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Comment la prosodie construit
le sens dans la parole ?
Un outil pour voir
Anne Lacheret
Université Paris Ouest Nanterre
Journée d'hommage à Catherine Fuchs et Bernard Victorri, septembre 2012
(…) l'instrument est outil de
perception (…) l'outil est instrument,
c'est-à-dire le premier moyen de
s'instruire de ce qu'il effectue, de
considérer ce qu'il fait comme un
monde (une dimension ou une partie
nouvelle du monde) qu'il donne aussi
à connaître.
(Simondon 1958)
Prosodie, syntaxe et discours
questions posées (1/2)
• Questions en linguistique théorique
– Rôle des marqueurs intonosyntaxiques dans la construction du
sens en contexte
– Quelles contraintes fonctionnelles pour la structuration prosodique du continuum sonore (production) ?
• Contraintes syntaxiques : achèvement, complétude, autonomie ?
– Quels indices prosodiques pour la segmentation fonctionnelle du continuum sonore (compréhension) ?
• Marquage de la structure communicative ?
• Segmentation du flux sonore en unités de discours élémentaires ?
Prosodie, syntaxe et discours
questions (2/2) • Question en linguistique de corpus
– Quels observables et quels outils pour observer ?
• Aller-retour entre traitement manuel et traitement automatique, nouvelle lunette d’observation pour
– Sonder les intuitions du linguiste
– Falsifier et consolider les hypothèses
– Descriptions ponctuelles fines généralisations descriptives
• Architecture flexible, souple, gestion contrôlée des paramètres de travail
– Traitement automatique : les attentes du linguiste • Outils de diagnostic, contrôler/guider/interroger les traitements
manuels – Exigences d’explicitation
– Nouvelles perspectives théoriques
• Passage à l’échelle : étiquetage automatique de gros volumes de données
– Méthodes quantitatives : phénomènes de fréquence (perçue vs mesurée) articulées aux catégories descriptives existantes
Prosodie, syntaxe et discours
hypothèses (1/2)
• Hypothèse textuelle : à la recherche de la
syntaxe perdue (cf. Charolle et al. 2002, existe-t-
il une syntaxe au-delà de la phrase ?)
– Une organisation hiérarchique : à l’oral comme à
l’écrit (J.M. Adam), il existe des unités textuelles de
base et l’énoncé résulte d’une mise en série des
propositions et de leur empaquetage dans des unités
textuelles de niveaux croissants de complexité
Prosodie, syntaxe et discours
hypothèses (2/2)
• Hypothèse cognitive : donner à voir « Au cours de l’activité de parole, se produit un processus
cognitif très particulier, qui consiste pour le locuteur à essayer de construire un espace extérieur à lui-même, partageable par ses interlocuteurs, et dans lequel il donne à voir ce dont il parle comme une scène projetée devant eux. L’acte d’énonciation de base serait donc constitué d’au moins deux éléments : la description d’une scène et la donnée d’un point de vue sur cette scène, ce deuxième élément étant essentiel pour permettre le partage de la “vision”. Victorri & Fuchs (1996, 200).
Selon cette conception de l’interlocution, les données prosodiques contribuent largement à la construction de la scène verbale, puisqu’elles servent soit à évoquer des entités ou des événements sur cette scène, soit à en modifier le point de vue.
Annotation prosodique : pourquoi faire ?
Sur les bases d’indices prosodiques
• Segmenter en unité – identifier les transitions (passages) d’une unité à une autre
• Identifier des relations (liage ou rupture entre unités)
• Catégoriser/typer les unités (contours prosodiques prototypiques) – En termes de saillance relative
Portée fonctionnelle
Transformer des données brutes (continuum sonore) en
données observables
reconnaître, identifier, comparer, classer, etc
Analor : les différentes étapes (1/10)
• Etape 0 1995-1998, des yeux pour voir
– Phase exploratoire, 1 corpus d’analyse (séquence
narrative, 5’parole),
– Instrument : logiciel d’alignement texte-son
(découpage en syllabes, sous mapple V)
– Focus linguistique : opérations de thématisation
(Fuchs & Marchello-Nizia, 1998)
• Emergence de la notion de « période » comme
unité ultime de l’analyse ?
• Critères acoustiques pour formuler des hypothèses
sur la structuration du discours en différents plans
thématiques
– Formes acoustiques prototypiques
Analor : les différentes étapes (2/10)
• Etape 0 (suite)
– Aspects innovants :
• Approche inductive, bottom-up
• Détachement topical : ce que la syntaxe ne code pas, la prosodie le code
Hypothèse de l’économie comme facteur essentiel de structuration du langage
François, J., 1998. « Grammaire fonctionnelle et dynamique des langues : de nouveaux modèles d’inspiration cognitive et biologique », Verbum, 20/3, 233-256.
Analor : les différentes étapes (3/10)
• Etape 1 : 1998-2004, un outil pour voir globalement
– Segmentation macro : seg. semi-automatique en périodes intonatives (10 interview de 10’ chacun, 10 locuteurs, séquences narratives et argumentatives);
• Critères de segmentation invariants : jeu de paramètres acoustiques et seuils d’activation (pause, geste mélodique, etc.)
• Implémentation d’un mécanisme de segmentation automatique pour tester de manière systématique le principe de découpage en périodes issu de l’analyse phonétique (ex. pause = critère nécessaire mais pas suffisant)
• Principe de compensation/économie: souplesse dans la détermination des seuils, décision de coupure dépend de la situation d’ensemble
– segmentation manuelle des périodes en unités prosodiques internes (proéminences terminales)
Analor : les différentes étapes (4/10) • Etape 1 (suite)
- Instrument : Analor 1 (Matlab, PC)
- Focus linguistique : prosodie des circonstants (cadrage en tête et compléments +-différés);
- Aspects innovants
- Hypothèses sur la structuration interne de la période
- Liage et emboîtement (DOM) vs autonomie et rupture entre les éléments (marqueurs dépendance rectionnelle)
- Période et constituants orphelins
• Je suis née à Cannes//pendant la guerre
• Le commissaire du district//le préfet du lieu
Pourquoi ces coupures ?
Motivation pragmatique (bonne formation communicative vs bonne formation syntaxique)
Chafe : « spotlight of consciousness : diriger l’attention de l’interlocuteur sur l’élément essentiel d’un message, porter cet élément à sa conscience immédiate.
Analor : les différentes étapes (5/10)
• Etape 2 : 2005-2011 : un outil pour voir beaucoup plus précisément
– Détection semi-automatique des proéminences syllabiques internes
aux périodes (corpus Avanzi 2011, multigenres, multistyles, plusieurs
heures)
• Proéminence perçue vs mesurée
• Aspects innovants
– Tracés acoustiques (DOM) <-> corrélats perceptifs ?
• Question de l’annotation catégorielle vs continue : 3 degrés :
0/W/S
– Hagège 1979, p.6). : « Il est clair que l’intonation ne peut pas
être comprimée, quelque artifice qu’on déploie à cette fin,
dans le cadre de la double articulation […]. Pour traiter
l’intonation en l’intégrant au nombre des faits linguistiques
définis par le relais qu’ils instaurent entre la forme et le sens,
il faut aménager un autre cadre. »
Hagège Cl., 1979, « Intonation, fonctions syntaxiques, chaînes-
système et universaux des langues », Bul. Soc. Ling. Paris , LXXIII,
1, p.1-48.
Analor : les différentes étapes (6/10)
• Etape 2, aspects innovants (suite)
– Méthode d’apprentissage automatique pour la détection des
proéminence sur des corpus, 70’, variés (variation diatopique et stylistique : formel) : trouver les meilleurs paramètres pour la détection des proéminences
• Retour sur la question des genres
– Bakhtine
énoncés structurés, moulés, dans des genres de discours
un genre porte en lui-même les conditions de ses propres modes de production
Genres (systèmes de genres) générateurs de formes prosodiques
Analor : les différentes étapes (8/10)
• Etape 2 (suite)
– Instrument : Analor 2 (Matlab, PC, exports exel)
• Avanzi, 2011, chap 3 LE LOGICIEL ANALOR – UN OUTIL
POUR DÉCRIRE LA STRUCTURE PROSODIQUE DU FRANÇAIS
– Focus linguistique : dislocations gauches, incises finales, greffes de constructions verbales (tu vas pas me la jouer débrouille-toi ma poule), constructions asyndétiques (C’est une nana un jour c’est oui un jour c’est non )
Analor : les différentes étapes (9/10) • Etape 3 : 2008-2012, un outil pour que tout le monde s’y mette
– Traitement intégré des périodes et des proéminences (corpus
ANR-Rhapsodie, 57 enregistrements échantillonnés en 3 genres,
198’)
– Aspects innovants
• Solutions pour découpage en périodes dans des échantillons
de dialogue (interruptions, chevauchements,inachèvements,
etc)
• Stylisation par lissage des contours de la F0 qui permet de
filtrer les variations micro-prosodiques sans fausser les
valeurs extrémales de la F0
– Typologie de contours fonctionnels, contours globaux
prototypiques sur des unités de nature et d’empan
variable (cf. Delattre 1966)
Analor : les différentes étapes (10/10)
• Etape 3 : 2008-2012 (suite)
– Instrument : Analor 3 (outil++ flexible, ouvert, interactif), JAVA,
PC & MAC; nveaux imports et exports : documents PRAAT;
prosogramme (annotation tonale automatique)
– Focus linguistique : interface prosodie-macrosyntaxe et
microsyntaxe, prosodie des structures de pile
• http://www.projet-rhapsodie.fr/
• Lacheret, kahane, Pietrandrea (2013): Rhapsodie: a
Prosodic and Syntactic Treebank for Spoken French,
Amsterdam, Benhamins
Conclusions et perspectives
• La prosodie, pour quoi faire ?
– Être coopératif
• Instructions interprétatives (signaux et non signes)
• Inférences au moindre coût
• Perspective praxeologique sans le savoir ; voir plus tard
Berrendonner 2011, 81: « une langue n’est pas un système de
signes, mais doit plutôt être conçue comme un système d’opérations
…décrire la langue, c’est modéliser le système des actions qui
composent le discours »
– Voir aussi la théorie des opérations énonciatives de Culioli
Berrendonner A., 2011, Unités syntaxiques et unités prosodiques, in Fl.
Lefeuvre & E. Molines éds, Unités syntaxiques et unités
prosodiques, Langue française 170, Paris, Larousse, 81-14