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Collection Mille et un bébés dirigée par Patrick Ben Soussan Des bébés en mouvements, des bébés naissant à la pensée, des bébés bien portés, bien-portants, compétents, des bébés malades, des bébés handicapés, des bébés morts, remplacés, des bébés violentés, agressés, exilés, des bébés observés, des bébés d’ici ou d’ailleurs, caren- cés ou éveillés culturellement, des bébés placés, abandonnés, adoptés ou avec d’autres bébés, des bébés et leurs parents, les parents de leurs parents, dans tous ces liens transgénérationnels qui se tissent, des bébés et leur fratrie, des bébés imaginaires aux bébés merveilleux… Voici les mille et un bébés que nous vous invitons à retrouver dans les ouvrages de cette collection, tout entière consacrée au bébé, dans sa famille et ses différents lieux d’accueil et de soins. Une collec- tion ouverte à toutes les disciplines et à tous les courants de pensée, constituée de petits livres – dans leur pagination, leur taille et leur prix – qui ont de grandes ambitions : celle en tout cas de proposer des textes d’auteurs, reconnus ou à découvrir, écrits dans un langage clair et partageable, qui nous diront, à leur façon, singulière, ce monde magique et déroutant de la petite enfance et leur rencontre, unique, avec les tout-petits. Mille et un bébés pour une collection qui, nous l’espérons, vous donnera envie de penser, de rêver, de chercher, de comprendre, d’aimer. Retrouvez tous les titres parus sur www.editions-eres.com

Collection Mille et un bébés...Déjà parus dans la rubrique « Drames et aléas de la vie des bébés » dans la collection « Mille et un bébés » Sous la direction d’Alain

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  • Collection Mille et un bébésdirigée par Patrick Ben Soussan

    Des bébés en mouvements, des bébés naissant à la pensée, desbébés bien portés, bien-portants, compétents, des bébés malades, desbébés handicapés, des bébés morts, remplacés, des bébés violentés,agressés, exilés, des bébés observés, des bébés d’ici ou d’ailleurs, caren-cés ou éveillés culturellement, des bébés placés, abandonnés, adoptésou avec d’autres bébés, des bébés et leurs parents, les parents de leursparents, dans tous ces liens transgénérationnels qui se tissent, desbébés et leur fratrie, des bébés imaginaires aux bébés merveilleux…

    Voici les mille et un bébés que nous vous invitons à retrouverdans les ouvrages de cette collection, tout entière consacrée au bébé,dans sa famille et ses différents lieux d’accueil et de soins. Une collec-tion ouverte à toutes les disciplines et à tous les courants de pensée,constituée de petits livres – dans leur pagination, leur taille et leurprix – qui ont de grandes ambitions : celle en tout cas de proposer destextes d’auteurs, reconnus ou à découvrir, écrits dans un langage clairet partageable, qui nous diront, à leur façon, singulière, ce mondemagique et déroutant de la petite enfance et leur rencontre, unique,avec les tout-petits.

    Mille et un bébés pour une collection qui, nous l’espérons, vousdonnera envie de penser, de rêver, de chercher, de comprendre, d’aimer.

    Retrouvez tous les titres parus sur

    www.editions-eres.com

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  • Un bébé est bat tu

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  • Déjà parus dans la rubrique « Drames et aléas de la vie des bébés »

    dans la collection « Mille et un bébés »

    Sous la direction d’Alain Debourg avec Christine Auguin, Laurence Bellon, Micheline Blazy, Isabelle Delens Ravier, Nine Glangeaud, Martine Lamour, Caroline Mignot, Martine Miret, Pierre Lévy-Soussan, Jeanine Oxley, Régine PratSéparation précoce : rapt, échec ou soin ?

    Sous la direction de Bernard Golse et Pierre Delion avec Jean Bergeret, Sylvain Missonnier, Françoise Moggio, Michel SouléBébés agressifs, bébés agressés

    Patrick Ben Soussan, Dominique Leyronnas, Catherine Mathelin, Michèle VialSoigner

    L’Escabelle, textes réunis par christian RobineauSignes de souffrances en périnatalité

    Sous la direction de Pierre Delion avec : Alain Beucher, André Bullinger, André Carel,Martine Charlery, Bernard Golse, François Kotras, François Lechertier, Marie-Françoise Livoir-Petersen, François PouplardLes bébés à risque autistique

    Stéphane Ambry, Patrick Ben Soussan, Sylvain Missonnier, Danielle Rapoport, Jean-Claude RisseUn bébé est battu

    Michel Dugnat, André Dugnat, Joëlle Lalanne, Sophie Marinopoulos, Denis Mellier,Joëlle Rochette Des bébés exposésSéparation, placement, abandon

    Patrick Ben Soussan, Simone Korff-Sausse, Jean-René Nelson, Michèle Vial-CourmontNaître différent

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  • Un bébé est bat tuS t é p h a n e A m b r y

    Pa t r i c k B e n S o u s s a nS y l v a i n M i s s o n n i e rD a n i e l l e R a p o p o r tJ e a n - C l a u d e R i s s e

    DRAMES ET ALÉAS DE LA VIE DES BÉBÉS

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  • Version PDF © Éditions érès 2012ME - ISBNPDF : 978-2-7492-2968-3

    Première édition © Éditions érès 199833, avenue Marcel-Dassault, 31500 Toulouse

    www.editions-eres.com

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  • Table des matières

    Préface« Le petit enfant est battu sur son tutu tout nu »Patrick Ben Soussan....................................................... 7

    Du fantasme à la réalitéDanielle Rapoport ......................................................... 25

    Parentalité, violence et maltraitanceSylvain Missonnier ........................................................ 39

    Droits et devoirs des parents… et du bébéStéphane Ambry ............................................................ 55

    Enfants victimes de servicesJean-Claude Risse .......................................................... 63

    Un monde où grandir sans violence ?Danielle Rapoport ......................................................... 89

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  • Patrick Ben Soussan

    « Le petit enfant est battusur son tutu tout nu »1

    « Il faut beaucoup aimer les hommes.Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer

    pour les aimer. Sans cela, ce n’est paspossible, on ne peut pas les supporter. »Marguerite Duras, La vie matérielle.

    La vie est un théâtre — pas un jeu — traversé d’ombreset de lumières. Sur cette scène, depuis des temps im-mémoriaux, l’enfance a eu droit à des strapontins. Et lebébé n’a cessé, que très récemment, d’être un silence, unaccord mineur dans la grande symphonie de la vie.

    Il est aujourd’hui une assourdissante clameur, reprise detoutes parts, qui proclame ses compétences — inouïes — sespotentialités — insoupçonnées — dès avant même sa nais-

    Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre, praticien hospitalier, CH de Libourne,33240 St. André de Cubzac.1. S. Freud, « Un enfant est battu », contribution à la connaissance de lagenèse des perversions sexuelles [1919], in Névrose, psychose et perversion,Paris, PUF, 1973, p. 221.

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  • sance. Le bébé est une personne, voilà bien l’assurancepéremptoire de notre civilisation du malaise, en cette fin desiècle : au mythe d’une enfance innocente et pure, sacrée, suc-cède la fiction du merveilleux bébé, savant, comblant, unprince de lumières.

    Mais l’actualité récente nous plonge dans les ténèbres ouplutôt convoque, sous ses feux aveuglants, ce « côté obscur »de notre humanité, cette violence fondamentale qui nousaccompagne, notre vie durant, nous structure, nous rend créa-tifs ou parfois nous avilit. De partout dans le monde, d’icimême, tout près, des nouvelles monstrueuses nous parvien-nent : de toutes petites personnes sont victimes d’affronts faitsà leur vie, à leur corps, à leur âme. De toutes petites personnessont agressées, violées, négligées, carencées. De toutes petitespersonnes sont confrontées à des situations extrêmes, des envi-ronnements hostiles. Des petits hommes font de dangereuses,violentes, imprévisibles et chaotiques rencontres à l’orée deleur vie.

    Ces rencontres nous sont connues. Reprenons ici cepen-dant deux chocs, récents :1. Toutes les télévisions du monde l’ont diffusée, toutes les édi-tions de presse l’ont reprise, en première page, début janvier1998, cette image du biberon ensanglanté d’un nouveau-né,tournée dans le village de Relizane, à l’ouest d’Alger où unmassacre de plus venait d’être commis. Cette image saisissante,manipulée peut-être, « forme d’une pernicieuse indus-trialisation médiatique de la vision », signait-elle un nouvelacte de visibilité de la violence, venait-elle banaliser plus en-core les pires tortures, les pires crimes ?

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  • Nous sommes tous devenus témoins oculaires d’une cer-taine réalité planétaire, virtuellement partageable, à l’échelle denotre « télécontinent ».

    Nous participons tous de cette conjuration du visible quinous confronte à beaucoup de sang et à peu de sens. Les atro-cités les plus horribles se succèdent, en temps réel, sous nosyeux, sans que nous soyons capables de les penser. Alors nousy assistons, en clair, nous nous y habituons, nous nous yaccoutumons et chaque jour, nous nous désapproprions unepart de notre humanité.

    André Glucksmann l’écrivait avec force dans le NouvelObservateur du 1er au 7 janvier 1998 : « Vous qui aurez vingtans en l’an 2000, accordez une pensée à l’enfant découpé etcloué aux portes d’Alger pour la Noël 1997. Les entrailles deses parents furent accrochés en guirlandes sur les branchesd’alentour… Méditons notre bavard et obscène silence : il tue.Bonne année ! Joyeux siècle ! Affriolant millénaire ! Un gosseignore définitivement nos vœux pieux, il n’aura jamais dixans » ;2. C’est sur une scène de théâtre. Est-ce pour se rassurer qu’ilfaut le préciser ? Dans un parc de Londres, cinq jeuneshommes s’acharnent contre un landau. Contre un bébé dansun landau. Le secouent, le dénudent, le tapent, lui pissent auvisage, le lapident, le tuent. Parmi ses meurtriers, le père sup-posé de l’enfant, qui lui donne le coup de grâce. Haut-le-cœur,rumeurs dans la salle, des sièges se vident. Sous nos yeux despectateurs, la violence crue du texte d’Edward Bond dans sonSauvés, qui, depuis 1965, année de création de cette pièce enAngleterre, lui a valu scandale, controverse et censure. Sauvésressortie à Paris en 1972, avec Depardieu avait été peu repré-

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  • sentée par la suite ; fin 1997, elle est reprise par des metteursen scène différents un peu partout en France et en banlieueparisienne. Sauvés martèle, au pas de charge, un discours sur ladestruction, la peur d’être seul ; la solitude, la société, vidée desens, de liens, étouffante prison où tout est possible et rienn’est interdit. Tous les bourreaux de la pièce sont des victimesaffirmées, débarrassées des soubresauts de la conscience. Sur-tout, Bond nous montre comment, à chaque instant, chacun,quel qu’il soit, peut venir à reproduire sur autrui sa violencepropre, jusqu’au meurtre, le plus imprescriptible, jusqu’aubout de l’horreur. Bond ne dit rien d’autre que Diderot en sontemps : « Dire que l’homme est composé de force et de fai-blesse, de lumière et d’aveuglement, de petitesse et de gran-deur, ce n’est pas faire son procès, c’est le définir ».

    Mais laissons donc cette imagerie du réel, ces campagnesde presse, cette littérature spécialisée, tout ce vacarme si perni-cieusement médiatisé autour de l’enfance maltraitée. La défla-gration actuelle provoquée par ces révélations est bien à lamesure du refoulement passé. Nous voilà soudain priés,contraints, d’ouvrir les yeux et de redécouvrir que l’enfant, letout-petit, est aussi un « objet », objet de soins, objet sexuel etde jouissance, objet d’amour et de haine, objet de désir ; quenos fantasmes s’écrivent sur son corps auquel nous pouvons siaisément accéder de gré ou de force, à coups de triques ou debig-bisous. Ce corps dont nous ne sommes ni les propriétairesni les maîtres, ce corps de chair, soumis, dès son avènement, àl’autre, sa violence, sa parole, son histoire et ses fantasmes.

    Tout bébé est, à sa première heure, exposé au monde qu’ildécouvre et qui l’étreint. Tout bébé avance, nu, dans ce mondequ’il a choisi d’habiter. Tout bébé accueilli est invité à un

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  • voyage, risqué, à travers la séparation, l’autonomie, la dif-férenciation, pour trouver sa place de sujet en ce monde.

    Tous les enfants sont en danger d’avenir, en danger poten-tiel d’être et l’on pourrait dresser un véritable inventaire à laPrévert ou à la Pérec, des angoisses qu’ils convoquent dans leurconfrontation assurée au réel. Mais de là à affirmer que l’en-fance est menacée… espèce en danger, allons-y, en voie de dis-parition ! « Les enfants sont les victimes emblématiquesd’aujourd’hui » assure G. Vigarello2. Assurément, la nouvellelabellisation de l’enfance, vue à la TV et lue dans les tabloïds,ne s’embarrasse pas de retenue, d’élaboration et de mise enperspective. La nouvelle fabrique de l’enfance maltraitée,« frappée » au sceau médiatique ne cesse d’interroger sur notremonde et nos sociétés profanes avancées. Oserions-nous citer,à la suite de Malebranche3, le cas de cette femme qui, appre-nant qu’on devait rouer un condamné, désira assister à l’exé-cution ; elle mit au mode « un idiot dont le corps était rompuaux mêmes endroits où l’on rompt les criminels ». L’ombre dela maltraitance viendra-t-elle envahir nos esprits, notre imagi-naire, et imprimer dans notre quotidien de nouvelles et impé-rieuses assurances, plaçant la famille moderne sous contrôlesocio-médico-psychologique, assujettissant la fonction paren-tale à des procédures de preuves et d’évaluation4.

    Notre monde appelle de ses vœux des savoirs objectifs,techniquement engagés, scientifiquement établis, statistique-

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    2. Histoire du viol, Paris, Le Seuil, 1998.3. Cité par H. de Lalung, L’accouchement à travers les âges et les peuples,Paris, Laboratoire Cortial, 1939, p. 47.4. Voir à ce sujet Laurence Gavarini, Françoise Petitot, La fabrique de l’en-fant maltraité, Toulouse, Erès, 1998.

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  • ment vérifiables. Tout doit être objectivable, mesurable. La vie ne serait ainsi que science appréhendable, structurable, pré-visible. La prévention alors, systématiquement généralisée,s’établit comme nouvelle et péremptoire pratique. Avec à laclé, la disparition de la singularité majuscule des histoires devie et de famille au profit d’un échantillonnage pluriel desituations prédictives ; mais aussi le grand enfermement de lavie inconsciente, des pulsions humaines, le grand effacementde la sexualité, de la violence — qui n’est pas l’agressivité ou laperversion —, en fait, le naufrage « titanesque » du sujet, entant que sujet de l’inconscient, de la parole, du langage, dudésir… Ne doit-on pas s’interroger sur ces échelles de risque,d’évaluation, qui se multiplient à foison ces dernières années ?Sur ces réseaux de dépistage précoce et de prévention de l’en-fance maltraitée qui, ici ou là, à grand raout médiatique, secréent, dès la grossesse, afin de détecter ces « indicateurs derisque permettant, lorsqu’ils s’additionnent, de prédire des si-tuations difficiles qui pourraient conduire à des maltrai-tances » ?

    Essayons alors de poser en quelques formules expresses etrédhibitoires ce que l’on pourrait affirmer comme principes debase à toute élaboration sur la maltraitance précoce.

    Première formule : le mal est en nous

    C’est poser d’emblée qu’il existe en nous, profonde, secrèteou parfois à fleur de peau, une part d’inhumanité, d’animalitéque nous nous devons d’assumer et de reconnaître. La

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  • violence fondamentale de l’être humain ne saurait être mise decôté.

    Le mal ne disparaîtra pas de la terre du jour au lendemain,ni même de l’homme, et ce diable que nous portons tous ennous, il est de notre mission, de notre devoir d’être humain,pensant, de le contenir ou de le sublimer.

    Car tout autant qu’il y a quelque diablerie et quelquemonstre au fond de nous, il y a aussi ce que l’on dénomme defaçon un peu pompeuse l’inconscient dont de grands adeptesnous ont bien montré qu’il se construit entre force de vie etforce de mort, activité et passivité, instinct de conservation etpulsion de destruction… A l’extrême — mais est-ce vraimentun propos extrémiste ? — tout être humain a le désir de vou-loir tuer cet enfant qu’il a voulu mettre au monde et voir vivre.

    Nous sommes tous concernés par cette violence fonda-mentale qui nous structure. Nous, c’est-à-dire tout un chacunfait de tous les autres. Car l’être humain n’est pas un être isoléet isolable ; il est impliqué dans un tissu d’interactions inter-humaines complexes qui font qu’à aucun moment il ne peutêtre désigné du doigt comme étant seul responsable d’une si-tuation ou d’un événement. Jean Cocteau disait que : « Denotre naissance à notre mort, nous sommes un cortège d’autresqui sont reliés par un fil ténu », et Rimbaud nous engageait,dans ce « Je est un autre », à prendre conscience des parts d’al-térité qui sont en nous et autour de nous. « Je n’étais pas moi-même » disent parfois les parents maltraitants ; « je necomprends pas comment j’ai pu faire ça » ; « ce n’est pas pos-sible, c’est pas moi ». Aussi, si les violences sur enfant im-pliquent l’enfant, la ou les personnes maltraitantes, elles

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  • concernent aussi d’autres personnes qu’elles, appartenant àleur même histoire, à leur environnement — il peut s’agird’autres membres de la famille, de relations, du contexte pro-fessionnel, du milieu socioculturel, de la géopolitique de l’ha-bitat… Ce seront bien les agencements de ces systèmes entreeux qui seront à considérer ; ce sera bien cette « construction »qu’il conviendra de traiter, voire de prévenir.

    Enfin, si le mal est en nous, n’en faisons pas pour autantune maladie. La thématique de l’enfance souffrante, violentée,assassinée, malheureuse, a un écho tout particulier aujour-d’hui. Elle s’inscrit dans une histoire sociale, culturelle, voireidéologique. Elle propose à sa façon aussi de perpétuer « l’ima-ge d’une enfance innocente et pure, soumise et confrontée à laviolence des adultes qui ne pensent qu’à l’agresser et la blesserpour garder leur pouvoir et l’exercer en toute impunité »(M. Enriquez). Cette vision du monde, et plus particulière-ment des rapports entre générations, n’est pas nouvelle, il suf-fit de se souvenir du « Mozart assassiné » de Saint-Exupéry etde tout ce que tant d’auteurs ont affirmé de la destruction parles adultes de cette graine de divin et de sacré, de créativité etd’innocence qu’est l’enfance. L’actualité de ces dernières an-nées enfonce le clou encore plus loin, affirmant qu’à l’enfancenulle trêve n’est laissée, si vite rattrapée par le pouvoir destruc-teur des adultes.

    Deuxième formule : le mal est en l’enfant

    Où l’on pourrait ici citer l’adage bien connu : « C’est pourton bien » car c’est en effet évidemment pour son bien que

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  • l’on bat l’enfant, qu’on le corrige, qu’on le rééduque. Car assu-rément, ce que fait l’enfant n’est pas bien, n’est pas bon, l’en-fant c’est l’accès au plaisir, la toute-puissance et notre bonnevieille morale judéo-chrétienne n’a de cesse de nous répéterque le plaisir c’est le péché, que le péché doit être puni,racheté, expié. Dès lors, les enfants doivent faire pénitence etvous conviendrez que tous les parents sont sur ce point degrands théologiens, pour ce qui en est de l’éducation de leursenfants. Qui aime bien châtie bien et une bonne gifle n’a ja-mais fait de mal à personne, tout au contraire, assure-t-on ! Çaremet les idées en place paraît-il, ou la tête.

    L’enfant est donc tour à tour un ange, innocent ou undiable, un démon. Le mal et le bien encore et toujours.

    Troisième formule : l’enfant est un nain et le parent un géant

    Freud a rappelé régulièrement dans ses écrits que tout en-fant a eu l’occasion d’éprouver un jour ou l’autre la supérioritéde la force physique de ses parents ou de ses éducateurs. L’en-fant est, par nature, soumis au pouvoir et à la violence de sesparents. Il est dépendant de leurs élans, de leurs bons soins, deleurs mauvais coups. Mais plus encore le désir du petit homme est désir de ses parents. Les parents sont ainsi l’objetd’un amour infini, ils sont, comme l’assure Sartre, « commedes dieux qui se sont faits gardiens et la garantie de son essence et de son unité ». C’est vers eux que son propre désirle pousse le plus. Et Freud de rajouter que « pour le petit en-fant, les parents sont d’abord l’unique autorité et la source detoute croyance. Devenir semblable à eux… C’est le désir le

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  • plus intense et le plus lourd de conséquences de ces annéesd’enfance ». Le caractère incomparable et unique que l’enfantattribue à ses parents est à la hauteur des mécanismes d’idéali-sation à leur égard, toujours actifs, de l’aveuglement, del’amnésie, du déni, de l’auto-accusation qu’ils expriment leplus souvent lors de maltraitances. Tout enfant est proprementaliéné à ses parents, dans un lien irréductible et un atta-chement sans failles. Ce qui impose à tout projet de sépara-tion, de mise en cause des parents, une élaboration soutenuede cette dimension.

    Au total, l’enfant nain a un besoin gigantesque de ses pa-rents. Il est aussi, cet enfant, objet d’une demande d’amourdémesurée de la part de ses parents : il est tout pour eux et ilsseront tout pour lui. Il est l’enfant merveilleux qu’ils ont tou-jours rêvé être et ils seront les merveilleux parents qu’ils n’ontpas eus. Renversement : le nain tout à coup devient géant etles parents se feront tout petits. Et les voilà qui attendent quel’enfant soit un bon parent, celui qu’ils n’ont jamais eu, unpère, une mère pour eux, mais surtout pas cet enfant qu’ilssont incapables de se représenter, qui les persécute par ses be-soins, ses pleurs, ses cris, ses réveils nocturnes, ses maladies…,et qu’il faut bien faire taire, dont il faut se protéger, se dé-fendre. Lui imposer le silence, à tout prix, coûte que coûte,coups après coups.

    Quatrième formule : l’enfant vient toujours après

    L’histoire de l’enfant a toujours commencé avant. L’his-toire précède le sujet et commence bien avant sa naissance.

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  • De cette histoire, l’enfant est fait et pétri ; par elle, il est ancré(encré) dans la vie, enraciné, et ce n’est qu’à partir d’elle qu’ilpourra s’autonomiser, s’élever : des racines et des ailes. L’enfantporte et portera irrémédiablement les signes — ou les stig-mates : quelques grains de beauté ou d’hideuses cicatrices —de cette histoire. Histoire passée mais qui ne l’est jamais vrai-ment, passée. Est-elle d’ailleurs réellement advenue, n’est-cepas plutôt une fiction, un récit, faits, événements mais accom-pagnés de toute une petite musique d’ambiance, rieuse ou tra-gique, qui lui donne une résonance si particulière, si originale,si personnelle ? Histoire passée mais nous sommes tous, ànotre insu, ses contemporains : nous vivons avec les fantômesde notre passé, les mythes et légendes de nos familles, lesrenoncements, les fantasmes, les crimes et les hontes d’unautre temps, les joies, les révoltes, les grands événements, lesdessous de l’histoire, qui nous tient et nous entretient, quenous servons et déservons.

    Dans l’enfant qui naît, existe déjà, dans toute sa com-plexité, le monde qui nous entoure et celui qui nous précède.Ce monde est structuré par nos récits bien avant qu’eux-mêmes, nos enfants, n’aient accès au langage. Ces récits, dontla présence obscure et inconnue en nous, sous-titrent nos com-portements et nos actions. De ces récits, nos enfants sont sousinfluence, depuis leur naissance et même avant.

    C’est à ces récits que nous devrons donner du sens, y êtresensibles, les prendre en compte, ne jamais les dénier ou lesoublier.

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  • Cinquième formule : l’histoire n’est pas un destin

    Les gens heureux n’ont, paraît-il, pas d’histoire et seul lemalheur semble inscrit dans la destinée. C’était écrit. Mektoub.La destinée, la fatalité. Avec la famille, le destin a toujoursfrappé, la destinée familiale nous précède, mais nouscontraint-elle ? De cette « constellation fatidique » qui a pré-sidé à notre naissance, pouvons-nous nous extirper, nous sau-ver, naître tout simplement ?

    L’histoire d’un sujet n’est pas, dans un déterminismelinéaire, l’action du passé sur le présent. Tel père, tel fils ; leschiens ne font pas des chats.

    Ce n’est pas parce qu’un enfant a été maltraité par ses pa-rents que pour autant il en fera de même avec ses propres en-fants. L’équation enfant maltraité donne parent maltraitant,isolé de tout contexte, est une véritable insulte à l’humanité.Le proclamer revient à assurer notre asservissement, notre avi-lissement ; à affirmer notre dépendance, folle, à notre histoireet celle de nos ancêtres, irréductible, irrémédiable ; à nousdéprendre de nos missions, humaines et professionnelles, car sicette transmission est aussi radicale, à quoi bon se réunir, tra-vailler ensemble, essayer de penser.

    La malédiction transgénérationnelle est une vue de l’espritet il serait certes plus opératoire de s’interroger sur les facteursde transmission de la maltraitance et d’échec de cette trans-mission.

    La maltraitance n’est pas une maladie héréditaire ; ni tarecongénitale ni stigmate invariable d’une dépravation qui re-monterait à la nuit des temps.

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  • Le Faust de Gœthe affirme dans une formule célèbre re-prise par S. Freud : « Ce que tu as hérité de tes pères, afin dele posséder, conquiers-le ». Notre héritage transgénérationnel,nous le prenons en pleine face en naissant, mais nous le trans-formons, comme nos parents l’ont déjà aménagé. C’est à unemue incessante que nous nous livrons. « Nous ne sommes pasles (pro)créateurs de nos héritiers », nous n’avons pas tout pou-voir sur notre postérité.

    La maltraitance ne fabrique pas de la maltraitance commeune cellule cancéreuse qui ferait pousser ses métastases sur desgénérations.

    C’est bien plus le récit qui l’accompagne, la met en mu-sique, en sons — rires ou cris — qu’il s’agit d’entendre, pré-cocement, et de prendre en compte. Si nous sommes le« maillon d’une chaîne à laquelle nous sommes assujettis sansla participation de notre volonté », quelle vision terrible etdésespérée du monde !

    Sixième formule : l’histoire ne se répète pas

    Corollaire de la précédente formulation mais à développer.Freud a beaucoup parlé de la répétition : en gros, il dit surtoutque c’est « ce qui est resté incompris qui fait retour […] jus-qu’à ce que soient trouvées résolution et délivrance ».

    Ainsi tout un chacun se retrouve parfois dans des situa-tions pénibles, par un « processus incoercible et d’origine in-consciente », répétant par là même des expériences anciennessans pouvoir mettre du sens sur ce qui se passe, voire se sou-

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  • venir de la première fois. Etre toujours en retard, plier sonmouchoir en quatre, serrer la main de telle façon…

    Cette répétition est inscrite au plus profond de nous, jevous rappellerai juste qu’elle est constitutive de notre déve-loppement même, répétition des soins maternels, rythme destétées, succession des jours et des nuits… Elle structure notrevie.

    Les choses se répètent mais en même temps se modifient,se remanient. Il ne s’agit pas de duplication, de reproduction,de clonage. La maltraitance ne se reproduit pas de générationsen générations. Elle produit par contre des effets de sens, d’his-toire, qui eux peuvent se retrouver transmis aux générationssuivantes.

    Ainsi un parent maltraité dans son enfance pourrait retour-ner contre lui-même la cruauté dont il a été victime, se tortu-rant, se traitant avec mépris ou indifférence, s’abandonnant àdes conduites à risque (drogue, alcool…) Il pourrait encorereporter cette cruauté sur les autres (agressivité, destruction desliens, vols, crimes… et j’en passe) ou sur ses propres enfants,en les maltraitant.

    Alice Miller retrouve dans les biographies de Staline, Ceau-cescu, Hitler des éléments de ce type.

    Ajoutons qu’il faut bien se méfier de l’appétit masochiquede l’enfant pour la punition. C’est Rousseau qui, dans Lesconfessions, écrit : « Il fallait toute ma douceur naturelle pourm’empêcher de chercher le retour du même traitement… carj’avais trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mé-lange de sexualité qui m’avait laissé plus de désir que de craintede l’éprouver ».

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