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ASSOCIATION FRANCAISE DES ADMINISTRATEURS DE L’EDUCATION Colloque académique La décision, de la classe à l’établissement. Traces et portée Mercredi 8 février 2012 CRDP de Lille Regroupement des textes

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ASSOCIATION FRANCAISE DES ADMINISTRATEURS DE L’EDUCATION

Colloque académique

La décision, de la classe à l’établissement. Traces et portée

Mercredi 8 février 2012

CRDP de Lille

Regroupement des textes

 

   

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Vers  le  Colloque  du  8  février  2012  :  réfléchir  à  l’acte  de  décider  au  sein  de  nos  établissements  

 

Dès  mars  2011,  le  Groupe  de  travail  AFAE  de  Lille  a  souhaité  s’engager  dans  la  préparation  d’une   journée   de   réflexion   sur   la   décision   au   sein   du   système   éducatif.   Des   Personnels  d’encadrements,  et  d’enseignement  ont  rejoint  ce  groupe  qui  s’est  peu  à  peu  constitué  en  force  de  propositions  et  de  travail  pour  la  préparation  de    ce  Colloque.  

Peu  à  peu  la  thématique  s’est  constituée  autour  de  l’idée  du  chemin  de  la  décision.  Cette  dernière   allait   donc   devenir  :   la   décision   de   la   classe   à   l’EPLE.   On   s’interrogerait   sur   les  traces  qu’elle  laisse  ainsi  que  sur  sa  portée  au  sein  de  nos  actions  quotidiennes.  

L’établissement   secondaire   nous   est   apparu   comme   un   pivot   intéressant   de   régulation,  d’actions  et  de  changement.    

La  diversité  des  Corps  professionnels  représentés  au  sein  de  notre  groupe  nous  a  permis  des  confrontations  riches  et  pertinentes.    

Elles   sont   regroupées   au   sein   de   cet   opus   qui   –   sans   prétentions   aucune   –  mais   fort   de  l’engagement   de   ses   rédacteurs,   offre   des   outils   préparatoires   aux   Ateliers   du   8   février  2012.  

Ce  dernier  fera  l’objet  d’une  révision  pour  devenir  notre  recueil  d’annexes,  trace  –  lui  aussi  –  d’une  expérience  collective  au  service  des  acteurs  et  sympathisants  de  ces  travaux.  

Merci  à   l’ensemble  des  professionnels  qui  ont  conçu  cet  opus  et  qui  se  sont   investi  pour  faire  de  cette  manifestation  un  moment  d’échange  collectif  sur  un  enjeu  qui  parfois  nous  échappe,  souvent  nous  interroge  mais  qu’il  nous  faut  assumer  :  décider.  

 

  Pour  le  Groupe  Académique  et  Régional,  

  Le  Coordonnateur  Académique  

  M.  VENART  Alain,  Lille,  le  1er  janvier  2012  

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SOMMAIRE

La décision, un processus au fondement et au cœur du fonctionnement des EPLE---------4 Christophe MAUNY

La décision de la classe à l’EPLE : Vers une revue de questions--------------------------------15 Christophe MAUNY et Alain VENART

Atelier 1 : Décision et innovation

De l’innovation dans l’établissement scolaire à l’établissement innovant----------------------22 Cécile TREMOLIERES Atelier 2 : La décision et la classe

Décision et gestion de la classe : quelles réalités ?-------------------------------------------------33 Stéphanie DESABRE, Laurence MARGOLLE, Francisco DOS REIS et Eric GEORGES Atelier 3 : Les instances de décision au sein de l’EPLE

Les instances de l’établissement : lieux décisionnels ? --------------------------------------------39 L’exemple du conseil pédagogique- Amar GACEM

Les instances de l’établissement : des lieux pour décider ? --------------------------------------42 L’exemple du conseil de classe Bertrand DESHAYS

Atelier 4 : Qui décide quoi dans l’EPLE ?

Propos sur la décision : assumer une responsabilité commune ?-------------------------------45 Echanges entre Alain VENART et Michel VAILLANT

Atelier 5 : La décision : individuelle ou collective ?

La décision : individuelle ou collective ?----------------------------------------------------------------50 Catherine DELBURY, Laurence SAYDON et Albin CATTIAUX

Atelier 6 : Les parents et l’école : le choc décisionnel ?

Ecole et parentalité : le choc décisionnel ?-------------------------------------------------------------55 Silvana BUTERA et Jean-Gérard BEAUVOIS

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La décision, un processus au fondement et au cœur du fonctionnement des EPLE

Christophe MAUNY, IAIPR EPS - CARDIE Docteur en Sociologie

En amorce du colloque académique de l’AFAE, notre contribution se veut avant tout interrogative à propos de la problématique de la prise de décision dans le milieu éducatif et plus particulièrement dans le fonctionnement des EPLE.

La présence de divers acteurs au sein d’une même organisation, la diversité des lieux et des intervenants, les enjeux éducatifs visés et les résultats attendus sont autant d’éléments entre autres qui renforcent la perception de la complexité du système. À chaque instant de la vie quotidienne d’un établissement scolaire, ce sont de multiples décisions qui se prennent dont on ne perçoit pas toujours la cohérence ni la pertinence, dont on ne peut mesurer de manière systématique les effets et dont on ne soit pas certains qu’elles soient toutes prises volontairement. Ce constat empirique, loin d’opérer une lecture pessimiste du fonctionnement de l’EPLE, cherche au contraire à orienter et centrer le débat sur le processus décisionnel davantage que sur le résultat et les effets même de la décision.

Pourquoi s’interroger collectivement sur la prise de décision ? La décision en tant que telle peut-elle être un objet digne d’intérêt ?

À ces deux questions, nous effectuerons un rapide détour vers les aspects conjoncturel et scientifique de la question sans pour autant avoir la prétention d’en circonscrire les contours, ni même parvenir à en saisir tous les déterminants.

Du point de vue conjoncturel, force est de constater que les lois de décentralisation qui se sont succédées depuis 1982 et le temps fort qu’a constitué l’adoption à l’unanimité des parlementaires de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001 ont impulsé le mouvement d’autonomisation des administrations de l’Etat et a fortiori leur responsabilisation décisionnelle. La procédure de contractualisation des EPLE (article 36 de la loi d’orientation pour l’école) vise le même souci de responsabilisation des établissements scolaires. Sans pour autant rompre le lien hiérarchique entre l’EPLE et le Rectorat, le chef d’établissement accompagné de son équipe éducative définit des objectifs, propose et met en œuvre des actions pédagogiques, puis mesure les résultats en termes d’acquis des élèves. Ces temps forts sur le plan politique à divers échelons de la gestion administrative de l’Etat témoignent d’un changement notable quant à la nature du lien hiérarchique qui unit l’Etat français à ses administrations. Les décisions ne peuvent donc pas être prises de manière descendante et autoritaire indépendamment du contexte local, de son histoire et de ses acteurs.

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Du point de vue scientifique, la prise de décision ne paraît pas constituer un objet de recherche admis en tant que tel par la communauté des chercheurs. Herbert Simon (1945) en appui sur sa théorie de la rationalité limitée démontre l’impossibilité d’une décision optimale dans la mesure où le choix n’est jamais effectué en parfaite et totale connaissance de toutes les informations utiles. L’appréciation forcément limitée de l’environnement pousse l’individu à opter pour la solution jugée satisfaisante. En conséquence, le modèle de la rationalité décisionnelle est remis fortement en question car il ne peut constituer une seule et unique règle explicative du processus décisionnel. Ce dernier serait soumis à des contingences plus ou moins fortes ; en tous les cas multiples puisque dépendant de la caractéristique des acteurs, de leur nombre, de leurs projets respectifs et de leurs affects ; du contexte, de la nature du ou des problèmes et des solutions possibles. Si l’instrumentalisation des organisations peut encore donner l’illusion de la rationalité des décisions, il n’en reste pas moins que la décision est une expression de l’engagement des acteurs. Dès lors, il faut prendre en considération ce qu’est ou sont la ou les personnes ainsi que leurs réseaux d’appartenance (Latour, 2006). C’est pourquoi à tout problème il ne peut exister une solution mais différentes alternatives en fonction du ou des points de vue qui s’y projettent et dès lors, ce qui est inconvénient pour l’un peut être avantage pour l’autre et inversement.

Prenant appui sur une bascule forte dans la dynamique des recherches sur la décision à savoir la distinction de la décision comme processus et la décision comme résultat, nous nous accordons sur le dépassement de la figure mythique de l’unique décideur et de l’idée qu’il existerait une rationalité absolue guidant toute procédure de prise de décision pour répondre à tout problème de quelque nature que ce soit. La décision engage un choix qui se fonde sur une logique de renoncement au regard des possibilités identifiées préalablement ou non d’ailleurs. Elle engage une personne ou plus exactement aujourd’hui un collectif et peut avoir lieu à différents échelons du fonctionnement d’une organisation et ce, malgré la présence d’une division du travail et de la diversité des statuts identitaires.

Notre réflexion souhaite aborder la décision sous l’angle du processus. Nous souhaitons mettre en évidence non pas la personne mais les éléments du contexte à prendre en considération et qui constituent un champ de contraintes qui peuvent infléchir l’engagement individuel et collectif.

Les trois axes présentés ci-après interrogent plus qu’ils ne certifient. Ils sont certainement des questions, évidemment parmi d’autres, qui mettent en exergue des problématiques devenues aujourd’hui fondamentales notamment pour les chefs d’établissement. En guise de rapide présentation, le premier point abordé pose le problème du cheminement décisionnel entre l’ensemble des acteurs officiant au sein de l’établissement scolaire. Le second pointe la personne du chef d’établissement et, outre son devoir de décider, appréhende la question du pilotage pédagogique de la décision collective. Le dernier axe défend explicitement la question de la place de la prise de décision dans le processus éducatif des élèves.

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I. EPLE, un univers décisionnel à géométrie variable ?

La question ainsi posée s’appuie sur le constat effectué par Eric Phélippeau (2009) lorsqu’il analyse du point de vue du sociologue la prise de décision dans le cadre de l’élaboration des politiques publiques. À l’échelle du système éducatif et même de l’EPLE, il est certain que l’on peut émettre un même constat. En effet, si la décision semble attachée à une personne (le Recteur pour l’Académie et le chef d’établissement pour l’EPLE), la réalité tend à montrer une complexité du processus décisionnel qui tient principalement dans la diversité des acteurs, les différents points d’ancrage de leur identité professionnelle, la structuration et le fonctionnement du système. Enfin, le statut de service public et le poids que prend aujourd’hui la comparaison internationale en matière des résultats scolaires ou de fonctionnement de la classe font qu’il n’est pas possible de taire l’impact de l’opinion publique par l’intermédiaire des élèves et des familles.

En recentrant notre propos sur l’EPLE, nous ne pouvons que constater et admettre que parler de la décision n’est pas réductible à la seule personne du chef d’établissement même si ce dernier doit assumer la responsabilité du fonctionnement de l’établissement et de ses résultats au regard de sa hiérarchie. De plus, il est plus juste de parler de décisions au pluriel compte tenu non seulement de la diversité des intervenants mais aussi des divers lieux au sein desquels des décisions se prennent. C’est ainsi qu’au-delà des positionnements ou postures tranchées du chef d’établissement pour répondre à un problème budgétaire, pédagogique, administratif ou plus largement éducatif, l’efficacité d’une décision prise à la tête de l’établissement scolaire reste soumise à la qualité de sa mise en œuvre par les autres acteurs, particulièrement ceux qui interviennent directement auprès les élèves. La décision est un processus complexe parce que inévitablement soumis à des interprétations qui nécessitent au préalable une explication de son intérêt et de sa valeur. Néanmoins, que devient une directive, une proposition ou une incitation émanant d’un chef d’établissement lorsqu’un enseignant, un conseiller principal d’éducation, un assistant d’éducation ou un personnel TOS s’en empare ? Il ne s’agit pas ici de remettre en question la loyauté des uns ou des autres mais de pointer l’évidente réinterprétation qui s’opère teintée inéluctablement par le parcours personnel, le statut, l’estime de soi, la reconnaissance par les autres de son positionnement professionnel.

La conduite d’un EPLE ne peut se limiter à observer le résultat des décisions sans s’intéresser au cheminement entre le moment où la décision d’intervenir est prise, le choix de la solution retenue et la procédure de mise en œuvre individuelle et collective engagée. On le dit, la décision est fortement influencée par l’identité professionnelle de chacun. Cela est d’autant plus prégnant chez les enseignants lorsqu’on connait leur attachement disciplinaire. De plus, la vision syndicaliste de l’éducation constitue aussi un filtre interprétatif puissant qui contribue aussi à accroître la tension existante entre les valeurs professionnelles et les convictions personnelles. La succession des heures d’enseignement dans des classes fermées mettant en scène frontalement des élèves avec un adulte conforte le poids de la parole de l’individu-enseignant au détriment de la parole

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de l’équipe éducative. Cela est d’autant plus marquant lorsqu’on sait qu’un temps de rencontre entre les enseignants n’est pas institué dans le second degré à la différence du premier degré. Les moments d’échanges pédagogiques qui permettent de s’accorder collectivement existent mais sont davantage le fruit d’une pratique locale que d’une organisation institutionnellement reconnue.

Si l’on accepte l’idée que les résultats des décisions dans le milieu scolaire se mesurent pour la majorité d’entre eux à l’aune des résultats des élèves, la nature de la relation entre les élèves et les adultes peut contrarier la mise en œuvre des décisions. Pour celles qui engagent la politique générale de l’établissement et qui concernent en conséquence l’ensemble des adultes, il est évident que chacun d’eux agira sous l’influence de la qualité relationnelle entretenue avec les élèves. Le regard projeté par ces derniers aura un effet facilitateur ou non indéniable qu’il nous faut souligner. Sans rendre hasardeux le processus décisionnel, il ne répond pas à une logique linéaire dont les conséquences seraient prévisibles. Est-il pour autant toujours possible de sérier les rôles de chacun et de répartir les tâches en parfaite connaissance du contexte ? Rien n’est mois sûr. Cependant, l’affirmation d’une ligne de conduite commune paraît être une condition liminaire pour assurer la mise en œuvre efficace d’une décision. À cet égard, la dynamique de contractualisation des EPLE parce qu’elle met l’accent sur deux facteurs essentiels de sa réussite à savoir l’implication de l’ensemble de l’équipe pédagogique et l’opérationnalisation des objectifs choisis, incarne-t-elle la garantie de voir posée une visée commune ? Elle nous paraît digne d’intérêt au moins en ce qu’elle illustre le processus décisionnel et la logique de compromis qui y est associée.

Nous ne pouvons terminer ce premier axe de questionnement sur la problématique des influences multiples qui participent de la réinterprétation des décisions dans le fonctionnement de l’EPLE sans aborder les effets du regard projeté de l’extérieur et notamment ce que l’on nomme l’opinion publique. Le rappel par les médias des résultats de la France à l’échelle internationale (PISA menée par l’OCDE) devient aujourd’hui tellement systématique qu’il ne nous est pas permis d’ignorer non seulement ce que sont réellement les acquis des élèves mais aussi l’importance à donner à la communication en direction des usagers du système scolaire. Parallèlement à la comparaison des résultats, les débats liés à la carte scolaire ne risquent-ils pas d’encourager les logiques de consommation et a fortiori de redéfinir le rapport entre les usagers et l’école ? Une répercussion directe en matière de processus décisionnel consisterait peut-être à faire basculer la logique de communication de la volonté de « faire partager » au souci de « recruter » qui à certains égards est déjà bien présent. Si l’on ne peut nier l’importance des résultats, le danger est de ne plus les considérer comme des indicateurs mais comme des objectifs à atteindre avec les effets mécaniques que cela peut engendrer dans la relation avec les élèves et l’institution. L’examen des résultats au regard du suivi de la cohorte des élèves peut parfois faire émerger des régulations dites mécaniques pour infléchir positivement les résultats. Cette préoccupation exclusivement chiffrée laisse malheureusement de côté la question des contenus d’enseignement à propos desquels

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Roger François Gauthier (2006) affirme qu’ils constituent un moyen permettant l’adaptation des savoirs à la population considérée.

Sur cette question, le chef d’établissement s’affirme bel et bien comme un pilote pédagogique à part entière au moyen de l’impulsion qu’il peut donner à ses équipes et du contrôle qu’il doit exercer. Mais s’il est un décideur à part entière, l’est-il entièrement à part ?

II. Le chef d’établissement, un pilote invisible ?

Le titre ainsi posé ne cherche pas à prendre le contrepied de ce que l’on appelle l’effet chef d’établissement et qui démontre par là-même sa responsabilité sur les résultats et le bon fonctionnement d’un EPLE. Acteur principal s’il en est, le chef d’établissement peut difficilement endosser de manière effective toute la responsabilité dans la mesure où son influence s’arrête à la porte fermée de la classe. À l’instar de Maurice Mazalto (1996), si l’effet chef d’établissement est difficilement mesurable et reconnu en tant que tel, on peut toutefois se poser la question de l’effet du chef d’établissement. C’est de la personnalité de ce dernier dont il est question ici. Car s’il est attendu de lui dès sa prise de poste qu’il rassure et guide la politique de l’établissement, le contexte d’un EPLE « ne repose pas sur un accord entre les acteurs mais sur la convergence d’intérêts opposés, et de visions du monde différentes, sur des dispositifs ou des objets communs » (Derouet, 2003, 106). D’un autre côté, des décisions se prennent à propos d’objets différents qui ne concernent pas tout le monde et dont chacun ne mesure pas toujours l’importance en termes de conséquences ou d’effets. Dès lors, outre sa posture professionnelle, les regards et avis cibleront les décisions qu’il devra prendre dès les premières minutes.

Car nous l’avons vu, la pluralité et la diversité des personnes qui interviennent auprès des élèves rend la tâche difficile. Dans un milieu professionnel très attaché au statut et où la reconnaissance de la compétence pédagogique n’est attribuée par les enseignants qu’à la condition d’intervenir en présence d’élèves, le chef d’établissement a la charge de conduire son établissement sans que lui soit toujours conféré de fait la possibilité d’agir directement sur le versant pédagogique. La distinction langagière entre celle d’administration utilisée par les enseignants et celle de direction utilisée par les chefs d’établissement marque bien à quel point la nature du regard porté sur la fonction diffère entre les uns et les autres. Si le pilotage est consenti par le corps enseignants, il doit se restreindre dans l’esprit du plus grand nombre aux aspects budgétaire, administratif et éducatif. Le pouvoir décisionnel du chef d’établissement dans le domaine pédagogique doit donc se gagner. Mais si cela reste difficile d’agir directement sur ce qui se passe en classe et plus particulièrement sur la mise en œuvre des contenus d’enseignement disciplinaires, comment peut-il exercer son pilotage pédagogique ? Nous avons eu l’occasion dans un article récent (Mauny, 2010) de cibler quatre éléments qui fondent le sens pédagogique du chef d’établissement et à partir desquels il impulse, conduit, mesure et régule son activité professionnelle. Il s’agit tout d’abord de la finalité éducative qui fonde toute son activité et qui positionne les savoirs disciplinaires en moyens. Le chef

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d’établissement opère une vision globale du parcours de l’élève ce qui en fait sa force. Paradoxalement, être à l’extérieur de la classe lui évite l’immersion pédagogique non contrôlée et le contraint à envisager la résolution d’un problème sous l’ange d’alternatives possibles et non pas selon une rationalité qui aurait tendance à rejeter la faute sur l’élève et/ou sur sa famille. Le troisième élément tient dans la tension temporelle entre la visée politique immédiate et une vision pédagogique qui s’inscrit dans le long terme. Adapter localement les directives institutionnelles l’incite à se projeter au-delà du temps présent. Enfin, le dernier élément concerne sa capacité à convaincre ses personnels pour favoriser leur engagement et suppose une présence de tous les instants. Malgré ces arguments favorables à la reconnaissance pédagogique du chef d’établissement, sont-ils suffisants pour lui concéder le pouvoir décisionnel ? Avec des auteurs comme Renis Likert (1961) et Hersey (1998) & Blanchard, nous savons que l’activité professionnelle du chef d’établissement peut prendre la forme de styles différents, chacun marquant ainsi une posture professionnelle particulière. Outre l’identification des styles de management, la compétence du chef d’établissement ne se mesure-t-elle pas à sa capacité à créer les conditions d’une décision collective ? Dès lors, la mise en place de niveaux intermédiaires de décision constitue-t-elle une garantie pour instaurer à la fois le partage de la responsabilité et la construction d’une compétence collective ? Même si le chef d’établissement assume seul vis-à-vis de sa hiérarchie la responsabilité des résultats, du climat et du fonctionnement général de l’établissement dont il a la charge, les supérieurs hiérarchiques à différents échelons de l’institution ne perçoivent pas en lui un unique responsable étant acquise la certitude que l’EPLE tire sa force de son collectif. Là se situe bien l’enjeu du pilotage pédagogique du chef d’établissement. À cet effet, il dispose de plusieurs leviers pour que le processus décisionnel favorise davantage la logique de la réflexivité plutôt que celle de l’immédiateté de la réponse. Tous les personnels de direction s’accordent à dire que la pression temporelle constitue un élément significatif de leur quotidien (Barrère, 2006). Or, chacun sait qu’elle peut être la source d’erreurs puisqu’elle donne parfois l’illusion qu’il faille gérer immédiatement la situation. Les leviers auxquels nous faisons allusion sont les différents conseils qui rythment le déroulement de l’année scolaire. Entre conseil d’administration, commission permanente et conseil pédagogique, chacun participe au bon fonctionnement de l’établissement scolaire. Ils sont tous un lieu de décisions portant sur des objets similaires ou non. Leur composition diffère en termes de personnes même si au final tous les statuts de la communauté éducative sont représentés. Si l’ensemble de ces moments de rencontre génère le débat et favorise la transparence des positionnements de chacun, tous contribuent à instaurer une approche collaborative et participative dans la conduite du projet d’établissement. Ils sont le lieu de constats, d’identification de problèmes, de discussion à propos des solutions possibles, de positionnements individuelles et collectifs. Même si l’éducation est un sujet connu de tous les participants, chacun d’eux ne disposent pas forcément des connaissances et d’avis sur l’ensemble des questions professionnelles abordées. Prenant appui sur ce constat évident, le chef d’établissement n’a-t-il pas alors intérêt à prendre appui sur ces conseils pour créer les conditions d’un conflit cognitif pour encourager le débat et la prise de décision collective ? Le conseil d’administration présente sur ce point là une organisation favorable au débat. Proche de la notion de

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« forum hybride » proposée par Michel Callon (2001), il met en question des problèmes de nature parfois bien différente (budgétaire, pédagogique, partenariat…) et engage la réflexion au sein d’un groupe composé de personnes expertes ou non du sujet. La décision s’élabore sur la base de la controverse ce qui du point démocratique permet à chacun d’être entendu. On sait que la réunion du conseil d’administration représente dans certains établissements un moment sensible voire critique et que la frontière est mince entre le conflit d’opinions et le conflit de personnes. Pourtant, vouloir contrôler à tout prix les débats au prétexte du climat général ne constituerait-il pas une décision absurde en recentrant le pouvoir sur une seule personne, le chef d’établissement ? Sans pour autant faire l’apologie du conflit mais en le concevant selon la perspective simmelienne (1992), nous signalons sa faculté à être socialisateur en ce qu’il permet de dépasser les antagonismes par le biais du processus de rationalisation et de compréhension et in fine conduit les personnes concernées sur la voie de la négociation et du compromis. En cela, il détient un pouvoir unificateur à la condition que le chef d’établissement occupe le rôle de régulateur en posant d’abord le problème, en clarifiant ensuite les termes du débat et enfin en résumant les points de vue et les accords trouvés. Ainsi, générer du conflit constitue-t-il une procédure à la prise de décision ? Dans tous les cas, est-elle un moyen pédagogique pour le chef d’établissement pour construire une compétence collective au sein de l’EPLE ? Nous le pensons.

III. La prise de décision, un enjeu éducatif majeur ?

Après avoir exploré le processus décisionnel à travers la structure de l’EPLE, son fonctionnement et son cadre dirigeant, nous ne pouvions au titre de pédagogue évincer la question qui se rattache à l’enseignement et à ses objets. Quelle est l’utilité d’appréhender la problématique de la décision dans le milieu éducatif sans s’interroger sur le lien avec les élèves et les apprentissages ? Ceux-ci se réduisent-ils aux contenus des programmes disciplinaires ?

Aborder la question de la prise de décision, c’est sans aucun doute porter une attention sur la problématique de l’interdisciplinarité. À quoi bon se préoccuper en tant qu’enseignant ou chef d’établissement des opérations ou des stratégies à mettre en œuvre pour rendre plus efficace1 et efficient l’EPLE si on ne prend pas en compte l’élève et ce qu’il représente comme potentiel décisionnel ? La prise de décision représente-t-elle un enjeu éducatif ? On serait tenté de le croire quand on perçoit la place de la responsabilisation du salarié et de l’exigence attendue au sein des entreprises de faire valoir la compétence à travailler en équipe. L’importance donnée au collectif pour résoudre les problèmes professionnels semble aujourd’hui être acquise et constitue un modèle de fonctionnement en réponse à la complexité de la société. À la diversité croissante et au renouvellement de la concurrence, à la mobilité de plus en plus fortement attendue des salariés, à l’omniprésence de l’information et de la communication dont on ne maîtrise pas                                                                                                                          1 Nous faisons ici référence aux travaux d’Alain-Charles Martinet (1993. "Diagnostic global et management stratégique", in Marion, A. (éd.), Le diagnostic d’entreprise. Cadre méthodologique, Economica, Paris, p. 199-210) qui dans le contexte entrepreneurial distingue deux modes fondamentaux de management : un mode opérationnel qui correspond à la logique d’action d’optimisation du fonctionnement et un mode stratégique qui, quant à lui, prône une logique de mise en situation et de recherche l’innovation.

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toujours la rapidité, à l’impact de l’opinion publique et au poids de l’économie à l’échelle mondiale, le processus décisionnel tend aujourd’hui à privilégier le groupe sur l’individu. C’est ainsi que pour les dirigeants, la construction d’une compétence collective (Cavestro, 2007) constitue un enjeu majeur et qu’elle est assujettie à deux conditions préalables à savoir l’identification claire et précise pour tous les acteurs de la visée poursuivie et une organisation structurelle et fonctionnelle favorable à la valorisation de chacun. À l’échelle de l’EPLE, on retrouve pleinement cette préoccupation tant l’éducation est un processus complexe qui exige la coordination de tous les acteurs. Compte tenu de ce constat global, comment l’école peut-elle éduquer les élèves à la prise de décision sachant qu’elle deviendra ou est déjà une capacité exigée dans le milieu de l’entreprise et ce, à tous les échelons ?

Pour ce faire, nous envisageons alors de lister quelques conditions qui nous paraissent incontournables pour que le processus décisionnel soit convoqué et encouragé chez les élèves. En premier lieu, nous évoquons la nécessité de donner du sens à l’acte éducatif. Les objectifs visés par l’établissement ne doivent-ils pas rassembler l’ensemble des personnels ? Ne doivent-ils pas être compréhensibles aussi par les élèves afin que tous perçoivent la direction de leur engagement personnel et puissent être en mesure d’apprécier la réussite de leur activité conjointement aux notes obtenues dans les différentes disciplines ? En effet, une confusion persiste dans la représentation de la note chez les élèves entre le but, le moyen et l’indicateur. La note semble moins utilisée comme un indicateur ou un moyen que comme un but en soi ce qui impacte inévitablement la nature et l’intensité de l’engagement. Ce qui peut parfois être traduit en termes de démotivation résulte souvent d’un conflit de sens qui génère une incapacité à faire plutôt qu’un refus. Nous admettons bien volontiers l’existence de quelques exceptions à cette règle. En second lieu, nous abordons la question du mode opératoire dans la relation éducative. L’acte de décider marque un engagement de soi et suppose que l’on y soit confronté pour s’y exercer. De ce fait, le principe du débat semble particulièrement intéressant. En effet, il mobilise tous les éléments constitutifs du processus décisionnel tels que l’identification de l’objet de l’échange, la perception du ou des problème(s) posé(s), la recherche de connaissances associées à l’objet, la confrontation de points de vue et les possibles voies de résolution, l’acceptation de son erreur ou de celle d’autrui. Le débat représente un outil pédagogique et éducatif pertinent dès lors qu’il confronte les élèves à la divergence des points de vue et engage les élèves sur la voie de la négociation et du compromis. La négociation n’est pas bien évidemment ici perçue comme une perte de l’autorité institutionnelle mais comme un mode opératoire majeur du fonctionnement social puisqu’il a vocation à « faire tenir ensemble ce qui est souvent séparé » (Thuderoz, 2003). C’est à partir du lien négocié que se construit le lien social par delà la décision de tous et chacun de prendre part à la vie sociale. L’enjeu est de taille pour les élèves et cette construction du lien social dans laquelle l’école joue un rôle capital n’est pas forcément effective dans la mesure où nous avons déjà identifié quelques freins tels que le conflit de sens entre l’institution familiale et l’institution scolaire, le fonctionnement parfois cloisonné des

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discipline et l’impact du jugement des enseignants sur la construction du soi. Nous défendons toujours « la logique d’une intégration régulation qui responsabilise l’élève dans le processus décisionnel et suppose de sa part une obéissance en pleine conscience morale de la valeur de la règle [plutôt qu’] une intégration assimilation qui considère l’élève comme un reproducteur du savoir transmis et suppose qu’il se soumette à la règle sans en comprendre son sens » (Mauny, 2008, 94).

En troisième lieu, à l’image du fonctionnement d’un EPLE et de ses personnels, les élèves doivent prendre conscience que l’acte de décider fait parti de leur quotidien mais que toutes les décisions prises qu’elles soient réfléchies ou irréfléchies, conscientes ou non ne possèdent pas la même valeur au regard des conséquences probables. L’importance d’une décision est liée certes au statut de la personne qui décide mais aussi à la nature de l’objet sur lequel porte l’acte de décider, au lieu dans lequel elle se prend et au moment où elle s’effectue. À titre d’exemples et à propos du fonctionnement de l’EPLE, le positionnement décisionnel du chef d’établissement est bien évidemment attendu par les enseignants et les familles mais l’institution lui attribue une importance particulière lors d’un vote en conseil d’administration pour départager une égalité des voix. De même, un engagement collectif convenu lors d’une réunion disciplinaire ou transversale constitue une décision à part entière mais qui prend une valeur supplémentaire lorsqu’elle est prise et acceptée en conseil d’administration. Dans la relation avec les élèves, il nous paraît important de les sensibiliser sur les conditions et le contexte de la prise de décision afin que puisse s’amorcer la dynamique de responsabilisation de leur engagement ou non d’ailleurs. Cela suppose donc qu’il leur soit précisé le moment qui appelle une décision de leur part et l’objet sur lequel porte la décision. À cet égard, une vigilance doit être maintenue pour ne pas créer des situations contradictoires qui placeraient les élèves dans l’impossibilité de se situer légalement dans le fonctionnement d’un établissement scolaire. Pour illustrer notre propos, nous prenons l’exemple du règlement de classe que certains enseignants mettent en œuvre avec les élèves. Quelle est la valeur de ce type de règlement au regard du règlement intérieur voté par la communauté éducative ? Quelle signification peut-il avoir autrement que celle de s’imposer aux élèves et donc porter le risque d’instaurer des confusions d’un cours à l’autre ainsi qu’au sein du fonctionnement général de l’établissement. Aider les élèves à prendre des décisions raisonnées nécessite que l’organisation structurelle et fonctionnelle du lieu soit cohérente, comprise et acceptée par tous les acteurs.

Cette exigence que nous considérons comme minimale a trait au lien de confiance qui s’établit entre les élèves et les adultes référents, entre les élèves et l’institution et bien sûr entre les adultes et l’institution. Cette confiance réciproque utile à la bonne marche de la relation éducative conçoit évidemment l’erreur comme formatrice et prohibe tout jugement de valeur sur la personne. Car il s’agit avant tout d’encourager les élèves à oser s’engager, oser donner un avis, oser questionner l’enseignant. Le commentaire associé à l’erreur ainsi que son utilisation pédagogique qu’il soit individuel ou collectif constitue des moyens clés pour aider l’élève à comprendre sa logique de raisonnement et le convaincre de relativiser le résultat. Par ailleurs, l’enseignant a la possibilité de mettre en scène la

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production de l’élève pour le confronter à des conditions variables et ainsi accroître ou diminuer l’importance de son engagement. Par exemple, la production face à un groupe, dans le cadre d’un exercice ou d’un contrôle officiel génère des affects qui à force d’habitude sont mieux gérés par les élèves ; à condition qu’ils soient clairement identifiés.

Pour conclure en attendant…

Au terme de ce que l’on pourrait appeler une discussion, nous avons bien conscience que la question n’est pas totalement résolue. Les trois axes proposés comme autant de questions interrogent de manière non exhaustive d’une part la structure et le fonctionnement de l’EPLE, d’autre part, le positionnement managérial du chef d’établissement ; enfin, la formation des élèves. Chaque question invite au débat. Les arguments développés ça-et-là ont tenté de montrer que le processus décisionnel et sa mise en œuvre constitue une problématique tout à fait heuristique dans la mesure où elle articule tout à la fois le fonctionnement de l’EPLE, le positionnement des uns et des autres mais aussi les enjeux de formation. Nous avons conscience que l’étude du processus décisionnel est empreinte de complexité et que les points abordés effleurent un sujet difficile à maîtriser. Pour autant, se poser la question du processus décisionnel nous amène à mettre au jour des mécanismes qui révèlent moins la logique d’emboîtements que celle de contingences. La décision semble intimement liée à l’individu. Et si l’on admet volontiers que l’activité de l’individu est indissociable de son environnement social et culturel, chacun possède néanmoins la capacité de répondre à sa façon aux différentes épreuves vécues (Martuccelli, 2010). La prise de décision renverrait-elle alors à un problème de lecture de la réalité ?

Le débat reste ouvert…

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La décision de la classe à L’EPLE : Vers une revue de questions

Quels fondements pour quelles perspectives au sein des métiers de responsables public ?

Christophe MAUNY2 Alain VENART3

Ouverture Difficile est le travail de synthétiser les recherches qui ont porté sur la thématique de la décision. La décision constitue aujourd’hui une problématique forte des conduites managériales en général et dans les établissements scolaires en particulier compte tenu du processus d’autonomisation et a fortiori de celui de responsabilisation qui s’institutionnalise progressivement depuis les lois de décentralisation. Cette problématique de la décision au sein des organisations est assurément une question d’actualité et en même temps une préoccupation amorcée depuis plusieurs décennies. Le rapide tour d’horizon des travaux scientifiques qui suit vise moins l’objectif d’exhaustivité que celui de donner un aperçu simple des points de vue exprimés. Notre étude des différents travaux fait apparaître 5 idées forces qui constituent sans nul doute le point d’ancrage théorique des discussions qui ont cours aujourd’hui. Chaque idée sera succinctement appréhendée à partir d’auteurs qui ont fait référence en la matière. Nous renforcerons notre analyse en portant une attention particulière à une thématique qui nous interpelle dans nos fonctions : quelle est la part du risque dans la prise de décision ? Comment l’assumer en tant que représentant de l’état tout en maintenant une démarche optimale des processus de pilotage ? La notion de résilience au sein des organisations nous apporte une lecture simple et intéressante de ce sujet. I - La décision est liée à plusieurs modes de rationalités Historiquement, la vision économique néo-classique a posé l’hypothèse de la rationalité absolue de « l’homo oeconomicus ». Selon cette position théorique, les individus opéreraient un calcul rationnel entre les coûts et les gains pour satisfaire un besoin que celui-ci se situe dans la sphère de la consommation, de la production ou autre d’ailleurs. Cette théorie de la rationalité absolue aborde de manière universelle la décision quelle que soit l’environnement, le contexte, l’objet, l’individu en supposant que le décideur connaisse à l’avance les conséquences de ses décisions. Les travaux d’Herbert Simon en prenant appui sur la psychologie cognitive postulent en faveur d’une théorie de la rationalité limitée en 1955. Cette vision constitue une rupture dans l’approche explicative de la décision. Cet auteur montre que la décision optimale

                                                                                                                         2 Christophe MAUNY est Inspecteur d’Académie, Inspecteur Pédagogique Régional d’EPS dans l’Académie de Lille. CARDIE auprès de Madame Le Recteur. Il est Docteur en Sociologie. 3 Alain VENART est Principal du Collège F. VILLON dans l’Académie de Lille. Il est Coordonnateur Régional de l’AFAE Lille depuis mars 2011. Il termine sa Thèse de Doctorat (UMR 6227 – GREDEG) sur les problématiques du contrôle au sein des établissements secondaires.

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n’existe pas dans l’absolu puisque le décideur se trouve toujours confronté à l’incomplétude des informations possédées. Pour se faire, il développe en 1960 un modèle (IMC : Intelligence, Modélisation, Choix) tout à fait heuristique qui représente le dispositif de décision à partir de trois phases principales :

- La phase d’intelligence caractérise la perception du problème, le recensement des causes possibles du problème, l’identification de la cause principale et la recherche de solutions possibles.

- La phase de modélisation analyse les solutions probables et leurs procédures d’application

- La phase de choix sélectionne la solution perçue comme optimale au regard des coûts et conséquences estimées. II - La décision est indissociable du conflit La décision représente un moment particulier durant lequel l’individu est soumis à des alternatives à partir desquelles un choix doit s’effectuer. Une décision n’est jamais simple à prendre dans la mesure où elle signifie un engagement de la part de celui qui la prend. Elle génère immanquablement un conflit cognitif voire socio-cognitif. March et Simon (1958) traitent conjointement des conflits et des décisions. Pour ces auteurs, ces deux concepts sont indissociables dans la mesure où ils définissent le conflit comme un blocage des mécanismes normaux de prise de décision de sorte qu’un individu ou un groupe éprouve des difficultés à opérer le choix de son action. Lawrence et Lorsch (1967) affirment que la décision et le conflit sont des étapes qui appartiennent à un même processus. Pour pallier aux contingences, l’organisation doit mettre en œuvre un processus de différenciation (nature des objectifs, formalisation de la structure, orientation temporelle, relations interpersonnelles) afin de répondre au mieux aux effets de contexte et aux caractéristiques de l’environnement. La différenciation représente pour ces auteurs une nécessité. Ce faisant, ils intègrent le conflit comme une variable discriminant les modèles organisationnels qui conduisent à l’efficacité et à la performance. III - Décision et résilience au sein des organisations Il nous apparait tout d’abord opportun de choisir une définition de la gouvernance de l’EPLE afin de mieux cerner ses modes de contrôle. Nous retiendrons celle de Gérard CHARREAU : Le système de gouvernance se définit par l’ensemble des mécanismes (dont la confiance) qui déterminent la latitude discrétionnaire des dirigeants (ou latitude managériale). Des questions préalables en termes de pilotage se posent : pilotage, risque et résilience des acteurs

Ø Que veut-on ou pas sécuriser en contrôlant l’EPLE ? Que sécurise-t-on ? Nous ne nous posons pas la question en termes de jugement mais plutôt en observateur-acteur.

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Ø Quel est le rôle des « indicateurs de pilotage », issus des marqueurs académiques, dans de processus de contrôle ? Quelle place pour les facteurs humains (au sens de Dejours) dans ce processus ?

Ø Dans cette entreprise, certains indicateurs peuvent être créés (Comment ? Par qui ? Pour mesurer quel processus ? Afin d’illustrer quelle démarche ?

Ø L’ensemble donnera lieu à un « dialogue de gestion ». L’emprunt du terme est problématique. Qui ? A quel moment ? Avec quels marqueurs ?

Ø En fait c’est à ce point que nous pourrions questionner le concept de performance. La performance, l’institution souhaite la mesurer. La marge de sécurité s’établit probablement entre ces trois espaces. Est sécurisé ce qui permet de connaître les actions des dirigeants de l’EPLE, de voir quels types de « compétences » ils mobilisent.

Ø Devons-nous en déduire que l’on peut « penser » la sécurité (ou plus précisément la fiabilité des processus de décision) comme un point d’articulation dans la relation performance/compétences ? Sont-ils le fruit - là encore - de facteurs humains spécifiques ? Ce sont ces marqueurs qui mettent en mouvement des facteurs de résilience, permettant aux acteurs de la communauté et leurs leaders de valoriser leur potentiel, d’accroitre leur vigilance et ainsi – nous le pensons – leur processus de décision. Décider serait un acte de vigilance, un acte qui – au delà des incertitudes du quotidien – est la marque réitérée d’une maîtrise de nos environnements de travail.

IV - La décision est un processus non exempt de problèmes : La décision tient moins dans le choix effectué que dans le mécanisme de prise de décision lui-même. L’étude de la décision comme processus a permis à certains auteurs de proposer des typologies explicatives de la prise de décision. Ainsi, Dahl (1956) distingue quatre types de processus de prise de décision :

- Démocratique (upward control) - Hiérarchique (downward control) - Marchandage (bargaining control) - Prix (self-control)

Arrow (1963) propose quant à lui une typologie en trois formes

- Autorité - Consensus - Marchandage

Dans la continuité d’Arrow, Zartman (1977) propose trois autres formes

- Coalition (par agrégation numérique), - Adjudication (par décision hiérarchique), - Négociation (par combinaison de points de vue conflictuels)

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Ces typologies du processus décisionnel sont autant de lectures explicatives du fonctionnement des organisations et des relations de pouvoir qui peuvent s’instaurer. Elles positionnent clairement l’information et sa perception par l’individu en regard de sa situation, du contexte et de son statut pour expliquer les différences de prise de décision ainsi que leur pertinence. Pour autant, March (1991) perçoit une ambiguïté dans le lien entre l’information et la décision. Ainsi, « la principale incertitude dans la prise de décision est l'ignorance des informations détenues par les autres et leurs actions probables ; et la principale raison d'être de l'information est son rôle dans la diminution de cette incertitude » (p. 232). V - Le processus de décision stigmatise un style de direction Outre les typologies liées à la prise de décision, le modèle d’Igor Ansoff distingue trois grands types de décision par ordre d’importance. A la base de la pyramide se trouvent les décisions opérationnelles. Elles correspondent aux décisions relatives à la gestion courante sans que leur conséquence ne soit réellement vitale pour l’organisation. Il s’agit d’assurer au quotidien l’efficacité de l’organisation. A un deuxième niveau de la pyramide se placent les décisions tactiques appelées aussi décisions de pilotage. Elles engagent l’organisation sur le moyen terme sans encore être vitales pour elle. Au niveau le plus élevé se trouvent les décisions stratégiques. Elles sont les plus importantes car déterminent l’orientation générale de l’organisation. A la différence des deux autres qui peuvent être décentralisées, les décisions stratégiques restent toujours centralisées. Cependant, les types de décision prennent réellement sens au regard de la posture prise par le décideur. Celle-ci stigmatise un type de décideur, un style de direction. A ce titre, Likert (1961) distingue quatre styles forts.

- Le style autoritaire (autocrate exploiteur tyrannique) - Le style paternaliste (bienveillant) - Le style consultatif (démocrate) - Le style participatif

Néanmoins, la distinction entre les différents styles n’est aussi marquée. Tannenbaum et Schmidt (1973) montrent qu'il existe un continuum de management entre un style de direction fondé sur l'autorité du supérieur (qui décide puis informe, puis consulte..) et un style de direction fondé sur l'autonomie des collaborateurs qui, sous certaines conditions (objectifs sous contraintes budgétaires) sont libres de choisir leur organisation (choix des moyens). Dans le même esprit la grille d'analyse managériale de R. Blake et J. Mouton (1964) répartit le style de management en fonction de deux critères principaux : l'intérêt porté à la production et aux résultats d'une part, et l'intérêt porté au facteur humain et au climat social d'autre part. ils isolent cinq styles de management.

- Style de type transmissif. Le manager se pose en autocrate - Style de type permissif où le manager s’efface et privilégie le laisser-faire - Style de type associatif où le manager cherche à instaurer un climat positif dans

les relations humaines - Style de type incitatif où le manager recherche l’intégration optimale entre la

production de résultats et le climat social

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- Au croisement des quatre précédents se trouve le 5ème style où le manager privilégie le compromis au risque de diminuer l’ambition. Cependant, il s’avère que la manager n’est jamais totalement dans un style mais au croisement de plusieurs types dont l’un paraît s’affirmer en priorité. Hersey et Blanchard (1977) confirment ce point de vue puisqu’ils remarquent qu’un même style peut être efficace dans une situation et inefficace dans une autre. Ils font l’hypothèse que n’importe quel style peut être efficace ou inefficace selon le degré de maturité professionnelle des collaborateurs. Ils prônent pour un management de type situationnel. Selon Tissier (2001), une décision n’est rationnelle que par rapport à une situation, à un état donné du système social de l’organisation, ce style de management met en avant un système de principes qui peuvent servir à guider l’action et les choix des responsables. Quatre verbes d’action (structurer, mobiliser, associer, responsabiliser) expriment des valeurs fortes dont aucune n’est a priori meilleure qu’une autre, tout dépend du contexte et des circonstances. Conclure L’EPLE – dans son appréhension des modes de décision – est à la croisée des chemins entre un contrôle par les règles et la procédure et un pilotage par les performances. Le chef d’établissement et l’ensemble des acteurs de la communauté – appuyés par une expertise des corps d’inspection territoriaux - sont comptables de cette performance éducative. Leur objectif semble clair : mettre en cohérence la procédure nationale, les procédures académiques et les objectifs fixés par son conseil d‘administration. La part d’autonomie se situe alors dans la mise en œuvre de ces procédures. La décision – loin de l’acte solitaire est un acte qui engage une communauté au service d’une politique publique assis sur des terrains complexes et mouvants. Elle devient un acte fondateur du pilotage d’une organisation publique. Bibliographie : ANSOFF, I. (1965). Corporate strategy. Business policy for growth and expansion. Mc

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TEXTES INTRODUCTIFS DES ATELIERS

Atelier 1 : Décision et innovation

Atelier 2 : La décision et la classe

Atelier 3 : Les instances de décision au sein de l’EPLE

Atelier 4 : Qui décide quoi dans l’EPLE ?

Atelier 5 : La décision : individuelle ou collective ?

Atelier 6 : Les parents et l’école : le choc décisionnel ?

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ATELIER 1 : Décision et innovation

Un maitre mot domine actuellement le monde de l’éducation et ce dans les différents pays européens : Innovation pédagogique et Autonomie. Sous l’influence de l’OCDE, nos institutions officielles misent sur le développement des innovations comme levier de transformation de l’école, partant du principe que les bonnes pratiques seront transférables. Mais le sont-elles et à quelles conditions? Les innovations se décrètent elles ? Peuvent-elles être imposées à tous ? Différentes conditions sont indispensables pour qu’un établissement soit innovant et non une classe, une équipe pédagogique, afin que les pratiques perdurent au-delà du départ du chef d’établissement ou d’un enseignant moteur... Quelles sont alors les conditions indispensables pour qu’une innovation engage l’établissement ? Quelle sera la place de la décision ? Qui y participera ? Celle ci peut être, ou doit être collective ? Comment y impliquer le personnel éducatif, les enseignants, parents, agents et élèves ? Quelle est la place de l’inspection dans le processus d’innovation ? L’objectif de l’atelier est d’envisager les conditions à remplir pour mettre en place une innovation qui engage l’établissement.

De l’innovation dans l’établissement scolaire à l’établissement innovant

Cécile Trémolières, Principale du Collège Verlaine à Lille

Alors que les pionniers des pédagogies nouvelles avaient développé leurs expérimentations en marge de l’institution, c’est du cœur même de l’institution que provient depuis 2005 l’incitation à innover. Cette incitation existe à différents niveaux du système éducatif. Elle concerne d’abord l’enseignant dans sa classe, pour lequel « innover et se former » est une des dix compétences à maîtriser4. Elle s’applique ensuite à l’EPLE qui peut s’engager dans une expérimentation pour une durée de 5 ans avec l’accord de son conseil d’administration sous réserve de l’accord préalable de l’autorité académique5. Enfin, avec le programme CLAIR, lancé à la rentrée 2010, elle apparaît comme un nouveau mode de pilotage du système éducatif. Au lieu de réformer l’ensemble de l’éducation prioritaire, ce programme a d’abord concerné 105 établissements « expérimentaux » désignés par le ministère, avant d’être généralisé et de remplacer les RAR. Dans les établissements concernés, l’incitation à innover est renforcée. Elle porte prioritairement sur trois champs : l’innovation pédagogique, l’innovation dans le domaine de la vie scolaire et l’innovation dans le domaine des Ressources Humaines.

Cette conversion de la hiérarchie de l’institution scolaire à l’innovation est une réponse aux évolutions récentes des systèmes éducatifs. Elle s’inscrit d’abord dans une perspective d’amélioration de leurs performances. Encadré par la LOLF, le pilotage par les résultats s’impose après les années 90 où le constat a été fait que l’accroissement des moyens investis dans l’éducation n’engendrait pas de progression symétrique des résultats. Dans

                                                                                                                         4 Le professeur dans sa classe doit désormais être capable de « de tirer parti des apports de la recherche et des innovations pédagogiques pour actualiser ses connaissances et les exploiter dans sa pratique quotidienne ». Il « fait preuve de curiosité intellectuelle et sait remettre son enseignement et ses méthodes en question». Extrait du cahier des charges de la formation des enseignants, arrêté du 16 décembre 2006, BO N°1 du 4 janvier 2007 5 « Sous réserve de l’autorisation préalable des autorités académiques, le projet d’école ou d’établissement peut prévoir la réalisation d’expérimentations, pour une durée maximum de cinq ans, portant sur l’enseignement des disciplines, l’interdisciplinarité, l’organisation pédagogique de la classe, de l’école ou de l’établissement, la coopération avec les partenaires du système éducatif, les échanges ou le jumelage avec des établissements étrangers d’enseignement scolaire. Ces expérimentations font l’objet d’une évaluation annuelle. Le Haut Conseil de l’éducation établit chaque année un bilan des expérimentations menées en application du présent article. » Art. 34 Loi du 23 avril 2005

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un registre plus économique (d’où la thématique de l’innovation est issue), l’invention technologique génératrice de progrès technique est le seul véritable moteur de la croissance économique. Dans l’éducation nationale en revanche, la nouveauté n’est pas une fin en soi. Pour améliorer l’efficacité du système sans dégrader son efficience, on mise sur l’autonomie des établissements à qui l’on demande moins d’être des pionniers que d’appliquer chez eux des solutions qui ont fait leurs preuves ailleurs. Plus que l’inédit, le critère d’une innovation réussie est sa capacité à répondre à un problème se manifestant dans un contexte local, de même que sa capacité à être transférée dans un contexte similaire. L’innovation est présentée comme accroissant la réactivité de l’institution et sa capacité à s’adapter à l’environnement qui sera celui des élèves. Elle n’est jamais une fin en soi, mais doit être conçue pour améliorer l’existant au service des élèves (Blanquer, 2010). Plus généralement, l’innovation scolaire revêt les caractéristiques suivantes:

-­‐ L’innovation est une expérience collective. Elle peut être définie comme « une action adaptative novatrice des acteurs du système scolaire qui a pour objectif ou effet de répondre à une exigence interne ou externe du changement en modifiant durablement les manières de faire et de voir des mêmes acteurs » (Richiardi, 1993). Elle entraîne un changement dans l’organisation et le fonctionnement de l’établissement, qui se traduit en retour par un changement de l’établissement comme groupement humain organisé.

-­‐ L’innovation scolaire est un changement choisi. En ce sens, la thématique de

l’innovation ne recouvre pas entièrement celle du changement dans les organisations. Elle ne consiste pas, par exemple dans la mise en conformité à une norme imposée à l’établissement scolaire qui impliquerait une adaptation passant par les rapports hiérarchiques et le fonctionnement bureaucratique classique. Au contraire, «L’innovation en éducation est du changement mais du changement conscient, volontaire, intentionnel et délibéré » (Cros, 2004). Elle implique une participation des acteurs de l’innovation à la décision.

-­‐ L’innovation a une dimension stratégique. Elle s’inscrit dans le projet

d’établissement qui donne sens et cohérence aux projets mis en œuvre dans l’établissement. Elle vise une amélioration de l’action éducatrice de l’établissement en contribuant à l’atteinte des objectifs pluriannuels fixés par le contrat d’objectifs.

Il ne suffit cependant pas que l’institution encourage l’innovation pour qu’elle voie le jour. En témoigne un recours à l’art. 34 peu fréquent dans les années qui ont suivi la loi. Dans un établissement scolaire disposant de marges d’autonomie croissantes, à qui revient la décision d’innover? Pour que l’innovation produise une amélioration de l’acte éducatif et qu’elle se diffuse, quels processus d’information et de décision faut-il mettre en place ? Ces questions intéressent autant l’autorité académique souhaitant promouvoir l’innovation que le chef d’établissement qui veut la susciter et l’accompagner. Quelles sont les

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conséquences des caractéristiques énumérées sur la décision d’innover ? Le processus de décision dans les organisations est présenté selon des modèles théoriques différents. Au modèle du choix rationnel développé par les théoriciens libéraux s’oppose une conception inspirée de la sociologie de Max Weber qui conçoit la décision comme le résultat de conflits interpersonnels, d’alliance et de compromis (Courty, 1997, pp. 37-38). Selon cette conception, l’innovation modifie les rapports entre les acteurs d’une organisation. Innover peut être source de tensions entre différents groupes ou au contraire susciter l’adhésion. Alors que l’école de la planification stratégique avait formalisé à l’excès les étapes de la décision dans les années 60, il est désormais admis par les théoriciens du management que la décision stratégique est un mode d’adaptation aux flutuations de l’environnement qui peut adopter des formes très variées (Mintzberg, 1999).

Les établissements scolaires français du second degré ont une spécificité. Deux sources de décision en matière d’innovation pédagogique y coexistent: la liberté pédagogique de l’enseignant, réaffirmée dans les textes récents6 et le rôle de pilote pédagogique dévolu au chef d’établissement7. Cette dichotomie entre chef d’établissement-pilote et l’enseignant seul maître dans sa classe ne se retrouve pas de façon aussi tranchée dans d’autres systèmes éducatifs où le chef d’établissement est un enseignant déchargé « primus inter pares ». L’opposition entre ces deux cultures professionnelles a été illustrée par Philippe Meirieu. A ses yeux, l’idéal professionnel du professeur est représenté par la scène décrite dans le Phèdre de Platon, où Socrate devise seul avec son disciple des problèmes que pose la philosophie. A l’opposé de ce modèle, celui du chef d’établissement est à rechercher dans la cité idéale dans laquelle chacun adhère au collectif de manière harmonieuse (Meirieu, 2005). Pour Jean-Pierre OBIN (2008), enseignants et personnels de direction ont un rapport au monde différent qui se traduit par des conceptions divergentes du temps, de l’espace scolaire et de leur rôle social dans cet espace.

L’innovation résultant de la décision de l’enseignant au nom de sa liberté pédagogique est vécue sur le mode de l’engagement personnel, voire un engagement militant considéré comme «un antidote au caractère bureaucratique de l’institution » (Prost, 1996) . Dans un métier particulièrement exposé à l’usure et au « burn out », s’impliquer dans un projet collectif est d’ailleurs une issue face aux difficultés (Lanthaume, 2008, pp. p.136-153). Les décisions du chef d’établissement, pilote de l’équipe pédagogique et de l’équipe de direction, dès lors qu’elles sont ratifiées par le conseil d’administration sont une deuxième source d’innovation. Elles sont prises au nom de l’ensemble de la communauté éducative et se réfèrent au bien commun, intégrant une dimension d’établissement. Quelles sont les caractéristiques du processus de décision dans chacun des deux cas ? Quelle limites découlent de chacun de ces modes de décision de l’innovation ? Comment faire en sorte que ces deux sources d’innovation se conjuguent pour concerner l’ensemble de l’établissement?

                                                                                                                         6 Art. L. 912-1-1 - La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection. Le conseil pédagogique prévu à l’article L. 421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté 7 Référentiel des personnels de direction, BO du 3 janvier 2002 – Extrait : Conduire une politique pédagogique et éducative d'établissement au service de la réussite des élèves, en y associant l'ensemble des membres de la communauté éducative.  

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J’ai été confrontée à ces questions lorsque, nommée principale en septembre 2010 au collège Verlaine qui venait d’être intégré dans le programme CLAIR, j’ai découvert un établissement aux projets multiples portés par différents groupes de professeurs ayant développé des pratiques innovantes depuis de longues années. Consciente de la qualité des projets et l’engagement de ceux qui les portaient, il m’est apparu que leur foisonnement ne dispensait pas de poser la question de la cohérence globale de l’action pédagogique et éducative de l’établissement, ni de celle du parcours de l’élève. Une somme de bons projets innovants ne produit pas nécessairement une amélioration des performances de l’établissement. En effet, le rôle du chef d’établissement est de rendre cohérente la démarche innovante pour passer de l’innovation dans l’établissement à l’établissement innovant. Ceci ne peut aboutir qu’avec la mise en place d’une participation des enseignants à la décision. Le but de cet écrit est donc d’éclairer les conditions d’un tel passage en tirant quelques conclusions provisoires des exemples d’innovations développées au collège Verlaine à partir de septembre 2010.

La matrice suivante est un outil de classification des exemples qui seront présentés au fil de cette présentation. L’axe horizontal traduit l’implication croissante des professionnels de l’établissement, du groupe restreint à l’ensemble de l’établissement. L’axe vertical représente le contenu de l’innovation, partant de celle qui porte uniquement sur les aspects organisationnels et de fonctionnement de l’établissement (horaires, équipements, « hors la classe ») à celle qui est directement orientée vers le cœur de la pédagogie et de la transmission de savoir. Une première distinction se fait jour : lorsqu’il est impulsé par quelques enseignants, le projet innovant concerne peu la dimension d’établissement, mais s’incarne immédiatement dans la classe. Lorsqu’elle provient d’abord de l’équipe de direction, l’innovation s’applique à l’ensemble de l’établissement, mais elle court le risque de rester en périphérie des enseignements dispensés aux élèves.

 

Innovation  portant  sur  l’organisation  et  le  fonctionnement  de  l’établissement  (hors  la  classe)  

Nombre  de  personnes  ou  équipes  impliquées  restreint  

Nombre  de  personnes  ou  équipes  impliquées  élevées  Innovation  impulsée  

par  l’équipe  de  direction  

Innovation  impulsée  par  une  équipe  ou  un  groupe  d’enseignants  

Innovation  portant  sur  les  apprentissages  (dans  la  classe)  

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Quand l’innovation commence dans la classe : l’innovation impulsée par les enseignants. Analyse à partir de trois exemples du collège Verlaine. Exemple 1 : Un enseignant d’histoire-géographie décide de pratiquer les « joutes oratoires » en début de cours, demandant à quelques élèves de résumer le mieux possible le cours précédent et aux autres élèves de décider quelle est la meilleure présentation. Il expose ses intentions et ses méthodes à ses collègues en équipe disciplinaire. L’équipe rattache cette proposition d’action au contrat d’objectif qui vise la progression des élèves dans la maîtrise de la langue, particulièrement dans les compétences orales du socle commun. L’expérimentation et son évaluation restent informelles.

Exemple 2 : Cinq enseignants (maths, français, histoire-géographie, documentaliste) décident de travailler ensemble autour d’un projet de classe journal. Il s’agit de coordonner les progressions pédagogiques dans les différentes matières pour faire rédiger aux élèves un journal thématique par période. Les enseignants demandent de faire partie d’une même équipe pédagogique de 6ème. Le travail d’harmonisation des progressions est mené tout au long de l’année. Il débouche une meilleure coordination et le développement de liens entre les matières. L’expérience stimule une réflexion sur l’évaluation par compétences. Au conseil de classe, les professeurs principaux présentent une évaluation des progrès constatés chez les élèves dans le comportement, la motivation et les résultats. Dans les disciplines qui n’ont pas été associées au projet, l’évaluation met en évidence une plus faible progression des élèves, voire des difficultés de comportement chez plusieurs élèves.

Exemple 3 : 6 enseignants de disciplines différentes assistent à une conférence du psychologue Boimare (Boimare, 2004) en 2009. Ils décident d’expérimenter sa méthode et de l’adapter au public du collège. Il s’agit de lire aux élèves des récits mythologiques qui servent de support à l’expression de leurs émotions afin de les aider à se débarrasser des peurs qui font obstacles aux apprentissages. L’action est validée par le SEPIA. La capacité des élèves à verbaliser leurs émotions et à s’exprimer devant le groupe est constatée lors du rapport d’évaluation rédigé par les enseignants. L’expérience se restreint néanmoins à un petit nombre de classes et aux professeurs volontaires.

Dans les cas présenté, la décision d’innover est dans un premier temps peu formalisée. L’expérimentation se décide à quelques uns en fonction d’affinités. Le chef d’établissement l’accompagne, l’encourage lorsqu’elle sert le projet d’établissement. Elle n’est pas issue d’un processus formalisé de décision. Pour qu’une expérimentation s’engage, qu’elle se développe et produise des effets sur les élèves et sur la manière dont l’équipe pédagogique les prend en charge, on peut dégager les conditions suivantes à partir des exemples exposés ci-dessus :

-­‐ Une équipe ou un groupe d’enseignants : l’initiative d’un professeur seul dans sa classe n’est pas une innovation en ce qu’elle n’induit pas de définition partagée d’hypothèses de travail, de méthode et de critères d’évaluation. Cette équipe se constituera d’autant plus facilement qu’une pratique préalable du travail en équipe aura existé dans l’établissement. A Verlaine, les enseignants estiment que l’habitude de la co-intervention a favorisé la constitution de ces groupes.

-­‐ Un engagement personnel des membres de l’équipe fondé sur un intérêt partagé, voire un enthousiasme mobilisateur. Alain Bouvier parle de « communautés de savoirs » (2011, p. 31) qui ne sont pas des groupes de travail officiels, mais qui se créent en fonctions d’objectifs ou d’intérêts partagés, de passions communes et qui reposent sur la confiance entre pairs.

-­‐ Une reconnaissance et un soutien du chef d’établissement qui tient compte des choix des enseignants dans la composition des équipes et de leurs autres demandes (salles, horaires, etc.) et accompagne la définition des objectifs par l’équipe ou le groupe.

-­‐ Le développement d’une expertise pédagogique allant au-delà de la simple maîtrise de sa discipline des enseignants et qui comprend le développement de compétences managériales : conduite de réunion, conduite de projet, formulation d’hypothèse et définition de critères d’évaluation

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-­‐ Un temps important consacré à la concertation : il est difficile de pouvoir dégager des heures de concertation a priori lorsqu’un projet est encore émergent. Le temps de travail des enseignants exprimé en temps de service depuis 1950 est un autre obstacle à cette concertation. Dans les faits, la concertation doit beaucoup aux temps informels (salle des professeurs, couloirs, temps du midi).

-­‐ L’existence d’un contrat d’objectif et d’un projet d’établissement « vivants », c'est-à-dire connus et intégrés par les enseignants, ce qui n’est possible que s’ils sont le résultat d’un processus de réflexion impliquant tous les acteurs de l’établissement. Porteurs de valeurs partagées, ils sont alors un outil de cohérence et une référence mobilisable par les équipes

Partant de la classe, la portée de l’action innovante reste cependant limitée. Elle peut même dans certains cas entraîner des effets négatifs et notamment:

-­‐ La diminution de la cohérence des pratiques des enseignants au sein d’une classe (effet observé dans l’exemple 2) : lorsque l’engagement des enseignants repose sur « l’envie de faire ensemble » de quelques uns et que l’ensemble de l’équipe pédagogique d’une classe n’est pas impliquée, les élèves le manifestent par un comportement plus agité dans les cours où la pédagogie est restée « classique ».

-­‐ Le parcours de l’élève peut perdre en cohérence dans le cas où la suite de l’expérimentation n’est pas envisagée l’année suivante.

-­‐ L’engagement personnel n’est pas nécessairement en accord avec le projet d’établissement. Par exemple : un projet « science » s’adressant à des élèves plus motivés par les sciences prévoyait une « sélection des élèves » en contradiction avec les objectifs du projet d’établissement et ceux, plus généraux de l’éducation prioritaire.

-­‐ Des tensions, voire une division au sein des équipes entre ceux qui sont impliqués et les autres diminue la capacité à travailler ensemble, d’où l’importance de « professionnaliser » la démarche d’innovation et de ne pas compter uniquement sur l’enthousiasme et l’affinité entre les personnes.

-­‐ Un risque d’essoufflement des équipes ou de disparition d’un projet en cas de mutation

Quand l’innovation dans l’organisation et le fonctionnement de l’établissement s’arrête aux portes de la classe. Exemple 4 : Une salle d’exclusion a été mise en place par le service Vie Scolaire pour isoler les élèves exclus de cours des autres élèves présents en salle de permanence. La salle d’exclusion s’avère à certaines heures « ingouvernable »

Exemple 5 : Dans cet établissement classé sensible, le harcèlement entre élèves est une préoccupation. En début d’année, des brimades et violences collectives ont été observées de la part des élèves les plus âgés sur les plus jeunes. Le temps de la demi-pension est particulièrement difficile à gérer pour les Assistants d’éducation qui parviennent pas à éviter les violences dans la file d’attente du self.ne La proposition de l’équipe de direction au conseil pédagogique est de décaler la pause méridienne des élèves de 6ème-5ème en l’avançant d’une demi-heure pour « protéger » les plus jeunes.

Exemple 6 : L’équipe de direction veut redynamiser les TICE en accord avec le conseil général qui annonce la livraison de 3 TBI, suivis quelques mois plus tard de 6 autres, et prévoit que chaque salle soit équipée d’un poste informatique, en plus du renouvellement des deux salles pupitres obsolètes. Comment faire pour que les pratiques des enseignants évoluent et intègrent les nouveaux matériels ?

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Il appartient au chef d’établissement de prendre les mesures permettant d’assurer le fonctionnement régulier de l’établissement 8 et de saisir le conseil d’administration sur les questions touchant à l’utilisation des moyens alloués. Expliquée et discutée avec l’ensemble des services, l’innovation impulsée par le chef d’établissement et son équipe de direction possède ipso facto une dimension d’établissement. Ces actions nouvelles courent cependant le risque de rester à la périphérie des enseignements et d’avoir un impact limité sur les apprentissages et la réussite scolaire des élèves. Améliorer le climat de l’établissement est une condition nécessaire mais non suffisante à l’amélioration des résultats des élèves. Équiper un établissement en matériel informatique ne produit pas en soi une modification des pratiques. Seul un processus de décision participatif intégrant l’expertise des enseignants est susceptible de produire tous les effets attendus. La simple consultation des différents services de l’établissement et la prise en compte de leurs remarques ne suffit pas.

Quant à l’innovation limitée au seul domaine de la vie scolaire (exemple 4), elle montre ses limites. Le programme CLAIR en tire les conséquences en cherchant à remettre du lien entre le « hors la classe » et la classe par la création des préfets des études. Quelle que soient les idées développées pour améliorer la salle d’exclusion, c’est un lieu « explosif », d’où il est manifeste que les élèves exclus ne repartent pas apaisés ni prêts à revenir en classe.

L’innovation de la classe à l’établissement Pour qu’une innovation transforme durablement le fonctionnement de l’établissement scolaire et qu’elle produise une amélioration de l’acte éducatif, elle ne doit pas rester confinée à l’espace clos d’une classe. A l’opposé, l’innovation impulsée par le chef d’établissement doit « descendre » jusque dans la classe pour atteindre le cœur de la pédagogie.

Exemple 7 : L’équipe d’EPS a bâti un projet de classe « nature » autour de la santé et des règles de vie. Ce projet porté par les enseignants d’EPS rencontre les préoccupations des enseignants porteurs du projet « Classe journal » et du projet « BOIMARE ». Plus ambitieux, le projet est réécrit et ses objectifs reformulés : enseigner autrement pour donner du sens aux apprentissages, intégrer les règles et les exigences du collège. Le projet devient celui d’un « voyage d’intégration des 6ème » au collège. Il prend place dans le projet d’établissement comme moyen de prévention à long terme du décrochage. (2+3 => 7)  

Exemple 8 : Lors des conseils d’enseignement et réunions de fin d’année et de prérentrée, le projet d’accompagnement individualisé des 6ème est parti de la réflexion initiée par le changement d’horaire. Une demi-heure alignée en fin de matinée pour toutes les 6ème et 5ème ouvre des possibilités de remédiations ciblées (PPRE), ou la possibilité de temps d’intégration des connaissances acquises en cours de matinée (5 => 8).

                                                                                                                         8  Article R421-10 du Code de l’éducation: En qualité de représentant de l'Etat au sein de l'établissement, le chef d'établissement : 1° A autorité sur l'ensemble des personnels affectés ou mis à disposition de l'établissement. Il désigne à toutes les fonctions au sein de l'établissement pour lesquelles aucune autre autorité administrative n'a reçu de pouvoir de nomination. Il fixe le service des personnels dans le respect du statut de ces derniers 2° Veille au bon déroulement des enseignements, de l'information, de l'orientation et du contrôle des connaissances des élèves.  

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Exemple 9 : L’existence d’une classe à projet a motivé les enseignants qui ont décidé l’année suivante d’organiser des classes à projet par niveau de classe en 6ème, 5ème, 4ème. Partant de l’expérience du journal, ils ont convenu que l’utilisation des TICE prendrait une place centrale. Mettant les élèves en situation d’acteurs de leurs apprentissages, il s’agit de les motiver et de modifier le rapport entre le professeur et l’élève dans l’acquisition des connaissances (être côte à côte face au savoir et non face à face) (2 + 6 => 9)

Exemple 10 : Le dispositif inclusion : les préfets des études conçoivent un dispositif d’accueil des élèves exclus dans les classes de collègues volontaires. La salle d’exclusion n’est qu’un élément dans le dispositif (4 => 10).

 

Quelles conditions doivent-elles être réunies pour que l’innovation modifie les pratiques d’un nombre suffisant d’enseignant et qu’elle acquière une dimension d’établissement ?

-­‐ Les projets innovants ont une histoire. L’existence d’une culture de l’innovation développée au fil des ans facilite l’émergence de projets de plus grande envergure. Expérimenter une première fois rend plus facile de se lancer dans une nouvelle expérimentation. Plus un enseignant participe à des projets innovant, plus il devient innovant. L’habitude du travail collectif rend la reconnaissance mutuelle plus aisée et libère de la peur du jugement. Pour cela, il est important que les différents porteurs de projet échangent et qu’il y ait une capitalisation d’expérience entre enseignants.

-­‐ Plusieurs innovations pédagogiques isolées lorsqu’elles poursuivent des finalités identiques font advenir des innovations possédant une dimension d’établissement. L’existence de plusieurs projets dans les classes de 6ème (Ex. 2 et 3) a conféré au projet de voyage d’intégration des 6ème (ex. 7) une dimension qu’elle n’aurait pas eue autrement. Par analogie, ce processus s’apparente à celui de la coalescence en physique des fluides par lequel deux gouttelettes d’eau qui viennent à se toucher se rejoignent subitement en formant une seule goutte. On peut aussi

Innovation  portant  sur  l’organisation  et  le  fonctionnement  de  l’établissement  (hors  la  classe)  

Nombre  de  personnes  ou  équipes  impliquées  restreint  

Nombre  de  personnes  ou  équipes  impliquées  élevées  

7.  Voyage  d’intégration  des  6ème  

1.  équipe  d’histoire

5.  Changement  d’horaire  pause  

Innovation  portant  sur  les  apprentissages  (dans  la  classe)  

2  :  Classe  journal  

3.  Projet  «  Boimar

4.  Salle  d’exclusion  

6.Equipement  TICE  

8.  Accompagnement  individualis

9.  Classes  à  projet  intégrant  les  TICE  

10.  Dispositif  d’inclusion  

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évoquer en économie le phénomène des « grappes d’innovation » de Schumpeter qui sont à l’origine des cycles de croissance.

-­‐ L’apparition dans le programme ECLAIR d’enseignants chargés de missions définies dans des lettres de mission (préfet des études, professeurs d’appui) permet d’atténuer l’opposition entre la culture professionnelle des enseignants et celle de l’équipe de direction. Porteurs en tant qu’enseignants d’une expertise pédagogique reconnue par leurs collègues, ils exercent de manière volontaire et consentie une responsabilité reconnue dans l’établissement. A ce titre, ils sont également porteurs de la dimension d’établissement reposant sur le contrat d’objectif et le projet d’établissement. Responsables, ils jouent un rôle décisif dans l’impulsion et la diffusion de l’innovation.

-­‐ La dynamisation de la réflexion pédagogique est favorisée par l’existence d’instances où le travail en commun des enseignants et de la direction est possible sur le mode de la collaboration, chacun intervenant dans son domaine d’expertise : la didactique et la pédagogie pour les enseignants, l’ingénierie pédagogique (constituer les emplois du temps en donnant la priorité à certaines contraintes pédagogiques, etc.) et les aspects managériaux (quelle personne pour quelle classe, quelle équipe, quelle mission) pour le chef d’établissement. C’est le cas du Conseil Pédagogique à condition que sa composition soit la plus ouverte possible, tout enseignant désirant y participer même ponctuellement devant pouvoir le faire. Les compte rendus des conseils pédagogiques ont un rôle important de transparence (ils doivent relater les débats et les divergences exprimées) et de mémoire de la réflexion pédagogique dans l’établissement. (Bouvier, op. cit., p. 65) D’autres instances peuvent être crées comme le « Comité de pilotage TICE » réunissant le gestionnaire, le principal, l’administrateur réseau et le référent numérique, le webmestre. Cet organe permet de synchroniser les décisions portant sur le pédagogiques avec celle portant sur l’installation et la maintenance du matériel. Le référentiel DGESCO pour les collèges et lycées numérique est un outil de pilotage de qualité au service d’un tel comité.

-­‐ Les instances de l’établissement et les réunions formelles ne sont pas le seul lieu de l’élaboration d’une réflexion collective. Le travail collaboratif à distance ouvre de nouvelles perspectives de mutualisation (salle des professeurs virtuelle, Google doc) aux communautés de savoirs (Bouvier, op. cit.) composées d’enseignants soucieux de préserver leur « temps libre ».

-­‐ La formation continue est nécessaire pour accompagner le projet innovant. Dans ce cas, elle est moins un moyen d’apporter des solutions clé en main qu’un processus d’accompagnement des enseignants dans la recherche de solution et la prise des décisions qui s’imposent en cours de projet.

CONCLUSION : l’établissement innovant : une organisation apprenante Lorsque l’innovation acquière une dimension d’établissement, elle concerne l’élève dans et hors la classe. Elle ne se contente plus de toucher une classe, mais concerne au moins un niveau de classe. L’établissement scolaire innovant prend en compte la cohérence du

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parcours de l’élève en anticipant ce qui va se passer pour lui l’année qui suivra l’expérimentation.

Devenir un établissement innovant place l’établissement scolaire dans la catégorie des « organisations apprenantes », « qui possèdent la capacité de créer, d’acquérir, de transférer des connaissances et celle de modifier leur comportement en fonction de nouveaux savoirs et en accord avec une nouvelle manière de voir les choses » (Harvard Bussiness Revue , 1993). Selon Alain Bouvier, l’expérience de l’innovation alimente un savoir collectif qu’il s’agit de « capitaliser » pour que l’établissement devienne un « centre d’intelligence pédagogique » (Bouvier, op. cit., p. 76). Ceci suppose la mise en place d’un « management cognitif », dont une des conditions est « d’améliorer les processus de décision et l’implication des acteurs dans ces processus » (Bouvier, op. cit., p. 68). En modifiant durablement l’organisation et le fonctionnement de l’EPLE, l’innovation transforme l’établissement lui-même.

Créer les conditions d’une réflexion et d’une décision collective afin de réussir l’innovation suppose d’identifier les objectifs et les moyens de les atteindre et de les évaluer. Cela ne signifie pas nécessairement que l’on puisse anticiper toutes les conséquences de l’innovation et que l’on sache exactement où l’on va arriver. Tout ce qui a été projeté n’est pas réalisé. On peut emprunter ici les réflexions des théoriciens de la stratégie d’entreprise :« Le monde réel suppose inévitablement une certaine dose de prévoyance ainsi qu’un minimum d’adaptation en cours de route . A ce titre, il y a des stratégies émergentes, c'est-à-dire celle où ce qui est réalisé n’était pas explicitement prévu. L’organisation a pris des mesures les unes après les autres qui ont fini par converger pour donner une certaine cohérence » ( (Mintzberg, op. cit.). La même remarque s’applique pour les innovations dans le secteur public : « Les innovations ne résultent pas toujours des intentions des innovateurs, et dans le secteur public, elles ne découlent pas nécessairement du rôle que joue l’Etat (ou de ceux qui ont le pouvoir d’agir en son nom) » (Courty, op. cit.). L’innovation ne se décrète pas. Elle ne s’impose pas de l’extérieur, mais provient d’un processus de décision interne. Pour qu’advienne l’établissement innovant, le conseil pédagogique doit être un des lieux privilégiés, mais non unique de la confrontation des expériences, de la mutualisation et de la réflexion pédagogique. Enfin le projet d’établissement et le contrat d’objectif doivent être des instruments donnant du sens à l’action collective. Le chef d’établissement doit en être davantage le gardien que l’auteur.

Bibliographie BLANQUER, J.-M. (2010). « Toujours vouloir que le neuf soit meilleur que le présent ». Les cahiers Innover et réussier, pp. 1-2.

BOUVIER, A. (2011). Le management cognitif d'un établissement scolaire - Vers un pilotage intellectuel de l'action. CRDP Poitou Charente.

BOIMARE, S. (2004). Ces enfants empêchés de penser. Paris, Dunod.

COURTY, G. (1997). L'âge d'or de l'Etat. Paris, Seuil.

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CROS, F. (2004). L'innovation scolaire aux risques de son évaluation. Paris, L'Harmattan.

LANTHAUME, F. (2008). La souffrance des enseignants. Paris, PUF.

MEIRIEU, P. (2005). Conférence. Revue Administration et éducation n°3, p. 45.

MINTZBERG, H. (1999). Safari en pays stratégie. Paris, village mondial.

OBIN, J;-P. (2008). Les enseignants, les personnels de direction et leur rapport au monde. Conférence ESEN Poitiers.

PROST, A. (1996). L'innovation. Intervention à la Biennale de l'éducation, p. 7.

RICHIARDI, J.-J. (1993). Innovation et action organisée: analyse des processus de construction de l'innovation dans le système scolaire. Service de la recherche sociologique, p. 18.

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ATELIER 2 : La décision et la classe

Dans le cadre de la place de l'enseignant dans le processus de décision au sein de son établissement, une série de questions se posent. Quels sont les effets de la décision sur le fonctionnement de la classe ? Entre décision et législation, décision et négociation : a-t-on vraiment un pouvoir de décision dans la classe ?

Décision et gestion de la classe : Quelles réalités ? La décision et la classe

Stéphanie Desabre, Professeur certifié de SVT, Collège F. Villon, Walincourt-Selvigny Laurence Margollé, Professeur certifié de Lettres Modernes, Collège F. Villon, Walincourt-Selvigny Francisco Dos Reis, Professeur d’Arts Plastiques, Collège F. Villon, Walincourt-Selvigny Eric Georges, Principal adjoint, Collège F. Villon, Walincourt-Selvigny

Décider au sein d’une classe comme au sein d’une communauté c’est faire un choix, c’est agir. Cette décision peut être faîte de façon individuelle ou collégiale. L’étude du comportement d’un individu face à un choix est appelée la rationalité humaine. En termes de capacités cognitives, le traitement de l’information (raisonnement, mémoire, prise de décision, fonctions exécutives …) ou même des processus plus élémentaires (perception, motricité ou mêmes émotions) va permettre de rendre le décideur plus rationnel. Dès lors ce dernier prendra la décision qui lui semblera la plus satisfaisante.

Herbert Simon montre par sa réflexion, que le processus de décision peut difficilement être étudié sous le seul angle de la rationalité. Être rationnel, c’est être capable de résoudre un problème avec justesse et de s'y conformer selon Alain Bouvier. Il met en exergue la dimension cognitive des décideurs et de leurs limites. Quant à G Klein, le contexte dans lequel se déroule la décision prend une place privilégiée. C'est à ce titre que cette approche met en exergue l’expérience du décideur et son degré d’expérience de la situation.

La problématique est de comprendre l’incidence d'une décision au sein de la classe et d'expliciter son périmètre d'application.

Quelle est la place donnée à la négociation dans la prise de décision et comment l'urgence de la situation impacte cette prise de décision ?

Tout pédagogue est conscient des limites de sa prise de décision : décision juste ou injuste? partagée? réaction spontanée?

Dans un premier temps, nous évoquerons la variabilité induite par la négociation dans la prise de décision puis l’impact d’acteurs extérieurs sur la variabilité d’une décision. Ensuite, nous discuterons de l’implication que cette dernière peut générer.

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Négocier et décider ?

Lorsque l’enseignant doit prendre une décision dans la classe, il est le seul représentant de l’autorité face aux élèves. Si décider est un acte par lequel une autorité décide alors, dans ce cas, l’autorité est représentée par le professeur. Si l’enseignant prend une décision dans la classe, celle-ci s’adresse soit à un élève en particulier soit à un collectif (la classe ou un groupe d’élèves). L’enseignant doit alors faire un choix entre le juste et l'injuste. Le périmètre de décision que représente la classe pour le professeur ne peut se bâtir sur la simple formule de François Dupuy et Jean-Claude Thoenig « vivre ensemble sans coopérer.»

Quelle que soit la situation qui motive sa prise de décision, l’enseignant doit-il la justifier ou imposer son autorité sans laisser la place à une forme dialogue ?

En effet, prendre une décision, c’est décider après une délibération. Il ne faut pas occulter le fait que les élèves sont aujourd’hui dans un contexte ou le dialogue est privilégié, ce qui n’a pas toujours été le cas à l’école. « Nul n'est sans savoir que ces chers bambins ont beaucoup changé depuis une trentaine d'années. Plus audacieux et moins travailleurs, ils n'acceptent plus d'emblée les règles et les codes scolaires.» (Obin, 2003).

Pour certains élèves, l’autorité du professeur n’est pas un pouvoir inéluctable qu’ils doivent accepter sans sourcilier. Dans bien des situations de prise de décision, l’enseignant se voit dans l’obligation de justifier ses choix. Par exemple, un élève qui arrive volontairement en retard en classe aura toujours une explication à donner et le professeur se verra alors dans l’obligation de rappeler que ce comportement est un manquement au règlement interne de l’établissement afin de justifier la décision de lui appliquer une sanction.

Dans ce contexte, l’enseignant se retrouve donc très souvent confronté à l’esprit de négociation dont font preuve les élèves. En effet, négocier, c’est discuter en vue d’un accord, engager des pourparlers en vue de régler un différend ou de mettre fin à un conflit. Cette négociation peut être une aide à la décision pour résoudre un problème ou une situation ou représenter un élément qui vient perturber la prise de décision (Berthoz, 2003).

Se pose alors la question des acteurs de la décision. Si l’enseignant entre en négociation au sein de la classe avec des élèves il ne doit pas perdre de vue qu’il est le décideur.

Mais l’est-il réellement ? Des éléments au sein même de la classe mais aussi des éléments extérieurs peuvent venir perturber ou conforter cette prise de décision.

La classe est une composante d’un établissement scolaire où l’ensemble des acteurs peut prendre part à la décision. Un personnel de direction, un conseiller principal d’éducation, ou un autre professeur par exemple peuvent être un paramètre de la décision pour le professeur. Dans ce cas, la prise de décision pourra être différée et sortir du « temps » de la classe (Fournier et Troger, 2005, 32). Plusieurs exemples peuvent être mis en exergue. Par exemple, un professeur peut utiliser la fin du cours pour prendre une sanction et la notifier à ce moment là à l’élève concerné. Au sein d’une même classe, la décision peut

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également être remise en cause par des élèves lorsque par exemple un (ou plusieurs élèves) d’un même groupe trouve(nt) la décision prise par le professeur injuste.

D’autres acteurs extérieurs à la classe peuvent également avoir une position de négociateurs : les parents. En effet, ils sont les garants de l’autorité parentale qui représente une influence non négligeable sur l’autorité du professeur. La rencontre entre le professeur et les parents au sujet d’une sanction prise au sein de la classe par celui-ci représente un bon exemple de dialogue basé quelque fois sur la négociation : « Enfants et adolescents sont désormais en majorité éduqués par des familles qui privilégient le dialogue, l'explication, la négociation, et qui leur reconnaissent très tôt le droit d'exprimer leurs opinions et leurs désirs. » (Ibid., 104).

Mais, au moment où il prend sa décision l’enseignant, connaît t-il tous les paramètres qui feront que celle-ci sera juste ? Certaines données, comme une situation familiale complexe par exemple, peuvent être connues après la prise de décision. Dans ce cas, l’enseignant se voit parfois dans l’obligation de revenir sur sa décision ou du moins de prendre en compte ces paramètres et ajuster sa décision.

Agir dans l'urgence et décider?

La description des décisions de l’enseignant pourrait garantir l’image d’un professionnel qui maîtrise les situations auxquelles il fait face et qui choisit. En effet, la décision peut se définir comme un acte conscient qui se produit quand au moins une alternative est disponible. En soutenant l’hypothèse de telles décisions, l’enseignant, au moment où il prépare son cours aussi bien qu’au moment de l’interaction avec la classe, pèserait le pour et le contre. Or, la réalité de l’évolution des pratiques, jusqu’alors, ne permet pas d’imaginer un schéma aussi simple. La distance entre la théorie et la pratique serait minime si ce schéma était réel.

Nul n'est sans savoir que les élèves ont beaucoup changé depuis une trentaine d'années. « Les générations scolarisées depuis une trentaine d'années sont moins dociles que celles qui les ont précédées et expriment plus spontanément leur éventuelle hostilité à l'ordre scolaire que les enseignants ont la charge de leur imposer » (Ibid., 104).

Les textes indiquent qu’«il appartient à l’école de faire acquérir, par chaque élève, les compétences lui permettant d’utiliser de façon réfléchie et efficace ses connaissances et de contribuer à former ainsi des citoyens autonomes, responsables, doués d’esprit critique »

C’est à ce titre que l’idée d’élaborer des règles de vie dans la classe, des contrats, pour résoudre les problèmes que l'on rencontre dans la poursuite d'un objectif commun peut permettre de prendre des décisions et de gérer toute forme d’impulsivité de la part du décideur, qu’est l’enseignant. Associer alors les élèves à la définition et à l'écriture des règles de vie de la classe, est devenu depuis quelques années une préoccupation de la plupart des enseignants, de la maternelle au lycée. Dans la plupart des classes l'enseignant élabore avec ses élèves dès les premiers jours de l'année scolaire, les règles

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qui doivent permettre un bon déroulement du jeu social à l'intérieur de la classe : lever le doigt pour prendre la parole, ne pas se lever sans autorisation, respecter la parole de ses camarades. Quels que soient la forme de l'écrit et le support utilisé pour rendre compte de cette réglementation, la démarche mise en place témoigne toujours de la volonté de l'enseignant d'associer les élèves à la définition des principes, droits, devoirs ou interdits qui vont s'imposer à eux durant l'année scolaire. L’acte de décider devient ainsi plus juste.

L'école s'intéresse de ce fait, à la fois à l'élève en tant qu'individu confronté à la construction de ses apprentissages, de son identité, de la réalisation d'un projet personnel, et en tant qu'être social évoluant à l'intérieur d'une structure sociale régie par des règles.

Si ce souci de faire participer les élèves est évidemment louable car il est la condition indispensable d'une éducation à une citoyenneté active et responsable, il n'en est malheureusement pas la condition suffisante puisque enseigner, c’est d’abord « agir en situation d’incertitude, et souvent d’urgence » (Duru-Bellat et Van Zanten, 1999).

D’abord parce que les enseignants sont seuls dans leur classe pour gérer cette incertitude : un élève ne respecte pas la parole de son camarade, soit en se moquant ouvertement de lui soit dans certaines situations extrêmes se met à l’insulter ou à l’agresser verbalement. Les règles alors établies ensemble ne sont pas respectées. Comment réagir ? Expliquer, calmer le jeu, négocier, tant de bonnes décisions que chaque enseignant est prêt à prendre. Mais la réalité du terrain, de la classe permet-elle toujours cette prise de décision juste et réfléchie? Herbert Simon nous montre par sa réflexion que le processus de décision peut difficilement être étudié sous le seul angle de la rationalité.

Puis parce que les évolutions des systèmes scolaires et modes d’éducation familiales au cours des dernières décennies du XX siècle ont considérablement aggravé les principales sources d’incertitude du travail des enseignants : l’imprévisibilité et l’hétérogénéité des comportements de leur public. « Plus audacieux et moins travailleurs, ils n'acceptent plus d'emblée les règles et les codes scolaires » (Obin, op.cit.).

L'enseignant doit s'efforcer avec sa classe de créer un climat dans lequel les élèves sont conduits à travailler collectivement, à échanger leurs opinions, à reformuler ensemble la nature des problèmes à résoudre et à débattre de leurs solutions les meilleures. Cette « pédagogie interactive » (Doise et Mugny, 1981) faciliterait alors en retour l'acquisition de compétences sociales parmi les plus fondamentales, telles que le respect et la prise en compte des points de vue contradictoires d'autrui, et ainsi accepter toute décision justifiée et légitimée. Mais l’insatisfaction est souvent trop fréquente.

Certes « on peut discuter », la classe est devenue un lieu de dialogue et d’échanges, ce qui est une bonne chose.

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Faire cours serait alors, ni plus ni moins, pratiquer sans cesse le vivre ensemble. Mais peut-on alors parler de démocratie dans le cadre scolaire ? Pas si évident.

Il ne s’agit pas de soustraire la relation pédagogique à l’autorité de l’institution, ni d’accorder aux élèves un poids égal à celui des adultes dans les décisions concernant le fonctionnement de la classe et de l’établissement. Il s’agit de poser les conditions qui donneront à l’asymétrie de la relation pédagogique une légitimité démocratique en accordant aux élèves la parole et la part de décision qui leur revient, en les rendant responsables et actifs, et en fondant les règles sur le bien commun plutôt que sur l’arbitraire. Sans vouloir leur faire croire qu’ils peuvent trancher sur tout, il est important qu’ils sachent qu’ils peuvent prendre des décisions dans les domaines où ils peuvent faire part de leurs propositions et livrer leurs avis sur les points qui ne relèvent pas de leur niveau de responsabilité.

Loin de menacer l’autorité de l’institution, la participation des élèves aux délibérations qui les concernent renforce l’idée que chacun doit tenir la place qui lui revient et assumer ses responsabilités. Enfin, cette participation donne une légitimité démocratique aux décisions et à ceux qui sont chargés de les mettre en œuvre : programme alléchant s’il en est.

Conclusion

Toute réflexion sur la décision montre que sa définition intrinsèque du choix arrêté et rationnel n’est peut-être qu’illusoire. En effet la décision prise par le professeur peut être remise en cause par une autorité institutionnelle représentée par le chef d’établissement. La décision prise par le professeur a-t-elle été la bonne ? « II [le chef d'établissement] a le devoir d'exercer son contrôle sur la conformité de l'action éducatrice [des professeurs]. »

(Lefebvre et alii, 2004).

La montée du contentieux relatif à la scolarité‚ des élèves et au règlement intérieur n’est pas un axe négligeable dans notre réflexion. Ce n’est pas un hasard si l’ex-DAGIC (Direction des Affaires Générales, Internationales et de Coopération) est devenue la DAJ (Direction des Affaires Juridiques) et si la Lettre d’information Juridique du ministère est proposée à tous les EPLE. Ainsi une mention telle que « Les parents ne peuvent refuser les sanctions données par l’établissement » n’a aucune valeur, puisqu’ils peuvent contester une sanction par des recours gracieux, hiérarchiques et même contentieux. D’ailleurs « le législateur, avec la loi du 4 août 1982, a repris a son compte la jurisprudence du Conseil d’Etat en posant en principe qu’un règlement intérieur ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». (C.E. 12 juin 1987, cité par G. Mamou, 1987).

Le problème n’est pas tant la transgression de la loi du règlement intérieur de l’établissement mais sa négation. Une autre difficulté est la décision et l’application des sanctions. Le chef d’établissement reste maître de la procédure disciplinaire.

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La décision dans la classe devrait donc être maîtrisée et prendre en compte beaucoup d’éléments (ce que la loi interdit, le risque d’arbitraire, de brimades… ) qui ne dépassant la jurisprudence connue qu’avec prudence et en toute lucidité. Mais est-ce toujours le cas ?

Bibliographie

BERTHOZ, A. (2003). La décision. Paris, Odile Jacob.

DOISE, W. et MUGNY, D. (1981). Le Développement social de l'intelligence, Paris, Inter éditions.

DUPUY, F et THOENIG, J.-Cl. (1997). Sociologie de l’administration française. Paris, Armand Colin.

DURU-BELLAT, M. et VAN ZANTEN, A. (1999). Sociologie de l’école. 2ème édition. Paris, Armand Colin.

FOURNIER, M. et TROGER, V. (2005). Les Mutations de l’école, le regard des sociologues. Auxerre, Editions Sciences Humaines.

OBIN, J.-P. (2003). Enseigner, un métier pour demain. Paris, La documentation française.

LEFEBVRE, E., MALLET, D., VANDEVOORDE, P. (2004). Le collège et le lycée publics. Le chef d’établissement dans l’institution. Coll. Les Indispensables, n°170. Paris, Berger-Levrault.

MAMOU, G. (1987). La charte du civisme scolaire Le règlement intérieur. Paris, CNDP.

 

   

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ATELIER 3 : Les instances de décisions au sein de l’EPLE

Le conseil pédagogique, bien qu’il ne soit pas une instance décisionnelle, est le lieu central des décisions pédagogiques et éducatives. Comment faire de cette instance un lieu décisionnel efficient ? Le processus de décision par consensus peut contribuer, dans certaines conditions, à formaliser une forme de négociation intégrative et collaborative. Les intérêts de ce mode de décision sont nombreux malgré l’existence de quelques limites. Ces écueils dépendent du climat de confiance de l’établissement. La décision par consensus semble être l’un des moyens les plus pertinents de fédérer une équipe autour de la réussite des élèves.

Les instances de l’établissement : lieux décisionnels ?

L’exemple du conseil pédagogique

Amar Gacem, Principal adjoint du Collège Paul Duez Cambrai Les instances sont-elles des univers décisionnels à géométrie variable ? Comment faire de l’accumulation et de la superposition des instances, des espaces de décisions consensuelles. Arrêtons-nous sur le conseil pédagogique. Le conseil pédagogique : un lieu pour décider ? Le conseil pédagogique, bien qu’il ne soit pas une instance décisionnelle, est le lieu déterminant des décisions pédagogiques et éducatives. Les membres volontaires sont des acteurs essentiels pour parvenir à une décision collective. Les conclusions du Conseil Pédagogique sont d’ailleurs très souvent reprises lors des instances institutionnelles décisionnelles. Le résultat d’une forme de négociation intégrative et collaborative est le consensus. Conditions pour faire du conseil pédagogique un lieu décisionnel : la décision par consensus. D’abord, le consensus ne peut apparaître qu’en respectant les trois conditions suivantes :

- la prise de décision, - le choix de la solution retenue - la procédure de mise en œuvre individuelle et collective de cette décision.

Plusieurs étapes essentielles jalonnent la construction d’une visée commune. Elles permettent également l’émergence d’un consensus, source d’efficience. Définition du problème partagée D’abord une définition claire du problème et de la décision à prendre permet de vérifier s’il y a accord sur la définition des problématiques. Cette première phase n’exclut pas les décisions urgentes à prendre et les éventuelles positions de repli. Mode de décision Il convient ensuite de s’assurer de l’adéquation de décider par consensus des comparaisons avec d’autres modes de décision permettant d’apprécier si décider par consensus est le plus adapté à la situation problématique. Réflexion L’étape réflexive du problème est incontournable. La notion de réflexion individuelle ou collective ainsi que l’utilisation de divers outils sont des préalables essentiels.

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Collecte des avis La récolte des différents avis sera d’autant plus pertinente que l’expression, à ce stade, sera libre. D’ailleurs, il convient d’éviter toutes les discussions. Sans cela les phases précédentes n’auraient servi à rien. Reformulation des observations Puis vient le moment crucial de reformuler les avis en termes de peurs, besoins, intérêts, enjeux et valeurs. Cela permet effectivement de favoriser l’écoute mutuelle et de supprimer les malentendus. Le débat est ainsi dépassionné et l’acceptation de divergences de fond se fait. Recherche de solutions La recherche de solutions représente le point d’ancrage de la décision. Cette étape est d’autant plus importante qu’elle aboutit à des compromis. Les conjonctions d’opposition sont remplacées par des conjonctions d’union. Il n’y a pas de lien de subordination mais de coordination. Présentation de la proposition soumise à la recherche de consensus Enfin, la dernière phase de la décision par consensus consiste à énoncer une proposition claire soumise à la recherche d’un accord le plus large. Bien évidemment, l’unanimité n’existe pas. L’expression de véritables objections peut bloquer la dynamique réflexive active. Dans ce cas, la reformulation des avis est écoutée une deuxième fois sans que cela n’apparaisse dans le relevé de conclusions. Des réserves peuvent être proposées. Les améliorations d’une solution souhaitable seront reprises. Il convient également de noter les abstentions. Conditions, intérêts et limites de la prise de décision par consensus L’intérêt de cette méthode d’action réside dans la participation la plus large des acteurs. Le consensus est mobilisateur, car les participants n’obéissent pas à des injonctions officielles. Ils mettent en commun leurs expertises pour trouver des alternatives au décrochage scolaire. La construction d’une valeur commune (la plus grande réussite scolaire des élèves) est étayée par une série d’actions partagées. La question de l’interdisciplinarité est également, ici, prégnante. Par ailleurs, les instances sont des lieux de conflits cognitifs. Les controverses aboutissent au dépassement des antagonismes et créent un processus de rationalisation et de compréhension des problématiques pédagogiques et éducatives. En définitive, après une phase de négociation, un compromis sera recherché. La multiplication des instances de décision rend ces étapes plus que nécessaires. Le conseil pédagogique peut être une assemblée qui permet d’aborder très sereinement, avec le temps nécessaire, les enjeux éducatifs fondamentaux. Au risque, si les étapes de la prise de décision par consensus ne sont pas respectées, de retomber dans le très célèbre faux-semblant d’une décision centrée sur la réussite des élèves. Cette approche technique du processus de décision par consensus comporte deux grandes limites qu’il convient d’éviter. Les acteurs peuvent avoir l’impression que la Direction emploie des méthodes manipulatoires. La confiance et le sentiment d’appartenance à une communauté éducative sont des atouts pour que cet écueil s’estompe. La responsabilité accordée à des acteurs repérés autour d’un groupe de pilotage élargi favorisera et le sentiment d’appartenance à une communauté éducative et la transparence des intentions.

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Les récalcitrants trouveront que toutes les actions de l’Administration sont de purs objets de manipulation. Le consensus élargit donc le champ des opposants. De l’Administration, on passe à une dynamique d’équipe. Cela permet aux personnes qui refusent, a priori, le travail collaboratif de rejoindre le groupe plus tardivement. Une précision essentielle est à apporter : le consensus portera exclusivement sur les manières de répondre à un objectif central. Des alternatives seront proposées et évaluées afin de les conforter ou de les ajuster. Notons, ici, l’importance que revêt le suivi des actions entreprises avec la communication des indicateurs reconnus par l’équipe et leur analyse lors de points d’étape. La réussite des élèves suppose un changement de pratiques pédagogiques, alors que le suivi de ces pratiques, par le Personnel de Direction, s’arrête au pas de la porte de la classe. Là encore, le style de management de la Direction et le projet d’établissement sont des préalables indispensables. Le climat de confiance instauré par la Direction permet également de dépasser ces freins. Le conseil pédagogique n’est pas forcément reconnu, par tous, comme une instance de décision. Certes. Abordons nous des questions pédagogiques cruciales lors d’une Commission Permanente ou lors d’un Conseil d’Administration ? Où se décident les modalités d’évaluation, les progressions pédagogiques, les stratégies de remédiation, l’enseignement par compétences, les critères d’orientation des élèves ou le choix des manuels ? Il serait intéressant d’analyser, de ce point de vue, les comptes rendus transmis à la tutelle et de relever les pourcentages d’actes des Conseils d’Administration relevant de l’action éducative qui entraînent effectivement décision. Enfin, les incertitudes des décisions prises par consensus ne peuvent être écartées. On peut parfois avoir l’impression de se retrouver dans une situation complexe incomprise du fait de situations imprévues ou d’effets inattendus. D’où la nécessité de prévoir des assemblées générales afin de mesurer l’impact des décisions et de prendre un temps d’arrêt réflexif et analytique propice à la poursuite d’un projet. Cela suppose de dégager des moyens et de banaliser des journées. Pour toutes ces raisons, la souplesse du Conseil Pédagogique rend cette instance indispensable au changement des pratiques pédagogiques. La décision par consensus permet de passer d’une équipe de spécialistes à une équipe spécialiste. Gageons que cette approche puisse contribuer à mobiliser le plus grand nombre d’acteurs autour d’une valeur commune et indiscutable : la réussite des élèves et des acteurs. Bibliographie

BOUVIER, A. (2009). Du projet au contrat d’objectifs. CRDP Poitou Charente.

DELAHAYE, J.-P. et MAMOU, G. (2011). L’autonomie de l’établissement public local d’enseignement. Paris, Berger-Levrault

VODOZ, L. (1994). La prise de décision par consensus : pourquoi, comment et à quelles conditions ? In Environnement & Société n°13, pp. 57-66.

   

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Les instances de l’établissement : des lieux pour décider ? L’exemple du conseil de classe

Bertrand Deshays Principal-adjoint, Collège Adulphe Delegorgue, Courcelles-Les-Lens

De fait, dans les établissements, le conseil de classe peut se dérouler de manières très différentes. Y a-t-il un rapport entre le fonctionnement du conseil de classe et le fait qu’il soit, ou non, un lieu de prise de décision ?

Une instance officielle avec des fonctionnements très divers

Le conseil de classe réunit, à la fin de chaque trimestre, l’équipe pédagogique, les représentants des élèves et des parents. Il est présidé par un personnel de direction. Il réalise un bilan des acquis et des résultats des élèves. Il délivre également des encouragements (tableau d’honneur, encouragements, félicitations) ou des mises en garde (avertissement pour le travail, pour le comportement, blâme). Il décide, à certaines étapes de la scolarité, de l’orientation de l’élève. Le bulletin trimestriel - et divers documents joints, le cas échéant - en gardent la trace.

Mettons de côté la question de l’orientation pour considérer le conseil de classe le plus fréquent, le plus « ordinaire », celui qui évalue les performances et les difficultés des élèves.

Constater

Son fonctionnement varie beaucoup selon les établissements. Il peut être réduit à un simple lieu de constat, à un instant donné. Dans ce cas, le risque est grand, pour les professeurs, d’en rester à une attitude générale de déploration (du manque de travail, du manque d’attention ou de participation en classe...) qui peut donner aux parents et aux élèves une bien piètre image des professionnels de l’éducation nationale. Chacun connaît ces discours du regret d’un âge d’or mythique où tous les élèves étaient silencieux, respectueux, attentifs et travaillaient sans ménager leur peine... La pédagogie devait être fort aisée, alors, voire superflue ?

Conseiller

Le conseil de classe peut également être le lieu où, sans en rester au constat, les professeurs indiquent aux élèves des pistes pour progresser. Soit de manière très générale (« travailler plus »), soit en entrant dans le détail des difficultés rencontrées dans leur matière et en proposant des remédiations ciblées. L’image renvoyée vers les parents est alors très différente. Les professeurs ne donnent plus à voir leur impuissance mais sur leur volonté de faire progresser les élèves à partir d’un diagnostic aussi précis que possible de leurs difficultés dans chacune des disciplines.

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Décider

Enfin, piloté par le chef d’établissement, le conseil de classe peut être le lieu d’une prise de décisions collectives. Les difficultés rencontrées par les élèves - et rappelées à l’occasion du conseil de classe - relèvent rarement exclusivement de telle ou telle matière. Elles traversent, le plus souvent, les différentes disciplines. Une juxtaposition de conseils donnés par les professeurs les uns après les autres ne sauraient donc suffire, d’autant que, le temps consacré au cas de chaque élève étant nécessairement réduit (deux minutes par élève ?), le risque est grand de s’en tenir au superficiel « travailler plus ». L’idée même du socle commun de connaissances et de compétences invite à cette réflexion pluri- ou interdisciplinaire. Les compétences sont obligatoirement évaluées (et donc enseignées) par plusieurs disciplines et chaque discipline participe à l’évaluation – et à l’enseignement – de plusieurs compétences. La mise en place du socle commun nécessite donc un travail interdisciplinaire important pour expliciter la contribution des différentes disciplines à l’enseignement et à l’évaluation des différentes compétences, et pour harmoniser ces modalités d’évaluation.

Le rôle du chef d’établissement, pilote pédagogique du conseil de classe (comme il l’est de l’établissement), est alors d’interroger les équipes pour les amener à creuser leur diagnostic (« De quelle nature sont les difficultés rencontrées ? Est-on sûr qu’il s’agit d’un manque de travail ? S’est-on assuré de la compréhension ? »). Ainsi peuvent-elles décider collectivement d’une réponse à apporter aux difficultés de l’élève. Un diagnostic précis des difficultés, partagé, pour décider ensemble de la réponse la plus appropriée.

Cette réponse fait appel aux ressources de l’établissement. On y trouve aussi bien des modalités d’aide en classe (différenciation dans le cours ordinaire, tutorat par un autre élève...) que des modalités externalisant le traitement de la difficulté scolaire (tutorat par un assistant d’éducation, séances de soutien en groupes de besoin, aide aux devoirs par une association locale...).

Il s’agit de prendre collectivement, pour chacun des élèves concernés, une décision qui engage chacun des acteurs plutôt que de faire d’un élément extérieur à l’action de l’établissement (le « manque de travail ») l’unique explication des difficultés des élèves. Ainsi, ayant détaillé les difficultés rencontrées et proposé la réponse la plus adaptée, le conseil de classe sera en mesure, au trimestre suivant d’évaluer la pertinence de l’aide décidée et de recourir à un autre levier si besoin est.

Des déroulements, un rapport à la décision très différent.

On voit donc que le conseil de classe peut être simplement le lieu d’un constat, sans qu’aucune décision pédagogique n’y soit prise, lorsqu’on se contente d’y rapporter les résultats chiffrés des élèves et de les sermonner ou les féliciter. On pourrait parler, dans ce cas, d’un fonctionnement « administratif » du conseil de classe.

Dans d’autres cas, piloté pédagogiquement par le chef d’établissement et centré sur les réponses à apporter à une difficulté scolaire clairement identifiée, le conseil de classe peut

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être un vrai lieu de prise de décision collective qui engage chacun des acteurs. Alors, il est l’un des outils permettant d’évaluer la pertinence de la politique pédagogique menée dans l’établissement. Alors il est véritablement au service de la réussite des élèves.

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ATELIER 4 : Qui décide quoi dans l’EPLE ?

Ethique, processus, origine, doute, certitudes : nous avons travaillé dans ce court dialogue - que nous avons voulu professionnel - sur ce qui nous engage dans la décision au sein de nos établissement. Au fond, il nous semble que c'est bien la question de la responsabilité individuelle et collective qui se pose. Au-delà de nos désaccords de fond et de forme c'est bien le collectif au service de nos élèves qui nous pose question. Comment décider ensemble ? Comment - sans démagogie - construire une responsabilité d'établissement face aux choix des familles ? Poser la question de la décision au sein des établissements c'est poser le choix d'assumer une responsabilité collective avec ses forces et ses faiblesses. C'est, pour nous, une question de service, de service public.

Propos sur la décision : assumer une responsabilité commune ? Echanges au Collège François Villon – Septembre à Novembre 2011

Alain VENART (A.V.), Principal du collège François Villon – Walincourt-Selvigny. Les propos sont en italique.

Michel VAILLANT (M. V.), Professeur d’histoire-géographie au collège François Villon – Walincourt-Selvigny. Les propos sont en caractère usuel.

M. V. : J’ai été ravi de pouvoir rejoindre le comité de pilotage du colloque organisé par l’AFAE à Lille en février 2012. La problématique de la décision dans un EPLE interpelle forcément un enseignant, et y réfléchir en associant différents acteurs, c’est accepter d’interroger la nature même de cette décision. Pourtant l’intitulé du colloque me semblait prendre les choses à contre-pied : parler de la décision « de la classe à l’établissement », c’était inverser la verticalité d’un processus.

Les décisions au sein de l’EPLE ne se prennent pas dans la classe. Celle-ci constitue même, parfois, un espace de résistance à une décision non acceptée, au nom de la liberté pédagogique et dans l’intimité relative qu’offre la classe porte fermée. A la question « qui décide quoi dans l’EPLE », la réponse qui vient immédiatement à ’esprit est « l’équipe de direction », et en tout premier lieu le chef d’établissement. Les parents ne s’y trompent d’ailleurs pas, en court-circuitant l’équipe éducative au profit de celui-ci dès qu’ils ont besoin d’une décision.

Certes le chef d’établissement exerce ce pouvoir de décision dans un cadre qui s’impose à lui : il doit articuler sur un territoire défini, avec une communauté, disposant de moyens limités et en usant de ses prérogatives une commande institutionnelle. Mais celle-ci fait des enseignants la variable d’une équation dont la solution les rendra acteurs de la décision voire simples spectateurs de ses effets dans l’établissement.

A. V. : Merci de cette première approche. Je souhaiterais – si cela vous convient – amorcer ce dialogue en reprenant votre approche de la liberté pédagogique et l’associer à la lecture de notre thématique du Colloque 2012.

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Je pose alors un premier désaccord. Pourquoi tout doit-il partir de la classe en la posant comme un lieu si intime qu’il en serait fermé ? Au moment où l’on parle de deuxième carrière, d’évolution, de parcours de compétence : ne croyez-vous pas qu’il faut penser « établissement » comme on pense organisation. Ce dernier n’est pas la somme de ces individualités, mais bel et bien un ensemble. Au fond, ne peut-on pas substituer l’autonomie vue de manière collective à cette intimité de la classe parfois associée à une forme de « peur » de montrer, de partager et de dire ?

Il me semble que beaucoup de collègues enseignants ouvrent leurs classes, associent leurs pratiques pour avancer. Certains disent même que c’est une question de survie. Il faudrait en reparler car cette notion de survie me gêne.

Alors, sur cette ligne entre la classe et l’établissement, je ne choisis pas, j’organise, je tisse des liens. Mais, cependant, peut-être est-ce dû à la fonction que j’assume, il me parait aujourd’hui opportun de parler établissement.

J’ai une question directe à ce sujet – pour entrer plus directement dans la question de la décision : pensez-vous que le Conseil Pédagogique (en particulier depuis le décret de janvier 2010) soit utile, pertinent ? Est-il un facteur d’inclusion, de construction de l’identité d’un établissement ?

M.V. : Tisser un lien entre la classe et l’établissement, ce n’est à mon sens certainement pas quelque chose que l’on décrète. Je me demande effectivement quel doit être le rôle du conseil pédagogique dans l’établissement, puisque c’est à cette échelle que vous posez la réflexion sur la décision, rejoignant ainsi mes préoccupations sur l’intitulé du colloque. Vous pouvez bien sûr me renvoyer aux textes. Le conseil pédagogique est « consulté » par le chef d’établissement, l’« assiste » ou « peut-être saisi pour avis ». On est plus proche de la coquille vide que d’un Comité de salut public ! Le conseil pédagogique peut certes « proposer » des modalités d’organisation de l’accompagnement personnalisé au lycée et, ce qui me semble plus révélateur, « préparer en liaison avec les équipes pédagogiques la partie pédagogique du projet d’établissement ». Ce dernier point fait du conseil pédagogique une articulation entre la direction et les enseignants et, dressant une passerelle, peut donner l’impression d’inclure d’avantage les enseignants dans la décision… pour quelles réalités sur le terrain ?

A défaut de construction d’une identité, je vois plutôt la mise en place d’un processus différent la prise de décision. Les fondamentaux sont là, une verticalité, peut-être moins assumée, dans laquelle le conseil pédagogique n’est qu’un maillon supplémentaire. C’est au mieux un outil d’expertise pour le chef, au pire une courroie de transmission, voire le fusible d’une direction qui ne saurait plus prendre de décision. Après tout, n’est-ce pas se dédouaner d’une responsabilité pour une direction que de diluer artificiellement le processus de décision ?

A. V. : Je me permets de revenir sur cette notion – qui m’apparait encore assez « floue » je ne vous la cache pas – sur la « Courroie de transmission ». Vous

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l’associez en fait à une instance en particulier, le Conseil Pédagogique. Une première réponse – qui serait par trop directe – serait : saisissez-vous en ! Pourquoi l’ensemble des personnels d’une communauté éducative ne pourrait valoriser les outils que l’on donne pour travailler à une décision collective ? Qu’est-ce qui effraie à ce point ces mêmes acteurs pour que tout soit renvoyé à une simple formule qui serait : tout cela n’est qu’un artifice ?

Je perçois au contraire ces instances comme des modes de régulation entre les différents acteurs de la communauté. Il ne s’agit pas de nier les missions et responsabilités (en matière légale, administrative) de chacun. Elles sont présentes. Il ne s’agit pas non plus de s’abriter derrière un immobilisme qui décrète que l’origine d’une instance la rend par avance caduque. J’avoue que je le comprends de moins en moins. Et surtout c’est si éloigné des pratiques collectives qui font qu’un groupe d’homme et de femmes mobilise au service de familles diverses, variées mais qui souhaitent une prise en charge claire, précise, assumée.

Assumer, c’est bien le mot quand il s’agit de dire qu’il y a décision dans la classe : évaluation, processus d’orientation, choix des cursus. N’arguons pas qu’il n’y a pas là des décisions en cascade. Alors, bien entendu, elles sont plus ou moins claires, plus ou moins assumées, plus ou moins partagées, plus ou moins construire. Mais elles sont bien là !

Il faudrait justement – grâce à des médias comme les instances de l’EPLE – faire de cet archipel de décision un mouvement commun, celui d’un établissement secondaire qui assume chacune de ses prérogatives. La première étant sans nul doute aucun, l’insertion des jeunes. Le voilà, le champ d’une décision assumée.

M. V. : En rappelant la principale finalité de l’EPLE, vous affichez un objectif noble vers lequel nous convergeons tous. Serait-il pour autant un élément fédérateur de nature à transcender les cadres institutionnels de l’EPLE ? C’est très séduisant, et vous recentrez les choses sur ce terrain qui vous est cher, l’identité de l’établissement, construite collectivement dans l’action. Mais l’identité n’est-ce pas avant tout savoir qui l’on est soi-même ?

A. V. : Prendre une décision, être un ou une aide à la décision c'est bien savoir où l'on se situe. Ce n'est pas simple, je vous le concède. Ce ne sont pas les commissions et conseils qui font la décision ; ce sont probablement les fondamentaux en partage. On en revient aux rôles des acteurs de l'école, parents, élèves, associations. Tous attendent un "plus" de cette École. On est mieux armé pour les accompagner et les aider si on sait d'où l'on vient. On décide mieux si on connait son territoire. C'est l'établissement tout entier qui est un outil de décision.

M. V. : Encore faut-il que cet outil soit cohérent dans sa démarche et agisse au nom de valeurs partagées. Même si je vous accorde cette dimension collective de la décision, il n’en reste pas moins qu’elle requiert, au-delà d’une identité, des garde-fous dont les limites définiraient une éthique. Celle-ci sera peut-être somme ou socle d’éthiques

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individuelles, elle sera peut-être consensuelle, mais elle n’exonère pas le chef d’établissement d’une responsabilité majeure dans le processus : à défaut de prendre seul la décision, il lui appartient de s’assurer qu’elle aura été pensée, ensemble, dans le respect de nos missions et de nos valeurs.

A. V. : On doit probablement s'interroger ce cette éthique de la décision. Au sein de nos pratiques, de la classe à l'établissement, il nous faut justifier nos choix. On en décide pas "à la place de". Ceci posé, il faut bien un décideur au sein de cet établissement. Même si, il peut s'être nourri au contact de tous. En fait, vous savez, je crois que nous avons du mal à bien cerner notre place. Pas dans l'absolu mais dans la complexité du quotidien. Il faut que chacun de nous trouve sa place au quotidien dans les processus de décision.

M. V. : Certes, mais c’est quand même une autre manière d’appréhender notre rôle d’enseignant : personnes, disciplines, corps, autant de clivages que vous proposez de dépasser… C’est d’autant plus délicat que si chacun de nous doit trouver sa place dans les processus de décision, cela revient aussi à assumer collectivement la responsabilité de nos échecs !

A. V. : Je pense que nous pouvons aussi aborder l'intérieur de la boite noire de la décision. Car un aspect de notre questionnement est le comment de la décision. Travaillant sur le décrochage - qui est une des priorités nationales et académiques - nous posons la question de l'aboutissement : déscolarisation, sortie sans qualification mais pourquoi ne pas nous interroger sur les processus de décision qui - au sein des établissements - ont conduit à cet état. Il faut s'interroger sur nos pratiques. Je sais que le temps nous manque mais c'est essentiel.

Conclure

Éthique, processus, origine, doute, certitudes : nous avons travaillé dans ce court dialogue - que nous avons voulu professionnel - sur ce qui nous engage dans la décision au sein de nos établissement. Au fond, il nous semble que c'est bien la question de la responsabilité individuelle et collective qui se pose. Au-delà de nos désaccords de fond et de forme c'est bien le collectif au service de nos élèves qui nous pose question. Comment décider ensemble ? Comment - sans démagogie - construire une responsabilité d'établissement face aux choix des familles ? Poser la question de la décision au sein des établissements c'est poser le choix d'assumer une responsabilité collective avec ses forces et ses faiblesses. C'est, pour nous, une question de service, de service public.

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ATELIER 5 : La décision : individuelle ou collective

L'atelier vous propose d'analyser le processus décisionnel en EPLE, à partir d'outils d'évaluation individuelle ou collective : la décision relève-t-elle d'un processus individuel qui engage une personnalité et son degré d'expertise ou plutôt d'une démarche collective qui implique interactions, concertations et convergences d'opinion ? L'atelier posera donc le problème de la légitimité de la décision, concertée, consensuelle ou individuelle, dans un environnement scolaire qui, par essence, nécessite construction de sens et partage des valeurs en vue de la contribution à la réussite des élèves.

La décision : individuelle ou collective ?

Catherine DELBURY, Principale du collège Chasse Royale, Valenciennes Laurence SAYDON, Proviseur de la Cité scolaire Paul Duez, Cambrai Albin CATTIAUX, IAIPR Espagnol

L’organisation d’un système, en l’occurrence notre système scolaire, et par conséquence, un EPLE, implique une coordination de fonctionnement et donc une prise de décision, dans le cadre des lois, décrets et circulaires ministériels ou académiques.

La décision intervient comme un choix sur la base d’informations traitées, reçues ponctuellement ou en anticipation. Il s’agit bien de choisir, à partir de moyens, un objectif en fonction d’un problème à résoudre, de sélectionner une solution face à une interrogation et enfin de choisir la réponse.

Bref, dans cet espace structuré de contraintes, la décision s’inscrit dans une temporalité, s’insère dans un cadre et sollicite des acteurs.

Une première réserve sur la décision montre que celui ou ceux qui décident sont limités par l’incomplétude des informations (toutes les informations nécessaires à la décision ne sont pas connues ou communes) ; de plus le décideur, s’il est seul, n’a qu’une vision limitée de son environnement et ne dispose pas de la capacité à anticiper et évaluer toutes les conséquences de ses choix.

En général, plusieurs solutions alternatives peuvent coexister, avec leurs propres avantages et inconvénients ; il n’existe donc, de toute façon, aucune solution optimale.

Ceci étant posé, la décision la plus satisfaisante et la plus rationnelle apparaît en préambule comme celle d’une approche pluridisciplinaire des processus de choix.

Dans un contexte où le chef d’établissement est dans une démarche participative, on ne peut plus parler de décision individuelle, sauf si elle est présentée comme résultat d’un processus de réflexion en commun, ou, autrement dit, d’un processus cognitif conjoint, ou par une approche interactionniste ou encore une situation intergroupale ou sociale.

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Soit la décision à prendre est le résultat de plusieurs étapes de consultation, d’analyse, il s’agit alors de construire une décision. Même si, en dernier lieu, une seule personne prend et présente sa décision, celle-ci relève bien d’une décision collective.

La présence de l’ « Autre » est centrale et les termes de coordination, de convergences d’objectifs ou de procédures conjointes témoignent d’une décision collective évidente, dans un cadre intergroupal. La décision individuelle est bien le résultat qui échappe aux individus tout en en étant le produit !

Une seconde réserve apparaît : si le décideur interroge les acteurs, ce dernier met en œuvre des aptitudes individuelles, pouvant s’appuyer sur la manipulation, l’autorité, la maitrise familière de la vision subjective qu’il a constituée sur le problème à régler, et donc il peut influer/influencer la décision collective vers sa propre préalable prise de décision.

Il est nécessaire de se rendre compte, concernant le rôle du manager de l’équipe, de sa part prise dans les mécanismes de coordination, sa dimension communicative donnée à chacun ou non pour engendrer la décision. En d’autres termes, tout est-il également écouté pour décider ?

En amont de la décision à prendre, un intervenant objectif devra poser la question : comment peut-on améliorer les processus de prise de décision ?

Donc, quelle que soit la décision, - collective ou individuelle – elle est le reflet du savoir-faire, du savoir-observer et du savoir-juger de la personne qui amène et/ou prend la décision.

Quand la décision est bien celle d’un individu, elle est prise dans la rapidité, en réaction à un problème urgent. Elle s’accompagne pour le décideur d’une prise de risques et, par la suite, de doutes qui le soumettent à un stress. Cette décision individuelle peut conduire, sous la pression de remontées, à un changement de décision à 180° !

Ce mécanisme, courant, est un des arguments pour promouvoir davantage une décision prise collectivement. Elle apparaît moins comme autoritaire, hiérarchique, verticale (synchronique).

Le seul décideur sait également qu’il encourt le risque d’être coupable d’une erreur et de perdre de sa légitimité. Il est de bon sens de dire aussi à l’inverse qu’une décision individuelle peut être opportune et bonne, mais elle est aléatoire, même si on peut la justifier par l’expérience personnelle, l’expertise due à la compréhension rapide liée à la capacité tactique et au transfert de compétences déjà vécues.

Il n’en reste pas moins que toute décision individuelle dans notre système doit rester marginale et comporte des zones d’ombre. La décision individuelle s’explique par l’urgence d’une réponse à un problème pour gagner du temps, parce qu’on possède des automatismes, par rejet de solutions alternatives que le décideur subjectivement ne partage pas ; différentes motivations les justifient : méconnaissance du mécanisme extérieur, problème de la représentation mentale unique, impression de dominer la

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situation, réponse réflexe par automatisme, sens du responsable qui a une culture patriarcale, habitué à décider seul et qui se doit de trancher pour les autres, chef qui se sent missionné et investi de la responsabilité de la situation à résoudre…, bref la décision individuelle relève bien de la psychologie du manager.

En revanche, il est assuré de considérer que notre système scolaire et, par conséquent, l’EPLE repose sur une certaine homogénéité dans la finalité, les objectifs et les mécanismes.

La décision collective implique donc un espace-temps plus conséquent (cette fois ci, elle est diachronique), une concertation, de nombreux allers et retours, et certainement une meilleure compréhension de la situation par l’examen collectif de toutes les facettes du problème. Elle est chronophage, car la concertation doit permettre d’aplanir les oppositions, les erreurs des autres, d’infléchir la posture du manager qui consulte. Il y a certes un risque d’éparpillement et de perte de réactivité ; en retour, la décision collective donne plus de cohésion au groupe et elle correspond à une gouvernance plus actuelle. Le chef d’établissement y gagne en légitimité et transfère plus de caution à la décision.

Cette dernière est considérée comme un choix où plusieurs réponses sont assurément possibles, mais parmi lesquelles l’une d’entre elles est la bonne pour tous.

Conseils d’enseignement, de professeurs, de classe, pédagogiques, de direction, de discipline, d’administration, de vie scolaire, CESC, CHS, etc., aujourd’hui, le chef d’établissement construit la prise de décision collectivement. A lui de savoir quels acteurs il doit et peut solliciter. A lui de sélectionner en amont ceux qui prendront part à la décision, acteurs de l’EPLE, Parents, Partenaires extérieurs, collectivités territoriales,… en étant vigilant à ne pas créer de compétitions, de tensions, de prise de pouvoir et surtout en ne se créant pas d’indétermination ou d’incertitude en raison de multi-expertises.

Cette construction se substitute depuis au moins une décennie au management traditionnel du chef d’établissement, présenté aujourd’hui comme un pédagogue et donc comme un consultant qui fait accoucher par une activité conjointe et une construction collective de sens à l’amélioration de la gestion de notre système et à la plus grande réussite de nos élèves.

En conclusion, la décision se colore toujours d’une part de subjectivité et de partialité, car une seule personne ne dispose pas de la totalité des éléments ni des conséquences d’une décision pour l’avenir.

Dans un système de plus en plus collaboratif, participatif, collectif, une décision, qui apparaît comme individuelle, car portée par le chef d’établissement ou le responsable d’un projet ou le décideur-signataire, relève forcément d’une concertation à plusieurs, que ce soit en commun ou comme le résultat d’étapes hiérarchiques.

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On l’a bien compris, le rôle d’un décideur est de garantir le partage et donc la décision collective. Il vaut mieux une décision prise collectivement, même si ce n’est pas la meilleure, qu’une bonne décision non partagée, qui créera plus de tensions.

Sans affirmer que c’est un leurre de penser que la décision individuelle n’existe plus, elle est toujours la résultante d’un consensus en amont qui propose, qui oriente. Plus l’expertise est pertinente en amont, plus le décideur sera suivi. Il est bien clair néanmoins que la décision relève du fonctionnel et non de l’institutionnel et que la prochaine étape de l’analyse concernant la décision est bien celle des outils de son évaluation a posteriori.

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ATELIER 6 : Les parents et l’école : le choc décisionnel ?

Ecole et parents ont pour préoccupation commune les enfants. Chacun se sent légitime voire plus légitime que l’autre pour prendre des décisions qui concernent ces enfants- élèves que l’école et les parents ont en commun. Peut-on décider ensemble ? Que décide-t-on à l’école ? Quelles conséquences ces choix ont-ils réellement ? Qui est responsable de ces décisions ? In fine, qui décide vraiment ?

Ecole et parentalité : le choc décisionnel ?

Silvana BUTERA, Principale adjointe Collège Germinal, Biache Saint Vaast Jean-Gérard BEAUVOIS, Proviseur Lycée Camille Desmoulins, Le Cateau Cambrésis

L’école est un lieu de prise de décisions. Dans ce cadre, des légitimités se rencontrent et s’affrontent. Les acteurs de l’école, quel que soit le niveau de décision qui leur est dévolu, agissent en experts de la pédagogie et, à ce titre, détiennent un pouvoir décisionnel indéniable. Les parents, au titre de la parentalité occupent une place dans le système scolaire. Ils sont les parents des enfants qui sont confiés à l’EPLE. Ils ont à ce titre le pouvoir de faire valoir leurs décisions dans le cadre scolaire. L’EPLE, quant à lui, est le théâtre de l’appréciation que chacune des deux parties a de son pouvoir et de ses devoirs mais aussi de la compétence dont ils créditent leur partenaire. Chacun avance dans le champ scolaire avec pour référence ses représentations mais aussi les connaissances a priori objectives qu’il possède sur l’exercice du pouvoir de l’autre. L’EPLE s’inscrit lui-même dans le cadre défini par le législateur qui lui a réservé une marge d’autonomie dont il est invité régulièrement à s’emparer de manière plus large. L’école et les parents affichent leur volonté de prendre les décisions dont l’objectif central est le bien de l’enfant. Ils ont donc le même but. Cependant, leur appréciation de ce que cette notion recouvre est différente et les interactions entre l’école et les parents les amènent à se ressentir mutuellement comme un adversaire ou comme un partenaire qui selon les cas l’entrave dans sa décision ou en est le soutien. L’école et les parents qui décident pour l’enfant opèrent-ils des choix en lieu et place de l’enfant ? Pour lui ou avec lui ? Quelles sont les contingences contraignantes qui participent de la codécision ? Quelles conséquences ces contingences ont-elle sur l’espace décisionnel accordé au codécideur ? Comment ces décisions sont-elles mises en lien avec les politiques éducatives et pédagogiques dont les orientations sont décidées hors EPLE ? Existe-t-il un algorithme de la décision ? Qui décide in fine ?

Comment définir l’acte décisionnel ?

Décider suppose globalement d’opérer un choix entre plusieurs options possibles (solution, orientation, acte). On opte pour celle qui nous apparait comme la plus adaptée à une situation donnée, en fonction de paramètres évalués par celui qui opère ce choix, dans un délai qu’il jugera en accord avec ses attentes, délai souvent lié aux informations qu’il faut recueillir et aux ressources à mobiliser. La décision se doit d’être en lien avec le

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cadre juridique qui en définit les contours. Autrement dit, toute décision dans le cadre scolaire est liée aux limites d’un code. Les acteurs de la décision à l’école sont donc en possession des informations qu’il contient, des limites qu’il fixe et des droits qu’il détermine. La question de l’accessibilité de ce cadrage est donc posée. Le facteur confiance intervient : certains parents s’en remettent à l’école et à ce titre, ne s’inscrivent pas dans une logique de contrôle du respect de leurs prérogatives dorénavant définies par la loi. Les acteurs de l’école sont en position de force. Vont-ils jouer leur rôle de « passeur de monde », de passeur de frontières entre deux univers qui se rencontrent en des occasions spécifiques et définies sans concertation : tout ce qui rythme le temps scolaire, un temps différent de celui des parents, est décidé par l’école. Les réunions parents-professeurs trimestrielles, pour ne citer qu’elles, sont le plus souvent décidées par les acteurs de l’école. Les invitations à des discussions ponctuelles sont la plupart du temps décidées par l’école et souvent en cas de situation complexe dont l’enfant, pierre d’angle de la relation, constitue le motif. D’autre part, la décision n’est pas figée : elle sera mouvante et repositionnable. Elle suppose nécessairement des étapes, des critères, des mises en œuvre, des effets. Les acteurs-école ne prennent pas toujours le chemin de la lisibilité des codes. Par manque de temps ? Craignent-ils qu’être trop lisible les prive de leur influence donc de leur pouvoir de décision, ce qui aurait pour conséquence d’inverser le rapport de force ou de l’équilibrer ? La décision implique ici un rapport de force entre deux parties qui sont contraintes d’opérer des choix de manière concertée. Voilà qu’apparaît un couple séparé tenant chacun une des mains de l’enfant. Car ces choix ont pour objectif la meilleure solution pour cet enfant. Meilleure solution ou potion amère ?

Parents ou école : qui décide ?

Les parents et l’école décident ensemble parce qu’ils ont l’élève-enfant en commun. Comme ces parents séparés qui doivent réaliser des arbitrages éducatifs pour un enfant qui les lie de facto ?

Le domaine de l’orientation et des décisions qui y sont nécessairement associées constitue un vaste champ d’observation. Témoin, ce modus operandi des procédures de maintien ou de passage des élèves de l’élémentaire au secondaire que chaque parent peut consulter sur le site « Service-Public.fr» : « A l'issue de la classe de CM2, le conseil des maîtres se prononce sur la poursuite de la scolarité de chaque élève : (…).Une seconde décision de redoublement ou de saut de classe (…) ne peut être prise qu'après avis de l'inspecteur de l'éducation nationale chargé de la circonscription. (…). Si les parents contestent la décision du conseil des maîtres, ils peuvent former un recours motivé (…) devant une commission départementale d'appel. Cette commission est présidée par l'inspecteur d'académie. Elle comprend des inspecteurs responsables des circonscriptions du 1er degré, des directeurs d'école, des enseignants du 1er degré, des parents d'élèves et, au moins, un psychologue scolaire, un médecin de l'éducation nationale, un principal de collège et un professeur du 2nd degré enseignant en collège. (…) Elle prend une décision définitive, après examen du recours (…). » Combien de personnes sont mobilisées pour « prendre » cette décision ? Dans l’exemple mentionné ci-dessus, on nous en liste près d’une vingtaine. C’est théoriquement le cas.

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Loin de limiter le champ décisionnel, cette profusion d’acteurs dont les rôles seront parfois purement consultatifs évite la normalisation de la prise de décision et a pour visée la prise en compte des nombreuses facettes de son individualisation. Cependant, les décideurs dits experts ont pour objectif de réduire le nombre d’interactions alors que dans le même temps, les parents sont déterminés à en mobiliser un nombre maximum pour faire valoir le bien-fondé de leur décision. Une dilution du pouvoir décisionnel s’opère et transfère la prise de décision vers un arbitre supposé objectif dont l’appréhension de la complexité de la situation ne rencontrera pas nécessairement celle des parents ou celle des professionnels qui accompagnent l’élève au quotidien. Comme dans le cas d’une décision de « maintien » (redoublement) à l’issu d’un conseil de classe où on assiste dans certains cas à ce que les différents acteurs ressentent comme des éloignements successifs par cercles concentriques de la décision et de ceux qu’elle concerne (arbitrage du chef d’établissement qui préside le conseil de classe, commission d’appel en cas de désaccord, etc.). La fiche d’orientation elle-même pose d’emblée la cadre de la possibilité de faire appel de la décision du conseil de classe. Cette information est-elle bien reçue comme permettant une lisibilité accrue pour les parents de leurs droits ou suggère-t-elle a priori un questionnement de la compétence décisionnelle du conseil de classe ? Pour autant, au-delà des arbitrages nécessaires, qui décide ? Poser cette question de manière dépouillée renvoie à l’individu qui prendra la décision ou à tout le moins, qui est perçu comme celui qui a « tranché ». Cette responsabilité interroge sur le décideur. Sa décision aura un impact, il faut l’espérer, sur des organisations, des politiques et des personnes. Une décision demeurée « lettre morte » aura manqué ses destinataires et provoquera dans la plupart des cas l’ire ou l’insatisfaction des partenaires qui se trouvent en position d’attente des arbitrages parce qu’il y va d’une partie de leur destin personnel et/ou professionnel. Dans l’hypothèse qui nous occupe, le décideur - acteur de l’EPLE est aussi une personne dont la construction psychologique personnelle influera sur les modes de décision. Il en va de même pour les parents de l’élève-enfant au cœur des décisions prises. Un parent qui exprime une volonté de décision pour son enfant parle-t-il bien toujours de cet enfant ? Dans quelle mesure son discours est-il déformé par la résurgence plus ou moins conscientisée des craintes, incertitudes ou échecs de l’élève qu’il ou elle a soi-même été ? L’élève-enfant trouve parfois une place de décideur, espace qu’il aura conquis à la faveur du positionnement éducatif de ses parents. Ce positionnement peut entraîner un enchainement vers une décision que le décideur-expert considèrera comme absurde. Berthoz (2003) qui oppose l’émotion à la raison dans la prise de décision constate que « nous ne prenons pas nos décisions, qu’elles soient motrices ou intellectuelles, au terme d’une analyse complètement rationnelle de la situation ». Ses recherches fondées sur la neurobiologie aboutissent à la conclusion que « la décision est loin d’être le résultat d’une réflexion logique, qui pèse le pour et le contre ». Elle serait plutôt le fruit d’une « perception de soi-même et du monde ». L’aspect humain, soulevé par Falque et Bougon (2009) s’impose dans le champ décisionnel. En effet, ils constatent qu’il est indissociable de la problématique de la décision. Ils mettent en exergue par exemple la « pollution » de ce qu’ils nomment des attracteurs : au-delà des principes, des normes, de la déontologie et de l’intérêt - ici, de l’élève-enfant -, et devant une prise de décision qui le concerne, le parent ou l’acteur de l’EPLE pourra ressentir une attraction ou

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une répulsion profonde envers un argument de manière réactive. Ces attracteurs ont un pouvoir d’influence non négligeable. Enfin, si les décisions posent la question de l’humain, il conviendra de rappeler le caractère éthique de la prise de décision. Ce caractère qu’Yves Boisvert (2011) étudie dans le contexte de la gouvernance publique, interroge sur les valeurs d’indépendance et d’intégrité. L’auteur nous renvoie sans ménagement à une forme de conflit de loyauté : l’acteur de l’EPLE a le devoir de produire une décision qu’il sait être bénéfique à l’élève dont il a la responsabilité tout en ayant le devoir d’entendre et de respecter la décision parentale. Peut-on alors ici parler de convergence plus que de décision ?

Que décident les parents et les acteurs de l’école ?

Tenter de manière exhaustive de dresser la liste des décisions prises à l’école par ses différents partenaires nous oblige à considérer les niveaux de décisions de l’EPLE. Les établissements scolaires comme toute organisation sont soumis à un ensemble de lois et décrets mais aussi de recommandations et de suggestions de bonnes pratiques. Le devenir des élèves constitue encore un champ d’observation intéressant. L’EPLE dépend d’une autorité dite de tutelle tout en étant dépendant de collectivités territoriales qui le financent. Les recommandations académiques incitent par exemple et à raison au rétablissement de l’ambition pour tous. Le décideur de l’EPLE aura donc soin d’inciter à plus de confiance dans les compétences avérées ou potentielles des élèves. Encourager à l’orientation vers le lycée général ou vers l’enseignement supérieur est un exemple de cause noble que tout Chef d’Etablissement prend en compte dans ses processus décisionnels. Cependant, se conformer à cet encouragement devra éviter les pièges de ce que Boisvert (2011) appelle l’instrumentalisation de l’éthique et des valeurs. Quelle motivation prévaudra dans ce cas précis ? La conformité ou l’éthique de sa profession? La décision aura-t-elle été influencée par l’un ou l’autre de ces attracteurs ? Dans le champ scolaire, les décisions produites relèvent de champs différenciés mais idéalement convergents. Le conseil de classe, pour ne citer que cet organe scolaire, décide-t-il ? Ou bien enregistre-t-il des décisions actées depuis longtemps par les acteurs détenteurs des informations qui font l’essence de la décision au sein d’une organisation qu’ils maîtrisent ? Le rôle des parents dans l’école s’il a évolué semble encore trop souvent confiné au commentaire ou au relais d’informations recueillies parfois avec difficulté. Le conseil de classe se déroule-t-il en la présence systématique des parents ? Le Conseil d’Administration, instance de premier plan de l’EPLE compte des parents et des élèves parmi ses membres élus. Quelle part les parents prennent-ils réellement aux décisions ? La décision considérée du point de vue d’un processus cognitif pose encore une fois la question de l’accès aux délibérations elles-mêmes liées aux données objectives de l’EPLE.

La décision (conjointe) engendre-t-elle des risques ?

Marc Moulaire (2011) défend le principe suivant lequel la gestion efficace des risques permet une planification plus précise et des prises de décision plus efficaces. L’un des freins habituellement observé est constitué par le cloisonnement des informations et leur

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caractère isolé. Ce qui de facto entrave le partenariat parent-école. Les risques sont indissociables de toute activité humaine, particulièrement lorsqu’un ou plusieurs acteurs est en position de vulnérabilité. La gestion des risques pose la question du contrôle des organisations. Le Chef d’Etablissement, ses chefs de service, ses enseignants opèrent des choix et prennent des décisions quotidiennement. Ces décisions, facteurs de risques sont d’autant plus sensibles qu’elles concernent le devenir, l’avenir (l’ « à venir ») d’enfants pour qui l’école et les parents exercent une forme de coéducation et de coparentalité. Ils partagent une responsabilité. Si la décision présente de risques, la décision conjointe les démultiplie-t-elle ? Ou bien permet-elle une plus grande vigilance, un discernement concerté, un éclairage multifactoriel ? D’où vient le risque en EPLE ? On ne peut exclure le cadre législatif. Nous n’ignorons pas, à titre d’exemple, le message implicite véhiculé par quelques marques de vêtements portés par certains de nos élèves. Pour autant, leur vente est libre et rien n’empêchera un parent d’imposer que son enfant les porte et de fait, affiche cette marque et son message implicite au sein de l’établissement. La loi interdit au chef d’établissement d’interdire le port de tels vêtements dans l’EPLE. Mais son devoir sera de convaincre parents et enfant que porter une telle marque de vêtement porte de manière déguisée un message haineux et contraire à la loi.

Par ailleurs et dans le cas de la sécurité des biens et des personnes – aspect souvent circonscrit par des processus et des logiciels mis en œuvre de manière concertée et avec peu de réticence parce que liés à l’intérêt général, au-delà de cet aspect donc, subsiste le risque lié à l’impact des décisions prises par des humains et qui impactent l’existence d’autres humains. Des légitimités s’affrontent et le choc décisionnel survient. L’enfant-élève participe peu (parce qu’il y est globalement peu invité) aux décisions qui le concernent et qui sont supposées prendre en compte ses compétences, ses souhaits et ses aptitudes. Les parents et les acteurs de l’école sont face à des décisions dont la mise en œuvre occasionnera des situations complexes qui peuvent leur être opposées. Ils ressentent ce qu’il est convenu d’appeler les zones d’incertitude et pressentent les erreurs de décision. Dès lors, ils chercheront – mais le feront-ils ensemble ? – à éviter les pièges de la décision. Il arrive que parents et école décident qu’un modèle préexistant devra perdurer puisqu’il a été utilisé avec succès dans le passé (l’effet de gel présenté par Gérard Berry). Dans d’autres circonstances, la décision est remise à plus tard, dans l’attente d’une opportunité réconciliatrice. Parfois encore, aucune décision n’est prise… D’où la responsabilité de l’acteur école qui devrait prendre et mettre en œuvre une décision dans l’intérêt des élèves qui lui sont confiés, parfois dans l’intérêt d’une fratrie et ce contre les freins et réticences du partenaire de décision.

Le risque en terme de décision peut provenir de ce que Christian Morel (2004) appelle le paradoxe d’Abilène (une ou plusieurs personnes se plient à une décision parce qu’elles pensent que c’est ce que les autres désirent vraiment). Prendre une décision sur un malentendu provoquera inévitablement un choc voire un affrontement parce qu’on aura mal anticipé ou sur-interprété ce que les codécideurs souhaitaient. Le silence est aussi décrit comme une composante de ce qu’il appelle l’enchainement vers l’absurde. La pression liée à la fonction des acteurs (celle du chef d’établissement qui reçoit une famille

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pour revoir une décision d’orientation par exemple), la crainte qu’une objection répétée soit interprétée comme de l’entêtement voire de l’agressivité ou l’attachement à un aspect secondaire du processus décisionnel peuvent amener les décideurs à perdre le vue le sens des décisions qu’ils prennent. Il s’agit de l’un des risques majeurs auxquels parents et école sont confrontés. La prise en compte de ces risques fait-elle l’objet de nos réflexions ? Ou bien constitue-t-elle un obstacle supplémentaire dans le partenariat école-parents ?

L’interaction parents-école est indéniable dans le cadre scolaire lorsqu’il s’agit de produire une décision. L’acte décisionnel, déjà complexe, mouvant donc repositionnable s’enrichit - mais parfois s’entrave – d’interactions supplémentaires traitées différemment en fonction d’un facteur humain qui s’invite de fait dans les échanges, parfois à l’insu des partenaires en présence.

Décider en partenariat relèverait donc des représentations des codécideurs, à leur rapport à l’acte de décider et à une forme de pouvoir supposément adossée à cet acte. Les décisions se trouvent infléchies par une charge professionnelle, émotionnelle et sociale. Comment dès lors, décider au mieux ? Les risques inhérents à la décision doivent céder la place à une convergence nourrie par une lisibilité accrue que le système scolaire aura à cœur d’encourager puisque la finalité des décisions relève du bien-être et de la réussite des enfants-élèves sans lesquels nos actes n’ont plus de sens.

Cette convergence décisionnelle semble, dans les faits, étroitement conditionnée par le décloisonnement pédagogie-éducation qui est en marche dans les établissements et qui nécessite une vigilance que tous les partenaires de l’école pourraient élargir avec intérêt dans leurs pratiques.

Bibliographie BOISVERT, Y. (dir.) (2011). Ethique et Gouvernance Publique. Montréal, Liber.

BERTHOZ, A. (2003). La décision. Paris, Odile Jacob.

DEJOURS, C. (2010). Le facteur humain, 5e éd. Paris, PUF.

FALQUE, L. et BOUGON, B. (2009). Pratiques de la décision  : Développer ses capacités de discernement, 2e éd. Paris, Dunod.

MOREL, C. (2004). Les décisions absurdes  : Sociologie des erreurs radicales et persistantes. Paris, Gallimard.

MOULAIRE, M. (2011). Organiser la gestion des risques. Paris, ESF Editeur.