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MAGAZINE éducation WWW.EDUCATIONMAGAZINE.FR NUMÉRO 12 / JUILLET-AOÛT 2011 NOTRE DOSSIER POUR OU CONTRE LES DEVOIRS DE VACANCES ? CAHIER CENTRAL QUE FAIRE CET ÉTÉ ? 12 PAGES SONDAGE Colonies de vacances, quelle image ? JEUX VIDÉO, WEB L’addiction des ados vue par Serge Tisseron LA REVUE DES PARENTS ET DES ENSEIGNANTS 3:HIKRMF=^UYWU^:?k@a@b@l@a; M 07259 - 11 - F: 4,20 E - RD ENTRETIEN La laïcité en questions Henri Pena-Ruiz

Comment réagir face aux addictions de nos adolescents

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Comment réagir face aux addictions de nos adolescents

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MAGAZINEéducation

WWW.EDUCATIONMAGAZINE.FR

N U M É R O 1 2 / J U I L L E T - A O Û T 2 0 1 1

NOTRE DOSSIER

POUR OU CONTRE LES DEVOIRS DE VACANCES ?

CAHIER C

ENTR

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QUE FAI

RE

CET É

TÉ ?

12 PA

GES

SONDAGEColonies de vacances,

quelle image ?

JEUX VIDÉO, WEBL’addiction des ados

vue par Serge Tisseron

LA REVUE DES PARENTS ET DES ENSEIGNANTS

3:HIKRMF=^UYWU^:?k@a@b@l@a;M 07259 - 11 - F: 4,20 E - RD

ENTRETIENLa laïcité en questions

Henri Pena-Ruiz

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Votre enfant passe son temps sur les jeux vidéo, discute des soirées entières avec

ses amis sur les réseaux sociaux. Quel rôle ou quel contrôle envisager en

tant que parent ou enseignant ? Éducation Magazine a interrogé Serge Tisseron, psychiatre et spécialiste des Univers Virtuels et Nouveaux Médias.

Serge Tisseron, peut-on donner une explication à l’intérêt des jeunes aujourd’hui aux nouveaux médias et aux relations qu’ils peuvent avoir sur Facebook, MSN ou autre média social ? « Dans les années 1990, consacrer plus d’une trentaine d’heures par semaine aux jeux vidéo était considéré comme un comportement pathologique. Ce n’est pas forcément le cas aujourd’hui parce qu’il a été montré que les enfants peuvent fa-cilement y consacrer trente heures par semaine tout en faisant leur travail à l’école et en conservant des relations nor-males avec leur entourage. Cette nouvelle génération d’adolescents est appelée en Angleterre les « screenagers ». Elle ne demande plus seulement aux écrans ce qu’elle doit penser du monde, mais aussi ce qu’elle doit penser d’elle-même. Les jeunes pianotent sur leurs cla-viers à la recherche d’interlocuteurs qui leur disent qui ils sont. Mais en même temps, ce désir est vieux comme le monde. C’est en repérant les façons dont il peut intéresser les autres que l’adolescent apprend à s’aimer lui-même. J’ai désigné le désir en jeu dans cette démarche sous le terme d’« extimi-

té » (2001). Il est inséparable de l’intimité dont il constitue en quelque sorte l’autre facette. Internet est aujourd’hui l’espace où ce désir s’élargit à la planète entière. »

FACEBOOK, MSN, JEUX VIDÉO

Serge Tisseron Comment réagir face aux

« addictions » de nos adolescents ?PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC FOURCAUD

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Jeux vidéos, réseaux sociaux,tout ceci se résume souvent, pour les parents, à une présence devant un écran, mais parle-t-on de la même chose et en quoi y a t’ildes différences ?Les jeux vidéo en réseau et Facebook sont pour les adolescents des espaces de socia-lisation et de nouveaux rituels de passa-ge de l’enfance à l’âge adulte. D’ailleurs, dans les deux cas, la raison principale mise en avant par les utilisateurs est le désir de se socialiser, de rencontrer des amis et de partager avec eux. A partir de là, les dangers ne sont pas les mêmes. Sur les jeux vidéo, le seul problème est la désorganisation de l’emploi du temps. Sur les forums et les chats, on prend des pseudos qui invitent parfois à cultiver la provocation, et sur Facebook on court le ris-que de mettre dans l’espace public des fragments de son intimité qui ne s’eff acent ja-mais et peuvent nuire ensuite à celui qui les a laissés. Je propose d’y aller en se sou-venant toujours de trois rè-gles fondamentales : tout ce

qu’on y met peut tomber dans le domaine public, tout ce qu’on y met y restera éter-nellement, et tout ce qu’on y trouve est sujet à caution et nécessite la confronta-tion avec d’autres sources.

Faut-il interdire, réguler ? Comment réagir et à quel moment ? « D’abord, il faut rester prudent sur le risque de « pathologiser » des compor-tements en pleine expansion, et dont les éventuelles conséquences, aussi bien positives que négatives, sont encore très mal connues. L’usage intensif d’Internet n’entraîne pas une plus grande solitude. En revanche, un sentiment important de solitude ou une faible estime de soi peu-

vent entraîner un usage pathologi-que d’Internet. Mais s’il n’y a pas de conséquences négatives sur la vie de la personne, le comportement excessif n’est pas un comportement pathologique. Par

Il y a beaucoup à faire

pour encourager les bonnes pratiques et dissuader les mauvaises. »

‘‘ailleurs, la question de l’adolescence est très spécifi que. Les travaux d’imagerie cérébrale montrent qu’à l’adolescence il existe un déséquilibre physiologique entre les structures impliquées dans la réactivité émotionnelle, qui sont déjà en place, et celles qui sont impliquées dans la régulation de l’impulsivité. En d’autres termes, un adolescent qui ne parvient pas à contrôler ses impulsions, et notamment son désir de jouer, n’est pas un malade, mais tout simplement un adolescent normal. Cela oblige à relativiser l’usage des mots « addiction » et « dépendance » à l’ado-lescence. A cet âge, le jeu est souvent ex-cessif en rapport avec la crise d’adoles-cence et c’est aux parents de jouer leur rôle. Mais il est très rarement pathologi-que, et lorsqu’il l’est, c’est du fait d’une pathologie sous-jacente. Le plus souvent, l’adolescent a seule-ment besoin d’être cadré par ses parents, car sans leur aide il n’a pas les moyens psychiques de contrôler ses impulsions. Les parents doivent imposer des limi-tes à l’usage d’Internet afi n d’éviter les excès. Mais le seul critère sur lequel ils doivent se guider est les résultats scolai-res. Pour le reste, le jeune gère son em-ploi du temps comme il le désire.

Les parents seuls sont-ils seuls responsables ? Ou bien est-ce le rôle de tous de sensibiliser, apprendre et comprendre ?Il y a beaucoup à faire pour encoura-ger les bonnes pratiques et dissuader les mauvaises. L’école doit donner des repères, notamment en expliquant les modèles économiques et le marketing des divers médias (jeux vidéo, Facebook, Youtube…) ainsi que leurs spécifi cités. Elle doit aussi expliquer le droit à l’ima-ge, et la diff érence entre espace intime et espace public ainsi que le droit à l’in-timité. Les collectivités publiques, elles, doi-vent valoriser les productions d’images des jeunes et faciliter les échanges inter-

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générationnels autour d’elles. Cela peut se faire notamment par l’orga-nisation, à l’échelle desétablissements scolai-res, des villes et des départements, de fes-tivals des images qu’ils créent, notamment à partir des jeux vidéo et avec leur téléphone mobile. La ville de Va-lence, dans la Drôme, organise à partir de cette année un festival annuel de fi lms faits au téléphone mobile que j’ai l’honneur de parrainer.Quant aux parents, outre le fait de ca-drer et d’accompagner en s’intéressant aux activités de leur enfant, ils doivent apprendre à distinguer entre les usages excessifs, qui relèvent de la passion en-thousiaste, et les usages véritablement pathologiques. En eff et, la passion ajou-te à la vie alors que la pathologie l’am-pute. Pour y arriver, trois questions peu-

vent les y aider : La première est : « Est-

ce que tu joues seul

ou avec d’autres ? » Le jeune qui répond jouer seul est plus menacé que celui qui joue avec d’autres. Et parmi ceux-ci, le cas le moins pré-occupant est celui dans lequel l’adolescent joue avec des camarades de classe qu’il connaît. Ce-lui qui retrouve en eff et le soir dans ses jeux les copains qu’il fréquente la journée à l’école est

peu menacé de développer un usage pa-thologique. Il évolue simplement avec sa classe d’âge et se détournera naturelle-ment des jeux sous l’eff et de l’établisse-ment d’un contrôle de ses impulsions et de l’évolution des pratiques des ses ca-marades. La seconde question à poser est: « Est-ce

que tu as pensé à faire plus tard ton mé-

tier dans la profession des jeux vidéo ? ».

L’adolescent qui répond oui doit immé-diatement bénéfi cier d’une aide pour réaliser son but. En revanche, celui qui dit préférer jouer plutôt que penser à son avenir se trouve évidemment dans une situation préoccupante : il joue plus probablement pour tenter d’échapper à un déplaisir que pour le plaisir qu’il y trouve.Enfi n la troisième question à poser concerne les pratiques de création d’ima-ges à l’intérieur des jeux vidéo. Celui qui utilise les espaces virtuels comme des lieux de création doit y être encouragé parce que c’est à la fois une compétence et une forme de socialisation. ❙

EN SAVOIR PLUSLes derniers ouvragesde Serge Tisseron sur le sujet• Manuel à l’usage des parentsdont les enfants regardent trop la télévision, 2006, Paris : Bayard.• La Résilience, 2007, Paris, PUF, « Que sais-je ? »Virtuel, mon amour ; penser, aimer, souffrir à l’ère des nouvelles technologies, 2008, Paris, Albin Michel• Qui a peur des jeux vidéo ?, 2008, Paris, Albin Michel (Avec Isabelle Gravillon).• Les dangers de la télé pour les bébés, 2009, Toulouse, Érès• L’Empathie, au cœur du jeu social, 2010, Paris, Albin Michel.

Celui qui utilise les espaces virtuels comme

des lieux de création doit y être encouragé parce que c’est

à la fois une compétence et une forme de

socialisation. »

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