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ADJUTOR RIVARD CONTES ET PROPOS DIVERS

Contes et propos divers - bibebook.com · à voir rougeoyer le feu sous les coups de soufflet, et de l’enclume sonore ... Enfant, il apprit, à la petite école, à former des lettres

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  • ADJUTOR RIVARD

    CONTES ET PROPOSDIVERS

  • ADJUTOR RIVARD

    CONTES ET PROPOSDIVERS

    1944

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1788-3

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    Sources : Librairie Garneau Limite Bibliothque lectronique duQubec

    Ont contribu cette dition : Association de Promotion de lEcriture et de la

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    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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  • CHAPITRE I

    Prvient

    Q va sonner, il se produit dans le mcanisme,quelques instants avant le premier coup, un petit bruit de d-clenchement : cest le prvient de lhorloge. Ds quon lentend,on est averti, on est prvenu : lheure est la veille de sonner.

    Eh ! bien, ces quelques lignes ne sont, par manire de dire, quunesorte de prvient. Une prface serait trop importante ; un avertis-sement , trop solennel. Un simple prvient suffira pour faire connatremon dessein.

    Le voici : On trouvera, dans les pages suivantes, des souvenirs, tristesou gais, de choses anciennes, et qui nont dautre prtention que de rappe-ler des scnes et des personnes disparues, et aussi quelques propos tenusautrefois dans des discours depuis longtemps oublis.

    Sourires et larmes ! Joies et tristesses ! Mes souvenirs nont pasdautres objets.

    Sourires de lenfance, joies des amitis qui se prolongent, consolations

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  • Contes et propos divers Chapitre I

    de la foi, espoirs des demeures hospitalires, bonheurs et gats de la vie !Larmes, aussi, hlas ! larmes des adieux, tristesse des sparations,

    crainte des attentes vaines, angoisse des abandons et des longs oublis !Pourquoi rappeler ces souvenirs, mls des propos divers, des pen-

    ses parses, des discours sans suite ?Cest parce que, devenu vieux, je suis enclin redire les choses que je

    sais.Nul autre, sans doute, ny prendra dintrt.Cest pour moi, pour moi seul, que jcris ou transcris ces pages.Si quelquun savise de les lire, et quelles ne lui plaisent point, le

    voil prvenu : ce nest pas lui quelles sadressent, ce nest pas pourlui quelles sont crites.

    Au reste, ncrivant que pour moi, cest dessein que jai joint lespropos joyeux aux paroles srieuses. Ce dsordre me convient. La vieelle-mme nest-elle pas faite de plaisirs et de peines, desprances et deregrets, denthousiasmes et de dceptions ? Il ny a de paix sereine et dejoie profonde que dans llvation dune me au souffle de lEsprit.

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  • CHAPITRE II

    Le marchal

    A de la boutique, une enseigne se dtachait, o lonpouvait lire, entre deux fers cheval :LUC ROCHEFORTmarchal-ferrant

    Mme sans regarder lenseigne, les passants savaient dabord quelmtier se pratiquait l : par la porte grande ouverte sur le chemin du roi,ils pouvaient entendre ronfler le soufflet de la forge et tinter le marteausur lenclume ; ils pouvaient voir le forgeron, aux bras nus, muscls etnoueux, frapper les fers rouges et sentourer dtincelles.

    Marchal-ferrant, ctait le premier mtier de Luc Rochefort, bienquil connt dautres emplois. Il sy entendait : nul ne savait, comme lui,en un tournemain, faonner un fer cheval, semelle plate pour les tra-jets faciles, ou garnie de crampons pour la glace, et sajustant au sabotavec seulement la rognure quil faut pour que le pied soit daplomb. Et,le dernier coup de marteau donn sur la bigorne, il fallait voir le mar-

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  • Contes et propos divers Chapitre II

    chal clouer le fer la corne bien dresse : le pied de lanimal tait soudainsaisi et assujetti, comme dans les mchoires dun tau, entre les genouxde lhomme, dans le pli du tablier de cuir ; le cheval le plus hargneux nepouvait chapper cette treinte, qui le laissait sur trois pattes. Et vas-y, Luc, du brochoir et de la renette, de la bute et du rogne-pied ! Il ne setrouva jamais cheval si fringant que Luc Rochefort ne pt le ferrer desquatre pieds, malgr les tentatives de ruades et de cabrioles.

    Le soir, aprs la journe faite, et tandis que le marchal continuait forger, sa boutique devenait un lieu de runion pour les hommes du vil-lage ; on y parlait surtout de chevaux et demaquignonnage. Pour nous, lesenfants, nous y allions comme un spectacle : combien dheures passes voir rougeoyer le feu sous les coups de soufflet, et de lenclume sonoreles tincelles jaillir en gerbes ! Quel feu dartifice, dans le soir tombant !

    Jai dit que Luc Rochefort avait plus dun mtier. Tout ce qui concer-nait le fer ou lacier tait de son ressort. Y avait-il dans le village deuxpices de mtal souder, une brasure reprendre, une serrure fairefonctionner, des ciseaux aiguiser, un outil drocher, unemachine quel-conque rparer, et, cela va sans dire, un bandage de roue poser, cest lui quon avait recours.

    fabriquer et ajuster proprement des bandages de roues, il staitmme acquis une rputation de charron expert : ses roues ntaient jamaisni trop lches, ni trop serres.

    Un jour, il sessaya la carrosserie ; mais, dans cet art plus difficile,Luc Rochefort nalla pas plus loin que la charrette foin.

    Enfin, notre marchal soignait les animaux. En cela, aussi, sa matrisetait reconnue. Nul net voulu faire anglaiser son cheval ou fltrer sonchien, pour le garantir de la rage, par un autre que lui Il avait le se-cret ! Il connaissait les remdes qui gurissent les btes malades, le chevalsurtout, remdes mystrieux, dont il savait seul la composition, et dontlapplication saccompagnait parfois de gestes ou de paroles cabalistiques.Ce ntait rien, pour lui, que de faire disparatre, au jarret dun cheval, lescapelets, les courbes, les parvins et les jardons ; la faimvalle, la fortraitureet le vertigo ne lui rsistaient pas ; rduire une mnarchure ou un cartntait quun jeu ; le cornage, la pousse et ltranguillon lui donnaient plusde mal, mais souvent il en venait bout Bref, il avait le secret ! Cest tout

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  • Contes et propos divers Chapitre II

    dire.Quand les mdecins vtrinaires se formrent en corporation ferme,

    prtendant interdire la pratique de leur art aux gurisseurs qui navaientpas de diplmes, ce fut dans la campagne une indignation. Les marchauxprotestrent. On empitait sur leurs droits, on les privait dun honntegagne-pain, et maintes autres rcriminations ! Pour aller au-devant de cesplaintes, qui trouvaient des chos, la nouvelle confrrie savisa dadmettredans ses rangs les gurisseurs les plus renomms, aprs leur avoir faitsubir, pour la forme, un simulacre dexamen.

    Avec dautres, Luc Rochefort fut donc appel.Lexamen devait tre simple et bref ; il ne fut en effet ni long, ni com-

    pliqu : Luc refusa tout simplement de rpondre. Si un cheval boite et parat avoir t enclou au dernier ferrage, que

    faut-il faire ? lui demanda-t-on. Vous ne le savez pas ? Eh ! bien, allez lapprendre. Ce nest pas moi

    qui vous le montrerai, rpondit-il.Pour ladmettre dans le docte corps, on voulait pourtant quil mon-

    trt quelques connaissances lmentaires. Mais il tait rsolu ne pointdvoiler ses secrets des gens qui voulaient, pensait-il, sinstruire sesdpens !

    Savez-vous comment on peut empcher un jeune cheval de sen-tretailler ?

    Bien sr que je le sais ! Mais je ne vous le dirai point. Eh ! bien, dites-nous comment vous traitez un animal qui souffre

    de gras-fondure ? Ah ! scria le brave homme, vous voudriez bien que je vous dise

    mes secrets pour ensuite tre capables de soigner comme moi ! Je nenferai rien. Allez vous instruire ailleurs !

    Il sobstina. On ne put rien obtenir de lui. Il fallut passer outre et lad-mettre tout de mme.

    Muni de son diplme, notre marchal-ferrant se rengorgea. Il cloua leparchemin sur un pan de sa boutique, et, lenseigne de la devanture, ilajouta firement son nouveau titre :

    LUC ROCHEFORTmarchal-ferrant

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  • Contes et propos divers Chapitre II

    vtrinaire

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  • CHAPITRE III

    Un pote illettr

    PP pote.Je ne dis pas quil est pote ; je dis quil est n pote, avecune sensibilit extrme, avec une imagination brlante, avec aucur une blessure qui saigne et ne veut pas gurir.

    Mais la nature ne fait qubaucher le pote. Pour que lme trans-paraisse dans un chant, il faut la forme ; il faut lharmonie, la cadenceet le rythme, de la mesure, de la couleur et de la musique, des nuanceset des demi-teintes, de lclat et de la douceur, de la souplesse et de lasolidit ; il faut lheureuse combinaison des sonorits, la judicieuse distri-bution des mots, le jeu fcond des coupes intrieures, des mouvementsqui se prolongent et des dessins qui se dveloppent, tout lorganisme la fois rsistant et flexible du vers Sans le long et dur apprentissage duverbe, le pote ne voit pas lever la semence quil a dans lme ; il se tranesur la route, isol, souffrant, tourment par une soif que rien napaise. Ilest parmi les autres hommes ainsi quun tranger : les autres regardent,

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  • Contes et propos divers Chapitre III

    il ne sait que contempler ; les autres pensent, il naime qu rver ; lesautres parlent, il ne voudrait que chanter. Cest un tre part, un exil,un voyageur la recherche dun idal qui toujours se drobe.

    Pierre-Paul, donc, est n pote.Habitant, il vit de la terre ; il laboure, il sme, il rcolte. Il pourrait tre

    heureux. Mais un besoin de dire des choses tranges le possde, une ragede parler en mesure le dvore ; cest une obsession, un harclement Ilfaut quil rime ! On lui conseille de dompter cette passion, on le gronde ;rien ny fait. Cest plus fort que moi , dit-il.

    Enfant, il apprit, la petite cole, former des lettres et les recon-natre ensuite : il sait lire et crire. L sarrte son savoir. De lorthographeet de la grammaire, il na gure retenu ; et toute sa prosodie se rduitau compte approximatif des syllabes. Il a le sens de la mesure, pourtant,linstinct du rythme, et, dans loreille, un souvenir obsdant de la cadencealexandrine.

    Il rime donc, tant bien que mal, et tant bien que mal cultive sa terre,fait ses rcoltes, vend les produits de sa ferme.

    Je lai vu arrter devant ma porte sa charrette, laisser l les chalands,entrer en hte chez moi, saisir un crayon et, sur un chiffon de papier, par-fois dans son livre de comptes, griffonner quelques lignes ; ctaient desvers. Quand les rimes bourdonnent mes oreilles comme des mouches,disait-il, je ne sais plus compter mes navets ; il faut que je me dbar-rasse dune couple de vers. Voil qui est fait. Bonjour et merci ! Soulag,Pierre-Paul retournait son ngoce.

    Pierre-Paul, Pierre-Paul ! Jai mang vos lgumes et jai lu vos vers.Hlas ! vos vers ne valent pas vos lgumes. Et vos choux, Pierre-Paul,vos choux sont vos meilleurs pomes !

    Les vers de Pierre-Paul sont mauvais. La mesure ny est pas toujours ;souvent lassonance y remplace la rime ; il sy trouve des lieux communset des fautes de franais. Mais on y rencontre aussi des ides de valeurque Pierre-Paul a tires on ne sait do, des tours de choix qui lui sontvenus on ne sait comment, et ici ou l un grand vers bien frapp qui lesurprend lui-mme sitt quil la fait. Une fois lorthographe rtablie, lecroirait-on ? tout cela ne fait pas trop mauvaise figure. Et lon stonne, lire ces pomes tranges, frustes, parfois incohrents, mais o se rvle

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  • Contes et propos divers Chapitre III

    tout de mme une me de pote.Pierre-Paul sait-il bien que ses vers sontmauvais ? On le lui dit, et quil

    nen fera jamais de meilleursQue lui importe ?Le dmon de la posiele tient. Il rime avec passion, avec acharnement. Les gens se moquent, sele montrent du doigt ; lui, timide, se drobe aux regards, et seul, honteux,comme on commet une mauvaise action, il rime. Il chante sa faon lamontagne et la plaine, les grands bois sourds et les gerbes dor, la chaudelumire des jours dt et la froide lueur des nuits dhiver. En dpit dessarcasmes, il rime ; il rimera jusqu la mort.

    Ne le plaindrez-vous pas, ce pote illettr, impuissant dire son rve,et pour qui la posie est comme un mal dont on a honte ?

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  • CHAPITRE IV

    Le temps des bandons

    L , quelques paroisses de la province de Qu-bec, est un terrain vaste, nappartenant personne en particu-lier, soumis une administration spciale, et dont les habitantstirent un certain profit : ils en font un parc public pour les jeunes animauxde ferme. Aprs la rcolte, on ouvre les barrires de la commune, on dfaitles cltures, et les animaux peuvent patre en libert sur toute ltenduedu terrain . Cest le temps des bandons.

    Cette expression, le temps des bandons, est un archasme, heureuse-ment conserv et rajeuni chez nous.

    Un ban, sous la fodalit, tait une proclamation du souverain et, paranalogie, une annonce publique par laquelle les citoyens taient autoriss faire une chose. Encore aujourdhui, le ban est une ordonnance, unepublication : le ban de mariage, cest la publication du mariage ; le ban des

    1. Voir, dans le Bulletin du Parler franais au Canada, t. II, p. 197, larticle de lAbb V.-P.JUTRAS sur la Commune de la Baie-du-Febvre.

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  • Contes et propos divers Chapitre IV

    vendanges, lannonce que le temps des vendanges est arriv.Ban est le substantif verbal de bannir, qui vient lui-mme du fran-

    cisque bannjan, proclamer, publier, ordonner. (Bannir na pris quau XIIIsicle le sens spcial de chasser dun pays , cest--dire rendre une sen-tence dexil.) Dans le bas-latin se trouve le produit intermdiaire bannum.

    Le latin populaire avait aussi bando, bandonis, qui signifiait : ordre,prescription, et auquel rpond le vieux franais bandon.

    Bandon signifiait proprement : don par ban , cest--dire : donpubli, don fait par proclamation , do : dcret, permission, autorisation.On a dit : mettre bandon , pour mettre permission, autoriser, puispour remettre, cder, laisser aller, et enfin pour dlaisser . De l,sont venus abandon, abandonner, abandonnement. Abandon, proprement,veut dire : en libert , et abandonner : mettre en libert .

    Autrefois, les bestes bandon taient des btes abandonnes, sansgarde, en libert.

    Le temps des bandons est donc le temps o il est proclam, annoncpubliquement que les habitants sont autoriss faire patre le btail surle terrain de la commune et, par analogie, le temps de lanne o lon abatla clture qui entoure ce terrain et en dfend laccs.

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  • CHAPITRE V

    Lhabitant

    U , nous, est un cultivateur, un homme qui faitvaloir un fonds de terre. Quest-ce que vous faites ? quelleest votre occupation ? Je suis habitant. Les habitantsvont vendre leurs produits au march.

    Ce mot, avec cette acception, a toute une bibliographie. Outre les ar-ticles des glossaires de Gingras, de Dunn, de Clapin, de Dionne, de Blan-chard, de Viger, et de la Socit du Parler franais au Canada, on peutconsulter :

    Les habitants canadiens, note par lAbb Auguste Gosselin, dans leBulletin des Recherches historiques, dcembre 1898, vol. IV, page 376.

    Le Canada en Europe, chroniques de Benjamin Sulte, dans la Revuecanadienne, 1873, vol. x, page 345 (publies en volume, la mme anne,chez Sncal, Montral).

    Les habitants canadiens-franais, par B. Sulte, dans lOpinion publique,10 mars 1881, vol. XII, p. 113.

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  • Contes et propos divers Chapitre V

    Habitant et hivernant, par B. Sulte, dans les Nouvelles soires cana-diennes, 1882, vol. I, p. 50.

    propos du mot habitant , par T.-P. Bdard, dans les Nouvelles soi-res canadiennes, 1882, vol. I, p. 39. (Article reproduit aux pages 67-84 dela Comtesse de Frontenac, par T.-P. Bdard, publi Lvis, par P.-G. Roy,en 1904.)

    Habitant ou paysan, par Hacaut, dans le Parler franais, 1918, vol. XVI,p. 309 ( propos dun passage de larticle de lAbb Camille Roy, Un potergionaliste, paru dans la mme revue, vol. XVI, p. 204).

    Comment le mot habitant a-t-il pris, chez nous, cette acception de cultivateur ? Cest une question historique, plutt que philologique,et tout a t dit l-dessus : il ny a qu rappeler en quelques mots lesobservations de Sulte et de Bdard.

    Dans les premiers temps de la colonie, il venait en Nouvelle-Francedes soldats, des trafiquants, des commis, des fonctionnaires ; ceux-ci nefaisaient que passer, remplissaient ici leurs fonctions, y faisaient leurcommerce, mais ne sy attachaient point, ny demeuraient quun temps,et enfin retournaient en France. Ctaient souvent des engags, employspar les compagnies de traite, des voyageurs, des hivernants, etc.

    Mais il en vint dautres, aussi, qui furent les vritables colons, sefixrent au Canada avec lintention den faire leur patrie. Pour fonder iciune famille, pour y vivre, que faire ? Prendre possession du sol, dfricher,cultiver. Ces colons devinrent donc des cultivateurs, tablis sur des terres,propritaires de domaines, dhabitations.On les appela les habitants, pourles distinguer des autres, les hivernants, les trafiquants, les fonctionnaires.

    Les habitants avaient fait acte de sjour ; ils constiturent le groupedes Canadiens. Ceux qui gardaient lespoir dun retour en France, quintaient pas attachs au sol du Canada, restrent des Franais.

    Cest ainsi que les habitants sont nos anctres, les fondateurs de notrepetite patrie. Cest deux que nous descendons, et non des hivernants.

    On na peut-tre pas assez remarqu que cette acception du mot ha-bitant na rien dextraordinaire et quelle est conforme, non seulement ausens intime du mot, mais encore lusage reu.

    Quest-ce quun habitant, en franais ? Cest dabord, sans doute, celuiqui habite en un lieu quelconque : Les habitants de la campagne, les ha-

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  • Contes et propos divers Chapitre V

    bitants dune ville, les habitants dune maison ; mais spcialement, cestaussi celui qui possde un domaine, une habitation, dans une colonie : Les habitants de la Martinique, un habitant de la Guadeloupe . On de-vait donc, en bon franais, appeler spcialement habitant du Canada celuiqui possdait dans cette colonie un domaine.

    Or, le grand nombre des vrais colons qui vinrent habiter le Canada sytablirent sur des terres pour les dfricher, les cultiver. Appeler quelquunhabitant, ctait donc affirmer quil tait fix au Canada, quil en avait faitsa patrie, quil y possdait un domaine, et, par une lgre restriction desens, quil cultivait la terre o il demeurait. Habitant devint synonyme decultivateur, et plus particulirement encore de cultivateur propritaire.

    Cette restriction de sens, que lhistoire explique bien, nest pas contraireau gnie de la langue. On la retrouve presque dans cette phrase de Fne-lon : La terre ne demande ici qu enrichir les habitants, mais les habi-tants manquent la terre.

    On a remarqu que nos habitants naiment pas quon les appelle paysans . Nont-ils pas raison ?

    On peut tre un paysan, un homme de la campagne, sans tre nces-sairement un cultivateur et surtout sans possder aucune partie du sol dela patrie. Lhabitant est plus que le paysan ; cest ce que Mgr Camille Roya fort bien dit : Les paysans, en dautres pays dEurope, ne sont, le plussouvent, que des mercenaires sur des terres qui ne leur appartiennentpas ; lhabitant canadien est propritaire des sillons quil a retourns ; ilrgne sur son bien ; il est lhte permanent, il habite o il travaille.

    En vrit, tre habitant, chez nous, cest un titre : lhabitant est le vraiCanadien, celui de qui est sortie la race, celui qui a fait la patrie, et qui lagarde encore.

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  • CHAPITRE VI

    Un cur qui navait rien soi

    Navoir rien soi , ce nest pas tre pauvre ; cest avoir du bien,mais nen rien garder et tout donner aux autres.

    Sur ce propos, je voudrais rappeler, par quelques traits seulement, lafigure, la fois austre et douce, dun cur de chez nous, dun cur telquil y en eut, et quil y en a encore, plusieurs.

    LAbb Jean Harper tait de ceux dont on peut justement dire quils

    1. LAbb Jean Harper, missionnaire la Rivire-Rouge de 1821 1831, puis cur deSaint-Grgoire, dans le comt de Nicolet, pendant 38 ans, fondateur et longtemps seul sou-tien de lInstitut des Soeurs de lAssomption. Ainsi quil est attest sur son mausole, lAbbHarper brilla singulirement par la pit, le zle et la prudence ; il fut dune charitextrme envers tous et sans fin lgard des pauvres leur gard, il npargna jamaisses peines, ni ses deniers. Il mourut le 3 aot 1869. Son coeur est conserv par les Soeursde lAssomption, en leur couvent de Saint-Grgoire. Sa mmoire est pieusement vnre.Encore aujourdhui, on voit son portrait, la place dhonneur, dans plus dune maison de laparoisse ; jai aussi trouv ce portrait chez de vieux Mtis de la Rivire-Rouge, au Manitoba.LAbb Jean Harper, dorigine cossaise, tait mon grand oncle maternel ; dans la famille,on ne lappelait jamais que mon oncle le Cur .

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  • Contes et propos divers Chapitre VI

    nont rien, parce quils ont donn ce quils avaient.

    Le premier caractre de sa charit tait de navoir pas de bornes. Sanscompter, sans jamais considrer la valeur des choses, sans sinquiter desavoir sil avait lui-mme de quoi se vtir et de quoi manger, il donnait tous, il donnait toujours, il donnait tout.

    LInstitut des Surs de lAssomption, quil avait fond, tait, sesdbuts, dpourvu de ressources Le Cur logea les religieuses, meublaleur couvent, leur fournit le ncessaire pendant des annes. Il y dpensala plus forte partie de ses petits revenus.

    Des habitants navaient pas les moyens de maintenir leurs garons aucollgeLe Cur faisait instruire ces jeunes gens ses frais.

    Des ecclsiastiques, au Sminaire, navaient pas de soutanes LeCurleur en fournissait de neuves, alors que lui-mme nen portait jamaisquune vieille, use, toute rapice.

    Il se trouvait quelques orphelins dans la paroisse Le Cur se char-geait deux.

    Enfin, il y avait les pauvres Le Cur tait leur providence.

    Un jour, il reut un hritage, un bien petit hritage. Cette sommeest vous, lui fit-on remarquer. Employez-la pour votre propre utilit ;nallez pas la distribuer ici et l. Que voulez-vous que jen fasse ? rpliqua-t-il. Huit jours aprs, il ne lui en restait pas un sou : il avait toutdonn.

    La gnrosit du bon Cur faisait le dsespoir de la vieille Catherine,

    sa mnagre, charitable elle aussi, mais souvent grogneuse, et qui trouvaitexagres les aumnes du Cur. Il se ruine, disait-elle. Il donne tout auxpauvres. Je ne peux rien pargner pour le presbytre !

    Le Cur, qui redoutait les reproches de Catherine, se taisait et faisaitses aumnes en cachette.

    Un jour que, pour la visite de lvque, Catherine voulait dresser unebelle table dner, elle chercha en vain une nappe de toile fine quelleavait serre. Elle ne la trouva point. Quelque malandrin aura vol tanappe, ma pauvre Catherine ! dit le Cur. Il lavait lui-mme donne

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  • Contes et propos divers Chapitre VI

    une pauvresse pour servir de drap de lit !Une autre fois, en prvision dun concours de prtres au presbytre,

    la vieille servante avait prpar des tourtires Le jour venu, elle nentrouva pas une seule dans le garde-manger. Le Cur les avait toutes por-tes chez les pauvres du village. Ma bonne Catherine, dit le Cur, tudevrais te dfier. Il y a des voleurs qui aiment a, les tourtires.

    Les grands froids dhiver allaient bientt se faire sentir, et, pour sen

    dfendre, lAbb navait quun mchant paletot, mince, tout lim. Desparoissiens voulaient quil sachett un bon manteau de fourrure, unchaud et confortable capot de chat sauvage. Se cotisant, ils ramassrent lasomme voulue. En la lui remettant, ils ne manqurent pas de lui faire desrecommandations : ils savaient, en effet, qu dfaut dun avertissementexplicite touchant lemploi de largent, la somme irait, comme le reste,chez les pauvres..

    Monsieur le Cur, lui dirent-ils, voici une somme de soixantepiastres. Mais nous vous la donnons une condition : vous irez aux Trois-Rivires ds demain, et, vous achterez un capot de chat. Sinon, largentnest pas vous.

    Le Cur promit dacheter un capot de chat sauvage ; et, le lendemain,il partait pour la ville.

    Dans laprs-midi, quelquun laperut qui rentrait au presbytre parla porte de derrire, comme en se cachant : il navait encore que son petitpaletot mince et us. Le Cur na pas achet de capot, se dit-on. Il amanqu sa promesse !

    Une heure plus tard, par la route des Trois-Rivires, arrivait au villageun quteux bien connu, surnomm Bel-Oiseau, vtu dun superbe capotde chat sauvage !

    Le Cur navait pas manqu sa promesse : il avait achet un capotde fourrure. Mais on ne lui avait pas demand plus : on navait pas exigquil le portt. Rencontrant sur la route Bel-Oiseau, qui grelottait sousses haillons, le Cur lui avait aussitt donn le capot achet aux Trois-Rivires.

    Dans son presbytre, lAbb riait sous cape du bon tour quil avaitjou, tout en tirant vainement sur sa pipe vide sa pipe tait vide, parce

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  • Contes et propos divers Chapitre VI

    que, la veille, il avait donn quelquun tout son tabac.

    Quand lAbb Jean Harper mourut, le notaire charg de sa succession,ny trouva que juste ce quil fallait pour acquitter quelques petites detteset pour payer les funrailles.

    Le Cur ne laissait rien, parce quil navait jamais rien eu soi.

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  • CHAPITRE VII

    Le lait tendu deau

    Q fut tabli une fromagerie dans notre paroisse, il y eutune belle mulation : ctait qui fournirait la plus grande quan-tit de lait la nouvelle industrie.Devant chaque maison, sur un petit trteau fait exprs, les propritairesdposaient, comme cela se fait encore, les bidons de lait marqus de leursnoms. Un des patrons, prpos ce service, allait dune ferme lautre,recueillait les bidons, les portait la fromagerie. L, le lait tait mesur etpes. Sur le compte que le fromager faisait des quantits reues, un co-mit de directeurs tablissait la part de chacun dans le produit ou dans lerevenu.

    Un jour, un scandale faillit clater : un des patrons trichait ! Pour aug-menter son apport, il ajoutait une certaine quantit deau au lait de sontroupeau. La preuve en fut faite par le fromager.

    On sindigna. Ctait une trigauderie daigrefin, qui ne pouvait treendure. Il fallait, et sans retard, y mettre le hol.

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  • Contes et propos divers Chapitre VII

    Mais comment faire ? Le coupable, un nomm Michel, tait hommede consquence, conseiller municipal, commissaire dcoles, marguillier.Il fallait prendre garde ne le point blesser. Une rprimande le choquerait,et il pourrait faire des ennuis Un avis amical, donn comme en passant,suffirait peut-tre

    Benjamin, le voisin de Michel, fut charg de cette mission dlicate.Ben avait une faon lui de dire les choses, et savait, au besoin,

    prendre des dtours ingnieux.Au sortir de la fromagerie, Ben avisa son voisin, qui sen allait, en

    charrette. Oh ! Michel ! Attends-moi !Et Ben prit place ct de Michel.Chemin faisant, ils causrent.Au bout du village, ils se trouvrent passer devant le moulin scie.Michel, dit Ben tout coup, es-tu capable de prendre, sans te fcher,

    un bon conseil ? Oui-d ! fit lautre. Eh ! bien, si jtais ta place, jarrterais au moulin et jachterais

    un cent de bardeaux de cdre. Du bardeau ? Pour quoi faire ? Ce serait pour tes vaches. Pour mes vaches ? Tu feras ce que tu voudras, conclut Ben. Mais, ta place, je les

    couvrirais en bardeaux. Vois-tu, comme elles sont l, tes vaches ne sontpas tanches : elles font de leau ! Cest ce quon rapporte, la fromagerie.

    Michel se le tint pour dit. Il ne se trouva plus deau dans son lait.Les jeux et refrains de France au Canada Cest des jeux et des refrains denfants que je veux parler. Dans ces

    rondes naves, dans ces singuliers assemblages de mots, dans ces rcita-tifs tranges, dont se berce limagination des tout petits, nous aimons,Canadiens, retrouver la France.

    1. Paru, sous la signature S.-A. Lortie , en 1903, dans le Bulletin du Parler franais.Pendant dix-sept annes dune collaboration constante entre lAbb Lortie et moi, il arrivaainsi plus dune fois que ce que lun avait crit, lautre le signait.

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  • Contes et propos divers Chapitre VII

    Les traditions populaires sen vont, a-t-on dit, et lon sempresse deles recueillir, avant que ne disparaissent les vieillards qui se souviennent.Quand la source sera tarie, le Canada pourra peut-tre apprendre laFrance quelques-unes des vieilles traditions de la Normandie, du Maine,de la Saintonge.

    Les petits Canadiens franais rptent des chansons et des formulesque reconnatraient leurs cousins doutre-mer. Recueillir ici ces refrains,cest prouver leur anciennet ; car ils ont pass leau il y a deux sicles etse sont transmis de gnrations en gnrations : leur prsence au Canadane peut sexpliquer autrement. Si les refrains et les rcitatifs denfantsrecueillis en France dirent davec ceux que nous entendons chez nous,il nen est pas moins vrai que les deux versions ont mme origine, et lonpeut se demander laquelle des deux variantes actuelles, la franaise oula canadienne, se rapproche davantage de la forme primitive du XVIIsicle. Si lon connaissait celle-ci, il serait intressant de suivre les deuxvariantes dans leur dveloppement indpendant et parallle .

    Un refrain bien connu au Canada est le suivant, que les enfants r-

    ptent, quand sonne langlus de midi :Il est midi. i st-ce qui la dit ? Cest la souris. O est-elle ?

    Dans la chapelle. e fait-elle ? De la dentelle. Combien la vend-elle ? Trois quarts de sel.

    Ce refrain est aussi laccessoire dun jeu. Lenfant ferme la main, et lamre caresse successivement chacune des petites jointures, en disant :

    Monte chelle ! Monte l ! Monte chelle ! Monte l !Puis, un dialogue sengage :Petit trou ! Casse-cou ! est-ce quil y a dedans ? De lor et de

    largent. i st-ce qui la mis ? Cest la souris. e fait-elle ? Etc.Ou bien :i st-ce qui la mis ? Pre et mre. i st-ce qui ltera ? Frre

    et sur. Tourne, tourne, tourne, mon petit baril, celui qui rira le premieraura un soufflet.

    Et cest qui, alors, ne rira pas le premier.

    2. Voir Revue des parlers populaires, dc. 1902, p. 141.

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  • Contes et propos divers Chapitre VII

    Voici, de la premire partie de ce refrain, trois variantes recueilliesdans le Calvados, en Normandie, lune Montchamp, lautre Sallen, latroisime, prs de Lisieux :

    Montchamp :Il est midi. i qui la dit ? Une petite souris. O quol est ? Ol

    est au bois. i quol y fait ? Ol y dit sa messe. i qui li rpond ? Jean Deupont. i qui y va ? Jean Deuva. i quen revient ? JeanDchien. i quen a sonn la sortie ? atre petites pies.

    Sallen :Il est midi. i qui la dit ? Chest la souris. O quol est ? Ol est

    au bois. i quol y fait ? Ol y trait du lait ? Dans qui quol met ? Dans son bonnet. Dans qui quo lcoule ? Dans sa grande goule. Dansqui quo met la crme ? Dans le verr quest dans lfate dun bre. iqui ly monte ? Chest lfils dHrode. i qui la dscend ? Chest lfilsdargent.

    Enfin, au Pr dAnge, prs Lisieux :Il est midi. Qui qui la dit ? La petite souris. O quelle est ?

    Dans sa chapelle Qui qu fait ? Dla dentelle. Pour qui ? Pour sadmoiselle. Ten as menti. Car cest pour elle.

    Quant au jeu de Monte chelle, Monte l, il se joue aussi Sallen et Brville (Calvados), mais sur des paroles quon ne retrouve pas au Ca-nada.

    Quelle est la mre canadienne qui ne connat pas le jeu suivant :Ventre de son. Estomac de plomb (var. : estomac de grue). Falle de

    pigeon. Menton fourchu. Bec dargent (var. : bouche dargent). Nezcancan. Joue bouillie. Joue rtie. Ptit il. Gros til. Sou(r)cillon. Sou(r)cil-lee. Cogne, cogne, cogne, la mailloche (var. : Toc, toc, toc, lacaboche, ou : Tap, tap, tap, la baguee, ou encore : Pan, pan, pan, maillet.)

    En Normandie, comme ici, la mre pose successivement le doigt surles diffrentes parties du visage de son enfant, et aux derniers mots faitdescendre vivement lindex du haut en bas du visage, ou frappe de petits

    3. Bulletin des parlers normands, p. 204.4. Bulletin des parlers normands, pp. 182 et 205.

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  • Contes et propos divers Chapitre VII

    coups au front :Maton dbouis, dit-elle. Goule dargent. Nez dkaka. J casse.

    J brle Ptit illet. Gros tillet. Tap la baguee.

    Et la chanson de Pipandor ?Pipandor la balance,Il ny a que toi-z-et moi-z-en France.Pourquoi ty es-tu mis ?Pour manger de la bouillie.Pipandor, chapeau dpinee ! Pipandor, mets ton nez dehors /Le refrain suivant, dit M. Ernest Gagnon , se chante de la mme ma-

    nire :Pimpanipole, un jour du temps pass,Passant par la ville, rencontre les gens du Roy ;Beau pigeon dor, les gens des allumees,Beau pigeon dor, le ptit cochon dehors !Lenfant ouvre la main. On chante le couplet en frappant successi-

    vement chacun des petits doigts tendus, et lon cache le doigt sur lequeltombe le mot dehors ; on recommence sur les doigts qui restent, en faisantdisparatre un doigt chaque rptition du couplet.

    Cela ressemble un peu la ronde de la Belle pomme dor, qui se chanteen Normandie :

    Belle pomme dor la rvrence,Il ny a quun Dieu,Pour aller en France.Adieu, mes amis.La guerre est finie.Belle pomme dor,

    5. Bulletin des parlers normands, p. 228.6. Pipandor, picossez, mesdames. Variante releve par Mgr J.-C.-K. Laflamme, Bull.

    du P. F., vol. III, p. 141.7. Chansons populaires du Canada.8. Bull. des parlers normands, p. 297.

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  • Contes et propos divers Chapitre VII

    Je te mets dehors.

    Quel ne sera pas ltonnement de mes lecteurs, a crit M. F.-A.-H.Larue , lorsquils apprendront que nulle part, dans aucun recueil franais,il nest dit un seul mot, pas un seul, de la Poulee grise, ni de cheval, surla queue dun orignal.

    La Poulee grise se trouve pourtant dans les chansons de louest de laFrance :

    Ltait un ptit poule griseallait pondre dans lglise,Pondait un petit cocoe lenfant mangeait tout chaud.Ltait un petit poul blancheallait pondre dans la grange,Pondait un petit cocoe lenfant mangeait tout chaud.Et, l comme ici, on varie la couleur des poules. Version canadienne :Cest la poulee grisea pondu dans lglise,A pondu un beau petit cocoPour bb qui va faire dodo.etc. cheval, etc., est aussi dorigine franaise. Au Canada, nous disons : cheval, cheval,Sur la queue dun orignal. Rouen, Rouen,Sur la queue dun ptit chval blanc. Paris, Paris,Sur la queue dun ptitsouris. Versailles, Versailles,Sur la queue dun grand vach caille.Ptit trot, gros trot !

    9. Chansons populaires. Le Foyer canadien, 1863, p. 384.10. Nouvelle bibliothque populaire, no 74, p. 361.

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  • Contes et propos divers Chapitre VII

    Ptit galop, gros galop !Ou :Ptit galop, ptit galop !Gros galop, gros galop !Dans le Perche, on trouve la variante suivante : Paris,Sur un cheval gris. Orlans,Sur un cheval blanc. Versailles,Sur un cheval caille.Les belles dames vontAu pas, au pas !Les beaux messieurs vontAu trot, au trot !Les paysans vontAu galop, au galop ! Et, sur ce rythme, l-bas comme chez nous, sans doute, on fait sauter

    les enfants sur ses genoux !

    Compagnons de mes jeux denfance, saviez-vous ce que cest quunecompte ? Nous navions pas le mot, mais nous pratiquions la chose,chaque fois quil fallait dcider lequel de nous chercherait les autres,quand nous jouions la cachee, ou les poursuivrait, la taque.

    Compte, compte, dit M. Dottin . Prliminaire de tous les jeux den-fants, pour savoir qui sera le chat. Les enfants forment le rond ; celui quifait la compte se met au milieu et met successivement la main sur chaqueenfant en prononant une syllabe de certaines formules. Le dernier motde la formule dsigne le chat ou sert liminer successivement tous lesjoueurs jusqu ce quil ne reste plus que le chat.

    Vous rappelez-vous nos anxits quand se prononaient les parolesfatales : Une tape deux tapes trois tapes, etc. , ou : Une pomme

    11. Revue des traditions populaires, juin 1903, p. 353.12. Glossaire des parlers du Bas-Maine.

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  • Contes et propos divers Chapitre VII

    deux pommes trois pommes quatre pommes cinq pommes sixpommes sept pommes huit pommes pommes neuf !

    Les malins savaient se placer dans le rond de manire tre dlivrsdes premiers !

    Dans le Bas-Maine, cette dernire formule est connue : Une pomme deux pommes etc., neuf pommes Petit bonhomme, va-t-en ! .

    Quant au couplet, usit chez nous : Un loup passant par un dsert, etc.,il se trouve aussi dans le Bas-Maine , et, tout cru, dans le Perche .

    Cest aussi du Perche que nous est venue cette formulette, entendueassez souvent chez nous :

    Un, deux, trois la culoe en bas quatre, cinq, six levez la chemise sept, huit, neuf la gueule comme un buf etc.

    La formule du petit couteau est bien la plus rpandue des comptes :Petit couteau dor et dargent ta mre tappelle au bout du champ

    pour manger de la bouillie o la souris a barbot une heure de temps Va-t-en ! (Var. : Ton pre ta dit : Va-t-en !).

    En France, cest le rcitatif du petit ciseau quon entend :Petit ciseau dor et dargent Ta mre tappelle au bout du champ

    Pour y manger du lait caill Que les souris ont barbot Va-t-en, tamre tattend.

    Dans les environs de Brest, les petits Bretons scandent la compte despetits ciseaux peu prs comme les enfants canadiens celle du petit cou-teau..

    Petits ciseaux Dor et dargent Ta mre tattend Au bout duchamp Pour y manger Du lait caill Que les souris Ont ribot Pendant une heure de temps Va-t-en !

    Une version normande, releve Brville, comporte une addition quise retrouve chez nous :

    13. Dottin, Glossaire.14. Dottin, Glossaire.15. Revue des traditions populaires, t. xvii, p. 385.16. Ibid.17. Version recueillie dans le Bas-Maine par M. Dottin.18. Bulletin des parlers normands, p. 154.

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  • Contes et propos divers Chapitre VII

    Petits ciseaux Dor et dargent Ta mre tattend Au bout duchamp Pour y manger Du lait trout Que les souris ont carot Pendant Une heure Deux heures Trois heures Quatre heures Cinq heures Six heures Sept heures Huit heures Neuf heures Dix heures Onze heures Midi.

    La compte suivante a t releve la Baie-Saint-Paul, dans le comt

    de Charlevoix :Un nol Deux jols Caji Cajol Mon pied bourdon Jos Simon

    Cascade griffon Pignon pandor Ton nez dehors.Ce nest l quune variante de la formule cite par M. Gagnon , et

    qui se retrouve peu prs la mme, en France, dans les dpartements delouest :

    Un i, un l Ma tante Michelle Un i, un um Caji Cajum Ton piedbourdon Jos Simon Griffon pandor Ton nez dehors !

    Autre version canadienne, signale par Mgr Laflamme :Un i, un l Ma tante Michelle Josee Joson Ptt mourra-t-on.

    Enfin, jai souvenir dune formule de compte, qui, coup sr, ne nous

    vient pas de France. Autrefois fort en vogue Qubec, elle nest peut-trepas encore oublie. La voici, orthographie au son :

    Ai nemi nem nemag Par cel deb nestag Kak oui ou ouag Kateman ouail g chi.Que signifie cet assemblage de sons ? Quelle en est lorigine ? Les

    enfants hurons ont-ils, autrefois, appris cette compte aux petits Franaisdu Canada ?

    Par une variante du dernier vers, on a tent de la rattacher la languefranaise :

    Tu as la tag !

    19. Bulletin des parlers normands, p. 154.20. Chansons populaires du Canada.21. Loc. cit.

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  • Contes et propos divers Chapitre VII

    cest--dire : .. Tu es le chat !

    Je relve encore deux formules normandes , aussi entendues au Ca-nada franais.

    En touchant et cachant successivement les doigts de la main, on dit :Celui-l a t la chasse (le pouce) ; celui-l la tu (lindex) ; celui-l

    la plum (le majeur) ; celui-l la fait cuire (lannulaire) ; et celui-l la toutmang (lauriculaire).

    Et, sur les boutons de la veste, pour tirer une sorte dhoroscope :Riche Pauvre Coquin Voleur Etc.

    Combien dautres formulettes, jeux et refrains on pourrait citer, qui

    nous rattachent nos origines ! Je nai relev que quelques traits, parmiles mieux connus.

    n

    22. Le Bouais-Jan, 23 janvier 1904, p. 27.

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  • CHAPITRE VIII

    La bndiction paternelle

    B vieilles coutumes, et des meilleures, sont entrain de se perdre. Bientt, nul ne les pratiquera plus ; dj,cest peine si on les connat. Quelques chercheurs sy int-ressent encore ; avant quelles ne disparaissent tout fait, ils les enre-gistrent comme on herborise, ils les dcrivent, ils en font le recueil commede choses curieuses.

    Eh ! quemimporte ce folklore, froide spulture des traditions mortes !Je ny trouve quun faible et strile souvenir de ce qui fut vivant.

    Les vieilles coutumes sen vont ; et il ne suffit point den conserver lammoire : il faudrait les garder elles-mmes.

    De ces coutumes qui se perdent, il en est de singulirement prcieuses,

    qui tiennent lesprit mme de notre race, qui sont comme une expressionde notre conscience nationale, et qui emportent avec elles quelque chosede notre me. Elles font vraiment partie du patrimoine idal hrit des

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  • Contes et propos divers Chapitre VIII

    anctres. Nest-ce pas forfaire que de les laisser steindre ?

    Comment ne pas dplorer amrement que se perde, par exemple, labonne, la salutaire, la sainte coutume de la bndiction paternelle ?

    Jadis, personne net voulu commencer lanne, sans que, des mainstendues du chef de famille, ne ft descendue sur les enfants agenouillsla bndiction den haut. Moment solennel ! Le pre apparaissait revtudun caractre sacr, et cest Dieu qui, par sa voix, bnissait.

    Quels fruits salutaires produisait la bndiction du Jour de lAn : par-don de toutes les fautes, promesse de tous les dvouements, garantie detous les respects ! Le seul souvenir de cette scne auguste devait arrterplus dun fils sur le bord des abmes.

    Quelques familles gardent encore la tradition ; mais combien ne la

    pratiquent plus !Les enfants qui nosent plus demander la bndiction de leurs pres,

    et les pres qui ne bnissent plus leurs enfants, savent-ils bien ce dont ilsse privent eux-mmes, et leurs familles, et la socit, et la nation entire ?

    Que deviendrons-nous, et que restera-t-il du vrai gnie de notre race,quand la coutume sera toute perdue, et que nul des ntres ne pourra plusse rclamer dune bndiction de son pre ?

    Quelle figure ferait dans lhistoire un peuple chez qui la maldic-tion paternelle serait devenue de tradition ? et comment ce peuple, dontchaque citoyen porterait ce fardeau trs lourd, saurait-il accomplir sa des-tine ? Il nest personne, mme chez ceux qui ne savent pas la vraiesource de lautorit paternelle, qui ne craigne la maldiction dun pre ;le fils maudit porte au front comme un signe dinfamie, et les siens lerenient. Le peuple dont tous les hommes auraient t maudits par leurspres serait un peuple rprouv.

    Comment donc la bndiction paternelle nimporterait-elle pas aubonheur, non seulement des individus et des familles, mais encore de lasocit, de la nation ?

    Heureux les peuples qui gardent pieusement la coutume de la bn-

    diction paternelle ! Ils ont les dons qui font les races fortes ; de pre en

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  • Contes et propos divers Chapitre VIII

    fils, et de sicle en sicle, la bndiction descend, multiplie, sur les ttesplus nombreuses, et, chaque gnration, plus riche de vertus.

    n

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  • CHAPITRE IX

    Les cumeurs de tonnes

    A les quais, dans lencombrement des ballesde marchandises, des cordages et des ancres ? Avez-vous coutla grande rumeur du port, faite du sifflement de la vapeur, duheurt des ballots qui sentrechoquent, de la respiration essouffle des re-morqueurs qui courent sous les beauprs, du clapotis de leau sur les bor-dages, du crissement des amarres sur les bittes, du grincement des pa-lans, des cris des manuvres, des appels des matelots ? Avez-vous vuvivre les quais du vieux Qubec ? Vous tes-vous ml ce peuple quine connat pas les souffles du grand large, mais qui vit de la mer tout demme, et qui, sur les quais, peine tout le jour, parfois toute la nuit, dansla fume et la poussire, parce qu la maison la femme et les petits ontfaim ? Connaissez-vous lindustrie, humble et allchante, des cumeursde tonnes ?

    Chaque t, des navires, venus de la Barbade, ce quon dit, d-chargent sur nos quais leurs cargaisons de grosses tonnes, pleines dun si-

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  • Contes et propos divers Chapitre IX

    rop pais et noirtre, dernier rsidu de la cristallisation du sucre. On rangeces tonnes, cte cte, par files. Or, la mlasse, agite durant le voyage,schauffe, fermente, filtre au travers des douves mal jointes, schappepar les bondes mal fermes, et coule en cume jauntre sur les tonnesalignes.

    Alors, dans les mansardes o lon na pas tous les jours de quoi man-ger, les enfants disent : Allons au sirop !

    volupt ! Le regard sallume, et leau vient la bouche. Cest quonnen a pas souvent, du sirop, sur son pain !

    Vite, les petits se munissent dune chaudire, dun vaisseau quel-conque, dune cuiller, et en route ! La rcolte, ce sera la mousse blondequi coule des bondons cumeux. On sappelle, on sannonce la bonnenouvelle, et les petits cumeurs sabattent sur la cargaison frachementdbarque.

    Cest plaisir et piti tout la fois, de voir les pauvres gars recueillir laide de leurs cuillers le prcieux liquide. Cest qui fera la meilleureprovision ; alertes, ils vont dun tonneau lautre, sappellent, courent,ramassant tout, ne laissant rien perdre du bon sirop. Sil se produit unecoule extraordinaire, des disputes slvent : Ce tonneau est moi ! Non ! je lai vu le premier ! On va en venir aux mains, quand tout coup, un peu plus loin, un bondon saute, un flot bouillonnant schappe.Tous accourent, et ce sont des cris de joie : Du pur sirop ! .

    Jai vu, louvrage, toute une famille dcumeurs : le pre tenait lachaudire commune, les enfants couraient les tonnes. Le plus jeune nesavait pas rsister la tentation : de temps en temps, la drobe, il lchaitsa cuiller Et sa petite figure en tait toute rjouie.

    Quand les tonnes sont cumes, chacun sen retourne chez soi, em-portant de quoi rgaler la famille.

    Le produit de cette industrie nest sans doute pas trs pur. Un dlicataurait des haut-le-cur devant cette mlasse en fermentation, racle surdes tonneaux malpropres par des gamins en guenilles ; il y trouverait deschoses innommes, ramasses au hasard de la cuiller, avec la bave destonnes. Mais les misreux ont le cur solide ; et pour qui, dordinaire,mange son pain sec, un croton recouvert de cette cume gnreuse est

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  • Contes et propos divers Chapitre IX

    un rgal.

    n

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  • CHAPITRE X

    Lhistoire en action

    J la bataille des Plaines dAbraham.Laffaire a eu lieu lcole du deuxime arrondissement de cheznous, sous la direction du Cur de la paroisse, qui est de mes amiset que jaccompagne volontiers dans ses courses.

    Deux fois la semaine, toute lanne durant, Monsieur le Cur visitelune ou lautre de ses coles, pour y donner des leons dhistoire du Ca-nada. Ces leons sont illustres en la manire que je vais vous dire ; cestproprement de lhistoire en action.

    Au jour fix, cest grande fte chez les coliers. La classe est pleine.Nul ne voudrait manquer la leon.

    Aussi bien, mon Cur, outre quil est un merveilleux conteur, sachantparler aux petits comme aux grands, a le sens du pittoresque et comme ledon de la mise en scne. De quelque partie de lhistoire quil sagisse, quelque soit lpisode voqu, son rcit est toujours vivant, dun intrt quine se relche pas et que relvent, de temps en temps, des traits piquants

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  • Contes et propos divers Chapitre X

    ou tragiques. Lhistoire, avec lui, est toujours un drame ou une comdie.Ce jour-l, on allait apprendre comment, aux Plaines dAbraham,

    stait jou le sort de la Nouvelle-France.Se faisant dabord simple narrateur, Monsieur le Cur, au pupitre du

    matre, dit quel tait ltat de la colonie, au printemps de 1759, au momento une flotte anglaise remonta le Saint-Laurent, du Bic lle-dOrlans. Puis, il rappelle la situation deQubec : promontoire gard vers le sudet vers lest par lescarpement des falaises, mais quil faut protger, duct de la Saint-Charles, par des ouvrages de dfense. Quelques dtails,ensuite, sur les forces qui vont saffronter : bord de leurs navires, de lle-dOrlans lAnse-des-Mres, les Anglais, et dbarqus Montmorency, Lvis, les Anglais, encore, qui pillent et ravagent ; dans Qubec et aucamp de Beauport, attendant lennemi, les Franais, les Canadiens, et dessauvages. Les chefs : la tte de la garnison, Montcalm, avec M. deVaudreuil, le chevalier de Lvis, Bougainville ; commandant les troupesde lassaillant, le gnral Wolfe

    Au tableau noir, un plan est trac, qui montre lemplacement desredoutes, des palissades, la position des corps darmes, leurs mouve-ments

    Le rcit commence.Dans la nuit du 13 septembre, les Anglais dbarquent sur les grves

    du Foulon ; Wolfe leur tte, ils gravissent la falaise. Vergor sommeille.Au petit jour, larme anglaise est range en bataille, sur les Plaines,

    dans les replis des Buttes Neveu.Montcalm sort des murs, avec sa troupe, quil dploie.La bataille sengage. Escarmouches, mle, exploits.Wolfe tombe et meurt.Montcalm est bless.Erreurs et fautes. Les Anglais, deux contre un, lemportent. Ils sont

    vainqueurs.Le 18 septembre, Qubec capitule.Tout est fini.Le rcit est nerveux, anim ; des dtails font revivre sous nos yeux les

    diffrentes phases du bref combat ; on voit voluer les troupes ; on croitassister la bataille, qui, pourtant, ne se droule encore quau tableau

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  • Contes et propos divers Chapitre X

    noir Maintenant, mes enfants, pour bien nous rappeler tout cela, pour

    nen rien oublier jamais, nous allons jouer la bataille des Plaines, dit leCur.

    Tous le suivent dans la cour de lcole, o, par ses soins, le champde bataille a t amnag. Au bout du terrain, se dresse un mur fait deblocs de neige, durcie : cest la forteresse, cest Qubec, que Franais etCanadiens ont dfendre. quelque distance, un banc de neige figureles Buttes Neveu, o lennemi, aprs avoir escalad une falaise dans lechamp voisin, se cachera.

    Tout va se passer ainsi quil a t rgl : les deux armes volueront, sedploieront, attaqueront, sauf quelques incidents imprvus, comme lhis-toire le rapporte. Du haut du promontoire, le Cur dirige laction.

    Les rgles du jeu sont connues : on se bat coup de mottes de neige, etil est entendu que tout homme atteint par un de ces projectiles est mort.

    Tout dabord, la distribution des rles avait suscit des difficults. Per-sonne ne voulait jouer celui de Vergor ; on dut se passer de Vergor. Deplus, tous auraient prfr tre parmi les miliciens de Montcalm. On eutquelque peine recruter, pour le gnral Wolfe, une arme convenable.Il faut bien noter aussi quau plus fort du combat il y eut chez les Anglaisdes dfections. Quand parurent les sauvages, de la peinture aux joues,des plumes de coq sur la tte, et poussant des cris pouvantables, on vitle gnral Wolfe lui-mme, emport par lenthousiasme, abandonner lessiens et se joindre cette troupe hurlante !

    Bref, peu sen fallut que la victoire ne restt Montcalm ! Pour nepoint faire mentir lhistoire, le Cur dut passer lennemi, prendre laplace deWolfe, se faire tuer dune balle de neige en pleine face ! Ce qui nelempcha pas de ressusciter aussitt, contrairement toute discipline, etdassurer, par des prodiges de valeur, le succs des armes anglaises et ladfaite des Franais.

    Il arriva, ainsi quil le fallait, que ceux-ci, ayant puis les munitionsamasses dans la forteresse, durent se retirer sous une grle de balles,pendant que les sauvages, ignorant les lois de la guerre, criaient commede plus belle, et ne cessaient de brandir leurs tomahawks !

    La semaine prochaine, annona le Cur, nous jouerons la bataille de

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  • Contes et propos divers Chapitre X

    Sainte-Foy, et les Franais auront le dessus.

    On nenseigne pas de la sorte lhistoire sans quil en cote. Ce quintait que jeu pour les enfants devait tre, pour Monsieur le Cur, songe, une assez rude besogne. Il revint au presbytre, extnu. Pour animerlaction, il stait ml la troupe, avait pris part la bataille, stait d-pens sans regarder la fatigue. Sa soutane tait dchire, il avait perduses lunettes, il avait reu dans lil une boule de neigeMais il tait heu-reux : il avait enseign ses enfants quelque chose quils noublieraientpoint et, par surcrot, les avait amuss.

    n

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  • CHAPITRE XI

    Leons de mots

    M C se borne pas, lcole, aux tableaux vivants delhistoire en action . Concurremment avec linstruction quimeublera lesprit de lenfant et lducation qui formera soncur, en mme temps quon lui enseignera les rgles propres dvelop-per ses facults morales et intellectuelles, et dans toutes les branches dusavoir, au fur et mesure que les occasions se prsentent, mon Cur veutquon donne aussi des leons de mots, comme on donne des leons dechoses.

    Il cherche dabord graver dans les esprits, sur lorigine de notrelangue, quelques donnes gnrales, les plus simples, les plus claires. Puis,quand un mot parat, qui a besoin dtre clair, il en dtermine le sensavec soin. Les distinctions et les dfinitions ncessaires servent la fois lamatire enseigne, qui sera mieux comprise, et la langue, qui sera mieux

    1. Voir, ci-dessus, lHistoire en action.

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  • Contes et propos divers Chapitre XI

    parle.Quil sagisse de notions historiques ou scientifiques, de connais-

    sances thoriques ou pratiques, nest-il pas essentiel de comprendredabord la langue quelles parlent, cest--dire davoir lintelligence desmots de cette langue, de pouvoir intus legere, lire, non seulement ce quily a la surface des textes, mais aussi ce quil y a lintrieur, dedans lesmots, intus ?

    Nous voici donc lcole. Classe dhistoire du Canada, au deuximevoyage de Cartier. Il a t question de deux caravelles et dun galionQuelle tait limportance de ces vaisseaux ? La Grande Hermine jaugeait120 tonnes ; la Petite Hermine, 80 ; lmrillon, 40. Mais, sans point de com-paraison, le jaugeage ne dit pas grand chose aux lves. Limportant estde leur faire savoir que ctaient de petits btiments. Le mot caravelleservira le dmontrer. La caravelle, du portugais caraba a vela, tait unebarque voile ; et caraba, tir du bas-latin carabus, veut dire canot. Lescaravelles de Cartier taient donc de fort petits navires. Que les lvescomprennent ou ne comprennent pas le latin, ils noublieront pas quelaudace tait grande de saventurer sur de telles embarcations, presquedes canots, pour un voyage de deux mois sur locan.

    La leon continue : Plantation dune croix sur la Pninsule de GaspLa Gaspsie voyez la carte au mur est-elle une Pninsule ou une pres-qule ? Une presqule, cest presque une le ; la pninsule aussi (lat. paene,presque, et insula, le). Les deux mots sont synonymes : ils servent pa-reillement dsigner une terre entoure deau de tous les cts, saufun par lequel elle tient au continent. Ils dirent, cependant, en ce que,daprs lusage, la pninsule est une grande presqule. Et mon Cur ex-plique quen parlant de lEspagne, par exemple, on ne dit pas la presquleibrique, mais la pninsule ibrique. De mme, la Gaspsie est une pnin-sule.

    Une autre fois, nous tudions encore lhistoire ; mais le thtre achang : nous sommes en Europe, linvasion des barbares Pourquoipas linvasion des sauvages ? Parce que le sauvage (du lat. silvaticum, desilva, fort) vit en dehors des socits civilises ; il reste dans ses forts, ily a son habitation. Le barbare (lat. barbarum) est, au sens propre du mot,un tranger, sauvage lui aussi, mais nomade, qui ne demeure pas en un

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  • Contes et propos divers Chapitre XI

    lieu dtermin, qui envahit les contres voisines, qui menace les peuplesciviliss. Cest pourquoi linvasion des barbares nest pas linvasion dessauvages.

    Ayant envahi lEurope continentale, les barbares traversrent laManche. Pourquoi ce bras de mer entre la France et lAngleterre sappelle-t-il laManche ? Parce que la Manche est en effet un bras de mer.Demme,il y a ailleurs la Manche de Tartarie, la Manche de Danemark. Le latinma-nica, manche, est tir de manus, qui dsignait aussi bien le bras que lamain.

    Autres leons de mots :En tudiant lhistoire naturelle, il est intressant de noter que la feuille

    du myosotis ressemble une oreille de souris, du moins daprs le nomde la plante, tir du grec muostis ; et que la feuille du glaeul voque laforme dun glaive (lat. gladiolum).

    La plante appele couramment :mouron des petits oiseaux porte aussile nom de morgeline. Si lon a quelque peine se rappeler ce nom savant,quon le dcompose :mords, impratif demordre, et geline (du lat. gallina),ancien nom de la poule. La morgeline passait pour tre recherche despoules.

    Dans le vol des oiseaux, mon Cur faisait distinguer celui de laiglequi vole dans lair, librement, grands coups dailes ; celui des petits, quivoleent, cest--dire qui sessayent voler ; celui du papillon qui voltige,qui vole et l, petites et frquentes reprises Ctait une occasiondexpliquer ce que cest quun suffixe (particule fixe dessous ou aprs laracine, au contraire du prfixe, qui se place avant). Les suffixes eter, igermarquent la frquence et le morcellement de laction (voleter, voltiger).

    Rendu ce point, lducateur ne manquait pas de faire noter quil y ades suffixes augmentatifs et des diminutifs. Tournoyer (tourner et oyer),ce nest pas seulement tourner ; cest faire de nombreux tours. Dautrepart, une floille est une petite floe. Sur quoi, il signalait des erreurs danslemploi des suffixes : bien que le suffixe ee soit clairement un diminutif(la fourchee est plus petite que la fourche ; la bchee est moins grosseque la bche), lusage a consacr pince sucre et pincee feu.

    Un jour, la leon portait sur lhistoire de lglise. Il tait question denophytes Plusieurs furent surpris dapprendre que ce mot se rattache

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  • Contes et propos divers Chapitre XI

    un fait de botanique. Il est compos du grec neos, nouveau (les No-Zlandais sont les habitants de la Nouvelle-Zlande), et phuton, rejeton.Le verbe phuein signifiait : produire, faire pousser. Le nophyte, qui a r-cemment embrass la religion, est un nouveau rejeton de la foi.

    Une leon de choses sur les inventions modernes donnait lieu denombreux recours la langue grecque, dont les lves apprenaient ainsiquelques racines : tlgraphe (du grec tl, loin, et graphein, crire), ins-trument qui crit au loin ; tlphone (du grec tl, loin, et phn, son), ins-trument qui transmet les sons distance ; tlescope (du grec tl, loin, etscopein, regarder), instrument qui permet dobserver les objets loigns ;etc.

    Je voudrais avoir suivi toutes les leons demots donnes parmonCur.Une apostasie Un ministre protestant stait tabli dans la paroisse. Il ne fit gure de

    proslytes : personne ne lcouta, sauf une couple de vauriens, revenusdes tats voisins. Ce missionnaire de la secte devait bientt, abandonnantla partie, porter ses prches ailleurs. Mais dabord, et ds quil fut install,plein de zle, il chercha gagner les bonnes grces de tous. Il causaitavec celui-ci et celui-l, se faisait aimable, tchait de sinsinuer petit petit dans la faveur des gens, et ne manquait pas une occasion de parlerreligion.

    Il paraissait avoir spcialement entrepris de convertir son voisin, Cy-rille P., bon catholique, qui avait de lesprit et qui samusait de ce jeu.

    Le ministre frquentait donc chez Cyrille, et souvent badinait sur lespratiques de lglise Cela avait fini par tre agaant.

    Or, sur les entrefaites, il advint que Cyrille perdit un cochon, le plusbeau de sa porcherie : un matin, lanimal fut trouv, dans ltable, mortdun mal subit et inconnu. Ctait un malheur, mais dont le brave homme,toujours jovial, eut vite fait de se consoler : une douzaine de gorets luirestaient, qui bientt seraient aussi gras que le dfunt.

    quelque temps de l, le ministre, rencontrant Cyrille, crut pouvoirfaire le goguenard :

    2. Cf. le conte saintongeois : Lei thla au mistu, dans Jharbot de bouquet saintonjhou, parPire Marcut.

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  • Contes et propos divers Chapitre XI

    Cher monsieur Cyrille, jai appris quil y avait eu de la mortalitchez vous ?

    Oui, jai perdu un cochon, rpondit Cyrille, qui ntait pas dhumeur chicoter longtemps.

    Le ministre reprit : Cest grand dommage. Mais jai t surpris de ne pas entendre son-

    ner ses glas Cher ami, vous ngligez votre religion ! Ne vous inquitez pas l-dessus, dit Cyrille. On na pas sonn le

    glas ; mais il y a une chose que vous ne saviez pas, monsieur le ministre :cest que, trois jours avant sa mort, mon cochon stait fait protestant !

    n

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  • CHAPITRE XII

    Battu par une voix

    A gnrales, Cyrille P. stait prsentcomme candidat la dputation. Cultivateur instruit, bien ren-seign, au courant de la politique, connu dans tout le comt,dou dune parole facile, ctait un rude adversaire. Il avait de lesprit,beaucoup desprit. Les lecteurs trouvrent peut-tre quil en avait troppour tre dput : il fut battu ! Battu par une voix.

    Ce qui rendait sa dfaite piquante, cest que la voix qui lui avait faitdfaut tait celle de son neveu, lequel remplissait, llection, la chargedofficier rapporteur. Ce neveu, homme en place, tort ou raison, navaitpas cru devoir voter. Sa voix, sil ne se ft pas abstenu, et galis la vo-tation ; et son vote prpondrant dofficier rapporteur et pu faire gagnerCyrille.

    Celui-ci avait donc t battu par une voix, par la voix de son neveu. ce propos, ses amis nemanquaient pas de le faire endver.. pour pro-

    voquer quelque riposte amusante, quelquune de ces saillies spirituelles

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  • Contes et propos divers Chapitre XII

    dont il tait coutumier.Le neveu, alors, un peu gn, restait coi. Un jour, cependant, quon

    pressait plus que de coutume le candidat dfait, le neveu se dcida parler. Que veux-tu, mon pauvre Cyrille ? se risqua-t-il dire. Ce sont l

    choses qui arrivent. Faute dun point, Martin perdit son ne Ce nest pas cela quil faut dire, repartit Cyrille, mais : Faute dun

    ne, Martin perdit son point !Le neveu crut prudent de ne plus parler.

    n

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  • CHAPITRE XIII

    La paix des champs

    L bientt tomber.Nous allions, un ami et moi, voir, du haut de la terre du vieilAnselme Letiec, le soleil se coucher derrire les Laurentides. la porte de sa maison, le vieil Anselme, assis sur le perron de bois,immobile, la pipe aux dents, regardait au loin sa terre rougeoyer aux der-niers feux du jour. Sa terre stendait, entre des cltures bien alignes, duchemin du roi la sucrerie, qui fermait lhorizon.

    Poliment, nous demandmes la permission daller, travers champs,jusquau bois.

    Allez, mes amis. Vous tes les bienvenus. Vous aurez seulement soinde fermer les barrires, rapport aux animaux.

    Et nous voil qui, en causant de toutes choses, traversons dabord leparc aux bestiaux, prs des btiments, puis des champs de foin, puis desprs, des avoines, des orges, des bls, et, voisine de la sucrerie, une friche.

    Alors, retourns vers la lumire, nous contemplons, muets et re-

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  • Contes et propos divers Chapitre XIII

    cueillis, le spectacle grandiose, et toujours nouveau, que nous sommes ve-nus revoir. Le soleil penche sur les montagnes lointaines ; dj ses rayonsse perdent dans lombre des sommets arrondis ; le bel astre, enfin, dispa-rat. Et, dun bout de lhorizon lautre, tout flamboie

    Dans la fracheur du soir, nous revenons vers la maison, toujours encausant.

    Le pre Anselme tait encore au seuil de sa porte, l o nous lavionslaiss une heure plus tt. Il continuait de regarder sa terre entrer danslombre.

    En approchant, nous nous disions lun lautre :Depuis une heure, nous avons parl de ceci et de cela, de ce que nous

    savons et de ce que nous voudrions savoir. Nous avons raisonn, discut.Si je ne me trompe, nous avons mme renvers plusieurs gouvernementset presque refait neuf la carte dumonde ! Nous nous sommes, tous deux,creus la cervelle pour trouver la solution de plus dun problme Il seraitintressant de savoir quelles ides le vieil Anselme retournait dans sa tte,pendant que nous fatiguions ainsi nos mninges

    Abordant le vieillard, je le lui demandai : Pre Anselme, dites-nous, quoi avez-vous song, pendant que

    nous allions au bois voir coucher le soleil ?La question parut dabord le prendre au dpourvu. Il rflchit un ins-

    tant, puis : Si vous voulez le savoir, pendant ce temps-l, jai pens au clos den

    haut ; je me suis demand si jallais le laisser en friche, ou si je devais, pourdtruire le chiendent, y semer du sarrasin.

    Telle avait t, une heure durant, son occupation. Et quavez-vous dcid, pre Anselme, quavez-vous dcid de faire

    du clos den haut ? Je nai encore rien dcid, reprit-il. Cest seulement pour lanne

    prochaine. Jy repenserai.

    quoi bon se proccuper de mille et une questions, quand la vie estsimple et facile ? quoi sert de se hter, quand on a le temps ? Pourquoisinquiter dautre chose que des semences futures ? Pourquoi se tour-menter vainement lesprit, quand on peut se laisser vivre, lme sereine

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  • Contes et propos divers Chapitre XIII

    et tranquille, dans la grande paix des champs ?

    n

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  • CHAPITRE XIV

    Sprott

    L loi soutiennent que la preuve des circonstancesqui ont accompagn la commission dun crime peut, dans decertaines conditions, tablir la culpabilit de laccus aussi s-rement que la preuve directe du fait qui lui est imput. Il faut cependantprendre garde que, si la conclusion nest pas inluctable, les circonstancesincriminantes peuvent laisser subsister plus dun doute. Preuve : lhistoirede Sprott.

    Un jour, dans une paroisse de la rgion du Lac-Saint-Jean, tait arriv

    un individu de piteuse apparence, mal vtu, ne possdant pour tout bienquun fusil, une hache, un vieux cheval, et un traneau btons. Il disaitse nommer Spro.

    Do sortait-il ? Quelle aventure lamenait ici ? Quy venait-il faire ?De quelle race tait-il ? On ne savait rien de lui, sauf quil sappelaitSpro, sans prnom, et quil parlait fort mal le franais. Au reste, il ne

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  • Contes et propos divers Chapitre XIV

    tarda pas se faire connatre comme un paresseux, un fainant, et unesprit born, un sans-gnie.

    Sprott stait install dans une cabane chtive, sur un terrain vacant. Ily gagnait sa maigre vie faire, chez les voisins, de menus travaux faciles.

    Il avait pass l prs dun an, quand, un certain jour dautomne, ilannona quil allait dcamper : de village en village, il ferait le tour duLac, irait jusqu la fort, et l stablirait sur un lot de colonisationLe projet parut insens. Comment cet tranger, inconnu et dnu de tout,pouvait-il esprer loctroi dun lot de terre ? Et quelle sorte de colon ferait-il ? Les gens ne sen proccuprent pas, trop heureux de le voir quitterla paroisse. Ils se cotisrent mme pour lui fournir quelques provisionsde voyage.

    Or, il y avait aussi, en ce temps-l, un garon, de 10 15 ans, orphelinde pre et de mre, qui on ne connaissait ni parent, ni ami, et que leshabitants recueillaient, chacun son tour, par charit. Il avait nom BenotTremblay.

    Pouss par je ne sais quel sentiment, Sprott proposa demmener aveclui le jeune Tremblay.

    Il arriva donc, un matin du mois de novembre, que Sprott partit, surles premires neiges, avec son cheval, son traneau, et le jeune garon.

    Le vieux cheval nallant quau pas, le voyage fut long. Ici et l, dans lesvillages ou sur la grande route, Sprott arrtait, pour passer la nuit, chezun habitant.

    chacun de ces arrts ainsi quil fut plus tard rapport par les t-moins Sprott grondait son compagnon, le rabrouait, le menaait mme.

    Je suis bien bon, disait-il, de temmener avec moi. Jaurais d telaisser l-bas. Tu ne sais rien faire ; tu nes bon rien. Mais attends, jesaurai bien me dbarrasser de toi : si je peux trouver un trou quelquepart, je ty laisserai crever de misre et de faim.

    Les bonnes gens reprochaient Sprott de parler ainsi lenfant. Cest pour lui apprendre vivre, rpondait-il.Ce fut ainsi durant tout le voyage. chaque occasion, Sprott pestait,

    maugrait, faisait entendre que le petit garon navait plus longtemps vivre, que bientt il disparatrait.

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  • Contes et propos divers Chapitre XIV

    la dernire habitation o ils firent halte, Sprott se montra encoreplus rude :

    Fais bien ta prire, ce soir. Cest la dernire que tu feras. Demainmatin, on prend le bois. Tu nen reviendras pas. Je te laisserai l. Les loupsrongeront tes os. Je serai enfin dbarrass.

    Toute la nuit, lenfant pleura silencieusement.Le lendemain, au petit jour, Sprott, suivi du petit Tremblay, senfona

    dans la fort prochaine.Vers midi, on entendit un coup de feu, au loin, dans le bois. Personne,

    dans le temps, ny porta attention. la tombe de la nuit, Sprott revint la maison, seul. O est votre petit garon ? Dans le bois, rpondit Sprott. Il est rest l.Il y avait du sang sur le fer de sa hache : Jai tu un livre, expliqua-t-il.Quelquun lui dit : Vous avez tir du fusil. Jai entendu le coup.Sprott rpondit : Oui. Jai cru voir un gibier. Je lai manqu. coutez, lami, ce nest pas comme a que les choses doivent se

    passer par ici. O est votre petit garon ? Je vous lai dit, il est dans le bois. Il va revenir. Nous verrons bien. Ce soir, il est tard. Sil nest pas de retour cette

    nuit, demain matin, vous viendrez avec nous. Vous nous montrerez ovous lavez laiss.

    Le lendemain, une neige tait tombe ; toutes les traces de pas taienteffaces.

    Ils ne trouvrent rien, pas mme les restes du livre que Sprott pr-tendait avoir tu.

    Prs dun ruisseau, ils ramassrent un vieux veston, trou dune d-chirure, quune balle avait peut-tre faite.

    Les recherches furent poursuivies longtemps, une partie de lhiver ;et elles reprirent la fonte des neiges. Tous les bois environnants furentbattus Aucun vestige ne fut dcouvert.

    Sprott fut arrt, accus du meurtre de Benot Tremblay.

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  • Contes et propos divers Chapitre XIV

    Les circonstances incriminaient Sprott : sa conduite lgard du jeunegaron, ses menaces de mort, le sang sur sa hache, le coup de feu entendu,le veston trou ; cela sajoutaient lindiffrence de Sprott, le dfaut dex-pliquer la disparition de son compagnon, des hsitations rpondre etquelques contradictions.

    De lavis du plus grand nombre, Sprott tait coupable.Mais, la preuve du crime, il manquait un lment essentiel : la mort

    de Benot Tremblay ntait pas prouve ; on navait trouv dans la fortni cadavre, ni squelette, ni ossements humains !

    Lavocat de Sprott net donc aucune peine, non plus quaucunmrite, faire librer son client. Il obtint un verdict dignoramus.

    Sprott fut relch. Personne ne parat, depuis lors, avoir entendu par-ler de lui.

    Dix ans plus tard, celui qui avait t lavocat de Sprott tait dans son

    bureau, quand se prsenta un homme quil navait jamais vu : grand,svelte, chevelure longue, teint bronz.

    Nest-ce pas vous, demanda lhomme, qui avez dfendu Sprott, ac-cus davoir tu Benot Tremblay, dans les bois du Lac-Saint-Jean ?

    Jtais son avocat, en effet. Eh ! bien, je suis Benot Tremblay !Et Benot Tremblay raconta : Pauvre, misrable et sans protecteur, faible et craintif, javais peur

    de Sprott. Je le suivais en tremblant, nosant lui rsister. Je vois bien, au-jourdhui, quil ntait pas mchant ; ctait un pauvre fou ; ses menacesne voulaient rien dire. Mais, quand je me trouvai, seul, avec lui, en pleinbois, une pouvante me prit, et je me sauvai

    Il avait alors couru de toutes ses forces, au travers des arbres, staitcach toute une nuit dans des broussailles, puis avait couru encoreRendu, puis, il avait fait la rencontre dune bande deMontagnais, qui al-laient chasser dans le Nord. Il tait rest avec eux. Pendant prs de dix ans,il avait vcu en leur compagnie, les suivant dans leurs courses, jusquauLabrador, devenu comme unmembre de leur tribu. Enfin, unmissionnairelavait trouv et ramen parmi les civiliss.

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  • Contes et propos divers Chapitre XIV

    Voil comment la circonstance fatale qui et conduit Sprott lcha-faud navait pu tre prouve, ni supple, heureusement pour lui ; lesautres circonstances avaient provoqu des soupons, mais la principalemanquait : il ny avait pas de victime ! Les gens de loi aiment parlerlatin : ils dirent que le corpus delicti faisait dfaut, ce qui tait bien vrai,puisque le jeune Tremblay tait vivant !

    n

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  • CHAPITRE XV

    Les pommes de Peter McLeod

    D P, conteur, a, dans un de ses livres, voqu lafigure et cont la vie, par endroits lgendaire, de ltrange per-sonnage que fut Peter McLeod, un jour roi du Saguenay . Retra-cer ce portrait serait faire un inutile double emploi. Je veux seulement yajouter un trait, en rapportant une histoire que ma conte un vieillard,Joachim Talbot, ancien compagnon de McLeod.

    Jeune encore, audacieux et aventurier, Joachim Talbot stait accointavec les hommes de Peter McLeod, bcherons, draveurs, chasseurs defourrures et coureurs de bois. Tout de suite engag par un contrematre, ilnavait pas encore vu le chef de lentreprise, le bossMcLeod, quand arrivale jour de la paye. lheure dite, il se rendit, comme les autres, au bureaude la Rivire-du-Moulin, pour y recevoir ses gages. Mais l, il vit un spec-tacle auquel, dabord, il ne comprit rien : les hommes taient groups en

    1. Peter McLeod, par Damase Potvin, Qubec, 1937.

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  • Contes et propos divers Chapitre XV

    face du bureau, lair dconfit et dcourag. La porte tait ouverte, et soncomptoir le commis tait sans doute prt solder les gages du mois ; maistous restaient l, sur le chemin, sans approcher : nul nosait se prsenterpour recevoir son salaire.

    Quest-ce quil y a donc ? demanda le jeune homme. Il y a, lui rpondit un ouvrier, quon se fait massacrer ! Le boss est

    arriv sur sa golette, avec une cargaison ; il a fait descendre un baril depommes et la port dans le bureau. Il sest install l, ct du baril, etsamuse viser ceux qui se prsentent. Ds quon se montre la porte : Aimes-tu les pommes ? demande-t-il ; et aussitt, avant mme quonait pu rpondre, pan ! on reoit une pomme par la tte

    La mine que la plupart avaient attestait la sret du coup dil deMcLeod et la vigueur de son bras : plusieurs avaient des yeux au beurrenoir, dautres la lvre fendue ou le nez en sang !

    Je vais y aller, dit Talbot.Des pommes, par la porte ouverte, avaient ricoch sur le terrain. Il

    en ramassa une, ferme et dure, puis se fit expliquer clairement commenttout tait dispos lintrieur du bureau, o tait le baril de pommes,o se tenait McLeod : McLeod, avec son baril, tait au fond, en face delentre, derrire le comptoir, dix pieds de la porte.

    Ainsi renseign, et la pomme bien en main, le jeune homme, sanshsiter, monta les marches du perron, se prsenta la porte du bureau peine avait-il mis le pied sur le seuil quil entendit une voix railleusevenir de lendroit do il savait que le boss guettait :

    Aimes-tu les p ?McLeod neut pas le temps dachever : dun bras sr et vigoureux,

    Talbot avait lanc sa pomme dans la bonne direction et attrap McLeoden plein front !

    Linstant daprs passa comme un clair. Dun seul bond, McLeodfranchit le comptoir, sans y toucher, et tomba en face du jeune homme ;de ses deux mains, dures comme des taux de fer, il le saisit aux paules etse mit le secouer, comme lautomne on secoue un pommier, en disantentre ses dents :

    Enfin ! Enfin, jen ai trouv un !Dtre secou de la sorte, Talbot sentit monter sa colre. Il serra les

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  • Contes et propos divers Chapitre XV

    poings, prt frapper Mais il aperut soudain un sourire dans les yeuxclairs de McLeod.

    Enfin ! Enfin, rptait celui-ci, jai trouv un homme ! Commenttappelles-tu ?

    Talbot, Joachim Talbot. Depuis combien de temps travailles-tu ici ? Depuis un mois. Combien gagnes-tu ? Cinquante sous par jour.McLeod le lcha, et, se tournant vers le commis : cris dans ton livre que Talbot, Joachim, est contrematre sur mes

    chantiers et que ses gages sont dune piastre par jour Enfin, jai trouvun homme qui na pas froid aux yeux !

    Puis, revenu Talbot, et montrant son front o dj paraissait unebosse :

    Une autre fois, tu viseras mieux. Pour aveugler un homme, cest lil, vois-tu, lil quil faut frapper.

    Cest de cette manire que le jeune audacieux avait jadis gagn les-time de Peter McLeod, tait devenu son homme de confiance.

    Joachim Talbot, trs vieux, restait fidle la mmoire de son ancienmatre :

    Il tait rude, mais juste, disait-il.. Je laimais.. Il est mort dans mesbras.

    Et la voix du vieillard se brisait, au souvenir de la fin tragique de celuiquil avait longtemps servi et aim.

    n

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  • CHAPITRE XVI

    Le coureur de bois solitaire

    Q de passage, laller ou au retour dune randonneen fort, Gagnon dit Grandmont, chasseur, trappeur, coureur debois, braconnier au besoin, avait coutume darrter chez nousquelques moments, le temps de boire une tasse de th avec une larmededans. Une fois quil ntait arriv qu la brunante et quil avait, le len-demain, une longue course faire, il passa la maison toute la nuit. Nousemes le temps de le faire parler.

    Dhumeur taciturne, il ntait pas causeur. Cependant, ceux qui ai-maient, comme lui, le bois, la montagne, la grande nature, il parlait pluslibrement et disait volontiers ses impressions, pourvu quon le question-nt.

    Quel tait son ge ? Il lignorait peut-tre lui-mme, et dans tous lescas ne sen souciait gure. On savait seulement quil tait presque octo-gnaire ; mais sa dmarche alerte, son pas agile et sr, sa chevelureabondante, toute noire, peine argente vers les tempes, on ne lui et pas

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  • Contes et propos divers Chapitre XVI

    donn plus de cinquante ans ; son regard tait rapide, ses muscles durs etsouples. Il avait la vigueur et lallure dun jeune homme.

    La fois dont je parle, on tait en plein hiver, la mi-dcembre. Leschamps taient couverts de neige, les montagnes toutes blanches, les lacsgels.

    Gagnon dit Grandmont tait harnach en consquence : gros capotdtoffe du pays, avec capuchon, ceinture flche, casque de fourrure, mi-taines de cuir et souliers mous. Une paire de raquettes montagnaises lesseules bonnes pour gravir les pentes un fusil en bandoulire, un cou-telas au ct compltaient son fourniment. Sur une trane sauvage, quiltirait aprs lui dans la neige, le reste de son quipement tait solidementassujetti par des courroies : la double toile de sa tente, une carabine, unehache, les ustensiles ncessaires au campement, des munitions, quelquesprovisions de bouche indispensables, tout lattirail et larroi dun long s-jour dans le bois.

    Et o allez-vous, cette fois-ci, pre Gagnon ? Pas loin. Rien quaux monts Sainte-Marguerite.Il nallait pas loin ! Il allait seulement aux monts Sainte-Marguerite ! En effet, cest tout prs ! Seulement vingt milles de toute habi-

    tation ! Mais voici venir Nol, le Jour de lAn, les Rois. Serez-vous deretour pour les Ftes ?

    Cest cause des Ftes que je men vas. Chez ma bru, o vous sa-vez que je reste, il y a trop de monde, pendant les Ftes, trop de remue-mnage. a magace. Il ny a pas moyen dtre seul, de penser tranquille-ment. Je passerai le temps des Ftes dans la fort.

    Il est certain que l vous serez tranquille ; personne nira vous d-ranger ; vous serez seul.

    Oui, tout seul, dans la montagne, avec les arbres et les btes quirdent.

    Et le vieux coureur de bois paraissait jouir davance de cette solitudevers laquelle il allait.

    Ne craignez-vous rien, ainsi perdu dans le grand bois ? De quoi aurais-je peur ? Il ny a pas, l, de mchantes gens. Parfois,

    il y a les loups Mais jai ma carabine. Un coup de feu les loigne. Vous chassez donc, pre Gagnon ?

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  • Contes et propos divers Chapitre XVI

    Un peu. Seulement pour avoir de quoi manger. Pourquoi tuer depauvres btes qui ne vous font pas de mal ?

    Vous arrive-t-il parfois de voir un gibier porte de votre carabineet de le manquer ?

    Cette question ltonna Pourquoi est-ce que je le manquerais ? Avant de tirer, je vise. Un

    animal que je vise est un animal mort. Et que faites-vous, tout le jour, pre Gagnon, pour passer le temps ?Ce nest pas moi qui fais passer le temps ; le temps passe tout seul, et

    vite. Moi, je regarde, et jcoute Il y a beaucoup de choses voir, quandon est seul ; beaucoup de bruits entendre, dans le silence. Je regarde,jcoute, et le temps passe.

    Et la nuit ? Ah ! la nuit ! Cest ce quil y a de plus beau. Tous les bruits prennent

    un sens. Je les connais tous, les bruits de la fort. Je sais ce que veulentdire un tronc darbre qui craque, une branche qui se casse, un souffle dansles broussailles, un battement dans lair, lcrasement de la neige sous unpied lourd Ainsi, je sais ce qui se passe tout autour de moi. La nuit, lesombres aussi me parlent, et je les comprends. Tout bas, je leur dis ce que jepense ; tout bas, dans le vent qui passe, elles me rpondent. Toute la nuit,une rumeur court la fort, va dune montagne lautre. Je lcoute et je lacomprends. Dans la nuit, je prie aussi, je dis mon chapelet ; et jentendsla voix des montagnes finir les ave. Dans la nuit, au clair de la lune oudes toiles, les montagnes arrondissent leurs dos tout blancs, comme desmoines prosterns. Rien nest beau comme la nuit dans la fort.

    Et quand la tempte se met siffler ? Alors clate, venant on ne sait do, le chant terrible des bois en co-

    lre. Le vent hurle ; les arbres sentrechoquent ; des clameurs et des huespassent dans la rafale. Debout, la porte de ma tente, je me dresse, toutseul ; je me raidis contre la tourmente ; je crie louragan : Tu ne merenverseras pas ! Je suis plus fort que toi ! Je suis le roi de la fort !

    Le vieux Gagnon dit Grandmont navait pourtant ni lettres, ni culture

    savante. O trouvait-il ces ides et cette langue ? Il navait pris de leonsque de la montagne et des grands bois

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  • Contes et propos divers Chapitre XVI

    Potes, potes, que nallez-vous cette cole !

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  • CHAPITRE XVII

    Le Roi

    E toutes les dmocraties, nous nous souvenons de laroyaut.La franchise est lune des qualits dont notre peuple, juste-ment, fait le plus dtat. Dire dun homme quil est franc, cest faire en-tendre quil est la fois droit et honnte, probe et fidle, juste et loyal, sin-cre et vridique, sans artifice ni dissimulation. Pour marquer une vertu sihaute, il faut un terme qui ne permette aucun doute. Il est franc commelpe du roi , dit-on.

    Notre ancienne mesure, le pied franais, long de 325 millimtres,sappelait le pied de roi . Aujourdhui, le pied a t raccourci (on araccourci tant de choses !) il na plus que 305 millimtres ; mais cesttoujours, chez nous, le pied de roi.

    Lancienne lgislation donnait le nom de chemins royaux auxchemins qui faisaient partie du domaine de la Couronne ; aujourdhui,nous les appelons vulgairement chemins du gouvernement . Mais les

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  • Contes et propos divers Chapitre XVII

    autres grands chemins de nos campagnes, proprit publique aussi, et quiappartiennent aux corporations municipales, sont rests les chemins duroi.

    De quel roi notre peuple se souvient-il ?Je pense que cest dun roi trs ancien. Les enfants, dans nos coles,

    nont-ils pas encore lhabitude dcrire sur chacun de leurs livres : Ce livre est moiComme la France est au Roi ?

    En tout cas, le vieux Grgoire--Nazaire je ne lui ai jamais connu

    dautre nom qui vivait seul, au bout du village, du produit dun petit lo-pin de terre, le vieux Grgoire se souvenait du Roi, sa manire. Il croyaitau Roi, ne jurait que par le Roi, navait confiance quau Roi, ne plaait tousses espoirs que dans le Roi. Pour donner chacun le pain quotidien, pourassurer tous la vie et lternit, il fallait sans doute compter sur le BonDieu ; mais, aprs le Bon Dieu, il ny avait, ici-bas, que le Roi qui valtquelque chose.

    Bien que le pre Grgoire ne parlt jamais que du Roi, peut-tre fallait-il entendre quil tait ainsi fidle la Royaut plutt qu un monarqueparticulier.

    Do cette foi vivace lui tait-elle venue ? De ses lectures, peut-tre.Il avait quelque instruction, et ne dfendait pas trop mal sa doctrine po-litique.

    Ceux qui ne croyaient pas au Roi lui faisaient piti. Comment donc irait le monde, sans le Roi ? disait-il. Qui comman-

    derait ? qui les hommes obiraient-ils ? Ce serait lanarchie, et bienttla barbarie. Les hommes ne sont bons qu obir ; et ils nobissent quesils sont commands. Il leur faut le Roi !

    Pre Grgoire, lui disions-nous, pre Grgoire, pour commander, ily a le Gouvernement !

    Le gouvernement, quest-ce que cela, sans le Roi ? Le Roi seul a ledroit de gouverner, parce que seul il en a reu le don. Ce nest pas denbas que vient lautorit.Qui prtend lavoir reue dailleurs que den hautest un usurpateur.

    Nous reprenions :

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  • Contes et propos divers Chapitre XVII

    Pre Grgoire, ne pensez-vous pas que des ministres peuvent assu-rer le bon gouvernement de ltat ?

    Desministres ! Et qui nommera les ministres, si le Roi ne les nommepoint ? qui les dirigera ? qui sera leur matre ? Sans le Roi, les ministresne sont rien.

    Pre Grgoire, vous oubliez que les dputs sont l, dans lesChambres, pour surveiller les ministres, leur demander compte de leuradministration, et faire les lois. Navez-vous pas confiance en vos dpu-ts ?

    Pourquoi aurais-je confiance en eux ? Cest moi, cest vous, cestnous tous qui les choisissons ; et la plupart du temps nous les choisissonsmal. Nous ne sommes pas libres de les choisir mieux. Je ne fais pas res-semeler une paire de bottes sans massurer que le cordonnier a quelqueconnaissance de son mtier ; et je suis appel lire un dput, sans luifaire subir le moindre examen ! La loi exige quun conseiller municipalsache lire et crire ; dun candidat la dputation, cela mme nest pasdemand. Les dputs sont mes mandataires, dites-vous ? Ils nen saventpas plus long que moi ; et comment puis-je leur confrer un pouvoir quine mappartient pas ?

    Pre Grgoire, lui avons-nous dit, vous savez bien que nous lisonsles dputs parce que nous sommes le peuple.

    Ah ! oui, a-t-il rpliqu, la blague du peuple souverain ! Je vous en-tends : nous sommes tous des rois ! Il y a, de la sorte, plusieurs millionsde rois dans le pays. Rgnerons-nous tour de rle, ou tous la fois ? Sinous devons exercer le pouvoir lun aprs lautre, il y en a plusieurs dontle tour ne viendra pas de sitt ; et si nous devons gouverner tous la fois,que Dieu ait piti de nous !

    Et le bonhomme, triomphant, concluait : Vive le Roi !Parce que son raisonnement obstin clochait sur plus dun point,

    Grgoire--Nazaire passait pour fou. Il ne ltait peut-tre pas.

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  • CHAPITRE XVIII

    Le vieux notaire

    Y de vieux notaires ? On nen rencontre plus gureque de jeunes, et qui, semble-t-il, ne sauront jamais vieillir. Sansdoute, pour arriver prendre de lge, il faut commencer par trejeune ; mais ce que jentends, cest que les tabellions de nos jours ne pa-raissent pas