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Comme Moi est un projet melant photographies texte, mémoire et imagination...
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Papa : « Raconte une histoire, Gabriel.»Gabriel : « Papa, Maman, Eugénie, Pauline...»(enregistrement sonore, 1988)
L’histoire racontée icipourrait ne pas avoir existé. C’est toujours la même chose.Un récit de la banalité.Il ressemble à l’hiver.
Tout est une invention.
À Noël, le soleil se couchedans l’axe de la salle à manger.Tout est lent,mais la pâle lumière éblouit.On se souvient parfois des ambiances,mais pas toujours des gens.
C’est comme si Papa et Mamanne s‘étaient jamais rencontrés
Cela correspond à cette époque abstraite où l’on n’existe pas,Pas encore. Cette époque peut être écrite, imaginée, fantasmée.
Tout cela ressemble au défilement de quelques événements illusoires.
Là-bas, la lumière est la même partout. Et le temps semble long. On s’arrête de manger pour poser.C’est un soir qui n’en finit jamais.
Dans les albums ne sont conservées que les imagesqui ne montrent pas ce que l’on voulait voir.
Papa et Maman ont quand même dû se rencontrer. Il n’existe pas de photos où ils sont tous les deux ensemble.
Ils ont eu une fille, Pauline.Maman, le jour de la naissance, s’est retrouvée envahie de journaux. La guerre du Viêt-Nam venait de se terminer.
Papa a roulé dans les rues en criant qu’il était Papa.
Pauline est l’aînée.
C’est elle qui a transformé le couple en famille.
C’est difficile de s’imaginerPauline petite fille.Il n’y a que les images qui peuvent rendre cela possible.
Elle était fille unique.Mon père avait installé pour elle une balançoire entre son bureau et sa chambre d’enfant, quand ils se sont installés à Besançon.
Puis Eugénie est née à Besançon, un soir de novembre 1979.
Elle est née prématurée.Maman est partie en urgence au bloc.
L’événement n’était pas attendu si tôtLe temps a manqué, on a oublié de faire des photos.
Eugénie est venue au monde.
C’est dans les longues nuits parsemées de biberons,
que Papa et elle ont fait connaissance.
Au cours de ces nuits, Papa a perdu le sommeil.
Les images fabriquent une mémoirequi n’appartient à personne :l’impression d’avoir vécu certains moments, sans même être né.
Les rires, les confusions,la chambre de Papa et Maman ;la maison, rue Roux-Alphéran,ou la chambre d’enfants de Sigonce.
On dirait que cette époqueoù l’on ne vit pasressemble à un immense hiver.On ne sais pas d’où viennentla lumière,la nuée,le haut ou le bas.
Cet univers ne ressemble pourtant pas au ventre de Maman.
Cet univers ne ressemble pourtant pas au ventre de Maman.
L’hiver s’intensifiait.
Il s’est mis à neiger. Un mardi matin.Je ne m’en souviens pas
Mon monde s’est rempli peu à peu.
Quand on lui a annoncé la date, Papa s’est dit :« comme moi ».
C’était en mars.Pour son anniversaire, Papa a eu un garçon.Ce jour-là, les mineurs anglais, après un an de lutte, mettaient fin à une grève qui durait.
À partir de ce jour, , Pauline et Eugénie ont eu cinq et neuf ans de plus que moi.
Le soir, Eugénie a demandé à Papa si l’on m’avait appelé Gabriel, parce que dans le ventre de Maman je récitais « je vous salue Marie ».
En photos, le bain ou le baptême, c’est la même chose. Tous les événements de cette vie restent abstraits.
On ne reconnaît pas les visages, ni les personnes.
L’hiver se terminait
On brûlait encore les feuilles mortes,le bois et les rameaux de l’hiver.
Alors on est sortis.
© Gabriel Coutagne, Juin 2010.