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Colette sur deux écrans - l'américain, le français, le cinmatographique, le télévisuel

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Etude de quelques biopics de l'écrivain Colette, et de son importance comme "culture héroine" aux USA

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Colette sur deux écrans :

Figure française, figure américaine

Trudy Bolter

Professeur Emérite

Institut d’études politiques de Bordeaux

Comme scénariste, critique, et actrice de cinéma, l’écrivain Colette a connu beaucoup

d’écrans. Ses œuvres de fiction, très largement adaptées pour le théâtre, souvent par elle-

même - et parfois jouées par elle-même - furent souvent transposées à l’écran1. Il existe aussi

un corpus de sept films biopictoriaux -documentaires compris- à commencer par le film

commandité par le Ministère des Affaires étrangères, Colette (1950) de Yannick Bellon au

scénario de Colette ( « écrite et dite par Colette ») jouant elle-même, un rôle auto-écrit sur

mesure2.

De tous ces écrans,  nous retenons les deuxième et troisième films de la liste de

biopics, l’un français de télévision, l’autre américain de cinéma. Il s’agit de la première

époque du biopic télévisé de Gérard Poitou-Weber, Colette, diffusé en 1985 , et le film

Devenir Colette de Danny Huston, 1991, que j’examine dans sa version anglophone

(Becoming Colette) sans sous-titres.

Les deux films traitent de la période dont écrit Colette dans Mes apprentissages   (1936) ,

allant de son mariage avec Willy Gauthier-Villars jusqu’à leur séparation. Les deux films

citent les fictions de Colette, souvent comprises comme indissociables de la biographie : ainsi,

pour sa nuit de noces, la jeune Colette refuse de se laisser déshabiller, préférant le faire toute

seule, nous rappelant Claudine, le jeune personnage pris pour l’auteur,  et dès l’origine

médiatisé dans ce sens (Claudine en Ménage,1902).

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Comparer les deux films est intéressant à plus d’un titre, révélant deux visages, l’un

français, serti dans un écrin de connaissances et de connotations fournies, l’autre, américain,

aux traits plus vulgaires, un portrait rejeté en France3 mais aussi en Amérique4, où le

personnage de Colette a pris racine comme symbole de la culture française, survivante,

résistante et Muse-à-tout-faire.

Le téléfilm français est un biopic assez fidèle célébrant un génie membre du panthéon

national : le film américain, traite d’un auteur relativement peu connu. L’habillage de la

cassette VHS du film d’Huston démontre le besoin ressenti par les producteurs de prouver

l’existence réelle du personnage : il porte la légende : « Based on a TRUE story »5, et, en

surimpression sur le dernier cadre du film, on lit ce texte ;

« Gabrielle Colette became an acclaimed writer and was the first woman

awarded the prestigious medal of the French legion of Honor. The film

« Gigi » based on her novel received nine Academy Awards in 1958

four years after she died at the age of 81 »6

1? La Société des Amis de Colette signale un livre sur les relations de Colette à l’écran (ses critiques de cinéma et ses scénari), Virmaux A. et O. et Brunet, A. Colette et le Cinéma, , Fayard, 2004., et donne une filmographie conséquente, http://amisdecolette.fr/-Films-adaptes-de-l-oeuvre-2 Egalement sur le site des Amis de Colette, http://amisdecolette.fr/-Films-adaptes-de-sa-vie, se trouve une liste des œuvres adaptées de la vie de Colette, la suivante 1950 - Colette, Yannick Bellon. Scénario et interprétation de Colette, avec Colette, Pauline, Jean Cocteau, Maurice Goudeket( A l’initiative du Ministère des Affaires étrangères)1985-Colette, Gérard Poitou-Weber, mini série en 2 époques1992- Becoming Colette/Devenir Colette, Danny Huston1995-Colette - Un siècle d’écrivains, B. Rapp (Antenne 2), réalisé par Jacques Tréfouel2001-Colette, Régine Detambel (CNDP/5e) 9 mins.2003-Spécial Colette, Fr 3- Bourgogne, Emission « Imagine « 2003-Colette, une femme libre, de Nadine Tringtignant, Scénario de Nadine et Marie Trintignant3 Le dossier de presse archivé à à la Bibliothèque du film, à Paris, témoigne de la réeption française très négative. 4 Les critiques anglophones recueillies sur Rotten Tomatoes ou Metacritic sont très négatives, la pire de toutes étant celle de Rita Kempley du Washington Post, http://www.washingtonpost.com/wp-srv/style/longterm/movies/videos/becomingcoletterkempley_a0a32d.htm5 « Basé sur une histoire VRAIE »6 « Gabrielle Colette est devenue un écrivain encensé et fut la première femme à être décorée de la médaille prestigieuse de la Légion d’honneur française. Le film « Gigi » basé sur son roman reçut neuf Oscars en 1958 quatre ans après sa mort à 81 ans. »

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- se référant bien sûr au film de Vincente Minnelli.

Devenir Colette fut l’un des premiers films américains à être classé NC-17, une

catégorie qui remplaça en 1990 l’X pour les films évalués par le MPPA. Il comporte deux

séquences quasi pornographiques, l’une lesbienne, entre Colette et Polaire chargée par Willy

d’initier sa femme, et l’autre hétérosexuelle, avec Klaus Maria Brandauer dans le rôle du

mari, se réconciliant avec une Colette trompée,  privée de ses droits d’auteur mais toujours

amoureuse.

Codé par le Gigi de Minnelli, ce film semble jeter une lumière cynique sur la situation

de base du film ensoleillé de Minnelli (une jeune innocente et un –relativement vieux roué). Il

se réfère aussi à quelques films contemporains traitant d’écrivains femmes, et notamment

Out of Africa, 1985 (Sydney Pollack) – sur Isaak Dinesen/Karen Blixen – dans lequel

Brandauer joue le mari volage de la grande conteuse- ou encore par Henry and June, 1990 de

Philip Kaufman, sur le triangle amoureux formé par Anais Nin, Henry Miller et la femme de

celui-ci,  Ce dernier est l’un des rares films classés NC-17 à connaître la réussite financière: il

fut peut-être un modèle pour Huston.

Le film américain semble ignorer ou faire fi des données historiques dont le respect

caractérise la série française. Un exemple : le traitement de la chanteuse-actrice Polaire, qui,

dans le film de Poitou-Weber est parfaitement conforme aux descriptions données dans les

encyclopédies en ligne7, un personnage très juvénile, vivace, bougeant beaucoup, un peu

vulgaire, insolent. Chez Huston, Polaire est une dame élégante de trente ans ne sachant pas

chanter, mais susurrant quelques paroles, assise mollement sur une lune croissante en carton

pâte. Pourtant, Huston a pu voir le film de Poitou-Weber, puisqu’en 1987 il était diffusé sur

la Chaîne 13 de New York , WNET, lors d’un cycle d’émissions sur la culture française.

Huston en conserve des éléments– l’arrivée à Paris, la nuit de noces, la série de photos prises

avec Polaire en Claudine. Il rajoute certaines séquences qui font sourire – pour présenter sa

7 La version anglophone est un peu plus complète : http://en.wikipedia.org/wiki/Polaire

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jeune femme au beau monde parisien, Willy organise une réception au Moulin Rouge,

incluant une performance cancan, ce qui ne semble pas correspondre au milieu des

personnages historiques (hommage au chef-d’œuvre de son père, John Huston ?)

Plusieurs autres changements sont significatifs. Tout d’abord,  le choix pour jouer

Willy de Klaus Maria Brandauer, l’acteur qui jouait l’époux volage de Karen Blixen dans

Out of Africa de Sydney Pollack (1985 , la même année que le film de Poitou-Weber) dont le

succès a peut-être influé sur la décision de faire cet autre film sur une écrivaine. Blixen8 a

commencé à écrire sous l’influence de deux hommes, son mari qui l’a infectée de syphilis

(rendant impossible la maternité), et l’a ruinée (imposant l’obligation de gagner de l’argent),

et son amant,  Denys Finch Hatton qui l’encourage à écrire la laisse seule et dispose pour la

littérature, quand il meurt précocement. Dénué des favoris, la barbe, et le bedon, le Willy

proposé par Huston a un look alerte, mûr mais frais rasé, plus séduisant, plus « moderne » que

le modèle historique. Le personnel est réduit – les lesbiennes de la première époque de

Poitou-Weber- Nathalie, Missy- n’apparaissent pas, la seule Polaire bisexuelle les résumant,

faisant de cette histoire de couple une histoire de ménage à trois comparable à Henry and

June de Philip Kaufman, bénéficiant de la même étiquette MPPA. On peut citer l’une des

répliques de ce film relative à la nature essentielle d’un écrivain, prononcée par June en colère

contre Anais :

Tu ne cherches que l’expérience - tu es écrivaine – Tu fais l’amour avec n’importe qui

dont tu as besoin pour tes recherches - tu es exactement comme Henry, vous m’avez

volée !9

Elle caractérise l’écrivaine, à l’instar de l’écrivain,  comme un être sexuellement vorace à la

recherche d’un sujet pour l’écriture.

8 Il est intéressant de noter que l’auteur de la biographie de Blixen (Isaak Dinesen : the Life of a Storyteller, New-York S. Martin’s Press, 1982) adapté pour le film fut Judith Thurman, qui a commencé en 1990 sa biographie de Colette, Secrets of the Flesh, : a Life of Colette, New-York, Knopf,1999.9 « You just want experience. You’re a writer. You make love to whatever you need. You’re just like Henry…You both robbed me blind. »

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Dans ce film, la mère de Colette, Sido, n’apparaît que brièvement et, contrairement

aux biopics dans lesquels c’est Willy qui incite Colette à écrire les Claudines, chez Danny

Huston, c’est le Capitaine Colette qui s’intéresse aux journaux de sa fille dans lesquels, bien

avant son mariage,  elle raconte une jeune fille appelée Claudine : Willy n’est donc pas son

géniteur artistique. Mais la plus grande distance du sujet historique est prise à la fin du film,

au moment où survient le démasquage de Willy comme voleur d’identité, organisé comme

une scène à faire de théâtre de boulevard. À la différence de la Colette de la fin du film de

Poitou-Weber, Mathilda May en Colette porte le pantalon Venant de rentrer de l’enterrement

de son papa, ayant trouvé que l’œuvre littéraire qu’il préparait pendant des années se résumait

à un album de feuilles vierges. elle tient cet album qu’elle donne à Willy avant la réunion

chez l’éditeur où il doit présenter le prochain tome des Claudines. Elle lui donne le volume

vide du Capitaine qu’il prend pour le nouveau manuscrit, écrit par Colette, mais n’arrive pas

à en donner le titre ni à en raconter l’intrigue aux éditeurs réunis prêts à l’applaudir.

Démasqué, Willy quitte la salle, laissant à Polaire (qui a évidemment des habitudes dans les

maisons d’édition) de proclamer la vérité – c’est Colette qui est l’écrivain, et pas son mari !  

La foule en délire, Colette devient une vedette à la place de son mari, grâce à l’intervention

d’une autre femme. On peut supposer que cette fin de film ait été imaginée en hommage à une

mouvance féministe –, – elle n’a rien à voir avec l’histoire factuelle.

Les Colettes par elles-mêmes

La confusion entre la personne (ou personnage public) de Colette et les protagonistes de ses

œuvres a été instaurée par Willy faisant circuler des photos de Colette en Claudine. Au

cinéma, le premier film tiré de l’œuvre fut La vagabonde, 1917,  jouée par Musidora sur un

scénario de Colette10, basé sur le roman de 1910. Même si toutes les héroïnes colettiennes

10 un premier film tiré de Minne l’ingenue libertine ne fut pas terminé, ou ne fut pas commercialisé.

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étaient comprises comme les avatars de leur créatrice, et donc « biographiques », le point de

départ des films biographiques, à proprement parler, est le film de Yannick Bellon, Colette, au

scénario de Colette, 1950, tourné en noir et blanc dans l’appartement de Colette au Palais

Royal. Colette se présente à 77 ans lovée dans des coussins, entourée de son mari, Maurice

Goudeket, sa bonne, Pauline, et Jean Cocteau, et l’on fait entrer dans la médiatisation de

l’écrivaine des séquences filmées montrant les paysages qu’elle a aimés et des photos fixes de

ses proches, Sido, le Capitaine Colette, ses frères…. La trame de ce film à la beauté

envoûtante 11 est pleine de trous, et il raconte les origines et l’aboutissement de la trajectoire

vitale, sans trop de détails intermédiaires. Ce film – œuvre de Colette plutôt que biopic la

concernant - est une référence, à laquelle fait hommage la première séquence de la première

époque de la mini-série de Gérard Poitou-Weber,, consistant à une quasi- reconstitution du

début du film « documentaire » imaginé par Colette elle-même – Colette (jouée par Macha

Méril, l’actrice de la deuxième époque de la série de Poitou-Weber) reçoit un journaliste qui

fait un film à son sujet, et le film reproduit en couleurs les premières séquences tournées en

noir et blanc par Yannick Bellon. Poitou-Weber apparaît en 1985 comme un héritier

embellissant un patrimoine quasi sacré, codifiant pour la première fois une matière connue par

bribes éparses.

En fait, Colette, morte en 1954 n’a pas écrit une autobiographie suivie, bien que son œuvre

largement écrite à la première personne, soit autofictionnelle. De son vivant, les

automédiatisations de Colette étaient nombreuses – d’abord en Claudine, elle apparaît

ensuite dans un ballet de mime avec sa partenaire Missy,  joue elle-même des rôles dans des

pièces adaptées de ses romans, créant une sorte d’auto-biopic avant la lettre, une maxi-série

de performances étalée sur presque soixante ans.

11 Disponible en bonus faisant partie du DVD de la mini-série de Gérard Poitou-Weber, chez Doriane Films, mais une version hors de prix est en vente chez Icarus Films – achetez putôt le Poitou-Weber, 25 euros à la Fnac.

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Cet écheveau d’ombres semble se poursuivre au-delà de la mort de l’écrivaine, quand

Danièle Delorme, la Gigi du film de Jacqueline Audry sorti (1949 joue en 1980 un

personnage appelé Colette dans La naissance du jour de Jacques Demy, filmé dans la maison

tropézienne de Colette. La naissance du jour, une fiction sur la fin de l’amour, parle de la

relation de l’auteure avec un homme plus jeune inspiré de Maurice Goudeket, avec qui elle

venait, en réalité, de se lier durablement. Le roman (comme le film) trahit la réalité mais

apparaît, comme un pan de la biographie12.

Le personnage « historique » de Colette, complexe et couvert de mille anecdotes mêlant

fiction et Histoire, est bien connu des Français, interdisant une liberté trop grande dans les

représentations. Le téléfilm récent « Colette une femme libre » écrit par l’équipe mère/fille

des Trintignant (dans lequel le fils de Marie Trintignant joue Bertrand de Jouvenel, le beau-

fils qui fut pendant cinq ans l’amant de Colette,  son aînée de plus de trente ans ) se dit

« librement inspiré de la vie de Madame Colette ». On peut y voir la volonté de s’approprier

la mécanique d’automythification mise au point par Colette, et d’adapter à ses propres

besoins une matière quasi-sacré : le résultat semble impertinent13. Mais existe-t-il hors de

France une « figure Colette »? Il existe en fait une figure américaine de Colette, autre que

celle maladroitement représentée par Danny Huston.

La figure américaine de Colette

Colette a visité les Etats-Unis en 1935, faisant un reportage sur le premier voyage du

paquebot Normandie. Ses œuvres en traduction anglaise ont été suivies par un public restreint

mais inconditionnel. Elle figurait fréquemment sous la rubrique « Letter from Paris » de Janet

Flanner (écrivant sous le nom de plume « Genêt ») apparaissant dans le New Yorker Magazine

à partir de 1925, et jusqu’en 1975. Cette journaliste cultivée fut membre du clan lesbien

12 Téléchargeable pour 3 euros, Boutique de l’INA, http://boutique.ina.fr/video/CPC86000551/la-naissance-du-jour.fr.html.13 L’âge de Marie Trintignant fut visiblement trop avancé pour lui permettre de jouer les adolescentes même délurées.

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rassemblé autour de Nathalie Barney, l’héritière américaine au centre de la vie saphique de la

capitale. Son style cristallin est un modèle du style « New Yorker », la revue fétiche des

Américains cultivés et francophiles.

Le 28 mai, 1945, la revue à grand tirage LIFE Magazine   (laquelle, avec la revue sœur

TIME, a beaucoup œuvré pour promouvoir la culture, comme dans le cas Jackson Pollock

qu’elles ont fait connaître du grand public) a publié un article sur l’élection de Colette à

l’Académie Goncourt, joignant des photos mémorables. Colette est représentée sur son

« radeau » entouré de livres reliés et de beaux objets, le cheveu électrique, l’œil entouré de

khôl, le rouge à lèvres marqué (à une époque où les vieilles dames américaines moyennes se

fardaient peu). Elle semble être une figure mythique, symbole de la culture française ayant

survécu à la guerre, mais en même temps symbole du progrès car elle est la première femme

à intégrer un bastion de l’Establishment culturel.

Colette avait publié la nouvelle Gigi en 1944 : un film de Jacqueline Audry avec Danièle

Delorme, sortit en 194914. Le producteur de théâtre, Gilbert Miller, élevé en Europe et

exerçant dans le West End de Londres comme sur Broadway, le voyant eut l’idée d’une

adaptation pour le théâtre, et engagea pour ce faire, Anita Loos, dont la version musicale des

Hommes Préfèrent les Blondes 15 qui sera adapté pour l’écran en 1953,  était en plein

triomphe sur Broadway. Anita Loos a fait en 1951 une adaptation dramatique de Gigi, et, un

peu plus tard, en 1959,  une pièce basée sur Chéri. La version de Gigi faite par Loos16

adaptée et traduite avec Colette elle-même est celle qui a été jouée sur Broadway par la jeune

Audrey Hepburn17, promue vedette à cause de ce rôle. Hepburn fut supposée avoir été

découverte par Colette elle-même dans un palais de Monte Carlo, pendant qu’elle tournait

14 Un article de Bosley Crowther, le grand critique du New York Times, est publié sur ce film dans le numéro du 31 janvier 1950, rapportant que le film est projeté au Paris, un cinéma d’art et d’essai de Manhattan : il est modérément élogieux. http://movies.nytimes.com/movie/review?res=9B0CE5D6133AEE3ABC4950DFB766838B649EDE151949, d’après son roman de 1926, 16 Trop prise, Hepburn a dû refuser le rôle dans le film tourné par Minnelli qui choisit alors Leslie Caron.17 . Elle a été produite à Paris en 1951.

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sous la direction de Jean Boyer Nous irons à Monte Carlo (1952). La star « Colette » née en

même temps qu’Hepburn, à cause de Gigi est soutenue par l’association avec Anita Loos,

écrivaine populaire depuis les années vingt, dont l’œuvre légère traite, comme souvent celle

de Colette, des relations homme/femme. Ce compagnonnage Loos/Colette va dans le sens

d’une mise en conformité de l’esprit colettien avec les normes de la comédie

hollywoodienne : le contrat sentimental de Gigi,  semble – un peu- s’accorder au ton des

Hommes préfèrent les blondes,  quand Marilyn Monroe jouant Lorelei Lee avec une touche

d’innocence, évoque le premier contrat sentimental (projeté par Mamita) mais aussi le contrat

sentimental final (le mariage) dans Gigi.

La « Colette » américaine diffère de celle de la France : les écritures délicates sur la Nature,

par exemple, ne sont pas connotées, mais elle est spécialiste des relations « mai et

septembre » (un partenaire bien plus jeune que l’autre) - à cause de Gigi et Chéri.

La mort de Colette survenue en 1954 arrive au tout début de l’influence de son personnage et

de son mythe sur les arts du spectacle américains. Chéri, adapté par Anita Loos, tient deux

mois sur Broadway . Gigi connaît une destinée prolongée par la comédie musicale

hollywoodienne réalisée par Minnelli en 1958, qui donna lieu, en 1974. à une deuxième

comédie musicale, au même titre, Gigi , par les mêmes auteurs, mais un peu plus étoffé sur

le plan musical.

En 1966 apparaît un livre rédigé par un savant américain, Robert Phelps, intitulé Earthly

Paradise : an Autobiography of Colette Drawn from the Writings of Her Lifetime, publié en

même temps à Paris chez Fayard sous le titre, Colette, autobiographie tirée de ses œuvres.

Phelps organise par ordre chronologique des extraits littéraires selon la période racontée

(et non celle de la rédaction).,

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Le livre de Phelps devient la biographie quasi officielle de Colette, celle qu’elle n’a pas songé

à codifier elle-même. La critique de la revue LIFE, est euphorique, mentionnant notamment la

fierté des Américains devant l’accomplissement de leur compatriote :

Here at last is the reader’s great Colette book of a kind that France has never produced

and which has now been created, surpringly, in our United States, like an imported

garden of Colette’s colored prose-in translation of course, but authentically mirroring

her unique Gallic verbal style like a vivid French bouquet reflected in a transatlantic

looking glass. 18

Le livre de Phelps inspire aux Etats-Unis une série d’œuvres de spectacle expérimentales.

En 1970, une actrice connue, Zoé Caldwell, présente une one-woman show « Colette » ,

inspirée par le livre de Phelps, écrite par Elinor Jones, avec trois chansons composées par

Tom Jones et Harvey Schmidt, les compositeurs des Fantasticks de 1960, comédie musicale

« off Broadway » au succès phénoménal,. La même équipe a ensuite composé un spectacle à

plus grande échelle, Colette Collage, produit dans divers endroits : une production élaborée

(la troisième version de la même œuvre constamment réécrite)  fut être produite, sans faire

grand bruit ; à Londres en novembre 2010. En 1977, une one-woman show plus

chorégraphique qu’autre chose, tourné vers le visuel plutôt que le verbal, intitulé Dressed

Like an Egg, fut présentée par l’actrice Joanne Akalaitis jouant le rôle de Colette, avec de la

musique de Philip Glass. Avant l’arrivée des spectateurs on plaçait un petit peu de parfum sur

chacun des fauteuils19 : une grande scène était écrite pour représenter le bain pris par une

Colette malade.

18 LIFE Magazine, 13 mai 1966 : « Voici enfin le grand livre sur Colette écrit pour ses lecteurs, d’un genre que la France n’a jamais encore produit, et qui vient d’être créé, étonnamment, dans nos Etats-Unis : il ressemble à un jardin importé du prose coloré de Colette-en traduction, bien sûr, mais reflétant de façon authentique son style verbal gallique, unique, comme un bouquet français aux couleurs vives reflété dans un miroir transatlantique . » Ma traduction.

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À une époque où le rôle de Coco Chanel fut joué,   en 1970,   dans une comédie musicale

d’Alan Jay Lerner et André Prévin, par Katherine Hepburn , Colette est devenu un rôle apte à

mesurer les ressources et le charisme des actrices. Le caractère de « génies féminins

français » de ces deux créatrices, leur statut d’icône en Amérique méritent d’être interrogés

plus longuement : elles connaissent des médiatisations biogrpahiques différentes de celles

accordées aux héroïnes nationales, alliant l’intelligence et la séduction d’une façon

charismatique- les comédies musicales tirées du Boulevard du Crépuscule ou d’Eve ,

proposant à des stars mûrissantes de grands rôles d’Américaines équivalentes, traitent de

personnages fictifs20.

Un autre aspect de son image américaine est particulièrement intéressant.

Dans la comédie musicale Colette Collage, à la forme « libre et contemplative », célébrant la

« Joie » en toute chose éprouvée par l’auteur, la vie de Colette, établie par Phelps, et celle

racontée dans le désordre dans ses œuvres littéraires, est considérablement modifiée . Missy

sa compagne après la rupture d’avec Willy, participe du récit, mais il n’y a plus que deux

hommes qui comptent dans la vie de Colette, Willy (Acte I) et Maurice Goudeket (Acte II).

L’adolescent Bertrand de Jouvenel est présenté comme un personnage faisant partie d’un

rêve, la réalité de leur relation écartée (comme d’ailleurs le deuxième mariage de Colette

avec le père de celui-ci). Dans l’Acte II, le mari juif de Colette se fait arrêter par la Gestapo,

et Colette arrive à le faire libérer – ils se marient après. La Colette française, scandaleuse,

contradictoire, devient l’héroïne d’un canevas de film des années quarante, portant en

Amérique un masque moralisé.21

19 Mel Gussow, « A Month of Nights with Colette, The New York Times, 30 septembre 1977 http://www.nytimes.com/books/99/10/17/specials/colette-month.html20 On pourrait parler de Meryl Streep dans Mamma Mia !, le personnage, pour moi, n’a pas la même envergure.21 Voir pour des informations plu complètes sur ce spectacle, http://www.guidetomusicaltheatre.com/shows_c/colette_collage.htm.Un autre site propose des extraits musicaux http://www.mtishows.com/show_detail.asp?showid=000137

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NOTES

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