelacommandequele
téléphonedecederniersonna.S’ensuivituneconversationencatalanincompréhensiblepourFanny.–Monrendez-vousdecetaprès-midiestreportéàdemain,luiexpliqua-t-il,enraccrochant.Elle fut à la fois inquiète et enchantée de cette nouvelle. Cela signifiait qu’ils allaient passer la
journéeensemble.Cettepenséeaccélérasensiblementsonrythmecardiaque.–Dequois’agit-ilexactement?s’enquit-elle,cherchantàreprendresesesprits.–AirProvenceestunesociétéflorissanteetjesouhaiteladévelopper.Ilsetrouvequej’aidetrès
bonscontactsici.–Pensez-vousréellementqu’uneliaisonaérienneNice-Barcelonesoitviable?–Biensûr!Vousendoutez?Vexéparsaquestion,ilavaithausséleton.–Jen’enaiaucuneidée.C’estvousl’hommed’affaires.Ils s’affrontèrent un instant du regard. Fanny pressentait que si elle poursuivait sur ce ton, la
discussiontourneraitàl’affrontement.Or,ellerefusaitdeselaisserentraînerdanscesdisputesstérilesetdegâchersonséjour.
–Toutefois,ceseracertainementunebonnechosesiçapermetdecréerdenouveauxemplois.–Jesuispersuadéquecetteligneseraéconomiquementrentable.Sinon,jeneseraispasici.–Etmoinonplus!dit-elle,enriant.
***
Sonsourireilluminasonvisage,etElioteutalorsl’enviefolledepousserlatablequilesséparaitetde l’embrasser.Hélas, ce fut lemoment que choisit la serveuse pour leur apporter leurs plats. Fannyreportasonattentionàsonassiettederisottofumant.
– N’est-ce pas en Italie qu’on mange les meilleurs risottos ? poursuivit-elle. Je pensais qu’enEspagne,lerizs’accommodaitplutôtsousformedepaella.
–GoûtezetvousmedirezsicerisottonevautpastousceuxquevousavezmangésàRome.Ellepritdélicatementunefourchettederizetlaportaàsabouche.Fermantlesyeuxafindemieux
percevoirlessaveurs,ellemâchalentement.CegesteapparemmentbanalrevêtitpourEliotunesensualitéinsoutenable.Undésirprimitifbouillaitdanssesveinesetluiinondalecorps,menaçantàtoutmomentdelesubmerger.
–Délicieux,déclara-t-elleenfin,unsourireextatiqueauxlèvres.Jen’aijamaisriengoûtéd’aussibon!
Soulagéetfier,ilhochalatêteavecsatisfaction.
Lorsquelaserveuse,quisemblaitdésespérerd’attirersonattention,apportalesdesserts,ilorientalaconversationversunsujetplusdélicat:
–Pourquoiavez-vousdivorcé?C’était devenu chez lui une idée fixe. Quel homme sain d’esprit pouvait vouloir se séparer de
Fanny?Celaledépassait.Ellelevasurluidesyeuxsitristesqu’ilregrettauninstantsonindiscrétion.–Jevoudraisjustecomprendrecommentc’estarrivé,ajouta-t-ilavecdouceur.–C’estarrivé,c’esttout.Saréponselapidaireneledécourageapasetilpoursuivit:–Pourquoivousêtes-vousmariée?
***
Les yeux dans le vague, Fanny se répéta la question. Pourquoi avait-elle épouséMarc ? Parcequ’ellel’aimait?Àprésent,ellen’enétaitplustoutàfaitsûre.Lessouvenirsremontaientlentementàlasurface,moinsdouloureuxqu’àl’accoutumée.
–J’avaisvingt-troisans, lorsque j’ai rencontréMarc. Ilétaitbeau,gentil.Unanplus tard, ilm’ademandéeenmariageetj’aiditoui.
–Ilétaitvotrepremieramour?Ellehochalatête.Elledonnaitlaréponsequ’onattendaithabituellementd’elle.–Nousavionsachetéunebellemaisonavecunjolijardindansl’arrière-pays.–Loindevotreboutique.Ellelefoudroyaduregard.–Vousaviezdoncdesprojets,supposa-t-il.Oui,ilsenavaient,seremémora-t-elle.Etcefutlacausedeleurséparation.–Malheureusement,aprèstroisansdeviecommune,nousavonsdivorcé,dit-ellesèchement.Elledevaittireruntraitsursonpassé.Définitivement.Ilfallaitoublierl’humiliationqueluiavait
faitsubirMarcetsalâcheté.–Ques’est-ilpassé?demanda-t-ilencore.
***
Ilvitdanssonregardqu’ellehésitaitàluidirelavérité.Ellesemblaittirailléeentreleflotdesessouvenirsetlapudeurquilacaractérisait.Elledétournalatête,maissongestenefutpasassezpromptpour luidissimuler sadétresseet sesyeuxhumides.Lesmâchoirescontractéeset le regard sombre, ils’interrogeait sur sonsecret.Qu’est-cequecethommeavaitbienpu fairepour labouleverserautant?Unevaguedecolèremontaenlui.Siviolente,siirraisonnée,qu’ildutfaireappelàtoutesavolontépourretrouversoncalme.
–Sijepeuxfairequelquechosepourvous,Fanny,dites-le-moi.Ellesecoualatêteensignederefus.–J’aimeraisvousaider.–Jen’aipasbesoindevousetcen’estpasvotrerôle.–Cessezdenevoirenmoiqu’unpatron!–Qu’êtes-vousalors?demanda-t-elle,unelueurdedéfidanslesyeux.–Unami,unconfident.–C’estimpossible.Noustravaillonsensemble.
–VousêtesbienamieavecJulie!Pourquoipasavecmoi?–Voussaveztrèsbienoùjeveuxenvenir.Vousêtesmonsupérieur.–Alors,voyez-moitoutsimplementcommeunguideletempsd’unweek-end.Commeellesemblaitréfléchiràsaproposition,ilréglalanote,laissantunpourboiregénéreuxàla
jeuneserveusequinel’avaitpasquittédesyeux.–Sortons.LajournéeestmagnifiqueetBarceloneestunevillemagique.
***
Eliot avait raison. Elle devait profiter de cette journée sans arrière-pensée. Elle retrouvadéfinitivementlesourireenlevoyantchausserseslunettesauxverresmiroirquirenvoyaientl’éclatdusoleil.Àquoibons’appesantirsurMarc?Elleétaitlaseuleàpleurersurleurbonheurperdu.Avait-elled’ailleurs vraiment été heureuse avec lui ?Mais à quoi bon ressasser ces souvenirs ? songea-t-elleaussitôt.Riendecequ’ellepourraitfaireoupensernechangerait leschoses.Elledevaitseconcentrersurleprésent.Etquoidemieuxpourlemoralqu’unevisitedeBarceloneencompagnieduplusséduisantetcharismatiquedesguides?
Chapitre12
Letaxiqu’ilsprirentensortantdurestaurantlesdéposaaubasd’unescalatoràcielouvert.Fannys’étonnadecetteinstallationaumilieudepetitsimmeublesd’habitation.
–Qu’est-cequec’est?demanda-t-elle.–Montez,vousverrezbien.Eliot avait cet air espiègle qu’il arborait parfois. Curieuse, elle s’engagea donc sur l’escalier
mécanique. Il gravissait inlassablement la colline et semblait monter jusqu’au ciel. Se tournant pourmesurerlecheminparcouru,elledécouvritàsespiedsBarceloneendormiedanslachaleurdel’après-midi.Lavilles’étendaitjusqu’àlamer.Aumilieudesbâtimentsblancsetocre,ellereconnutlacélèbreSagrada Familia, entourée de grues. Elle distingua également un étrange édifice, qui ressemblait à unénormemissiletournéverslesnuages.Intriguée,elleinterrogeaEliot.
–Ils’agitdelatourAgbar.Ellecomptetrente-huitétagesetabriteprincipalementdesbureaux.–Elleaundesignassez…particulier.–C’estl’œuvred’unarchitectefrançais.Certainsyvoientunsymbolephallique.Haussantsesfinssourcils,Fannys’abstintdetoutcommentaire.–Vousferiezunbienétrangeguidetouristique.–Cequevousallezdécouvriràprésentvavousenchanter,j’ensuiscertain.Eneffet,aprèslegratte-cielfuturiste,Fannydécouvritunvillagedefées.Ellen’eutpasd’autremot
pour désigner le fameux parc Güell. Avec ses maisons arrondies, décorées comme des gâteaux, sesjardinsfleurisetsesmosaïquesomniprésentes,illuisemblaitquetouteunevienesuffiraitpasàvisitercet endroit enchanteur. Eliot se révéla être un accompagnateur passionnant et infatigable. Il lui fitdécouvrirl’escalierprincipal,unesplendeur,aveclafameusesalamandreencéramiquemulticolore.
Ensuite,illaguidajusqu’àuneforêtdecolonnadesquesurmontaitunplafondcoloré.Audétourdescheminssinueuxetescarpésquiserpentaientautourde lacollineboisée,elles’imaginait rencontrerunpetitpeupledelutins.Degrandspalmiersoffraientuneombrebienfaitrice.
Essoufflée,ellesuivitEliotjusqu’àunelargeconstructionfaitedepiliersetentouréedevégétation.L’ensemble,depierresbrutesentasséesàlava-vite,l’impressionna.
–CesontlesaqueducscréésparGaudí,luiexpliquaEliot.–Ilstranchentsingulièrementavecleresteduparc.Les colonnes,ocre et sans aucuneornementation, se fondaient totalementdans lesbuissons et les
lianes.–C’estpaisible,ajouta-t-elle,goûtantaucalmequil’entourait.–Lamajeurepartiedestouristesrestentendessous.Peus’aventurentjusqu’ici.
Fannys’appuyaàunecolonnepourrécupérersonsouffle.Elles’absorbadanslacontemplationdupaysageuniquequ’offraitleparcGüell.
***
TandisqueFannysereposait,Eliotl’observaitensilence.Lesjoueslégèrementrosiesparl’effortetlapoitrinesoulevéeparsarespirationsaccadée,elleétaitterriblementdésirable.Depuisleurdépart,ilavaitmultiplié leseffortspour l’impressionnerdans l’uniquebutde luiplaire.D’abord,dans le jet, ilavaitvouluqu’ellelevoieatterrir.Ilsavaitcombienc’étaitpuérildesapart,maisilaimaitliredanssonregardcetéclatsiparticulierderespectetd’admiration.Ensuite,luifairedécouvrirBarceloneàsafaçonl’avait empli de fierté. Elle semblait apprécier tout ce qu’il lui proposait : du risotto, au restaurant,jusqu’àl’extravagantparcimaginéparGaudí.Ceséjours’annonçaitsousd’excellentsauspices!
Fortdecetteconstatation,ils’approchad’elledoucement.–J’aiappriscertaineschosessurvous,dit-ild’unevoixneutre.
***
Fannysetournavivementverslui.Ill’avaitdoncemmenéedanscetendroitisoléuniquementpourlui parler loin des regards indiscrets ? Elle craignit qu’il ne veuille reprendre la conversationabandonnéeaurestaurant,ausujetdesonex-mari.
–Quelleschoses?demanda-t-elle,prudente.–J’aiparléavecBaptisteavantdepartir.L’imagedesonprétentieuxcollèguepassadevantsesyeux,etelles’étonnaqu’Eliotaitpuavoirune
discussionaveclui,alorsque,manifestement,ilssedétestaient.–Ilm’aracontévotrehistoire.Elle sentit le sang refluer de ses joues. « Son histoire » ? Comment Baptiste pouvait-il être au
courant?Etpourquoil’avoirrépétéàEliot,lapersonnequ’ilhaïssaitleplusàAirProvence?Tout lemonde ignorait son secret,même Julie.Avisant le chemin qui descendait, elle fut prise d’une brusqueenviede s’enfuir.Maiscelanechangerait rien.Eliot la rattraperait et l’obligerait à lui répondre.Ellen’avaitpasd’autrechoixqu’affrontercetteconversation,elleétaitcoincée.Relevant lementon,ellefitfront.
–Jeseraiscurieusedesavoircequ’ilvousadit.–Quevousétiezamants.–«Amants»!Elleavaitcrié.Uncoupledepigeonss’envola,effrayé.–Ilaosédirequeluietmoinousétionsamants?articula-t-elled’unevoixoùvibraitl’indignation.–C’estcequ’ilaaffirmé.Ilaégalementpréciséquevousteniezàgarderlesecret.–Cetypeestencoreplusdétestablequejelepensais!Laprochainefoisquejelevois,je…–Est-celavérité?Ils’étaitavancéd’unpasetlafixait,lesyeuxétrécis,commes’ilcherchaitàdéchiffrerl’expression
desonvisage.– La vérité, c’est que ce type est unmenteur !Depuis que je suis entrée àAir Provence, il me
poursuitdesesassiduités,persuadéd’êtreirrésistible!Malgrémesrefus,ils’entête.Quandnousavonslesmêmeshorairesàl’aéroport,jenepeuxpasfaireunpassansmecognerdanslui.
–Vousn’avezdoncjamaiseudeliaisonaveclui?
–Jamais!s’exclama-t-elleindignée.Mêmes’ilétaitledernierhommesurTerre,jen’envoudraispas.
–Jenevousenblâmepas.–Qu’ilaitpuvousracontercethorriblemensongemedépassecomplètement!Pourquoia-t-ilfait
ça?
***
Pourquoi?Eliotentrevitaussitôtlaréponse,limpide.ParcequeBaptisteavaitvuenluiunrival.Ceenquoiilnesetrompaitpas.Finemouche,ilavaitparfaitementdevinéqu’ils’intéressaitàFannyentantquefemmeetnoncommesimpleemployée.Luifairecroirequ’ilsavaientuneliaisonétaitlameilleurefaçon de l’évincer.Cet homme était vraiment prêt à tout pour la séduire !MaisEliot avait connudesadversairespluscoriaces,etpourdesenjeuxbienmoinsimportants!
–Jel’ignore,répondit-ild’unevoixneutre.–Pourtantjen’airienfaitpourl’encourager.Qu’ilaitjetésondévolusurmoiestunmystère!Eliotn’encrutpassesoreilles.Elledoutaitdesoncharme!Maiselleétaitdivineavecsesyeuxde
chat,sescheveuxsinoirsqu’ilsenavaientdesrefletsbleutés,sabouchedélicate…Captivéparsabeauté,ils’entenditrépondre:–Vousêtestrèsbelle.
***
Fanny leva la tête, surprise par cet aveu. Le regard d’Eliot l’enveloppait tout entière. Intense etsombre, pareil à celui d’un prédateur convoitant sa proie. Son cœur semit à battre follement dans sapoitrine.Eliots’approchad’unpasetavançalebras.D’ungesteléger,illuieffleuralajoue.Sesdoigtssuivirentlescourbesdesonvisagepourdescendrejusqu’àseslèvres.Sonpoucedessinalecontourdesabouche,puisdescendit,poursaisirdélicatementsonmenton.Ilpenchalatêteverselle.Frémissante,ellefermalespaupières.Lesangpulsaitdanssesveinesetelleretintsonsouffle,incapablederéfléchir.Eliots’emparaalorsdeseslèvres,l’embrassantavecfièvre,commes’ilavaitpeurdelaperdre.Unevaguedechaleurlatraversaetelleluirenditsonbaiser.Sesjambescédèrentetellevacilla.Ilraffermitsapriseetla serra contre son large torse. Elle noua ses doigts autour de ses épaules et s’accrocha à lui. Leurslanguessemêlèrentenunbaiserpassionné.
Ilpassalamainsoussablouseet,desapaumechaude,luicaressalapeau.Ellegémitdoucementetsepressaplusfortcontrelui.Sesdoigtsremontèrentjusqu’àsapoitrineetFannysesentitmollirtoutàfait.Maisils’écartasoudaind’elle,commeenunsursautdelucidité,serappelantsansdoutel’endroitoùilssetrouvaient.Elle,ellel’avaitdéjàoublié.
–Ilesttempsderentrer,dit-il,lavoixaltéréeparledésir.Fannyhochala tête, les lèvresgonfléespar leursbaisers.Griséepar lavagued’émotionqu’Eliot
avaitfaitnaîtreenelle,elleessayaderecouvrersesesprits.DepuissaruptureavecMarc,ellen’avaitpasressentiuneattractionaussifortepourunhomme.Elleavaitfaillienperdrelatête.Maiselledevaitétouffer cette attirance insensée.Une relation avecEliotne lui apporterait quedes ennuis.Cethommen’étaitpaspourelle.Unfossélesséparait.Ilsn’évoluaientpasdanslesmêmessphèresetsonhistoirepersonnelleétaitdevenueunvéritablehandicap.
–Jen’auraispasdû…,commença-t-elleavechésitation.Rougissante,ellen’osaitcroisersonregard.
–Quelestleproblème?–Jeregrettede…–Vousregrettezdem’avoirembrassé?Unecolèresourdeperçaitdanssavoix.–Cen’estpascequejevoulaisdire.–Vousnevousêtespasdébattue,mesemble-t-il.Etjenevousaipasforcéenonplus.–C’estvrai.Elleavaitbaissélatête,commeaccabléedeculpabilité.–Maisc’étaituneerreur,reprit-elle,enaffermissantsavoix.–«Uneerreur»!
***
Ilenavaitpresquecrié.C’étaitdoncainsiqu’ellequalifiaitleurétreinte?Lesmâchoirescrispées,ilenfonçalesmainsdanslespoches,etsedétourna.Jamaispersonnenel’avaitrepoussédelasorteetilétaitblessédanssonamour-propre.Cettefemmeétaituneénigmepourlui.Soufflantlechaudetlefroid,ellesemblaitprendreunmalinplaisiràjoueravecsondésir.Commentpouvait-elleêtreaussicruelle?Une idée insidieuse lui traversa soudain l’esprit. Avait-elle divorcé parce que son pauvre époux nel’amusaitplus?
Sans unmot, ils quittèrent l’abri des colonnes de l’aqueduc et s’engagèrent sur le chemin. Il laregardaitàladérobée,incapabledeluigarderrancunepluslongtemps.Surprisparlepropredésirqu’ilavait d’elle, il n’aurait jamais cru que Fanny, si glaciale et distante, pouvait être capable d’un telabandon.Était-celamêmefemme?Telundiamanttailléparunorfèvre,ellepossédaitplusieursfacettes.Aussibrillantesetmystérieuses lesunesque lesautres.Commecettepierreprécieuse, elleattirait lesregards et suscitait les convoitises. Et pourtant, derrière l’éclat aveuglant se cachait un joyau degénérositéetd’humilité.
***
Ils arrivèrent à la Gran Plaça Circular. Fanny reconnut aussitôt le fameux banc tout en courbes,recouvert de mosaïques polychromes. Elle appréciait cette œuvre aux couleurs gaies. L’après-miditouchaitàsafin.Lecielsecoloraitdeteintesorangéesquisereflétaientsurlestoitsdelaville.
Elles’approchaetcontemplalepanorama.Barcelones’étendaitàleurspiedsavec,àl’horizon,lamermiroitantsouslesderniersfeuxdusoleil.
–Demain,jepasserailajournéeavecmespartenairesprofessionnels,ditEliot.Vousaurezletempsdevisiterlaville.
–Trèsbien.Elleavaitréponduavecindifférence,sansmêmeleregarder.–Commentfaites-vous?–Fairequoi?–Commesiriennes’étaitpassé.Elleledévisageasanscomprendre.–Vousagissezcommesicebaisern’avaitjamaisexisté.Est-ceunjeu?–Non!–Alorspourquoicedétachement?
Elle chercha ses mots, ne sachant définir ses émotions. Comment lui avouer qu’elle avaitterriblementsouffertdelatrahisondeMarc?Leurdivorceavaitétépourellel’aveud’unécheccuisant.Depuis,elleseméfiaitdeshommes.Detousleshommes,sicharmantssoient-il.Àmoinsquecenesoitd’elle-mêmeque venait le danger ? Son corps l’avait trahi. Elle avait répondu au baiser d’Eliot sansretenue,commesielleavaitattenducetinstantdepuisleurrencontre.
–Je…Jenemesenspasprêtepournouerunenouvellerelation.Lesmotsavaientdumalàsortirdesabouche.–Jesuisdésoléequevousayezcruque…Ildevaitlaprendrepourunevulgaireallumeuse.Unedecesfemmesattiréesparl’argent,rêvantde
sefaireépouserparunhommefortuné,pourassurerleuravenir.Rienn’étaitpourtantpluséloignédesonétat d’esprit !Malgré les conditions épouvantables de sa rupture, elle croyait encore à l’amour. Elleespéraitunjourrencontrerunhommesincèreethonnête,enquiellepourraitavoirentièrementconfiance.MaispassitôtetcertainementpasEliotEndrieu!
–Racontez-moi,demanda-t-il.–Jevousaiditque…–Arrêtezdevoustorturer!Cemauditsecretquevouspersistezàtairevoushante.–Non,je…Jen’aipasl’habitudedemeconfier,c’esttout.–Toutgarderpourvousn’estpasune solution.Vous semblezporter lamisèredumonde survos
épaules.–Cetteépreuvem’abeaucoupaffectée.–Unebellefemmecommevousn’estpasfaitepourpleurersursonpassé.–Onnedécidepasdecequinousrendmalheureux.–Votre ex nemérite pas toutes ces larmes quevous retenez !Vous neméritez pas de vous faire
autantsouffrir,Fanny!Libérez-vousdecefardeauquivousronge.Ilsemblaitavoirréponseà tout.Elles’assitsur lebanccoloréet restauninstant lesyeuxperdus
dans la contemplation de Barcelone. Elle se décida enfin à parler, mais les mots lui venaientdifficilement.Savoix,hachée,montrantcombiencetteconfessionluicoûtait.
–J’aiépouséMarcparcequenousvoulions…Nousvoulionsfaireleschosesdansl’ordre.D’abordlemariage,après…
–Desenfants?Elleacquiesça,lesyeuxhumidesdelarmes.–C’estunsouhaitbienlégitimepouruncouple,commenta-t-il.
***
Commeellehésitaitàpoursuivre,lecerveaud’Eliotsemitàtourneràtoutevitesse.Qu’avait-ilpusepasserpourquedeuxjeunesmariésenarriventaudivorce,alorsqu’ilsdésiraientfonderunefamille?Uneautrefemmes’était-elleimmiscéeentreeux?SoncœurseserradevantlevisageravagédechagrindeFanny.
Ill’encourageadoucementàpoursuivre:–Jen’ai jamaisétémarié, jen’aimêmejamaiseudeliaisonassezlonguepourypenser,mais je
peuxtoutentendre.–Vous?–Ondiraitqueçavoussurprend.
– Oui, vous êtes un homme séduisant et toutes les femmes doivent se jeter à votre cou. Il estsurprenantquevousn’ayezpasencoretrouvécellequipartageravotrevie.
Ilsoutintsonregardémeraudeavecuneapparenteimpassibilité,maisenréalité,sonespritétaiteneffervescence alors qu’il assimilait ses paroles. Ainsi, malgré son attitude glaciale, elle le trouvaitséduisant…Sicen’étaitpaslecas,ellel’auraitgifléaulieudeluirendresonbaiseraveceffusion.Lasecondepartiedesaphraselelaissaplusperplexe.Yavait-ilsurcetteTerreunefemmefaitepourlui?Une femmequ’il aurait envie de chérir et de protéger ?Qu’il aimerait inconditionnellement et dont ilseraitaiméenretour?Jusqu’àprésent,ilnes’étaitjamaisposélaquestion.Sesnombreusesaventuresluisuffisaient,mêmesiellesluilaissaientungoûtd’inachevé.Ilavaitquittésesmaîtressesenbonstermes,sansavoirjamaiseuenviedelesrevoir.Aucuned’ellesneluiavaitdonnéenviedeseprojeterdanslefutur.Jusqu’àFanny.Etilsn’étaientmêmepasamants!
–J’aidûmalchercher,répondit-il.Maiscen’estpasdemoidontils’agit.Pourquoivousêtes-vousséparés?
–Comme vous l’avez deviné, nous rêvions de fonder une famille.Mais lesmois ont passé sansque…sansquejetombeenceinte.
Sielleavaitdumalàparler,luiéprouvaitlespiresdifficultésàentendresaconfession.Chacundeses mots était autant de coups de poignard qu’on lui assenait dans le ventre. Derrière cette phraseapparemmentanodine secachaitune réalitéqui lui était intolérable : l’imagedeFannyetde sonmaridanslelitconjugal,mettanttouteleurardeuràconcevoirunenfant.Unsentimentnouveauetterriblementdouloureuxluicomprimalecœur:lajalousie.
Fannypoursuivitsaconfession.–Auboutd’unan,jemesuisdécidéeàconsulterunmédecin.Ilm’aenvoyéechezunspécialiste.Je
passe sur les détails de ce long parcoursmédical. Toujours est-il qu’au final, les examens n’ont rienrévélé.
–C’est-à-dire?–J’étais…Enfin, je suisune femme toutà fait capabledeconcevoirunenfantetde lemettreau
monde.Ellerougitunpeu,embarrasséededévoilercesdétailsdesavieintime.–Donc,sidevotrecôtétoutvabien,c’estversmonsieurqu’ilfautsetourner.–C’estcequelemédecinasuggéré,eneffet.Ilaproposédenousvoirensemble.–Et…qu’ontdonnélesanalyses?–Jel’ignore.–Commentça?–Marcarefusédes’ysoumettre.–Pourquoiaurait-ilfaitunechosepareille,sivoussouhaitiezréellementfonderunefamille?Malàl’aise,Fannytoussalégèrement.Aprèss’êtreéclaircilavoix,ellerepritd’unevoixblanche:–Danssonesprit,ilétaitinconcevablequeleproblèmeviennedelui.–Sonegoestàcepointdémesuré?Ellesouritmalgréelle.– Il s’estopposéformellementà tous lesexamens.Persuadéd’êtreenbonnesanté, ila rejetésur
moilafaute.–Niantsespropresproblèmesdefertilité,concluttrèsjustementEliot.–D’aprèslui,lesmédecinss’étaienttrompésetjedevaisrecommencerlesanalyses.–Ils’estsentimenacédanssavirilité.–Jel’ignore,nousn’avonsjamaispuenparlerfranchement.
–Unhommepleindecourageetquisaitseremettreenquestion,raillaEliot.–J’auraisacceptéd’autresprisesdesang,d’autrestraitements.Maisàconditionqu’ils’ysoumette
également.Neserait-cequeparacquitdeconscience.Maisils’estentêté.–Drôled’époux.Elleeutunsouriretriste.–Cefutledébutdelafin.Laconfiancequej’avaisenluis’étaitdéfinitivementbrisée.Desoncôté,
ilmerendaitresponsabledel’échecdenotremariage.–Votreex-mariestunidiot!Ilnevousméritaitpas.–Laquestionn’estpaslà,dit-ellefroidement.Jeconsidèrecettepériodedemaviecommeunéchec
personnel.–Vousn’êtesenrienresponsable,Fanny.–C’estgentilàvousdeprendremadéfense,maisjen’aipasbesoindevotrepitié.–Vousvoustrompez,dit-ilgravement.Cen’estpasdelapitié.Jesuissincère.Confuse,ellesentitlerougeluimonterdenouveauauxjoues.–Lasemainedernière,j’aireçumonjugementdedivorce.Toutestterminé.Elleneputcacherlatristessedanssavoix.–Leregrettez-vous?–Non,c’étaitlaseulechoseàfaire.Jenepouvaispasvivreauxcôtésd’unhommequejen’estimais
plus.–Perrault,c’estvotrenomdejeunefille?demanda-t-il.–Oui,jenevoulaisrienaccepterdelui.Pasmêmesonnomdefamille.
***
Cequ’ilvenaitd’entendrelebouleversait.Toutcequ’ilavaitditàFanny,illepensaitvraiment.SonMarc n’était qu’un sale type ! Lui, s’il avait été son époux, il ne l’aurait jamais rejetée ainsi. Aucontraire,ilauraitfait l’impossiblepourlagarder; ilnel’aurait jamaislaisséeaffrontercetteépreuveseule.
Aumoins,uneconclusions’imposaitclairementdanssonesprit:ilavaitdevantluiunefemmelibre.Libre d’aimer et de refaire sa vie. Mais Fanny était également une femme blessée, humiliée, qui netoléraitpour lemoment aucunhommeà ses côtés. Il comprenaitmieuxpourquoi elle avait rejeté avecautantdeforce lesavancesdeBaptiste.Ellen’avaitpasquittésonmari,unhommed’unerare lâcheté,pourtomberdanslesgriffesd’undragueurdoubléd’unmenteur.Cequ’ilcomprenaitaussi,c’étaitqu’elleneselaisseraitpasapprivoiserfacilement.Peut-êtrequ’aucunhommen’arriveraitàluidonnerl’enviedevivredenouveauencouple.Pasmêmelui.Toutefois,malgréceconstatdouloureux,ilsefitlapromessedeveiller sur elle, quoiqu’il arrive. Il laprotégerait de tous cesbeauxparleurs à la recherched’unesimple aventure. Il ferait tout pour la voir heureuse.Même s’il fallait pour cela sacrifier son proprebonheur. Elleméritait de vivre le reste de ses jours sereinement, loin du joug d’un autre compagnonmédiocre.
Le soleil se couchait à présent sur Barcelone. Ses rayons orangés rasaient les toits, semblantincendier la ville.Une légère brise chargée d’iodemontait de lamer. Les touristes quittaient laGranPlaçaCircularetilnerestaitqu’euxoupeus’enfallait.L’airavaitfraîchimaisaucund’euxnesemblaitvouloir quitter cet endroit devenu silencieux. Fanny paraissait apaisée d’avoir enfin soulagé saconscience.Sonregards’étaitfaitplusdouxetsonvisageavaitperdusonexpressiontriste.
Chapitre13
À leur retour du parc Güell, ils avaient dîné au restaurant de l’hôtel. C’était un lieu chic quefréquentaituneclientèleaisée.Avecsonportaltieretsesmanièresélégantes,Fannyattiradenombreuxregards. Sans doute les autres clients spéculaient-ils sur son identité.Une telle femmene pouvait êtrequ’unedescendantedesGrandsd’Espagne,cesgenssinoblesetsititrésqu’ilsn’ontpasàs’agenouillerdevantlePape.
Ignorant ce qui semurmurait dans son dos, ce fut avec soulagement que Fanny regagna enfin sachambre.Surlepasdelaporte,Eliotluisouhaitabonnenuit.Elleeutl’impressionqu’ilavaitmarquéunelégère hésitation avant de fermer la porte. Cependant, elle renonça à en chercher l’explication car lafatigueeutraisondesarésistance.Aprèss’êtredouchéeetavoirenfilésanuisette,elleseglissaentrelesdrapsfraispours’endormiraussitôt.
***
Danssachambre,Eliotressassait.Cettejournéeavaitétépleinederebondissements.Ilsefélicitaitd’avoir insisté pour que Fanny l’accompagne à Barcelone. Cependant, il n’avait jamais espéré enapprendreautantsursoncompte.Àdirevrai,illeregrettaitpresque.DèsleurrencontreàNice,ilavaitdeviné que de douloureuses blessures se cachaient derrière ce masque de glace. Hélas, Fanny avaitconfirmésescraintes.Maiss’ilavaitcruqu’enlaperçantàjour,elleendeviendraitplusaccessible,ils’étaitlourdementtrompé.Lavéritél’avaitéloignéeplusencoredelui.Depersonnageénigmatiquedontil avait voulu découvrir le mystère comme on relève un défi, elle était devenue divinité ou martyreintouchable.Unepenséetoutefoisleréconforta.SiFannyneluiappartiendraitjamais,ellenecéderaitpasnonplusàcevantarddeBaptiste.
Ils’efforçadenepluspenseràelle.Le lendemainmatin, ildevaitquitter l’hôteldebonneheure.Plusieursrendez-vousimportantspourl’ouverturedesanouvelleligneaériennel’attendaient,etildevaitdormirunpeu,s’ilvoulaitêtreenforme.
***
Aprèsun rapidepetitdéjeuner,Fannychoisitd’allervisiter laville.Pourêtreà l’aise,elleavaitrevêtuunchemisierblanc et un short en jean.La jeune femmede la réception lui indiqua les endroitsincontournables deBarcelone, dont lesRamblas, où Fanny retourna. Elle décida ensuite de se perdre
dans les ruelles pavées, au gré de son inspiration. Elle découvrit avec enchantement des balconsregorgeantdefleurs,despetitesboutiques,desfontaines.
À midi, elle s’arrêta manger dans un marché couvert. Se laissant guider par les odeursappétissantes,ellepassadestandenstand,oùlescommerçants luifirentgoûterdelacharcuterieetdufromage.Elleenressortitleventrepleinetlesbraschargésdefruits.
Fatiguéepar sa longuepromenadeet la chaleurde l’après-midi, elle sedécida enfin à s’asseoir.Ellechoisitunpetitsquareenfacede l’étonnanteSagradaFamilia.Ledéfilé incessantdes touristes ladécouragea de visiter la célèbre église. Elle resta un longmoment sur son banc, s’étonnant devant lemélangeincongrudesflèchesdel’édificequis’élançaientverslecieletdeladisgracieuseforêtdegruesquilesentourait.
Alorsqu’ellehésitaitsurlasuiteàdonneràsapromenade,sontéléphonesonna.–Oùêtes-vous?demandaaussitôtEliot,lorsqu’elleeutdécroché.–DevantlaSagradaFamilia.–Vousl’avezvisitée?–Jemeposaisjustementlaquestion.–Ilesttardmaintenantpourenfaireletour.Pourquoinepasvenirmerejoindre?–C’estgentilàvous,maislesréunionsd’affairesnesontpasmatassedethé.–Mon rendez-vous est terminé.Que diriez-vous d’aller boire un verre sur le port ?À lamode
espagnole.Elle se souvint à cet instant qu’il lui avait demandé de venir en Espagne à cause de ce fameux
rendez-vous.Or,ilyétaitpartiseul.Manifestementiln’avaitpasautantbesoind’ellequ’il leluiavaitlaissécroire.Pourêtrefranche,ellesedemandaittoujourspourquoielleétaitlà.Laquestionluibrûlaleslèvres,maisellenelaposapas.
–Oùvoulez-vousqu’onserejoigne?–ÀlastatuedeChristopheColomb,enbasdesRamblas.Jevousattendrai.–Bien,j’arrive.Commelorsdeleurrendez-vousàl’Opéra,ilétaitdéjàlàetl’attendait.Ellenevitqueluisurcette
placedominéeparlahautecolonneàlagloiredunavigateur.Enplusdeseséternelleslunettes,ilavaitrevêtuunélégantcostumegris.Lavestecintréeseyaitàsontorsemuscléetlepantalondroitmettaitenvaleurseslonguesjambes.Illareconnutàsontouretluidécochaunsourirerayonnant.Uneboufféedechaleurmontaenelleetelledutredoublerd’effortspourmarcherdroitverslui.
Avec sollicitude, il lui demanda comment elle avait occupé sa journée. Il l’écouta attentivement,puissuggéra:
–Jusqu’àprésentvousavezvul’ancienneBarcelone.Jevousproposededécouvrirlavillesousunjourplusactuel.
–J’aiaimécequej’aidécouvertjusqu’àprésent.–Vousn’avezpasenviedetenterdenouvellesexpériences?Intriguéeparcetteentréeenmatière,ellehésitaàlesuivre.Maissacuriositéfut laplusforte.Ils
quittèrentdonclaplacepourarriverdevantunepasserellemoderne,faitedeboisetdefer.Ellesemblaitposéesur l’eauetondulaitcommeunevague.Lavoyanthésiteràposer lepiedsur les lattes,Eliot luisaisitlamainetl’encouragead’unsourire.Sescraintesfurentaussitôtbalayéesetellelesuivitlecœurléger.
Ensembleilstraversèrentlepont,semêlantauxbadauds.Ilsdébouchèrentsuruneesplanadedeboisposée sur la mer. Le regard de Fanny engloba alors un complexe commercial, des restaurants etl’aquariumdeBarcelone.
–Quelestcetendroit?demanda-t-elle,surprise.–LeBarceloneduXXIesiècle.Eneffet,unejeunessebruyanteetjoyeusesemêlaitavecinsoucianceauxtouristes.Fannyfutbientôt
gagnéeparleurenthousiasme.–J’ail’impressionqueçavousplaît,dit-il.–Toutsemblesigai,ici!Commentnepasaimercetendroit?Rapidement,sonregardfutattiréparlesvoiliersancrésauport.Leursmâtstanguaientdoucementau
grédelahoule,souslafaiblelumièredesderniersrayonsdusoleil.Elleoffritsonvisageàl’airmarinquisoufflait.
–Pensez-vousqu’unjourvouspourrezrefairevotrevie?luidemandasoudainEliot.–Pardon?–Jenevoulaispasvousoffusquerouvousbrusquer…–Jel’ignore,dit-elleenfin.–C’est compréhensible.Toutefois,maintenantque le jugementdedivorce est rendu,pourquoine
pasyréfléchir?–Jeneressenspaslebesoindevouloirvivreavecquelqu’un.Jesuistrèsbienainsi.–Peut-êtreest-ceencoretropfraisdansvotreesprit,maisunjourilfaudrabienysonger.Elle fronça les sourcils, intriguée par son insistance. Il dut comprendre qu’il avait dépassé les
bornes,carilfitmarchearrière.–Ilestvraiquevousêtesjeuneetquevousaveztoutletempsdevousremarier.–Jeneveuxpasme«remarier»!–Pourquoi?–Vousmeledemandez?–Cen’estpasparcequevotremaris’estrévéléledernierdesabrutisquel’histoirevaforcémentse
reproduire.–Cettedéconvenuem’arendueextrêmementméfiante.Enrestantcélibataire,jem’évitecegenrede
souci.–Jediraisplutôtquevousêtestimorée…–Etvousterriblementindiscret!–Peut-être,maisàcaused’unidiotvousgâchezvotreexistenceenvivantcommeunenonne.Fannysentitlacolèrel’envahir.Quiétait-ilpoursemêlerdesavieprivée?–Ilsembleraitquejen’attirequecegenredespécimen,rétorqua-t-elle,glaciale.–Quevoulez-vousdire?–QuejemepassevolontiersdesassiduitésdeBaptiste.–Sicethommevousennuie,vousn’avezqu’àmeledire.–Etaprès?Vousallezluicasserlafigureàlarécré?ironisa-t-elle.–Jenevouscachepasquel’idéedemettremonpoingsursafigured’hypocritem’aassezsouvent
traversél’esprit,cesdernierstemps.–Jesaismedéfendretouteseule.–Commevousvoudrez.Sachezseulementque jevousappuierai, sivoussouhaitezporterplainte
contreluipourharcèlementsexuel.Fanny hésita entre le rire et la stupéfaction.Eliot parlait-il sérieusement ? Il prenait son rôle de
patronbientropàcœur!–Jenecroispasqu’onpuissequalifiersonattitudedeharcèlement.Deplus,jusqu’àprésent,j’ai
toujourssuleteniràdistance.
***
«Jusqu’àprésent»,peut-être,songeaEliot,maiscethommeétaitdangereux.Ilavaitdéjàdémontréqu’ilnereculeraitdevantaucuncoupbas.Cequ’elleprenaitpourunesimpleattirancepassagèreétait,pour le steward, une véritable obsession. Il le comprenait, cela dit ; lui-même était obsédé depuis laveilleparlaconversationqu’ilsavaienteuedansleparc.Ilenavaitàpeinedormi.Ilpensaits’êtrefaituneraisonetavoiracceptél’idéequeFannyluiéchapperaitàjamais.Maislessentimentsqu’iléprouvaitpourelleétaientbientropforts;ilnelesmuselleraitpassifacilement.
–LaissonsBaptisteàsespassagers,dit-il,etallonsboireceverre.Onm’arecommandéunbartrèsenvoguenonloind’ici.
Illuiattrapalamainetl’entraînaàsasuite.Alorsqu’ilspoursuivaientleurpromenade,ilgardasesdoigtsemprisonnésdanslessiens.Marchantainsicôteàcôted’unmêmepas,ilsressemblaientauxautrescouplesqu’ilscroisaient.
Ill’emmenadansunbarloungeoùtoutelajeunessedeBarceloneseretrouvaitàlatombéedujour.Onluiavaitditleplusgrandbiendecetteadresse,oùilfallaitabsolumentêtrevu.Maislorsqu’ilentradans le bar, il regretta d’avoir suivi ce conseil. Le lieu était plongé dans une semi-obscurité, percéesporadiquement de flashs aveuglants.Un long comptoir en forme deU occupait le centre de la pièce,autour duquel on ne pouvait accéder qu’assis sur de hauts tabourets. Le bruit des conversations étaitcouvertparunemusiqueassourdissante.
–Nouspouvonsallerailleurs,sivouslepréférez,proposa-t-il.–Non,c’esttrèsbien,ici.
***
Elle n’en pensait pas unmot, mais ne voulait pas paraître capricieuse. Ils se frayèrent donc unpassageautraversdelafoulecompacteetsejuchèrentsurlestabourets.Eliotcommandadeuxcocktailsetcherchaàreprendrelefildelaconversation.
–Quepensez-vousdevotreséjour?–Quedites-vous?–Est-cequevousavezappréciévotrevisitedeBarcelone?–Jen’entendsrienaveccettemusique.Eliotrépétaunenouvellefoissaquestionenhaussantlavoix.–Parlezplusfort!Ilétaitpenchéau-dessusd’elle,sabouchecontresonoreille.Troubléeparcetteproximité,Fanny
eut les pires difficultés à se concentrer. Le volume assourdissant de lamusique n’arrangeait rien. Ungroupede jeunesgens attablés à côtéd’eux riaient bruyamment.Les serveurspassaient et repassaient,jouantdescoudespourapporterlesconsommations.
–Jesuistropvieuxpourça,marmonnaEliot.–Quedites-vous?–Rien,hurla-t-ilpresque.Venez,ons’enva.–Maisnousvenonsd’arriver!Cefutlemomentquechoisitleserveurpourleurprésenterleursboissons.–Lebruitestinsupportable.Allons-nous-en.Eliotjetaunbilletsurlecomptoiretoffritlesdeuxcocktailsaugroupedejeunesassisàcôtéd’eux.–Muchasgracias,señor,leremercial’undesgarçons.
–Denada,réponditEliot.La saisissant par le coude, il la guida jusqu’à la sortie. Si la chose était possible, il semblait à
Fannyqu’ilyavaitplusdemondequ’àleurarrivée.Cefutpoureuxunvéritableparcoursducombattantpouratteindrelaporte.Eliotpassadevantpourlaprotégerdelajoyeusecohuequirégnaitdanslebar.
Arrivéssurleponton,ilssedétendirentenfin.–Mesoreillesn’enpouvaientplus,expliqua-t-il.–Jecroisquecetendroitn’estpasfaitpournous.Iléclataderire;ellel’imita.–C’estladernièrefoisquej’écoutelesconseilsdesautres!Surcepoint,ellen’endoutaitpasuninstant.Iln’enfaisaitqu’àsatête,latraînantavecluidanstout
lesuddel’Europe,augrédesescaprices.–Retournonsdanslavieilleville.–Volontiers,dit-elle,soulagéedequittercetenvironnementquiluicorrespondaitsipeu.–Jeconnaisunpetitrestauranttrèsagréable.–Sansmusique?–Peut-êtreaurons-nousdroitauxchantsdesguitares.Ellefitminederéfléchir.–Pasdevolumepousséàfond?insista-t-ellesurletondelaplaisanterie.–Certainementpasdanscegenred’endroit!–Mestympansvousenremercient.Avec un nouvel éclat de rire, il passa son bras autour de ses épaules dans un geste naturel et
l’entraînaloinduport.Elleaimaitsepromenerainsiaveclui,sentirlepoidsdesonbrascontresanuque,calquersonpassurlesien.Sahanchecontrelasienne,ellesentaitlachaleurdesoncorpsprèsdusien.Saprésencelarassuraitetlafaisaitsesentirsivivante!Elleavaitaffirméqu’ellenevoulaitplusaliénerson existence à qui que ce soit.Mais elle n’avait aucunmal à imaginer combien il serait agréable depassersavieavecunhommetelqu’Eliot.Aussitôt,ellerejetacetteidéefolle.Assurément,cettemusiqueluiavaitramollilecerveau!
Chapitre14
EliotquittalesRamblaspouremprunteruneruellesombre.Fannylesuivit,peurassurée.L’endroitétait parfait pour un guet-apens ou bien un baiser volé. Cette dernière pensée déclencha un véritableincendiedanssoncorps,menaçantdelaconsumertoutentière.Définitivement,ellenedevaitplusavoirtoutesatête!
Ils débouchèrent devant une boutique à la vitrine encombrée de jambons et de saucisses. Ilspassèrentlaporte,etFannydécouvritunepetitesallevoûtéeavecdelonguestablesencadréesdebancsdebois.Auplafonddepierrependaitunecharcuterieodorante,tandisqu’aucomptoirétaientattablésdevieux Catalans, le béret vissé sur la tête. À leur discussion animée, Fanny crut comprendre qu’ilsparlaientd’unmatchdefoot.Ilsprirentplaceàl’unedesdernièrestablesdelibre.
–Oùsommes-nous?demanda-t-elle.–Jel’ignore,carlapeinturedel’enseigneestdepuislongtempsécaillée.Commeelleaccueillaitsesparolesd’unairinquiet,ilajouta:–Unsoirquejepassaisdanslequartier,j’aipoussélaporte,attiréparunairdeguitare.–L’endroitestpittoresque.–Etbeaucoupmoinsbruyant!Le patron leur apporta d’emblée deux assiettes de tapas, s’entretint un instant en espagnol avec
Eliot,puisrevintavecdeuxgrandsverresremplisàrasbord.–Qu’est-cequec’est?demandaFanny.–Delasangriamaison.Goûtez,elleal’airexcellente.Joignantlegesteàlaparole,ilbutunegorgée.Ellel’imita,n’osantdemanderdel’eau.L’estomac
vide,ellecraignaitquel’alcoolneluitourneunpeulatête.Lasangriaétaitdélicieuse,etellenereposasonverrequelorsqu’ilfutàmoitiévide.Reportantsonattentionsurl’assiettedevanteux,elledemandacequ’onleuravaitservi.
–Ildoityavoirdeslégumesfrits,delacharcuterieetdelatortilla.Lafameuseomeletteespagnole.Tout en faisant son choix, Fanny termina sonverre.Le patron, en hommediligent, lui en apporta
aussitôtunautre.–Jedevraispeut-êtrefaireattention…,dit-elle.–Pourquoi?–J’aidéjàterminélepremier.–C’estquevousaviezsoif.–Jen’aipasl’habitudedeboiredel’alcooletj’aidéjàlatêtequitourne.–Mangezquelquechose.
C’est cequ’elle fit sans se faireprier.Ellene futpasdéçue : tout était trèsbon.Semblant avoirl’œilpartout,lepatronlesréapprovisionnaitrégulièrement.
–Quedit-il?demandaFanny,alorsquecedernierquittaitleurtableenriant.–Ilestraviqu’unefemmeaussibellequevousappréciesacuisine.–C’esttrèsgentildesapart.–Jecroisquevousluiplaisez.–Ilal’âged’êtremonpère!s’exclama-t-elle,portantunelamelledejambonSerranoàlabouche.–Justement.Ilvoulaitvousprésentersonfils.–Jen’endemandaispastant!Eliotsemblaits’amuserdelasituation.Unsourireencoinsedessinasurseslèvres.–Pouvez-vousluiexpliquerquejenesuispasintéressée?–Nevousenfaitespas,toutestarrangé.–Commentavez-vousfait?–Jeluiaiditquevousétiezmafemme.AvantqueFannyaiteuletempsdeseremettredesasurprise,lepatrons’approchadenouveauet
posadeuxbougiessurleurtable.–Vousluiavezmenti!l’accusa-t-elle,quandl’hommesefutéloigné.–Vouspréférezrencontrersonfils?–Non,sansfaçon.–Alorscessezdevoustorturerl’esprit,etprofitezdumomentprésent.Commeelleauraitaimépouvoirsuivresonconseil!Tropconscientedesaprésence,elleenétait
incapable.Laflammedesbougiessereflétaitdanssesyeuxbruns.Lesombresmouvantessursonvisagelerendaientàlafoissauvageetmystérieux.Ilétait terriblementséduisant,maisterriblementdangereuxaussi.Ellefitappelàtoutesavolontépourrésisteràsonsourireenjôleur.
– Comment s’est déroulée votre entrevue, aujourd’hui ? demanda-t-elle, en se raccrochant à laréalité.
–Trèsbien.Enfait,mieuxquejenel’auraisespéré.–J’ensuissoulagéepourl’avenird’AirProvence.– La compagnie n’a jamais été menacée. Si je l’ai rachetée c’est qu’au contraire elle est très
lucrative.–Alorspourquoil’ancienpropriétairel’a-t-ilvendue?–Pourfaireunejuteuseplus-value.Cesconsidérationsluiéchappaientcomplètement.–Sitoutvabien,dèslasaisonprochaine,nouspourronsouvrirlanouvelleligne.–VouspensezqueNice-Barceloneserauneliaisonprometteuse?Son intérêt était de simple politesse. Rassurée au sujet de l’avenir de ses collègues, Fanny se
désintéressaittotalementd’undéveloppementpossibleducôtéespagnol.Laseulechosequ’elletrouvaitpassionnantedanscettediscussionétaitlevisageaniméd’Eliot.Hypnotiséeparledessinsensueldeseslèvres,ellemouraitd’enviedelesembrasser.Sapropreaudacel’épouvantaetellesongeaquel’alcoolcommençaitàfairesoneffet.
–Lesétudesdemarchéontmontréquec’estunelignerentable,expliqua-t-il.Ensaison,elleseraitempruntéemajoritairement par les touristes. Alors qu’en hiver, elle serait fréquentée par les hommesd’affairesoupourlesdépartsenweek-ends.Ilyauntrèsfortpotentiel.
–Alorspourquoin’a-t-ellepasétémiseenplaceplustôt?
–Pourqu’ellesoitréellementrentable,ilfautunegestiontrèsfine.Seuleunepetitecompagnieestsuffisammentsouplepourcegenredeprojet.
–EtAirProvencecorrespondtoutàfaitàcescritères…–Exactement!–N’avez-vouspaspeurdelaconcurrence?–Non,jesuislepremieràmepositionnersurlescréneauxhoraires.–Jeconstatequevousaveztoutprévu.S’ilfutimpressionnépartouteslesquestionsqu’elleluiposait,iln’enmontrarien.–Àcesujet,seriez-vousintéresséeparlagestiondel’escaledeBarcelone?–Moi!s’exclama-t-elle,incrédule.Pourquoi?–VousavezdéjàdirigéunmagasinàParis.–Oui,maisc’étaitunejoailleriedeluxequinecomptaitqu’unepoignéederichesclients.Rienà
voiravecuneescaleaérienneettouteslesresponsabilitésqueçaimplique.–Jesuiscertainquevousvousensortireztrèsbien.–Vousmesurestimez:jesuisunevendeuse,pasunegestionnaire.–Sivouspréférez,vouspourrezdiriger l’escaledeRome.J’aibesoindequelqu’undeconfiance
danscesdeuxvilles,ainsiqu’àNice.–Jemesensflattée.Toutefois,jecrainsquevotreconfiancesoitmalplacée.–Vousconnaissezvotre travail sur leboutdesdoigts. Il suffitde transposercequevous faitesà
Niceetl’appliquerailleurs.RiennevousretientenFrance?Absolumentrien…Maintenantquesondivorceétaitprononcé,plusriennel’attachaitàlabaiedes
Anges.Avectristesse,ellesongeaalorsqu’ellen’avaitaucunprojetd’avenir.Elleavaitàpeinevingt-huit ans, et sa vie était désespérément vide !Mais elle chassa rapidement cette idée déprimante pourfocalisersonattentionsurEliot.
–Leproblème,c’estquejeneparleniitalienniespagnol.–Jepourraisvousapprendrelecatalan,suggéra-t-il.–Vousseriezmonpatronetmonprofesseurdelangueétrangère?Savoixdevintmutine.Lasangrialuimontaitàlatêteetellesentaittouteinhibitions’effacer.–Vousavezuneobjectionàformuler?Leregardd’Eliots’étaitfaitplusprofond.Plustroublant.Illadévisageaitintensément,retenantson
souffle.Lalumièrevacillantedesbougiesdonnaitàsesprunellesunéclatensorcelant.Ellesoutintsonregardetrépondit:
–Aucuneobjection.–Tantmieux,parcequejesuisunexpertenlamatière!–Jeveuxbienlecroire.–Voulez-vousdébuterlesleçonsmaintenant?Il lui décocha un sourire ravageur. Fanny n’était plus sûre qu’ils parlaient toujours de langues
étrangèresmais,émoustilléeparlessous-entendus,ellepoursuivitnéanmoinslaconversation.–Maintenant?Devanttouscesgens?–Vousavezraison.Descoursdecatalanaumilieud’unbaràtapas,çapourraitfairejaser.Elle éclatade rire sous l’œil attendridupatron.Cederniervenait de leur apporterunenouvelle
assiettedecharcuterie.–Ilveutnoussoûler!s’écria-t-elle,devantleverrequ’ilavaitégalementposédevantelle.–Vousexagérez.C’estuneboissonfaiblementalcoolisée.–Vousavezcertainementplusl’habitudequemoi.Pourmapart,jevaisarrêterlà.
–Quoi?Vousavezpeurdeperdrelecontrôle?–Je…Non,dit-elle,rougedeconfusion.–Vouscraignezpeut-êtrequejeprofitedelasituation?–Pasdutout!–Trèsbien,rentronsàl’hôteldanscecas.Elle le fixa, tétanisée. Était-ce une proposition indécente ? L’alcool lui embrouillait l’esprit.Ou
était-ceplutôtlavoixdeveloursd’Eliot?Ellen’étaitplussûrederien.–Ilsefaittard,précisa-t-il,enselevant.Etj’aiunedernièreréuniondemainmatin.Déjà?Ellelesuivitavecunepointededéception.Elleavaitappréciéceflirtléger.C’étaitsubtiletsans
conséquence. Mais elle s’exhorta à plus de sérieux. Elle devait se méfier : la sangria altérait sonjugement. Avec un sourire jovial, le patron du restaurant les raccompagna jusqu’à la porte. Fannyapprécial’airfraisdusoir.Illadégrisaitunpeu.
Arrivée devant l’hôtel, elle avait totalement recouvré ses esprits. C’était mieux ainsi. Qui saitquellesbêtiseselleauraitpudiredevantEliot?Ensaprésence,ellen’étaitplusvraimentelle-même.Ildéclenchaitenelledesémotionssiviolentes,sidifférentesdecequ’elleéprouvaitpourMarc!Était-ilpossiblequ’ellesesoit trompéeàcepoint?Elleétait restée troisansavecunhommequ’ellecroyaitaimer.Julieavaitsansdouteraison:ellevivaitdepuistroplongtempsrepliéesurelle-même,etelleenvenaitàconfondreuneattirancephysiqueavecdessentimentsplusdurables.Carelledevaitl’admettre,cequ’elleressentaitpourEliotn’étaitquedudésir.Undésirbrutal,quil’embrasaittoutentière.Maiscen’était qu’un feu de paille. Du moins cherchait-elle à s’en convaincre… Une chose était certaine,cependant:siellecédaitàlatentation,riendebonn’ensortirait.
–Commec’estdommage!dit-elleensoupirant,s’arrêtantdevantlaportedesachambre.–Quoidonc?–Quenousdevionsdéjàrentrerdemain…Ilmeresteencoretantdechosesàvisiter.Eliotpassalamaindanssescheveuxcourts,l’airsincèrementdésolé.– Je serais volontiers resté plus longtemps. Malheureusement, après ma réunion, j’ai d’autres
engagementsquejenepeuxreporter.–Cen’estpasgrave.–Croyezbienquej’aimeraisvousfaireplaisiretresterunejournéedeplus,Fanny,mais…–Jecomprends.Vousêtesunhommed’affaires,vousêtesparconséquenttrèsoccupé.Bonnenuit.Elledéverrouillasaporteetentra.
***
Avecfatalismeetunepointedecolère,Eliotpénétraàsontourdanssaproprechambre.Ilsavaitque cette nuit encore, il ne dormirait pas. Fanny l’obsédait. Son image le hantait depuis qu’il l’avaitcroiséeàcefeurouge,enToscane.Sabonneétoilel’avaitplacéedenouveausursaroutegrâceaurachatd’AirProvence. Ilavaitensuite forcé ledestinen l’attachantàsespas,quecesoiten Italieou ici,enEspagne.Maistousceseffortspourquelrésultat?Malgréleurfurtivecomplicitédanslebaràtapas,ellevenaitquasimentdeluifermerlaporteaunez.Lafrustrationmenaçadel’ensevelir.Pourquois’obstinait-elleàfuir l’évidence?Elle ledésiraitaussi fortqu’il ladésirait.Lesquelquesbaisersbrûlantsqu’ilsavaientéchangésenétaientlapreuveflagrante.
Commeunlionencage,ilressassaitsespensées.Direqu’elleétaitdanslapièced’àcôté,seule!Ill’imaginasedéshabillant,puissecouchantdanscelittropgrandpourelle.Cettepenséeagitcommeun
déclicsurlui.D’unpas,ilfutdevantlaportedecommunication.Ilytambourinacommesisavieendépendait.Dèsqu’ilentenditledéclicdelaserrure,ilabaissala
poignéeetpénétradanslapièce.Fannyluiapparutlesyeuxécarquillésdesurprise.Elleavaitdéjàpasséunenuisettecouleuraméthyste,dontlefintissusuggéraitplusqu’ilnecachaitsoncorpsparfait.
Sansunmot,illasaisitparlesépaulesetlafitreculer.–Qu’est-cequ’ilya?demanda-t-elle,légèrementeffrayée.–Ilyaquejesuisfoudevous!Elleledévisagea,visiblementperdue.–Jevousdésirecommejen’aijamaisdésiréuneautrefemme.–Mais…–Etjesaisquevousavezenviedemoi,Fanny.–Commentosez-vous?s’exclama-t-elle.Sonregardobscurciparledésirplongeadanslesien.–Alors,ditesquevousn’éprouvezrienpourmoi.Repoussez-moi.Ellerestaparalyséeaumilieudelapièce,incapabledumoindregeste.–Situneveuxpasdemoi,jem’enirai,chuchota-t-il.Maistudoismeledire…Timidement, elle leva les mains à la hauteur de son torse, comme un rempart. Elle les garda
suspendues en l’air, sans parvenir à se décider. Cette hésitation fut pour lui le premier signe de savictoire.Ilprofitadesonavantage,penchalatêteetluieffleuralatempedeseslèvres.
***
Cettecaresse,pourtantsi légère,si fugace,secouaFannyd’un longfrisson.Eliotsuivitensuite lecontourdesespommettespourdescendrejusqu’àsonmenton,puisilfrôlaseslèvressilentementqu’ellecrut qu’il s’y attarderait.Mais il poursuivit son exploration, et sa bouche glissa le long de son cou.Pantelante et le corps en feu, elle ne respirait plus.Àprésent, ses lèvres caressaient son épaule et lecreux de sa clavicule.Vaincue, elle laissa retomber sesmains.Uniques et dérisoires défenses qu’elleespéraitluiopposer.Ellefermalespaupières,signedesatotalereddition.
Eliot l’emprisonna alors de ses bras et s’empara de sa bouche avec avidité, comme s’il avaitattenducemomenttoutesavie.Commes’ilnepourraitjamaisassouvirlasoifqu’ilavaitd’elle.
Enhardiepar sondésir, elle s’accrochaà luien soupirantd’aise.Pourquoi luiavoir résistéaussilongtemps, alorsque soncorps le réclamait si ardemment? Il la renversa sur le lit et sonpetit cridesurprise se changea vite en un rire mutin. Les lèvres d’Eliot quittèrent sa bouche et continuèrentl’exploration de sa peau nacrée. Elle gémit doucement sous ses caresses. Les vagues de désir quidéferlaientenelleavaientdissousdepuislongtempssaraison.
Il recula légèrementet commençaà sedévêtir.Lesyeuxbrillants, elledécouvrit avec fascinationdespectorauxparfaitementdessinésetdesabdominauxentablettedechocolat.Ilpassalesmainssouslesbretellesdesanuisetteet fitglisser levêtement, tandisqu’ellesoutenait sonregardvoilépar ledésir.Découvrantsescourbesféminines,ilpoussaungrognementdesatisfaction.
Puisillapénétrasansplusattendre.Ellepoussaunfaiblecridesurpriseoùsemêlaitleplaisir.Ellesecambrasousluipourlerecevoiretsuivitlerythmefiévreuxqu’illuiimposait.Unevaguedevoluptéluiembrasalessens.Leurscorpsbougeaientàl’unisson,semblantsuivreunechorégraphietorride.Leursmouvementss’accordaientàlaperfection,pleinsd’intensitéetdepassion.
Chapitre15
Unepenséedéchiralebrouillarddesensualitéquitroublaitl’espritd’Eliot.Fannyexcellaitdanslejeudel’amour,carellen’étaitplusunenovice.Elleavaitétémariée,elleavaitconnuunautrehommeavant lui.Ensemble ilsavaient fait l’amour,espérantavoirunenfant.Cette images’imposaà luietunsentimentaigudejalousieledévora.Elledutsentirsonhésitation,carellerouvritlespaupières.
–Tuesàmoi,dit-il,levisagegrave.Commepourappuyersespropos,ilaccéléralacadence.Ellemurmurasonnom.Griséparsavoix
renduerauquedeplaisir,ilperdittoutcontrôle.Dansunderniercoupdereins,ilsatteignirentensemblele paroxysme de la jouissance. Puis ils retombèrent dans le lit dévasté. Alors qu’elle reprenait sonsouffle,Eliotluisaisitlaboucheenunbaiserfougueux.
–Tuesàmoi,répéta-t-il,haletant.Àpersonned’autrequ’àmoi!Quittantseslèvres,ilentrepritalorsd’embrasserchaquecentimètredesapeausoyeuse.Ilvoulait
effacertoutetracedel’autre.Decethomme,quiaulieudel’aimeretdelachérir,l’avaitsicruellementblessée.Alorsquesarespirations’étaitcalmée,lesouffledeFannydevinthaletantlorsquesescaressesdescendirent au niveau de son intimité. Il lui fit de nouveau l’amour. Cette fois, il se montra d’uneincroyable douceur, inventif, attentionné. Il prit tout son temps, la nuit leur appartenait. Leurs âmes etleurscorpsnesemblèrentbientôtplusfairequ’un.
Aux premières lueurs de l’aube, ils s’endormirent enfin, épuisés et béats. Tendrement enlacés etoublieux du monde extérieur, ils n’entendaient rien de l’agitation des Ramblas montant jusqu’à leurfenêtre.Lesvendeursdefleursetd’oiseauxavaientdéjàprisplace,alorsquelestouristesquittaientleurhôtel, leur guide à la main. Un jour nouveau se levait sur Barcelone, un jour que ni l’un ni l’autren’oublieraitdesitôt.
Eliots’éveilla lepremieretcontemplaFanny,assoupieàsescôtés.Sonvisageétaitpaisible ;unléger sourire flottait sur ses lèvres roses. Ses cheveux noirs épars sur l’oreiller faisaient ressortir lablancheur de sa peau. Il consulta samontre et, voyant l’heure, se leva à regret. Il regagna sa proprechambreetsedirigeaverslasalledebains.
***
LorsqueFannysortitdesbrumesdusommeil,ladoucechaleurducorpsdesonamantavaitdésertélelit.Sonregardseportasurlesdrapsendésordreetellesentitsesjoueslabrûlerausouvenirdeleursébatsdelanuit.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’ellefaisaitl’amour,biensûr.Maissurlafindesonmariage,l’acteétaitdevenumécanique,dansleseulbutdeprocréer.Lamagieetlessentimentsavaient
disparu.Encomparaisonde cequ’elle avait vécudans lesbrasd’Eliot, elle sedemandaitmême s’ilsavaientjamaisexisté.Elleavaitconnuuntelabandon,unetellejouissancepartagéequ’elles’interrogea.Pourquoi avait-elle épousé Marc ? Par souci des convenances ? Parce qu’il disait l’aimer ?Qu’éprouvait-elle vraiment pour lui, à l’époque ? Elle secoua la tête. Tout cela n’avait plus aucuneimportance.Maintenant,ilyavaitEliot.Luiseulcomptait.
Entendantlebruitdel’eaudanslapiècevoisine,elles’enrouladansundrap,selevaetpassadanslachambred’Eliot,qu’elletrouvaentoutpointpareilleàlasienne.Laseuledifférenceétaitlemonceaude papiers encombrant la table basse. Elle s’approcha avec un petit sourire. Eliot avait certainementprévudetravaillerlaveilleausoir,mais,àcaused’elle,sesprojetsavaientétéchamboulés.
Elle s’assit sur le canapé et, attrapantmachinalement un ou deux feuillets, y jeta un coup d’œildistrait.Ilsétaientrédigésenespagnoletelleneputenlireuneligne.
–Bonjour!s’exclamaunevoixgrave.EllelevalesyeuxetdécouvritEliotsimplementcouvertd’uneserviettedebainautourdelataille.
Torse nu, la peau constellée de gouttelettes d’eau, il exhalait une force et une puissance qui la firentfrissonner. Il fronça les sourcils en voyant les feuilles qu’elle avait encore à la main et son sourires’effaça.
–Netouchepasàcespapiers,dit-il.D’autorité, il les lui prit des doigts et se détourna d’elle. Ignorant sa présence, il rangea alors
consciencieusementtoutcequ’ilyavaitsurlatable.Unefoisquel’ensembledesdocumentseutdisparudanssamallette,ilsetournaverselle,l’airsoucieux.Légèrementdéconcertéeparcetteattitude,Fannysentitladéceptionglacersoncœur.Néanmoins,elleravalasapeineetseleva.
–Pourquoitunem’aspasréveillée?demanda-t-elle.–Tusemblaisdormirsipaisiblement.
***
Fannynoua lesmainsderrière sanuqueet leva lementon.Sentant lachaleurde soncorpsmincecontrelesien,Eliotperditunpeudesamauvaisehumeur.Ilauraitaimélaserrercontreluiets’emparerdes lèvresqu’elle lui tendaitavec tantde ferveur.L’emmenerau lit.Maisdanssesbras, ilperdrait lanotiondutemps.Oraujourd’hui,ilavaitunrendez-vousimportant.Cetteentrevueétaitprimordialepourl’avenir d’Air Provence. Il était chef d’entreprise et ne pouvait se permettre d’agir en égoïste. Desemploisetdesinvestissementsdépendaientdelui.Ilnepouvaitresterenfermédanscettechambred’hôtelavec elle. Pourtant Dieu sait qu’il en avait terriblement envie ! Après avoir hésité une seconde, ilrepoussagentimentFanny.
–TurentrerasàNicetoutàl’heureaveclejet,dit-ild’unevoixdétachée.–Ettoi?Tunevienspas?Unesurprisetotales’affichaitsursonvisage.–J’aiencorebeaucoupdechosesàfaire.–Bien,danscecas,jevaisfairemavalise,répondit-elle,dissimulantmalsonirritation.Aprèsundernier regard,elle s’éloigna,et refermaviolemment laportederrièreelle.L’avait-elle
claquée volontairement, pour marquer sa désapprobation ? Il hésita un instant à la rejoindre et luiexpliquer l’importancede la situation.Puis il se ravisa.S’il croisaitdenouveau son regardémeraudeétincelantdedésir,iloublieraitsesbonnesrésolutionsetresteraitavecellepourlerestedelajournée.
***
Fanny s’enferma dans la salle de bains pour prendre sa douche. Elle y resta un long moment,espérantque l’eauaurait lepouvoirdedissoudre toute l’amertumequ’elleavait ressentie, lorsqu’Eliots’étaitécartéd’elle.Maintenantqu’ilavaitobtenucequ’ilvoulait,illarepoussait.Ellen’avaitétéqu’unintermèderécréatifdansceweek-endàBarcelone.Letravailpassaitavantleplaisir.
Était-il donc cegenred’amant ?Toutes ses belles paroles n’avaient-elles euqu’un seul but : luivolerunenuitd’amour?Ellerefusaitdecroirequ’ill’avaitutilisée.Àvingt-huitans,ellen’étaitpassinaïve!Dumoins,lecroyait-elle.Leslarmesfinirentparsemêleraujetdeladouche.Ladouleurquiluitransperçaitlecœurétaitbienpirequetoutcequ’elleavaitconnujusqu’àprésent.
Elle ne le revit pas de la journée.Elle étaitmontée seule dans le jet etmalgré la gentillesse du
copilote,ellerestaprostréesursonsiègeduranttoutlevol.ArrivéeàNice,elles’enfermadanssonappartement.Ellebénéficiaitencorededeuxjoursderepos
etellen’avaitpaslecouragedemettrelenezdehors.EllerestalonguementdevantletableaudeGustaveKlimt. Le Baiser. Quelle ironie ! Ce couple enlacé et heureux semblait la narguer. Pourtant, ellecomprenait mieux maintenant ce qu’avait voulu exprimer l’artiste. Cette passion, cette confiance enl’autre…Toutcequ’elleavaitconnuletempsd’unenuitdanslesbrasd’Eliot.«Lecœurn’ajamaisderides.Iln’aquedescicatrices»,luiavait-ildit.Sitelétaitlecas,lesienétaitsérieusemententaillé!
Lelendemain,elletrouvaenfinlaforcedetéléphoneràJulie.–Oùétais-tupassée?s’exclamacettedernière.–Je…J’étaisenweek-end.–Tuasbienfaitdem’appeler,ilsepassededrôlesdechoses,ici.–C’est-à-dire?Ellesentitl’inquiétudelagagner.–D’abord,Endrieuest rentréhierd’excellentehumeur.Mais,aujourd’hui, ilestexécrable.Alors
quepourBaptiste,c’estexactementl’inverse.–Riend’étonnantàça:ilssedétestent.Lebonheurdel’unfaitlemalheurdel’autre.Lesquerellesdecesdeuxcoqsl’agaçaientprodigieusement.–Enquoiçameconcerne?–Jel’ignore,réponditJulie,jesaisjustequetonemploidutempsaétémodifié.–Nousavonsdesvolsenplus?–Non.Tunefiguresplussurleplanning.–C’estimpossible!Lasaisonestivalen’estpasencoreterminée.–Jesaisbien,maisondiraitquetuasété…oubliée.LecœurdeFannyseglaça.–Parles-enàEndrieu.Ildoityavoiruneraisonlogique.–Sûrement.Etj’enauraislecœurnetdemain.–Pasdemain,Fanny.Aujourd’hui!–Pourquoi?–Tueslaresponsabledupersonnelausol,cen’estpasnormalquetudisparaissesduplanning!Disparaître…Était-cecequesouhaitaitEliot?L’effacerdesavie?Pensait-ilpouvoirlarayerde
sespenséescommeillarayaitd’unplanning?Julieavaitraison,elledevaitobtenirdesexplications,toutdesuite.
–Trèsbien,jeviens.
–Dépêche-toi,Endrieuesttoujoursdanssonbureau.Fannyraccrochad’unemaintremblante.Ellerassemblatoutsoncourageethélauntaxi.Pasletemps
d’attendrelebus.Arrivéeàl’aéroport,ellesedirigeaversleslocauxréservésàl’administratif.Unefoisdevantlebureaud’Eliot,ellemarquauntempsd’arrêt.Qu’allait-elleluidire?Maissurtout,quelaccueilallait-illuiréserver?Ellehésitaunlongmomentderrièrelaporteferméejusqu’àsetrouverfranchementridicule. Qu’allait-on penser en la trouvant immobile dans le couloir ? Après avoir pris une grandeinspiration,ellefrappa.
–Entrez!ordonnalavoixprofonded’Eliot.Lagorgeserrée,elletournalapoignée.Ellepassadevantl’étonnantesculptured’Angeets’avança
résolumentverslui.Vêtud’uncostumegrissombreetd’unechemisebleuturquoise,ilirradiaitunetelleforceetuntelmagnétismequ’ellen’osaallerplusloin.Elles’immobilisa.Illevaalorslenezdudossierqu’il examinait.En croisant son regard,Fanny sut que ce face-à-face serait des plus désagréables.Eneffet,soussessourcilsfroncés,lesprunellesd’Eliotsemblaientlancerdeséclairs.Aussitôt,elleregrettad’êtrevenue.Elleauraitpréférévivredans l’ignorancedecequi l’attendait,plutôtqued’affrontersesyeuxdursetimpitoyables.
–Pourquoies-tulà?demanda-t-ilfroidement.–Parcequetunelesaispas?–Jem’endoute,toutefoisjen’imaginaispasquetuauraisleculotdevenirici.–Jeveuxdesexplications,Eliot.–Envoilàdesexigences!Tunecroispasqueceseraitplutôtàmoidet’endemander?Iléclatad’unriresansjoie.–Pourquoimonnomn’apparaîtplussurlesplannings?–Parcequejeterayedel’équipe.Àprésent,aumoins,leschosesétaientclaires.Sonpressentimentvenaitdeseconfirmer.Maiselle
ne savait pas ce qui était le plus douloureux : qu’il la rejette après leur unique nuit d’amour ou qu’ill’écartesansaucuneexplicationdesplannings?
–Turefusesquejefassemontravail?dit-elled’unevoixétranglée.–Tuenasassezfaitcommeça.–Maisc’estencorelapleinesaison!Leseffectifssontauplusjuste.–J’embaucherailapremièreétudiantevenue.Elleferatoutaussibienl’affaire.Fanny eut l’impression de recevoir une gifle en plein visage. C’était pire que ce qu’elle avait
imaginé.D’ailleurs,qu’avait-elleimaginé?Qu’iltomberaitfouamoureuxd’elleaprèsleurétreinte?Elleétaitbiennaïve!Ilétaitsonpatronet,deretourenFrance,ilavaitmesurétoutelaportéedesongeste.Immanquablement, on aurait découvert leur aventure. Elle ignorait quelle aurait été la réaction de sescollègues,maisellepouvaitfaireconfianceàBaptistepourenvenimerleschoses!Ilseseraitrépanduenmédisancespoursevengerd’Eliot.Sasituationauseind’AirProvenceseraitdevenueinvivable.
Commeellenebougeaitpas,ilprécisa:–Tun’espluslabienvenueici.Commentpouvait-ilêtreaussicruel?N’yavait-ilpasunautremoyen?Ilspouvaientsecomporter
enadultesresponsables,toutdemême!Elleauraitacceptélafindeleurrelationsansfaired’histoires.–Commentpeux-tudireunetellechose?–Tunecomprendspas?Tuesvirée.–Pardon?–Tum’astrèsbienentendu.Sorsd’ici,jeneveuxplustevoir.C’estterminé.
Ellechancelasousl’affront.Sonsangsemblaitavoirquittésesveinesetsatêtebourdonnait.Àlavuedesesmâchoirescontractéesetdesespoingsserrés,elle sutqu’ilneplaisantaitpas.Ravalantunsanglot, elle releva lementon et tourna les talons. Elle ne lui laisserait pas la satisfaction de la voirpleurer.Dignement,àpaslents,ellequittalebureau.
Ill’avaitrenvoyée!Sansexplication,sansraison.C’étaituncauchemaretelleallaitcertainementseréveiller !Ellefermauneseconde lesyeuxetsouhaitaseretrouverdanssesbras,àBarcelone.Hélas,quandelleouvritlespaupières,rienn’avaitchangé,etsasituationluiapparutdanstoutesonhorreur.Ellen’avaitplusde travail.Plusd’amour-proprenonplus.Ne lui restaitqu’uncœurbriséetdessouvenirsamers.Ces sombres pensées ne cessèrent de la hanter jusqu’à son retour à l’abri de son appartement.Alorsseulement,elles’effondrasursoncanapéetpleuraàchaudeslarmes.
Ses sanglots ne se calmèrent qu’une fois le soir tombé. Comme souvent lorsqu’elle se sentaitdéprimée,elleouvritlaporte-fenêtreetcontemplalameràsespieds.Lalunenes’étaitpasencorelevéeetleslumièresdelavillesereflétaientsurlerivage.
Lavuedecetteeaucalmeauxrefletsbleusl’attira.Elledescenditjusqu’àlaplage.L’endroitétaitdésert.Seulelahoules’amusaitencoreaveclesgalets,lesfaisantroulerinlassablement.Ellemarchaunmoment au hasard avant de s’approcher du bord. D’un coup de pied, elle enleva ses chaussures.S’avançant encore, elle sentit les vagues lui lécher les orteils. L’eau était froide et elle frissonna.Tournant le dos à la promenade des Anglais, le regard fixé sur l’horizon, elle resta longtemps sansbouger. Elle s’imprégna de la sérénité environnante et se laissa bercer par le bruit du ressac. S’étanthabituéeàlatempératuredel’eau,elles’avançaencore.Lamerluiarrivaitauxgenouxquandunepoignedeferserefermaautourdesatailleetlatiraviolemmentenarrière.
–Qu’allais-tufaire,malheureuse?Paralyséedesurprise,ellereconnutlavoixd’Eliot.–Toi!Ellebattitdespaupièresplusieursfois,cherchantàrecouvrersesesprits.Ilsetenaitdeboutfaceà
elle;uneexpressionfurieusefigeaitsestraits.–Qu’est-cequetufaislà?demanda-t-elled’unevoixétranglée.–Jesuisvenutesauver.–Mesauver,moi?Dequoi?Inquiète,elleexaminalaplageautourd’elle,cherchantledangerquilamenaçait.–Tuniesquetuvoulaistesupprimer?Il la dominait de toute sa hauteur. Son regard ombrageux semblait la transpercer. Il la serrait
toujourscontrelui,presqueàluienfairemal.–Me«supprimer»…,répéta-t-elleincrédule.Savoixn’étaitplusqu’unsouffle.–Tuvoulaistenoyer.Heureusement,jesuisarrivéàtemps.Ellesecoualatêteavecvéhémence.–Non!Jamaisjeneferaisunetellechose.Jamais.Illaconsidérauninstant,fouillantsonregardpouryliresesvéritablesintentions.–Quefais-tulà,alors?–J’avaisbesoindemarcher,dem’aérerlatête.–Seulesurcetteplage?–Jeterappellequetuviensdemelicencier.Ilnesemblapasavoirentendusadernièrephraseetdemanda:–Cen’étaitqu’unesimplepromenade?
–Évidemment!Rassuré,ildesserrasonétreinte,maislagardaprisonnièredesesbras.– Et toi, qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle, suspicieuse. J’ai cru comprendre que tu ne
voulaisplusentendreparlerdemoi.Ladernièrefoisqu’ilss’étaientvus,ill’avaitchasséedesonbureausansménagement.–Jesuisvenuteparler.Soncœurcognafortdanssapoitrineetsagorgedevintsèche.–Tuasd’autresinsultesàproférer?Personnellement,j’aieumoncompte.–Nesoispasstupide!fit-il,excédé.–Demieuxenmieux:maintenantjesuisstupide!–J’allaissonnercheztoiquandjet’aivuetraverserlarouteendirectiondelaplage.–Ettuascruquej’allaismesuicider?Faceàsonsilenceéloquent,ellepoursuivit:–Tuaspenséquej’allaismesupprimerparcequetum’aslicenciée?C’estquetumeconnaisbien
mal!–C’estexactementça:jepensaisteconnaître.Ladéceptionperçaitdesavoix.
***
Contre toute attente, Fanny éclata de rire.Mais c’était un rire sans joie, qui le blessa bien plusprofondémentquesiellel’avaitabreuvéd’insultes.
–Vraiment?Toutçaparcequenousavonspasséunenuitensemble?Eliot eut l’impression de recevoir un uppercut en plein estomac. Il vacilla et recula d’un pas.
Commentpouvait-elleêtreaussicynique?Jusqu’aubout,ilavaitespérésetromper,maisellevenaitdeconfirmer ses soupçons. Elle l’avaitmanipulé et n’en éprouvait aucun regret. Lemonde autour de luisemblas’écrouler.Ilsecoualatêtepourrepousserlemalaisequilegagnait.
Chapitre16
–Combien?demandaEliotdansunmurmure.–Dequoiparles-tu?–Combient’ont-ilspayée?–Qui«ils»?Etpayerquoi?Ilmarchaverselle,l’airmenaçant.–Nejouepasl’innocenteavecmoi!Çanemarcheplus.–Laisse-moitranquille.–Pastantquetunem’auraspasditàquituasvendulesinformations.Ils’avançaetelle tressaillitautantàcausede lacrainteque lui inspiraitsonexpressionfarouche
quedupuissantmagnétismequ’ildégageait.–Pourquoim’as-tutrahi,Fanny?Derrièresacolèreperçaituneinflexiondouloureuse.–Tutetrompes.Jen’aijamaisvoulutenuire,j’enseraisparfaitementincapable.–Jeveuxsavoir!Ellereculad’unpas,effrayée.Sonregardétaitmouillédelarmes.–Va-t’en,articula-t-elle.–C’esthorsdequestion!Jesuisvenupouravoiruneexplicationetjel’aurai.Est-cetoiquiesà
l’originedeceplanoun’es-tuqu’uneintermédiaire?Fannysecoualatêteensigned’incompréhension.–Pardon,dit-ilalors,je…Jem’excuse.Jenevoulaispast’effrayer.–Commentnepasl’être?Jemarchaistranquillementsurlaplagequandtumetombesdessuspour
m’accuserdetouslesmauxdelaterre.
***
Sepourrait-ilqu’ellenesoitaucourantderien?Ledoutes’insinuadansl’espritd’Eliot.Ilvoulaittellementcroirequ’elleétaitcettefemmeparfaitedontilétaittombéamoureux!
–Jeviensd’apprendrequ’unecompagnieconcurrenteveutacheterlescréneauxhorairesentreNiceetBarcelone.Précisémentceuxquim’intéressent.
–Enquoiçameconcerne?–Jet’aisurprisedansmachambreentraindeliredesdocumentsconfidentiels.–Ceuxquiétaientsurlatablebasse?
Ilhochalatête,scrutantsonvisageavecappréhension.–Cespapiersétaientrédigésenespagnol.Jen’aijamaisappriscettelangue.DurantleurséjouràBarcelone,illuiavaiteneffetservid’interprète.–Tun’aspasvenducesinformationsconfidentiellesàlaconcurrence?–Pourquoiest-cequejel’auraisfait?–Pourl’argent.–C’estridicule!–Beaucoupauraientétéattirésparl’appâtdugain.–Jen’auraisjamaisrienfaitquipuissemettreAirProvenceenpéril.–Cen’estdoncpastoiquiesàl’originedesfuites?C’étaitplusuneconstatationqu’unevéritablequestion.–Jenesuisniuneespionneniunetraîtresse,contrairementàcequetuasl’airdepenser!–Tun’asdoncpascouchéavecmoipourmesoutirerdesinformations?Laboucheouverteetlesyeuxécarquillés,elleenrestasansvoix.–Sicen’estpastoi,quiatransmiscesrenseignementsàl’autrecompagnie?–Pas…Pasmoi.–Qui?–Jen’enaipaslamoindreidée.Tuessûrdetescontactsespagnols?–Oui.–Ilsconnaissenttesprojets.–Maisilsontautantàperdrequemoi,danscetteaffaire.Illevalatêteetfixalecield’encre,réfléchissant,repassantleschosesenboucle.–Jedoisretourneraubureauettoutvérifier,déclara-t-ilfinalement,entournantlestalons.Remontant la grève d’un pas rapide, il regagna sa voiture et démarra dans un vrombissement de
moteur.
***
Restéeseulesur laplage,Fannyn’enrevenait toujourspas.Eliotétaitvenujusquechezellepourl’accuserd’espionnage!Convaincudesaculpabilité,iln’avaitpasmâchésesmots.Elleavaitsouffertdesaduretéetdesonmanquededélicatesse.Elles’étaitsentie insultéeetsalieparsesaccusations.Ellecomprenait à présent les raisons de son brusque licenciement. Toutefois, si Eliot était revenu sur sonopinion,ilneluiavaitpasproposéderéintégrerAirProvencepourautant.
Qu’allait-elledevenir?Eliotétaitentréenforcedanssavie.Ilavaittoutbalayésursonpassage,faisant voler en éclats la retenue glacée derrière laquelle elle se dérobait. Dans ses bras, elle étaitdevenuedenouveauunefemme.Maisbrusquement,illuiavaittoutretiré,l’accusantdupire.Elleallaitdevoirapprendreàvivresans luietelle ignoraitsielleenétaitcapable.Surcetteamèreconstatation,elle regagna son appartement. Les immeubles de la Promenade s’élevaientmajestueusement, semblantveillersurl’unedesplusbellesavenuesdumonde.Maisquiveilleraitsurelle,àprésent?
Aprèssadouche,elleregagnasonlit,nesefaisantguèred’illusions.Malgrélanuitbienavancée,ellesavaitquelesommeillafuirait.Depuissonweek-endàBarceloneavecEliot,savieétaitàjamaisbouleversée.Elleéprouvaitàsonsujetdessentimentsmêlés.Impressionnéeparsaforceetsoncharisme,effrayéemême,elleavait toutfaitpour l’éviter.Maisonn’échappaitpasàEliotEndrieu.Derrièresoncaractèrebientrempé,elledevinaitunhommedeprincipesetloyal.Ill’avaitchasséesansménagement,sousl’emprisedelacolère,puiss’apercevantdeladuretédesongeste,ilétaitvenulavoirpouravoir
avecelleunefrancheexplication.Latrouvantsur laplageetpensantqu’ellevoulaitsejeterà l’eau, ils’étaitprécipitépourlasauver.Sesqualitésdecœurétaientpasséesavantsafureur.Enfin,comprenantqu’elleétaitétrangèreàcecomplot,ils’étaitexcusé.Peut-êtretrouverait-ellelecouragedeluidemanderderevenirdansl’équipe?
Ellesesentaitmieux,àprésent,presqueapaisée.Seuleombreautableau:retourneràAirProvencesignifiaitrevoirBaptiste.Or,ilétaitladernière
personne qu’elle souhaitait rencontrer. Surtout depuis qu’il avait dit à Eliot qu’ils étaient amants.Cethommeprenaitsesrêvespourdesréalités!Saconduiteavaitétéguidéeparlajalousie.Ilavaitremarquéla relationqui senouait entreeux.Nepouvant le supporter, il avait inventécemensonge.Sabassessen’avaitaucunelimite.Sonespritnoirlepoussaitàcommettrelespiresactes.Jusqu’àsaboterlesprojetsd’Eliot?
L’idéefitsonchemin.Ellerepoussalesdrapsets’assitsurlelit.Était-ilpossiblequeBaptistesoitlecoupable?Uneautrequestionluivintaussitôtàl’esprit:pourquoi?Laréponseétaitévidente.Parcequ’ilferaitn’importequoipournuireàsonemployeuretrival.Sajalousiel’aveuglait.
Elledevaitenavoirlecœurnet!Voyantquelespremièreslueursdel’aubefiltraientparlafenêtre,elleseleva,déterminéeàconnaîtrelavérité.
Àcetteheurematinale,lesvolsd’AirProvencen’avaientpasencoredémarré.Elleétaitcertainedenecroiserpersonne.Elle sedirigead’unpas résoluvers lesvestiairesdeshommes.Rapidement, elletrouvalecasierdeBaptiste.Leseulquiportaituncadenas.Choseétonnante,carlaconfiancerégnaitauseindupersonneld’AirProvence, et personne ne fermait jamais son casier.Àmoins d’avoir quelquechoseàycacher…Seulement,ceverroun’arrangeaitpassesaffaires.Commentl’ouvrir?Découragée,ellesortitduvestiaireàlarecherched’uneidée.Danslehalldel’aérogare,elleavisaalorsunhommequiréparaitundistributeurdeboissons.Ilsemblaitcomplètementaccaparéparsaconversationaveclajeune fille qui travaillait chez le buraliste. Profitant de ce qu’il avait le dos tourné, elle s’approchasilencieusementetattrapalapairedepincesquidépassaitdesacaisseàoutils.Elle lui jetaunrapidecoupd’œilpours’assurerqu’iln’avaitrienremarquéet,lecœurbattant,retournadanslevestiaire.
Laculpabilitéluiétreignaitlapoitrine,maisellenepouvaitplusreculer:lavéritédevaitéclater.Ellevoulaitqu’Eliotsoitabsolumentconvaincudesoninnocence.Plusaucunsoupçonnedevaitsubsisterentreeux.
Elle dut s’y reprendre à deux fois avant de réussir à briser le cadenas. Enfin, elle put ouvrir lecasier.Elleydécouvrit ununiformede rechange,une troussede toilette, unmagazinedevoiture etunpaquet de biscuits. Rien d’autre. Une boule d’angoisse lui obstrua la gorge. S’était-elle trompée ?Baptisteneseraitpasletraîtrequ’ellesoupçonnait?Paracquitdeconscience,ellefouilladenouveaul’intérieurducasier.Elleattrapalemagazinepourlefeuilleteretuneliassedepapierstombaàsespieds.Étouffantunjuron,elles’accroupitpourlesramasser,etconstataqu’ilsétaientécritsenespagnol.
–Qu’est-cequetufaislà?s’exclamaunhommedanssondos.EllesursautaenreconnaissantlavoixdeBaptiste.Cedernierembrassaimmédiatementlascènedu
regard,ducasierouvertauxfeuillesqu’elletenaitàlamain.–Tum’espionnes?Unsouriresardoniqueétiraseslèvres,conférantàsonvisageuneexpressioncruelle.Sasilhouette
massivedevantlaporteinterdisaittoutefuiteàFanny.–C’esttoi,n’est-cepas?dit-elledansunsouffle.Ils’avançaetluirepritdoucementlesfeuillets.Puis,sansunmot,illesreplaçadanssoncasier.Il
fronçalessourcilsenconstatantqu’elleavaitfracturélecadenas.–Tuesunefemmepleinederessources!
Étonnamment,ilsemblaitplusadmiratifqu’encolère.Fannydécidadetirerpartidecetavantage.–J’aiétérenvoyéeàcausedetoi,dit-elle,s’efforçantdemaîtrisersarépulsion.–C’estcequej’aiapprisetj’ensuisdésolé.Jenevoulaispastenuire.–Pourquoias-tufaitça,alors?–Jenesupportaisplusquecebellâtred’Endrieutetourneautour.Ilneteméritepas.–Commenttuaseucesdocuments?–Lundimatin,lorsqu’ilestrentrédeBarcelone,jesuisallélevoirpourdéplorernosconditionsde
travaildifficiles.–Pourquoi?Nousn’avonsjamaiseuànousplaindre.–C’étaitjusteunprétextepourl’énerver.Fannydéglutitpéniblement.Baptisteétaitencoreplusabjectqu’ellenel’avaitsoupçonné.–Ilm’areçu,maisilm’afaitpoireauterpendantqu’iltéléphonait.Jesuissûrqu’ill’afaitexprès.
Alorsqu’ilme tournait ledos, j’ai jetéuncoupd’œilauxdocumentséparpillés sur sonbureau. Je lisl’espagnoletj’aivitecomprisl’intérêtdecesboutsdepapiers.
Aufuretàmesuredesesexplications,lesyeuxdeFannys’écarquillaientd’effroi.–Àlapausedéjeuner,j’aiattenduqu’ilquittesonbureaupouryretourner.J’aiphotocopiécequi
semblaitintéressantetj’aitouttransmisàunecompagnieconcurrente.–Commentas-tupufaireunechosepareille?demanda-t-elled’unevoixblanche.–Jel’aifaitpourAirProvence.Notrecompagnien’apasbesoindecetype.Nousétionstrèsbien
sanslui!Jel’aifaitaussipourtoi.–Pourmoi?–Oui,j’aibienremarquéqu’iltetournaitautour.Fannysesentitdéfaillir.Quesavait-ilexactement?–J’aibiencomprisqu’entantquesubordonnée,ilt’étaitdifficilederefusersesavances.Àprésent,
tuserastranquille.Ilnet’embêteraplus.–Je…C’estgentildetapart…Malgréleprofonddégoûtqu’illuiinspirait,elleseforçaàsourireetessayadedonnerlechange.Il
fallaitabsolumentqu’ellesoitconvaincante.Assezpourqu’illacroiereconnaissante.Jusqu’àcequ’ellequittelesvestiaires.Ellen’avaitqu’uneidéeentête:sortirdecepiègeetavertirEliot.
–Cependant,ilyaunvraisouci,dit-elle,enprenantl’airembarrassé.Ilpensequec’estmoiquiaimanigancécettehistoireetilm’alicenciée.
–Jen’avaispasprévuça,jel’avoue.Dansungesteréconfortant,ilposasesmainssurlesépaulesdeFanny.Ellefituneffortsurhumain
pournepassedégagerbrusquement.Ildevaitcroirequ’elleétaitdesoncôté,jusqu’àcequ’ellegagnelasortie.
–CequiprouvequecetEndrieuestvraimentstupide!cracha-t-il,pleindedédain.Iln’arienàfaireàAirProvence!Personne,misàpartlui,nepourraitcroirequetupuissesêtredéloyale.
Il partit d’un rire terrible qui la fit frissonner. Sentant l’affolement la gagner, elle cherchadésespérémentunesolutionpours’enfuir.Ilallaitfinirparsedouterqu’ellejouaitlacomédie.EtDieuseulsavaitdequoicethommeétaitcapable!
–Effectivement,j’aiétévraimentstupidedepenserqueFannyPerraultpuisseêtredéloyale.Lavoixquiavaitprononcécettephraseétaitfroideetpleinedecolère.Baptistesetournad’unbloc
etdécouvritEliotsurlepasdelaporte.– C’est tout à votre honneur de vous inquiéter de l’avenir de Fanny, reprit-il, s’avançant d’une
démarchesouple,presqueféline.Surtoutqu’elleaperdusonemploiàcausedevous.
LevisagedeBaptistesedécomposa.–Je…Jesuissûrqu’onpeuts’arranger,bégaya-t-il.–Rassurez-vous,Mlle Perrault sera réintégrée dans l’équipe, poursuivit Eliot d’une voix calme,
tropcalme.–C’estunetrèsbonnechose,repritBaptiste,unsourirehypocriteauxlèvres.–Parcontre,vousdevriezvousinquiéterpourvotreavenir,àprésent.Baptistedéglutitavecdifficulté.Eliotmarchasurlui,uneexpressionsauvagesurlevisage.–Rentrezchezvous.Vousnefaitespluspartiedelacompagnie.–Cesontdesmenaces?–Non,c’estl’exactevérité.VousnetravaillezpluspourAirProvence.– Vous ne me faites pas peur ! s’écria Baptiste d’une voix aiguë. Je vous traînerai devant les
tribunaux!–Nevousgênezpaspourmoi.Jeseraismêmeraviquevousintentiezuneactionenjustice.–Pourquoi?– Parce que tout le monde découvrira vos agissements et vous aurez bien de la chance si vous
trouvezunpostesurlaCôted’Azur!BaptisteattrapaalorslebrasdeFannyetvoulutl’entraînerhorsdesvestiaires.–Viens,Fanny,allons-nous-en!–Non,dit-elle,leslèvresserrées.Illaregarda,décontenancé.–Jen’irainullepartavectoi!–Allons,nedispasdesottises.Tum’aimesetnoustrouveronsduboulotailleurs.–Tutetrompes,Baptiste.Jenet’aimepas.Jenet’aijamaisaimé.–C’estimpossible.–Toncomportementestinexcusable!–Tuasvraimentuncœurdeglace!Çan’estpaspourrienquetoutlemondet’appellelaprincesse
deSibérie.Elle grimaça, accusant le coup. Avec la satisfaction de l’avoir blessée, Baptiste sortit, une
expressionmauvaisesurlevisage.–Voilàunebonnechosedefaite!s’exclamaEliot.Cetypem’aétéinsupportabledepuisledébut.IlconsidéralecasierdeBaptiste.–Commentenes-tuvenueàlesoupçonner?demanda-t-il.–Iltedétestait.–Assezpour saboter l’entreprise qui l’emploie…C’est fascinant devoir jusqu’où la hained’un
hommepeutlemener.–Jediraisplutôtquec’esteffrayant.–Cependantcontretoi,iln’avaitaucunechance.Ilconsidéralecadenascisailléavecunsifflementadmiratif.Elleeutunepetitemoued’excuse.Illui
sourit,avantderetrouveruneexpressionempreintedegravitéetdeprendrelespapiers.Ilssortirentduvestiaireetregagnèrentlehallàprésentenvahiparlafouledespassagers.
–Etmaintenant?demanda-t-ellesansleregarder.–JeparsimmédiatementàBarcelonerassurermespartenaires.Elle hocha la tête. Cela signifiait qu’ils ne se verraient pas avant longtemps et que la situation
resteraitfloueentreeux.
–Aufait,quefaisais-tudanslevestiairedupersonnel?demanda-t-elle,espérantoubliersoncœurquiseserrait.
–J’étaisdansmonbureau,àl’étage,quandjet’aivuearriver.Jesuisdescendu,etcommejenet’aipastrouvéedanslehall,j’aisupposéquetuétaisdanslesvestiaires.J’aisuquej’avaisvujustelorsqueBaptisteyestentré.
–Pourquoi?–Iltesuitcommetonombre.CetypeestunevéritablebaliseArgos!Jen’aieuqu’àluiemboîterle
pas.–Ettuastoutentendu,complétaFanny.–Oui,c’étaitédifiant!–Àprésent,tuconnaislavérité.Ilsfirentquelquespasensilence,chacunplongédanssespensées.–Cen’estpeut-êtrepaslemoment,cependantilfautquejeteparle,Fanny.Unfrissonglacé laparcourut.Ellecraignaitque,malgré les révélationsdeBaptiste, ilneveuille
plusd’elleàAirProvence.–Jemesuis laisséaveuglerpar lacolèreet la jalousie,et j’ai faillicommettre lapireerreurde
toutemavie.–Laquelle?–Telaisserpartir.Ellel’enveloppadesonregarddechat.L’espritencorechambouléparlesderniersévénements,elle
avaitdumalàréfléchir.– Les manigances de Baptiste nous ont presque séparés. Je tremble à l’idée qu’il aurait pu y
parvenir.Elleretenaitsonsouffle.–Jesaisquetuassouffertdetondivorce.Jesaisaussiquetuteméfiesdeshommesetquel’attitude
déplorabledeBaptisten’apasarrangéleschoses.Maisjesaisaussiquejet’aime.Sadéclarationétaitsiinattenduequ’ellen’encrutpassesoreilles.Soncœurétaitgonfléd’unetelle
joiequ’illuisemblaitqu’ilallaitexploser.–Jet’aimecommeunfouetjeveuxpasserlerestedemavieàtescôtés.Elleouvritlabouchepourparler,maisillafittaireenposantsonindexsurseslèvresourlées.–Nedisrien.Prendstouttontempspourréfléchir.D’ungestetendre,illuicaressalajoue.–Hélas,jedoisyaller.IlfautquejesoisàBarceloneleplusrapidementpossible.Déjà,ilsedétournaitd’ellelevisagegrave.–Jet’attendrai,cria-t-elledanssondos.Ilfitvolte-faceetlaconsidéraavecattention.–Jeserailààtonretour.Jet’aime,Eliot.Enuneenjambéeilfutdevantelle,ladominantdesahautesilhouette.–ViensavecmoienEspagne,souffla-t-il,leslèvrescontrelessiennes.–Oui.–Épouse-moi.–Oui.Lesyeuxbrillantsdemalice,illuioffritalorsunsourirevictorieuxetpleindereconnaissance.Ilse
pencha sur elle et s’empara de sa bouche. Elle se pressa contre lui, les doigts encadrant son visage.Jamaisellen’avaitétésiheureuse.
– Je t’aime tant, murmura-t-il contre son oreille. Je ne ferai jamais rien qui te blesse. Je seraitoujourslàpourtoi.Jeprendraisoindetoi.
–Jelesais.Ils échangèrent unbaiser plein de fougue et de promesses.Les passagers qui allaient et venaient
danslehallleurjetaientdesregardsamusés.Laplupartsouriaientdevantletableaudébordantd’amourqu’ilsoffraient.
Un bagagiste d’Air Provence passant par là les aperçut. Sans attendre, il appela ses collègues.Rapidement, tout le personnel les entoura et un tonnerre d’applaudissements résonna sous les hautsplafondsdel’aérogare.
–J’espèrequetunesouhaitaispasquenotrerelationrestesecrète,murmuraEliot.Jecroisqu’ilvafalloirpartagerlabonnenouvelle.
–J’assumetouteslesconséquencesdemesactes.Tuverras,bientôt,tuconsidéreraslesemployésdelacompagniecommetafamille.
–Pourquoipas?J’aimeraiségalementfondermaproprefamille.Situesd’accord…Lesourireradieuxqu’elleluioffritétaitlaplusbelledesréponses.
Épilogue
–C’estàvous,madameEndrieu,ditlemairedeNice,arborantsagrandeécharpetricolore.IlprésentaàFannyunepairedeciseauxdorés.Elles’ensaisitavecgrâceetcoupalerubandevant
lehalldel’aérogare,inaugurantainsil’ouverturedelanouvelleligneaérienne.Vêtued’uneéléganterobeEmpireunpeuample,ellesepositionnaàcôtédesonmari.Eliotbombaletorse,aussifierdesaréussiteprofessionnellequedesasijoliefemme.Ilpassalamainautourdesesépaulesenungesteprotecteur.
AprèslatrahisondeBaptiste, ilavaitdûnégocierserréavecsespartenairesespagnols.Iln’avaitpascomptésesheures.MaislaprésenceetlesoutiendeFannyluifaisaientoubliersafatigue.Elleétaitlafemmequ’ilavaitattendueetespérée.
Lorsque les choses s’étaient enfin calmées, ils s’étaient mariés à Nice. S’ils avaient voulu unecérémonie civile en toute discrétion, ils en furent pour leurs frais : l’équipe d’Air Provence au grandcompletétaitprésente.Lamairienepouvaittouslescontenir.Fannyavaitraison:lesemployésétaientunpeuleurfamille.
Enfin,vintlejouroùilputofficiellementouvrirlanouvellerotationversBarcelone.Lapresseettoute la bonne société niçoise étaient présentes pour célébrer l’événement. Un véritable succès !Cependant,s’ilavaitbataillédurpourenarriverlà,cen’étaitpaslaplusbelledesesvictoires.
–Tun’espastropfatiguée,machérie?chuchota-t-ilàl’oreilledeFanny.–Non,çava.–Tuveuxt’asseoir?–Net’inquiètepas.Toutvabien.–Sijamaistutesens…–Eliot ! le coupa-t-elle gentiment. Je ne suis pasmalade, je suis simplement enceinte de quatre
mois.–Jeveuxjusteprendresoindetoi.–Jesaisettulefaistrèsbien.Elleposauntendrebaisersurseslèvres,avantd’ajouter:–Jet’aimetellement!Illapressacontreluiavantquelemaireneviennelechercherpourqu’ilprononcesondiscours.Il
auraitaimépouvoirévitertoutescesmondanitésetresterseulavecFanny.Maisilfutdédommagé,quandilvitdanssesyeuxverts toutl’amourqu’elleavaitpourlui,unamourdontilneselasserait jamais.Ilavait hâte de tenir leur enfant dans ses bras. Il avait tant de choses à lui dire et, pour commencer,commentilavaitvusamamanpourlapremièrefoisunsoird’été,enItalie.
HarlequinHQN®estunemarquedéposéeparHarlequinS.A.
©2015HarlequinS.A.
Conceptiongraphique:ThomasSauvage
RTimages/icholakov
ISBN9782280340519
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpublié avec l’autorisation de HARLEQUIN BOOKS S.A. Cette œuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres, lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationdel’auteur,soitutilisésdanslecadred’uneœuvredefiction.Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, des événements ou des lieux, serait unepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.
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