Contextes - n6- Qui a Lu Boira

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COnTEXTESRev ue de sociologie de la littrature

n6 | septembre 2009 : Qui a lu boira

De lalcool lcriture, et vice versaGENEVIVE BOUCHER ET PASCAL BRISSETTE

Entres d'indexMots-cls : Alcool

Texte intgral1

De la coupe la lettre, de lalcool linspiration, les points de passage sont multiples et de div ers ordres. La chanson boire et limagerie du pote ex alt par le v in ne sont que les manifestations les plus familires, les plus attendues de cette association premire entre alcool et criture. La citation suiv ante, tire de Pangyrique de Guy Debord, montre dj que dautres angles du problme sont couv rir :Quoique ay ant beaucoup lu, jai bu dav antage. Jai crit beaucoup m oins que la plupart des gens qui criv ent; m ais jai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boiv ent. [] On conoit que tout cela m a laiss bien peu de tem ps pour crire, et cest justem ent ce qui conv ient : lcriture doit rester rare, puisque av ant de trouv er lexcellent il faut av oir bu longtem ps1 .

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Ce nest plus ici liv resse dun Nelligan chantant sa romance sous un ciel dorage; ce nest mme plus lalcool apollinairien qui accompagne le sujet ly rique moderne dans la dambulation urbaine et biographique. Il sagit dun alcool au contraire dmy thifiant, tourn contre la sacralit de linspiration et lestablishment ; un alcool qui sintgre, non sans drision, la posture dun criv ain asocial et malheureux qui trouv e l ex cellent dans le refus des biensances. Cest lalcool pris av ec habitude et rsolution, consomm la fois comme un moy en de distiller lcriture et de se distinguer par le refus de la bonne conduite. Ds quil est question dalcool, il est en effet question de conduites (bonnes ou mauv aises) et, partant, de limites et dex cs. Cest lune des conclusions

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importantes mises en lumire par Hlne Barrire et Nathalie Pey rebonne, ditrices des actes dun colloque tenu en 2001 lUniv ersit dArtois et portant sur liv resse dans la littrature 2. Des diffrents tex tes publis dans ce collectif ressort lide que le thme de liv resse apparat, dans les tex tes didactiques, lgislatifs ou littraires, lorsquil est question de dfinir la relation des indiv idus la communaut ou de certains groupes v is--v is dautres groupes 3. Il fait galement surface cest la deux ime conclusion importante du v olume lorsque lcriv ain rflchit lcriture ou se donne en reprsentation dans ses uv res. Cest Hugo assoiff du v in de linfini , le punch chez Hoffmann qui signale la coupure du sujet et de lobjet du dsir, ou liv resse qui libre lcriture chez Gide ou qui, encore, dclenche des mcanismes de production dimages chez Baudelaire. Le prsent numro ne porte pas sur le thme de liv resse, mais sur les alcools qui peuv ent ou non y conduire, sur les rapports entre criv ains (quelquefois par le truchement dun sy stme de personnages) et la boisson. Les deux problmes sont apparents et souv ent lis, labus dalcool conduisant gnralement lbrit et, partant, la modulation des rapports entre lindiv idu et la collectiv it au sein duquel il v olue. Mais laccent, dans le prsent numro, est moins mis sur les consquences de la consommation que sur la consommation elle-mme, sur les formes et les lieux de sociabilit quelle implique et sur le sy stme connotatif associ aux ty pes de boisson consomms dans tel ou tel contex te. Il sagit moins de reprer les limites ou dtudier les reprsentations de lex cs que dinterroger les associations et les v aleurs accordes aux alcools dans le monde et les tex tes littraires, ou encore dans le discours public. Dans cette perspectiv e, trois grands ax es ont t reprs et ex plors par les diffrentes contributions rassembles ici. Une premire section sattache aux sociabilits littraires : la consommation dalcool y est aborde comme une pratique qui cimente la posture collectiv e des groupes littraires tout en influenant leur esthtique. Ce ty pe dapproche est bien illustr par larticle de Dav id V ry daghs consacr au groupe surraliste, aux conduites de v ie en matire thy lique et aux rfractions potiques de ces conduites, cest--dire leur retraduction dans des tex tes comme Mon corps et moi de Crev el ou Le mauvais plaisant dAragon. Dav id V ry daghs montre que la consommation dalcool, dj problmatique dans les conduites de v ie (Weber) v alorises au sein du groupe surraliste, donne lieu des potiques contradictoires une fois intgre aux uv res issues du groupe. Cest galement dans cette perspectiv e quAnthony Glinoer et Michel Lacroix tudient respectiv ement la bohme et le groupe des situationnistes : les reprsentations thy liques dploy es dans les uv res en disent long sur les sociabilits littraires de ces groupes et, surtout, sur la posture collectiv e quils prennent soin de construire. Alex andre Trudel aborde aussi le rle que joue lalcool dans les groupes littraires, mais dans une perspectiv e plus esthtique que sociologique. Opposant la potique surraliste du rv e la potique de liv resse pratique par les situationnistes, il en v ient dgager les v isions du monde sous-tendues par liv resse. Une deux ime approche consiste tudier le rle de lalcool dans la construction ou la dconstruction de la figure de lauteur. Pascal Brissette fait dabord le point sur un my the littraire qui inflchit durablement les reprsentations auctoriales, celui du pote maudit. Pour Baudelaire, qui dfend les ex cs de Poe en la matire, la consommation drgle de v in est directement lie lex pression ex alte du gnie littraire. Elle a par ailleurs un rle capital jouer dans le my the du pote maudit en ce quelle participe lautodestruction et, partant, la maldiction du gnie. Bjrn-Olav Dozo

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sintresse la reconfiguration de ce my the littraire par les auteurs de la nouv elle bande dessine . En sappuy ant sur la sociologie du champ de Pierre Bourdieu, et sur la notion de posture (Viala, Meizoz), il montre que les bdistes contemporains dialoguent av ec la figure littraire du gnie alcoolis : selon une logique de distinction, ladhsion ou la prise de distance av ec cette figure en v ient traduire diffrents positionnements ditoriaux et esthtiques. Sophie Dubois aborde elle aussi la figure de lcriv ain alcoolique tel quil apparat dans Don Quichotte de la dmanche de V ictor-Lv y Beaulieu. Chez Beaulieu, lalcoolisme nest plus le signe du gnie littraire, mais bien celui de lalination de lcriv ain, qui en v ient incarner lalination politique et culturelle du peuple qubcois. Enfin, larticle de Mlanie Lamarre analy se la manire dont trois auteurs contemporains (Oliv ier Rolin, Jean Rolin et JeanPierre Le Dantec) rev iennent sur leur jeunesse militante trav ers la mtaphore de liv resse. Dans les uv res tudies, lalcool occupe une triple fonction : il sert penser les sociabilits militantes, av ec ses illusions et ses erreurs, reprsenter, dans un mouv ement rtrospectif teint de nostalgie, les aspirations rv olutionnaires des auteurs et dfinir, du moins chez Oliv ier Rolin, un projet esthtique. Un troisime ax e aborde les thmatisations de lalcool dans les uv res littraires, musicales et cinmatographiques de mme que dans liconographie. Les reprsentations de lalcool et de ses modes de consommation apparaissent comme autant de motifs trav ers lesquels se rfracte, plus ou moins directement, le discours social. troitement associ lidentit franaise, cest dabord le v in qui simpose lorsquil sagit dv oquer le patriotisme et ses drapages. Cest dans cette optique que Genev iv e Lafrance se penche sur limaginaire du v in dans quelques tex tes de la Rv olution franaise et quOliv ier Parenteau ex plore le motif du v in dans la posie de la premire Guerre Mondiale. Dans les deux cas, les reprsentations littraires du v in remodlent les discours env ironnants, quil sagisse des rev endications politiques des rv olutionnaires ou du discours belliciste du dbut du XX e sicle. Parce quelle condense de multiples connotations, la consommation dalcool se v oit ainsi associe, de manire souv ent aportique, div ers sy stmes idologiques. Larticle de Sy lv ain Dav id sur Le commando Pernod , une chanson du groupe punk Brurier Noir, le montre bien. Alors que la consommation ex cessiv e dalcool est souv ent perue ou rev endique comme un signe de marginalit cest notamment ce que mettent en v aleur les articles dAnthony Glinoer et dAlex andre Trudel , elle est associe, chez Brurier Noir, au conformisme mdiocre du beauf et au fascisme ordinaire des bistros populaires. Ltude de la thmatisation de lalcool dans les uv res permet enfin de faire ressortir les fonctions confres sa consommation. partir dune enqute lex icale et statistique, V ronique Montmont tudie les reprsentations de lacte de boire dans cinq romans des annes cinquante soix ante-dix et en conclut que, de manire rcurrente, les pratiques thy liques ont comme fonction de serv ir de cadre aux sociabilits, de mettre en scne les conflits entre les classes sociales et daccompagner la destruction des personnages. Marguerite Chabrol sintresse aussi aux reprsentations de la consommation (abusiv e) dalcool, mais dans un autre mdia, le cinma. Sattachant la fonction des scnes div resse dans la comdie classique amricaine et au sy stme de v aleurs qui sy construit, elle met en lumire les discours idologiques et les cliv ages sociaux qui se dv oilent trav ers elles. Cest galement aux fonctions de lalcool dans le discours que sintresse Laurette Chteau : selon une approche smiologique et linguistique, elle tudie limaginaire discursif et iconique du v in en France et les diffrentes

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my thologies aux quelles il donne lieu. Quest-ce qui se consomme ? Dans quel cadre ? Av ec qui ? Selon quel rituel ? Pourquoi ? Telles sont en somme, non toutes, mais les principales questions aux quelles cherchent rpondre, en ciblant div ers corpus, les diffrents articles rassembls dans ce numro. Celui-ci est issu dun colloque qui sest tenu lUniv ersit McGill les 1 er et 2 nov embre 2007 , sous lgide du Collge de sociocritique de Montral. Quil nous soit permis de remercier ici les assistantes de recherche qui nous ont aids dans le trav ail ddition (Laurence Ct-Fournier, Audre Whilelmy ), les collgues du Collge qui ont particip lorganisation du colloque (notamment Y an Hamel), ainsi que le Doy en de la Facult des Arts de McGill, qui nous a offert un soutien financier cette occasion.

BibliographieDebord (Guy ), Pangyrique, tome premier, Paris, Gallim ard, 1 9 9 3 (1 9 89). Livresse dans tous ses tats en littrature, tudes runies par Hlne Barrire et Nathalie Pey rebonne, Artois, Artois Presses Univ ersit, 2 004.

Notes1 Debord (Guy ), Pangyrique, tome premier, Paris, Gallim ard, 1 9 9 3 (1 989 ), p. 4 2 et 4 5. 2 Livresse dans tous ses tats en littrature, tudes runies par Hlne Barrire et Nathalie Pey rebonne, Artois, Artois Presses Univ ersit, 2 004. 3 I bid., p. 7 -8.

Pour citer cet articleRfrence lectro nique

Genevive Boucher et Pascal Brissette , De lalcool lcriture, et vice versa , COnTEXTES [En ligne], n6 | septembre 2009, mis en ligne le 25 septembre 2009, consult le 09 avril 2012. URL : http://contextes.revues.org/index4455.html

AuteursGenevive Boucher Universit de Montral / Universit Paris IV-Sorbonne Pascal Brissette Universit McGillArticles du m m e auteur

Un verre de trop [Texte intgral] Consommation alcoolique de Chatterton VerlaineParu dans COnTEXTES, n6 | septembre 2009

Pote malheureux, pote maudit, maldiction littraire [Texte intgral] Hypothses de recherche sur les origines dun mytheParu dans COnTEXTES, Varia

Droits d'auteur Tous droits rservs

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n6 | septembre 2009 : Qui a lu boira

Des cafs aux dancingsLa conduite de vie surraliste en matire thylique et ses rfractions esthtiquesDAVID VRY DAGHS

Entres d'indexMots-cls : Surralism e, Aragon (Louis), Conduite de v ie, Noctam bulism e, Prism e, Crev el (Ren)

Texte intgral1

Comme la plupart des collectifs dont les membres sont unis par un objectif commun, le groupe surraliste franais a rgul son activ it de plusieurs faons. Ses efforts en ce sens furent notamment dordre organisationnel, av ec par ex emple la cration dun Bureau de recherches surralistes ou la tenue de runions rgulires au caf ; ils eurent galement lieu dans le domaine esthtique, av ec notamment la dfense du merv eilleux et de la posie 1 ; ils portrent enfin sur les comportements des uns et des autres, av ec la v alorisation de pratiques au dtriment dautres. Cest ce dernier phnomne qui retiendra notre attention ici. Souv ent nglige par les spcialistes du surralisme, ltude des normes de comportement en v igueur dans le groupe permet pourtant dclairer certains aspects de son esthtique. Cet article propose den faire la dmonstration en interrogeant lharmonisation des comportements thy liques dans le groupe de Breton au cours des premires annes de son ex istence. Procdant en deux temps, on dtaillera dabord le fonctionnement de ce mode de rgulation laide du concept de conduite de v ie emprunt Max Weber ; on analy sera ensuite quelques tex tes surralistes rfractant dans leurs choix potiques et esthtiques les ambiv alences de la conduite de v ie groupale en matire thy lique.

Quest-ce quune conduite de vie ?

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La notion de conduite de v ie apparat dans les trav aux de Weber sur les sectes protestantes des tats-Unis 2. Le sociologue allemand y observ ait que, lorsquun nouv eau v enu demandait faire partie dune de ces sectes, il faisait aussitt lobjet dune enqute. Celle-ci portait sur les dispositions thiques juges indispensables par la communaut daccueil pour en faire partie (par ex emple lardeur au trav ail, la sobrit, la matrise des motions, la fidlit conjugale, etc.). Lex amen de ces qualits se poursuiv ait aprs lacceptation du nouv eau v enu et concernait tous les membres, de sorte quil remplissait, en plus dune fonction dintgration, un rle de rgulation de lactiv it collectiv e. Dans le tex te de Weber, lex pression conduite de v ie tait employ e pour dsigner lobjet de cet ex amen (soit lensemble des aptitudes priv ilgies par une secte donne). Par ex tension, on emploiera ce terme pour rendre raison dun mode de rgulation de lactiv it collectiv e fond sur la slection et la v alorisation de comportements au dtriment dautres. Ainsi dfini, le concept de conduite de v ie est aisment mobilisable pour ltude des groupes littraires 3. Quel que soit le collectif env isag 4, lv aluation des qualits des nouv eaux entrants et des affilis ne se fait pas en rfrence une norme ex plicite, dpose dans un tex te (un manifeste par ex emple), mais en fonction dun ensemble de manires de faire, de sentir, de parler, de se tenir v alues positiv ement dans et par le groupe. Les comportements v aloriss restent de la sorte largement implicites. Pour autant, cette caractristique du fonctionnement dune conduite de v ie ne doit pas laisser penser que ses constituants chappent aux consciences indiv iduelles. En effet, comme les membres dun groupe ont t socialiss av ant dintgrer celui-ci, ils ne peuv ent qutre conscients, en raison de leurs ex priences passes, de la particularit du microcosme dans lequel ils sont appels v oluer. Ds lors, toutes les attitudes sont possibles env ers une conduite de v ie, de la croy ance en la ncessit de sy conformer son rejet pur et simple. Comme le notait dj Weber, lv aluation de la conformit des comportements indiv iduels la conduite de v ie groupale est le fait du collectif dans son ensemble, et non dun leader5. Tous les membres dun groupe donn doiv ent ainsi prouv er sans relche leurs pairs quils ont les qualits ncessaires pour en faire partie. Cette dy namique est dautant plus ncessaire que les constituants de la conduite de v ie ne sont pas arrts une fois pour toutes : ils se prcisent et se nuancent au fur et mesure des changes et des ex priences (positiv es ou ngativ es) qui surv iennent au cours de la v ie du groupe. Enfin, les effets dune conduite de v ie ne se limitent pas une uniformisation (relativ e) des comportements. Ce mode de rgulation de lactiv it collectiv e a galement des rpercussions esthtiques et potiques. Il constitue ainsi un des prismes du littraire par lesquels la socialit dun tex te se constitue 6.

La consommation dalcool dans le groupe surraliste : aspects dune conduite de vie6

La consommation de boissons alcoolises est un fait courant et bien accept dans le groupe surraliste, du moins tant quelle reste modre. Les surralistes se montrent en effet assez mfiants dev ant liv resse rpte. En tmoignent par ex emple les accusations de v eulerie et de lchet portes fin 1 924 par luard lencontre de Roger V itrac (elles taient motiv es par

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lalcoolisme du futur auteur de Victor)7 . Le groupe rprouv e galement lbrit recherche des fins littraires, par ex emple pour ses v ertus diony siaques 8. Comme le souligne la prface au premier numro de La Rvolution surraliste, lalcool ne doit aucunement remplacer linconscient dans ce rle : [] nous ne buv ons pas, nous ne fumons pas, nous ne prisons pas, nous ne nous piquons pas et nous rv ons, et la rapidit des aiguilles des lampes introduit dans nos cerv eaux la merv eilleuse ponge dfleurie de lor 9. De manire gnrale, ces deux principes sont tacitement admis par le groupe au complet. Seuls quelques accrochages ont lieu (comme entre luard et V itrac), mais ils nengagent le collectif quedans la mesure o celui-ci a dav antage conscience dune norme aprs lincident (il en prend parfois seulement conscience ce moment-l). Il est toutefois un domaine o le dbat fait rage chez les surralistes. Il concerne les lieux o il conv ient de boire. Lalcool, cest connu, se consomme souv ent en public, au sein de sociabilits multiples (familiales, professionnelles, amicales, etc.). Tant que cette boisson est ingre dans un espace semi-priv (lappartement des Breton ou le caf o le groupe tenait ses runions 1 0 ), aucun surraliste ne trouv e y redire. partir du moment o la consommation mme modre dalcool a pour cadre les sociabilits noctambules de la capitale, elle fait question. Cest donc une pratique impliquant la consommation dalcool le noctambulisme et non lalcool luimme qui est ici en jeu (on v erra toutefois que ces deux lments sont intrinsquement lis, do limportance dtudier le second ici). Plusieurs attitudes coex istent dans le groupe env ers le noctambulisme. Quelques surralistes le pratiquent assidment 1 1 , sans pour autant porter un regard identique sur cette activ it. Dautres en rev anche nprouv ent que mfiance ou dgot lv ocation de ces plaisirs. la diffrence de lalcoolisme, cette pratique nest donc pas collectiv ement rprouv e, nous rappelant quune conduite de v ie natteint jamais une sy stmatisation trs av ance ; que, par consquent, les ambiguts et les ambiv alences y sont lgion, engendrant tensions et conflits. Cest au cours de ces diffrends que, progressiv ement, un collectif se dfinit, dsignant comme insupportables ou apprciables des comportements propos desquels il ne stait pas interrog au pralable. Ay ant repr deux camps au moins parmi les surralistes, v oy ons maintenant sur quoi ils saffrontent. Hormis Aragon et Crev el dont les positions, complex es, seront ex amines plus loin , les noctambules attendent principalement de cette pratique quelle les mette en contact av ec le jazz, cette musique en libert 1 2 , la danse et les amies lux ueuses 1 3 quils retrouv ent ou rencontrent dans les bars. Sils prouv ent parfois de la lassitude ces sorties Leiris surtout, qui crit dans son journal, la date du 21 mars 1 925 : Zellis, Shamleys, Kileys, Fred Paynes, Grand Duc, cest toujours la mme chose depuis bientt trois mois 1 4 , ils en esprent le plus souv ent dtente et plaisir. Parfois aussi ils recherchent linspiration potique dans ces errances nocturnes :Quallions-nous chercher au fond de la nuit, au bout de la nuit ? Ctait, dune m anire gnrale, gcher son tem ps. [] Une certaine m anire dapprcier les tem ps m odernes av ec un v ague lm e de haute poque rom antique, une tendance donner un sens adm irable la friv olit, la quasi-certitude que la posie se fait partout sauf dans lapplication bureaucratique. Dans le silence daprs la fte, si drisoire, elle scrira si elle doit scrire. Et si elle ne scrit pas, tant pis. Le fait dagir de m anire draisonnable tait dj de la posie1 5.

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Sil ne faut pas perdre de v ue quil sagit ici dun rcit de souv enirs et quil est par consquent sans doute question, dans lesprit de Baron, de donner rtrospectiv ement un sens plus noble une activ it qui nen av ait peut-tre pas, il faut aussi remarquer que la justification employ e confusion de la posie et de la v ie et, par corollaire, refus de lcriture conue comme un trav ail ; assimilation du noctambulisme une rv olte contre le milieu social dorigine est bien faite pour tre reue par les surralistes, puisquelle reprend des arguments qui leur sont chers. En somme, mais aprs coup (rien ne dit toutefois quil nen fut pas de mme dans les annes 1 920), Baron cherche faire admettre que ces sollicitations ex trieures 1 6 au surralisme y ramenaient toujours (ou, du moins, ramenaient le pote la posie). La prcision est importante quand on sait que le surralisme demande de la part de ses adhrents une implication de tous les instants : [il] ne permet pas ceux qui sy adonnent de le dlaisser quand il leur plat 1 7 , crira Breton dans le Manifeste de 1 924 ; Hors du surralisme, point de salut , rpondra Baron non sans ironie 1 8. En somme, il sagit de v oir si le noctambulisme peut tre tenu pour une activ it surraliste ou pas. Pour la plupart des noctambules, la coex istence, v oire la fusion de ces pratiques ne fait pas problme. Il en v a autrement pour leurs dtracteurs. Andr Thirion a bien sy nthtis les raisons de leur mfiance dans ses souv enirs : La rue du Chteau et la rue Fontaine 1 9 av aient la mme horreur pour les dbordements de la bohme artistique qui les env ironnait lune et lautre. Lusage de la drogue, lhomosex ualit taient lobjet de rprobation []. Le libertinage tait mal v u, la griv oiserie proscrite 20 . Ce nest donc pas tant le noctambulisme qui est condamn que les dbordements aux quels il peut conduire : v ulgarit, dpendance aux stupfiants et dgradation phy sique, dgnrescence mentale (lhomosex ualit tait assez largement perue de la sorte dans le groupe 21 ), etc. Jacques Baron pointe encore une autre raison la suspicion dune partie du groupe env ers ce mode de v ie : Breton nous reprochait nos emplois du temps : de rencontrer des personnes qui ne lui plaisaient pas, de passer des nuits entires au Buf sur le Toit et on se saoulait av ec des gens que ctait pas la peine La corde tait souv ent un peu tendue et il y av ait des points de rupture ici ou l 22 Si la logique de distinction prsente dans les champs culturels ex plique en partie le refus bretonien de la v ie nocturne 23, il conv ient aussi de remarquer que celui-ci prov ient tout autant dune conception ex clusiv e du surralisme : pour cet opposant au noctambulisme, il ne fait aucun doute que cette pratique na rien de surraliste et compromet chez ceux qui sy liv rent lincorporation des qualits espres en les ex posant aux ex cs de toutes sortes. Lobjet du conflit est bien, en dfinitiv e, la dfinition de lcriv ain surraliste : soit le noctambulisme est admis, et le surraliste peut se liv rer aux plaisirs de la nuit en toute quitude mais il risque alors dtre confondu, v oire de se confondre av ec les bohmes ; soit il est condamn, et le surraliste partage av ec le pote sy mboliste on sait que Mallarm et les sy mbolistes eurent une grande importance dans la formation littraire de Breton et dans sa conception du surralisme 24 le souci de sloigner du v ulgaire, en loccurrence de latmosphre snob, quasi mondaine de Montparnasse 25 . Aucune des deux options ne simposera av ant 1 929, malgr la dsapprobation de Breton. Que le pape du surralisme soit incapable dimposer ses v ues nest au fond pas surprenant. Cest mme l une particularit des conduites de v ie : un homme seul ne peut obliger un collectif refuser une srie de comportements quand bien mme il y occupe une position de tte. Sur le chapitre du noctambulisme, Breton tait assez impuissant faire entendre sa

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v oix , tant isol dans ses conv ictions (seul Artaud condamnait les plaisirs nocturnes av ec plus de fougue que lui26, mais il ne partageait pas son dsir dtre constamment surraliste, menant en parallle des activ its dacteur de thtre et de cinma). Par ailleurs, les noctambules, plus nombreux , se recrutaient dans toutes les fractions du groupe (Aragon, Baron et Crev el taient des habitus de la rue Fontaine, Leiris de la rue Blomet, Duhamel et les frres Prv ert v iv aient rue du Chteau) ; en cela, ils imposaient plus largement leur point de v ue. Cependant, la v alorisation dun comportement au dtriment dun autre au sein dun collectif ne dpend pas seulement du plus grand nombre. Dans le cas prsent, sil ne faut pas surestimer le rle de Breton au point den faire un leader incontest, on ne doit pas v erser dans lex cs inv erse et minimiser le pouv oir sy mbolique que sa position dans le groupe confrait ses propos : sil ne fut pas le pape que lhistoire littraire retient, il fut un des leaders du mouv ement et son thoricien le plus accompli ; et cela lui donnait une prcellence lui permettant de rendre problmatique une conduite accepte par la plupart. Ainsi, av ant que le groupe ne se v ide de ses noctambules, pour la plupart ex clus ou partis en 1 929, les plaisirs de la v ie nocturne continuent dopposer les surralistes. La conduite de v ie du collectif est donc partiellement inefficace sur cette question, puisquelle ne parv ient pas rguler les comportements des uns et des autres. Les tensions engendres par ces rats de la conduite de v ie se rpercuteront dans la faon dont les surralistes v ont reprsenter la consommation dalcool et ses lieux , dont le Paris nocturne.

La consommation dalcool dans les textes surralistes : les rfractions dune conduite de vie18

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Est-ce parce que lalcool tait un objet dcriture trop banal leur y eux depuis quApollinaire av ait consacr ce terme comme un quiv alent de la posie moderne 27 ou est-ce parce quils risquaient, en en parlant, dtre confondus av ec les chantres littraires du noctambulisme (les Morand, Carco, etc.) ? Toujours est-il que les surralistes ont peu crit lalcool. Hormis quelques tex tes automatiques o ce ty pe de boisson fait figure dindice du lieu de lcriture (le plus souv ent un caf)28, lalcool est gnralement absent du rpertoire thmatique et mtaphorique des surralistes. Relay ant les propos des prfaciers de La Rvolution surraliste, les criv ains du groupe ont galement v it de faire de lalcool une source dinspiration quiv alente linconscient. Si lex prience tenta toutefois certains dentre eux , seul Michel Leiris sex cuta dans Aurora, longue rv erie langagire o lalcool est tour tour accs une ralit cache, mtaphore de linspiration ou encore source de cinesthsie. Mais peut-on v raiment parler dex cution ? Le manuscrit ne fut pas publi av ant 1 939 (Leiris ntait alors plus surraliste depuis longtemps) ; au moment de sa rdaction, en 1 926-1 927 , il fut seulement connu des quelques habitus de la rue Blomet, plus susceptibles dapprcier lquation que les autres surralistes puisquils recherchaient eux -mmes dans lalcool un renouv ellement du langage et des images potiques. Dans le caractre marginal de lcriture dAurora on v erra un effet de la conduite de v ie surraliste, condamnant par av ance ce ty pe de production.

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Sils ne sont gure plus nombreux , les tex tes consacrs au noctambulisme ont une plus grande v isibilit : plus longs et complex es que les tex tes automatiques, plus diffuss dans et parfois hors du groupe quAurora, ils sont enfin riches en problmes et positionnements, comme sil tait ncessaire pour leurs auteurs de rpondre par ces tex tes au dbat qui animait alors le groupe. Mon corps et moi de Ren Crev el (1 925) et Le Mauvais plaisant dAragon (1 927 ) ont encore un autre point en commun. Ils se situent gnriquement lintersection du roman et du tmoignage. Soit un genre honni29 et un genre auquel les surralistes, sans v raiment le pratiquer, ne sopposaient pas en raison de sa conformation lun des constituants les plus anciens et les plus essentiels de la conduite de v ie surraliste : le souci dauthenticit 30 . Ce choix potique ambigu on v erra bientt comment chacun des tex tes tudis en joue v ient de cette faon redoubler le caractre problmatique du sujet des rcits. Une analy se des reprsentations de la sociabilit des noctambules et des fonctions de lalcool dans celles-ci nous permettra de prciser ce qui est ici en jeu 31 .

In vino veritas : autoportrait de Crevel en noctambule repentant21

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Qualifi de roman dans le paratex te, Mon corps et moi court de ce fait le risque dentrer en infraction av ec les prescriptions potiques du Manifeste. Ce risque est dautant plus important que la prose analy tique de Crev el ne permet en rien au merv eilleux de se manifester. Cependant, le pacte de lecture se modifie ds le premier chapitre. Mtanarratif, celui-ci reprsente le lieu de lcriture : une chambre dhtel dans les Alpes de Sav oie, o le narrateur sjourne pour soigner ses nerfs aprs quelques annes de noctambulisme et de dbauches. Le souv enir fait immdiatement irruption dans le rcit de cette installation lhtel la fav eur du parfum pourrissant dune fleur accroche la boutonnire du narrateur. Celui-ci sengage alors dans la v oie de lcriture de soi, v oie quil ne quittera plus. Du roman annonc, on est donc pass lautobiographie. Celle-ci peut nanmoins tre celle dun narrateur fictif (donc demeurer elle-mme fictionnelle). Il nen est rien : pour le lecteur av erti de lpoque (un surraliste par ex emple), le sjour alpin du narrateur est celui que fit Crev el en 1 924. Dautres dtails sems par ce je au fil de ses souv enirs v iendront ensuite confirmer le dplacement initial de lhorizon gnrique. Quand, dans les dernires pages du liv re, le nom mme de Crev el apparat (MC, p. 1 45), le lecteur nprouv e aucune surprise. En pratiquant la confession et en assurant le lecteur de sa sincrit Ce que je v eux c[]est [] une v rit indniable comme un uf. La v rit. (MC, p. 99) , Crev el sloigne dcisiv ement du roman. v rai dire, Mon corps et moi nest pas une autobiographie classique : lauteur ne raconte ni son enfance ni son adolescence ; et il ne sattarde gure sur son milieu familial, ses tudes et ses amitis. Le liv re se prsente dav antage comme un tmoignage sur un milieu que lauteur connat bien pour av oir t un noctambule assidu av ant son retrait dans les Alpes. Constitu dune srie danecdotes issues des ex priences personnelles de Crev el desquelles celui-ci ex trait chaque fois une leon, Mon corps et moi se v eut aussi une qute de la v rit. Comme toute entreprise de ce genre, ce tex teachoppe sur un constat amer : le monde de la nuit auquel Crev el a sacrifi son nergie ne cesse de dcev oir ses attentes. Cela transparat ds les premires pages du rcit lorsque lauteur, se reprsentant accoud un bar, salue par ces mots le nouv el entrant :

Bonjour, esprit habill dun corps , jaim e cette form ule, la rpte. []. Une troisim e fois, je rpte : Bonjour, esprit habill dun corps , et donne ainsi la m esure dune nouv elle confiance qui v ient dentrer. Hlas ! le m alheur v eut que je sois tout juste en prsence dun corps qui se croit habill av ec esprit. (MC, p. 2 3 )23

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Au-del de la dception, le trait desprit du narrateur laisse percev oir la pauv ret des changes dans ces lieux et laspect de mascarade qui sen dgage. Paralllement ce constat, rpt tout au long du rcit, le narrateur fait tat de ses tentativ es pour atteindre une forme, mme phmre, de v rit. La plupart dentre elles se sont rv les tre des v oies sans issue, comme le montrent les rflex ions que Crev el consacre la sex ualit :Aprs des heures dans le lit de quelque autre, je hassais le corps lom bre duquel je v enais de reposer. galem ent, je hassais lesprit tranger nourri du m ien et qui dailleurs m ourrait au m oins quelques instants, de sen tre nourri , lesprit que jav ais cru m iroir o je ne m tais pas v u, o je ne m tais pas noy . (MC, p. 4 3 )

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La littrature choue pareillement dans cette qute de la v rit, en raison du caractre trop commun des mots dabord, mais aussi parce que lartiste semble toujours attir par le trav estissement. Crev el fait ainsi ce reproche Proust :Que Proust par exem ple ait fait dAlbert une Albertine, v oil qui m engage douter de luv re entire et nier certaines dcouv ertes qui m y furent prsentes chem in faisant. Bien que lauteur m ait paru assez peu soucieux des biensances et libre dentrav es conv entionnelles, il m est difficile de le croire proccup de la seule tude entreprise. Il sest souv enu des rgles de la civ ilit purile et honnte et, par la faute de sa m m oire police, la transposition com bine enlv e son uv re le plus fort de laction quelle et d av oir. (MC, p. 6 5)

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Dans ce monde o rgnent les simulacres, un moy en, progressiv ement, se fait jour pour atteindre une forme de v rit : labsorption de grandes quantits dalcool. Ce remde a, dans un premier temps, tout dune fausse piste comme ltaient la sex ualit et lart dans le sens o il semble ne jamais conduire qu loubli :Jentrais encore dans des endroits o lon danse, o lon boit, goulu dalcool, de jazz, de tout ce qui sole, et m e solais indiffrent ce que jentendais, dansais, buv ais, m ais heureux dentendre, de danser, de boire, pour oublier les autres qui m av aient lim it m ais ne m av aient pas secouru. (MC, p. 2 2 )

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Mais, si leniv rement peut av oir cette issue, sil est ncessaire pour participer au monde de la nuit comme le signale lex trait prcdent, les bars et dancings sont des endroits o lon boit , il permet aussi datteindre cette heure des penses libres o les noctambules, gorgs dalcool , sont trop las pour mentir encore et parv iennent ce point du temps o il est possible de se comprendre (MC, p. 68). Une v rit satteint de cette faon. Mais elle est phmre : dgriss, les noctambules assistent au retour de ces utiles mensonges qui [] retrouv ent leur couleur av ec le soleil (MC, p. 7 1 ). Aprs que les effets de lalcool se sont dissips, lalination refait toujours surface, comme le souligne cet autre passage : Hlas ! au petit matin, il ne restait que des v erres moiti v ids, nos frissons et des courants dair. V ous redev enez la crature frileuse dun monde

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dont tout lheure v ous ordonniez la ferie. (MC, p. 69) Labsorption dalcool est nanmoins la seule solution propose par lauteur en dehors du suicide, qui permet moins datteindre la v rit tant dsire que de mettre fin la mascarade. Dans Mon corps et moi, Crev el rejoint de cette faon la max ime antique in vino veritas , en prenant bien soin den nuancer la porte. Mais il entend aussi, en creux , donner raison Breton : le noctambulisme nest pas le mode de sociabilit dans lequel lamiti et lauthenticit, points cardinaux de la conduite de v ie surraliste, ont le plus de chance dclore. lheure o le groupe sorganise et se ferme sur lui-mme, son tmoignage rfracte les questions que la pratique noctambule posait au surralisme et y apporte des lments de rponse.

In vino libertas : autoportrait dun noctambule en romancier30

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lorigine, Le Mauvais plaisant dAragon ntait pas destin la publication. Commande du couturier et mcne Jacques Doucet lauteur du Paysan de Paris, ce manuscrit rdig en 1 926 a t retrouv par Aragon en 1 97 4 puis publi en rev ue lanne suiv ante av ant dtre intgr au Mentir-vrai en 1 980. On peut toutefois supposer quAragon, comme il en av ait lhabitude, en a lu des passages, sinon la totalit, au groupe surraliste. Par ailleurs, si Le Mauvais plaisant dev ait clairer Jacques Doucet sur les nuits de Montmartre, son contenu comme sa forme sadressent au groupe surraliste, qui en dev ient le narrataire principal. Le rcit est, comme chez Crev el, assum par un nonciateur rel, Aragon. Cela ne suffit toutefois pas lav er ce tex te du soupon de roman. Dabord pour une raison narratologique : comme le remarque Jean-Marie Schaeffer, un nonciateur effectif peut trs bien produire une nonciation fictionnelle 32. cela sajoutent, dans ce cas prcis, les effets ngatifs de lethos pralable dAragon dans le groupe surraliste 33. Lauteur du Libertinage y tait connu pour son got du roman ; son sty le v irtuose passait pour du raffinement desthte. Bref, Aragon faisait encore trop littrateur pour un groupe qui stait positionn contre la littrature institue. Limage dAragon dans le groupe tait enfin trouble par un souv enir discursif : celui-ci av ait dj employ un nonciateur rel dans Le Paysan de Paris sans conv aincre les surralistes prsents lors de la lecture quil en fit chez Breton du caractre testimonial de son tex te. Ceux -ci ny v irent en effet quun artifice supplmentaire et ex primrent leur rprobation dev ant le choix du roman et labondance des descriptions 34. En procdant nouv eau de la sorte dans Le Mauvais plaisant, Aragon suscite immdiatement la suspicion des siens. Contrairement Crev el qui sloignait rapidement et dcisiv ement du roman, Aragon laisse planer le doute en produisant une narration o le rfrentiel le dispute limaginaire. Lauteur se fait bientt plus ex plicite encore. Observ ateur du monde nocturne dont il est aussi un acteur, il affirme : Jai toujours eu plutt le got du romanesque que celui des romans. Montmartre me serv ait trs bien sous ce rapport. Cest pourquoi je nai gure quitt Montmartre. (MP, p. 592) Aragon prov oque de cette faon le groupe surraliste, en soctroy ant le droit de produire une nonciation fictiv e dans un genre le tmoignage o celle-ci est proscrite. Quand Crev el se pliait limpratif dauthenticit ex ig des surralistes, Aragon sen loigne. On peroit aussi ds cet nonc une diffrence entre les deux hommes, qui ne fera que saccentuer ensuite : quand Crev el regrettait linauthenticit du monde de

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la nuit, Aragon la loue en ce quelle est romanesque . Ce dfi aragonien est aussitt suiv i dun autre, puisque le tex te oppose deux sociabilits reprsentes dont lune est le support premier du surralisme. Aragon fait ainsi saffronter le monde des cafs, ces milliers de serres de la lenteur et de loisiv et (MP, p. 61 4) o le pote attend la merv eille, au monde de la nuit o le pote traque les manifestations du merv eilleux , v oire les suscite. En opposant ces sociabilits, ce sont aussi deux potiques quAragon confronte. La potique surraliste dune part : les cafs, o les images descendent sur le pote comme des confetti35 , sont le lieu idal de lcriture automatique. Dautre part une potique dissidente, v oulue et dfendue par Aragon : le romanesque dont il a dj t question et qui semble parfaitement son aise dans les dancings, ces temples de linstabilit (MP, p. 592). Ce mode potique, contrairement au prcdent, demande un trav ail dinterprtation de la part du pote, confront linstabilit du monde de la nuit.Lex pression dAragon fait sens lorsquon la met en regard des descriptions quil fait des noctambules ; ceux -ci sont des hommes et des femmes, des maquereaux et des gitons dont lidentit chappe aux observ ateurs. Une femme que le narrateur suit de bar en bar est le sy mbole parfait de ce ty pe de personnage : son identit de classe flotte entre la grande bourgeoise trimball[ant] des domestiques (MP, p. 596) et la parisienne des faubourgs, peuple jusquaux narines (MP, p. 596) ; son identit sex uelle est galement incertaine : Est-ce une gousse ? (MP, p. 595), se demande le narrateur plusieurs reprises ; mme sa nationalit chappe lobserv ateur : Franaise ou amricaine, qui peut le dire ? (MP, p. 595). Enfin, plusieurs passages animalisent les hommes et les femmes qui passent la nuit dans les bars. Ceux -ci dev iennent des endroits o les chev aux rompus v iennent boire (MP, p. 595), o v iennent boire v ers les 6 heures les grands fauv es des hauts quartiers (MP, p. 61 3). Cette labilit des tres et des identits nest pas, comme chez Crev el, associe une mascarade, mais est pour Aragon un stimulateur de fictions, ces personnages tant des gens bien romanesques (MP, p. 61 3) et suscitant chez lauteur le dsir de roman. Lusage des alcools dans ce tmoignage dAragon fait galement figure de brav ade adresse aux surralistes. Comme Crev el, Aragon accorde une grande place lalcool dans ce monde de la nuit. lment ncessaire cette sociabilit, lalcool nest pas quun dcor que lartiste se doit dex cuter parfaitement ; il joue des rles multiples. Dans une bote de nuit, lalcool est ce qui permet au my stre des indiv idus de se maintenir. Il leur donne tous un aspect semblable qui concourt lincertitude des identits dont il a t question plus haut : Tout est sourire, danse, et ni lamour ni lirrsistible perv ersit ne montrent leurs traits, la lueur du champagne (MP, p. 602). Autre effet, non moins considrable, de lalcool : il prcde et facilite les accouplements. propos dune femme qui Aragon et ses amis offraient boire, il crit : Droite. Iv re. At tendant que lun de nous tombt div resse son tour pour lemporter Dieu sait o. lhtel. (MP, p. 595) En maintenant les masques et les troubles identitaires, en facilitant le libertinage, lalcool est le moteur de la v ie nocturne mais il est, plus encore, celui de la fiction. Il entretient la confusion entre la biographie dont Aragon reconnat trs tt limportance pour son art potique et le fantasme. Le rcit sachv e en effet sur ce paragraphe :La ressem blance est [] un m y stre qui sent la flam m e. Vous rencontrez un cav e qui ressem ble v otre pre, cela v ous fait rire. Mais songez donc, quelquun qui ressem blerait ce nom qui nest

crit que dans v otre cur. Est-ce perm is ? Est-ce possible ? Com m e on com prend que ce seul ressort ait suffi faire v iv re presque toutes les fictions hum aines pendant des sicles et des sicles. (MP, pp. 6 1 7 -6 1 8)38

Dans Le Mauvais plaisant, Aragon ne cesse donc dappuy er l o a fait mal dans le groupe surraliste. Il prend la dfense du romanesque et du monde de la nuit quil v alorise ex plicitement par rapport lcriture automatique et au monde des cafs. En procdant de cette faon, il relance le conflit qui loppose Breton depuis les dbuts du surralisme sur la dfinition de celui-ci et cherche le soutien du groupe, allant mme jusqu citer les surralistes qui partagent ses nuits parisiennes. Comme Crev el av ant lui, il rfracte dans son tex te les dbats esthtiques et comportementaux qui agitent alors le surralisme et cherche orienter les rponses qui y seront donnes.

De la conduite de vie lesthtique39

Cette analy se arriv e son terme. Elle pourrait tre poursuiv ie et approfondie, en dpliant les dbats esthtiques et comportementaux qui sont connex es la question du noctambulisme (authenticit, fiction, matrise de soi, etc.) En ltat, elle permet nanmoins dapprcier combien il est important de tenir compte des pratiques dun groupe lorsquon cherche comprendre son esthtique, jamais aussi uniforme que les histoires littraires le prtendent, mais qui ne se rsume pas plus une prise de position dans le champ littraire de son temps.

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Meizoz (Jrm e), Lil sociologue et la littrature, Genv e, Slatkine, 2 004 . Molini (Georges) et Viala (Alain), Approches de la rception, Paris, Presses univ ersitaires de France, 1 9 93 . Nav ille (Pierre), Le Temps du surrel, Paris, Galile, 1 9 7 7 . Saint-Am and (Denis) & Vry daghs (Dav id), La biographie dans ltude des groupes littraires : les conduites de v ie zutique et surraliste , COnTEXTES, n o 3 , juin 2 008, m is en ligne le 2 3 juin 2 008, consult le 3 1 m ai 2 009 . URL : http://contextes.rev ues.org/docum ent2 3 02 .htm l. Schaeffer (Jean-Marie), Quest-ce quun genre littraire ?, Paris, Seuil, Potique , 1 9 89 . Thirion (Andr), Rvolutionnaires sans rvolution, Paris, ditions Robert Laffont, 1 97 2. Weber (Max), Lthique protestante et lesprit du capitalisme, Paris, Gallim ard, Tel , 2 003 . Weber (Max), Sociologie des religions, Paris, Gallim ard, Tel , 1 9 9 6 .

Notes1 La prom otion de cette esthtique et de la potique qui lui est associe (lcriture autom atique com m e accs im m diat linconscient assurant la cration dim ages inoues) perm et galem ent au surralism e de se distinguer trs tt des autres groupes dav ant-garde com m e de La Nouvelle Revue Franaise, qui occupe alors une position centrale dans le sous-cham p de production restreinte. Sur le positionnem ent progressif du surralism e lav ant-garde du cham p, on lira Bertrand (Jean-Pierre) et al., Approche institutionnelle du prem ier surralism e (1 9 1 9 -1 9 2 4 ) , Pratiques, n o 3 8, 1 9 83 , pp. 2 7 -53 et Bandier (Norbert), Sociologie du surralisme, Paris, La Dispute, 1 9 9 9 . 2 Ces trav aux sont publis la fin de Lthique protestante et lesprit du capitalisme, Paris, Gallim ard, Tel , 2 003 , pp. 2 55-3 1 7 . La notion de conduite de v ie apparat galem ent dans div ers textes de Max Weber runis en franais sous le titre Sociologie des religions, Paris, Gallim ard, Tel , 1 9 9 6 . 3 Pour plus de dtails sur ce concept et son utilisation, v oir Saint-Am and (Denis) & Vry daghs (Dav id), La biographie dans ltude des groupes littraires , COnTEXTES [En ligne], n o 3 , juin 2 008, m is en ligne le 2 3 juin 2 008, consult le 3 1 m ai 2 009 . URL : http://contextes.rev ues.org/index2 3 02 .htm l 4 Il faut nanm oins que le groupe soit de petite taille et que ses m em bres se frquentent rgulirem ent pour que ce m ode de rgulation soit efficace. Voir sur ce point Saint-Am and (Denis) & Vry daghs (Dav id), loc. cit. 5 Weber (Max), Sociologie des religions, op. cit., p. 1 4 4 . 6 Dans Approches de la rception, co-crit av ec Georges Molini, Alain Viala utilisait la m taphore du prism e pour penser les rapports entre une littrature et la ralit sociale dans laquelle elle apparaissait. Il en identifiait plusieurs : celui du langage, celui de lorganisation effectiv e du m onde littraire, celui du genre et celui de lauteur (Paris, PUF, 1 9 9 3 , pp. 1 83 -2 02 ). Jrm e Meizoz en a dnom br dautres sa suite dans Lil sociologue et la littrature : celui du m arch, celui des consom m ateurs ou celui des autres textes et discours (Genv e, Slatkine, 2 004 , pp. 4 7 -50). 7 Voir Bonnet (Marguerite), Andr Breton. La Naissance de laventure surraliste, Paris, Jos Corti, 1 9 88, p. 3 82 . En fait, la condam nation de lalcoolism e est un cas particulier dune caractristique centrale dans la conduite de v ie surraliste : la rpulsion env ers les excs de toutes sortes. Voir sur ce point Saint-Am and (Denis) et Vry daghs (Dav id), loc. cit. 8 Il faut ici faire rem arquer la singularit des habitus de la rue Blom et par rapport aux autres surralistes. Ceux qui frquentaient latelier du peintre Andr Masson (cest--dire Artaud, Leiris, Tual, Lim bour, Desnos) se dpeignaient v olontiers com m e des adorateurs du Diony sos de Nietzsche. Ils prirent toutefois leurs distances av ec cette philosophie de v ie aprs leur entre en surralism e, non sans m al parfois, pour se conform er aux norm es de m esure en v igueur dans le groupe de Breton. 9 Prface , La Rvolution surraliste, n o 1 , dcem bre 1 9 2 4 , p. 1 . 1 0 Ce caf, qui a chang plusieurs reprises, tait toujours un tablissem ent situ en dehors des quartiers les plus frquents par les criv ains. Le groupe sy retrouv ait

chez lui, sans autre com pagnie que celle des inv its occasionnels am ens par lun ou lautre de ses m em bres et celle des habitus du lieu. Cest pourquoi on fera du caf surraliste un lieu sem i-priv (cette dfinition ne conv iendrait pas pour les cafs littraires traditionnels, qui sont des lieux o les criv ains se croisent et schangent des inform ations). 1 1 Cest le cas, entre autres, dAragon, de Jacques Baron, de Max Morise, de Roger Vitrac, de Ren Crev el, de Michel Leiris. 1 2 Baron (Jacques), LAn I du surralisme, Paris, Denol, 1 9 69 , p. 1 7 3 . 1 3 Baron (Jacques) & Leiris (Michel), La rev endication du plaisir , La Rvolution surraliste, n o 3 , av ril 1 9 2 5, p. 2 5. 1 4 Leiris (Michel), Journal 1922-1989, Paris, Gallim ard, 1 9 92 , p. 9 5. 1 5 Baron (Jacques), op. cit., p. 1 7 8. 1 6 I bid., p. 1 7 3 . 1 7 Breton (Andr), Manifeste du surralisme, dans uvres compltes, t. I, Paris, Gallim ard, Bibliothque de la Pliade , 1 9 88, p. 3 3 7 . 1 8 Baron (Jacques), op. cit., p. 1 7 2 . 1 9 Par ces nom s sont couram m ent dsignes, dans les histoires du surralism e, deux fractions du collectif : les fam iliers de lappartem ent des Breton, sis rue Fontaine (Aragon, luard, Pret notam m ent), et ceux du dom icile de Marcel Duham el (les frres Prv ert, Tanguy , Pret encore, Queneau et dautres). 2 0 Thirion (Andr), Rvolutionnaires sans rvolution,Paris, ditions Robert Laffont, 1 9 7 2 , p. 9 8. 2 1 Voir sur ce point Saint-Am and (Denis) & Vry daghs (Dav id), loc. cit. 2 2 Baron (Jacques), op. cit., p. 1 4 3 . 2 3 En agissant de la sorte, Breton m aintenait pratiquem ent la distance que ses prises de position av ant-gardistes av aient cre dans le cham p de production restreinte entre son groupe et les potes m odernistes grav itant autour de Jean Cocteau. 2 4 Voir Breton (Andr), Entretiens avec Andr Parinaud, Paris, Gallim ard, Ides , 1 9 6 9 , o Breton lui-m m e rev ient sur sa lecture des sy m bolistes et sur lexem ple de leur v ie. 2 5 Thirion (Andr), op. cit., p. 1 50. 2 6 Pierre Nav ille sen souv ient dans ses m m oires : [Artaud] v ituprait le sexe av ec nergie. Il le m audissait chez les fem m es ; cest la tache noire de leur v ision am oureuse. Chez les hom m es, il y v oy ait le principe de tous les abandons et de la dchance. Masson raconte lune de ses interv entions : [] Aragon, Leiris et m oi tions fous de danses m odernes. Le pire, cest la nuit o Artaud [] fit irruption dans une bote de nuit populaire, trs m al fam e, et brandit sa canne sur nous : Que faites-v ous, dans un lieu pareil ? Nous tions trs em bts. Oh ! On est l parce quon ne peut pas se coucher ! Eh bien ! Allez ailleurs ! (Le Temps du surrel, Paris, Galile, 1 9 7 7 , pp. 1 51 -1 52 ). 2 7 On rappellera briv em ent que, si les surralistes ont dabord adm ir le pote dAlcools et des Calligrammes, ils ont rapidem ent cherch occuper la place laisse v acante par sa m ort en 1 9 1 8 en dv alorisant ses recherches potiques, accom plissant de la sorte un v ritable parricide (lexpression est chez Anna Boschetti dans La Posie partout, Paris, ditions du Seuil, Liber , 2 001 , p. 2 3 8 ; on consultera lanaly se que la sociologue fait de cet escam otage aux pp. 2 3 6 -2 4 3 ). 2 8 Cest par exem ple le cas du texte surraliste de Marcel Noll recueilli dans La Rvolution surraliste, n o 1 , dcem bre 1 92 4 , p. 7 . 2 9 On se souv ient de lanathm e que Breton jeta sur les rom ans dans le Manifeste de 1 9 2 4 , ne sauv ant que ceux qui taient trav erss par le souffle du m erv eilleux ; ainsi du Moine de Lewis. 3 0 Ce souci est sensible ds lexprience fondatrice des som m eils. Pour Breton, il fallait en effet que lendorm issem ent soit authentique pour que les phrases prononces pendant celui-ci aient une v ertu potique (v oir larticle quil consacre ces phnom nes dans Les Pas perdus, op. cit., pp. 2 7 3 -2 7 9 ). La v aleur accorde lauthenticit apparat encore dans la pratique rgulire du jeu de la v rit (chaque surraliste prsent dev ait rpondre sincrem ent aux questions qui lui taient poses, m m e les plus em barrassantes). Elle est galem ent sensible dans Nadja quand Breton dit trouv er une sav eur particulire de v rit aux anecdotes biographiques, seul dom aine o la personne de lauteur, en proie aux m enus faits

de la v ie courante, sexprim e en toute indpendance, dune m anire souv ent si distinctiv e (op. cit., p. 6 4 8). 3 1 On na pas retenu dans cette tude La Mort difficile, autre rom an de Crev el dont les personnages principaux sont pourtant des noctam bules. Il y a deux raisons cela. Dabord, la pratique du noctam bulism e est peine reprsente dans ce rom an qui pose surtout la question de la difficult rom pre av ec son m ilieu dorigine ; ensuite, la consom m ation dalcool ne joue pas un rle central dans la narration, o elle constitue une prov ocation parm i dautres que lance le personnage principal sa fam ille bourgeoise. 32 Schaeffer (Jean-Marie), Quest-ce quun genre littraire ?, Paris, Seuil, Potique , 1 9 89, p. 7 8. 33 Par ethos pralable, on dsigne en rhtorique lim age publique dune personnalit (criv ain, hom m e politique, etc.) prsente lesprit de ses auditeurs (ou lecteurs) av ant quelle prenne la parole (ou quelle soit lue). Cet ethos cre des attentes dans le public et oriente en partie la rception du nouv eau m essage. Voir sur ce point les contributions rassem bles dans I mages de soi dans le discours : la construction de lethos, sous la direction de Ruth Am ossy , Paris-Lausanne, Delachaux & Niestl, 1 9 9 9 . 3 4 Voir le rcit quAragon fit de cette lecture dans Je nai jamais appris crire, Paris, Flam m arion, Cham ps , 1 9 81 [1 9 6 9 ], pp. 52 -54 . 3 5 Ctait dans Le Paysan de Paris : On v ous donne un encrier de v erre qui se ferm e av ec un bouchon de cham pagne, et v ous v oil en train. Im ages, descendez com m e des confetti. Im ages, im ages, partout des im ages. Au plafond. Dans la paille des fauteuils. Dans les pailles des boissons. (uvres potiques compltes, tom e I, d. dOliv ier Barbarant, Paris, Gallim ard, Bibliothque de la Pliade , 2 007 , p. 2 03 .)

Pour citer cet articleRfrence lectro nique

David Vrydaghs , Des cafs aux dancings , COnTEXTES [En ligne], n6 | septembre 2009, mis en ligne le 18 septembre 2009, consult le 09 avril 2012. URL : http://contextes.revues.org/index4412.html

AuteurDavid Vrydaghs FUNDP NamurArticles du m m e auteur

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n6 | septembre 2009 : Qui a lu boira

Lorgie bohmeANTHONY GLINOER

Entres d'indexMots-cls : Posture, XIXe sicle, Alcool, Bohm e, Cam araderie littraire

Texte intgral Lorgie, la seule posie possible en ces temps de prosasme 1 Mais ici : fouette-toi dorgie 2 ! 1

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Il y a chaque fois quon sintresse la reprsentation de la bohme artistico-littraire une baudruche dgonfler parce quelle tend souv ent se regonfler. En tant quentit sociologique cense conjoindre dans une mme persona Ptrus Borel, Henri Murger, Priv at dAnglemont, V erlaine, Picasso et Charles Aznav our, pour ne parler que de la France, la bohme est une fiction de lhistoire littraire. Chronologiquement indfinissable, sociologiquement confuse, littrairement indcidable, la bohme forme une catgorie fourretout, une construction toutes fins utiles. Et pourtant, si elle ne cesse de filer entre les doigts de lhistorien, la bohme joue bel et bien un rle de premier plan dans les reprsentations dont lactiv it littraire et artistique fait lobjet aux XIX e et XX e sicles. Le portrait phy sique et social du bohme ty pique nous est demble familier et simpose mme en haut de la liste de nos imaginaires de lcriv ain et de lartiste : Costume trange, chev eux longs, ex istence au jour le jour, absence de domicile fix e, libert sex uelle, enthousiasmes politiques ex trmistes, penchant pour la boisson, pour la drogue, peu de got pour le trav ail rgulier, beaucoup pour la v ie nocturne 3 , etc. La bohme et le bohme, en somme, nous apparaissent mais nous chappent. Quest-ce que la bohme dans cette perspectiv e ? Rien de plus, mais cest dj beaucoup, quune posture collectiv e et aisment transfrable. Jemprunterai cette notion de posture Alain V iala (et plus rcemment Jrme Meizoz) qui la dfinit comme une manire singulire doccuper une position objectiv e dans un champ, balise quant elle par des v ariables sociologiques 4 . Pour le XIX e sicle franais, les v ariables sociologiques

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seraient, en un mot, la centralisation de lactiv it intellectuelle Paris, la chute du mcnat au profit dun march de ldition et de lart et la massification du personnel littraire. Le statut social et conomique de lcriv ain a t en effet profondment transform par la Rv olution franaise et lav nement du capitalisme bourgeois. Pour V oltaire encore, faire commerce av ec les diteurs reprsente un dshonneur. Attach un ou plusieurs grands seigneurs, v oire la personne roy ale elle-mme, lcriv ain de condition bourgeoise tire sa subsistance matrielle et sy mbolique du commerce av ec les aristocrates. Soutenue et entrane par les salons et les acadmies, la v ie littraire sarticule ainsi dans son ensemble sur la double logique du clientlisme et du mcnat 5. Au cours du XV III e sicle, le patronage saccrot et se div ersifie grce llargissement et la structuration de lespace mondain. Bnficiant dun plus large v entail de postes et de sincures, de pensions roy ales plus consquentes et en plus grand nombre, lcriv ain est plus compltement intgr ce sy stme qui, sil le maintient en dpendance, assure galement lautonomie de son activ it. En fait, la profession dcriv ain naurait gure v olu en un sicle si elle ne stait enrichie dune catgorie nouv elle, constitue dune masse largement proltarise qui doit av oir recours aux trav aux de librairie et de journalisme pour surv iv re, mme misrablement : cest la situation de ces Rousseau des ruisseaux 6 qui v a tendre par la suite se normaliser et se gnraliser. Annihile par la Rv olution, puis relance par lEmpire, la double logique du mcnat et du clientlisme surv it sous les rgimes postrieurs av ec son cortge de sincures, de gratifications et dhommages rtribus, mais elle ne concerne plus quune infime minorit de la population criv ante et ne fournit plus le cas chant quun rev enu dappoint. Nous ne sav ons plus, peut-on lire dans LArtiste en 1 832, ce que cest que ces protections de grand seigneur ou de financier ; plus de ces fav eurs abrutissantes, de ces pensions, de ces aumnes jetes lartiste par le riche ou le noble qui ne demandaient aux crations de lart que des dlasse ments, des amusements pour leurs loisirs 7 . Cest dune autre logique dont la position sociale et le destin de lcriv ain dpendent dsormais, celle du march des biens culturels, av ec son armada de prix littraires, de contrats ddition, phnomnaux ou plus souv ent modiques, ses pres luttes dinfluence av ec les nouv eaux dtenteurs des cordons de la bourse, etc. Lintroduction dune conomie culturelle de march a t un processus lent, itratif et agit de soubresauts, sans terminus a quo ni terminus ad quem. Dploy sur plusieurs sicles et reposant sur des v olutions dordre idologique et technologique, ce processus implique galement des transformations morphologiques majeures dans la population des criv ains qui connat une ex pansion dmographique norme (triplement entre le milieu du XV II e sicle et la fin du XIX e sicle). Le recrutement social des criv ains se fait au mme moment de plus en plus massif hors des classes oisiv es, en sorte qua merg, ds la fin du XV III e sicle, une intelligentsia proltarode 8 , faite de littrateurs chev els, dartistes dandy s, mais aussi demploy s de librairies et de bibliothques, un ensemble social composite regroupant autant de Joseph Prudhomme que de Joseph Delorme. Cest cette configuration sociale que se serait greffe la posture de la v ie de bohme av ec toutes ses v ariantes et tous ses artifices, un univ ers de papier, un rpertoire de looks, dethos, dairs que lon se donne v erbalement et non v erbalement. La bohme ex isterait donc depuis lors un double niv eau : comme ex pression dune crise de croissance permanente du champ littraire, cest--dire comme effet de champ, et comme concatnation de traits posturaux tels la jeunesse, la pauv ret, la collectiv it et les paradis artificiels.

Symposion et deipnon4

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Ralit la fois sociale, tex tuelle et imaginaire, la bohme peut donc se dfinir comme une posture collectiv e, cest--dire comme un rseau de figurations ent sur la position dun groupe social poly morphe. Cet ensemble de reprsentations a t constamment repris mais aussi reconfigur par les chroniqueurs, les peintres, les mmorialistes ainsi que par les bohmes eux mmes (la bohme des Buv eurs deau, la bohme de chic de Corbire, la bohme rimbaldienne, etc.) au cours des deux derniers sicles. La bohme sest dite autant quon la dite. Or lalcool, sous-entendu labus dalcool, constitue lun des agirs posturaux les plus souv ent sollicits par la bohme dans ses efforts dautoreprsentation gnralement fantaisistes, ex centriques ou semi-parodiques. Il ne sagit ici ni dun alcool triste ni dun alcool solitaire et dsocialis : seul dans son grenier ou son atelier, le bohme boit la mme eau que louv rier, en sorte quun topos (des buv eurs deau murgeriens, appels ainsi parce que leurs runions se terminaient par un grand v erre deau quon av ale pour sy mboliser lesprit dune socit o il ny a que de leau boire 9 , aux bohmes dAznav our qui ne mangent quun jour sur deux ) v ient prcisment contrebalancer lautre. La consommation alcoolique, dans le tex te bohme, participe au contraire dune sociabilit festiv e, aux contours dfinis, la topographie stroty pe quoique nomade (mansarde, caf, cabaret, etc.) et dans laquelle le bohme boit et mange sans retenue. Il se liv re une dbauch e dautant plus remarquable quelle signifie sa marginalisation sociale : sans le sou le jour, contraint la misre digne de lartiste v ou son art, le bohme jette dans la fte et lalcool ses deniers et ses forces. Cette scne de la v ie du bohme, je la dsignerai par la notion gnrique dorgie. Les scnes dorgie ne sont pas neuv es dans la littrature occidentale. Elles remontent au moins Catulle, Martial, Juv nal, au festin de Trimalcion dans le Satiricon de Ptrone et, de faon moins loigne, au carnav al rabelaisien de Gargantua. Dans chaque cas, comme la bien v u Elishev a Rosen, le thme orgiaque reconduit la distinction entre le banquet antique, le symposion, au cours duquel des conv iv es se runissent en v ue dun change philosophique, et le deipnon qui est son trav estissement satirique 1 0 . Dans le deipnon, le repas dev ient le principal centre dintrt ; on y mange et on y boit trop, ce qui permet denregistrer la dgradation progressiv e des apparences sociales trav ers celle des apparences phy siques. On sy empiffre, sy eniv re et ensuite on y parle, bruy amment et chaotiquement. Le roman de la v ie (ou de la societas) littraire, lpoque romantique,v a multiplier les scnes dorgie : Rien nest plus la mode quune orgie , fait dire Thophile Gautier lun de ses Jeunes-France dans Un bol de punch , et cet appel tous les camarades se lancent dans une orgie py ramidale, phnomnale [], folle, chev ele 1 1 destine galer celles mises en liv re, au cours des annes prcdentes, par le bibliophile Jacob (Un Divorce, histoire du temps de lEmpire, 1 832), Jules Janin (Barnave, 1 831 ), Eugne Sue (La Salamandre, 1 832) ou encore Balzac (La Peau de chagrin, 1 831 ). Premier en date et en retombes dans cette srie, La Peau de chagrin fournit av ec le festin de Taillefer lun des principaux modles aux quels lorgie bohme v iendra sabreuv er. Lpisode prend place la sortie de la boutique de lantiquaire : Raphal, renonant au suicide immdiat, a dcid de confier son destin la peau et de brler sa v ie par le plaisir. Il rencontre sur son chemin mile, autre journaliste, qui lui demande dentrer dans le comit de rdaction dun journal que lui et ses compres entendent fonder grce au financement du banquier

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Taillefer. Sensuit une orgie offerte par ce dernier. Le palais grandiose de Taillefer, o prend place lorgie, indique la fois la richesse insolente 1 2 du patron Taillefer et le pouv oir dont sont inv estis ses clients, ces caudataires selon le mot des Goncourt hommes anony mes, infods une grande ou petite clbrit 1 3 crass dordinaire de pauv ret et qui se v autrent pour loccasion dans le lux e et le stupre. Les lustres, largenterie, les tableaux , les parures des courtisanes, les mets et toutes les dpenses somptuaires tmoignent du processus de la transformation en marchandise de la littrature quobserv era Lukcs dans Illusions perdues 1 4 et dans lequel la bohme sorigine. Cest l une premire norme de lorgie bohme. Topos lgal de latelier finement tudi par Philippe Hamon1 5, le lieu de lorgie est rempli autant dobjets que de mots, et lhtroclite des uns rpond au dcousu des autres. Description et dialogue se rpondent adquatement, se contaminent mutuellement. Au cours de ce festin dont lambition est de surpasser les troites saturnales de nos petits Lucullus modernes 1 6 , les conv iv es plongent littralement dans lopulence. Cependant le v in ne tarde gure tourner laigre quand lorgie v ire au grotesque, au v aseux , v oire limmonde. Plus celle-ci se poursuit et plus, lalcool aidant, les beaux esprits perdent de leur superbe ; dans la confusion thy lique les mouv ements nont plus grand-chose dhumain : Les ressemblances animales inscrites sur les figures humaines, et si curieusement dmontres par les phy siologistes, reparaissaient v aguement dans les gestes, dans les habitudes du corps 1 7 . Dans le second acte de lorgie, jug bav ard par Balzac lui-mme, le phy siologiste littraire laisse libre cours aux dialogues les plus dcousus, au pandmonium poly phonique que commande la deux ime partie du programme du deipnon : cette mle de paroles, commente Balzac, o les paradox es douteusement lumineux , les v rits grotesquement habilles, se heurtrent trav ers les cris, les jugements interlocutoires, les arrts souv erains et les niaiseries, comme au milieu dun combat se croisent les boulets, les balles et la mitraille 1 8 . Au cours de ce sabbat des intelligences 1 9 trop arros, dans lequel se rfracte la comdie littraire et sociale des annes 1 830, les discours se v ident, aprs les bouteilles, de leur contenu. Par lentremise du sex e, de la nourriture et de lalcool, lorgie a transfigur les conv iv es en animaux incapables de discernement ou de cohrence dans le discours. Une dcennie plus tard, dans son grand roman de la v ie littraire, Balzac redonne v ie au chronotope 20 de lorgie dont il oppose lopulence laustrit et la sobrit absolue du Cnacle de Daniel dArthez21 . Trois scnes d orgie 22 ry thment Un grand homme de prov ince Paris , deux ime partie dIllusions perdues : la premire dentre elles a lieu chez Matifat, v ieux riche dont largent doit serv ir, ici encore, financer la fondation dun journal. Sous lil du Journal attabl, buv ant frais, joy eux , bon garon23 , Lucien de Rubempr crit l son pastiche de Jules Janin et engrange un premier succs parisien. La deux ime orgie se situe chez Lucien lui-mme et runit pratiquement tous les protagonistes du roman, membres du Cnacle compris. La troisime orgie est un repas triomphal pour lequel se retrouv ent, dans un restaurant, les cory phes de la presse roy aliste 24 . Cette dernire orgie marque le passage de Lucien la presse politique et annonce son ultime palinodie, qui le conduira reinter le roman de dArthez. Les codes du deipnon sont parfaitement respects. Dune soire lautre, lex cs de nourriture et de boisson ( tout le monde av ait remarquablement bien mang, suprieurement bu 25 ), les dclarations lemporte-pice ( la restauration du journalisme rsolue lunanimit par les rdacteurs qui noy rent toutes leurs nuances et toutes leurs ides dans un punch flamboy ant 26 ), les

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plaisanteries acerbes, les calembours, le dchanement de paroles sans suite, spcialement au cours de la soire chez Lucien et Coralie, puis enfin, les toasts se succdant, les scnes grotes ques par lesquelles finissent les orgies 27 . Le mode du bouffon domine lors du baptme de Lucien au nom du Timbre, du Cautionnement et de lAmende 28 , celui du sordide simpose quand il subit les suites honteuses de son hideuse iv resse 29 : Dans lescalier, Lucien faillit se trouv er mal, et fut ignoblement malade 30 . Toujours dans les annes 1 830, le groupe des Jeunes-France (Gautier, Nerv al, ONeddy , Borel, etc.) se rattribue la scnographie orgiaque (par lintermdiaire des orgies by roniennes de Newstead Abbey , dont Gautier confiera plus tard quelles av aient serv i de modle 31 ), faisant ainsi pntrer lalcool dans les figurations des sociabilits romantiques, jusque-l plutt imbibes de th ou de v in de messe. Dj, dans la srie darticles satiriques quil leur consacre dans Le Figaro, Lon Gozlan intitule un tex te Le festin des jeunes Frances 32 dans lequel il aligne les topoi satiriques qui ont fait le succs, depuis quelques annes, de la querelle de la camaraderie littraire 33. Tirant les leons de lorgie de La Peau de chagrin, le satiriste dtaille le menu ex otico-littraire des saturnales : Le jeune France aime la hure de sanglier, le filet de chev reuil sauv age, le paon aux larges ailes, leau parfume, les drageoirs et les hanaps 34. Quant sa soif, elle est aussi difficile tancher que sa faim : Quels v ins buv aient les anciens ? Les Chaldens, du Marotis. Vide Joseph. Les Grecs, du Lam psaque. Vide Strabon. Les Rom ains, du Cam panien. Vide Pline. Les Gaulois buv aient de leau. Av ez-v ous entendu, garon, page, troubadour ou v arlet ? Je ne puis serv ir ces m essieurs que du v in gaulois, du Mdoc, cachet v ert, du Haut Brion, ou du v in de grand-duc 35.

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Le concours drudition ne se poursuit gure et la cacophonie qui suit confine plutt la surenchre de mots nouv eaux et bizarres, romantiques en diable, de jurons mdiv aux dont la truculence montre que Rabelais nest pas loin ( Naze-de-cabre ! v ertu-buf ), dav eux de frntisme achev et grotesque ( agitons le punch av ec ce tibia dun ami enlev la fleur de lge ). Autant dtapes obliges de la scne dorgie cumules av ec les poncifs antiromantiques de 1 830. Or, les Jeunes-France eux -mmes, selon une stratgie qui leur est coutumire, conv ertissent la caricature en posture tex tuelle, redonnent v igueur au topos dont on les affuble. La lecture du Bol de Punch , lun des contes des Jeunes-France de Thophile Gautier, ainsi que celle du Pandmonium , pome inaugural de Feu et flamme de Philothe ONeddy (1 833) se compltent bien cet gard. Dans lun et lautre cas, le lieu de la sociabilit prsente un ensemble htrogne et htroclite, un bric-brac d objets de forme baroque et disparate 36 , un capharnam terrible bientt gal par le dsordre des paroles. clair par la gerbe de punch dcidment boisson oblige embrum par les v ingt calumets , latelier reprsent par ONeddy ne tarde pas accueillir un tourbillon dincohrentes phrases, / De chaleureux dev is, de tudesques emphases 37 . Et chez Gautier, [d]es jurements, des soupirs, des cris, des grognements 38 se succdent, av ant de simplement laisser la place une multitude de bruits, une cacophonie littraire faire rougir les deux pages donomatopes de LHistoire

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du roi de Bohme de Nodier 39 : Pan, pan ! [] Pouah ! Frou, frou ! Clac ! Ah ! Oh ! Paf ! Ouf ! . Comme de juste, un sommeil thy lique clt lorgie et tous les bruits finissent, enfin lunisson, par sabsorber et se confondre dans un seul, un ronflement magistral qui aurait couv ert les pdales dun orgue 40 . De Balzac aux Jeunes-France, deux ty pes dorgies, diffrents tout en rpondant aux mmes normes, se font face et correspondent chacun ce que Jos-Luis Diaz appelle des scnographies auctoriales concurrentes 41 . Le v iv eur balzacien sadonne, dans une posture dont les personnages de Musset auraient pu fournir dautres ex emples, une orgie dbride et quasi morbide 42. Quil dpense son propre argent ou celui de quelquun dautre, Raphal et Lucien consomment et se consument dans lorgie ; ils dpensent joy eusement et spectaculairement leurs meilleures capacits. Dsenchants ou coeurs par une socit (littraire) mdiocre, ils y suicident leur talent et leur indpendance. Lorgie jeune-France, bien quelle mette en scne dignobles truands festinant av ec les filles de joie 43 , sav re plus fantasque, plus lgre, mais tout aussi dsenchante. Parce quil ne cesse pas de sautoportraiturer av ec une ironie v orace et un dnigrement sans piti, parce quil se montre pleinement conscient dune obscurit quil peine grimer en maldiction, le Jeune-France v it, comme le v iv eur et un peu plus tard comme le bohme, dans le refus de la carrire artistique ou littraire. Pour lui nex iste que le prsent immdiat de lorgie et, dans le meilleur des cas, le futur idalis de la postrit.

Des Buveurs deau parisiens aux Six ponges montralaises11

Lauto-caricature ex centrique 44 rgira dans la suite du XIX e sicle la plupart des rcits o la bohme se met en scne. Les Scnes de la vie de bohme de Murger, en 1 848, en fournissent forcment pourrait-on dire un ex cellent ex emple. Murger, ancien membre et futur mmorialiste du cnacle des Buv eurs deau , ne manque pas en effet dagrmenter les Scnes dune orgie. Celle-ci a lieu ltage suprieur dun caf, modifiant ainsi par rapport Gautier et ONeddy le lieu priv ilgi de la sociabilit orgiaque, qui passe du priv (mansarde ou cnacle) au semi-public (caf ou restaurant). Comme de juste, les bohmes ex igent du punch, la surprise du garon. Parbleu, dit Rodolphe, cest aujourdhui, le rv eillon, nous sommes de bons chrtiens, il faut faire un ex tra. Un ex tra-liquide, sentend, sous la forme de champagne, et de beaune, et de liqueurs div erses 45 qui agrmentent le festin splendide 46 auquel se liv rent les compagnons :Depuis dix heures jusqu' m inuit le garon ne fit que m onter et descendre les escaliers. chaque instant on lui dem andait des supplm ents. Musette se faisait serv ir langlaise et changeait de couv ert chaque bouche ; Mim i buv ait de tous les v ins dans tous les v erres ; Schaunard av ait dans le gosier un Sahara inaltrable ; Colline excutait des feux croiss av ec ses y eux, et, tout en coupant sa serv iette av ec ses dents, pinait le pied de la table, quil prenait pour le genoux de Phm ie47 .

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Limmense succs des Scnes de la vie de bohme a pour longtemps fix la posture dune certaine bohme et les uv res qui sen empareront drogeront rarement aux normes de cette posture collectiv e. Ainsi, tandis que Charles Demailly (1 860) des Goncourt ninsiste gure sur les scnes dorgie, sans toutefois les omettre, La Maison de la vieille (1 894) les sy stmatise. Ce roman

cls crit par un Catulle Mends v ieillissant et acaritre entend railler linstitution mi-salon mi-bohme qua t dans les annes 1 860-1 87 0 le salon de Nina de V illard. Pour fustiger ce repaire o de jeunes et rv oltes intelligences se liv raient, fouettes par lalcool, toutes les dbauches de la pense 48 , selon le souv enir dEdmond de Goncourt, Mends reprend le procd satirique du mlange incongru : ici les numrations de plats, dlments de dcor, de morceaux de chair dv oils sentrecroisent 49 av ec des allusions parodiques aux inv entions de Charles Cros ( le Ty phlographe, la Quadrature de lazimut et de lalm icantarat, la Direction des montgolfires par un boulet de canon projet de la nacelle, le Phonographe, la Galactothrapie, []50 , aux hy mnes adresss en franais ou en latin la matresse de maison, etc. Chez Nina de V illard on boit, on mange, on peint, on crit, on parle et on fait lamour sans se soucier de rien ni de personne : Il y en a sept ou huit sur lescalier de la cuisine, se plaint la serv ante, ils sont dix dans le salon, qui, tout en dnant, peignent le dcor, et, dans les chambres den haut, on coud les costumes de la pice, en mangeant sur le pouce 51 . Le bel ordonnancement ainsi que le droulement bien rgl du salon mondain clatent et se dispersent dans les rages baroques de la bohme : Ah ! zut alors ! Eh ! le sculpteur ! Bracquelu ! Phidias ! Dpche-toi ! Bracquelu ! Carpeaux ! Michel-Ange ! Marchand de pltre ! Rem onte v ite ! Voil le pape ! Jai la ppie ! Thilde, passe m oi la carafe les deux ! Nom de nom ! En v oil une ide de les env oy er la cav e, ceux-l. Quand ils y sont, ils nen rev iennent plus. Ils boiv ent m m e la bonde des barriques52.13

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Dans cette maison, conclut Mends, mangeaille, buv aille et criaille 53 tiennent lieu de trav ail artistique et menacent lart pur incarn par un rfrent absent du roman : le cnacle parnassien. On stonnerait tort que, pour finir ce tour dhorizon des orgies bohmes figures, je rapproche les joy eux lurons de Murger aux timides tentativ es montralaises pour fonder, par la reprsentation, une bohme dans les annes 1 890 54. Il nex iste certes pas alors Montral de proltariat des lettres 55 correspondant aux positions habites par la bohme. La stratification ny est mme gure possible dans la mesure o il ny a pas de sous-champ de production restreinte disponible o dv elopper un rseau de relations proprement littraires et fortement hirarchises. Dans cette littrature liminaire 56 lcriv ain qubcois ne bute pour son malheur contre aucun autre criv ain, son tex te ne heurte aucun autre tex te. Le jeu des positions dans

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un tel champ ne peut stablir sur le mme mode qu Paris, dautant que les apprentis bohmes de Montral ne peuv ent se targuer de manger de la v ache enrage tous les repas et rev endiquer cette pauv ret digne mais ex trme quarboraient les bohmes de Murger 57 . Les bacheliers montralais qui se rassemblent v ers 1 895 connaissent plutt le malheur dtre ns riches : Presque tous ceux qui composaient le curieux cnacle [], crit Massicotte, taient fils de marchand ou de cultiv ateurs enrichis 58 . Ils sont, selon la ty pologie que donne Murger dans la prface des Scnes, des bohmes amateurs qui trouv ent la v ie de bohme une ex istence pleine de sductions : ne pas dner tous les jours, coucher la belle toile sous les larmes des nuits pluv ieuses et shabiller de nankin dans le mois de dcembre leur parat le paradis de la flicit humaine 59 . Le transfert de position sav re donc malais alors que Murger clamait lui-mme sans dtour que la Bohme nex iste et nest possible qu Paris60 . Et pourtant le transfert de posture dauteur nest que superficiellement grev par cette situation par trop non conflictuelle. De la bohme, il ne reste plus Montral que les oripeaux , mais cest bien suffisant. Le rapprochement entre Paris et Montral se justifie notamment par la persistance tant de lisotopie de la div e bouteille que de la scnographie orgiaque que sassocient les bohmes autoproclams. Le Club des six ponges, connu peine par quelques scnes publies dans le Journal des tudiants en 1 896 mais mis en v edette par tous ceux qui ont cherch les origines tav ernesques 61 de lcole littraire de Montral, se prsente comme une institution danti buv eurs deau, [] quune goutte deau du Saint-Laurent dans un v erre de cognac fait tomber en pamoison62 . Que nai-je la plume endiable dHenry Murger, pour crire des fastes aussi mmorables !!! , se plaint le rdacteur des Av entures v ridiques dun groupe dponges : au petit Procope ou dans la chambre dtudiants o ils se runissent, latmosphre se sature dhaleines de cocktails et dabsinthes de toutes sortes . Au cours de leurs saturnales 63 , une fois bien imbibes, les ponges font couler un dluge de paroles, prononces toutes la fois, afin de mieux se comprendre et se communiquer leurs impressions . Les mmes flots de punch et de paroles produisent la mme perte de contrle du discours : Gonfles comme elles ltaient, les ponges laissrent chapper le trop plein de leurs chagrins, en flots dloquence littraire, philosophique, psy chologique et psy chique mme 64 . De Paris Montral, dun bout lautre du XIX e sicle, la bohme sest crit par ce chronotope de lorgie, selon un mcanisme rpt ad nauseam : au cours de lorgie, qui se produit dans un lieu artistement dcor, les criv ains et les artistes mangent et surtout boiv ent trop : cette iv resse ex cessiv e prov oque la dgradation des apparences phy siques, dgradation qui elle-mme simule et stimule la dgradation des apparences sociales. Cependant, on ne fait pas que se saouler dans les orgies bohmes : on se rpand aussi en paroles, sur un mode bruy ant et chaotique. Chaque scne dorgie est le thtre dune poly phonie dsordonne, cest un lieu-parloir et un dfouloir discursif o se donne lire, sans bride, la condition sociale choisie et subie la fois par le Doctor Estaminetus Crapulosus Pedantissimus65, comme disait Baudelaire, et par ses congnres. Loin de se concev oir sur lunique mode de la fte, lorgie mise en scne reprsente en effet le refus, la fois subi (liv resse) et contrl (la rptition de la scne), des codes de conduite qui rglent les sociabilits littraires (le maintien digne des Buv eurs deau, llgance des buv eurs de th parnassiens et romantiques), et ce au nom dune logique de la marginalit. Au cours de lorgie, la parole dev ient certes drisoire, mais elle dev ient aussi drision du discours littraire consacr. Remplie de substance mais v ide de

son sens, la parole orgiaque subv ertit la parole littraire des cnacles dav antgarde et des salons mondains. Par la scne dorgie, la bohme sattribue une sociabilit figure de dessous de table, consubstantielle dun agir postural collectif en bute av ec le champ littraire tel quil sdifie.

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Notes1 Gautier (Thophile), Le Bol de punch , dans Romans, contes et nouvelles, dition dirige par Pierre Laubriet, Paris, Gallim ard, Bibliothque de la Pliade , 2 002 , t. I, p. 1 6 4. 2 Corbire (Tristan), Paris , dans Les Amours jaunes (1 87 3 ), Paris, Laffont, Bouquins , 1 9 80, p. 3 9 4 . 3 Seigel (Jerrold), Paris bohme. Culture et politique aux marges de la vie bourgeoise. 1830-1930, traduction dOdette Guitard, Paris, Gallim ard, Bibliothque des histoires , 1 9 9 1 , p. 2 1 . 4 Molini (Georges) & Viala (Alain), Approches de la rception. Smiostylistique et sociopotique de Le Clzio, Paris, Presses univ ersitaires de France, Perspectiv es littraires , 1 9 9 3 , p. 2 1 6 . Voir aussi Meizoz (Jrm e), Postures littraires : mises en scne modernes de lauteur, Genv e, Slatkine rudition, 2 007 . 5 Voir Viala (Alain), Naissance de lcriv ain. Sociologie de la littrature lge classique, Paris, Minuit, Le sens com m un , 1 985. Voir aussi Lilti (Antoine), Le Monde des sa