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Burnet, John (1863-1928). John Burnet,... L'Aurore de la philosophie grecque. Édition française par Aug. Reymond.... 1919. In-8 , VIII-436 p..
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L'AURORE
DE LA
PHILOSOPHIE GRECQUE
JOHN BURNET, M. A., LL. D.Professorof GreekIn the UnitedCollègeof St. Salvatorand St. Léonard,
St. Andrews,Fellowofthe BritishAcademy.
L'AURORE
DE LA
PHILOSOPHIE GRECQUE
ÉDITION FRANÇAISEPAR
AUG. REYMOND
Jltçlpb>TÙVivrupT^ViMiQtiaviatônow,rà fàvra iirtXaftovtïvairà aladt/ràfttvov.
ARISTOTE.
PAYOT & C", PARIS
I06, BOULEVARDSAINT-GERMAIN
IOJ9
Tousdroitsréservés.
PRÉFACE
La première édition de cet ouvrage a paru il y a vingt-septans, en 1892; la traduction française a été faite sur la seconde
(1908), qui avait été entièrement revisée à la lumière des
découvertes faites dans l'intervalle. Il y en a eu de nouvellesdès lors, et j'aurais désiré qu'une loisième édition de l'ori-
ginal pût être publiée avant qu'il fût traduit. Ce désir n'a puse réaliser, et la seule chose qui m'ait étépossible, c'est défairequelques corrections aux endroits où cela m'a paru le plusnécessaire. De plus amples modifications eussent exigé unerevision plus complète que ne me le permettaient les circons-tances.
Par exemple, je suis maintenant convaincu que la théoried'un mouvement planétaire composé, formé de la révolutiondiurne des deux et du mouvement orbital des planètes, esten réalité pythagoricienne, et que le passage de Platon (Lois822a), dont fai inféré le contraire, doH être interprété autre-ment. Je tiens maintenant pour certain que Platon y nie lathéorie suivant laquelle le mouvement des planètes est corn-
posé, comme il était en droit de le faire du moment que la
révolution diurne des deux avait été expliquée comme dueà un mouvement de la terre elle-même. Cela n'affecte pas
Vanalyse que j'ai donnée de la théorie ionienne, qui étaitencore soutenue par Démocrite.
La présente traduction est l'oeuvrede M. A. Reymond, quiy a consacré tous ses soins, et j'en ai lu toutes les épreuves,quoique les circonstances actuelles y missent de nombreuxobstacles. La censure militaire prenait un temps considérable
VI PREPACE
pour s'assurer si ces pages renfermaient ou ne renfermaient
pas » des informations utiles à l'ennemi ». J'aime à croire
qu'elles lui en fourniront en effetquand il aura de nouveau
le temps de s'occuper des questions que fy étudie. Dans tousles cas, je suis très reconnaissant à M. Reymond de la peinequ'il a prise, car, autant que j'en peux juger, sa traductionest d'une remarquable fidélité. Je souhaite qu'elle soit regar-dée comme un hommage à la mémoire du regretté Paul Tan-
nery, dont lesconseils et les bienveillants encouragements ont
tant fait pour la première édition de ce livre, il y a de cela
une génération.John BURNET.
Université de St-Andrews (Ecosse), 1919.
LISTE DES ABREVIATIONS
Arch.—Archivfur GeschichtederPhilosophie.Berlin1888-1908.Bcare.—GreekThéoriesof ElementaryCognition,byJohn J. Beare.
Oxford1906.
Diels,Dox.—Doxographigraeci.HermannusDiels.Berlin1879."D.V.—DieFragmentederVcrsokraliker,von HermannDiels,2«éd.
Berlin1906.
Gompcrz.—LesPenseursde la Grèce,par Th. Gomperz,traductionfrançaise,vol.I. Lausanne1908.
Jacoby.—ApollodorsChronik,vonFélixJacoby(Philol.Unlers.,HeftXVI).Berlin1902.
R. P. J—?H.Ritter et L. Prcller. Ilistoria PhilosophioeGrtecoe.Editiooctava,quamcuravitEduardusWillmann.Gotha1898.
Zeller. — Eduard Zeller.Die Philosophieder Griechen,Erster Teil,FûnfteAullage.Leipzig1892.
ADDENDA ET CORRIGENDA
Page39.titre du §2, lire: Thalis,sonorigine.Page47,ligne8 du texteen montant,lire cosmologieau lieude cos-
mogie.Page126,ligne11,lire: les plusgrandesdécouvertesde celle-ci.—
Et ajouter:«QuandPlatonattribuaitdeproposdélibéréquelques-unesde ses plusimportantesdécouvertesaux Pythagoriciens,il reconnais-sait par là, et d'une manièrecaractéristique,la dettequ'il avaitcon-tractéeenverseux.»
Page138,note3, lire: Ceciest donnépourune inférencepar Slm-plicius...
Page150,frg.19,lire: ... sontdirigéesà traverstouteschoses.
Page185,note3, lire: otàxilf xi....
Page195,1"lignedu texte,lire: Elea.
Page293,note3, lire: Celan'estqu'unefaçonpragmatiqued'exposerles choses;les attaqueseurentlieubeaucoupplus tôt.
Page293,frg.9, ligne4, lire: maiselleestdetoutemanièrebiendesfois aussirapide.
Page300,note,lire: Tel estpeut-êtrele sens....
Page303,note1,ligne3, lire: cvavTtotijtacau heude tvavriÛTi)tac.
INTRODUCTION
I. — CARACTÈRECOSMOLOGIQUEDE LA
PHILOSOPHIEGRECQUEA SESDÉBUTS.
Les Grecs ne commencèrent à éprouver les besoins quecherchent à satisfaire la philosophie de la nature et l'éthiquequ'après la faillite de leurs vues primitives du monde et de
leurs règles traditionnelles de vie. Et ces besoins ne se
firent pas sentir tous à la fois. Les maximes courantes de
conduite ne furent sérieusement mises en question qu'unefois disparue l'ancienne conception de la nature ; aussi les
plus anciens philosophes s'occupèrent-ils uniquement de
spéculations sur le monde qui les entourait. Le moment
venu, la logique fit son apparition pour répondre à unbesoin nouveau. La poursuite des recherches cosmolo-
giques au delà d'un certain point devait inévitablement
manifester une profonde divergence entre la science et lesens commun ; cette divergence était elle-même un pro-blème qui demandait solution, et contraignait d'ailleurs les
philosophes à étudier les moyens de défendre leurs para-doxes contre les préjugés de la foule ignorante. Plus tard
encore, l'intérêt croissant qui s'attachait aux choses de la
logique suscita la question de l'origine et de la validité dela connaissance, tandis que, vers le même temps, l'effon-drement de la morale traditionnelle donnait naissance à
PIlll.OSOPHIBORECQUB 1
2 LAUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
l'éthique. La période qui précède l'avènement de la logiqueet de l'éthique a donc un caractère propre et distinctif, et
peut sans inconvénient être traitée à part *.
II. — LA VUE PRIMITIVEDU MONDE.
Dans les plus anciens temps dont nous ayons gardéquelque souvenir, la vue primitive du monde est déjà entrain de disparaître rapidement. Nous sommes réduits,
pour nous en faire une idée, à rechercher çà et là, dans les
plus vieilles oeuvres littéraires, les traits éparsquien cons-tituent une sorte de sombre arrière-fond, ainsi que lesnombreux mythes étranges et les rites plus étranges encore
qui continuèrent à vivre, comme pour en porter témoignage,non seulement dans les parties reculées de la Grèce, maismême dans les «mystères» des Etats les plus cultivés.Autant que nous pouvons nous en rendre compte, ce devaitêtre une chose essentiellement faite de pièces et de mor-
ceaux, prêle à s'écrouler dès que soufflerait sur elle la
fraîche brise d'une expérience plus large et d'une curiosité
plus hardie. La seule explication du monde qu'elle pûtoffrir, c'était un conte bizarre sur l'origine des choses.
Dans son ensemble, une histoire comme celle d'Ouranos,de Gaia et de Kronos se place, ainsi que l'a montré A. La\ig,dans Custom and Mylh, au même niveau que le contemaori de Papa et de Rangi, mais, dans ses détails, le mythegrec est certainement le plus sauvage des deux.
Nous ne devons pas nous laisser induire en erreur pardes métaphores sur « l'enfance de la race », quoiqueces métaphores, précisément, soient assez suggestives, à
>On observeraque Démocritctombe en dehors de la périodeainsidélimitée.L'usagegénéralementsuivi,de joindre auxphilosophespré-socratiquesce contemporainet cadet de Socratc,obscurcit le coursvéritable du développementhistorique. Démocritcest postérieur àProtagoras,et sa théorieest déjà conditionnéepar le problèmede la,connaissance.(VoirHrochard,ProtagorasetDémocritc,Arch.I!, p.368.)Il a aussi une théorie moraleen règle. (E. Mcycr,Gesch.desAllerlh.IV,§614,note.)
INTRODUCTION 3
condition d'être bien comprises. Nos idées sur la vraienature de l'esprit de l'enfant sont exposées à être colorées
par celte théorie de la préexistence, qui a trouvé peut-êtresa plus haute expression dans l'Ode on the Intimations ofImmortalily, de Wordsworth. Nous transférons ces idées àla race en général, et ainsi nous sommes conduits à nous
représenter les hommes qui créèrent et propagèrent les
mythes comme des créatures simples et innocentes, les-
quelles, étant plus rapprochées que nous du commence-ment des choses, en avaient peut-être une plus claire vision.Une vue plus exacte de ce que sont réellement les penséesdes enfants aidera à nous mettre dans la bonne voie. Aban-donnés à eux-mêmes, les enfants sont souvent tourmentés
par les vagues terreurs que leur inspirent les objets envi-
ronnants, et ils n'osent les confier à qui que ce soit. Leurs
jeux sont basés sur une théorie animiste des choses, et ilsont une grande foi dans la chance et le hasard. Ils sont
dévots, aussi, de ce culte du bric-à-brac qu'est le féti-chisme ; et les affreuses vieilles poupées qu'ils chérissentsouvent plus que les plus élégants articles des magasins de
jouets nous rappellent forcement les informes blocs debois et de pierre que Pausanias trouvait dans les sanc-tuaires de plus d'un magnifique temple grec. A Sparte, les
Tyndarides étaient une couple de planches, et la vieille
image de Héra à Sanids était un bloc grossièrement taillé ».Il ne faut pas oublier, d'autre part, que même aux temps
les plus reculés dont nous ayons quelque souvenir, le mondeétait déjà très vieux. Ces Grecs qui, les premiers, essayèrentde comprendre la nature, n'étaient pas du tout dans la
situation d'hommes qui s'engagent dans un sentier non
encore frayé. Il existait déjà une vue passablement consis-
tante du inonde, quoique sans doute elle fût plutôt impli-
quée et supposée dans le rituel et le mythe que distincte-
ment conçue comme telle. Les premiers penseurs firent
«Voir E. Mcyer,Geteh.des Allerlh.II, §64; Meniles,Hislory ofReligion,pp. 272-276.
4 LAUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
une chose beaucoup plus grande que ne l'eût été un simplecommencement. En se dépouillant de la vue sauvage des
choses, ils renouvelèrent leur jeunesse et, avec elle, commeil apparut, la jeunesse du monde, en un temps où le mondesemblait frappé de sénilité.
La merveille est qu'ils furent capables de le faire aussi
complètement qu'ils le firent. Tel mythe sauvage put êtreconservé çà et là au grand scandale des philosophes ; des
fétiches, des totems et des rites magiques purent se cacherdans les trous et dans les cavernes, avec les taupes et les
chauves-souris, pour et- e déterrés, bien longtemps après,par les curieux en ces matières. Mais la superstition quienvahit tout, celle que nous appelons primitive, parce quenous ne savons ni comment elle naquit ni d'où elle vint,avait disparu à jamais, et nous voyons qu'Hérodote noteavec une surprise non feinte l'existence, parmi les «bar-bares », de croyances et d'usages que ses propres aïeux, endes temps qui n'étaient pas très éloignés, avaient enseignéset pratiqués avec autant de zèle que le fit jamais un Lybienou un Scythe. Et même alors, il aurait pu constater qu'ilssurvivaient presque tous dans les « hauts lieux » de laGrèce.
III. — TRACESDE LAVUEPRIMITIVEDANSLA PLUSANCIENNELITTÉRATURE.
A certains égards, la voie avait déjà été préparée. Bienavant que commence l'histoire, la colonisation des îles etdes côtes de l'Asie-Mineure avait produit un état de chosesdéfavorable au maintien strict des coutumes et des voiestraditionnelles de pensée. Un mythe est essentiellementune chose locale, et quoique les émigrants pussent donnerles noms des sanctuaires ancestraux à des lieux analoguesdans leurs nouvelles demeures, ils ne pouvaient transporter,avec les noms, les anciens sentiments de respect. En outre,ce furent, somme toute, des temps émouvants et joyeux.L'esprit d'aventure n'est pas favorable à la superstition, et
INTRODUCTION 5
les hommes dont la principale occupation est de combattre
ne se laissent pas opprimer par cette « crainte du monde »
que quelques-uns nous disent être l'état normal du sauvage.Et même le sauvage s'en libère en une grande mesure
quand il est réellement heureux.
HOMÈRE.
C'est pourquoi nous trouvons si peu de traces de la vue
primitive du monde dans Homère. Ses dieux sont devenus !franchement humains, et tout ce qui est sauvage est, dans la
mesure du possible, soustrait au regard. Il y a naturellement
des vestiges des croyances et des pratiques anciennes, mais
par exception. Dans cet étrange épisode du XIVe livre de
YIliade, qui nous montre Zeus trompé par Aphrodite, nous
trouvons un certain nombre d'idées théogoniques qui,ailleurs, sont tout à fait étrangères à Homère, mais elles
sont traitées avec si peu de sérieux que le morceau tout
entier a été regardé comme la parodie de quelque poèmeprimitif sur la naissance des dieux. C'est là, pourtant, se
méprendre sur l'esprit d'Homère. Il trouve le vieux mytheà portée de sa main, et il y voit la matière d'un «joyeuxconte », tout comme Démodokos dans les amours d'Ares et
d'Aphrodite. Il n'y a pas là» un antagonisme conscientavec les vues traditionnelles, mais plutôt un complet déta-chement à leur égard.
On a souvent noté qu'Homère ne parle jamais de la cou-tume primitive qui veut qu'on se purifie quand on a verséle sang. Les héros morts sont brûlés, non ensevelis, commeTétaient les rois de la Grèce continentale. Les esprits ne
jouent guère de rôle. Dans Ylliade, nous avons, il est vrai,
l'esprit de Patrocle, en connexion étroite avec le seul
exemple de sacrifice humain que nous offre Homère. Toutcela faisait partie de l'histoire traditionnelle, et Homère en
parle aussi peu que possible. On trouve aussi, dans leXIe livre de l'Odyssée, l'épisode de la Nekyia, auquel aété assignée une date récente, par la raison qu'il renferme
6 LAUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
des idées orphiques. Cette conclusion ne paraît pas s'im-
poser. Comme nous le verrons, les Orphiques ont moinsinventé des idées nouvelles qu'ils n'ont fait revivre les
anciennes, et si la légende conduisait Odysseus au séjourdes morts, l'épisode devait être décrit selon les vuesadmises sur ce point.
En fait, nous ne sommes jamais en droit d'inférer du
silence d'Homère que la vue primitive lui était inconnue.Si certaines choses sont absentes de ses poèmes, il faut yvoir plutôt réticence qu'ignorance; car, partout où unevieille histoire pouvait lui fournir quelque élément utile àson dessein, il n'hésitait pas à l'y puiser. D'autre part,quand la tradition le mettait nécessairement en contactavec des idées sauvages, il préférait traiter ces dernièresavec réserve. Nous pouvons inférer de là que, dans unecertaine société, du moins, à savoir dans celle des princespour qui chantait Homère, la vue primitive du monde était
déjà discréditée à une date relativement ancienne *.
IV. — HÉSIODE.
En arrivant à Hésiode, il semble que nous entrions dansun autre monde. Nous voici en présence d'histoires dedieux non seulement fantastiques, mais choquantes, et ceshistoires nous sont racontées tout à fait sérieusement.Hésiode fait dire aux Muses : « Nous savons dire bien deschoses fausses qui ont l'air de la vérité ; mais nous savons
aussi, quand nous voulons, dire ce qui est vrai'.» Cela
signifie qu'il était tout à fait conscient de la différence qu'ily avait entre l'esprit d'Homère et le sien. L'ancienne insou-ciance s'en est allée, et il est important de dire la véritésur les dieux. Hésiode sait aussi qu'il appartient à une
>Surtout cela,voirspécialementRohdc,Psyché,pp. 14sq.1Hes.Theog.,27.Cesont les mêmesMusesqui InspiraientHomère,,
cequi veutdire, dansnotrelangage,qu'Hésiodeécrivaiten hexaraitreset dans le dialecteépique.Le nouveaugenre littéraire n'a paaencoretrouvé le véhiculequi lui convient,et qui est l'élégie.
INTRODUCTION 7
période plus récente et plus triste que celle d'Homère. En
décrivant les âges du monde, il en intercale un cinquièmeentre ceux du bronze et du fer. C'est l'âge des héros, l'âge
que chantait Homère, et il était meilleur que l'âge du
bronze, dont il fut précédé, et bien meilleur que celui dont
il fut suivi, l'âge du fer, dans lequel vit Hésiode '. Il sentaussi qu'il chante pour d'autres classes de population.C'est à des bergers et à des laboureurs qu'il s'adresse, etles princes pour qui chantait Homère sont devenus des
personnages reculés, qui donnent des «jugements tortueux».Pour les gens du commun, il n'y a plus d'espérance que jdans un dur et incessant travail. C'est la voix du peupleque nous entendons maintenant pour la première fois, etd'un peuple pour lequel le romantisme et la splendeur du
moyen âge grec ne signifient rien. La vue primitive du
monde ne fut jamais entièrement morte parmi ces hommes ;il était donc naturel que leur premier porte-parole l'accueil-lît dans ses poèmes. C'est pourquoi nous trouvons dansHésiode ces vieux contes, ces contes sauvages, dontHomère dédaignait de parler.
On aurait cependant tort de ne voir dans la Théogoniequ'un simple réveil de l'ancienne superstition. Rien ne peutjamais être ressuscité exactement tel qu'il était, car dans
chaque réaction il y a un élément polémique qui la différencie
complètement du stade précédent et l'empêche de le repro-duire. Hésiode ne pouvait pas ne pas être affecté du nouvel
esprit que le commerce et les aventures avaient éveillé audelà de la mer, et il devint pionnier en dépit de lui-même.Les rudiments de la future science et de la future histoire \ioniennes doivent être cherchés' dans ses poèmes, et il fitréellement plus que quiconque pour hâter la décadence deces vieilles idées, tout en cherchant à l'arrêter. La Théo-
gonie est une tentative pour réduire en un seul système
• Il y à là une grande vue historique.Ce ne sont pas nos historiensmodernes,c'est Hésiodequi a montré le premierque le «moyenâgegrec»a été une interruptiondu développementnormal.
8 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
toutes les histoires relatives aux dieux, et un système estnécessairement fatal à une chose aussi arbitraire que la
mythologie. Hésiode n'enseigne pas moins qu'Homère un
polythéisme panhellénique ; la seule différence, c'est que,chez lui, cet enseignement est plus directement basé surles légendes attachées aux cultes locaux, qu'il cherchaitainsi à investir d'une signification nationale. Le résultaten est que, par un renversement complet du rapport pri-mitif, le mythe devient l'essentiel et le culte l'accessoire.Hérodote nous dit que ce furent Homère et Hésiode quicréèrent une théogonie pour les Hellènes, qui donnèrentaux dieux leurs noms, distribuèrent entre eux les emploiset les arts \ et cela est parfaitement vrai. Le panthéon olym-pien prit, dans les esprits des hommes, la place des vieuxdieux locaux, et ce fut là aussi bien l'oeuvre d'Hésiode quecelle d'Homère. L'homme ordinaire n'avait pas des attachesavec cette foule de dieux, mais tout au plus avec un oudeux d'entre eux ; et même ces deux, il aurait eu peine àles reconnaître sous les figures humanisées, dépouillées detoute association locale, que la poésie avait substituéesaux objets plus anciens du culte. Les dieux de la Grèceétaient devenus un splendide sujet pour l'art, mais ils s'in-
terposaient entre les Grecs et leurs religions ancestrales.Us étaient incapables de satisfaire les besoins du peuple,et là est le secret de la renaissance religieuse que nousallons avoir à considérer dans la suite.
V. — COSMOGONIE.
Et ce n'est pas sous ce rapport seulement qu'Hésiode semontre fils de son époque. Sa Théogonie est en même tempsune cosmogonie, quoiqu'il puisse paraître qu'en ce domaineil suivait les autres plutôt qu'il ne formulait sa proprepensée. Quoi qu'il en soit, il ne fait que mentionner lesdeux grandes figures cosmogoniques, Chaos et Eros, et il
• Herod.,11.53.
INTRODUCTION V
ne les met pas réellement en relation avec son système. La
conception du Chaos représente un effort très net pour
figurer le commencement des'choses. Ce n'est pas un
mélange informe, mais plutôt, comme l'indique l'étynio-
logie du mot, le trou ou l'abîme béant où rien n'existe
encore 1. Nous pouvons être certains que cette idée n'est
pas primitive. Le sauvage n'a pas l'occasion de se former
une idée du commencement absolu de toutes choses; il
prend pour accordé qu'il y avait déjà quelque chose à leur
origine. L'autre figure, celle d'Eros, était sans aucun doute
destinée à expliquer la tendance à la production, qui donna
naissance au processus tout entier. C'est, du moins, ce queles Maoris entendent par là, comme le montre le remar-
quable passage suivant *.
De la conception l'accroissement,De l'accroissement le gonflement,Du gonflement la pensée,De la pensée le souvenir, •Du souvenir le désir.La parole devint féconde,Elle s'unit avec la faible lueurEt elle engendra la nuit.
Hésiode s'est sans doute appuyé sur quelque spéculationprimitive de ce genre, mais il ne nous dit rien de précis à
ce sujet.Nous avons des témoignages sur l'abondante production
de cosmogonies durant tout le sixième siècle avant J.-C,et nous savons quelque chose des systèmes d'Epiménide, de
Phérécyde• et d'Acousilaos. Comme il y eut des spécula-
tions de cette nature même avant Hésiode, nous ne devons
1Le mot x<*otsignifiecertainementle «trou» ou l'«abîme», l'or-phique X"sPLaict^ûpiov.Grimmle comparaitavec le ScandinaveGin-nnnga-Gap.
*Citéd'aprèsTaylor, KcutZeatand, pp. 110-112,par AndrewLang,inus Mythes,Culteset Religions,p. 346de la traductionfrançaise. '
*Sur les restes de Phérécyde, voir Diels, Vorsokratiker,1»édit.,pp.506sq.; 2*édit., p. 503,et l'intéressanteanalysede Gompcrz,LesPenseursde la Grèce,vol. I, pp. 93sq.
10 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
pas hésiter à croire que la plus ancienne cosmogonieorphique remonte également à ce siècle *-.Le trait communà tous ces systèmes est là tentative faite pour remonterau delà de l'abîme, et pour mettre Kronos ou Zeus à la
première place. C'est ce qu'Aristote a en vue quand il dis-
tingue les « théologiens » de ceux qui étaient à moitié théo-
logiens et à moitié philosophes, et qui plaçaient au com-mencement ce qu'il y avait de meilleur*. Il est évident,
cependant, que ce procédé est précisément l'inverse du
procédé scientifique, et pourrait être poursuivi indéfini-ment ; nous n'avons donc rien à faire avec les cosmogo-nistes dans cette étude, si ce n'est dans la mesure où l'on
peut montrer qu'ils ont influencé le cours de plus sobres
investigations. En fait, ces spéculations sont encore baséessur la vue primitive du inonde, et tombent ainsi en dehorsdu cadre que nous nous sommes fixé à nous-même.
VI. — CARACTÉRISTIQUESGÉNÉRALESDEL'ANCIENNECOSMOLOGIEGRECQUE.
Quel est donc le progrès qui a placé une fois pour toutesles cosmologistes ioniens au-dessus du niveau des Maoris?Grote et Zeller le font consister dans la substitution decauses impersonnelles, agissant suivant une loi, à descauses personnelles, agissant arbitrairement. Mais là dis-tinction entre le personnel et l'impersonnel n'était pasencore réellement sentie dans l'antiquité, et c'est uneerreur que d'y attacher trop d'importance. Il semble plutôtque c'est en cessant de dire des contes que les hommes descience de Milct firent un pas réel en avant. Ils renoncèrentà la tâche désespérée de décrire ce qui était quand rien
1C'étaitlà l'opinionde Lobeck,quant à la «théogonierhapsodlque»décrite par Damascius,et ellea été reprisepar Otto Kern(De OrpheiEplmenidisPherecydisTheogoniis,1888,).Lecaractèregrossier decettethéogonieest la meilleurepreuvede son antiquité.Cf.Lang,Mythes,CultesetReligions,chap. X.
*Arlst.,Met.,N, 4,1091b 8.
INTRODUCTION 11
n'était encore, et ils se demandèrent au lieu de cela ce quetoutes choses sont en réalité maintenant.
Ex NIHILONIHIL.
Le grand principe qui est à la base de toute leur pensée— quoiqu'il n'ait pas été formulé avant Parménide — c'est
que rien ne naît de rien, et que rien ne se réduit à rien. Ils
voyaient cependant que les choses particulières venaient
toujours à l'existence et cessaient d'exister, et il résultaitde cela que leur existence n'était pas une existence vraieou stable. Les seules choses qui fussent réelles et éternellesétaient la matière originelle qui subissait toutes ces trans-formations, et le mouvement qui donnait naissance à celles-ci, auxquelles fut bientôt ajoutée cette loi de proportion oude compensation qui, en dépit du continuel devenir, et dela disparition continuelle des choses, assurait la perma-nence et la stabilité relatives des diverses formes d'exis-tence qui contribuent à former le monde. Que ce fussentlà, en effet, les idées directrices des premiers cosmologistes,nous ne pouvons naturellement le prouver, tant que nousn'avons pas donné une exposition détaillée de leurs sys-tèmes, mais nous pouvons montrer tout de suite combienil était naturel que de telles pensées leur vinssent. C'est
toujours le problème du changement et de la destruction
qui excite le premier l'étonnement, cet étonnement qui,comme le dit Platon,' est le point de départ de toute philo-sophie. Outre cela, il y avait dans la nature ionienne uneveine de mélancolie qui la portait à méditer sur l'instabi-lité des choses. Même avant l'époque de Thaïes, Mimnermede Colophon chante la tristesse du changement, et, Aunedate postérieure, quand Simonide se plaint que les généra-lions des hommes tombent comme les feuilles des bois, iltouche une corde qu'avaient déjà fait vibrer les premierschantres de l'Iome *. Or, aussi longtemps que les hommes
»Simonide,fr. 85,2 Bergk.Iliade,VI, 146.
12 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
pouvaient croire que tout ce qu'ils voyaient était vivant
comme eux, le spectacle de l'incessante mort et de l'inces-
sante renaissance de la nature n'avait pour effet que deteindre leurs pensées d'une certaine tristesse et de leur ins-
pirer des pièces semblables aux chants funèbres de Linos,
que les Grecs empruntèrent à leurs voisins d'Asie * ; mais
quand l'animisme primitif, qui avait vu partout la vie
consciente, eut disparu, et que la mythologie polythéis-tique, qui avait personnifié au moins les plus frappants des
phénomènes naturels, fut en train de disparaître, il dutleur sembler qu'il n'y avait nulle part de réalité perma-nente. De nos jours, nous sommes habitués, bien ou mal,à la notion de choses mortes, obéissant non à des impul-sions intérieures, mais seulement à des lois mécaniques.Mais ce n'est point là la vue de l'homme naturel, et nous
pouvons être certains que lorsqu'elle s'imposa à lui pourla première fois, elle provoqua en lui un sentiment tout à
fait pénible. Et le soulagement ne pouvait se trouver quedans celte réflexion que, comme rien ne vient de rien, rien
ne peut se réduire à rien. Il doit donc y avoir quelquechose qui est toujours, quelque chose de fondamental, quipersiste à travers tous les changements, et qui ne cessed'exister sous une forme que pour réapparaître sous uneautre. Il est significatif que ce quelque chose est qualifiéd'« immortel » et de « toujours jeune »s.
VII. — *Y2I2.
A ma connaissance, aucun historien de la philosophiegrecque n'a clairement établi que le mot employé par lesanciens cosmologistes pour exprimer celte idée d'une subs-
*Sur Adonis-Thammuz,Lityerscs,Linos et Osiris,voir Frazer,leRameaud'Or,vol. III, pp.143sq., 168sq., 272sq.
* L'expressionépiqueàôavatoçxatàyrjpu>îparaît avoir suggérécetteidée.Anaximandreappliquaitlesdeuxeplihètesà lasubstancepremière(R.P.17et 17a; D.V,2,15 et 11.)Euripide,décrivantla félicitéde lavievouéea la science(fr. inc.910),dit : à&avKov...«ysecosxcouovàtr,»»(R. P. 148c fin.)
INTRODUCTION 13
tance permanente et primordiale n'était autre que le mot
yî^i;. et que le titre de ntà yfotwç, si communément donné
à des oeuvres philosophiques du VIe et du Ve siècle avant
J.-C. *signifie simplement : « De la substance primordiale. »
Platon et Aristote emploient tous deux ce terme dans ce
sens, quand ils discutent de la philosophie ancienne ', et
son histoire montre assez clairement quelle en a dû être la
signification originelle. Dans le langage philosophiquegrec, v'foc; désigne toujours ce qui est primaire, fondamen-
tal et persistant, par opposition à ce qui est secondaire,dérivé et transitoire ; ce qui est «donné» par opposition à
ce qui est fait ou devient. Il est vrai que Platon et ses suc-cesseurs entendent aussi par <p*5atçla condition la meilleureou la plus normale d'une chose ; mais c'est justement parce
qu'ils tenaient le but de tout développement comme anté-
rieur au processus par lequel il est atteint. Pareille idéeétait totalement inconnue aux pionniers de la philosophie.Ils cherchaient l'explication du monde incomplet que nous
connaissons, non dans sa fin, mais dans son commence-ment. Il leur semblait qu'il leur suffirait d'enlever toutesles modifications que l'art et le hasard y avaient intro-duites pour arriver à ce qui était définitivement réel ; etainsi la recherche de la <pj<7tçd'abord dans le monde en
général, puis dans la société humaine, devint le principalintérêt de l'époque dont nous avons à nous occuper.
Le mot àfX7'»Par lequel les premiers cosmologistes passentd'habitude pour avoir désigné l'objet de leur recherche, est,dans ce sens, purement aristotélicien. Il est tout à faitnaturel qu'il ait été employé dans l'esquisse historique
1Je ne veuxpas dire par là que les philosophesemployaienteux-mêmes ce titre, car les anciens écrits en prose ne portaient pas detitres. L'écrivain mentionnaitson nom et indiquait le sujet de sonoeuvredanssa premièrephrase,commele fait, par exemple,Hérodote.
3Platon,Lois, 892c 2 : çûstv(fovXovratXtfetvfévtsiv(/. e. tô èÇouYÎpetat)TJJVrceplta itpôta (Le. tnvt<ï>vnpt»t<uv).Arist.,Phys, B,1, 193a21: itoiupot(ièvitùp,ol2sYÎJV,otJS'àîpaepastv,oîII CScup,o't2'îvtaTOÛTOV,ot ii navraxaûtaTIJVçysivetiatTTJVtôv:ôvtcuv.
14 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
bien connue du premier livre de la Métaphysique, car Aris-tote y éprouve le* théories des anciens penseurs par sa
propre doctrine des quatre causes. Mais Platon n'emploiejamais ce terme dans cet ordre d'idées, et il ne se trouve
pas une fois dans les fragments authentiques des premiersphilosophes. On ne le rencontre que dans les manuelsstoïciens et péripaléticiens d'où sont dérivées la plupart denos connaissances, et ces manuels répètent simplementAristote. Zeller a montré dans une notel que ce serait unanachronisme de rapporter aux débuts de la spéculat'on lesubtil usage qu'Aristote fait de ce mot. Pour A'Utximandre,le mot àpy/i ne pouvait signifier que «commencement», etce que les premiers cosmologistes cherchaient, c'était beau-
coup plus qu'un commencement, c'était le fond éternel detoutes choses.
Une très importante conclusion découle de l'exposé quenous venons de faire de la signification du mot <pv«7<ç,àsavoir que ce qui intéressait réellement les philosophesioniens, c'était la recherche de la substance primordiale.Si leur unique objet avait été, comme le soutenait Teich-
millier, l'explication des phénomènes célestes et météoro-
logiques, leurs investigations n'auraient pas été appelées
irepi y&atwçiavopfri*,mais plutôt irept o'jpavoOou mpi peTew-
pcov.Et nous trouvons confirmation de ce fait en étudiant lamanière dont se développa la cosmologie grecque. La pen-sée commune que l'on peut suivre à la trace à travers les
représentants successifs d'une école est toujours celle quiconcerne la substance primordiale, tandis que les théories
astronomiques ou autres sont en général individuelles aux
penseurs. Assurément, Teichmûller a rendu un bon ser-vice en protestant contre ceux qui exposaient ces théories
«Zeller,p. 217,n. 2. Voirplus loin, chap.I, p. 57,n. 1.1Nousavons, pour leur donner ce nom, l'autorité de Platon. Cf.
P/ié*don,96a7: taûtijîTÏ)Îeo<ptatijvîîj xaXoOacKtptçtîoewçfatopîav.Ainsi,dans le fragmentd'Euripide que nous avons cité plus haut (p. 2,n. 2), l'hommequi sait voir «l'ordre toujours jeunede l'immortelle«p'iaiç»est celuiÔOTIÎt^ç îaiopîa;irft pidijatv.
INTRODUCTION 15
comme de simples curiosités isolées. Elles forment, au
contraire, des systèmes cohérents, et qui doivent être tenus
pour des touts. Mais il n'en est pas moins vrai que la phi-
losophie grecque commença — comme elle finit — par la
recherche de ce qu'il y a d'immuable dans le flux des
choses.
VIII. — MOUVEMENTET REPOS,
Mais comment rendre à la nature la vie dont elle avaitété dépouillée par le progrès de la connaissance? Simple-ment en transférant à la chose unique, dont toutes lesautres ne sont que des formes passagères, cette vie que l'onavait jusqu'alors supposé résider dans chacune des choses
particulières. Dès lors, le processus de la naissance, de lacroissance et de la destruction pouvait être regardé commel'activité incessante de la seule et dernière réalité. Aristoteet ses successeurs exprimèrent cela en disant que les pre-miers cosmologistes croyaient à un «éternel mouvement»,et en somme cela est vrai, bien que, selon toute probabilité,ils n'aient jamais rien dit, dans leurs écrits, de l'éternelmouvement. Il est plus probable qu'ils le prenaient sim-
plement pour donné. Dans les temps primitifs, ce n'est
pas le mouvement, mais le repos qui demande à être
expliqué, et nous pouvons être sûrs que l'éternité dumouvement ne fut pas affirmée avant d'avoir été niée.Comme nous le verrons, ce fut Parménide qui la nia le pre-mier. L'idée d'une seule substance dernière, une fois arrivéeà son complet développement, ne semblait laisser aucune
place au mouvement; et après l'époque de Parménide,nous voyons que les philosophes se préoccupaient de mon-trer comment il avait commencé. Au premier abord, celane semblait demander aucune explication du tout.
Les écrivains modernes donnent parfois à cette façon de
penser le nom d'hylozoïsme, mais ce terme risque d'induireen erreur. Il suggère des théories qui dénient à la vie et à
10 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
l'esprit une réalité indépendante, tandis que, à l'époquede Thaïes, et même beaucoup plus tard, la distinctionentre la matière et l'esprit n'avait pas encore été sentie, etencore moins formulée de façon à pouvoir être déniée. Laréalité incréée et indestructible dont nous parlent ces pen-seurs, était un corps ou même une matière, si l'on préfèrel'appeler ainsi ; mais ce n'était pas une matière dans lesens auquel la matière est opposée à l'esprit.
/ IX. — EFFONDREMENTDE LACONCEPTIONPRIMITIVEDUMONDE.
Nous avons indiqué les principales caractéristiques dela conception primitive du monde, et nous avons esquissé,dans ses contours généraux, la vue qui la remplaça ; nousdevons maintenant considérer les causes qui conduisirentà l'effondrement de l'une et à l'avènement de l'autre. Au
premier rang de celles-ci se trouvait sans aucun doute
l'élargissement de l'horizon hellénique, dû à la grandeextension des entreprises maritimes qui suivit le déclin de
la suprématie navale des Phéniciens. La scène des vieilles
histoires avait été, dans la règle placée juste au delàdes limites du monde connu aux hommes qui y croyaient.Odysseus ne se rencontre pas avec Circé, avec les Cyclopesou avec les Sirènes, dans les parages familiers de la mer
Egée, mais dans des régions situées au delà des regardsdes Grecs, à l'époque où fut composée l'Odyssée. Or, main-
tenant, l'Occident commençait à être familier, lui aussi, et
l'imagination des explorateurs grecs les conduisait à iden-tifier les pays qu'ils découvraient avec les lieux où avait
abordé, dans ses voyages, le héros du conte de fées natio-
nal. On s'aperçut bientôt que les êtres monstrueux dont
parlaient les poètes ne s'y rencontraient plus, et la croyances'établit qu'ils ne s'y étaient jamais rencontrés du tout. Les
Milésiens, eux aussi, avaient fondé des colonies tout autourdel'Euxin. Les colons étaient partis l'esprit plein de Y'Apyîo
INTRODUCTION 17
Ttcwnpifowoi, et, à l'époque même où ils baptisaient Hospi-talière là mer autrefois qualifiée d'Inhospitalière, ils locali-
saient la «lointaine contrée» (oîTa)du conte primitif, et
faisaient chercher la toison d'or à Colchispar Jason. Mais
surtout, les Phocéens avaient exploré la Méditerranée jus-
qu'aux colonnes d'Héraclès 1, et les esprits des hommes
apprirent que les «sentiers sans fin» de la mer avaient des
limites avec autant d'émotion, sans doute, que devait leur
en procurer, vingt siècles plus tard, la découverte de l'Amé-
rique. Un seul exemple illustrera le processus qui allait se
répétant. Selon la vue primitive, le ciel était supporté parun géant nommé Atlas.- Personne ne l'avait jamais vu,
quoiqu'il fût supposé vivre en Arcadie. Les explorateurs
phocéens l'identifièrent avec une montagne d'Afrique,encapuchonnée de nuages, et dès lors l'ancienne croyanceétait à jamais condamnée. Il était impossible de continuerà croire à un dieu qui était aussi une montagne, conve-nablement située pour que le trafiquant dirigeât sur elleson vaisseau quand il faisait voile pour Tarshish, enquêted'argent.
X. — PRÉTENDUEORIGINEORIENTALEDE LAPHILOSOPHIE.
Mais la question de beaucoup la plus importante quenous ayons à envisager est celle de savoir quelle a été lanature et l'étendue de l'influence exercée sur l'esprit grecpar ce que l'on appelle la sagesse orientale. C'est une idée
répandue encore maintenant que les Grecs ont dérivé enune certaine mesure leur philosophie de l'Egypte et de
Babylone, et nous devons, par conséquent, essayer de com-
prendre aussi clairement que possible la portée réelle decette affirmation. Et, pour commencer, nous devons obser-ver qu'aucun écrivain de l'époque durant laquelle la philo-sophie grecque fleurit 'ne dit qu'elle soit venue de l'Orient.
>Hérodote,1,163. i
l'HILOSOPIIIBCRECQIE 2
18 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
Hérodote n'aurait pas manqué de mentionner ce fait s'ilen avait entendu parler, car il y eût trouvé confirmationde sa propre croyance en l'origine égyptienne de la religionet de la civilisation helléniques 1. Platon, qui, pour d'autres
motifs, avait un très grand respect pour les Egyptiens,donne clairement à entendre que c'était un peuple pratiqueplutôt que philosophe'. Aristote ne fait naître en Egypteque les mathématiques
*(point sur lequel nous revien-
drons), bien que cela eût bien mieux servi son raisonne-ment de mentionner une philosophie égyptienne. C'estdonc qu'il n'en connaissait point. Ce n'est qu'à une datebien postérieure, quand les prêtres égyptiens et les Juifsd'Alexandrie s'efforcent à l'envi de découvrir dans leur
propre passé les sources de la philosophie grecque, quenous trouvons des déclarations précises à l'effet de prou-ver qu'elle vient de Phénicie ou d'Egypte. Ici, toutefois,nous devons noter soigneusement deux choses. En pre-mier lieu, le mot «philosophie» en était venu, en ce
temps-là, à inclure une théologie d'un type plus ou moins
mystique, et était même appliqué à des formes variées d'as-cétisme 4. En second lieu, ce qu'on appelle philosophieégyptienne ne fut que le résultat de la transformation de
mythes primitifs en allégories. Nous sommes encore enmesure de juger par nous-mêmes de l'interprétation que
> Tout ce qu'il saitdire, c'est que le cultedeDionysoset la doctrinede la transmigrationvinrent d'Egypte(II, 49,123).Nousverronsqueces affirmationssont inexactes tant l'une que l'autre ; mais,mêmedans le cas contraire, cela n'impliqueraitaucuneconséquencedirectepour la philosophie'.
* Dansla République,435e, il déclareque tô &v[ioeiî£çest la caracté-ristiquedesThraceset des Scythes,et xb<piXo{iaf)tccelledes Hellènes,et dit que l'on trouvetô çtXo-/pf(p«oven Phénicie et en Egypte.Dansles Lois, où les Egyptienssont si vivement loués de leur conserva-tismeen matièred'art, il dit (747b, 6)que les études mathématiquesn'ontde valeurquesi l'on éloignetoute dveXtvdipîaet toute<piXoxpi]|iaTtades âmes des étudiants.Autrement, on produit «avoupyîaau lieu deoo<jîct,commeon peut le voir par l'exempledes Phéniciens,desEgyp-tiens et de plusieursautres peuples.
»Arist., Mèlaph.,A,1,9816,23.* VoirZeller,p. 3, n. 2. Philonappliquele termede xôrptotçtXooofia
â la théologiedes Esscnienset des Thérapeutes.
INTRODUCTION 19
faisait Philon de l'Ancien Testament, et nous pouvons êtrecertains que les allégoristes égyptiens étaient encore plusarbitraires, car ils travaillaient sur des matériaux beaucoupmoins favorables. Rien ne peut être plus grossier que le
mythe d'Isis et d'Osiris *; cependant, il est d'abord inter-
prété conformément aux idées de la philosophie grecquepostérieure, et ensuite déclaré source originelle de cette
philosophie.On peut dire que cette méthode d'interprétation a atteint
son point culminant chez le néo-pythagoricien Nouménios,de qui elle passa aux apologistes chrétiens. C'est Noumé-
nios qui demande ce qu'est Platon « sinon un Moïse atti-
cisant •». Il semble probable, en vérité, qu'il songeait, en
disant cela, à certaines ressemblances marquées entre lesLois de Platon et le code lévitique, ressemblances dues au
fait que certaines idées légales primitives sont modifiées
dans les unes comme dans l'autre d'une manière analogue ;mais, dans tous les cas, Clément et Eusèbe donnent à cette
remarque une application beaucoup plus étendue*. A la
Renaissance, cette absuiJe confusion renaquit avec tout
le reste, et certaines idées dérivées de la Praeparatio Evan-
gelica continuèrent pendant longtemps à donner une appa-rence de vérité aux vues acceptées sur ce point. Cudworth
lui-même parle avec complaisance de l'ancienne «Moschicalor Mosaical philosophy», enseignée par Thaïes et par Pytha-gore 4.Il est important de se rendre exactement compte de
>Sur ce point,voir Lang,Mythes,Culteset Religions,p. 425sq.*Nouménios,fr. 13,Theod.(R. P. 624).Ttyâp èatiHXelwvîj JIoHWiJç
*Clément(Strom,I, p. 8, 5 Stâhlin)appelle Platon o èg'Efipaîuv?tXôoo<po{.
*Strabon(XVI,p. 757),nousapprendque cefut Posidoniusqui intro-duisit Mochosde Sidondans l'histoire de la philosophie.C'est à luique Posidoniusattribue la théorie atomique.Maisl'identificationdeMochosavecMoïseest un tour de forceplus récent.Philonde Byblospublir,la prétenduetraductiond'uneanciennehistoire phéniciennedeSanchuniathon,qui fututiliséepar Porphyreet, plustard, parEusèbe.Commenttout celafut connudans la suite,nousle voyonspar le dis-coursde l'étrangerdans le Vicairede Wakefield,chap.XIV.
20 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
cette prévention si profondément enracinée contre l'origi-nalité des Grecs, Elle n'a pas sa source dans les recherchesmodernes sur les croyances des peuples anciens, car cesrecherches n'ont absolument rien mis au jour qui prouvel'existence d'une philosophie phénicienne ou égyptienne.C'est tout simplement un résidu de la passion des Alexan-drins pour l'aliégorie.
Personne, naturellement, ne se fonderait aujourd'hui surClément ou .sur Eusèbe pour soutenir que la philosophiegrecque est d'origine orientale ; l'argument que les mo-dernes aime U à invoquer à cet effet, c'est l'analogie des
arts et de 1'*religion. Nous voyons, de plus en plus, dit-on,
que les Grecs déi ivèrent de l'Orient leur art et nombre de
leurs idées religieuses, et l'on allègue qu'ils en dérivèrent
aussi, selon tout J probabilité, leur philosophie. Le raison-nement est spécieux, mais il n'est pas le moins du mondeconcluant. Car il ne tient aucun compte de la façon essen-tiellement différente dont ces choses se transmettent de
peuple à peuple. La civilisation matérielle et les arts peu-vent passer facilement d'un peuple à l'autre, sans que ces
peuples aient un langage commun, et certaines idées reli-
gieuses simples peuvent se communiquer par le rituelmieux que par n'importe quelle autre voie. En revanche,la philosophie ne saurait s'exprimer autrement que dansun langage abstrait, et être transmise que par des hommes
instruits, soit par le moyen des livres, soit par l'enseigne-ment oral. Or, nous ne connaissons aucun Grec, à l'époquedont nous nous occupons, qui ait su assez bien quelquelangue orientale pour lire un livre égyptien ou même pourécouter le discours d'un prêtre égyptien, et ce n'est qu'à unedate bien postérieure que nous entendons parler de maîtresorientaux écrivant ou parlant le grec. Les voyageurs grecsen Egypte y recueillirent sans aucun doute quelques mots
d'égyptien, et il est certain que les prêtres pouvaient se faire
comprendre des Grecs d'une manière ou de l'autre. Ils furent
capables de réprimander Hécatée de son orgueil de famille,
INTRODUCTION 21
et Platon raconte une histoire du même genre au commen-cement du Timée*. Mais ils durent faire usage d'interprètes,et il est impossible de concevoir comment des idées philo-sophiques auraient été communiquées par l'intermédiairede drogmans sans instruction '.
Mais, vraiment, il ne vaut pas la peine de se demander .si la communication d'idées philosophiques était possibleou non, tant qu'il n'est pas établi que l'un ou l'autre de ces jpeuples avait une philosophie à communiquer. Rien de
pareil n'a été découvert jusqu'ici et, à notre connaissance,les Hindous ont été le seul peuple, à côté des Grecs, qui /ait jamais eu une chose digne de ce nom. Or personne n'in-sinuera que la philosophie grecque soit venue de l'Inde, et.en vérité tout porte à croire que c'est la philosophie hin- :doue qui est venue de la Grèce. La chronologie de la litté-:rature sanscrite est chose extrêmement difficile ; mais,autant que nous en pouvons juger, les grands systèmeshindous sont postérieurs aux philosophies grecques aux-
quelles ils ressemblent le plus. Naturellement, le mysti-cisme des Upanishads et du Bouddhisme sont sortis du sol '.
mêirçe de l'Inde, et ils ont profondément influencé la philo-sophie, mais ils n'étaient pas eux-mêmes des philosophiesau sens précis du mot '.
»Hérodote,II, 143;Platon,Timée,22b,3.*L'«indigène»deGomperz(Penseursde la Grèce,1,104),quidiscutela
sagessede son peupleavecson seigneurgrec,ne meconvaincpasnonplus.Elle enseignaitsans doute à ses servantesles rites de déessesétrangères,maisil n'est pas probablequ'elleparlât théologieavecsonmari,et encoremoinsphilosophieou science.L'emploidu babyloniencommelangueinternationalerend comptedu fait que les Egyptienssavaientquelque chose de l'astronomiebabylonienne,mais il n'ex-pliquenullementcommentles GrecspouvaientcommuniqueraveclesEgyptiens.Il est évidentque lesGrecsne savaientrien de cette langueInternationale,car s'ils en avaient-euconnaissance,c'est une chosedont ils eussentparléavecintérêt.Danslestempsanciens,ils peuvent.l'avoir rencontréedans l'île de Chypre,mais ils l'avaientsans douteoubliée.
*Sur la possibilité que la philosophiehindoue soit venue de laGrèce,voir Weber,Die Gnechenin Indien (Berl. Sitzungsber.,1890,p. 901sq.) et Gobletd'Alviella,Cequel'Indedoità la Grèce.Paris, 1857.
22 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
XI. — LESMATHÉMATIQUESÉGYPTIENNES.
Ce serait cependant tout autre chose de dire que la phi-losophie se développa tout h fait indépendamment desinfluences orientales. Les Grecs eux-mêmes croyaient queleur mathématique était d'origine égyptienne, et ils ontsans doute aussi connu quelque chose de l'astrono-mie babylonienne. Ce ne peut pas être par un simpleaccident que la philosophie prit naissance en Ionie
juste au moment où les relations avec ces deux paysétaient le plus faciles, et il est significatif que l'hommemême qui, à ce que l'on dit, introduisit d'Egypte la géomé-trie, est aussi regardé comme le premier des philosophes.Il est donc de toute importance pour nous de nous rendre
compte, si nous le pouvons, de ce qu'étaient les mathéma-
tiques égyptiennes. Nous verrons que, dans ce domaine
également, les Grecs furent réellement originaux.Un papyrus de la collection Rhind, au British Muséum,
nous donne un renseignement instructif sur la manièredont on concevait l'arithmétique et la géométrie sur lesrives du Nil. C'est l'oeuvre d'un certain Aahmes, et ellerenferme des règles de calcul dans ces deux sciences. Les
problèmes d'arithmétique portent, pour la plupart, sur desmesures de grain et de fruits ; il s'agit, en général, de divi-ser un nombre donné de mesures entre un nombre donnéde personnes, de savoir combien de pains ou de jarres debière contiendront certaines mesures, et quels sont lessalaires dus aux ouvriers pour une certaine somme de tra-vail. Cela correspond exactement, en fait, à la descriptionque Platon nous a donnée de l'arithmétique égyptienne dansles Lois, OÙil nous dit que les enfants apprenaient en même
temps que leurs lettres à résoudre des questions relativesà la distribution de pommes et de couronnes à des nombres
plus ou moins grands d'individus, à l'appariement de lut-
INTRODUCTION 23
teurs et de boxeurs, etc. *. C'est là, évidemment, l'originede l'art que les Grecs appelaient toywr«»i, et qu'ils emprun-tèrent, à n'en pas douter, à l'Egypte ; mais on y chercherait
en vain trace de ce qu'ils nommèrent àpiBpfixixrf,ou étude
scientifique des nombres.La géométrie du papyrus Rhind offre pareillement un
caractère utilitaire, et Hérodote est évidemment bien plus
près de la vérité quand il nous dit que la géométrie égyp-tienne eut pour origine la nécessité de remesurer les
champs après les inondations, qu'Aristote quand il prétendqu'elle fut un fruit du loisir dont jouissait la caste sacer-dotale *. Nous voyons, en effet, que les règles données pourcalculer les surfaces ne sont exactes que si celles-ci sont
rectangulaires. Comme les champs le sont généralementplus ou moins, cela devait suffire dans la pratique. La
règle pour trouver ce qu'on appelle le seqt d'une pyramideest pourtant d'un niveau plus élevé qu'on ne s'y attendait;car les angles des pyramides égyptiennes sont égaux en
fait, et il doit y avoir eu quelque méthode pour obtenir ce
résultat. Le problème revient à ceci. Etant donnée la « lon-
gueur à travers le sol du pied », c'est-à-dire la diagonalede la base, et le piremus ou arête, trouver un nombre
qui représente le rapport entre ces deux quantités. Cenombre s'obtient en divisant la moitié de la diagonale dela base par la hauteur, et il est évident qu'une telle méthode
pouvait très bien être découverte empiriquement. C'est,semble-t-il, un anachronisme de parler de trigonométrieélémentaire à propos d'une règle comme celle-là, et rien nefait supposer que les Egyptiens soient allés plus loin*. Il
1Platon, Lois, 819b, 4 : pin>,<uvté ttvtuvîtarvojiaîxaî artçàvcovitXcîoaivôp-axalèXârcostvàpuotrovtuivapi8|iffivt&vaÙTûv,xaliwxtôvxalnoXaiortûvt^eSptta;TCxatwUf^toeçiv pipetxat i?t£*)îxalô>îKfpûxantYtYvtsdat'xal2nxalTatÇovTtc,çidùaçâuavpoaoOxalvaXxoOxaldpppo'jxatTOIOÛTUVtivûvàïXujvxtpâwyvTi;.ol8èxatôfacita>cîtaôtîôvttç.Cepassageimplique,parsoncontexte,qu'onnepouvaitrienapprendredeplusquecelaenEgypte.*Herod..II, 109; Arist.,Met.,A. 1,981b, 23.
*Pour un exposéplus completde cette méthode, voir Gow,ShortIlistoryofGreekMathematics,p.127sq.,et Milhaud,Sciencegrecque,p.9*.
24 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
est extrêmement probable, comme nous le verrons, que lesGrecs apprirent cela d'eux, mais, comme nous le verrons
aussi, à partir d'une période relativement ancienne, ils le
généralisèrent de façon h s'en servir pour mesurer les dis-tances d'objets inaccessibles, par exemple de vaisseaux surla mer. Ce fut probablement cette généralisation qui sug-géra l'idée de la science géométrique, laquelle fut en réalitéla création des Pythagoriciens, et une remarque qui nousa été conservée de Démocrite nous fait voir combien lesGrecs surpassèrent bientôt leurs maîtres. Il dit (frg. 299 D):«J'ai entendu le? discours de beaucoup d'hommes instruits;
personne encore ne m'a surpassé dans la constructionde figures au moyen de lignes, accompagnées de preuves,pas même les harpedonapts égyptiens, comme on les
appelle*.» Or, le mot àpmSovxnrrA n'est pas égyptien, mais
grec. Il signifie « noueur de cordes *», et, par une frappantecoïncidence, le plus ancien traité de géométrie hindou
s'appelle Çulvasutras ou «règles de la corde». Cela fait sup-poser qu'on se servait du triangle dont les côtés mesurent
trois, quatre et cinq unités, et qui a toujours un angledroit. Nous savons que ce triangle était employé à une date
déjà ancienne chez les Chinois et les Hindous, qui le reçu-rent sans aucun doute de Babylone, et nous verrons queThaïes en apprit probablement l'usage en Egypte *. Il n'y aaucune raison quelconque de supposer que l'un ou l'autrede ces peuples ait pris la peine de donner une démonstra-tion théorique de ses propriétés, quoique Démocrite eût
certainement été capable de le faire. Pour finir, nousdevons noter le fait hautement significatif que tous lestermes mathématiques sont d'origine purement grecque *.
«R. P. 188.*Lesensexactde àpuîïovâittT);a été déterminéen premierHeupar
Cantor.Le jardinier traçant un parterre de fleursest la vraie imagemodernedes«harpedonapts».
sVoirMilhaud,Sciencegrecque,p. 103.' *Ona souventsupposéquelemotimpact;étaitdérivédumotpiremus,employédansle papyrusRhind,et qui nesignifiepas«pyramide», mais
INTRODUCTION 25
XII. — L'ASTRONOMIEBABYLONIENNE.
La seconde source d'où les Ioniens tirèrent directement
ou indirectement des matériaux pour leur cosmologie, est
l'astronomie babylonienne. Sans aucun doute, les Baby-loniens avaient, h partir d'une date très reculée, enregistrétous les phénomènes célestes, notamment les éclipses. Ils
avaient aussi étudié les mouvements des planètes et déter-
miné les signes du zodiaque. Ils étaient, de plus, en mesure
de prédire avec une remarquable exactitude les phéno-mènes qu'ils avaient observés, au moyen de cycles basés
sur les observations enregistrées. Je ne puis voir aucune
raison de douter qu'ils eussent remarqué le phénomène de
la précession des équinoxes. En vérité, il n'est guère pos-sible qu'ils ne l'aient pas constaté, car leurs observations
remontaient à tant de siècles en arrière que l'effet devaiten être tout à fait appréciable. Nous savons qu'à une date
postérieure, Ptolémée évaluait la précession des équinoxesà un degré en cent ans, et il est extrêmement probable quec'est là justement la valeur babylonienne. En tous cas, elle
s'accorde très bien avec leur division du cercle céleste en
360 degrés, et permet de considérer un siècle comme un
jour dans la «grande année», conception que nous rencon-
trerons plus loin *.
«arête ». Ce n'en est pas moins aussi, en réalité, un mot grec, etc'est le nomd'une espècede gâteau.LesGrecsappellent lescrocodileslézards, les autruches moineaux, et les obélisquesbroches,de sortequ'ils peuvent bien avoir appelé gâteaux les pyramides. Il noussembleentendreun échodu jargondesmercenairesquigravèrentleursnomssur le colossed'Abu-Simbel.
*Trois positionsdifférentesde l'équinoxesont données dans troistablettes babyloniennesdifférentes,à savoir10»; 8»IX'et 8»0' 30"duBélier.(Kugler,Mondrechnung,p. 103; Ginzel,Kilo, I, p. 205.)Etantdonnéeune connaissancede cettenature, et l'habitude de formulerlesretours des phénomènesen cycles, Il n'est guère concevableque lesBabyloniensn'aient pas imagineun cycle pour les précessions.Il estégalementcompréhensible qu'ils n'aient atteint qu'une grossière
26 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
Nous verrons que Thaïes connut probablement le cyclesur lequel se fondaient les Babyloniens pour prédire les
éclipses (§ 3) ; mais ce serait une erreur de supposer queles pionniers de la science grecque avaient une connais-
sance détaillée de l'astronomie babylonienne. Les nomsdes planètes ne furent pas connus avant l'époque de Pla-
ton 1, et les observations enregistrées ne furent pas utili-
sées avant celle des Alexandrins. Mais, même s'ils l'avaient
connue, leur originalité subsisterait. Les Babyloniens étu-
dièrent et notèrent les phénomènes célestes, M>n pas parintérêt scientifique, mais pour en tirer des conclusions
astrologiques. Il n'est pas prouvé du tout que les observa-tions accumulées par eux leur aient jamais suggéré le
moindre doute sur la vue primitive du monde, ou qu'ilsaient essayé, si ce n'est de la manière la plus grossière, de
se rendre compte de ce qu'ils voyaient. Les Grecs, au con-
traire, bien que ne disposant que d'un nombre bien infé-rieur de données, firent au moins trois découvertes d'une
importance capitale dans le cours de deux ou trois généra-tions. En premier lieu, ils découvrirent que la terre est une
sphère, et qu'elle ne repose sur rien du tout. En second
lieu, ils découvrirent la théorie vraie des éclipses de luneet de soleil, et, en rapport étroit avec ce fait, ils en vinrent à
approximation,car la périodede la précessionest en réalitéd'environ27600anset nonde 36000.Il y a lieude remarquerque«Panurepar-faite»de Platon est ausside 30000annéessolaires(République,édit.Adam,vol. II, p. 302),et qu'elleest probablementen rapport aveclaprécessiondes équinoxes.(Cf.77m.,39d, passagequi ne s'interprètefacilementque si on le rapporte à la précession.)Cettehypothèsequant à l'originede la «grandeannée», a été émisepar M.Adam(op.cit., p.305)et est maintenantconfirméepar llilprecht,TheliabylonianExpéditionof the UniversityofPensylvania(Philadelphie,1900).
1Dansla littératuregrecqueclassique,aucuneplanèten'est nomméepar son nom,excepté*E?ittpo;et 'Etosçopoç.Parménide(ou Pythagorc)fut le premierà voir qu'elles ne constituaientqu'un seul astre({93).Mercureapparaîtpourla premièrefols sous son nom dansle Timêe,38e, et les autres nomsde dieux sont donnesdansYEpin.987b sq.,où ils sontdits être «syriensr. Lesnomsgrecs«Paîvmv,<l>atf)«>v,llupôti;4><u3tpôpo;,2îî)j3o>v,sont peut-êtreplus vieux,mais cela ne peut êtreprouve
INTRODUCTION 27
voir, en troisième lieu, que la terre n'est pas le centre denotre système, mais qu'elle y accomplit une révolutioncomme les autres planètes. Pas beaucoup plus tard, cer-tains Grecs firent même — ou du moins tentèrent — le pasfinal, consistant à identifier avec le soleil le centre autour
duquel se meuvent la terre et les planètes. Ces découvertesseront discutées quand le moment en sera venu; nous neles mentionnons ici que pour montrer l'abîme qui séparel'astronomie grecque de tout ce qui l'avait précédée. Pourfaire ces découvertes, les Babyloniens eurent à leur dispo-sition autant de milliers d'années que les Grecs eurent de
siècles, et il ne semble pas qu'ils aient jamais songé àune seule d'entre elles. L'originalité des Grecs ne peut êtresérieusement mise en question tant qu'on ne pourra pasmontrer que les Babyloniens avaient une idée — mêmeincorrecte — de ce que nous appelons le système solaire.
Nous pouvons résumer tout cela en disant que les Grecs
n'empruntèrent à l'Orient ni leur philosophie ni leur
science. Toutefois, ils reçurent de l'Egypte certaines règlesde mensuration qui, généralisées, donnèrent naissance àla géométrie, et ils apprirent des Babyloniens que les phé-nomènes célestes se reproduisent suivant certains cycles,avec la plus grande régularité. Ce fragment de connais-sance contribua grandement, on n'en saurait douter, à
l'avancement de la science, car il suggéra aux Grecs de
nouvelles questions auxquelles les Babyloniens n'avaient
jamais songé'.
«L'exposéde Platonsur cette questionse trouve dans l'Epinomis,986e9 sq., et est résuméen ces mots: ).â;3top.tv8t tu; ôrtRipôv'EXXijvtçPapPâpojvsapaXd^tost,xiXXtovtoito etcttXocàî5tpyaJovTat(987d9).Thco»(Adrastos)a bienvu le noeudde la question,Exp.. p. 177,20, llillcr,lequelparlede» Clialdécnset des EgyptienscommeâvtuçjstoXoyîaîdteXtîcitoioJ|itvotxàî jxiftiîoj;,itovâ;iaxaltp-jjizt&îwpl toitwv«ntaxoiutvÔKtpolitapàtôt»'KXX*j«tvàîtpoXoYJj3»vtt{ciutpiùvtoitottîv,tôt ixapàtoûtwvXat3ovt«;àpxi;xaltû>vpatvojuvtuvtijpijttu.Cedernierpassageest Impor-tant en cequ'il représentel'opinioncouranteà Alexandrie,Al'époqueoù les faitsétaientexactementconnus.
28 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
XIII. — LE CARACTÈRESCIENTIFIQUEDE
L'ANCIENNECOSMOLOGIEGRECQUE.
Il est nécessaire de dire quelque chose de la valeur scien-
tifique de la philosophie que nous allons étudier. Nousvenons de voir que les peuples orientaux étaient, à l'époquedont nous nous occupons, infiniment plus riches que les
Grecs en faits accumulés, mais que ces faits n'avaient cer-tainement pas été observés dans une intention scientifique,et que leur possession ne suggéra jamais une révision dela vue primitive du monde. Les Grecs, au contraire, virent
que ces faits pouvaient être misa profit, et ils n'étaient paspeuple à tarder de mettre en pratique la maxime : « Cha-cun prend son bien où il le trouve. » Le monument le plusfrappant de cet esprit qui soit parvenu jusqu'à nous estl'oeuvre d'Hérodote ; et la visite qu'il nous raconte de SolonàCrésus —si peu historique qu'elle puisse être, — nous endonne une peinture très vivante et très fidèle. Crésus dit àSolon qu'il a beaucoup entendu parler «de sa sagesse etde ses voyages » ; de tous les voyages que, par besoin deconnaissance (<ptAo7o<p£o>v),il a entrepris dans beaucoup de
pays pour voir ce qui était digne d'être vu (Quopirt tYvmv).Les mots 0«a>p6),<ptAo<jo<p<rjet tctropfasont, en fait, les motsd'ordre de l'époque, quoiqu'ils eussent, ne l'oublions pas,unsens un peu différent de celui qu'ils devaient avoir plus tardà Athènes '. L'idée qui leur est commune à tous ne saurait
peut-être être mieux rendue en français que par le mot
curiosité, et c'est justement ce grand don de curiosité, cedésir de voir toutes les choses merveilleuses — pyramides,inondations, etc. — qui rendit les Grecs capables deramas-
1Cependant,le motdtwptan'njamaisentièrementperdu sesprimi-tives associationsd'idées, et les Grecs sentaient toujours que leftiwpTjuxiçjSîoçétait littéralementla «vie du spectateur0. Sonemploispécialet toute la théorie des «trois vies» paraissentêtred'originepythagoricienne.Voirmonéditionde InMoraled'Aristotc,p 19,note.
INTRODUCTION 29
ser et de faire servir à leur usage toutes les bribes de con-
naissance qu'ils rencontraient parmi les barbares. Un phi-
losophe grec n'avait pas plus tôt appris une demi-douzaine
de propositions géométriques, et entendu dire que les phé-nomènes célestes reviennent périodiquement, qu'il se met-
tait à chercher partout des lois dans la nature et, avec une
audace splcndide, touchant presque à tâfipiç, à construire un
système de l'univers. Sourions, si nous voulons, du curieux
mélange d'imagination enfantine et de véritable esprit
scientifique dont témoignent ces efforts, et laissons-nous
aller parfois à prendre parti pour les sages du jour quiavertissaient leurs trop hardis contemporains «de ne pasélever leurs pensées au-dessus de la condition humaine» (àv-
Op'jyrîtvxypv/v-j). Mais nous ferons bien de nous souvenir en
même temps que, même de nos jours, ce sont justementces anticipations audacieuses sur l'expérience qui rendentle progrès scientifique possible, et que presque tous les
anciens investigateurs que nous allons étudier firent quel-que addition durable au trésor de la connaissance positive,tout en ouvrant dans chaque direction de nouvelles vuessur le monde.
On ne saurait justifier non plus l'idée que la science
grecque n'a dû le jour qu'à un hasard plus ou moins heu-
reux, et non pas à l'observation et à l'expérience. La naturede notre tradition, qui consiste essentiellement en placita— c'est-à-dire en ce que nous appelons «résultats» —tend,sans doute, à créer cette impression. Il est rare qu'on nousdise pourquoi un ancien philosophe avait telle ou telle vue,et l'aspect d'une chaîne d'«opinions» suggère le dogma-tisme. Il y a cependant certaines exceptions au caractère
général de la tradition, et il n'est pas déraisonnable de sup-poser que si les Grecs de l'époque postérieure avaient euintérêt en la matière, ces exceptions seraient beaucoupplus nombreuses. Nous verrons qu'Anaximandre Ht, dansle domaine de la biologie marine, plusieurs remarquablesdécouvertes que les recherches du XIXe siècle ont pleine-
30 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
ment confirmées (§21), et que Xénophane lui-même prenait
pour point de départ d'une de ses théories les fossileset les pétrifications trouvés en des lieux très éloignés les
uns des autres, Malte, Paros et Syracuse (§59). Cela suffit
pour montrer que la théorie, si communément soutenue
par les premiers philosophes, que la terre était primitive-ment recouverte d'eau, n'était pas d'origine mythologique,mais qu'elle était basée ou, dans tous les cas, confirmée
par des observations biologiques et paléontologiques d'un
type tout à fait moderne et scientifique. Userait à coup sûrabsurde de s'imaginer que les hommes qui pouvaient faireces observations n'eurent pas la curiosité ou l'habileté d'enfaire nombre d'autres dont le souvenir s'est perdu. En
vérité, l'idée que les Grecs n'étaient pas observateurs est
presque ridiculement fausse, comme le prouvent deux sim-
ples considérations. L'exactitude anatomique de la sculp-ture grecque témoigne d'un sens de l'observation très
exercé et de l'ordre le plus élevé, tandis que la fixation dessaisons par le lever et le coucher héliacal des étoiles dénote
une connaissance des phénomènes célestes qui n'est nulle-
ment commune de nos joursl. Nous savons ensuite queles Grecs étaient bons observateurs dans les matières tou-
chant à l'agriculture, à la navigation et aux arts, et noussavons qu'ils étaient curieux des choses de l'univers. Est-il
concevable qu'ils n'aieift pas usé de leurs facultés d'obser-
vation pour satisfaire celte curiosité? Il est vrai, sans
doute, qu'ils n'avaient pas nos instruments de précision,mais un grand nombre de découvertes pouvaient être faites
au moyen d'appareils très simples. Il n'est pas à supposerqu'Anaximandre construisit son gnomon uniquement pour
que les Spartiates pussent se rendre compte des saisons '.
1Cesdeuxpointssontjustement misen reliefpar Staigmûller,Bei-Irâge :ur Gcsch.der \alurtvisscnschaftenim ktassischenAlterlhumc(Progr.Stuttgart, 1899,p. 8).
*Legnomonn'était pasuncadransolaire,maisunetige dresséever-ticalementsur une surfaceplane, au milieude trois cerclesconcen-triques. Cescerclesétalent disposésde telle manièreque l'extrémité
INTRODUCTION ' 31
Il n'est d'ailleurs pas vrai que les Grecs ne fissent aucun
usage de l'expérience.. La méthode expérimentale date de
l'époque où les écoles médicales commencèrent à influencer
le développement de la philosophie, et nous voyons que la
première expérience d'un type moderne qui ait été enre-
gistrée est celle d'Empédocle, avec la clepsydre. Nous pos-sédons le récit qu'il en fit lui-même (frg.100)et nous pouvonsvoir de combien peu il s'en fallut qu'elle ne le fit anticiperà la fois sur Harvey et sur Torricelli. Encore une fois, il
est inconcevable qu'un peuple avide de savoir ait appliquéla méthode expérimentale en un seul cas, et ne l'ait pasétendue à l'élucidalion d'autres problèmes.
La grande difficulté pour nous réside naturellement dans
l'hypothèse géocenlrique d'où il était inévitable que la
science partit, quoique pour la dépasser en un tempsétonnamment court. Aussi longtemps que la terre est sup-
posée être au centre du monde, la météorologie, au sens
récent du mot, est nécessairement identifiée avec l'astro-
nomie. Il nous est difficile de nous sentir à notre aise dans
ce point de vue, et en réalité nous n'avons pas de terme
approprié pour exprimer ce que les Grecs appelèrentd'abord un o-jpavoç.Ij conviendra d'employer comme équi-valent le mot « monde », mais étant bien entendu que ce
mot ne désigne pas uniquement, ou même principalement,la terre. Le mot plus récent de xo<7f*oçtémoigne du progrèsdes idées scientifiques. Il a signifié d'abord l'arrangementd'une armée, et ensuite la constitution réglée d'un Etat.
C'est de ce domaine qu'il fut transféré au monde, parce
que, aux jours les plus anciens, la régularité et la cons-
tance de la vie humaine étaient beaucoup plus clairement
vues que l'uniformité de la nature. L'homme vivait dans
un cercle enchanté de lois et de coutumes, mais, autour de
lui, le monde paraissait encore sans lois. Voilà aussi pour-
dc l'ombre de la tigetouchaitle cercleintérieuràmidiausolsticed'été,le cercleintermédiaireaux équinoxes,et le cercleextérieurau solsticed'hiver. VoirBretschnclder,DieGéométrievorEuklid,p. 60.
432 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
quoi, dès qu'on se rendit compte du cours régulier de la
nature, on ne put trouver, pour le désigner, de terme meil-leur que S6ct).C'est la même métaphore qui vit encore dans
l'expression «loi naturelle » *.La science du VIe siècle s'intéressait donc principale-
ment aux parties du monde qui sont «en haut» (TOC(iSTc'wpa),et ces parties comprennent, à côté des corps célestes, deschoses telles que les nuages, les arcs-en-ciel et lés éclairs.C'est ce qui explique comment les corps célestes en vin-rent parfois, ce qui nous paraît étrange, à être tenus pourdes nuages enflammés. Mais nous devons nous rendre
compte que la science devait commencer et commençalégitimement par les hypothèses qui se présentèrent les
premières à l'esprit, et que ces hypothèses ne pouvaient serévéler inadéquates qu'à un examen ultérieur et appro-fondi. C'est justement parce.que les Grecs furent le premierpeuple à envisager sérieusement l'hypothèse géocentriquequ'ils furent capables de la dépasser. Les pionniers de la
pensée grecque ne se faisaient naturellement pas une idéeclaire de la nature de l'hypothèse scientifique, et ils se figu-raient avoir commerce avec l'ultime réalité. Il ne pouvaiten être autrement avant la naissance de la logique. Enmême temps, un sûr instinct les guidait vers la vraie
méthode, et nous pouvons voir comment ce fut l'effort
pour «sauver les apparences*» qui opéra réellement dès le
début. C'est donc à ces hommes que nous devons la con-
ception d'une science exacte, qui devait finalement prendre
1Lemot xijjio;parc't être pythagoriciendans ce sens.Il n'étaitpasd'usagegénéral, même au commencementdu 1V«siècle. Xénophonparlede «ce que les sophistesappellentle xôajio;».(Mem.I, 11.)Ausujetde îîxi),voir plus loin,§§14,72.
*Cetteexpressiona'pris naissanceà l'écolede Platon. La méthodede recherchequi y étaiten usageconsistait,ftourceluiqui dirigeaitladiscussion,à «proposer»(upottîvtiv,itpo?âXXcs9ai)commeun«problème»(itpij3Xi)p.a)de trouver l'«hypothèse» la plus simple(TÎVIOVûftou&wa>v)par laquelleon pût rendrecomptede tous les faitsobservés(oojCtivta?atvôp.tva).C'estsoussa formefrançaise,«sauverlesapparences»,quecetteexpressiona pris son sensactuel.
INTRODUCTION 33
le monde entier pour son objet. Ils s'imaginaient — assez
absurdement, sans doute — qu'ils pouvaient réaliser cette
science d'un coup. Nous nous abandonnons parfois, de
nos jours, à la même illusion; et cela ne saurait pas plusenlever aux Grecs l'honneur d'avoir été les premiers à
distinguer le but véritable, quoique peut-être inaccessible,de la science, qu'il ne pourrait enlever à nos savants l'hon-
neur d'avoir rapproché de nous ce but. Ce qu'ils cherchent
encore aujourd'hui, c'est la science telle que l'ont conçueet poursuivie les Grecs.
XIV. — ECOLESDE PHILOSOPHIE.
Théophrasle, le premier écrivain qui ait traité systéma-
tiquement l'histoire de la philosophie grecque l, représen-tait les premiers cosmologisles comme vivant dans les
rapports de maîtres à élèves et comme membres d'associa-
tions régulières. Ce fait a été regardé par beaucoup d'écri-vains modernes comme un anachronisme, et quelques-uns ont même nié absolument l'existence d'«écoles» de
philosophie. Pareille réaction contre la conception plusancienne était tout à fait justifiée pour autant qu'elle était
dirigée contre les classifications arbitraires telles que les
écoles «ioniennes» et «italiennes», tirées des auteurs
alexandrins des Successions, par l'intermédiaire de DiogèneLaërce. Mais les déclarations expresses de Théophrasle ne
doivent pas être mises de côté sans de sérieux motifs.El comme ce point est de grande importance, il est néces-saire de l'examiner de plus près avant de nous engagerdans notre exposé.
La vue moderne repose en réalité sur une conceptionerronée de la voie suivant laquelle se développe la civilisa-
tion. Dans presque tous les domaines de la vie, nous cons-
tatons qu'au début la corporation est tout et que l'individun'est rien. Les peuples de l'Orient ne dépassèrent guère ce
1VoirAppendice,§7.
PHILOSOPHIEORBCRiy. 3
34 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
!degré de l'évolution; leur science — ou ce qu'ils nous
{offrent de tel — est anonyme; c'est l'héritage d'une casteou d'une guilde, et nous voyons encore clairement, danscertains cas, qu'il en était de même autrefois chez lesGrecs. La médecine, par exemple, était à l'origine le «mys-tère » des Asclépiades, et il y a lieu de supposer que tousles artisans (Sr,u,iwpyof),parmi lesquels Homère classe les
chanteurs (àotdof)étaient primitivement organisés de sem-
blable manière. Ce qui distingua les Hellènes des autres
peuples, c'est qu'à une date relativement ancienne, ces
corporations tombèrent sous l'influence d'individualités
| éminentes, qui leur donnèrent une nouvelle direction etune impulsion nouvelle. C'est sans aucun doute de cette
manière, à peu près, que nous devons nous représenter le
rapport d'Homère aux Homérides. A une date postérieure,les Asclépiades produisirent Hippocrate, et si nous étionsmieux renseignés sur des guildes telles que celles des
Daidalides, il est probable que nous constaterions quelquechose d'analogue. Mais cela n'anéantit pas le caractère
corporatif du métier; en vérité il en est plutôt accentué.La guilde devient ce que nous appelons une «école », et le
disciple prend la place de l'apprenti. C'est là un change-ment capital. Une guilde fermée, sans autres chefs que seschefs professionnels, est par essence conservatrice, tandis
qu'une bande de disciples attachés à un mailre qu'ils révè-rent est le plus grand facteur de progrès que le mondeconnaisse.
Il est certain que les écoles athéniennes postérieuresétaient des corporations organisées, dont la plus ancienne,l'Académie, se maintint comme telle pendant à peu présneuf cents ans, et la seule question que nous ayons à tran-cher est de savoir si c'était là une innovation du IV*siècleavant J.-C, ou plutôt la continuation d'une vieille tradi-tion. Par hasard, nous pouvons nous appuyer sur l'autoritéde Platon pour affirmer que les principaux systèmes anciensse transmettaient dans des écoles. Il fait dire à Socrate que
INTRODUCTION 35
les «hommes d'Ephèse» — les Héraclitiens — formaientde son temps' un corps considérable, et l'Etranger du
Sophiste et du Politique parle de son école comme encoreexistant à Elée 1. Il est aussi question, dans le Cratyle,d'« Anaxagoréens » *, et personne ne peut, cela va de soi,douter que les Pythagoriciens ne formassent une société.En fait, il n'y a guère d'école dont l'existence ne soit attes-tée par une preuve extérieure des plus sérieuses, si ce n'estcelle de Milet, et même en ce qui concerne celte dernière,nous pouvons invoquer un fait significatif. Théophrasteparle de philosophes d'une date postérieure comme ayantété «associés de la philosophie d'Anaximène» *.Nous ver-rons aussi, dès le prochain chapitre, qu'il y a en faveur del'existence d'une école milésienne une évidence interneréellement forte. C'est en partant de ce point de vue, donc,que nous allons maintenant étudier les hommes qui ontcréé la science hellène.
1Tht.179e4: aùïoïe—tôt?itcplTTJV'E^eoov.Si l'on nie humoristique-mcntdanscedialogueque lesHéraclitienseussentdesdisciples(180b 8,Moîotîpia&»jTaT«.wîaijiivte;)celaimpliqueque c'était là le rapport nor-malet reconnu.
*Soph.242d 4, xb...nap rjuîv'EXeattxivtfkoe.Cf.ib. 216a 3,étaîpov21tôv àu.flllap[Hvî?7)vxal ZTJVU»3[ttatptuv](où itat'pwvest probablementinterpolé,maisdonnele sensexact);217ci1, otitcpltôvtxtîtôixov.
J Cral. 109b G,eîîtipdXij9ijol'AvaSappnotXéfousiv.*Cf.chap.VI,Ç122,et sur l'ensemblede la question,voir Diels,
Veberdieattestai Philosophenschulender Griechendans les Philoso-phischcAnfsàlzeEduard Zellergewidmel(Leipzig,1887).
CHAPITRE l"
L'ÉCOLE MILÉSIENNE
I. — MILET ET LA LYDIE.
C'est à Milet que la plus ancienne école de cosmologie
scientifique eut son siège. A l'époque où elle fut fondée,les Milésiens étaient dans une situation exceptionnellementfavorable aux recherches scientifiques comme aux entre-
prises commerciales. Ils étaient, il est vrai, entrés en con-
flit plus d'une fois avec leurs voisins, les Lydiens, dont lessouverains s'efforçaient alors d'étendre leur domination
jusqu'à la côte; mais, vers la fin du VIIe siècle avant J.-C,
Thrasybule, tyran de Milet, avait réussi à signer un arran-
gement avec le roi Alyatte, et une alliance fut conclue entre
eux, qui non seulement sauva, dans le présent, Milet d'un
désastre pareil à celui qui frappa Smyrne, mais la garantitde toute inquiétude pour l'avenir. Même un demi-siècle
plus tard, lorsque Crésus, reprenant la politique extérieurede son père, déclara la guerre à Ephèse et la prit, Milet
fut en mesure de maintenir les anciennes relations décou-lant du traité, et ne devint jamais, strictement parlant,
sujette des Lydiens. Il n'est guère possible de douter quele sentiment de sécurité dû à cette situation exceptionnellen'ait été pour quelque chose dans le développement de la
recherche scientifique. La prospérité matérielle est la base
sans laquelle ne sauraient s'accomplir les plus hauts
efforts intellectuels, et, à cette époque-là, Milet était en
38 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE .
possession de toutes les élégances de la vie à un degréinconnu dans l'Hellade continentale.
Mais ce ne fut pas seulement de cette manière que lesrelations avec la Lydie favorisèrent le développement de lascience à Milet. Ce qu'on appela plus tard hellénisme paraîtavoir été traditionnel dans la dynastie des Mermnades. Il
peut bien y avoir quelque chose de vrai dans cette affir-mation d'Hérodote que tous les «sophistes» du tempsaffluaient à la cour de Sardes l. La tradition qui représenteCrésus comme ce que nous appellerions le «patron» de la
sagesse grecque, était complètement formée au Ve siècle,et si peu historiques qu'en puissent être les détails, il estévident qu'elle n'est pas, de fait, sans avoir quelque fonde-ment. Il faut noter comme particulièrement digne d'atten-tion ce «récit répandu parmi les Grecs», suivant lequelThaïes l'accompagnait dans sa malheureuse campagnecontre Pteria, apparemment en qualité d'ingénieur mili-taire. Hérodote, il est vrai, ne croit pas qu'il ait détournéle cours de l'Halys *, mais il ne s'inscrit pas en faux contrecette histoire en raison d'une improbabilité a priori, et ilest tout à fait clair que ceux qui la racontaient n'éprou-vaient aucune difficulté à admettre le rapport qu'elle pré-suppose entre le philosophe et le roi.
1Herod.I, 29.Quelquesautres pointspeuventêtre relevésen confir-mationde ce qui a été ditde 1'«hellénisme» des Mermnades.Alyatteeut deuxfemmes,dont l'une,la mèredeCrésus,étaitCariennc;l'autreétait Ionienne,et il eut d'elle un filsqui reçut le nom grecde Panta-léon(ib. 92).LesoffrandesdeGygèsétaientexposéesdans le trésordeKypsélosà Delphes(ib.14)et cellesd'Alyatteétaientunedes curiositésde la ville(i7>.25).Crésus,lui aussi, fit preuved'une grande libéralitéenversDelphes(ib. 50)et enversplusieursautressanctuairesgrecs(ib.92).Il donna la plupart des colonnesdu grandtempled'Ephèse.Men-tionnonsaussi à ce propos les histoires de Mlltlade(VI,37)et d'Alc-méon(ib. 125).
' Herod.I, 75.Il serefuseà lecroireparcequ'ilavaitentenduparler,probablementpar les Grecsde Sinopc,de la hauteantiquité du pontde la route royaleentreAncyreet Pteria(Bamsay,AsiaMinor,p.29).Xanthosrapportait une tradition d'après laquellece fut ThaïesquiengageaCrésusà montersur sonbûcher seulementquandil sut qu'uneaversearrivait.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 39
Il faut ajouter que l'alliance avec la Lydie facilita gran-dement les relations avec Babylone et l'Egypte. La Lydieétait un poste avancé de la civilisation babylonienne, etCrésus vivait en excellents termes tant avec les rois d'Egyptequ'avec ceux de Babylone. Il est digne de remarque, aussi,
qu'Amasis d'Egypte avait les mêmes sympathies pour laGrèce que Crésus, et que les Milésiens possédaient un
temple à eux, à Naucratis '.
II. — SON ORIGINE.
On ne saurait mettre en doute que le fondateur de l'école
milésienne, et par conséquent le premier des cosmologues,n'ait été Thaïes ' ; mais tout ce que l'on peut réellement
prétendre savoir de lui nous vient d'Hérodote, et le romandes Sept Sages existait déjà quand il écrivait. Il nous dittout d'abord que Thaïes était d'origine phénicienne, indi-
cation que d'autres écrivains expliquaient en disant qu'ilappartenait aux Thélides, noble maison qui prétendaitdescendre de Kadmos et d'Agénor *.Ce fait est évidemmenten rapport avec l'opinion d'Hérodote, suivant laquelle il yavait des « Kadméens» de Béotie parmi les colons primitifsde l'Ionie, et il est certain qu'il y avait réellement des gensnommés Kadméens dans plusieurs cités ioniennes 4.Quantà savoir s'ils étaient d'origine sémitique, c'est naturellement
1Herod.II, 178,où l'historiendit qu'Amasisétait «ptXcXXTjv.Il contri-buade ses deniers à la reconstructiondu templede Delphesaprès legrand incendie(ib. 180).
1En fait, Simpiicius cite une indication de Théophrastesuivantlaquelle Thaïes aurait eu plusieurs prédécesseurs(Dox.,p. 475,11).Celane doit cependantpas nous préoccuper;car le scholiasted'Apol-loniusde Rhodes(II, 1218)nousdit que Théophrastefaisaitde Promé-théc le premierphilosophe,ce qui est simplementune applicationdulittéralismcpéripatéticienà une remarquede Platon [Philèbe10r 6}.Cf.Appendice,%2.
« Herod.I, 170(R.P. 9cfDV 1A4); Dlog.I, 22(R.P. 9).* Strabon, XIVp. 633,636;Pausan.VII, 2, 7. Prlène était appelée
Radmé,et le plus ancienannalistede Miletportait le nomde Kadmos.VoirE. Meyer,Gttrh. desAlterl.11,1158.
40 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
une autre question. Hérodote mentionne probablementl'origine présumée de Thaïes pour la seule raison que celui-ci passait pour avoir introduit de Phénicie certains progrèsdans l'art de la navigation 1. Dans tous les cas, le nom
d'Examyès, que portait son père, ne tend pas à prouverqu'il fût Sémite. C'est un nom caricn, et les Caricns avaientété presque complètement assimilés par les Ioniens. Surles monuments, on trouve des noms grecs et des nomscaricns alternant dans les mêmes familles, et il n'y a doncaucune raison de supposer que Thaïes fût autre chose
qu'un citoyen ordinaire de Milet, quoique peut-être avec du
sang carien dans les veines ».
III. — L'ÉCLIPSÉPRÉDITEPARTllALÈS.
L'indication de beaucoup la plus remarquable qu'Héro-dote nous donne sur Thaïes est qu'il prédit l'éclipsé desoleil qui mit fin à la guerre entre les Lydiens et les Mèdes'.Or nous pouvons être sûrs qu'il ignorait tout à fait la vraiecause des éclipses. Anaximandre et ses successeurs l'igno-raient certainement S et il est incroyable que l'explicationjuste de ce phénomène ait été donnée une fois pour être sivite oubliée. Même en supposant, toutefois, que Thaïes aitconnu la cause des éclipses, personne ne croira que lesbribes de géométrie élémentaire qu'il avait rapportéesd'Egypte l'eussent mis à même d'en calculer une d'aprèsles éléments du cours di*la lune. Mais le fait de la prédic-
• Diog.I, 23: KaXXûir^o;8' aitiv ctîiv eûptTÎjvT^ÎÔOXTOJTTJÎ[ttxpd;X»Y<ovtt totçlâu^oiîOVTUI;
xaltij; à'iiint tXtyeTO3ta9p.q3as&attoi»J3ttpt3xo'j;,fl tikivyn«tomxtç.
»VoirDiels,Thaïesein Sémite?{Arch.H,165sq.), et Immisch,Z.uThaïesAbkunfl(ib.p.515).Lenom d'Examyèsse rencontreaussiàColophon(Hermcsianax,lAonlion,fr.2,38Bgk),et peutêtrecomparéavecd'autresnomscarienstelsqueCheramyèset Panamyès.
»Herod.I, 74.*Sur lesthéoriesprofesséespar Anaximandreet parHeraclite,voir
plusloin,H 19et 71.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 41
lion est trop bien attesté pour pouvoir être rejeté sansexamen. Le témoignage d'Hérodote sur un événement quidoit s'être passé une centaine d'années avant sa naissancesera peut-être tenu pour insuffisant ; mais il en est toutautrement de celui de Xénophanc, et c'est de ce dernier
que nous avons réellement à nous occuper 1. Selon Théo-
phrasle, Xénophane était disciple d'Anaximandre, et il se
peut fort bien qu'il ait vu Thaïes et se soit entretenu avec
lui. En tout cas, il doit avoir connu une foule de gens capa-bles de se rappeler ce qui était arrivé, et qui n'avaientaucun intérêt concevable à en faire un récit inexact. La
prédiction de l'éclipsé est réellement mieux attestée qu'au-cun autre fait relatif à Thaïes, et il n'en est guère dyns la
première partie du VIesiècle avant J.-C. qui soit appuyésur des preuves plus solides.
Il est parfaitement possible de prédire des éclipses sansen connaître la vraie cause, et il est hors de doute qu'enréalité c'est ce que faisaient les Babyloniens. Sur la basede leurs observations astronomiques, ils avaient établi un
cycle de 223 mois lunaires, à l'intérieur duquel les éclipsesde soleil et de lune revenaient à intervalles réguliers*. Cela,il est vrai, ne les eût pas mis en état de prédire les éclipsesde soleil pour un lieu donné de la surface de la terre ; carces phénomènes ne sont pas visibles dans tous les lieux oùle soleil est, à ce moment, au-dessus de l'horizon. Nous
n'occupons pas un point au centre de la terre, et ce que lesastronomes appellent la parallaxe géocentrique doit être
pris en considération. Tout ce qu'il était donc possible de
dire, au moyen du cycle, c'est qu'une éclipse de soleil seraitvisible quelque part, et qu'il valait la peine d'observer le
1Diog.I, 23: ioxetil xatdttvajitpûTo;dsipoXoyJJjatxal Xtuxà;txXttyr.;xaltponàçitpocixeîv,i; «pijotvEÛÎIJJIOÎCVrp iccpltûv dnpoXoYO>;-t(va>vlato-pta,o&tvaùrôvxalSsvofdviuxat'IlpoSoto;fra\>p.dCet.
*Le premiersavantqui ait attiré l'attentionsur le cyclechaldéenàce point de vue paraît avoir été le Bev.GeorgeCostard,fellowduWadhamCollège.Voir sa Dissertationon the Useof AstronomyinHislory(Londres,1764),p.17.Il est inexactd'appelercecyclele saros,car le sarosétait tout autrechose.(VoirGinzel,KlioI, p.377.)
42 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
ciel. Or, si nous en pouvons juger d'après le rapport quinous a été conservé d'un astronome chaldéen, c'était juste-ment là la situation dans laquelle se trouvaient les Baby-loniens. Ils guettaient les éclipses aux dates déterminées,et quand elles ne se produisaient pas, le fait était interprétécomme un heureux présage '. Il n'en faut pas davantage
pour expliquer ce que l'on nous rapporte de Thaïes. Il dit
simplement qu'il y aurait une éclipse, et, par un heureux
hasard, elle fut visible en Asie-Mineure et dans une circons-tance frappante.
IV. — DATEDE THALÈS.
La prédiction de l'éclipsé ne jette donc pas une grandelumière sur les connaissances scientifiques de Thalès ;mais si nous pouvons en fixer la date, elle nous fourniraun point de départ pour essayer de déterminer l'époque à
laquelle il vivait. Les astronomes modernes ont calculé
qu'il y eut une éclipse de soleil, probablement visible en
Asie-Mineure, le 28 mai (vieux style) de Pau 585av. J.-C. •,et Pline, d'autre part, place l'éclipsé prédite par Thalès àla quatrième année de la 48« Olympiade (5854 av. J.-C. *).La concordance n'est, il est vrai, pas parfaitement exacte,car mai 585 appartient à l'année 586-5. Elle est suffisam-ment approximative, toutefois, pour que nous ayons le
>VoirGeorgeSmith,AssyriunDiscovcries(1875),p.409.L'inscriptiondontsuit la traductiona été trouvéeà Kouyunjik:
«Auroi monSeigneur,ton serviteurAbil-Istar,
» Concernantl'éclipséde lune au sujetde laquellele roi monSei-gneurm'a adresséunmessage,desobservationsontété faitesdanslescitésd'Akkad,de Borsippaet deNipur,et dansla citéd'Akkad,nousvîmesune partie....L'observationfut faite,et l'éclipséeut lieu.
» Et quand,pourl'éclipséde soleil,nousordonnâmesune observa-tion,l'observationfut faiteet elle(l'éclipsé)n'eutpaslieu.Cequej'aivu demesyeux,je l'envoieau roi monSeigneur.»
1Pourla littératuresur ce sujet,voirR.P.8b, et y ajouterGinzel,SpeziellerKanon,p. 171.VoiraussiMilhaud,Sciencegrecque,p. 62.
*Pline,Nal.Hisl. II,53.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 43
droit d'identifier cette éclipse avec celle de Thalès, et celanous est confirmé par Apollodore, qui fixait à la même
année l'akmè du philosophe 1. Une autre indication, quenous devons à Démétrius de Phalère, et suivant laquelleThalès «reçut le nom de Sage» sous Parchontat de Damasiasà Athènes, s'accorde très bien avec toutes ces données, etelle est sans doute basée sur l'histoire du trépied de Delphes,car Parchontat de Damasias est Père du rétablissement des
jeux pythiqucs *.
V. — THALÈSEN EGYPTE.
L'introduction de la géométrie égyptienne en Grèce estuniversellement attribuée à Thalès, et il est extrêmement
probable qu'il visita l'Egypte, car il s'était fait une théorie
1Sur Apollodore,voir Appendice,%20. Les dates que donne notretexte de Diogènc(I, 37; H.P. 8) ne peuvent se concilier l'une avecl'autre. Cellequ'il donne pour la mort de Thalèsest probablementexacte;car c'est l'annéequi précédala chutede Sardesen 546,5avantJ.-C cequi est unedes ères régulièresemployéespar Apollodore.IIsemblaitsans doute naturel de fairemourir Thalès l'annéeavant la«ruinede l'Ionic»,qu'il avaitprévue.Si l'on remonteà 78ans en ar-rière, celaporte à 625/4la naissancede Thalès,et cela nous donne585/4poursaquarantièmeannée.C'est la date que Plineindiquepourl'éclipsé,et lesdatesde Plineviennentd'Apollodorcpar l'intermédiairede Nepos.Pourunediscussioncomplètede la question,voir Jacoby,p. 175sq.
' Diog.I, 22(H.P. 9). Je nediscutepasici l'ère pythienneet la datede Damasias,quoique,à cequ'il me semble,le dernier mot n'ait pasencoreété dit sur ce point.Jacoby(p. 170sq.)défendvigoureusementladate582/1,qui est généralementadmiseaujourd'hui.D'autressepro-noncentpourl'annéepythienne586/5,qui est l'annéemêmedel'éclipsé,et cela aiderait à expliquercommentles historiens qui utilisèrentApollodoreen vinrentà dater l'événementd'une annéetrop tard; carDamasiasfut archonte pendantdeuxans et deux mois. II est mêmepossiblequ'ilsaientmalcomprislesmotsAapasîooto5iturtpov),dont lebut estde le distinguerd'unarchonteantérieurdu mêmenom,et aientinterprété: c dans la secondeannéede Damasias». Apollodorese con-tentait d'indiquerles archontesathéniens, et '.a réductionen olym-piadesest l'oeuvred'écrivainspostérieurs.Kirchner,adoptant l'année582/1pourDamasias,placel'arehontatdeSolonen 591/0[Rh.Mus.LUI,p.242sq.).Maisil est impossibleque la date de l'arehontat de Solonait jamais été douteuse.D'aprèsle calculde Kirchner,nousobtenonsla date 586/5,si nousgardonsladatetraditionnellede Solon.VoiraussiE.Meyer,Forschungen,II, p. 242sq.
44 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
des inondations du Nil. Dans un passage bien connu 1,Hérodote donne trois explications du fait que ce fleuve, parune exception unique, croit en été et décroit en hiver ; seu-
lement, suivant sa coutume en pareil cas, il ne nomme pasles auteurs de ces explications. Mais la première, celle quiassigne pour cause aux débordements les vents étésieus,est attribuée à Thalès dans les Placita*, de même que parplusieurs écrivains postérieurs. Or ces indications sonttirées rt'^n traité sur les crues du Nil que l'on croit être
d'Aristote, et qui était connu des commentateurs grecs,mais dont il n'existe plus aujourd'hui qu'un abrégé latindu XIIe siècle '. Dans cette oeuvre, la première des troisthéories mentionnées par Hérodote est attribuée à Thalès,la seconde à Euthymène de Massalie, et la troisième à
Anaxagore. Où Aristote — ou celui qui écrivit le livre, s'ilest d'un autre —a-t-il pris ces noms? Nous pensons natu-
rellement, une fois de plus, à Hécatée, qu'Hérodote repro-duit si souvent sans en mentionner le nom, et celte conjec-ture tire une grande force du fait qu'Hécatée mentionne eneffet Euthymène*. Nous pouvons donc conclure que Thalèsalla réellement en Egypte, et peut-être qu'Hécatée, en décri-vant le Nil, tint compte, comme cela était naturel, des vuesde son célèbre concitoyen.
VI. —THALÈSET LAGÉOMÉTRIE.
Quant à la nature et à l'étendue des connaissances
mathématiques rapportées d'Egypte par Thalès, il y+a lieude faire ressortir que beaucoup d'écrivains se sont sérieu-
<Herod.H,20.*Aet.IV,I, 1 \Dox.p. 384;DV,1A16).*Dox. p.226-229.L'abrégélatin se trouvedans l'édition de Rosedes
fragmentsaristotéliciens.*Hécatée,frag.278(F.G.IL I, p. 19).
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 45
sèment mépris sur le caractère de la traditionl. Dans son
commentaire sur le premier livre d'Euclide, Proclus énu-
mère, sur l'autorité d'Eudèmc, certaines propositions qui,à ce qu'il prétend, étaient connues de Thalès'. L'un des
théorèmes dont il le crédite est que deux triangles sont
égaux lorsqu'ils ont un côté égal compris entre deux angles
égaux chacun à chacun. Ce théorème, il doit l'avoir connu,dit Eudèmc, car autrement il n'aurait pu, du haut d'une
tour, mesurer, de la manière dont on raconte qu'il le fit ',les distances de vaisseaux sur la mer. Nous voyons ici com-
ment toutes ces indications prirent naissance. Certains faits
remarquables en matière de mensuration étaient tradition-nellement attribués à Thalès, et l'on admettait qu'il avaitconnu toutes les propositions que ces faits impliquent.Mais c'est là une méthode d'inférence tout à fait illusoire.Le mesurage de la dislance où se trouvent des vaisseauxsur la mer, et celui de la hauteur des pyramides, qu'onlui attribue aussi \ sont des applications faciles de ce
«Voir Cantor,Vorltsungenûber GeschichtederMathematik,vol.I,p. 12sq.: Allman,Greek(ieomelryfromThaïeslo Euclid{Ilermathena,III, p. 164-174).
J Proclus,in Eucl.p. 65,7; 157,10;250,20;299.1; 352,14(Fricdlein).Eudèmeécrivitla premièrehistoirede l'astronomieet des mathéma-tiques, commeThéophrasteécrivit la premièrehistoirede la philoso-phie.
3 Proclus,p. 352,14: EÏÎTJUO;il tv tat»Ytiop.iTpixaî{totopîatçeijSaXfcvTOÛTOdvd^itxbdeiipijjia(Eucl. i, 26Vtf^vfà? xwvtvôaXdït TXOÎIUVdno-oxastvoVO'JTpOTtov»tpaslvavtovSstxvvvatTovnpTtpoiyp^a&aîçrjstvdvapaîov.Sur la méthodeadoptéepar Thalès,voir Tannery,Géométriegrecque(1887).p. 90.Je pensetoutefois,avecle D'Gow{ShortllisloryofGreekMatherxatics,%81),qu'il est fort peuprobablequeThalèsait reproduitet mesurésur terre l'énormetrianglequ'il avaitconstruiten planper-pendiculairepar dessusla mer. Pareilleméthodeeût ététrop compli-quée pour être pratique.11est beaucoupplussimplede supposerqu'ilfit usagedu seql égyptien.
*La plus ancienneversionde ce fait nousest donnéedans Diog.I,27: i ht 'ltpûvuu.0;xalcxp.tTpi)3aîçijoivaùtôvxà{i;jpa[uîaf,tx tijç oxtâçxapatjjp^oavxaot»^uîvt«op«Y»8T,çtottv.Cf.Pline, //. Nal. XXXVI,82:mensurnmaltitudinis earum deprehendereinvenit Thaïes Mileslusumbrammetiendoquahora par esse corporisolet.(JérômedeRhodesétait contemporaind'Eudème.)Ceci implique ^ulement la simple
46 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
qu'Aahmès appelle le seqt. Ces règles de mensuration peu-vent fort bien avoir été apportées d'Egypte par Thalès,mais nous n'avons aucune raison de supposer qu'il en aitsu davantage que l'auteur du Rhind-papyrus sur le» rai-sonnements dont elles étaient la conclusion. Peut-être enfaisait-il une application plus étendue que les Egyptiens ;il n'en est pas moins vrai que les mathématiques, au sens
propre du mot, n'ont commencé à exister que quelquetemps après Thalès.
VII. — THALÈSCOMMEHOMMEPOLITIQUE.
Thalès apparaît encore une fois dans les récits d'Hérodote
quelque temps avant la chute de l'empire lydien. Il pressa,nous dit l'historien, les Grecs d'Ionie de s'unir en un étatfédératif avec Teos pour capitale *. Nous aurons encore
plus d'une fois, dans la suite, l'occasion de noter que c'étaitl'habitude des anciennes écoles de philosophie d'essayerd'influencer le cours des événements politiques, et plu-sieurs circonstances, par exemple le rôle joué par Hécatéedans la révolte de Plonie, nous portent à croire que lessavants de Milet prirent une position très nette dans les
temps agités qui suivirent la mort de Thalès. C'est celteaction politique qui a valu au fondateur de l'école milé-sienne sa place incontestée parmi les Sept Sages, et c'estsurtout parce qu'il fut mis au nombre de ces grandshommes que s'attachèrent à son nom les nombreuses anec-dotes dont on lui fit honneur dans la suite *.
réflexion,queles ombresde tous les objets sont probablementégalesauxobjetsà la mêmeheure.Plutarque[Convsept.sap. 147a],indiqueune méthodepluscompliquée: TJJV{faxTi;ptavorq«a;tnl ttj*tttpattTTJCoxiaçîjv-qTtopuiùctnottt,ytvojuvovTTQticif$ TTJÇdxtïvo;îuolvtptfwvcuv,UiiÇacôvfjoxtàitpô;TTJVoxtàvXôyov»ty».TIJViwpajiiîa«poçTTJV{faxtijptavIxovoav.Ceci,commele fait remarquerle DrGow,n'estqu'unevariantedu calculavecle seqt,et peutfortbienavoirété la méthodedeThalès.
*Herod.1,170(R.P. 9d; DV1 A.4).»La prétenduechutede Thalèsdans un puits (Platon,Théét.174a)
n'estqu'unefabledestinéeà montrer l'inutilitéde la oofta; l'anecdoterelativeà la spéculationsur l'huile (Ar.Pot. A, H,1259a 6; DV 1 A10)a pourbut d'enseignerle contraire.
L'ÉCOLEMILESIENNE 47
VIII. — CARACTÈREINCERTAINDELATRADITION.
Si Thalès écrivit jamais quelque chose, ce qu'il écrivitfut bientôt perdu, et les ouvrages qui furent publiés sousson nop ne trompèrent pas même les Anciens *.Aristote
prétend avoir quelque notion des vues de Thalès ; mais ilne prétend pas savoir par quelle voie celui-ci y arriva, ni sur
quels raisonnements elles étaient fondées. Il suggère, il est
vrai, certaines explications que des écrivains postérieursrépètent comme des indications de fait, mais qu'il nedonne lui-même que pour ce qu'elles valent*. La traditionsoulève encore une autre difficulté. Plus d'une indication
d'apparence précise nous est fournie par les Placita, qui ne
repose en réalité que sur l'habitude d'attribuer « à Thalèset à ses successeurs» les doctrines en quelque sorte carac-
téristiques de la «succession» ionienne, mais nous faitl'effet d'une indication nettement relative à Thalès. Néan-
moins, en dépit de tout cela, nous ne pouvons douter
qu'Aristote ait été exactement renseigné sur les pointsessentiels. Nous avons vu dans Hécatée des traces de réfé-rences à Thalès, et il est tout à fait probable que les écri-vains postérieurs de l'école citaient les vues de son fonda-teur. Nous pouvons donc nous aventurer à reconstruire,
par conjecture, sa cosmogie, en nous guidant sur ce quenous savons de certain du développement subséquent del'écolp milésienne, car il est naturel de supposer que les
doctrines caractéristiques de celte école étaient pour lemoins esquissées dans l'enseignement de son plus ancien
représentant. Mais tout cela doit être pris pour ce qu'ilvaut, et rien de plus, car, strictement parlant, nous nesavons absolument rien de l'enseignement de Thalès.
«VoirR.P 9e.»R. P. Ibidem.
48 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
IX. — EXPOSÉCONJECTURALDE LA
COSMOLOGIEDE TllALÈS.
Les indications d'Aristote peuvent se ramener à ces trois
propositions :1. La terre flotte sur l'eaul.2. L'eau est la cause matérielle* de toutes choses.3. Toutes choses sont pleines de dieux. L'aimant
est vivant, car il a la puissance de mouvoirle fer \
La première de ces indications doit être comprise à lalumière de la seconde, qui est exprimée dans la termino-
logie aristotélicienne, mais signifie sans aucun doute qu'audire de Thalès l'eau était la chose fondamentale ou primor-diale dont toutes les autres n'étaient que des formes pure-ment transitoires. C'était justement, comme nous le ver-
rons, une substance primordiale que chercha tou.e l'école
milésienne, et il est peu probable que la première réponseà la grande question du jour ait été la réponse relativementsubtile qu'y donne Anaximandre. Et nous sommes peut-être en droit de soutenir que la grandeur de Thalès con-siste en ce qu'il fut le premier à se demander non pasquelle était la chose originelle, mais quelle est maintenant lachose primordiale, ou, plus simplement encore, de quoi lemonde est fait. La réponse qu'il fit à cette question fut :d'eau.
»Arist.Met.A3, 983b 21; de Coelo,B 13,294A 28(R.P. 10,11; DV1A12,14).Desécrivainspostérieursajoutentqu'il donnaitcelacommeune explicationdes tremblementsde terre (ainsiAet.III, 15,1); maiscette allégationest probablementdue à un commentateurd'Homèreférud'allégorie(Append.%11),quivoulaitexpliquerl'épithètctwosîyatoç.Cf.Diels,Dox.,p.225.
*Met.A3, 983b 20(R.P. 10).J'ai dit «causematérielle», parcequetfjcTOiowTijîàp-/i}ç(b 19)équivautà TTJÎtvûXijçtîîtt dpx>)Ç(b7).
3Arist.de An. A5, 411a 7 (R.P. 13);ib.2, 405a 19(R.P. 13a; DV1 A22).Diog.I, 24(R. P. ib.) ajoute l'ambre. Cette indicationvientd'Hésychiusde Milet,car ellese trouvedans la scholiede Par. AsurPlaton,Rep.600A.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 40
X. — L'EAU.
Aristote et Théophraste, suivis de Simplicius et des
doxographes, suggèrent plusieurs explications de cette
réponse. Ces explications, Aristote les donne comme con-
jecturales ; seuls, les écrivains postérieurs les reproduisentcomme tout à fait certaines '. Le plus probable semble être
qu'Aristote attribua simplement à Thalès les argumentsdont se servit plus tard Hippon de Sairos pour défendreune thèse analogue*. Ainsi s'expliquerait leur caractère
physiologique. Le développement de la médecine scienti-
fique avait rendu les arguments biologiques très popu-laires au Ve siècle ; mais, à l'époque de Thalès, ce à quoil'on s'intéressait surtout, ce n'était pas la physiologie,mais bien plutôt ce que nous appellerions la météorologie,et c'est par conséquent de ce point de vue que nous devons
essayer de comprendre la théorie.
Or, il n'est pas très difficile de se rendre compte com-
»Met.A,3,983b 22; Act. I, 3, 1; Simpl.Phys. p. 36,10(R. P. 10,12,12a). La dernièredes explicationsdonnées par Aristote,à savoir queThalès fut influencé par des théories cosmogoniquesantérieuressurOkéanoset Téthys a étrangementété supposéeplus historiqueque lereste, alors que c'est une simpleboutadede Platon prise à la lettre.Platon dit plus d'une fois (Thl. 180d 2; Crat. 402b 4)qu'Heracliteetses prédécesseurs (ol p'tovrtç)dérivèrent leur philosophied'Homère(/{.XIV,201),et même de sourcesplus anciennes(Orph.frg. 2, Diels,Vors.V*éd. p. 491,2«éd. p. 66B 2). En citant cette suggestion,Aris-tote l'attribue à <quelques-uns», —terme qui signifiesouventPlaton,—et 11appelleles initiateurs de la théorie*ap.itaXato-j;,commel'avaitfait Platon (Met.A 3, 984b 28; cf. Thl. 181b 3). C'est là un exemplecaractéristiquede la manièredontAristotepuise l'histoirechezPlaton.VoirAppend.%2.
* Cf.Arist. deAn.A.2, 405b 2 (R.P. 220;DV26A10)avec les pas-sagescités dans la note précédente.Lamêmesuppositionest faitedansla 5*éditionde Zeller(p. 188,n. 1),queje n'avais pas vue quand j'aiécrit la phrase ci-dessus. Dôring, Thaïes [Zeitschr.f. Philos. 1896,p. 179sq.) exprime la même opinion. Nous savons maintenant que,bien qu'Aristotese refuse à considérerHipponcommeun philosophe(Met.A.3, 984a 3; R. P. 219a ; DV26A7), il était discutédans l'his-toire de la médecineconnue sous le nom'de Iatrika et attribuée àMénon.VoirDielsdans Hermès,XXVHI,p. 420(DV26A 11).
PHILOSOPHIEGRECQUB 4
50 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
ment des considérations de nature météorologique condui-sirent Thalès à adopter l'opinion qu'il soutint. De toutesles choses que nous connaissons, c'est l'eau qui paraitprendre les formes les plus variées. Elle nous est familièreà l'état solide, à l'état liquide et à l'état de vapeur, de sorte
que Thalès peut fort bien s'être imaginé voir se déroulerdevant ses yeux le processus du monde, partant de Peau
pour revenir à l'eau. Le phénomène de l'évaporation éveillenaturellement partout l'idée que le feu des corps célestesest entretenu par l'humidité qu'ils tirent de la mer. Mêmede nos jours, quand les rayons du soleil deviennent visibles,les gens des campagnes disent que « le soleil pompe l'eau».L'eau retombe sur la terre sous forme de pluie, et finale-
ment, à ce que pensaient les premiers cosmologucs, elle setransforme en terre. Cela nous parait étrange, mais peutavoir paru plus naturel à des hommes familiers avec lefleuve d'Egypte, qui avait formé le Delta, et avec ces tor-rents de l'Asie-Mineure qui déposent de si abondantesalluvions. A l'heure qu'il est, la baie de Latmos, au bordde laquelle s'élevait Milet, est complètement comblée.
Enfin, pensaient-ils, la terre redevient eau — idée déduitede l'observation de la rosée, des brouillards nocturnes etdes sources souiciraines. Car, dans les temps primitifs, onne supposait pas que celles-ci eussent le moindre rapportavec les pluies. Les «eaux sous la terre» étaient regardéescomme une source d'humidité entièrement indépendante 1.
XL — THÉOLOGIE.
De l'avis d'Aristote lui-même, la troisième des proposi-tions énoncées plus haut implique que Thalès croyait àune « âme du monde», mais le Stagirite a bien soin de faire
>L'opinionici expriméeressemblefort à celle de l'interprétateurallégorisantd'Homère,Heraclite(R. P. 12a). Maiscettedernièreestaussi une conjecture,probablementd'originestoïcienne,commelesautres sontd'originepéripatéticienne.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 51
remarquer que ce n'est là qu'une inférence '. La doctrinede l'âme du monde est ensuite attribuée à Thalès d'unemanière tout à fait positive par Aétius ; celui-ci l'exprimedans la phraséologie stoïcienne qu'il trouva dans sa source
immédiate, et identifie le monde-intellect avec Dieu*. Cicé-ron trouva un exposé analogue de la question dans lemanuel épicurien dont il se servait, mais il fait *.u\pas de
plus. Eliminant le panthéisme stoïcien, il fait du monde-intellect un démiurge platonicien, et affirme que, selon
Thalès, il y avait un esprit divin qui formait toutes chosesde l'eau •• Tout cela est dérivé de la prudente déclaration
d'Aristote, et ne peut avoir une autorité plus grande quecelte déclaration. Nous n'avons donc pas à nous occuperde la vieille question controversée de savoir si Thalès étaitou n'était pas athée. En réalité, elle n'a pas de sens. Sinous en jugeons par ses successeurs, il peut fort bien avoir
qualifié l'eau de divine, mais s'il avait une croyance reli-
gieuse quelconque, nous pouvons être certains qu'ellen'avait aucun rapport avec sa théorie cosmologique.
Nous ne devons pas attacher trop d'importance non plusà cette déclaration que « toutes choses sont pleines dedieux». On l'interprète souvent en ce sens que Thalès attri-buait une « vie plastique » à la matière, ou qu'il était «hylo-zoïste». Nous avons déjà vu à quels malentendus cettemanière de parler pouvait prêter ', et nous ferons bien del'éviter. Il serait dangereux de considérer un apophtegmede ce genre comme preuve de quoi que ce soit ; il y a deschances pour que Thalès l'ait prononcé en sa qualité de
*Arist.deAn.A,5, 411a 7(R.P. 13; DV1A22>.*Aet. I, 7, 11= Stob. I, 56(R.P. 14; DV1A 23).Sur les sources
indiquéesici,voirAppend.,%11,12.»Cicéron,deNat. D. 1,10,15(R.P. 13b: DV1A 23).Sur la source
de Cicéron,voirDox.p. 125,128.Le papyrus de PhilodèmetrouvéàHerculanuma malheureusementune lacunejuste en cet endroit,maisil n'est pas probableque le manuelépicurienait anticipésur la mé-prisede Cicéron.
*VoirIntrod.§VIL.
52 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
«Sage » plutôt qu'en sa qualité de fondateur de l'écolemilésienne. D'ailleurs, des maximes comme celle-là sontIn plupart du temps anonymes au début, et sont attribuéestantôt à un Sage, tantôt à l'autre '. D'autre part, Thalès atrès probablement dit que l'aimant et l'ambre avaient desAmes. Ce n'est pas là un apothtegme, mais une propositionqui peut aller de pair avec celle qui fait flotter la terre surl'eau. C'est, de fait, justement ce que nous pourrions nousattendre à trouver dans une remarque d'Hécatée sur Thalès.On aurait tort, cependant, d'en tirer des conclusions quantà ses vues sur le monde ; car de dire que l'aimant etl'ambre sont vivants, c'est donnera entendre que les autreschoses ne le sont pas *.
XII. — ANAXIMANDRE.SA VIE.
Le premier nom qui soit venu à nous après celui deThalès est celui d'Anaximandre, fils de Praxiadès. Luiaussi était citoyen de Milet, et Théophraste en parle commed'un « associé » de Thalès *. Nous avons vu comment cette
expression doit être comprise (Introd. § XIV).Suivant Apollodore, Anaximandre avait soixante-quatre
ans dans la deuxième année de la LVIIIe Olympiade (547-6),et cela nous est confirmé par Hippolyte, qui le dit né dans
la troisième année de la XLIIe Olympiade (610-9), et parPline, qui place dans la LVIII* Olympiade sa découverte
» Platon cite le mot tiisxawXf4p7jôtûv dans les Lois,899b 9 (R. P.14ci;DVI A22),sans mentionnerThalès.Le mot attribué à Heraclitedans le depart. An.A,5,645a 7,parait n'êtrequ'unevariantedecelui-ci. DansDiog.IX,7 (R. P. 46d), on met sur le compte d'Heraclitecetteaffirmation: itdvtai^âv eîvatxaloatpovtuvuXfjpjj.
*Bâumker,DasProblemder Materie,p. 10,n. 1.* R. P. 15d. Queles motsitoXtnjîxalétaîpo;,donnéspar Simplicius,
deCtelo,p. 615,13(DV2, 17),soient ceuxqu'avait employésThéo-phraste lui-même, cela ressort de la concordancequ'offre Cicéron,Acad. II, 118,populariset sodalis.Lesdeuxpassagesreprésententdesbranches tout à fait indépendantesde la tradition. Voir Append.SI7,12.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 53
de l'obliquité du Zodiaque ». Il semble que nous ayons ici
quelque chose de plus qu'une simple combinaison du typeordinaire : car, d'après toutes les règles de la chronologiealexandrine, Anaximandre aurait «fleuri» en 565 avant
J.-C, c'est-à-dire exactement à égale distance de Thalès et
d'Anaximène, et alors il aurait eu, en 546, non pas soixante-
quatre ans, mais soixante. D'autre pr.rl, Apollodore paraitavoir dit qu'il avait en mains l'oeuvre d'Anaximandre, et
s'il l'a dit,'ce doit être parce qu'il y trouva quelqueindication qui lui permit d'en fixer la date sans recou-
rir à une conjecture. Diels suggère qu'Anaximandre
peut avoir indiqué Page qu'il avait — soixante-quatre ans— au moment où il écrivait, et que le livre renfermait
quelque autre indication prouvant qu'il avait été publié en
547-6*. Mais cela ne tient peut-être pas suffisamment
compte du fait que l'année donnée est justement celle qui
précéda la chute de Sardes et la soumission de l'empire
lydien par les Perses. Il serait plus plausible de conjecturer
qu'Anaximandre, écrivant quelques années plus tard, fit
incidemment mention de l'âge qu'il avait à l'époque de cette
grande crise. Nous savons parXénophane que la question:«Quel âge aviez-vousquand le Mède apparut?» était de
celles qu'on aimait à poser en ces temps-là *.Dans tous les
cas, nous avons, semble-t-il, des raisons de croire qu'Anaxi-mandre était d'une génération plus jeune que Thalès. Quantà la date de sa mort, nous ne savons rien de certain 4.
»Diog.II.2 (R.P. 15);Hipp.Réf.1,6(Dox.p. 560;DV20,11); Pline.V.//. II, 31(DV2,5). La date de Plinevient d'Apollodorepar l'inter-médiairede Nepos.-
»Rhein.Mus.XXXI.p. 24.*Xénophanc.frg. 22 (frg.17,Karstcn;R. P. 95a). Jacoby (p. 180)
pensequ'Apollodorcfixa l'akmè d'Anaximandrequarante ans avantcellede Pythagore,c'est-à-direen 572-1avantJésus-Christ,et que l'in-dicationrelativeà sonâgeen 547-6estune simpleinférencctirée de là.
* L'indicationd'aprèslaquelleil «mourutbientôtaprès (Diog.H,2;R.P. 15)semblesignifierqu'Apollodorcle faisait mourir l'annéedeSardes(546-5),une de sesépoquesrégulières.S'il en est ainsi, Apollo-dorene peutpasavoirdit aussiqu'il florissaitdu tempsde Polycrate,et Dielsa probablementraisonde supposerque cette notice se rap-porteà Pythagore,et qu'ellea été inséréeà la mauvaiseplace. ,
54 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
Comme son prédécesseur, Anaximandre se distingua parcertaines inventions pratiques. Quelques écrivains lui ontfait honneur de celle du gnomon, mais très probablementà tort. Hérodote nous dit que cet instrument vint de
Babylone ; peut-être fut-ce Anaximandre qui le fit con-naître aux Grecs. Il fut aussi le premier à dessiner une
carte, et Eratosthène prétend que ce fut cette carte qui futensuite retouchée par Hécatée *.
XIII. — THÉOPHRASTEET LATHÉORIED'ANAXIMANDRESUR LA SUBSTANCEPRIMORDIALE.
Presque tout ce que nous savons du système d'Anaxi-mandre dérive, en dernière analyse, de Théophraste*.Quant au degré de confiance que mérite ce qu'on nous
rapporte sur l'autorité de ce dernier, il suffira de remarquerque l'oeuvre originale, qu'ApoIlodore eut entre les mains,existait certainement encore de son temps. De plus,Théophraste semble avoir, au moins une fois, cité les
propres termes d'Anaximandre, dont il critiqua le style.Voici les restes de ce qu'il disait de lui dans son Ier livre :
Anaximandre de Milet, fils de Praxladès, concitoyen et associéde Thalès*, disait que la cause matérielle et.l'élément premierdes choses était l'infini, et il fut le premier à appeler de cenom la cause matérielle. Il déclare que ce n'est ni l'eau ni
1Sur le gnomon,voir Inlrod. p. 30,n. 2, et cf. Diog.II,I (R. P. 15);Herod.11,1C9(R. P. 15ci; DV2, 4), D'autrepart, Pline attribue l'in-ventiondu gnomonà Anaximènc(.V.//. II, 87).La vérité parait êtreque l'érectionde gnomonscélèbresétait traditionnellementattribuéeù certainsphilosophes.Celuide Délospassaitpouravoirété établiparPhérécyde.Ausujet de la carte,voirAgathcmerosI, 1: 'Ava;î[tavîpo;iMtXtato;ixO'jJtfj;6aXto>r.pôito;itôXp.TjatTTJVoi*ov>[«vj}vtv fttvaxtïpd-Jm,ut&ôv'Exatato;6 MIXTJ9IOÎàvrjpitoXwtXavqcitijxpi^tustv,watt&aup.aa&J}vitt9 reporta.Celteindicationprovientd'Kratosthènc.
*Voirle tableauque donne Dielsdesextraitsde Théophraste,Dur.p. 133;Vors.p. 13sq. Dansce cas et dans d'autres, oi'iles termesdel'originalont été conservéspar Simplicius,je lesai donnésseuls.Surlesdiversécrivainscités, voirAppendice,g9 sq.
1Simpliciusdit « successeuret disciple» (itaîo^o;xalputOijtrçç)dansson commentairesur la Physique,matsvoir plus haut, p. 52, note3.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 55
aucun autre des prétendus éléments ', mais une substance dif-férente de ceux-ci, qui est infinie, et de laquelle procèdent tousles cieux et les mondes qu'ils renferment. Phys. Op.,fr. 2 (Dox.p. 476,R. P. 16; DV,2, 9).
11dit qu'elle est éternelle et toujours jeune, et qu'elle envi-ronne tous les mondes (Hipp. Réf. I, 6 (R. P. 17a; DV2, 11,1).
Et les choses retournent k ce dont elles sont sorties " commeil est prescrit ; car elles se donnent réparation et satisfactionles unes aux autres de leur injustice, suivant le temps marqué »,comme il le dit en ces termes quelque peu poétiques*. Phys.Op. fr. 2(R. P. 16;DV2, 9).
Et à part cela, il y avait un mouvement éternel au coursduquel s'accomplit la naissance des mondes. Hipp. Réf. I, 6(R. P. 17a; DV2.11, 2).
11n'attribuait pas l'origine des choses à quelque modificationde la matière, mais il disait que les oppositions dans le subs-tratum, qui était un corps illimité, furent séparées. —Simpl.Phys., p. 150,20 (R. P. 18).
XIV. — LA SUBSTANCEPRIMORDIALEN'ESTPAS UN DES«ÉLÉMENTS».
Anaximandre enseignait donc qu'il y avait une subs-tance éternelle et indestructible, dont toute chose naît et à
laquelle toute chose retourne, provision illimitée qui sup-plée continuellement à la dépense qu'entraîne l'existence.Ce n'est là que le développement naturel de la pensée quenous nous som nés hasardé à attribuer à Thalès, et il esthors de doute qu'Anaximandre — s'il ne la reçut de luitoute formulée — la formula lui-même distinctement. De
fait, nous pouvons suivre encore jusqu'à un certain pointle raisonnement qui l'y conduisit. Thalès avait regardé
1Sur l'expressionta xaXoûp-tvaotoc/ila,voirDiels,Etementum,p. 25,n. 4. En raisonde cefait, nousdevonsgarderla leçondesmanuscrits,tîvat,au Heud'écrire vjvtavecUsener.
*Diels(Vors.p. 13)commencela citationproprementdite par lesmots: tÇtuvît iqYtvtatç..-L'usagegrec,qui est de fondreles citationsdans le texte,s'y oppose.11est très rare qu'un écrivaingrec ouvrenbruptementune citation littérale.11est d'ailleursplussûr de ne pasattribuerà Anaximandrelestermesflvtstcet «pdopdidans le senstech-niqueque leur donnePlaton.
56 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
Peau comme étant, de toutes les choses que nous connais-
sons, celle dont il est le plus probable que toutes lesautres ne sont que des formes ; Anaximandre parait s'êtredemandé comment la substance primordiale pouvait êtreune de ces choses particulières. Son raisonnement semblenous avoir été conservé par Aristote, qui a écrit le passagesuivant dans sa discussion de l'infini :
D'ailleurs, il ne peut pas y avoir un corps un et simple quisoit infini, ni, comme le prétendent quelques-uns, un corps dis-tinct des éléments —lesquels en dérivent ensuite —ni un corpssans cette qualification. Car il est des philosophes qui font dece corps (distinct des éléments) l'infini, au lieu de le placer dansl'air ou dans l'eau, pour éviter que les autres choses ne soientdétruites par leur infinité. Ils (les éléments) sont en oppositionl'un à l'autre —l'air est froid, l'eau humide, et le feu chaud —et c'est pourquoi, si l'un d'eux était infini, les autres cesseraientd'exister à l'instant. Aussi ces philosophes disent-ils que l'infiniest autre chose que les cléments, et que c'est de lui que ceux-ciprocèdent. Arist. Phys. T, 5, 204b 22(R. P. 16b ; DV,2, 16).
Il est évident que, dans ce passage, Anaximandre est
opposé à Thalès et à Anaximène. Il n'y a d'ailleurs aucuneraison de douter que le résumé donné de son raisonnementne soit correct en substance, quoiqu'il soit aristotélicien au
point de vue de la forme et que la mention des « éléments »soit un anachronisme *. Anaximandre fut frappé, semble-
t-il, de l'opposition qui existe entre les choses qui consti-tuent le monde et la lutte qu'elles se livrent ; le feu, qui est
chaud, il le voyait opposé à Pair froid, la terre, qui est
sèche, à la mer, qui est humide. Ces adversaires étaient en
guerre, et toute prédominance de l'un sur l'autre était une
«injustice» dont ils se devaient réciproquement répara-tion *. Nous pouvons supposer que l'enchaînement de ses
1 La conceptiond'élémentsne remontepas au-delàd'Empédocle(j 106)et le mot atot^tta,qui est correctementtraduit par elementa,a étéemployépour la premièrefolsdans ce senspar Platon.Sur l'his-toiredece terme,voirDiels,F.lementum(1899).
»Lemot importantdXXqXotca été omisdansl'Aldinede Simplicius,maisil se trouve dans tous les manuscrits.Nousverronsque, chezHeraclite,«justice>signifieobservationd'une balanceégale entre leschosesqui furentappeléesplus tard les éléments({72).Voiraussi In-trod., p. 32,note1.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 57
pensées était le suivant. Si Thalès avait eu raison de dire
que l'eau était la réalité fondamentale, il ne serait pasfacile de voir comment n'importe quoi d'autre aurait
jamais pu exister. Un côté de l'opposition, le froid et
l'humide, eût pu se donner libre carrière, l'injustice aurait
prévalu, et le chaud et le sec auraient depuis longtemps étémis hors de cause. Nous devons donc avoir quelque chose
qui ne soit pas l'un des opposés en guerre que nous connais-
sons, quelque chose de plus primitif, d'où ces opposésprennent naissance et dans lequel ils se retransforment.
Qu'Anaximandre appelât ce quelque chose du nom de <po?<ç,les doxographes le prouvent ; l'opinion courante que le mot
otpy/i,dans le sens de « principe premier» fut introduit parlui, est probablement due à une fausse interprétation du
texte de Théophraste 1.
XV. — L'ANALYSEARISTOTÉLICIENNEDE LA THÉORIE.
Il était naturel pour Aristote de regarder cette théoriecomme une anticipation ou comme un pressentiment desa propre doctrine de la «matière indéterminée *». Il savait
>Si les mots cités de Théophrastepar Simplicius,Phys. p. 24,15(R.P. 16;DV2,9) étaientisolés,personnene les aurait jamais inter-prétésen cesensqu'Anaximandrcappelaitl'Illimitéàpx^*Onles auraitnaturellementtraduits : «ayant été le premier à introduire ce nom(i.e.xbônttpov)pourl'dpxq»; maislestermesd'Hippolyte(Rep.1.6,2):np&toîto'ivop.3xaXIsacT5)ÎdpxV'ont C0(,duitpresque tous les savantsà comprendrele passagedans son sens le moins évident. Toutefois,•noussavonsmaintenantqu'Hippolyten'est pas une autorité indépen-dante, mais reposeentièrementsur Théophraste; il est donc natureld'admettre que sn source immédiate,ou lui-mêmeou un copiste,alaissétomberle mottoOtodevantto-jvojia.et corrompuxop-taacen xalt-ca«.Il n'est pas croyableque Théophrasteait donné les deux indica-tions.L'autre passagede Simpliciuscomparépar Uscner(p. 150,23);r.pôtojaùt&cdpxqvovopaaacti ûxoxit(itvov,me parait n'avoirrienà faireavecla question.Hsignifiesimplementqu'Anaximandrefut le premierà nommerle substratum«causematérielle», ce qui est un point toutdifférent.C'estainsiqueNeuhâusercomprendlepassage(Anaximander,p. 7 sq.),matsje ne puisadmettreavec lui quele motûnoxt([itvovsoitattribuéau Milésicn.
Arist.Met.A,2,1069b 18(R.P. 16,e; DV46A,61).
58 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
très bien, naturellement, qu'il en était bien lui-même l'au-
teur; mais il est conforme à sa méthode de représenterses propres théories comme la formulation précise devérités que des penseurs plus anciens n'avaient fait quepressentir. Il fallait donc s'attendre à ce qu'il exprimât par-fois les vues d'Anaximandre dans les termes mêmes dontil s'est servi pour exposer sa théorie des «éléments». Ilsavait aussi que l'Illimité était un corps 1; quoiqu'il n'y eût
pas de place, dans son propre système, pour une chose
corporelle antérieure aux éléments ; il devait donc en par-ler comme d'un corps illimité «à côté» ou «distinct» deséléments (irocparà OTOiytvx).Personne n'a mis en doute, àma connaissance, qu'en employant cette expression il n'aiteu en vue Anaximandre.
Dans nombre d'autres passages, Aristote parle d'un pen-seur que, par hasard, il ne nomme pas, et qui soutenait
que la substance primordiale était quelque chose d'« in-termédiaire » entre les éléments ou entre deux d'entre eux*.
Presque tous les commentateurs grecs rapportaient celaaussi à Anaximandre, mais la plupart des écrivainsmodernes s'inscrivent en faux contre celte opinion. Sans
doute, il est facile de montrer qu'Anaximandre ne peutjamais avoir songé à décrire l'Illimité de cette manière,mais ce n'est pas là une objection réelle à l'antique inter-
prétation. Il est difficile de comprendre qu'on se rende pluscoupable d'anachronisme en disant que l'Illimité est « inler-
>Celaest tenu pour prouvédansPhys. I\ 4,203a 16;204b 22(R.P16b) et affirméd?-s I\ 8, 208a 8 (R.P. 16a ; DV2, 14).Cf.SimpL.Phys. p. 150,20(R.P. 18).
*Aristotepariequatrefoisde quelquechosed'intermédiaireentre leFeuet l'Air(Oen.Corr.B, t. 328b :»5;ib.5.332a 21; Phys.A,4,187a,14;Met.A,7, 988a 30).En cinq passages,nous trouvonsun intermé-diaireentrel'Eau et l'Air(Met.A,7.988a 13;Gen.Corr.R,5.332a 21;Phys. r, 4. 203a 18; ib. 5.205a 27; de Culo,Y,6. 303b 12).Unefols(Phys.A,6. 189b 1), il parle d'un intermédiaireentre l'Eau et le Feu.Cettevariationfait voir tout de suite qu'il ne parlepas en historien.Si jamais un penseur quelconquesoutint la doctrine de to |Uta£tf,Aristotedevait savoirparfaitementbiende quelsdeuxéléments11vou-lait parler.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 59
médiaire entre les éléments», qu'en le disant «distinct des
éléments », et, en vérité, du moment que l'on introduit les
éléments dans la définition, la première forme est, sous
plusieurs rapports, la plus adéquate des deux. Dans tous
les cas, si nous nous refusons à admettre que ces passagesvisent Anaximandre, nous devrons dire qu'Aristote témoi-
gnait un vif intérêt à un vieux penseur, dont le nom même
s'est perdu, et qui non seulement partageait quelques-unesdes opinions d'Anaximandre, mais qui, comme le montrecertain passage, employait quelques-unes de ses expres-sions les plus caractéristiques 1. Nous pouvons ajouterqu'en un ou deux endroits Aristote a tout Pair d'identifierl'« intermédiaire » avec le «.distinct» des éléments *.
Il y a même un passage dans lequel il semble parler del'infini d'Anaximandre comme d'un «mélange », quoique letexte puisse peut-être admettre une autre interprétation *.Mais cela n'est d'aucune conséquence pour notre interpré-tation d'Anaximandre lui-même. Il est certain qu'il ne peutrien avoir dit des « éléments », auxquels personne ne pen-sait avant Empédocle, et ne pouvait penser avant Parmé-
1Arist. de Coelo,Y,5.303b 12: ûîatoçjitvXtittôttpov,àtpoî 81rcoxvô-ttpov,S ictpttj(civ(pasîitivtac to-lçoùpavoùcàitttpovêv.Que cela se rap-porteà Idaiosd'Himéra,commele suggèreZeller(p.258),celasembletrès improbable.Aristotene mentionnenullepart son nom,et le tondont il parle d'HIpponà Met.A,3.984a 3 (R.P. 219a ; DV26A7)montre que, selontoute vraisemblance,11n'accordaitpas beaucoupd'attentionauxépigonesde l'écolemilésienne.
»Ct.Phys.T. 5.204b 22(R. I».16b),où Zellerrapporteavecraisontô itapàta etotxttsà Anaximandre.Or, à la fin (205a 25), le passageentierest résumécommesuit: xal2tàtoOr'où&tlcta tv xal àitttpovnOptTtotrjutvoùilyfcvtûvfvstoXÔYwv,dXX'tju&apîjàlpaij tô tiisovautâv.DansG'en.Corr.B, 1.328b 35,nousavonsd'abord tt uttaÇ'jtoûtav«<&p.dttôvxal^(optstov,et un peuplusloin (329a 9): ;i!avûXijvrcapata ttpijp-Iva.DansB,5.332a 20,nousavons: oi jtljvoui'âXXott ft itapàtaSta,otovjtlaovtt dlpoîxalCîatocî)Mpocxaliwpoç.
»Met.A,2, 1069b 18(R.P. 16c; DVM6a 61).Zeller(p. 205,n. 1)suppose,c cin nachlâssigesZeugma». Je préféreraisdire que ce xalEuiuioxMouctô (ttT|iaa été ajouté après coup,et qu'Aristotevoulaitdire en réalité: to 'AvaSayôpou&»••••xal>Ava£t{iavo'po*j.Phys.A,4.187a20n'attribuepaslec mélange»à Anaximandre.
60 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
nide. Si nous mentionnons la question, c'est uniquementparce qu'elle a fait l'objet d'une longue controverse S et
parce qu'elle jette une vive lumière sur la valeur historiquedes indications d'Aristote. Du point de vue de son propresystème, ces indications sont abondamment justifiées,mais nous devrons nous souvenir, dans d'autres cas,
que lorsqu'il semble attribuer une idée à quelque penseurancien, nous ne sommes pas le inoins du monde tenus
de, prendre au sens historique ce qu'il nous dit, et de lecroire.
XVI. — LA SUBSTANCEPRIMORDIALEEST INFINIE.
La raison qui conduisit Anaximandre à concevoir lasubstance primordiale comme infinie fut, à n'en pasdouter, celle qu'indique Aristote, à savoir a que le devenirne devait subir aucune interruption*». Il n'est pas pro-bable, cependant, qu'il se soit exprimé dans ces termes,bien que les doxographes les rapportent comme étant delui. Il nous suffit, à nous, de savoir que Théophraste, quiavait vu son livre, lui attribue la pensée. Et certainementla façon dont il concevait le monde devait lui faire sentiravec une force peu commune la nécessité d'une provision,illimitée de matière. Les «opposés» dont notre monde estfait sont, nous l'avons vu, en guerre les uns avec les autres,et leur lutte est marquée «d'injustes» empiétements de
1Pour la littérature de celte controverse,voir R. P. 15.Ujievivelumièrea été jetée sur cette questionet des questionssimilairesparW.A.Heldcl,QualitativeChangein Pre-SocrallcPhilosophy(Arch.XIX,p.333).
*Phys. Y.8.203a 8 (R.P. 16a; DV2, 14).Que cela se rapporte àAnaximandre,cela ressort de Aet.V, 3, 3 (R.P. 16a; DV2,14). LemômeargumentestdonnédansPhys.Y,4.203b 18,passagedanslequelAnaximandrevient d'être nommépar son nom, t<j>oûta>«àvpiôvov(iî}iitoXtîiuivytvtoivxal «fOopâv,d àitttpovt'ij 60ivdeatptttattô Y'Y^r1"0*-Je nepuiscroire,cependant,queles argumentsdonnésaucommence-mentde cechapitre(203b7; R. P. 17; DV2,15)soientd'Anaximandre.Ils portent le cachetde la dialectiqueéléate,et sont, en fait, ceuxdeMélissos.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 61
l'un sur l'autre. Le chaud commet une « injustice» en été,le froid en hiver. Pour que l'équilibre se rétablisse, il faut
qu'ils soient réabsorbés dans leur principe commun, et cela
conduirait à la longue à la destruction de toute chose sauf
de l'infini lui-même, s'il n'y avait de celui-ci une quantité
inépuisable, d'où les composés puissent continuellementse séparei-' à nouveau. Nous devons donc nous représenterune masse infinie, qui n'est aucun des opposés que nous
connaissons, et qui s'étend sans bornes de chaque côté des
cieux qui entourent le monde où nous vivons *.Cette masseest un corps, et c'est d'elle qu'émergea un jour notre monde
par la sépara»?an des opposés ; ceux-ci seront réabsorbésune fois, les uns comme les autres, dans l'Illimité, et notremonde cessera d'être.
XVII. — L'ÉTERNELMOUVEMENT.
Les doxographes disent que ce fut l'« éternel mouve-ment» qui fit naître «tous les cieux et tous les mondes
qu'ils renferment». Comme nous l'avons vu (§ VIII), iln'est pas probable qu'Anaximandre lui-même ait employél'expression d'« éternel mouvement». Bien plutôt est-ceAristote qui y a eu recours pour désigner ce que son prédé-cesseur appelait la «séparation » des opposés. On ne nousdit pas expressément comment celui-ci concevait ,ce pro-
} Je suispartide l'idéeque le motàitttpovsignifieinfinidansl'espacequoiquenondansun sensprécisémentmathématique),et non quali-tativementindéterminé,commelesoutiennentTcichmûllcret Tonnery.Lesraisonsdécisivesde croireque le sens du motest «illimitédansl'espace»sontles suivantes: 1»Théophrastea dit que la substancepri-mordialed'Anaximandreétait àitttpovet contenaittous lesmondes,et lemotitipitytivsignifiepartout *embrasser,envelopper»,et non,commeon l'a suggéré,«contenirpotentiellement».2°Aristotedit {Phys.Y,4208b23): ità jàp tô iv rj}voqstiu{)ûitoXttnttvxal6 àptOpôcSoxttditttpoctlvatxalta uaéijjtattxàptylOi)xalta l£<ntoi)oùpavod*àitttpovVtvtoctoOt£a>,xal«fflp.aàitttpovtlvatîoxttxalxospiot.3*Lathéorieanaximandrlennedel'àitttoovfutadoptéeparAnaximène,qui identifial'àitttpovavecl'Air,lequeln est pasqualitativementindéterminé.
62 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
cessus, mais le terme de t séparation » fait supposer qu'ils'opérait par des secousses et par un criblage. Or, c'est
justement un processus de ce genre que Platon fait décrireau Pythagoricien Timée, et l'hypothèse la plus probableest certainement que là, comme dans beaucoup d'autres
cas, il a reproduit une Opinion vraiment ancienne. Commenous le verrons, il est tout à fait vraisemblable que les
Pythagoriciens suivirent sur ce point Anaximandre 1. Danstous les cas, c'est un tort d'identifier l'« éternel mouve-ment » avec la révolution diurne des cieux, comme on l'afait quelquefois. Il n'est pas possible que ce mouvementsoit éternel, pour la simple raison que les cieux eux-mêmessont périssables. Aristote dit, il est vrai, que tous ceux quicroient que le monde est né se représentent que la Terre aété poussée au centre par le mouvement circulaire *; mais
quoique cette phrase vise certainement Anaximandre àcôté d'autres personnes, elle ne prouve absolument rienici. Elle ne concerne la lormation du monde qu'une fois
qu'il a été définitivement séparé et enfermé dans son
propre ciel, et nous aurons à nous en souvenir quand nousarriverons à cette partie de la théorie. Pour le moment,nous n'avons affaire qu'au mouvement de l'infini lui-
même, et si nous désirons nous le représenter, il est beau-
coup plus sûr d'y voir une sorte de secousse de haut en baset de bas en haut, en suite de laquelle les opposés sortent
de la masse infinie.
>Platon, Tînt.52 e, où les élémentssont séparéspar le fait qu'ilssont agités, secouéset emportésen des directionsdiversesteexacte-ment comme,par describleset des Instrumentspourvannerle blé, legrain est secouéet criblé, et les parties denseset lourdesvontd'uncôté,et les rareset légèressont portéesen un lieu différentet s'y dé-posent.»Sur la relationdu PythagorlsmeavecAnaximandre,voirplusloin, f53.
»Arist.de Ceelo,B,13.295a 9. L'identificationde l'éternel mouve-ment avecla révolutiondiurneest défendueavecInsistancepar Teich-mflller, et est l'origineréelle de la très peu naturelle interprétationqu'il donnedu mot àitttpov.11était évidemmentdifficilede créditerAnaximandrede la croyanceen un corpsInfiniqui se meutclrculalre-ment.La théorietout entière reposesur uneconfusionentre le xiouot
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 63
XVIII. — LES MONDESINNOMBRABLES.
On nous dit plus d'une fois que, selon Anaximandre, il
y avait des « mondes innombrables dans l'infini 1», et il est
d'usage, actuellement, d'y voir avec Zeller une série infiniede mondes se succédant les uns aux autres dans le temps.L'historien allemand, on peut le concéder tout de suite, aréfuté d'une manière décisive l'idée que les mondes sontcoexistants et éternels. Supposer qu'Anaximandre regardâtce monde ou quelque autre comme éternel, c'est contre-dire directement tout ce que nous savons d'autre part, etnotamment la tradition théophrastique selon laquelle il
enseignait que le monde était périssable. Nous avons doncà décider entre ces deux opinions : 1° Quoique tous lesmondes soient périssables, il peut en exister un nombreillimité on même temps ; 2° Il ne naît jamais un mondenouveau avant que l'ancien ait péri. Or Zeller reconnaît *
qu'il n'y a rien, dans la première de ces vues, qui ne puissese concilier avec ce que nous savons d'Anaximandre, maisil est d'avis que toutes les indications qui nous sont par-venues sur ce point portent à admettre plutôt la seconde.Il me semble à moi que ce n'est pas du tout le cas, etcomme la question est d'une importance fondamentale, ilest nécessaire de l'examiner une fois de plus.
En premier lieu, la tradition doxographique prouve queThéophraste a discuté les. vues de tous les anciens philo-sophes sur la question de savoir s'il y avait un seul mondeou s'il y en avait un nombre infini, et il est hors de doute
sphériqueet fini, qui est renfermédans l'oùpavéc/etl'infini lupUgovquiest en dehors de lui.
<[Plut.]Sirom.frg.2 (R.P. 21b\ DV2, 10).L'Interprétationla plus'naturelledesmotsdvaxuxXoujUvtovitâvtwvaùtâvestdelesrapporter&uneaSaxJxXqatcou cyclede jlvtatcet de çftopddansch.v.und'unemultitudede mondescoexistants.Ceserait unebien étrangeexpressionpourdé-signerune successionde mondesisolés.
*Zeller,pp. 234sq.
64 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
que lorsqu'il attribuait des «mondes innombrables» aux'
Atomistes, il entendait des mondes coexistants et non des
mondes successifs. Or, s'il avait réellement classé sous uneseule rubrique deux opinions aussi différentes, il aurait
pour le moins pris la peine de faire ressortir en quoi elles
différaient, et il n'y a pas trace d'une distinction de ce
genre dans notre tradition. Au contraire, Anaximandre,
Anaximène, Archélaos, Xénophane, Diogène, Leucippe,Démocrite et Epicure sont mentionnés tous ensemblecomme représentant la doctrine des «mondes innom-brables» entourant de tous côtés celui que nous habitons 1,et la seule différence qu'il relève entre leurs vues est que,selon Epicure, les distances entre ces mondes sont iné-
gales, tandis qu'au dire d'Anaximandre fous les mondessont équidistants *. Zeller rejetait ce témoignage, qu'il sup-posait n'être que celui de Stobée, et pour cette raison quenous ne pouvons avoir confiance en un écrivain qui attri-bue des «mondes innombrables» à Anaximène, à Arché-laos et à Xénophane. J'espère montrer que l'affirmationest parfaitement exacte en ce qui concerne les deux pre-miers, et qu'elle n'est pas précisément inexacte relative-ment au dernier*. Dans tous les cas, on peut prouver quele passage vient d'Aétius 4, et il n'y a pas de raison de
douter qu'il ne dérive, en dernier ressort, de Théophraste,
1Act.IL 1,3(Dox.p. 327)Zellerse trompeen entendantici lesmotsxatànftoavittpiaviDvijvde la révolutiond'un cycle.Ils signifientsimple-ment: «dansquelquedirectionque nous nous tournions,»et il en estde mêmede l'expressionparallèlexatà itdeuvittpfotastv.Les six ittpt-otâsttcsontitpêat».6nî«a>,àvu>,xàtu»,êtÇtâ,àputtpà(Nlcom.Introd.p.85,11Hoche),et Polybcemploieittpfotattcpourdésignerl'espaceenviron-nant. .
*Act. Il, 1,8 (Dox.p. 329); tôv dnt!pov«àitopijvajWvtuvtoùexô«|iot>ç'AvaÇîpavipoctô faovaùtoiçdnlxtivàXXf(Xu>v,"EitîxoupocàvtaovtlvattôuttaÇùtdivxôoptuvttàatqua.
*Sur Anaximène,voir | 30;sur Xénophane,voir g59;surArchélaos,chap. X.
«Celarésulte du fait que la liste de noms est donnéeaussi parThéôdoret.VoirAppend.110.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 65
le nom d'Epicure n'y ayant été ajouté que plus tard. Cela
nous est en outre confirmé par ce que dit Simplicius dans
son commentaire sur la Physique *.
Ceux qui admettaient des mondes innombrables, par exempleAnaximandre, Lcucippe, Démocritc et, à une date postérieure,Epicure, soutenaient qu'ils naissaient et périssaient à l'infini,quelques-uns venant sans cesse à l'existence et d'autres péris-sant.
Il est probable que cette indication nous vient aussi de
Théophraste, par l'intermédiaire d'Alexandre. Simpliciusn'invente pas de pareilles choses.
Nous arrivons enfin à une indication très importante,
que Cicéron a copiée de Philodème, auteur du traité sur la
Religion que l'on a trouvé à Herculanum, ou qu'il a peut-être tirée de la source immédiate de cette oeuvre. « L'opi-nion d'Anaximandre, fait-il dire à Velleius, était qu'il y a
des dieux qui viennent à l'existence, grandissent et meu-
rent à de longs intervalles, et que ces dieux sont les
mondes innombrables*», et cette phrase, qu'il faut évi-
demment mettre en relation avec l'indication d'Aétius,
signifie clairement que, selon Anaximandre, les «cieux in-
nombrables » étaient des dieux *.Or il est bien plus naturelde comprendre les «longs intervalles» dont parle Cicéroncomme des intervalles d'espace que comme des intervallesde temps 4; et si nous interprétons le passage de cette
>Simpl.Phys. p.1121,5 (R.P. 21fr; DV2,17).Zellerdit (p 234,n.4)que, dans un autre passage(de Cuto,p. 273643)Simpliciusdonne lamêmeindicationsous une forme moinsaffirmative.Maisles mots mtSoxtt,sur lesquelsil fondeson opinion, ne sont pas précisémentuneexpressionde doute,et se rapportent en touscas à la dérivationde ladoctrinedes«mondesinnombrables» de celtede l'âitttpov,et nonpasà la doctrineelle-même.
*Cicéron,de Nat.D. I, 10,25(R. P. 21{DV2, 17).*Aet.I, 7, 12(R.P. 21a ; DV2, 17).La leçon de Stobée, àitt!pou«
oùpavoûî,est garantiepar le ànttpou;xôs|ioo<de Cyrille,et par le dntl-pou;VOOÎ(/. e. oùvout)du Pseudo-Galien.VoirDox.p. IL
* Il est très simplede supposerque CicérontrouvaStaat^uastvdanssa source épicurienne,et c'est un terme techniquepour les inler-mundia.
r-iirLosomiEGRECO.UK- 6
66 LAUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
manière, nc< s obtenons une parfaite concordance detoutes nos autorités.
Ne serait-il pas bien peu naturel, d'ailleurs, d'appli-quer cette déclaration que l'Illimité «environne tous lesmondes» à des mondes se succédant dans le temps,puisque, selon cette interprétation, il n'aurait jamais, à unmoment donné, qu'un monde à «environner»? Déplus,
l'argument que mentionne Aristote, à savoir que si ce quiest en dehors des cieux est infini, la substance corporelledoit être infinie, et qu'il doit y avoir des mondes innom-
brables, ne peut être compris que dans ce sens, et vise cer-
tainement à reproduire le raisonnement des Miiésiens, car
ils étaient les seuls cosmologues à soutenir qu'il y avaitune substance corporelle illimitée en dehors des cieuxl.
Enfin, nous le savons par hasard, Pétron, un des plusanciens Pythagoriciens, soutenait qu'il y avait exactementcent quatre-vingt-trois mondes disposés en triangle*. Cecimontre que des opinions de cette nature avaient cours bien
avant les Atomistes, et a tout Pair d'une tentative pourintroduire quelque ordre dans l'univers d'Anaximandre.
XIX. — ORIGINEDESCORPSCÉLESTES.
Les doxographes ne nous ont pas laissés dans l'igno-rance relativement au processus par lequel les diverses
parties du monde sont sorties de l'Illimité. Voici une indi-
cation qui vient, en dernière analyse, de Théophraste :
Il dit qu'à l'origine de ce monde une chose capable de pro-duire le chaud et le froid fut séparée de l'éternel. Il s'en forma
i Arist.Phys.Y,4, 203fr25: àntipoui'ivtoçtoî l£u>Oc. to3 oùpavod),xaloâ>paàitttpovttvatîoxttxalxôe|iot(se. ànttpot).Il y Alieu d'observerque les mots suivants—t<fàp udXXovto*xtvoîivtafcOaîj tvtaOOa; —montrent clairementque ceci se rapporte tout aussi bien aux Ato-mistess mais le àitttpov«ftpane s'appliquepas à eux. Cequi sembleprobable,c'est plutôt que ceux qui faisaient de l'Illimité un corps,commeceuxquienfaisaientun xtvôv,soutenaientdansle mêmesens ladoctrinede.«àitttpotxôs{iot.
* Voirplus loin,§63.Cf.Diels,Elemenlum,pp. 63sq.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 67
une sphère de llammc qui se développa autour de l'air quiencercle la Terre, comme l'écorce croit autour d'un arbre.Quand elle eut été déchirée et enfermée en de certains anneaux,le soleil, la lune et les étoiles vinrent à l'existence. — Ps. Plut.Slrom, fr. 2. (R. P. 19; DV,2, 10.)
'
Nous voyons par là que lorsqu'une portion de l'Infini
eut été séparée du reste pour former un monde, elle se diffé-
rencia tout d'abord dans les deux opposés, le chaud et lefroid. Le chaud apparaît comme une sphère de flammeentourant le froid; lé froid comme une terre environnéed'air. On ne nous dit pas, toutefois, dans cet extrait, com-ment le froid en vint à se différencier en terre, air et eau ;mais il y a un passage dans la Météorologie d'Arislote quijette quelque lumière sur le sujet. Nous y lisons :
Maisceux qui sont plus sages dans la sagesse des hommesindiquent une origine pour la mer. D'abord, disent-ils, toute larégion terrestre était humide, et quand elle eut été séchée parle soleil, la portion d'elle qui s'évapora produisit les vents et lesrévolutions du soleil et de la lune, tandis que la portion qui ensubsista fut la mer. Ils pensent donc que la mer, en se dessé-chant, devient toujours plus petite, et qu'à la fin elle sera entiè-rement sèche. Meteor. B. I, 353b, 5.
Htceux-là tombent dans la même absurdité, qui disent que laterre et la partie terrestre du monde étaient humides à l'ori-gine, mais que l'air s'éleva par suite de la chaleur du soleil,que l'ensemble du monde fut ainsi agrandi, et que c'est là lacause des vents et des. mouvements des cieux 1. Ib. 2, 355a, 2(R. P. 20a; DV51 a 9).
' Dans son commentaire sur ce passage, Alexandre nousdit que c'était l'opinion d'Anaximandre et de Diogène, et ce
témoignage est amplement confirmé par la théorie d'Anaxi-mandre sur la mer, telle qu'elle est formulée par les doxo-
graphes (§20). Nous concluons donc qu'après la premièreséparation du chaud et du froid, la chaleur de la sphère deflamme transforma en air ou en vapeur — c'est tout un à
1Ladifficultéque soulèveZellerrelativementau sensqu'a Icile mottpoitaî(p. 223,n. 2) parait imaginaire.Lalunea certainementun mou-vementde déclinaison,et par conséquentdes tpoitaî(Dreyer,Plane-tary Systems,p. 17,n. I).
68 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
cette date — une partie de l'intérieur humide et froid du
monde, et que l'expansion de cette vapeur fit éclater enanneaux la sphère de flamme elle-même. Je donne, telle
qu'elle nous a été conservée par Hippolyte, avec quelquessuppléments fournis par Aétius, la théorie qu'il adopta
pour expliquer comment les corps célestes sortirent de ces
anneaux :
Les corps célestes sont des roues de feu séparées du feu quiencercle le monde, et encloses dans Pair. Et elles ont des éventspour respirer, sortes de trous pareils à des tuyaux, par lesquelssont vus les corps célestes. Pour celte raison, aussi, lorsque lesévents sont obstrués, les éclipses se produisent. Ht la lunesemble tantôt croître et tantôt décroître, selon que ces trouss'ouvrent ou se ferment. Le cercle du soleil est vingt-sept foisplus grand que celui (de la terre, tandis que celui) de la luneest dix-huit fois aussi grand '. Le soleil est le plus haut de tous,et les roues des étoiles fixes sont les plus basses.— Hipp./te/. I,6(R. P. 20;DV2. 11).
Anaximandre disait que les étoiles sont des condensationsd'air pareilles à des cerceaux, pleines de feu, soufflant desflammesà un certain point par des orifices. Le soleil est le plushaut de toutes ; après lui vient la lune, et au-dessous de celle-ciles étoiles fixeset les planètes. — Aétius, II, 13,7; 15,6 (R. P.19o; DV2, 18).
Anaximandre disait que le soleil est un anneau vingt-huit foisaussi grand que la terre, semblable à une roue de char, avecune jante creuse et pleine de feu, montrant le feu a un certainpoint, comme à traversin bouche d'un soufflet.—Act. II, 20, 1(R.P. 19a; DV2, 21.)
Anaximandre disait que le soleil est égal à la terre, mais quel'anneau par lequel il respire et par lequel il est mû en cercleest vingt-sept fois aussi grand que la terre. —Aét.II,21,1. (Dox.,p. 351; DV2, 21.)
Anaximandre disait que la lune est un anneau dix-huit foisaussi grand que la terre... —Aét. II, 25, 1. {Dox.p. 355; DV2,22«.)
1Je supposeavecDiels(Dox.p. 560),que quelquesmots sont tom-bés dans noiretexted'ilippolyte.Mais,d'accordavecTannery,Sciencehellène(1887).p. 91,j'ai suppléétedix-huit lois»plutôtquendix-neuffols».Zeller(p.224,u. 2) préfèrele textede notre manuscritd'ilippo-lyte au témoignaged'Aétius,
' Aétiusdit deplusque la lune ressembleà une rouede charcreuseil pleinede feu,avecune ixnvoq.La différenceentre les dimensions
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 69
Anaximandre soutenait que le tonnerre et l'éclair sont causéspar le vent. Quand il est enfermé dans un nuage épais et qu'ils'échappe avec violence, la rupture du nuage produit le bruit,et la déchirure offre l'aspect lumineux par contraste avec l'obs-curité du nuage.—Aét. III, 3, 1 (Dox.p. 367; DV,2, 23).
Anaximandresoutenait que le vent est un courant d'air (c'est-à-dire de vapeur) qui s'élève quand ses particules les plus fineset les plus humides sont mises en mouvement ou dissoutes parle soleil. - Aét. III, 6,1 (Dox. p. 374; DV,2, 24).
La pluie est produite par l'humidité pompée de la terre parle soleil. —Hipp. Réf. I, 6, 7 (Dox.p. 560; DV.2, 11).
. Nous avons vu plus haut que la sphère de flamme futbrisée en anneaux par l'expansion de Pair ou de la vapeurque sa propre chaleur avait tirée de l'intérieur humide etfroid. Nous devons nous rappeler qu'Anaximandre nesavait rien de l'anneau de Saturne. Ces anneaux sont aunombre de trois : celui du soleil, celui de la lune, et enfin,à la moindre distance de la terre, le cercle des étoiles. Lecercle du soleil est vingt-sept fois, et celui de la lunedix-huit fois aussi grand que la terre, d'où nous pouvonspeut-être inférer que le cercle des étoiles est neuf fois aussi
grand. Les nombres neuf, dix-huit, vingt-sept, jouent unrôle considérable dans les cosmogonies primitives!. Nousne voyons pas le cercle complet des anneaux de feu, parceque la vapeur qui les a formés entoure le feu et devient unanneau extérieur opaque. Ces anneaux extérieurs, toute-
fois, ont, sur un point de leur circonférence, des ouver-tures à travers lesquelles le feu s'échappe, et ces ouverturessont les corps célestes que nous voyons*.
indiquéespar Hippolyteet par Aétiusestdueau faitquel'un parledela circonférenceintérieure,l'autre de la circonférenceextérieuredesanneaux.Cf.Tannery, Sciencehellène,p. 91,et Diels, L'eberAnaxi-mandersKosmos(Arch.X,pp. 231sq.).
>Commele fait ressortir Diels(Arch.X,p. 229),l'explicationdonnéepar Gomperz,p. 53de la 1*éditionne peutêtre exacte.[Dansles édi-tions subséquentes,ce passagea été supprimé.]Elle présupposelathéoriedu V*sièclesur les uùîpot.Anaximandrene savaitrien de la«grandemasse»du soleil.
3La véritablesignificationde cette doctrinea été exposéepour lapremièrefolspar Diels(Dox.pp. 25sq.). Les flammesfont éruption
70 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
On remarquera qu'il n'est question que de trois cercles,et que le cercle du soleil est le plus élevé. Le cercle desétoiles offre quelque difficulté. C'est, selon toute probabi-lité, la Voie lactée, dont l'apparence peut bien avoir sug-géré toute la théorie *.Anaximandre doit avoir pensé, sem-
ble-t-il, qu'elle avait plus d'un «évent», quoique la tradi-tion soit muette sur ce point. Il n'y a pas la moindre raisonde supposer qu'il la considérât comme une sphère. Il n'eût
pas manqué de s'apercevoir qu'une sphère ainsi placéeaurait rendu le soleil et la lune constamment invisibles.
Que dire donc des étoiles fixes qui ne se trouvent pas dans*la Voie lactée? Il semble difficile d'en trouver l'explica-tion à moins de supposer qu'elles constituent les « inondesinnombrables» dont nous venons de parler. Comme le feuet Pair qui entouraient le monde ont été brisés en anneaux,nos regards doivent pouvoir plonger directement dans
l'infini, et les.étoiles fixes doivent justement être les
mondes, dont chacun est entouré de son enveloppe defeu. Il ne semble pas facile d'expliquer autrement l'en-
semble de nos textes, et, si cela est exact, l'indication de
quelques auteurs, suivant lesquels Anaximandre regardaitles étoiles du ciel comme des dieux, peut être quelque chosede plus que la simple erreur que l'on y voit généralement
aujourd'hui '.
per magni circumspiraculamundi,commedit Lucrèce(VI, 493).Leitpi)3t?,po;aùXôçauquel ces spiracula sont comparésest tout simple-mentle tuyaud'un soufflet,sensque le mot itpijstijpa dansApolloniusde Rhodes(IV,776),et n'a aucunrapportavecle phénomènemétéoro-logiquedu mêmenom.Sur ce dernier,voirchap.III,§71.11n'estplusnécessaire,aujourd'hui,de réfuter les anciennesinterprétations.
1Cene peutêtre le zodiaque,car les planètesn'étaientpas encoreétudiéesséparémentà cetteépoque.
*LesPlacitaet Eusèbeont tousdeuxtoùcàstipa;oùpavto-jcau lieudetoiçàittîpo'j;oùpavouc(voirplushaut, p. 63,n. 3)et il est bien possiblequecene sottpaslà une simplecorruptionde texte. La sourcecom-munepeutavoir eu les deux indications.Je n'appuiecependantpasl'Interprétationdonnéedans mon textesur cettebasetrès incertaine.Indépendammentdecetargument,c'est, mesemblc-t-il,le seulmoyende se tirer decettedifficulté.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 71
L'explication donnée du tonnerre et dé l'éclair était tout
à fait analogue. Ces phénomènes aussi étaient causés parle feu s'échappant à travers Pair comprimé, c'est-à-dire à
travers les nuages orageux. Il semble probable que c'est là
le point de départ de toute la théorie, et qu'Anaximandreexpliquait les corps célestes par l'analogie de l'éclair, et
non vice versa. Cela serait en parfait accord avec la prédi-lection de l'époque pour la météorologie.
XX. — LA TERREET LA MER.
Venons-en maintenant à l'examen des textes relatifs à
l'origine de la terre et de la mer. Toutes deux sont sorties
de la matière froide et humide qui fut « séparée» au com-
mencement et qui remplit l'intérieur de la sphère de
llamme :
La mer est ce qui reste de l'humidité primordiale. Le feu ena desséché la plus grande partie, cl transformé le reste en selen le brûlant. - Aét. III, 16,1. (R. P. 20a ; DV2, 27.)
11dit que la Terre est de forme cylindrique, et que sa pro-fondeur est égale au tiers de sa largeur. — Ps.-Plut. Strom.fr. 2. (R. P., ib. ; DV,2, 10.)
La terre plane librement, sans être soutenue par rien. Elledemeure en place parce qu'elle est à égale distance de tout! Laforme en est convexe et ronde, pareille à une colonne depierre. Noes sommes sur l'une des surfaces, et l'autre est ducôté opposé '. —Hipp, Réf. I, 6 (R. P. 20; DV2, 11,3.)
1Lesmssd'Ilippolyteont ûyp&vatpoypXov.Roepcrlisait>vpiv[otpoy-jûXov],supposantque le secondmot n'étaitqu'uneglosedu premier;maisDielsa montré(Dox.p.218)qu'ilssontnécessairestous les deux.Lepremiersignifie«convexe»et s'appliquen la surface de la terre,tandisque le secondsignifie«rond»et se rapporteà son circuit. SurxîovtXÏDu).il est difllcilcde dire quoique ce soit de-positif.Il ne seraitpasimpossibleque ce fût unesimplecorruptionde xuXîvîp»(cf. Plut.Strom,frg.2; R.P. 20ci; DV2, 10);maiss'il en estainsi,c'est une cor-ruptiontrès ancienne.Aétius(III,10,2 ; DV2, 25).qui est tout h faitindépendantd'Hippolytc,a X(9u>xîovt;RoepersuggéraitxtovitjXi&w;Telchmûllcr,xt'ovo;XîÔtu,tandisque Dielssongedubitativementà XtÔ<u
72 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
Adoptant pour un moment la théorie postérieure des« éléments », nous voyons qu'Anaximandre plaçait le feud'un côté parce que c'est le «chaud », et tout le reste del'autre parce que c'est le «froid », qui est aussi humide.Cela peut expliquer comment Aristote en vint à parler del'Illimité comme d'un intermédiaire entre le feu et l'eau.Et nous avons vu aussi qu'une partie de l'élément humidefut transformée par le feu en «air» ou vapeur, ce quiexplique comment il pouvait dire que l'Illimité était
quelque chose entre le feu et Pair, ou entre Pair et l'eau 1.
L'humide, froid intérieur du monde, n'est pas, on le
remarquera, simplement de l'eau. Il est toujours appelé«l'humide» ou «l'état humide». Et la raison en est qu'ildoit être différencié encore en terre, en eau et en vapeursous l'influence de la chaleur. Le dessèchement graduel dePeau par le feu est un bon exemple de ce qu'Anaximandreentendait par «injustice». Et nous voyons comment cette
injustice amène la destruction du monde. Avec le temps,le feu desséchera et brûlera l'ensemble de l'élément froidet humide. Mais alors il n'y aura plus de feu ; il n'y aura
plus que le « mélange» du chaud et du froid, si nous pou-vons l'appeler ainsi — c'est-à-dire qu'il se confondra avecl'Illimité qui l'entoure et s'y perdra.
L'idée que se faisait Anaximandre de la terre dénoteun grand progrès sur tout ce que nous pouvons raisonna-blement attribuer à Thalès, et Aristote nous a conservé les
arguments sur lesquels cette idée s'appuyait. La terre est à
égale distance des extrêmes dans chaque direction, et elle
n'a pas de raison de se mouvoir en haut, en bas ou de
côté*. Néanmoins, Anaximandre n'en vient pas encore à
xîovt,qui, à ce qu'il suggère,pourraitêtre la modernisation—ducàThéophraste—d'un primitifXtf)ii}xîovt(Dox.p. 219).
1Voirplushaut, p. 53,note2.*Arist.deCaelo,B, 13.295b 10: tîelli ttvtcot îtà tîjvôp.ototi]tâ<fa«tv
aùtnv(tijvY*JV)jitvtiv,wSRtptôv àp^aîtuv'Ava£tuavîpo{-udXXovp.lvvàpoùtttvàvu>îjxâttuî)tic ta itXâfta(ftpuOatitposqxttvto titl toOptso'jlip-j-ufvovxalop.oto>citpèjta Isyatafyov."Qu'Aristotereproduiseréellement
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 73
se la figurer sphérique. Il croit que nous vivons sur un
disque convexe : aussi lui attribue-t-il comme une chose
toute naturelle la forme cylindrique. Mais, chose réelle-
ment remarquable, il semble avoir compris, quoique obs-
curément, qu'il n'y a ni haut ni bas dans le monde.
XXI. — LES ANIMAUX.
Ce que nous avons vu jusqu'ici suffit à montrer que les
spéculations d'Anaximandre sur le monde étaient d'un
caractère extrêmement hardi ; nous en venons maintenantau point culminant de son audace, nous voulons dire sa
théorie de l'origine des créatures vivantes. L'analyse qu'enavait fait Théophraste nous a été heureusement conservée
par les doxographes :
Les créatures vivantes naquirent de l'élément humide, quandil eut été évaporé par le soleil. L'homme était, au début, sem-blable à un autre animal, à savoir à un poisson. — Hipp., Réf.1,6(R. P.22a; DV2, 11,6).
Les premiers animaux furent produits dans l'humide, enfer-més chacun dans une écorce épineuse. Avec le temps ils firentleur apparition sur la partie la plus sèche. Quand l'écorce éclata \ils modifièrent leur genre de vie en peu de temps. —Aét.V, 19, 1(R. P., 22;DV, 2, 30).
Il dit en outre qu'à l'origine l'homme naquit d'animaux d'uneautre espèce. La raison qu'il en donne est que, tandis que lesautres animaux trouvent tout de suite leur nourriture par eux-mêmes, !'l)ommc a besoin d'une longue période d'allaitement.Il eu résulte que s'il avait été à l'origine ce qu'il est mainte-nant, il n'aurait jamais survécu. —Ps.-Plut. Strom. fr. 2 (R. P.,ib. DV4, 2, 10).
II prétend qu'au début les élrcs humains naquirent dans l'in-térieur de poissons, et qu'après avoir été nourris comme les
Anaximandre.cela paraît ressortir de l'emploid'6;iotôti)cdans l'anciensens d' *égalité».
1Cecidoit être comprisAla lumièrede cequenousapprenonsplusloin sur lesYaXtoC.Cf.Arist.Ilist. An.Z, 10.565a 25: totculvouvox<*-Xtotc,og{xaXoUtttvt«'.t£pïa«vaXtoj{,ôtavittptppavxalixitlsgtô âstpaxov.vfvovtatolvtottoî.
74 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
requins,1,et être devenus capables de se protéger eux-mêmes,ils furent finalementjetés sur le rivage, et prirent terre. —Plut.Symp. Quaest.,730f (R. P., ib. ; DV2,30).
L'importance de ces textes a parfois été exagérée ; plussouvent encore, elle n'a pas été appréciée comme elle leméritait. Par quelques-uns, Anaximandre a été appelé un
précurseur de Darwin, tandis que d'autres n'ont vu danstoutes ses déclarations qu'une survivance mythologique. Ilest donc important de remarquer que nous sommes ici en
présence d'un des rares cas où nous n'avons pas simple-ment un placitum, mais une indication, un peu maigre, ilest vrai, des observations sur lesquelles ce placitum était
basé, et le genre d'argument sur lequel il s'appuyait. Il
appert de là qu'Anaximandre avait une notion de ce quel'on entend par l'adaptation au milieu et par la survivancedes plus aptes, et qu'il se rendait compte que les mammi-fères les plus élevés ne pouvaient représenter le type ori-
ginel de l'animal. Ce type, il le cherchait dans la mer, et ille voyait naturellement dans les poissons, qui présententla plus grande analogie avec les mammifères. Joli. Mftllcr
a montré, il y a longtemps déjà, que les indications don-
nées par Arislote sur le galeus levisétaient plus exactes quecelles qu'on doit aux naturalistes plus récents, et noussavons maintenant que les observations sur lesquelles elles
reposent avaient déjà été faites par Anaximandre. Lamanière dont le requin nourrit ses petits lui fournissait
justement ce dont il avait besoin pour expliquer la survi-
vance des premiers animaux'.
>11fautlire wsntpolvaXtotau lieude âsittpol naXatoî,avecDestiner,qui comparePlut, de soll. anim. 982a, où est décrit le ftXôstopvovdu requin.Voirla notesuivante.
*Sur Aristoteet le galeus levis,voir JohannesMûller,Veberdenglatlen liai des Aristoteles(K.Preuss.Akad.1842),travail sur lequelmon attention a été dirigéepar moncollègue,le professeurd'ArcyThomson.Le sensexactdesmots tpttpôpitvottosittpoiyaXtotressortdeArist.Ilist.An.Z, 10,565b 1: otSIxaXo-JpitvotXttott&vvaXtàvta uivu!àîa^O'iitjitta^itiûvûsrtpwvôiioîcHîtoi; axviXîotç»ittputdvtaît taOtatî«txatf-pavtjjv2updavti];ûsttpa;xata^aîvti,xalta Çt&aytvttattôvéji^aXivïx0VTa
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 75
XXII. — THÉOLOGIE.
Au cours de notre discussion sur les « mondes innom-brables », nous avons vu qu'Anaximandre regardait ceux-ci comme des dieux. Il est vrai, sans doute, comme ledit
Zeller\ que pour les Grecs le mot Oioçsignifiait à l'origineun objet d'adoration, et il ajoute avec raison que personnene songerait à adorer des mondes innombrables. Ce n'est
pas, toutefois, une objection réelle à notre interprétation,quoique cela serve à mettre en lumière un point intéres-sant dans le développement des idées théologiques grec-ques. En fait, les philosophes s'écartèrent tout à fait de
l'emploi reçu du mot ôeoç. Empédocle appelait dieux la
sphère et les éléments, quoiqu'il ne soit pas à supposerqu'il les regardât comme des objets d'adoration, et nousconstaterons que Diogène d'Apollonie, d'une manière ana-
logue, parlait de Pair comme d'un dieu '. Ainsi que nous
l'apprennent les Nuées d'Aristophane, ce fut justementcette façon de parler qui valut aux philosophes la réputa-tion d'athéisme. Il est très important de ne pas perdre devue ce point ; en effet, lorsque nous arriverons à Xéno-
phane, nous verrons que par le dieu ou les dieux dont il
xpôîtfl ûsttpa,tûattàvaXtsxO{iivo>vt<?»vCMÛVôjioîw;2oxttvï-/ttvtô Ipjjpyovto:«tttpditosiv.Il n'est pas nécessairedesupposerqu'Anaximandres'enréféraitau phénomèneultérieur décrit par Aristote,lequel dit plusd'unefoisquetousles faXtotexceptél'àxavDîa;«mettentbasleurspetitset lesréabsorbent»(t£a?iactxalîtyovtattîçta'jtoûctoùîvtottoûç.ib.505b23),au sujet de quoi compareraussi Ael.I, 17; Plut, desoll. anim.982a ; deamoreprolis491c. l.cplacentaet le cordonombilicaldécritspar JohanncsMûllcrrendentsuffisammentcomptede tout ce que ditAnaximandre.J'ai appris,en outre,quedes pécheursen mer profondeconfirmentaujourd'huicette remarquableindication,et deuxtémoinsdignesde foi m'ont informéqu'ils croyaientavoirvu cette scènedeleurspropresyeux.
• Zeller,p.230.1SurEmpédocle,voirchap.V,} 119; et sur Diogène,chap.X,$188,
frg.5. Lescosmologucssuivaienten cela les auteurs de théogoniesetdecosmogonics.Personnen'adoraitOkeauoset Téthys,ni mêmeOu-ranos.
76 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
parlait il entendait précisément le monde ou les mondes. Ilsemble donc qu'Anaximandre appelait divin l'Illimité lui-
même S ce qui s'accorde tout à fait avec le langage d'Em-
pédocle et de Diogène, dont nous avons fait mention
ci-dessus.
XXIII. — ANAXIMÈNE.SA VIE.
Anaximène de Milet, fils d'Eurystratos, était, suivant
Théophiaste, un «associé» d'Anaximandre*. Apollodoredit, semble-til, qu'il « florissait » vers l'époque de la chutede Sardes (546/5av. J.-C.), et qu'il mourut dans la 63eolym-piade (528/524 av. J.-C.)*. En d'autres termes, il était né
quand Thalès «florissait», et «florissait» quaud Thalès
mourut, ce qui veut dire qu'Apollodorc n'avait aucuneinformation précise du tout sur l'époque où il vécut. Il lefaisait très probablement mourir dans la 63e olympiadeparce que cela donne juste une centaine d'années, ou trois
générations, pour l'école de Milet, depuis la naissance deThalès*. Nous ne pouvons donc rien dire de positif sur son
époque, si ce n'est qu'il doit avoir été plus jeune qu'Auaxi-mandre, et avoir fleuri avant 494, date à laquelle l'écolefut naturellement dissoute par suite de la destruction deMilet.
«Arist.Phys.T,4.203b, 13(U.I».17;DV2,15).*Théophr.Phys.Op.frg.2 (R. P. 20; DV3 A,6).*Celarésultedela comparaisondeDiog.11,3,avecHipp.Réf.I,7(R.P.
23;DV3 A7,9).Dansce dernierpassage,nousdevons,toutefois,lireavecDielstpttovaulieude npt&tov.LasuggestiondeR.P.(23e),qu'Apol-lodoreindiquaitl'olympiadesansdonnerle chiffrede l'année,tombeàfaux, car Apollodorene comptaitpas par olympiades,.mais par ar-chontesathéniens.
1Jacoby(p.194)met la date de sa mort en rapport avecYakmèdePythagore,cequi mesemblemoinsprobable.Lorlilng(Jahresber.,1898,p. 202),combatmonopinionpour le motifque la périodede cent ansnejoueaucunrôledansUscalculsd'Apollodbrc.Onvolttoutefois,parJacoby(pp.39sq.),qu'il 5 a quelqueraisonde croirequ'il faisaitusagede la générationde33V»années.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 77
XXIV. — SONLIVRE.
Anaximène écrivit un livre qui se conserva certainement
jusqu'à l'âge de la critique littéraire ; car on nous dit qu'ilse servait d'un ionien simple et sans prétention 1, très
différent, nous sommes en droit de le supposer, de la prosepoétique d'Anaximandre *. Nous pouvons sans doute nousfier à ce jugement qui, en dernière analyse, remonte à
Théophraste ; et il nous fournit une bonne illustration decette vérité que le caractère de la pensée d'un homme s'ex-
prime à coup sûr dans son style. Nous avons vu que les
spéculations d'Anaximandre se distinguaient par leur har-diesse et leur largeur ; celles d'Anaximène sont marquéespar les qualités précisément opposées. 11semble avoir éla-boré son système avec soin, mais il rejette les théories,plus audacieuses, de son prédécesseur. Il en résulte que,tandis que sa vue du monde est en somme beaucoupmoins près de la vérité que celle d'Anaximandre, elle est
plus fertile en idées destinées à durer.
XXV. — THÉORIEDELASUBSTANCEPRIMORDIALE.
Anaximène est l'un des philosophes auxquels Théo-
phraste consacra une monographie spéciale', et ce faitnous donne une garantie de plus de Pauthencité de la tra-dition dérivée de son grand ouvrage. Les passages quiparaissent contenir le plus exact et le plus complet résuméde ce qu'il avait à dire sur le point central du système sontles suivants ' :
Anaximène de Milet, fils d'Eurystratc, qui avait été associéd'Anaximandre, disait, comme celui-ci, que la substance fonda-mentale était une et infinie. 11ne disait pas, toutefois, comme
" Diog.11,3(R.P. 23).*Voirl'appréciationde Théophraste,ci-dessus,§ 13.*Sur cesmonographies,voir Dox.p. 103.*Voirle tableaudesextraitsdeThéophrastedonnédansDox.p. 135.
78 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
Anaximandre, qu'elle fût indéterminée, mais déterminée, car ildisait que c'était Pair. —Phys. Op. fr. 2 (R. P. 26; DV3A 5).
De lui, disait-il, sont nées les choses qui sont, qui ont été etqui seront, les dieux et les choses divines, tandis que les autreschoses viennent de la descendancede celle-ci (de la substancefondamentale).—Hipp. Réf. I, 7 (R. P. 28; DV,3 A 7, 1).
«Exactement, disait-il, comme notre âme, qui est air, noussoutient, le soufllc et l'air entourent le mondeentier. »—Aét. I,3, 4 (R. P. 24; DV3 B 2).
Htla forme de l'air est la suivante. Lu où il est le plus égal,il est invisible à notre regard ; mais le froid et la chaleur, l'hu- vmidité et le mouvement le rendent visible. Il est toujours enmouvement,car s'il ne l'était pas il ne changerait pas autantqu'il le fait. —Hipp. Réf.I, 7 (R. P. 28; DV,3 A 7,2).
Il se sépare en diverses substances en vertu de sa raréfactionet de sa condensation. —Phys. Op.fr. 2 (R. P. 26; DV,3 A 5).
Quand il est dilaté de façonà être rare, il devient feu ; tandisque, d'autre part, les vents sont de l'air condensé. Les nuagesse forment de l'air par foulage' ; et quand ils se condensentencore davantage, ils deviennenteau. L'eau, en continuant à secondenser, devient terre; et quand elle se condense autant quecela se peut, elle devientpierre. —Hipp.Réf.I, 7 (R.P. 28; DV,3A,7 3)».
XXVI. — RARÉFACTIONET CONDENSATION.
A première vue, il semble que, de la doctrine plus raf-finée d'Anaximandre, l'on tombe à une vue plus grossière,mais un moment de réflexion montre que ce n'est pas dutout le cas. Au contraire, l'introduction, dans la théorie,de la raréfaction et de la condensation est un notable pro-grès*. En fait, elle rend la cosmologie milésienne entière-
1«Foulage» (nîXrjsiî)est le termerégulièrementemployépar lesan-cienscosmologucspourdésignerce processus,et Platonle leura em-prunté.(Tim.68b4; 76c 3).
*Uneformepluscondenséedelà mêmetraditiondoxographlqueestdonnéeparPs.-Plut.Strom.frg.c (K.P.25;DV3A,6).
»Simplicius,Phys.p. 149,32(R.P. 266; DV3A5)dit, suivantlesmss,queThéophrasteparlaitde raréfactionet de condensationdansle cas d'Anaxtmèneseul. Nousdevonsou bien supposeravecZeller(p. 193,n. 2) quecela signifie«seulparmiles plus anciensIoniens»,ou lire, avecUsencr,itpû>to\>au lieudeuôvov.Lestermesrégulièrementemployéssont xyxvtoatçet dpaîoootçouuàvt»3t<.Plutarquc,deprtm.frig.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 79
ment consistante pour la première fois ; car il est clair
qu'une théorie qui explique tout par les transformationsd'une substance unique est obligée de regarder toutes lesdifférences comme purement quantitatives. La substanceinfinie d'Anaximandre, d'où sont «séparés» les opposésrenfermés «en elle», ne peut pas, strictement parlant, êtreconsidérée comme homogène, et la seule manière de sauverl'unité de la substance primordiale est de dire que toutesles diversités sont dues à la présence d'une plus ou moins
grande quantité de cette substance dans un espace donné.Et quand, une fois, ce pas important a été franchi, il n'est
plus nécessaire de faire de la substance primordiale quel-que chose de «distinct des éléments », pour employer l'ex-
pression inexacte, mais commode, d'Aristote; elle peuttout aussi bien être l'un d'eux.
XXVII. — L'AIR.
L'air dont parle Anaximène renferme, en grande propor-tion, ce que nous n'appellerions pas de ce nom. Dans son état
normal, quand il est tout à fait également distribué, il est
invisible, et alors il correspond à notre «air » ; il est iden-
tique au fluide que nous inhalons et au vent qui souffle.C'est pourquoi il le nommait -jrvefyia. D'autre part, la
vieille idée qu'Homère nous a rendue familière, et qui'
veut que la buée ou vapeur soit de Pair condensé, estencore admise sans discussion. En d'autres termes, nous
pouvons dire qu'Anaximène supposait beaucoup plus faciled'obtenir de Pair liquide que nous ne l'avons appris depuispar l'expérience. Ce fut, nous le verrons, Empédocle qui^le premier, découvrit que ce que nous appelons air étaitune substance corporelle distincte, et n'était identique niala vapeur, ni à l'espace vide. Chez les premiers cosmo-
logues, P«air» est toujours une torme de vapeur, et l'obs-
curité elle-même en est une autre. Ce fut aussi Empédocle
947f(l\. P. 27; DV3 B 1),dit qu'Anaximènedésignait l'air raréfiéparl'expressiontô xaXapôv.
80 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
qui éclaircit ce point en montrant que l'obscurité est une
ombre *.Il était naturel pour Anaximène d'adopter Pair ainsi
compris comme substance primordiale; car, dans le sys-tème d'Anaximandre, il occupait une place intermédiaireentre les deux opposés fondamentaux, la sphère de flamme
et la masse froide et humide qui est en elle (§ 19). Noussavons par Plutarque qu'Anaximène s'imaginait que Pair
devenait plus chaud en se raréfiant, plus froid en se con-densant. Il s'en convainquait lui-même par une curieuse
preuve expérimentale : quand nous soufflons avec la bouche
ouverte, Pair est chaud ; quand nous soufflons avec les
lèvres rapprochées, il est froid*.
XXVIII. — LE MONDERESPIRE.
Cet argument tiré de la respiration humaine nous con-duit à un point important de la théorie d'Anaximène, pointattesté par le seul fragment qui nous soit parvenu*. «Demême que notre âme, étant air, nous soutient, le souffle etl'air environnent le monde entier.» La substance primor-diale est dans le même rapport avec la vie du inonde
qu'avec celle de l'homme. Or c'était là, nous le verrons,
l'opinion des Pythagoriciens 4; c'est aussi un ancien
exemple de la conclusion du microcosme au macrocosme,
>Sur le sensde ôijpdansHomère,voirSclr ildt,Synonimik,§35; etsur la survivancede ce sensdans la prose ionienne,llippocrate,lîcpldcptnv,ûîdîcav,tcittov,15: dr^ptt itoXù(xativ^tttfjvXwpijvduotôv ùSâtutv.Platona encoreconsciencede l'anciennesignificationdu mot, car ilfaitdire à Timéc: dipofvrivi})tô ulv tùaftstatovtnîxXtivatDijpxa).o-j-ptvoc,6 II DoXtptôtatociptxXr)xaloxotoj(Tim.58d) L'opinionexpriméedansnotretexte a été combattuepar Tanncry,Unenouvellehypothèsesur Anaximandre(Arch.VIII,pp. 443sq.) et j'ai légèrementmodifiéma rédactionpour tenir comptede sa critique. Cepoint est, commenousle verrons,d'une importancecapitalepourl'intelligencedu Pytha-gorlsmc.
»Plut,deprim. frlg.917f(R. P. 27; DV3 B1).»Act.I, 3, 4(R. P. 24; DV3 B2).« Voirchap.Il, §53.
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 81
et la première manifestation de l'intérêt qui s'est attaché
depuis aux questions physiologiques.
XXIX. — LES PARTIESDUMONDE.
Nous en venons maintenant à la tradition doxographiqueconcernant la formation du monde et de ses parties :
Hdit que la terre vint pour la première foisà l'existence lorsquel'air fut foulé. Elle est très large, et elle est par conséquent sup-portée par l'air. —Ps.-PluL, Strom. fr. 3 (R. P. 25; DV,3 A 6).
De la même manière, le soleil, la lune et les autres corpscélestes, qui sont de nature ignée, sont supportés par Pair àcause de leur largeur. Les corps célestes ont été produits parl'humidité qui s'élève de la terre. Quand elle est raréfiée, le feuprend naissance, et les étoiles sont composées du feu qui s'estainsi élevé. Il y a aussi des corps de substance terrestre dansla région des étoiles, et qui tournent avec elles. Et il dit que lescorps célestes ne se meuvent pas au-dessous de la terre, commed'autres le supposent, mais autour d'elle, comme une capetourne autour de notre tête. Le soleil se dérobe à nos regardsnon pas parce qu'il passe sous la terre, mais parce qu'il estcaché par des parties plus hautes de la terre, et parce que sadistance de nous devient plus grande. Les étoiles ne donnent pasde chaleur à cause de leur grand éloignement.— Hipp., Réf. 1,7,4-6 (R. P. 28;DV3A7).
Les vents sont produits quand l'air est condensé, et se préci-pite par l'effet d'un choc ; mais quand il est encore plus con-centré et épaissi, il en résulte des nuages ; et finalement il sechange en eau •. —Hipp. Réf.I, 7, 7. (Dox. p. 561; DV3 A 7).
Les étoiles sont fixées comme des clous sur la voûte cristal-line du ciel. — Aét. H, 14,3 (Dox.p 344; DV3 A 14).
Elles ne passent pas au-dessous de la terre, mais tournentautour d'elle. - Ib. 16,6. (Dox. p. 346; DV3 A 14.)
Le soleil est de feu. — Ib. 20, 2 (Dox. p. 348; DV3 A 15).Il est large comme une feuille. —Ib. 22,1. (Dox, p. 352; DV3 A
15.)Les corps célestes sont détournés de leur course par la résis-
tance de l'air comprimé. — Ib. 23,1. (Dox. p. 352; DV3 A 15.)
>Ici, le texteestgravementaltéré.Je conserveixntmixvupilvocparcequ'on nous dit plus haut que les vents sont de l'air condensé, etJ'adopte la conjecturede Zeller: dpattpttocpipijtat(p. 246,n. 1).
raiLosornaOMOQOK 6
82 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
La lune est do feu. — Ib.25, 2. (Dox.p. 356; DV3 A 16.)Anaximèneexpliquait l'éclair comme Anaximandre, ajoutant,
pour illustrer sa pensée, ce qui arrive sur la mer, qui étincellequand elle est divisée par les rames. —Ib. III, 3,2 (Dox. p. 368;DV3A 17).
La grèlo so produit quand l'eau se congèle en tombant ; laneige, quand un peu d'air est emprisonné dans l'eau. —Act. III,4,1. (Dox. p. 370; DV3 A 17).
L'arc-cn-ciel se produit quand les rayons du soleil tombentsur de Pair fortement condensé. C'est pourquoi sa partie anté-rieure semble rouge, étant brûlée par les rayons du soleil,tandis que l'autre partie est sombre, à cause de la prédomi-nance de l'humidité. Et il dit qu'un nrc-cn-cicl est produit denuit par la lune, mais pas souvent, parce que ce n'est pis cons-tamment pleine lune, et parce que la lumière de la lune est plusfaible que celle du soleil. —Schol.Aral. «(Dox. p. 231; DV3 A18.)
La terre est pareille à une table, quant à sa forme. —Aét. III.10,3 (Dox. p. 377; DV3 A 20).
La cause des tremblements de terre est l'aridité et l'humiditéde la terre, occasionnées respectivement par les sécheresses etpar les fortes pluies. — Ib. 15,3 (Dox. p. 379).
Nous avons vu qu'Anaximène avait toute raison deretourner en arrière jusqu'à Thalès en ce qui concerne sathéorie générale de la substance primordiale ; mais il esthors de doute que ce fait eut des conséquences malheu-reuses pour les détails de 3a cosmologie. Anaximène tient,lui aussi, la terre pour un disque pareil à une table, etflottant sur l'air. Pour lui, le soleil, la lune et les planètessont aussi des disques de feu qui flottent sur Pair «commedes feuilles ». Il en résulte qu'on ne peut se représenter les
corps célestes comme passant de nuit sous la terre, maisseulement comme la contournant latéralement, à la ma-nière d'une cape ou d'une meule de moulin*. Cette curieuse
*Lasourcedecefragmentest Posidonius,qui utilisaitThéophraste.Dox.p. 231.
1Théodoret(IV,16)parlede philosophesqui croientà une révolutionpareilleà celled'une meulede moulin, en oppositionà la révolutiond'uneroue. Diels(Dox.p. 46)attribuecescomparaisonsrespectivementà Anaximèneet à Anaximandre.Ellesviennentnaturellementd'Actius
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 83
opinion est aussi mentionnée dans la Météorologie d'Ans-
totel, où il est fait allusion à l'altitude des parties septen-trionales de la terre, grâce à laquelle les corps célestes
peuvent se dérober à notre vue. En fait, tandis qu'Anaxi-mandre regardait les orbites du soleil, de la lune c! desétoiles comme obliques par rapport à la terre, Anaximènese figurait la terre elle-même inclinée. Le seul progrès réel
qu'on puisse noter à son actif est la distinction entre les
planètes, qui flottent librement dans Pair, et les étoiles
fixes, qui sont assujetties sur la voûte «cristalline» du ciel*.Les corps terrestres qui circulent parmi les planètes sont
évidemment destinés à expliquer les éclipses et les phasesde la lune *.
XXX. — LES MONDESINNOMBRABLES.
Comme on pouvait s'y attendre, les « mondes innom-brables » attribués à Anaximène, soulèvent la même diffi-culté que ceux d'Anaximandre, et la plupart des arguments
que nous avons donnés plus haut (§ 18)s'appliquent aussiici. Le matériel de preuves, toutefois, est bien moins satis-faisant. Cicéron dit qu'Anaximène regardait Pair comme un
dieu, et ajoute que Pair était venu à l'existence *. Qu'il yait ici quelque confusion, cela est évident. L'air, en tant
que substance primordiale, est certainement éternel, et ilest tout à fait probable qu'Anaximène l'appelait «divin»,comme Anaximandre le faisait de l'Illimité ; mais il estcertain qu'il parlait aussi de dieux qui venaient au jour et
(Appcnd.J 10),quoiqu'ellesnesoient donnéesni dans Stobécni dansles Placita.
«B, 1.354ci28(R. P. 28c; DV3 A14).1 NousignoronscommentAnaximènese représentaitleciel«cristal-
lin >. Il estprobablequ'il se servaitdu mot T.'dycîcommeEmpédocle.Cf.chap.V, | 112.
*VoirTannery,Sciencehellène,p. 153.Sur les corpstout à fait ana-loguesdont Anaxagoresupposaitl'existence,voir plus loin, chap.VI,S135.Voir,en outre, chap.VU,{151.
* Cic. de nat. D. I,26(R.P. 28fr;DV3A10).Sur ce qui suit, voirKriscfae,Forschnngen,pp. 52sq.
84 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
mouraient. Ils naissaient, disait-il, do Pair. Ce point est
expressément confirmé par H'ppolyte1 et aussi par Saint-
Augustin '. Ces dieux doivent probablement être expliquéscomme ceux d'Anaximandre. Simplicius, il est vrai,
exprime une autre opinion '; mais il peut avoir été induiten erreur par une autorité stoïcienne.
XXXI. — INFLUENCED'ANAXIMÈNE.
Il ne nous est pas précisément facile de nous représenterqu'aux yeux de ses contemporains — et longtemps aprèsencore — Anaximène était une personnalité beaucoup plusimportante m'Anaximandrc. Et pourtant le fait est certain.Nous verrons que Pythagore, bien que suivant Anaxi-mandre dans son explication des corps célestes, s'inspiraitbeaucoup plus d'Anaximène dans sa théorie générale de laréalité (§53). Nous verrons en outre que si, à une date plusrécente, la science fleurit une fois encore en Ionie, ce futà «la philosophie d'Anaximène» qu'elle se rallia (§ 122).Anaxagone adopta nombre de ses opinions les plus carac-
téristiques (§ 135) et quelques-unes d'entre elles pénétrè-rent même dans la cosmologie des Atomistes*. Diogène
«Hipp.Réf.I, 7, 1(R.P. 28; DV3A7).»Aug.deCio.D.VIII,2: «Anaximenesoinnesremmcausasinfinito
aêridedit: necdeosnegavitaut tacuit; nontamenab ipsisacremfac-tura, sed ipsosexaèreortoscredidit.»(R. P. 28b; DV3 A10).
*Simpl.Phys.p. 1121,12(R.P.28a ; DV3 A 11).Le passagetiré desPlacila estplus probantqueceluideSimplicius.Notezdeplusquecen'est qu'à Anaximène,à Heracliteet à Diogèneque, mêmeIci, sontattribuésdesmondessuccessifs.Encequi concerneAnaximandre,Sim-pliciusest parfaitementclair. Sur l'opiniondes Stoïciensrelativementa Heraclite,voirchap.III,$78,et sur Diogène,chap.X,}188.QueSim-pliciusait suiviuneautoritéstoïcienne,celaest suggérépar les mots:xatûattpovolditoti)î 2to4».Cf.aussiSimpl.de Ctelo,p.202,13.
* L'autoritéd'Anaximèneétait si grandeque Leucippeet Démocriteadhérèrenttous deuxà sa théoriede la formede la terre, et se repré-sentaientcelle-cicommeun disque.Cf.Aét. III, 10,3-5(lïtplox«j?atocYjJ«),'Ava£tp.tv»jçtoaittÇotio(TBVftp). AtJxtnito;tujticavottji).Aijjioxptto;oiaxottîi)jtivt<ùitXdttt,xotXijvit tu»uéscu.Cecien dépit du fait que la
L'ÉCOLEMILÉSIENNE 85
d'Apollonie revint à la doctrine centrale d'Anaximène, et
fit une fois de plus de Pair la substance primordiale, quoi-qu'il essayât, lui aussi, de la combiner avec les théories
d'Anaxagorc (§188). Nous reviendrons plus tard sur toutesces questions ; mais il nous a paru opportun de noter dès
maintenant qu'Anaximène marque le point culminant dumouvement intellectuel parti de Thalès, et de montrercomment la « philosophie d'Anaximène » en vint à symbo-liser la doctrine milésienne tout entière. S'il a pu en être
ainsi, c'est uniquement parce qu'elle était réellement l'oeu-vre d'une école dont Anaximène fut le dernier représentantdistingué, et parce que la contribution de celui-ci fut telle
qu'elle compléta le système hérité de ses prédécesseurs.Que la théorie de la raréfaction et de la condensation fûtréellement pour le système milésien un complément, c'estce que nous avons déjà vu (§26), et tout ce qu'il nous resteà ajouter, c'est que la claire réalisation de ce fait est lemeilleur guide à la fois pour l'intelligence de la cosmologiemilésienne elle-même et pour celle des systèmes qui lasuivirent. Pour l'essentiel, c'est d'Anaximène que tous
prennent leur point de départ.
sphéricitéde la terre étaitdéjà un lieu commundans les cerclesotUavaientpénétréles idéespythagoriciennes.
CHAPITRE li
SCIENCE ET RELIGION
XXXII. — MIGRATIONSVERSL'OUEST.
Jusqu'ici, nous n'avons rencontré aucune trace d'un
antagonisme direct entre la science et les croyances popu-laires, quoique les opinions des cosmologues milésiensfussent en réalité aussi incompatibles avec les religions du
peuple qu'avec la mythologie des poètes anthropomor-phiques*. Deux choses hâtèrent le conflit : le déplacementde la scène vers l'ouest, et le réveil religieux qui se pro-duisit en Grèce au cours du VIe siècle avant Jésus-Christ.
Les principales figi res qu'enregistre l'histoire de la phi-losophie pendant cette période furent Pythagore de Samoset Xénophane de Colophon. Tous deux étaient Ioniens de
naissance, et cependant tous deux passèrent la plus grandepartie de leur vie dans l'Occident. Hérodote nous apprendcomment l'avance des Perses en Asie Mineure occasionnaune série de migrations vers la Sicile et l'Italie méridio-nale *,et cela changea naturellement en une grande mesureles conditions de la philosophie, aussi bien que celles delà
religion. Les nouvelles idées s'étaient probablement déve-
loppées d'une manière si naturelle et si graduelle en Ionie
que le conflit et la réaction avaient été évités ; mais il n'en
pouvait être de même quand elles furent transplantées dans
i Sur les idées théologiquesd'Anaximandreet d'Anaximène,voirH 22et 30.
»Cf.Herod.I, 170(conseildeBias); VI,22sq. (KalèAktè).
SCIENCEET RELIOION 87
une région où les hommes n'étaient pas le moins du monde
préparés à les recevoir.Un autre effet — un peu postérieur, il est vrai — de ces
migrations, fut de mettre la science en contact avec la rhé-
torique, un des produits les plus caractérisques de la Grèceoccidentale. Dans Parménide déjà, nous pouvons noter la
présence de cet esprit dialectique et critique qui devait
avoir une si grande influence sur la pensée grecque, et ce
fut justement cette fusion de Part d'argumenter en vue de
la victoire avec la recherche de la vérité, qui donna nais*
sance à la logique.
XXXIII. — LE RÉVEILRELIGIEUX.
Le réveil religieux, qui atteignit son point culminant verscelte époque, exerça sur la philosophie une influence donton ne saurait exagérer la portée. La religion de la Grècecontinentale s'était développée d'une tout autre manière
que celle de l'Ionie. Le culte de Dionysos, en particulier,qui venait de Thrace, et qui n'est mentionné qu'en passantdans Homère, renfermait en germe une façon entièrementnouvelle d'envisager les rapports de l'homme avec leinonde. On aurait certainement tort d'attribuer auxThraces eux-mêmes des opinions par trop élevées, mais ilest hors de doute que le phénomène de l'extase suggéraaux Grecs l'idée que l'âme était quelque chose de plusqu'un faible double du moi, et que ce n'était qu'«en dehorsdu corps* qu'elle pouvait montrer sa vraie nature*. Enune moindre mesure, des idées analogues furent suggéréespar le culte de Déméter, dont les mystères étaient célébrésà Eleusis; mais, à une date postérieure, elles n'en vinrent
pas moins à jouer un rôle très important dans ' es esprits des
»Sur tout cela, voir Rohde,Psyché,pp. 377sq. (2«éd. Il, 1). Il estprobableque Rohdeexagéraitle degré auquel ces idéesétaient déjàdéveloppéesparmi les Thraces,mais la connexionessentiellede lanouvellevue sur l'âmeavecdes cultesdu Nordest sans cesse confir-méepar la tradition.
88 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
hommes. La cause de ce fait fut leur incorporation à la
religion officielle d'Athènes.Avant l'époque dont nous nous occupons, la tradition
nous permet d'entrevoir un âge de prophètes inspirés —
Bakiacs et Sibylles — suivi d'un autre Age d'étranges
guérisseurs ou sorciers, comme Abaris et Aristéas de Pro-connèse. Avec Epiménidc de Crèle, nous touchons aux con-
fins de l'histoire, tandis que Phérécyde de Syros est le
contemporain des premiers cosmologues : nous possédonsencore quelques fragments de son écrit. Il semblait que la
religion grecque fût sur le point d'arriver au même stadede développement qu'avaient déjà atteint les religions del'Orient ; et il est '.fficile de voir ce qui, à part l'essor de
la science, aurait pu s'opposer à celte tendance. On a l'ha-bitude de dire que les Grecs furent préservés d'une religionde type oriental par le fait qu'ils n'avaient pas de caste
sacerdotale, mais c'est là prendre l'effet pour la cause. Cene sont pas les prêtres qui font les dogmes, quoiqu'ils les
conservent une fois constitués, et dans les premiers stadesde leur développement, les peuples de l'Orient n'avaient
pas non plus de clergé au sens dont nous en parlons ici '.Ce fut moins l'absence d'un corps de prêtres que l'exis-tence d'écoles scientifiques qui sauva la Grèce.
XXXIV. — LA RELIGIONORPHIQUE.
La nouvelle religion —car elle était nouvelle en un sens,
quoique, en un autre, ce fût aussi vieille que l'humanité— atteignit soi apogée par la fondation des communautés
orphiques. Pour autant que nous pouvons le savoir, la
patrie originelle de ces communautés fut PAttique, maiselles se répandirent avec une extraordinaire rapidité, spé-cialement dans le sud de l'Italie et en Sicile \ Celaient, en
»VoirE.Méycr,Gesch.desAllerlh.II,$461.C'estparunesurvivancede la penséefrançaiseau XVIII*sièclequ'onattribuesouventauclergénn rôle exagéré.
*VoirE. Meyer,Gesch.desAlterth.II J 453-460,qui insisteavecrai-
SCIENCEET RELIGION 89
première ligne, des associations pour le culte de Dionysos,mais elles se distinguaient par deux traits, nouveaux chez
les Hellènes. Elles plaçaient dans une révélation la source
de l'autorité religieuse, et elles étaient organisées en com-
munautés artificielles. Les poèmes qui contenaient leur
théologie étaient attribués au Thrace Orphée, qui était lui-
même descendu dans le Hadès, et était par conséquent un
guide sûr à travers les périls qui assiégeaient l'âme séparéedu corps dans le monde de l'au-delà. Nous possédons desrestes considérables de celle littérature, mais ils .«.ontpourla plupart de date récente, et ne peuvent être tenus pourdes témoignages certains des croyances du VIe siècle. Noussavons cependant que les idées directrices de Porphismeétaient d'origine très ancienne. Un certain nombre de
tablettes d'or, sur lesquelles étaient inscrits des vers
orphiques, ont été découvertes dans l'Italie méridionale *;et quoiqu'elles soient un peu postérieures à la période dont
nous nous occupons, elles remontent à une époque où
POrphismc était une foi vivante et non une renaissance fan-
tastique. Ce que l'on petit en tirer relativement à la doc-trine offre une ressemblance étonnante avec les croyancesqui prévalaient en Inde vers le même temps, quoiqu'il semble
impossible qu'il y ait eu alors un contact effectif entrel'Inde et la Grèce. Le but essentiel des Orgia* était de
«purifier» l'âme du croyant et de la rendre ainsi capabled'échapper à la « roue des naissances », et c'était pour mieuxatteindre ce but que les Orphiques étaient organisés en
son sur le faitque la théogonieorphiqueest lacontinuationde l'oeuvred'Hésiode.Commenous l'avons vu, une partie de cette théogonieestmêmeplus anciennequ'Hésiode.
«Sur les tablettesd'or de Thurlum et de Pétélia, voir l'appendiceauxProlegomenalo the Study of GreekReligionde MissHarrison,oùleur texte a été discutépar leprofesseurGilbertMurray,qui ena aussidonné la traduction.
1C'étaitle plusanciennom de ces «mystères»,et il signifiesimple-ment «sacrements»(cf. iopva).Lesorgiesne sont pas nécessairementorgiastiques.Cetteassociationd'idéesvientuniquementdu fait que lesorgiesappartenaientau culte de Dionysos.
90 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
communautés. Les associations religieuses doivent avoirété connues aux Grecs depuis une date assez reculée 1,mais les plus anciennes d'entre elles étaient fondées, en
théorie du moins, sur les liens que constituait la parenté du
sang. Ce qui était nouveau, c'était l'institution de commu-
nautés auxquelles n'importe qui pouvait être admis parl'initiation*. Celait,en fait, l'établissement d'églises,quoi-que rien ne nous prouve qu'elles fussent reliées entre ellesde telle sorte que l'on soit fondé à en parler comme d'uieseule église. Les Pythagoriciens se rapprochèrent davan-
tage de la réalisation de cette pensée.
XXXV. — LA PHILOSOPHIE,CHEMINDEVIE.
Nous avons à nous occuper ici de la renaissance reli-
gieuse essentiellement parce qu'elle fit naître la pensée quela philosophie est par dessus tout un «chemin de vie ». La
science, aussi, était une «purification », un moyen d'échap-per à la « roue ». C'est là l'opinion si fortement expriméedans le Phédon, de Platon, qui fut écrit sous l'influencedes idées pythagoriciennes 1. Socratc était devenu pour ses
partisans le «Sage» idéal, et ce fut à ce côté de sa person-
1Hérodoteracontequ'Isagoraset ceuxde sonfévo;adoraientle ZensCarien (V,66),et il est probablequelesOrgeonesattachésparClisthèneaux phratriesattiquesétaientdes associationsde cette nature. VoirFoucart,LesassociationsreligieuseschezlesGrecs.
»Unsurprenantparallèleà tout celanousest fourniparceque nouslisonsdansRobertsonSmith,Religionof theSémites,p.339.«Letraitessentielqui lesdistinguait(lesmystèressémitiquesduV1I<siècleavantJ.-C.)desvieuxcultespublicsareclesquelsils vinrentencompétition,c'estqu'ils n'étaientpasfondéssur le principede la nationalité,maisqu'ils cherchaientdes recruesparmiles hommesdetoute racedispo-sésà accepterl'initiationpar lessacrementsmystiques.»
*Le Phédonest dédié,pourainsi dire, à Echécratcet à la sociétépythagoriciennede Phlionte,et il est évidentquele côtéreligieuxduPythagorlsmefit impressionsur Platondanssajeunesse,quoiquel'in-fluencede la sciencepythagoriciennene se marqueclairementquedansunepériodepostérieure.Notezspécialementle mot âtpaito;dePhédon66b 4.Dansla République,X,600b 1, PlatonparledePytha-gorecommedu fondateurd'uneéîôî tt; (Houprivée.
SCIENCEET RELIGION 91
nalité que s'attachèrent surtout les Cyniques. C'est d'eux
que procédèrent le Sage stoïcien et le Saint chrétien, ainsi
que toute l'engeance d'imposteurs que Lucien a mis au
pilori pour notre édification '. Saints et Sages sont gens àse montrer sous des formes inquiétantes, et Apollonius de
Tyanea fait voir finalement où celte mentalité pouvait con-
duire. Elle n'était entièrement absente d'aucune philoso-phie grecque après les jours de Pythagore. Aristote en estaussi imprégné que n'importe qui, comme nous pouvons le
voir par le livre X de l'Ethique, et comme nous le verrionsencore plus distinctement si nous possédions dans leur inté-
grité des oeuvres telles que le Prolreptikos \ Platon essaya,il est vrai, de rendre le Sage idéal utile à l'Etat et à l'huma-nité par sa doctrine du roi-philosophe. Il est le seul, à notre
connaissance, qui ait fait un devoir aux philosophes de
descendre tour à tour dans la caverne d'où ils ont été déli-
vrés, afin de venir au secours de leurs anciens compagnonsde captivité*. Ce ne fut pas, cependant, la manière de voir
qui prévalut, et le « Sage» se détacha de plus en plus du
monde. Apollonius de Tyane était pleinement justifié à se
regarder comme l'héritier spirituel de Pythagore ; car la
théurgie et la thaumaturgie des écoles grecques posté-rieures n'étaient que le fruit de la semence jetée en terre
dans la génération qui précéda les guerres persiques.
1Cf.spécialementle pointde vue de la Bîwvitplst;.' Sur le flpotptnttxô;d'Arlstote,voir Bywaterdans le J. of Phil. H,
p. 55; Dielsdans l'Archiv,I, p. 477,et les notessur YEthiqueI, 5, demonédition
*Plato,Rep.520c 1: xatajfatiovoùvtv jWptt.L'allégoriede la caverneparaît être d'origineorphique,et je tienspour tout à faitjustifiée lasuggestiondu prof. Stcwart(Mythsof Plato, p. 252,n.2) que Platonavaitdans l'espritla xatdjîajtçtt; 'Atîoo.L'idéede délivrer les «espritsen prison»est depointeu pointorphique.
/
92 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
XXXVI. —-PAS DEDOCTRINEDANSLES«MYSTÈRES».
On aurait tort, d'autre part, de supposer que POrphismcou les mystères suggérèrent aux philosophes des doctrinesdéfinies quelconques, du moins durant \a période que nousallons considérer. Nous avons admis qu'ils impliquaienten fait une nouvelle opinion sur l'âme, et nous aurions pu,en conséquence, nous attendre à constater qu'ils modi-
fièrent profondément l'idée que les hommes se faisaient dumonde et de leurs rapports avec lui. Ce qu'il y a d'éton-
nant, c'est que cela n'arriva pas. Même ceux des philo-sophes qui étaient dans les relations les plus étroites avecle mouvement religieux, tels qu'Empédocle et les Pythago-riciens, professèrent sur l'âme des opinions qui contredi-saient en fait la théorie impliquée dans leurs pratiquesreligieuses 1. Il n'y a de place pour une unie immortelled'uis aucune des philosophies de celte période. Jusqu'auxt mps de Platon, l'immortalité ne fut jamais étudiée d'unemanière scientifique, mais seulement supposée dans lesrites orphiques, auxquels Platon recourt à moitié sérieu-sement pour confirmer sa propre doctrine *.
Il est facile de rendre compte de tout cela. Pour nous, unréveil religieux est généralement la vivante mise en oeuvred'une doctrine nouvelle ou oubliée, tandis que la religionde l'antiquité n'avait, à proprement parler, pas de doctrinedu tout. « On n'attendait pas des initiés, nous dit Aristote,
qu'ils apprissent quoi que ce soit, mais seulement qu'ilsfussent affectés d'une certaine manière, et mis dans unecertaine disposition d'esprit'.» Tout ce que l'on demandait,
>Sur Empédocle,voir$119;sur lesPythagoriciens,; 149.*Cf.Phed.69c2: xa'txtvï'jvttîouoixatotta; ttXttà; ijp.ïvoôtotxatarnj-
eavtt;oùçaOXotttvt; ttvat,dXXàt<pSvttitdXataîvtrrtsftxix.t. X.Pourrait-on se méprendresur la gentilleironie de ce passageet d'autressem-blables?
*Arist.frg.45,1483a 19: toù; teXo-jjiivo'j;oùjiadtïvtt îtîv,dXXàna9tt«xa'tîtatt&rjvat. —
SCIENCEET RELIGION 93
c'est que le rituel fût correctement accompli ; l'adorateur
était libre d'en donner l'explication qui lui plaisait. Elle
pouvait être aussi exaltée que celle de Pindare et de
Sophocle, ou aussi matérielle que celle des marchands de
mystères décrits par Platon dans la République. L'essentiel
était qu'il sacrifiât irréprochablement son cochon.
/. PYTHAGOREDE SAMOS
XXXVII. — CARACTÈREDELATRADITION.
Ce n'est pas chose facile de faire de la vie de Pythagoreet de sa doctrine un exposé qui puisse prétendre à être
tenu pour historique. Nos principales sources d'informa-tion *sont les Vies composées par Jamblique, Porphyre et
Diogène Laërce. Celle de Jamblique est une misérable com-
pilation, basée surtout sur l'ouvrage du mathématicien
Nicomaque de Gerasa, en Judée, et sur le roman d'Apollo-nius de Tyane, qui se considérait lui-même comme un
second Pythagore, et prenait, en conséquence, de grandeslibertés avec ses matériaux*. Porphyre est, comme écri-
vain, à un niveau beaucoup plus élevé que Jamblique,mais ses autorités ne nous inspirent pas plus de confiance.Lui aussi fit usage de Nicomaque et d'un certain roman-cier nommé Antonius Diogène, auteur d'un livre intituléMerveilles d'au delà de Thulè *. Diogène cite, comme d'ha-
1Voirl'admirableétudedeE. Rohde: DieQuellendesIamblichusinseinerBiographiedesPythagoras(Rh.Mus.XXVI,XXVII).
1Jambliqueétait disciplede Porphyreet contemporainde Constan-tin. La Viede Pythagorea été éditéepar Nauck(1884).Nicomaqueappartientau commencementdu 2*siècleaprès J.-C.11n'y a aucunepreuvequ'il ait rienajoutéauxautoritésqu'il suivait,maisellesétaientdéjà viciéespar les fablesnéo-pythagoriciennes.Néanmoins,c'est àlui que nousdevonssurtoutla conservationdesprécieuxtémoignagesd'Aristoxène.
* L'importancede la Viequi se trouve dansDiogèneLaërcegîtdansle fait qu'ellenousdonnel'histoirecouranteà Alexandrieavant
94 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
bitude, un nombre considérable d'autorités, et les indications qu'il donne doivent être estimées suivant la naturedes sources d'où elles ont été tirées. Jusqu'ici, il faut
l'avouer, nos matériaux ne semblent pas promettre beau-
coup. Un examen plus approfondi montre, cependant, quede nombreux fragments de deux autorités beaucoup plusanciennes, Aristoxène et Dicéarquc, sont enchâssés dansla masse. Ces écrivains étaient tous deux disciples d'Aris-tote ; ils étaient natifs de l'Italie méridionale, et contempo-rains de la dernière génération des Pythagoriciens. Tousdeux composèrent des Viesde Pythagore, et Aristoxène,
qui était personnellement intime avec les derniers repré-sentants du pylhagorisme scientifique, fit encore une col-lection des sentences de ses amis; L'histoire néo-pythago-ricienne, telle que nous Pavons dans Jamblique, est untissu de fables incroyables et fantastiques; mais, si nous ytrions les indications qui remontent à Aristoxène et à
Dicéàrque, nous pouvons facilement construire un récit
raisonnable, dans lequel Pythagore apparaît non commeun faiseur de miracles et un innovateur religieux, mais
simplement comme un moraliste et un homme d'Etat.Nous pourrions alors être tentés de supposer que c'est là latradition authentique ; mais ce serait encore une erreur. Il
y a, en fait, une troisième couche, encore plus ancienne,dans les Vies, et celle-ci s'accorde avec les dernières indi-cations pour faire de Pythagore un artisan de prodiges etun réformateur des croyances.
Quelques-uns des miracles les plus frappants de Pytha-gore sont racontés sur l'autorité du Trépied d'Andron etde l'ouvrage d'Aristote sur les Pythagoriciensl. Ces traités
l'apparitiondu néo-pythagorismeet la promulgationdel'évangileselonApolloniusdeTyane.
«Andrond'Ephèseécrivitsur les Septsagesun livreappelé7eTré-pied,par allusionà l'histoirebienconnue.Lesfaitsattribuésà Pytha-goredansle traité aristotéliciennousfontpenserà une légendereli-gieuse.Il tue,par exemple,un serpentvenimeuxen le mordant;il fut
SCIENCEET RELIGION 95
appartiennent tous deux au IVe siècle avant J.-C, et n'ont
par conséquent pas été influencés par les fantaisies néo-
pythagoriciennes. De plus, ce n'est qu'en supposant l'exis-tence encore plus ancienne de celte opinion que nous pou-vons expliquer les allusions d'Hérodote. Les Grecs de
PHellespont lui disaient que Salmoxis ou Zamolxis avaitété l'esclave de Pythagore 1, et Salmoxis est une figure dela même catégorie qu'Abaris et Aristée.
Il semble donc que les plus anciennes et les plus récentesindications s'accordent à représenter Pythagore comme unhomme de la classe à laquelle appartenaient Epiménide etOnomacrite — en fait comme une sorte de «guérisseur» ;mais, pour une raison ou pour une autre, une tentative futfaite pour sauver sa mémoire de cette imputation, et cettetentative eut lieu au IVe siècle avant J.-C. La significationen apparaîtra dans la suite de notre exposé.
XXXVIII. — VIE DE PYTHAGORE.
Nous savons de source certaine, on peut le dire, quePythagore passa les premières années de sa vie à Samos,et qu'il était fils de Mnésarque*; il «florissait», nous dit-
vuen mêmetempsà Crotoneet à Métaponte;il exhibasa cuissed'orà Olympie,et unevoixvenantdu Ciellui parla commeil traversaitlarivièreKasas.Le mêmeauteurnousdit que Pythagorefut identifiéparles CrotoniatcsavecApollonHyperboréen(Arist.frg. 186).
«Herod.IV,95.*Cf.Herod.IV,95,et Heraclite,frg.17(R. P.31a ; DV12B129).Hé-
rodote le représentecommevivant à Samos.Aristoxènedit, d'autrepart, qu'il vint d'unedes îles que les AthéniensoccupèreutaprèsenavoirchasséjesTyrrhénlens(Diog.VIII,1).Celafait songerà Lcmnos,d'où les Pélasgestyrrhéniens furent chasséspar Miltiade(Herod.VI,140),ou peut-êtreà quelqueautre île occupéedanslemêmetemps II yavaitaussi des Tyrrhéniensà Imbros.Celaexpliquequ'on ait fait deul un Etrusqueou un Tyrien. D'autres récits le metteut en rapportavecPhlionte,maisc'est peut-êtrelà unepieuseinventionde l'associa-tion pythagoriciennequi y florissaitau commencementdu 1V«sUcleavant J.-C. Pausanias(II, 13,1)rapporteune tradition des PhliasienssuivantlaquelleHippasos,arrière-grand-pèrede Pythagore,avaitémi-gréde Phlionteà Samos.
96 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
on, sous le règne de Polycrate '. Cette date ne peut s'éloignerbeaucoup de la vérité, car Heraclite parle déjà de'Pytha-gore au passé'.
Les grands voyages attribués à Pythagore par des écri-vains postérieurs sont naturellement apocryphes. Mêmel'indication suivant laquelle il visita l'Egypte, quoique loind'être improbable, si nous considérons les relations étroitesentre Polycrate de Samos et Amasis, repose sur une auto-rité insuffisante*. Hérodote observe, il est vrai, que les
Egyptiens s'accordaient, en certaines pratiques, avec les
règles appelées orphiques et bakchiques, qui sont en réalité
égyptiennes,et avec les pythagoriciennes*; mais cela n'im-
plique pas que les Pythagoriciens les tinssent directementde l'Egypte. Il dit aussi, dans un autre passage, que la
croyance à la transmigration venait d'Egypte, quoique cer-tains Grecs, les uns à une date antérieure, les autres à unedate postérieure, la fissent passer pour la leur propre. Il
refuse, toutefois, de donner leurs noms, de sorte qu'il ne
peut guère faire allusion à Pythagore '. Et cela n'importe
1EratosthèneidentifiaitPythagoreavecle vainqueur olympiquede01.XLVIII,1 (588/7av. J.-C). mais Apollodoreplaçait son àkmè en532/1de l'ère de Polycrate. Il,se basait sans doute sur l'indicationd'Arlstoxènecitéepar Porphyre(V.Pylh. 9),quePythagorequitta Sa-mospar hainepourla tyranniede Polycrate(R.P. 53a ; DV4,8).Pourune discussioncomplète,voir Jacoby,pp.215sq.
*Héracl.frg. 16,17(R. P. 31,31a ; DV13B 40,129).3Elle se rencontrepourla premièrefolsdans le Busiris d'Isocrate,
528 (H.P. 62; DV4,4).*Herod.II, 81(R.P. 52a; DV4,1). La virguleaprès Atvwtttotsiest
évidemmentcorrecte.Hérodotecroyaitque le cultede Dionysosavaitété introduitd'Egyptepar Mélampous(H,49),et il veut faire entendreque les Orphiques empruntèrent ces pratiques aux adorateurs deBakchos,tandis que les Pythagoriciensles reçurentdes Orphiques.
» Herod.Il, 123(R.P. ib.; DV4,1).Lesmots: cdont Je connais,maisdont je n'écris pas les noms» ne peuventse rapporter à Pythagore;car ce n'est que de ses contemporainsqu'Hérodoteparle de la sorte(cf.I, 61; IV,48).Steinsuggèrequ'il veut parler d'Empédocle,et celame parait convaincant.Hérodotepeut l'avoirrencontréà Thurium.11n'y a non plus aucune raison de supposerque oljdvitpôttpovse rap-portespécialementauxPythagoriciens.SIHérodoteavaitjamaisentendu
SCIENCEET RELIGION 97
guère, car les Egyptiens ne croyaient pas à la transmigra-tion du tout, et Hérodote fut tout simplement induit en
erreur par les prêtres ou par le symbolisme des monuments.'Aristoxène dit que Pythagore quitta Samos pour échapper
à la tyrannie de Polycrate *. Ce fut à Crotone, cité déjàfameuse par son école médicale *, qu'il fonda sa société.
Combien de temps il y resta, nous l'ignorons ; il mourut à
Métaponte, où il s'était retiré au premier signe de révolte
contre son influence*.
XXXIX. — L'ORDRE.
Il n'y a pas de raison de croire que les renseignementsdétaillés qui nous ont été transmis relativement à l'organi-sation de l'ordre pythagoricien reposent sur une base his-
torique, et nous pouvons encore nous rendre compte de
l'origine d'un grand nombre d'entre eux. La distinction, ausein de l'ordre, de degrés que l'on appelait de noms divers :
Mathématiciens et Acousmatiques, Esotériques et Exoté-
riques, Pythagoriciens et Pythagoristes *, est une inventiondestinée à expliquer comment on en vint à avoir deux
groupes de gens très différents, qui tous deux prétendaientau titre de disciples de Pythagore au IVe siècle avant J.-C.
Ainsi, encore, l'indication d'après laquelle les Pythagori-
dircque Pythagoreavait visité l'Egypte,Il l'aurait sûrement dit dansl'un ou l'autre de cespassages.II n'y avaitaucuneraisonde garder laréserve,puisquePythagoredevait être mort quand Hérodotenaquit.
»Porph.V.Pylh. 9 (R.P. 53a ; DV4,8).1D'aprèsce.qu'Hérodotenousdit deDémocède(III, 131),nouspou-
vonsvoirque l'écolemédicalede Crotonefut fondéeavant l'époquedePythagore.Cf.Wachtlcr,DeAlcmeeoneCroloniala,p. 91.
*Onpeuttenir pourcertainque Pythagorepassasesderniersjours àMétaponte;Aristoxènele dit (ap. Jambl. V.Pylh. 249),et Cicéron(DeFin. V, 4) parle des honneurs qui continuèrentà être rendus à samémoiredans cette cité (R. P. 57c). Cf.aussiAndron,frg.6 (F. H. G.Il, 347).
Sur ces distinctions,voir Porphyre(V.Pylh. 37)et Jamblique(V.Pylh.80),citésR. P.56et566 (DV,8,2). Le nomd'dxovsjiattxolest évi-demmenten relationavecles dxojauaTadont nousauronsà nousoccu-per souspeu.
PIllLOSOPlllBGRECQUE 7
98 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
ciens étaient [tenus à un inviolable secret, indication quiremonte à Aristoxène 1, avait pour but d'expliquer pourquoil'on ne trouve aucune trace de la philosophie pythagori-cienne proprement dite avant Philolaos.
L'Ordre pythagoricien était simplement, à son origine,une fraternité religieuse du type décrit plus haut, et non
pas, comme on l'a soutenu quelquefois, une ligue poli-tique *.Il n'avait rien à faire non plus avec « l'idéal aristo-
cratique dorien ». Pythagore était Ionien, et l'Ordre était
limité, à ses débuts, aux Etats achéens *. Il n'y a aucune
preuve quelconque que les Pythagoriciens favorisassent le
parti aristocratique plutôt que le parti démocratique 4.
1Sur le a silencemystique»,voirAristoxène,ap. Diog.VIII,15(R.P. 55a; DV4, 12).Tannery,Sur le secretdans l'écolede Pythagore{Arch.I, p.28sq.),penseque lesdoctrinesmathématiquesétaientlessecretsde l'école,et qu'ils furentdivulguéspar Hippasos;maisl'opi-nionla plus raisonnableestqu'il n'y avaitpasde sec/eJ du tout,ex-ceptéceuxquise rapportaientau rituel.
' Platon,Rep.X,600a, impliqueque Pythagorene revêtit aucunechargepublique.L'opinionquela sectepythagoricienneétaitune li/\..politique,opinionsoutenuejdansles tempsmodernespar Krische>1csocielalisa Pythagoraconditoescopopolitico,1830)remonte,commel'a montréRohde(loc.cit.),à Dicéarque,le championde la «ViePra-tique»,tout commel'opinionquec'étaità l'origineunesociétéscienti-fiqueremonteau mathématicienet musicienAristoxène.Lepremierantidata Archytas,et le dernier antidata Philolaos'(voirchap.VII,§138).C'estce queGrotca vuclairement(vol.IV,p. 329sq.).
>Nfeyer,Gesch.desAllerlh.H,§502,note.Il est toujoursnécessaired'insisterlà-dessus,car l'Idéeque les Pythagoriciensreprésentaient1'cidéaldorien» a la vie dure. Dansses KulturhistorischeBeitrâge(fasc.I, p. 59)MaxC.P. Schmldtimaginequelesécrivainspostérieursappelèrentle fondateurde la sectePythagorasau lieude Pythagorés,commele nommentHeracliteet Démocrite,parcequ'ilétait devenuaun DoriendesDoriens». Le fait est tout simplementque IL&appa;est la formeattlque de rhdaYÔpq;,et que les écrivainsen questionécrivaienten dialecteattlque.Pareillement,PlatonappelleArchytas,qui appartenaità un Etat dorien,Archytès,quoiqueAristoxèneetd'autresgardassentla formedoriennedesonnom.
*Cylon,le principaladversairedes Pythagoriciens,est décrit parAristoxène(Jambl.V.Pylh.,248)comme-rlmxatitXoûttpitp»ttûa>vtôvitoXtt&v.Turente,qui devaitdevenirle principalsiègedesPythagori-ciens,étaitune démocratie.La véritéest que, dans ce temps-là,lanouvellereligions'adressaitau peupleplutôtqu'auxaristocraties,qui
SCIENCEET RELIGION 99.
Le but essentiel de l'Ordre était d'assurer à ses membres
une satisfaction plus complète de l'instinct religieux quecelle que leur fournissait'la religion d'Etat. C'était, en fait,une institution à l'effet de cultiver la sainteté. Sous ce rap-
port, elle ressemblait à une société orphique, bien que, sem-
ble-t-il, le dieu principal des Pythagoriciens fût Apollon
plutôt que Dionysos. C'est là, sans doute, la raison pour
laquelle les Crotoniates identifièrent Pythagore avec Apol-lon Hyperboréen '. De par la nature des choses, cependant,une société indépendante à l'intérieur d'un Etat grec devait
facilement entrer en conflit avec l'ensemble des citoyens.Le seul moyen qu'il y eût pour elle d'affirmer son droit à
l'existence était d'identifier l'Etat avec elle-même, c'est-à-
dire de s'assurer le contrôle du pouvoir souverain. L'his-
toire de l'Ordre pythagoricien, pour autant qu'on peut la
reconstituer, est celle d'une tentative faite pour évincer
l'Etat, et son action politique doit être envisagée comme
un simple incident de cette tentative.
XL. — CHUTEDE L'ORDRE.
Pendant un certain temps, le nouvel Ordre parait avoir
réussi, effectivement, à s'assurer le pouvoir suprême, mais
la réaction finit par se produire. Sous la conduite d'un \noble riche, Cylon, Crotone réussit à lutter victorieusement ;contre la domination pythagoricienne, qui, l'on peut bien
penchaientvers la «libre pensée».(Meyer,Gesch.desAllerlh. III,g252)L'hommede cesderniersn'est pas Pythagore,maisXénophane.
i Pour l'identificationde PythagoreavecApollonHyperboréen,nousavons l'autorité d'Aristote, frg. 186,1510b 20. Les noms d'Abaris etd'Aristéasattestent un mouvementmystique parallèleà l'Orphlsme,mats basé sur le culte d'Apollon.La tradition postérieureen fait desprédécesseursdePythagore,et non sansquelquefondementhistorique,commele pronvcHerod.IV,13sq. et surtout l'Indicationqu'Aristéasavait une statue à Métaponte,où mourut Pythagore.La mise en rap-port de Pythagoreavec Zalmoxisappartient ou mêmeordre d'idées-Commela légendedes Hyperborécnsestdétienne,nous voyonsque lareligion.enseignée par Pythagore était d'origine nuthentiquementionienne.
100 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
le croire, avait été assex irritante. La «règle des Saints»n'aurait rien été en comparaison, et nous pouvons encorenous représenter — en la partageant — la colère que devait]ressentir le simple homme du peuple en ces jours-là. Car/il se voyait dicter la loi par une coterie d'incompréhensibles!pédants, aux yeux desquels c'était un devoir de s'abstenir
des fèves, et qui ne lui permettaient pas de corriger son
propre chien parce qu'ils reconnaissaient dans ses aboie-
ments la voix d'un ami défunt (Xénophane, fragm. 7). Ce
sentiment fut encore exaspéré par le culte privé de l'asso-ciation. Les Etats grecs ne pouvaient pardonner l'intro-
duction de nouveaux dieux. Non pas, sans doute, que poureux les dieux en question fussent des faux dieux. Qu'ils l'eus-
sent été, cela même n'eût pas été de si grande conséquence. ,Ce que ces Etats ne pouvaient tolérer, c'était que n'importe
qui prétendit'établir des moyens privés de communicationentre lui et les puissances invisibles. Cela introduisait dans
les institutions publiques un élément inconnu et incalcu-
lable, qui, selon toute probabilité, pouvait être hostile aux
citoyens qui n'avaient pas les moyens de se rendre propicela divinité intruse.
La version d'Aristoxène sur les événements qui ame- Anèrent la chute de l'Ordre pythagoricien a été reproduite I
tout au long par Jamblique. A l'en croire, Pythagore avait
refusé de recevoir Cylon dans sa société, ce qui avait fait de
ce dernier un ennemi acharné de l'Ordre. A cause de cela,
Pythagore quitta Crotone et alla s'établir à Métaponte, où ilmourut. Les Pythagoriciens,cependant, restèrent maîtres du
pouvoirà Crotone, jusqu'à ce qu'à la fin les partisans de Cylonmirent le feu à la maison de Milon, où ils étaient assem-blés. Deux seulement de ceux qui y étaient, Archippos et
Lysis, échappèrent à la mort. Archippos se retira à Tarente,et Lysis d'abord en Achaïe, puis à Thèbes, où il fut plustard le maître d'Epaminondas. Les Pythagoriciens qui sur-
vvécurent se concentrèrent à Rhegium, mais comme les
SCIENCEET RELIGION 101
choses allaient de mal en pis, ils abandonnèrent tous^l'Italie, excepté Archippos *.
Cerécit a tout Pair d'être historique. La mention de.Lysis
prouve cependant que ces événements s'étendirent sur plusd'une génération. Le coup d'Etat de Crotone ne peut guères'être passé avant 450 avant J.-C, si le maître d'Epami-nondas y échappa, et il se peut même très bien qu'il ait eulieu encore plus tard. Mais ce fut nécessairement avant 410
que les Pythagoriciens quittèrent Rhegium pour la Grèce ;Philolaos était certainement à Thèbes vers cette époque *.\
La puissance politique des Pythagoriciens, en tant
qu'Ordre, était ruinée pour toujours, quoique, comme nousle verrons, quelques-uns d'entre eux|soient retournés plustard en Italie. En exil, ils paraissent n'avoir renoncé qu'auxparties purement magiques et superstitieuses de leur sys-tème, ce qui leur permit de prendre la place qui leur reve-nait parmi les écoles philosophiques de la Grèce.
XLI. — INSUFFISANCEDE NOSRENSEIGNEMENTSSURLADOCTRINEPYTHAGORICIENNE.
Sur les opinions de Pythagore, nous en savons encore
moins, si c'est possible, que sur sa vie. Aristote, évidem-
ment, ne savait rien de certain relativement aux doctrinesmorales ou physiques qui remontaient au fondateur de
i VoirRohde,Rh.Mus.XXVI,p.565,n. 1.Le récitdonnédansnotretexte(Jambl.V.Pyth.250;R.P.59b; DV4,16)remonteà Aristoxèneet à Dicéarque(R.P. 59a). Il n'y a aucuneraisondesupposerqueleuropinionsur Pythagoreait viciéleur relationd'un fait historiquequidoit avoirété parfaitementbien connu. Suivantune versionposté-rieure,Pythagorelui-mêmeauraitpéri dansles flammesavecses dis-ciplesdansla maisondeMllon.C'estlà simplementun raccourcidra-matiquedetoutelasériedesévénements; nousavonsvuquePythagoremourutà Métaponteavant la catastrophefinale.L'allusionde Polybe,II,39(R.P. 69;DV4,16)à la destruction,parle feu,de euvUotapytha-goriciensimpliquecertainementque les troublesseprolongèrentpen-dant un tempsconsidérable.
»Platon,Phd.61d 7, e 7.
102 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEORECQUE
l'association lui-même '. Aristoxène se contenta de donnerun chapelet de préceptes moraux *. Selon un passage cité
par Porphyre, Dicéarque affirmait qu'on ne connaissait
presque rien de ce que Pythagore enseignait à ses disciples,excepté la doctrine de la transmigration, celle du cyclepériodique, et celle de la parenté de toutes les créaturesvivantes*. Le fait est que, comme tous les maîtres quiintroduisent une nouvelle manière de vivre plutôt qu'unenouvelle vue du monde, Pythagore aimait mieux instruireoralement que de répandre ses opinions xpar l'écriture, etce ne fut qu'à l'époque alexandrine que l'on se risqua à
forger des livres sous son nom. Les écrits attribués aux
plus anciens Pythagoriciens étaient aussi des élucubrationsde la même période*. L'histoire du Pythagorisme primitifest donc entièrement conjecturale ; mais nous pouvonsencore essayer de nous rendre compte, d'une manière toutà fait générale, de la position que dut occuper Pythagoredans l'histoire de la pensée grecque.
1Quandil discutele systèmepythagoricien,Aristoteparle toujoursdes cPythagoriciens», et non de Pythagorelui-même,et non sansintention,commesemblele prouverl'expressionol xaXoûptvotrluôayô-pttot,qui se rencontreplus d'une folsdans ses oeuvres(p.ex.Met.A,5.985b 23; deCoelo,B, 13.293a 20).Pythagorelui-mêmen'est men-tionnéque troisfoisdanstout le corpsaristotélicien,et dans un seulde ces passages{M.Mor.1182a 11)unedoctrinephilosophiquelui estattribuée.Nousy lisonsqu'il fut le premierà discuterla questionduBienet qu'il commitl'erreurd'en identifierles diversesformesavecdesnombres.Maisc'est là justementune des chosesqui prouventladate récentedesMagnaMoralia.Aristotelui-mêmesait parfaitementbienquecequ'il connaîtsousle nomdesystèmepythagoricienappar-tient pour l'essentielà l'époqued'Empédocle,d'Anaxagoreet de Leu-clppe,car,aprèsavoirmentionnéceux-ci,il désigneles Pythagoricienscommeleurs*contemporains»etleurstaînés»(tvII toûtot;xalitpotoû-ttov,Met.A,5, 985fr23).
*Les fragmentsdesIrj&aïopuaïditocpdsit;d'AriStoxènesont donnéspar Diels,Vors.p.282sq. (45D).
» V.Pylh. 19(R.P.55).*VoirDiels,Dox.p. 150et l'AngefàltchtesPythagorasbuch(Arch.lll,
p. 451sq.).Cf.aussiBernays,DieEeraklitlschenBriefe,n. 1.
SCIENCEET RELIGION 103
XLII. — LA TRANSMIGRATION.
En premier lieu, donc, il enseigna, on ne peut en douter,la doctrine de la transmigration '. L'histoire racontée parles Grecs de PHellespont et du Pont au sujet de ses rela-
tions avec Salmoxis n'aurait jamais pu se répandre du
temps d'Hérodote s'il n'avait été connu pour un homme
qui enseignait d'étranges choses sur la vie après la mort *.
Or, la manière la plus simple d'expliquer la doctrine de la
transmigration, c'est d'y voir un développement de la
croyance primitive en la parenté des hommes et des ani-
maux, en tant qu'enfants de la Terre les uns comme les
autres*, et cette croyance, Pythagore, au dire de Dicéarque,la professait certainement. En outre, elle est communé-ment associée, chez les sauvages, à un système de tabousrelativement à certaines sortes de nourriture, et le détail lemieux connu de la règle de Pythagore est sa prescriptionde formes analogues d'abstinence. Ce fait, en lui-même,tend à montrer que cette règle tira son origine des mêmes
idées, dont la renaissance, ainsi que nous Pavons vu,semble chose toute naturelle lors de la fondation d'unenouvelle société religieuse. Une autre considération encore
parle fortement dans le même sens. En Inde, nous trou-vons une doctrine tout à fait analogue, et cependant il n'est
pas possible de supposer, à cette date, un emprunt réel desidées hindoues. La seule explication qui rende compte desfaits est que les deux systèmes sortirent indépendammentl'un de l'autre des mêmes idées primitives. On les retrouve
1Le terme proprepar lequel le grec désignela transmigrationestitaXtYYtvtata,et l'inexactuttt|i<f't!x«>9t$neserencontrequedanslesécri-vains postérieurs.Hippolyteet Clémentd'Alexandriedisent uittvjoe-udtorttc,cequi est exact, mais lourd.VoirRohde,Psyché,p. 428,n. 2(II*135,n. 3).
1Sur la significationdecerécit, voir plushaut,p. 95.* Dleterich,MutterErde(Archlvfur ReUgtonttvtssentchaft,VIII,p. 29
et 47).
104 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
en bien des contrées, mais il semble qu'ils n'arrivèrent
qu'en Inde et en Grèce à se développer en un vrai corps dedoctrine.
XLIII. — L'ABSTINENCE.
On s'est demandé, il faut le dire, [si nous avons le droit
d'accepter ce que nous disent, au sujet de l'abstinence
pythagoricienne, des écrivains aussi récents que Porphyre.Aristoxène, en qui nous avons reconnu l'une de nos plusanciennes autorités, peut être cité pour prouver que les
Pythagoriciens primitifs ne savaient rien des restrictionsconcernant l'usage de la viande et des fèves. Il dit d'unemanière non équivoque que Pythagore ne s'abstenait pasde la viande en général, mais seulement du boeufde labouret du bélierl. Il dit aussi que Pythagore préférait les fèvesà tout autre légume, à cause de leur action laxative, et
qu'il avait un faible particulier pour les cochons de lait etles jeunes chevreaux *.Mais Aristoxène est un témoin quiperd souvent contenance quand on le soumet à un interro-
gatoire serré, et l'exagération manifeste de ces affirmationsfait voir qu'il s'efforçait de combattre une croyance exis-tante à sa propre époque. Nous sommes par conséquent enmesure de conclure, de ses propres déclarations, que latradition suivant laquelle les Pythagoriciens s'abstenaientde viande et de fèves remonte à une date bien antérieure àcelle où apparurent les Néopythagoriciens, intéressés à la
1Aristoxène,ap. Diog.VIII,20: itdvtajiiv ta âXXaa-jfiaiptXnaùtôvtsdtttv{[i^a, uovovi aitty^at P°'î dpotijpo;xatxpio-3.
*Aristoxène,ap.Gell.IV,11,5: MudaYÔpa;il tûivésnpîtuvpdXtstativxûapiovéioxîuaatv*Xttavttxivtt fàp tlvatxat8tax<op»ltixôV£tôxalpdXtstaxtxpt)tataùttn; /b. 6: «porculisquoqueminusculiset hrcdtstencriori-bus victitassc,idemAristoxenusrefert.»Il est naturellementpossiblequ'Aristoxèneait eu raisonrelativementau tabou des fèves.Noussa-vonsquec'étaitune règleorphique,etellepeutavoirététransféréeparerreur aux Pythagoriciens.Maiscela n'affecteraitpas la conclusiongénéralequecertainsPythagoriciens,tout au moins,pratiquaientl'abs-tinencede diversessortes de nourriture,et c'est tout ce qui nousimporteIci.
SCIENCEET RELIGION 105
défendre. On peut se demander, toutefois, quel motif Aris-
toxène peut avoir eu de s'inscrire en faux contre la croyancecommune. La réponse est simple et instructive. Il avait été
l'ami des derniers Pythagoriciens et, de leur temps, la
partie purement superstitieuse du Pythagorisme avait été
abandonnée, excepté par quelques zélotes, que les chefs de
l'association refusaient de reconnaître. C'est pourquoi il
représente Pythagore sous un jour si différent à la fois des
traditions les plus anciennes et les plus récentes : il noustransmet les vues de la secte la plus éclairée de l'Ordre.Ceux qui restaient fidèlement attachés aux vieilles pratiquesétaient maintenant regardés comme des hérétiques, et
toutes sortes de théories étaient mises sur pied pour reu ?re
compte de leur existence. On racontait, par exemple, qu'ilsdescendaient de l'un des «Acousmatiques», qui n'avait
jamais été initié aux mystères plus profonds des « Mathé-maticiens 1». Mais tout cela est pure invention. La satiredes poètes de la comédie moyenne prouve assez clairement
que, même si les amis d'Aristoxène ne pratiquaient pasl'abstinence, il y avait au IVe siècle une foule de gens quila pratiquaient, et qui s'appelaient eux-mêmes sectateursde Pythagore*. L'histoire n'a pas été clémente pour les
1La secte des «Acousmatiques» procédait, disait-on, d'Hippasos(Jambl. V.Pylh. 81; R. P. 56; DV8,2).Or Hippasosétait l'auteurd'unuusttxô;Xoyo;(Diog.VIII,7 ; R. P. 56c; DV8,3),c'est-à-dired'un ma-nuelsuperstitieuxtraitant du cérémonialoudu rite, et contenantpro-bablementdesakousmatadu genrede ceuxquenousavonsà considérerici, car on nousdit qu'il était écrit titl )ta£oX{Itu&aYÔpO'j.
* Diels a réuni ces fragments d'une manière commode (Vors.p. 291sq.; 45E).Ceuxqui nous intéressentle plus sont les suivants:Antlphanc,frg. 135,Kock: woittplîuDavoptCtDvts&ttt| Itt^X0*oùîlv;Alexis,frg. 220: ol tlj&aYopiÇovtt;vdp, ù>;dxoûopiv| O'jtêjovtsftîoustvoit' âXX'oùièIv| îp/Jwov; frg. 196(de la Hy&avoptCoMsa): -qi'totîasi;tondit;xalotJuyjXa| xattopô; totat' ta&tavàpÔJttvvôuo;| tôt; lîuôaYO-ptîot;; Arlstophon,frg. 9 (du Iludavoptst^;): «pô«ttbvfttôvotiptOatoi;itdXatnotl, | toi; IludaYoptstà;vtvopivo-j;£vtu>;p'uitdv| Ixôvta;fj tpopttvtptfi&va;fyit<n;;Mncsimachos,frg. 1: ê>;Hj&aYOpianMojitvttjî Ao4iaItu^ov oùitv tsfttovtt;itavttXû;.VoiraussiThéocrite,XIV,8: totoOto;xal updvtt; dfîxtto IhOaYoptxtd;,| ùr/pô;xdvjnoiijtoY'ADtjvito;8'lçat'
106 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
Acousmatiques, mais ils ne sont jamais tombés tout à faitdans l'oubli. Les noms de Diodore d'Aspendos et de Nigi-dius Figulus aident à jeter un pont entre eux et Apolloniusde Tyane.
Pythagore donc, nous le savons, enseignait la parentédes bêtes et des hommes, et nous en inférons que cette
règle d'abstinence de la viande était basée non pas sur desmotifs humanitaires ou ascétiques, mais sur un tabou.Cela nous est confirmé d'une manière frappante par un fait
que nous apprend la Défense de l'Abstinence, de Porphyre.Le renseignement en question ne remonte pas, en vérité,
jusqu'à Théophraste, comme c'est le cas d'une grande par-tic du traité de Porphyre *,mais il est, selon toute proba-bilité, dû à Héraclide de Pont, et nous montre que, quoiqueles Pythagoriciens s'abstinssent de viande dans la règle,ils en mangeaient néanmoins quand ils sacrifiaient auxdieux *. Or, chez les peuples sauvages, nous voyons quel'animal sacré est souvent tué et mangé selon les rites,dans certaines occasions solennelles, quand bien même,dans des circonstances ordinaires, ce serait la plus grandedes impiétés. Ici, de nouveau, nous avons affaire à une
croyance tout à fait primitive ; et nous ne devons par con-
' VoirBernays,Theophrastos'SchriftilberFrômmigkeit.Letraité dePorphyrefltplduo/J);tp.<p'J](u>vfut sans doutesauvéde la destructiongénéralede ses écrits-grâceà sa conformitéavecles tendancesascé-tiques de l'époque.Saint Jérômelui-mêmeen faisait constammentusagedans sa polémiquecontreJovien,quoiqu'ilait bien soinde nepas mentionnerle nomde Porphyre.(Thcophr.Schr.n. 2). Le traité
' est adresséà CastrlciusFirmus,discipleet amide Plotln,qui s'étaitdépartiduvégétarismestrictdes Pythagoriciens.
1Ce passagese trouvedans le DeAbst.p.58,25N'auck: lstopo)3tlittvt; xalaùtoi; âitttaôattûv ip.|ûx<uvtoi; lluOaYoptîo-j;.ôtt Duottvdtot;.Lapartiede l'oeuvred'où est tirée cette phraseprovientd'un certainClodius,sur lequelvoir Bernays,Theophr.Schr.p. 11.C'étaitproba-blement le rhéteur Sextus Clodius,contemporainde Cicéron.Ber-naysa montréqu'il utilisaitl'ouvraged'Héraclidede Pont{ib.n. 19).Sur le «sacrificemystique»en général,voir RobertsonSmith,Rel.Sem.I, p.276.
SCIENCPET RELIGION 107
séquent pas attacher la moindre importance aux déné-
gations d'Aristoxène *.
XLIV. — 'Axoifo/AotTot.
Nous allons savoir maintenant que penser des diverses
règles et des divers préceptes des Pythagoriciens qui nous
sont parvenus. Il y en a de deux sortes, et ils proviennentde sources très différentes. Quelques-uns d'entre eux,dérivés de la collection d'Aristoxène, et pour la plupartconservés par Jamblique, sont des préceptes purementmoraux. Ils ne prétendent pas remonter jusqu'à Pythagorelui-même ; ce sont simplement les sentences que la der-nière génération des «Mathématiciens» recueillit de labouche de ses prédécesseurs*. La seconde classe est denature très différente, et les sentences qui en font partiesont appelées akousmata *, ce qui indique qu'elles étaientla propriété de cette secte de Pythagoriciens qui gardafidèlement les vieilles coutumes. Des écrivains postérieursy voient des « symboles » de vérité morale ; mais leurs
interprétations sont cherchées très loin, et il- n'est pasnécessaire d'avoir un oeil très exercé pour voir que ce sontde vrais tabous, et d'un type tout à fait primitif. J'en donneici quelques exemples pour que le lecteur puisse se faire
1Porphyre(V.Pylh. c. 15)a conservéunetradition suivantlaquellel'usagede la viandeétait recommandéauxathlètes(Mlion?).Cettehis-toire doitavoirpris naissanceà la mêmeépoquequecellesqueraconteAristoxène,et d'une manière analogue.En fait, Bernays a montréqu'elle vient d'Héraclidede Pont {Theophr.Schr. n. 8). Jamblique(V.Pylh. 5,25)et d'autres (Diog.VIII,13,47)se tirent d'embarrasensupposantqu'elle se rapportait à un gymnastedu mêmenom. Nousvoyonsdistinctementici commentlesNéoplatonicienss'efforçaient,envuedeleurspropresAns,deremonterà la formeprimitivede lalégendepythagoricienne,et d'écarterla reconstructiondu 1V<siècle.
»Voirà ce sujet Diels,Vors.p.282sq.• Il y a une excellentecollectiond'dxoûsp.ataxaloup.{îoXadans Diels,
Vors.p.279sq., où les autoritéssont Indiquées.Il est impossibledeles discuteren détail ici, maisceuxqui s'occupentde folkloreverronttout de suite à quel ordred'idéesils appartiennent.
108 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
une idée de ce qu'étaient réellement les fameuses règles de
vie des Pythagoriciens.v 1. S'abstenir de fèves.
2. Ne pas ramasser ce qui est tombé.3. Ne pas toucher un coq blanc.4. Ne pas rompre le pain.5. Ne pas marcher sur une traverse de bois.6. Ne pas attiser le feu avec du fer.7. Ne pas manger d'un pain entier.8. Ne pas déchirer une couronne.9. Ne pas s'asseoir sur un quart de mesure.
10.Ne pas manger le coeur.11. Ne pas se promener sur les grandes routes.12.Ne pas tolérer des hirondelles sous son toit.13.Ne pas laisser la-trace du pot sur la cendre, quand on
l'enlève, mais remuer(la cendre.14.Ne pas regarder dans un miroir ù côté d'une lumière.15.Quand tu sors de ton lit, roulc-le et effaceles traces de ton
corps.
Il serait aisé de multiplier les preuves de l'étroite con-nexion qui existait entre le Pythagorisme et les modes pri-mitifs de pensée, mais ce que nous en avons dit suffit
amplement à notre dessein. Parenté des hommes et des
animaux, abstinence de viande et doctrine [de la transmi-
gration, tout cela se tient et forme un tout parfaitementintelligible du point de vue que nous avons indiqué.
XLV. — PYTHAGORECOMMEHOMMEDESCIENCE.
Cela étant, nous serions tentés de rayer tout à fait lenom de Pythagore de l'histoire de la philosophie et de relé-
guer ce personnage dans la classe des charlatans (yovjwç)avec Epiménide et Onoinacrite. Mais ce serait bien à tort.Ainsi que nous le verrons, l'association pythagoriciennedevint une des principales écoles scientifiques de la
Grèce, et il est certain que la science pythagoricienneremonte au maître lui-même, aussi bien que la religionpythagoricienne. Heraclite, qui n'est pas partial pourPythagore, dit qu'il avait poussé l'investigation scienti-
SCIENCEET RELIGION 109
fique plus loin que les autres hommes ; il est vrai qu'ill'accusait d'avoir tourné sa grande science en une sorte demalice 1. Hérodote rendait à Pythagore le témoignage den'être «en aucune manière le plus mauvais sophiste des
Hellènes», titre qui, à cette époque, n'implique pas lamoindre désapprobation *. Aristote dit même que Pytha-gore s'occupa d'abord de mathématiques et de nombres,et que ce ne fut que plus tard qu'il se mit, comme Phéré-
cyde, à faire des miracles*. Est-il possible, pour nous,d'établir une connexion entre ces deux faces de sonactivité?
Nous avons vu que le but de POrphisme et des autres
Orgia était de se délivrer de la «roue des naissances» au
moyen de «purifications», généralement d'un type très
primitif. Ce qu'il y eut de neuf dans l'association fondée
par Pythagore semble avoir été que, tout en admettantces coutumes à demi sauvages, elle suggérait en même
temps une idée plus élevée de ce qu'était réellement une« purification ». Aristoxène nous raconte que les Pythago-riciens usaient de la musique pour purger l'âme, commeils usaient de la médecine pour purger le corps, et il estclair comme le jour que la fameuse théorie aristotéliciennede la xiOxpotçest dérivée de sources pythagoriciennes '.
Pareilles méthodes de purification de Pâme étaient fami-lières aux Orgia des Corybantes, et cela contribue à expli-
»Héracl.frg.17(R.P.31n; DV12B129).Le mot istopiijest en lui-mêmetout à faitgénéral.Cequ'il signifieessentiellementici, nouslevoyonspar une précieuseremarquequenousa conservéeJamblique,V.Pyth. 89: ixaXtttoII ^ Ytcop.ttpiaitpo;Ilu&aYÔpo'jtatopta.L'interpré-
'*talionquedonneTanncryde cette remarquereposesur une méprise,et II n'y a pas lieude la discuterici.
* Herod.IV,95..3 Arist.IltpltùivHjOaYOptîiov,frg.186,1510a 39: fL&ajôpa;Mvqsdpxo'J
uîô;ti ulvitpâtovîttitovtttoittplta tiaftqixataxaltoi; dpwp-oû;,ûottpovilitott xalti); 4>tptx'JSo'jttpatoitotta;ouxdntatij.
*Lasourceimmédiatede cettethéoriese trouvedansPlaton,Lois,790d 2 sq., oùles ritesdes Corybantessont donnéscommeexemple.Pourunexposécompletde la question,voirRohde,Psyché,p.336,n.2(11*48,n. 1).
110 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
quer l'intérêt des Pythagoriciens pour l'harmonique. Mais*
Uy a plus que cela. Si nous pouvons nous fier à Héraclide,ce fut Pythagore qui, le premier, distingua les «trois vies »
dont Aristote fait usage dans son Ethique, la théorétique,la pratique et Papolaustique. La théorie générale de cesvies est claire, et il est impossible de douter qu'elle ne
remonte, en substance, aux débuts mêmes de l'école. Envoici l'analyse. Nous sommes étrangers en ce monde ; le
corps est le tombeau de l'âme, et cependant nous nedevons pas chercher à nous délivrer par le suicide, carnous sommes le troupeau de Dieu, qui est notre berger, etnous n'avons pas le droit de nous échapper sans son ordre '.Dans cette vie, il y a trois sortes d'hommes, exactementcomme il y a trois sortes de gens qui se rendent aux jeuxolympiques. La classe la plus basse est faite de ceux quiviennent pour acheter et pour vendre ; celle du milieu, deceux qui viennent pour prendre part aux concours. Maisles meilleurs de tous sont ceux qui viennent simplement
pour regarder (Oîtopth). La plus grande de toutes les puri-fications est donc la science désintéressée, et c'est l'homme
qui s'y voue, le vrai philosophe, qui s'est le plus efficace-ment délivré de la a roue des naissances». Il serait témé-raire d'affirmer que Pythagore s'exprimait exactement de
cette manière, mais toutes ces idées sont authentiquement
pythagoriciennes, et ce n'est que de cette manière ou d'une
manière analogue que nous pouvons jeter un pont sur
l'abîme qui sépare Pythagore, homme de science, de Pytha-gore, fondateur de religion *.Nous devons maintenant nous
>Platondonnecelacommeopinionpythagoricienne,Phd. 62b, pas-sagesur l'interprétationduquel voir Espinas, Arch.VIII,p. 449sq.Platondonneclairementà entendreque ce n'était pas seulementlathéoriede Philolaos,maisquelquechosede plus ancien.
1Voir Dôringdans YArch.V, p. 505sq. H semblequ'il y ait uneallusionà la théoriedes • troisvies»dansHeraclite,frg.111(104,29D)Cette théorie était apparemmentenseignéeau sein de l'associationpythagoriciennede Phlionte,car Heraclitela faisaitexposerpar Pytha-goredans uneconversationavecle tyran decetteville(Cic.Tuse.V,3;Diog.pr. 12,'VIII,8)et elle estdéveloppéepar Platondansun dialogue
SCIKNCEET RELIGION 111
cflorccr de découvrir en quelle mesure la science pythago-ricienne postérieure peut raisonnablement être attribuée à
Pythagore lui-même.
XLVI. — AmniMKTiQUK.
Dans son traité sur l'arithmétique, Aristoxènc dit quePythagore fut le premier à dlendrc cette étude au delà desbesoins du commerce ', et ce renseignement est confirmé
par tout ce que nous savons d'autre part. Vers la fin duVe siècle avant J.-C, nous voyons que les questions de
mathématiques suscitent un intérêt très général, et qu'ellessont étudiées pour elles-mêmes. Or, ce nouvel intérêt ne
peut avoir été entièrement créé par une école ; il faut en
rapporter l'origine a quelque grand homme, et Pythagoreest le seul à qui nous puissions en attribuer le mérite. Maiscomme il n'écrivit rien, nous n'avons aucun moyen sûr de
distinguer son propre enseignement de celui de ses succes-seurs d'une des deux générations suivantes. Tout ce quenous pouvons dire avec certitude, c'est que plus une doc-trine pythagoricienne parai primitive, plus il est probablequ'elle est de Pythagore h. même, et cela surtout si l'on
peut montrer qu'elle offre des points de contact avec desthéories que nous savons avoir été soutenues de son tempsou peu avant lui. En particulier, quand nous voyons les
Pythagoriciens postérieurs enseigner des choses qui, deleur temps déjà, étaient en quelque mesure des anachro-
qui est pourainsi dire dédiéà Echécrate.Si l'on estimaitque c'est làinterpréterpar trop Pythagoreà la lumièrede Schopenhauer,on peutrépondrequemêmeles Orphiquesse rapprochèrentbeaucoupd'unepareillethéorie.L'âmene doit pas boirede l'eau duLéthé,mais pas-ser à côté,et boirecelledu Souvenir,avantd'éleverlaprétentiond'êtreaccueillieparmi les Héros.Cecia des points de contactévidentsavecIav3(iv7)9t;de Platon,et la seulequestionest de savoir quellepropor-tion duPhédonnousdevonsattribuerà des sourcespythagoriciennes.Uneforte proportion,• <-Jqueje soupçonne.Voirles Mythsof Plalodu professeurStewarl,p. 152sq.
>Stob.I, p. 20,1: txTC&V'ApwtoîtvouKtplàptfynjTuijç,T»jvii wpt toù;àpidpoù;itpayfiattiav(idXotaitdvtavreposaiîoxtTIljôappaçxcùitpoaya-ytïvfit»ta npoo8«vdnayafùvà*àTTJÎTÛVcjinôpiuvXPl'af-
112 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
nismes, nous pouvons être raisonnablement sûrs que nousavons affaire à des survivances que, seule, l'autorité dumaitre pouvait avoir préservées. Quelques-unes d'entreelles doivent être mentionnées tout de suite, quoique nousréservions a une partie postérieure de notre histoire l'exposédu système pleinement développé. Ce n'est qu'en séparantsa forme la plus ancienne de la plus récente que l'on peutse faire une idée claire de la vraie place du Pythagorismedans la pensée grecque ; mais nous devons toujours noussouvenir que personne ne peut prétendre, actuellement,tirer avec quelque certitude la ligne de démarcation entreses phases successives.
XLVII. — LES FIGURES.
Un des renseignements les plus remarquables que nous
ayons sur le Pythagorisme, c'est celui qui nous est fournisur Eurytos par l'incontestable autorité d'Archytas.Eurytos était disciple de Philolaos, et Aristoxène le
mentionnait expressément — en même temps que Phi-lolaos — parmi ceux qui avaient instruit les derniers
Pythagoriciens, hommes avec lesquels il entretenait lui-même des relations personnelles, Il appartenait donc au
commencement du IVe siècle avant J.-C, époque vers
laquelle le système pythagoricien était complètement déve-
loppé, et ce n'était pas un enthousiaste excentrique, maisl'un des philosophes les plus éminents de l'école \ Donc,on nous dit de lui qu'il avait l'habitude d'indiquer les
nombres de toutes sortes de choses, par exemple du cheval
et de l'homme, et qu'il représentait ces nombres en arran-
geant des cailloux d'une certaine manière. Il faut noter, en
outre, qu'Aristote compare ce procédé à celui qui consiste
*A part l'histoireracontéepar Jamblique(F. Pyth. 143)qu'Eurytosentenditsortir dutombeaula voixde Philolaosbien desannéesaprèsla mort de celui-ci,il faut noterqu'il est mentionnéaprèsPhilolaosdans l'indicationque nous avonscitée d'Aristoxène(Dlog.VIII,46;R. P. 62; DV32A4).
SCIENCEET RELIGION 119
à traduire les nombres en figures telles que le triangle et lecarré *.
Or ces indications, A spécialement la remarque d'Ans-totc que nous venons de citer, semblent impliquer l'exis-tence, à cette date, et déjà plus tôt, d'un symbolisme >
numérique, distinct, d'une part, de la notation par lettres,et, de l'autre, de la représentation euclidienne des nombresau moyen de lignes. La première se prêtait mal aux buts
arithmétiques, précisément parce que le zéro fut une desrares choses que les Grecs n'inventèrent pas, et qu'ilsétaient par conséquent dans l'impossibilité de développe.',en le basant sur la position des lettres, un symbolismenumérique réellement avantageux. La représentation eucli-
dienne, on va le voir, est étroitement liée à cette absorptionde l'arithmétique par la géométrie, qui est pour le moinsaussi vieille que Platon, mais ne peut être primitive*. Il
semble plutôt que les nombres étaient représentés par des
points arrangés en dessins symétriques et facilement '
reconnaissablcs, dont la marque des dés à jouer ou des
dominos nous donne la meilleure idée. Et ces dessins
sont, en fait, la meilleure preuve que nous avons là uneméthode vraiment primitive de représenter les nombres,car ils sont d'une antiquité dont nous ne pouvons nous
faire une idée, et remontent au temps où les hommes ne
pouvaient compter qu'en arrangeant les nombres d'aprèsde tels modèles, dont chacun devenait, pour ainsi dire, une
>Arist.Met.N,5.1092b 8(R.P. 76a; DV'33,3).Aristoten'invoquepasicil'autoritéd'Archytas,mais la sourcede sonindicationressorttrèsclairementde Thcophr.Met.p. VIa 19(Usencr): TOOTOfàp (se. ta pi)pixpi*ovnpoiX&ivtanajtsdat)TiXtouxal^povoOvtof,Sntp'Ap^utajnot' l<pnicotclvEjp'jTOvîiavi&mativàç<|iT)(po\>î"Xiftivjàp »ç o?cpiv dvOpâicou0dpt8p.ô{,ôit8èinnvj,lit 8'âXXootivôçrjy^dvet.
1 L'arithmétiqueest plus ancienneque la géométrie,et elle étaitbeaucoupplus avancéeen Egypte, quoiqu'ellefût encoreplutôt ceque les GrecsappelaientXoyioxuqu'uneâpi&jiTpxTJproprementdite.Platon lui-même,dans la République,placel'arithmétiqueavant lagéométriepar respectpour la tradition.Toutefoissa propre théoriedesnombressupposele renversementdecetordre,quenous trouvonsréaliséchezEuclide.
PHILOSOPHIEGRECQUE 8
114 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
nouvelle unité. Cette manière de compter est peut-êtreaussi ancienne, si ce n'est même plus ancienne que l'emploides doigts à cet effet.
Il est donc très significatif que nous ne trouvions aucune
explication adéquate de ce qu'Aristote peut avoir entendu
par «ceux qui traduisent les nombres en figures telles quele triangle et le carré » jusqu'à ce que nous en arrivions àcertains écrivains postérieurs, qui se nommaient eux-mê-mes pythagoriciens, et qui firent revivre l'étude de l'arith-
métique comme science indépendante de la géométrie. Ces
hommes, non seulement abandonnèrent le symbolisme li-néaire d'Euclide, mais ils regardaient la notation alphabé-tique, dont ils usaient, comme une chose conventionnelleet inadéquate à la représentation de la vraie nature du
nombre. Nicomaque de Gérasa dit expressément que leslettres employées pour représenter les nombres n'ont de
signification que par l'usage et la convention des hommes.Le moyen le plus naturel serait de représenter les nombreslinéaires ou premiers par une série d'unités, les nombres
polygonaux par des unités arrangées de manière à repré-senter les .diverses figures planes, et les nombres solidesou cubiques par des unités disposées en pyramides, etc. 1.Il nous donne donc des figures comme celles-ci :
Or il est évident que ceci n'est pas une innovation mais,comme tant de choses dans le Néopythagorisme, un retourà l'usage primitif. Naturellement, l'emploi de la lettre alphapour représenter les unités est dérivé de la notation con-
*Nicomaquede Gerasa,Inlrod. Arithm.p. 83,12,Hoche: Ilpôttpov21(KiYvwgTiavôtt exastovypâpp-a«j5onp.C(0ii|it9aàot8p.ôv,oTovxo t,cptaStxa,tox, <jïta tîxost,to a>,tp*ta jxtaxoata,vô|»<pxatoyvd^p.attàv8pwiuv<fi,dXX'oùf«oit<JT)uavttxoviixxtoOdpidpoi)x.T.X.Le mêmesymbolismeestemployéparThéon,Expositlo,p.31sq. Cf.aussiJambl.Inlrod.p. 56,27,Pistellt: îoriovfàf »ç tô itaXaiôvçuaixrôttpovol «pôs&tvfai)p.aûovTOtàçtoOdpiftpoOnosôtTjtat,dXX' oùxûampotvOvoop.£oXixffl{.
SCIENCEET RELIGION 115
ventionnelle ; mais, à part cela, nous sommes évidemmenten présence d'un système qui appartient à la plus ancienne
phase dé la science — et qui, en fait, donne la seule clef
possible pour l'intelligence de la remarque d'Aristote et dece que l'on nous dit de la méthode d'Eurytos.
XLVI1I. — NOMBRESTRIANGULAIRES,CARRÉSETOBLONGS.
Ceci nous est en outre confirmé par la tradition qui re-
présente la grande révélation faite par Pythagore à l'huma-nité comme ayant été précisément une figure de cette
espèce, à savoir la tetraktys, par laquelle les Pythagori-ciens avaient coutume de jurer 1, et nous n'avons rien demoins que l'autorité de Speusippe pour nous affirmer quetoute la théorie impliquée dans cette figure était authenti-
quement pythagoricienne \ A l'époque récente, il y avait
plusieurs sortes de tUraktys*, mais la tetraktys originelle,celle par qui juraient les Pythagoriciens, était la « tetraktysde la décade». C'était une figure du genre de celle-ci :
et elle représentait le nombre dix comme le triangle de
1Cf.la formuleOùjià tir: àpitépaymâficapaScvtatttpax?ûv,qui estd'autant plus probablementanciennequ'elleest misedans la bouche«lePythagorepar celuiqui forgealesXpvoiïmj,et qui le faitainsijurerpar lui-même!VoirDiels,Arch.III, p. 457.Le dialectedorienmontrecependantqu'elleappartientauxgénérationsrécentesde l'école.
*Speusippeécrivitsur les nombrespythagoriciensun ouvragebaséessentiellementsur Philolaos,et un fragmentconsidérablenousen a«té conservédansles TheologoumenaArilhmetica.Onle trouveradansDiels,Vorsokratiker,p. 235,15(32A13),et il est discutépar Tannery,Sciencehellène,p. 374sq.
*Voir à ce sujet Théon, Kxpositio,p. 93 sq. Hitler. La «tpaxtôçemployéepar Platondans le Tintéeest la secondede cellesquedécritThéon(Exf. p. 94,10sq.). Elle est sansaucundoutepythagoricienne,mais il n'estguèreprobablequ'ellesoitaussi anciennequePythagore.
116 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
quatre de côté. En d'autres termes, elle faisait voir d'un
coup d'oeil que lT2-f-3-f-4=10. Speusippe nous parle de
plusieurs propriétés que les Pythagoriciens découvrirentdans la décade. C'est, par exemple, le premier nombre quirenferme en lui un nombre égal de nombres premiers et denombres composés. Quelle part de tout cela remonte à Py-thagore lui-même, nous ne pouvons le dire ; mais nousavons probablement le droit de lui attribuer la conclusion
que c'est en « se conformant à la nature » que Grecs et bar-bares comptent d'abord jusqu'à dix et ensuite recommen-cent.
Il est évident que la tetraktys peut être indéfiniment éten-
due, de manière à représenter sous une forme graphiqueles sommes des séries de nombres successifs ; ces sommessont en conséquence appelées « nombres triangulaires ».
Pour des raisons analogues, les sommes des série's denombres impairs successifs sont appelées « nombres car-
rés», et celles des nombres pairs successifs «nombres
obiongs ». Si des nombres impairs sont ajoutés à l'unitésous forme de gnomons, le résultat est toujours une figuresemblable, à savoir un carré, tandis que, si l'on ajoute desnombres pairs, on obtient une série de rectangles 1,commele montre la figure suivante :
Nombrescarrés Nombresobiongs
>Cf. Milhiud,Philosophesgéomètres,p. 115sq. Aristoteexposelaquestion,commesuit (Phys.T,4.203a 13): i(cpmde(iévu>vyàptûvyvui-u.ôv(uvitcplti êvxalX^P'îàtt ixivàXXodt'tyÎTfvtsftaitô *îJoc,oti il «v.Celaest plus clairementexprimépar Ps. Plut. (Stob. I,p. 22,16: *Etii\ VQ[îoviitTÛVi?>;i);mpuiiûvictprttdip.tv(uvo yivôfimçdt'tTttpafiuvôçèîTi'tûv Si dpttravôiioîtoçntptTtfttptviuvêtipou^xetcxal âvtaotitdvtecdno-{feîvo-jstv,*uu>;Il tidxt;oJîiîî-Je ne suis satisfaitd'aucunedes explica-tions qu'on a donnéesdes motsxalx^P'î du passaged'Aristote(voirZcllcr,p. 351,n. 2)et je proposeraisde lire xatç ûpatc,en comparant
SCIENCEET RELIGION 117
Il est donc clair que nous sommes en droit de rapporterà Pythagore lui-même l'étude des sommes de séries, maisnous ne pouvons dire s'il alla au delà de l'oblong et étudiales nombres pyramidaux ou cubiques 1.
XLIX. — GÉCMÈTR1BET HARMONIQUE.
Il est aisé de voir comment cette manière de représenterles nombres devait suggérer des problèmes de nature géo-
métrique. Les points qui tenaient la place des cailloux sont
régulièrement nommés «termes » (o^ot, iermini), et la sur-
facequ'ils occupent, ou plutôt qu'ils limitent, est le «champ»,
(jflùSsot)'.C'est là évidemment une très ancienne, manière de
parler, et nous pouvons par conséquent l'attribuera Pytha-gore lui-même. Il est impossible qu'il n'ait pas remarquéensuite que les «champs» peuvent être comparés entreeux aussi bien que les nombres*; il est même probablequ'il connaissait les méthodes grossières qui étaient tradi-tionnelles en Egypte à cet effet, quoique certainement il ne
pût s'en déclarer satisfait. Une fois de plus, la tradition est
singulièrement utile en suggérant la direction que ses pen-sées doivent avoir prise. Il connaissait naturellement l'em-
Boutheros(Stob.I, p. 19,9), lequeldit, suivantletextedu manuscrit:Kat5 plv (6luptoooç),onôxavyiwâwatdvàXcyovxalnpo{povdSot;.,talcaûtoùX">pat;xataXapjfâvctxoiçtat; ypapjiatj«epti^ouivoy;(se.dpt&p.oûî).
*Dansle fragmentmentionnéplus haut (p. 115,n. 2), Speusippeparledequatrecommedupremiernombrepyramidal;maiscette indi-cationest empruntéeà Philolaos,de sortequenousne pouvonspasl'attribueraveccertitudeà Pythagore.
*NoustrouvonsSpoiemployédansle sens de série(txdtst;),puisdeproportion,et, à uneépoqueplus récente,de syllogisme.Lessignes::: et .'. sont une survivancede l'usageoriginel.Le terme x<"Pacstsouventemployépar les Pythagoricienspostérieurs,quoiquel'usageattiqueréclamât wpfovpourun rectangle.Lesespacesentreles ypap.-paîde l'abaqueet de l'échiquierétaientégalementappelés fipat.
3Danssoncommentaireà EuciideI, 44, Proclusnousdit, sur l'au-torité d'Eudème, que la itapajîoX^,riXXttjtcet l'ùntpPoXde x<°pî<*étaientdesinventionspythagoriciennes.Surl'applicationdecestermes,et sur cellequi en fut faite plus tard aux sectionsconiques,voirMilhaud,Philosophesgéomètres,p. 81sq.
118 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
ploi du triangle 3, 4, 5 pour la construction d'angles droits.Nous avons vu (p. 24) que ce triangle était familier à l'O-rient à partir d'une date très ancienne, et que Thaïes l'in-troduisit chez les Hellènes, s'ils ne le connaissaient déjà.Chez les écrivains postérieurs, il est effectivement appeléle « triangle pythagoricien ». Or la proposition pythagori-cienne par excellence est justement que dans un trianglerectangle, le carré de l'hypoténuse est égal à la somme descarrés faits sur les autres côtés, et ce qu'on appelle le tri-
angle pythagoricien est l'application de sa réciproque à uncas particulier. Le nom même d'«hypoténuse» confirmed'une manière très nette l'étroite connexion qui existe entreles deux choses. Il signifie littéralement « la corde qui esttendue à l'opposé », et ce n'est sûrement autre chose que lacorde de l'« harpedonapt '». Une ancienne tradition dit quePythagore sacrifia un boeuf quand il découvrit la preuve decette proposition, et en vérité, elle fut le vrai fondementdes sciences mathématiques *.
L. —-INCOMMENSURABILITÉ.
Un grand désappointement, cependant, était réservé à
Pythagore. Il résulte directement de sa proposition que lecarré de la diagonale d'un carré est le double du carré deson côté, et cela devait à coup sûr pouvoir s'exprimer nu-
mériquement. Mais, en fait, il n'y a pas de nombre carré
qui puisse se diviser en deux nombres carrés égaux, et le
problème est insoluble. En ce sens, il est certainement vrai
que Pythagore découvrit l'incommensurabilité deladiago-
1Le verbeûitoteivetvest naturellementemployéau sens intransitif.L'explicationsuggéréedans le texte me parait beaucoupplus simpleque cellede MaxC.P. Schmidt(KullurhlslorischeBeitrâge,Heft1,p. 64sq).11voitdans l'hypoténusela cordela plus longued'uneharperi angulaire; maismamanièredevoirsemblemieuxs'accorderaveclescasanalogues.C'estainsique ^ xd&txo;est littéralementunfilà plomb.
*Cerenseignementvient d'Eudème,car il se trouvedansle com-mentairede Proclusà EuclideI, 47.Qu'ilsoit historiqueou non, cen'est pas une inventionnéopythagoricienne.
SCIENCEET RELIGION 110
nale et du côté du carré, et la preuve mentionnée par Aris-tote —à savoir que si elles étaient commensurables, nousdevrions dire qu'un nombre pair est égal à un nombre im-
pair—a un cachet pythagoricien très net'. Quoi qu'ilen puisse être, il est certain que Pythagore ne prit pas la
peine de poursuivre plus loin l'étude de cette question. Il
s'était, pour ainsi dire, achoppé au fait que la racine car-rée de 2 est irrationnelle, mais nous savons qu'il était ré-servé à des amis de Platon, Théodore de Cyrène et Théétète,de donner une théorie complète de ce problème '. Le faitest que la découverte de la proposition pythagoricienne,en donnant naissance à la géométrie, avait réellementécarté la vieille conception de la quantité somme d'unités ;mais ce ne fut qu'à l'époque de Platon que les pleines con-
séquences de ce fait furent aperçues*. Pour le moment, l'in-commensurabilité de la diagonale et du côté du carré resta,comme on l'a dit, une « scandaleuse exception ». Notre tra-dition dit qu'Hippasos de Métaponte fut noyé pendant un
voyage en mer pour avoir révélé ce fait fâcheux à ses con-
temporains *.
LI. — PROPORTIONETHARMONIE.
Ces dernières considérations montrent que, s'il est toutà fait légitime d'attribuer à Pythagore la substance du li-vre I d'Euclide, l'arithmétique des livres VII à IX, n'est cer-
1Arist.An.Pr. A,23.41a 26: ôti djûpjmpoî Itdpttpotîii tô rîy-vta8aita lupittâ*«axoïçdptîoi;ovp-jmpo'jxtdttoi);.Lespreuvesdonnéesà la findu livreX d'Euclide(vol.III, p 408sq. Heiberg)tournentsurle mêmepoint.Ellesnesont paseuclidiennes,et peuventêtreen sub-stancepythagoriciennes.Cf.Milhaud,Philosophesgéomètres,p. 94.
*Platon,Théétète,147d 3 sq.*Combiennouvellesces conséquencesétaient, cela ressort du fait
que, dans les Lois,819d 5, l'étrangerathéniendéclarene s'en êtreréellementrenducomptequ'à un âgeavancé.
4CetteversiondelatraditionestmentionnéedansJamblique.F.Pyth.247,et paraîtplusancienneque l'autre,sur laquellenousauronsl'oc-casiondenousarrêter plus loin({148).Hippasosest l'enfantterribledu Pythagorisme,et les traditionsqui le concernentsont très instruc-tives.
120 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
tainement pas de lui. Elle opère avec des lignes ou des sur-
faces au lieu d'unités, et les rapports qu'elle établit tiennent
par conséquent bon, qu'ils soient, ou non, susceptibles
d'expression numérique. C'est sans doute pourquoi l'arith-
métique n'est traitée dans Euclide qu'après la géométrie
plane, interversion complète de l'ordre originel. Pour lamême raison, la théorie des proportions que nous trouvonsdans Euclide ne peut être pythagoricienne, et est en réalitél'oeuvre d'Eudoxe. Cependant, il est clair que les premiers
Pythagoriciens, et probablement Pythagore lui-même, étu-dièrent les proportions à leur manière, et que les trois
«moyennes» en particulier, remontent au fondateur, étantdonné surtout que la plus compliquée d'entrés elles,1'« harmonique » est en relation étroite avec sa découvertede l'octave. Si nous prenons la proportion harmonique12:8:61, nous trouvons<'quel2 :6est l'octave, 12 : 8 la quinteet 8:6 la quarte, et l'on ne peut guère mettre en doute quece fut Pythagore lui-même qui découvrit ces intervalles.Les histoires qui nous sont parvenues à ce sujet, et d'aprèslesquelles il aurait observé les intervalles harmoniquesdans une forge, et qu'ensuite il aurait pesé les marteaux
qui les produisaient ou suspendu à. des cordes d'égale lon-
gueur des poids correspondants à ceux des marteaux, sonten réalité impossibles et absurdes, et c'est pure perte de
temps que d'essayer d'en tirer une indication raisonnable '.Pour notre dessein, leur absurdité est leur principal mé-rite. Ce ne sont pas histoires qu'un mathématicien ou un
>Platon('/7m.36a 3) définitla moyenneharmoniquecommetr(v...xaùxçpîpcitûtvâxpwvaùt&vûiccpr^ovsavxaliitcpr/Ofitvjjv.La moyenne
12 6harmoniquede 12et de 6 est donc8, car 8 = 12——=6 + --
«j «)*Surceshistoires,etpourleurexamencritique,voirMaxC.P.Schmidt,
KulturhistorischeBeitrâge,I. p. 78sq. Lesmarteauxde forgesont dudomainedes fables,et il n'estvrai ni que les notesseraientdétermi-néespar le poidsdesmarteauxni que, si celaétait,ellesseraientpro-duitespar des cordeségalesauxquelleson aurait suspendudespoidsrespectivementégauxà ceuxdes marteaux.Ces inexactitudesont étérelevéespar Montucla(Martin,Etudessur le Timée,I,p. 391).
SCIENCEET RELIGION 121
musicien grec aurait pu inventer, mais de vrais contes po-
pulaires qui témoignent de l'existence d'une tradition réelle,suivant laquelle Pythagore était l'auteur de cette impor-tante découverte.
LU. — LESCHOSESSONTDESNOMBRES.
Ce fut aussi, sans aucun doute, cela qui amena Pytha-gore à dire que toutes choses étaient des nombres. Nousverrons que, à une date postérieure, les Pythagoriciensidentifiaient ces nombres avec des figures géométriques ;mais le simple fait qu'ils les appelaient «nombres», estsuffisant — si nous le mettons en rapport avec ce que nous
savons de la méthode d'Eurylos — pour montrer que cen'était pas là le sens originel de la doctrine. Il suffit de
supposer que Pythagore raisonnait à peu près comme suit.Si les sons musicaux peuvent être ramenés à des nombres,
pourquoi n'en serait-il pas de même de toutes les autreschoses? Il y a dans les choses beaucoup d'analogie avec les
nombres, et il se peut fort bien qu'une heureuse expé-rience, pareille à celle qui amena la découverte de l'octave,révèle leur véritable nature numérique. Les écrivains néo-
pythagoriciens, remontant sur ce point comme sur les au-tres à la plus ancienne tradition de l'école, s'abandonnentà leur imagination et énumèrent une infinie variété d'ana-
logies entre les choses et les nombres; mais nous sommesheureusement dispensés de les suivre dans ces rêveries.Aristote nous dit expressément que les Pythagoriciensn'expliquaient que quelques choses au moyen des nom»bres ', ce qui veut dire que Pythagore lui-même\ ne laissa
pas de doctrine développée sur le sujet, tandis que les Py-thagoriciens du Ve siècle ne se faisaient pas faute d'ajou-ter n'importe .quoi de ce genre à la tradition de l'école.
»Arist.Afef.M,4.1078b 21(R.P. 78; DV45B4); Zeller,p. 390,n. 2..LesTheologoumenaArithmelica,faussementattribuésà NicomaquedeGérasa,sont pleins de théoriesfantastiquessur ce sujet (R.P. 78a ;DVA 12).Alexandre,in Met.p.38,8, donne quelquesdéfinitionsquipeuventêtre anciennes(R.P. 78c).
122 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
Aristote implique, cependant, que, suivant eux, le « bon
^ moment » (xoupo'c)était sept, la justice quatre, et le mariagetrois. Ces identifications, et quelques autres, nous pouvonsles rapporter en toute sécurité à Pythagore ou à ses succes-seurs immédiats, mais nous ne devons pas y attacher
grande importance. Ce sont de simples jeux de l'imagina-tion analogique. Si nous voulons comprendre la cosmolo-
gie de Pythagore, ce n'est pas de là que nous devons par-tir, mais de toutes les indications à nous connues, quiprésentent des points de contact avec l'enseignement del'école milésienne. Celles-là, nous pouvons le conclureen toute sécurité, appartiennent au système dans sa form°la plus primitive.
LUI. — COSMOLOOIE.
Or l'indication la plus frappante de cette espèce est unede celles que nous devons à Aristote. Les Pythagoricienssoutenaient, nous djt-il, qu'il y avait un «tsouffle illimitéen dehors des deux, et que ce souffle était inhalé» par le
monde 1. En substance, c'est la doctrine d'Anaximène, et ildevient pratiquement certain que c'était celle de Pythagore,si nous constatons que Xénophane la niait'. Nous pouvonsen inférer, donc, que le développement ultérieur de l'idéeest aussi dû à Pythagore lui-même. Une fois la premièreunité formée — de quelque façon que ce phénomène ait puse produire — la partie la plus voisine de l'Illimité fut,nous dit-on, d'abord entraînée et limitée', et c'est justementl'Illimité ainsi inhalé qui maintient les unités séparées lesunes des autres*. Elle représente l'intervalle qui s'étend
»Arist. Phys.à, 6,213b22(R.P. 75; DV45H30).*Dlog.IX,19 (R.P. 103c; DV11A1,46).Il est vrai qu'ici Diogène
puiseplutôt'à une sourcebiographiquequ'àune sourcedoxographique{Dox.p. 168),maiscetrait ne peut guèreêtreune invention.
*Arist.Met.M,3.1091a 13(R. P. 74;DV45B 26).*Arist.Phys. A,6.213b 23(R. P. 75a; DV45B30).Dans les mots
liopîÇeixàçfûsciï,on a vu une difficultéqui ne s'y trouvepas, parcequ'on a supposéqu'ils attribuent à l'ditetpovla fonctionde la limita-
SCIENCEET RELIGION 123
entre elles. C'est là une manière très primitive de décrirela nature de la masse discontinue.
Dans les passages d'Aristote que nous venons de citer, ilest aussi parlé de l'Illimité comme du vide. Cette identifi-cation de l'air et du vide est une confusion que nous avons
déjà rencontrée chez Anaximène, et nous ne devons pasêtre surpris de la trouver aussi ici 1. Nous y trouvons éga-lement, comme nous pouvions nous y attendre, des tracesdistinctes de l'autre confusion, celle de l'air et de la va-
peur. Il semble certain, en fait, que Pythagore identifiait laLimite avec le Feu, et l'Illimité avec l'Obscurité. Aristote'nous apprend qu'Hippasos faisait du Feu le principe pre-mier*, et nous verrons que Parménide, en discutant les
opinions de ses contemporains, leur attribue cette opinionqu'il y a deux «formes» primordiales, le Feu et la Nuit*.Nous trouvons aussi que la Lumière et l'Obscurité figurentdans la table pythagoricienne des oppositions sous les ti-tres respectifs de Limite et d'Illimité 4. L'identificationici impliquée de la respiration avec l'Obscurité est uneforte preuve du caractère primitif de la doctrine; car, auVIe siècle, on tenait l'obscurité pour une espèce de vapeur,tandis qu'au Ve la vraie nature en était bien connue. Avecson tact historique habituel, Platon fait dire au Pythagori-cien Timéé que le brouillard et l'obscurité sont de l'air
tion. Aristotefait voir très clairement que son opinionest cellequenousavonsexpriméedansnotretexte.Cf.spécialementles motsx«pt«-poOxivo;tûv tftÇi);xal !topî«u>î.Le terme îimptapîvovest exactementl'opposéde o-jvt^iç.Dansson livre sur la philosophiepythagoricienne,Aristoteemployaitau lieude cela la phrase 8topî(ctxàçx^pas(Stob.I,p. 156,8 (I, 18,1c]; R. P. 75; DV45B 30), qui est égalementtout àfait intelligible,si nousnousrappelonsce que les Pythagoriciensen-tendaientpar x<ip«(cf. p. 117,n. 2).
i Cf.Arist.Phys. A,6,213a 27: oiS'dvdpomot.-.çaaivtv<pôXcoç(iijîivtott, xoOx'tivai xcvôv,êtô xôuXfjpeîdipoçxtvôvtîvat; de Part. An. B,10.656ft15: xôyàpxcvôvxaXovp-tvovdlpoîitXfjp£çè<m;deAn.B,10.419b34: ioxctyàpttvatxtvôv5 df,p.
i Arist.Met.A,3.984a 7 (R. P. 56c; DV8, 7).*Voirchap. IV,J 91.«Arist.Met.A, 5.986a 25(R.P. 66; DV45B5).
124 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
condensé 1.Nous devons donc nous représenter un «champ »
d'obscurité ou de souffle limité par des unités lumineuses,tableau que le ciel étoile devait naturellement suggérer. Il
est même probable que nous devons attribuer à Pythagorela conception milésienne d'une pluralité de mondes, bien
qu'il n'eût pas été naturel pour lui de parler d'un nombre
infini. Nous savons du moins que Pétron, un des anciens
Pythagoriciens, disait qu'il y avait exactement cent quatre-vingt-trois mondes arrangés en triangle*, et Platon, en fai-sant poser en principe par Timée qu'il n'y en a qu'un, luifait reconnaître qu'on pourrait avancer un argument enfaveur de .'opinion qui en admet cinq, comme il y a cinqsolides réguliers*.
LIV. — LES CORPSCÉLESTES.
Anaximandre avait regardé les corps célestes comme des
roues d'«air», remplies d'un feu qui s'échappe par cer-
taines ouvertures (§ 19), et nous sommes fondés à admettre
que Pythagore adopta cette opinion *. Nous avons vu
qu'Anaximandre ne supposait l'existence que de trois roues
pareilles, et soutenait que la roue du soleil était la plusbasse. Il est extrêmement probable que Pythagore identi-fiait les intervalles entre ces anneaux avec les trois inter-valles musicaux qu'il avait découverts, la quarte, la quinteet l'octave. Ce serait l'origine la plus naturelle de la doc-
trine postérieure de l'« harmonie des sphères», mais il faut
bien prendre garde que cette expression serait doublement
trompeuse si on l'appliquait à une quelconque des théo-
«Platon, Tint.58d 2.* Indicationfourniepar Plutarquc,dedcf.orac.422b,d, qui la tenait
lui-même de Phanias d'Krésos, lequel l'avait donnéesur l'autoritéd'Hippysde Rhcgium.Si nous pouvons supposeravecWilamowitz(HermèsXIX,p. 444)que ce dernier nom désigneen réalité Hippasosde Métaponte(et ce fut à Rhcgiumque les Pythagoricienscherchèrentun refuge),nousavonslà un argumentprécieux.
»Platon,Tint.55c 7 sq.*Voirsur ce pointchap.IV,193.
SCIENCEET RELIGION 125
ries que nous pouvons à juste titre attribuer à Pythagorelui-même. Le mot ocp^oviane signifie pas harmonie, et les
«sphères» sont un anachronisme. Nous sommes encore à
l'époque où les roues ou anneaux étaient regardés comme
suffisants pour rendre compte des mouvements des corpscélestes. Il faut aussi observer que le soleil, la lune, les pla-nètes et les étoiles fixes doivent tous être considérés commese mouvant dans la même direction de l'est à l'ouest. Py-
thagore n'attribuait certainement pas aux planètes un mou-
vement circulaire propre de l'ouest à l'est. L'ancienne idée
était plutôt qu'elles étaient plus ou moins laissées en ar-
rière chaque jour. Comparé avec les étoiles fixes, Saturneest le moins de toutes dépassé, et la Lune le plus ; au lieudonc de dite que la Lune mettait moins de temps que Saturne pour accomplir sa course à travers les signes du zo-
diaque, on disait que Saturne cheminait plus vite que laLune parce que, moins qu'elle, il se laisse distancer par lesconstellations. Au lieu de dire que Saturne met trente ans
pour accomplir sa révolution, on disait qu'il fallait trenteans aux étoiles fixes pour dépasser Saturne, et seulement
vingt-neuf jours et demi pour dépasser la Lune. C'est làl'un des points les plus importants qu'il faut avoir présentsà l'esprit quand on étudie les systèmes planétaires des
Grecs, et nous y reviendrons '.
L'exposé que nous venons de faire des doctrines de
Pythagore est sans aucun doute conjectural et incomplet.Nous lui avons simplement attribué les portions du système
pythagoricien qui semblent être les plus anciennes, et ilne nous a pas même été possible de citer entièrement les
témoignages sur lesquels notre discussion est basée. Ce sys-
*Pour un clair exposéde cette opinion (qui était encore celle deDémocritc),voir Lucrèce,V,621sq. L'opinionque les planètessemou-vaientcirculaircincntdcl'ouestà l'est est attribuéepar Actius,11,16.3,à Alcmcon({96),cequi impliqueà coup sûr que Pythagorene la pro-fessaitpas.Commenous le verrons(J 152),il est loind'être certain quece fût celled'un quelconquedes Pythagoriciens,il sembleplutôt quece fut une découvertede Platon.
126 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
tème n'apparaîtra dans sa vraie lumière qu'une foisque nousaurons examiné la seconde partie du poème de Parménideet le système des Pythagoriciens postérieurs *. Pour desraisons que l'on verra alors, je ne me hasarde pas à assi-
gner à Pythagore lui-même la théorie de la révolution dela Terre autour du feu central. Le plus sûr est, semble-t-il,de supposer qu'il adhérait encore à l'hypothèse géocen-trique d'Anaximandre. En dépit de cela, pourtant, il estclair qu'il a ouvert une nouvelle période dans le dévelop-pement de la science grecque, et c'est certainement à sonécole que sont dues, directement ou indirectement, ses
plus grandes découvertes.
//. XÊNOPilANEDE COLOPIIOS'
LV. - SA VIE.
Nous avons vu comment Pythagore s'identifiait lui-même avec le mouvement religieux de son époque ; nous
avons maintenant à considérer une manifestation trèsdifférente de la réaction contre la conception des dieux queles poètes avaient rendue familière au peuple grec. Xéno-
phane niait absolument les dieux anthropomorphiques,mais il ne fut affecté en aucune mesure par la résurrection— qui se produisait partout autour de lui — d'idées plusanciennes. Nous possédons encore un fragment d'une
élégie dans laquelle il ridiculisait Pythagore et la doctrine
de la transmigration. Un jour, dit-on, il passait dans la
rue au moment où l'on battait un chien. «Arrêtez, dit-il,ne le battez pas I C'est l'ame d'un ami 1 Je l'ai reconnu au
son de sa voix *.» On rapporte aussi qu'il combattait les
opinions de Thaïes et de Pythagore, et qu'il attaquait Epi-ménide, ce qui est assez probable, quoique dans les frag-
>Voirchap.IV,}}92et 93,et chap.VII,M150-152.*Voirfrg.7(DV;= 18Karst)ap. Diog.VIII,36(R.P. 88).
SCIENCEET RELIGION 127
•ments qui nous sont parvenus de lui on ne trouve aucune
trace de cette attitude '. Il est surtout important pour a.voirété l'initiateur de cette lutte entre la philosophie et la
poésie, qui atteignit son point culminant dans la Répu-blique de Platon.
Il n'est pas facile de déterminer la date de Xénophane.Timée dit qu'il était contemporain d'Hiéron et d'Epi-charme, et il paraît bien avoir joué un rôle dans le
roman anecdotique de la cour d'Hiéron, qui amusa les
Grecs du IVe siècle, comme celui de Crésus et des Sept
Sages amusa ceux du Ve *. Comme Hiéron régna de 478 à467 avant J.-C, il serait impossible de placer la naissance
de Xénophane bien avant 570, même si nous supposions
qu'il ait vécu jusqu'à l'âge de cent ans. D'autre part, nu
dire de Sextus et de Clément, Apollodore donnait la
XLe Olympiade (620-616) comme date de sa naissance, et
le premier ajoute que ses jours se prolongèrent jusqu'à
l'époque de Darius et de Cyrus *. En revanche, Diogène,dont les informations en ces matières viennent pour la
plupart d'Apollodore, dit qu'il florissait dans la LXe Olym-
piade (540-537), et Diels est d'avis qu'en réalité c'est ce
1Diog.IX,18(R.P. 97).Noussavonsque Xénophanes'était occupéde la prédictiond'une éclipsepar Thaïes (chap.I, p. 41,n. 1). Nousverronsque sa propreopinionsur le soleilne se conciliaitguèreavecla possibilitéde faire pareilleprédiction,desortequece fut peut-êtreà ceproposqu'il contreditThaïes.
>Timée,ap. Clem.Strom. I, p. 533(R.P. 95, DV11A8). Il n'y aqu'uneanecdotequi nous montreen fait Xénophaneen conversationavecHiéron(Plut. Reg.apophlh. 175c), mais il est naturel de voirdans Arist.Met.T,5. 1010a 4une allusionà une remarqueà lui faitepar Epicharme.Aristotea plus d'une anecdotesur Xénophane,et ilsembletrès probablequ'il les empruntaitau romandontle HiérondeXénophonest un écho.
»Clem.loc.cit.; Sext.Math.I, 257.La mentiondeCyrusest confir-méepar Hipp.Réf.1,94.DielspensequeDariusfut mentionnéd'abordpourdes raisonsmétriques;maispersonnen'a expliquéd'unemanièresatisfaisantepourquoiCyrusauraitété mentionnési l'onnevoulaitpasinsistersur la dateplusancienne.Sur toutecettequestion,voirJacoby,p. 204sq,, quia certainementtort de supposerque typ1ta>vA*pt!ot>xalKûpojxpivwvpeut signifier«durant les tempsde Dariuset de Cyrus.»
128 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
qu'a dit aussi Apollodore *.Quoi qu'il en soit, il est évident
que la date de 540av. J.-C. est basée sur la supposition qu'il. se rendit à Elée l'année de la fondation de cette ville, et
n'est, par conséquent, qu'une simple combinaison*.
Ce que nous savons de certain, c'est que Xénophanemena une vie errante à partir de vingt-cinq ans, et qu'il selivrait encore à la poésie à l'âge de quatre-vingt-douze. Ildit lui-même (frg. 8 = 24 Karst ; R. P. 97) :
Voici maintenant soixante-sept ans que mon âme chargée desoucis 3parcourt d'un bout à l'autre le pays d'Hellas, et vingt-cinq ans s'étaient déjà écoulés depuis ma naissance, si je puisdire quelque chose de vrai en ces matières.
On est tenté de supposer que, dans ce passage, Xéno-
phane s'en réfère à la conquête de l'Ionie par Harpagos, et
qu'il répond, en fait, à la question posée dans un autre
poème (frg. 22 = 17 Karst ; R. P. 95 a)* :
Telles sont les choses que nous devons dire au coin du feu,en hiver, quand nous sommes couches sur de moelleux cous-sins, buvant du vin doux et grignotant des pois chiches : «Dequel pays es-tu, et quel âge as-tu, ô très cher? Et quel âgeavais-tu quand le Mède arriva?»
Nous ne pouvons pourtant pas en être sûrs, et nous
devons nous contenter de ce qui, après tout, est l'essentiel
pour le but que nous nous, proposons, à savoir qu'il parle de
*Rh.Mus.XXXI,p. 22.Il supposeune anciennecorruption deNenM.CommeApollodoreindiquait l'archonte athénien, et non l'Olym-piade, il serait plus probable de supposer une confusiondue au faitqu'il y eut deuxarchontesde mêmenom.
»CommeEléefut fondéepar les Phocéenssixans aprèsqu'ils curentquitté Phocée(Hcrod.I, 164sq.), ce fut justementen 540-39avantJ.-C.Cf.la manièredontApollodoredatait Ëmpédoclcpar l'ère de Thurium(8»8)-
* Bcrgk(Litleralurgtsch.II, p.418,n. 23)supposaitque çpovtîtdési-gnait ici l'oeuvrelittéraire de Xénophane,mais c'est sûrementun ana-chronismede prendre ce mot &cette date dans le sens où les Latinsemployaientcura.
*C'étaitcertainementun autre poème,car il est en hexamètres,tan-dis que le fragmentprécédentest en distiquesélégiaques.
SCIENCEET RELIGION 129
Pythagore au passé, et que c'est aussi au passé que parlede lui Heraclitei.
Au dire de Théophraste, Xénophane avait « entendu »
Anaximandrè *,et nous verrons qu'il était certainement au
courant de la cosmologie ionienne. Depuis qu'il eut étéchassé de sa ville natale, il vécut en Sicile, principalementà Zankle et à Catane*. De même qu'avant lui Archiloque,il déchargea son âme en écrivant des élégies et des satires
qu'il récitait dans les banquets où, comme on peut le sup-poser, les réfugiés essayaient de conserver les usages de labonne société ionienne. L'indication d'après laquelle ilétait rhapsode ne repose sur aucun fondement 4.Le chantre
d'élégies n'était pas un professionnel comme le rhapsode,mais il était, socialement, l'égal de ses auditeurs. Dans sa
quatre-vingt-douzième année, Xénophane menait encore,nous l'avons vu, une vie errante, ce qui ne s'accorde guèreavec le texte qui le fait établir à Elée et y fonder une école,surtout si, comme il y a lieu de le croire, il passa ses der-niers jours à la cour d'Hiéron. Il est très probable qu'ilvisita Elée, et il n'est pas impossible qu'il ait écrit un
poème de deux mille hexamètres sur la fondation de cette
ville, qui était naturellement un sujet intéressant pour tousles émigrés ionienss. Mais il est très remarquable qu'aucun
*Xénophane,frg.7 (voirplushautp. 126,n. 2); Heraclite,frg. 16,17(voirplus loin,p. 149).
»Diog.IX,21(R.P. 96a).*Diog.IX, 18(R.P. 96).L'emploidu vieuxnom de Zankleau lieudu
nom plus récent de Messinemontre que celte indicationa été em-pruntéeà unesourceancienne—probablementaux élégiesde Xéno-phanelui-méirc.
4 Diog.IX,18(R.P. 97)dit: aùtic tppajaîti ta ia\>to3,ce qui est toutdifférent.Nullepartailleursil n'estdit qu'il récitaitHomère,et leverbep'a'jxpSitvest employédans le senstout à fait généralde «réciter». Ladescriptioncoloréede Gomperz{Penseursde la GrèceI, p. 167)nereposeque sur ce simplemot. Il n'y a pas non plus la moindretraced'influencehomériquedans les fragments.Ils sont tous composésdansle styleéléglaqueusuel.
»Millersoupçonne&bon droit (/{/t.Mus.XXXIII,p. 529)que cetteindicationprovientde Lobond'Argos,qui écrivit sur lesSeptSages,
PUlLOSOPHlBonecQiB 9
130 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
écrivain ancien ne dise expressément qu'il ait jamais été à
Elée, et la seule chose — à part le poème douteux dontnous venons de parler —qui le mette en rapport avec cette
ville, est une anecdote d'Aristote. Comme les Eléates luidemandaient s'ils devaient sacrifier à Leucothéa et la
pleurer, il leur répondit : « Si vous la tenez pour une
déesse, ne la pleurez pas ; si vous ne la tenez pas pour telle,ne lui sacrifiez pas. » C'est absolument tout, et ce n'est là
qu'un apophtegmeJ. Il serait étrange que nous n'eussionsrien de plus si Xénophane avait réellement trouvé, sur lafin de ses jours, un foyer dans la colonie phocéenne.
LVI. — POÈMES.
Suivant une notice que nous a conservée Diogène, Xéno-
phane écrivit en hexamètres et composa aussi des élégieset des ïambes contre Homère et Hésiode '. Aucune autoritésûre ne nous atteste qu'il ait écrit un poème philoso-phique *. Simplicius nous dit n'avoir jamais vu les versoù la terre était décrite comme s'étendant à l'infini ducôté d'en bas (frg. 28)* ; cela signifie que l'Académie ne
Epiménide,etc., desnoticesstichométriques,toutes pieusementmen-tionnéespar Diogène.Maismêmesi cette indicationest vraie,celaneprouverien.
»Arist.Rhet.B,26.1400b 5 (R.P. 9Sa; DV11A 13).Desanecdotescommecelle-làsont en réalité anonymes.Plutarquetransporte l'his-toire en Egypte(P. Ph. Fr. p. 22,§13)et d'autresla racontentd'Hera-clite. Il n'est guèresûr de construiresur un pareilfondement.
*Diog.IX,18(R. P. 97).Le mot intxôiuoevest une réminiscencedeTimon,frg. 60Diels:Ztvo?avi){ûitâwçoc'Op-T]pajiâtT)îiitixôitnjc-
»La plus ancienneréférenceà un poèmeIltplçyaio>ese trouvedansles scholics genevoises(11.XXI, 196,où est cité le frg.30),et elleremonte&Kratèsde Mallos.Nousdevonsnous souvenir,cependant,que pareils titres sont de date plus récentequeXénophane,et qu'onlui avait accordéuneplaceparmiles philosophesbien avantl'époquede Kratès.Tout ceque nous pouvonsdire, par conséquent,c'est queles bibliothécairesde Pergamedonnèrentle titre de lîtpl«pûetcucà unpoèmede Xénophane.
*Simpl. de CKIO,p. 522,7 (R. P.97 b\ DV11A47).11est vraiquedeuxde nosfragments(25et 26)nousont été conservéspar Simplicius,
SCIENCEET RELIGION 131
possédait aucun exemplaire de ce poème, ce qui serait très
étrange s'il avait jamais existé. Simplicius savait se procu-rer les oeuvres complètes d'hommes beaucoup moins consi-dérables. Aucune preuve interne, non plus, ne tend àconfirmer qu'il ait écrit un poème philosophique. Diels yrapporte environ vingt-sept vers, mais qui tous se rattache-raient tout aussi naturellement à ses attaques contreHomère et Hésiode, ainsi que j'ai essayé de h* montrer. Ilest significatif aussi qu'un certain nombre d'entre euxdérivent de commentateurs d'Homère 1. Il semble pro-bable, donc, que Xénophane exprima incidemment dansses satires ses vues théologiques et philosophiques. Ceserait tout à fait dans la manière du temps, comme lemontrent les restes d'Epicharme.
Les satires elles-mêmes sont appelées Silles par les écri-vains postérieurs, et ce nom peut bien remonter à Xéno-
phane lui-même. Il est possibleaussi, cependant,qu'il soit
dû au fait que Timon de Phlionte, le «sillographe» (vers259 av. J.-C), mit dans la bouche de Xénophane une
grande partie de ses satires contre les philosophes. Un
seul vers ïambique nous a été conservé, et il est immédia-tement suivi d'un hexamètre (frg. 14 = 5 Karst). Cela fait
supposer que Xénophane insérait des vers îambiques parmises hexamètres, à la façon du Margitès, ce qui eût été très
naturel de sa part *.
LVII. — LES FRAGMENTS.
Je donne tous les fragments de quelque importance,
d'après le texte de Diels et dans l'ordre où il les a placés.
maisil les tenait d'Alexandre.Ils étaientprobablementcitéspar Théo-phraste, car 11est évidentqu'Alexandren'avaitpasdé Xénophaneuneconnaissancede première main. S'il l'avait eue, il ne se serait paslaissétromperpar M.X.G.Voirp. 140,note.
>Trois fragments(27,31,33)proviennentdes Allégorieshomériques,deux(30,32)des scholieshomériques.
»Cf.Wilamowltz,Progr.de Greifswnld1880.
132 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
Elégies.1. Maintenant, le plancher est propre, et les mains et les
coupes de tous; l'un place sur nos têtes des couronnes tressées,un autre nous offre sur un plateau une myrrhe parfumée. Lecratère est là, plein d'allégresse, et un autre vin est prêt, quipromet de ne jamais faire défaut, doux et exhalant l'odeur desfleurs dans les cruches. Au milieu, l'encens fait monter sasainte fumée, et il y a de l'eau fraîche, douce et pure. Despainsbruns sont disposés devant nous, et une magnifique table estchargée de fromage et d'un miel abondant. Au milieu, l'autelest tout entouré de fleurs ; le chant et les divertissements rem-plissent les halles.
Maisd'abord il faut que les hommes célèbrent les dieux pardes chants joyeux, des mythes sacrés et de pures paroles;ensuite, quand ils ont offert des libations et adressé des prièrespour obtenir la force d'accomplir ce qui est juste — car c'estlà, en vérité, le premier devoir —ce n'est pas un péché pourun homme de boire autant qu'homme peut prendre et rentrerchez lui sans qu'un serviteur l'accompagne, s'il n'est pas acca-blé d'années. Et parmi les hommes, il faut louer celui qui, ayantbu, donne la preuve qu'il a gardé la mémoire et qu'il s'exerce àla vertu. Il ne chantera pas les combats des Titans, ni desGéants, ni des Centaures —inventions des hommes de jadis —ni les orages des guerres civiles, dans lesquelles il n'est aucunbien, mais il sera toujours plein de respect pour les dieux.
2. Maissi un homme remportait lavictoire par la rapidité de sacourse, ou aupentathle à Olympie, où se trouve l'enceinte sacréede Zcus près des sources de Pisa, ou en luttant, ou en se mon-trant habile au cruel pugilat, ou à ce terrible jeu qu'on appellele pancrace, il deviendrait plus glorieux aux yeux de ses conci-toyens, gagnerait une place d'honneur aux concours, sa nourri-turc aux frais de la cité, et un présent qui s'hériterait après lui;et s'il l'emportait avec ses coursiers, il obtiendrait toutes ceschoses sans en être aussi digne que moi. Car notre art est pré-férable à la forcedes hommes et des chevaux. Maisc'est à tortque toutes ces choses sont prisées, et il n'est pas juste deplacer la force au-dessus de notre art. Car s'il y avait parmi lepeuple un homme habile au pugilat, ou au pentathle, ou à lalutte, si môme un homme à la course rapide —et il n'y a pasde chose que les hommes honorent plus aux jeux —la cité neserait pas, pour cela, mieux gouvernée. Et il ne .vîv.'cntiraità laville qu'une petite joie si un de ses citoyens rempo: :tit la vic-toire sur les rivages de Plia, car ce n'est pas cela qui enrichitses trésors.
SCIENCEET RELIGION. 133
3.11sont appris des Lydiens des manières efféminées et sansutilité aussi longtempsqu'ils étaient libres de l'odieuse tyrannie ;ils se rendaient à l'agora avec des vêtements teints de pourpre,au nombre d'un millier, glorieux et vains de leurs cheveluresbien peignées, exhalant l'odeur de parfums artificiels.
Satires.
10.Puisque tous, dès le commencement, ont appris d'Homère...11.Homère et Hésiode ont attribué aux dieux toutes les
choses qui, chez les hommes, sont opprobre et honte : vols,adultères et tromperies réciproques. R. P. 99.
12. Ils ont raconté sur le compte des dieux beaucoup, beau-coup d'aclcs contraires aux lois : vols, adultères et tromperiesréciproques. H.P. ib.
14.Maisles mortels se figurent que les dieux sont engendréscomme eux, et qu'ils ont des vêtements ', une voix et une formesemblables aux leurs. R. P. 100.
15.Oui, et si les boeufs, les chevaux et les lions avaient desmains, et si, avec leurs mains, ils pouvaient peindre et produiredes oeuvresd'art comme les hommes, les chevaux peindraientles formes des dieux pareilles à celles des chevaux, les boeufspareilles à celles des boeufs, et ils feraient leurs corps chacunselon son espèce propre. R. P. ib.
16. Les Ethiopiens font leurs dieux noirs et avec le nezcamus ; les Thraces disent que les leurs ont les yeux bleus etles cheveux rouges. H. P. 1006.
17. Les dieux n'ont pas révélé toutes choses aux hommesdès le commencement, mais, en cherchant, ceux-ci trouventavec le temps ce qui est le meilleur. R. P. 104b.
23.Un seul dieu, leplus grand parmi les dieux et les hommes,et qui n'est pareil»:aux hommes ni par la forme ni par la pen-sée... R. P. 100.
24. Il voit tout entier, pense tout entier, et tout entierentend. R. P. 102.
25.Mais,sans peine, il gouverne toutes choses par la forcede son esprit. R. P. 108b.
20.Et il habite toujours à la même place, sans faire le moindremouvement, et il ne lui convient pas de se porter tantôt d'uncôté, tantôt de l'autre. R. P. 110ci.
27. Toutes choses viennent de la terre, et c'est dans la terreque toutes choses finissent. R. P. 103u.
28. Cette limite de la terre en haut, nous la voyons à nos
1Je préféraisautrefois lire avec Zeller afcBijatv,mais ClémentetEusèbcont tous deuxia8f)ta,et Théodoretdépendentièrementd'eux.
134 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
pieds en contact avec l'air 1; mais, en bas, elle s'étend sanslimite. R. P. 103.
29.Toutes choses qui naissent et croissent sont de la terre etde l'eau. R. P. 103.
30. La mer est la source de l'en»,et la source du vent ; car nidans les nuages <il n'y aurait c."soufflesde vents soufflant> del'intérieur sans la mer puissante, ni courants de fleuves, ni eaude pluie venant du ciel. 'C'est la puissante mer qui engendrenuages, vents et fleuves*.R. P. 103.
31. Le soleil se balançant au-dessus*de la terre et la réchauf-fant...
32. Celle,qu'ils appellent Iris est aussi un nuage, pourpre,écarlate et vert d'aspect. R. P. 103.
33. Car nous sommes tous nés de terre et d'eau. R. P. ib.34. Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais d'homme qui ait
une connaissance certaine des dieux et de toutes les chosesdont je parle. Même si, par hasard, il disait la parfaite vérité,il ne s'en rendrait pas compte lui-même. Mais tous peuventavoir leur fantaisie. R. P. 104.
35.Considérez tout cela comme des fantaisies4 ayant quelqueapparence de vérité. R. P. 104a.
36.Toutes celles d'entre elles*qui s'offrent à la vue des mor-tels.
37. Et l'eau dégoutte dans certaines cavernes...38. Si Dieu n'avait pas créé le brun miel, les hommes trouve-
raient les figues beaucoup plus douces qu'ils ne le font.
LVIII. — LESCORPSCÉLESTES.
L'intention de l'un de ces fragments (32) est parfaite-ment claire. «Iris aussi» est un nuage, et nous pouvons eninférer que la même chose venait d'être dite du soleil, dela lune et des étoiles ; car les doxographes nous appren-
1Je lis ^tpiavecDielsau lieude xalp'iî.1Cefragmentprovienten entierdes scholicsgenevoisessur Homère
(voirArchloIV,p. G52);les motsentre crochetsont été ajoutés parDiels.Voiraussi Priechter,Zu Xcnophanes(Philol.XVIII,p.308).
*Le mot est itupuutvcî.Ce fragmentprovientdes Allégories,où ilest employépourexpliquerle nomd'Hypcrion,et Xénophanel'enten-daitsansdouteainsi.
*Je lis îiîo$â(j8u>avecWilamowitz.»Ainsique le suggèreDiels,ceci se rapporteprobablementaux
étoiles,queXénophanetenaitpourdes nuages.
SCIENCEET RELIGION 135
nent que tous ces corps étaient tenus pour des «nuagesenflammés par le mouvement *». C'est au même contexte
évidemment que se rapporte l'explication du feu Saint-
Elme, que nous a conservée Aétius. « Les choses analoguesà des étoiles qui apparaissent sur les vaisseaux, nous
dit-il, et que quelques-uns appellent les Dioscures, sont de
petits nuages rendus lumineux par le mouvement*». Chezles doxographes, celle explication est répétée avec d'insi-
gnifiantes variations relativement à la lune, aux étoiles,aux comètes, aux éclairs, aux météores, etc., ce qui donne
l'impression d'une cosmologie systématique *.Mais le sys-tème est dû à l'arrangement de l'oeuvre de Théophraste, etnon à Xénophane, car il est évident qu'un très petitnombre d'hexamètres ajoutés à ceux que nous possédons,suffiraient à rendre parfaitement compte de l'existence detoute la doxographie.
Ce que nous apprenons du soleil présente quelques diffi-cultés. On nous dit, d'une part, que cet astre aussi étaitun nuage igné, mais il n'est guère possible que ce rensei-
gnement soit exact. L'évaporation de la mer, qui donnenaissance aux nuages, est expressément attribuée à la cha-leur du soleil. Théophraste affirmait que, selon Xéno-
phane, le soleil était une collection d'étincelles produitespar l'exhalaison humide; mais ce fait, précisément, laisse
inexpliquée l'exhalaison elle-même *.Toutefois cela n'a pasgrande conséquence, si le but essentiel de Xénophane était
«Cf. Diels ad loc. (P. Ph. Fr. p. 44): «ut Sol et cetera astra, qu»cum in nebulas cvanesccrcnt,dcoruinsimvilopiniocasuraerat. » Cf.Arch.X,p. 633.
»Aei.II, 18,1(Dox.p.347; DV11A39): Eivoçdlvijttoi«tnl tffiv«XotcovçaivojWvooîotovdatfpaç,où;xalAtosxoupou;xaXoOsltivtf,vi<piXiaclvatxatàtîjvnotavXÎVTJJIVttapaXâjinovta.
*Les passagesd'Actius sont réunisdans P. Ph. Fr. p. 32sq. (DV,p. 42; 11A40-46).
* Aet.Il, 20,3 (Dox.p. 348):Stvo?ivt]<it vupôvlunuptofiivaivitvstrivrXtov.9tô(ppa«totiv toî<4>u3ixoTcY^TPa?tv'* itopiôtuv(dvtfflvouvaftpot-lo|Wvwvit tl)cOfpA«iva8j|ii3afto{,ouvadpotÇâvtu»il tèvîjXtov.
136 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
de discréditer les dieux anthropomorphiques plutôt quede donner une.théorie scientifique des corps célestes. Lachose importante est qu'Hélios, lui aussi, est un phéno-mène temporaire. Le soleil ne tourne pas autour de laterre comme l'enseignait Anaxiinène, mais se meut en
ligne droite, et s'il nous parait avoir un mouvement circu-
laire, cela n'est dû qu'à un accroissement de distance.Ainsi donc, ce n'est pas le même soleil qui se lève lematin suivant, mais un soleil tout nouveau, tandis quel'ancien «tombe dans un trou» quand il arrive à certaines
régions inhabitées de la terre. Il y a d'ailleurs un grandnombre de soleils et de lunes, chaque région de la terre
ayant les siens *. Il est clair que des choses de cette naturene peuvent pas être des dieux.
La vigoureuse expression « tombe dans un trou *».
semble évidemment venir des vers de Xénophane lui-
même, et il y en a d'autres analogues qui, à ce que nousdevons supposer, étaient citées par Théophraste. Lesétoiles s'éteignent pendant le jour et brillent de nouveau
pendant la nuit «comme des charbons ardents*». Lesoleil est de quelque utilité parce qu'il produit le monde etles créatures vivantes qui l'habitent, mais la lune « ne tra-vaille pas dans le bateau *». De telles expressions ne
peuvent avoir pour but que de faire paraître ridicules les
»Aet. II, 24,9 (Dox.p. 355):rcoXXoùîtîvaii^'itoî xal «Xijvaîxatà xXî-jiata tî){Y*JCx*'«taotojiàîxalOivaç.xatà il tivaxaipov»p.iiîîtt«ivtiv îîaxovttç TivaànotojiT)Vtijc fij; oùxotxoyuivTjvûç'^jitiivxaloût<oçws'itipxtvtp.-patoCiv'.atxXtttfitvûnofaivctv'h Vau?ô(TOVnXtovt!( âititpovplv npoitvat,îoxiïvil xuxXttsOat?tàTTJVànôstasiv.Il est évidentque dans cette noteîxXci'J-tva été par erreur substituéà iûaiv,commec'est aussi le casdansAet.II, 24,4 (Dox.p. 354).
1Quece soit là le sens de wsntpxtvt,u$atoyvTa,cela ressort suffisam-mentdespassagescitésdans le dictionnairede Liddellet Scott.
1Aet. Il, 13,14(Dox.p.343):cbaÇum'jptîvvûxtwpxa&ôiuptoiç âvdpaxa;.*Aet. Il, 30,8 (Dox.p. 362)Î T&VjilvTJXIGVvpnsip.ov*ïvainpôî TIJVto5
xiauooxal tîiv t&viv aùtqîÇoltovvtvtsîvti xal etoîxnuv,TTIVil otXfivnvitaptXxttv.Le verbenaptXxttvsignifie«ramer en paresseux». Cf.Aris-tophane,Paix, 1300.
SCIENCEET RELIGION 137
corps célestes, et il y a par conséquent lieu de se deman-der si les autres fragments supposés cosmologiques peu-vent être interprétés d'après le même principe.
LIX. — LATERREETL'EAU.
Au fragment 29, Xénophane dit que «toutes choses sontde la terre et de l'eau », et Hippolyte nous a conservé lecommentaire de Théophraste sur le passage dans lequel setrouvait cette phrase. En voici la teneur :
Xénophane disait qu'il se produit un mélange de la terre avecla mer, et que la première est petit à petit dissoute par l'humi-dité. Il dit avoir de ce fait les preuves suivantes. On trouve descoquilles en des endroits situés au milieu des terres, et sur descollines, et il dit qu'on a trouvé dans les carrières de Syracusel'empreinte d'un poisson et de fucus, à Paros la forme d'unanchois dans la profondeur de la pierre, et à Malte des impres-sions plates de tous les animaux marins. Ces empreintes, à cequ'il dit, ont été produites autrefois, quand toutes chosesétaient encore dans la vase, et les contours se sont sèches dansla vase. Tous les êtres humains ont été détruits quand la terres'est engloutie dans la mer et est devenue vase. Ce changementse produit pour tous les mondes.— Hipp. Réf. 1,14 (R. P. 103a;DV11 A 33, 5).
C'est là, évidemment, la théorie d'Anaximandre, etc'est peut-être à ce dernier, plutôt qu'à Xénophane, quenous devons faire honneur des observations sur les fos-siles '. Mais ce qu'il y a de plus remarquable pourtant, c'estl'affirmation que ce changement affecte «tous les mondes».Il semble réellement impossible de douter que Théo-
phraste n'attribuât à Xénophane la croyance à des« inondes innombrables ». Ainsi que nous l'avons déjà vu,Aétius le fait figurer dans sa liste de ceux qui soutenaient
1II y a à ce sujetune note intéressantedans Gomperz,Penseursdela Grèce,I, p. 175.J'ai traduit sa conjecturetp'jxûiv,au lieu de la leçondu ms. çioxiov,parce que celle-ci implique, dit-on, une impossibilitépaléontologiquc,et que l'on a trouvédes Impressionsde fucoîdcsnonpas, il est vrai, dans lescarrièresde Syracuse,maisdans le voisinage.Il paraitd'ailleurs qu'il n'y a pasde fossilesà Paros,desortequel'an*choisn'a sans douteexistéque dans l'imaginationde Xénophane.
138 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
cette doctrine, et Diogène l'en crédite aussil. Dans le pas-sage ci-dessus, Hippol) te parait tenir la chose pour assu-rée. Nous le constaterons aussi, cependant: Xénophanedéclarait, à un autre propos, que le Monde ou Dieu étaitun. Si nous le comprenons bien, il n'y a pas de difficultéici. Le point essentiel est que, bien loin d'être une déesse
primordiale, et «un lieu sûr à tout jamais pour touteschoses», Gaia non plus n'est qu'une apparence passagèr'c.Ceci fait partie de l'attaque dirigée contre Hésiode, et si, àce propos, Xénophane parlait avec Anaximandre de«mondes innombrables», tandis qu'ailleurs il disait queDieu ou le Monde était un, cela est probablement en rap-port avec une contradiction encore mieux attestée, quenous avons maintenant à examiner.
LX. — FINI ou INFINI?
Aristote a essayé en vain de découvrir, par l'étude des
poèmes de Xénophane, si celui-ci regardait le mondecomme fini ou comme infini. « Il n'a fait aucune déclara,tion précise à ce sujet», conclut-il *.Selon Théophraste, en
revanche, Xénophane tenait le monde pour sphérique et
fini, puisqu'il le disait «égal en tous sens*». Ceci, toute-
fois, nous engage dans de très sérieuses difficultés. Ainsi
que nous l'avons déjà vu, notre philosophe disait que lesoleil se mouvait en ligne droite à l'infini, et cela s'ac-
»Aet.II, 1, 2 (Dox.p. 327;DV2, 17);Diog.IX,19(R. P. 103c). Il estvrai, naturellement,que ce passagede Diogènevient du manuelbio-graphique(Dox.p. 168),maiscen'enest pasmoinschosesérieusequede nier l'originethéophrastiqued'une indicationqui se trouve dansAétius,Hippolyteet Diogène.
>Arist.Met.A, 5.986b 23(R.P. 101;DV11A30):OVÎÏVîina^vtstv.1CeciestdonnépouruneinférencedeSimpl.Phys.p.23,18(R.P.108b;
DV11A31,9): îià t'oitavTaxô8ivôuoiov,et ne vientpassimplementdeM.X.G.(977b 1; R.P.108):ndvnj5'cjioiov8VT«oçaepoetîij«ïvat.Hippolytea aussi cette indication(Réf.1, 14; R.P. 102a; DV11A33,2); elleremontedonc à Théophraste.Timonde PhliontecomprenaitXéno-phanedela mêmemanière.caril lui faitappelerl'UnîsovândvcTj(frg.60,Diels= 40Wachsm.;R. P. 102a).
SCIENCEET RELIGION 139
corde avec l'idée qu'il se faisait de la terre, à savoir celled'une plaine infiniment étendue. Plus difficile encore à
concilier avec la conception d'un monde sphérique et fini
est l'indication du fragment 28, d'après laquelle la terre a
une limite supérieure que nous voyons, mais n'a pas delimite inférieure. Ce point est attesté par Aristote, quinous dit que la terre a «des racines infinies», et ajoutequ'Iïmpédocle blâmait Xénophane d'avoir soutenu cette
opinion '. Il ressort en outre du fragment dTCmpédoclc cité
par Aristote qu'au dire de Xénophane le «vaste air»s'étendait à l'infini du côté d'en haut*. Nous voilà donctenus de trouver, ou plutôt d'essayer de trouver de l'espacepour une terre infinie et un air infini dans un monde
sphérique et fini ! Cela vient de ce que nous essayons detrouver de la science dans de la satire. Si, en revanche,nous envisageons ces déclarations du même point de vue
que celles qui concernent 1rs corps célestes, nous verronstout de suite ce qu'elles signifient très probablement.L'histoire d'Ouranos et de Gaia était toujours le principalscandale de la Théogonie, et l'air infini nous débarrassed'Ouranos. Quant à la terre, si elle s'étend en bas à l'in-
fini, elle nous délivre du Tartare, qu'Homère situait à l'ex-trême limite de ce côté, aussi loin au-dessous de l'Hadès
que le ciel est élevé au-dessus de la terre *.Ceci n'est natu-rellement qu'une conjecture ; mais, cela ne fût-il que pos-sible, nous sommes autorisés à ne pas croire que des con-tradictions aussi surprenantes se soient trouvées dans un
poème cosmologique.Une plus subtile explication de la difficulté nous est don-
née par le Péripatéticien postérieur qui écrivit sur l'école
«Arist.de.Cxlo,B, 13.294a21(R.P. 103b; DV11A47).*Je prendsîajtXôfcommeattribut,et dncipovacommeprédicat aux
deuxsujets.*11.VIII,13-16,478-481,et spécialementles mots: où?'tt xt ta vtiata
KtîpafKîxijat| raîijçxalK&MTOIOX.T.X.LeVIII*livre de l'Iliade doit avoirparu particulièrementmauvaisà Xénophane.
140 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
éléate un traité dont il existe encore, dans le recueil aristo-
télicien, une partie généralement connue sous le titre detraité sur Mélissos, Xénophane et Gorgias 1, Selon cet écri-
vain, Xénophane déclarait que le monde n'était ni fini ni
infini, et il énumérait une série d'arguments à l'appui decette thèse, à laquelle il en ajoutait une analogue, àsavoir que le monde n'est ni en mouvement ni en repos.Cela a introduit dans nos sources des confusions à perlede vue. Alexandre utilisait ce traité aussi bien que la
grande oeuvre de Théophraste, et Simplicius supposaitque les citations qui en étaient tirées provenaient aussi de
Théophraste. N'ayant pas d'exemplaire du poème, il fut
complètement déconcerté, et jusqu'il y a peu de tempstoutes les analyses de Xénophane ont été viciées par lamême confusion. On peut même prétendre que, sans cet
écrit, nous aurions fort peu entendu parler de la «philoso-phie de Xénophane», manière de dire qui, en somme,n'est qu'une survivance de l'époque où l'on ignoraitencore que cet exercice scolastique n'avait aucune autorité.
t
i Dansl'éditionde Bekker,ce traité portele titre de FIiplEevotpâvou;,ntplZrjvwvoî.-ittplrWîo\>,mais le meilleurms. donnepour titres destrois sections: (1)flepiZ^vwvo;,(2)UtplEtvo?s\<»î,(3)Jlcpiropiîoj.Maisla premièresectionse rapporteclairementà Mélissos,de sortequeletraité tout entier est maintenantintitulé DeMelisso,Xénophane,Gor-gia {M.X.0.). Il a été éditépar Apeltdansla bibliothèqueTeubner,etplusrécemmentpar Di.-ls{Abh.derK.Preuss.Akad.1900),qui a aussidonné la sectiontraitant de Xénophanedans P. Ph. Fr., p. 24-29(Vors.p. 36 sq.). Diels a maintenantabjuré l'opinionqu'il soutenaitdansDox.,p. 108,à savoirque l'ouvrageappartientau III*siècleavantJ.-C,et pensemaintenantqu'il a été a Peripatelicocclectico(i. e. cceptica,plalonica,stoicaadmiscente)circaChristinatalemconscriplum.S'il enest ainsi, il n'y a pas de raisonde douter, commeje le faisaisautre-fois, que la 2*section traite réellementde Xénophane.L'écrivainn'aurait par conséquentpas connules poèmesde celui-cide premièremain,et l'ordre dans lequelles philosophessont discutésest celuidupassagede la Métaphysiquequi a soulevétoutela question.Il est pos-siblequ'unesectionsur Parménidcprécédâtceque nous avonsmain-tenant.
SCIENCEET RELIGION 141
LXI. — DIEUET LE MONDE.
Dans le passage de la Métaphysique auquel nous venons
de faire allusion, Aristote parle de Xénophane comme du
«premier partisan de l'Un1», et le contexte montre qu'ilvoulait donner à entendre par là que Xénophane avait été
le premier des Eléates. Nous avons déjà vu que, si l'on en
juge par les faits certains de sa vie, il est fort peu vraisem-
blable qu'il se soit fixé à Elée et y ait fondé une école, et
il est à croire que, comme d'habitude en cas pareil, Aris-
tote reproduit simplement certaines indications de Platon.
En tout cas, Platon avait parlé des Kléates comme des
« partisans du Tout*», et il avait aussi dit de l'école qu'elleétait « partie de Xénophane et même d'une date plusancienne*». Ces derniers mots, toutefois, montrent assez
clairement ce qu'il voulait donner à entendre par là. Demême qu'il appelait les Héraclilicns «successeurs d'Homèreet de maîtres encore plus anciens*», il rattachait l'école
éléate à Xénophane et à des autorités plus anciennes
encore. Nous avons vu dans d'autres cas comment ces
remarques plaisantes et ironiques de Platon furent prisesau sérieux par ses successeurs, et nous ne devons pas
«Met.A.5,986b21(R.P. 10:, DV11A30): itpûTo;TOJTO»'.visa;.LeverbetvîÇuvnese rencontrenullepart ailleurs,maisil est c. freinentformésur l'ana'ogiede p.i}2î(tiv,«pùtnitt'Cciv,etc II n'est pas probablequ'il signifie«unifier».Aristoteaurait pu dire tvûsa;, s'il avaitvouluexprimercette Idée.
* Tht. 181a 6 : xoOSXO-Joxajc&Tat.Le substantifctaittôîi];n'a pasd'autre sensque celuide «partisan». Il n'y a pas de verbe otajioO*signifiantarendrestationnaire»,et pareilleformationserait contraireà touteanalogie.Ladérivationotaoïita;...ànôtijçorâstwçapparaîtpourla premièrefoisdans Sext.Math. X.46,passagedont nous pouvonsinférerqu'Aristoteemployaitle mot, nonqu'il donnaladérivation.»Soph.242d 5 (R.P. 101b; DV11A29).Si cepassageimpliqueque
Xénophanes'établità Elée,celal'impliqueaussideses prédécesseurs.MaisquandEléefut fondée,Xénophaneétaitdéjàdansla forcede l'âge.
* Tht.179e3 : tûv'HpaxXttTiuuvîj.&3iupoi Xtyti;,'Oprjpu'wvxaliti na-Xaiotcpuv.Dansce passage,Homèreest auxHéracliliensexactementcequeXénophaneestauxbléatesdansle Sophiste.
142 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEORECQUE
laisser celle-ci influencer indûment notre opinion généralesur Xénophane.
Aristote nous dit en outre que Xénophane, «considérantle monde entier 1,disait que l'Un était dieu». Ceci fait clai-rement allusion aux fragments 23 à 26, où tous le attributshumains sont déniés à un dieu qui est affirmé t»i, et «le
plus grand parmi les dieux et les hommes». On peut ajou-ter que ces vers sont beaucoup plus piquants, si nous pou-vons les concevoir en relation étroite avec les fragments11 à 16, au lieu de les attribuer en partie aux satires et en
partie à un poème cosmologique. C'était probablementdans le même contexte que Xénophane disait le mondeou Dieu «égal en tous sens *», et contestait qu'il respirât*.L'indication suivant laquelle il n'y a pas d'hégémonie
parmi les dieux 4 s'accorde aussi fort bien avec le fragment26. Un dieu n'a pas de besoins, et il ne convient pas à undieu d'être le serviteur des autres, comme c'est le cas clans
Homère pour Iris et pour Hermès.
LXIL —MONOTHÉISMEou POLYTHÉISME?
Que ce «dieu» soit justement le monde, Aristote nous
l'affirme, et cet emploi du mot Ot<kest tout à fait conformeà celui qu'en fait Anaximandre. Xénophane lui attribuaitdes sensations, sans lui reconnaître des organes spéciaux
>Met.981b 24.Cesmotsne peuventpas signifier«levant ses regardsvers le Ciel» ou quelque chosed'analogue, ils sont entenduscommeje les entendspar Honltz(im Hinbllckeauf denganzenHimmel)et parZeller(im Hinblickauf dasWeltganze).Le mot àxojftiiutvétait devenubeaucouptrop incolorepour exprimer l'autre idée, et oùpavéç,nous lesavons,désignece qui fut plus tard appeléxôajioc-
*Voirplushaut, p. 138,n. 3.*Diog.IX, 19(R. P. 103c): cXovo"6p4vxalSXovàxoûnv,pi)prnoidva-
«vftv.Voirplushaut, p. 122,n. 2.« [Plut.]Slrom. frg. 4 (DV11A32): dnofaîvitaiU xal mpt «cûv à»ç
où3t|iiac «jiovtaçtv aûtoîco-îoijç-oùfàp SoiovîeOKÔÇeo&aîtiva tfcv8««v>imîiTo&alt*p.ij*icvôcavrâvp.rj8(vapi))'oXwç,àxiûtivSixalépdvxaDôXwxa'pî)xatà jitpoç.
SCIENCEET RELIGION 143
à cet effet, et il le faisait gouverner toutes choses par les« pensées de son esprit ». Il l'appelle aussi le « dieu uni-
que », et si cela est du monothéisme, alors Xénophaneétait monothéiste, quoiqu'il ne le fût certainement pas ausens où ••mot est généralement compris. Le fait est que
l'expressiun «dieu unique» éveille dans notre esprit toutessortes d'associations qui n'existaient pas du tout pour les
Grecs de ce temps-là. Il est probable que les contemporainsde Xénophane l'eussent appelé athée plutôt que n'importe
quoi d'autre. Comme le dit excellemment Edouard Meyer :« En Grèce, la question de savoir s'il y a un dieu ou plu-sieurs ne joue pour ainsi dire aucun rôle. Que la puissancedivine soit conçue comme unité ou pluralité, est chose sans
importance en comparaison de la question de savoir si
elle existe et comment il faut en comprendre la nature et
les relations avec le monde 1. »D'autre part, c'est une erreur de dire, avec Freudenthal,
que Xénophane était en n'importe quel sens un polythéiste *.
Qu'il employât le langage du polythéisme dans ses élégies,on devait s'y attendre, et l'on ne pouvait s'attendre à autre
chose, et quant à ses autres allusions aux « dieux », lameilleure explication qu'on en puisse donner, c'est de les
rattacher à ses attaques contre les dieux anthropomorphi-
ques d'Homère et d'Hésiode. En un cas, Freudenthal a
serré de trop près une manière proverbiale de parler *. Et
moins que n'importe quoi, nous ne pouvons admettre que
Xénophane concédât l'existence de dieux subordonnés ou
spéciaux; car c'est justement l'existence de ces dieux-là
qu'il avait particulièrement à coeur de nier. Mais en même
>Gesch.desAlterth.II, %466.1Freudenthal,DieThéologiedesXenophanes.*'Xénophaneappelleson Dieuc le'plus grandparmi les dieuxet les
hommes», maisc'est là simplementunede ces«expressionspolaires»auxquelleson trouvera des parallèlesdans la note de WilamowitzàYHéraklèsd'Euripide,v. 1106.Cf.spécialementl'indicationd'Heraclite(frg.20)suivantlaquelle«aucundes dieuxou des hommes» n'a crééle monde.
144 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
temps, je ne puis m'empêcher de penser que Freudenthal
est plus près de la vérité que Wilamowitz, lequel prétend
que Xénophane « représentait le seul vrai monothéisme
qui ait jamais existé sur la terre1». Diels se rapprochedavantage du but, à mon sens, quand il qualifie la doctrinedu vieux poète de « panthéisme quelque peu étroit *». Mais
toutes ces opinions auraient à peu près également surprisXénophane lui-même. Il était en réalité le Wellkind de
Goethe, avec des prophètes à sa droite et à sa gauche, et il
eût souri s'il eût su qu'un jour il serait regardé comme un
théologien.
«GriechtscheLiteratur, p. 38(3*édtt., p. 62).*ParmenldesLehrgedicht,p. 9.
CHAPITRE III
HERACLITE D'ÉPHÈSE
LXIII. — VIE D'HERACLITE.
Heraclite d'Ephèse, fils de Blyson, « florissait », dit-on, dans la LXIXe Olympiade (504/3-501/0 av. J.-C.) 1,c'est-à-dire juste au milieu du règne de Darius, et plusieurstraditions le mettent en rapport avec ce souverain *.Nousverrons que Parménide était placé dans la même Olym-piade, quoique pour une autre raison (§ 84). Il est plus im-
portant, toutefois, pour le but que nous nous proposons,de noter que tandis qu'Heraclite parle de Pythagore et de
Xénophane au passé (fi/g. 16), il est à son tour l'objet d'uneallusion de Parménide (f/g. 6). Ces références sont suffi-santes pour marquer sa place dans l'histoire de la philo-sophie. Zeller soutient, il est vrai, qu'il ne peut avoir
publié son oeuvre qu'après 478, en se fondant sur le fait
que l'expulsion de son ami Hermodore, à laquelle il faitallusion dans le fragment 114, ne peut avoir eu lieu avantl'écroulement de la domination perse. S'il en était ainsi, ilserait difficile de comprendre comment Parménide pour-rait avoir connu les doctrines d'Heraclite ; mais il n'y aassurément aucune difficulté à supposer que les Ephésiensaient banni un de leurs plus éminents citoyens à l'époque
1Diog.IX,1 (R. P. 29),sansdoute d'après Apollodore,par quelqueautorité intermédiaire.Jacoby,p. 227sq.
* Bernays,DieIleraklitischenBriefe,p. 13sq.PHILOSOPHIEGRECQUE 10
146 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
où ils payaient encore le tribut au Grand Roi. Les Perses
n'enlevèrent jamais aux cités ioniennes leur autonomie
interne, et les lettres apocryphes d'Heraclite montrent que,selon l'opinion reçue, Hermodorc fut exilé au cours du
règne de Darius '.
Sotion dit qu'Heraclite fut élève de Xénophane*, maiscela n'est pas probable, attendu que Xénophane paraitavoir quitté pour toujours lienie avant qu'Heraclite fût né.Il est plus vraisemblable qu'il ne fut l'élève de personne,mais il est clair, en même temps, qu'il était au courant dela cosmologie milésienne, et qu'il avait lu les poèmes de
Xénophane. Il savait aussi quelque chose des théories
enseignées par Pythagore (frg. 17).De la vie d'Heraclite, en réalité, nous ne savons rien,
sauf peut-être qu'il appartenait à l'ancienne maison royaie,et qu'il résigna en faveur de son frère la dignité de roiattachée à son nom *. L'origine des autres renseignementsrelatifs à sa vie est tout à fait transparente *.
LX1V. — SONLivnE.
Nous ne connaissons pas le titre de l'oeuvre d'Heraclite *
— si toutefois elle en avait un — et il n'est pas très facile
»Bernays,op. cit. p. 20sq.' Sotionap. Diog.IX,5 (R. P. 29c).» Diog.IX,'6(R. P.31).*VoirPatin, Heraklits Einheitslehre,p. 3 sq. Heraclitedisait (frg.68
= 38Diels)quec'était mort pourles âmesde devenireau,et l'on nousdit en conséquencequ'il mourut d'hydropisie. Il disait (frg.114=121D.)que les Ephésiensdevraientlaisserleur villeà leurs enfantset(frg.79=352D.),que le Tempsétait un enfantjouant auxdames.Aussirapporte-t-onqu'il refusade prendreune part quelconqueà la vie pu-blique,et qu'il allait jouer avecles enfantsdans le templed'Artémls.11disait (frg.85= 96 D.),qu'il valait mieuxjeter les cadavresquedufumier, et l'on prétend qu'il se couvritlui-mêmede fumier quand ilfut atteint d'hydropisie.Enfin,le frg. 58(58D.)fit dire qu'il avaitlon-guementdisputéavecses médecins.Sur cescontes, voir Diog.IX,3-5,et comparezles histoires relativesâ Empédocleque nousdiscutons,chap.V,S100.
* La variétédes titres énuméréspar Diog.IX,12(R.P. 30b)semble
HÈHACL1TED'ÉPHÈSE 147
de se faire une idée claire de son contenu. On nous dit
qu'elle se divisait en trois discours : un traitant de l'uni-
vers, un de politique et un de théologie '. Il n'est pas pro-bable que cette division soit due à Heraclite lui-même;tout ce que nous pouvons inférer de celte indication, c'est
que ce livre, de par sa nature, se divisait en ces trois parties
quand les commentateurs stoïciens se mirent à en faireleurs éditions.
Le style d'Heraclite est proverbialement énigmatique, et
il lui valut, à une date postérieure, le surnom d'« Obscur*».
Les fragments relatifs au dieu delphique et à la*Sibylle(frg. 11 et 12 = 9 et 92 D.) semblent montrer qu'il avait
conscience d'écrire en style oraculaire, et nous avons à
nous demander pourquoi il le fit. En premier lieu, c'était
la manière du temps*. Les événements impressionnants de
celte époque et l'influence de la renaissance religieuse fai-
saient prendre un ton quelque peu prophétique à tous les
conducteurs de la pensée. Pindare et Eschyle en usent de
même. Ils sentent tous qu'ils sont en quelque mesure inspi-rés. C'est aussi l'époque des grandes individualités, quisont portées à la solitude et au dédain. C'était, du moins,le cas d'Heraclite. Si les hommes veulent se donner la
peine de creuser pour avoir de l'or, ils peuvent le trouver
(frg. 8 = 22 D.) ; sinon il faut qu'ils se contentent de paille
(frg. 51 = 9 D). Telle parait avoir été l'opinion représentéepar Théophraste, qui disait que l'obstination d'Heraclite
prouverqu'aucun n'était authentiquementavéré.Celuide Musesvientde Platon,Soph.242d 7.Lesautres sont de simplesamottos» préfixéspar des éditeurs stoïciens,et avaient pour but de faire ressortir leuropinionquele sujetdel'oeuvreétait éthiqueoupolitique(Diog.IX,15;R. P. 30c).
»Diog.IX,5 (R. P. 30).Bywater s'est inspiré de cette manière devoir danssonarrangementdes fragments.Lestrois sectionssont : 1-90;91-97;98-130.
1 R. P.30a. L'épithèteAoxotcivôçest de datepostérieure,maisTimonde Phliontel'appelaitdéjàaîvtxr^c(frg.43,Diels).
* Voirles précieusesobservationsde Dielsdans1introductionk sonHeràkleitosvon Ephesos,p. IVsq.
148 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
l'avait conduit parfois à des exposés incomplets et contra*
dictoircs 1. Mais c'est là chose très différente de l'obscurité
voulue et de la disciplina arcani qu'on lui attribue quel-
quefois; si Heraclite ne se détourne jamais de sa voie pourrendre sa pensée claire, il ne la cache pas non plus (frg. 11= 93 D).
LXV. — LES FRAGMENTS.
Je donne la traduction des fragments en suivant l'ordreétabli par Bywater dans sa magistrale édition *.
1. Il est sage d'écouter, non pas moi, mais mon verbe, et deconfesser que toutes choses sont Un. —R. P. 40*; D 50.
2. Quoique ce verbe 4 soit toujours vrai, les hommes n'ensont pas moins aussi incapables de le comprendre quand ilsl'entendent pour la première fois qu'avant de l'avoir entendu.Car, quoique toutes choses sepassent conformémentà ce verbe,
«Cf.Diog.IX,6 (R. P. 31;.*Dansson édition, Dielsne s'est pas préoccupéd'arrangerles frag-
mentsd'aprèsleurcontenu,etil en résultequesontexteneconvientpasa notrepropos.Je trouveaussiqu'il exagèrela difficultéd'un arrange-mentapproprié,et s'inspireun peutrop de l'opinionquelestyled'He-racliteétait • aphoristique».Qu'ille fût, c'estuneremarqueImportanteet précieuse,mais il ne suit pas de là qu'HeracliteécrivaitcommeNietzsche.Pourun Grec,si prophétiquequ'il pût être dans sonton, ildoity avoirtoujoursunedistinctionentre un styleaphoristiqueet unstyle incohérent.Voir les excellentesremarquesde Lortzingdans laBerl.Phil. Wochenschrift1896,p.1,sq. #
*Bywateret Dielsacceptenttous deuxla correctionde Bergk,Xoywpour JôyiiaTo;.et cellede Miller,ttvatpour cîiîvoi.Cf.Philon,leg.ail.III c, cite dans la note de Bywater.
4Le Xvfo;est simplementle discoursd'Heraclitelui-même;maiscommec'est celuid'un prophète,nous pouvonsl'appelerle c verbe».Il nepeut signifierni un discoursadresséà Heraclite,ni la « raison».(Cf.Zcller,p.630,n. 1).Unedifficultéa été soulevéeà proposdesmotsCÔVTQCaUî.CommentHeraclitepouvait-ildire que son discourslivaittoujoursexisté?La réponseest qu'en ionieniûv signifie«vrai»quandil est joint à des mots tels que Xéyo;.Cf.Herod.I, 30; t<j>tôvnXPT**fuvoçXi-fii;et mêmeAristoph.Grenouilles1052:oùxiôvtaXôfov.Cen'estqu'enprenantles motsde cettemanièrequenouspouvonscomprendrel'hésitationd'Aristoterelativementà la ponctuationdu fragment(Rhet.T, 5. 1407b 15; R. P. 30a). L'interprétation stoïciennedonnée parMarc-Aurèle,IV,46(R.P. 32b; frg.72D.)doitêtrerésolumentrejetée.Le motXÔYO?n'a été employédansce sensqu'aprèsAristote.
HERACLITED'ÉPHÈSE 149
il semble pourtant que les hommes n'en aient aucune expé-rience, quand ils font des essais, en paroles et en actions, telsque je les expose, divisant chaque chose suivant sa naturo etmontrant comment clic est en réalité. Mais les autres hommesne savent pas ce qu'ils font quand ils sont éveillés, de mêmequ'ils oublient ce qu'ils font pendant leur sommeil. —R.P. 32 ;D 1.
3. Les fous, quand ils entendent, sont comme les sourds ;c'est d'eux que le proverbe témoigne qu'ils sont absents quandils sont présents. — It. P. 31« ; D 34.
4. Les yeux et les oreilles sont de mauvais témoins pour leshommes, s'ils ont des âmes qui ne comprennent pas leur lan-gage. — R. P. 32; I>107.
5. La foule ne prend pas garde aux choses qu'elle rencontre,et elle ne les remarque pas quand on attire son attention surelles, bien qu'elle s'imagine le faire. — D 17.
6. Ne sachant ni écouter ni parler.— D 19.7. Si tu n'attends pas l'inattendu, tu ne le trouveras pas, car
il est pénible et difficile à trouver'. — D 18.8. Ceux qui cherchent de l'or remuent beaucoup de terre, et
n'en trouvent que peu. — R. P. 44b; D 22.10. IMnature aime à se cacher. — R. P. 34 /; D 123.11.Le maître à qui appartient l'oracle des Delphes, ni n'ex-
prime ni ne cache sa pensée, mais il la fait voir par un signe.—IIP. 30n ;D 93.
12.Et la Sibylle, qui, de ses lèvres délirantes, dit des chosessans joie, sans ornements et sans parfum, atteint par sa voixau delà de mille années, grâce au Dieu qui est en elle. —
R.P.30n;D92.13. Les choses qui peuvent être vues, entendues et apprises
sont celles que j'estime le plus. — R. 42; D 55.14. ... apportant des témoignages indignes de confiance sur
des points contestés. — DV 12a 23.15. Les yeux sont des témoins plus exacts que les oreilles*.
— R.P. 42c; D 101a.16. Le fait d'apprendre beaucoup de choses n'instruit pas
l'intelligence; autrement il aurait instruit Hésiode et Pytha-gore, ainsi que Xénophane et Hécatéc. — R. P. 31.D 40.
17. Pythagore, fils de Mnésarquc, poussa les recherches plus
*Je me suis écarté ici de la ponctuationde Bywater,et j'ai suppléeun nouvelobjetpourleverbe,commel'asuggéréGomperz(Arch.1,100).
* Cf.Herod.I, 8. Lesensde cefragmentest sans doutele mêmequeceluidesdeuxprécédents.L'investigationpersonnellevaut mieuxquela tradition.
150 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
loin que tous les autres hommes, et choisissant ces écrits, ilrevendiqua comme sa propre sagesse ce qui n'était qu'une •connaissance de beaucoup de choses et un art de méchanceté'.—R.P. 31 ri; D 129.
18.De tous ceux dont j'ai entendu les discours, il n'en est pasun seul qui soit arrivé à comprendre que In sagesse est séparéede loin. - R.P. 326; D 108.
19. La sagesse est une seule chose. Hlle consiste à connaître Ila pensée par laquelle toutes choses sont dirigées par toulesjchoses. — R. P. 40; D41.
20. Ce monde', qui est le même pour tous, aucun des dieuxou des hommes ne l'a fait; mais il a toujours été, il est et seratoujours un feu éternellement vivant, qui s'allume avec mesureet s'éteint avec mesure. — R. P. 45*; D30.
21. Les transformations du feusont,en tout premier lieu, mer;et la moitié de la mer est terre, la moitié vent tourbillonnant*.— R.P. 356; 1)31 a.
22.Toutes choses sont un échange pour du feu et le feu pour
• Voirchap.II, p. 109,n. 1. La leçonla mieuxattestéeest titoir^ato,nontrco!r,3»v,et ticoir^atotxjïoOsignifiearevendiquapour lui-même».Les mots txXe&xucvoîtaÛTa;T«Çwflpaifi; ont été suspectésdepuisl'époquede Schleiermacher,et Dielsenest maintenantvenuà regarderle fragmenttout entiercommeapocryphe.Et cela,parceque l'on s'estfondésur ce fragmentpour prouverque Pythagorea écrit des livres(cf.Diels,Arch.III, p.451).Commel'a fait ressortir «lywater,cepen-dant, le fragmentn'affirmerien de tel; il dit seulementque Pythagorelisaitdes livres,ce quenouspouvonsprésumerqu'il fit.Je ferairemar-querenoutrequelevieuxmot curypaçâîsurprendraitchezun faussaire,et qu'il seraitétrangeque l'on eût omisprécisémentla choseque l'onvoulaitprouver.Ledernierindicedel'attributiond'un livreà Pythagoredisparaîtsi nouslisonstteot^satoau lieude èitoûjw.Naturellement,unécrivainpostérieur,lisantque Pythagorefaisaitdesextraits de livres,devait supposerqu'il les insérait dans un livre de lui, exactementcommele faisaientles contemporainsde cet écrivain.Au surplus,jeprendsle mbt 'UTOOITJau sensde science,et j'y voisune antithèseà laxaxoTtxvû)quePythagorepuisaitdans les wrrpa?aîd'hommestels quePhérécydede Syros.
1Lemot xiajio;doit signifierici «monde» et non pas simplement«ordre», car seul le mondea pu être identifiéavecle feu. Cetemploidu mot est pythagoricien,et il n'y a pas de raisonde douterqu'Hera-cliteait pu le connaître. '
*Il est importautde noterque [iîtpaestun accusatifinternedépen-dant d'ôutô[itvov: «s'allumant selonses mesureset s'éteignantselonsesmesures.»
4Su le mot itprjsT^p,voirplusloin, p. 168,n. 2.
HERACLITED'ÉPHÈSE 151
toutes choses, de même que les marchandises pour l'or et l'orpour les marchandises. — R. P. 35; D 90.
23. Kllc devient mer liquide, et est mesurée avec la mêmemesure qu'avant de devenir terre'. — R. P. 39; D 31b.
24. Le feu est manque et excès. — R. P. 36 «; D 65.25. Le feu vit (du verbe vivre) la mort de l'air» et l'air vit
la mort du feu ; l'eau vit la mort de la terre, la terre celle del'eau. - R.P. 37; 1)76.
26. Lo feu, dans son progrès, jugera et condamnera touteschoses*.— R.P. 30a; D 66.. 27. Comment pourrait-on se cacher de ce qui ne se couchejamais? — D 16.
28. C'est la foudre qui dirige le cours de toutes choses. —R.P. 35/i5 DM,
29. Le soleil ne franchira pas ses mesures; s'il le fait, lesKrinyes, servantes de la Justice, le découvriront. —R.P. 39;1)91.
30. La limite de l'Orient et de l'Occident est l'Ourse; et àl'opposé de l'Ourse est le domaine du brillant Zeus4.— D 120.
31. S'il n'y avait pas de soleil, il ferait nuit, quoi que pussentfaire tous les autres astres*. — D 99.
• Lesujet de ce fragmentest jij, commenousle voyonspar Diog.IX,9 (R. P. 36) : TiâXtvtt erôrr.vftp x,T«&0U'»ct Pa«"Aet-'> 3>n (Dox.p. 284a 1; b 5; DV12A5): intxxaàyayiaXmiiivniTTJVyf^vûnè«3 iwpôçX<îoei(Dûbner;<jû«i,libri)Cîa>pànoTcXtTsftat.Heraclitepouvaitbiendire
JÎJdiXaitaSuxltTat,et le contextede Clément(Strom.V, p.712)semblel'impliquer.La phrase jittptitat t!çtht aùtôvXôyovpeut seulementsigni-fierque la proportiondes mesuresreste constante.Ainsile comprenden fait Zcller(p. 690,n. 1): zu derselbenGrosse.
1AvecDielsj'adopte la transposition(proposéepar Tocco)de àîpocet de yijç.
1Je comprendsiniX&ovde la iwpôçïçoSoç,sur laquellevoirplus loin,p. 170.C'estDielsqui a fait remarquerque xataXap^dviivest l'ancienterme signifiant«condamner».C'est, littéralement, «dépasser»,exac-tement commea'iptïvest «prendre.».
*Danscefragment,il est clair que oypoj= tippata, et signifieparconséquent«domaine»et non«colline».Commeat&ptojZeJ;signifielebrillantcielbleu,je nepuiscroireque son oùpoçpuisseêtre lepôlesud,commele prétend Diels.C'estplus probablementl'horizon.J'inclineàvoir dans ce fragmentune protestation contre la théorie pythagori-cienned'un hémisphèresud.
»Noussavonspar Diog«'X,10(citéplusloin,p.167)qu'Heracliteexpli-quait pourquoilesoleilétait plus chaud et plus brillant que la lune, etceciest sans douteun fragmentde sa démonstration.Je pensemainte-
152 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
-••32.Le soleil est chaque jour nouveau. —D 6.33.Voir plus haut, chap. I, p. 41, n. 1. —D 138.34. ... les saisons, qui apportent toutes choses.— I) 100.35. Hésiode est le maître de la plupart des hommes. Les hom-
mes pensent qu'il savait beaucoup de choses, lui qui ne connais-sait pas le jour ou la nuit. Ils ne font qu'un '. —R. P. 39 fr ;D57.
36. Dieu est jour et nuit, hiver et été, guerre et paix, surabon-dance et famine; mais il prend des formes variées, tout demême que le feu1,quand il est mélangé-d'aromates, est nommésuivant le parfum de chacun d'eux. — R. P. 39b; D 67.
37. Si toutes choses devenaient fumée, les narines les distin-gueraient. — D 7.
38. Les âmes sentent dans l'Hadès. —R.P. 46d; D 98.39.Les choses froides deviennent chaudes, et ce qui est chaud
se refroidit ; ce qui esthumtde se sèche, et ce qui est desséchédevient humide. — D 126.
40. Il se disperse et se rassemble; il avance et se retire.— D91.
41-42.Tu ne peux pas descendre deux fois dans les mêmesfleuves; car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi. —R. P.33; D12.
43.Homère avait tort de dire : « Puisse la discorde s'éteindreentre les dieux et les hommesI» 11ne voyait pas qu'il priaitpour la destruction de l'Univers ; car si sa prière était exaucée,toutes choses périraient...» —R. P. 31 rf; DV12« 22.
44.riô/AffJio;(laguerre) est le père de toutes choses et le rot detoutes choses : de quelques-uns il a fait desdieux, de quelques-uns des hommes ; de quelques-uns des esclaves, de quelques-uns des libres. — R. P. 34; D 53.
45.Les hommes ne savent pas comment ce qui varie est d'ac-cord avec soi. Il y a une harmonie de tensions opposées4,comme celle de l'arc et de la lyre. — R. P. 34; D 51.
nant que les mots Svtxatôv àXXiovâatptovsont d'Heraclite.De mêmeDiels.
>Hcjiodedisaitquele Jourétait l'enfantde la Nuit(Theog.124).*SIon lit avecDiels?xo>sntpnùppour êxtusittp.* It. XVIII,107.J'ajouteles motsotyr.îti&atvàpnivta d'aprèsSimpl.
tn Cal. (88b 30 schol. Br.; 412,26Kalbll). Ils me semblenttout aumoinsreprésenterquelquechosequi étaitdans l'original.
4Je nepuis tenir pourprobablequ'Heracliteait dit &la folsr.aXtv-«VOÎet «aXtvtponocîp|iovtn,et je préfèrele itaX(vtov6{de Plutarque(H.P. 34b)au îtaMvtpoitocd'iiippolytc.Dielsestimeque la polémiquede
HERACLITED'ÉPHESK^ 153
46. C'est l'opposé qui est bon pour nous '. — D 8.47. L'harmonie cachée vaut mieux que l'harmonie ouverte.
— R. P. 34; 1)54.48. Neconjecturons pas à tort et à travers sur les plus grandes
choses. — D 47.49. Les hommes qui aiment la sagesse doivent, en vérité, être
au courant d'une foule de choses. — I) 35.50. Le sentier droit et le sentier courbe que suit le peigne du
foulon est un et le même. — I) 59.51. Les ânes aiment mieux avoir de la paille que de l'or. —
R.P. 31a; 1)0.51a. Les boeufssont heureux quand ils trouvent à manger des
vesc'esamères*. — R. P. 48/»';1)51 a.52. L'eau de la mer est la plus pure et la plus impure. Les
poissons peuvent la boire et elle leur est salutaire ; elle est im-buvable et funeste aux hommes. — R. P. 47c; D 61.
53. Les porcs se baignent dans la fange, et les oiseaux debasse-cour dans la poussière. — 1)37.
5-1.... trouver ses délices dans la fange. — D 13.55. Toute hôte est poussée au pâturage par des coups*. —
1)11.56. Identique au n° 45. — 1)89.57. Rienet mal sont tout un. R. P. 47c; —D58.58. Les médecins qui coupent, brillent, percent et torturent
les malades demandent pour cela un salaire qu'ils ne méritentpas de recevoir 4.R. P. 47 r; — 1).58.
69. Les couples sont des choses entières et des choses nonentières, ce qui est réuni et ce qui est désuni, l'harmonieux etle discordant. L'Un est composé de toutes choses, et touteschoses sortent de l'Un».—I) 10.
Parménidedécidela questionen faveurde itaXîvtponoc,maisvoyezplusloin,p. 187,note,et chap. IV,noteau frg.6 de Parménide.
1Ace que je croismaintenant,ceciest la règlemédicale: al o'iatpttai>iàtdivivavttuiv,par ex.(JonOtîvtmOipuiûis' xi «t-jypdvfStcwartad Arist.Eth. 1104b 16).
*Cefragmenta été tiré d'Albertle Grandpar Bywater.VoirJourn.of Phit. IX,p. 230.
>Sur le fragment55,voir Dielsdansles lieri. Siltb. 1901,p. 183.4Je lis maintenanttitaitfovtaiavecBernayset Diels.»Sur le frg.59,voir DielsdanslesIierl. Siltb. 1901,p. 188.La leçon
auvetyittparait êtrebien attestéeet donneun excellentsens. Iln'estpasexact,cependant,dedire quel'optatifne pourraitpas être employéausensde l'impératif.
154 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
60. Les hommes n'auraient pas connu le nom de la Justice sices choses n'étaient pas1.— D 23.
61. Pour Dieu, toutes choses sont justes, et bonnes*et droites,mais les hommes tiennent certaines choses pour mauvaises etcertaines pour droites. —R. P. 45; D 102.
62. Nous devons savoir que la guerre est commune à tous, etque la lutte est justice, et que toutes choses naissent et péris-sent (?)par la lutte. — D 80.
64. Toutes les choses que nous voyons étant éveillés sontmort, de mêmeque toutes celles que nous voyons étant assoupissont sommeil*.—R. P. 42c; D 21.
65. Lesageest un, seulement. Il ne veut pas et veut être appelédu nom de Zeus. —R. P. 40; D 32.
66. L'arc (J3««)est appelé vie (Plot),mais son oeuvre est mort.— R. P. 49a ; I) 38.
67. Les mortels sont immortels et les immortels sont mortels,l'un vivant la mort de l'autre et mourant la vie de l'autre. —R. P. 46; D 62.
68. Car c'est la mort pour les âmes que de devenir eau, etmort pour l'eau que de devenir terre. Maisl'eau vient de laterre, et de l'eau l'âme. — R. P. 38; D. 36.
69. Le chmin en haut et le chemin en bas sont un et le même.— R. P. 36d ; D 60.
70. Dans la circonférence d'un cercle, le commencement et lafin se confondent. — D 103.
71.Tu ne trouveras pas les limites de l'Ame,quelle que soit ladirection dans laquelle tu voyages, si profonde en est la me-sure*. — R. P. 41d; D 115.
72. C'est plaisir pour les âmes de devenir humides. — R. P.46c; D. 77.
73. Quand un homme est ivre, il est conduit par un jeunegarçon sans barbe; il trébuche, ne sachant où il marche, parceque son âme est humide. — R. P. 42; D 117.
74-76.L'âme sèche est la plus sage et la meilleure4. — R. P.42 ; D 118.
1Par«ces choses»,Heracliteentendaitprobablementtoutes sortesd'injustice.
* Dielssupposeque le frg.64avaitpoursuiteéxôaail t*ôvï)x«tçÇ<u^.«Vie,Sommeil,Mort,est,dansla psychologie,la tripleéchelle,commedans la physiqueFeu,Eau,Terre.»
*Je pense maintenantavec Dielsque les motsoutuijta&ùvXijovtgtisont probablementauthentiques.Usn'offrentpas de difficultési nousnoussouvenonsqueXéyocsignifie«mesure», commeau frg.23.
4Cefragmentest Intéressanten raisonde la hauteantiquitédescor-
HERACLITED'ÉPHÈSE 155
77. L'homme est allumé et éteint comme une lumière pendantla nuit. — D 26.
78. Ht c'est la même chose en nous, ce qui est vivant et cequi est mort, ce qui est éveillé et ce qui dort, ce qui est jeuneet ce qui est vieux; les premiers sont changés de place 1etdeviennent les derniers, et les derniers, à leur tour, sontchangés de place et deviennent les premiers. —R. P. 47; D 88.
79. Le temps est un enfant jouant aux dames; la puissanceroyale est celle d'un enfant. — R. P. 40a ; I) 52.
80. Je nie suis cherché moi-même. — R. P. 48; D 101.81. Nous descendons et ne descendons pas dans les mêmes
fleuves; nous sommes et ne sommes pas. R. P. 33a; — D 12.82. C'est une fatigue de travailler pour les mêmes maîtres et
d'être gouverné par eux. — D 896.83. Il se repose par le changement. — I) 89 a.84. Même la bière se décompose si elle n'est pas remuée.
— D 125.85. II vaut mieux jeter des cadavres que du fumier. D 96.86. Quand ils naissent, ils désirent vivre et subir leur destinée
— ou plutôt jouir du repos — et ils laissent après eux desenfants pour qu'ils subissent à leur tour leur destinée. — 1)20.
87-89.Un homme peut être grand-père Atrente ans. — DV12A 19.
90. Ceux qui dorment sont des compagnons de travail...— D75.
91 a. La pensée est commune à tous. — D 113.
ruptionsqu'il a subies.SuivantEtienne,auquelse rallientBywaterotDiels,nousdevrionslire: Aîij ty-j-tfeoç«otin)xaldptsn],Çrjpf}(ouplutôtÇrjpâ—la formeioniennen'ayant pu apparaître'que lorsque le motentra dans le texte)étant une simplegloseau motquelquepeudésuetde OÛTJ.Quandune foisÇnpAse fut glissédansle texte, aJrjdevintaM,et l'on eut la phrase: • la lumièresècheest l'âme la plus sage,» d'oùle slccumlumendeBacon.OrcetteleçonestcertainementaussianciennequePlutarquequi,danssaviede Uomulus(ch.28),donne&aù|TJle sensd'éclair,qu'il a quelquefois,et supposeque l'idée est que l'Ame.sages'échappeen brûlantde la prisondu corpscommel'éclairECC(guecelasoit rc que cela voudra)&travers un nuage.A mon sens, te fait queClémenta commisla mêmeerreur neprouveriendu tout(Zeller,p. 705,n. 3), sinon qu'il avait lu son Plutarque. Enfin, Il vaut la peine denoter que,quoiquePlutarqueait dû écrire aiy^. les mss variententreauti)et etùti].L'étapesuivanteest la corruption du corrompu OÙY«en•5 vf).ce qui exprimecette penséeque «là où la terre est sèche, rameest la meilleure». Cettevarianteexistaitdéjàdu tempsde Philon(voirles notesde Bywater).
1Je prends Ici uitaittsôvtadans le sens de • mus», d'une 7pa|i|iqoudivisiondu jeu de damesà une autre.
156 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
91 b. Ceuxqui parlent avec intelligence doivent tenir ferme hce qui est commun à tous, de même qu'une cité tient ferme àsa loi, et même plus fortement. Car toutes les lois humainessont nourries par la seule loi divine. Elle prévaut autant qu'ellele veut, et suflit à toutes choses, sans mômes'épuiser. —R.P.43;D 119.
92. Ainsi nous devons suivre le commun ', et cependant laplupart vivent comme s'ils avaient une sagesse à eux. — R. P.44; D 2.
93. Ils sont étrangers aux choses avec lesquelles ils ont un com-merce constant'. — R. P. 32 b; D 72.
94. Il ne vaut rien d'agir et de parler comme gens endormis.— D. 73.
95.Ceux qui veillent ont un monde commun, mais ceux quidorment se détournent chacun dans son monde particulier.— D 89.
96.La.voie de l'homme n'a pas de sagesse, mais bien celle deDieu.— R. P. 45; D 78.
97.L'homme est appelé par Dieu petit enfant, tout comme unenfant par un homme. — R. P. 45; D 79.
98-99.L'homme le plus sage, comparé à Dieu, est un singe,de même que le plus beau singe est laid, comparé à l'homme.— D 83, 82.
100. Le peuple doit combattre pour sa loi comme pour sesmurailles. — R. P. 43b; D 99. .
101.De plus grandes morts gagnent de plus grandes portions.— R.P. 49a; D 25.
102.Les dieux et les hommes honorent ceux qui tombent dansla bataille. - R. P. 49a ; D 24.
103.Le dérèglement doit être éteint, plus encore qu'une mai-son en feu. — R. P. 49a; D 43.
104.Il n'est pas bon pour les hommes d'obtenir tout ce qu'ilsdésirent. C'est la maladie qui rend la santé agréable; mal*,bien; faim, satiété; fatigue, repos. — R. P. 486; D 101,111.
>Scxt.Math.VU,133: êti BitJnn&atttp£uv<£.Il me sembleque cesmots doiventappartenir à Heraclite,quoique Bywaterles omette.D'autrepart, lesmots: toi \ifo<jil JvtosÇWOO(avecles meilleursmss,et non i'iôvtot)semblentclairementappartenirà l'interprètestoïcienque suit Scxtus,et qui voulaitrelierce fragmentau frg.2 (oXtyaitpoa-iuX&iôvimçIptt)afin d'obtenirla doctrine du xoivi;Xoyo;.Il vaut lapeinede lire tout le contextede Scxtus.
*Lesmots Xô^yta"tk 8XctitoixoOvtt,dont Dielsfait unepartie de cefragment,meparaissentappartenirà Marc-Aurèlc,et non&Heraclite.
*J'admetsavecDielsla conjecturede Heitz: xaxôvau lieude xal.
HERACLITEO'ÉPIIÈSE 157
105-107.Il est dur de combattre avec les désirs de son proprecoeur1.Tout ce qu'il aspire à obtenir, il le recherche aux dépensde l'âme. — R. P. 49 a; D 85, 116,112.
108-109.Le mieux est de cacher la folie; mais cela est diflicileau moment où l'on s'abandonne auprès des coupes. —D 109,95.
110.Et c'est une loi, aussi, d'obéirau cohscild'un seul.— R. P.49a; D 33.
111. Car quelle pensée ou quelle sagesse ont-ils? Ils suiventles poètes et prennent la foule pour maîtresse, ne sachant pasqu'il y a beaucoup de méchants et peu de bons. Car même lesmeilleurs d'entre eux choisissent une seule chose de préférenceà toutes les autres, une gloire immortelle parmi les mortels,tandis que la plupart se gavent de nourriture comme des bêtes*.— R. P. 31 a; D 104,29.
112. A Priène vivait Bias, fils de Tcutamas, qui est de plus deconsidération que les autres. (Il disait : « La plupart des hom-mes sont mauvais. »)— D 39.
113.Un seul est dix mille pour moi, s'il est le meilleur. — R. P.31 a; D49.
114. Les Ephésicns feraient bien de se pendre, homme parhomme, et d'abandonner la ville â des jeunes gens sans barbe,car ils ont chassé Hermodorc, le meilleur homme qui fût jamaisparmi eux, en disant : « Nous ne voulons parmi nous personnequi soit le meilleur; s'il en est un de tel, qu'il s'en aille ailleurset parmi d'autres gens. > — R. P. 29b; D 121.
115. Les chiens aboient après tous ceux qu'ils ne connaissentpas.— R.P. 31 a; D 97.
116. ... (Le Sage) n'est pas reconnu, parce que les hommesmanquent de foi. — D 86.
117. Le fou s'agite à chaque mot. — R. P. 44 b; D 87.118. Le plus estimé d'entre eux ne connaît que des contes*;
mais en vérité la justice atteindra les artisans de mensonges etles faux témoins. — D 28.
119. Homère devrait être banni des concours et fouetté, etArchiloque pareillement. — R. P. 31; D 42.
120. Un jour est pareil à tout autre. - D 106.
>Le mot (Kip-icn son sens homérique.La satisfactiondu désir im-plique l'échangedu feusec de l'Ame(frg.74)contre l'humidité(frg.72).Aristotecomprenaitici sousôujxiela colère (Eth. Nie,B2,1105a 8).
' Ceciparait être une claireréférenceaux«trois vies».Voirchap.II,| 45,p. 110.
* Je Usîoxiovtetavec Schleicrmacher(ou îoxfovt'«ùvavecDiels).J'aiomis fuXdtasttv,parce que je ne comprendspas ce qu'il signifie,etqu'aucunedes correctionsproposéesnese recommande.
158 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
121.Le caractère de l'homme est sa destinée'. — D 119.122. Quand les hommes meurent, des choses les attendent,
qu'ils ne prévoient pas et auxquelles Us ne songent pas.— R.P.46 rf; 1)27. ;
123. ...»qu'ils s'élèvent et deviennent les vigilants gardiens desvivants et des morts. — R. P. 46rf; D 63.
124. Noctambules, mages, prêtres de Bakchos et prêtressesdes pressoirs; traflcants de mystères... — D 14a.
125. Les mystères pratiqués parmi les hommes sont des mys-tères profanes. — R. P. 48; D 14b.
126. Et ils adressent des prières â ces images, comme si unhomme voulait parler avec la maison d'un homme, ne sachantpas ce que sont les dieux ou les héros. — R. P. 49a; D 5.
127. Car si ce n'était pas en l'honneur de Dionysos qu'ils fai-saient une procession et chantaient le honteux hymne phallique,ils agiraient de la manière la plus éhontéc. Mais Hadès est lemême que Dionysos,en l'honneur de qui ils tombent en démenceet célèbrent la fête des pressoirs. — R. P. 49; D 15.
129-130.C'est en vain qu'ils se purifient en se souillant desang, tout comme si un homme qui eût marché dans la fangevoulait se laver les pieds dans la fange.Unhomme qui le verraitagir ainsi le tiendrait pour dément. — R. P. 49a; D 68, 5.
LXVI. — LA TRADITIONDOXOORAPHIQUE.
On voit que quelques-uns de ces fragments sont loin d'être
clairs, et il en est dans le nombre dont le sens ne sera
jamais retrouvé. Nous nous adressons naturellement aux
doxographes pour en avoir la clef; mais le mauvais sort a
voulu qu'ils soient beaucoup moins instructifs en ce quiconcerne Heraclite qu'en d'autres cas. En fait, nous avons
à lutter contre deux grandes difficultés. La première est
l'exceptionnelle pauvreté de la tradition doxographique elle-
même. Hippolyte, chez qui nous trouvons généralement un
compte-rendu assez exact de ce que Théophraste a réelle-
1Sur la significationde &at|i<uvici, voir mon édition de l'Ethiqued'Aristote, p. 1 sq. Ainsi que l'expliquele professeurGildersleeve,îat(ituvest la formeIndividuellede tûx»]icommexrjpl'est de 8ivato<.
1Je ne me suis pas aventuréà traduire les mots Iv9ai'iistKqui figu-rent au début de ce fragment, le texte me paraissanttrop incertain.Voircependantl'intéressantenotede Diels.
HERACLITED'ÉPHÈSE 159
ment dit, tira les matériaux de ses quatre premiers cha-
pitres — qui traitent de Thaïes, de Pythagore.d'Héraclite et
d'Empédocle — non pas de l'excellent abrégé dont il se
servit plus tard, mais d'un compendium biographique1
qui consistait pour la plus grande partie en anecdotes et en
apophtegmes apocryphes. En outre, il s'appuyait sur un
auteur de Successions qui tenait Heraclite et Empédocle
pour des Pythagoriciens. Aussi les place-t-il l'un à côté de
l'autre, et fait-il de leurs doctrines un mélange désespérant.Le trait d'union entre Heraclite et les Pythagoriciens était
Hippasos de Métaponte, dans le système duquel, nous le
savons, le feu jouait un rôle important. Théophraste, aprèsAristote, avait parlé de l'un et de l'autre dans la même
phrase, et cela suffit pour engager les écrivains des Succes-
sions dans une fausse voie*. Nous sommes donc forcés de
recourir à la plus détaillée des deux analyses que nous
donne Diogène des opinions d'Heraclite*, analyse quiremonte aux Vetusta Placita et est, par bonheur, assez
complète et exacte. Toutes nos autres sources sont plus ou
moins teintées.La seconde difficulté qui s'offre à nous est encore plus
sérieuse, si possible. La plupart des commentateurs d'He-
raclite mentionnés dans Diogène étaient Stoïciens *et il est
certain que leurs paraphrases ont été prises parfois pourl'original. Or les Stoïciens avaient pour le philosophed'Ephèse une estime particulière, et cherchaient à Tinter*
prêter autant que possible dans le sens de leur propre sys-
1Surla sourceutiliséepar Hippolytedans les quatre premierscha-pitresde Réf.I, voir Diels,Dox.p. 145.NousdevonssoigneusementdistinguerRéf.I et Réf.IXcommesourcesd'informationsur Heraclite.Cedernierlivrea pourbut de montrerque l'hérésie monarchlennedeNoétosétaitdérivéed'Heracliteet non de l'Evangile,et constitueunemineabondantede fragmentshératlltlens.
*Arist.Met.A,3.084a 7(R.P. 56c; DV12A5); Théophr.ap. Slmpl.Phys.23,33(R. P. 36c ; DV12A6).
*Sur cettedoubleanalyse,voir Dox.p. 163sq., et Appendice,116*.*Diog.IX,15(R.P.30c). ScliletermacherInsistaitavecraisonsur ce
point.
160 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE f
tème. De plus, ils aimaient à «accommoder '» les vues desanciens penseurs aux leurs propres, et ce fait eut desérieuses conséquences. Les théories stoïciennes du Aoyoçet de YixTrjpu>o«;ten particulier, sont constamment attri-buées à Heraclite par nos autorités, et les fragments mêmessont adultérés par des bribes de terminologie stoïcienne.
LXVII. — LA DÉCOUVERTED'HERACLITE.
Heraclite regarde avec mépris non seulement le trou-
peau humain, mais tous ceux qui, avant lui, ont étudié lanature. Cela ne peut signifier qu'une chose, c'est qu'ilcroyait lui-même s'être rendu compte de quelque vériténon encore reconnue, quoiqu'elle brillât, pour ainsi dire,aux yeux des hommes (frg. 93; 72 D). Evidemment donc,si nous voulons pénétrer au point central de son enseigne-ment, nous devons essayer de découvrir à quoi il pensaitquand il dénonçait ainsi la sottise et l'ignorance humaines*.La réponse semble nous être fournie par les fragments 18et45 (108et 51 D). Nous en inférons que la vérité jusqu'alorsignorée, c'est que les nombreuses choses apparemment indé-
pendantes les unes des autres et eu conflit les unes avecles autres dont nous avons connaissance, sont en réalité
unes, et que, d'autre part, cette unité est aussi multiple.La «lutte des contraires» est en réalité une «harmonie»
1Le mot «-jvotxtttôvest appliquépar Philodèmcà la méthodestoï-cienne d'Interprétation(cf.Dox.517b, n.), et Cicéron(S. I). I, 41)letraduit par accommodare.Chryslppc,en particulier, donna une viveimpulsionà cette méthode,commele montre fort bien Galicn,dePlac. Hlppocr.et Plat, livreIII.Onen trouverade bonsexemplesdansAét. I, 13,2; 28,1 (DV12A8); IV,3, 12(DV12A 15)—où desdoc-trines nettementstoïciennessont attribuéesà Heraclite.Dequoi lesStoïciensétalentcapables,nousle voyonsparCléanthe,frg.55,Pcarson(535,von Arnlm).Il proposaitde lireZ»ïdvaîioîiovaUdans //. XVI,233,û»îtiv «xtl)çY*)<àvalh>;Mcipivoviipa 8t&tîjvdvdîoîiv'Avaîiuîiuvatov{vta.
*VoirPatin,IteraklitsEinhetlslehre(1836).A Patin revient Indubi-tablementle mérite d'avoir montré clairementque l'unité des con-traires étaitla doctrinecentraled'Heraclite.Il n'est pastoujoursfacile,cependant,de le suivrequand il en vientauxdétails.
HERACLITED'ÉPHÈSE 161
(<x4fxov(ot).Il suit de là que la sagesse n'est pas la connais-sance de nombreuses choses, mais la perception de l'unité
qui se cache sous les contraires en lutte. Que ce fût là vrai-ment la pensée fondamentale d'Heraclite, Philon l'atteste.« Car, dit-il, ce qui est fait de deux contraires est un ; etsi l'Un est divisé, les contraires sont mis au jour. N'est-ce
pas là justement ce que les Grecs disent que leur grand ettrès célèbre Heraclite mettait en tête de sa philosophie,comme la résumant toute, et de quoi il se vantait commed'une découverte nouvelle 1?» Nous allons prendre un à unles éléments de cette théorie et voir comment ils doiventêtre compris.
LXVIII. — L'UN ET LE MULTIPLE.
Anaximandre avait déjà enseigné que les contrairesétaient sortis, par différenciation, de l'Illimité, mais qu'ilss'y résolvaient et qu'ils étaient ainsi punis de leurs injustesempiétements les uns sur les autres. Cette conceptionimplique qu'il y a quelque mal dans la guerre que se fontles contraires, et que l'existence du Multiple est une brèchedans l'unité de l'Un. La vérité que proclamait Heraclite,c'est qu'il n'y a pas d'Un sans le Multiple et pas de Mul-
tiple sans l'Un. Le inonde est à la fois un et multiple, etc'est justement la «tension contraire» du Multiple quiconstitue l'unité de l'Un.
Le mérite d'avoir été te premier à se rendre compte decela est expressément assigné à Heraclite par Platon. Dansle Sophiste (242d) l'étranger d'Elée, après avoir expliquépar quels arguments les Eléates soutenaient que ce quenous appelons multiple est en réalité un, continue commesuit :
Mais certaines Muses ioniennes, et (à une date postérieure)certaines Muscs siciliennes remarquèrent que le plus sûr étaitd'unir ces deux choses, et de dire que la réalité est à la foismultiple et une, et qu'elle est maintenue par la Haine et par
«Philon,Rer.Dio.lier. 43(R. I».34c).MllLOSOPIItBORECQVK 11
162 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
l'Amour. « Car, disent les Musesplus sévères, dans sa divisionelle est toujours réunie (cf. frg. 59; 10D); tandis que les Muse*splus douces n'allaient pas jusqu'à exiger qu'il en fût toujoursainsi, et disaient que le Tout était alternativement un et en paixpar la puissance d'Aphrodite et multiple et en guerre avec soi-même à cause d'une chose qu'elles appelaient la Lutte. »
Dans ce passage, les Muses ioniennes représentent natu-
rellement Heraclite, et les siciliennes Empédocle. Nous
remarquons aussi que la différenciation de l'Un en Multiple,et l'intégration du Multiple en Un, sont à la fois éternelles et
simultanées, et que c'est là la base sur laquelle le systèmed'Heraclite est mis en opposition avec celui d'Empédocle.Nous reviendrons sur ce point. En attendant, nous nousen tenons à ceci que, suivant Platon, Heraclite enseignaitque la réalité était à la fois multiple et une.
Nous devons toutefois nous garder soigneusement decroire que ce qu'Heraclite découvrit ainsi était un principelogique. C'est là l'erreur que Lassallc a commise dans sonlivre 1. L'identité dans et par la diversité qu'il proclamait
«La sourcede cette erreur a été la curieusedéclarationde Hegel,qu'il n'yavaitpas unepropostion d'Heraclitequ'il n'eût adoptéedanssa propre logique(Gesch.d.Phil. I, 328).L'exemplequ'il cite est ladéclarationque l'Etre n'existepas plusque le Non-Etre,au sujet delaquelleil se réfèreà Arist.Met.A,4.Or, danscepassage,cettedécla-ration n'est pas attribuéedu tout à Heraclite,maisà Leucippcou àDémocrite,chezlesquelselle signifieque l'espaceest aussi réelque lamatière(§175).Aristotenousdit, envérité,dans la Métaphysique,que«quelques-uns»pensentqu'au dire d'Heraclitela mêmechosepeutêtre et ne pas être; mais il ajoutequ'un hommene pensepas néces-sairementce qu'il dit {Met.I\ 3.10056 24; DV12A7). Je comprendscecien ce sens que, quoiqueHeracliteait émiscetteassertionen pa-roles,il nevoulaitpasfaireentendrepar là ce qu'elleauraitnaturelle-ment signifiéa une date postérieure.Heraclitene parlaitque de lanature; le sens logiquede ces mots ne s'est jamais présentéà sonesprit.Ceciest confirmépar K, 5.1062a 31,où Aristotenousdit que,questionnéd'une certainemanière,Heracliteaurait pu être amenéùadmettrele principede la contradiction; il ne comprenait,pour ainsidire, pas ce qu'il disait; en d'autrestermes,il n'avaitpasconsciencedes suites logiquesde son affirmation.
Aristotese rendaitdonccompteque les théoriesd'Heraclitenede-vaientpas être comprisesau senslogique.Celane l'empêchetoutefoispas de dire que selon Heraclitetout serait vrai (Met.À,7.1012a 24).Si nousnoussouvenonsde sonattitudeconstanten l'égarddesanciens
HERACLITED'ÊPHÈSE 163
était purement physique; la logique n'existait pas encore, et
comme le principe d'identité n'avait pas été formulé, il
aurait été impossible de protester contre une applicationabstraite qui en eût été faite. L'identité qu'il représentecomme consistant dans la diversité est simplement celle de
la substance primaire dans toutes ses manifestations. Cette
identité avait déjà été aperçue par les Milésiens, mais ils
avaient trouve une difficulté dans la diversité. Anaximandreavait traité d'«injustice» la lutte des opposés, et ce qu'He-raclite se proposa de montrer, c'est que, au contraire, c'était
la souveraine justice (frg. 62 ; 80 D).
LXIX. — LE FEU.
Tout cela l'obligeait à chercher' une nouvelle substance
primaire. 11ne lui fallait pas seulement une chose d'où ilfût concevable que le monde diversifié que nous connais-sons pi\t être fait, ou duquel les opposés pussent sortir par« séparation», mais une chosequi.de par sa propre nature,
pût se changer en n'importe quelle autre» et en laquellen'importe quelle autre pût se changer. Cette chose, il latrouva dans le feu, et il est facile de se rendre compte pour-quoi, si nous considérons le phénomène de la combustion,tel qu'il apparaît même au premier venu. La quantité de
feu, lans une flamme qui brûle tranquillement, paraitrester la même; la flamme semble être ce que nous appe-lons une «chose ». Et pourtant la substance dont elle est
faite'change continuellement. Elle se transforme toujoursen fumée, et sa place est toujours prise par l'afflux ducombustible qui la nourrit. C'est là justement ce qu'il nousfaut. Si nous considérons le monde comme «un feu tou-
jours vivant» (frg. 20), nous pouvons comprendre com-ment il devient sans cesse toutes choses, tandis que toutes,choses reviennent sans cesse à lui 1.
penseurs,celane nous conduirapash suspectersa bonnefoiou sonIntelligence.(VoirAppendice,{2.)
1QueleFeud'Heraclitefût quelquechoseau mêmetitre que l'«Afr»
164 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
LXX. LE FLUX.
Ceci amène nécessairement à considérer d'une certainemanière le changement et le mouvement du monde. Le feubrûle continuellement et sans interruption. Il consommedonc sans cesse du combustible et donne sans cesse nais-sance à de la fumée. Toute chose, ou bien monte pourservir de combustible, ou descend après avoir alimenté laflamme. Il s'en suit que l'ensemble de la réalité est pareil àun fleuve qui coule perpétuellement, et que rien n'est
jamais un seul instant en repos. La substance des choses
que nous voyons est en proie à un changement incessant.Au moment même où nous les regardons, une partie de lamatière dont elles sont composées a déjà passé en quelquechose d'autre, et une matière fraîche a pénétré en elles,venant d'une autre source. Cette théorie est habituellementrésumée d'une manière assez exacte dans la formule :
d'Anaximène,et non un «symbole», celaest clairementImpliquédansdespassagestelsqueArist.Met.A,3.984a 5.Al'appuide l'opinionqu'He-racliteentendquelquechosededifférentdu feuordinaire,oncitequel-quefoisPlaton,Crat.413b', maisl'examendu contextemontreque cepassagen'admet pas cette interprétation.Platon discutela dérivationde itxaiovde ita-iôv;certainementîixij était un conceptéminemmenthéraclitten,et une bonnepartiede cequiy est dit peut être la doctrineautheptiquede l'école.Socrateseplaintde ne recevoirquedes réponsestout à fait contradictoiresquand il demandequelleest la chosequi«passeà travers» toute chose.L'un dit que c'est le soleil. Un autredemandes'il n'y a pas dejustice après le coucherdu soleil,et dit quec'est simplementle feu. Un troisièmedit que ce n'est pas le feu lui-même,matsla chaleurquiest dansle feu.Unquatrièmel'identifieavecl'Esprit.Or tout cequenouspouvonslégitimementInférerdecela,c'estque diversesréponsesétalentfaitesà cettequestionau sein de l'écolehéraclittenne.Cesréponsesétalent un peumoinsprimitivesque la doc-trineoriginelledu mattre,maisaucuned'ellesn'Impliquepourtantquoique cesoitd'Immatérielou de symbolique.L'opinionquece n'était ruleFeului-même,maislaChaleurqui «passaità travers»touteschoses,est dans le mêmerapportavecla théorie d'Heracliteque l'Humiditéd'HIpponavecl'Eau deThaïes.Il est très probableaussique quelquesHéraclitlensessayèrentde fusionnerle systèmed'Anaxogoreavec leleur propre,exactementcommeDiogèned'Apollonteessayade fusion-ner le sien avec celui d'Anaximène.Nousverrons, en fait, que nousavonsencoreuneoeuvredanslaquelleestfaitecettetentative(p.170,n.2).
HERACLITED'ÉPHÈSE 165
«Toutes choses s'écoulent» (ITOVTOCp«), quoique, par un
singulier hasard, on ne puisse prouver que ce soit là une
citation d'Heraclite. Platon, toutefois, exprime l'idée très
clairement. «Rien n'est jamais, tout est dans le devenir» ;« toutes choses sont en mouvement comme des fleuves » ;« toutes choses passent, et rien ne demeure»; «Heraclite
dit quelque part que toutes choses passent et que rien ne
demeure ; et comparant les choses au cours d'une rivière,il dit qu'on ne peut pas descendre deux fois dans le même
fleuve » (Cf. frg. 41 ; 12 D), — tels sont les termes dans les-
quels il décrit le système. Et Aristote dit la même chose :
«Toutes choses sont en mouvement»; «rien n'est sta-
ble1.» Heraclite soutenait, en fait, que n'importe quellechose donnée, quoique stable en apparence, n'était qu'unesection du fleuve, et que la matière dont elle était com-
posée n'était jamais la même dans deux moments consé-
cutifs quelconques. Nous allons voir comment il concevaitla marche de ce processus; en attendant, nous ferons
remarquer que l'idée n'était pas entièrement nouvelle, et
qu'elle ne constitue guère le point central du système d'He-
raclite. Les Milésiens soutenaient une opinion analogue.Tout au plus, le flux d'Heraclite était-il plus incessant et
plus universel.
LXXI. — LE SENTIERENHAUTETLESENTIERENBAS.
Heraclite parait avoir développé les détails du flux per-
pétuel en se reportant aux théories d'Anaximène*. Il est
improbable, cependant, qu'il expliquât les transformationsde la matière par la raréfaction et la condensation*. Théo-
phraste donnait, semble-t-il, à entendre que l'Ephésien le
faisait, mais il reconnaissait que ce n'était nullement clair.
i Platon,Tht.152e 1; Crat.401d 5, 402a 8; Arist.Top.A,11.104b22;deCselo,l\ 1.208b 30; Phyt. 6, 3.253b 2.
»Voirplus haut, chap.1,129.*Voircependantla remarquede Diels,citéen. P. 86c (Dox,p. 105).
166 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
Le passage de Diogène que nous allons citer a fidèlement
reproduit cette appréciationl. Dans les fragments, en touscas, nous ne trouvons rien sur la raréfaction et la conden-sation. L'expression employée est « échange » (frg. 22 ;90 D) ; et elle est certainement très bien choisie pour dési-
gner ce qui arrive quand le feu dégage de la fumée, et ab-sorbe en échange du combustible.
Nous avons fait remarquer qu'à défaut d'Hippolyle, noiremeilleure analyse de la doxographie théophrastique d'He-raclite est la plus développée des deux que nous donne Dio-
gène Laêrce. En voici la traduction :
Ses opinions sur des points particuliers sont les suivantes :Il soutenait que le feu était l'élément, et que toulcs choses
étaient un échange du feu, produit par condensation et raréfac-tion. Mais il n'explique rien clairement. Toutes choses seraientproduites en opposition les unes aux autres, et toutes chosesseraient un écoulement comme un fleuve.
Le tout est fini, et le monde est un. 11nail du feu et est denouveau consumé par le feu, alternativement à travers toutel'éternité, suivant certains cycles. Ceci arrive conformément audestin. Ce qui conduit à la naissance des opposés est appeléGuerre et Lutte; ce qui conduit a la conflagration finale estConcorde et Paix.
Il appelait changement le chemin en haut et en bas, et soute-nait que le monde vient à l'existence en vertu de cela. Quandle feu est condensé, il devient humide, et quand il est com-primé, il se transforme en eau ; l'eau, étant congelée, se trans-forme en terre, et c'est là ce qu'il appelle le chemin en bas. Puisla terre se liquéfie de nouveau, et d'elle naît l'eau, et de celle-citout le reste ; car il rapporte presque chaque chose à l'évapora-tion de la mer. C'est le chemin en haut. R. P. 36.
Il soutenait aussi que les exhalaisons naissrient à la fois de lamer et de |a terre, quelques-unes claires et pures, d'autressombres. Lefeu était nourri par les claires, et l'humidité par lesautres.
11ne s'explique pas très clairement sur la nature de ce quientoure le monde. Il soutenait toutefois qu'il y avait en !ui desauges dont les faces concaves étaient tournées de notre côté,et dans lesquelles les exhalaisons claires étaient réunies et pro-duisaient des llammcs. Celles-ci sont les corps célestes.
1Diog.IX,8 : aifû; îViilv txtdhtai.
HERACLITED'EPHÈSE 167
La flamme du soleil est la plus claire et la plus chaude, carles autres corps célestes sont plus éloignés de la terre, et pourcette raison donnent moins de lumière et de chaleur. La lune,d'autre part, est plus rapprochée de la terre, mais elle semeut à travers une région impure. Le soleil se meut dansune région claire et sans mélange, et en même temps est justeà la dislance convenable de nous. C'est pourquoi il donne plusde chaleur et de lumière. Les éclipses du soleil et de la lunesont ducs au fait que les auges se tournent du côté d'enhaut, tandis que les phases mensuelles de la lune sont pro-duites par une révolution graduelle de son auge.
.lour cl nuit ; mois, saisons et années ; pluies et vents, etchoses analogues sont dues aux diverses exhalaisons. L'exha-laison claire, quand elle s'allume dans le cercle du soleil, pro-duit le jour, et la prépondérance de l'exhalaison opposéeproduit la nuit. L'accroissement de chaleur provenant del'exhalaison claire produit l'été, et la prépondérance de l'hu-midité provenant de l'exhalaison sombre produit l'hiver.C'est en conformité avec ceci qu'il assigne les causes des autreschoses.
Quant à la terre, il ne donne aucune indication claire sur sanature, pas plus qu'il ne le fait sur celle des afiges.
Telles étaient donc ses opinions. H. P. 39 b..
Il est évident que si no.is pouvons nous liera ce passage,on ne saurait s'en exagérer la valeur; et que nous le puis-sions, en somme, cela ressort du fait qu'il suit exactement
l'ordre des matières adopte par toutes les doxographiesdérivées du grand ouvrage de Théophraste. D'abord, nous
avons la substance primaire, puis le monde, puis les corpscélestes, et enfin les phénomènes météorologiques. Nous
concluons donc qu'il peut être tenu pour authentique, à
l'exception : premièrement, de la conjecture probablementerronée de Théophraste que nous avons mentionnée plushaut sur la raréfaction et la condensation, et, secondement,de quelques traces d'interprétation stoïcienne, qui viennent
des Vetusta Placita.Considérons les détails de la théorie. Le feu pur, nous
dit-on, se trouve essentiellement dans le soleil. Celui-ci, de
même que les autres corps célestes, est une augeou peut-être ^une sorte de barque; sa face concave, où se
Y».
168 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
réunissent et brûlent les exhalaisons claires de la mer, est
tournée de notre côté. Comment le feu du soleil passe-t-ilen d'autres formes? Si nous consultons les fragments quitraitent du chemin en bas, nous trouvons que la premièretransformation qu'il subit est celle qui le fait devenir mer,
/ et, de plus, nous apprenons que la moitié de la mer estterre et l'autre moite TeQrprfy (frg. 21; 31 a D). Nous ver-rons tout à l'heure la pleine signification de cette phrase ;il nous faut d'abord établir ce que c'est que le itpr/irrtp.Nombre de théories ont été mises en avant sur ce sujet ;mais, à ma connaissance, personne
' n'a encore proposé de
prendre ce mot dans le sens qu'il a partout ailleurs, c'est-à-dire celui d'ouragan accompagné d'une trombe enflam-mée*. Et, cependant, c'est là sûrement la chose requise ici.Il est amplement attesté qu'Heraclite expliquait le passagede la mer au feu par le moyen d'évaporatiqns claires ; et ilnous faut une explication météorologique analogue du re-tour du feu à l'eau. Il nous faut, en fait, une chose qui re-
présente également la, fumée produite par la combustiondu soleil, et l'état immédiat entre le feu et l'eau. Qu'est-ce
qui répondrait mieux à ce but qu'une trombe enflammée ?Elle ressemble assez à la fumée pour être tenue pour le
produit de la combustion du soleil, et elle descend cer-tainement sous forme d'eau. Et cette interprétationacquiert en fait la certitude si nous la rapprochons de
l'exposé que fait Aétius de la théorie héraclitique des
ixçiYflTfÇKi.Us étaient dus, nous dit-il, « à l'embrasementet à l'extinction de nuages
*». En d'autres termes, la
1Cecia été écrit en 1890.Dans son Herakleitosvon Ephesos(1001)Dielsentend commemoi le npijst^pet traduit ce motpar Glulwind.
* Cf.Herod.,VII,42,et Lucrèce,VI,424.Sénèque(QUKSI.tfat. Il, 56)appellece phénomènetgneus turbo. Lesopinionsdes anciensphilo-sophesà cesujetsontréuniesdansAet.III,3.LenpTjat^pd'Anaximandrc(chap.I, p. 69, n. 2)est une chosetoutedifférente,maisil est très pro-bableque les marinsgrecsnommaientce phénomènemétéorologiqued'après le souffletdu forgeron.
* Aet.111,3,9: itpqetfcpacSItaxa vtçfcvt(inpi]9ti;xala^istte(se.'Hpâ-xXittotiitotpatvitoifîjvmat). Diels[Herakleitos,p. V)parait considérer
HERACLITED'ÉPHÈSE 160
vapeur claire, après s'être enflammée dans la coque du
soleil et s'être de nouveau éteinte, réapparaît sous
forme de nuée d'orage sombre et enflammée, et se trans-
forme une fois de plus en mer. Au stade suivant, nous
voyons l'eau passer continuellement à l'état de terre. Nous
sommes déjà familiarisés avec cette idée (§ 10), et nousn'avons pas besoin d'en dire davantage surce sujet. Revenantau «chemin en haut», nous voyons que la terre se liquéfiedans la même proportion que la mer devient terre, de sorte
que la mer est « toujours mesurée avec la même mesure »
(frg. 23; 31 b D). Pour une moitié, elle est terre, et pourune moitié -npwrrp (frg. 21). Cela doit signifier qu'à n'im-
porte quel moment donné, la moitié de la mer s'engagedans le chemin en bas, après avoir été nuée orageuse en-
flammée, et que l'autre moitié prend {celui d'en haut, im-médiatement après avoir été terre. Dans la proportion oùla mer est augmentée par la pluie, l'eau se transforme eu
terre; dans la proportion où elle est.diminuée par l'évapo-ration, elle est nourrie par la terre. Enfin, l'ignition, dansla coque du soleil, de la vapeur claire sortie de la mer, com-
plète le cercle du « chemin en haut et du chemin en bas ».
LXXII. — MESUREPOURMESURE.
La question se pose maintenant de savoir comment il sefait qu'en dépit de ce flux constant, les choses nous appa-raissent relativement stables. A cette question, Heraclite
répondait que, grâce à l'observation des « mesures », et envertu de celles-ci, la masse agrégée de chaque ibrme dematière demeure la même dans ce long circuit, quoique lasubstance dont elle est formée change constamment. Cer-taines « mesures » du c feu toujours vivant » sont toujoursen train de s'allumer, tandis que des « mesures » égaless'éteignent sans cesse (frg. 20; 30 D); et ces mesures, le
leitpijit^p commela formesouslaquellel'eau montevers le ciel.Maisles Grecssavaienttrès bienqueles trombes crèventet tombent.
170 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
soleil ne les excédera pas. Toutes choses sont «échangées»contre le feu, et le feu contre toutes choses (frg. 22), et cela
implique que pour chaque chose qu'il prend, le feu en rendautant. « Le soleil n'excédera pas ses mesures » (frg. 29 ;94 D).
Et cependant les « mesures » ue doivent pas être regar-dées comme absolument fixes. Le passage de Diogène cité
plus haut nous apprend que Théophraste parlait d'une
prépondérance alternante des exhalaisons claires et des
sombres, et Aristote parle d'Heraclite comme expliquanttoutes choses par l'évaporation *.C'est de cetle manière, en
particulier, qu'il rendait compte de l'alternance du jour clde la nuit, de l'été et de l'hiver. En outre, dans un passagedu traité pseudo-hippocratique ntpi oWrr,ç, qui est pres-que certainement d'origine héraclitique *, il est questiond'une « avance du feu et de l'eau », en relation avec le jouret la nuit, et avec le cours du soleil et de la lune*. Enfin
1Arist.deAn.B,2.405a 26: tîjvàvaOujiîoîivt; ftttàXXaa\m9Tti<Jiv.3 La présenced'élémentshéraelitiquesdans ce traité a été miseen
lumièrepar Gesner,maisBernaysa étéle premierà en faireunampli-usagepour la reconstitutiondu système.Les ouvragesrelatifsà cettequestionont en grandepartie vieillidepuis la publicationdes Ilippo-kralischeVnlersuchungende CariFredrichs(1899),où nousa étédonnépourla premièrefoisun texte satisfaisantdes sectionsqui nous inté-ressentici. Fredrichsmontreque(commeje l'ai dit déjàdansma pre-mièreédition)l'ouvrageappartientà la périoded'éclectismeetde réac-tion que {'aibrièvementcaractériséeau $181,et il fait ressortirque lechap.3, que l'on supposaitautrefoisitre essentiellementhéraclitique,provienten réalitéde quelqueoeuvrefortementinfluencéepar Empc-tloclcet par Anaxagore..le pensetoutefoisqu'il se founoie en attri-buant la sectionà un «physicien» anonymede l'écoled'Archclaos,oumêmeà Archclaoslui-même;elle ressemblebeaucoupplus à ce quenouspourrionsattendre des éclectiqueshéraelitiquesque Platondé-crit dans le Cral.413c (voirp. 163,note).Il ncertainementtort desou-tenir que la doctrinede l'équilibredu feuet de l'eau n'est pas héracli-tique, et il n'y a pas de motifvalablepour séparerde son contextelaremarquecitée dans le texte parce que, fortuitement,elle concordepresquemotpourmotavecle commencementdu chap.3.Commenousle verrons,ce passageaussiest rVoriginchéraclitique.
3 IltploiaitTjf.I, 5, passagequeje liraiscommesuit: «julpi)xal«uçp&vijtxi xoiwjxiatovxal iXâ/utov'ijXiof,ocXijvi)lr.\ tô jif(xi«ovxal iXcmatov*Tvjpi«tfoîoî xalCîatoc-En tous cas, le sens est le même,et la plirase
HERACLITED'ÉPHÈSE 171
dans le frg. 26 (66 D), nous lisons que le feu « avance ».
Tous ces faits paraissent intimement liés. Nous devons
donc essayer de voir si, dans les autres fragments, il n'y a
rien qui se rapporte à ce sujet.
LXXIII. — L'HOMME.
Pour étudier celte avance alternante du feu et de l'eau,il convient de partir du microcosme. Nous possédons des
informations plus précises sur les deux exhalaisons dans
l'homme que sur les processus analogues dans l'univers,et il semble qu'Heraclite lui-même expliquait l'univers parl'homme plutôt que l'homme par l'univers. D'un passagebien connu d'Aristote, il ressort que l'âme est identique àl'exhalaison sèche', et cela est pleinement confirmé parlesfragments. L'homme est fait de trois choses : feu, eau et
terre. Mais tout comme, dans le macrocosme, le feu est
identifié avec la seule sagesse, dans le microcosme, le feuseul est conscient. Quand il a quille le corps, ce qui reste,la terre et l'eau, est absolument sans valeur (frag. 85; 96D).Naturellement, le feu qui anime l'homme est sujet au «che-min en haut et au chemin en bas», exactement comme lefeu du monde. Le mpi &XITKnous a conservé cette phraseévidemment héraclitique : « Toutes choses, tant les hu-maines que les divines, passent en haut et en bas par lefait des échanges *. » Nous sommes en flux perpétuel aussibien que n'importe quoi d'autre dans le monde. Nous
sommes et ne sommes pas les mêmes pendant deux ins-
setrouveentre Xw?1*"*ftàvtaxalOctaxalàv&pmixivxôvtuxal xâtuidutt-(3o[itvaet ttàvtataùîà xalovta aùta, qui sontsûrementdesdéclarationshér.iclitiqucs.
i Arist.de An.A. 2.405a 25(R. P. 38; DV12A 15).Dielsattribue àHeraclitelui-mêmeles mots: xal^r/al SI ànô tûivGypûvdvafki^iâivîai,qui se trouventdans ArciosDidymosaprès le frg.42(12D). J'ai de lapeine à croire, cependant,que le mot oNaOujxiastcsoit héraclitique.Heraclitesembleplutôt avoirappelélesdeuxexhalaisonsxan*.i;et àrj(cf. frg.37; 71).).
' lltpl îtaitT];I, 5: ywptlil r.âvtaxal Ojîaxal àvfyxûr.ivaàvtoxalxaraàunt^ijitva.
172 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
tants consécutifs (frg. 81 ; 12 D). Eh nous, le feu devient
perpétuellement eau, et l'eau terre ; mais, comme le pro-cessus contraire se poursuit en même temps, nous parais-sons rester les mêmes '.
LXX1V. — o. SOMMEILET VEILLE.
Mais ce n'est pas tout. L'homme est sujet à une certaineoscillation dans ses « mesures » de feu et d'eau, et celadonne naissance aux alternatives de sommeil et de veille,de vie et de mort. Le passage classique sur ce sujet est un
passage de Sextus Empiricus, qui reproduit l'analyse de la
psychologie héraclitique donnée par Enésidème (un scep-
tique, circa 80-50 av. J.-C.)*. En voici la teneur (H. P. 41 ;DV 12 A 16) :
Le philosophe naturaliste est d'avis que ce qui nous entoure 3
est rationnel et doué de conscience. Selon Heraclite, quandnous aspirons cette raison divine par la respiration, nous deve-nons des êtres raisonnables. Dans le sommeil, nous oublions,mais à notre réveil, nous redevenons conscients. Car dans lesommeil, quand les ouvertures des sens se ferment, l'esprit quiest en nous est coupé du contact avec ce qui nous entoure, etseule est conservée notre relation avec lui par la respirationcomme une sorte de racine (de laquelle le reste peut sortir ànouveau); et quand il est ainsi séparé, il perd la faculté de
Uly a, scmble-t-ll,uneclaireallusiona cecidans Eplcharme,frg.2Diels(170b Kaibcl): <Considèremaintenant aussi les hommes.L'uncroitet l'autre diminue,et tous sont en proieà un changementinces-sant. Ce qui changedans sa substance(xatà(pysiv),et ne restejamaisdansle mêmelieu sera déjà chosedifférentede cequi a péri. Ainsitoiet moi, nous étions différentshier, et sommesmaintenantde toutautresgens, et nousdeviendronsde nouveauautreset ne serons plusjamaisles mêmes,et ainside suite.»Celangageest misdansla bouched'un débiteur qui n'a pasenvie de payer.Voir Ucrnayssur le avfavo-tuvo;Xifo;(Ges.Abh.l, p. 109sq.
*Sextuscite «Enésidèmesuivant Heraclite».N'atorp(Forschungen,p.78)est d'avis qu'Enésidèmccombinaiten réalitél'héraclitismcavecle scepticisme.Diels,d'autrepart (Dox.p. 210,211),soutientqu'Encsi-dèmene faitqu'analyserlesthéories d'Heraclite.L'usageque nous fai-sonsde ce passagen'estaffectéen rien par cettecontroverse.
3Toitiptigovf^4ç.opposémaisparallèleà tô lupd^cvtiv xô«|iov.
HERACLITED'ÊPHÊSE 173
mémoire qu'il avait auparavant. Mais quand nous nous réveil-lons, il regarde à travers les ouvertures des sens comme à tra-vers des fenêtres, et, se réunissant à l'esprit qui l'entoure, ilreprend la faculté de la raison. De même, alors, que des char-bons qui changent et deviennent ardents quand on les appro-che du feu, et s'éteignent quand on les en éloigne,'la partie del'esprit environnant qui séjourne dans notre corps perd sa rai-son quand elle en est coupée, et pareillement elle reprend unenature semblable à celle du tout quand le contact est établi àtravers le plus grand nombre d'ouvertures.
Dans ce passage, il y a évidemment un abondant mélange
d'expressions postérieures et d'idées plus récentes. En parti-culier, l'identification de ace qui nous entoure» avec l'air ne
peut pas être d'Heraclite, car Heraclite ne peut rien avoirconnu de l'air, qui, de son temps, était regardé comme une
forme de l'eau (§ 27). La mention des pores ou ouvertures
des sens lui est probablement étrangère aussi, car la théorie
des pores est due à Alcméon (§96). Enfin, la distinction
entre l'esprit et le corps est beaucoup trop nettement tirée.D'autre part, le rôle important assigné à la respiration peuttrès bien être héraclitique, car nous l'avons déjà rencontré
chez Anaximène. Et il est difficile de ne pas croire à l'au-
thenticité de l'excellente comparaison de l'esprit avec les
charbons qui brûlent quand on les approche du feu (cf.
frg. 77; 26D). La vraie doctrine d'Heraclite était sans doute
que le sommeil était produit par l'empiétement des exha-
laisons humides et sombres de l'eau que renferme le corps,empiétement qui fait que le feu se ralentit. Dans le som-
meil, nous perdons le contact avec le leu du monde, quiest commun à tous, et nous nous retirons dans un mondeà nous (frg. 95; 89 D). Dans une âme où le feu et l'eau sont
également balancés, l'équilibre est rétabli le matin par uneavance égale de l'exhalaison claire.
LXXV. — b. VIE ET MORT.
Mais, dans aucune nme, le feu et l'eau ne sont égalementbalancés pour longtemps. L'un ou l'autre acquiert la pré-
174 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
dominance, et le résultat, dans l'un ou l'autre cas, est lamort. Examinons successivement chacun de ces cas. C'est,nous le savons, la mort pour les âmes de devenir eau (frg.68;36D); et c'est justement ce qui arrive aux âmes quirecherchent le plaisir. Car le plaisir est une mouillure de
l'âme (frg. 72; 77 D), comme on peut le voir par l'exemplede l'homme ivre, lequel, en le poursuivant, a mouillé la
sienne à tel point qu'il ne sait pas où il va (frg. 73; 117 D).Même quand on se laisse aller honnêtement à la jouissancedes coupes, il est plus difficile de cacher sa folie qu'end'autres temps (frg. 108; 95 D). C'est pourquoi il est si né-
cessaire pour nous de réprimer le dérèglement (frg. 103;43 D) ; car quel que soit le désir qui s'empare de notre
coeur, celui-ci le poursuit au prix de la vie, c'est-à-dire du
feu qui est en nous (frg. 105; 85 D). Voyons maintenant
l'autre cas. L'âme sèche, celle qui renferme le moins d'hu-
midité, est la meilleure (frg.74; 118 D); mais la prépondé-rance du feu cause la mort aussi bien que celle de l'eau.
C'est une mort très différente, cependant, et elle assure de« plus grandes portions » à ceux qui en meurent (frg. 101;25 D). Ceux qui tombent dans la bataille partagent appa-remment leur sort (frg. 102; 24 D). Nous n'avons aucun
fragment qui nous dise directement en quoi consiste ce
sort, mais le groupe de déclarations que nous allons exa-
miner ne laisse que peu de doutes à cet égard. Ceux quimeurent de la mort du feu et non de la mort de l'eau de-
viennent, en fait, des dieux, mais non nu sens dans lequella seule sagesse est dieu. 11est probable que le fragment
corrompu 123 (63 D) se rapporte à ce sort inattendu (frg.122; 27 D) qui attend les hommes quand ils meurent.
De plus, si l'été et l'hiver sont un et se reproduisent né-
cessairement l'un l'autre par leur «tension opposée», il en
est de même de la vie et de la mort. Elles aussi sont une,nous dit Heraclite, et une aussiMa jeunesse et le grand âge(frg. 78; 88 D). Il s'ensuit que l'âme doit être tantôt vivanteet tantôt morte ; qu'elle ne se transforme en feu ou en
HERACLITED'ÉPHÈSE 175
eau, selon les circonstances, que pour recommencer une fois
de plus son incessant voyage en haut et en bas. L'âme quiest morte d'excès d'humidité descend sur la terre; mais de
la terre se forme de l'eau, et de l'eau s'exhale une fois encore
une âme (frg. 68 ; 60 D). C'est également ainsi (frg. 67 ; 62 D)
que dieux et hommes sont en réalité un. Ils vivent la vie
et meurent la mort l'un de l'autre. Ceux des mortels quimeurent de la mort du feu deviennent immortels 1; ils de-
viennent les gardiens des vivants de des morts (frg. 123;63 D) *; et ces immortels deviennent mortels à leur tour.
Toute chose est en réalité la mort de quelque chose d'autre
(frg. 64 ; 21 D). Les vivants et les morts prennent sans cesse
la place les uns des autres (frg. 78; 88 D), comme les
pièces d'un jeu d'enfant (frg. 79; 52 D), et cela s'appliquenon seulement aux âmes qui sont devenues eau, mais àcelles qui sont devenues feu et sont maintenant des espritsgardiens. La fatigue réelle est la continuation dans le mêmeétat (frg. 82 ; 84 D) et le réel repos est le changement (frg.83; 84 D). Dans n'importe quel autre sens, le repos est
l'équivalent de la dissolution (frg. 84; 125 D)'. C'est ainsi
1Le mot populaireest employéici en raisonde soneffetparadoxal.Strictementparlant, ils sont tous mortelsà un pointdevueet immor-tels à un autre.
>Nouspouvonssans hésiterattribuer à Heraclitel'opinionque lesmorts deviennentles démonsgardiensdes vivants; elle apparaît déjàdans Hésiode,Travauxet Jours, 121,et les communautésorphiquesl'avalentpopularisée.Rohde,Psyché,p.442sq. (2*éd., Il, 148sq.) serefusaità admettrequ'Heraclitecrût à la survivancede l'âme après lamort. Strictementparlant, c'est sans doute une inconséquence;mais,avecZelleret Diels,je pensequ'uneInconséquencecommecelle-làpeutfort bienêtre admise.Nombredepenseursont parléd'une immortalitépersonnelle,bien qu'il n'y eût en réalité aucuneplacepour elle dansleurs systèmes.11vaut la peinede noter à ce proposque le premierargumentdont se sert Platonpour établir la doctrinede l'immortalitédans le Phèdonest justementle parallélismehéraclitiquede la vie etde la mortavecle sommeilet la veille.
»Cesfragmentssontcitéspar Plotin,Jambliqucet Noumeniosexac-tementdans cet ordre d'idées(voirR. P. 46c), et il ne me parait paspossiblede soutenir avecRohdeque ces écrivainsn'avaient pas demotifspour les interpréterainsi. Ils connaissaientlecontexte,et nousne le connaissonspas.
176 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
qu'eux aussi naissent encore une fois. Heraclite évaluait àtrente années la durée du cycle qui maintient l'équilibrede la vie et de la mort, soit au temps le plus court dans
lequel un homme peut devenir grand-père (frg. 87-89; DV
15A19) 1. ,
LXXVI. — LE JOURET L'ANNÉE.
Venons-en maintenant au monde. Diogène nous dit quele feu était maintenu par les vapeurs claires de la terre etde la mer, et l'humidité par les vapeurs obscures *. Quellessont ces vapeurs. « obscures » qui accroissent l'élémenthumide? Si nous nous souvenons de l'«air» d'Anaximène,nous inclinerons à les regarder comme l'obscurité elle-même. Nous savons qu'il n'est pas naturel à l'esprit ingénude considérer l'obscurité comme la privation de lumière.Même à notre époque, on entend parler quelquefois d'uneobscurité «à couper au couteau». Heraclite, donc, croyait,à cç que je suppose, que la nuit et l'hiver étaient produitspar le fait que l'obscurité s'élève de la terre et de la mer —
il voyait naturellement les vallées s'assombrir avant lessommets des montagnes — et que cette obscurité, étanthumide, augmentait l'élément aqueux au point d'éteindrela lumière du soleil. Ceci, cependant, détruit la puissancede l'obscurité elle-même. Elle ne peut plus s'élever à moins
que le soleil ne lui communique le mouvement, et c'estainsi qu'il devient possible pour un nouveau soleil (frg. 32 ;6 D) de s'allumer, et de se nourrir un temps aux dé-
pens de l'élément humide. Mais ce ne peut être qu'un
1Plut. def.oran.415d : ït»jtptâxovxar.otoOsttijvytvtàvxa&*'JfpdxXettov,tv w-/pôvci>Ytvv&vMuapfyut&vt$ aûtoOYmvi)|uvovo fm^ac. Philon,Pr. Harris, p. 20: î'jvativtv tpiaxoat<j>It» autiv avdptuitovndnitovjivla-ftatx.t. X.Censorinus,de die naf.17,2: «hoc enim tempus (triglntaannos)geneanvocarlHeraclitusauctorest, quia orbts letatls In eo sitspatlo: orbemautemvocattvtatis,dum natura ab sementlhuimna adsemcntlmrevertltur.» Lesmots orbit «tatis semblentsignifieraûovo;xyxXoc,«le cerclede la vie». S'il en est ainsi, nous pouvonscomparerle XÛXXOÎYtvfotocdes Orphiques.
* Diog.IX,9 (R. P. 39b).
HERACLITED'ÉPHÈSE 177
temps. Le soleil, en consumant la vapeur claire, se privelui-même de nourriture, et la vapeur sombre prend une
fois de plus le dessus. C'est dans ce sens que « le jour et la
nuit sont un » (frg. 35; 57 D). Chacun d'eux implique l'au-
tre, et ils doivent par conséquent être regardés simplementcomme les deux côtés de l'Un, dans lequel seul peut être
trouvée la cause qui les explique véritablement (frg. 36;
67 D).L'été et l'hiver étaient faciles à expliquer de la même
manière. Nous savons que les « tours » du soleil étaient
un sujet d'intérêt en ces temps-là, et il était naturel pourHeraclite de voir dans la retraite de cet astre vers le Sud
l'avance graduelle de l'élément humide, causée par la cha-
leur du soleil lui-même. Mais cela diminue la puissance
d'évaporation du soleil, et il est par conséquent obligé de
retourner vers le nord pour trouver un nouvel aliment.
Telle était, en tous cas, la doctrine stoïcienne sur ce point 1,et le fait qu'elle se rencontre dans le ntpi OWTVJÇsemble
prouver qu'elle vient d'Heraclite, il parait impossible de
rapporter à n'importe quelle autre source la phrase sui-
vante :
Et tour à tour chacun d'eux (le feu et l'eau) l'emporte etsuccombe au plus haut et au plus bas degré qu'il soit possible.Car ni l'un ni l'autre ne peut l'emporter tout a fait pour les rai-sons suivantes. Quand lo feu s'avance jusqu'à l'extrême limitede l'eau, l'aliment lui fait défaut. Et quand l'eau s'avance jusqu'àl'extrême limite du feu, le mouvement lui fait défaut. A ce point,donc, elle s'arrête; et, quand elle en est venue à s'arrêter, ellen'a plus le pouvoir de résister, mais elle sert de nourriture aufeu qui tombe sur elle. Pour ces raisons, ni l'un ni l'autre ne
peut prévaloir tout à fait. Mais si, à un moment quelconque,l'une des deux choses devait l'emporter d'une manière quclcon-
»VoirCléanthe,frg.29Pcarson: ùxiavô«i'iaù <xalf«)>îjçtîjvivafo-.(jLtativimyfjutai(i tjXtoc).Cf.Cic.N. D. III,37: «Qutd entm? non eis-demvobis placet omnemIgnempastus indigerenec permancreullomodopossc,nlsi alitur : ail autemsolcm,lunam, rcliquaastra aquis,atia dulcibus (de la terre), alla marinis? eamquccausam Cleanthcsadfert cur se sol référâtnec lon^tusprogrediatursolstitiallorbi item-que brumali,ne longiusdiscedata clbo.»
PHILOSOPHIEORtCQlK 12
178 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
que, alors ni l'une ni l'autre n'existerait plus telle qu'elle estmaintenant. Aussi longtemps que les choses sont comme ellessont, le feu et l'eau seront toujours aussi, et ni l'un ni l'autre nefera jamais défaut '.
LXXVII. — LA GRANDEANNÉE.
Heraclite parlait aussi d'une assez longue période, quel'on identifie avec la « grande année », et dont la durée estévaluée par les uns à 18000, par les autres à 10800 ans*.Mais nous n'avons aucune indication précise sur le pro-cessus qu'Heraclite supposait se dérouler dans la grandeannée. Nous avons vu que la période de 36 000 ans était,selon toute probabilité, babylonienne, et était celle de larévolution qui produit la précession des équinoxes*. Or18000 années constituent exactement la moitié de cette pé-riode, fait que l'on peut rapprocher de l'habitude d'Hera-clite de diviser tous les cycles en « un sentier en haut etun sentier en bas ». Il n'est pas du tout probable, cepen-dant, qu'Heraclite — qui soutenait avec Xénophane que lesoleil était « chaque jour nouveau » — se soit mis en peinede la précession des équinoxes, et nous sommes forcés,semble-t-il, de supposer qu'il donnait de la période tradi-tionnelle quelque nouvelle explication. Les Stoïciens, oudu moins quelques-uns d'entre eux, affirmaient que la
1Pour le texte gréede ce passage,voir plus loin, p. 185,n. .3 Fred-richsadmetqu'il provientdelà mêmesourcequeceluiquenousavonscitéplus haut (p. 172)et commecette sourceest le ffiplîtaÎTT);1,3, ilen nie égalementl'originehéraclitique.11n'a pastenu comptedu faitquece passageexposela doctrinestoïcienne,ce qui constitueunepré-somptionen faveurde la paternitéd'Heraclite.Sije pouvaismerallierà la théoriede Fredrichs,je dirais que le présent passageest uneinterpolationhéracllllquechezlePhysicien,et nonpasquel'autreétaitune interpolationdu Physiciendans la sectionhéraclitique.Quoiqu'ilen soit,Je n'éprouveaucunedifficultéà croireque les deuxpassagesdonnentla doctrinehéraclitique,quoiquecelle-cisoit amalgaméedansla suiteavecd'autresthéories Voirp. 170,n. 2.
' Aet.Il, 32,3: 'ItpjyXmocix>\>p!tuvixtaxtrçtXltovivtï'jîûWXtaxffiv(tôvul^avivtaytivttvai).Ccnsorinus,de die nat. 11,Heraclituset Linus,XDCCC.
»Volr'lntrod.| XII,p.25,n. 1.
HERACLITED'ÉPHÈSE 179
grande année était la période comprise entre deux confla-
grations du monde. Mais ils avaient soin de la faire beau-
coup plus longue que ne la faisait Heraclite, et nous n'a-vons pas le droit d'attribuer à ce dernier sans autre formede procès la théorie d'une conflagration générale 1. Nousdevons essayer d'abord, si possible, d'interpréter la
grande année sur l'analogie des périodes plus brèves déjàdiscutées.
Nous avons vu qu'une génération est le plus court tempsdans lequel un homme puisse devenir grand-père ; c'est la
période du sentier en haut ou du sentier en bas de l'âme,.et l'interprétation la plus naturelle de la plus longue pé-riode serait sûrement d'y voir le temps pris par une « me-sure » du feu mondial pour se transformer en terre par lesentier en bas ou pour redevenir feu une fois de plus parle sentier en haut. Platon implique à n'en pas douter qu'unparallélisme de ce genre était reconnu entre les périodesde l'homme et du monde *, et ce fait reçoit une curieuseconfirmation d'un passage d'Aristote, que l'on suppose ha-bituellement se rapporter à la doctrine d'une conflagrationpériodique. Il discuté la question de savoir si les « cieux »— c'est-à-dire ce qu'il appelle le « premier ciel » — sontéternels ou non, et il les identifie assez naturellement, àson propre point de vue, avec le feu d'Heraclite. Il cite cedernier à côté d'Empédode comme soutenant que les
1Surla doctrinestoïcienne,cf.Ncmcsios,denat. hom.38(R.P. 503;11,625vonArnim).M.Adamconcédaitqu'aucunedestructiondu monde,aucuneconflagrationne marquait la finde l'année de Platon, mais ilrefusaitdetirer de là uneconclusionqui me paraît naturelle: c'est quela connexionentre lesdeuxchosesappartientà une époquepostérieure,et ne doit parconséquentpas être attribuéeà Heracliteen l'absencedetout témoignagetendant à l'établir. Néanmoins,son étude de cesques-tionsdans le 2*volumede sonéditionde laRépublique,p. 302sq., doitservir de baseà toutediscussionultérieuresur ce sujet. Il m'a certai-nementaidéà exprimerl'opinionqu'il rejette sous une formeque l'ontrouvera,je l'espère, plus convaincante.
*C'estlà le sensgénéraldu parallélismeentre les périodede l'àv&piô-itiiovet du Ottov «vvTjtiv,de quelquemanièreque nousen comprenionsles détails.VoirAdam,Republte,vol.H, p. 288sq.
180 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
« cieux » sont alternativement tels qu'ils sont aujourd'huiet dans quelque autre état, état de destruction ; et il conti-nue en faisant ressortir qu'il n'est pas exact de dire qu'ilspérissent, pas plus qu'il ne le serait de dire qu'un hommecesse d'être quand il se transforme de jeune garçonen homme et de nouveau d'homme en jeune garçon*. Hest bien clair que le Stagirite fait ici allusion au parallèleentre la génération et la grande année, et s'il en est ainsi,T'interprélation ordinaire du passage ne saurait être labonne. Il est vrai que cela ne s'accorde pas tout à fait avecla théorie de supposer qu'une « mesure » de feu puissegarder son identité à travers tout son voyage en haut et enbas; mais c'est exactement la même inconséquence quenous nous sommes sentis obligés de reconnaître en ce quiconcerne la survivance des âmes individuelles, fait qui estréellement en faveur de notre interprétation. On pourraitajouter que si 18000 est la moitié de 36000, 10800 est égalà 360 x 30, ce qui ferait pour chaque génération un jour dela grande année '.
LXXVIII. — HERACLITEENSEIGNAIT-ILUNECONFLAGRATIONGÉNÉRALE?
La plupart des écrivains modernes, cependant, attribuentà Heraclite la doctrine d'une conflagration périodique ou
txrc-SpMcrte,,pour employer le terme stoïcien *. Il est évident«Arist.deCtelo,A,10.279b 14: oU'èvaXXà*ixl {itvOÛTWÎitl 8JâXXu»;
£)(»tv<p9sipô[«vov....«ûsrcep'EpnsîoxXijtô'Axpaya^Ttvo;xal'JIpâxXuTOt5'E<pé-o(0{.Aristotefait ressortirqu'en réalité cela revient seulementà direqu'il est éternel et changede forme,fimeptt tt; tx rcatîi;âvîpaf'piô-fitvovxa'tt; àvipô;icaliaixl fifcvçôttpeaSai,Ixl 8'clvatoîotto(280a 14).Laréférenceà Empédocleressort du de Gen.Corr.B, 6. 334a 1 sq. Cequ'Aristotetrouve fauxdans les deux théories,c'estqu'ellesneconsi-dèrent pus la substancedes cieux commeen dehors du mouvementdes élémentsen haut et en bas.
* Ceciest pratiquementl'opinionde Lassallesur la GrandeAnnée,sice n'est qu'il commetl'anachronismede parlerd'« atomes»defeu,aulieude «mesures».
3Schlciermacheret Lassalle constituent de notables exceptions.Zclicr,Dielset Gomperzaffirmenttous trois qu'Heraclitecroyaitàl'éxitûoiustc.
HERACLITED'ÉPHÈSE 181
que cela ne s'accorde pas avec la théorie, telle que nous
l'avons interprétée, et Zeller lui-même le reconnaît. A sa
paraphrase de l'indication de Platon citée plus haut (p. 161),il ajoute ces mots : « Il n'était pas dans l'intention d'Hera-
clite de rétracter ce principe par sa doctrine d'un change-ment périodique de la constitution du monde ; si les deux
doctrines ne sont pas compatibles, c'est une contradiction
qu'il n'a pas remarquée. » Or il est tout à fait probable ensoi qu'il y avait des contradictions dans l'exposé d'Hera-
clite, irais il est tout à fait improbable qu'on y trouvât
justement celle-là. En premier lieu, c'est une contradiction
qui atteint l'idée centrale de son système, la pensée quioccupait tout son esprit (§ 67), et nous ne pouvons en ad-mettre la possibilité que si les preuves à l'appui sont abso-
lument péremptoires. En second lieu, une telle interpréta-tion détruit toute l'opposition que Platon signale entreHeraclite et Empédocle (§ 68), et qui est justement celle-ci :tandis qu'Heraclite disait que l'Un était toujours multiple,et le Multiple toujours un, Empédocle affirmait que leTout était alternativement multiple et un. L'interprétationde Zellcr nous oblige donc à supposer qu'Heraclite contre-disait positivement sa propre découverte, sans s'en rendre
compte, et que Platon, en discutant cette même décou-
verte, ne s'apercevait pas non plus de cette contradic-tion 1.
On ne trouve rien non plus dans Aristote qu'on puisseopposer à l'indication emphatique de Platon. Nous avonsvu que le passage dans lequel il dit qu'Heraclite et Empé-docle scutenaient que les cieux étaient alternativement
1Danssa 5°édition(p.699),Zellersemblesentir cette dernièrediffi-culté,car il dit :«Es ist ein Widerspruch,den er unddenivahrschein-lich auch Plato nicht bemerkt hat.» Ceci me sembleencore moinspropreà être utilisécommeargument.Platonpeut s'être ou ne s'êtrepasmépris,mais il fait cetteconstatationparfaitementprécisequ'He-raclitedit àtî, tandis qu'Empédocledit tv p-épet.Les Muscsioniennessontappeléesc-jviovÛTepaiet les siciliennespaXaxÛTtpaijustementparceque ces dernières«abaissaientla hauteur» (fyâXasav)de la doctrinequ'il en est toujours ainsi{xbàt\ taOîaOCT<DÎïj(e»v).
182 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
dans un étal puis dans un autre, ne se rapporte pas aumonde en général, mais au feu, qu'Aristote identifiaitavec la substance de son propre « premier ciel »l. Il s'ac-corde tout à fait aussi avec notre interprétation quand ildit que toutes choses, une fois ou l'autre, deviennent feu.Cela ne signifie pas nécessairement qu'elles deviennent feu
toutes en même temps; ce n'est qu'une manière d'exprimerl'indiscutable doctrine héraclitique du sentier en haut et dusentier en bas*.
Les seuls textes affirmant clairement qu'Heraclite ensei-
gnait la doctrine d'une conflagration générale sont posté-rieurs à la naissance du Stoïcisme. Il n'est pas nécessairede les énumérer, puisqu'il n'y a aucun doute sur leur signi-fication. Les apologètes chrétiens, eux aussi, étaient inté-ressés à l'idée d'une conflagration finale, et reproduisentl'opinion stoïcienne. Chose curieuse, toutefois, il y avait
divergence d'idées sur ce point, même parmi les Stoïciens.Marc-Aurèle dit quelque part : a De sorte que toutes ceschoses sont absorbées dans la Raison de l'Univers, soit parune conflagration périodique, soit par une rénovation effec-tuée par des échanges éternels *. » Il s'en trouvait, en vé-
rité, quelques-uns pour affirmer qu'il n'y avait aucune con-
flagration générale du tout dans Heraclite. « J'entends dire
1Voirplus haut, p. 180,n. 1.*Phys. F 5.205a 3(Met.K,10.1067a4): ùsntp'IfpâxXmc;çijaivâitovta
-fiveaftaiitOTtnOp.Dans sa 5«éditionencore(p. 691),Zellertraduit : eswerdeailesdereinsl;n Feuerwerden; maisil faudrait pourcelaYïv>j-oesdat.On r.e peut accordernonplus aucunevaleurà l'argumentqu'iltire de ânavTa(et non simplementitâvxa)pourétablirque touteschosesdeviennentfeu à la fois. A l'époqued'Aristote,il n'y avaitaucunedif-férencede sens entre itdtîet ânaç.Mêmes'il avait dit oûjinavta,nousn'aurionspas le droit d'en tirer la conclusionde Zeller.Ce qu'il y avraimentà noterdans cette phrase,c'est l'infinitifprésentfîvn&ai,quisuggèreindiscutablementl'idée d'un processuscontinu, et non celled'une sériede conflagrations.
1 Marc-AurèleX,7: «st»xal taùta àvaXr)«{H}vai«tçtôv TOOÔXWXôyov.«î« xatàixtpioîovtxnupojjitvo-j,tïti àiîtotçàjioi^alcàvavtouidvou.Lesà|ioi8aîsont spécifiquementhéraelitiques,et la déclarationest d'autant plusremarquableque Marc-Aurèlesuit ailleurs l'interprétationstoïciennehabituelle.
HERACLITED'ÉPUISÉ 183
tout cela, fait dire Plutarque à un de ses personnages, à
beaucoup de gens, et je vois la conflagration stoïcienne se
répandre sur les poèmes d'Hésiode, exactement commeelle le fait sur les écrits d'Heraclite et les vers d'Orphée1.»Nous voyons par là que la question était débattue, et nousnous attendrions par conséquent à voir citer à tout proposquelque texte d'Heraclite qui la tranchât. Il est hautement
significatif qu'on ne puisse produire une seule citation decelte nature. ,
Au contraire, l'absence de tout témoignage prouvantqu'Heraclite affirmait une conflagration générale ne de-
vient que plus évidente si nous considérons les quelquesfragments qui sont supposés l'attester. Celui auquel ons'en réfère de préférence est le frg. 24, où il est dit que leFeu est défaut et excès. Cette phrase est bien dans sa ma-
nière, et elle a un sens parfaitement intelligible dans notre
interprétation, qui est de plus confirmée par le frg. 36.D'autre part, il semble nettement artificiel de comprendrel'excès comme se rapportant au fait que le feu a dévorétout le reste, et encore plus d'interpréter le défaut comme
signifiant que le feu, ou la plus grande partie du feu, s'est
transformée en monde. L'autre fragment est le 26, où nouslisons que le feu, dans son avance, jugera et condamneratoutes choses. Il n'y a rien là, cependant, qui suggère quele feu jugera toutes choses à la fois plutôt que successive-
ment, et, en vérité, l'expression nous rappelle l'avancedu feu et de l'eau, que nous avons eu des raisons d'attri-buer à Heraclite, mais qui est expressément limitée à un
1Plut, de def.orac. 415/*:xalô KXeô{i{5potOî*'Axoutnxa\tx\ë?Tj,itoXX&vxalôpfflTTJVStuxxnvtxTtypiuoivwsittpta 7IpaxXt(touxal'Opytco;ènivifio-plvijvêurjoûtu>xai ta 'Hatôîoaxal O'jvïÇânto'jaav.Commele reconnaîtZeller(p. 693n.), cela prouveque certains adversairesde l'cxitûpùoïcstoïciennecherchaientà lui enleverl'appuid'Heraclite.Auraient-ilspule faire si Heracliteavaitdit quelquechoseà cesujet,et n'auraient-ilspasproduitune citationdécisive?Nouspouvonsêtre certains que siquelqu'unl'avaitfait, la citationeût été répétéead nauseam,car l'in-destructibilitédu mondeétait l'une des grandesquestionsdu jour.
184 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
certain maximum '. Voilà, semblc-t-il, les seuls passagesque les Stoïciens et les apologètes chrétiens purent décou-vrir à l'appui de leur thèse, et que notre interprétation ensoit juste ou fausse, il est parfaitement évident qu'ils n'au-torisent pas la conclusion qu'on en tire, mais qu'on n'en
pouvait trouver aucun qui se prêtât mieux à la démonstra-tion.
Il est beaucoup plus facile de trouver des fragmentsinconciliables avec l'idée d'une conflagration générale. Les« mesures » des frg. 20 et 20 doivent être la même chose,'et elles doivent sûrement être interprétées à la lumière du
frg. 23. S'il en est ainsi, le frg. 20, et plus encore le frg. 29,contredisent directement l'hypothèse d'une conflagrationgénérale. « Le soleil ne franchira pas ses mesures*. » Se-
condement, la métaphore de 1' <échange », qui est appli-quée aux transformations du feu dans le frg. 22, parle dansle même sens. Quand de l'or est donné en échange de mar-chandises et des marchandises en échange d'or, la sommeou « mesure » de chacun reste constante, quoiqu'ils chan-
gent de propriétaires. Et les marchandises et l'or ne tom-bent pas dans les mêmes mains. Pareillement, si quelquechose devient feu, une chose d'égal montant doit cesserd'être feu, si l'on veut que l'échange soit juste; et qu'ildoive être juste, nous en sommes assurés par la vigilancedes Erinyes (frg. 29), qui veillent à ce que le soleil ne
prenne pas plus qu'il ne donne. Il y a naturellement, nousl'avons vu, une certaine variation, mais elle est confinéeentre des limites strictes, et elle est compensée à la longuepar une variation en sens contraire. Troisièmement, le
frg. 43, dans lequel Heraclite blâme Homère de désirer lacessation de la lutte est tout à fait concluant. La cessation
1IliptîiaiT»)?,I, 3: tvutptiiè êxàrepovxpatetxalxpateitatÏÎ tôpqxistovxaltXâ)(i9Tovwçriwotov.
*S'il se trouvequelqu'unpour douterque ce soit là réellementlesens des «mesures», qu'il comparel'emploi du mot dans Diogèned'Apolinnie,frg.3.
HERACLITED'ÉPHÈSE 185
de la lutte signifierait que toutes choses prennent en même
temps le sentier en haut ou le sentier en bas, et cessent de
«courir dans des directions opposées». Si elles prenaienttoutes le sentier en haut, nous aurions une conflagrationgénérale. Or, si Heraclite avait lui-même soutenu que tel
élait l'ordre du destin, est-il probable qu'il eût reproché à
Homère de désirer un anéantissement aussi nécessairel ?
Quatrièmement, nous remarquons qu'au frg. 20 c'est ce
monde*, et non pas seulement le « feu toujours vivant »,
qui est dit éternel, et il parait aussi que cette éternité dé-
pend du fait qu'il s'allume toujours et s'éteint toujoursdans les mêmes « mesures », ou qu'un empiétement dans
une direction est compensé par un empiétement subsé-
quent dans l'autre. Enfin, l'argument tiré par Lassalle de
la dernière phrase du passage cité plus haut du fttpi OWTY,Çn'est, en réalité, pas touché par l'objection de Zeller, con-
sistant à dire qu'il ne peut être héraclitique parce qu'ilimplique que toutes choses sont feu et eau. Il n'impliqnepas cela, mais seulement que l'homme, comme les corpscélestes, oscille entre le feu et l'eau ; et c'est précisément ce
qu'enseignait Heraclite. Il ne semble pas non plus que lesmesures de terre variassent le moins du monde. Or, dansce passage, nous lisons que ni le feu ni l'eau ne peuventprévaloir complètement, et une très bonne raison en est
donnée, raison qui est, elle aussi, en accord frappant avecles autres opinions d'Heraclite *. Et, en vérité, il n'est pas
1C'estlàjustement l'argumentque Platon emploiedans le Phédon(72c)pour prouverla nécessitéde l'àviaicôiosi;,et la sérieentièred'ar-gumentsqui se trouvedans cepassageporte nettementle cachethéra-clitique.
1Commentque nous comprenionsici le termexoojio;,le sens est lemême.Envérité,si noussupposonsavecBernaysqu'il signifie«ordre»,l'argumentdéveloppédansnotre texten'endevientqueplus fort.Dansaucunsensdu mot,un XGOJIOÎnepourraitsurvivreà l'èxisôptoatç,et c'estpourquoiles Stoïciensdisaientque le XOSJIOÎétait «pdaptôç.
3 rieplî'.aitrjî,I, 3 (voirplus haut, p. 170,n. 2); oùStTtpovfào xpartoatitavteXûîîâvatai!tà xâîî tô' <T*>«OptiteÇicvènl-côsovartvTO3oîatoîcm-XttimTJtpo<pq*àTEOTpliteTaio-3vô&evp-éXXttTptcptaaat'to ôîcopxt tneçiôvtoO
186 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
facile de voir comment, suivant ces opinions, le monde
pourrait jamais renaître d'une conflagration générale, si
elle devait se produire. Tout le processus dépend, autant
que nous pouvons nous en rendre compte, du fait qu'excèsest aussi défaut, ou, en d'autres termes, qu'une avance du
feu augmente l'exhalaison humide, tandis qu'une avance
de l'eau prive le feu de sa puissance d'évaporation. La con-
flagration, ne durât-elle qu'un moment 1, détruirait la ten-
sion des contraires, dont dépend la naissance d'un nouveau
monde, et alors le mouvement deviendrait impossible.
LXXIX. — LUTTEET « HARMONIE».
Nous sommes maintenant à même de comprendre plusclaiicmenl la loi de lutte ou d'opposition qui se manifeste
dans le « sentier en haut et ie sentier en bas ». A n'importe
quel moment donné, chacune des trois formes de la ma-
tière, Feu, Eau et Terre, est formée de deux portions éga-ies, — sujettes, naturellement, à l'oscillation décrite plushaut, — dont l'une prend le sentier en haut et l'autre le
sentier en bas. Et c'est justement le fait que les deux moi-
tiés de chaque chose sont « tirées dans des directions
opposées », c'est celte « tension opposée » qui « garde les
choses ensemble », et les maintient dans un équilibre quine peut être troublé que temporairement et au dedans de
m>p6îèrcltb tix^ovj «niXetuti xtvTjot,*tarataio-îvtv TOÛTÇI,ôtavîi OTTQ.bùxérttyxpaTéî««tiv,àXX'rfa tm è|iicîitT<miitvp'tèçTTJVtpoçîjvxa-avaXîs-xetat"oùSïtiptvSiïtà xaùtaî'JvaxaixpatîjsaiitaviiXtûç,cl li itou xpatqdctT)xalônÔTtpov,o&îèvâv c'n tûtvvùvèôvttuvwsiteplyu vùv'oûtcuïè *)(ÔVT<DVàsl ïotai ta avxàxal oûSetepovoùîauàèniXtiju.
1Dans sa rote au frg.66 (= 26Byw.),Dielscherche à réduire auminimumla difficultéde l'èxn'jpusicen disantquecen'estqu'unepetiteconflagration,et qu'ellene peutdurer qu'un moment;maisla contra-dictionnotéeplushautn'ensubsistepas moins.Dielsest d'avisqu'He-racliten'était «obscurque dans la forme»et qu'il «escrendait parfai-tement compteà lui-même du sens et de la portée de ses idées»(Herakleitos,p. 1). A quoi j'ajouterais qu'il était probablementsur-nommél'«obscur» justement parce que les Stoïciensavaientparfoisde la peineà trouverleurs propres idéesdans son langage.
HERACLITED'EPHÈSE 187
certaines limites. Cette tension constitue ainsi 1'« harmo-nie cachée » de l'Univers (frg. 47), quoique, à un autre
point de vue, elle soit lutte. Bernays a fait observer que lemot âpfxovfotsignifie à l'origine « structure », et l'exemplede l'arc et de la lyre montre que cette idée en faisait lefond. D'autre part, celui qu'on tire de l'accord de notesliantes et de notes basses montre que le sens musical du
mot, à savoir une octave, n'élait pas entièrement absentnon plus. En ce qui concerne l'« arc » et la « lyre » (frg. 45),
je pense que c'est le professeur Campbell qui a le mieuxmis en évidence le sens de la comparaison. «Quand, dit-il,le trait quitte la corde, les mains tirent en sens opposés,soit par rapport à elles, soit par rapport aux différentes par-ties de l'arc (Cf. Platon, Rep., 4, 439); et le beau son de la
lyre est dû à une tension et à une détension analogues. Le
secret de l'univers est le même '. » La guerre, donc, est le
père et le roi de toutes choses, dans le monde comme dansla société humaine (frg. 44), et quand Homère souhaitait de
voir cesser la lutte, il souhaitait en réalité la destruction du
monde (frg. 43).Nous savons par Philon qu'Heraclite alléguait une foule
d'exemples pour prouver que l'harmonie résulte de la
lutte ;t et, par un heureux hasard, quelques-uns de ces
exemples peuvent être retrouvés. Il y a une remarquableconcordance entre un passage y relatif du traité pseudo-aristotélicien intitulé Le Kosmos, et le traité hippocratique
auquel nous avons déjà renvoyé. Que les auteurs des deux
ouvrages aient puisé à la même source, à savoir dans
Heraclite, cela est probable en soi, et cela est pratiquementrendu certain par le fait que celte concordance s'étend à
>Campbell,Theoelelus(2«éd.), p. 244.Voir plus haut, p. 152,n. 4.Bernaysexpliquaitl'expressioncommese rapportantà la formellel'arcet de la lyre, mais cela est bien moinsprobable.L'interprétationdeWilamowitzest la même, en substance,que cellede Campbell.€Esist oit der Weltwie mitdemBogen,denmanauseinanderzieht,damiter zusammenschnellt,wie mit der Saite,die manihrer Spannungent-gegenzichenmuss, damitsieklingt.» (Lesebuch,H,p. 129.)
188 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
une partie des Lettres dlîèraaUe, qui, bien qu'apocryphes,furent certainement composées par un homme qui eutentre les mains l'oeuvre originale. Le thème en était queles hommes eux-mêmes agissent exactement de la mêmemanière que la Nature, et qu'il est par conséquent surpre-nant qu'ils ne reconnaissent pas les lois suivant lesquelleselle opère. Le peintre produit ses harmonieux effets par lecontraste des couleurs, le musicien par celui des noteshautes et basses. « Si l'on faisait toutes choses pareilles, il
n'y aurait aucune jouissance en elles. » Il y a beaucoupd'exemples analogues dans le traité hippocratique, et quel-ques-uns d'entre eux remontent certainement à Heraclite,mais il n'est pas facile de les séparer des additions posté-rieures 1.
LXXX. —CORRÉLATIONDESCONTRAIRES.
Dans la collection des fragments d'Heraclite, il y en a uncertain nombre qui forment une classe par eux-mêmes, et
qui comptent parmi les déclarations les plus extraordi-naires qui nous aient été conservées. Leur caractéristiquecommune est d'affirmer de la manière la plus nette l'iden-tité de choses variées, habituellement tenues pour oppo-sées. La clef de ces fragments doit être cherchée, dans
l'explication que nous avons déjà donnée de celui quiaffirme que jour et nuit sont tout un. Nous avons vu
qu'Heraclite veut dire non pas que le jour soit nuit, ou que
1Surtout ceci,voirPatin,Quellensludien:u Heraklit(1881).Laphrase(ITeplouttrK,I, 5) : xal ta [ùv itpîjosowtvoùxoîîaaiv,à 8&où Kp^asoust{oxéousivelîtvai*xalxà (ilvôptovatvoùyivwaxovaiv,ôXX'ÔJIOJÎaùtoîsinavrayîvetat....xalà {3oyXovtaixal à }i^^oûXovtai,porte le vrai cachethéracli-tique. Et celle-cine peut guèrenonplus avoirété écriteparun autreauteur: «Ussefientplutôtà leursyeuxqu'à leurentendement,quoiqueleursyeuxne soientpas mêmecapablesde juger des chosesque l'onvoit.Maisje disceschosesd'aprèsl'entendement.» Cesmotssont posi-tivementgrotesquesdans la bouche du compilateurmédical; maisnoussommeshabituésà entendredetelleschosesdela part del'Ephé-sien. D'autresexemplesqui peuventêtre héraelitiquessont l'imagedesdeuxhommesqui scient du bois —«l'un pousse,l'autre tire» —etl'exemplede l'art d'écrire.
HÉIWCLITED'tiPHËSE 189
la nuit soit jour, mais qu'il y a deux faces du même pro-cessus, à savoir l'oscillation des « mesures » de feu et
d'eau, et qu'aucun des deux ne serait possible sans l'autre.Toute explication que l'on peut donner de la nuit seradonc aussi une explication du jour, et vice versa, car cesera une explication de ce qui est commun aux deux, et quise manifeste tantôt sous forme de l'un, tantôt sous formede l'autre. De plus, c'est justement parce qu'il s'est mani-festé sous une forme qu'il doit ensuite apparaître sous
l'autre, car ainsi l'exige la loi de compensation ou Justice.
Ceci n'est qu'une application particulière de ce principeuniversel que le feu primordial est un, même dans sa divi-sion. Lui-même, il est, même dans son unité, à la fois excèset défaut, guerre et paix (frg. 36). En d'autres termes, la« satiété » qui fait que le feu passe en d'autres formes, quile fait chercher « le repos clans le changement » (frg. 82 et
83) et « se cacher » (frg. 10) dans 1'« harmonie cachée» de
l'opposition, n'est qu'une des faces du processus. L'autreface est le « défaut » qui l'amène à consumer la vapeurclaire qui lui sert de combustible. Le sentier en haut n'estrien sans le sentier en bas (frg. 69). Si l'un des deux devaitcesser d'être, l'autre cesserait aussi, et le monde disparai-trait, car il à besoin de tous deux pour conserver une rea-lité en apparence stable.
Toutes les autres affirmations de ce genre doivent être
expliquées de la même manière. S'il n'y avait pas le froid,il n'y aurait pas de chaleur, car une chose ne peut devenirchaude que si, et dans la mesure où elle est déjà froide.Et l'on en peut dire autant de l'opposition de l'humide etdu sec (frg. 39). Ce sont là, précisément, on le remarquera,les deux oppositions primordiales d'Anaximandre, etHeraclite montre que la guerre entre elles est réellement
paix, car elle est l'élément commun en elles (frg. 62),qui se manifeste comme lutte, et cette lutte précisémentest justice, et non, comme Anaximandre l'avait enseigné,une injustice qu'elles commettent l'une à l'égard de l'autre,
100 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
et qui doit être expiée par une réabsorption de toutes deuxdans leur fonds commun 1.C'est la lutte elle-même qui estle fonds commun (frg. 62), et elle est éternelle.
La plus déconcertante de ces déclarations est celle quinous t'it que le bien et le mal se confondent (frg. 57). Celane signifie pas le moins du inonde, toutefois, que le biensoit mal ou que le mal soit bien, mais simplement qu'ilssont les deux inséparables moitiés d'une seule et mêmechose. Une chose ne peut devenir bonne qu'autant qu'elleest déjà mauvaise, et mauvaise qu'autant qu'elle est déjàbonne, et tout dépend du contraste. L'exemple donné au
frg. 58 le montre clairement. La douleur, pourrait-on dire,est un mal, et cependant elle est tournée en boen par la
présence d'un autre mal, à savoir la maladie, commel'atteste le fait que les chirurgiens exigent un salaire pourinfliger des souffrances à leurs patients. D'autre part, la
justice, qui est un bien, serait totalement inconnue sansl'existence de l'injustice, qui est un mal (frg. 60). Et c'est
pourquoi il n'est pas bon pour les hommes d'obtenir toutce qu'ils désirent (frg. 104). De même que la cessation dela lutte dans le monde signifierait sa destruction, la dispa-rition de la faim, de la maladie et de la lassitude signifie-rait la disparition du rassasiement, de la santé et du repos.
Ceci conduit à une théorie de la relativité qui préparc la
voie à la doctrine de Protagoras, selon laquelle « l'hommeest la mesure de toutes choses* ». L'eau de la mer estbonne pour les poissons et mauvaise pour les hommes
(frg. 52), et il en est de même de beaucoup d'autres choses.
«Chap.I, 116. , .»L'expositionque faitPlatondans le Théétète(152d sq.) de la rela-
tivitéde la connaissancene peutguèreremonterà Heraclitelui-même,maisest destinéeà montrercommentl'Héraclitismepouvaitnaturelle-ment donnernaissanceà unetelle doctrine.Si l'âmeest un fleuve,etsi les chosessont un fleuve,alorsévidemmentlaconnaissanceestrela-tive. IIest très possibleque lesreprésentantspostérieursde l'Héracli-tismeaientdéveloppéla théoriedans cette direction,maisà l'époqued'Heraclitelui-mêmeleproblèmede la connaissancen'avaitpasencoreété soulevé.
HERACLITED'ËPHÈSE 101
Et cependant Heraclite n'est pas un adepte de l'absoluerelativité. Le processus du monde n'est pas simplement un
cercle, mais un « sentier en haut et en bas ». A l'extrémité
supérieure, où les deux sentiers se rencontrent, nousavons le feu pur, dans lequel il n'y a pas de relativité parcequ'il n'y a pas de séparation. L'Ephésien nous dit expres-sément que, tandis que pour l'homme certaines chosessont mauvaises et certaines bonnes, toutes sont bonnes
pour Dieu (frg. 61). Par Dieu, d'ailleurs, il n'y a pas dedoute qu'Heraclite n'entende le Feu. il l'appelle aussi le« seul Sage » et peut-être disait-il que le Feu « sait touteschoses ». Ce qu'il voulait dire par là, — la chose paraithors de toute contestation, — c'est qu'en lui s'évanouissent
l'opposition et la relativité, qui sont universelles dans lemonde. Et c'est assurément à ce sujet que se rapportent les
fragments 96, 97 et 98.
LXXXI. - LE SAGE.
Heraclite parle de « sagesse » et de « Sage * en deux sens.] IIl disait, nous l'avons vu déjà, que la sagesse était « une
'
chose à part de toute autre chose » (frg. 18), entendant parlà la perception de l'unité du multiple; et il applique aussile terme à cette unité elle-même regardée comme la « pen-sée qui dirige le cours de toutes choses ». En ce sens, elleest synonyme du feu pur, non différencié en deux parties,dont l'une prend le sentier en haut et l'autre le sentier enbas. Cela seul possède la sagesse; les choses partielles quenous voyons ne la possèdent point. Nous-mêmes, nous ne
sommes sages que dans la mesure où nous renfermons duieu (frg. 74).
LXXXII. — THÉOLOGIE.
Avec certaines réserves, Heraclite était disposé à appelerl'unique Sagesse du nom de Zeus. Tel, du moins, paraitêtre le sens du fragment 65. Ce qu'étaient ces réserves, ilest facile de le deviner. L'unique Sagesse ne doit naturelle-
192 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
ment pas être représentée sous forme humaine. Si Hera-clite ne l'a pas expressément dit, c'est qu'il n'aurait fait querépéter ce qu'avaient déjà dit Anaximandre et Xénophane.II s'accorde, en outre, à soutenir avec Xénophaue que ce« dieu» -—s'il faut l'appeler ainsi — est un, mais sa polé-mique contre la religion populaire était dirigée plutôt con-tre les rites et les cérémonies que contre ses excroissances
purement mythologiques. Il donne (frg. 124) la liste de
quelques-unes des figures religieuses les plus caractéristi-
ques de son temps, et le contexte dans lequel le fragmentest cité montre qu'il les menaçait en quelque sorte de lacolère avenir. Il glose sur l'absurdité de la prière adresséeà des images (frg. 126), et sur celte étrange idée que lemeurtre puisse être lavé par l'effusion du sang (frg. 130). Ilsemble avoir dit aussi qu'il était absurde de célébrer leculte de Dionysos par des cérémonies gaies et licencieuses,tandis que l'on cherchait à se rendre l'Hadès propice pardes rites lugubres (frg. 127). Suivant la doctrine mystiqueelle-même, les deux dieux n'en formaient en réalité qu'un,et seule la Sagesse devait être adorée comme un Tout.
Les quelques fragments qui traitent de théologie et de
religion ne nous portent guère à croire qu'Heraclite eût dela sympathie pour la renaissance religieuse de l'époque, et
cependant on nous a invités à considérer son système « àla lumière de l'idée des mystères1». On appelle notre atten-tion sur le fait qu'il était « roi » d'Ephèse, c'est-à-dire prê-tre de la branche des mystères éleusiniens établie danscette cité, laquelle était aussi en relations avec le culted'Artémis ou de la Grande Mère*. Ces indications peuventêtre exactes, mais, même si elles le sont, qu'en résulte-t-il?Nous devrions sûrement, à l'heure qu'il est, avoir apprisde Lobeck qu'il n'y avait aucune « idée » du tout dans les
>E. Pfleiderer,DiePhilosophiedes HeraklitvonEphesusim Lichteder Mysterienidee(1886).
1Antisthène(l'auteurdesSuccessions)dansDiog.IX,6 (R.P. 31).Cf.Strabon,XIV,p.633(R.P. 31b; DV12A2).
HERACLITED'ÈPHESE 193
mystères ; et sur ce point, les résultats des recherches
anthropologiques récentes ont amplement confirmé ceux
des études philologiques et historiques.
LXXXIII. — MORALED'HERACLITE.
L'enseignement moral d'Heraclite a parfois été regardécomme une anticipation de la théorie morale du « sens
commun1». Le «commun» sur lequel Heraclite insiste
esi cependant quelque chose dy très différent du sens com-
mun, pour lequel, en vérité, l'Ephésien avait le plus grand
mépris possible (frg. 111). En fait, la plus grave objection
qu'il fasse à « la foule », c'est que ses membres vivent cha-
cun dans son monde à lui (frg. 95), comme s'ils avaient
une sagesse à eux (frg. 92); et l'opinion publique est par
conséquent exactement l'opposé du « commun ».
L'éthique d'Heraclite doit être regardée comme un corol-
laire de ses vues anthropologiques et cosmologiques. Ce
qu'elle requiert de nous avant tout, c'est que nous gardions ,nos âmes sèches, et qu'ainsi nous les rendions semblables \
à l'unique Sagesse, qui est feu. Voilà ce qui est en réalité« commun », et la plus grande faute est d'agir comme des
hommes endormis (frg. 94), c'est-à-dire de nous coupernous-mêmes du feu du monde en laissant nos âmes deve-nir humides. Nous ne savons pas quelles conséquencesHeraclite déduisait de la règle en vertu de laquelle nousdevons tenir ferme à ce qui est commun, mais il est facilede voir de quelle nature elles devaient être. Le Sage n'es-saiera pas de s'assurer le bien sans son corrélatif, le mal.Il ne cherchera pas le repos sans la fatigue, et ne s'attendra
pas à jouir du contentement sans souffrir d'abord du mé-contentement. Il ne se plaindra pas d'avoir à prendre le
mauvais avec le bon, mais il sera conséquent et envisagerales choses comme un tout.
Heraclite prépara la voie au cosmopolisme stoïcien en
i Kôstlin,Gesch.derElhik, I, p. 160sq.PHILOSOPHIEGRECQUE 13
194 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
comparant le « commun » aux lois d'une cité. Et ces loissont même plus qu'une simple copie de la loi divine : ellesen sont des incarnations imparlaites. Elles ne peuvent,cependant, l'épuiser complètement; car, dans toutes lesaflaires humaines, il y a un élément de relativité (irg. 91).« L'homme est un petit garçon, comparé à Dieu » (frg. 97).Telles qu'elles sont, cependant, la cité doit combattre pourelles comme pour des murailles; et si elle a la bonne for-tune de posséder un citoyen à l'âme sèche, il en vautdix mille (frg. 113); car en lui seul est incarné le « com-mun ».
CHAPITRE IV
PARMÉNIDE DELÉE
LXXX1V. - SA VIE.
Parménide, iils de Pyrès, était citoyen d'Hyele, Elia, ou
Velia, colonie fondée en Oenotrie par des réfugiés de Phocéeen 540-39avant J.-C. *.Diogène nous dit qu'il « florissait »dans la LXIXe Olympiade (504-500),et c'était là, sans aucun
doute, la date donnée par Apollodore *. D'un autre côté,Platon affirme que Parménide vint à Athènes dans sa
soixante-cinquième année, accompagné de Zenon, et qu'ilconversa avec Socrate, alors tout à fait jeune. Or Socralevenait de dépasser les soixante-dix ans quand il fut mis à
mort, en 399 ; et par conséquent, si nous supposons qu'ilétait éphèbe, c'est-à-dire qu'il avait de dix-huit à vingt ansau moment de son entrevue avec Parménide, nous obtenonscomme date dp cet événement les années 451 à 449, c'est-à-dire qu'en acceptant la date d'Apollodore, Parménide auraiteu plus de quatre-vingts ans. Je n'hésite pas à accepterl'indication de Platon*, étant donné que nous avons une
>Diog.IX,21(R.P. 111).Sur la fondationd'Eléc,voir Hérod.I, 165sq. Cettelocalitéétait situéesur la côtede Lucanic,au sud de Posel-donia (Poestum).
*Diog.IX,23(II.P. 111).Cf.Diels,Rhein.Mus.XXXI,p. 34,etJacoby,p. 231sq.
*Platon,Parm. 127b (R.P. 111d ; DV19A5). Il y a, commeZcllerl'a montré,un certain nombred'anachronismesdans Platon,mais11n'y en a pas un seul du calibrequ'aurait celui-ci,si Apollodoreavaitraison.Toutd'abord, nousavonsdes Indicationsexactesrelativementaux âgesdeParménideet de Zenon,Indicationsd'où II ressortque le
196 L'AlY.OREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
autre preuve indépendante de la visite de Zenon à Athènes,où l'on dit que Périclès l'« entendit» 1.D'autre part, la datedonnée par Apollodore dépend seulement de celle de lafondation d'Elée, qu'il'avait adoptée comme étant celle deVakmé de Xénophane. Parménide est né cette année-là,tout comme Zenon est né l'année où Parménide « floris-sait». Pourquoi l'on pourrait préférer ces transparentescombinaisons au témoignage de Platon, il m'est bien diffi-cile de le comprendre, quoique l'on puisse également sedemander pourquoi Apollodore lui-même a négligé desdates aussi précises.
Nous avons déjà vu (§ 55) qu'Aristote mentionne uneindication suivant laquelle Parménide aurait été l'élève de
Xénophane ; mais la valeur de son témoignage est dimi-nuée par le ton douteux dans lequel il s'exprime, et il est
plus que probable qu'il s'en réfère simplement à ce que ditPlaton dans le Sophiste *. Il est, nous l'avons vu aussi, très
improbable que Xénophane ait fondé l'école d'Elée,
quoiqu'il soii bien possible qu'il ait visité cette ville. P.nous raconte lui-même qu'il voyageait enebre de ci de là,dans sa quatre-vingt-douzième année (fragm. 8). A cette
époque, Parménide devait être déjà très avancé en âge. Etnous ne devons pas perdre de vue l'indication de Sotion,
que nous a conservée Diogène, et suivant laquelle, si Par-ménide a «entendu » Xénophane, il ne l'a pas « suivi ». Sil'on en croit ce renseignement, notre philosophe futl'« associé » d'un Pythagoricien, Amendas, fils de Diochai-
tas, « pauvre mais noble homme, auquel il éleva plus tard
dernier était de vingt-cinqans plus jeune que le premier, et non dequarante,commel'a dit Apollodore.Ensecondlieu, Platonmentionnecette rencontreen deuxautres passages(Tht. 183e 7 et Soph.217C5),qui nesemblentpasêtre de simplesallusionsau dialogueintituléPar-ménide.Onne peutciter aucunparallèled'un anachronismeaussiévi-dentet délibéréque le serait celui-ci.E. Meycr(Gcsch.desAlterlh.IV,%509note)regardeaussi commehistoriquela rencontrede Socrateetde Parménide.
«Plut.Per. 4,3. Voirplus loin,èhap.VIII,§ 155,note.
i^Voirplus haut, chap. II, p. 141,n. 3.
PARMÉNIDED'ELÉE 197
un herôon». Ce fut Ameinias, et non Xénophane, qui « con-
vertit » Parménide à la vie philosophique *. Ceci ne paraît
pas être une invention, et nous devons nous souvenir queles Alexandrihs avaient sur l'histoire de l'Italie Méridio-nale des informations que nous n'avons pas. Le monu-
ment élevé par Parménide existait encore, semble-t-il, à
une date bien postérieure, comme le tombeau de Pytha-
gore à Métaponte. Il convient de mentionner encore le fait
que Strabon range Parménide et Zenon parmi les Pytha-
goriciens, et que Cébès parle d'une « conduite de vie par-ménidienne et pythagoricienne*». Zeller explique tout
cela en supposant que, comme Empédocle, Parménide
approuvait et pratiquait le genre de vie des Pythagoricienssans adopter leur système. Il peut être vrai que Parménidecrût à une « vie philosophique » (§ 35), et qu'il en ait prisl'idée chez les Pythagoriciens, mais il n'y a, soit dans ses
écrits, soit dans ce que l'on nous raconte à son sujet, quede bien faibles indices qu'il ait éic uiTecté d'une manière
quelconque par le côté religieux du Pythagorisme. L'ou-
vrage d'Empédocle a évidemment été modelé sur celui de
Parménide, et cependant il y. a entre les deux un abîme
infranchissable. L'élément de charlatanisme qui constitueun si étrange trait de la copie, est absolument absent dumodèle. Il est vrai, sans doute, qu'il y a des traces d'idées
orphiques dans le poème de Parménide *,mais on les trouvetoutes soit dans l'introduction allégorique, soit dans la
' Diog.IX,21(R.P. 111),oùje lis 'AjrnvîaAïo/aîtaavecDiels(HermèsXXXV,p. 197).Sotion, dans ses Successions,séparait ParménidedeXénophaneet l'associaitauxPythagoriciens(Dox.p. 146,148,166).
*Strabon,VI, 1, p.252(p. 198,note, DV18A 12);Ceb.Tab.2 (R. P.111c).CeCébèsn'est pas celuidu Phèdon; mais il vécutcertainementquelquetempsavant Lucien,qui parlede lui commed'unécrivainbienconnu.Un Cyniquede ce nomest mentionnépar Athénée(156d). Lesindicationsde Strabon sont de la plus grande valeur, car elles sontbaséessur deshistoriensactuellementperdus.
1O.Kern,dans l'Arehlv,III,p. 173sq. Nousen savonstrop peu,tou-tefois,sur les poèmesapocalyptiquesdu VI*siècleavantJ.-C.pourêtresurs des détails.Tout ce que nous pouvonsdire, c'est queParménidea tiré de quelquesourcede cegenrela formedesonpoème.VoirDiels,
198 ','
L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
seconde partie de cette oeuvre, et il n'y a par conséquentpas lieujde les prendre trop au sérieux. Or Parménide étaitun Hellène d'occident ; il avail probablement été Pythago-
ricien,^, il n'est par conséquent pas peu remarquable qu'ilsoit resté si exempt de la tendance commune de son siècleet de son pays. Si l'on peut trouver quelque part une tracede l'influeiice de Xénophane, c'est sur ce point. En ce quiconcerne s<?srelations avec le système pythagoricien, nousaurons quelque chose à en dire plus tard. Pour le moment,il nous sufdra de noter que, comme la plupart des anciens
philosophes, il prit part à la politique, et Speusippe rap-portait qu'il fut le législateur de sa cité natale. D'autres
ajoutent que les magistrats d'Elée faisaient jurer chaqueannée aux citoyens de garder les lois que Parménide leuravait données 1.
LXXXV. — LE POÈME.
Parménide fut en fait le premier philosophe qui exposason système en langage métrique. Comme il existe quelqueconfusion sur ce sujet, quelques mots d'explication neseront pas de trop. A propos d'Empédocle, M. J.-A. Symondsécrit : « L'âge dans lequel il vivait n'avait pas encore jetépar-dessus bord la forme poétique dans l'exposé de la
philosophie. Même Parménide avait confié au vers hexa-
mètre ses austères théories.» Il y a là une inexactitude. Les
premiers philosophes, Anaximandre, Anaximènc et Hera-
clite, écrivirent tous en prose, et les seuls Grecs qui écri-virent des ouvrages philosophiques en vers furent juste-ment ces deux : Parménide et Empédocle ; car Xénophanen'était pas plus qu'Epicharme un philosophe de carrière.
Ueberdie poctischenVorbildcrdes Parmcnidcs(Berl. Sitzb. 1896)etl'introductionà sonParmenidesLchrgedicht,p. 9 sq.
«Diog.IX,23(R.P. 111);Plut.ado. Col.1226a (DV18A12): Iîaçiu-vîSijc21tTjvia'jToO-natpîîa3ttxÔ4(ii]3evôjiotçàpîetotc,dut*ta; dpx&<xa^'Ixaatov«viautivtgopxoûvtoicnoXîtajip.(iivttvtotcnapp.»vtiwvipotç.StrabonVI,1, p. 252!('EXtav)èÇ^ç IIap(icvt8i)cxalZ'qvtuv«YtvovtoâvîptçIfjOaïi-pttot.ioxttH (toixalÏV mîv<w{xallu itpÔTtpovcùvop.tj8fjvai.
PARMÉNIDED'ELBE 199
Empédocle imita Parménide, et celui-ci fut sans aucun
doute influencé par Xénophane et les OrpMques. Mais la
chose était une innovation, et cette innovation ne se main-
tint pas.Les fragments de Parménide nous ont été conservés pour
la plus grande partie par Simplicius, qui les a heureuse-
ment insérés dans son commentaire, parce qu'à son époquel'oeuvre originale était déjà rare *. Je suis l'arrangement de
Diels.
1. Les cavales qui m'emportent m'ont conduit aussi loin quemon coeur pouvait le désirer, puisqu'elles m'ont amené cldéposé sur la voie fameuse de la déesse qui seule dirigel'homme qui sait à travers toutes choses. C'est là que j'ai étéconduit ; car les très habiles coursiers m'y ont transporté, traî-nant mon char, et des jeunes filles montraient la voie. Et l'axe,brûtant dans le moyeu, — car il était pressé, de chaque côtépar les roues tourbillonnantes, —faisait entendre un son stri-dent, quand les filles du Soleil, pressées de me conduire à lalumière, écartèrent leurs voiles de leurs faces et quittèrent lademeure de la Nuit.
I^àse trouvent les portes [où se séparent les] chemins de la Nuitet du Jour 1, pourvues en haut d'un lintcau'ct en bas d'un seuilde pierre. Elle-même, élevée dans l'air, est formée par de puis-sants battants, et la Justice vengeresse garde les clefs qui lesouvrent et les ferment. Les jeunes filles lui parlèrent avec dedouces paroles et la persuadèrent habilement d'ôter des portessans hésiter les barres verrouillées. Quand les portes furentouvertes, elles laissèrent voir une ouverture béante, car leursbattants d'airain, garnis de clous et d'agrafes, tournèrent l'unaprès l'autre dans leurs écrous. Droit à travers elles, sur lalarge route, les jeunes filles guidèrent les chevaux et le char ;la déesse me salua amicalement, prit ma main droite dans lessiennes et me dit ces paroles :
Sois le bienvenu, ô jeune homme, qui viens à ma demeuresur le char qui te porte, conduit par d'immortels cochers I Cen'est pas un mauvais destin, c'est le droit et la justice qui t'ontengagé sur cette voie éloignée du sentier battu des hommes IMais il faut que tu apprennes toutes choses, aussi bien le coeur
• Slmpl.Phys. 144,25(R.P. 117;DV18A21).Simpliciusavait natu-rellementa sa dispositionla bibliothèquede l'Académie.DielsremarquecependantqueProclussembleavoirutilisé un ms. différent.
» Voirà ce sujet Hésiode,Theog.748.
200 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
inébranlable de la vérité bien arrondie, que les opinions illu-soires des mortels, dans lesquelles n'habite pas la vraie certi-tude. Néanmoins, tu dois apprendre aussi ces choses —com-ment (les mortvls) auraient dû juger que sont les choses quileur apparaissent — tandis que toi, tu vas à travers touteschoses dans ton voyage1.
Maiséloigne ta pensée de cette voie de recherche, et ne laissepas l'habitude te forcer, par sa grande expérience, à jeter surcette voie un oeilsans but, ou une oreille sonore, ou une lan-gue, mais juge par le raisonnement la preuve très discutée quej'ai prononcée. Il ne reste plus qu'une voie dont il puisse êtreparlé...* —R. P. 113.
La voie de la vérité.2. Considère fermement les Chosesavec ton esprit, bien qu'el-
les soient éloignées, comme si elles étaient à portée de ta main.Tu ne peux pas couper ce qui est de ses relations avec ce quiest, de sorte que ni il ne se dissipe au dehors, ni ne se rassem-ble. —R. P. 118a. •
3. Cem'est tout un par où je commence, car je reviendrai ici.
4. 5. Viensmaintemmt, je vais te dire —'et toi, prête l'oreilleà mes paroles et garde-les en toi-même —les deux seules voiesde recherche que l'on puisse concevoir. La première, à savoirqu'if est, et qu'il est impossible pour lui de ne pas être, est lavoie de la Persuasion, car elle est accompagnée de la Vérité.La seconde, à savoir qu'il n'est pas, et qu'il n'est pas nécessairequ'il soit —celle-là, je te le dis, est un sentier dans lequel per-sonne ne peut rien apprendre. Car tu ne peux pas connaître cequi n'est pas —cela est impossible — ni l'exprimer; car uneseule et même chose peut être conçue et peut être*.—R. P. 114.
>Voirplus loin, p. 213,n. 2.1Je lis uO&oc,commedans le passageparallèlefrg.8, au commence-
ment.L'interprétationque donne Dielsde 6u|x&céîoîo(leçondu ms.ici):ein lebendlgerWeg,ne me convaincpas,et la confusiondes deuxmots est très commune.
»Je lis avecZcller(p. 558,n. 1): to ylp aùtôvoitvlattv tt xal ttvai.Outre l'anachronismephilosophiquequel'on commeten faisantdire àParménideque ala penséeet l'être sont la mêmechose»,on le rendcoupabled'un anachronismegrammaticalen lui faisantemployerunInfinitif(avecou sansarticle)commesujetd'unephrase. D'autrepart,il emploiel'infinitifactifaprès ttvatdans la constructionoù nousem-ployonshabituellementun infinitifpassif(Monro,Hom.Gramm.$231vers la fin). Cf.frg.4: tlolvoîjoai,sont à penser,c'est-à-direpeuventêtre pensés.
PARMÉNIDED'ELÉE 201
6. De toute nécessité, cela doit être, qui peut être pensé et donton peut parler, car il est possible pour lui d'être, mais il n'estpas possible que soit ce qui n'est rien ».C'est ce que je te prieîle considérer. Je te mets en garde contre cette première voie derecherche, contre cette autre aussi, sur laquelle les mortelsignorants errent sous un double visage ; car c'est l'incapacitéqui guide dans leurs poitrines leur pensée vacillante, et ilss'agitent de ci, de là, hébétés, comme des hommes sourds etmuets. Foules sans jugement, aux yeux de qui cela est et celan'est pas, le même et non le même*, et toutes choses vont dansdes directions opposées 3.—R. P. 115.
7. Car cela ne sera jamais prouvé : que les choses qui sont nesont pas; mais toi, retiens ta pensée de cette voie de recherche.(R.P. 116.)
8. 11ne reste qu'un chemin dont nous ayons à parler, à savoirque Celaest. En lui sont une foule de signes que ce qui est estincréé et indestructible; car il est complet*, immobile et sanslin. Ni il n'a jamais été, ni il ne sera, parce qu'il est maintenant,tout à la fois, sans discontinuité. Car quelle sorte d'origineveux-tu chercher pour lui? De quelle manière et de quellesource pourrait-il avoir tiré sa croissance ? Je ne te laisserai nidire ni penser qu'il est sorti de ce qui n'est pas, car on ne peutni penser ni articuler -que quelque chose n'est pas. Et s'il
' La constructionest ici la mêmeque cellequenousavonsexpliquéedans la noteprécédente.Il est surprenantque de bons hellénistesserallientà la traductionde to Xlyttvtt voitvte par «dire et penserceci».Ensuitetau yàptïvatsignifie«cela peut être», et non «l'être est », etla dernièrephrasedoit être construiteoûxîaxtjitjîiv(ttvat).
' Je construisoîcvtvijmtatxôniXttvxt xaloûxttvattaùrêvxa'toùtaùrôv.LesujetdesinfinitifsuÈXttvxaloûxttvatest le cc(ta),qu'il faut suppléeraussiavec{«tvet oûxtattv.Cettemanièrede prendreles motsdispensedecroireque Parménidedisait (xb)oùxtîvatau lieu de(x'o)JI»Jttvatpourcnon-être». 11n'y a pas de différenceentre niXttvet ttvat,si ce n'estau point de vue métrique.
1Je tiens nâvtrovpour neutre et je considèreitaXtvtpoitocxiXtudoccommeéquivalentde l'oiô;âvo»xâtwd'Heraclite.Je ne crois pas quecetteexpressionait rien à faireavecla itaXmovot(ounaXîvtponot)âpuovtT).Voirchap. III, p. 152,n. 4.
*Je préfèretoujourslire tott *àpoùXopiXicavecPlutarque(adv.Col.1114c).Proclus(in Parm. 1152,24)lit aussi oùXojitXfc.Simplicius,qui aici pouvoYivic,appelleailleursl'Unde ParménideiXotuXic(Phys.p. 137,15).La leçonde [Plut.]Strom.5, (toOvovpouvoYtvic,aideà expliquerlaconfusion.11suffitde supposerque les lettres j»,v,f furentécrites au-dessusdela lignedans l'exemplairede Parménideappartenantà l'Aca-démie,par quelqu'unqui songeaità Tim,31b 3.
202 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
venait de rien, quelle nécessité eût pu le faire naître de préfé-rence plus tard que plus tôt? Ainsi donc, il doit être ou bientout à fait ou n'être pas da tout. La force de la vérité ne per-mettra pas non plus à quoi que ce soit de naître à ses'côtés dece qui n'est pas 1. C'est pourquoi la Justice ne délie pas seschaînes et ne laisse rien venir au jour ou disparaître, maismaintient fermement ce qui est. Notre jugement à cet égarddépend de ceci: Cela esl-il? ou Cela n'est-ilpas? Sûrement laquestion est jugée comme elle doit nécessairement l'être, Asavoir que nous devons écarter l'une des voies comme inconce-vable et innommable (car ce n'est pas une voie véritable), etque l'autre est réelle et véritable. Comment donc ce qui estpeut-il être sur le point d'être dans l'avenir? Ou comment a-t-ilpu venir à l'existence? S'il est venu à l'existence, il nest pas;il n'est pas non plus s'il est sur le point d'être dans l'avenir.Ainsi la naissance est éteinte et on ne saurait parler de destruc-tion. —R. P. 117.
Il n'est pas non plus divisible, puisqu'il est absolument pareil,et qu'il n'y a pas plus* de lui dans un lieu que dans un autre,ce qui l'empêcherait de se maintenir, ni moins de lui non plus,mais tout est plein de ce qui est. Aussi est-il parfaitement con-tinu, car ce qui est est en contact avec ce qui est.
De plus, il est immobile dans les liens de chaînes puissantes,sans commencement et sans fin, puisque In naissance et la des-truction ont été rejetées bien loin, et que la vraie croyance lesa repoussées. Cela est le même et reste au même lieu, habitanten lui-même. Et ainsi il reste constamment à sa place, car unerigoureuse nécessité le garde dans les liens de la limite qui letient ferme de chaque côté. C'est pourquoi il n'est pas permis
• Dielslisaitautrefoisi*n»)tôvtot«decequi estdequelquemanière»;mais il est maintenantrevenuà la leçontx firjùJvtoc,supposantquel'autre partiedu dilemmes'est perdue.Dans tous les cas, «rien si cen'est cequi n'estpasne peut naîtredecequi n'est pasndonneun sensparfaitementsatisfaisant.
1Surlesdifficultésque l'on a trouvéesici dans le mot jiaXXov.voir lanotede Diels.S'il fautpresserle sensdecemot, son interprétationestadmissible;mais il me sembleque nous avons simplementici unexempled' «expressionpolaire». Il est vrai qu'un seul cas est impor-tant pourla divisibilitéde l'Un: celuidans lequel11y a moinsde cequi est,enun lieuqu'enun autre; maiss'il y en a moinsen un lieu,ily en a plusen unautre lieuquedanscelui-là.La languegrecqueaimecesfaçonsindirectesdes'exprimer.Lapositionde la propositionrela-tive fait unedifficultépour nous, maiselle n'embarrassaitguère unGrec.
PARMÉNIDED'ELÉE 203
à ce qui est d'être infini, car il ne lui manque rien; tandis que,s'il était infini, il manquerait de tout 1.—R. P. 118.
La chose qui peut être pensée et celle à l'égard de laquelle lapensée existe sont une seule et même chose*, car tu ne sauraistrouver une pensée sans une chose qui soit, et au sujet delaquelle elle soit exprimée*.Et il n'y a et il n'y aura jamais unechose quelconque en dehors de ce qui est, puisque le destinl'a enchaîné de façon à ce qu'il soit entier et immuable. Ainsidonc, toutes ces choses ne sont que des noms que les mortelsont donnés, les croyant vraies : naissance et destruction, êtreet non être, changement de lieu et altération de la brillante cou-leur. — R. P. 119.
Puisque, donc, il a une limite extrême, il est complet en toussens, comme la masse d'une sphère arrondie, également pesantà partir du centre dans toutes les directions ; car il ne peut pasêtre plus grand ou plus petit en un lieu qu'en un autre. Car iln'est rien qui puisse l'empêcher de s'étendre également, et riende ce qui est ne peut être plus ici et moins là que ce qui est,puisque tout est inviolable. Car le point à partir duquel il estégal en tous sens tend également vers les limites. —R. P. 120.
La Voiede l'Opinion.
Je clorai ici mon discours digne de confiance et mes penséessur la vérité. Dès ici, apprends à connaître les opinions desmortels, prêtant l'oreille à l'ordre décevant de mes paroles.
Les mortels ont résolu de nommer deux formes, dont ils nedevraient pas nommer l'une4, et c'est en ce point qu'ils s'écar-
' Simplicinslisait certainement: |MJiiv 8'àvnavtôçtîtito, ce qui estmétrlquemcntimpossible.J'ai suivi ltergk en supprimantJATJ,et aiinterprétéavecZeller.VoiraussiDiels.
*Sur la constructionde ïo« vostv,voir plushaut, p. 200,n. 3.8Commele fait justement remarquer Diels, l'ionien çanCttvest
l'équivalentde ovojxâÇttv.Lapenséeest, me semblc-t-il,celle-ci: nouspouvonsnommerleschosescommeil nous plaît, mais il nepeut pasy avoir de penséecorrespondantà un nomqui ne soit pas le nom dequelquechosede réel.
*C'estainsique Zellerentendces mots,et il meparaît toujoursquec'est la meilleuremanièrede les entendre.Diels, lui aussi, traduitmaintenant(2*éd.desVors.):«vondenenmannbercincnichtbenennensolltc.» L'emploide plav pour ÎTJVétépavest parfaitementlégitimequandon insistesur le nombre.C'estainsi qu'Aristotcdoitégalementavoir comprislaphrase,car il infèrequ'unedesp.optpatdoit être iden-tifiéeavecto tôv.
204 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
tent de la vérité. Ils les ont jugées opposées quant à la forme,et leur ont assigné des marques différentes les unes des autres.Al'une, ils accordent le feu du ciel, qui est doux, très léger,pareil à lui-même en tous sens, mais non le même que l'autre.L'autre est justement son contraire, c'est la sombre nuit, corpsépais et pesant. De ces choses, je t'annonce tout l'arrangement,comme il semble probable, car ainsi aucune pensée de mortelne te surpassera jamais. —R. P. 121.
9. Maintenant, puisque toutes choses ont été nomméeslumièreet nuit, et que les nomsqui appartiennent à la puissance de cha-cune ont été assignés à ces choses-ci et à celles-là, toute choseest pleine a la fois de lumière et de sombre nuit, toutes deuxégales, puisqu'aucune n'a rien à faire avec l'autre.
10, 11.Et tu connaîtras la substance du ciel, et tous les signesque renferme le ciel, et les effetsresplendissants du pur flambeaudu soleil, et d'où ils prennent naissance. Et tu apprendras éga-lement les oeuvres vagabondes de la lune à face arrondie, et sasubstance. Tu connaîtras aussi les cieux qui nous entourent,d'où ils sont nés, et comment la Nécessité les a saisis et les aforcés de garder les limites des astres... comment la Terre, et leSoleil et la Lune, et le Ciel qui est commun à tous, et la Voielactée, et l'Olympe le plus reculé, et la force brûlante des étoilesont pris naissance. —R P. 123,124.
12.Les anneaux plus étroits sont remplis de feusans mélange,et ceux qui viennent après, de nuit, et au milieu de ceux-ci serépand leur portion de feu. Au milieu de ces cercles, est ladivinité qui dirige le cours de toutes choses; car elle est leprincipe de toute naissance douloureuse et de toute génération,poussant la femelle dans les embrassements du mâle, et le mâledans cens de la femelle. —R. P. 125.
13.Av:;nttous les autres dieux, elle a créé Eros. — R. P. 125.14.Brillant la nuit d'une lumière empruntée', et errant au-
tour de la Terre.15.Toujours regardant du côté des rayons du Soleil.
- 16.Car, tout de même que la .pensée trouve en tout temps lemélange de ses organes errants, ainsi en est-il des hommes; carce qui pense est le même, à savoir la substance des membresdans chaque et tout homme; car leur pensée est ce de quoi il ya le plus en eux*.—R. P. 128.
1Notezla curieuseassonanceà Iliade, V,214.Empédoclel'a aussi(v.154).Celaparaitêtre une plaisanterie,faitedans l'esprit de Xéno-phane,quandon eut découvertpour la premièrefoisque la lunebril-lait d'une lumièreréfléchie.
3Cefragmentde la théoriede la connaissance,quiétait exposéedans
PARMÉNIDED'ELÉE 205
17.A droite les garçons; à gauche les filles '.
19. Ainsi, selon les opinions des hommes, les choses sont ve-nues à l'existence et ainsi elles sont maintenant. Au cours dutemps, elles croîtront et seront détruites. Achacune de ces cho-ses, les hommes ont assigné un nom déterminé. —R. P. 129b.
LXXXVI. — «CELAEST.»
Dans la première partie de son poème, nous voyous Parmé-
nide préoccupé surtout de prouver que 1/ est; mais il n'est
pas tout à fait évident à première vue ce qu'est ce il qui est.Il dit simplement : Ce qui est, est. Pour nous, cela ne nous
parait pas très clair, et pour deux raisons. Tout d'abordnous ne songerions jamais à en douter, et nous ne pouvons,par conséquent, comprendre pourquoi cela nous est affirméà tant de reprises et avec tant de vigueur. En second lieu,nous sommes habitués à toutes sortes de distinctions entreles différentes espèces et les différents degrés de réalité, etnous ne voyons pas desquels Parménide entend parler.Mais pareilles distinctions étaient tout à fait inconnues àson époque. «Ce qui est» , pour lui, c'est premièrement ce
que, dans le langage populaire, on appelle matière ou corps ;seulement, ce n'est pas fa matière en tant que distinguéed'autre chose. Elle est certainement regardée comme éten-due dans l'espace, car la forme sphérique lui est tout à faitsérieusement attribuée (frg. 8). De plus, Aristote nousdit que Parménide ne croyait à rien si ce n'est à une réalitésensible, ce qui ne signifie pas nécessairement pour luiune réalité actuellement perçue par les sens, mais inclut
*la secondepartie du poèmede Parménide, doit être interprété enconnexionavecce que nousdit Théophrastedans le «fragmentsur lasensation» (Dox.p. 499;cf.p. 224).Il appert de là qu'il disait que lecaractèredela penséede l'hommedépendaitde la prépondérancedel'élémentlumineuxou de l'élémentsombredans le corps.L'hommeest sagequand l'élément lumineuxprédomineet insenséquand lesombreprendle dessus.
1Ceciest un fragmentde l'embryologiede Parménide.Le frg. 18deDiels(non reproduitdans les Vors.)est une rctraductiondes hexa-mètreslatinsde CazliusAurclianus,citésR. P. 127a.
206 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
tout ce qui pourrait être ainsi perçu si les sens étaient plus
parfaits qu'ils ne sont*. Parménide ne dit nulle part un seulmot de l'«être»*. L'assertion que i7est revient précisémentà dire que l'univers est un plénum, et qu'il n'existe aucunechose telle que l'espace vide, ni à l'intérieur ni à l'exté-rieur du monde. Il suit de là qu'il ne peut y avoir aucunechose telle que le mouvement. Au lieu d'assigner à TUnune tendance au changement, comme l'avait fait Heraclite,et de rendre ainsi possible l'explication du monde, Parmé-nide écarte le changement, oit il ne voit qu'une illusion. Ilmontra une fois pour toutes que si l'on envisage l'Un
sérieusement, on est obligé de nier tout le reste. Toutes lessolutions précédentes de la question avaient donc manquéle but. Anaximène, qui pensait sauvegarder l'unité de lasubstance primordiale par sa théorie de la raréfaction etde la condensation, ne se rendait pas compte qu'en admet-
tant qu'il y avait moins en un lieu qu'en un autre de ce quiest, il affirmait virtuellement l'existence de ce qui n'est
pas (frg. 8). L'explication pythagoricienne impliquait quel'espace vide ou air existait en dehors du monde, et qu'ilentrait dans celui-ci pour en disjoindre l'unité (§53). Celaaussi suppose l'existence de ce qui n'est pas. La théoried'Heraclite n'est pas plus satisfaisante, car elle est basée
>Arist. deCiclo,V1,293b21; txtî-<Mîi (oliriplMiXtsoôvtt xe'tITaput-vîiijv)2taTOjiTjftivfiivâXXoicapàtnvTÙVais&rjTûivoùsîavûrcoXa^'îvttvttvatx.T.X.Ainsis'exprimeaussiEudemcdansle livreI desaPhysique(ap.Simpl.Phys.p. 133,25)en parlant de Parménide: xbjilvoùvxotviveuxâvXtyot.O'JîtvôptÇr.ttîtônuita totaita, dXX'ûonpovi* ttùvX&ftuvnpoijX-Otv,O'jttcmîtyoïtoav à Ttfôvtt«ntXifet.Ilû>{vàpEstaitoOto<p-fsso&tvtsonaXtc»xalta totajta; tcù21ovpavcjî(le monde)a/^tibtitâ\tt« i?app.6-cojjtvoltoiojtoiXÔ701.LesNéoplatoniciensvoyaientnaturellementdansl'Un le VOT):Ô;X&OJIOÎ-et Simpliciusappelle la sphère une «fictionmythique». Voirsurtout Dâumkcr,DieEinheitdesParnienidcischenSeienden,dans le Jahrb.f. klass.Phil., 1886,p. Ml sq.et DasProblcmder Materie,p. 50sq. ,
*Nousne devonspastraduire xôtôvpar l'être(Sein,Being).Cemotsignifiecequi est (das Seiende,Whal is). Quant à (tô)ttvat, Il ne serencontrepaset nepouvaitpasserencontrer.Voirplushaut, p.200,n.3.
PARMÉNIDED'ELÉE 207
sur cette contradiction que le feu, à la fois, est et n'est pas
(frg. 6).L'allusion à Heraclite dans les vers^tuxquels nous venons
de renvoyer a été mise en doute, quoique pour des motifs
insuffisants. Zeller fait ressortir très justement qu'Hera-clite ne dit jamais que l'Etre et le Non-Etre soient une seule
et même chose (traduction courante du frg. 6); et s'il n'yavait pas d'autre indice de la référence, celle-ci pour-rait bien paraître douteuse. Mais celte indication que, sui-
vant la vue en question, «toutes choses se meuvent dans
des directions opposées», ne peut guère se comprendred'autre chose que du « sentier en haut », et du « sentier en
bas» d'Heraclite (§71). Et, comme nous l'avons vu, Par-
ménide n'altribue pas l'opinion que l'Etre et le Non-Etre
sont identiques au philosophe qu'il attaque ; il dit seule-
ment que il est et qu'il n'est pas, à la fois le même et non
le même 1.C'est le sens naturel des mots, et il nous donne
une analyse très fidèle de la théorie d'Heraclite.
LXXXVII. — LA MÉTHODEDE PARMÉNIDE.
La grande nouveauté, dans le poème de Parménide, c'estla méthode de raisonnement. Il se demande d'abord quelleest la présupposilion commune de toutes les opinions dontil a à s'occuper, et il trouve que c'est l'existence de ce quin'est pas. La question suivante est de savoir si cela peutêtre pensé, et la réponse est que cela ne le peut pas. Si vous
pensez d'un manière quelconque, votre pensée doit s'appli-quer à quelque chose. En conséquence, il n'y a pas de rien.La philosophie n'avait pas encore appris à faire celte con-cession qu'une chose pouvait être impossible à penser etne pas moins exister. Cela seul peut être qui peut être
pensé (frg. 5); car la pensée existe en vue de ce qui est
(frg. 8).Celle méthode, Parménide l'applique avec la plus extrême
• Voirplushaut, p. 201,n. 2.
208 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
rigueur. Il nous interdit de prétendre que nous pensons ce
que nous sommes forcés de reconnaître impossible à pen-ser. Il est vrai que si.nous prenons la résolution de ne rienadmettre que ce que nous pouvons comprendre, nous enarrivons à un conflit direct avec l'évidence de nos sens,
qui nous mettent en présence d'un monde sujet au change-ment et à la destruction. Tant pis pour les sens, dit Par-ménide. A beaucoup, cela paraitra sans aucun doute uneerreur de sa part, mais voyons ce que l'histoire nous ditsur ce point. La théorie de Parménide est l'inévitablerésultat du monisme corporel, et la hardie proclamation
qu'il fait de ce résultat aurait dû détruire cette théorie à
jamais. S'il avait manqué de courage pour pousser les vues
prédominantes de son époque à leur conclusion logique et
pour accepter cette conclusion, quelque paradoxale qu'ellepût paraître, les hommes auraient continué à se mouvoirà jamais dans le cercle sans fin de l'opposition : de la raré-faction et de la condensation, de l'un et du multiple. Ce futla dialectique pénétrante de Parménide qui rendit le pro-grès possible. La philosophie devait désormais cesser dVmonistcou cesser d'être corporaliste. Elle ne pouvait cesserd'être corporaliste, car l'incorporel était encore inconnu. Ellecessa doned'étre moniste.et aboutit à la théorie atomique,laquelle, à notre connaissance, est le dernier mot de l'opi-nion selon laquelle le monde est de la matière en mouve-ment. Ayant résolu ses problèmes sur la base de ces condi-
tions, la philosophie les attaqua ensuite de l'autre côté.Elle cessa d'être corporaliste, et trouva moyen d'être unefois de plus moniste, au moins pour un temps. Ce progrèsaurait été impossible sans cette foi en la raison qui donnaà Parménide le courage de rejeter comme non vrai ce qui,pour lui, n'était pas pensable, quelque étrange que lerésultat pût être.
PARMÉNIDED'ELÉE 209
LXXXVIIL — LES RÉSULTATS.
Parménide continue à développer toutes les conséquencesdu fait qu'il a admis que i7est. Il doit être incréé et indes-
tructible. // ne peut pas être sorti du néant, car il n'existe
aucune chose qui soit le néant. // ne peut pas non plus être
sorti de quelque chose, car il n'y a place pour rien si ce
n'est pour lui-même. Ce qui est ne peut avoir à côté de lui
un espace vide dans lequel quelque chose d'autre pourraitnaitre, car l'espace vide n'est rien ; un rien ne saurait être
pensé, et par conséquent exister. Ce qui est n'est jamaisvenu à l'existence, et ce n'est pas non plus une chose quidoive venir à l'existence dans l'avenir. « Est-il ou n'est-il
pas?» S'il est, alors il est maintenant, tout d'une fois.
Que Parménide niât réellement l'existence de l'espacevide, c'était un fait bien connu de Platon. Parménide, nous
dit-il, soutenait que «toutes choses sont unes, et que l'Un
reste en repos en lui-même, n'ayant pas d'espace dans lequelse mouvoir1». Aristote est non moins clair. Dans le DeCaelo,il expose que Parménide fut amené à soutenir cette thèse
que l'Un est immobile précisément parce que personnen'avait encore imaginé qu'il y eût une réalité autre que la
réalité sensible*.
Ce qui est, est ; et il ne peut être plus ou moins. Il y en a
donc autant dans un lieu que dans un autre, et le monde
est un plénum continu, indivisible. Il en résulte immédia-
tement qu'il doit être immobile. S'il se mouvait, il devrait
se mouvoir dans un espace vide, et il n'y a pas d'espacevide. Il est enveloppé de toutes parts par ce qui est, par le
réel. Pour la même raison, il doit être fini, et ne peut rien
avoir au delà de lui. Il est complet en lui-même, et n'a nul-
lement besoin de s'étendre indéfiniment dans un espace
1Platon,Tht.180e 3: w; tv xi navrahx\ xaîntqxcvaito èvaùtwoûxïy^ovx°»pavii ftxivïtrat.
*Arist.de Cielo,l\ 1,2986 21,cité plus haut, p. 206,n. 1.
PHILOSOPHIEGRECQl'E 11
210 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
vide qui n'existe pas. Il ressort aussi de là qu'il est sphé-rique. Il est également réel dans toutes les directions, et la
sphère est la seule forme qui remplisse cette condition. S'ilen affectait n'importe qu'elle autre, il y aurait plus de luidans une direction que dans une autre. Et cette sphère ne
peut pas même se mouvoir autour de son propre axe, caril n'est rien en dehors d'elle par rapport à quoi on pourraitdire qu'elle se meut.
LXXX1X. — PARMÉNIDE,PÈREDUMATÉRIALISME.
Résumons-nous. Ce qui est est un plénum corporel fini,
sphérique et immobile, et il n'y a rien en dehors de lui.Les apparences de multiplicité et de mouvement, d'espacevide et de temps, sont des illusions. Nous voyons par là
que la substance primordiale dont les premiers cosmolo-
gues avaient fait l'objet de leurs recherches est maintenantdevenue une sorte de «chose en soi». Elle ne reperditjamais complètement ce caractère. Ce qu'Empédocle dé-nommera plus tard ses éléments, les soi-disant « homéo-méries » d'Anaxagore et les atomes de Leucippe et de Démo-crite sont exactement l'«être> de Parménide. Parméniden'est pas, comme quelques-uns l'ont dit, le «père de l'idéa-
lisme»; bien au contraire, il n'est pas de matérialisme quine dépende de sa conception de la réalité.
XC. — LES CROYANCESDES« MORTELS».
On dit communément que, dans la seconde partie deson poème, Parménide offrait une théorie dualiste de
l'origine des choses, et que c'était sa propre explicationconjecturale du monde sensible, ou que, comme le dit
Gomperz, [« ce qu'il expose [dans ses Opinions des Mortels,ce ne sont pas simplement les opinions des autres, mais
encore les siennes propres, pour autant qu'elles ne repo-sent pas sur le fondement inébranlable d'une prétendue
PARMÉNIDED'ELÉE 211
nécessité philosophique*». Or il est vrai qu'Aristote parait
approuver quelque part une opinion de cette nature, maisce n'en est pas moins un anachronisme*. Et ce n'est d'ail-leurs pas l'opinion réelle d'Aristote. Il se rendait parfaite-ment bien compte que Parménide n'admettait à aucun
degré l'existence du «Non-Etre»; mais c'était une manièrenaturelle de parler que d'appeler la cosmologie de laseconde partie du poème celle de Parménide. Ses audi-teurs comprenaient sans doute immédiatement dans quelsens il fallait l'entendre. En tous cas, la tradition péripaté-ticienne était que Parménide avait voulu donner, dans laseconde partie de son poème, la croyance du « grand nom-bre ». C'est ainsi que Théophraste expose la question, etAlexandre semble avoir parlé de la cosmologie commed'une chose que Parménide lui-même regardait commeentièrement fausse*. L'autre vue vient des Néoplatoni-ciens, et spécialement de Simplicius, qui regardait trèsnaturellement la Voiede la Vérité comme un exposé duinonde intelligible, et la Voie de POpinion comme une
description du sensible. Il est à peine besoin de dire quec'est là un anachronisme presque aussi grand que le paral-lélisme kantien suggéré par Gomperz*. Parménide lui-
1Penseursde la Grèce,I, p. 194.>Met.A,5.986b31(R. P. 121a ; DV18A 24).LafaçondontAristote
expose la question est due à son interprétation du frg. 8, qui,selon lui, signifieque l'une des deux«formes» doit être identifiéeavecTÔôv,et l'autreavectô pi)ôv.Cf.Gen.Corr.A,3. 318b 6 (DV65A42): ûsmpflapjxtvtîrjçXtytt8ûo,tb ôvxalxôpi)8vttvatçjsxuv.Cette der-nière phrase montre clairementque lorsqu'Aristotcdit : ITapjitvtÎTjç,il entendce que nous appellerions«Parménide». Il ne peut pas avoirsupposéque Parménideadmît l'existencedu pj)ôvdans un sensquel-conque(cf. Platon,Soph.241d 5).
»Theophr.Phys. Op.frg. 6 (Dox.p. 482; R. P. 121A; DV18A 7):xatà 8ô$avil TÛVnoXXffivtte tô flvtatvànoîoOvatTÔV«patvofiivcovôûonotôvta; àpxâç-Sur Alexandre,cf. Simpl.Phys. p. 38,24.
« Simpl.Phys. p. 39,10(R.P. 121b; DV18A34).Gomperz,Penseursdela Grèce,p. 194.Ed. Meyerdit (Gesch.des Altert.IV,§510,note):«Comments'imagineraussiqu'unmaîtredesagessen'enseignâtrien àses élèvessur la façondont ils devaientenvisagerle mondesensible,mêmesi ce monden'était qu'une illusion?»Ceciimplique:(l)que la
212 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
même nous dit dans le langage le plus net qu'il n'y a pasde vérité du tout dans la théorie qu'il expose, et il la donne
simplement pour la croyance des « mortels ». Ce fut là ce
qui conduisit Théophraste à en parler comme de l'opiniondu « grand nombre ».
Son explication, cependant, quoique préférable à celle
de Simplicius, n'est pas non plus convaincante. Le « grandnombre » est aussi loin que possible de croire à un dua-lisme nettement formulé, tel que l'exposait Parménide, etc'est une hypothèse hautement artificielle que de prêter àcelui-ci l'intention de montrer comment la conceptionpopulaire du monde pouvait le mieux être systématisée.Le « grand nombre » aurait difficilement été convaincu de
son erreur si on lui eût présenté ses croyances sous une
forme qu'il n'eût certainement pas reconnue. Cette inter-
prétation, en vérité, parait la plus incroyable de toutes.Elle trouve cependant encore des adhérents', de sorte qu'ilest nécessaire de faire ressortir que les opinions en ques-tion sont appelées « opinions des mortels » simplementparce que c'est une déesse qui les expose. Il y a lieu de
noter, en outre, que Parménide interdit deux voies de
recherche, et nous avons vu que la seconde de ces voies,
qui est expressément aussi attribuée aux « mortels », doitêtre le système d'Heraclite. Nous pouvons donc sûre-ment nous attendre à trouver que l'autre voie était aussi le
système de quelque école contemporaine, et il sembledifficile d'en découvrir une d'importance suffisante, à partla pythagoricienne. Or il est admis de chacun qu'il y a desidées pythagoriciennes dans la seconde partie du poème,et il est par conséquent à présumer, en l'absence de preuvesdu contraire, que tout le système vient de la même source.Il ne semble pas que Parménide ait dit, relativement à
distinctionentre l'apparenceet la réalitéavait été clairementperçue,et (2)que l'onconcédaità l'apparenceunecertainevéritéhypothétiqueet relative.Cesont là de palpablesanachronismes.Cesdeuxopinionssont platoniciennes,et Platon ne les exprimemêmepas encore danssespremiersécrits.
PARMÉNIDED'ELÉE 213
Heraclite, rien de plus que les mots auxquels nous avonsfait allusion, et dans lesquels41 interdit la seconde voie derecherche. Il implique, en vérité, qu'il n'y a réellement
que deux voies imaginables, et que la tentative faite parHeraclite pour les combiner était futile*. En tous cas, les
Pythagoriciens étaient de bien plus sérieux adversaires enItalie à celte date, et c'est certainement à leur égard quenous devrions nous attendre à voir Parménide préciser son
altitude.On peut cependant encore se demander pourquoi il
aurait pris la peine de formuler en hexamètres une con-
ception qu'il estimait fausse. Ici, il devient important de
rappeler qu'il avait été lui-même Pythagoricien, et que le
poème est un désaveu de ses propres croyances. En pareilcas, les hommes sentent communément la nécessité demontrer en quoi leurs anciennes opinions étaient erronées.La déesse lui dit qu'il doit apprendre aussi de ces opinions« comment les hommes auraient dû juger que les choses
qui leur apparaissent étaient réellement*». Jusqu'ici, celaest clair; mais cela n'explique pas complètement la ques-tion. Nous trouvons un nouvel indice dans un autre pas-sage. Il doit apprendre ces croyances « pour qu'aucuneopinion des mortels ne puisse jamais triompher de lui »
(frg. 8). Si nous nous souvenons qu'à celte époque le
système pythagoricien n'était transmis que par tradition
orale, nous verrons peut-être ce que cela signifie. Parme-
1 Cf. frg. 4 et 6, et spécialementles mois: aînspôîoljioùvat*,iÇréoté{liai voijsat.Latroisièmevoie,celled'Heraclite,n'est ajoutéeque commepenséesubséquente—aCxàpintix'àr.bTij;x.T X.
*Je lis ^pijvîoxtjiû;'tîvat au frg. 1, avec Diels, mais je ne puisaccepter sa traduction: «wie man liei griiiullichcr Durchforschungnnnehmenmùsstc,dass sich jenes Scheinwcsenverhalle.» Il faut, jecrois,prendre ^pijvïoxtjit&sat(i. c. îoxtuaoattout à fait strictement, etypfjVavecl'infinitifsignifie«auraient dû ». Le sujet le plus naturel del'infinitif en ce cas est {Ipotovî,taudisque tîvatdoit dépendrede îoxt-[îôoai,et avoir pour sujet xà ÎOXOVVTB.Celtemanière d'interpréter estconfirméepar le frg.8 : TÛVjiîavoùyptiv tattv, s o-j l'entend commeje l'entends avecZeller.Voir plus haut, p.203,n. i.
214 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
nide fondait une école dissidente, et il était tout à faitnécessaire pour lui d'instruire ses disciples du systèmequ'ils pouvaient être appelés à combattre. En tous cas, ilsne pouvaient pas le rejeter d'une manière intelligente sansle connaître, et, à celte connaissance, Parménide avait à
pourvoir lui-même'.
XCI. — LA COSMOLOGIEDUALISTE.
La thèse que la seconde partie du poème de Parménide
était une esquisse de la cosmologie pythagoricienne con-
temporaine n'est sans doute pas susceptible d'être rigou-reusement démontrée, mais elle peut, je crois, être amenée
à un très haut degré de probabilité. L'histoire entière du
Pythagorisme jusqu'à la fin du Ve siècle est certainement
conjecturale ; mais si nous rencontrons chez Parménide
des idées sans relation aucune avec sa propre conceptiondu monde, et si nous trouvons précisément les mêmesidées dans le Pythagorisme postérieur, la conclusion la
plus naturelle qu'on puisse tirer du fait sera sûrement queles Pythagoriciens postérieurs dérivaient ces idées de leurs
prédécesseurs, et qu'elles faisaient partie du fonds originel
*L'idéeque les opinionscontenuesdans la secondepartie sontcellesdes autres, et ne sont donnéesen aucun sens commevraies, est deDiels.LesobjectionsdeWilamowitz(Hermès,XXXIV,p. 203sq.)ne meparaissentpasconcluantes.Sinous l'entendonsbien,Parménideneditjamais que «cetteexplicationhypothétiquesoit.... meilleureque cellede n'importequi d'autre,o(E.Meycr,IV,§510,note.)Cequ'ildit, c'estque cette explicaKn est entièrement fausse. Il me sembletoutefoisque Diels a affaibli sa cause en refusant d'identifierla théorie iciexposéeavecle Pythagorisme,et en la rapportantsurtoutà Heraclite.Heracliten'était notoirementpas un dualiste,et je ne puism'imaginerque le représentercommeteleûtétémêrr>ecequeDielsappelleune«ca-ricature» de sa théorie.Lescaricaturesdoiventavoir quelquespointsde ressemblance.Je suis encoreplus surpris devoirquePatin,qui faitde tvnavrattvatla pierreangulairede l'Héraclitisme,ait adoptécetteopinion(Parmenidesim KampfegegenHeraklit,1899).E. Meycr,toc.cit., semblepenserque siZenona modifiéla 8ô£otde Parménidedansun sensempédoeléen(Diog.IX,29; R. P. 140),celaprouvequ'elleétaitsupposéerenfermerune part de vérité. Toutau contraire,si celaétaitvrai, cela prouveraitseulementque Zenon avait à combattred'autresadversairesque Parménide.
PARMÉNIDED'ÉLÉE 215
de la société à laquelle ils appartenaient. Cela ne sera queconfirmé si nous constatons qu'elles sont des développe-ments de certains traits de la cosmologie ionienne. Pytha-gore venait de Samos, qui fut toujours dans les rapportsles plus étroits avec Milet ; et ce ne fut pas, pour autant
que nous pouvons nous en rendre compte, dans ses vues
cosmologiques qu'il déploya surtout son originalité. Nous
avons déjà fait remarquer plus haut (§ 53) que l'idée de la
respiration du inonde provenait d'Anaximène, et nousne devrions pas être surpris de trouver aussi chez lui destraces d'Anaximandre. Or, si nous en étions réduits à ce
qu'Aristote nous dit sur ce sujet, il serait presque impossi-ble de se former un jugement; mais les indications qu'ilfournil demandent, comme d'habitude, à être examinéesavec un soin particulier. Il dit, en tout premier lieu, queles deux éléments de Parménide étaient le Chaud et leFroid '. Sur ce point, il est justifié par les fragments en cesens que, du moment que le feu dont parle Parménide est
évidemment chaud, l'autre « forme », qui a toutes les qua-lités opposées, doit de toute nécessité être froide. Néan-
moins, l'emploi habituel des termes « le chaud » et « le
froid » est une accommodation au propre système d'Aris-tote. Chez Parménide lui-même, ils étaient simplementune couple d'attributs parmi d'autres. t
Plus trompeuse encore est l'identification que fait Aris-tote de ces attributs avec le Feu et la Terre. Il n'est pas toutà fait certain qu'il ait voulu dire que Parménide lui-mêmefaisait cette identification; mais, en somme, il est très pro-bable qu'il l'a voulu, et Théophraste l'a certainement suivien cela*. C'est une autre question de savoir si cela est
«Met.A,5. 986b 34(DV18A24):ôtpjiivxal^XP»yïPhlJs-A>5«188»20(DV18B8); Gen.Corr.A, 3. 318b 6 (DV55 A 52); II, 3. 330b 14(DV 18A35).
» Phys. A, 5. 188o 21(voir note précédente): raOra8Ï (f/tptièvx««JttXpôv)npooaYoptûttnOpxalfijv; Met.A,5. 986b 34(v. note préc.): otovn3pxal-ftpXtvwv.Cf.Theophr.Phys.Op.frg.G(Dox.p. 482; R.P. 121a ;
216 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
exact. Simplicius, qui avait le poème devant les yeux (§85),
après avoir mentionné le Feu et la Terre, ajoute tout desuite « ou plutôt la Lumière et l'Obscurité *», et cela estassez suggestif. Enfin, l'identification, par Aristote, del'élément dense avec « ce qui n'est pas* », l'irréel de la pre-mière partie du poème, n'est pas très facile à concilier avec
l'opinion que c'est la terre. D'autre part, si nous supposonsque la seconde des deux « formes », celle qui n'aurait pasdû être « nommée », est l'air ou le vide de Pythagore, nousobtenons une très bonne explication de l'identification
qu'en fait Aristote avec « ce qui n'est pas ». Il semble donc
que nous soyons justifiés à négliger pour le moment
l'identification de l'élément de-ise avec la terre. Quandnous serons plus avancés dans notre étude, nous serons enmesure de nous rendre compte comment elle a pu prendrenaissance*. L'indication que nous donne en outre Théo-
phraste, à savoir que le Chaud était la cause efficiente et
le Froid la cause matérielle ou passive*, est assez intelli-
gible si nous les identifions respectivement avec la Limite
et l'Illimité, mais elle ne doit naturellement pas être tenue
pour historique.Nous avons vu que Simplicius, le poème de Parménide
devant les yeux, corrige Aristote en substituant la Lumière
et l'Obscurité au Feu et à la Terre, et, en cela, il est ample-ment appuyé par les fragments qu'il cite. Parménide lui-
même appelle l'une des « formes » Lumière, Flamme et
Feu, et l'autre Nuil, et nous avons maintenant à considérer
si ces deux termes peuvent être identifiés avec la Limite et
DV18A 7).(Plut.)Strom.frg.5 (Dox.p. 581; DV18A22): Xt^ttÎÏ TJJVfijvtoi nvxvo'îxarappymoîàtpo;Ytyovtvat.Zeller,p. 568,n. 1.
«Phys. p. 35,15(DV18A 34): iaçHaputv'.îr.îivTOλnpôîïo£avnUpxa'tTfV(>}p-âXXovçûçxalsxotot).
3Met.A, 5.986b 35: TOJTWVII xaxàpèvxbcvxbDcpp-ivtaxTct,dàrtpovit xatàTÔurjôv.Voirplus haut, p. 211,n. 2.
s Voirplus loin,chap.VII,§147.*Thcophr.Phys. Op.frg. 6 (Do.r.p. 482; R. P. 121o; DV13A7),
suivipar lesdoxograplies.
PARMÉNIDED'ELÉE 217
l'Illimité de Pythagore. Nous avons trouvé (§58) de bonnes
raisons de croire que l'idée du monde qui respire apparte-nait à la forme la plus ancienne du Pythagorisme, et il ne
peut y avoir aucune difficulté à identifier celte « haleine
illimitée » avec l'Obscurité, qui tient très bien la place de
l'Illimité. L' « air » ou humidité était toujours regardécomme l'élément sombre '. Et ce qui donne à la vagueobscurité un caractère déterminé, c'est certainement lalumière ou feu, et cela peut nous rendre compte du rôle
prépondérant donné à cet élément par Hippasos*. Nous
pouvons donc conclure avec probabilité que la distinc-
tion pythagoricienne entre la Limite et l'Illimité, que nous
aurons à considérer plus tard (chap. VII), fit sa premièreapparition sous cette forme grossière. Si, d'autre part, nous
identifions l'obscurité avec la Limite, et la lumière avec
l'Illimité, comme le font la plupart des critiques, nous
nous heurtons à d'insurmontables difficultés.
XCII. — LES CORPSCÉLESTES.
Nous devons maintenant examiner les vues cosmiques
générales exposées dans la seconde partie du poème. Les
fragments sont maigres, et la traditiondoxographique diffi-
cile à interpréter; mais nous avons des éléments suffisants
pour montrer qu'ici encore nous sommes en terrain pytha-goricien. Toute discussion du sujet doit partir de l'impor-tant passage d'Aéliusque voici :
Parménide soutenait qu'il y avait des couronnes se croisantles unes les autres* et s'enccrclant l'une l'autre, formées respec-
1Notezl'identificationde l'élémentdense avec l'«air » dans (Plut.)Strom.,cité p. 215,n. 2; et pour l'identificationde cet «air» avecl'« humiditéet l'obscurité», cf. chap. I, §27, et chap. V, S 107.Il y alieu de remarquer,en outre,que Platonplacecette identificationdansla bouched'un Pythagoricien(Tint.52d).
»Voir plus haut, p. 123.* Il parait très probableque tnaXXfjXovïsignifieici «se croisant les
unes les autres» comme la Voielactée croise le Zodiaque. Le mottnaXXvjXo;est opposéà napaXXvjXo;.
218 L'AUROREDBLAPHILOSOPHIEMECQUE
tivcmcnt de l'élément rare et de l'élément Jcnse, et qu'en»;.*celles-ci il y en avait d'autres, formées d'ut; mélange do lumièreet d'obscurité. Ce qui les environne toutes est solide commeune muraille, et dessous il y a une couronne de feu. Ce :,»>'sotrouve au milieu de toutes les couronnes est solide aj'ssi etentouré également d'un cercle de feu. Le cercle central descouronnes mixtes est la cause du mouvement et du devenirpour tout le reste. Il l'appelle « la Divinité qui dirige leurcours», la «Gardienne des Lots» et la « Nécessité ». Aét. II. 7.1(R.P. 126; DV18A 37).
XCI1I. — LESCOURONNES.
La première chose, que nous ayons à observer, c'est
qu'on est tout à fait injustifié à tenir ces c couronnes »
pour des sphères. Le mot axfywou peut signifier « bords »
ou «ourlets » ou quelque chose d'analogue, mais il semble
incroyable qu'il puisse être employé pour désigner des
sphères. Il ne paraît pas, non plus, que le cercle solide quientoure toutes les couronnes doive être regardé comme
sphérique. L'expression « comme une muraille » lie serait
pas du tout appropriée en ce cas. Nous sommes donc,semble-t-il, en présence d'une chose qui rappelle les« roues » d'Anaximandre, et il est certainement très proba-ble que c'est à Anaximandre que Pythagore a pris celtethéorie. Et nous ne sommes pas sans indices portant àcroire que les Pythagoriciens se faisaient une idée de ce
genre des corps célestes. Dans le mythe d'Er, de Platon,
qui est à coup sûr pythagoricien dans ses grandes lignes,nous n'entendons pas parler de sphères, mais des « bords»d'anneaux concentriques ajustés les uns aux autres commeune pile de boîtes '. Même dans le Timée, il n'y a pas de
sphères, mais des bandes ou rebords se croisant les unsles autres à un certain angle *. Enfin, dans l'hymne homé-
rique à Ares, qui parait avoir été composé sous une
1Rep. X, 616d 5: xaDântp1ol xaîotol ti; dXX^Xou;âpji-ÔTtovxiî; e 1:
XÛXXOJÎâvtodtvTaX'î 1)"?at>ov?aç(ujovîJXov;).* Tint.36b 6: Tatîtijvoîv TTJVoiowwtvna"sav8tn*ijvxatà p-i|xo;oyîaaç,
PARMÉNIDED'ELÉE 219
influence pythagoricienne, le mot employé pour dési-
gner l'orbite de la planète est «VTVÇ,qui doit signifier« bord »*.
Le fait est qu'il n'y a en réalité aucune preuve qu'un
philosophe quelconque ait jamais adopté la théorie des
sphères célestes jusqu'à ce qu'Aristote ait transformé en
choses réelles la construction géométrique imaginée parEudoxe « pour sauver les apparences » (aoSÇcivTOC
yaivojptevot)'.Apartir de ce temps, nous entendons parler de
sphères à tout propos, et il était naturel que des écrivains
postérieurs les attribuassent à Pythagore, mais ce n'est pasune raison de faire violence au langage de Parménide, et
de transformer ses « couronnes » en quoi que ce soit de
cette sorte. A cette date, les sphères n'auraient servi à
expliquer rien qui ne pût être expliqué plus simplementsans elles.
On nous dit ensuite que ces « couronnes » s'encerclentles unes les autres ou se croisent les unes les autres, et
qu'elles sont faites de l'élément rare et de l'élément dense.
Nous apprenons en outre qu'il y a entre elles des « cou-
ronnes mixtes », faites de lumière et d'obscurité. Or il y a
lieu d'observer, premièrement, que la lumière et l'obscu-
rité sont exactement la même chose que le rare et le dense,
pt9i)vnpô; p-ÉojjvéxaupavàXX^XatçotovytX(la lettre X)npoa^aXûvxerct-xaji|îv etçtvxûxXo.
• Hymneà Ares,6 :
nupavmax-JxXovtXtsatuvaîdtpo;tnianôpotctviTtîptstv,tv&aot n&XotÇafXtvit;tptTaTï]îûnipavwyo;aîtviyoïn-
Lest ainsi que, par allusiona une opinionessentiellementpythago-ricienne,Proclusdit à la planèteVénus(H. IV,17):
t'rt xalir.xàxJxXtuvûnipâvTVja;aî&tpavaîttc.»Sur les sphèresconcentriquesd'Eudoxe, voir Dreycr, Planelary
Systems,chap. IV. Malheureusement,l'analyse donnéedans cet ou-vragede l'astronomiede Platon est tout à fait inadéquate,par suitedel'excessiveconfiancequ'avaitl'auteur en lioeckh,lequelfut amenépardes témoignagesgénéralementregardésaujourd'huicommesansvaleur,à attribuer toute l'astronomiede l'Académieà ses prédécesseurs,etspécialementà Philolaos.
220 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
et il semble qu'il y ait quelque confusion ici. On peut sedemander si ces indications sont basées sur un autre texte
que celui du fragment 12, qui pourrait certainement signi-fier qu'entre les couronnes de feu il y avait des couronnesde nuit, contenant une portion de feu. Cela peut être vrai,mais je pense qu'il est plus naturel d'interpréter ce passageen ce sens que les cercles plus étroits sont entourés pardes cercles de nuit plus larges, chacun avec sa portion defeu affluant à son centre. Ces derniers mots seraient alorsune simple répétition de l'indication que les cercles plusétroits sont remplis d'un feu sans mélange 1, et nousaurions une reproduction tout à fait exacte du systèmeplanétaire d'Anaximandre. Il est cependant possible, quoi-que moins probable, à mon avis, que Parménide repré-sentât l'espace entro les cercles comme occupé par desanneaux semblables, dans lesquels le feu et l'obscuritéétaient mélangés, au lieu que le feu y fût enfermé dansl'obscurité.
XCIV. — LA DIVINITÉ.
«Au Milieu de ceux-ci, dit Parménide, se trouve laDivinité qui dirige le cours de toutes choses. » Selon
l'explication d'Aélius, c'est-à-dire de Théophraste, celaveut dire: au milieu des couronnes mixtes, tandis que,d'après la déclaration de Simplicius, cela signifie : aumilieu de toutes les couronnes, soit au centre du monde *.II est très probable qu'ils n'avaient ni l'un ni l'autre demeilleure autorité à l'appui de leur opinion que les motsde Parménide, que nous venons de citer, et ils sont ambi-
gus. Simplicius, ainsi que cela ressort clairement des
1Pareillerépétition(naXtvipotua)est caractéristiquede tout stylegrec, mais la répétitionqui se trouve à la fin de la période,ajoutegénéralementune nouvelletoucheà l'indicationdu début.Lanouvelletouche est donnéeici par le mot terat. Je n'insistepas trop sur cetteinterprétation,quoiqu'elleme semblede beaucoupla plus simple.
* Simpl.Phys. p.34,14(H.P. 125b; DV18A37).
PARMÉNIDED'ÉLÉE 221
expressions dont il se sert, identifiait la divinité avecl'Heslia pythagoricienne ou feu central, tandis que Théo-
phraste ne pouvait le faire parce qu'il savait et soutenait
que Parménide tenait la terre pour sphérique et la plaçaitau centre du mondel. Dans ce même passage, on nous
affirme que ce qui se trouve au milieu de toutes les cou-
ronnes est solide. Les données fournies par Théophrasteexcluent en fait absolument l'identification de la divinité
avec le feu central. Nous ne pouvons dire que ce qui est au
milieu de toutes les couronnes est solide, et que, au-dessousde cela, il y a de nouveau une couronne de feu *. Il ne sem-
ble pas non plus convenable de reléguer une divinité au
milieu d'une terre sphérique et solide. Il nous faut essayerde trouver pour clic une place ailleurs..
Aélius nous dit en outre que cette divinité était appeléeAnaukè, et la t<gardienne des lots*». Nous savons déjà
qu'elle dirige le cours de toutes choses, c'est-à-dire qu'ellerègle les mouvements des couronnes céle.-'es. Simpliciusajoute, malheureusement sans citer les termes mêmes de
Parménide, qu'elle envoie les âmes tantôt de la lumière au
«Diog.IX,21(R. P. 126a).1Je nediscutepas l'interprétationde ntp'tl nâXtvnjp&îi};,queDiels
a donnéedansson Parmenides'Lehrgcdicht,p. 104,et qui est adoptéedans R.P. 162a, puisqu'en fait il l'a maintenant rétractée. Dans lasecondeédition de ses Yorsokratiker(p. 111),il lit : xal tô psaaiTaTOVnastnvottptiv,<0ç <î> nâXtvnapiiijï [se. ottjâvij].C'est une flagrantecontradiction.Il est intéressantd'observerque M.Adampénètreaussidansl'intérieurde la terre dans son interprétationdu mythed'Er. Celaest instructifaussi parce que cela montre que nousavons réellementa(Taire nu mêmeordre d'idées. La tentative la plus héroïquequ'on aitfaitepour sauverle feu centralpour Pythagorea été mapropre hypo-thèse d'une terre annulaire (1«éd., p. 203).Elle a été raillée commeellele méritait,et pourtantc'est la seulesolutionpossibledu problèmetel qu'il est posé.Nousverronsau chap.VII que le feu central appar-tient au dernier stadede développementdu Pythagorisme.
* R. P. 126,où l'ingénieusecorrectionde Fûllebom, xX^îoV/ovpourxXrjpoOxovest tacitement adoptée. (Jettecorrectionest baséesur l'opi-nion qu'Aétius (ou Théophraste)pensait à la divinité qui garde lesclefsdans le prologuedu poème(frg.1, 14).Je pensemaintenant queles xXftpotdu mythe d'Er sont Savraie explicationdu nom. Philonemploiel'expressionxXrjpotyo;»iéj.
222 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
monde invisible, tantôt du monde invisible à la lumière 1. Ilserait difficile de décrire plus exactement ce que fait la divi-nité dans le mythe d'Er, et ainsi, une fois de plus, il semble
que nous soyons sur le terrain pythagoricien. Il y a lieu denoter en outre qu'au fragment 10 nous voyons commentAnankè prit les cieux et les força de garder le cours déter-miné des astres, et qu'au fragment 12 nous sommes avertis
qu'elle est l'auteur de tout rapprochement des sexes et detoute naissance. Enfin, au fragment 13,nous voyons qu'ellecréa Eros avant tous les autres dieux. Les parallèles mo-dernes sont dangereux, mais on ne va réellement pas bienau delà de ce qui est écrit en disant que cet Eros est laVolonté de Vivre, qui conduit à des renaissances succes-sives de l'àme. Ainsi nous trouverons qu'il y a, dans Em-
pédocle, un ancien oracle ou décret qui fait tomber lesdieux et les oblige à s'incarner dans un'cycle de nais-sances*.
Nous serions donc plus certains de la place qu'occupe ladivinité dans l'univers si nous savions d'une manière toutà fait sûre où siège Anankè dans le mythe d'Er. Sans vou-loir soulever ici cette question très discutée, nous pouvonsdéclarer avec quelque confiance que, suivant Théophraste,elle occupait une position intermédiaire entre la terre et leciel. Que nous croyions ou non aux « couronnes mix-tes », cela ne fait aucune différence à cet égard ; car l'in-dication d'Aétius, suivant laquelle elle était au milieu descouronnes mixtes, implique sans aucun doute qu'elleétait dans celte région. Or, elle est identifiée avec une descouronnes dans un passage quelque peu confus de Cicé-ron *, et nous avons vu plus haut (p. 70) que toute la
1Simpl.Phys, p.30,19: xal tac 4"->X<^idpntivnott plv it TOOtp.fa-voOçtic to dttîilt(i.e.Mit), notl il dfvditaXtv«pijotv.On relieraitceciavecquelqueprobabilitéà l'indicationdeDiogèneIX,22(R.P. 127)suivantlaquelleleshommesnaquirentdu soleil(si on lit ^Xtouaveclesmssaulieu de la conjecturetXûofde l'éditiondeBâle).
1Empédocle,frg. 115.*Cicéron,Denat. D. 1,11,28: «NamParmcnidcsquidemcommeu-
PARMÉNIDED'ELÉE 223
théorie des roues ou des couronnes fut probablementsuggérée par la Voie lactée. Il me semble donc que nousdevons nous représenter la Voie lactée comme une cou-ronne intermédiaire entre celles du soleil et de la lune, et
cela s'accorde très bien avec la place importante qui lui
est attribuée au fragment 11. Il vaut mieux ne pas être troppositif relativement aux autres détails du système, quoi-qu'il soit intéressant de noter que suivant les uns ce fut
Pythagore, suivant d'autres Parménide qui découvritl'identité de l'étoile du soir et de l'étoile du matin. Celas'accorde exactement avec notre conception générale du-
système *.A part cela, il est parfaitement certain que Parménide
exposait encore comment les autres dieux étaient nés et
comment ils tombèrent, idée que nous savons être orphi-que, et qui peut fort bien avoir été pythagoricienne. Nous
y reviendrons en étudiant Empédocle. Dans le Symposionde Platon, Agathon associe Parménide à Hésiode commenarrateur des anciens actes de violence commis par lesdieux*. Si Parménide exposait la théologie pythagori-cienne, tout cela était précisément ce que nous devionsattendre ; mais c'est une tentative, semble-t-il, vouéed'avance à l'insuccès, que de vouloir l'expliquer en partantde l'une quelconque des autres théories que nous avons
ticium quiddamcorona?similc cfficit(atttpâvijvappellat), continenteardorclucis orbem, qui cingat crelum,quem appellat deum.DNOUSpouvonsrapprochercecide l'indicationd'Aétius,II, 20,8(DV18A43):tôv»}XtovxalÎT)V<3tXr(vT)v1%TOÎfaXaÇtO'JxûxXo-jàuoxpi8i)vat.
1Diog.IX,23: xalîoxtt (Ilappitvîiijî)np&toenttpccpaxtvatTOVaÙTÔvttvat'Eontpovxal«ttostpôpov,&: «pijai4>a$t»ptvo;tv n<p.nt<J>'Anop.VTjp.ovwpcrKuv'olil nù&avôpav.Si, commele prétend Achille,le poèteIbycusde Rhc-giumavait proclamecettedécouverteavant Parménide,cela doit s'ex-pliquer par le fait que Rhcgiumétait devenule principal siège del'écolepythagoricienne.
1 Platon, Symp.195c 1. Il rassort du contexteque cesnaXatàitpày-p-ataétalentnoXXaxal0tata,car Ils comprenaientdes chosestelles quedes txT0p.alet desêtîjiof.La critique épicuriennede tout ceci est par-tiellementconservéedans Phllodèn.e,deptetate, p. 68, Gomperz;etCicéron,de Nat.D. I, 11,28(Dox.p.534;R. P. 126b).
224 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
exposées à propos de la Voie de l'Opinion. Pareilles cho-ses ne se déduisent pas naturellement de la conceptionordinaire du monde, et nous n'avons aucune raison de
supposer qu'Heraclite exposait sous cette forme ses vuessur les sentiers en haut et en bas de l'âme. Il était certai-nement d'avis que les esprits gardiens entraient dans des
corps humains; mais le caractère essentiel de sa théorie,était de donner une explication plutôt naturaliste quethéologique de ce processus. Encore moins pouvons-noustenir pour probable que Parménide ait inventé lui-mêmeces histoires pour montrer ce que la conception populairedu monde impliquait réellement si elle était correctementformulée. Nous devons exiger, je pense, que toute théoriesur le sujet rende compte de ce qui, évidemment, consti-tuait une portion considérable du poème.
XCV. — PHYSIOLOGIE.
En exposant les opinions de ses contemporains, Parmé-nide était obligé, nous le voyons par ses fragments, des'étendre assez longuement sur des questions physiologi-ques. Comme toute autre chose, l'homme est composé pourlui de chaud et de froid, et la mort est causée par la dispa-rition du chaud. Il émettait aussi de curieuses idées relati-vement à la génération. Tout d'abord, les mâles provien-nent du côté droit et les femelles du côté gauche. Lesfemmes renferment une plus grande quantité de chaud, etles hommes une plus grande de froid, opinion contre
laquelle, nous le verrons, s'élève Empédocle 1. C'est préci-sément la proportion du chaud et du froid dans les hom-mes qui détermine le caractère de leur pensée, de sorte
que les cadavres eux-mêmes, que le chaud a quittés, gar-dent la perception de ce qui est froid et sombre *.Ces ft'ag-
«Sur tout ceci,voirR.P. 127a, ainsi que Arist.de Pari. An.Il,2,«48« 28; deGen.An.à, 1.765b 19(DV18A52-51).
«Thcophr.deSens.3, 4(R. I».129;/>o.r.499;DV18A46).
PARMÉNIDED'ELÉE 225
mcnts d'information ne nous disent pas grand'cbosc consi-
dérés en eux-mêmes ; mais ils se relient de la manière la
plus intéressante a l'histoire de la médecine, et mettent enévidence le fait que l'une de ses écoles principales étaiten rapports étroits avec l'association pythagoricienne.Nous savons que Crotone était célèbre par ses docteursmême avant l'époque de Pythagore. Un Crotoniate,Démocède, était médecin de la cour du roi de Perse et
épousa la fille de Milon, le Pythagoricienl. Nous connais-sons aussi le nom d'un écrivain médical très distingué,qui vivait à Crotone dans l'intervalle qui sépare Pythagorede Parménide, et les quelques faits qu'on rapporte à son
sujet nous permettent de regarder les idées physiologiquesqu'exposait Parménide non comme des curiosités isolées,mais comme des jalons grâce auxquels nous pouvonsretracer l'origine et le développement de l'une des théoriesmédicales les plus influentes, celle qui explique la santé
par l'équilibre de facteurs opposés.
XCVI. — ALCMÉONDECROTONE.>
Aristole nous dit qu'Alcméon de Crotone* était encoreun jeune homme alors que Pythagore étail dans un âgeavancé. Le Slagirite n'affirme pas expressément, commele font des écrivains postérieurs, qu'Alcméon appartenaità l'école pythagoricienne, mais il fait ressortir que, selontoute apparence, ou bien ce médecin dériva des Pythagori-ciens sa théorie des opposés, ou que les Pythagoriciens lui
empruntèrent la leur*. Dans tous les cas, il étail intime-ment lié avec l'association, comme le prouve un des misé-
>Hérod.III, 131,137.*Sur Alcméon,voir spécialementW'aclitler,DeAlcmxoneCroloniata
(Leipzig,189G).«Arist.Met.A, 5. 986a 27(R. P. 66; DV14A 3).A« 30, Dielslit
avecune grandeprobabilité: tvîvttotîjvijXixtav<V{OÎ>ir.lvfyovT!Ibôa-fôpa.Cf.Jambl. V.Pyth. 104,où Alcméonest mentionneparmi lesaufXpovîsavttçxalpaftfjttvsavttçtèi llj&ayipanpttfjîÛTgvlot-
PHILOSOPHIEflRECQUi: "15.
226 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
râbles fragments de son livre. Celui-ci commençait commesuit : « Alcméon de Crotone, fils de Pe rithoûs, dit ceci à
Brotinos, à Léon et à Bathyilos. Relativement aux chosesinvisibles et aux choses mortelles, les dieux ont la certi-
tude; mais pour autant que les hommes peuvent infé-rer... 1» La citation se termine malheureusement de cettemanière abrupte, mais elle nous apprend deux choses.Tout d'abord, Alcméon gardait cette réserve qui distinguetous les meilleurs écrivains médicaux de la Grèce, et
secondement, il dédiait son oeuvre aux chefs de l'associa-tion pythagoricienne *.
La significaton d'Alcméon pour l'histoire de la philoso-phie gît surtout dans le fait qu'il fut le fondateur de la
psychologie expérimentale*. Il est certain qu'il regardaitle cerveau comme Je sensorium commun, découverte im-
portante à laquelle se rangèrent Hippocrate et Platon, —
tandis qu'Empédocle, Aristote et les Stoïcien? revinrent àl'idée plus primitive que celle fonction est remplie par lecoeur. Il n'y a pas de raison de douter qu'il ait fait cettedécouverte par des moyens anatomiques. Un témoignagenous permet d'affirmer qu'il pratiquait la dissection, et
quoique les nerfs ne fussent pas encore reconnus comme
tels, on savait qu'il existait certains « passages », qu'on
pouvait empêcher, par des lésions, de communiquer les
sensations au cerveau *. Il distinguait aussi entre la sensa-
1'AXxpaûuvKptuTiuvir(t>]{Tait tXtÇtIhtpîôoju'toçBpotîvojxal AîovttxatBavlûXXtp*ntp'tTÛ>Và«pavtu,v,ntpt TÛVôvrjttûv.o«fijvtiavntvdtol îx6VT!«***il àv&ptLnoïcTtxjiaîpto9atxatta itytc.Lefait quececin'est pasécrit dansle dorien conventionnel,commeles livres pythagoriciensforgés,estune fortepreuved'authenticité.
* Ilrotinos(et non Hrontinos)est tour à tour qualifiéde gendre etde beau-pèrede Pythagore.Léonest l'un desMétaponliusdu cataloguede Jambliquc(Diels,Yors.p. 268),et II est à présumerque Bathyllosest le PosidoniatcHathylaos,qui y est aussi mentionné.
*Toutcequi concernel'histoireprimitivedecettequestionestréuuiet discuté dans l'ouvragede Ikare, GrcekThéoriesof ElemenlaryCognltionfront Alcmaeonto Aristotle(1906),auquelje dois renvoyerle lecteurpour touslesdétails.
* Theophr.,de Sens.26 (Ueare,p. 252,n. 1; DV14A 5). Nousne
PARMÉNIDED'ELÉE 227
tion et l'intelligence, quoique nous n'ayons aucun moyende nous rendre compte exactement du point où il tirait la
ligne de démarcation entre elles. Ses théories sur les diverssens sont d'un grand intérêt. Nous trouvons déjà chez luice qui caractérise les théories grecques de la vision dansson ensemble, la tentative de combiner l'opinion selon
laquelle la vision est un acte procédant de l'oeil avec celle
qui l'attribue à une image reflétée dans cet organe. II savait
l'importance de l'air pour le sens de l'ouïe, quoiqu'ill'appelât le vide, par un trait bien pythagoricien. En ce
qui concerne les autres sens, nos informations sont plusmaigres, mais elles suffisent à montrer qu'il avait traité la
question systématiquement 1.Son astronomie paraît étonnamment fruste pour un
homme qui était en relations étroites avec les Pythagori-ciens. On nous dit qu'il adopta la théorie d'Anaximène surle soleil et l'explication qu'Heraclite donnait des éclipses*.11 est d'autant plus remarquable qu'on lui attribue la
paternité de l'idée qui requit plus tard toute l'autorité dePlaton pour être acceptée, à savoir que les planètes ont unmouvement circulaire dans la direction opposée à la révo-lution diurne du ciel*. S'il<en est ainsi, ce point était pro-bablement en connexion étroite avec son opinion surl'âme : elle était, disait-il, immortelle parce qu'elle ressem-blait aux choses immortelles et était toujours en mouve-ment comme les corps célestes 4. C'est à lui, en fait, que
savons,il est vrai, que par Chalcidiusqu'Alcméonpratiquait la dis-section,maisChalcidiustirait desourcesbeaucoupplus anciennessesinformationssur ces matières.Pour les nôpotet pour les inférenecstirées des lésions,nousavonsle témoignagede Théophraste.
1On trouvera les détails dans lîcare, p. 11sq. (vision); p. 93sq.(ouïe);p. 131sq. (odorat); p. 160sq. (goût); p. 180sq. (toucher).
*Aet.II, 22,4 : nXativttvatTÔvijXtov; 29,3 (DV14A4): xaxàTIJVÎOJ•xaçotiîoijotpof>JVxalTacfttptxXlett;(txXttnttvTIJVatXrjVijv).
3Aet.II, 16,2(DV14A4: TÔVuadtjitattxûvTtvt«)TOÙÇnXavqTa;Tot«dnXdvtotvàno ÎWJAÛVin' â\atoXàîdvTtçtptsftat.TOUT»21auvop-oXovttxa't'AXxpaltDV.
*Arist.deAn.A,2,405a 30(R.P. 66c; DV14et12).
"228 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
paraît remonter la curieuse théorie que Platon met dans labouche du Pythagoricien Timée, et suivant laquelle l'âmea des cercles qui ont leur révolution tout comme le ciel etles planètes. Là aussi paraît se trouver l'explication de lacause qu'il assignait à la mort : l'homme meurt parce qu'ilne peut pas joindre le commencement à la fin 1. Les corpscélestes parcourent toujours le cercle entier de leurs
orbites, mais les cercles de la tête peuvent ne pas arriver àleur achèvement. Celte nouvelle version du parallélismeentre le microcosme et le macrocosme parait parfaitementnaturelle chez Alcméon, quoiqu'elle ne soit évidemment
pour Platon qu'un jeu d'imagination.La théorie d'Alcméon, représentant la santé comme une
« isonomic », est à la fois celle qui le relie le plus claire-ment avec les premiers investigateurs tels qu'Anaximan-dre, et celle qui eut la plus grande influence sur le déve-
loppement subséquent de la philosophie.'Il observait que« la plupart des choses humaines étaient au nombre dedeux », par quoi il voulait dire que l'homme était fait dechaud et de froid, d'humide et de sec et des autres contrai-res*. La maladie était pour lui la « monarchie » de l'un oude l'autre de ces facteurs — pi*écisément ce qu'Anaximan-dre avait appelé l'« injustice », — tandis que la sanié étaitle règne, dans le corps, d'un gouvernement libre avec deslois égales pour tous*. C'était là la doctrine directrice del'école sicilienne de médecine qui prit naissance peu de
temps après, et nous aurons à considérer dans la suite soninfluence sur le développement du Pythagorisme. Avec lathéorie des «pores», elle est de la plus grande importancepour la science postérieure.
«Arist.Probl. 17,3.916ci33(DV14H2): TOÙ;dvSpti*KO-J«?*)0*tv'AXx-piatuvîià toJtodn&XX'jj&at,onoù?JvavtatTIJVàpyijvT<ptiXttnposâ'Jat.
*Arist.Met.A,6.986a 27(R. P. 66; DV14A3).3Aet.V,30.1(DV19B4): AXx{iat<>*TÏJÎutvifutaç tîvatwvtxttxîjvT»JV
taovo|itavTÛV8ivâp.ttnv,OypoO,ÇtjpoO,<}".r/poD,OtppoO,ntxpoO,yXuxioç.xatTfflvXoiittbv,TIJVi tvaÙTotc|iovapyiavvôao'inoiijm^Vfftoponotôvfàp itati-po'jpovapxtav.
CHAPITRE V
EMPÉDOCLE DAGRIGENTE
XCVIL —.PLURALISME.
La croyance que toutes choses sont une était commune ,aux philosophes que nous avons étudiés jusqu'ici ; maisParménide a montré que si celte chose unique est réelle-
ment, nous devons abandonner l'idée qu'elle puisse prendredifférentes formes. Les sens, qui nous présentent un monde
changeant et multiple, sont trompeurs. A cette conclusion,il n'y avait pas moyen d'échapper ; le temps était encoreà venir, où l'on chercherait l'unité du monde en quelquechose que, de par sa nature même, les sens ne pourraientjamais percevoir.
Nous constatons donc que, de l'époque de Parménide àcelle de Platon, tous les penseurs aux mains desquels la
philosophie fit un réel progrès abandonnèrent l'hypothèsemonistc. Ceux qui s'y tinrent adoptèrent une attitude cri-
tique et se bornèrent à défendre la théorie de Parménidecontre les opinions nouvelles. D'autres enseignèrent ladoctrine d'Heraclite sous une forme exagérée; quelques-uns continuèrent à exposer les systèmes des premiersMilésicns. Ceci, naturellement, témoignait d'un manqued'intelligence, mais même ceux des penseurs qui compri-rent qu'on ne pouvait laisser Parménide sans réponseétaient bien loin d'être égaux à leurs devanciers en forceet en profondeur. L'hypothèse corporaliste s'était révélée
incapable de supporter le poids d'une construction monistc;
230 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
mais un pluralisme intégral tel que la théorie atomiquepouvait avoir quelque valeur, sinon comme explicationfinale du monde, du moins comme conception intelligibled'une partie du monde. Mais un pluralisme qui s'arrêtedevant l'atome, comme celui d'Empédocle et d'Anaxagore,ne peut aboutir à aucun résultat durable, si nombreux clsi brillants que soient les aperçus qu'il renferme, car ilcherchera inutilement à concilier deux choses qui ne sau-raient être conciliées, et ne porrra, par conséquent, con-
duire, en se développant, qu'à des contradictions et à des
paradoxes.
XCVIII. — DATED'EMPÉDOCLE.
Empédocle était citoyen d'Agrigente, en Sicile, et d'aprèsles indications les plus sûres, son père s'appelait Méton *.Son grand-père, nommé aussi Empédocle, avait remportéune victoire aux courses de chevaux d'Olympie dans laLXXP Olympiade (496-95avant J.-C.)*, et Apollodore fixaitl'akinè du philosophe lui-même à la première année de laLXXX1V*Olympiade (444-43).C'est là la date de la fondationde Thurium, et il résulte d'une citation de Diogène qu'audire d'un biographe presque contemporain, Glaucus de Rhé-
gium *, Empédocle visita la nouvelle cité peu après sa fon-
*Aet.1,3,20(R. P. 164;DV21A33);Apollodoreap. Diog.VIII,52(R.P. 162).Les détailsde la vie d'Empédoclesont discutés,avecunecritique soignéedes sources, par Ridez,La biographied'Empédocle(Cand,1894).
*Nousavonssur ce point l'autoritéd'Apollodorc(Diog.VII,51,52;R. P. 162),qui se règlesur les VainqueursOlympiquesd Eratosthènc,lequel,de soncôté,s'en réfèreà Aristote.Iléraclidcde Pont,danssonn.plvosmv(voirplus loin, p. 235,n. 3)parlait du premier Empédoclecommed'un«éleveurde chevaux»(R.P. 162a), et Timéele mention-nait dans son quinzièmelivre commeun hommedistingué.
*(îlaucusécrivitlUp'iTûWàpyaituvnot«T<5vxa'tuo-Jîtxfov,et l'ondit qu'ilfutcontemporainde D.'niocrite(Diog.IX,38).Apollodoreujoutc(R.P.162)que, suivant Aristoteet Iléraclidc,Empédoclemourutà l'âgedesoixantemis. Il est n noter, toutefois,que les mots tu 8"JlpaxXtîîn}«sont une conjecture«leSturz, les mss ayant ÏT«8"IlpdxXtttov,et Dio-gènedisaitcertainement(IX,3)qu'Heraclitevécutsoixanteans.D'autrepart, si l'indicationd'Aristotcvient du NiplKOtfjtAv,on ne voit pas
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 231
dation. Mais nous ne sommes nullement obligés de croire
qu'il avait juste quarante ans quand survint l'événement
de sa vie qui pouvait le plus aisément être daté. C'est là la
supposition que fait Apollodore, mais il y a des raisons de
penser que sa date est de quelque huit ou dix ans trop ré-
cente 1. Il est, en effet, très probable qu'Empédode ne se
rendit à Thurium qu'après avoir été banni d'Agrigente, et
il se peut fort bien qu'il eût plus de quarante ans lorsquecela arriva. Donc, tout ce que nous pouvons affirmer sa-voir relativement à sa chronologie, c'est que son grand-père était encore en vie en 496 avant J.-C. ; que lui-même
déployait encore son activité à Agrigente après 472, date dela mort de Théron, et qu'il mourut après 444.
Mais ces indications suffisent à montrer qu'il était encore
jeune garçon à l'époque où r.'gnail Théron, le tyran qui,de concert avec Gélon de Syracuse, repoussa les Carthagi-nois d'Himéra. Le fils et successeur de Théron, Thrasy-daios, était un hommed'unc autre trempe. Avant son avène-ment au trône d'Agrigente, il avait régné à Himéra au nomde son père, et s'était complètement aliéné les habitants decette ville. Théron mourut en 472, et Thrasydaios manifestaaussitôt tous les vices, et se rendit coupable de toutes lesfolies que l'on constate habituellement chez le second dé-tenteur d'une domination usurpée. Il fut expulsé après une
guerre désastreuse avec Hiéron de Syracuse, et Agrigente
jouit de la liberté jusqu'à ce que, plus d'un demi-siècle
plus tard, elle succomba aux attaques des Carthaginois*.
pourquoiil aurait fait mentiond'Heraclite,et Iléraclidcétait une desprincipalessourcespour la biographied'Empédocle.
«Voir Diels, Empcdoklesund Gorgias2 (Berl.Siltb., 1884).Théo-phrastedisait «{u'Empédocleétait né «paslongtempsaprèsAnaxagorc»(Dox.p. 477,17); DV21A 7)et Alcidainasfaisaitde lui le condiscipledeZenonsousParménide,et le maîtrede (iorgias(voirplus loin, p. 233,n. 4). Or (iorgias était un peu plus âgé qu'Anttphon (né dans laI.XX«Olymp.); il est donc clair que nous devons faire remonter lanaissanced'Empédoclepour le moinsa 490av. .).•(!.
*K.Meycr,Gesch.desAllerth. Il, p. 508.
232 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
IC. — EMPÉDOCLECOMMEHOMMED'ETAT
Empédocle joua certainement un rôle en vue dans lesévénements politiques des années suivantes, mais nosinformations à ce sujet sont d'une nature très singulière.L'historien Timée de Sicile racontait sur lui une ou deuxhistoires qui sont évidemment des traditions authentiquesrecueillies environ cent cinquante ans après, mais, commetoutes les traditions populaires, un peu confuses. Les inci-dents pittoresques sont rappelés, mais les parties essen-tielles de l'hi:.iOirc sont passées sous silence. Nous n'en de-vons pas moins être reconnaissants de ce que le « collec-teur de contes de vieilles femmes 1» — comme l'appelaientdes critiques peu respectueux — nous a mis à même demesurer l'importance historique d'Empédocle par nous-mêmes en nous montrant comment se le représentaient les
arrière-pelits-iils de ses contemporains.Nous lisons donc *
qu'il fut prié une fois à dîner avec un
des « gouvernants ». La tradition affectionne ces litres
vagues. « Le dîner était très avancé sans qu'aucun vin eût
encore été apporté. Le reste de la compagnie ne disait rien',mais Empédocle était à bon droit indigné, et il insista pourqu'on servît du vin. L'hôte, cependant, dit qu'il attendaitl'officier du Conseil. Quand cet ollicicr arriva, il fut dési-
gné comme roi du festin. Ce fut naturellement l'hôte qui le
désigna. Là-dessus il commença à manifester les symp-tômes d'une tyrannie naissante. Il ordonna aux convivesde boire, s'ils ne voulaient pas que le vin fût répandu surleurs têtes. Au moment même, Empédocle ne dit rien,mais le jour suivant il les cita tous deux devant la Cour et
les fit condamner et mettre à mort — aussi bien celui quil'avait prié à dîner que le roi du festin '. Tel fut le dé-
1II est appeléfpaoagXXtxtptadans Suidas, s. t>.L'opinionexpriméedansnotre textequantsilavaleurde ce témoignageest cellede llolni.
»Timée,ap. Diog.VIII,64(F. //. G. I, p.214,frg.88a).5Dans ma premièreédition,je relevaisl'analogie«lesaccusations
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 233
but de sa carrière politique. » A en croire l'anecdote
suivante, le Conseil voulait accorder à son ami Acron
une pièce de terre pour un tombeau de famille, en raison
de son mérite éminent comme médecin, mais Empédoclel'en détourna et appuya son opposition d'une épigrammeoù il se livrait à des jeux de mois 1. Enfin, il prononça la
dissolution de l'assemblée des Mille — qui était peut-êtreune association ou un club oligarchique*. Peut-être fnt-ceà cause de cela qu'on lui offrit la royauté, qu'il refusa, au
dire d'Aristote'. Nous voyons en tous cas qu'Empédoclefut le grand leader démocratique d'Agrigente en ces temps-là, quoique nous n'ayons aucune notion claire de ce qu'iffil.
C. — EMPÉDOCLECOMMECONDUCTEURRELIGIEUX.
Mais il est une autre face de son rôle public <jue Timéetrouvait difficile de concilier avec ses vues politiques. Il se
proclamait dieu, et prétendait recevoir, à ce titre, l'hom-
mage de ses concitoyens. La vérité est qu'Empédocle n'élait
pas simplement un homme d'Elat; il était, en outre, et
dans une grande mesure, un charlatan. Si l'on en croit
Salyros 4, Gorgias affirmait avoir vu son maître se livrer à
des opérations magiques. Ce que cela signifie, nous pou-
à'incivisme.liide/.dit (p. 127): «J'imagine qu'un Jacobinaurait mieuxjugé l'histoire(«picKarstcnet llolm): sousla Terreur,on était suspectpour de moindresvétilles.»
' Diog.VIII,65.Voicile texte«lel'épigrammc:
âxpovtYjtpôv"Axpiov''AxpaYavîîvovicatpsc"AxpO'ixp'întitzprjiiviîâxpojnarpîio;dxpotâti];.
SurAcron,voirM.Wellmann,op. cit.p. 235,n. 1.5 Diog.VIII,66: Gjtepov?' ô 'EpittSoxXfJ;xaltô tû>vtXtiuvà&po-ajiaxatt-
XuJta-jvt:-ù>etnl tti] tpîa.Le mot p.Opoujiane suggèreguèrel'idéed'uneassembléelégale,et «jvîatajDaisuggèrecelled'une conspiration.
•'Diog.VIII,63.Aristotedisait probablementceladans sonSophiste.Cf.Diog.VIII,57.
* Diog.VIII,59(H.P. 162).Salyrossuivait probablementAleidam-s.Dielssuggère(Entp.und Gorg.,p. 358)que le <y;stxéîd'Alcidainasétaitan dialoguedans lequel (Iorgiasétait le principal interlocuteur.Dansce cas, l'indic-ttinnn'aurait qu'une faiblevaleur historique.
234 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
vons en juger par les fragments de ses Purifications. Empé-docle était un apôtre de la nouvelle religion qui cherchait
à délivrer de la « roue des naissances » par la pureté de
l'abstinence, mais nous ne savons pas avec une enlièrecertitude à quelle forme de cette religion il se rattachait.D'autre part, l'Orphismc parait avoir été en pleine vogue à
Agrigente à l'époque de Théron, cl il y a même quelquescoïncidences verbales entre les poèmes d'Empédocle et les
odes orphisantes que Pindare adressait à ce prince *. Il y aaussi quelques points de ressemblance entre la Théogonie
rhapsodique, telle que nous la connaissons d'après Damas-
cius, et certains fragments d'Empédocle, quoique l'impor-tance en ait été exagérée*. D'autre part, il n'y a pas de rai-son de douter que le fragment 134 ne se rapporte à Apol-lon*, comme nous ledit Ammonius, cl s'il en est ainsi,cela
parait indiquer qu'il se rattachait à la forme ionienne dela doctrine mystique, comme nous l'avons vu (§39) de Py-thagore. De plus, Timée connaissait déjà l'histoire de son
expulsion de l'Ordre pythagoricien pour « soustraction
d'écrits4», et il est probable, en somme, que le frg. 120 vise
Pythagore*. Il serait fort hasardeux de dogmatiser à ce
sujet ; mais ii parait très vraisemblable qu'Empédocle avaitété influencé, dans sa jeunesse, par des idées orphiques, et
que, plus tard, il prêcha une forme de Pythagorisme queles chefs de l'Association ne considérèrent pas comme or-thodoxe. Quoi qu'il en soit, il semble que son activité poli-tique et son activité scientifique appartiennent à la même
période dn sa vie, et qu'il ne devint prophète itinérant
qu'après avoir été banni. Il est en tous cas bien moins
probable que son oeuvre scientifique ait été le fruit
<VoirRidez,p. 115.n. 1.*O Kern,Empedoklesund die Orphiker,dans VArch.I, 'p. 489sq.
Surla Théogonierhapsodique,voir tntrod. p. 10.u. 1.1Voirplusloin la n. au frg.131.«Diog.VIII,54(R. P. 162).*Voir plus loin la n. au frg. 129.
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 235
des derniers jours de sa vie, alors qu'il vivait retiré dans
l'exil*.On rapporte nombre de prodiges accomplis par Empé-
docle, mais ce ne sont, pour la plupart, que des inférencestirées de ses écrits. Timée racontait comment il avait briséla force des vents étésiens en suspendant aux arbres, pourles capter, des sacs faits de peaux d'ânes. Il avait certaine-ment dit, avec l'exagération dont il était coutumier, que la
connaissance de la science enseignée par lui mettrait ses
disciples en mesure de commander aux vents (frg. 111); et
cela, joint à la fable des outres d'Eole, suffit pour expliquerIf conte*. On nous dit aussi comment il avait ramené à lavie une femme restée pendant trente jours sans respirationet sans pouls. Le vers dans lequel il affirme que son ensei-
gnement permettra à Pausanias de ramener les morts del'Hadès (frg. 111)montre de quelle manière cette histoire a
pu prendre naissance 5. On nous raconte ensuite qu'il as-sainit le marais pestilentiel qui se trouvait entre Sélinonteet la mer en y faisant passer les rivières d'Hypsas et de
Sélinos. Nous savons par les monnaies que ce marais fut
effectivement assaini, mais on peut se demander si le mé-rite de cette opération ne fut pas attribué à Empédocle à
une date postérieure 4.
1Cettedernièreopinionest cellede Hidez(p. 161sq.), mais Dielsamontré(Rerl.Sit:b., 1898,p. 406sq.), que la premièreest psychologi-quementplusprobable.
- Je reproduis la forme la plus grossièrede l'histoire racontéeparDiog.VIII,60,et non la versionrationalisée«lePlutarque(adv.Col.1126A).LesépitliclesaXtJïvtua;et xwXj3avî;jiaîfurent peut-êtreem-ployéespar railleriepar «juelquesillographe:cf. àvtjioxottijç.
' LeIhpiviawvd'Iléraclidc,«l'oùee vers est tiré, sembleavoir étéune sortede romanmédico-philosophique.Letextede Diog.(VIII,60)est le suivant: 'HpaxXttîr){tt tvtoî Ihpivôatuvçija'txalIhyaavt'aû?»)ï^-aaî&aiavtôvta «rtpttîjvàV.vow.C'était un casde suffocationhystérique.
*Surcesmonnaies,voir flead,HisloriaSumorum,p.147sq.
236 f/AimORKDKi.\ PHILOSOPHIEGRECQl'K
CI. — RHÉTORIQUEKTMÉDECINK.
Aristotc dit qu'Empédocle fut l'inventeur de la rhétori-
que \ et Galien faisait de lui le fondateur de l'école ita-
lienne de médecine, qu'il met sur le même pied que celles
de Cos et de Cnide '. Ces deux indications doivent être con-
sidérées enrapportavecsouaclivilé politique et scientifique.Hparai t certain que Gorgias fut son disciple en physique et en
médecine, et quelques-unes des particularités de son style se
trouvent déjà dans les poèmes d'EmpédocIe*. Il n'y a natu-rellement pas lieu de supposer qu'Empédocle écrivit untraité proprement dit de rhétorique, mais il est de toute façon
probable, et conforme à son caractère, que ses discours —
dont il doit avoir fait un grand nombre — étaient mar-
qués de cet cuphuisme que Gorgias introduisit plus tard à
Athènes, et qui donna l'idée d'une prose artistique. L'in-fluence d'Empédocle sur le développement de la médecinefut cependant beaucoup plus importante, car elle se fit
sentir non seulement sur la médecine elle-même, mais, patl'intermédiaire de celle-ci, sur toute la tendance de la pen-sée scientifique et philosophique. On a dit qu'Empédoclen'avait pas eu de successeurs 4, et la remarque est exacte sinous nous en tenons strictement a la philosophie. En re-
vanche, l'école médicale qu'il fonda existait encore du
temps de Platon, et elle eut une influence considérable sur
«Diog.VIII,:>7(U.P. 162g).*Galicn,X,3 (DV21A3): îjptÇov8'aJtot; (lesécolesde Cos et de
Cnide)....xal olextfiç'ItaXfaçuïpo't,«PiXutîwvtt xa\E^niîoxX^;/.alHaj-oavîajxal ol tovttuvstatpotx.T.À.Philistionétait le contemporaindePlaton;Pausnuinsest le discipleauquel Kmpcdoclcdédiason poeme.
s VoirDiels,KmpedoklcsundGorgias(Berl.Silzb.,1S84,p. 343sq.).Le plus ancienécrivainqui affirmeque GorgiasTutdiscipled'Kmpé-doclcest Sat.vros,ap. Diog.VIII,58(R.P. 162);maisil paraitavoirtiréson informationd'Alcidamas,qui fut lui-mêmel'élèvede Gorgia*.Dansle Ménonde Platon(76c 4-8),c'esta Gorgiasqu'est attribuée1%théorieempédoeléenuedeseffluveset des pores.
* Diels,lierl Silzb.,1884,p.343. \
EMPÉDOCLED'AGRIOENTE 237
lui et encore plus sur Aristote 1. La doctrine fondamentaleen était l'identification des quatre éléments avec le chaud
et le froid, l'humide et le sec. Elle soutenait aussi que nous
respirons par tous les porcs du corps, et que l'acte de la
respiration est en relation étroite avec le mouvement du
sang. Elle regardait le coeur, et non le cerveau, comme
l'organe de la conscience V Caractéristique plus extérieurede la médecine telle que l'enseignaient les successeurs
d'EmpédocIe : ceux-ci étaient encore attachés a des idéesde nature magique. On a conservé une protestation d'un
membre de l'école de Cos contre ce fait. Il traite ces méde-
cins de <tmagiciens, de purificateurs, de charlatans et de
vantards qui font profession d'être très religieux* ». Il y asans doute en cela quelque vérité, mais ce jugement ne
rend pas justice aux grands progrès que l'école sicilienne
Ht faire à la physiologie.
Cil. — RELATIOND'EMPÉDOCLEAVECSESPRÉDÉCESSEURS.
Dans la biographie d'EmpédocIe, il est très peu questionde sa théorie de la nature. Tout ce que nous y trouvons, cesont quelques indications sur ses maîtres. Alcidamas, quiétait bien placé pour se renseigner, fait de lui un condis-
ciple de Zenon sous Parménide. Cela est à la fois possibleet probable. Théophraste, lui aussi, le déclarait élève et
«VoirM.Wellmann,Fragmenlsammlungder griechischenAcrzle,vol.I (Berlin1901).SuivantWcllinar.n,Platon(dans le Timce)et Dio-des de Carystcdépendenttous deuxde Philistion.Il est impossibledecomprendrel'histoirede la philosophieà partir de ce moment sansavoirconstammentà l'esprit l'histoirede la médecine.
1Surlesquatreéléments,cf.Anon.Lond.XX,25(lairika deMénon):4>tXt3-tiuvVo'ttat èx Vïîtûv wveatâvatVdî> TO3T'ÏOTIVex5' OTOt^tîtov.ifjpôç,dtooe,ûîato;, yi)t. civatZi xal ixâatoyîuvâuttc,toi)jilvxypôçtôftcpuôv,.TOJ8èàipo;TO<J<uypov,xoùil Mato;tô ôypov,tijçii yijçTÔ£i]pôv.Sur la théoriede la respiration,voir Wellmann,p. 82sq., et sur lecoeurcommesiègede la conscience,ibid.p. 15sq.
* Hippocr.ITtpïItpijîvôsoo,c. 1: jiâyoi« xalxadâpratxal àXâÇovtç.Ilfautlire tout le passage.Cf.Wellmann,p. 29n.
338 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
imitateur de Parménide. Mais il ne peut pas être vrai qu'ilait «entendu» Pythagore. Alcidamasa vraisemblablementdit : « les Pythagoriciens
1».
Quelques écrivains prétendent que certaines pat lies du
système d'EmpédocIe, en particulier la théorie des poreset des eiïluves (§ 118), qui ne paraissent pas découler trèsnaturellement de ses propres principes, sont dues à l'in-fluence de Leucippe *. Tel n'est pourtant pas nécessaire-ment le cas. Nous savons qu'Alcméon (§46) parlait de« pores » à propos de la sensation, et ce peut tout aussibien être à lui qu'Empédocle emprunta la théorie. On peutajouter que cela s'accorde mieux avec l'histoire de cer-taines autres opinions physiologiques communes à Aie-méon et aux philosophes ioniens postérieurs, — opinionsqui, à ce que nous sommes généralement en mesure de
constater, parvinrent en Ionie par l'intermédiaire de l'écolemédicale fondée par Empédocle',
CIII. — SA MORT.
La tradition rapporte qu'Empédocle se précipita dans le
cratère de l'Etna afin qu'on le crût dieu. Cela paraît être laversion malicieuse 4d'un conte imaginé par ses adhérents,et d'après lequel il avait été enlevé au ciel pendant la nuit *.
«Diog.VIII,54-56(R.P. 162).1Diels,Verhandl.der35.Philologenversammlung,p. 104sq. ; Zcllcr,
p.767.I<athèsequenoussoutenonsdans leschapitressuivantsseraitruinée si l'on pouvaitprouverqu'Empédoclefut influencépar Leu-cippe.J'espèremontreraucontraireque Leucippefut Influencépar ladoctrinepythagoriciennerécente(chap. IX,§171),laquellefut à sontour influencéepar Empédocle(chap.VII,§147).
3Sur les itôpotchez Alcméon,cf. Arist. de Gen.An.13,6.744a 8;Theophr.deSens.26(DV14A10et 5),et sur la manière,dontsesvuesembryologiqueset autresfurent transmisesaux médecinsioniensparl'intermédiaired'EmpédocIe,cf. Fredrich, IlippokratischeUnttr-suchungen,p. 126sq.
*R. P. 162h (DV21A 16).L'histoireest toujoursracontéedansuneintentionhostile.
*H.P. ib. C'étaitl'histoireracontéepar Héraclldede Pont à la fiade son romansur l'âmouc.
EMPÉDOCLED'AORIOENTE 239
Les deux histoires trouvèrent facilement créance, car il n'yavait pas de tradition locale. Empédocle ne mourut pas en
Sicile, mais dans le Péloponnèse, ou, peut-être, à Thurium.Il s'était rendu a Olympie potir y réciter son poème reli-
gieux devant les Hellènes; ses ennemis réussirent à empê-cher son retour, et on ne le revit plus en Sicile '.
CIV. — SES ÉCRIT».
Empédocle fut le second philosophe qui exposa son sys-tème en vers, si nous faisons abstraction du satiriqueXénophane. Il fut aussi le dernier parmi les Grecs, car on
peut négliger les poèmes forgés sous le nom de Pythagorc'.Lucrèce imite en cela Empédocle, tout comme Empédocleimitait Parménide. Naturellement, les images poétiquescréent une difficulté pour l'interprète, mais une difficultédont on aurait tort de s'exagérer la portée. On ne peut pasdire qu'il soit plus difficile d'extraire la moelle philosophi-que des vers d'EmpédocIe que de la prose d'Heraclite.
Il y a quelque divergence d'opinion en ce qui concernele mérite poétique d'EmpédocIe. Le panégyrique de Lucrèceest bien connu 1. Aristote dit quelque part qu'Empédocle etHomère n'ont rien de commun que le mètre, et ailleurs
qu'Empédocle était « homérique au plus haut point4». A
mon sens, il est indiscutable que c'était un véritable poète,beaucoup plus poète que Parménide. Personne, à l'heure
qu'il est, ne met en doute que Lucrèce n'en fût un, et Em-
pédocle lui ressemble réellement tout à fait à cet égard.
«Timéeprit la peinede réfuter en détail les histoires qui couraientsur le compted'EmpédocIe(Diog.VIII,71sq. ; R. P. ib.). Il affirmaittouf„\ fait positivementque celui-ci ne retourna jamais en Sicile.Leplus probableest certainementqu'à l'époque où il errait, exilé,dansle Péloponnèse,il saisit l'occasionde se joindre aux colonsde Thu-rium, villoqui était alors un port pour nombrede «sophistes».
* Voirchap.IV,§ 85.»Lucr. I, 716sq.« Poet.1,1447b 18(DV21A22);cf. Diog.VIII,57(R. P. 162i).
240 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
CV. — LES FRAGMENTS.
Nous avons d'EmpédocIe des fragments plus abondants
que d'aucun des philosophes grecs primitifs. Si nous pou-vons nous lier aux manuscrits de Diogène et de Suidas, les
bibliothécaires d'Alexandrie évaluaient le Poème sur la
Nature et les Purifications ensemble a 5C00vers, sur lesquelsenviron 2000 appartenaient a la première de ces oeuvres 1.
Diels donne environ 350 vers et fragments de vers du
poème cosmologique, ce qui n'en représente pas même la
cinquième partie. Il est important de faire remarquer que,même dans ce cas favorable, la perte a été énorme. Outre
les deux poèmes, les savants alexandrins possédaient uneoeuvre en prose sur la médecine de 600 lignes, qu'on attri-buait à Empédocle. Les tragédies et les autres poèmesdont on le disait parfois l'auteur semblent, en réalité, appar-tenir à un écrivain plus jeune, du même nom que lui, et
que Suidas dit avoir été son petit-fils!.Je donne les fragments tels qu'ils sont arrangés par
Diels :
1. Kl toi, prête l'oreille, Pausanias, (Ilsd'Anchitos, le Sage!
2. Car étroitement limitées sont les forces qui sont répanduessur les parties de leurs corps, et nombreux sont les maux quifondent sur eux ct'émoussent le tranchant de leurs soucieuses
>Diog.VIII,77(R. P. 162);Suidas,s. v. 'EjintîoxXîJî(DV21A 2): xaltypa^e3t*iitûvIlept«p-Jutco;tûv ôvtcnvSt,î).ta8', xal tottv tm>)é>;Iwylha.Il semble peu probable, cependant, que les Kadapuoîcomptassent3000vers; aussi Dielspropose-t-ilde lire dans DiogèneitâvtaTpiayîXtaau lieu de -maxia^-ia. 11y a lieu d'observerqu'il n'y a pas de meil-leure autorité que Tzetzespour diviser le llipl fistux en trois livres.VoirDiels, Ueberdie GedichlcdesEmpedoklcs,dans les Berl.Silzb.,1898,p. 396sq.
3Jérôme de Rhodesdéclarait(Diog.VIII,58)qu'il avait eu sous lesyeux quarante-troisde ces tragédies; mais voyez Stcin, p. 5 sq. Lepoèmesur les guerrespersiques,que mentionneaussi Jérôme (Diog.VIII, 57)semble avoir eu pour origine une anciennecorruption dutexted'Arht., Probl.929b 16,oùBekkerlit encoretvtoïçIlipoixoTç.Ondit cependantdu mêmepassage,à Meltor.A4, 387a 1, qu'il se trou-vait èvtoTcçostxoïç,quoique, là aussi,'E lise Iltpatxotç.
EMPÉDOCLED'AGRIOENTE 241
pensées I Ils ne voient qu'une faible mesure d'une vie qui n'estpas une vie \ et, condamnés a une prompte mort, ils sont enle-vés et se dissipent comme une fumée. Chacun d'eux est ins-truit de cela seulement qu'il a rencontré par hasard au gré deses errements, et il ne se vante pas moins dans sa frivolitéde connaître le tout. Tant il est difficile que ces choses soientvues par les yeux ou entendues par les oreilles des hommes,ou saisies par leur esprit. Toi donc ', puisque tu as trouvé tonchemin jusqu'ici, tu apprendras, mais non plus que l'espritmortel ne possède de force. —R. I*.163.
3. ...a garder dans Ion coeur muet.
4. Mais, ô dieux, détournez de ma langue la folie de ces hom-mes '. Sanctifiez mes lèvres cl faites couler d'elles un fleuvepur I Kl toi, très courtisée Muse, vierge aux bras blancs, je te
supplie de me faire entendre ce qui convient aux enfants d'unjour! Fais-moi avancer dans ma voie dès la demeure de la Sain-teté et pousse mon char docile ! Des couronnes de gloire etd'honneur de la main des mortels ne te forceront pas à les sou-lever du sol, afin que, dans ta fierté, tu parles au-delà de ce quiest équitable et droit et que tu gagnes ainsi un siège sur leshauteurs de la sagesse.
Commence maintenant, considère de toutes tes forces dequelle manière chaque chose est claire. N'accorde pas à ta vueun trop grand crédit en comparaison de ton oreille, et n'estimepas ton oreille qui résonne au-dessus des claires instructionsde ta langue 4; et ne refuse ta confiance a aucune des autresparties de ton corps par lesquelles il y a un accès à l'intelli-gence*; mais considère toute chose de la manière qu'elle estclaire. —R. P. 163.
5. Mais c'est toujours le fait des esprits bas de ne pas croireceux qui valent mieux qu'eux. Apprends, toi, comme te l'ordon-
1Les mss de Scxtus ont Ctoijat{JIVJ.Dielslit («rï}«îiîou.Je préfèretoujours lire avec Scaliger: C<»i)îàjjfov».Cf.frg. 15: tô îrj(KOTOVxaXIovsc
1La personneapostrophéeici est toujours Pausanias,et celle quiparleEmpédocle.Cf.frg. 111.
*En premièreligne sans doute de Parménide.
* Il s'agit ici du sens du goût, non de la parole.*Dansses premièreséditions,Zellerplaçait le pointaprès voijoa»,ce
qui donnait à peu près le sens opposé: cRefuse toute confianceauxsensdu corps; »mais il admetdans sa 5»(p.804,n. 2),que le contexteest en faveurde Stein,qui nemet qu'une virguleaprès voJjaat,et jointâXXmvavecpîtuv.Ainsiaussi Diels. La paraphrasedonnée par Scxtus(R. P. ib.) est substantiellementexacte.
PHILOSOPHIEGRECQUE 16
242 L'AUROREDBLA PHILOSOPHIEGRECQUE
nent les surs témoignages de ma Muse, en divisant l'argumentdans ton coeur.
6. Apprends d'abord les quatre racines tic toutes choses :Zeus qui brille, liera qui donne la vie, Aidoncus et Ncstis, dontles larmes sont une fontaine de vie pour les mortels'. — R. P.164.
7. ...incréé.
8. Ktje te dirai autre chose. Il n'est pas d'entrée a l'existenceni de fin dans la mort funeste, pour ce qui est périssable ; maisseulement un mélange et un changement de ce qui a étémélangé. Naissance n'est qu'un nom donné a ce fait par leshommes. — R. P. 165.
9. Mais quand les éléments ont été mélangés sous la figured'un homme, et viennent à la lumière du jour, ou sous la figured'une espèce de bêles sauvages ou de plantes ou d'oiseaux,alors les hommes disent que ceux-ci naissent ; et quand ils sontséparés, ils donnent a cela le nom de mort douloureuse. Ils nele nomment pas d'un nom juste; mais, moi aussi, je suis lacoutume et je l'appelle ainsi moi-même.
10.Mort vengeresse.11. 12.Fous —car il n'ont pas de pensées étendues -• qui
s'imaginent que ce qui n'était pas auparavant vient à l'existence,ou que quelque chose peut périr et être entièrement détruit. Caril ne se peut pas que rien puisse naître de ce qui n'existe enaucune manière, et il est impossible cl inouï que ce qui est doivepérir; car il sera toujours,en quelque lieu qu'on le place. R. P.165a.
13.Kt dans le Tout, il n'y a rien de vide et rien de Iropplein.
14. Dans le Tout, il n'y a rien de vide. D'où, par conséquent,pourrait venir quelque chose qui l'augmentât?
15. Un homme sage en ces matières ne supposerait jamaisdans son coeur que les mortels ne sont et ne souffrent bien et
>Il n'y a pasde difficultédans le Statpq&tYTOc<Iesmss, si nouspre-nons X&yotodans le sensd' «argument» (cf. Jiaiptïv).Dielsconjectureiia«;jï)&tvTO{,et traduit : «nachdemihre Kededurch tlcinesGeistesSiebgedrungenist. » Il ne me semblepasnécessairenon plusde lire%aptiau lieudexipta au premiervers.
*Lesquatre élémentssont introduitssousdesnomsmythologiques,au sujet desquelsvoir plus loin p. 2G0,n. 3. Diels a certainementrai-son d'enlever la virgule après xiyfti, et de traduire: «Nestis quoelacriraissuis latlcemfundit mortalibusdestinatum.»
EMPÉDOCLED'AORIQENTE 243
mal qu'aussi longtemps qu'ils vivent ce qu'ils appellent leurvie, tandis qu'ils ne sont absolument rien avant d'avoir été for-més et une fois dissous.—R. P. 165a.
16. Car vraiment ils (l'Amour et la Haine)étaient avant lestemps, et ils seront; et jamais, a ce que je crois, le temps infinine sera vide de ce couple. — R. P. 166c.
17. Je vais l'annoncer un double discours. A un momentdonné, l'Un se forma du Multiple ; en un autre moment, il sedivisa et de l'Un sortit le Multiple. Il y a une double naissancedes choses périssables et une double destruction. La réunionde toutes choses amène une génération a l'existence et ladétruit; l'autre croit et se dissipe quand les choses se séparent.Kt ces choses ne cessent de changer continuellement de place,se réunissant toutes en une à un moment donné par reflet del'Amour, cl portées a un autre moment en des directions diversespar la répulsion de la Haine. Ainsi, pour autant qu'il est dansleur nature de passer du Plusieurs à "l'Un,et de devenir unefois encore Plusieurs quand l'Un est morcelé, elles entrent àl'existence, et leur vie ne dure pas. Mais,pour autant qu'ellesne cessent jamais d'échanger leurs places, dans cette mesure,elles sont toujours immobiles quand elles parcourent le cerclede l'existence.
M*dsallons, écoute mes paroles, car c'est l'étude qui aug-mente la sagesse. Comme je le disais déjà auparavant, quandj'exposais le but de mon enseignement, je vais l'exposer undouble discours. A un moment donné, l'Un se forma du Multi-ple, a un autre moment, il se divisa, et de l'Un sortit le Mul-tiple — Feu, Kau et Terre et la hauteur puissante de l'Air ; laHaine redoutée aussi, à part de ceux-ci, de poids égal à cha-cun, et l'Amour parmi eux, égal en longueur et en largeur.Contemple-le avec ton esprit, et ne reste pas assis, les yeuxéblouis. C'est lui que nous savons implanté dans les membresdes mortels; c'est lui qui leur inspire des idées d'amour, et quileur fait accomplir les travaux de la paix. Ils s'appellent desnoms de Joie et d'Aphrodite. Aucun mortel ne l'a encore vu semouvoir en cercle parmi eux ', mais toi prête l'oreille à l'ordrede mon discours, qui ne trompe point.
Car tous ceux-ci sont égaux et de même âge ; cependant cha-cun a une prérogative différente et sa nature particulière. Ktrien ne vient â l'existence a part eux, et ils ne périssent point ;
Je lis jmà Totsiv.Je pense encore cependantque la conjecture,paléographiquemcntadmirable, de Knatz: jutà ôeoîaiv(c'est-à-direparmi les éléments)mériteconsidération.
244 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEORECQUE
car s'ils avaient péri continuellement, ils n'existeraient pasmaintenant, et ce qui accroîtrait ce Tout, que serait-ce et d'oùpourrait-il venir? Comment, d'ailleurs, pourrait-il périr, puis-qu'il n'y a aucun lieu vide de ces choses? Ils sont ce qu'ilssont; mais, courant les uns a travers les autres, ils deviennenttantôt ceci, tantôt cela \ et toujours des choses analogues. —R. P. 166.
18.Amour.
10.Amour enlaçant.20. Celui-ci (le conllit de l'Amour et de la Haine) est manifeste
dans la masse-des membres mortels. A un moment donné, tousles membres qui font partie du corps sont réunis par l'Amourau point culminant de la vie florissante ; a un autre moment,séparés parla Haine cruelle, ils errent chacun pour soi sur lesécucils de la mer do la vie. Il en est de mémo des plantes et despoissons qui ont leur demeure dans les eaux, des bètes qui ontleurs repaires sur les collines, et des oiseaux de mer, qui cin-glent avec leurs ailes. —l\. P. 173d.
21. Allons maintenant, contemple les choses qui portenttémoignage pour mes discours précédents, s'il était vrai qu'il yeût quelque insuffisance quant a la forme dans ma premièreénumération. Considère le soleil, partout clair cl chaud, cltoutes les choses immortelles qui sont baignées dans la chaleuret dans l'éclat rayonnant ».Considère la pluie, partout sombreet froide, et de la terre sortent des choses compactes et solides.Quand elles sont en lutte, elles sont toutes diverses de formeset séparées ; mais elles se réunissent dans l'amour, et se dési-rent mutuellement.
Car de celles-ci sont sorties toutes les choses qui furent, quisont et qui seront — arbres, hommes et femmes, botes etoiseaux, et les poissons qui habitent dans l'eau, oui vraiment,et les dieux qui vivent de longues vies et sont grandementhonorés. — R. P. 166i.
Car ces choses sont ce qu'elles sont ; mais passant les unes àtravers les autres, elles prennent des formes différentes —telle-ment le mélange les modifie. — R. P. 166(7.
22. Car tous ceux-ci— soleil, terre, ciel et nier -- sont unavec toutes leurs parties, qui sont dispersées loin d'eux dans
1Je gardeÔXXOT*avecDiels.*Je lis ôji^potai'Saa'tîtt avecDiels.Sur le mot îîoç, cf. frgs 62 et
73. Ce passagefait allusion i la lune et aux choses qui sont faitesd'air solidifié,et reçoiventleur lumièrede l'hémisphèrede feu.Voirplus loin, | 113..
EMPÉDOCLED'AORIGENTE 245
les choses mortelles. Kt pareillement toutes les choses qui sont
plus portées au mélange sont semblables les unes aux autres etunies dans l'amour par Aphrodite. Mais les choses qui diffèrentle plus quant a l'origine, nu mélange,et aux formes qui leur sontimprimées, sont hostiles au plus haut point les unes aux autres,étant entièrement inaccoutumées a s'unir, et très tristes del'ordre 'dela Haine, qui a donné lieu a leur naissance.
23. Quand les peintres peignent des tableaux pour être offertsdans les temples, les peintres que la sagesse a bien instruits deleur art —et qu'ils ont pris dans leurs mains des matières decouleurs variées, ils les mélangent dans la proportion due, plusde quelques-unes et moins des autres, et produisent par leurmoyen des formes semblables a toutes choses, faisant desarbres et des hommes et des femmes, des bétes et des oiseauxet des poissons qui demeurent dans les eaux, oui vraiment, etdes dieux qui vivent de longues vies et sont grandement hono-rés —de même, ne laisse pas cette erreur prévaloir sur tonesprit ' : qu'il y ait quelque autre origine pour toutes les créa-turcs périssables qui apparaissent en nombre infini. Sache celade source certaine, car tu en as entendu le récit d'une déesse'.
24.Marchant de sommet en sommet, ne pas parcourir unsentier seulement jusqu'à la fin...
25. Ce qui est juste peut bien être dit même deux fois.26.Car ils prévalent alternativement dans la révolution du
cercle, et passent les uns dans les autres, et deviennent grandsselon le tour qui leur a été assigné. — R. P. 166c.
Ils sont ce qu'ils sont, mais, passant les uns a travers lesautres, ils deviennent des hommes et des races d'animaux. Aun moment, ils sont tous réunis en un seul ordre par l'Amour;à un autre, ils sont poussés dans des directions différentes parla répulsion de la Haine, jusqu'à ce qu'ils se réunissent de nou-veau en un, et soient complètement soumis. Mais,en tant qu'ilsont l'habitude de passer du Plusieurs en l'Un, et, de nouveaudivisés, de devenir plus d'Un, ils viennent au jour, et leur vien'est pas durable ; mais en tant qu'ils ne cessent jamais de setransformer continuellement, ils existent toujours, immuablestlans le cercle.
27. On ne distingue ni les membres rapides du Soleil, ni la
«Je lis avecBlass(Jahrb. fur klass.Phil, 1883,p. 19):OSTOIp.^o'dirait]tppîvaxaivJToix.r. X.
Cf.Hésychius: xatvûtio'wxâta>.C'est,en fait, ce quedonnentlesmssde Simplicius,et Hésychiusn nombrede gloseserapédocléennes.
*La cdéesse»est naturellementla Muse.Cf. frg. 5.
246'
L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
lorcc velue de la Terre, ni4a Mer, si fort lo Dieu était lié dansl'étroite enveloppe de l'Harmonie, sphérique et rond, joyeuxdans sa solitude circulaire '. — R. P. 167.
27d. 11n'y n ni discorde ni lutte inconvenante dans ses mem-bres.
28.Mais il était égal en tous sens, et tout n fait infini, sphé-riquo et rond, {oyeuxdans sa solitude circulaire.
29. Deux branches ne naissent pas de son dos ; il n'a pas depieds, pas de genoux rapides, pas de parties génitales ; mais ilétait sphérique et égal en tous sens.
30.31. Maisquand la Hainefut devenuegrande dans les mem-bres du dieu et se déchaîna pour réclamer ses prérogativesdans l'accomplissement du temps alterné, qui leur était assignépar le puissant serment... car tous les membres du dieu furentébranles les uns après les autres. —R. P. 167.
32. La jointure lie deux choses.
33.De même que lorsque la sève du figuier fait cailler et liele blanc lait...
34. Agglutinant2la farine avec de l'eau.
35.36. Maisje vais maintenant reporter mes pas sur les sen-tiers du chant, que j'ai parcourus auparavant, tirant de mondiscours un nouveau discours. Quand la Haine fut tombée auplu. profond abîme du tourbillon, et que l'Amour en eut atteintle centre, toutes les choses se réunirent en lui, pour n'êtrequ'Une seulement ; non pas toutes a la fois, mais en se réunis-sant selon leur volonté, l'une venant d'une direction, l'autre del'autre; et quand elles se furent mélangées, d'innombrables tri-bus de créatures mortelles furent çà et là répandues. Rien deschoses, cependant, restèrent non mélangées, alternant aveccelles qui se mélangeaient, A savoir toutes les choses que laHaine tenait en suspens ; car elle ne s'était pas encore entière-ment retirée d'elles jusqu'aux limites extrêmes du cercle. Pourune part, elle restait encore a l'intérieur ; pour une autre, elleétait sortie des membres du Tout. Mais,dans la mesure où ellecontinuait à se répandre au dehors, un doux et immortel cou-
• ta mot jiovî»),s'il est exact, ne peut pas signifier«repos»,maisseulementsolitude.Il n'ya pasde raisonde changerlupu^ît,quoiqueSimpliciusait Ript-y^Dû.
*LemasculinxoXXijaa;montreque lesujetne peutavoirété*iX6tJj«,et Karstcnavaitsans douteraisondecroirequ'Empédoclefaisaitinter-venirun boulangerdans sa comparaison.C'estdanssa manièred'em-prunter des exemplesaux arts humains.
EMPEDOCLED'AQRIOENTE 247
rant d'irréprochable Amour continuait a affluer au dedans, etaussitôt devenaient mortelles ces choses qui auparavant avaientété immortelles ; et ces choses étalent mélangées, qui avaientété non mélangées, chacune changeant de sentier. Kt à mesurequ'elles se mélangeaient, des tribus innombrables de créaturesmortelles étaient çà et là répandues, douées de toutes espacesde formes, merveilleux spectacle à contempler. — R. P. 169,
37.La Terre accroît sa propre masse, et l'Air enfle le volumede l'Air.
38. Allons, je vais maintenant te dire en tout premier lieu lecommencement du Soleil ', cl les sources d'où ont jailli toutesles choses que nous voyons maintenant, la Terre et la Mer auxflots nombreux, la Vapeur humide, et l'Air, ce Titan qui lie for-tement son cercle autour de toutes choses. — R. P. 170a.
39. Si les profondeurs de la Terre cl le vaste Air étaient infi-nis, parole vaine qui s'est échappée des lèvres de beaucoup demortels, quoiqu'ils n'aient .vu qu'une faible partie du Tout*... —R. P. 103b.
40. Le Soleil, aux traits acérés, et la douce Lune.
41. Mais(la lumière du soleil) est rassemblée et circule autourdu vaste ciel.
42. Kt elle lui coupe ses rayons quand il passe au-dessusd'elle, et clic projette son ombre sur une aussi grande partiede la Terre que le comporte la largeur de la Lune au pâlevisage 3.
43.Le"rayon de soleil, lui aussi, ayant frappé le large et puis-sant cercle de la Lune, se retourne aussitôt et repart, pouratteindre le firmament.
44. Il repart en arrière vers l'Olympe, d'un visage exempt decrainte. — R. P. 170c.
45. 46. Une lumière ronde et empruntée circule autour de laTerre, comme le moyeu de la roue autour du (but) le plus éloi-gné.
1Lesmss de Clémentont nXiovàpyjjv,et la leçonijXîooàpx>jvest unsimple expédient.Diels lit 7jXuàt apx^v.c les premiers (éléments)égauxen âge».
*Cesvers visent Xénophancsuivant Aristote,qui les cite dans deCKIOB, 13,294a 21.Voirplushaut, chap.II, p. 138.
*J'ai traduit la conjecturede Diels: àncaTtraoïvU olaùfâclësr'àvtgxadûiccp&tv.Lesmss ont àrcuxjûaatvet tort atav.
248 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE *
47. Car elle regarde à l'opposé le cercle sacré du Soleil-roi.
48. C'est la Terre qui fait la nuit en passant devant la lu-mière.
19.De la ntdt solitaire, aux yeux aveugles.50. Kt Iris apporte de la mer le vent ou une pluie abondante.
51.(Le feu) qui se précipite en haut...
52. Kt beaucoup de feux brûlent au-dessous de la Terre. —R.P. 171«.
53.Car, comme elle courait, elle les rencontra à cette époque,quoique souvent autrement. — R. P. 171a.
54. Mais l'air s'affaissa sur la terre avec ses longues racines.— R. P. 171a.
55. La Mer, sueur de la Terre. — R. P. 170b.
56. Le sel fut solidifié par le choc des rayons du soleil.
57. Sur elle (la Terre) naquirent beaucoup de têtes sans cous,et des bras erraient nus et privés d'épaules. Desyeux vaguaientdépourvus de fronts. — R. P. 173a.
58.Des membres solitaires erraient, cherchant à s'unir.
59. Maisquand, au*Dieu, le Dieuse fut mélangédans une plusforte proportion, ces choses se réunirent au hasard de leursrencontres, et beaucoup d'autres choses naquirent continuelle-ment à part elles.
60.Des créatures à la démarche traînante, avec des mainsinnombrables. .
61.Beaucoup de créatures naquirent avec des faces et despoitrines regardant en différentes directions ; quelques-unes,progéniture de boeufsà face d'hommes, tandis que d'autres, aucontraire, venaient au monde, progéniture d'hommes à têtes deboeufs, et des créatures en qui la nature des hommes et desfemmes était mélangée, et pourvues de parties stériles '. —R.P. 173b.
62.Allons, écoute maintenant comment le Feu, quand il futséparé, fit surgir les rejetons des hommes nés de la nuit et lesfemmes aux larmes abondantes; car mon discours ne s'écartepas du but et n'est point dépourvu de sagesse. Des types entiè-rement formés naquirent d'abord de la terre, ayant une portionà la fois d'eau et de feu'. Ces types, ce fut le Feu qui les fit
*Je lis oTttpoïcavecDiels,Hermès,XV,loc;cit.1Je gardec'Scoc(Le., tîto;), qui est la leçondesmssde Simplicius.
Cf. plus haut, p.244,n. 2.
EMPÉDOCLEO'AOniGENTE 249
surgir, désireux d'atteindre son semblable; mais ils ne mon-traient encore ni la forme charmante des membres féminins, nila voix et les parties qui sont propres aux hommes, —R. P.173c.
63. ...Maisla substance des membres (de l'enfant) est partagéeentre eux, en partie dans (le corps) de l'homme, en partie danscelui de la femme,
64. Ktsur lui vint le désir, qui l'excitait par la vue.
65. ...Kt il fut répandu dans les parties pures, et quand il serencontra avec le froid, des femmes en naquirent.
66. ...Dans les pelouses fendues d'Aphrodite.67.Car.danssapartie la pluschaude, le sein de la femmeproduit
des mâles, et c'est pourquoi les hommes ont le teint foncé, sont
plus virils cl plus velus.
68.Audixième jour du huitième mois, se produit la putréfac-tion blanche '.
69. Qui porte doublement '.
70. Peau de brebis ».
71.Maissi ta certitude touchant ces choses était encore enquelque mesure imparfaite sur la question de savoir comment,de l'eau et de la terre, de l'air et du feu mélangés ensemble,sortirent les formes et les couleurs de toutes ces choses mor-telles qui ont été agencées par Aphrodite, et viennent ainsi auiour...
72.Comment les grands arbres et les poissons dans la mer...
73.Kt de même qu'en ce temps Cypris, préparant la chaleur*,après avoir humecté la terre dans l'eau, la donna au feu rapidepour la durcir... — R. P. 171.
74.Conduisant le peuple sans voix des poissons féconds.
75.Tous, parmi ceux qui sont denses à l'intérieur et rares àl'extérieur, ayant reçu des mains de Cypris une humidité decette espèce...
*Empédocletenait le lait' pour du sang putréfié,commel'attesteAristote,deGen.An.A,8, 777a 7. ta mot itûovsignifiepus. Il peut yavoir ici un jeu de mots aveciwoç(= colostrum),mais nuoçMle wlong.
*En parlantdesfemmes,qui accouchentà sept ou à neufmois.3Dela membranequi entourele foetus.*Je lis îîta noiTtvJo-jsaavec Diels.
250 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
76.Cela, tu peux le constater dans les coquillages au dospesant, qui vivent dans la mer, dans les buccins et dans lestortues à la carapace de pierre. Kn eux, tu peux voir que lamatière terreuse se tient à l'extrême surface.
77-78.C'est l'air qui fait que les arbres toujours verts fleuris-sent avec abondance de fruits durant toute l'année.
79.Kt ainsi, premiers de tous les grands arbres, les oliviersportent dès oeufs...
80.A cause de quoi les grenades sont lentes à mûrir, et lespommes sont succulentes.
81.Le vin est l'eau de l'écorce, putréfiée dans le bois.82. Les poils et les feuilles, les plumes épaisses des oiseaux,
et les écailles qui croissent sur les membres puissants, sont lamême chose.
83.Maisles poils des hérissons sont acérés et se raidissent surleur dos.
84.Kt de même qu'un homme qui se propose de sortir parune nuit orageuse se munit d'une lanterne, flammede feu bril-lant, autour de laquelle il dispose des plaques de corne pourécarter d'elle toute espèce de vent, et que ces plaques brisentle soufllcdes vents qui régnent, mais que la lumière qui pénètreà travers elles brille sur le seuil de ses rayons infatigables,dans la mesure où elle est plus fine*; de même il (l'Amour)acapté le feu primitif, la pupille ronde, enveloppée de membra-nes et de tissus délicats, qui sont percés partout de passagesmerveilleux. Ils écartent l'eau profonde qui entoure la pupille,mais ils laissent passer le feu, dans la mesure où il est plus fin.- R. P. 177b.
85.Mais la douce flamme(de l'oeil)n'a qu'une faible portionde terre. ;
86. De ceux-ci, la divine Aphrodite façonna les yeux infati-gables.
87.Aphrodite, unissant ceux-ci avec les rivets de l'amour.88.Une seule vision est produite par les deux yeux.89.Sache que des cfilucnccss'écoulent de toutes les choses
qui sont nées. —R. P. 166h.
>VoirIkare, p. 16,n. 1,oùest citétrès à proposPlaton,Tint.4564:16&iwpftc8a»vîi uèvxdUivoixfoxtv,tô il napigttv«<&enpupov.Alexandre,ad toc, prend xatàflijXivdans le sensde xat'oypivov,ce qui sembleimprobable.
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 251
90.Ainsi le doux s'empare du doux, et l'amer se précipite surl'amer ; l'acide va à la rencontre de l'acide, et le chaud s'accou-ple avec le chaud.
91. L'eau s'associe mieux avec le vin, mais elle ne veut pas(se mélanger) avec l'huile. — R. P. 166h.
92.Le cuivre mélangé à l'étain.
93. La baie du glauque sureau est mélangée de pourpre.94. Kt la couleur noire, au fond d'une rivière, provient de
l'ombre. La même chose se voit dans les cavernes creuses.
95.Depuis qu'ils (les yeux) furent unis pour la première foisdans les mains de Cypris.
96. La Terre bienveillante reçut dans ses vastes cavités deux
parts sur huit de la brillante Nestis, et quatre d'Héphaistos.Ainsi naquirent les os blancs, divinement ajustés ensemble parle ciment de l'harmonie. —R. P. 175.
97. L'épine dorsale (fut brisée).98. Kt la Terre, jetant l'ancre dans les ports parfaits d'Aphro-
dite, se rencontre avec ceux-ci dans des proportions à peu prèségales; avec Héphaistos, l'eau et l'air brillant —soit en prédo-minance légère, soit en quantité moins grande. De ces chosesnaquirent le sang et les multiples formes de chair. — R. P..175c.
99. La cloche... rameau charnu (de l'oreille)'.100.Ainsi1 toutes choses inspirent le soufTleet l'expirent.
Toutes ont des tuyaux de chair, dépourvus de sang, étendussur la surface de leurs corps ; et à leurs embouchures, la surface'extrême de la peauest percée partout de porcs étroitement serrés,de sorte qu'ils retiennent le sang, mais laissent libre passageAl'air. Quand donc le sang clair s'en retire, l'air bouillonnant s'yprécipite en flots impétueux, pour être expiré de nouveau quandle sang revient. De même, quand une jeune fille, jouant avecune clepsydre d'airain brillant, place l'orifice du tuyau sur sagracieuse main, et plonge la clepsydre dans le flot argentin de
1Sur cefragment,voir Renre,p. 90,n. 1.*Cepassageest cité par Artstotc(de Retpir.,473b 0), qui a fait U
curieuseméprisedeprendrep'tvûvpourle génitifde p'icau lieude inle.Le passageclassiquesur la clepsydreest Probl.014b0 sq.(a b 12,Ilfaut lire aùXoOau lieu de AXXO-J).ta clepsydreétait un vasede métalau toi étroit (aùXit),avecune sorte d'entonnoirO^pic),percédetrous(tpq|iata,tp'iK^|iata)à sa partie inférieure.Le passagedesProblimt*indiquéplushaut attribuecette théoriedu phénomèneà Anaxagore,etnousverronsplusloinqu'il fit aussiuneexpériencedecegenre($131).
252 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
l'eau qui cède, —le flot ne pénètre pas alors dans le vase, maisla masse d'air qui y est renfermé, pressant contre les trousétroits, le retient jusqu'à ce que la jeune fille découvre (délivre)le courant comprimé ; alors l'air s'échappe et un volume égald'eau fait son entrée, —exactement de la mêmemanière, quandl'eau occupe les profondeurs du vase d'airain, et que l'ouver-ture et le passage soht tenus fermés par la main humaine, l'airextérieur, cherchant à entrer/retient en pressant sur sa surfacel'eau aux portes du col qui fait entendre un bruit sourd ; jus-qu'à ce qu'elle (la jeune fille) retire sa main. Alors, juste dansle sens opposé à ce qui se passait auparavant, l'air se précipiteà l'intérieur, et un volume d'eau égal s'échappe pour lui faireplace '. Pareillement, quand le sang clair, qui s'agite à traversles veines, reflue à l'intérieur, le.flux d'air entre avec un bruitviolent, mais quand le sang fait retour, l'air est expiré en quan-tité égale.
101.(Le chien) flairant avec son nez les particules des mem-bres d'animaux, et l'exhalaison de leurs pieds, qu'ils laissentdans l'herbe tendre *.
102.Ainsi toutes choses ont leur part de souffle et d'odeur.
103,104.Ainsi toutes choses pensent de par la volonté de laFortune.. Kt pour autant que les choses les moins denses sesont unies dans leur chute.
105.(Lecoeur),demeurant dans la mer de sang qui coule dansdes directions opposées, où réside principalement ce que leshommes appellent pensée ; car le sang qui entoure le coeur estla pensée des hommes. —R. P. 178ci.
106.Car la sagessedes hommes s'accroît en proportion de cequ'ils'onl devant eux. — R. P. 177.
107.Car de celle-ci, toutes choses sont formées et ajustéesensemble, et c'est par elles que les hommes pensent et sententplaisir et peine. — R. P. 178.
»Ceciparait être 1expériencedécrite dans Probl.914b 26: càvjipti« ai>ri)î(tl)«xXrjcJipaî)aùtîjvtîjv xcuîîavtputX^sa;ûîatoç.»RtXa{îivtèvaùXiv.xitattpt'jigenitôvaùXôv,où«ptpttattô Cîwp2iàtoi aùXoitnl at4(ia.âvotx&htocil toO«tàjiatoî,oùxtù&ùctxptt xatàtèvaùXiv,àXXàutxpotipipûattpov»î euxSvM ttp stcuatt toi auXoO,iXX'usttpoviià toûto'j<pipé-p.evovàvotvBlvtoc.La meilleure explication de l'épithètc ivtifttot,appliquéeo («9uoto,consiste&la rapporter à l'tpufp-âcou «glouglou»dont il est parle&915a 7 commeaccompagnantledégagementde l'eauà traversl'a-ÎXôc.Chacunpeutpioduirecet effetavecune carafe.Si cen'était cetteépitliète,on serait tenté de lire ij¬oau lieu de ii9p.oîo.C'étaitla conjecturede Sturz,et c'esten fait la leçonde quelquesmss.
*Sur ce fragment,voir Bearc,p. 136,n. 2.
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 253
108.Dans la mesure où ils (leshommes)deviennent différents,des pensées différentes se présentent toujours à leurs esprits (ensonge)».—R. P. 177a.
109.Car c'est avec la terre que nous voyons la terre, et avecl'eau que nous voyons l'eau; par l'air, nous voyons l'air bril-lant, par le feu le feu dévorant. C'est par l'amour que nousvoyons l'Amour, et par la funeste haine que nous-voyons laHaine. - R. P. 176.
110.Car si, appuyé sur ton ferme esprit, tu contemples ceschoses dans une bonne intention et avec un soin irréprochable,alors tu auras toutes ces choses en abondance ta vie durant, ettu en gagneras encore beaucoup d'autres par elles. Car ceschoses croissent d'elles-mêmes daas ton coeur, où est le vraicaractère de chaque homme. Mais si tu aspires à des chosesd'autre nature, comme c'est l'habitude des hommes, alors unefoule innombrable de maux t'attendent, pour émousscr tes pen-sées. Bientôt ces choses t'abandonneront, quand le temps aurafait sa révolution ; car elles aspirent à retourner une fois deplus à leur propre nature ; car sache que toutes choses ont dela sagesse et une part à la pensée.
111.Et tu apprendras à connaître tous lesmédicaments qui sonune défense contre les maux de la vieillesse, car c'est pour toiseul que je veux accomplir tout cela. Tu arrêteras la violencedes vents infatigables qui s'élèvent et de leurs soufflesdétruisentles campagnes, et de nouveau, si tu le désires, tu ramènerasleurs souilles en arrière. Tu procureras aux hommes une séche-resse opportune après les sombres pluies, et de nouveau tuchangeras la sécheresse de l'été en pluies qui nourrissent lesarbres quand elles tombent du ciel. Tu ramèneras de l'Hadès lavie d'un homme mort.
Purifications.
112.Amis qui habitez la grande ville dont les regards plon-gent sur les jaunes rochers d'Akragas, en haut près de la cita-delle, empressés aux bonnes oeuvres, ports d'honneur pourl'étranger, hommes qui ne connaissez pas la bassesse, salut àvousI Je marche parmi vous en dieu immortel, n'étant plusmortel maintenant, honoré parmi tous comme il convient, cou-ronné de bandelettes et de guirlandes de fleurs. Dès que, avecces (adorateurs), hommes et femmes, je fais mon entrée dansles villes florissantes, des hommages me sont témoignés ; Ils me
>C'estparSirapllcius.de An.p. 202,.10(DV26B108)quenoussavonsque c'est en songe.
254 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
suivent en foule innombrable, me demandant quelle est la voiedu gain ; quelques-uns désirent des oracles, tandis que d'autres,qui ont été blessés par les douloureux aiguillons de toutessortes de maladies, désirent entendre de moi le mot qui sauve.— R. P. 162/".
113.Maispourquoi m'arrêter là-dessus, comme si c'était quel-que chose de grand que de surpasser les hommes mortels etpérissables ?
114.Amis,je sais que la vérité réside dans les paroles que jevais prononcer, mais elle est difficile pour les hommes, et ilssont jaloux de l'assaut de la croyance sur leurs âmes.
115.Il y a un oracle de la Nécessité",une antique ordonnancedes dieux, éternelle et fortement scellée par de larges serments:si jamais l'un des démons, qui ont obtenu du sort de longsjours, a souillé criminellement ses mains de sang 2,ou a suivila Haine et s'est parjuré, il doit errer trois fois dix mille ans loindes demeures des bienheureux, naissant dans le cours du tempssous toutes sortes de formes mortelles, et changeant un péniblesentier de vie contre un autre. Car l'Air puissant le pousse dansla Mer, et la Mer le vomit sur la Terre aride ; la Terre le pro-jette dans les rayons du brillant Soleil, et celui-ci le renvoiedans les tourbillons de l'Air. L'un le reçoit de l'autre, et tous lerejettent. Je suis maintenant l'un de ceux-ci, un banni et unhomme errant loin des dieux, car je mettais ma confiance dansla Haine insensée. —R. P. 181.
116.Chnris n horreur de l'intolérable Nécessité.117.Car j'ai été autrefois un jeune garçon et une jeune fille,
un buisson et un oiseau, et un poisson muet dans la mer. —R. P. 182.
118.Je pleurai et je me lamentai quand je vis le pays, qui nem'était pas familier. — R. P. 182.
119.De quels honneurs, de quelle hauteur de félicité suis-jctombé pour errer ici sur terre parmi les mortels !
120.Nous sommes venus sous cette cavernes...
» Hcrnaysconjecturaitp'fjjia,«décret», nu lieu de xpfjjia,maiscelan'est pas nécessaire.La Nécessitéest un personnageorphique,et Cor-glas, le discipled'EmpédocIe,dit : Otûv?«';Xt«p.aeivxal dvrjxTjc4"if':"|miv (Hel.6).
*Je gardefisnuau v.3 (demêmeDiels).Lepremiermotduv.4s'estperdu.Dielssuggèreftttxtt,qui peut bienêtrejuste, et tient 4aaptr,3i;pouréquivalentde èp.aptq«ac>J'ai traduit en conséquence.
1D'aprèsPorphyre,qui cite ce vers (deAntroNymph.8),cesmots
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 255
121....le pays sans joie, où sont la Mort et la Colère, et desbandes de Kèrcs et les Fléaux qui dessèchent, et la Pourriture
1
et les Flots rôdent dans l'obscurité sur la prairie d'Atè.
122,123. Là étaient Chtoniè et Heliope dont la vue s'étendau loin, la sanglante Discorde et l'Harmonie au doux regard,Kallisto et Aischrè, la Haie et la Lenteur, l'aimable Vérité etl'Incertitude aux noirs cheveux ; la Naissance et le Dépérisse-ment; le Sommeil et la Veille, le Mouvement et l'Immobilité;la Grandeur couronnée et la Bassesse,le Silence et la Parole. —R. P. 182a.
124.Malheur à toi, misérable race des Mortels, deux fois mau-dite : de quelles luîtes et de quels gémissements vous êtes nés !
125. De créatures vivantes, il les fit mortes, en changeantleurs formes.
126.(La Divinité) les revêtant d'une étrange enveloppe dechair*.
127.Parmi les animaux, ils deviennent des lions \ qui fontleur repaire sur les collines, et leur gitc sur le sol ; et des lau-riers parmi les arbres au beau feuillage. — R. P. 181b.
128.Ils 4n'avaient pas encore Ares pour dieu, ni Kydoimos,ni non plus le roi Zcus, ni Kronos ni Poséidon, mais Cypris, lareine... Ils se la rendaient propice par de pieux présents, pardes figures peintes* et des encens au .-•••.'jtilparfum, par desoffrandes de myrrhe pure et des baumes à la douce senteur,répandant sur le sol des libations de miel brun. Kt l'autel ne
étaient prononcés par les « puissances» qui conduisentl'âmedans lemonde (^i/onop-nolSuvâjittc).La « caverne» n'est pas platonicienne,maisorphiqued'origine.
1Cepassageestexactementmodelésur lecataloguedesNymphesdansVIliade,XVIII,39 sqq.. Chthonièse trouvedéjàdansPhérécydc(Diog.I, 119).
*J'ai gardé àXXÔYvum,commeétant le plus voisindesmss, quoiqu'ilsoit un peu difficileà expliquer.Sur l'histoire postérieuredu ehitônorphique,dans le langageimagédesgnostiques,voirHernays,Theophr.Sehr. n. if.Ce ehitôn fut identifiéavec le vêtementde peauxque fitDieupour Adam.'
3 C'estlà la meilleurep.ttoîxr(ou(Àcl.Nat. An. XII, 7).4 Leshommesde l'Aged'or.»Lesmssde Porphyreont Ypaittotctt Woiai,texteacceptépar Zellcr
et par Diels.LacorrectiondeUcrnays(adoptéepar R. P.), ne me con-vainc pas. Je me hasarde &suggéreruaxtoT«,en m'appuyantsur l'his-toire racontéepar Kavorlnus(Diog.VIII,63)du sacrificenon sanglantoffertpar Empédocleà Olymple.
256 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
ruisselait pas du sang pur des taureaux, mais c'était parmi les'hommes le plus grand crime que de dévorer leurs nobles mem-bres après leur avoir arraché la vie. — R. P. 184.
129.Kt il y avait parmi eux un homme d'un rare savoir, verséau plus haut point en toute espèce d'oeuvres sages, un hommequi avait acquis la plus grande richesse en connaissances ; carlorsqu'il tendait les forces de son esprit, il voyait facilementchacune des choses qui sont en dix, en vingt vies d'hommes '.
130.Car toutes (les créatures) étaient apprivoisées et doucesaux hommes, tant les bêtes que les oiseaux, et la flamme de labienveillance brûlait partout - R. P. 184a.
131. Si jamais, quoiqu'il s'agît de choses d'un jour, Muscimmortelle, tu as daigné prendre connaissance de mes efforts,assiste-moi encore une fois, je t'en supplie, ô Calliopc, car jeprofère une pure doctrine sur les dieux bienheureux. — R. P.179.
132.Réni est l'homme qui a acqui- le trésor de la divinesagesse ; malheureux celui qui n'a dans le coeur qu'une opinionconfuse sur les dieux. — R. P. 179.
133.Il ne nous est pas possible de placer Dieu devant nosyeux, ou de le saisir de nos mains, ce qui est la voie de persua-sion la plus large qui conduise dans le coeur de l'homme.
134.Car son corps n'est pas pourvu d'une tête humaine; deuxrameaux ne s'élancent pas de ses épaules ; il n'a pas de pieds,pas de genoux agiles, pas de parties velues ; il est seulement unesprit sacré et ineffable, dont les pensées rapides traversent lemonde entier comme des éclairs. — R. P. 180.
135.Cela n'est pas légitime pour quelques-uns et illégitimepour d'autres; mais la loi s'étend partout pour tous, à traversl'air qui règne au loin et l'infinie lumière du ciel. —R. P. 183.
136.Ne cesserez-vous pas ce meurtre au bruit funeste ? Nevoyez-vous pas que vous vous dévorez les uns les autres dansl'étourderié de vos coeurs? —R. P. 184b.
137.Kt le père soulève son propre fils, qui a changé de forme,et le tue en prononçant une prière. L'insensé I Kt ils se préci-pitent vers les meurtriers, demandant grâce, tandis que lui,sourd à leurs cris, les égorge dans son palais et prépare l'abo-minable festin. Pareillement, le (Ils saisit son père, et les
Tlmée voyait déjà dans ces vers une allusionà Pythagore(Diog.Vllt 64).Commeon nous dit (Diog.ib.) que selon quelques-unsilsvisaientParménide,Il est clair qu'aucun nom n'y était exprimé.
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 257
enfants leur mère, leur arrachent la vie et dévorent la chairqui leur est parente. — R. P. 184b.
138.Kpuisant leur vie avec l'airain.
139.Malheur à moi, que le jour impitoyable de la mort nem'ait pas anéanti avant que j'accomplisse avec mes lèvres lesoeuvres mauvaises de la voracité 1— R. P. 184b.
140.S'abstenir tout à fait des feuilles de laurier.
141.Misérables, derniers des misérables, gardez vos mainsdes fèves !
142.Le palais, recouvert d'un toit, de Zeus qui tient l'égidene le réjouira jamais, non plus que la maison de...
143.Lavez-vous les mains, prenant l'eau des cinq sourcesdans le bronze inflexible '. — R. P. 184c.
144.Jeûnez de la méchanceté I -- R. P. 184c.
145.C'est pourquoi vous êtes saisis par la dure perversité, etne voulez pas délivrer vos âmes des misérables soucis.
146.147.Mais, enfin, ils apparaissent parmi les hommes mor-tels comme prophètes, poètes, médecins et princes ; et ensuiteils s'élèvent au rang de dieux comblés d'honneurs, participantau foyer des autres dieux et à la même table, libres des misèreshumaines, assurés contre la destinée et à l'abri des offenses.— R. P. 181c.
148. ...La terre qui enveloppe l'homme.4.
CVI. — EMPÉDOCLEET PARMÉNIDE.
Dès le début de son poème, Empédocle prend soin de
marquer la différence entre les investigateurs qui l'ont pré-cédé et lui-même. Il parle avec aigreur de ceux qui,quoique n'ayant qu'une expérience partielle, se vantaientd'avoir tout découvert (frg. 2) ; pour lui, c'est une vraie«folie» (frg. 4). Sans aucun doute, il songe à Parménide.Son attitude, à lui, n'est cependant pas le scepticisme. Il secontente de s'élever contre la témérité qu'il y a &impro-viser une théorie de l'univers au lieu d'essayer de com-
prendre toutes les choses qui se présentent à nous « de la
>Sur les fragments138et 143,voirVahlensur Arist. Poet.21,1547b13,et Dielsdansl'Hermès,XV,p. 173.
PHILOSOPHIEonEcqi'R 17
258 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
manière où cela est clair» (frg. 4). Et cela signifie que nousne devons pas, comme Parménide, rejeter le secours dessens. Tout faibles qu'ils sont (frg. 2), ce sont les seulscanaux à travers lesquels la connaissance puisse pénétrerdans nos esprits. Nous nous apercevrons bientôt, cepen-dant, qu'Empédocle ne tient pas grand compte de ses aver-tissements. Lui aussi met sur pieds un système qui 'doittout expliquer, bien que ce ne soit plus un système mo-niste.
On a souvent dit que ce système constituait un essai deconciliation entre Parménide et Heraclite. Il n'est pas facile,toutefois, d'y trouver une trace quelconque de la doctrine
spécialement héraclitique, et il serait plus vrai de dire qu'ilvisait à concilier l'Eléatisme et le témoignage des sens. Il
répète, presque dans les mêmes termes, l'argument éléa-
tique tendant à prouver la seule réalité et indestructibilitéde «ce qui est» (frg. 11-15) ; et sa conception de la« sphère » parait être dérivée de la description parméni-dienne de l'univers, tel qu'il est véritablement 1. La réalité
qui est à la base du monde illusoire que nous présententles sens, Parménide soutenait que c'était un plénum sphé-rique, continu, éternel et immobile, et c'est de là que partEmpédocle. Etant donnée la sphère de Parménide, semble-t-il s'être dit, comment en arriverons-nous de là au monde
que nous connaissons? Comment introduire le mouvementdans l'immobile plénum ? Parménide n'était pas obligé denier la possibilité du mouvement dans l'intérieur de la
Sphère, s'il l'était de dénier tout mouvement à la Sphèreelle-même, mais pareille concession de sa part, s'il l'eût
faite, n'eût servi à expliquer quoi que ce soit. Si une
partie quelconque de la sphère doit se mouvoir, l'espaceoccupé par la matière déplacée doit être immédiatement
occupé par une autre matière, puisqu'il n'y a pas d'espacevide. Mais celle-ci serait précisément de la même nature
• Cf.Emp.frgs.27,28avecParm.frg.8.
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 259
que la matière dont elle aurait pris la place, car tout « ce
qui est» est un. Le résultat du mouvement serait donc
précisément le même que celui du repos ; il ne pourraitrendre compte d'aucun changement. Mais, doit s'êtredemandé Empédocle, cette supposition de la parfaitehomogénéité de la Sphère est-elle réellement nécessaire?Evidemment non ; ce n'est autre chose que l'ancien senti-ment irraisonné que l'existence doit être une. Si, au lieu de
cela, nous supposions un nombre déterminé de choses
existantes, il serait parfaitement possible d'appliquer àchacune d'elles tout ce que Parménide dit de la réalité, etles formes d'existence que nous connaissons pourraientêtre expliquées par le mélange et la séparation de cesréalités. La conception des «éléments» (pvoyulx), pouremployer un terme postérieur S était trouvée, et la formule
requise suit immédiatement. Pour autant qu'il s'agit deschoses particulières, il est vrai, comme nos sens nous le
disent, qu'elles naissent et qu'elles périssent ; mais si nous
envisageons les éléments derniers dont elles sont compo-sées, nous 'dirons avec Parménide que « ce qui est» estincréé et indestructible (frg. 17).
CVII. — LES « QUATRERACINES».
Les «quatre racines » de toutes choses (frg. 6), que sup-posait Empédocle, étaient celles qui sont devenues tradi-tionnelles : Feu, Air, Terre et Eau. Il faut noter, toutefois,qu'il n'appelle pas l'Air à/fc, mais <xlQ/,p,et cela pour la rai-son, sans doute, qu'il désirait éviter toute confusion avecce que l'on avait entendu jusqu'alors sous le premier deces termes. Il avait effectivement fait la grande découverte
que l'air atmosphériqu est une substance corporelle
' Pour l'histoire du ternu «.oi^tiov,voir Diels,FAcmenlum.Eudcmedit (ap.Simpl.Phys.p. 7,13)quePlatonfut lé premierà en faireusage,et cela est confirmé par la manièredont le motest Introduit dansTht.201e. Le termeprimitifétait popfi}ou îîta.
260 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
distincte, et ne doit être identifié ni avec l'espace vide, ni
avec le brouillard raréfié. L'eau n'est pas de l'air liquide,mais quelque chose de tout différent *. Celte vérité, Empé-docle la démontrait au moyen de l'appareil connu sous lenom de clepsydre, et nous possédons encore les vers dans
lesquels il faisait servir sa découverte à l'explication de la
respiration et du mouvement du sang (frg. 100). Aristotese
moque de ceux qui essayent de montrer qu'il n'y a pasd'espace vide en enfermant de l'air dans des horloges à eau
et en comprimant des outres à vin. Tout ce qu'ils prouvent,dit-il, c'est que l'air est une chose *. Mais c'était précisé-ment ce qu'Empédocle entendait prouver^ et ce fut là une
des plus importantes découvertes de l'histoire primitive de
la science. Il y a lieu pour nous de traduire ValQrpd'Empé-docIe par «air » ; mais nous devons éviter soigneusementde rendre par le même terme le mot <XY£>,qu'Anaxagoreparait avoir été le premier à employer en parlant de l'air
atmosphérique.Empédocle donnait aussi aux « quatre racines » les
noms de certaines divinités : Zeus qui brille, Héra quidonne la vie, Aidoncus et Nestis (frg. 6), mais il règne
quelque doute sur la manière dont ces noms doivent être
répartis entre les éléments. Nestis était, dit-on, une divinité
aquatique de la Sicile, et la façon dont elle est décritemontre qu'elle représente l'eau, mais il y a conflit d'opinionquant aux trois autres. Ceci, toutefois, ne doit pas nousarrêter*. Le fait qu'Empédocle qualifiait ses éléments de
>Cf.chap.I, | 27.• Arlst. Phys. A, 0, 213a 22(R. P. 159; DV46AC8).Aristotene
mentionnedans ce passagequele nomd'Anaxagoretmais11parleaupluriel, et noussavonspar le frg.100quel'expériencede la clepsydrefut faitepar Empédocle.
3 Dans l'Antiquitéles interprètesallégorlsantsd'Homèrefaisaientd'Hérala Terreet d'Aîdoncusl'air, opinionquia passéde Posldoniusà Aéllus.Elle prit naissancecommesuit. Les interprètesd'Homèren'avalentaucunintérêtpour lascienced'EmpédocIe,et nevoyaientpasque son ct!8f,pétait chosetoutedifférentede l'iijpd'Homère.Or ceder-nier est l'élémentsombre,et la nuit en est une forme,desortequ'il
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 261
dieux n'a rien qui puisse nous surprendre, puisque tous les
penseurs de l'époque ancienne ont honoré de ce titre ce
qu'ils regardaient comme la substance primordiale. Il faut
seulement prendre garde que le mot n'est pas employédans un sens religieux. Empédocle n'adressait pas de
prières et n'offrait pas de sacrifices aux éléments, et l'em-
ploi de noms divins est essentiellement un accident dû à
la forme poétique dans laquelle il exposa son système.
Empédocle tenait les « racines de toutes choses » pouréternelles. Rien ne peut sortir de rien ou être réduit
à rien (frg. 12) ; ce qui est est, et il n'y a aucune place
pour la naissance et pour la destruction (frg. 8). Il ensei-
gnait, en outre, à ce que nous dît Aristote, qu'ellesétaient immuables 1.Cela, Empédocle l'exprimait en disant
qu'« elles sont ce qu'elles sont » (frg. 17, 34 ; 21, 13) et
qu'elles sont « toujours pareilles ». De plus, elles sont
toutes «égales», indication qui paraissait étrange à Aris-
tote', mais était tout à fait compréhensible à l'époque
d'EmpédocIe. Avant tout, les éléments sont indivisibles.
Tous les autres corps, comme l'exprime Aristote, peuventêtre divisés jusqu'à ce qu'on arrive aux éléments ; mais
Empédocle ne pouvait donner aucune caractéristique ulté-
était naturel de l'identifieravecAidoncus.Enoutre, Empédocleappelleliera çtpte^to;,vieilleépithètede la Terredans Homère.Uneautre opi-nion courantedans l'antiquitéidentifiaitliera avec l'Air,ce qui est lathéoriedu Cralytede Platon,et Aidoneusavecla Terre.Lesinterprètesallégorisantsd'HomèreidentifiaientensuiteZeusavec le Feu, opinionà laquelle ils furent sans doute conduits par l'emploidu mot aî&ijp.Orce mot signifiecertainementle Feu chez Anaxagore,commenous leverrons, mais il n'est pas douteuxque chezEmpédocleil signifiel'Air.Il parait donc probableque Knatz a raison (Empedoclea,dans lesSehedoePhitotogicoeHermannoVsenerooblatK,1891,pp. 1 sq.)de sou-tenir que l'Air brillant d'EmpédocIeétait Zcus.Il ne reste ainsi qu'Ai-doneus pour représenter le Feu, et rien ne pouvaitêtre plus naturelque cette Identificationpour un poète sicilienqui avait à l'esprit lesvolcanset les sourceschaudesde son Ilenatale. Il parle lui-mêmedesfeux qui brûlent sousla Terre(frg.52). S'il en est ainsi, nousdevonsadmettre avec les interprètes allégorisantsd'Homèreque liera est laTerre, et 11n'y a assurémentaucuneimprobabilitéh cela.
<Arist.de Gen.Corr. H,1, 329b 1.*Ibid. 13,6,333a 16.
262 L'AUROREDELA PHILOSOPHIEGRECQUE
rieure de ceux-ci sans dire (ce qu'il ne fit pas) qu'il est un élé-
ment dont le Feu et les autres sont à leur tour composés '.Les « quatre racines » sont données comme une énumé-
ration épuisant tous les éléments (frg. 23 sub fin.); car ilsrendent compte de toutes les qualités que le monde offreaux sens. Si nous constatons — comme c'est le cas — quel'école de médecine qui regardait Empédocle comme sonfondateur identifiait les quatre éléments avec les «oppo-sés», chaud et froid, l'humide et sec, qui formaient lefondement théorique de son système à elle, nous voyonsimmédiatement dans quel rapport se trouve la théorie avecles conceptions antérieures de la réalité '. Pour le dire en peude mots, ce qu'Empédocle fit, fut de prendre les opposésd'Anaximandre et de déclarer qu'ils étaient des « choses»,dont chacune était réelle au seii3 parménidien. Nousdevons nous souvenir que le concept de qualité n'avait pasencore été formé. Anaximandre avait, sans aucun doute,tenu ses «opposés» pour des choses, quoique, avant le
temps de Parménide, personne ne se fût rendu pleinementcompte de tout ce qu'impliquait l'affirmation que quelquechose est une chose. C'est là le point où nous sommes main-tenant arrivés. Le concept de qualité est encore à naître,mais on a une claire intelligence de la portée de ce quel'on affirme quand on dit qu'une chose est.
Aristote déclare par deux fois *que, bien que supposant
>Ibid.A,8. 325b 19(R. P. 164e; DV21B159).Lesécrivainsposté-rieurs se sont si complètementmépris sur cepointqu'ilsattribuentenfait&Empédoclela doctrinedeatoiYttotupi t&vetoi)(t(.<i>v(Act.1,13,1;17,3; DV21.A43). Lecritlcismedes Pythagoricienset dePlatonavaitrendul'hypothèsedes élémentspresqueInintelligiblepourAristote,eta fortiori pour ses successeurs.Selonl'expressiondePlaton(77m.48b 8), ce n'étalent « pas mômedes syllabes», bien loin d'être des« lettres» («toix«îa).C'estpourquoiAristote,qui lesdérivaitdequelquechosedeplusprimaire,lesappelleta xaXoyjitvaetotytt*.(Diels,Etemen-ttim,p. 25.)
*Noussavonspar Ménonque Philistionreprésentaitainsila chose.Voirp. 237,il.2.
*Arlst. Met.A, 4 985a 31; de Gen.Corr.B,3.330b 19(R.P. 161e;DV21A36,37).
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE,V 263
quatre éléments, Empédocle raisonnait comme s'il n'en
admettait que deux, opposant le Feu à tout le reste. Et
cela, ajoute-t-il» nous pouvons le constater nous-mêmes en
lisant son poème. Or, on a beau envisager dans toute son
étendue la théorie générale des éléments, il est impossible
d'y voir rien de pareil ; mais, quand nous en viendrons à
l'origine du monde (§ 112), nous verrons que le Feu y joue,.en effet, le rôle principal, et c'est peut-être ce qu'Aristote a
voulu dire. Il est vrai aussi que, dans sa biologie (§114-116),le Feu remplit une fonction à part, tandis que les trois
autres éléments agissent plus ou moins de la même manièreles uns que les autres. Mais nous ne devons pas perdre de
vue qu'il n'a pas de prééminence sur le reste : tous sont
égaux.
CVIII. — HAINEET AMOUR.
Le criticisme des Eléates avait fait aux penseurs sub-
séquents un devoir d'expliquer le mouvement 1.Empédocle
part, nous l'avons vu, d'un état originel des «quatreracines » qui ne diffère de la Sphère de Parménide qu'entant qu'il constitue un mélange, non une masse homogèneet continue. Le fait que la sphère constitue un mélangerend le changement et le mouvement possibles ; mais s'il
n'y avait rien en dehors d'elle qui pût y entrer — comme
l'« Air» des Pythagoriciens — pour séparer les quatre élé-
ments, rien n'en pourrait jamais naitre. Empédocle sup-
posa donc l'existence d'une substance de cette nature, et il
lui donna le nom de Haine. Mais l'effet de celle-ci serait de
séparer complètement tous les éléments renfermés dans la
Sphère, et alors il ne pourrait rien arriver de plus ; il fallait
donc quelque chose d'autre pour les rapprocher de nouveau.
Empédocle trouva ce quelque chose dans l'Amour, qu'ilregardait comme identique à l'impulsion innée aux corpshumains de s'unir (frg. 17, 22 sq.). Il le considère, en fait,d'un point de vue purement physiologique, comme cela
»Cf.Inlrod. | VIII.
264 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
était naturel pour le fondateur d'une école médicale. Aucunmortel n'avait encore remarqué, dit-il, que le même Amour
que les hommes connaissent dans leur corps avait une
place parmi les éléments.Il est important d'observer que l'Amour et la Haine
d'EmpédocIe ne sont pas des forces incorporelles, mais deséléments corporels, comme les quatre autres. A l'époque,cela était inévitable : on n'avait encore songé à rien d'in-
oorpore). Naturellement, Aristote est déconcerté par cette
caractéristique de ce qu'il regardait comme causes effi-cientes. «L'Amour d'EmpédocIe, dit-il S est à la fois cause
efficiente, puisqu'il rapproche les choses, et cause maté-
rielle, puisqu'il constitue une part du mélange. » Et Théo-
phrastè exprimait la même idée en disant 'qu'Empédocle
attribuait parfois un pouvoir efficient à l'Amour et à la
Haine, et parfois les mettait au même niveau que les quatreautres éléments. Les vers d'EmpédocIe lui-même ne permet-tent pas de douter qu'il se les représentât comme étenduset corporels. Tous les six sont appelés «égaux». L'Amourest dit «égal en longueur et en largeur» aux autres, et laHaine est décrite comme équivalente en poids à chacund'eux (frg. 17).
La fonction de l'Amour est de produire l'union ; celle dela Haine est de la rompre. Cependant Aristote fait remar-
quer avec raison que, dans un autre sens, c'est l'Amour
qui divise et la Haine qui unit. Quand la Sphère est brisée
par la Haine, le résultat en est que le Feu, par exemple,qui était contenu en elle, se rassemble et devient un ; et,
quand les cléments sont réunis une fois de plus parl'Amour, la masse de chacun est divisée. Dans un autre
passage, il dit que la Haine a beau être supposée cause de
destruction, ce n'en est pas moins elle qui, en réalité,
i Arist.Met.A,10,1075b3.*Theophr.Phys. Op. frg.3{l)ox.p. 477);ap. Simpl.Phys.p. 25,21
(R.P.166b).
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 265
donne naissance à tout le reste, en agissant comme telle '.Il s'ensuit que nous devons distinguer avec soin entrel'Amour d'EmpédocIe et cette «attraction du semblable
par le semblable» à laquelle il attribuait aussi une partimportante dans la formation du monde. Cette dernièren'est pas un élément distinct des autres ; elle dépend, nousle verrons, de la nature propre de chaque élément, et ellen'est en mesure de déployer son effet que lorsque la hainedivise la Sphère. L'Amour, au contraire, est quelque chose
qui vient de l'intérieur et produit une attraction des dissem-blables.
CIX. — MÉLANGEET SÉPARATION.
Mais, quand une fois la Haine a séparé les éléments,
qu'est-ce qui détermine la direction de leur mouvement?
Empédocle parait n'avoir donné d'autre explication, si cen'est que chacun court « dans une certaine direction »
(frg. 53). Platon condamne sévèrement cela dans les Lois',
pour la raison qu'aucune place n'est ainsi laissée à uneintention. Aristote blâme aussi l'Agrigentin de ne donneraucune explication du hasard, auquel il attribuait une si
grande importance. Il n'explique pas davantage la Néces-
sité, dont il parlait aussi *.La Haine pénètre dans la Sphèreà un moment donné, en vertu de la Nécessité, ou du « puis-sant serment» (frg. 30); mais il nous laisse dans le vaguequant à l'origine de celui-ci.
L'expression dont se sert Empédocle pour décrire lemouvement des éléments est qu'ils «courent au travers les
»Arist..VeL A, 4, 985a 21;(DV21A37); r 4,1000a 24; fc9 (R.P.1661*).
* Platon, Lois X, 889b (DV21A48).Empédoclen'est pas seul visédans ce passage,maisl'expressionmontreque c'est surtout à lui quepensePlaton.
»Arlst. de Gen.Corr.B,6,334a 1; Phys. 9 1,252a 5 (H. P. 166k;DV21B53;21A38).
266 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
uns des autres » (frg. 17,34). Aristote nous dit *qu'il expli-
quait le mélange en général par la «symétrie des pores».Et c'est là la vraie explication de «l'attraction du sem-blable par le semblable». Les «pores» de corps sem-blables sont naturellement à peu près de même grandeur,et ces corps peuvent, par conséquent, se mélanger aisément.D'autre part, un corps plus fin « courra au travers » d'un
plus grossier sans s'y mélanger, et un corps grossier seradans l'impossibilité absolue de pénétrer dans les poresd'un plus fin. On observera que, comme le dit Aristote,ceci implique réellement quelque chose d'analogue à lathéorie atomique ; mais il n'y a aucune preuve qu'Empé-docle lui-même en eût conscience. Une autre question sou-levée par Aristote est encore plus instructive. Les pores,demande-t-il, sont-ils vides ou pleins? S'ils sont vides, quedevient la négation du vide? S'ils sont pleins, à quoisert-il d'en supposer l'existence ' ? Questions auxquellesEmpédocle eût été embarrassé de répondre. Elles dévoilentun véritable manque de profondeur dans son système, etle caractérisent comme une simple étape dans la transitiondu monisme à l'atomisme.
CX. — LES QUATREPÉRIODES.
Il résulte clairement de tout cela que nous devons dis-
tinguer quatre périodes dans le cycle. En premier lieu,nous avons la Sphère, dans laquelle tous les éléments sont
mélangés par l'Amour. Secondement, vient la période oùl'Amour s'en va et où la Haine fait son apparition; où, parconséquent, les éléments sont en partie séparés, en partiecombinés. En troisième lieu, arrive la complète séparationdes éléments, quand l'Amour est en dehors du monde, et
que la Haine a donné libre jeu à l'attraction du semblable
par le semblable. Enfin, nous avons la période dans
«Ibtd.A,8. 324b34(R. P. 166A; DV21A87).1Arlst.de Gen.Corr.A i. 326b6.
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 267
laquelle l'Amour rapproche de nouveau les éléments, etoù la Haine s'éloigne. Ceci nous ramène à l'époque de la
Sphère, et le cycle recommence. Or, un monde comme lenôtre ne peut exister que dans la seconde et là quatrièmede ces périodes, et il est clair que si nous voulons com-
prendre Empédocle, nous devons déterminer dans laquellenous sommes maintenant. Il semble généralement admis
que nous sommes dans la quatrième 1; j'espère montrer
que nous sommes en réalité dans la seconde, celle où laHaine commence à reprendre le dessus.
CXI. — NOTREMONDE,OEUVREDE LA HAINE.
Qu'un monde formé de choses périssables naisse tantdans la seconde que dans la quatrième période, cela est
expressément affirmé par Empédocle (frg. 17), et il estinadmissible qu'il soit resté dans' le vague sur la questionde savoir lequel de ces mondes est le nôtre. Aristote estclairement d'avis que c'est celui qui naît quand la Hainecommence à grandir. II dit quelque part qu'Empédocle« soutient que le monde est maintenant dans la périodede la Haine, en une condition analogue à celle où ilétait autrefois dans celle de l'Amour1». Dans un autre
passage, il déclare qu'Empédocle passe sous silence la
génération des choses dans la période de l'Amour, juste-ment parce qu'il n'est pas naturel de représenter ce
monde, dans lequel les éléments sont séparés, commenaissant de choses dans un état de séparation '. Cette
1C'est là l'opinion de Zcller(pp. 785sqq.), mais il admet que lestémoignagesextérieurs,en particulierceluiâ'Aristote,sontentièrementen faveurde l'autre. Pour lui, la difficultérésidedans les fragments,etsi l'on peutmontrerque ceux-cipeuventêtre interprétés d'accordaveclesindicationsd'Aristote,laquestionest tranchée.Aristotes'intéressaitspécialementàEmpédocle,et il n'est pasprobablequ'il le trahissepré-cisémentsur cepoint.
>Arlst. de Gen. Corr. B. 0, 331a 6 (DV21B54): tôvxé^ovéjiaîmctyciv(pTjalvinî tt toOvtlxoucv5vxalnpôtipov«xitijt «ptXîa;.
» Arlst.deCaelo,l\ 2, 301 ci 14 (DV21 A 42): it itt4TÛ>To>vM x«l
268 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
remarque peut seulement signifier que les théories scien-
tifiques contenues dans le poème d'EmpédocIe supposaientla croissance de la Haine ou, en d'autres termes, qu'ellesreprésentaient le cours de l'évolution comme la désinté-
gration de la Sphère, et non pas comme la sortie des chosesde l'état de séparation et leur rapprochement graduel 1.C'est là précisément ce que l'on est en droit d'attendre, sinous avons raison de supposer que le problème qu'il se
proposait de résoudre était de savoir comment ce mondeétait sorti de la Sphère de Parménide, et cette opinion estaussi en harmonie avec la tendance universelle de ces spé-culations, qui était de représenter le monde comme deve-nant pire plutôt que meilleur. Il ne nous reste donc plusqu'à examiner si les détails du système s'accordent aveccette idée générale.
CXII. — FORMATIONDUMONDEPARLA HAINE.
Pour commencer par la Sphère, dans laquelle les
«quatre racines de toutes choses» sont mélangées, nous
notons en premier lieu que, dans les fragments, elle est
appelée dieu, tout comme les éléments, et qu'Aristote yfait allusion plus d'une fois et de la même manière'. Nous
xivov>{ilvt»vo\>xt-jXoyovRO'.etvtrjvytvtciv.îiô xat EfiitcioxXiJçitapaXtiiuttîjvtnl tijî «ptXôtTvcoc*oùyàp àv rjSJvatowatfljattôv cwpavivexxtytopujit'vtDvjUvxaTasxt'jâÇwv,eû^xpisivH isotûvîià tijvtpiXoTjjîa'*x&iaxtxptiuvcuvfàpouvbtrjxtvi xôs[io{tOivorotyctuv(«notre mondeest formé desélémentsà l'état de séparation»), IOSÎ'àvaY/.aîovYivfoÔait£ Iviî xatajYxtxpttWvov.
1Celane signifiepas nécessairementqu'Empédoclene disait rien dutout du mondedel'Amour,car il dit manifestementquelquechosedesdeux mondesdans le frg. 17.Il suflitde supposerque les ayant décritsles deuxdans des termes généraux, il se contenta, dans la suite,detraiter en détail de celuide la Haine.
>Arist. de Gen.Corr.B0, 333b 21(H.P. 168e; DV21A40); Met.B,4, 1000ci 29 (B. P. 166i). Cf.Simpl.Phys. p. 1121,1(R. P. 167fc;DV21 B 29). Dans d'autres passages, Aristote parle d'elle commede«l'Un». Cf. cfeGen.Corr. A, 1, 316a 7 (R. P. 168c); Met.B, 4-1000a 29(R.P. 1660; A,4, 935« 28(R. P. il. DV21A37).Ceciimpli-que toutefoisun léger «développement» au sens aristotélicien. Cen'est pas tout à fait la mêmechosede dire, commele fait Empédocle,
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 269
devons nous souvenir que l'Amour lui-même est une partde ce mélange S tandis que la Haine l'entoure ou l'enve-
loppe de tous côtés exactement comme l'Illimité enveloppele monde dans les systèmes antérieurs. La Haine, toutefois,n'est pas illimitée, mais égale en volume à chacune des
quatre racines et à l'Amour.Au temps marqué, la Haine commence à pénétrer dans
la Sphère et l'Amour à en sortir (frg. 30, 31). Les fragmentseux-mêmes ne jettent que peu de lumière sur ce point, maisActius et le Pseudo-Plutarque des Stromales nous ont
conservé, à eux deux, un souvenir très fidèle de ce queThéophraste en a dit.
Empédocle soutenait que l'Air fut séparé en premier lieu, etsecondement le Feu. Ensuite vint la Terre, de laquelle, forte-ment comprimée comme elle le fut par l'impétuosité de sa révo-lution, jaillit l'Eau. De l'Eau, le Brouillard fut produit parl'évaporation. Les cicux furent formés de l'Air, et le soleil duFeu, tandis que les choses terrestres sortirent, par condensa-tion, des autres éléments. - Aét. II, 6, 3 (Dox. p. 334; R. P. 170;DV,21A, 49).
Empédocle soutenait que l'Air, quand il se fut dégagé dumélange originel des éléments, se répandit en cercle. Aprèsl'Air, le Feu, qui tendait à l'extérieur et ne trouvait aucuneautre place, se porta en haut sous le corps solide qui entourait
quetouteschosesse réunissent«en une», ou de direqu'ellesseréunis-sent « dans l'Un». Celtedernièreexpressiondonneà entendrequ'ellesperdentdans la Sphèreleur caractèrepropre et distlnctif, et qu'ellesdeviennentainsiquelquechosed'analogueà la <matière» d'Aristote.Commenous l'avonsexpliqué(p.262,n. 1),Aristoteavait grand'peineà concevoirdes éléments irréductibles; mais il ne peut y avoir dedouteque, dansla Sphèrecommedans leur séparation,lesélémentsnerestent« ce qu'ils sont» pourEmpédocle.CommeAristotele sait éga-lementfortbien, la Sphèreestun mélange.Comparezce que nous di-sons, chap. I %15, sur les difficultésque soulève1'aUn» d'Anaxi-mandre.
1 Ceci expliquece que nousaffirmeAristoteune foispositivement(Met.B, 1,996a 7), une folsavecun doutetrès marqué(Met.I\ 4. 1001ci12),à savoir que l'Amourétaitle substratumde l'Un dans le mêmesensexactementque le Feud'Heraclite,l'Air d'Anaximèneoul'EaudeThaïes.Il penseque tous lesélémentsse fondentdans l'Amouret per-dent ainsi leur identité. En ce cas,c'est dans l'Amourqu'il reconnaîtsa propre«matière».
270 . L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
l'Air '. Il y eut ainsi deux hémisphères qui tournèrent autour dela terre, l'un entièrement composé de feu, l'autre d'un mélanged'air avec un peu de feu. Ce dernier, il le supposait être laNuit. Quant à l'origine de leur mouvement, il la dérivait dufait que le Feu s'était accumulé dans un hémisphère et y étaitprépondérant. —Ps. Plut. Slrom, frg. 10 (Dox., p. 582; R. IV170a; DV,21 A, 30).
Le premier des éléments qui furent séparés par la Hainefut donc l'Air, qui prit la position la plus extérieure elentoura le monde (cf. frg. 38). Nous ne devons pas, tou-
tefois, prendre trop à la lettre l'indication qu'il entoura lemonde « en cercle». Il est manifeste qu'Empédocle se repré-sentait les cieux sous la forme d'un oeuf, probablement sousl'influence des idées orphiques*. Quoi qu'il en soit, le cercleextérieur de l'Air se solidifia ou se congela, et se transformaainsi en une voûte cristalline, qui limite le monde. Nousnotons que ce fut le Feu qui condensa l'Air et le changeae.xglace. En général, le ^eu a la vertu de solidifier *.
Par sa poussée en l;„ut, le Feu entraîna une portion del'Air dans la moitié supérieure de la sphère concave formée
par le ciel congelé. Cet air redescendit ensuite, emportantavec lui une petite portion du feu. "Ainsi furent produitsdeux hémisphères : l'un l'hémisphère diurne, consistant
uniquement en feu ; l'autre, le nocturne, consistant en air
avec un peu de feu.L'accumulation de Feu dans l'hémisphère supérieur
rompt l'équilibre des cieux et occasionne leur révolution,et celle-ci non seulement produit l'alternance du jour et dela nuit, mais maintient à leurs places les cieux et la terre
par sa rapidité. Ce fait était illustré, à ce que nous raconte
Aristote, par la comparaison avec une coupe pleine d'eau,
1Sur l'expressiontoi ittp'ttcv«fpanaYC»,comp. tltp'tîiamjf, I, 10, 1:«pictiv mptr/ovîaisi-pv.litym. Magn.s. t\ (ÎTJXÔÎ... tôvàvtutdtw«àtovxalluptiyovtatôvniixa àlp*.Ceci vient probablement,et en dernièreanalysed'Anaxtmènc.Cf.chap. I, p. 83,n. 2.
»Ael.Il, 31,4 (t)ox. p. 363;DV21A 60).»Act. Il, 11,2 (B.P. 170c; DV21A61).
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 271
que l'on fait tourner à l'extrémité d'un cordon 1. Les vers
qui contenaient ce remarquable exposé sur ce que l'on
appelle « force centrifuge» se sont perdus, mais l'illustra-tion par l'expérience est bien dans la manière d'EmpédocIe.
CXII1. — LE SOLEIL,LA LUNE,LESÉTOILESET LATERRE. Ï
On aura sans doute remarqué que le jour et la nuit ontété expliqués sans l'intervention du soleil. Le jour est pro-duit par la lumière de l'hémisphère diurne — qui est defeu — et la nuit est l'ombre projetée par la terre quandl'hémisphère de feu est de l'autre côté de son disque(frag. 48). Qu'est-ce donc que le soleil? Les Stromates du
Pseudo-Plularque*nous fournissent de nouveau la réponse :
« Le soleil n'est pas une substance Ignée, mais une imageréfléchie de feu, pareille à celle qui vient de l'eau.» Plu-
tarque lui-même fait dire à l'un de s personnages : « Vous
vous moquez d'EmpédocIe parce q... il dit que le soleil estun produit de la terre, qui a pour origine la réflexion de lalumière du ciel, et qui, une fois encore, «se réverbère sur
l'Olympe sans que rien trouble son aspect *». Aétius dit deson côté *: « Empédocle soutenait qu'il y avait deux soleils :
• Arlst.deCmlo,B,13,295a 16(R. P. 1706; DV21A67).L'expérienceavecti «vtôt; xoi&otfûîrop,qui x-JxXu>toi xjâ9oj(ptpojWvoj«oXXâxtcxâttotoOj(aXxojYIVÔJUVOV8<JKU;oùçipitai xatu>,nousrappellel'expériencedela clepsydredont il est questionau frg. 100.
»(Plut.]Slrom.frg.10(Dox.p. 582.11; R.P. 170c;DV21A30).»Plut, de Pylh. Or.400b (R. P. 170c; DV21 B 44).Nousdevons
conserverla leçondu ms. ictpl?fjvavecBcrnardakiset Diels.LaleçonKcptauyi)dansB. P. est une conjecturede Wyttcnbach; maiscf.Aet.II,20,13,cité dans la notesuivante.
* Aet.Il, 20,13(Dox.p. 350; DV21A56): 'EjnuîoxXfJ;SJotyXoKtivulvdpWrjitov,nOp8viv t<ôiripip i^tatpatptwtoi xôajiov,it*itXr)pu>xietô^(ttstpatpiov,ottilX3T«ivttxpltg ôvtajYiîqttajîol TitaYjUvov'tiv II fatvô-(iivov,àvtajyttaviv ttjî (tipror^i«<paiptwtu>toi àfpo; toi ôipiiop-ivolîmuXïjpcujiivtj),diitixjxXotipol;rfjjY*;*« àvâxXaîivYifvop.Jvï)VI!«tiv »jX;ovtiv xpvrttaXXotto'f).«j}An«ptiXxojiivTjvil t{ xivqantoi iwpîvou.â>;il ^paviuitelpfjibaiouvttpiôvta,avtaûvctavclva toi ntpltljvYfjvnypè«tiv ^Xtov.
272 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
l'un, l'archétype, le feu dans un hémisphère du monde, quiremplit toujours tout l'hémisphère placé en face de sa
propre réflexion ; l'autre, le soleil visible, réflexion du pre-mier dans l'autre hémisphère, qui est rempli d'air mélangéde feu. Celui-ci est-produit par la réflexion de la terre, quiest ronde, sur le soleil cristallin, et mù en cercle par lemouvement de l'hémisphère de feu. Ou, pour le dire en
peu de mots, le soleil est une image réfléchie du feu ter-restre. »'
Ces passages, et surtout le dernier, ne sont nullementclairs. L'image réfléchie que nous appelons le soleil ne
peut pas être dans l'hémisphère opposé à celui de feu, carc'est l'hémisphère nocturne. Nous devons dire plutôt quela lumière de l'hémisphère de feu est réfléchie par la terresur l'hémisphère de leu lui-même en un rayon concentré.Il résulte de là que l'apparence à laquelle nous donnons le
nom de soleil est de même grandeur que la terre. Nous
pouvons expliquer comme suit l'origine de cette concep-tion. On venait de découvrir que la lune brillait d'unelumière réfléchie, et l'on est toujours porté à donner àune théorie nouvelle une application plus étendue qu'ellene le comporte en réalité. Dans la première partie duV° siècle avant J.-C, les hommes voyaient partout unelumière réfléchie ; les Pythagoriciens soutenaient une
opinion tout à fait analogue, et quand nous en arriverons à
eux, nous verrons pourquoi Aétius, ou plutôt sa source,
l'exprime en parlant de « deux soleils ».
C'est probablement à ce propos qu'Empédocle déclarait
que la lumière met quelque temps à parcourir l'espace,
quoique sa vitesse soit si grande qu'elle échappe à notre
perception *.«La lune, selon Empédocle, est composée d'air coupé
par le feu ; elle est gelée exactement cemme la grêle et
emprunte sa lumière au soleil.» C'est, en d'autres termes,un disque d'air congelé, de la même substance que la voûte
>Arist. de Sensu,6,446a 28; de An.B, 7, 418b 20(DV21A57).
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 273
solide qui entoure les cieux. Au dire de Diogène, Empé-docle enseignait qu'elle était plus petite que le soleil, et
Aélius nous apprend qu'elle était à une distance de moitié
moindre de la terre '.
Empédocle n'essaya pas d'expliquer les étoiles fixes, ni
même les planètes^ par la lumière réfléchie. Pour lui, elles
sont faites de feu, de ce feu que l'Air entraîna avec lui
quand il fut pressé sous la terre, comme nous l'avons vu
plus haut, par la poussée du feu en haut lors de la pre-mière séparation. Les étoiles fixes sont attachées à l'air
congelé ; les planètes se meuvent librement *.
Empédocle connaissait (frg. 42) la vraie théorie des
éclipses de soleil, qui, avec celle de la lumière de la lune,fut la grande découverte de cette période. Il savait aussi
(frag. 48) que la nuit est le cône d'ombre de la terre, et non
une sorle d'exhalaison.Il expliquait les vents par les mouvements opposés des
hémisphères de feu et d'air. Selon lui, la pluie a pour cause
la compression de l'air, qui exprime par ses porcs, sous
forme de gouttes, toute l'eau dont il est imprégné. L'éclair
est le feu qui se dégage des nuages, de façon tout à fait
analogue ».La terre était d'abord mélangée d'eau, mais la compres-
sion toujours plus grande causée par la rapidité de larévolution du monde en fit jaillir l'eau, de sorte que la mer
est appelée «sueur de la terre», expression à laquelleAristote reproche de n'être qu'une simple métaphore poé-tique. La salure de la mer était expliquée à l'aide de cette
analogie *.
»[Plut.] Slrom. frg. 10(f)ox.p. 5S2,12;R. P. 170c; DV21A30)jDiog.VIII,77; Aet.II, 31, 1 (DV21A61; cf.Dox.p. 63).
2Aet.Il, 13,2 et 11(Dox.p.341sq.; DV21A53,51).3Aet.III, 3, 7; Arist. Metcor.B, 9, 369b 12, avec le commentaire
d'Alexandre(DV21A 63).«Arlst.Mcteor.B,3,357a 24(DV21A23);Aet.III, 16,3(II. P. 1706;
DV21A66).Cf. l'allusionmanifested'Arist.,Meteor.B, 1,353fr11.
PHILOSOPHIEOnECQUR 18
274 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
CXIV. — COMBINAISONSORGANIQUES.
Empédocle entreprit ensuite de montrer comment les
quatre éléments, mélangés en proportions diverses, don-nèrent naissance aux choses périssables, telles que os,chair, etc. Ces choses sont naturellement l'oeuvre del'Amour ; mais ce fait ne contredit en aucune façon l'opi-nion émise plus haut quant à la période d'évolution à
laquelle ce monde appartient. L'Amour n'est point encorebanni du monde, quoiqu'il doive l'être un jour. A l'heure
qu'il est, il est toujours en mesure de former des combi-naisons d'éléments ; mais, justement parce que la Haineest en voie de croissance, elles sont toutes périssables.
La possibilité de combinaisons organiques dépend dufait qu'il y P encore de l'eau et même du feu dans la terre
(frg. 52). Les sources chaudes de la Sicile en étaient la
preuve, pour ne pas parler de l'Etna. Ces sources, Empé-docle parait les avoir expliquées par une de ses imagescaractéristiques, tirée celte fois du chauffage des bains '.On notera que ses comparaisons sont presque toutes tiréesd'inventions et d'actions humaines.
CXV. — LES PLANTES.
Plantes et animaux furent formés des quatre éléments,sous l'influence de l'Amour et de la Haine. Les fragments
qui traitent des arbres et des plantes sont les fragments 77
à 81 ; rapprochés de certaines indications d'Aristote et de
la tradition doxographique, ils nous permettent de nous
rendre compte assez exactement de ce qu'était la théorie
d'EmpédocIe. Le texte d'Aétius est très corrompu ici; mais
peut-être peut-on le rendre comme suit :
1Sénèque,Qwest.Nat. III,24: «faceresolemusdraconeset miliariaet complurcsformasin quibusaerctenui fistulasstruimusperdéclivecircumdatas,ut swpecundemignemambiensaqua per tantumfluatspatii quantum cfllclendocàlori sat est. frigldaitaque intrat, efflultcalida. idemsub terra Empedoclescxlstimatfierl.»
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 275
Empédocle dit que les arbres furent les premières créaturesvivantes à croître de la terre, avant que le soleil fût étendu, etavant que le jour et la nuit fussent distingués l'un de l'autre ;qu'en raison de la symétrie de leur mélange, ils contiennent laproportion du mâle et'de la femelle ; qu'ils croissent en s'éle-vant grâce à la chaleur qui se trouve dans la terre, de sortequ'ils constituent des parties de la terre exactement comme lesembryons sont des parties de l'utérus ; que les fruits sont desexcrétions de l'eau et du feu dans les plantes, et que ceux (desvégétaux) qui n'ont pas suffisamment d'humidité perdent leursfeuilles quand elle est évaporée par la chaleur du soleil, tandisque ceux qui en ont davantage restent toujours verts, tels lelaurier, l'olivier et le palmier ; que les différences de goût sontducs à des variations dans les particules contenues dans la terre,et au fait que les plantes en tirent des particules différentes,comme c'est le cas des vignes, car ce n'est pas la différence desvignes qui fait le vin bon, mais celle du sol qui les nourrit.— Aet. V,26, 4 (H.P., 172; DV, 21 A, 70).
Aristote blâme Empédocle d'expliquer la double crois-sance des plantes, en haut et en bas, par les mouvementsnaturels opposés de la terre et du feu contenus en elles 1.Aux « mouvements naturels » nous devons évidemmentsubstituer l'attraction du semblable par le semblable (§109).Théophraste dit à peu près la même chose *. La croissancedes plantes doit donc être envisagée comme un incidentdans cette séparation des éléments que produit la Haine.Une partie du feu qui est encore sous la terre (frg. 52), serencontrant dans sa course en haut avec la terre encorehumectée d'eau, et qui descend pour « rejoindre son sem-blable », s'unit avec elle sous l'influence de l'Amour quiest resté dans le monde pour former une de ces combinai-sons temporaires que nous appelons arbres ou plantes.
Au commencement du traité pseudo-aristotélicien sur lesPlantes* il est dit qu'Empédocle attribuait à celles-ci le
désir, la sensation et la faculté d'éprouver du plaisir, pu dela peine ; il avait d'ailleurs reconnu que les deux sexes sont
' Arist. de An.B, 4,415b 28(DV21A70).*Thcophr.decousisplantarum I, 12,5 (DV21A70).* [Arist.]deplantis, A,1,815a 15(DV21A70).
276 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
combinés en elles. Ce fait est mentionné par Aétius, et
discuté dans le traité pseudo-aristotélicien. Si nous pou-vons avoir quelque confiance dans celte traduction byzan-tine d'une version latine de l'arabel, nous y trouvons une
indication très précieuse sur la cause qui lui est assignée.Les plantes, y lisons-nous, vinrent à l'existence «dans un
état imparfait du monde *», à savoir à un moment où la
Haine n'avait pas encore assez prévalu pour différencier
les sexes. Nous verrons que la même remarque s'appliqueà la race originelle des animaux dans ce monde. Il est
étrange qu'Empédocle n'ait jamais observé le processusréel de la génération chez les plantes, mais se soit borné à
dire qu'elles « portent » spontanément «des oeufs», c'est-à-
dire des fruits (frg. 79).
CXVI. — EVOLUTIONDESANIMAUX.
Les fragments qui traitent de l'évolution des animaux
(57-62)doivent être interprétés à la lumière de l'indication
du frg. 17, suivant laquelle il y a une double naissance et
une double destruction des choses mortelles. Empédocledécrit deux processus d'évolution, qui suivent des cours
exactement opposés, l'un appartenant à la période de
l'Amour et l'autre à celle de la Haine. Les quatre phasesde cette double évolution sont distinguées avec soin dans
un passage d'Aétius*, et nous verrons qu'il y a des raisons
d'en rapporter deux à la seconde période de l'histoire du
monde, et deux à la quatrième.La première phase est celle dans laquelle les diverses par-
ties des animaux naissent séparément. C'est celle des têtes
*L'AnglaisAlfredtraduisit la versionarabe en latin sous le règned'HenriIII (d'Angleterre).Decetteversion, il fut retraduit en grec àl'époquede la Renaissancepar un Grecrésidant en Italie.
*A,2.817b 35: «muudo....dimlnutoet nonperfectoincomplementosuo»(Alfred).
1Aet.V, 19,5 (R.P. 173; DV21A72).Platon a fait usaje, dans lemythedu Politique,de l'Idéede l'évolutionrégressive.
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 277
sans cous, des bras sans épaules et des yeux sans fronts
(frg. 57). Il est clair que ce doit être la première phase de
ce que nous avons appelé la quatrième période de l'histoiredu monde, celle dans laquelle l'Amour fait son entrée etoù la Haine s'éloigne. Aristote l'attribue expressément àla période de l'Amour, par laquelle il entend, comme nous
l'avons vu, la période où l'Amour est en croissance 1.C'esten accord avec ceci qu'il dit encore que ces membres dis-
persés furent dans la suite réunis par l'Amour*.La seconde phase est celle dans laquelle les membres
dispersés sont unis. Tout d'abord, ils furent combinés detoutes les manières possibles (frg. 59). Il y avait des boeufsà têtes humaines, des êtres à double face et à double poi-trine, et toutes sortes de monstres (frg. .61). Ceux quiétaient aptes à survivre survécurent ; les autres périrent.C'est ainsi que se fit l'évolution des animaux dans la
période de l'Amour 3.La troisième phase appartient à la période où l'unité de
la sphère est détruite par la Haine. C'est, par conséquent,la première phase de l'évolution de notre monde actuel.Elle commence avec les « formes brutes» dans lesquelles il
n'y a encore aucune distinction de sexes ou d'espèces 4.Ces « formes » sont composées de terre et d'eau, et pro-duites par le mouvement en hatt du feu, qui cherche àatteindre son semblable.
Dans la quatrième phase, les sexes et les espèces ont été
»Arist.de Coelo,l\ 2.300b29(R.P. 173a; DV21B57).Cf.de Gen.An.A,17.722b 17(DV21B63).où le fragment57est introduitpar lesmots xi8ôntp'Epiuîv/Xijîrivvàfui tijc>t>iXôt»jîo«.Simpliclus,de Cicto,p. 587,18(DV21B58),exprimela mêmechoseen disant: [lOjvo-ieX^ï«ta Yu'.adr.i tij<to-5ÎVtîxojî2nxpîa:a>tovrat;:Xavato.
3Arist.«VAn.t\ 0.430a 30(II.P. 173a).*deci est clairementexprimépar Simpliclus,deCKIO,p. 587,20(DV
21B 59).C*C3t: 5ït toi fttîxov;tntxpâtttXomivyj<J>tXi-*)î...ircît*î «ï»tXô-tijtocolvh 'EjAittlîxXîjîtxtÎMacïr.tv,ov/à; JntxpatoJstîjîi) t?(t<!>IXCÏ»)ÎOÎ,dXX'«ocjiiXXoûiijciîtixpartîv.APhys., p. 371,33(DV211161),il dit queles boeufsà têteshumainesvivaientxatàt/ivtf «v4>t).Î3«âp'X>jv.
*Cf.Platon,.Sy/»i/>.1S9e.
278 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
séparés, et les nouveaux animaux ne naissent plus des
éléments, mais par voie de génératfon. Voyons maintenantl'idée que se faisait Empédocle de la reproduction.
Dans ces deux processus d'évolution, Empédocle était
guidé par l'idée de la survivance des plus aptes. Aristote le
critique sévèrement sur ce point. « Nous pouvons supposer,dit-il, que toutes choses sont arrivées par hasard, exacte-ment comme elles l'auraient fait si elles avaient été pro-duites pour quelque fin. Certaines choses se sont conser-vées parce qu'elles avaient acquis spontanément une struc-ture appropriée, tandis que celles qui n'étaient pas consti-tuées de la sorte ont péri et périssent encore, comme
Empédocle le dit des boeufs à faces humaines '. » C'est là,suivant Aristote, laisser trop de place au hasard. Uncurieux exemple nous a été conservé. La formation desvertèbres a été expliquée en disant qu'un animal invertébréde l'époque ancienne avait essayé de se tourner, et ce fai-sant s'était rompu le dos. Cette variation lui fut favorableet il survécut '. Il y a lieu de noter que ce fait appartientclairement à la période de la Haine, cl non, comme lesboeufs à tètes humaines, à celle de l'Amour. La survivancedes plus aptes était la loi des deux processus d'évolution.
CXVII. — PHVSIOLOOIK.
La distinction des sexes fut un important résultat de ladifférenciation graduelle produite par l'entrée de la Hainedans le monde. Empédocle s'écartait de la théorie donnée
par Parménide dans la seconde partie de son poème ($95),en ce sens que, selon lui, l'élément chaud est prépondé-rant dans le sexe masculin, et que les mâles sont conçusdans la partie la plus chaude de l'utérus (frg. 65). Le foetusest formé pour une part de la semence du mâle, pour une
part de celle de la femelle (frg. 63), et c'est justement le
«Arist.Phys.B.8.198b29(R.P. 173a ; DV21B61).»Arist.dePart. An.A. 1,640a 19(DV21B97).
KMPÉLOCLI:D'AGRIGENTK 279
fait <|tie la substance corporelle d'un être nouveau est par-tagée entre le mâle et la femelle qui engendre le désir
quand ces deux êtres s'aperçoivent (frg. Cl). Une certaine
symétrie des porcs dans la semence du mâle cl de lafemelle est naturellement nécessaire pour la procréation,et c'est par son absence qu'Empédocle expliquait la stéri-lité des mulets, l/enfant ressemble le plus à celui des
parents qui a le plus contribué à sa formation. L'influencedes statuts et des peintures était notée, toutefois, commemodifiant l'aspect de la progéniture. Les couches doublesel triples sont dues à la surabondance et à la division dela semence '.
En ce qui concerne la croissance du foetus dans l'utérus,
Empédocle enseignait qu'il élait enveloppé d'une mem-
brane, que sa formation commençait le trente-sixième
jour, et qu'elle était complète le quarante-neuvième. Lecoeur est constitué en premier lieu, les ongles et choses de
même nature en dernier. La respiration ne commence
qu'au moment de la naissance, quand les fluides quientourent le foetus sont éloignés. La naissance se produitle neuvième ou le septième mois, parce que le jour avait
primitivement une durée de neuf, puis de sept mois. Lelait fait son apparition le dixième jour du huitième mois
(frg. 68)».La mort est la séparation finale, par la Haine, du feu el
de la terre qui se trouvent dans le corps, et qui, tous deux,ont sans cesse aspiré à « rejoindre leur semblable ». Lesommeil est une séparation temporaire, et jusqu'à un cer-tain degré, de l'élément igné*. A sa mori, l'animal serésout en ses éléments, qui peut-être entrent en de nou-velles combinaisons, et peut-être aussi s'unissent d'une
«Aet.V,10,1; 11,1; 12,2; 14,2(DV21A81,82).Cf. Fr^drich,//i>-pokratisehel'ntersuehungen,p. 12<>sq.
* Aet.V. 15.3; 21,1 (Dox.p. 190;DV21A74).* Aet.V.25,4 (Dox.p. 437;DV21A85).
280 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
manière permanente avec « leur propre espèce ». Il ne sau-rait être question ici d'une Ame immortelle.
Même pendant la vie, nous pouvons voir l'attraction «lusemblable par le semblable s'exercer chez les animauxexactement comme elle le fait dans la croissance des
plantes en haut et en bas. La chevelure est la même chose
que le feuillage (frg. 82); et, généralement parlant, la par-tie ignée des animaux tend vers le haut et la partie terrestrevers le bas, quoiqu'il y ait des exceptions, comme on peutle voir dans le cas de certains coquillages (frg. 76), chez
lesquels la partie terrestre est en haut. Ces exceptions nesont possibles que parce qu'il y a encore une grande pro-portion d'Amour dans le monde. Nous voyons aursi l'at-traction du semblable par le semblable dans les diverseshabitudes des diverses espèces d'animaux. Ceux qui onten eux le plus de feu volent dans les hauteurs de l'air ;ceux dans lesquels la terre est prépondérante se tiennentsur la terre, comme fait le chien, qui se couche toujourssur une brique 1.Les animaux aquatiques sont ceux dans
lesquels l'eau prédomine. Ceci ne s'applique toutefois pasaux poissons, qui sont de feu dans une large proportion,et qui ne font de l'eau leur habitat que pour se rafraîchir!.
Empédocle accorda une grande attention au phénomènede la respiration, et la très ingénieuse explication qu'il endonnait nous a été conservée dans un fragment ininter-
rompu (100). Nous respirons, disait-il, à travers tous les
pores de la peau, et non pas seulement par les organesspécialement affectés à celle fonction. La cause de l'ins-
piration et de l'expiration alternatives du souffle est le mou-vement du sang du coeur à la surface du corps et vice-
versa, mouvement illustré par l'analogie de la clepsydre.La nutrition cl la croissance des animaux doivent natu-
rellement être expliquées par l'attraction du semblable par
«Aet.V,19,5(Dox.p. 431;DV21A72).Cf.Eth. End. Il, 1,1235« 11.aAri»t.de Itcspir.14,477« 32; Theophr.de cousisplant. I, 21(DV
21A73).
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 281
le semblable. Chaque partie du corps a des pores auxquelsla nourriture appropriée s'adapte. Le plaisir et la peinesont causés par l'absence ou la présence d'éléments sem-
blables, c'est-à-dire d'éléments appropriés aux pores. Les
larmes et la sueur ont pour origine un trouble qui fait
coaguler le sang ; elles sont, pour ainsi dire, le petit-laitdu sang '.
CXVII1. - PERCEPTION.
Sur la théorie cmpédoclccnnc de la perception, nousavons l'analyse même de Théophrnslc :
Empédocle parle de la mémo manière de tous les sens, et ditque la perception esl duc aux « eftluences •>appropriées auxpassages de chaque sens. Kt c'est pourquoi l'un ne peut jugerles objets de l'autre ; car les passages de quelques-uns d'entreeux sonl trop larges cl ceux des autres trop étroits pour l'objetsensible, de sorlc que ce dernier, ou bien passe à travers sansloucher, oiune peut pas entrer du tout. — 11.P. 177b (DV21 ASG; 11»,7-10).
Il essaie aussi d'expliquer la nature de la vision. Il «lit quel'intérieur de l'oeil consiste en l'eu, tandis que, tout autour, c'estde la terre et de l'air !, à travers lesquels le feu est capable depasser, a cause de sa finesse, comme la lumière à travers leslanternes (Irg. 81).Les passages du feu et de l'eau sonl arrangésalternativement; à travers ceux du feu, nous percevons les objelsbrillants, à travers ceux de l'eau les objets sombres ; chaqueclasse d'objets s'adaple à chaque classe de passages, et les cou-leurs sont communiquées à Tavue par effiucnce. —R. P. ib. (DVIbid. 11-10).
Maisles yeux ne sont pas tous composés de la même manière ;quelques-uns sont composés d'éléments semblables, et quelques-uns d'éléments opposés; quelques-uns ont le feu au centre, etquelques-uns à la périphérie. C'est pourquoi certains animauxvoient de jour et d'autres de nuit. Ceux qui ont le moins de feu
«Nutrition,Aet.V,27,1(DV21A77);plaisir et peine,Aet. IV,«.*,15;V,28,1(DV21A95); larmeset sueur, V.22,1.
*C'est-à-direune vapeuraqueuse,et non l'air ou l'aiD^pcommeélé-ment (§ 107).Cette vapeur est identiqueà Pueau» mentionnéeplusloin. Il n'estdoncpas nécessaired'insérer ici«l Cïu>paprèszOp,commele font Knrstcnet Diels.
282 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
volent de jour, car le feu qui est A l'intérieur est complété parcelui de l'extérieur ; ceux qui ont le moins de l'élément opposé(c'est-A-dired'eau), voient de nuit, car alors il est remédié Aleur insuffisance. Mais, dans le cas contraire, chacun se com-porte de la manière contraire. Les yeux dans lesquels le feu pré-domine sont éblouis pendant le jour, parce que le feu, étantencore augmenté, occupe et obstrue les pores «le l'eau, ('euxdans lesquels l'eau prédomine, dit-il, éprouveront la mêmechose de nuit, parce que le feu est obstrué par l'eau. Kl celacontinue jusqu'à ce que, pour les uns, l'eau soit séparée par lefeu, et pour les autres le feu soit séparé par l'eau, car, «lanschaque cas, c'est le contraire qui est le remède. La vue la mieuxconstituée et la plus excellente est celle qui est composée desdeux éléments en proportions égales. Voila ce qu'il «Ut,en fait,de la vision.
L'audition, selon lui, est produite par le son extérieur, quandl'air, ébranlé par la voix, résonne au dedans de l'oreille ; car lesens de l'ouïe est une sorte de cloche qui résonne au dedansde l'oreille, cl qu'il appelle un « bourgeon de chair». Quand l'airest mis en mouvement, il frappe les parties solides et produitun son '. Selon lui, l'odorat naît de la respiration, et c'est pour-quoi ccux-lAsentent le mieux, dont le soufilc a le mouvement leplus violent, et l'odeur la plus forte provient de corps subtils etlégers ».Quant au toucher et au goût, il n'indique pas comment,ou par le moyen de quoi ils se produisent, si ce n'est qu'il nousdonne une explication applicable A tous les sens, Asavoir quela sensation résulte de î'ada^'ation aux porcs. Le plaisir estproduit par ce qui est semblable dans ses cléments et dans leurmélange ; la peine par ce qui est opposé. — R. 1».ib. (DVIbid.,17-37.)
Kt il donne une explication tout A fait semblable de la penséeet de l'ignorance. La pensée naît de ce qui est semblable, cll'ignorance de ce qui est dissemblable, impliquant ainsi que lapensée est la même chose, ou A peu près, que la perception.Car, après avoir énuméré comment nous savons chaque choseau moyen d'elle-même, il ajoute :« Car de celles-ci toutes chosessont formées et jointes ensemble, et c'est par elles que leshommes pensent et sentent plaisir et peine» (frg. 107).Kt pourcelte raison, nous pensons essentiellement avec notre sang, carc'est en lui que, de toutes les parties du corps, tous les éléments
1 Beare,p.96,n. 1.* Ibid., p. 133.
EMPEDOCLED'AGRIGENTE 283
sont le plus complètement mélangés.—R.P. 178(DV/Wc/.,38-13).Tous ceux, donc, chez lesquels le mélange est égal, ou Apeu
près, et chez lesquels les éléments ne sont ni A de trop grandsintervalles, ni trop petits ni trop grands, sont les plus sageset ont les perceptions les plus cxacles ; et ceux qui viennentle plus près d'eux sont sages A proportion. Ceux qui sontdans la condition opposée sont les plus fous. Ceux dont les élé-ments sont rares et séparés par des intervalles, sont obtus etlaborieux ; ceux chez lesquels ils sont serrés et divisés enmenues particules sont impétueux ; ils essayent beaucoup dechoses et en terminent peu Acause de la rapidité avec laquelleleur sang se meut. Ceux qui ont un mélange bien proportionnédans quelque partie de leur corps seront habiles sous ce rap-port. C'est pourquoi quelques-uns sont bons orateurs et quel-ques-uns bons artisans. Ces derniers ont un mélange favorabledans leurs mains, et les premiers dans leurs langues, et il enest ainsi des mitres capacités spéciales.— R, P. ib. (DV,Ibid. 44-169,6).
La perception est donc due à la rencontre d'un élément
qui est en nous avec le même élément en dehors denous. Elle se produit quand les pores de l'organe des sensne sont ni trop grands ni trop petits pour les « effluences »
que tous les corps émettent constamment (fig. 89). L'odoratétait expliqué par la respiration. Le souffle aspire avec luiles petites particules qui s'adaptent aux pores. Aétius nous
apprendl qu'Empédocle prouvait cela par l'exemple des
gens qui sont enrhumés du cerveau, et qui ne peuvent passentir justement parce qu'ils éprouvent de la difficulté à
respirer. Nous voyons aussi, par le fragment 101, que l'odo-rat des chiens était invoqué à l'appui de la théorie. Empé-docle ne parait pas avoir donné un exposé détaillé de
l'odorat, et ne s'était pas occupé du tout du toucher *. Il
expliquait l'audition par le mouvement de l'air qui frappele cartilage à l'intérieur de l'oreille, et ie fait vibrer etrésonner comme une cloche '.
«Aet.IV,17,2 (Dox.,p. 407;DV21A94).Bcare,p. 133.Ï Beare,p. 161-63; 180-81.* Ibid., p. 95sq.
284 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
La théorie de la visionl est plus compliquée; el comme
Platon en a adopté la plus grande partie, elle est de la plushaute importance pour l'histoire de la philosophie. Empé-docle se représentait l'oeil comme Alcméon (§ 90) ', c'est-à-
dire comme composé de feu cl d'eau. De même que, dans
une lanterne, la flamme est protégée du vent par la corne
(frg. 84), ainsi le feu de l'iris est protégé de l'eau qui l'en-
toure dans la pupille par des membranes «lont les poressont très fins, de sorte que le feu peut sortir sans que l'eau
puisse entrer. La vision est produite par le feu intérieur de
l'oeil, qui sort à la rencontre de l'objet. Cela nous paraitétrange, parce que nous sommes habitués à l'idée d'images
imprimées sur la rétine. Mais le fait de regarder une chosesemblait sans aucun doute beaucoup plus être une action
procédant de l'oeil qu'un état purement passif.Empédocle se rendait parfaitement compte aussi que des
«effluences», comme il les appelait, parlaient égalementdes choses pour aboutir aux yeux, car il définissait lescouleurs comme des « effluences des formes (ou « choses »)qui s'adaplaicnt aux pores el étaient perçues'». Quantasavoir comment ces deux explications de la vision étaient
conciliées, ou jusqu'à quel point nous sommes autorisés àcréditer Empédocle de la théorie platonicienne, cela n'est
pas très clair. Les indications que nous avons citées sem-blent impliquer quelque chose de tout à fait analogue *.
Théophraste nous dit qu'Empédocle ne faisait aucunedistinction entre la pensée et la perception, remarque déjàfaite par Aristote *. Le siège principal de la perception est
' Ibid., p. 14sq.-'Theophr.de Sens.26(DV14A5).3 La définitionest citée commeétant de Gorgiaspar Platon. Men.
76tl 4 (DV21A92).Tousnos mss ont àitoppoa'toyjq|«ÎTiov,mais Ven.Tporteen marge7p.yp^iiâttov,ce qui peut bienêtre uneanciennetradi-tion. Le mot ionien pour uchoses» est ypr^ata.VoirDiels,Empedo-klesundGorgias,p. 439.
* Voir Bcare,ElemenlarijCognilion,p. 18.*Arist. de An.T,3.427a 21(DV21B 106).
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE 285
pour lui le sang, dans lequel les quatre éléments sont le
plus également mélangés, et spécialement le sang dans le
voisinage du coeur (frg. 105)l. Cela n'exclut cependant pasl'idée que d'autres parties du corps puissent percevoiraussi ; en réalité, Empédocle soutenait que toutea chosesont leur part de pensée (frg. 103). Mais le sang est particu-lièrement apte à sentir à cause de la plus grande finesse
de son mélange*. Il résulte naturellement de là qu'Empé-docle se rangeait à l'opinion, déjà émise dans la seconde
partie du poème de Parménide (frg. 16), que notre connais-sance varie avec la constitution variable de nos corps(frg. 106). Cette considération devint très importante plustard, en tant que l'un des fondements du scepticisme ;mais Empédocle en tira seulement la conclusion que nous
devons faire le meilleur usage possible de nos sens, et les
contrôler l'un par l'autre (frg. 4).
CXIX. — THÉOLOGIEET RELIGION.
La théologie théorique d'EmpédocIe nous rappelle Xéno-
phane ; son enseignement religieux pratique nous rappellePylhagore et les Orphiques. Dans la première partie de son
poème, il nous dit que certains « dieux » sont composésdes éléments, et que, par conséquent, quoiqu'ils « viventde longues vies», ils doivent périr (frg. 21). Nous avons vu
que les éléments et la sphère sont aussi appelés dieux,mais dans un tout autre sens du mot.
Si nous passons à l'enseignement religieux des Purifica-tions, nous voyons que tout pivote autour de la doctrine de
1R. P. 178ci.C'étaitlà ladoctrinecaractéristiquedel'écolesicilienne,de laquelleellepassaà Aristoteet auxStoïciens.Platonet Hippocrate,d'autre part,adoptèrentl'opiniond'Alcmcon(§97)suivantlaquellec'estle cerveauqui est le siègede la conscience.Critias(Arist.de An.A,2405b 6; DV81A23)reprit probablementde Gorgiasla doctrinesici-lienne.A unedatepostérieure,Philistionde Syracuse,ami de Platon,y substituale fo/ixwimùpa(<esprits animaux»), qui circuleaveclesang.
* Beare,p. 253.
286 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
la transmigration. Sur le sens général de celle-ci, nous enavons dit assez plus haut (§42) ; les détails donnés parEmpédocle sont particuliers. En vertu d'un décret de la
Nécessité, les «démons» qui ont péché sont obligés de
quitter leur demeure céleste et d'errer pendant trois foisdix mille saisons (frg. 115). Il est lui-même une divinité en
exil, et il est déchu de sa haute condition pour avoir placésa confiance dans la Haine furieuse. Les quatre élémentsse le renvoient l'un à l'autre avec dégoût ; aussi n'a-t-il pasété seulement un être humain et une plante, mais mêmeun poisson. La meilleure manière de se laver soi-même dela souillure du péché originel est de pratiquer là sainteté
religieuse par des purifications, et en s'abstenant de lachair des animaux. Car les animaux sont nos parents(frg. 137), et c'est un parricide que de porter les mains sureux. En tout cela, il y a sans aucun doute certains pointsde contact avec la cosmologie. Nous avons le « puissantserment» (frg. 115; cf. frg. 30), les quatre éléments, laHaine comme source du péché originel, et Cypris commereine de l'âge d'or (frg. 128). Mais ces points ne sont ni
fondamentaux, ni même de grande importance. Et l'on ne
peut nier qu'il y ait de réelles contradictions entre les deux
poèmes. C'est là, d'ailleurs, exactement ce à quoi nousdevions nous attendre. Pendant toute cette période, ilsemble y avoir eu un abîme entre les croyances religieusesdes hommes — quand ils en avaient — et leurs opinionscosmologiques. Les quelques points de contact que nousavons mentionnés peuvent avoir suffi pour dissimuler cefait à Empédocle lui-même.
CHAPITRE VI
ANAXAGOKE DE CLAZOMÈNES
CXX. - DATE.
Tout ce qu'Apollodore nous rapporte relativement à ladate d'Anaxagore parait reposer sur l'autorité de Démé-trius de Phalère, lequel disait de lui, dans le Registre des
Archontes, qu'il commença à étudier la philosophie àAthènes à l'âge de vingt ans, sous l'archontat de Callias oude Calliadès (480-79 av. J.-C.)'. Cette date était probable-ment dérivée d'un calcul basé sur l'Age du philosophe aumoment de son procès, Age que Démétrius avait toute faci-lité d'apprendre d'après des sources aujourd'hui perdues.Apollodore en inférait qu'Anaxagore était né dans laLXXe Olympiade (500-496),et il ajoute qu'il mourut "à l'âgede soixante-douze ans, dans la première année de laLXXXVIII* Olympiade (428-27)*. Il trouvait sans doutenaturel que le Clazoménien n'eût pas survécu à Périclès,
»Diog.il, 7 (R.P. 148).[Je suis maintenant convaincuque la datereculéeimpliquéepar Diogèneest exacte,et que l'accusationfut portéecontreAnaxagorcau momentoùPériclèscommençaitsa carrièrepoli-tique,et à l'époqueà peu prèsoù Damonétait victimede l'ostracisme.Celaa, je crois, été prouvépar le prof. A.E.Taylor (ClassicalQuar-terlyXI,81sq.). C'est pourquoiPlatonne dit jamais que Socrateren-contra Anaxagorc.Ce dernier avait remis son écoleà Archélaosdutemps où Socrateétait tout à fait jeune. L'opinionque le procèsd'Anaxagoreeut lieu immédiatementavantqu'éclatâtla guerredu Pé-loponnèseest due à la façondont Ephore arrangeas>n récit de cesévénements,et non à une tradition chronologiqueauthentique.Ellene s'accordenullementavecle faitbien attestéque Périclèsfut l'élèved'Anaxagore,commeil le fut déDamon.J. B. 1918.]
* Lireôjîorjxojtijçavec Meursius,pour que les chiffress'accordent.
288 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
et plus naturel encore qu'il lût mort l'année où naquitPlatonl. Nous avons de plus ce renseignement, d'originedouteuse, mais probablement dû aussi à Démétrius,
qu'Anaxagore vécut trente ans à Athènes. Cela peut êtreune tradition authentique', et s'il en est ainsi nous voyonsque son séjour dans cette ville dura de 480 environ à 450.
Il est hors de doute que ces dates sont très approximati-vement exactes. Aristote nous dit' qu'Anaxagore étaitl'aîné d'EmpédocIe, qui naquit vers 490 (§98) ; et Théo-
phraste affirme *qu'Empédocle vit le jour « pas longtemps
après Anaxagorc ». Démocrite disait, de son côté, qu'ilétait lui-même un jeune homme quand Anaxagorc était un
vieillard, et il doit être né vers 460 avant Jésus-Christ \
CXXI. — SA JEUNESSE.
Anaxagorc naquit à Clazomèncs, et Théophraste nous
apprend que son père s'appelait Hégésiboulos '. Les noms,tant du père que du fils, ont une résonance aristocratique,et nous pouvons supposer qu'ils appartenaient à unefamille qui s'était distinguée dans l'Etat. Rien ne nousforce non plus à rejeter la tradition suivant laquelle Anaxa-
gore négligea ses biens pour se livrer à la science ". Il est
certain, en tous cas, qu'il était déjà regardé au IVe sièclecomme le type de l'homme qui mène la <«vie théorétique
8».
1Sur les indicationsd'Apollodore,voir Jacoby,p. 244sq.*Diog.,toc. cit. Dans tous les cas, ce n'est pas un simple calcul
d'Apollodore,car il aurait certainementdonné quaranteans à Anaxa-goreà la date de son arrivée à Athènes.
» Arist.Met.A,3.934« 11(R.P. 150a ; DV21A6).« Phys. Op. frg. 3 (Dox.p. 477),ap. Simpl.Phys. p. 25, 19(R. P.
162e; DV21A7; 46A8).»Diog.IX,41(R. P. 187);sur ladatede Démocrite,cf.chap.IX,§171.*Phys.Op.fr. 4 {Dox.p.478;DV46A41)répétéparlesdoxographes.1Platon,Hipp.maior283a : to-jvavtîovyàp'Ava$app?çasl or^f^an >j
ijùv' xataXtiç&mwvfàp OJTÙJitoXXùvxP1t**T<uvxa-a;ieX*aaixalàicoXcaatnâvTa*O5TU>Îajxivàvdrjtaaojî&sôat.Cf.Plut. Per.16(DV46A13).
»Arist. Eth. Nie.K,9. 1179a 13.Cf.Eth. Eud. A,4. 1215t 6 et 15,1216a 10(tousdeuxDV46A30).
ANAXAGOREDE GLAZOMÊNES 289
Naturellement, les nouvellistes s'emparèrent plus tard del'histoire de son mépris pour les biens de ce monde, etl'affublèrent des apophtegmes habituels. De ces apo-phtegmes, nous n'avons pas à nous occuper ici.
On rapporte un incident qui se produisit au moment où
Anaxagore avait atteint l'Age d'homme, à savoir l'observa-tion qu'il fit de l'énorme aérolithe qui tomba dans l'Aigos-
potamos en 468-67 avant J.-C. *. Nos autorités nous assu-rent qu'il avait prédit ce phénomène, ce qui est parfaitementabsurde. Mais il y a, nous le verrons, des raisons de croire
que cet incident peut avoir occasionné une de ses diver-
gences les plus frappantes de la cosmologie primitive, et
l'avoir conduit à adopter l'opinion précisément pour
laquelle il fut condamné à Athènes. Quoi qu'il en soit, lachute du météore fit une profonde impression à l'époque,et la pierre était encore montrée aux touristes du temps dePline et de Plutarque '.
CXX1I. — RAPPORTAVECL'ECOLEIONIENNE.
Les doxographes parlent d'Anaxagore comme d'un élèved'Anaximène'. De cela, il ne saurait naturellement être
question : Anaximène était très probablement mort avant
qu'Anaxagore vint au monde. Mais il ne suffit pas de dire
que cette indication provient du fait que le nom d'Anaxa-
«Diog.II, 10(R. P. 149a) Pline, X. H. H, 149,donne la date 01.LXXVIII,2, et Eusèbe01.LXXVIII,3. Maiscf.Marin.Par. 57: i<f oOiv Atyè;notait» ô Xî&o;ïiteje...«»]HIHI,ôp^ov^oî'A&^VTJÎISta^tvilou,ce qui est l'année468/67(tous ces.passages,DV46A 11).Le texte deDiogèneII, 11est corrompu.Sur les correctionssuggérées,voir Jacoby,p. 244,n. 2, et' Diels,Yors.p. 294,28et 704.
* Pline,toc.cit. : «qui lapisetiam nuncostenditurmagnitudinevehiscolore adusto.MCf.Plut. Lys. 12(DV46A12): xa'tîîîxvjrat....lu vûv.
»Cicero,de Nat.D 1.11,26(DV46A48.d'aprèsPhilodème): «Anaxa-gorasqui accepitab Anaximènedisciplinam(i. e. St^xovse);Diog.I, 13(R. P. 4)et II, 6; Strabon,XIV,p. 645(DV46A7,où l'on trouvera aussiles passagescitésplus bas): KXaCojiivioî8'ijvàvrjpïiu?avi];'AvoÇaYÔpaj{f-jaixéç,'Ava£tjuv<wîâptXi)trjç;EusèbeP. E.p. 504;[Gallen]Hist.Phil.3;Augustin,de Civit.Dei,VIII,2.
PHILOSOPHIEGRECQUE 19
290 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
gore suivait celui d'Anaximône dans les Successions, Celaest vrai, sans doute, mais ce n'est pas toute la vérité. Nousavons la source originale de celte indication dans un frag-ment de Théophraste lui-même, qui affirme qu'Anaxagoreavait été « un associé de la philosophie d'Anaximène *». Or,cette expression a un sens très précis si l'on accepte l'opi-nion relative aux «écoles» de science, que nous avons
exposée dans notre introduction ($ XIV). Elle signifie quel'ancienne école ionienne survécut à la destruction deMilet en 494 avant J.-C, et continua à fleurir en d'autrescités de l'Asie. Elle signifie en outre (jue cette école ne pro-duisit aucun philosophe éminent après son troisième grandreprésentant, et que «la philosophie d'Anaximène» étaitencore enseignée par tous ceux qui étaient alors à la tètede l'association.
A ce point, il sera peut-être bon «l'indiquer brièvementles conclusions auxquelles nous arriverons dans les cha-
pitres prochains, touchant le développement de la philoso-phie durant la première moitié du Vm0 siècle avant J.-C.Nous verrons que si la vieille école ionienne était encore
capable de former des grands hommes, elle ne l'était plusde les garder. Anaxagorc s'engagea dans sa voie à lui ;Mélissus et Leucippe, bien qu'ayant gardé suffisammentdes anciennes vues pour porter témoignage de la sourcede leur inspiration, furent trop fortement influencés par la
dialectique éléale pour se contenter des théories d'Anaxi-mène. Il était réservé aux esprits de second rang, comme
Diogène, de défendre le système orthodoxe, tandis queceux du troisième rang, comme Hippon de Samos, rétro-
gradèrent même jusqu'à la théorie plus grossière de Thaïes.Les détails de cette esquisse anticipatrice deviendront plus
«Phys.Op.frg.4(Dox.p. 478;DV46A41):*A»a;ayôpaç(m fif 'Hyij-oiJoâXwKXaCojiîvioçxoivwv^aaçtiiç 'Avaïtjilvovî«peXosoçîaîx.t. X.Danssa5*édition(p. 973,n. 2)Zcllerudopte l'opinionexpriméedans notretexteet la confirmeen comparantl'indicationtout à faitanaloguerela-tive à Leucippe: xotvwvqcaçllapjitvîigTÎ)ÎfiXoso^tac.Voir plus loin,chap.IX,Ç172.
ANAXAGOREDECLAZOMÈNES 291
clairs à mesure que nous avancerons ; pour le moment, il
suffit d'appeler l'attention du lecteur sur le fait que l'an-
cienne philosophie ionienne forme maintenant une sorte
de fond à notre histoirj, tout comme l'ont fait dans les pré-cédents chapitres les idées religieuses orphiques et pytha-goriciennes.
CXXIII. — ANAXAGOREA ATHÈNES.
Anaxagore est le premier philosophe qui soit venu se
fixer à Athènes. Nous ne devons pas supposer, toutefois,
qu'il y fut attiré par quelque côté du caractère athénien.Sans doute, Athènes était en train de devenir à cette époquele centre politique du monde hellénique, mais elle n'avait pasencore produit un seul homme de science. Au contraire, le
tempérament du corps des citoyens était et restait hostile
à la libre recherche dans n'importe quel domaine. Socrate,
Anaxagore et Aristote furent victimes, à des degrés divers,de la bigoterie de la démocratie, quoique leurs crimes fus-sent évidemment plutôt politiques que religieux. Ils furentcondamnés non pas comme hérétiques, mais comme nova-
teurs en matière de religion iVEtat. Comme le fait observerun récent historien, « Athènes était encore loin, dans sa
période florissante, d'être un lieu où la libre recherche pûts'épanouir sans entraves1». Voilà à quoi songeaient sansdoute les écrivains qui ont représenté la philosophiecomme non-grecque. Elle fut, en réalité, entièrement
grecque, quoiqu'elle fût entièrement non-athénienne.Nous avons l'autorité de Platon et d'Isocrate pour affirmer
que Périclès fut l'élève d'Anaxagore'. Holm a montré avec
beaucoup d'habileté que l'ambition du grand homme d'Etatétait d'ioniser, pour ainsi dire, ses concitoyens, de leur com-
muniquer un peu de cette souplesse et de cette ouverture
d'esprit qui caractérisaient leurs compatriotes d'au delà de
»Holm,GriechischeGeschichte,II, 334.2 Platon,Phèdre269e; Isocrate,ntptàYnScoeuiï235.
292 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
la mer. L'influence\d'Aspasie s'exerça sans doute dans lemême sens. Les Athéniens n'en furent cependant pas im-
pressionnés et donnèrent à Anaxagore le sobriquet deNousl.
Les relations étroites qu'Anaxagore entretint avec Péri-
clès sont mises hors de tout doute par le témoignage dePlaton. Il fait dire à Socrate dans le Phèdre*.: «Tous lesarts qui sont grands exigent la conversation et la discussionsur les parties des sciences naturelles qui traitent deschoses d'au-dessus de la terre, car telle paraît être lasource qui inspire l'élévation d'esprit et la faculté d'agirdans toutes les directions. Périclès ajouta cet avantage àses dons naturels. Il fit, parait-il, la connaissance d'Anaxa-
gore, qui était un homme de science, et s'imprégnant lui-
même de la théorie des choses d'au-dessus de la terre
après avoir acquis la connaissance de la vraie nature de
l'intelligence et de la folie, ce qui était justement le pointsur lequel roulaient surtout les discours d'Anaxagore, iltira de cette source tout ce qui était de nature à le faire
progresser dans l'art de la parole. »
Une question plus difficile, c'est celle des relations,réelles ou prétendues, entre Euripide et Anaxagore. La
plus ancienne autorité à cet égard est Alexandre d'Etolie,
poète et bibliothécaire qui vivait à la cour de Plolémée
Philadelphe (vers 280 av. J.-C). Il nommait Euripide le«nourrisson du brave Anaxagore'». On a dépensé destrésors d'ingéniosité pour trouver le système d'Anaxagoredans les choeurs d'Euripide, mais, il laut le reconnaître
maintenant, sans résultat 4. Le fameux fragment sur la
*Plut. l'er. 4 (R.P. 148c; DV46A15).J'adopte l'opinionde Zeller,p. 975,n. 1, en prenant ce surnompour un sobriquet.
*270a (R.P. 148c; DV46A 13).»A.Gell.XV,20(R. P. 118c; DV46A21): «AlexanderautemAeto-
lùs hos de Euripideversuscomposuit;»6 ^'Avagayôpo-jtpcfqio; yaioO(corr.deValckenrcrpour àpyatO'j),x.t. X.
*La questiona été soulevéepour la premièrefois par Valckenrer
ANAXAGOREDE CLAZOMÈNES 293
félicité de la vie scientifique peut tout aussi bien faire
allusion à n'importe quel autre cosmologue qu'à Anaxa-
gore, et, en vérité, il fait songer plus naturellement à un
penseur d'un type plus primitif 1. D'autre part, il existe un
fragment qui expose distinctement la pensée centrale
d'Anaxagore, et ne pourrait que difficilement être rapportéà quelqu'un d'autre*. Nous pouvons donc conclure qu'Eu-
ripide connaissait le philosophe et ses opinions, mais il
serait dangereux d'aller plus loin.
CXXIV. — LE PROCÈS.
Vers le milieu du siècle, les ennemis de Périclès com-
mencèi.'i)! une série d'atlaques indirectes contre lui ens'en prenant à ses amis '. Damon fit* lepremier à en souf-
frir, puis vint le tour d'Anaxagore. Qu'il fût un objet dehaine spéciale pour le parti religieux, il n'y a pas là de
quoi nous surprendre, quoique les charges portées contrelui ne donnent pas l'idée qu'il soit sorti de sa voie pourblesser leurs susceptibilités. Les détails du procès sont un
peu obscurs, mais nous pouvons établir quelques points.L'ostracisme dont Damon fut victime est mentionné parAristote 4, et un ostrakon portant son nom a été découvertrécemment. Ce qui arriva effectivement au procès d'Ana-
xagore est très différemment raconté. Nos autorités en
{Diatribe,p. 26).Cf.aussi Wilamowitz,AnatectaEuripidea),p. 162sq.«VoirIntrod., p. 12,n. 2. Le fragmentest cité R. P. 148c (DV46A
30).Lesmotsà&avâto-.»<fJjto»;et xiajiova^pw nousreportentplutôtauxvieuxMilésicns.
» B. P. 1506; DV46A 112.* Ephorc(représentepar Diod.XII, 38)et la sourcede Plut. fer. 32
sont d'accordà dire que ces attaques précédèrentimmédiatementlaguerre.Celapeut toutefois être une façonpragmatiqued'exposer leschoses;les attaquescurent peut-êtreHeuplus tôt.
* 'Aôrjvat'tuvitoXmtot27. Damonrentra à Athènes après son exil, etparvint à un grand âge.C'estalors queSocratese lia aveclui.
294 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
donnent des récits désespérément contradictoiresl. Il neservirait à rien d'essayer de les concilier; il suffit d'in-
sister sur ce qui est certain. Or, nous savons par Platon
en quoi consistait l'accusation'. On reprochait à Anaxa-
gore d'enseigner que le soleil était une pierre incan-
descente, et la lune de la terre, et nous verrons qu'ilprofessait certainement ces opinions (§ 133). Quant au
reste, la version la plus plausible est qu'il fut tiré de prisonet mis en liberté par Périclès*. Nous savons que pareilleschoses étaient possibles à Athènes.
Chassé de sa patrie adoptive, Anaxagore s'en retournanaturellement eu Ionie, où du moins il allait être libre
d'enseigner ce qu'il lui plaisait. Il se fixa à Lampsaque, etnous verrons qu'il y a des raisons de croire qu'il y fonda
une école 4. Il survécut peut-être très longtemps à sonexil. Les habitants de la ville élevèrent à sa mémoire,sur leur agora, un autel dédié à l'Esprit et à la Vérité, et
1Ces récits sont reproduitspar Diog. II, 12-14.Il vaut la peinedeplacer en faceles unesdesautres les indicationsdeSatyrosetdeSotionpourmontrer lecaractèrepeusatisfaisantde la traditionbiographique:
Accusateur
Charge
Sentence
SotionCléon.Avoirappelé le soleil une
masseincandescente.
Frappe d'une amende decinq talents.
SatyrosThucydide,filsde Mclésias.
Impiétéet médisme.
Condamnéà mortpar con-tumace.
Hcrmipposdit qu'Anaxagoreétait déj i en prison, frappéde la sen-tencede mort, quandPériclèsle fit remettreen libertéenfaisanthonteau peuple de sa conduite.EnfinJérômeaffirmequ'il ne fut pas con-damnédu tout, quePériclèsl'amenadevantle tribunal,amaigri,épuisépar la maladie, et que les juges l'acquittèrent par compassionI Onverra que Satyros a suivi une tradition meilleureque Sotion. Il esttrès possiblequeThucydide,fils de Mclésias,fût réellementl'accusa-teur.
»Apot.26d (DV46A35).» Plut. Aïe. 23(R. P. 148c; DV46A 18).Cf.Per. 32(B. P. 148;DV
46A 17).1Voir l'étude sur Archclaos,chap.X,§191.
ANAXAGOREDE CLAZOMÊNES 295
l'anniversaire de sa mort fut longtemps jour férié pourles enfants des écoles, ainsi, dit-on, qu'il en avait lui-même
exprimé 'e désiri.
CXXV. — SES ÉCRITS.
Diogène place Anaxagore dans la liste qu'il donne des
philosophes qui ne laissèrent qu'un livre, et il nous a aussiconservé l'appréciation courante de ce livre, à savoir qu'ilétait écrit a dans un style élevé et agréable'». Il n'y aaucune preuve de quelque valeur ?\ opposer à ce témoi-
gnage, qui provient en dernière analyse des bibliothécairesd'Alexandrie*. On a raconté — mais cela est fort impro-bable — qu'Anaxagore avait écrit un traité sur la perspec-tive appliquée à la peinture scénique
4; et l'indication sui-vant laquelle il composa un ouvrage mathématiquetraitant de la quadrature du cercle est due à une expres-sion de Plutarque mal interprétée ». Le passage de YApo-logie auquel nous avons fait allusion plus haut nous
apprend que l'on pouvait acheter à Athènes les oeuvres
d'Anaxagore pour une seule drachme ; et ce livre était
cependant d'une certaine longueur, comme on peut l'infé-
1 La plus ancienneautorité relativementaux horneursdécernésà lamémoired'Anaxagoreest Alcidamas,élèvede Gorgias,au dire duquelces honneursétaient encore rendus de son temps. Arist. Hhel.B,23,1398b 15(DV46A 23).
» Diog.1,16; H,6 (R. P. 5; 153).»Schaubach(An.Claz.Fragm. p. 57)a imaginéau moyendu traité
pseudo-aristotéliciende plantis 817a 27 une oeuvreintitulée to «pècAtyîvtov.Mais la version latine d'Alfred,qui est l'originaldu grec, asimplementet ideodicit techineon,et ceci paraît être le résultat d'unetentative malheureusepour expliquer le texte arabe, dont la traduc-tion latine était dérivée.Cf.Meyer,Gesch.d. Bot. I, 60.
*Cettehistoirevientde Vltruve,VII,pr. 11.Un faussairecherchantàdécorerses produitsd'un grand nom devait naturellementpenserauphilosophequi avait, disait-on,été le maître d'Euripide.
» Plut, de Exilio,607/(DV46 A 38). La phrase signifiesimplementqu'il avait l'habitudede tracer sur le plancherde sa prisondes figuresmathématiquesse rapportantà la quadraturedu cercle.
296 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
rer de la manière dont Platon en parle *. Au VImesiècle
après J.-C, Simplicius put en consulter un exemplaire,sans doute dans la bibliothèque de l'Académie *,et c'est àlui que nous devons la conservation de tous nos fragments,à une ou deux exceptions près, exceptions d'ailleurs tris
douteuses. Malheureusement, ses citations semblent se
borner au premier livre, celui qui traitait des principesgénéraux, de sorte que nous sommes laissés un peu dans
l'ignorance sur la manière dont les détails étaient traités.
Et cela est particulièrement regrettable, car ce fut Anaxa-
gore qui donna le premier la vraie théorie de la lumière de
la lune, et par conséquent la vraie théorie des éclipses.
CXXVL — LES FRAGMENTS.
Je donne les fragments d'après le texte et l'arrangementde Diels, qui en a rendu quelques-uns intelligibles pour la
première fois.
1. Toutes choses étaient ensemble, infinies à la fois en nombreet en petitesse, car le petit aussi était infini. Et quand touteschoses étaient ensemble, aucune d'elles ne pouvait être distin-guée à cause de leur petitesse. Car l'air et l'éthcr prévalaientsur toutes choses, parce que tous deuxétaient infinis; car parmitoutes les choses, celles-ci sont les plus grandes tant par laquantité que par la grandeur 3. —R. P. 151.
2. Car l'air et l'éther sont séparés de la masse qui enveloppele monde, et la masse enveloppante est infinie en quantité. —R. P. ib.
3. Il n'y a pas non plus un dernier degré de petitesse parmice qui est petit, mais il y a toujours un plus petit ; car il est
«Apol.26d-e. L'expression{ItJÎXtaimpliquepeut-être que l'ouvrageformaitplusd'un rouleau.
1Simpliclus,lui aussi, parlede (3tj3Xîot.*Simpliciusnous dit que ce fragmentétait au commencementdu
livre I. Lasentencefamilièrecitéepar Diog.II,6 (R. P. 153)n'est pasun fragmentd'Anaxagore,maisun résumépostérieur,tout commelenavrap'cTattribuéà Heraclite(chap.III, p. 165).
ANAXAGOREDE CLAZOMÈNES 297
impossible que ce qui est cesse d'être par la division l. Mais il
y a aussi toujours quelque chose de plus grand que ce qui est
grand, et il est égal en quantité au petit, et, comparée avecelle-même, chaque chose est à la fois grande et petite. — R. P.159a.
4. Et du moment que ces choses sont ainsi, nous devons sup-poser que beaucoup de choses, etdc toutes sortes, sont contenuesdans les choses qui vont s'ùnissant, semences de toutes choses,avec toutes sortes de formes, de couleurs et de saveurs tR. P. ib.),et que les hommes ont été formés en elles, ainsi que les autresanimaux qui ont vie, et que ces hommes ont habité des cités etdes champs cultivés comme chez nous ; et qu'ils ont un soleil etune lune et le reste comme chez nous; et que leur terre produitpour eux une foule de choses de toutes sortes, dont ils rassem-blent les meilleures dans leurs demeures, et ils en usent (R. P.160b.). Si j'en ai dit autant au sujet de la séparation, c'est peurmontrer que ce n'est pas seulement chez nous que ces chosessont séparées, mais qu'elles le sont ailleurs aussi.
Mais avant qu'elles fussent séparées, quand toutes chosesétaient ensemble, on ne pouvait distinguer aucune couleurquelconque ; car le mélange de toutes choses s'y opposait —del'humide et du sec, du chaud et du froid, du lumineux et dusombre, et de la grande quantité de terre qui y était renfermée,et d'une multitude d'innombrables semences qui ne se ressem-blaient en aucune manière. Car aucune des autres choses n'estnon plus plus pareille à aucune autre. Et ces choses étant ainsi,nous devons tenir pour certain que toutes choses sont dans leTout'.—R. P. 151.
5. Et ces choses ayant été ainsi décidées, nous devons savoirque toutes, parmi elles, ne sont ni plus ni moins ; car il n'est paspossible pour elles d'être plus que toutes, et toutes sont toujourségales. —R. P. 151.
G.Et puisque les portions du grand et du petit sont égalesquanta leur somme, pour cette raison, aussi, toutes choses seronten chaque chose ; il n'est pas possible non plus pour elles d'êtreà part, mais toutes choses ont une portion de chaque chose.Puisqu'il est impossible pour elles d'être à l'ultime degréde petitesse, elles ne peuvent être séparées, ni en venir à être
1La correctionde Zcllcr (tojiç)me parait préférableà la leçondums., tô p^. que Dielsconserve.
*J'avais déjà fait observerdans ma 1" éditionque Simplicluscitetrois folsce fragmentcommetexte continu,et que nousn'avonspas ledroit de le morceler.Dielsle donne maintenantcommeun tout.
298 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
par elles-mêmes ; mais elles doivent être maintenant exactementcomme elles étaient au commencement, toutes ensemble. Et entoutes choses beaucoup de choses sont contenues, et un nombreégal à la fois dans les choses plus grandes et dans les chosesplus petites, qui sont séparées.
7. . de sorts que nous ne pouvons savoir le nombre deschoses qui sont séparées, pas plus en parole qu'en acte.
8. Les choses qui sont dans un monde ne sont pas divisées nicoupées les unes des autres avec une hache, ni le chaud du froid,ni le froid du chaud. — R. P. 155e.
9... comme ces choses tournent et sont séparées par la force etla rapidité. Et la rapidité fait la force. Leur rapidité n'estpareille à la rapidité d'aucune des choses qui sont maintenantparmi les hommes, mais elles sont de toute manière bien desfois aussi rapides.
10.Comment le cheveu peut-il venir de ce qui n'est pas che-veu, ou la chair de ce qui n'est pas chair? —R. P. 155/'., note 1.
11.En chaque chose, il y a une portion de chaque chose,excepte dans le Nous, et il y a cerlaines choses dans lesquellesle Nous est aussi. — R. P. 1G0b.
12.Tontes les autres chosesparticipent en une certaine mesureà chaque chose, tandis que le ATOHSest infini et autonome, etn'est mélangé avec rien, mais est seul, lui-même par lui-même.Car s'il n'était pas en lui-même, mais s'il était mélangé avecquelque autre chose, il participerait à toutes choses s'il étaitmélangé à l'une quelconque ; car en chaque chose il y a uneportion de chaque chose, comme cela a été dit par moi dans cequi précède, et les choses mélangées avec lui l'empêcheraient,de sorte qu'il n'aurait pouvoir sur rien de la même manière qu'ill'a maintenant, étant seul en lui-même. Car il est la plus finede toutes les choses et la plus pure, et il a touie connaissancesur chaque chose, et la plus grande force ; et le Nous a pouvoirsur toutes choses, tant sur les plus grandes que sur les pluspetites, qui ont vie. Et le Nous avait pouvoir sur la révolutiontout entière, de sorte qu'il se mit à se mouvoir en cercle aucommencement Et il se mit à se mouvoir d'abord par un petitcommencement ; mais la révolution s'étend maintenant sur unplus grand espace, et s'étendra sur un plus grand encore. Ettoutes les choses qui sont mélangées ensemble et séparées etdistinguées sont toutes connues du Nous. Et le Nous a mis enordre toutes les choses qui devaient être, et toutes les chosesqui étaient et ne sont pas maintenant, et qui sont, et cette révo-lution dans laquelle se meuvent maintenant les étoiles et le soleil
ANAXAGOREDE CLAZOMÈNES 299
et la lune, et l'air et l'éthcr, qui sont séparés. Et cette révolutiona opéré la séparation, et le rare est séparé du dense, le chauddu froid, le lumineux du sombre, et le sec de l'humide. Et il ya beaucoup de portions dans beaucoup de choses. Maisaucunechose n'est complètement séparée ni distinguée d'aucune autrechose, excepté le /Vous.Et tout le Nousesl pareil, à la fois le plusgrand et le plus petit ; tandis que rien d'autre n'est pareil à riend'autre, mais chaque chose isolée est et était très manifestementces choses dont elle a lr plus en elle.— R. P. 155.
13. Et quand le Nous commença à mouvoir les choses, il seproduisit une séparation de tout ce qui était mû, et pour autantque le Nous le mit en mouvement, tout fut séparé. Et dèsque leschoses eurent été mises en mouvement et séparées, la révolutioneut pour effet de les séparer beaucoup plus.
14.Et le Nous,qui est toujours, est certainement là où est toutechose autre, dans la masse environnante, et dans ce qui a étéuni à elle et séparé d'elle ,.
15.Le dense et l'humide, le froid et le sombre se réunirent làoù est maintenant la terre, tandis que le rare et le chaud, le sec(et le lumineux) se portèrent vers la région extérieure de l'éther*.—R. P. 156.
16.De ces choses, quand elles sont séparées, la Terre se soli-difie, car l'eau est séparée de la vapeur, et de l'eau la terre. Dela terre, les pierres sont solidifiées par le froid, et elles se pro-jettent plus loin à l'extérieur que l'eau.— R. P. 156.
17. Les Hellènes suivent un usage incorrect quand ils parlentde naissance et de destruction ; car rien ne naît ou n'est détruit,mais il y a mélange et séparation des choses qui sont. Ilsferaient donc bien d'appeler la naissance mélange, et la destruc-tion séparation. —R. P. 150.
18.C'est le soleil qui met de la clarté sur la lune.
19.Nous appelons arc-cn-cicl la réflexion du soleil dans lesnuages. Or c'est un présage de tempête ; car l'eau qui couleautour du nuage produit du vent ou ruisselle en pluie.
20.A l'époque où se lève l'étoile du Chien, les hommes corn-,mencent la moisson ; a son coucher, ils commencent a cultiver
>Simpliciusdonnece fragmentcommesuit (p. 157,5): 6II voO;osahû Ttxâptaxalvlv tsttv. Dielslit maintenant: ô II voOç,S; à<t!> cari,ti xâptaxalvOviativ.Lacorrespondancede àt\...xalvlv vientfortementà l'appui de cette conjecture.
*Sur le textedu frg.15,voIrR.P. 156a.J'ai suiviSchornenajoutantxtl tô Xijntpôvd'aprèsHlppolyte.
300 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
les champs. Elle reste cachée pendant quarante jours et quarantenuits.
21.A cause de la faiblesse de nos sens, nous ne sommes pascapables de connaître la vérité.
21a. Ce qui se montre est une vision de l'invisible.21 b. (Nous pouvons tirer profit des animaux inférieurs) parce
que nous utilisons notre propre expérience, notre mémoire,notre sagesse et notre art.
22. Ce que l'on appelle « lait d'oiseau » est le blanc de l'oeuf.
CXXVII. — ANAXAGOREETSESPRÉDÉCESSEURS.
Le système d'Anaxagore, comme celui d'EmpédocIe,visait à concilier la doctrine éléate — substance corpo-relle immuable — avec l'existence d'un monde qui présente
partout l'apparence de la naissance et de la destruction.Les conclusions de Parménide sont franchement acceptéeset répétées. Rien ne peut être ajouté à l'ensemble des choses,car il ne peut rien y avoir de plus que le tout, et le tout est
toujours égal à lui-même (frg. ô). Rien ne peut non plusêtre détruit. Ce que les hommes appellent communémentnaissance et destruction n'est en réalité que mélange et
séparation (frg. 17).Ce dernier fragment fait presque l'effet d'une paraphrase
en prose d'EmpédocIe (frg. 9) et il est fort probable quec'est de son plus jeune contemporain qu'Anaxagore dérivasa théorie du mélange. Le poème de l'Agrigentin fut, en
effet, très vraisemblablement, publié avant le traité duClazoménien 1. Nous avons vu comment Empédocle cher-chait à sauver le monde de l'apparence en soutenant queles opposés — chaud et froid, humide et sec — étaient des
choses, dont chacune était réelle au sens parménidien.
>Tel est sans aucundoute le sens des mots toïçipyotcCsrcpo;dansArist.Met.A,3. 084a 12(R. P. 150a; DV46A43); quoique ïpya nesignifiecertainementpas «écrits» ou opéra omnla, mais simplement«travaux>.LesautresInterprétationspossiblessont «plus avancédansses vues• et <inférieurdans sonenseignement» (Zeller,p. 1023,n. 2).
ANAXAGOREDE CLAZOMÈNES 301
Anaxagore tenait cette explication pour inadéquate. N'im*
porte quelle chose se transforme en n'importe quelleautre *; les choses dont le monde est fait ne sont past coupées avec une hache » (frg. 8). Au contraire, la vraieformule doit être : « Il y a dans chaque chose une portionde chaque chose » (frg. 11).
CXXVIIL — «CHAQUECHOSEENCHAQUECHOSE».
Une partie du raisonnement par lequel Anaxagore cher-chait à prouver ce point a élé conservée sous une forme
corrompue par Aélius. et Diels a retrouvé quelques-unsdes termes originaux dans le scholiaste de Saint-Grégoirede Naziance. «Nous usons d'une nourriture simple, dit-il,
quand nous mangeons le fruit de Démêler ou que nousbuvons de l'eau. Mais comment le cheveu peut-il être faitde ce qui n'est pas cheveu, ou la chair de ce qui n'est
pas chair?» (frg. 10)*. C'est justement le genre de questionque les premiers Milésiens doivent s'être posé ; seulement,l'intérêt physiologique a remplacé maintenant, et d'unemanière définitive, l'intérêt météorologique. Nous trouve-rons un raisonnement analogue dans Diogène d'Apollonie(frg. 2).
L'indication suivant laquelle il y a en chaque chose une
portion de chaque chose ne doit pas être comprise commese rapportant simplement au mélange originel des chosesavant la formation des mondes (frg. 1). Au contraire, mêmemaintenant, « toutes choses sont ensemble », et chacuned'elles, quelle qu'en soit la petitesse ou la grandeur, ren-ferme un nombre égal de « portions » (frg. 6). Une particuleplus petite de matière ne pourrait contenir un nombre
plus petit de portions que si l'une de ces portions cessaitd'être ; mais si n'importe quoi est, au plein sens que don-
>Arist.Phys. A,4.187b 1 (R.P. 155a ; DV46A52).»Aet.1,3,5 (Dox.p. 279,DV46A46).VoirR. P. 155f et n. 1. Je lis
xapnôvavecUscncr.
302 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
nait Parménide à ce mot, il est impossible qu'une simpledivision le fasse cesser d'être (frg. 3). La matière est divi-sible à l'infini ; car il n'y a pas de chose qui ait atteintl'ultime degré de petitesse, de même qu'aucune n'a atteintl'ultime degré de grandeur. Mais quelque grand ou quelquepetit qu'un corps puisse être, il contient exactement lemême nombre de «portions», c'est-à-dire une portion de
chaque chose.
CXXIX. — LESPORTIONS.
Que sont ces «choses» dont chaque chose contient une
portion ? Il était d'usage, une fois, de représenter la théorie
d'Anaxagore comme s'il avait dit que le blé, par exemple,contient des particules de chair, de sang, d'os, etc. ; maisnous venons de voir que la matière est divisible à l'infini
(frg. 3), et qu'il y a autanj,{!• portions»dans la plus petiteparticule que dans la p^t grande (frg. 0). Cela est fatal
pour l'ancienne opinion. Si loin que nous poussions la
division, nous n'arrivons jamais à une chose a non mé-
langée»; il ne peut donc y avoir aucune petite particuled'une espèce définie quelconque.
Cette difficulté ne peut être résolue que d'une manière '.Dans le fragment 8, les exemples donnés de choses qui nesont pas «coupées les unes des autres à la hache» sont lachaleur et le froid ; et ailleurs (frag. 4,15) mention est faitedes autres «opposés» traditionnels. Aristote dit que sinous supposons les premiers principes infinis, ils peuventêtre soit uniques quant à leur espèce, comme pour Dé-mocrite, soit opposés*. Simplicius, après Porphyre etThémistius, rapporte cette dernière opinion à Anaxa-
1VoirTannery,Sciencehellène,p. 283sq. Je penseencoreque l'in-terprétationde Tanneryest substantiellementexacte,quoiquesa ma-nièrede la formulerdemandequelquesmodifications.
*Arist.Phys.A,2,184b 21: r,oûtisçAsntpArjjicxpito;,tô ftvoîïv, si\-uau SIïjtîîtt êiaftpoJoac,î}xaltvovtiaç.
ANAXAGOREDE CLAZOMÈNES 303
gore 1, et Aristote lui-même implique que les opposés
d'Anaxagore avaient autant de droit à être appelés pre-miers principes que les « homéoméries » *.
C'est de ces opposés, donc, et non des diverses formes de
matière, que chaque chose contient une portion. Chaque
particule, quelle qu'en soit la grandeur ou la petitesse,contient chacune de ces qualités opposées. Celle qui est
chaude est aussi, en une certaine mesure, froide. Même la
neige, à ce qu'affirmait Anaxagore, était noire* ; ce quirevient à dire que même le blanc contient une certaine
portion de la qualité opposée. Il suffit d'indiquer la con-
nexion de ceci avec les opinions d'Heraclite (§80)*.
CXXX. — LESSEMENCES.
La différence donc, entre . >*orie d'Anaxagore et celle
d'EmpédocIe, est celle-ci. En. j/vcle enseignait que si l'ondivise les diverses choses qui constituent ce inonde, et en
particulier les parties du corps, telles que la chair, les os,
etc., à un degré suffisant, on arrive aux quatre «racines»
ou éléments, qui sont par conséquent l'ultime réalité.
Anaxagore soutenait, que, si loin que l'on puisse diviser
l'une quelconque de ces choses -—et elles sont divisibles à
l'infini — on n'arrive jamais à une partie si petite qu'elle
1Phys.p. 44,1.Il mentionnedans ce qui suit 8tp}iotr)tac..xal(joypô-tijtaj Çr(p&TT)î«çte xalû]fpiî»)taç(lavotqtâ;tt xalirixvitqtaçxaltàî àXXa;xatà itoiitijtatvavticôt»}Tac.Il observecependantqu'Alexandrerejetaitcelteinterprétationet prenaitensembleîta<fspoiaaî>yxal(vavtta;commeSQrapportanttous deuxà Démocrite.
*Phys.A,4. 187a 25(DV21A46): tiv jxlv(AMaJayôpav)ànetpar.oiteita tt ipoto'icpi)xaltàvavtta.La propre théorie d'Aristotene diffèredecelle-ciqu'eu tant qu'il donneà la CXqla prioritésur les tvavtïa.
»Scxt.Pyrrh. 1,33|R.P. 161b ; DV46A97).*Cetteconnexiona déjàété notéepar l'éclectiqueHéracliticnauquel
j'attribue Ittplîtaîtijc. I, 3-4(voirplus haut,chap.III, p. 170,n. 2).Cf.les mots: fytt M*n àWfy.wvtô |*ivitûpdnôtoi Ciato;tô ûypôv*ïvtfia iviwptCYP"1»T* ^WP*™to5 'wp&C™Sipôv*tvtfàp xalÎVûîatt Çijpiv.
304 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
ne contienne des portions de tous les opposés. La pluspetite portion d'os est encore os. D'autre part, n'importequelle chose peut se transformer en n'importe quelle autreprécisément parce que les «semences», comme il les appe-lait, de chaque forme de matière contiennent une portionde chaque chose, c'est-à-dire de tous les opposés, quoiqueen différentes proportions. Si nous avons le droit de nousservir du mot « élément », ce sont ces semences qui sontles éléments dans le système d'Anaxagore.
Aristote exprime cela en disant qu'Anaxagore regarde les
bpoioppr, comme axoiyiXx1.Nous avons vu que le terme de
<7Tor/c?ovest postérieur h Anaxagore, et il est naturel de
supposer que le mot ô^otouEpvjn'est non plus que le mot
employé par Aristote pour désigner les i semences ». Dansson propre système, les opaiopiprisont intermédiaires entreles éléments (uroi^iùx) dont ils sont composés, et les
organes (opyava) qui sont composés d'eux. Le coeur ne
peut pas être divisé en coeurs, mais les parties de lachair sont chair. Cela étant, l'indication d'Aristote est par-faitement intelligible de son propre point de vue, mais il
n'y a pas de raison de supposer qu'Anaxagore s'exprimaitde cette façon particulière. Tout ce que nous avons le droitd'inférer est qu'il disait que les «semences» substituées
par lui aux «racines» d'EmpédocIe n'élaient pas les
opposés en état de séparation, mais que chacune contenaitune portion d'elles toutes. Si Anaxagore avait employé
1Arist.deGen.Corr.A, 1,314a 18: h ptlvfkp (\\a.^ifipa;) ta 5jioto-p.tpijotot£«îatîftrjSiv.oîovôatoùvxal oipxaxal putXiv,xal tôv iXXtuv«uvéxastuiOiviûvjjiovtô (lépoîiatîv.Cecifut naturellementrépétépar Thco-plirasteet par lesdoxographes;maisil y a lieude remarquerqu'Aétlus,supposant,commeil le fait,qu'Anaxagoreusait lui-mêmedece terme,lui donneune significationtout à fait fausse. Il dit que les ojioiopfpuaiétaientainsiappeléesà causede lasimilitudedes particulesde la tpo<pqaveccellesdu corps (DOT.279a 21; R. P. 155f-, DV46A46'. Lucrèce,I, 830sq. (R.P. 150a; DV46A 44)donnede la questionune analyseanaloguetirée de sourcesépicuriennes.Evidemment,celane peutêtreconciliéavecce que dit Aristote.
ANAXAGOREDE CLAZOMÊNES 305
lui-même le terme d'ahoméoméries1», il serait étrangeque Simplicius n'eût pas cité un seul fragment le renfer-mant.
La difiérence entre les deux systèmes peut être aussi con-sidérée d'un autre point de vue. Anaxagore n'était pas obligépar sa théorie de regarderies éléments d'EmpédocIe comme
premiers, opinion contre laquelle il y avait des objectionsévidentes, spécialement dans le cas delà terre. Il les expli-quait d'une tout autre manière. Quoique chaque choserenferme en elle une portion de chaque chose, les choses
paraissent être ce dont il y a le plus en elles (frg. 12 sub
fin.). Nous pouvons dire, donc, que l'Air est ce en quoi il ya le plus de froid, le Feu ce en quoi il y a le plus de cha-leur, et ainsi de suite, sans abandonner l'idée qu'il y a une
portion de froid dans le feu et une portion de chaleur dansl'air '. Les grandes masses qu'Empédocle avait prises pouréléments sont en réalité de vastes collections de toutessortes de « semences ». Chacune d'elles est, en fait, une
Tta-iQ-KtO'^X8.
111est plus probableque nous avonsune trace de la terminologied'Anaxugorclui-mêmedansfltp'tîtatTijî,3: jiépta(icpliuv,SXaSXwv.
*Cf.plushaut, p. 303.*Arist.deGen.Corr.A,1.314a 29. Lemotravsittpiuaétait employé
parDémocrite(Arist.deAn.404a 8; R.P. 200; DV54A28)et il seren-contredansle lltp'tîtaîtijî(loccit.). Il semblenaturelde supposerqu'ilétait employépar Anaxagorelui-même,puisquecelui-ciemployaitlemoto«cp(iaTa.Unegrandedidicultéa et'-causéepar l'apparenteinclu-sionde l'Eauet du Feupirmi les ôt»oio;iipiJdansArist.Met.A,3.984a11(R.P. 150u;DV46A43).Bonitzveut que les mots xaftdittpCîu»-»îjicùpsignifient«commenousvenonsde voirque le Feuet 1Eaule fontdans le systèmed'EmpédocIe».Kn tout cas, xaPaitcpse relieétroite-mentà OÛT(U,et le sensgénéralestqu'Anaxagoreappliqueauxé^oiouipf)cequi, enréalité,est vraidesotot^tta.Il seraitpréférablede supprimerla vl'guleaprès itOpet d'enajouteruneaprès <pr(3t,car oj^xpisitxal8ta-xpîon{iivovest explicatifde oGtu>...xa&iitip.Dansla phrase suivant.-,jîlis ànXùîpourâXXo>;avecZeller.\Arch.Il, p. 261).Voir aussi Arist.deCoelo,T,3.3026 1(R.P. 150a ; DV46A43)où la questionest très clai-rementexposée.
FHiLOSOPIIIRGRECQCK 20
306 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
CXXXI. — «TOUTESCHOSESENSEMBLE.»
De tout cela, il résulte que si « toutes choses étaientensemble», et si les diverses semences des choses étaient
mélangées ensemble en particules infiniment petites(frg. 1 ), l'apparence présentée devait être celle de l'unedes substances jusque-là regardées comme premières. En
vérilé, elles présentaient l'apparence de «rairetdel'éther»,car les qualités (choses) qui appartiennent à l'air et n l'éther
l'emportent par la quantité sur toutes les autres choses de
l'univers, et chaque chose est le plus évidemment ce de
quoi elle a le plus en elle (frg. 12 sub fin.). Ici donc, Anaxa-
gore se rattache à Anaximène. La condition première deschoses, avant la formation des mondes, est tout à fait lamême chez les deux penseurs ; seulement, chez Anaxagore,la masse originelle n'est plus la substance première, maisun mélange d'innombrables semences divisées en parti-cules infiniment petites.
Cette masse est infinie, comme l'air d'Anaximène, et ellese supporte elle-même, puisqu'elle n'est entourée de rien *.En outre, les «semences» de toutes choses qu'elle contientsonl infinies en nombre (frg. 1). Mais comme les innom-brables semences peuvent être divisées en celles dans
lesquelles prévalent les portions de froid, d'humide, dedense et de sombre, et en celles qui renferment le plus dechaud, de sec, de rare et de lumineux, nous pouvons dire
que la masse originelle était un mélange d'Air infini et deFeu infini. Les semences d'Air, naturellement, contiennentdes «portions» des choses qui prédominent dans le Feu,et vice versa ; mais nous regardons chaque chose commeétant ce de quoi elle a le plus en elle. Enfin, il n'y a pasde vide dans ce mélange, addition à la théorie renduenécessaire par les arguments de Parménide. Il vaut cepen-dant la peine de remarquer qu'Anaxagore ajouta une
• Arist.Phys.r, 5.205b 1(R.P. 154a ; DV46A50).
ANAXAGOREDE CLAZOMÈNES 307
preuve expérimentale de ce fait à la preuve purement dia-
lectique des Eléates. Il fit, comme Empédocle, l'expériencede la clepsydre (frg. 100/cl montra aussi la nature corporellede l'air au moyen d'oulres gonflées •.
CXXXIL — LE «NOUS».
Comme Empédocle, Anaxagore avait besoin de quelquecause externe pour produire le mouvement dans le mé-
lange. Ainsi que l'avait montré Parménide, un corps ne se
mouvrait jamais de lui-même, contrairement à ce qu'avaient
supposé les Milésiens. Anaxagore appela la cause du mou-
vement du nom «le Nous. C'est ce qui fit dire à Aristote
qu't en homme sobre, il se distinguait de ceux qui l'avaient
précédé el qui parlaient au hasard ' », et on lui a souvent,à cause de cela, attribué l'introduction de l'élément spiri-tuel dans la philosophie. Toutefois, le désappointement
exprimé à la fois par Platon et par Aristote quant à la
façon dont Anaxagore développa sa théorie devrait nous
mettre en garde contre une appréciation trop enthousiaste.
Platon fait dire à Socrate* : «J'entendis une fois unhomme lire un livre d'Anaxagore, à ce qu'il disait, el où
était exprimée l'opinion que ce fut l'Esprit qui ordonna le
monde, et qu'il était la cause de toutes choses. Je fus ravid'entendre parler de celle cause, et je pensais qu'il avait
réellement raison... Mais mes espérances exagérées furent
complètement renversées quand j'allai plus loin el trouvai
que cet homme ne faisait aucun usage du tout de l'Esprit.Ce n'est pas à lui qu'il attribuait une puissance causale
quelconque dans l'ordonnance des choses, mais bien à
l'air, à l'élher, aux eaux et à une foule d'autres choses
gr«Phys. Z, 6. 213a 22 (R. P. 159; DV46A6S).Nouspossédonsunediscussioncomplètedesexpériencesavecla clepsydredins Probl.914b9 sq. (DV46AC'Ji,passageauquelnousavonsdéjà recourupour illus-trer Empédocle,frg.100.Voirplushaut,p. 251,n. 2.
* Arist.Met.A,3.934b 15(R.P. 152; DV46A58).«Platon,Phd. 97b8 (R.P. 155d; DV46A47).
308 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEORECQUE
étranges. » Aristote, songeant probablement à ce passage,dit de son côté ' : « Anaxagore use de l'Esprit comme d'undeus ex machina pour rendre compte de la formation du
monde ; et toutes les fois qu'il est dans l'embarras pourexpliquer pourquoi une chose quelconque est nécessaire-
ment, il le fait intervenir. Mais, dans d'autres cas, il indiquecomme cause n'importe quoi plutôt que l'Esprit.» Cestextes sont de nature à nous faire supposer que le Nous
d'Anaxagore n'était pas, en réalité, a un niveau plus élevé
que l'Amour et la Haine d'EmpédocIe, et ce sentimentest confirmé par l'examen des déclarations que le philoso-phe fait lui-même à ce sujet.
Tout d'abord, le Nous est exempt de mélange (frg. 12),etne contient pas, comme les autres choses, une portion detout. Il ne vaudrait guère la peine de dire cela d'un espritimmatériel ; personne ne supposerait qu'il puisse êtrechaud ou froid. De cet état de pureté, il résulte qu'il«a pouvoir» sur chaque chose, ce qui veut dire, dans la
langue d'Anaxagore, qu'il est cause du mouvement deschoses*. Heraclite en avait dit autant du Feu, et Empé-docle de la Haine. De plus, c'est la plus «subtile » de toutesles choses, de sorte qu'il peut pénétrer partout, et cela n'au-rait pas de sens de dire que l'immatériel est «plus subtil»
que le matériel. Il est vrai aussi que le Nous « sait touteschoses» ; mais c'était peut-être également le cas du Feu
d'Heraclite*, et certainement de l'Air de Diogène*. Zeller
«Arist.Met.A,4.905a 13(R.P. 155d; DV46A47).* Arist.Phys.6,5. 256b24(DV46A56).îtôxa't'Avagaycpa;QpttûçXcftt.
tiv >ovvdrafti)eiaxtuvxaldjuyftttvat,(itttï'jiupxtvr^sw;ap'/ijvavrôvitoutctvaroCtutTfàûavuivtacxivoinaxîvntociLvxalxpatotnàimnctùv.Nousnecitons ce passageque pour la significationde xpattiv.Naturellement,les motsdxtvijto;<Svne sontpas donnéscommehistoriques,et moinsencore l'est l'interprétationqui en est donnéeà de An. V.4.429a 18(DV40A 100).Diogèned'Apullonie(frg.5j joint iitotoJto-jndvtaxv?$p-vdaSai(levieuxmotmilésien)avec«ctvriovxpatttv.
* Si nous gardonsle texte du ms., ciStvat,dansle fragment1. Entout cas, le nomde tô oo<pivn'impliquepas moins.
*Voirfrg.3, 5.
ANAXAGOREDE CLAZOMÈNES 309
soutient, il est vrai, qu'Anaxagore entendait parler de
quelque chose d'incorporel ; mais il admet qu'il n'y réussit
pas 1, et c'est la, historiquement, le point important. LeNous est certainement envisagé comme occupant un espace,puisqu'il y a en lui (frg. 12) de plus grandes et de pluspetites parties.
La vérité est probablement qu'Anaxagore substitua leNous à l'Amour et à la Haine d'EmpédocIe, parce qu'ildésirait garder la vieille doctrine ionienne d'une substance
qui «sait» toutes choses, et l'identifier avec la théorie nou-velle d'une substance qui «meut» toutes choses. Peut-êtreaussi fut-ce l'intérêt plus vif qu'il avait pour les problèmesphysiologiques — c'est-à-dire distincts des problèmespurement cosmologiques —-qui le conduisit à parler de
l'Esprit plutôt que de l'Ame. Le premier de ces mots sug-gère certainement avec plus de clarté que le dernier l'idéed'une intention. Mais, en tous cas, l'originalité d'Anaxa-
gore gît beaucoup plus dans sa théorie de la matière quedans celle du Nous.
CXXXIII. — FORMATIONDESMONDES.
La formation d'un monde part d'un mouvement rotatoire
que le Nous communique à une partie de la masse mélan-
gée, dans laquelle «toutes choses sont ensemble» (frg. 13)et ce mouvement rotatoire s'étend graduellement à un
espace de plus en plus grand. Sa rapidité (frg. 9) produitune séparation du rare et du dense, du froid et du chaud,du sombre et du lumineux, de l'humide et du sec (frg. 15).Cette séparation engendre deux grandes masses, l'une con-sistant dans le rare, le chaud, le lumineux et le sec, et
appelée l'«Ether» ; l'autre, dans laquelle les qualités oppo-sées prédominent, et appelée «Air» (frg. 1). De ces deux
masses, l'Elher ou Feu* occupa l'extérieur, tandis que l'Air
occupa le centre (frg. 15).>Zeller,p. 993.*Notezqu'Anaxagoredit <air » là où Empédocledisait habituelle-
310 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
La phase suivante est la séparation de l'air en nuages,eau, terre et pierres (frg. 16). En cela, Anaxagore suit de
près Anaximène. Toutefois, dans son explication de l'ori-
gine des corps célestes, il se montre plus original. Nouslisons a la fin du fragment 16 que les pierres « se projettentplus loin à l'extérieur que l'eau », et les doxogi aphes nous
apprennent que les corps célestes étaient tenus pour des
pierres arrachées a la terre par la rapidité de sa révolutionet chauffées a blanc par la vitesse de leur propre mouve-ment 1. Peut-être, la chute de la pierre météorique à AegosPotamos fut-elle pour quelque chose dans l'origine de celtethéorie. On peut observer encore que si, dans les premièresphases de la formation du monde, nous sommes surtout
guidés par l'analogie d'une eau en rotation avec des corpslégers et des corps lourds fiollant sur elle, Anaxagore nousfait plutôt penser ici a une fronde.
CXXXIV. — MONDESINNOMBHAM.ES.
Anaxagore adopta la théorie ionienne ordinaire del'innumérabilité des mondes; cela ressort avec une par-faite clarté du fragment 4, que nous n'avons pas le droit
d'envisager comme ne formant pas un seul tout*. Les mots
«que ce n'est pas seulement chez nous que ces choses sonl
séparées, mais qu'elles le sont ailleurs aussi», ne peuventsignifier qu'une chose : c'est que le Nous a causé un mou-vement rotatoire en plus d'une partie du mélange illimité.Aétius inclut certainement Anaxagore parmi ceux qui sou-tenaient qu'il n'y avait qu'un monde ; mais ce témoignagene peut pas être considéré comme de même poids que
ment «éther»,et que pourlui céther» est équivalentde feu.Cf.Arist.deCoeto,T.3.302b4 (DV46A43),tô yàp*0pxal tôvaîôépaicposafopcûei«V.o;et ibid.A, 3.270b 24(DV46A731: 'AvaÇayipac81xataxpijtaitôovcpatitovtqioùxaXrô;'ôvo[iaÇttfàpaïdtpaàvt't«vpôç.
' Aet. Il, 13,3 (Dox.p. 341; R. P. 157c; DV46A71).3Voirplushaut, p. 297,n. 2.
ANAXAGOREDE CLAZOMÈNES 311
celui des fragments '. Il est très improbable que les mots
«ailleurs que chez nous», se rapportent, comme le prétendZeller, à la lune. Est-il vraisemblable qu'il se soit trouvé
quelqu'un pour dire que les habitants de la lune «ont un
soleil et une lune comme nous*»?
CXXXV. — COSMOLOGIE.
La cosmologie d'Anaxagore est nettement basée sur celle
d'Anaximène; cela ressort avec évidence de la comparai-son du passage suivant d'Hippolyte
*avec les citations quenous avons faites dans notre premier chapitre (§ 29):
3. La terre est plate, et reste suspendue à cause de sa forme,et parce qu'il n'y a pas de vide*. Pour celle raison, l'air esttrès fort et supporte la terre, qui est soutenue.par lui.
4. Quant à l'humidité sur la surface de la terre, la mer seforma des eaux qui sont dans la terre (car lorsque celles-ci furentévaporées, le reste devint salé)*, et des rivières qui s'yjettent.
5. Les rivières naissent a la fois des pluies et des eaux quisont dans la terre; car la terre est creuse et renferme des eauxdans ses cavités. Et le Nil s'élève en été grâce a l'eau qui des-cend des neiges de l'Ethiopie*.
«Aet.11,1,3. Voirplus haut, chap. I, p. 63.*On peut prouver, de plus, que ce passage(frg.4)se trouvait tout
près du début de l'ouvrage.Cf.Sinipi. Phys.p. 34,28: jut' iXfyari)«àp-/J);toi îtptutojllip't<J>;3JIO;;p. 156,1: xalput'ôXîfa(aprèsIrg. 2)qui setrouvait lui-mêmejiet'oXî-jovaprès frg. 1, qui était le commencementdu livre. Uneréférenceauxautres «mondes»serait bienen placeici.mais nonune référenceà la lune.
» Réf.I, 8, 3 (Dox.p. 562;DV46A 42).4 Ceciest une additionà l'opinionplus ancienne,additiondue à la
négationdu vide par les Eléates.*Letexteest très corrompuen cet endroit, maisle sensgénéralpeut
sedéduiredeAét.III, 16,2.* Laleçondu ms.est tv toî?âpxtoïc,en placede laquelleDielsadopte
la conjecturede Frcdrlch: tv tolçdvTapxtotoî;.Il m'a paru préférabledetraduire le iv tjj Aî&ioxtique donneAétius(IV,1,3).Cetteopinionestmentionnéeet rejetée par Hérodote(II, 22).Sénèque(N.Q. IV,2, 17)fait remarquerqu'elleavaitété adoptéepar Eschyle(Suppl.559,frg 300Nauck).Sophocle(frg.797),et Euripide(Hel.3. frg.228).(DV46A91).
312 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
6. Le soleil, la luno et toutes les étoiles sonl des pierres en-flamméesqui sont muescirculnlrcment par la rotation de l'éthcr.Sous les étoiles sont le soleil et la lune, et aussi certains corpsqui font leur révolution avec eux, mais sont invisibles pournous.
7. Nous ne sentons pas la chaleur des étoiles à cause de leurgrande dislance de la terre ; cl d'ailleurs elles ne sont pas aussichaudes que le soleil, parce qu'elles occupent une région plusfroide. I*alune est au-dessousdu soleil, et plus près de nous.
8. Le soleil dépasse en grandeur le Péloponnèse. La lune n'apas de lumière qui lui soit propre, mais la revoit du soleil. I«ecours des étoiles passe sous la terre.
9. La lune est éclipsée par la terre, qui lui dérobe la lumièredu soleil, et quelquefois aussi par les corps qui sont au-dessousd'elle et se placent devant elle. Lesoleil est éclipseà la nouvellelune, quand la lune nous le dérobe. I.c soleil el la lune tour-nent tous deux dans leurs courses a cause de la répulsion del'air. La lune tourne fréquemment, parce qu'elle ne peut préva-loir sur le froid.
10. Anaxagore fut le premier à déterminer ce qui concerneles éclipses et la clarté du soleil et de la lune. Et il disait que lalune était de terre, et renfermait des plaines et des ravins. Lavoie lactée est la réflexionde la lumière des étoiles, qui ne sonlpas éclairées par le soleil. Lesétoiles filantes sont des étincelles,pour ainsi dire, qui jaillissent eh raison du mouvement de lavoûte céleste.
11. Les vents s'élèvent quand l'air est rarelié parle soleil, clquand des corps, qui sont brûlés, sedirigent vers la voûte du cielet sont emportés. Le tonnerre et l'éclair sont produits par lachaleur qui frappe les nuages.
12.Les tremblements de terre sont causés par le fait que l'aird'au-dessus de la terre se heurte a celui d'au-dessous; cariemouvement"de ce dernier fait balancer la terre, qui flotte surlui.
Tout cela confirme de la manière la plus frappante l'in-dication de Théophraste, qu'Anaxagore avait appartenu àl'école d'Anaximène. La terre plate flottant sur l'air, les
corps sombres en dessous de la lune, l'explication des sols-tices et des « tours » de la lune par la résistance de
l'air, les explications données du vent, du tonnerre et de
l'éclair, tout cela dérive des investigateurs plus anciens.
ANAXAGOREDE CLAZOMÈNES 313
CXXXVI. ~ BIOLOGIE.
« En chaque chose, il y a une portion de chaque chose,
excepté dans le Nous, et il y a certaines choses dans les-
quelles le Nous est aussi. • (p. 11.) Dans ces mois, Anaxa-
gore traçait la distinction entre les objets animés et les
objets inanimés. Il nous dit que c'est le même Nous qui «a
pouvoir sur» toutes les choses qui ont vie, c'est-à-dire lesmet en mouvement, tant les plus grandes que les pluspetites (frg. 12). Le Nous est le même dans toutes les créa-turcs vivantes (frg. 12), et il en résulte que les différents
degrés d'intelligence que nous observons dans les mondesanimal et végétal dépendent entièrement de la structuredu corps. Le Nous est le même, mais il trouve des con-ditions plus favorables dans un corps que dans l'autre.L'homme est le plus sage des êtres animés, non parcequ'il a une meilleure espèce de Nous, mais simplementparce qu'il a des mains *.Cette opinion est en parfait accordavec le développement antérieur de la pensée sur ce sujet.Dans le livre II de son poème (frg. 16), Parménide avait
déjà fait dépendre la pensée des hommes de la constitu-tion de leurs membres.
Du moment que le Nous est partout le même, nous nesommes pas surpris d'apprendre que les plantes étaient
regardées comme des créatures vivantes. Si nous pouvonsen croire le traité pseudo-aristotélicien Sur les Plantes',
Anaxagore soutenait qu'elles doivent éprouver du plaisirquand elles croissent, de la peine quand leurs feuilles
tombent. Au dire de Plularque*. il appelait les plantesdes «animaux fixés dans la terre».
Plantes et animaux doivent leur origine première à la
TTONcriTtppfx.Les plantes apparurent pour la première fois
«Arist.dePart. An.A10,.687a 7 (R.P. 160b; DV46A 102).* (Arist.]de Plant. A 1,815a 15(R.P. 160;DV46A117).s Plut. Q.N.1(R.P. 160;DV46A116): Çôov....ifitXm.
314 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
lorsque leurs semences, contenues dans l'air, furent entraî-nées en bas par l'eau des pluies
* et les animaux prirentnaissance d'une manière analogue *.Comme Anaximandre,
Anaxagore soutenait qu'ils avaient vu le jour en premierlieu dans l'élément humide *.
CXXXVU. — LA PERCEPTION.
Il nous semble constater, dans ces maigres notices, destraces de polémique contre Empédocle, et l'on peut enobserver aussi dans les analyses que nous possédons de lathéorie de la perception adoptée par Anaxagorc, et spécia-lement dans celte idée que la perception repose sur lescontraires «.Voici comment Théophrasle s'exprime sur ce
sujet *.
MaisAnaxagorc dit que la perception est produite par desopposés ; car les choses semblables ne peuvent êlrc affectéespar les semblables. Il essaye de faire une description détailléedes divers sens. Nous voyons au moyen de l'image qui se formedans la pupille ; or aucune image n'est projetée sur une chosede même couleur, mais seulement sur ce qui est différent. Cher,la plupart des créatures vivantes, les objets sont de couleurdifférente pour la pupille pendant le jour, quoique, pour quel-ques-unes,ce soit le cas de nuit, et celles-ci ont par conséquentla vue perçante à ce moment. D'une manière générale, cepen-dant, la nuit est, plus que le jour, de la même couleur que lesyeux. Et une image est projetée sur la pupille de jour, parceque la lumière est une cause concomitante de l'image, et parceque la couleur qui prévaut projette plus facilement une imagesur son opposé*.
C'est de la même manière que le toucher et le goût discernentleurs objets. Ce qui est exactement aussi chaud ou exactementaussi froid que nous, ni ne nous réchauffe, ni ne nous refroidit
«Theophr.Hisl.Plant. III, 1,4 (R.P. 160;DVA117).»Irénêc,Ado.Hier.II 14,2(R.P. 160a ; DV46A113).' Hipp.Réf.1,8. 12(Dox.p. 563; DV46A 42).*Bcare,p. 37.»Theophr.deSensu,27sq. (Dox.p. 507;DV46A92).• Bcare,p. 38.
ANAXAGOREDECLAZOMÈNES 315
par son contact, et, pareillement, nous ne percevons pas pareux-mêmes le doux et l'amer. Nous connaissons le froid par lechaud, le frais par le salé, et le doux par l'amer, en vertu denotre insuffisance en chacun; car tous ceux-ci sont en nous aucommencement. Et nous sentons el entendons de la même ma-nière : nous sentons au moyen de la respiration qui se fait enmême temps ; nous entendons parce que le son pénètre dansle cerveau, car l'os qui le surmonte est creux, et c'est sur lui quele son tombe '.
Et toute sensation implique une peine, opinion qui sembleraitêtre la conséquence de la première supposition, car toutes leschoses dissemblables produisent une peine par leur contact. Etcelle peine est rendue perceptible par la longue durée ou parl'excès d'une sensation. Les couleurs brillantes et les bruits ex-cessifs produisent de la peine, et nous ne pouvons nous arrêterlongtemps sur les mêmes choses, f.cs animaux les plus grandssont les plus sensibles cl. généralement, la sensation est propor-tionnée à la grandeur des organes des sens Les animaux quiont des yeux grands, purs cl brillants, voient les grands objetset à une grande distance, et vice versa'.
Et il en est de même de l'ouïe. Lesgrands animaux peuvent en-tendre des sons forts el distants, tandis que les sons plus faiblespassent inaperçus d'eux; les petits animaux perçoivent des sonsfaibles, et tout près d'eux*. Il en est de même aussi de l'odorat.L'air raréfié a plus d'odeur, car lorsque l'air est chauffé et raré-fié, il sent. Quand un grand animal respire, il aspire l'air con-densé en même temps que le raréfié, tandis qu'un petit aspirele raréfié seulement ; ainsi le grand animal perçoit davantage.Car l'odeur est mieux perçue quand elle est près que quand elleest loin, parce qu'elle est plus condensée, tandis qu'elle est fai-ble quand elle est dispersée. Mais, généralement parlant, lesgrands animaux ne perçoivent pas une odeur raréfiée, ni les pe-tits une odeur condensée4.
Celte théorie marque sous certains rapports un progrèssur celle d'EmpédocIe. C'était une heureuse pensée d'Anaxa-
gore de faire dépendre la sensation de l'excitation par les
contraires, et de la lier à la peine. Plus d'une théorie mo-derne est basée sur une idée analogue.
t>Beare,p. 208.» Ibid..p. 103.» Ibid..p. 209.*Ibid.,p. 137.
316 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
Anaxagore tenait les sens pour incapables d'alteindre la
vérité sur les choses : les fragments conservés par Sexlus
l'attestent. Mais nous ne de\ons pas, pour autant, faire delui un sceptique. La déclaration conservée par Aristote ',
que «les choses sont ce que nous les supposons être», n'aaucune valeur probante. Elle provient de quelque collec-
tion d'apophtegmes, et non du traité d'Anaxagore lui-
même, et il se peut fort bien qu'elle eût une applicationmorale. 11disait (frg. 21) que « la faiblesse de nos sensnous empêche de discerner la vérité», mais cela signifie
simplement que nous ne voyons pas les «portions» dev
chaque chose qui sont en chaque chose, par exemple les
portions de noir qui sont dans le blanc. Nos sens nousmontrent simplement les portions qui prédominent. Il
disait aussi que les choses qui sonl vues nous donnent la
possibilité de voir l'invisible, ce qui est précisément le
contraire du scepticisme (frg. 21 a).
' Met.r 5, 1009b25(R.P. 161«i; DV46A28).
CHAPITRE VII
LES PYTHAGORICIENS
CXXXVIIL L'ÉCOLEPYTHAGORICIENNE.
Nous avons vu (§ 40) comment les Pythagoriciens, aprèsavoir perdu leur suprématie à Crolone, se concentrèrent à
Rhegium: Mais l'écolr qu'ils y fondèrent fut bientôt dis-soute. Archippos resta en Italie, mais Philolaos et Lysis,—ce dernier, encore jeune lors du massacre de Crolone, yavait échappé — se rendirent dans la Grèce continentale elfinirent par se fixer à Thèbes. Nous savons par Platon quePhilolaos y vécut quelque temps à la fin du Ve siècle, el
Lysis fut dans la suite le maître d'Epaminondas*. Quel-ques-uns des Pylhagoriciens, cependant, purent retourner
plus tard en Italie. Philolaos était certainement du nombre,el Platon fait supposer qu'il avait quitté Thèbes un peuavant 399, année où Socrate fut mis à mort. Au IVe siècle,le principal siège de l'école est à Tarente, et nous trouvonsles Pylhagoriciens dirigeant l'opposition contre Denys de
Syracuse. C'est à cette période qu'appartient Archytas. Ilfut l'ami de Platon, el réalisa presque, s'il ne suggéra pas,l'idéal du roi-philosophe. Il gouverna Tarente pendant des
années, et Aristoxène nous dit qu'il ne fut jamais défaitdans aucune bataille*. 11fut aussi l'inventeur de la méca-
«Sur Philolaos,voirPlaton,Phd.Gldl; e 7IDV32B15>.ctsur Lysis,Aristoxène,dans Jambl. V.Pyth. 250(R.P.59fc; DV34,1).
1Diog.VIII,79-83(R.P. 61).Aristoxènelui-mêmeétait originairedeTarente. Sur l'activitépolitiquedes Pythagoriciensde Tarente,voir
318 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
nique mathématique. A la même époque, le Pylhagorismeavait pris racine en Helladc. Lysis, nous l'avons vu, séjour»nait à Thèbes, où Simmias et Cébès avaient entendu Philo-
laos, el il y avait une importante communauté de Pytha-goriciens à Phlionte. Aristoxène était en relations person-nelles avec les représentants de la dernière génération de
l'école, et cite les noms de Xénophile de Chalcis, en
Thrace, de Phanton, d'Echécrate, de Dioclès et de Polym-ncslos de Phlionte. Ils étaient tous, dit-il, disciples de Phi-lolaos et d'Eurytos '. Platon était en excellents termes avecces hommes, et leur dédia son Phèdon *. Xénophile fut le
maitre d'Arisloxènc, et vécut en parfaite santé à Athènes
jusqu'à l'âge de cent cinq ans *.
CXXXIX. — PHILOLAOS.
Celte génération de l'école appartient cependant, en réa-
lité, à une période postérieure et ne peut être étudiée avec
profit qu'en relation avec Platon ; c'est de son chef Phi-lolaos que nous avons à nous occuper maintenant. Les
faits que nous connaissons sur son enseignement dériventde sources extérieures et sont en petit nombre. Les doxo-
graphes, il est vrai, lui attribuent une théorie approfondiedu système planétaire, mais Aristote ne mentionne jamaisson nom à ce propos. Il donne cette théorie comme étantdes « Pylhagoriciens» ou de «quelques Pylhagoriciens *».Il semble cependant naturel de supposer que les éléments
pylhagoriciens du Phèdon et du Gorgias de Platon viennent
surtout de Philolaos. Platon fait exprimer à Socrate sa
surprise de ce que Simmias et Cébès n'avaient pas appris
Meycr.Gesch.desAlterlh.V, ; 824.L'histoirede Damonet Phintias(racontéepar '.ristoxène)appartientà celtepériode.
«Diog.VIU,46|R. P. 62).*Comparezla façondont le Thêétèteest dédiéà l'écoledeMégare.»VoirAristoxène,ap. Val.Max.VIII,13,ext.3, et Suidas,s. v.«Voirplus loin,|§ 150-152.
LES PYTHAGORICIENS 319
de lui pourquoi il n'est pas permis à un homme de mettre
fin à ses jours 1,et il semble ressortir de ses paroles que les
Pylhagoriciens de Thèbes employaient le mot «philosophe»au sens spécial d'un homme qui cherche un moyen de se dé-
livrer du fardeau de cette vie*. Il est extrêmement probable
que Philolaos parlait du corps (vàpy.) comme du tombeau
OÂp») de l'Ame*. Dans tous les cas, nous avons le droit,
semblc-til, de soutenir qu'il enseignait, sous une forme ou
sous une autre, la vieille doctrine religieuse des Pythago-riciens, et il est probable qu'il attachait une importance
spéciale à la connaissance comme moyen de délivrance.
C'est l'impression que nous donne Platon, et il est de beau-
coup la meilleure autorité que nous ayons sur le sujet.Nous savons de plus que Philolaos écrivit sur les « nom-
bres », car Speusippe le suivit dans l'analyse qu'il donna
des doctrines pythagoriciennes sur ce sujet 4. Il est pro-
• Plato,Phd., 61d6.' Ola parait résulter directementde la remarque de Simmiasdans
Phd.64b. Le passageentier serait dépourvude «elsi Ls mots<jtXiso-<po;,çiXoooçitv,?i).o:ofîan'étaient pns devenusen quelque sorte fami-liers aux Théhainsordinaires du V*siècle.Or lléraclide de Pont faitinventerce mot à Pythagorc,qui l'expliquedansune conversationavecLéon,tyran de Sicyoncoude Phlionte.Cf.Diog.I. 12(R.P. 3). VIII,8;Cic.Tusc.V,3,8; DôilngdansArch.V,p 505sq. Il me parait que lamanièredont le termeest introduitdansle Phèdoncondamnel'opinionque c'est une idéesocratiquetransféréepar lléraclideaux Pythagori-ciens.Cf.aussi la remarque d'Alcidamascitée par Arist. Rhel.B.23,1398b 18: 8^»j5ivôjii ol npos:dtatçiXcJojottftvo>toxal tvînjtivijjcvijKÔXI;.
» Pourdes raisonsqu'on verra plus loin, je n'attache pas d'impor-tance sousce rapportà Philolaos,frg.14Diels= 23Mullach(R.P. 89),mais il sembleprobableque le jw&oXoyùivxou|ô; iv^pde Gorg.493a 5(R. P. 89b) est responsablede toute la théoriequi y est développée.Ilest certainement,en tous cas,l'auteur du tttpnutvo;r.i9oc,qui impliquela mêmeopiniongénérale. Or il est appelé tio; ïtxtXo;ti; >}ItaXwôç,ce qui signifiequ'il était Italien; car le ïtxtXo;tu est simplementuneallusionau SutXo;xo;i-|>i;dvijpitot'ttiv |iatip't;a de Timocréon.Nousneconnaissonsaucun Italienà qui Platonpût avoir empruntéces opi-nions, exceptePhilolaosou un de ses disciples.Ils n'en peuventpasmoins,malgrétout cela, avoir été à l'originedes Orphiques(cf.R. P.89a).
*Voir plus haut, chap. Il, p. 115,n. 2.
320 L'AUROREDE LAPHILOSOPHIEGRECQUE
bable qu'il s'occupa surtout d'arithmétique, et il n'est guèredouteux que sa géométrie ne fût du type primitif décritdans nos premiers chapitres. Eurytos fut son disciple, etnous avons vu (§ 47) que ses théories étaient encore tout àfait grossières.
Nous savons aussi que Philolaos écrivit sur la médecine 1,et que, quoique influencé en apparence par les enseigne-ments de l'école sicilienne, il s'y opposa du point de vue
pythagoricien. 11disait en particulier que nos corps sont
composés seulement de chaud, et ne participent pas dufroid. Ce n'est qu'après la naissance que le froid y est intro-duit par la respiration. La connexion entre ce point et lavieille théorie pythagoricienne est évidente. De même quele Feu du macrocosme allire et limite le souffle froid etsombre qui entoure le monde (§ 53), de même nos corpsaspirent le souffle froid de l'extérieur Philolaos tenait pourcauses de maladie la bile, le sang et le phlegme; et envertu de la théorie que nous venons de mentionner, ildevait nier que le phlegme fût froid, contrairement au direde l'école sicilienne. L'élymologic du mot prouvait, selon
lui, qu'il était chaud. Ainsi que l'a écrit Diels, Philolaosnous frappe par « le peu d'intérêt qu'offre son éclectisme»
pour autant qu'on envisage ses vues médicales '. Nous ver-
rons toutefois que ce fut justement cette préoccupation dela médecine dont fil preuve l'école sicilienne qui donnanaissance à quelques-uns des développements les pluscaractéristiques du Pythagorisme postérieur.
CXL. — PLATONETLESPYTHAGORICIENS.
Tel fut, pour autant que nous pouvons le connaître, le
Philolaos historique, et c'est une figure assez remarquable.»Chosequi montreexcellemmentcombiende lacunesrenfermenotre
tradition(Introd. i XIII),ce Taitétait absolumentinconnujusqu'à lapublicationdesextraitsdeslatrikade Mcnoncontenus'dansl'Anonymede Isomlrcs.L'extraitqui se rapporteà Philolaosest donnéet discutéparDiels,Hermès,XXVIII,p.417sq. (DV32A27).
»Hermès,loc.cit.
LES PYTHAGORICIENS 321
Il est d'usage, cependant, de le représenter sous un autre
jour, et l'on a même parlé de lui comme d'un «:précurseurde Copernic». Pour comprendre ce fait, nous aurons à
considérer un peu l'histoire de ce que l'on ne peut appelerqu'une conspiration littéraire. Tant qu'elle n'a pas été tiréeau clair, il n'est pas possible d'apprécier l'importance réellede Philolaos et de ses disciples immédiats.
Comme nous pouvons le voir par le Phèdon et le Gorgias,Plaion Hait intime avec ces hommes; et leur enseignementreligieux l'impressionnait profondément, quoique — celaest évident aussi — il n'en fit pas sa propre foi. Il étaitencore plus attiré par le côté scientifique du Pythagorisme,qui, jusqu'à la fin, exerça une grande influence sur lui.Son propre système a, dans sa forme finale, de nombreux
points de contact avec le Pythagorisme, comme il prendsoin de le marquer dans le Philèbe '. Mais, justement parce
qu'il en était si près, il était en état de le développer seloncertaines tendances, qui peuvent s'être ou ne s'être pasrecommandées à Archytas, mais qui ne sont pas faites
pour nous éclairer- sur les vues de Philolaos et d'Eurylos.Si Platon avait jamais entendu parler d'un système cosmo-
logique tel que celui dont on fait habituellement honneurà Philolaos, il serait bien étrange qu'il attribue le système
développé (.es Pythagoriciens à Timée de Locres, dont nous
ne savons rien que ce qu'il lui a plu de nous en dire. Ce
qu'il nous dit de Philolaos est, comme nous l'avons vu, d'un
caractère tout à fait différent.
Or Platon avait beaucoup d'ennemis et de détracteurs, et
cette circonstance les mettait à même de porter contre
lui l'accusation de plagiat. Aristoxène était l'un de ces
ennemis, et nous savons qu'il fit l'extraordinaire déclara-
tion que la plus grande partie de la République se trouvait
dans une oeuvre de Protagoras *. C'est à lui que parait aussi
remonter l'histoire d'après laquelle Platon acheta de Philo-
>Plato, Phlteb. 16 c sq. — » Diog.III,37. Sur des accusationsdumêmegenre, cf. Zcllcr,Plato, p. 429,n. 7.
PHILOSOPHIEGRECQUE 21
322 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
laos «trois livres pythagoriciens», et en tira la substancedu Timée. A l'en croire, ces «trois livres» étaient venus en
possession deNPhilolaos, et comme celui-ci était tombédans une grande pauvreté, Dion put, sur la prière de Pla-
ton, les acheter de lui ou d'un de ses parents, au prix decent minesl. Il est certain,-dans tous les cas, que celte his-toire avait déjà cours au troisième siècle, car lesillographeTimon de Phlionte apostrophe Platon en ces termes : « Etde toi aussi, Platon, le désir s'empara d'avoir des disciples.Car, en échange de beaucoup de pièces d'argent, tu asobtenu un pelit livre, et, partant de là, tu as appris à écrirele Timée'.» Au dire d'Hermippos, l'élève de Callimaque,«un écrivain» affirmait que Platon lui-même avait achetéces livres des parents de Philolaos au prix de quarantemines d'Alexandrie, et en avait copié le Timée, tandis queSatyros, l'Arislarchéen, dit qu'il les obtint par l'intermé-diaire de Dion et les paya cent mines*. Ni l'un ni l'autre deces récits ne suggère que le livre fût de Philolaos lui-même;ils donnent plutôt à entendre que Platon .acheta, ou bienun livre de Pylhagore.ou du moins des notes authentiquesprises à ses cours par un de ses élèves et tombées dans lesmains de Philolaos. A une date postérieure, on supposaitgénéralement qu'il s'agissait de l'ouvrage de Timée deLocres intitulé l'Ame du Monde 1; mais il est maintenant
prouvé et hors de doute que ce livre ne peut avoir existéavant le premier siècle après Jésus-Christ. Nous ne savonsrien de Timée, excepté ce que Platon lui-même nous en
dit, et il se peut même qu'il n'ait pas plus existé quel'Etranger d'Elée. Son nom ne se trouve pas parmi lesLocriensdans le catalogue des Pythagoriciens que nous a
*Jambl. V.Pyth. 199(DV4, 17).Dielsa certainementraison d'attri-buer celte histoire à Aristoxène(Arch.III, p. 461,n. 26).
»Timon, ap. Gcll.III, 17(frg.XXVIWa; 54Diels; II. P. 60a).*Sur Hcrmlpposet Satyros, voir Diog.III,9; VIII,84,85.* AinsiJambl. in Nicom.p. 105,11; Proelus,in Tint.p. 1, Diehl.
LESPYTHAGORICIENS 323
conservé Jamblique 1. Cette oeuvre ne remplit d'ailleurs
pas la condition la plus importante, celle d'être en trois
livres, qui est partout un des éléments essentiels de l'anec-
dote ».Pas un des écrivains qUe nous venons de mentionner ne
déclare avoir vu les fameux «trois livres *»; mais, à une
date postérieure, deux oeuvres au moins prétendaient les
représenter. Diels a montré comment un traité en trois
sections intitulé riatoVjTtxov,-noïr.«xo'v,yjftxov, fut com-
posé dans le dialecte ionien et attribué à Pyfhagore. Il met-
tait fortement à contribution les IlvOxyopîxat àiroiaxiuçd'Arisloxène, mais la date en est incertaine*. Au premiersiècle avant Jésus-Christ, Démétrius Magnes était en me-sure de citer les premiers mots de l'oeuvre publiée par Phi-lolaos'. Mais celle-ci élait écrite en dialecte dorien. Démé-trius ne dit pas expressément qu'elle lût de Philolaos lui-
même, quoique ce soit sans aucun doute la même dont uncertain nombre d'extraits ont été conservés sous son nomdans Stobée et chez des écrivains postérieurs. Si elle pré-tendait être de Philolaos, cela n'était pas tout à fait enaccord avec l'anecdote primitive; mais il est aisé de voircomment son nom peut y avoir été- attaché. On nous dit
que l'autre livre qui passait pour être de Pythngore étaiten réalité de Lysis*. Roeckh a montré que l'oeuvre attri-buée à Philolaos consistait probablement aussi en trois
livres, el Proclus la cilait sous le titre de Bakchai 1, titre
« Diels.Vors.p. 269.*C• sont ta Dp'jXoJimatpîa (JtfXîa(Jambl. V.Pyth. 199),ta îiaJJoTjta
tpiagt^Xia(Diog.VIII,15).*Commele dit Bywatcr(fourn.of PMI.I, p. 29).l'histoirede cette
oeuvre«rendslike the hlstory, notso muchof a book,as ofa lileraryignisfatuus floatingbeforethe mindsof Imaginativewriters».
* Diels,EingcfâlschlesPythagorasbueh(Archiv,III, p. 451sq.).» Diog.VIII,85 (R.P. 63b). Dielslit : itp&tovtxîoOvaittuvIL8aqopixAv
<{Ji?Xtaxaltnqfpci^atllipi> 4>Jsta>(.* Diog.VIII,7.' Proclus,in Eucl.p. 22,15(FrlcdKin; DV32B19).Cf.Bceckh,Philo-
324 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
fantastique, qui rappelle les «Muses» d'Hérodote. Deuxdes extraits qu'en donne Stobée le portent. Il faut avouer
que toute l'histoire est très suspecte; mais comme quel-ques-unes des meilleures autorités tiennent encore ces
fragments pour partiellement authentiques, est néces-
saire de les examiner de plus près.
CXLI. — LES FRAGMENTSDE PHILOLAOS.
Boeckh soutenait avec beaucoup d'habileté et de science
que tous les fragments conservés sous le nom de Philolaosétaient authentiques; mais, aujourd'hui, personne n'iraitaussi loin. Le long extrait sur l'âme est abandonné mêmede ceux qui se prononcent pour l'authenticité des autres 1.On ne peut pas dire, a priori, que celte opinion soit très
plausible. Boekb a vu qu'il n'y avait pas de raison de sup-poser qu'il y ait jamais eu plus d'un ouvrage, et il en tiraitla conclusion que nous devons accepter tous les fragmentscomme authentiques ou les rejeter tous comme apocry-phes*. Comme, cependant, Zeller et Diels tiennent encore
pour l'authenticité de la plupart des fragments, nous ne
pouvons les ignorer complètement. Des arguments baséssur la doctrine qu'ils renferment présenteraient, il est vrai,
l'apparence d'un cercle vicieux en ce point de la discus-sion. Ce n'est qu'en relation avec nos autres preuves qu'ilspeuvent être introduits. Mais il est deux objections sérieu-ses aux fragments, qui peuvent être mentionnées lout desuite. Elles sont suffisamment fortes pour justifier notre
laos, p. 36sq. Boeckhs'en réfère à un groupe sculptural représentanttrois Bakchai,qu'il supposeêtre Ino, Agaveet Au(onoé.
1Ce passageest donné dans R. P. 68(DV32B21. Pour une discus-sion complètede cefragment et des autres, voir Bywater, Onthefrag-ments altrtbuted to Philolaos the Pythagorean (Journ. of PMI. I,p. 21sq.).
* Boeckh,Philolaos,p. 33; Diels(Von. p. 246)distingue les ttakchaides trois livres II«pitpjsio; {ibid.p. 289).Mais comme il identifiecesderniers avecles «trois livres • achetés de Philolaos,et tes tient pourauthentiques, celan'affectepas le raisonnementd'une manière sérieuse.
LESPYTHAGORICIENS 325
refus d'en user jusqu'à ce que nous ayons établi d'aprèsd'autres sources quelles doctrines peuvent légitimementêtre attribuées aux Pythagoriciens de cette date.
En premier lieu, nous devons poser une question quin'a pas encore été envisagée. Est-il probable que Philolaosait écrit en dialecte dorien? L'ionien a été le dialecte de
toute science et de toute philosophie jusqu'à l'époque de la
guerre du Péloponnèse, et il n'y a pas déraison de supposer
que les premiers Pythagoriciens en aient employé un autre 1.
Pythagore était lui-même Ionien, et il n'est pas du tout évi-
dent qu'à son époque les Etats achéens dans lesquels il
fonda son ordre eussent déjà adopté le dorien *. Alcméonde Crolone parait avoir écrit en ionien*. Diels affirme, il
est vrai, que Philolaos et ensuite Archytas furent les pre-miers Pythagoriciens à user du dialecte de leurs patries* ;maison ne peut guère dire que Philolaos ait eu une patries,et les fragments d'Archytas ne sont pas écrits dans le dia-
lecte de Tarente, mais dans ce qu'on peut appeler le «do-
>VoirDielsdans Archiv,III, p. 460sq.1Surle dialecteachéen,voir O.HoffmanndansCollitzund Bechtel,
Dialekt-Inschriflen,vol.Il, p. 151.Avecquelle lenteurle dorien péné-tra dans les E'.atschalcidiens,on peut le voir par l'inscription deMikythosde Rhegion<Dial.Inschr. III, 2, p. 498),laquelleest posté-rieureà 468/67,et est composéeen un dialectemélangé.Il n'y a pasderaisonde supposerqueledialecteachéende Crotonefût moinsvivace.
1 Lesmaigresfragmentsd'AIcméonrenfermentune seuleformedo-rienne,t/ovtt(frg.1 , maisAlcméonse donneà lui mêmela qualitédeKpotiuvifjti);,cequi est très significatif,car la formeachéenne—aussibienque dorienne—est Kpotiuvtâta;Il n'écrivaitdoncpas en un dia-lecte mélangécommeceluidont il est questiondans la note ci-dessus.Le plus sûr parait être d'admettreavecWachtler,De AlcmteoneCro-luniata, p. 21sq., qu'il se servaitde l'ionien.
«Archiv,III, p. 460.» Il est expressémentappeléCrotoniatcdans les extraitsdes 'latptxj
de Ménon<cf.Diog.VIII,84).Hest vrai qu'Aristoxèncl'appelaitTaren-tin, qualitéqu'il attribuait aussià Eurytos(Diog.VIII,46),mais celasignifieseulementqu'il s'établit h Tarenteaprès avoir quitté Thèbes.Cesvariationssont communesdans le cas desphilosophesitinérants.Eurytosest aussiappeléCrotoniatcet Métapontin(Jambl.V.Pylh. 143,266).Cf. aussi la note 1de notrechap.IXsur Leucippeet la notesurHippon§ 185.
326 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
rien commun». Archytas peut avoir trouvé convenable
d'employer ce dialecte, mais il est d'une génération aumoins plus jeune que Philolaos, ce qui fait une grande dif-férence. Nous avons la preuve qu'au temps de Philolaos,et après lui, l'ionien était encore employé par les citoyensdes Etats doriens dans des écrits scientifiques. Diogèned'Apollonie, en Crète, et l'historien syracusain Antiochusécrivirent en ionien, et les écrivains médicaux des villesdoriennes de Cos et de Cnide continuèrent à user du mêmedialecte. L'oeuvre apocryphe de Pylhagore, dont nous avons
parlé plus haut, et que quelques-uns attribuaient à Lysis,était en ionien ; il en était de même du livre sur les Akous-mata attribué à Andocyde \ qui montre que, même à
, l'époque alexandrine, on estimait encore que l'ionien étaitle dialecte consacré pour les écrits pythagoriciens.
En second lieu, il ne peut y avoir de doute que l'un des
fragments ne se rapporte aux cinq solides réguliers, dont
quatre sont identifiés avec les éléments d'EmpédocIe*. OrPlaton nous donne à entendre, dans un passage bien connude la République, qu'à l'époque où il écrivait la stéréomé-trie n'avait pas encore été étudiée comme elle le méritait *,et nous avons le témoignage exprès que les cinq « ligures
platoniciennes», comme on les appelait, furent découvertesà l'Académie. Dans les scholics d'Euclide, nous lisons
que les Pylhagoriciens ne connaissaient que le cube, la
pyramide (tétraèdre), et le dodécaèdre, et que l'octaèdre etl'icosaèdre furent découverts par Théétète '. Cela nous
• Sur Andocyde,voir Diels, Vors.p. 281. Comme le fait ressortirDielsiAfchioIII. p. 461),Lucien lui-même avait suffisammentle sensdu style pour faire parler Pythagorcen ionien.
*Cf. frg. 12«=20M(R.P. 79): ta tv ta cepaîpaoiôp-atantvtt tvtf-» Plato, Rep., 528b.* lleiberg, Euclid, vol. V,p. 654,1: 'Evto-Jtwtijï jîi^Xîip,tcmfan tuî iy',
fpâtpttaita XifijuvatlXatwvo' t «yr((iata.à aùtoi uivoOxfottv,tpta îl tdv•nponpr);i«viuvt a^rjuatiuvt«ivll'j»ayoptt(uvtjtîv, ô t« XV3OÎxal^ nvpaal;xalti StnisxâtSpov,ëtattqtoj 21xi <5<titipovxaî tô ttxosâttpov.Ce n'est pasune objection de dire, commele fait Ncwbold(Arch.XIX,p. 204),que
LES PYTHAGORICIENS 327
autorise pleinement à regarder les «fragments de Philo-
laos» comme un peu plus que suspects. En les examinantde plus près, nous y trouverons d'autres anachronismesencore. ,
CXLII. LE PROBLÈME.
Nous devons donc chercher une preuve ailleurs. D'a-
près ce qui a été dit, il est clair que nous ne pouvons
pas, avec sécurité, prendre Platon pour guide dans la
recherche du sens originel de la théorie pythagoricienne,
quoique ce soit certainement de lui seul que nous puis-sions apprendre à la regarder avec sympathie. Aristole,d'aulre part, n'éprouvait aucune tendresse quelconque
pour la manière de penser des Pythagoriciens, mais il s'est
donné beaucoup de peine pour la comprendre. Et cela
parce qu'elle a joué un très grand rôle dans la philosophiede Platon et de ses successeurs, et qu'il devait se rendre
aussi claires que possible, à lui-même et à ses disciples, les
relations des deux doctrines. Ce que nous avons à faire,
donc, c'est d'interpréter dans l'esprit de Platon ce que nous
dit Aristote, et d'examiner ensuite comment la doctrine à
laquelle nous arrivons de celle manière se rattache aux
systèmes qui l'avaient précédée. Cest une opération déli-
cate, sans doute, mais elle a été rendue beaucoup plus sûre
par de récentes découvertes concernant l'histoire primitivedes mathématiques et de la médecine.
Zeller a préparé le ierrain en éliminant les éléments
purement platoniciens qui s'étaient insinués dans les
exposés postérieurs du système. Ils sont dé deux sortes. En
l'inscriptiondu dodécaèdreest plus difficileque cellede l'octaèdreetde l'icosaèdre.Les Pythagoriciensn'étalent pas réduitsaux méthodesstrictementeuclidiennes.Il y a lieu de noter,en outre, que Tanneryaboutit à une conclusionandogueencequi concernel'échellemusicaledécrite dans le fragmentde Philolaos.« Il n'y a jamais eu, dit-il, pourla divisiondu tetracorde, une tradition pythagoricienne;on ne peutpas avecsûreté remonterplus haut que Platonouqu'Archytas» (Reo.4ePhilosophie,1904,p. 244).
328 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
tout premier lieu, nous avons des formules authentique-ment académiques, telles que l'identification de la Limiteet de l'Illimité avec le Un et la Dyide indéterminée 1; etsecondement il y a la doctrine néoplatonicienne qui repré-sente leur opposition comme celle existant entre Dieu et laMatière *. Il n'est pas nécessaire de répéter ici les argumentsde Zeller, car personne n'attribuera plus ces doctrines aux
Pythagoriciens du Ve siècle.Ceci simplifie considérablement le problème, mais il est
encore extrêmement difficile. Suivant Aristote, les Pylhago-riciens disaient : Les choses sont des nombres, quoique tellene paraisse pas être la doctrine des fragments de «Philo-laos ». Suivant ces fragments, les choses ont des nombres
qui les rendent connaissables, alors que leur essence réelleest quelque chose d'inconnaissable '. Cela serait assez intel-
ligible, mais la formule qui dit que les choses sont desnombres parait dénuée de sens. Nous avons vu qu'il y ades raisons de croire qu'elle remonte à Pythagore lui-même
(§ 52), quoique nous n'ayons pas été en état de dire trèsclairement ce qu'il entendait par là. Il n'y a aucun doute dece genre relativement à son école. Aristote dit qu'elle usaitde la formule dans un sens cosmologiquc. Le monde, selon
les Pylhagoriciens, est fait de nombres dans le même sens
que d'autres ont dit qu'il était fait de «quatre racines» oude «semences innombrables». Il ne convient pas de négli-ger celte opinion en la taxant de mysticisme. Quoi quenous puissions penser de Pythagore, les Pythagoriciens du
*Aristotedit clairement(Met.A,6.937b 25)qu'il est caractéristiquede Platon «de poser une dyadeau lieu de l'Illimité regardé commeaâ, et de faire consisterl'Illimitédans le grandet le petit». Zellerpa-•ait faire, relativementà ce passage, une concessionsans nécessité(p. 368.n. 2).
*Zeller,p. 369sq.>Sur la doctrinede «Philolaos», cf. frg. 1= 2 Ch.(R.P. 64),et sur
l'inconnaissabletstùit&v«paT(idta>vvoir frg.3 = 4 Ch.(R. P. 67).Il aune ressemblancesuspecteavecla CXi)d'Aristotc,ressemblanceque cedernier n'aurait certainementpas manqué de noter s'il avait jamaisvu ce passage,car il guettepartout les anticipationssur la CXij.
\ LES PYTHAGORICIENS 329
V4siècle étaient des hommes de science, et ils ont certai-
nement voulu dire quelque chose de tout à fait précis!Nous serons obligés, sans doute, de reconnaitre qu'endisant que les choses sonl des nombres, ils donnaient à ces
mots un sens quelque peu contraire à leur sens naturel,mais pareille supposition ne soulève aucune difficulté.Nous avons déjà vu comment les amis d'Aristoxène réin~
terprélaient les anciens Akousmata (§ 44). Les Pythagori-ciens avaient certainement une grande vénération pour les
paroles réelles du Maitre (OTJTOÇe<px); mais pareille véné-ration est souvent accompagnée d'une singulière licence
d'interprétation. Nous partirons donc de ce que nous ditAristote relativement aux nombres.
CXLIII. — ARISTOTEET LES NOMBRES.
En premier lieu, il faut noter qu'Aristote a l'opinion fer-
mement arrêtée que le Pythagorisme entendait être un sys-tème cosmologique comme les autres. «Quoiqueles Pylha-goriciens, nous dit-il, fissent usage de premiers principeset d'éléments moins évidents que les autres, puisqu'ils neles dérivaient pas des objets sensibles, cependant toutes
leurs discussions et leurs études se rapportaient à la natureseule. Us décrivent l'origine des cieux, et ils observent les
phénomènes des parties dont ils se composent, tout ce qui
s'y passe et tout ce qu'ils produisentl. » Ils appliquententièrement à'ces choses leurs premiers principes, «d'ac-
cord apparemment avec les autres philosophes naturalistes
pour soutenir que la réalité est justement ce qui peut être
perçu par les sens, cl est contenu dans le cercle des cieux*»,
quoique « les premiers principes et les causes premièresdont ils font usage soient réellement de nature à ex-
• Arist.Met.A,8,989b29(R. P. 92A; DV45B 22).»Arist.Met.A,8, 990a 3: £p.oXoYOvvt*çtoîc âXXoteço«ioXôyotçôti ti
Y'SVtout' JativSi&vats&qtôvicti xalriputXij^tvô xiXoujuvoîoupavôf.
330 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
pliquer des réalités d'un ordre plus élevé que le sensi-ble1».
Aristote analyse la doctrine avec plus de précision endisant qu'elle fait des éléments des nombres les élémentsdes choses, et que, par conséquent, les choses sont desnombres*. Il affirme non moins catégoriquement que ces«choses» sont des choses sensibles*, et qu'en fait ce sontdes corps 4, les corps dont le monde est construit*. Cetteconstruction du monde au moyen de nombres était poureux un processus réel, accompli dans le temps, et qu'ilsdécrivaient en détail *.
De plus, par les nombres, les Pylhagoriciens entendaientbien des nombres mathématiques, quoiqu'ils ne les con-
çussent pas comme séparés des objels sensibles'. D'autre
part, ce n'étaient pas de simples prédicats de quelque chose
d'autre, mais ils avaient leur réalité propre et indépen-dante. « Ils ne pensaient pas que le limité, l'illimité et leUn fussent certaines attires substances, telles que le feu,
1Met.ibid. 990a 5: ta; Vaïtta; xa"ta; àpy-;, «ûsr.epC'^CJHVixavàcXtfo-Jîivtsava^vai xal is'i ta à>tutépu>ÏÔJVSvttuv,xal {idXXov^ tôt; Ttp'tfjjtuii XifO!;apuottotisa;.
* Met.A,5, 9S6a 1: ta tû>vàpi&pffivotî'.yiîatiùvovttov«tor/ttanâvtojvûrccXa^&vtîvii; N, 3. 1090ci22: tîvat ulv àpi9poù;tr.o?r(aavta ô>ta,où^luptstoi»;ït, àXX't; àpidgiAvta ôvta.
3Met.M,6. 10S0b 2 : û; tx tûv àptftptûvivjnapyivtiovôv:ata aia9r(tâ:ibid. 1080b \7 : ix tvjtov (toi paO^uatixo-làptttji.Q-1)ta; aïo&ijtà;où«îa«cjvistdvaiçaîîv.
4 Met.M,8.1083b 11: ta srâuatat; apiOyâvetvatajyxiîutva;ibid. b 17:txttvotII tiv àpifyiivta ôvta Xtyo-jiiv*ti yoivOttup^uatarcposàntOMJicolçOtûpasivm; «; txtîvtuvÔVÎUJVtcôvàpt&p.0»;N, 3. 1090« 32: xatà pivtet tiitouîv t$ jpiD|i(î>vta cpvS'xàew;iata,ix |AJJtyovtwvJJapo;pr(ii xo-jfitrjtat/ovta xovçotrjtaxal £3ipo;.
s Met.A, 5. 986a 2: tiv ôXovoùpavivâp;xovîavtlvat xal àpit>|iiv;A,8.990o 21: tiv âpi9(iivto-ltovi; 0}awisrqxivô xispo;: M,6.1080/»18:tiv |àp ôXovoùpavivxatajxtviÇo'jJivtj ap<t}afi»v;de Ctclo,ï. I, 300cl15:toi; t; ipiDaiùv8-ivutUitiv oùpaviv'ïvtotvàp <«jvÇ'îâivt$ àptftp&vouvia-tâJiv,wjr.eptûv IlidaYOptîuivtivtf.
« Met.N,3.10910 18: xojuonotolstxalçjjtxffl;jîoJXovtaiXlyciv.' .Ue/.M,6.1080b 10(DV45H9); N, 3.1090a 20(DV45II22).
LESPYTHAGORICIENS 331
l'eau ou quelque autre chose de cette nature ; mais quel'illimité lui-même et le Un lui-même étaient la réalité des
choses dont ils étaient faits les prédicats, et c'est pourquoiils disaient que le nombre était la réalité de toute chose1.»Par conséquent, les nombres sont, selon les termes mêmes
d'Arislote, non seulement la cause formelle, mais aussi la
cause matérielle des choses*. Suivant les Pylhagoriciens,les choses sont faites de nombres dans le même sens
qu'elles étaient faites de feu, d'air ou d'eau dans les théo-ries de leurs prédécesseurs.
Enfin, Aristote noie que les Pythagoriciens étaient d'ac-cord avec Platon pour donner aux nombres une réalité
propre et indépendante, tandis que Platon différait des
Pylhagoriciens en soutenant que celle réalité pouvait se
distinguer de celle des choses sensibles'. Examinons endétail ces diverses indications.
CXLIV. — LES ÉLÉMENTSOESNOMBRES.
Aristote parle de certains « éléments » (?w/iïx) des
nombres, qui étaient aussi les éléments des choses. Ce n'est
là, évidemment, que sa façon à lui de présenter la ques-tion; mais nous aurons là évidemment aussi la clef du
problème si nous pouvons découvrir ce qu'il veut dire.
Premièrement, les « éléments des nombres » sont l'Impairet le Pair, mais il n'y a rien là qui semble nous être d'un
grand secours. Nous constatons, cependant, que l'Impairet le Pair étaient identifiés, non sans quelque violence,avec la Limite et l'Illimité, qu'il y a, nous l'avons vu, desraisons de regarder comme les principes fondamentaux dela cosmologie pythagoricienne. Aristote nous dit que c'estle Pair qui donne aux choses leur caractère illimité, quand
• Arist. Met.A.5.987a 15.*Met.ibid. 986a!5 (R. P. 66; DV45U5).*Met.A,G.987b 27: ô ;itv (llXâîiuv)toi; àpiftaoù«itapàta aîa&f)îâ.ol
l' (ol ILOaYÔpttot)àpiOjioù;«tvatçaiivaùtà ta au9r(tâ.
332 v L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
il est contenu dans elles et limité, par l'Impair ', et les com-mentateurs sont unanimes à interpréter cette phrase en cesens que le Pair est, en une certaine manière, la cause del'infinie divisibilité Us se heurtent pourtant à de grandesdifficultés quand ils essayent de montrer comment cela
peut être. Simplicius nous a conservé une explication, dueselon toute probabilité à Alexandre, et d'après laquelle ils
appelaient le nombre pair illimité «parce que tout pair sedivise en parties égales, et que ce qui se divise en partieségales est illimité sous le rapport de la bipartition ; car ladivision en égaux et demies continue ad infinilum. Mais si
l'impair y est ajouté, il le limite, car il empêche sa division
en parties égales*.» Or il est évident que nous ne pouvonsimputer aux Pylhagoriciens l'opinion que les nombres
pairs puissent être indéfiniment divisés par deux. Ilsavaient étudié avec soin les propriétés de la décade, et ilsne peuvent avoir ignoré que les nombres pairs 6 el 10 n'ad-mettent pas cette division. En réalité, l'explication doitêtre trouvée dans un fragment d'Aristoxène où nous lisons
que « les nombres pairs sont ceux qui se divisent en par-ties égales, tandis que les nombres impairs se divisent en
parties inégales et ont un milieu *». Nous trouvons de ceciun nouvel éclaircissement dans un passage cité par Stobéeet qui, en dernière analyse, remonte à Posidonius. Envoici la teneur: «Quand l'impair est divisé en deux parties
»Mel.A,5.986a 17(R. P.66; DV45B 5); Phys. T,4.203a 10(R. P.66a ; DV45 B 28).
*Sfmpl.Phys. p. 455.20(R. P. 66a; DV45B28).Je dois lespassagesquej'ai utilisés pour éluciderce point à W.A. Heldel,Hipaçund inti-povin der Philosophie der Pythagoreer (Archio,XIV,p. 384sq.). Leprincipe général de mon Interprétationest aussi le mômeque le sienbien que, en mettant le passageen rapport avecles figuresnumériques,je croieavoir évité la nécessitéde regarder les mots ij lh «»«?«axalijpîî»)itat'pisi;ti; àrteipovcommeune ctentative d'explicationajoutéepar Simpliclus».
»Arls'oxène,frg. 81,op. Stob. I, p. 20, 1 (DV45B2): «x tfflv'Apts-xaiiwi fliplàpt&p.Tmxi)c.... tffivII àpifyûvaptiot jdv tîaivol tic ?««2tat-pojptvot,ittptisolil ol tt<ivua xalulsovlyovttc.
LES PYTHAGORICIENS 333
égales, il reste une unité au milieu ; mais quand le pair est
ainsi divisé, il reste un champ vide, sans maître et sans
nombre, montrant qu'il est défectueux et incomplet1». A
son tour, Plutarque dit : «Dans la division des nombres,le pair — partagé dans n'importe quelle direction — laisse
en quelque sorte au dedans de lui... un champ; mais
quand la même opération est faite sur l'impair, la division
laisse toujours un milieu *». Il est clair que tous ces pas-sages se rapportent au même objet, et que ce ne peut guèreêtre autre chose que ces arrangements de « pions » en
figures, avec lesquels nous sommes déjà familiers (,* 47).Si nous songeons à ces figures, nous verrons dans quelsens il est vrai que la bipartition continue ad infinilum. Si
grands que soient les nombres, il n'y a jamais une unitéau milieu d'un nombre pair.
CXLV. — LES NOMBRESÉTENDUS.
Voilà donc comment l'Impair et le Pair furent identifiés
avec la Limite el l'Illimité, et il est possible, quoique nul-
lement certain, que Pythagore lui-même ait franchi cette
étape. Dans tous les cas, il ne peut y avoir aucun doute
que par son illimité il n'entendit quelque chose d'étendudans l'espace, el nous avons vu qu'il l'identifiait avec l'air,la nuit ou le vide; nous ne sommes donc nullement sur-
1[Plut.]ap. Stob. I, p.22,19:xalpîjvti; êJo îiaipoyutvcovîsa toi plvittptaaol(iovà;tv |i(a<ulupuatt.toi SIàptiojxtvîjXcinttaiX">P3xaiàStanoto;xaiàvipiHjio;,o>;àvtviivl; xalàtiXol;ôvto;.
»Plut, de E apud Delphos,388a : tat; ràp ti; fia touaî; tûv àpiBjiûv,6 [tivâptiocnâvtç)tt3ti(Uvo;ûnoXtiittttivà otxtocjjvàpyqvotovtv ITÏZ<~Oxal^cupav,tvil tu»ittptttuîtaùtô ita9ivtipilaovàtl ntpiistt ti); vtp.>J4tu>;vôvt-uovLesmotsquej'ai laissesde côtédans ma traductionse rapportenta l'identificationde l'Imp.lr et du Pairavecle Maieet la Femelle.Auxpassagescités par llcldel, on pourrait en ajouter d'autres. Cf., parexemple,ce que dit N'icomaque(p. 13,10Hoche): îatt Si âptiovplv &otovtt ti; iio tsa îtatptft^vatpiovaSo;|U3'JVp»jnapi;intntoJ3rj,-,ntptttivîlto |»>)Jjvdutvovti; i>0i'aaptpt39f,vaiîtà tîjvTtpot(pr(ji{vijvxtfipovàîo;pt3tttiav. Il ajoute,chosesignificative,que cettedéfinitionest ix ti); iijiiw-ÎOJ;ûnoXf^twi'.
334 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
pris de voir ses successeurs se représenter aussi l'Illimité
comme étendu. Aristote l'envisageait certainement ainsi.Il conclut que si 1Illimité est lui-même une réalité, et non
pas simplement le prédicat de quelque autre réalité, cha-cune de ses parties doit être illimitée également, de même
que chaque partie d'air est air 1. La même chose est impli-quée dans sa déclaration que l'Illimité de Pythagore se
trouvait en dehors «les cieux *. Aller plus loin serait un peurisqué. Philolaos et ses successeurs ne peuvent pas avoir
envisagé l'Illimité comme de l'Air à la manière des anciens
Pylhagoriciens ; car, ainsi que nous le verrons, ils adoptè-rent la théorie d'EmpédocIe relativement à cet «élément »,et en rendirent compte autrement. D'autre part, ils ne peu-vent guère l'avoir regardé comme un vide absolu;car c'est
par les Atomistes que ce concept lut introduit. Il sulfil dedire que par l'Illimité ils entendaient la res extensa, sans
pousser plus loin leur analyse de ce concept.Puisque l'Illimité est étendu, la Limite doit l'être égale-
ment, et nous devrions naturellement nous attendre à trou-ver que le point, la ligne el la surface étaient tous regardéscomme des formes de la Limite. Ce fut la doctrine posté-rieure ; mais le trait caractéristique du Pythagorisme est
justement que le point ne fut pas envisagé comme une
limite, mais comme le premier produit de la Limite et de
l'Illimité, et fut identifié avec l'unité arithmétique. En rai-son de cette conception, donc, le point a une dimension,la ligne deux, la surface trois, et le solide quatre*. En
>Arist. Phys. T,4.204a 20sq., et spécialementa 26: dXXàp(v£jnipàtpo;àîjpt»cpo;,ovtu»âmipovàittipo-j,iî>t oùstatotl xalàpyij.
»Voir chap. II. §53.*Cf.Speu*ippedans l'extrait conservédans les TheologumenaArilh-
melica, p. 61(DV32A 13): ti jiîjvjàp a otiypij,tô il 8 ypapji^,ti 21tpiatptvuivov,ti îè i K'jpaui;.Nous savons qu'ici Spcusippesuit Philolaos.Arist. Met.Z, 11.1036b 12: xalàvâfovstr.âvtati; toi; dpi9[io-J;.xalvpaji-|ii)îtiv Xoyovtiv twvSiottvat<pa3iv.La question est clairement exposéedans les scholiesd'Euclidc(p. 78, 19,Hciberg): ol21flj9ajopnotti plvOi}|uîovdvdXovovèXdpjîavovpovdSt,Iviii 2t tTjvypoppfjv,xal tptaît tô tut-
LESPYTHAGORICIENS 335
d'autres termes, les points pylhagoriciens ont une gran-deur, leurs lignes une largeur, et leur surface une épais-seur. Mrcf, la théorie tout entière roule sur la définition du
point comme une unité «ayant position '». Tels furent leséléments au moyen desquels il parut possible de construireun monde.
CXLVI. — LESNOMBRESGRANDEURS.
Il est clair que celle manière de considérer le point, la
ligne et la surface est intimement lice à la représentationdes nombres par des points arrangés en figures symétri-ques, représentation (pie, nous l'avons vu, on a des raisonsd'attribuer aux Pythagoriciens (§ 47). La science géométri-
que avait déjà fait des progrès considérables, mais l'an-cienne conception «le la quantité comme somme d'unitésn'avait pas été révisée, et il était inévitable qu'on en vint àune doctrine telle «pie celle que nous avons indiquée. C'estlà la vraie réponse à faire à Zeller, quand il prétend queregarder les nombres pythagoriciens comme étendus dans
l'espace, c'est ignorer le fait que la doctrine était à l'origineplutôt arithmétique «pie géométrique. Notre interprétationtient pleinement compte de ce fait, et en fait même dépen-dre toutes les particularités du système. Aristote affirme
catégoriquement que les points pylhagoriciens sont éten-dus dans l'espace. « Ils construisent, nous dit-il, le mondeentier nu moyen de nombres, mais ils supposent que lesunités ont de 1étendue. Quant à savoir comment naquit la
première unité douée d'étendue, ils ne paraissent pas êtreau clair sur ce point *». Zeller est d'avis que c'est là sim-
plement une infêrence d'Aristote *, et il a probablement
*t2ov.tttpâît 21tô «â>[ii.Kaitoi'ApiatottXr,;tpiaftixà;«poatXtjXudtvaiçTJÎItô «oejiao»;îiaaTijujr.pmtovXajiJJàvtuvtf.vypaup^v.
• L'identificationdu point avecl'unité est mentionnéepar Aristote,Phys.E, 3,227u 27.
*Arist. Met.M,6. 1080b 18sq., 1083b 8 sq.; deCielo,I\ 1.300a 16(R.P. 76a ; DV45B9,10,38).
•Zeller, p. 381.
336 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
raison en ce sens que les Pylhagoriciens n'éprouvèrentjamais le besoin de dire en tout autant de termes que les
points avaient de l'étendue. Il semble probable, cependant,qu'ils les appelaient oyxotl.
L'autre argument avancé par Zeller pour prouver queles nombres pylhagoriciens n'étaient pas étendus n'est pasplus inconciliable avec la manière dont nous venons d'ex-
poser la question. Il admet lui-même, ou plutôt il insistesur ce fait que les nombres étaient étendus dans la cosmo-
logie pythagoricienne, mais il élève des difficultés en ce
qui concerne les autres parties du système. Il y a, dit il,d'autres choses, telles que l'Aine, la Justice et l'Occasion,
qui sont dites être des nombres, el qu'on ne peut s'imagi-ner construites de points, de .lignes et de surfaces *. Or, il
me parait que tel est justement le sens d'un passage dans
lequel Aristote critique les Pythagoriciens. Ils soutenaient,dit-il, que l'Opinion prévalait dans Une partie du monde,tandis qu'un peu au-dessus ou au-dessous d'elle on pou-vait trouver l'Injustice ou la Séparation ou le Mélange, touteschoses qui, selon eux, étaient des nombres. Mais, dans les
mêmes régions des cieux, exactement, on pouvait trouverdes choses douées d'étendue, qui étaient aussi dès nom-bres. Comment cela peut-il être, puisque la Justice n'a pasd'étendue *? Cela veut dire sûrement que les Pythagori-
*Platon nous apprend, Theil. 148b 1, que Théétète appelait lesnombresirrationnels —qu'Euclidcnomme2/vajutajppttpa—du nomde î-jvdjin;,tandis qu'il appelait les racines carrées rationnellesp^xi).Or, dans le Timèe,31c 4, nous trouvons une divisiondes nombres enSyxotet S-jvdpti;,qui semblesignifierdesquantités rationnelleset irra-tionnelles.Cf. aussi l'emploide ôyxoidans Parm. 164a. Zenonemploieoyxoiau sens de points dans son quatrième argument sur le mouve-ment, lequel, comme nous le verrons (} 163),était dirigé contre lesPythagoriciens.Aétius,1,3, 19(R. P. 766; DV38,2) dit qu'Ekphantosde Syracusefut le premierdes Pythagoriciensà dire que leurs unitésétaient corporelles.Il est possible, toutefois, qu' «Ekphantos» fût unpersonnagedans un dialogued'Héraclide(Tannery,Arch.IX,p. 263sq.)et Héraclideappelait les monadesâvappotêfxoi(Galen.Ilist. PMI. 18;Dox. p. 610).
»Zeller, p. 382.>Arist.Met.A,8.990a 22(R. P. 81e ; DV45B22).Je lis et interprète
LES PYTHAGORICIENS 337
cicns avaient négligé de donner un exposé clair de la rela-
tion qu'ils établissaient entre ces analogies plus ou moins
fantastiques et leur construction quasi-géométrique de
l'univers. Et telle est, après tout, et en fait, la propre opi-nion de Zeller. Il a montré «pie dans la cosmologie pytha-
goricienne les nombres étaient regardés comme étendus *-,et il a aussi montré «pie la cosmologie constituait le sys-tème tout entier *. Nous n'avons «ju'à rapprocher ces deux
propositions pour arriver à l'interprétation donnée plushaut.
CXLVII. — LES NOMBRESETLESELEMENTS.
Si nous en venons aux détails, il nous semble voir quece qui distinguait de sa forme plus ancienne le Pythago-risme de celte période, c'est qu il cherchait à s'adapter à lanouvelle théorie des « éléments ». C'est justement cela quinous oblige à considérer une fois de plus le système en
rapport avec les pluralistes Quand les Pythagoriciens
commesuit: «Car,voyant que selon eux, Opinionet Occasionsontdans une partie donnéedu monde,et un peu au-dessuset au-dessousInjustice,Séparationet Mélange—en preuvede quoi ils allèguentquechacune de ces chosesest un nombre —et voyant qu'il arrive aussi(je lis TyxWwt)avecBonitz)qu'il y a déjàdans cette partie du mondeun certain nombrede grandeurscompos-es(c'est-à-direcomposéesdela Limiteet de l'Illimité),parceque cesformes(de nombre)sont atta-chées à leurs régions respectives;— (voyantqu'ils soutiennent cesdeuxmanièresde voir), la questionse posede savoirsi le nombrequenous devonscomprendrereprésenterchacunede ces choses(Opinion,etc ) est le mêmeque le nombredans le monde(c'est-à-direle nombrecosmologique)ou un nombredifférent.» Je ne puis douter que ce nesoient là les nombresétendus qui sont composés(o-jvtatatat)des élé-mentsdu nombre,le limité et l'illimité,ou commedit ici Aristote,les«affectionsdu nombre », l'impair et le pair. L'opinionde Zeller,quec'est des «corpscélestes» qu'il est question ici, se rapprochede lamienne,maisl'applicationen est trop étroite. Cen'est pas non plus lenombre(nXfjfto;)de ces corps qui est en question, mais leur grandeur(jitY»f)o;).Sur d'autres interprétations de ce passage, voir Zeller,p. 391,n. 1.
>Zeller,p. 404.»Ibid., p. 467sq.rUILOSOPIURGRECQUE 23
338 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
retournèrent dans l'Italie méridionale, ils durent y voir
prédominer des opinions qui exigeaient impérieusementune reconstruction partielle de leur propre système. Nous
ignorons »i Empédocle avait fondé une association philo-sophique, mais on ne peut mettre en doute son influencesur l'école médicale de ces régions ; et nous savons main-
tenant aussi que Philolaos joua un rôle dans l'histoire de lamédecine '. Celte découverte nous donne la clef de la con-nexion historique qui paraissait autrefois obscure. A encroire la tradition, les Pythagoriciens expliquaient les élé-ments comme formés de figures géométriques, théorie quenous pouvons nous-mêmes étudier sous la forme plusdéveloppée qu'elle a prise dans le Timée de Platon *. En
effet, s'ils voulaient conserver leur position de chefs desétudes médicales en Italie, il leur fallait rendre compte deséléments. \
Nous ne devons cependant pas tenir pour démontré quela construction pythagoricienne des éléments lût exacte-
ment celle que nous trouvons dans le Timée. Nous avons
déjà lait observer qu'il y a de bonnes raisons de croire
qu'ils ne connaissaient que trois* des solides réguliers, le
'cube, la pyramide (tétraèdre), et le dodécaèdre *. Or il est
tout à fait significatif que Platon part du feu et de laterre *, et procède, dans la construction des éléments, detelle manière que l'octaèdre et l'icosaèdre peuvent facile-ment être transformés en pyramides, tandis que le cube etle dodécaèdre ne le peuvent pas. Il résulte de là que, tandis
1Tout ceci a été mis dans sa vraie lumière par la publication del'extrait des 'latpixâde Ménon,à proposduquel voir p. 320,n. 1.
* DansAet. 11,6, 5 (R. P. 80; DV32A 15)la théorie est attribuée àPythagore, ce qui est un anachronisme,puisque la mention des c élé-ments » montre qu'elle doit être postérieure à Empédocle. Dans sonextrait de la mêmesource, Achilledit ol ITj&ayôptioi,cequi, sans aucundoute, reproduitmieuxThéophraste. Il y a un fragmentde cPhilolaos»portant sur le sujet (R.P. 79; DV32B 12)où l'expressionta tv ta ojat'paodipatadoit désigner les corps réguliers solides.
>Voirplus haut, p. 326,n. 4.« Platon, Tim.31&5.
LESPYTHAGORICIENS 330
que l'air et l'eau se transforment aisément en feu, la terre s'yrefuse 'etquc ledodécaèdre est réservé pouruneautre Un, querious allons considérer. Cela s'adapterait exactement au
système pythagoricien, car cela laisserait place à un dua-
lisme analogue à celui qui est esquissé dans la seconde
partie du poème de Parménide. Nous savons qu'Hippasosfaisait du feu le principe premier, et nous voyons par lelimée comment il était possible de représenter l'air et l'eau
comme des formes du feu. L'autre élément est néanmoinsla terre, non l'air, comme il y a, ainsi que nous l'avons vu,des raisons de croire qu'il l'était dans le Pythagorisme pri-mitif. Ce serait là un résultat naturel de la découverte del'air atmosphérique par Empédocle, et de sa théorie géné-rale des éléments. Cela expliquerait aussi ce fait énigma-
tique — que nous avons dû laisser inexpliqué plus haut —
qu'Arislote identifie les deux «formes» dont parle Parmé-nide avec le Feu et la Terre '. Tout cela est naturellement
problématique ; mais il ne sera pas facile de rendre comptedes faits autrement.
CXLVIII. — LE DODÉCAÈDRE.
Le point le plus intéressant de la théorie est peut-êtrel'usage fait du dodécaèdre. Il était identifié, nous dit on,avec la «sphère de l'univers », ou, suivant l'expression du
fragment de Philolaos, avec la « coque de la sphère *». Quoi
1Platon,Tim.54c4. Il y a lieu d'observerque, dans Timie,48b 5,Platon, parlant de la constructiondes éléments,dit : oCîeî;KO»ytvteiv«ùtûvptur(v.ixtv,ce qui impliquequ'il y a quelquenouveautédans lathéorie,tellequ'il la-faitexposerpar Timée.Sinouslisons le passageAla lumièrede ce qui a étédit au S141,nousseronsinclinésà croireque Platondéveloppeladoctrinepythagoricienneen se basant sur lanorme donnéepar la découvertede Théétète.Uneautre indicationdans le mêmesensse trouvedansArist.Gen.etCorr.B,3.330b 16,oùnousapprenonsque,dansles Atatpfattc,Platonsupposetrois éléments,mais lait de celuidu milieuun mélange.Celaest exposéen rapportétroit avecl'attributiondu Feuet de la Terreà Parménide.
;•*Voirplus haut, chap.IV,p. 215,n. 2.»Aet.IL6, 5(R. P.80);cPhilolaos», frg. 12(= 20M; R. P. 79)?Sur
340 L'AUROREDB LA PHILOSOPHIEGRECQUE
que nous puissions penser de l'authenticité des fragments,il n'y a aucune raison de douter que ce ne soit là une
expression pythagoricienne authentique, et il faut, pourl'interpréter, la rapprocher du mot «quille» appliqué aufeu central *. La structure du inonde était comparée h laconstruction d'un vaisseau, idée dont on trouve d'autrestraces*. La clef de ce qu'on nous dit du dodécaèdre nousest fournie par Platon. Nous lisons dans le Phèdon que la« vraie terre », telle qu'elle est vue d'en haut, est « peintede nombreuses couleurs, comme les balles qui sont faitesde douze pièces de cuir*». Le Timée fait allusion au même
objet en ces termes : « De plus, comme il reste encore une
construction, la cinquième, Dieu en a fait usage pour l'uni-vers quand il l'a peint
*». Le noeud de la question est quele dodécaèdre se rapproche plus de la sphère qu'aucunautre des solides réguliers. Les douze pièces de cuir em-
ployées à faire une balle seraient toutes des pentagonesréguliers ; et si cette matière n'était pas souple comme elle
l'est, nous aurions un dodécaèdre au lieu d'une sphère.Ceci porte à croire que les Pythagoriciens ont eu tout au
l'6Xxd;,voir Gundermann dans le Rhein. Mus. 1904,p. 145sq. Je croîsaveclui que le texte est correct,et que le mot signifie«vaisseau»,maisje penseque c'est la structure du vaisseauc1 non son mouvement,quiconstitue le terme de comparaison.
>Aet. II. 4,15: ôntptpôiuw;2îx»jvitpojitt^dXttot^,to5itavtèj <<j?a!pa>0 2t){no'jpYÔç9tôç.
*Cf.les gîtoÇù>;iatade Platon, Rep.616c 3. CommeûXrjsignifiegéné-ralement bois de construction pour les vaisseaux(quand il ne signifiepas bois à brûler), j'estime que c'est dans cette direction que l'atten-tion devrait se porter pour expliquerl'emploi techniquedes mots dansla philosophiepostérieure. Cf. Platon, Phileb. 54,c 1: vtvtotiu;....tvtxa.... ndsavûXq*itapattihsdatnd3iv,partie de la réponse à la question :itittpa nXoîtuvvajnrjyîavtvtxa<pg;yîyvto&aipaXXovi}nXotatvtxavawirjYtae(ibid. b 2); Tim.69a 6 : ota ttxtoaiv^;itvGXijnapdxmat.
*Cf. Platon,Phd. 110&6: wsktpal 2to2ixdbxutoioyalpac,avec la notede Wyttenbach.
* Platon. Tim. 55c 4. Ni ce passage, ni le précédent ne peuvent serapporter au zodiaque, qui serait décrit comme un dodécagone,noncommeun dodécaèdre.Ceque Platonentend, c'est la division du Cielen douzechamps pentagonaux.
LES PYTHAGORICIENS 341
moins les rudiments de la «méthode de l'approximation»,formulée plus tard par Eudoxe. Us doivent avoir étudié les
propriétés du cercle au moyen de polygones inscrits et
celles de la sphère au moyen de solides inscrits '. Cela nous
donne une haute idée de leurs travaux mathématiques,
maisunfaitnousmonlrequenousnenousexagéronspasleursmérites dans ce domaine : c'est que les fameuses lunules
d'Hippocrate datent du milieu du Ve siècle. L'inclusion de
droites et de courbes dans la « table des oppositions » sous
les rubriques de la Limite et de l'Illimité porte à la même
conclusion *.
La tradition confirme d'une manière intéressante l'im-
portance du dodécaèdre dans le système pythagoricien.Suivant un témoignage ancien, Hippasos fut noyé dans la
mer pour en avoir révélé la construction, et pour s'en être
attribué la découverte *. Ce qu'était cette construction,nous pouvons l'inférer partiellement du fait que les Pytha-goriciens adoptèrent pour symbole le pentagramme ou
pentalpha. L'emploi de cette figure dans la magie posté-rieure est bien connu, et Paracelse en faisait encore le sym-bole de la santé ; or c'est là exactement le nom que luidonnaient les Pythagoriciens *.
CXLIX. — L'AME,UNE«HARMONIE».
La conception de l'Ame comme une « harmonie », ou plu-tôt comme un accord, est intimement liée à la théorie des
quatre éléments. Elle ne peut avoir appartenu à la forme
primitive du Pythagorisme ; car, ainsi que le fait voir le
Phèdon de Platon, elle est tout à fait inconciliable avec
*Gow,ShortHisloryof GreekMalhematies,p. 164sq.»Cecia été misen évidencepar Kinkel,Gesch.der PMI.,I, p. 121.»Jambl. V.Pyth. 247(DV8,4) Cf.plushaut, chap.II,p. 119,n. 4.«Voir Gow,Short Hisloryof GreekMathemalics,p. 151,et les pas-
sagesqui y sontcités,auxquelsonajouteraSchol.Luc.p.234,21Rabé:ti luvtdfpappov]oti,ti tvt^jowT)8t!aXtyoptvovntvtaXçaoJp^oXovijvxpô;dXX^Xoj;lluOayopetojvàvayvupiottxivxal toitiotvtaîç tKtatoXal;typàvto.
342 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
l'idée que l'Ame peut exister indépendamment du corps.Elle va exactement à rencontre de la croyance que « n'im-
porte quelle âme peut entrer dans n'importe quel corps'».D'autre part, nous savons aussi par le Phèdon qu'elle était
acceptée de Simmias et de Cébès, qui avaient suivi les leçonsde Philolaos à Thèbes, etd'Echécratede Phlionte, qui était
disciple dePhilolaos et d'Eurytos*. L'analyse que fait Platonde la doctrine s'accorde tout à fait avec l'idée que cette doc-trine était d'origine médicale. Simmias dit: «Notre corpsétant, pour ainsi dire, tendu et maintenu par le chaud etle Iroid, le sec et l'humide et autres choses de cette sorte,notre àme est une espèce de mélange et d'accord de ces
choses, quand elles sont unies les unes aux autres conve-nablement et dans les proportions requises. Si donc notreâme est un accord, il est clair que lorsque le corps a étérelâché ou tendu outre mesure, par les maladies et autres
maux, l'âme doit nécessairement périr aussitôt1». C'est là,évidemment, une application de la théorie d'AIcméon (§96),et cela s'accorde avec les vues de l'école sicilienne de mé-decine. Et ainsi se trouve parfaite la preuve que le Pytha-gorisme de la fin du Ve siècle était une adaptation de l'an-cienne doctrine aux nouveaux principes introduits parEmpédocle.
CL. — LE FEUCENTRAL.
Le système planétaire qu'Aristote attribue aux « Pytha-goriciens», et Aétius à Philolaos est vraiment remarqua-ble '. La terre n'est plus au milieu du monde ; celte placeest occupée par un feu central qui ne doit pas être identifiéavec le soleil. Autour de ce feu gravitent dix corps. D'abord
«Arist. deAn.A,3.407b 20(R. P. 86c ; DV45B39).>Platon, Phd. 85e sq ; et sur Echécrate,ib. 88d.»Platon, Phd.86b 7- c 5.«Pour les autorités, voir R. P. 81-83(DV32A 16,17; 45B35-37).
L'attribution de la théorieà Philolaosest peut-être due à Posidonius,Les«trois livres» existaientsans aucun doute de son temps.
LESPYTHAGORICIENS 343
vient Vantichton ou anti-terre, et ensuite la terre, qui
passe ainsi nu rang de planète. Après la terre, vient la
lune, puis le soleil, les cinq planètes et le ciel des étoiles
fixes. Nous ne voyons pas le feu central et Vantichton parce
que le côté de la terre sur lequel nous vivons leur est tou-
jours opposé. Ceci doit s'expliquer par l'analogie de lalune. Ce corps nous présente toujours la même face, et
les hommes vivant sur la face contraire ne verraient
jamais la terre. Ceci implique, naturellement, que tous ces
corps tournent sur leurs axes dans le même temps qu'ilsgravitent autour du feu central '.
Il est un peu difficile d'accepter l'opinion que ce systèmeétait enseigné par Philolaos. Aristote ne mentionne jamais
celui-ciàproposdecelui-là,et dans le Phèdon Platon faitdelaterre et de sa position dans l'univers une description entière-
ment opposée à ce système, mais qui n'en est pas moins
acceptée sans résistance par Simmias, le disciple de Philo-laos '. C'est indubitablement une théorie pythagoricienne,cependant, et elle témoigne d'un progrès marqué sur lesidées ioniennes alors courantes à Athènes. Il est clair aussi
que Platon expose à titre de nouveauté l'opinion que la
terre n'a pas besoin du support de l'air ou de quoi que cesoit de pareil pour tenir en place. Anaxagore lui-mêmen'avait pas été capable de se débarrasser de cette idée, etDémocrite la soutenait encore *.La conclusion qui découlenaturellement du Phèdon serait certainement que la théo-
1Platon(Tim.40a 7)attribue aux corps célestesune rotation surleur axe,quidoit être de mêmenature. Il est tout à fait probablequeles Pythagoriciensfaisaientdéjà ainsi, quoique Aristoten'ait pas sudiscerner ce point. Il dit (de Ceelo,B.8 290a 24»: aXXàptjvSu oviixuXtttatta âatpa,«pavtpôv*tô jdvyàpxuXioptvovotpt<pt3Ôaidvàyxt),xi);81etXyn];dtl îfjXivfotttôxaXoyptvovupo3(unov.C'estlà, il vasansdire,pré-cisémentcequi prouvequ'elletourne.
*Platon,Phd. 108c4sq. Simmiasse rallie à cette doctrinepar cesmotsemphatiques: Kalôpftà;ft.
>Le caractèreprimitif de l'astronomieenseignéepar Démocrite,comparéeà celle de Platon, est la meilleurepreuvedela valeurdesrecherchespythagoriciennes.
344 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
rie d'une terre sphérique, maintenue au milieu du inonde
par son équilibre, était celle de Philolaos lui-même. S'ilen était ainsi, la doctrine du feu central appartiendrait àune génération un peu plus jeune de l'école, et Platon
pourrait l'avoir apprise d'Archylas et de ses amis aprèsavoir écrit le Phèdon. Quoi qu'il en soit, elle est d'une telle
importance que nous ne pouvons la passer ici sous silence.On suppose généralement que la révolution de la terre
autour du feu central avait pour but de rendre compte del'alternative du jour et de la nuit, et il est clair qu'un mou-vement circulaire de ce genre aurait le même effet que larotation de la terre sur son axe. Comme c'est toujours lemême côté de la terre qui est tourné vers le feu central, lecôté sur lequel nous vivons sera tourné vers le soleil quandla terre se trouvera du même côté du feu central, mais luisera opposée quand ce feu se trouvera entre la terre et lesoleil. Celte opinion parait tirer quelque confirmation d'un
passage d'Aristole, où il est dit que la terre, « étant en mou-vement autour du centre, produit le jour et la nuit ' ». Cette
remarque, toutefois, .prouverait plus qu'il ne faut; car,dans le Timée, Platon appelle la terre « la gardienne etl'artisan de la nuit et du jour «.tout en déclarant, en même
temps, que l'alternative du jour el de la nuit est causée parla révolution diurne du ciel *. Cela s'explique, et d'unemanière sans aucun doute tout à fait juste, si l'on dit que,même si la terre était considérée comme en repos, on pour-rait encore lui attribuer la production du jour et de la nuit;car la nuit est due à l'interposition de la terre entre lesoleil et l'hémisphère qui lui est opposé. Si nous songeonsdepuis combien peu de temps on savait que la nuit estl'ombre de. b terre, nous comprendrons combien il a puimporter de dire ceci explicitement.
>Arist. de Coelo.B,13.293a 18sq. (R.P.83; DV45B 37).1 Platon, 77m.40c 1: (ftp) «OXaxaxal îijjiiovpyivvuxtôçti xal q[Wpa;
{•itjXavj^jato-D'autrepart, viÇ(ilvoùvfyttpatt yiyovtvoûteicxal2tàtaita,ffti); (iid;xal<ppovt|iu>tdu);x\ixÀr(oj(u;ntpîoSo;(39c 1).
LESPYTHAGORICIENS 345
Quoi qu'il en soit, il est parfaitement incroyable que leciel des étoiles fixes ait été regardé comme stationnaire.C'eût été le plus surprenant paradoxe qu'un homme descience eût jamais avancé, et les poètescomiqueset la litté-rature populaire en général n'eussent pas manqué de crieraussitôt à l'athéisme. Et, surtout, Aristote n'eût-il pas fait
quelque remarque à ce sujet? Il faisait du mouvement cir-culaire des cieux la vraie clef de voûte de son système,et il eût tenu pour blasphème la théorie d'un ciel station-naire. Or il argumente contre ceux qui, comme les Pylha-goriciens et Platon, regardaient la terre comme en mouve-ment 1; mais il n'attribue à personne l'opinion que lescieux soient stationnaires. Il n'y a pas déconnexion néces-saire entre les deux idées. Tous les corps célestes peuventse mouvoir aussi rapidement qu'il nous plait, pourvu queleurs mouvements relatifs soient tels qu'ils permettent derendre compte des phénomènes *.
Il semble probable que la théorie de la révolution de laterre autour du feu central dérive en réalité de l'explicationque donnait Empédocle de la lumière du soleil. Les deuxchoses sont mises en étroit rapport par Aétius, au dire
duquel Empédocle croyait à deux soleils, et que Philolaos
croyait à deux ou même à trois ». La théorie d'EmpédocIe
*Arist.de Cselo,B,13.293b 15sq.1 Boeckhadmettaitun mouvementtrès lentdu ciel des étoilesfixes,
par lequelil supposaitd'abordpouvoirrendrecomptede la précessiondes équinoxes,mais, plustard, il abandonnacette hypothèse(Vnter-suchungen,p. 93).Mais,commel'admet Dreyer(Planelary Systems,p. 49),il n'est t pasnécessairede supposeravecBoeckhque le mouve-mentde la sphèredesétoilesfixesait étéexcessivementlent,puisque,danstous les cas, il pouvaitse déroberà l'observationdirecte.»
»Aet.II. 20,13(ch. IV,p. 271,n. 4); cf. .'5-fd.12(dePhilolaos): &at«tpônovttvàStttovc Xîov;yÏYVta&at,to tt tv tu>oùpaviîiwpiùîr;xalxi dit'aûtoûitupottSi;xatà tô tsontpostSi;'tt |n}tt; xaltpttovXt£t<tîjvditôtoitvôutpouxat àvdxXasivîiasnupojiivtjvitpi; 1^3;aùyr(v.Ici, to ivtu>oùpavôiitop&ot;est le feu central, conformémentà l'emploidu mot oùpavôeexpliquédansun autre passaged'Aétius,Stob.Ecl. I, p. 196,18(R. P.81; DV32A 16;.Il me paraît que cesétrangesnoticesdoiventêtre lesrestesd'une tentative destinéeà montrercommentl'hypothèsehélio-
346 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
n'est pas satisfaisante, en ce sens qu'elle donne de la nuitdeux explications inconciliables. La nuit est, nous l'avons
vu, l'ombre de la terre ; mais, en même temps, Empédoclereconnaissait un hémisphère diurne de feu, et un hémi-
sphère nocturne, où le feu n'entrait qu'en faible propor-tion l. Tout cela pouvait être simplifié par l'hypothèse d'unfeu central, vraie source de lumière. Pareille théorie devait,en fait, être l'aboutissement naturel des découvertes récen-tes relativement h la lumière de la lune et à la cause des
éclipses, à condition qu'elle fût étendue de manière àinclure le soleil.
Le feu central reçut un certain nombre de noms mytho-logiques. Il était appelé l'Hestia ou «foyer de l'univers»;la «maison» ou la «citadelle» de Zeus, et la «mère desdieux*». C'était dans la manière de l'école ; mais ces nomsne doivent pas nous faire perdre de vue le tait que nousavons affaire à une hypothèse réellement scientifique. Cefut une grande chose de voir que c'était par un luminairecentral que les phénomènes pouvaient le mieux être « sau-vés », et que la terre doit par conséquent être une sphèreayant sa révolution comme les planètes. En vérité, noussommes presque tentés de dire que l'identification du feucentral avec le soleil, laquelle fut suggérée pour la premièrefois à l'Académie, est un simple détail en comparaison. La
grande chose fut que la terre prit définitivement placeparmi les planètes, car une fois ce fait établi, nous pou-vons chercher à loisir le vrai «foyer» du système plané-taire. Il est probable, en tous cas, que ce fut celte théorie
qui permit à Héraclide de Pont et à Aristarque de Samos
centriquesortit de la théoried'EmpédocIesur la lumièredu soleil.Lesensest que le feu central était en réalité le soleil, maisque Philolaosle doublasans nécessitéen supposantque le soleil visibleétait l'imageréfléchiedu feu central.
«Chap.VI, } 113.»Aet. I. 7,7 (R.P. 81; DV32A 16); Procl. in Tim.p. 106,22Diehl
(R.P. 83e; cf. DV45B 37,p. 278,31).
LESPYTHAGORICIENS 347
'de lormuler l'hypothèse héliocentrique 1,et ce fut certaine-ment le retour d'Aristote à la théorie géocentriquequi obli-
gea Copernic à découvrir une seconde fois la vérité. Nenous dit-il pas lui-même que ce fut la théorie pythagori-cienne qui le mit sur la véritable voie *?
CLI. — L'ANTICHTON.
L'existence de Vantichton était aussi une hypothèse des-
tinée à rendre compte du phénomène des éclipses. Aristotedit quelque part, il est vrai, que les Pylhagoriciens l'inven-
tèrent afin de porter à dix le nombre des corps qui gravi-tent*; mais c'est là une simple boutade, et Aristote étaiten réalité mieux renseigné. Dans son livre sur les Pytha-goriciens, il disait, à ce que l'on nous rapporte, que, selon
ceux-ci, les éclipses de lune étaient causées tantôt parl'interposition de la terre, tantôt par celle de Vantichton, et
la même indication était donnée par Philippe d Oponte,autorité très compétente en la matière *. De fait, Aristote
montre exactement, dans un autre passage, comment la
théorie prit naissance. 11 nous dit que, de l'avis de quel-
ques-uns, il pouvait y avoir un nombre considérable de
>Sur ces points, voir Staigmûllcr,Beitrâge zur Gesch.der Natur»wlssenschaftenimklassischenAlterlumtProgr.Stuttgart 1899)et Hera-kleides Pontikosund das hcllokenlrischeSystem, dans Archiv XV,p. 141sq. Pour des raisonsqui ressortironten 'partie des pagessui-vantes, je n'exposeraispas le sujet exactementcomme le fait Staig-mûller, maisje ne doute pas qu'il n'ait raison pour l'essentiel.Dielss'étaitdéjà rallié à l'opinionqu'Héradldeétait l'auteur réel de l'hypo-thèsehéliocentrique{Berl.Silzb.1893.p. 18;.
>Danssa lettre au pape Paul III, CoperniccitePlut. Plac. III, 13,2-3 (R. P. 83a ; DV32, A 21). et ajoute: « Inde Igitur occasionemactus, coepiet egode terra: mobilitatecogitare.> Le passageentierest paraphrasépar Drcyer,Planetary Systems,p. 311.Cf.aussi le pas-sagedu ms original, qui a été imprimé pour la première fois dansl'éditionde 1873,et traduit par Dreyer,ib. pp. 314sq.
* Arist.Met.A, 5.986a 3 (R.P. 83b ; DV45B4).*Aet.II,29,4: td>vITj&ayopiKovttvl; xatàtijv'ApototiXttovto^optavxal
vîjv4>tXîitno'itoi Oxo-wio'jdicotpaaivdvtorjyeïaxal àvtifpdÇtitoti jdvtijçyijç,totl il tijî dvti)d}<N0î(txXtïitiivtîjvOIX^VTJV).
348 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
corps se mouvant autour du centre, bien qu'invisibles pournous à cause de l'interposition de la terre, et qu'ils ren-daient compte de celle manière du fait qu'il y a plusd'éclipsés de lune que de soleil '. Celte opinion est men-tionnée en relation étroite avec Vantichton, de sorte qu'Aris-tole, à n'en pas douter, regardait les deux hypothèsescomme de même nature. L'histoire de la théorie parait êtrecelle-ci. Anaximène avait supposé l'existence de planètessombres pour expliquer la fréquence des éclipses de lune
(§ 29), et Anaxagore avait repris celle opinion (§ 135). Cer-tains Pythagoriciens *avaient placé ces planètes sombresentre la terre et le feu central à l'effet de rendre compte deleur invisibilité, et l'étape suivante devait consister à lesréduire à un seul corps. Ici encore, nous voyons commentles Pythagoriciens essayèrent de simplifier les hypothèsesde leurs prédécesseurs.
CL1I. — MOUVEMENTSDESPLANÈTES.
II n'est pas certain que même les Pylhagoricienspostérieurs fissent tourner le soleil, la lune et les pla-nètes, y compris la terre, «lans la direction opposéeau ciel des étoiles fixes. Alcméon, il est vrai, était d'accord,à ce que l'on dit, avec a quelques-uns des mathémati-ciens*» pour soutenir celte opinion, mais elle n'est jamaisattribuée à Pythagore ni même à Philolaos. L'ancienne
i Arist. de Coelo.B. 13.293b 21(DV45B37a) : tvtot;SIîoxtt xalnXtta>OmpiatatotaOtatv3i^t9t)atript3<latitipi ti ;«30vij;itvàSqXaî'.à tf(v tit«-itpo3»»)3ivTJJ;f^e. îti xal ta; t^« 3»Xf(v»|ctxXtiptt;nXtîov;i}ta; toi î^XtojyiptsHat<fa«vtûv yàpçtpojiivtuvtxastovdvtitppdttttvautr^v,dXX'où(lovov
* Il n'est pas expressément dit que ce fussent des Pythagoriciens,mais il est naturel de le supposer. Telle était, du moins, l'opiniond'Alexandre(Simpi.de Coelo.p. 515,25).
* L'expressionol paOïjuamo*est celle qu'emploie Posidonius pourdesigner les astrologueschaldêcns iBérosc). Diels,Elementum,p. Il,n. 3. Commenousl'avons vu, les Babyloniensconnaissaientles planètesmieuxque les Grecs.
LES PYTHAGORICIENS 349
théorie était, nous l'avons vu (§ 54). que tous les corpscélestes se meuvent dans la même direction, de l'est à l'ou-
est, mais que les planètes font leur révolution d'autant pluslentement qu'elles sont plus éloignées des cieux, de sorte
que celles qui sont les plus rapprochées «le la terre sont
t devancées » par celles qui en sont les plus éloignées. Cette
opinion était encore soutenue par Démocrite, et qu'elle fût
aussi pythagoricienne, cela semble découler de ce que l'on
nous dit de 1' a harmonie des sphères». Nous avons vu
(§ 54) que nous-ne pouvions pas attribuer celte théorie,sous sa forme postérieure, aux Pylhagoriciens du Vesiècle
mais — et en faveur de ce fait, nous avons le témoignage
exprès d'Aristole — ceux des Pythagoriciens dont il con-
naissait la doctrine croyaient «|ue les corps célestes pro-duisent des sons musicaux dans leur course. De plus, les
rapidités de ces corps dépendaient de leurs distances entre
eux, et ces distances correspondaient aux intervalles de
l'octave. Il ressort clairement de son exposé que le ciel dès
étoiles fixes prend part à ce concert; car il mentionne « le
soleil, la lune, et les étoiles, si grandes qu'elles soient en
étendue et en nombre», phrase qui ne saurait se référer
uniquement ou essentiellement aux cinq autres planè-tes *. En outre, il nous dit que les corps plus lents donnentune note basse et les plus rapides une noie élevée *. Or latradition qui a prévalu attribue la noie élevée de l'octaveau ciel des étoiles fixes*, d'où il résuite que tous les corps
«Arist.de Ctelo,B.9290b 12sq. (R.P. 82; DV45B35).1 Alexandre,in Met.p. 3>,24 (de l'ouvraged'Aristotcsur les Pytha-
goriciens): tôivyàpijtuudtwvt<l>vittpl ti (xt30v«ptpouîviuvtv dvaXoyîata;ànostdatt;tyovtuiv....noiojvtmv21xal^cipovtvt<|>xivtisttattùv ulv 2pa?M-tiptuv|3ap'jv,ttûvSI tayjtiptuvo;\>v.Il ne faut pas attribuer aux Pytha-goriciensducetteépoquel'identificationdessept planètesavecles septcordes de l'hcptacorde.Mercureet Vénusont, en somme, la mêmevitessemoyennequelesoleil,etnous pouvonsaussifadeentrer en lignede comptela terre et lesétoilesfixes.Nouspouvonsmêmetrouveruneplacepour VantichtoncommenpoiXap^avotuvo;
» Sur les divers systèmes,voir Boeckh,Kielne Schrlften, vol. lit,p. 169sq. et Cariv. Jan, dieHarmonieder Sphâren(PMlot.1893,p. 13
350 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
célestes gravitent dans la même direction, et que leur
rapidité s'accroit en proportion de leur distance ducentre.
Cependant la théorie d'après laquelle le mouvement pro-pre du soleil, de la lune et des planètes se dirige de l'ouestà l'est, et qui les fait participer au mouvement est-ouest duciel des étoiles fixes, apparaît pour la première foisdans le mythe d'Er, de la République de Platon, qui est
d'origine pythagoricienne. Là, elle est encore associéeà c l'harmonie des sphères », quoique •Platon ne nousdise pas comment elle se concilie dans le détail aveccette théorie *. Dans le Timée, nous lisons que les pluslents des corps célestes semblent les plus rapides, etvice versa; et comme celte affirmation est mise dans la,bouche d'un Pythagoricien, nous pouvons supposer que
sq.). Ils varient avec l'astronomie de leurs auteurs, mais ils rendenttémoignagedu fait constaté dans notre texte. Plusieurs attribuent lanote la plus élevée à Saturne et la plus basse à la Lune, tandis qued'autres font le contraire. Toutefois, le systèmequi s'accordele mieuxavec le systèmeplanétairepythagoriciendoit inclure le cieldes étoilesfixeset la Terre. C'estcelui sur lequel sont basés les vers d'Alexandred'Ephèse cités par Théon de Smyrne, p. 140,4 :
yata juvoyvuitatr)tt fiapttatt {xt9309tvatti*dnXavlwvII oçatpaOvivnpLjûv!]tnXttOV^TTI,X.T.X.
La « bassede l'orgueprofonddu Ciel>dans la a nlncfold harmony»de Milton(Hymn on the N<itivity,XIII) implique le contraire de ceci.
1 La difficulté apparaît clairement dans la note d'Adam à Republ.617b (vol. II, p. 452).Là l'dnXavrçcapparaît justement commela VTJTTJ;tandis que Saturne, qui vient ensuite, est l'gitdti). Il est incompréhen-sible que tel ait été l'ordre primitif. Aristote a bien vu la difficulté(de Cteto,B, 10291a 29sq.), et Simpliclus observejudicieusement [deCcelo,p. 476,11): olSiudsa; ta; osaîpaçti)vaùtîjvXiyovtt;xîvjjstvt{jvdrc'dvatoXâWxtvtts&atxa$'ûr.oXîjjiv(ne faudrait-il pas lire vitoXtrJuv?i &3tttrjvutvKpovtava?atpavawattoxatHstasdatxiV Jjut'pavxi drcXavttitap'éXtyov,t»jvSItoi Atô;itapà«Xfovxali?t£i); oûtwç,oùtotxoXXa;jdvaXXa;àitopîa;ixftûyottt. mais leur unoDtst;est dS-Jvato;.C'est là ce qui provoqua leretour à l'hypothèse géocentriqueet l'exclusionde la terre et de l'dnXa-VTJ;de l'àp|xovta.La seule solution aurait été de faire tourner la terresur son axe ou de la faire graviter en vingt-quatre heures autour dufeu central, et de réserverla précessionà l'dftXavq<Commenous l'avonsvu, Boeckhattribuait, mais sans preuve, cette Idée à Philolaos. S'ill'avait eue, ces difficultésne se seraient pas produites.
LESPYTHAGORICIENS 351
quelques-uns au moins des membres de cette école avaient
anticipé la théorie d'un mouvement composé 1. Cela est
naturellement possible, car les Pythagoriciens étaient sin-
gulièrement ouverts aux idées nouvelles. En même temps,nous devons noter que la théorie est même plus emphati-
quement développée dans les Lois par l'Etranger athénien,
qui est Platon lui-même dans un sens spécial. «Si nous
louions les coureurs qui arrivent les derniers dans les jeux,nous ne ferions pas plaisir à leurs compétiteurs; il ne peut
pas être agréable non plus aux dieux que nous supposions
que les plus lents des corps célestes sonl les plus rapides ».
Ce passage donne évidemment l'impression que Platon
expose une théorie nouvelle*.
CLIII. — LES CHOSES,IMAGESDESNOMBRES.
Nous avons encore à examiner une opinion qu'Aristoteattribue quelquefois aux Pythagoriciens, à savoir que les
choses sont « semblables à des nombres ». Le Stagirile ne
parait pas regarder cette opinion comme inconciliable
avec la doctrine que les choses sonl des nombres, quoiqu'ilsoit difficile de se rendre compte comment il pouvait les
concilier*. Il n'est pas douteux, cependant, que, selon Aris-
toxène, les Pythagoriciens enseignaient que les choses
• Tim. 39a 5 —62, et spécialementles mots: ta tdxiotantpuôvta&it&tiv ^paijîtpwvttpiîvttoxataXau^dvovtaxataXap^dvtsdai(ilssemblentêtre dépassés,quoiqu'ilsdépassent).
• Platon,Lofs,8?2a i sq. [Je crois maintenant que la théoriedumouvementcomposéest pythagoricienne,et que le passagedesLotsdoit être Interprétéautrement. J. Burnet1918.]
• Cf. spécialementMet.A,6. 787b 10(R. P. 65d; DV45B 12).Ce,n'est pas tout à fait la mêmechose quand il dit (A,5.9856 23sq. ;R. P. ibid.; DV45B 4)que les Pythagoricienspercevaientbien desanalogiesentre les choseset les nombres.Cecise rapporteaux ana-logiesnumériquesde la Justice, de l'Occasion,etc.
s
352 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
étaient semblables à des nombresl, et il y a d'autres tracesd'une tentative faite à l'effet de prouver que c'était là la
doctrine primitive. On produisit une lettre, soi-disant de
Théano, femme de Pythagore, dans laquelle elle dit qu'àce qu'elle apprend beaucoup d'Hellènes pensent que Pytha-gore disait que les choses étaient faites de nombres, tandis
qu'en réalité il disait qu'elles étaient faites selon le nombre*.
Il est amusant de noter que cette théorie du IVe siècle dut
être, à son tour, déclarée apocryphe, et, en effet — c'est
Jamblique qui nous le dit—c'était Hippasos qui disaitquele nombre était le modèle des choses*.
Quand celte opinion prévaut dans son esprit, Aristotesemble ne trouver qu'une différence de mots entre Platonet les Pythagoriciens : la métaphore « participation» serait
simplement substituée à celle d' a imitation». Ce n'est pasici le lieu de discuter la signification de ce qu'on appelle la« théorie des idées » de Platon ; mais il faut rendre attentifà ce fait qu'Aristote est abondamment justifié par le Phè-don à attribuer aux Pythagoriciens la doctrine de 1'« imi-tation ». Les arguments avancés en faveur de l'immortalitédans la première partie de ce dialogue proviennent desources variées. Ceux qui sont tirés de la doctrine de la
réminiscence, que l'on a parfois supposée être pythagori-cienne, ne sont connus aux Pythagoriciens que par ouï-
dire, et Simmias demande qu'on lui explique toute la psy-chologie du sujet 4. Mais quand on en vient à la questionde savoir ce que c'est que nos sensations nous rappellent,son attitude change. L'opinion que l'égal proprement ditest seul réel, et que les choses que nous appelonségales n'en sont qu'une imitation imparfaite, lui est tout à
' Aristoxène,ap. Stob.I, pr. G(p. 20; DV45B2): lljôayôpa;...ndvtata«pdyp-atadnttxâCwvtôt; dpi&pot;.
»Stob. Bel. I, p. 125,19(R. P. 65d).* lambl. in Sicom.p. 10,20(H. P. 66c DV8,11).* Platon, Phd. 73a sq.
LESPYTHAGORICIENS 353
fait familière*. Il n'en demande aucune preuve, et il estfinalement convaincu de l'immortalité de l'âme justementparce que Socrate lui fait voir que la théorie des formes
l'implique.Il y a lieu de remarquer encore que Socrate n'introduit
pas la théorie à titre de nouveauté. La réalité des « idées»
est la sorte de réalité «dont nous parlons toujours», et
elles sont expliquées dans un vocabulaire particulier quiest représenté comme celui de l'école. Les termes techni-
ques sont introduits par des formules telles que «nousdisons »*.De qui est cette théorie? On suppose habituelle-
ment que c'est celle de Platon lui-même, quohm'il soit demode à l'heure qu'il est de l'appeler sa a théorie primitivedes idées», et de dire qu'il la modifia profondément dans
la suite. Mais celte manière de voir soulève de sérieusesdifficultés. Platon prend bien soin de nous dire qu'il n'était
pas présent à la conversation reproduite dans le Phèdon.Un philosophe quelconque a-t-il jamais proposé une théo-rie nouvelle imaginée par lui en la représentant comme
déjà familière à nombre de contemporains vivants et dis-
tingués? Il est difficile de le croire. Il serait risqué, d'autre
part, d'attribuer celte théorie à Socrate, et il ne semblerester d'autre alternative que de supposer que la doctrine«les« formes » (tio\j, î&'ott)fut formulée à l'origine dans lescercles pythagoriciens, et développée sous l'influence de So-crate. Il n'y a rien de surprenant à cela. C'est un fait histo-
rique que Simmias et Cébès n'étaient pas seulement Pytha-
1Ibid.74a sq.1Cf.spécialementles mots3ôpjXoOptvdû (76d 8). Les expressions
aitô5É««v,aûtôxaft'aitô et expressionsanaloguessont supposéesfami-lières.«Nous» dcflnissonslaréalitéau moyende questionset de ré-ponses,au coursdesquelles«nous» rendonscomptede sonexistence(it XôyovStSojitvtoSt'vat,78d 1,où Xôyov...to3 tlvatest équivalentdeXoyovti};oÙ3?a;).Quandnousavonsfait cela,«nous»mettonsdessuslesceauou l'estampillede aûtôSÈsttv(75d2).Laterminologietechniqueimpliqueune école.Commele fait voir Diels(Elemenlum,p. 20),c'estdansune écoleque «la comparaisonse condenseen une métaphore,et la métaphoreen un terme».
PHILOSOPHIEGRECQt'F. 23
354 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
goriciens, mais disciples de Socrate ; car, par une chance
heureuse, le bon Xénophon les a inclus dans sa liste desvrais Socratiques *. Nous avons aussi des raisons suffisan-tes de croire que les Mégariens avaient adopté une théoriesemblable sous des influences analogues, et Platon cons-tate expressément qu'Euclide etTerpsion de Mégare étaient
présents à la conversation rapportée dans le Phèdon. Il yavait sans doute plus d' « amis des idées *» que nous ne lereconnaissons généralement. Il est certain, dans tous les
cas, que l'emploi des mots tfoVjet iSéaupour exprimer lesultimes réalités est pré-platonicien, et le plus naturel
paraît être de le regarder comme d'origine pythagori-cienne *.
Nous avons réellement dépassé les limites de cet ouvrageen exposant 1histoire du Pythagorisme jusqu'à un pointoù il devient pratiquement impossible de le distinguer de
la forme primitive du Platonisme; mais il était nécessairede le faire pour mettre sous leur vrai jour les indicationsfournies par nos autorités. Il n'est pas probable qu'Aris-toxène se soit mépris sur les opinions des hommes qu'ilavait connus personnellement, et il ne se peut pas que les
renseignements donnés par Aristote n'aient reposé surrien. Nous devons donc admettre une forme postérieure du
Pydiagorisme étroitement apparentée au premier Plato-nisme. Celte forme, toutefois, n'est pas celle qui nous inté-resse ici, et nous verrons dans le prochain chapitre que la
doctrine du Ve siècle était du type plus primitif déjàdécrit.
«Xén.MemSl,2,48.* Platon, Soph.248a 4.* Votr Diels, Elémentuni, p. 16 sq. Parménide avait déjà appelé
popf-atles «éléments» pythagoriciens primitifs (§91), et Philistionappelait lilai les « éléments» d'EmpédocIe. SI l'attribution de cetteterminologieaux Pythagoriciensest correcte, nous pouvonsdire queles «formes» pythagoriciennesdonnèrent naissance d'une part auxatomesde Leucippeet de Démocrite(§174),et de l'autre aux « Idées»de Platon.
CHAPITRE VIII
LES JEUNES ÉLÉATES
CLIV. — RAPPORTAVECLEURSPRÉDÉCESSEURS.
Les systèmes que nous venons d'étudier étaient tous fonciè-rement pluralistes, et ils l'étaient parce que Parménide avaitmontré que si nous envisageons sérieusement le monisme
corporaiiste, nous devons attribuer à la réalité nombre de
prédicats inconciliables avec notre expérience d'un monde
qui déploie partout la multiplicité, le mouvement et le
changement (§97). Les quatre «racines» d'EmpédocIe etles innombrables «semences» d'Anaxagore étaient destentatives faites consciemment pour résoudre le pro-blème que Parménide avait soulevé (§§ 106, 127). Il n'y a
pas de preuve, en vérité, que les Pythagoriciens aient étédirectement influencés par Parménide, mais nous avonsmontré (§ 147) comment la forme, postérieure de leur sys-tème était basée sur la théorie d'EmpédocIe. Or, ce fut
justement ce pluralisme prédominant que Zenon critiquadu point de vue éléate, et ses arguments lurent dirigésspécialement contre le Pythagorisme. Mélissos, lui aussi,
critique le Pythagorisme ; mais il s'efforce de trouver unfonds commun avec ses adversaires en maintenant l'an-
cienne thèse ionienne que la réalité est infinie.
356 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
I. — ZENON D'ÊLÈE
CLV. — SA VIE.
Suivant Apollodore \ Zenon florissait dans la LXXIX'ne
Olympiade (464-460 av. J.-C). Cette date s'obtient en fai-sant Zenon de quarante iins plus jeune que son maîtreParménide. Nous avons vu déjà (§ 84) que la rencontre deces deux philosophes avec le jeune Socrate ne peut guèreavoir eu lieu avant l'année 449, et Platon nous dit queZenon était à celte époque «âgé d'environ quarante ans2».II doit donc être né vers 489, soit à peu près vingt-cinq ans
après Parménide. Son père s'appelait Tcleutagoras, et l'in-dication d'Apollodore, d'après laquelle il avait été adoptépar Parménide, repose sur une expression mal comprisedu Sophiste de Platon *. Il était, à ce que nous dit encorece dernier *, grand et d'un physique agréable.
De même que Parménide et la plupart des premiers phi-losophes, Zenon parait avoir joué un rôle dans la politiquede sa cité natale. Au dire de Strabon, Elée lui fut en partieredevable de son bon gouvernement, et il aurait été Pytha-goriciens. Cette indication s'explique facilement. Parmé-
nide, nous l'avons vu, était à l'origine un Pythagoricien, etl'école d'Elée était sans doute considérée comme une sim-
ple branche de la plus grande société. Zenon passe aussi
1Diog.IX, 29(R. P. 130a). Apollodoren'est pas expressémentcitérelativementà la date de Zenon,maiscommeil l'est en cequi concernele nomde son père (IX,25; R. P. 130),11ne peut y avoir de doute qu'ilne soit aussi la sourcequant au floruit.
* Platon, Parm. 127b (R. P. 111d; DV18A5et p. 676).Le voyagedeZenon à Athènesest confirmépar Plut. Per. 4 (R. P. 130c; DV19A14),lequel nous dit que Périclès 1'«entendit», comme11entendit Anaxa-gore. Il y a aussi une allusion h son adresse dans Aie. I, 119a (DV19A4),où nous lisonsque Pythodore, fils d'isolochos, et Caillas, filsde Calllndcs,lui payèrent chacun 100mines pour ses leçons.
* Platon, Soph. 241d(R. P. 130a).«Platon, Parm. loc. cit.» Strabon,VI. p. 252 (R. P. 111c; DV18A12).
LESJEUNESÉLÉATES 357
pour avoir conspiré contre un tyran dont le nom est
diversement donné, et l'histoire de son courage sous la
torture est souvent répétée, quoique avec des détails diffé-
rents '.
CLVI. — SESÉCRITS.
Diogène parle de « livres » de Zenon, et Suidas donne
quelques titres qui viennent probablement des bibliothé-caires d'Alexandrie par l'intermédiaire d'Hésychius de
Milet *.Dans le Parménide, Platon fait dire à Zenon quel'oeuvre par laquelle il est le mieux connu fut écrite danssa jeunesse et publiée contre sa volonté*. Comme il est
supposé avoir quarante ans au moment où a lieu le dialo-
gue, il ressort nécessairement de là que le livre fut écritavant l'an 460 (§84), et il est très possible que Zenon en aitécrit d'autres après. Le titre le plus remarquable qui nous
soit parvenu est celui de Interprétation d'EmpédocIe. Il ne
faut naturellement pas supposer queZéhon ait composé un
commentaire sur le poème de PAgrigentin ; mais, commel'a fait ressortir Diels*, il est tout à fait croyable qu'il aitécrit contre lui une diatribe à laquelle on donna plus tard
ce nom. S'il écrivit une oeuvre contre les a philosophes »,ce mot doit s'entendre des Pythagoriciens qui, comme nous
l'avons vu, en faisaient usage dans un sens spécials. Les
Disputes et le Traité de la Nature peuvent être ou ne pasêtre le livre décrit dans le Parménide de Platon.
Il n'est pas probable que Zenon ait écrit des dialogues,
quoique certaines allusions d'Aristote aient paru l'impli-
1Diog.IX,26,27,et les autres passagescités dansR. P. 130c (DV19A6-9).
*Diog.IX,26(R.P. 130);Suidas,s. i»,(R.P. 130d; DV19A2).*Platon,Parut. 128d 0 (R. P. 130d; DV19A 12).* Berl.Sitxb.1884,p. 359.» Voir plus haut, p. 319,n. 2. Il ne sembleguèreprobablequ'un
écrivainpostérieureûtfaitargumenterZenonitpo«toù«çiXoaôfO-J;,et letitre donnéau livreà Alexandriedoit être base sur unechosey con-tenue.
358 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
quer. Dans la Physique S il est question d'un raisonnementde Zenon, d'après lequel chaque grain d'un monceau demillet produit un son, et Simplicius illustre cette phrase encitant un passage d'un dialogue entre Zenon et Protago-ras *.Si notre chronologie est exacte, il n'est pas du tout
impossible que les deux hommes se soient rencontrés;mais il est au plus haut degré improbable que Zenon sesoit donné un rôle d'interlocuteur dans un dialogue écrit
par lui. Cette mode ne s'établit que plus tard. Ailleurs,Aristote parle d'un passage où se rencontraient « le répon-dant et Zenon l'interrogeant », passage que le plus aisé estde comprendre de la même manière*. Alcidamas sembleavoir écrit un dialogue dans lequel figurait Gorgias *, el
l'exposition des arguments de Zenon sous forme dialoguéedoit avoir toujours été un exercice tentant. Il semble aussi
qu'Aristote faisait d'Alexaménos le premier auteur de dia-
logues *.Platon nous donne une idée claire de ce qu'était l'oeuvre
de jeunesse de Zenon. Elle contenait plus d'un «discours»,et ces discours étaient subdivisés en sections, dont chacunetraitait d'une des hypothèses de ses adversaires *. Nousdevons à Simplicius la conservation des arguments de
i Arist. Phys. H, 5.250a 20(R. P. 131a; DV19A29).*Simpl.Phys. p. 1103,18(R. P. 131; DV19A29).Si c'est à celaque
se réfère Aristote,il est un peu risqué d'attribuer le xtyxpîtrj;Xôyo;àZenonlui-même.Il y a Heude remarquer que l'existencede ce dia-loguetend, elleaussi, à attester la visite de Zenonà Athènes,à un âgeoù il pouvait s'entretenir avec Protagoras, ce qui s'accorde fort bie»avec la façondont Platon parle de cette affaire.
* Arist. Soph.El. 170b 22(R. P. 130b; DV19A 14).«Chap.V, p. 233,n. 4.» Diog.III,48. Il est certainque l'autorité que suit ici DiogèneInter-
prétait l'indication d'Aristote en ce sens qu'Alexaménosavait été lepremier à écrire des.dialoguesen prose. t
* Platon. Parm. 127d (DV19A 11). Platon parle de la premièreùitôfhsicdu premier Xôyo;,ce qui montre que le livre était réellementdiviséen sectionsséparées. Proclus (in (oc.)dit qu'il y avait en toutquarante de cesXêyot-
LESJEUNESÉLÉATES 359
Zenon sur l'Un et le Multiple *. Ceux qui se rapportent au
mouvement nous ont été conservés par Aristote lui-même *;
mais, comme d'habitude, il les a traduits dans son propre
langage.
CLVII. — SA DIALECTIQUE.
Aristote, dans son Sophiste*, donnait à Zenon le titre
d'inventeur de la dialectique, et cela est sans aucun doute
vrai en substance, quoique les débuts, tout au moins, de
cette méthode d'argumentation aient été contemporains de
la fondation de l'école d'Elée. Platon * nous donne un v f
exposé du style et du but du livre de Zenon, exposé qu'il
place dans la bouche de Zenon lui-même :
En réalité, cet écrit est une sorte de renforcement de l'argu-ment de Parménide contre ceux qui essayent de le tourner enridicule par ce motif que, si la réalité est une, cet argument setrouve embarrassé dans une foule absurdités et de contradic-tions. Cet écrit argumente contre ceux qui soutiennent le mul-
tiple, et leur rend autant et plus qu'ils n'ont donné ; le but enest de montrer que leur hypothèse de la multiplicité sera em-barrassée de plus d'absurdités encore que l'hypothèse de l'unité,si celle-ci est élaborée avec suffisammentde soin.
La méthode de Zenon consistait, en fait, à prendre un
des postulats fondamentaux de son adversaire et à en
déduire deux conclusions contradictoires*. C'est ce qu'Aris-
1Simpliciusdit expressémentdansun passage(p. 140,30: R.P. 133;DV19B2,3)qu'il cite xatàXtÇtv.Je ne voismaintenantaucuneraisonde mettrece fait en doute, car l'Académiepossédaitcertainementunexemplairede l'ouvrage.S'ilen est ainsi, le fait que les fragmentsnesont pasécrits en dialecteIonienest une nouvelleconfirmationde larésidencede Zenonà Athènes.
*Arist.Phys. Z,9.239b9 sq. (DV19A25).»Cf.Diog.IX,25(R.P. 130).*Platon,Parm. 128c (R. P. 130d; DV19A 12).»Lestermestechniquesemployésdans le Parménidede Platon pa-
raissentêtre aussianciensque Zenonlui-même.L'ûnôôtst;consisteàadmettreprovisoirementla véritéd'une affirmationprécise,et prendla forme.-ti itoXXdiottou une formeanalogue.Le mot ne signifiepasqu'onaccepteune chosecommebase,maisquel'on posedevantsolun
360 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
tote voulait dire en l'appelant l'inventeur de la dialectique,
qui est justement l'art d'argumenter non pas en partant de
prémisses vraies, mais de prémisses admises par l'autre
partie. La théorie de Parménide avait conduit à des con-clusions qui contredisaient l'évidence des sens, et l'objet deZenon n'était pas d'apporter des preuves nouvelles de cettethéorie elle-même, mais simplement de montrer que l'opi-nion de ses adversaires conduisait à des contradictionsexactement semblables.
CLVIII. — ZENONET LE PYTHAGORISME.
Que la dialectique de Zenon fût essentiellement dirigéecontre les Pythagoriciens, cela est certainement suggérépar une indication de Platon, à savoir qu'elle visait ceuxdes adversaires de Parménide qui soutenaient que leschoses étaient une « pluralité
*». Zeller prétend, il est vrai,
que Zenon n'entendait réfuter que la forme populaire dela croyance à la multiplicité des choses *; mais il n'estsûrement pas vrai que, pour le gros tas, les choses fussentune « pluralité» dans le sens ici en cause. Platon nous dit
que les prémisses des arguments de Zenon étaient les opi-nions des adversaires de Parménide, et que le postulat du-
quel sonl dérivées toutes les contradictions qu'il énumci eest celte idée que l'espace, et par conséquent le corporel, estfait d'un certain nombre d'unités discrètes; — ce qui est
justement la doctrine pythagoricienne. Il n'est pas du tout
probable non plus que le philosophe visé soit Anaxagore '.
énoncécommeun problèmeà résoudre(ionien ûnodtoDai,attique npo-DtsOat).Si les conclusions qui découlent nécessairement de l'iuôdtst;(ta a^aîvovta) sont impossibles, l'ûnô&tsi;est a détruite » (cf. Platon,Rep.533r 8 : ta; ûnoOfaei;dbaipoOia).L'auteur de l'écrit lltpi «px«''vîatptxfj;(c1)connaît le mot OnôÔtai;dans un sens analogue.
i L'opinionque les argumentsde Xénonétaient dirigés contre le Py-thagorismea été soutenue récemment par Tannery (Sciencehellène,p. 249sq.)et par Hâumkcr(Das Problemder Matcrie, p. 60sq.).
»Zeller, p. 589.3C'est là l'opinion que soutient Stallbaumdans son édition du l'ur-
iicnide (p.25sq.).
LESJEUNESÉLÉATES 361
Nous savons par Platon que le livre de Zenon était l'oeuvrede sa jeunesse *. A supposer même qu'il l'ait écrit à l'âgede trente ans, c'est-à-dire vers 459, c'était avant sa visite à
Athènes, et il n'est pas vraisemblable qu'il ait entendu
parler d'Anaxagore en Italie. D'autre part, il y a bien des
raisons de croire qu'Anaxagore avait lu le livre de Zenon,et que son emphatiqne adhésion à la doctrine de l'infinie
divisibilité fut due au crilicisme de son plus jeune con-
temporain *.
On observera combien plus claire devient la position his-
torique de Zenon si, avec Platon, nous le plaçons à une
date un peu postérieure à celle que l'on admet d'habitude.Nous avons d'abord Parménide, puis les pluralistes,- etensuite le criticisme de Zenon. Telle parait, en tous cas,avoir été l'idée que se faisait Aristote de l'évolution histo-
rique *.
CLIX. — Q'EST-CKQUEL'UNITÉ?
La polémique de Zenon est clairement dirigée en pre-mière ligne contre une certaine conception de l'unité.
Eudème, dans sa Physique*, citait de lui ce mot : « Si quel-
qu'un pouvait me dire ce que c'est que l'unité, je serais
capable de dire ce que sont les choses». Le commentaired'Alexandre sur cette phrase, lequel nous a été conservé
, par Simplicius *, est tout à fait satisfaisant: « Ainsi, dit-il,
' Partit., lococitato.1Cf.par exempleAnaxagore.frg. 3,avecZenon,frg.2; et Anaxagore,
Irg.5, avecZenon,frg.3.*Arlst.Phys. A,3, 187a 1(H.P. 134b; DV19A22).Voir plus loin,
8 173.«Stmpl.Phys.p. 138,32 (R. I».134a ; DV19A22).«Simpl.;>/i»/s.p. 99,13(DV19A21): û>cfàf iatoptt,<pij«'iv('AX{*avipo{)
E'j$i){iO(,Znviuv6 llctpiitvtîovYvJ>ptp.ocittttplto ôturjvsuott p.noîovtt taSvtaicoXXèuvait<j>jxijîivtîvatit toîcoùaivJv,ta SIitoXXàrcXftdot»ivativotîwv.C'est là le sens de l'affirmationque Zenonàv^putô ïv,laquelle n'estpasd'Alexandre(commecelaestimpliquédansH.P.134a), mal»remonte
362 L'AUROREDÉLAPHILOSOPHIEGRECQUE
que le rapporte Eudème, Zenon, le disciple de Parménide,
essayait de montrer l'impossibilité que les choses soientune pluralité, parce qu'il croyait qu'il n'y avait pas d/uni(édans les choses, tandis que «plusieurs» signifie un nombred'unités. » Notis avons ici une référence évidente à l'opi-nion pythagoricienne que toute chose peut être réduite àune somme d'unités, ce que, précisément, Zenon contes-tait».
CLX. — LES FRAGMENTS.
Les fragments de Zenon lui-même montrent aussi quetel était le cours de sa démonstration. Nous les donnonssuivant l'arrangement de Diels.
1. Si l'Un n'avait pas de grandeur, il n'existerait pas même...Mais, s'il est, chaque un doit avoir une certaine grandeur et unecertaine épaisseur, et doit être à une certaine distance de l'au-tre, et la même chose peut être dite de ce qui est devant lui ;car celui-ci, aussi, aura une grandeur, et quelque chose seradevant lui*. C'est la même chose de dire cela une fois et de ledire toujours ; car aucune partie de lui ne sera la dernière, et iln'est chose qui ne puisse être comparée à une autre 3. Donc, siles choses sont une pluralité, elles doivent être a la fois grandeset petites, petites au point de ne pas avoir de grandeur du tout;et grandes au point d'être infinies. — R. P. 131.
2. Car s'il était ajoute à n'importe quelle autre chose, il ne la
à Eudème lui-même.Et cela est parfaitement exact, si nous le lisonsen relation avec les mots : tf,vfàp otrçprjVd>îta êvXîyct(Simpl. Phys.p. 99, 11).
1H est tout à fait dans l'ordre que M.BertrandHusscll, du point devue du pluralisme, tienne les arguments de Zenoncomme«démesuré-ment subtils et profonds» [Principles of Mathentatics, p. 347).Noussavons pourtant par Platon que Zenony voyait une réduction du plu-ralisme à l'absurde.
1 Je traduisais autrefois : «la mêmechosepeut être dite de ce qui lesurpasse en petitesse; car cela aussi aura une grandeur, et quelquechose le surpassera en petitesse». C'est ainsi que l'entend Tanncry,mais je pensemaintenant, d'accordavecDiels, que àx{xttvsc rapporteà [UftOo;,et itpoixt" à itâxo;.Zenon montre que le point pythagoriciena en réalité trois dimensions.
1 Je lis avec Diels et les mss : oîti tttpov itpàc ïttpov oùx ïotat. Laconjecture de Gomperz(adoptéepar R.P.) me paraît arbitraire.
LESJEUNESÉLÉATES 363
rendrait en rien plus grande ; car rien ne peut gagner en gran-deur par l'addition de ce qui n'a pas de grandeur, d'où il suitimmédiatement que ce qui était ajoute n'était#rien'. Maissi,(juand ceci est retranché d'une autre chose, cette dernière n'estpas plus petite ; et d'autre part, si, quand il est ajouté à uneautre chose, celle-ci n'en est pas augmentée, il est clair que cequi était ajoute n'était rien, et que ce qui était retranché n'étaitrien. — R. P. 132.
3. Si les choses sont une pluralité, elles doivent être exacte-ment aussi multiples qu'elles sont, ni plus ni moins. Or, sielles sont aussi multiples qu'elles sont, elles seront finies ennombre.
Si les choses sont une pluralité, elles seront infinies en nom-bre, car il y aura toujours d'autres choses entre elles, et denouveau d'autres choses entre celïes-ci. Et ainsi les choses sontinfinies en nombre*. —R. P. 133.
CLXI. — L'UNITÉ.
Si nous soutenons que l'unité n'a pas de grandeur — etcela est requis par ce qu'Aristote appelle l'argument de ladichotomie * — alors chaque chose doit être infiniment
petite. Aucune chose faite d'unités sans grandeur ne peutavoir elle-même une grandeur quelconque. D'autre part,si nous affirmons que les unités dont les choses sont for-mées sont quelque chose et non rien, nous devons soutenir
que chaque chose est infiniment grande. La ligne est infi-niment divisible; et, suivant cette opinion, elle consisteraen un nombre infini d'unités, dont chacune a quelque gran-deur.
Que ce raisonnement s'applique aussi aux points, cela
>Zellcr supposeici une lacune.Zenondoit certainementavoirmon-tré que la soustractiond'un point ne rend pas une choseplus petite;mais il peut l'avoir faitdans ce qui précédaitle présentfragment.
*C'estlà cequ'Aristoteappelle«l'argumentde la dichotomie»{Phys.A,3.187a 1; H.P. 1346; DV19A22).Si une ligneest faitede points,nousdevrionspouvoirrépondreà la question: «Combiende pointsya-t-il dans une lignedonnée?i>D'autrepart, on peut toujoursdiviserune ligneou une partie quelconquede cetteligneendeuxmoitiés; desorte que, si une ligneest faite de points, il y en aura toujours umnombreplus grandque celuique vouslui assignerez.
3Voirla note précédente.
364 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
est prouvé par un passage instructif de la Métaphysiqued'Aristote '. Nous y lisons:
Si l'unité est indivisible, elle ne sera rien, suivant la proposi-tion de Zenon. Ce qui, ni ne rend une chose plus grande quandon l'y ajoute, ni ne la rend plus petite quand on l'en soustrait,n'est pas, dit-il, une chose réelle du tout ; car évidemment cequi est réel doit être une grandeur. Et si c'est une grandeur, ilest corporel ; car cela est corporel, qui est dans chaque dimen-sion. Les autres choses, c'est-à-dire la surface et la ligne, ren-dront les choses plus grandes si elles sont ajoutées d'une cer-taine manière, et ne produisent aucun cll'et, ajoutées d'une autremanière ; mais le point et l'unité ne peuvent d'aucune manièrerendre les choses plus grandes.
De tout cela, il parait impossible de tirer d'autre conclu-sion que celle-ci: le «un» contre lequel Zenon argumen-tait était le «un» dont un certain nombre constitue un
«plusieurs », c'est-à-dire justement l'unité pythagoricienne.
CLXIL — L'ESPACE.
Arislote fait allusion à un argument qui parait être dirigécontre la doctrine pythagoricienne de l'espace *, et Simpli-cius le cite sous cette formes :
S'il y a un espace, il sera dans quelque chose; car tout cequi est est dans quelque chose, et ce qui est dans quelquechose est dans l'espace. Ainsi l'espace sera dans l'espace, et celacontinue a l'infini; c'est pourquoi il n'v a pas d'espace. —R. P. 133.
Ce contre quoi Zenon argumente en réalité ici, c'est latentative de distinguer l'espace du corps qui l'occupe. Sinous soutenons qu'un corps doit être dans l'espace, alorsnous devons aller plus loin et demander dans quoi est
«Arist. Met.H,4.1001b 7 (DV19A21).2Arist. Phys. A,1.209a 23; 3.210l>22 (H.P. 135ci; DV19A24).3Slmpl. Phys. p. 562,3(|{. P. 135).La version d'Eudénie est donnée
dans Slmpl. l'hys. p. 563,26(DV19p. 24): à?toîyàp itlv ti SvnoOêtvsftt it i t&Ttottû>v5VÏ<UV,Kd'jàv£?tj;O'ixoOvtv â).).u)tiittuxàxtîvoî2ij£v5).).<oxatovrio;tt{tô «pôsw.
LESJEUNESÉLÉATES 365
l'espace lui-même. C'est un « renforcement » de la négation
parménidienne du vide. Peut-être l'argument que chaquechose doit être a dans» quelque chose, ou doit avoir quel-que chose en dehors d'elle, avait-il été opposé à la théorie
parménidienne d'une sphère finie sans rien en dehors
d'elle.
CLXIII. — LE MOUVEMENT.
Les arguments de Zenon au sujet du mouvement nousont été conservés par Aristote lui-même. Le système deParménide rendait tout mouvement impossible, et ses suc-cesseurs s'étaient vus forcés d'abandonner l'hypothèsemonisle à l'effet précisément d'éviter cette conséquence.Zenon n'apporte aucune preuve nouvelle de l'impossibilitédu mouvement; il se contente de montrer qu'une théorie
pluraliste, telle que celle des Pythagoriciens, est tout aussi
incapable de l'expliquer que l'était celle de Parménide.Considérés à ce point de vue, les arguments de Zenon nesont pas de simples sophismes, mais marquent un grandprogrès dans la conception de la quantité. En voici lateneur :
1. Tu ne peux pas arriver à l'extrémité d'un stade 1. Tunepeux pas franchir en un temps lini un nombre de points infini.Tu es obligé de franchir la moitiéd'une distance donnée quelcon-que avant de franchir le tout, et la moitié de celte moitié avantde pouvoir franchir celle-ci. Et ainsi de suite ad inf'miliim,desorte qu'il y a un nombre infini de points dans n'importe quelespace donné, et tu ne peux en toucher un nombre infini l'unaprès l'autre en un temps fini*.
2. Achillene devancera jamais la tortue. Il doit d'abord attein-dre la place d'où la tortue est partie. Pendant ce temps, la tortueprendra une certaine avance. Achille doit la regagner, et lalortttc en profitera pour faire de nouveau un bout de chemin.Il s'en rapproche toujours, mais sans l'atteindre jamais*.
' Arist.Top.9,8.160b 8 (DV19A25): ZTJVWVO;(Xôyoî),ôti oùxivïf-•/îtaixivtï«9atoù?ltô orâîtovîteX&tïv.
»Arist.Phys.Z, 9.239b 11(R.P. 136;DV19A2ô).Cf.Z,2.233« 11;u21(R. P.136a;DVf/»/d.).
3 Arist.Phys.Z, 9.239b 14(R.P. 137;DV19A26).
366 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
L' « hypothèse » du second argument est la même quecelle du premier, à savoir que la ligne est une série de
points ; mais le raisonnement est compliqué par l'introduc-tion d'un objet qui se meut. La distance n'est plus, parconséquent, chaque fois la moitié de ce qu'elle était, maisdiminue selon une raison constante. Ensuite, le premierargument montre qu'un objet qui se meut ne peut jamaisfranchir une dislance,avec quelque rapidité qu'il se meuve;le second fait voir que, si lentement qu'il se déplace, il
franchit une distance infinie.
3. Le trait qui vole est en repos. Car si chaque chose est enrepos quand elle occupe un espace égal à elle-même, et si cequi vole occupe toujours et à n'importe quel moment un espaceégal à lui-même, il ne peut pas se mouvoir '.
Ici, une nouvelle complication est introduite. L'objet quise meut a lui-même une longueur, et ses positions succes-sives ne sont pas des points, mais des lignes. Les momentssuccessifs dans lesquels il les occupe sont cependant des
points de temps. On aura peut-être plus de facilité à se
représenter la chose, si nous faisons remarquer que lafuite du trait, telle qu'elle est représentée par le cinémato-
graphe, serait exactement de même nature.
4. La moitié du temps peut être égale au double du temps.>>.îpposonstrois séries de' corps* dont l'une (A)est au repos, tan-dis que les deux autres (R, C), se meuvent avec une égale rapi-dité dans des directions opposées (Fig. 1). Au moment où ilssont tous n la même partie du stade, R a passé devant deux foisautant de corps de la série C que de la série A. (Fig. 2.)
«Phys. Z,9. 239b30(R. P. 138); ib. 239&5(R. P. 138a ; DV19A27).Ce dernier passageest corrompu, mais le sensen est clair. Je l'ai tra-duit selon la versionde Zeller : tt yâp,<p*)otv,^ptjitï tiAvôtsv n xatà tiîoov,lati i'àVitô <pipc|itvoviv t<jïvûvxatà tô îsov,àxtvijtovx.T.X.Natu-rellement, «et signifie«dans un temps quelconque»et non pas «tou-jours», et xatà ta fsovlittéralement « à la hauteur d'un espace égal (àlui-même)». Sur les autres leçons, voir Zeller, p. 598,n.3; et Diels,Von. p. 131,44.
* Le mot est Syxot;cf. chap. VII, p. 336,n. 1. 11est très bien appro-prie aux unités pythagoriciennes,qui, comme l'avait montré Zenon,ont longueur,largeur et épaisseur (frg. 1).
LESJEUNESÉLÉATES 367
Fig.1. Fig.2.
Donc, le temps qu'il lui faut pour passer devant Cest deux foisaussi long que celui qu'il lui faut pour passer devant A. Maisle temps que B et C emploient pour atteindre la position de Aest le même. Ainsi le double du temps est égal à la moitié '.
Selon Aristote, le paralogisme dépend ici de ce que l'onadmet qu'une grandeur égale, se mouvant avec une égalerapidité, doit se mouvoir pendant un temps égal, que la
grandeur à laquelle elle est égale soit au repos ou qu'ellesoit en mouvement. Il en est certainement ainsi, mais nousne sommes pas tenus de supposer que ce point de départsoit de Zenon lui-même. Le quatrième argument est, en
fait, exactement dans le même rapport avec le troisième
que le second avec le premier. Achille ajoute un second
point en mouvement au seul point qui se déplace dans le
premier argument; cet argument ajoute une seconde ligneen mouvement à la seule ligne mouvante du trait qui vole.Les lignes, toutefois, sont représentées comme des sériesd'unités, ce qui est précisément la façon dont les Pythago-riciens les représentaient; et il est tout à fait vrai que si les
lignes sont une somme d'unités discrètes, et que le tempssoit semblablement une série de moments discrets, il n'y a
pas d'autre mesure de mouvement possible que le nombred'unités que chaque unité franchit.
Cet argument a pour but, comme les autres, de faireressortir les absurdes conclusions qui découlent de l'hypo-thèse que toute quantité est discrète, et ce que Zenon a
«Arist.Phys.Z,9 239b33(R.P. 139;DV19A28).J'ai dû formulerl'argumentà mamanière,caril n'aétédonnécomplètementpar aucunede nos autorités.En fait,lafigureest d'Alexandre(Slmpl.Phys.p.1016,14),si cen'estqu'il représenteles ôyxotpar des lettresau Heudepoints.La conclusionest clairementexpriméepar Aristote(toc.cil.) : eoji-faivetvoûtai fsovtïva»ypivavt<j»StitXastq»tôv>}[it4ov,et>commentquenous formulionsle raisonnement,il doit l'être de façon&aboutir &cetteconclusion.
368 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
réellement fait, c'est d'établir la conception de la quantitécontinue par une réduction à l'absurde de celte hypothèse.Si nous nous souvenons que Parménide avait affirmé lacontinuité de l'un (frg. 8, 25), nous voyons combien exacteest l'analyse de la méthode de Zenon, que Platon met dans
la bouche de Socrate.
II. - M1ÏUSSOSDE SAMOS.
CLXIV. — SA VIE.
Dans sa Vie de Périclès, Plutarque affirme, sur l'autorité
d'Aristote, que le philosophe Mélissos, fils d'Ithagène, futle général samien qui défit la flotte athénienne en 441/0av. J.-C. *; et c'est sans aucun doute pour cette raison
qu'Apollodore fixa son nAniédans la LXXXIVC Olympiade(444-41) '. A part cela, nous ne savons en réalité rien de savie. Il passe pour avoir été, comme Zenon, disciple de
Parménide 3; mais, comme il était Samien, il est possible
qu'il ait élé, à l'origine, membre de l'école ionienne, et nous
verrons que certains traits de sa doctrine viennent à l'appuide cette opinion. D'autre part, il fut certainement convaincu
par la dialectique éléate et renonça à la doctrine ionienne
pour autant qu'elle ne se conciliait pas avec celle-ci. Nous
notons ici l'effet de la facilité toujours plus grande des
relations entre l'est et l'ouest, facilité qui fut assurée parl'hégémonie d'Athènes.
« Plut. Pcr. 26 (R. P. 141b; DV20A 3), d'après la 2ap.i<uvitoXtttîad'Aristote.
* Diog.IX, 24 (R. P. 141).11est évidemmentpossible qu'Apollodoreentende la première et non la quatrième année de l'Olympiade.Sonère usuelle, c'est la fondation de Thurium. Mais, en somme, il estplus probable qu'il entendait la 4*année, car la date de la vauap/taasans doute été donnée avec précision VoirJacoby, p. 270.
s Diog.IX, 24(R. P. 141).
LESJEUNES'ÉLÉATES 369
CLXV. — LES PRAGMENTS.
Les fragments que nous possédons nous viennent de
Simplicius, et nous les donnons, à l'exception du premier,d'après le texte de Diels \
(1 <i)Si rien n'existe, que peut-il en être dit comme d'unechose réelle?*
1. Ce qui était a toujours été. et sera toujours. Car s'il étaitvenu a l'existence, il aurait dû, de toute nécessité, n'être rienavant de venir à l'existence. Or, s'il n'était rien, rien n'auraitpu, de quelque manière que ce soit, sortir de rien. — R. P. 142.
2. Du moment, donc, qu'il n'est pas venu à l'existence, et dumoment qu'il est, a toujours été et sera toujours, il n'a ni com-mencement ni fin, mais est sans limite. Car, s'il était venu àl'existence, il aurait eu un commencement (car il aurait com-mencé à venir à l'existence a un moment ou à un autre) et unefin (car il aurait cessé de venir à l'existence a un moment ou àun autre); mais, s'il n'a ni commencé ni fini, s'il a toujours étéet sera toujours, il n'a ni commencement ni fin ; car il n'estpossible pour n'importe quoi d'être jamais sans une existencepleine et entière.— R. P. 143.
3. En outre, de même qu'il est toujours, il doit toujours êtreinfini en grandeur. — R. P. 143.
4. Mais rien de ce qui a un commencement ou une fin n'estéternel ou infini. —R. P. 143.
111n'est plus nécessairede discuter les passagesque l'on avait l'ha-bitude de donner commeles frg. 1-5de Mélissos,puisqueA. Pabst aprouvéqu'ils ne sont que la paraphrasedes fragmentsauthentiques(DeMelisslSamii fragmentis, Ronn 1889).Presque en mêmetemps,j'étais arrivé pour moncompteà la mêmeconclusion(voir ma 1'*édi-tion, J 138).Zeller et Dielsont tous deuxacceptela démonstrationdePabst,et les fragmentssupposésont été reléguésdans les notes dansla dernièreéditionde R. P. Je crois cependantencoreà l'authenticitédu fragmentquej'ai numérotéf a. Voir la note suivante.
1Ces mots sont tirés du début de la paraphrasequi a si longtempsété considéréeà tort commeétant de Mélissos(Simpl.Phys. p. 103,18;R. P. 142a ; DV20R 1note),et Dielsles a écartés avec le reste pourcette raison. Je les tiens cependantpour authentiquesparce queSim-plicius,qui a eu sous lesyeux l'oeuvrecomplètede Mélissos,les intro-duit par les mots : àpx*tait<0eayypdl(ip.atocoûta>c«et parce qu'Us ontun cachetparfaitementéléate.Il est tout à fait naturelque lespremiersmotsdu livre aient été reproduits au début de la paraphrase.
PHILOSOPHIEORKCQVE M
370 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
5. S'il n'était pas un, il serait limité par quelque chose d'au-tre. — R. P. 144a.
6. Car s'il est (infini), il doit être un ; car s'il était deux, il nepourrait pas être infini; car, alors, les deux seraient limitésl'un par l'autre '. —R. P. 144.
6a. (Et, du moment qu'il est un, il est absolument pareil; cars'il n'était pas pareil, il serait plusieurs et non un1.);
7. Ainsi donc, il est éternel et infini, et un, et absolument pa-reil. Et il ne peut ni périr, ni devenir plus grand; et il ne souffreni douleur ni peine. Car si l'une quelconque de ces choses luiarrivait, il ne serait plus un. Car s'il est altéré, alors le réel doit,de toute nécessité, ne pas être partout pareil, mais ce qui étaitauparavant doit périr, et ce qui n'élait pas doit venir à l'exis-tence. Or, s'il changeait, ne fût-ce que «l'un cheveu, au cours dedix mille années, il périrait en entier dans la somme du temps.
En outre, il n'est pas possible non plus que son ordre soitchangé, car l'ordre qu'il avait avant ne périt pas, et ce quin'était pas ne vient pas à l'existence. Mais, du moment que rienne lui est ajouté ou n'est détruit ou altéré, comment l'ordred'une chose réelle quelconque peut-il être changé ? Car si n'im-porte quelle chose devenait différente, cela équivaudrait a unchangement de son ordre.
Il ne souffre pas non plus de peine, car une chose en proieà la peine ne pourrait pas exister du tout. Car une chose enproie à la peine ne pourrait toujours être, et elle n'a pas lamême force que ce qui est entier. Elle ne serait pas non pluspareille si elle était en proie à la peine; car ce n'est que parl'addition ou la soustraction de quelque chose qu'elle pourraitéprouver de la peine, et alors elle ne serait pas pareille. Ce quiest entier ne pourrait pas non plus éprouver de la peine ; caralors ce qui était entier et ce qui était réel périrait, et ce quin'était pas viendrait a l'existence. Et le même argument s'appli-que au chagrin comme à la peine.
Rien non plus n'est vide. Car ce qui est vide n'est rien. Ce quin'est rien ne peut êlrc.
Il ne se meut pas non plus, car il n'a aucun lieu pour se mou-
1Cefragmentest cité par Simpl. de Civlo,p. 537,16(R. P. 144).L'in-sertion du mot « infini»est justifiéepar la paraphrase (R. P. 144a)etpar M.X.G. 974a 11: itdv lï imtpovôv <îv> ttvaf tt fàp S-Jo»JitXiîw»fi),ittpat' àv lîvai/taOtanpôcâXXtjXa.
*Je mo suis hasardéà insérerce fragment,quoiquele texte n'en soit,en fait, cité nulle part, et qu'il ne se trouvepas dans Diels. Il est repré-senté dans la paraphrase(R. P. 145a) et dans M.X.G. 974a 13(R. P.144ci).
LESJEUNESÉLÊATES 371
voir, mais il est plein. Car s'il y avait n'importe quoi de vide,il irait occuper le vide. Mais, du moment qu'il n'y a pas de vide,il n'a aucun lieu où il puisse se porter.
Et il ne peut être dense ni rare ; car il n'est pas possible à cequi est rare d'être aussi plein que ce qui est dense, mais ce quiest rare est par là même plus vide que ce qui est dense.
Voici de quelle manière nous devons distinguer entre ce quiest plein et ce qui n'est pas plein. Si une chose renferme del'espace pour quelque chose d'autre et l'accueille en elle, ellen'est pas pleine ; mais si elle ne renferme d'espace pour n'im-porte quoi et ne l'accueille pas en elle, elle est pleine.
Or il doit de toute nécessité être plein, s'il n'existe pas devide, et s'il est plein, il ne se meut pas. — R. P. 145.
8. Cet argument, donc, est la plus grande preuve qu'il n'y aqu'un seul Un ; mais ce qui suit en constitue encore des preu-ves. S'il y avait plusieurs Uns, ces plusieurs devraient être de lamême espèce que je dis qu'est l'Un. Car s'il y a de la terre etde l'eau, de l'air et du fer, de l'or et du feu, et si une chose estvivante et une autre morte, et si les choses sont noires et blan-ches et tout ce que les hommes disent qu'elles sont réellement,— s'il en est ainsi et si nous voyons et entendons correctement,chacune de ces choses doit êlrc telle que nous l'avons décidéd'abord, et elles ne peuvent être changées ou altérées, maischacune doit êlrc justement comme elle est. Mais nous disonsque nous voyons, entendons et comprenons correctement, etcependant nous croyons que ce qui est chaud devient froid, etce qui est froid chaud, que ce qui est dur devient tendre et cequi est tendre dur ; que ce qui est vivant meurt, et que deschoses sont nées de ce qui ne vit pas ; et que toutes ces chosesse modifient, et que ce qu'elles étaient et ce qu'elles sont main-tenant ne se ressemblent d'aucune façon. Nous croyons que lefer, qui est dur, est usé par le contact du doigt ', et pareille-ment de l'or cl de la pierre et de tout ce (pic nous nous imagi-nons êlrc fort ; et que la terre et la pierre sont faites d'eau ; desorte qu'il apparaît que nous ne voyons ni ne connaissons desréalités. Or ces choses ne s'accordent pas l'une avec l'autre.Nous avons dit qu'il y avait beaucoup de choses qui étaientéternelles et avaient leurs formes et leur force propres, et pour-tant nous nous imaginons qu'elles souffrent toutes une altéra-tion, et qu'elles deviennent diflércnlcs de ce que nous voyonschaque fois. 11est donc clair1qu'en définitive nous n'avons pasvu correctement, et que nous n'avons pas raison de croire «pietoutes ces choses sonl plusieurs. Elles ne changeraient pas si
• Je Ils é|«wp{iovavecRergk.Dielsgardele 6{ioOp'fwvdu ms.; Zellerp. 613,n. 1)conjecture6it' toi)p'c<uv.
372 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
elles étaient réelles, mais chaque chose serait justement ce quenous la croyions être ; car rien n'est plus fort que la vraie réa-lité. Mais s'il a changé, ce qui était a péri, et ce qui n'était pasest venu a l'existence. Ainsi donc, s'il y avait plusieurs choses,elles devraient avoir exactement la même nature que l'Un.—R. P. 147.
9. Or, s'il doit exister, il doit de toute nécessité être un ; maiss'il est un, il ne peut pas avoir de corps ; car, s'il avait un corps,il aurait des parties, et ne serait plus un. — R. P. 146'.
10. Si ce qui est réel est divisé, il se meut ; mais s'il se meut,il ne saurait être.— R. P. 144a*.
CLXVI. — THÉORIEDE LA RÉALITÉ.
Nous avons fait remarquer que Mélissos n'était peut-être pas, à l'origine, membre de l'école éléate ; mais il
adopta certainement toutes les idées de Parménide relati-vement à la vraie nature de la réalité, sauf une remar-
quable exception. Il paraît avoir ouvert son traité enréaffirmant avec Parménide que le « rien n'est pas » (frg.1 a), et les arguments qu'il donnait à l'appui de celte opi-nion sont ceux qui nous sont déjà familiers (frg. 1). Pourlui comme pour Parménide, la réalité est éternelle, attribut
qu'il exprimait à sa manière à lui. Il soutenait que, puis-que tout ce qui est venu à l'existence a un commencementet une fin, tout ce qui n'y est pas venu n'a ni commence-,ment ni fin. Aristote est très sévère pour lui à cause decelte simple conversion d'une proposition affirmative uni-verselle*; mais, évidemment, ce n'est pas là-dessus qu'était
*Je lis : tt |ilv oïv (îij avec B F pour le tî pivSvt«i)de D.Le iôv,qu'aconservé R. P., est un essai de couleur localedu aux éditeurs. Dielslit maintenant o-îv,lui aussi (Von. 149,2).
* Dielslit maintenant jUi avec E au lieu du âjta de F., et rattacheet-mot a la phrase suivante.
» Arist. Phys. A.3.183a 7 (R. P. 143a ; DV20A 7). Aristote trouvedeux points faiblesdans le raisonnementdes Kléates: (1)<|it'>)J)Xa;i9i-vojîtv; (2) ajA).iyt«toi«IJIVairûivo'tXôyot.Nousavons ici le premier deces points. Il est aussi mentionné dans Soph.El. 163b 35(R. P. Ibtd.).Telle est aussi l'opiniond'Rudèmc(Slmpl.Phys. p. 105,24): où"ràp,il
LESJEUNESÉLÉATES 373
fondée sa conviction. Toute sa conception de la réalité
l'obligeait à la regarder comme éternelle 1. La questionserait plus sérieuse si Aristote avait raison de croire,comme il semble l'avoir fait, que Mélissos inférait que ce
qui est doit être infini dans l'espace parce qu'il n'a ni com-mencement ni fin dans le temps'. Mais cela parait tout àfait incroyable. Comme nous possédons le fragmentqu'Aristote interprète de celte manière (frg. 2), nous avons
parfaitement le droit de l'interpréter indépendamment de
lui, et je n'y vois rien qui justifie sa supposition et quiprouve que l'expression « sans limite » signifie sans limitedans l'espace*.
CLXVII. — LA RÉALITÉINFINIEDANSL'ESPACE.
Mélissos différait, en vérité, de Parménide en soutenant
que la réalité était aussi bien infinie dans l'espace quedans le temps; mais il donnait une excellente raison enfaveur de cette opinion, et il n'en était pas réduit à la jus-tifier par l'extraordinaire argument auquel nous venonsde faire allusion. Ce qu'il disait, c'est que, si la réalitéétait limitée, elle le serait par l'espace vide. Cela, nous le
tô Ytv^ftvov"PX'iv*X,(>~'°M T*vijitvovàpyîjvovxlyu, jidXXovîè tô u»jtyovàpx>jvoùxtymto.
1La vraieraisonest donnéedans la paraphrase(Simp).Phys.p. 103,21; R. P. 142a ; DV20H, note): o^y/utptlraifàp xaltoOtoô*ôtd>v<pwi-xû>v,mais Mélissosne se serait naturellementpas exprimé de cettemanière.Ilse tenait lui-mêmepourun fiiixii commelesautres; mais,à partir de l'époqued'Aristote,c'était un lieucommunde refusercettequalité auxHlcates,parcequ'ils niaientle mouvement.
*Cecia éténie par OlTncr,Zur UemteiltmydesMélissos[Archiv,IV,p. 12sq.), maisje pensemaintenantqu'ilva trop loin.Cf.spécialementTop.IX,6: i; âji<p<otaùtà ôvtatoïàp'/ijvlytw,tô t« yefovôîxal tô itmt-paoplvov.Mêmeremarqueà Soph.El. 167*613et 181« 27.
» Lesmots ôXX'âitctpovcati signifientsimplement«mais il est sanslimite», et ne sont que la répétitionde la propositionqu'il n'y a nicommencementni fin.La naturede la limitationnepeutêtre préciséequepar le contexte;aussi Mélissosa-t-il soin dédire tô ptyt8o«inttpov(frg.3) a l'endroit où il Introduitla questionde l'infinidans l'espace.
374 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
savons par Aristote lui-mêmel, et nous y voyons un réel
progrès sur Parménide. Celui-ci avait cru possible detenir la réalité pour une sphère finie, mais il lui aurait étédifficile de développer celte opinion dans le détail. Il auraitété obligé de dire qu'il n'y avait rien en dehors de la
sphère; mais personne ne savait mieux que lui qu'iln'existe aucune chose qui ne soit rien. Mélissos vit quel'on ne peut imaginer une sphère finie sans la regardercomme entourée d'un espace vide infini*; et comme,d'accord avec le reste de l'école, il niait le vide (frg. 7), ilétait forcé de dire que la réalité était infinie dans l'espace(frg. 3). Il est possible qu'il ait été influencé en cela par sonassociation avec l'école ionienne.
De l'infinité de la réalité, il suit qu'elle doit être une ;car, si elle n'était pas une, elle serait limitée par quelquechose d'autre (frg. ô). Et, étant une, elle doit être absolu-ment homogène (frg. 6 à), car c'est ce que nous entendonsen disant qu'elle est une. La réalité, donc, est un plénumcorporel, simple et homogène, s'étendant à l'infini dans
l'espace, remontant et descendant à l'infini dans le
temps.
CLXVIII. — OPPOSITIONAUXIONIENS.
L'éléatismc fut toujours animé de l'esprit critique, et
uous ne sommes pas sans indications sur l'attitude prise
par Mélissos à l'égard des systèmes contemporains. Le
point faible qu'il trouvait dans les théories ioniennes était
de supposer toutes un certain manque d'homogénéitédans l'Un, ce qui constitue une réelle inconsistance. En
outre, les unes comme les autres admettaient la possibilitédu changement; mais si toutes choses sont une, le change-ment doit êlre une forme de l'entrée à l'existence et de la
1Arist. Geii.C.orr.I, 8.32."»a 14: îv xat eu'vrçtovtô nav tîvaî <pa«ixaliitctpovIviot"tô Y«Pitfpae ittpaîvttvàv itpô; tô xtviv. tët Zellera prouveque cela se rapporte u Mélissos(p. 612,noie 2).
*Notezla divergenceavec Zenon(J 162).
LESJEUNESÉLÉATES 375
destruction. Si l'on admet qu'une chose peut changer, on
ne peut maintenir qu'elle est éternelle. L'arrangement des
parties de la réalité ne peut pas non plus se modifiercomme Anaximandre, par exemple, l'avait cru-; tout chan-
gement de cette nature implique nécessairement une
entrée à l'existence et une destruction.Le pas que fit ensuite Mélissos a quelque chose d'un peu
particulier. La réalité, ait-il, ne peut éprouver ni douleurni peine, car l'une et l'autre sont toujours dues à l'additionou à la soustraction de quelque chose, ce qui est impossi-ble. H n'est pas facile d'établir avec certitude à quoi celafait allusion. Peut-être est-ce à la théorie d'Anaxagoresur la perception (v. p. 314), peut-être à une chose dont
aucune mention ne nous a été co« -°rVée.Le mouvement, en général \ la raréfaction et la conden-
sation, en particulier, sont impossibles, car tous deux
impliquent l'existence de l'espace vide. La divisibilité est
exclue pour la même raison. Ces arguments sont ceux queParménide avait déjà employés.
CLXIX. — OPPOSITIONAUXPYTHAGORICIENS.
Dans presque toutes les analyses du système de Mélissos,on prétend qu'il niait la corporalité de ce qui est réel —
opinion qu'on cherche à établir en invoquant le frg. 9,
lequel est certainement cité par Simplicius précisémentpour prouver ce point». Si, cependant, notre idée générale
1L'opiniondeHûutnkcr,queMélissosadmettaitl'àvtiiicptetaatcoumou-vementinpltno(Jahrb.f. MF.Phil.1886,p.541; DusProblemderMaleriep.59)sefondesurunephrasedeSimplicius(Phys.p. 101,13; DV46,40):oà)(oti (iJjîyvatôvîià itXrjpo';*xivttj9at,d>çivXt<ûvawaitcuvXfyojitv*.t. X.Cettephraseétaitautrefoistransposéeeudialecteionien,et passaitpourêtreun fragmentde Mélissos.Elle n'est, en réalité,qu'un fragmentdel'argumentduSimpliciuscontre Alexandre,et elle n'a rien à faire dutcut avecMélissos.
»VoyezcependantBâumkcr,Dus Problemder Malerie,p. 57 sq.,lequelremarqueque iiv (ouôv),du frg.9, doit être prédicat,puisqu'iln'a pasd'article.Danssa5*édition(p. 611,n.2),Zellera adoptél'opl-
376 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE'
I
relativement au caractère de la philosophie grecque primi-tive est exacte, cette opinion doit paraître incroyable. Etelle parait d'autant plus surprenante qu'au dire d'Aristote,dans sa Métaphysique, l'unité de Mélissos était matérielle,landis que celle de Parménide semblait être idéale '. Orle fragment, tel que nous le lisons dans les manuscrits de
Simplicius'.suppose un cas purement hypothétique, et le
plus naturel serait d'y voir une preuve contre l'existencede quelque chose, par ce motif que, s'il existait, il devraitêtre h la fois corporel et ua. Cela ne saurait viser l'Un
éléale, auquel Mélissos croyait lui-même, et comme l'argu-ment est presque mot pour mot identique à l'un de ceuxde Zenon 1, il est naturel de supposer qu'il était aussi
dirigé contre l'hypothèse pythagoricienne d'unités ultimes.La seule objection possible, c'est que Simplicius,' qui citedeux fois le fragment, le preuait, à n'en pas douter, dans lesens qu'on lui donne généralement*. Mais il était trèsnaturel pour lui de tomber dans celte méprise. L'expression« l'Un » avait deux sens au milieu du Vmesiècle avant
J.-C; elle signifiait soit l'ensemble de la réalité, soit le
point comme unité d'espace. Pour le maintenir dans le
premier sens, les Eléates étaient obligés de le répudierdans le second; et ainsi il semblait parfois qu'ils parlaientde leur propre « Un », quand, en réalité, ils entendaient
parler de l'autre. Nous avons vu que la même difficultése présentait à propos de la négation de 1' « un » parZenon*.
nion que nous soutenonsici. Il fait observer avec raisonque la formehypothétiquetî jiivôvet'j)parle en sa faveuo,et que le sujet de cîv)doitêtre txastovtwvitoXXûv,commechez Zenon.
«Met.A,5.986b 18(R.P. 101; DV20A11).* ltrandis changeait ttij en fart, mais il n'y a aucunegarsntic en
faveurde cette correction.1Cf.Zenon, frg. 1, et spécialementles mots : tt Meottv,dvayxi}êxaa-
tov|xtftdôïtt e'XetVxa<tâ^oç.« Simpl.Phys. p. 87,6 et 110,1(DV20B 4, 5).>Voirplus haut, § 159,p.361,n. 5.
LESJEUNESELÉATES 377
CLXX. — OPPOSITIONA ANAXAUOHE,
Le plus remarquable fragment de Mélissos est peut-êtrele dernier (frg. 8). Il parait être dirigé contre Anaxagore ;tout au moins le langage employé semble-t-il lui être plus
applicable qu'à qui que ce soit d'autre. Anaxagore avaitadmis (§ 137, fin) que nos perceptions, si loin qu'ellesaillent, ne s'accordent pas entièrement avec sa théorie, tout
en soutenant que cela n'était imputable qu'à leur faiblesse.
Mélissos, tirant avantage de cet aveu, déclare que si nous
cessons de voir dans les sens les témoins ultimes de la
réalité, nous ne sommes pas en droit de rejeter la théorie
éléate. Avec une pénétration admirable, il fait ressortir
que si nous devons dire avec Anaxagore que les chosessont une pluralité, nous sommes obligés de dire aussi quechacune d'elles est constituée de la même manière quel'Un des Eléates. En d'autres termes, le seul pluralisme
qui se puisse soutenir est la théorie atomique.Mélissos a été longtemps et induement déprécié en rai-
son des critiques d'Aristote; mais ces critiques, nousl'avons vu, se basent essentiellement sur une objection
quelque peu pédantesque à la fausse conversion qu'onrelève dans la première partie de l'argument. Mélissos ne
savait rien des règles de la conversion ; s'il les avait con-
nues, il lui eût été facile de rendre son raisonnementformellement correct sans modifier son système. Sa gran-deur consiste en ceci, que non seulement c'est lui qui a
réellement fait de l'Éléatisme un système, mais qu'il a su
voir, avant que les pluralistes la vissent eux-mêmes, laseule voie suivant laquelle on pouvait élaborer sans con-tradiction la théorie qui fait des choses une pluralité '. Il
1Bâumker,op.cit. p. 58,n.3: «QueMélissosfût un espritmédiocre,c'est une fable convenue.Onva la répétant après Aristote,qui étaitincapabled'apprécierles Eléatesengénéral,et qui comprendspéciale-ment mal Mélissos.»
378 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
est significatif que Polybos, le neveu d'Hippocrate, repro-che de « mettre sur pied la doctrine de Mélissos » à ces« sophistes » qui enseignaient qu'il y avait une seule subs-
tance primordiale 1.
1n«pt<pîoto;dvdpwnov,c. 1; DV20A6 : dU' lp.otftiWovgtvoi tc*>0toia\Opu>icotaùtoU<imoù;xataSâXXttvivtoloivévôjiaottûivXÔYtuvaùtûvC^ÔJSJ-vtoûjç,tiv8lMCXÎOOOJXôyovop&oOv.Lesmétaphoressontprisesdela lutte,etellesétaientcourantes à cette date (cf. le xat9J3â).Xovtccde Protagoras.Platonlaissevoir une appréciationde Mélissosplus généreuseque celled'Aristote. A Théél.180t 2 (DV18R 8 = 118.4), il mentionne lesEléates comme MiXmottt xal Ilao^tvtiai,et à 183e 4 (DV18A5), ils'excusepresque de donner la prééminenceà Parménide.
CHAPITRE IX
LEUCIPPE DE MILET
CLXXI. — LEUCIPPEET DÉMOCRITE,
NOUSavons vu (§§31,122) que l'école deMilet ne prit pasfin avec Anaximène, et c'est un fait frappant que l'homme
qui fit la réponse la plus complète à la question posée pourla première fois par Thaïes fut un Milésien*. Il est vrai quel'existence même de Leucippe a été mise en question.Epicure dit qu'il n'y eut jamais un philosophe de ce aoin,et la même opinion a été soutenue à une époque tout àfait récente \ D'aulre part, Aristote et Théophrasle fontcertainement de lui l'auteur de la théorie atomique, et ilsemble encore possible de montrer qu'ils avaient raison.
*Théophrasledisait que Leucippeétait Kléatcou Milésien(R.P.18o;DV54A8),tandisque Diogène(IX,30)ledit Kléateou, selonquelques-uns, Abdéritain.Ces indicationsconstituent un parallèle exact auxdivergencesdéjànotéessur lescitésnatalesdesPythagoriciens(eh.VII,p. 325,n. 5). P:oKïucajouteque,selond'autres, LeucippeétaitMélien,ce qui est une confusionfréquente.Aétius(I, 7, 1) fait de DiagorasdeMélosun Milésien(cf. Dov.p. 14).Démocriteétait appeléMilésienparquelques-uns(Diuj. IX,34; R. P. 186)pour la mêmeraisonque Leu-cippeest appeléKléatc.Onpeut aussi,à ce propos, rappelerle doutesur laquestiondesavoirsi Hérodotese disait lui-mêmeHalicarnassicnou Thuricn.
» Diofc.X, 13(H. P. 185b). Cetteopiniona été reprise par E. Rohde.Sur la littérature de cette controverse,voir R. P. 185b. La réfutationde Rohdepar Dielsa convainculesjugeslesplus compétents.La ten-tativede Brieger,de rouvrirce procès(Hernies,XXXVI,p. 166sq.) estdépourvuede convictionet ne convaincpas du tout. Commeon leverra, cependant,je suis d'accordaveclui sur ce point importantquel'Atomismeest postérieur aux systèmesd'Empédocleet d'Anaxagore.
380 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
Incidemment, nous verrons comment des écrivains posté-rieurs en vinrent à l'ignorer, et rendirent ainsi possible laboutade d'Epicure.
La question est intimement liée à celle de la date de
Démocrite, qui disait qu'il élait un jeune homme quandAnaxagore était un vieillard. Il est peu probable, d'aprèscette indication, qu'il ait fondé son école à Abdère avant
l'année420, où Apollodore place son akmè '. Or Théophrasteconstatait que Diogène d'Apollonic avait emprunté quel-ques-unes de ses opinions à Anaxagore et quelques-unes à
Leucippe, ce qui ne peut signifier qu'une chose, à savoir
qu'il y avait dans l'oeuvre de celui-ci des traces de la théorie
atomique '. De plus, Diogène d'Apollonic est parodié dansles Nuées d'Aristophane, qui furent jouées en 423, et ilrésulte de là que l'oeuvre de Leucippe doit avoir été connueôien avant cette date. Ce que cette oeuvre était, Théophraslenous le dit aussi. C'était le Grand Diakosmos, ordinaire-ment attribué à Démocrite*. Cela signifie en outre que ce
que l'on connaissait plus tard sous le nom d'oeuvres de
Démocrite, c'étaient en réalité les écrits de l'école d'Abdère,
>Diog.IX, Il (R. P. 187).Commele fait ressortir Diels, cette indica-tion porte à croire qu'Anaxagoreétait mort lorsque Démocriteécrivait.C'est probablementaussi le motif pour lequel Apollodorefixa l'akmède Démocrite juste quarante ans après celle d'Anaxagorc(Jacoby,p.290).Nousne pouvonspas tirer graud'ehosede cette autre indicationde Démocrite,d'après laquelleil écrivit le Mtxpôeîtdxojjio;750ans aprèsla chute de Troie; car nous ne pouvons savoir exactement de quelleère il faisait usage(Jacoby, p. 292).
* Thcophr. ap. Simpl. Phys. p. 25.1(R. P. 206«; DV51A5).» Ceci a été soutenu par Thrasyle dans la liste des tétralogics où
il avait rangé les «cuvresde Démocrite,comme il rangea celles dePlaton. Il indiquecommesuit le contenu des tétralogics: (1)Mî'fa;8td-xoo(io((ovolKtpi 6tôfpa3tovACJXÎKICO'J«paaivttvat): (2)Mtxpôt3tdxo3{io;;(3)Ko9(iOYpa«p!»j; (4)ITiptttàvitXavrjtwv.Lesdeux Stdxo-spotne furent sansdoute distingués l'un de l'autre que lorsqu'ils furent englobés dansle mêmecorpus. Une citation soi-disantdu IIiplvo3de.Leucippea étéconservéedans Stob. I, 160.La phrase : tv totc AtuxÎTtuooxaXcejfitvoitXôjotedans M.X.G.980a 8paraît se référer à Arist. de Gen.Corr.325a24 (DV54 A 7): Acôxinnoîl'I^tn qîf,&TjXôyov;x.t. X.et ne prouve quoique ce soit en aucun cas. Cf.chap. II, p. 140,n. 1.
LEUCIPPEDE MILET 381
et que ceux-ci comprenaient, comme cela était naturel, les
oeuvres de son fondateur. Elles formaient, en fait, un corpus
comparable à celui qui nous est parvenu sous le nom
d'Hippocrate, et il n'était pas plus possible de distinguerles auteurs des différents traités dans un cas que dans
l'autre. Pour toutes ces raisons, nous ne devons pas hésiterà croire qu'Aristote etThéophrast* étaient mieux informéssur ce point que les écrivains postérieurs, qui regardaientnaturellement la masse comme étant tout entière l'oeuvrede Démocrite.
Théophraste trouva Leucippe qualifié d'Eléate dans
quelques-unes de ses autorités, ce qui, si nous pouvonsnous fier aux analogies, signifie qu'il s'était établi à Elée '.
Il est possible que ce départ pour l'ouest ail été en rapportavec la révolution de Milet en 450-49avant .1,-C* En tous
cas, Théophraste dit clairement que Leucippe avait étémembre de l'école de Parménide, et la façon dont il s'ex-
prime donne à penser que le fondateur de cette école étaitencore à sa tète*. Il peut fort bien l'avoir été en effet si nous
acceptons la chronologie de Platon '. Théophraste paraitavoir dit aussi que Leucippe « entendit » Zenon, ce quiest très croyable. Nous verrons dans tous les cas que l'in-fluence dv Zenon sur sa pensée est indéniable \
»Voirplus haut, p. 379,n. 1.1Les aristocratesavaientmassacrélesdémocrates,et ils furent ren-
versésà leur tour par les Athéniens.Cf.[Xen.]'A&.noX.3, 11.Ladateest Hxéepar C. I. A. I. 22a.
*Theophr. ap. Simpl.Phys. p. 28,4 (R. P. 185;DV54A8).Notezladifférencede cas dans xotvwvqaacHapptvîStijç <ptXoaotpîa;et xoivaiv^aç-ri);'AvaÇijuvoyçftXosotpîa;,expression employéepar Théophraste enparlant d'Anaxagore(p.290,n. 1). Le datif paraît impliquer des rela-tionspersonnelles.11est tout à fait inadmissiblede traduire: était fami-lier avecla doctrine de Parménide,commele fait Gomperz,Penseursde la Grèce,I, p. 362.
*Voir §84.»Cf.Diog.IX,30: oûtoçijxouatZ^VMYOÏ(R. P. 185b), et Hipp.Réf. I,
12,1(DV54A 10): Aiûxinnoç...Z^vtovo;itaipoe.Dielssupposaitque lenom de Zenon avait disparu de l'extrait de Théophraste conservépar Simplicius(Dox.483a 11; DV54A8).
382 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
Les relations de Leucippe avec Empédocle et Anaxagoresont plus difficiles à déterminer. On voit aujourd'hui une
preuve de la réalité historique de Leucippe en l'existencede traces d'atomisme dans les systèmes de ces philosophes ;mais celte réalité est assez bien établie sans celte supposi-tion qui, d'ailleurs, entraine de sérieuses difficultés ; ellenous forcé notamment à tenir Empédocle et Anaxagorepour de simples éclectiques; comme Diogène d'Apollonic'.Le plus fort argument en faveur de l'opinion que Leucippeinfluença Empédocle est celui qu'on tire de la doctrine des« pores » ; mais nous avons vu que cette doctrine remon-tait à Alcméon, et il est par conséquent plus probable quece fut Leucippe qui la dériva d'Empédoclc*. Nous avonsvu aussi que Zenon écrivit probablement contre Empédo-cle, et nous savons qu'il influença Leucippe*. Il n'est pasprobable du tout non plus qu'Anaxagore sût quoi que ce soitde la théorie de Leucippe. Il est vrai qu'ilniait l'existencedu vide ; mais il n'en résulte pas qu'un penseur quelconqueeût déjà soutenu celte doctrine dans le sens atomiste. Les
premiers Pythagoriciens avaient aussi parlé d'un vide,bien qu'ils l'eussent confondu avec l'air atmosphérique ; etles expériences d'Anaxagore avec la clepsydre et les outres
gonflées n'avaient de pointe que si elles étaient dirigées
1Ce point est important, bien que l'argument ait perdu de sa forcepar la valeur excessiveque lui a attribuée Brieger dans YHernies,XXXVI,p. 183. Il prétend qu'une réaction commecelle de l'Anaxago-réisme après la découverte du système atomique serait chose sansexempledans l'histoire de la philosophie grecque. Diogèned'Apollonicprouve le contraire. Le noeudde la question est qu'Empédocle etAnaxagoreétaient des hommesde trempe différente.Pour autant qu'ils'agit d'Empédocle, Comperzexpose le cas correctement (Penseursdela Grèce,I, p. 252,note).
*Voir plus haut, chap. V, p. 226, n. 4; et Brieger dans l'Hermès,XXXVI,p. 171.
* Dielssoutenait(autrefoisdu moins)ces deuxpoints. Voirplus haut,p. 357,n. 4, et p. 331,n. 5. Si, comme cela est probable(§ 158),Zenonécrivit son livre entre 470et 460av. J.-C, Leucippene peutguèreavoirécrit le sien avant 450,et même s'il l'avait écrit à celte date, c'étaittrop tard pour influencerEmpédocle.Et il se peut fort bien qu'il l'aitécrit plus tard. ^
LEUCIPPEDE MILKT 383
contre la théorie pythagoricienne '. S'il s'était réellement
proposé de réfuter Leucippe, il aurait dû recourir à des
arguments d'une tout autre nature.
CLXXII. — THÉOPHRASTESURLATHÉORIE
ATOMIQUE.
Théophraste écrivait ce qui suit à propos de Leucippedans le livre I de ses Opinions :
Leucipe d'Klée ou de Milet (car on le fait naître en ces deuxvilles) s'était associé avec Parménide en philosophie. Il ne sui-vit pas, cependant, la même voie que Parménide et Xénophancdans son explication des choses, mais, a ce que l'on croit, lavoie exactement contraire (R. P. 185).Us tenaient le Tout pourun, immobile, incréé et fini, et ne nous permettaient pas mêmede nous enquérir de ce qui n'est pas; il supposait, lui, d'innom-brables éléments, toujours en mouvement, a savoir les atomes.Ht il en tenait les formes pour infinies en nombre, du momentqu'il n'y avait pas de raison pour qu'elles fussent d'une espèceplutôt que d'une autre, et parce qu'il constatait un devenir etun changement incessant dans les choses. Il soutenait en oulrcque ce qui est n'est pas plus réel (pie ce qui n'est pas, et quetous deux sont également causes des choses qui viennent àl'existence ; car il posait en principe que la substance desatomes était compacte et pleine, et il les appelait ce qui est; etpour lui, ils se mouvaient dans -le vide, qu'il appelait ce quin'est pas, mais affirmait êlrc tout aussi réel que ce qui est.- R. P. 19t.
CLXXIIL — LEUCIPPEET LESELÉATES.
On observera que Théophraste, tout en notant l'affilia-tion de Leucippe à l'école d'Elée, fait ressortir que sa théo-rie est, prima facie*, exactement contraire à celle que sou-
»Voirplushaut, chap. VI,§131et chap.VII,5145.1LesmotswjSoxetn'impliquentpas l'assentimentà l'opinionintro-
duitepar eux; ils s'emploient,en fait, dans lagrandemajoritédescas,par rapport à des manièresde voir que l'écrivainn'acceptepas. Latraductionpar «à ce qu'il me semble»dansGomperz,Penseursde laGrèceI, p. 362,est donc bien faite pour induire en erreur, et rien nesaurait justifierl'affirmationde Brieger(HermèsXXXVI,p. 165)queThéophrastene partageait pas l'opinionqu'Aristoteexprimedans le
384 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
tenait Parménide. Quelques historiens ont pris prétextede cette déclaration pour nier tout à fait l'éléatisme de
Leucippe; en réalité, leur négation est basée sur l'idée quele système de Parménide était «métaphysique», et surune grande répugnance à admettre qu'une hypothèse aussi
scientifique que la théorie atomique ait pu avoir une ori-
gine « métaphysique ». En définitive, clic découle d'un
préjugé, et nous ne devons pas supposer que Théophrastelui-même considérât les deux théories comme si éloignéesl'une de l'autre qu'elles le paraissent 1. Comme c'est làréellement le point le plus important dans l'histoire de la
philosophie grecque primitive, et comme il donne, si on le
comprend bien, la clef de tout le développement de la
pensée à cette époque, il vaut la peine de transcrire un
passage d'Aristote *qui explique la connexion historique
d'une manière qui ne laisse rien à désirer.
Leucippe et Démocrite ont décidé de toutes choses pratique-ment par la même méthode et d'après la même théorie, pre-nant comme point de départ ce qui par nature vient en pre-mier lieu. Quelques-uns des anciens avaient soutenu que le réeldoit nécessairement être un et immuable ; car, disaient-ils,l'espace vide n'est pas réel, et le mouvement serait impossiblesans espace vide séparé de la matière ; de plus, la réalité nepourrait pas non plus être multiple, s'il n'y avait rien pourséparer les choses. Ht cela ne fait pas de différence de soutenirque le Tout n'est pas continu, mais discret, avec des partiesen contact (opinion pythagoricienne), au lieu d'affirmer que laréalité est multiple, non. une, cl qu'il y a un espace vide. Car,
passageque nousallons citer. Nouséviterionsbien des erreurs si nousprenions l'habitude de traduire îoxtt par «on croit » au lieu de <ilsemble».
1Ce préjugése fait sentir d'un bout à l'autre des Penseursde la Grècede Gompcrz,et porte une sérieuse atteinte à la valeur de cette oeuvrefascinante,quoiqueun peu aventureuse. 11est amusant de noter que,partant du même point de vue, Briegervoit des préventions théolo-giquesdans l'habitudeque l'on a de faire d'Anaxagorele dernier desPrésocratiques(HermèsXXXVI,p. 185).Je regrette de ne pouvoir medéclarerd'accordni avecl'un ni avecl'autre,mais l'âpreté aveclaquellechacuna soutenu son point de vue prouve l'importance fondamentaledes questions soulevéespar les premiers philosophesgrecs.
» Arist. de Gen.Corr. A.8.324b 35(R. P. 193; DV54A7).
LEUCIPPEDE HILET 385
s'il est divisible à chaque point, il n'y a pas d'Un et par consé-quent pas de multiple, et le Tout est vide (Zenon); tandis que,si nous disons qu'il est divisible en un point et non en un autre,cela a l'air d'une fiction arbitraire ; car jusqu'à quel point etpour quelle raison une partie du Tout sera-t-clle en cet état etpleine, tandis que le reste sera discret? Et, pour les mêmesraisons, ils disent encore qu'il ne peut pas y avoir de mouve-ment. Kn conséquence de ces arguments, donc, allant au delà dela perception et la dédaignant dans la penséo que nous devonsnous en tenir au raisonnement, ils disent que le Tout est un etimmuable (Parménide), et quelques-uns d'entre eux qu'il estinfini (Mélissos),car n'importe quelle limite serait bornée parl'espace vide. Ceci, donc, est l'opinion qu'ils exprimaient sur lavérité, et telles sont les raisons qui les conduisaient à penserainsi. Or, pour autant que les arguments valent, cette conclu-sion semble suivre; mais, si nous en appelons aux faits, soute-nir pareille opinion parait folie. Il n'est pas un fou hors desens à ce point que le feu et la glace lui semblent n'être qu'unemême chose ; entre les choses seulement qui sont correctes etles choses qui paraissent correctes par habitude, la folie faitque certaines gens ne voient pas de différence.
Leucippe, cependant, pensait qu'il avait une théorie en har-monie avec la perception sensible, et ne supprimait ni la nais-sance, ni la destruction, ni le mouvement, ni la multiplicité deschoses. Il faisait celle concession à l'expérience, tandis qu'ilconcédait, d'autre part, à ceux qui imaginèrent l'Un que lemouvement était impossible sans le vide, que le vide n'était pasréel, et que rien de ce qui était réel n'était irréel. «Car, disait-il, ce qui est réel strictement parlant est un absolu plénum,mais le.plénum n'est pas un. Au contraire, il y en a un nombreinfini, et ils sont invisibles grâce à la petitesse de lenrs dimen-sions. Ils se meuvent dans le vide (car il y a un vide) ; et parleur réunion, ils produisent la naissance, par leur séparation,la destruction. »
Il est vrai que Zenon et Mélissos ne sont pas nommésdans ce passage, mais l'allusion à leur théorie est évidente.
L'argument de Zenon contre les Pythagoriciens est claire-ment donné; et Mélissos était le seul Eléate qui tînt laréalité pour infinie, point qui est directement mentionné.Nous sommes donc justifiés par le langage d'Aristote à
expliquer comme suit la genèse de l'Atomisme et son rap-port avec l'EIéatisme. Zenon avait montré que tous les
systèmes pluralistes jusqu'alors connus, et spécialement lePHILOSOPHIEGRECQUE 25
386 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
Pythagorisme, étaient incapables de résister aux arguments
qu'il tirait de l'infinie divisibilité. Mélissos avait usé dumême argument contre Anaxagore, et-avait ajouté, parvoie dé réduction à l'absurde, que s'il y avait plusieurschoses, chacune d'elles devait être telle que les Eléates sou-tenaient qu'était l'Un. A cela, Leucippe répond : « Pour-
quoi pas? » Il admettait la force des arguments de Zenon enmettant une limite à la divisibilité, et à chacun des atomes
auxquels il arrivait ainsi, il attribuait tous les prédicats del'Un éléate ; car Parménide avait montré que si cela est,cela doit avoir ces prédicats d'une manière ou de l'autre.La même opinion est impliquée dans un passage de la
Physique d'Aristote 1. « Quelques-uns, nous dit-on, se
pliaient aux deux arguments, au premier, l'argument quetoutes choses sont une, si le mot est est employé dans unsens seulement (Patménide), en affirmant la réalité de ce
qui n'est pas ; au second, celui qui est basé sur la dicho-
tomie (Zenon) en introduisant des grandeurs indivisibles.»
Finalement, c'est seulement en envisageant la question de
cette manière que nous pouvons attacher un sens à une
autre déclaration d'Aristote, selon laquelle Leucippe et
Démocrite, aussi bien que les Pythagoriciens, faisaient
virtuellement naître toutes choses des nombres 3. Leucippe,en fait, donnait aux monades pythagoriciennes le carac-
tère de l'Un parménidien.
CLXXIV. - ATOMES.
Nous devons observer que l'atome n'est pas mathémati-
quement indivisible, car il possède une grandeur; il est
cependant indivisible physiquement parce que, pas plus
»Arist. Phys. A, 3. 187a 1 (R.P. 134ft; DV19A22).»Arist. de Coelo,F, 4. 303a 8 (DV54A 15): Tpoitovfip ttvaxatoutot
(AIÛXIKKOÇxat Ai)pôxpttoc)ttâvtata ôvtaitotoOoivdpiOfioù;xatc£àptôpdiv.Cecicontribueaussià expliquerl'intentionqu'a pu avoir Héracildeenattribuant la théorie des 07x01corporels au PythagoricienEkphantosde Syracuse.Voir plus haut, p. 336,n. 1.
LEUCIPPEDE MILET 387
que l'Un de Parménide, il ne renferme d'espace vide 1.Toutatome est doué d'étendue, et tous les atomes sont exacte-ment pareils en substance'. C'est pourquoi toutes lesdifférences qu'offrent les choses doivent être expliquéessoit par la forme des atomes, soit par leur arrangement.Il semble probable que les trois modes dont se produisentles différences, à savoir la forme, la position et l'arrange-ment, étaient déjà distingués par Leucippe, car Aristotementionne son nom à leur propos*. Ceci explique aussi
pourquoi les atomes sont appelés «formes » ou « figures »,manière de parler qui parait être d'origine pythagori-cienne*. Qu'ils soient aussi appelés yjcrrç *, cela se com-
prend fort bien, si nous nous rappelons ce que nous avonsdit de ce mot dans l'introduction (§ VII). Les diffé-rences de forme, d'ordre et de position dont nous venonsde parler visaient à rendre compte des « oppositions », les« éléments » étant regardés plutôt comme des agrégatsd'atomes (irocvsirepu/ai), comme par Anaxagore*.
*Les Epicuriensse sont méprissur ce point ou l'ont présentésousan jour fauxafind'exalterleur originalitépropre(voirZeller,p. 857,note3).
1Arist. deCeelo,A,7.275b 32(DV54A 19): TTJViï <j>ûsivttvat «paatv«ùtûvptav;Phys. T,4. 203a 34(DV55A41): aùttjî(Ai^oxpittu)tô xotvôvcwjiattâvtuvtst'tvàpx^-
»Arist.Met.A, 4.985b 13(R. P. 192; DV54A6); cf. de Gcn.Corr.315b6 (DV54A9). Ainsique le suggèreDiels, l'illustration par leslettres de l'alphabetest probablementdue à Démocrite.Elle montre,en tout cas, commentle mot otoix*toven vint à être employépour«élément». Il faut lire, avecWilamowitz: tô SiZto3IIdtsetau lieudetô îè Z toù N 9t3ct,l'ancienneformede la lettre Z étant justementunH couchésur le côté(Diels,Elementum,p. 13,n. 1).
* Démocriteécrivitun ouvragelïcpîtStûv(Sext.Math.VII,137; R.P.204;DV55R6-8).queDielsidentifieavecle ITepttûv îtacpepovrcuvp'wfiûvde Thrasyle,Tetr.V, 3. Théophrasterenvoieà Démocriteiv toî«neptt»v eîSûv(deSensibns.§'51; DV55A 135).Plut.adv. Col.1111a (DV55A57: iî\ai Si nâVrata; àtôuoue,îSéaçûit' aùtoOxaXo\>at>a{(leçondesMSS;îîtojç,Wyttenbach;<IJ> Mat,Diels); Arist.Phys.T, 4.203a 21(DV46A45)(:(iijpoxpitoc)txtJ)ïitavoitep{iîa(T&Voj(t)udlt(uv(aitctpaitotttta•totx*ta).Cf.deGen.Corr.A,2.315b 7 (R.P. 196;DV54A9)
*Arist.Phys. 8. 9-265b 25 (DV55A58); Simpl.Phys.p. 131S,33(DV55B 168): taO-afàp (ta âto(iaeûpata)txetvotcpôoivcxâXouv.
*Simpl.Phys. p. 36,1 (DV54A 14)et R.P. 196a.
388 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
CLXXV. — LE VIDE.
Leucippe affirmait l'existence à la fois du Plein et du
Vide, termes qu'il peut avoir empruntés à Mélissos'.Comme nous l'avons vu, il devait admettre l'existence de
l'espace vide, que les Eléates avaient niée, afin de rendre
possible son explication de la nature du corps. Ici encore,il développe une opinion pythagoricienne. Les Pythagori-ciens avaient parlé du vide qui sépare les unités, mais ilsne l'avaient pas distingué de l'air atmosphérique (§ 53),
qu'Empédocle avait montré être une substance corporelle(§ 107). Parménide, en vérité, s'était fait une conceptionplus claire de l'espace, mais seulement pour en nier la réa-lité. Leucippe partit de là. Il admit, sans doute, que l'espacen'était pas réel, c'est-à-dire corporel, mais il maintint qu'iln'en existait pas moins. Il n'avait guère de mots, il est
vrai, pour exprimer sa découverte; car le verbe «être»n'avait jusqu'alors été employé par les philosophes qu'enparlant de corps. Mais il fit de son mieux pour rendre sa
pensée claire en disant que « ce qui n'est pas » (au vieuxsens corporatiste) « est » (en un autre sens) tout autant
que « ce qui est ». Le vide est aussi réel que les corps.Chose curieuse : les Atomistes, qui sont communément
regardés comme les grands matérialistes de l'antiquité,furent en fait les premiers à dire expressément qu'unechose peut être réelle sans être un corps.
CLXXVI. — COSMOLOGIE.
Il pourrait sembler que c'est une tâche désespérée quede dégager la cosmologie de Leucippe de celle de Démo-crite, avec laquelle elle est généralement identifiée; maisce fait même nous fournit un point d'appui d'une valeur
inappréciable. Pour autant que nous le savons, personne
»Arist. Met.A, 4.985b 4 (R.P. 192; DV54A6). Cf.Mélissos,frg. 7vers la fin.
LEUCIPPEDE MILET 389
n'était à même, après Théophraste, de distinguer les
doctrines des deux hommes, et il en résulte que toutes lesindications précises que l'on trouve dans les écrivains
postérieurs sur Leucippe doivent, en définitive, lui être
rapportées. Si nous nous basons sur ce principe, il nous
sera possible de donner un exposé satisfaisant du système,et nous rencontrerons même quelques opinions particu-lières à Leucippe, et qui ne furent pas adoptées par Démo-
crite 1.Nous partirons de la plus complète des deux doxogra-
phies que l'on trouve dans Diogène, doxographie qui pro-vient d'un abrégé de Théophraste*. En voici la traduc-tion :
Il dit que le Tout est infini, et qu'il est en partie plein, enpartie vide. Ces parties (le plein et le vide) sont, dit-il, les élé-ments. D'eux naissent et en eux se résolvent des mondesinnombrables. Les mondes se font de la manière suivante. Ungrand nombre de corps présentant toutes sortes de figures vol-tigent, par suite de leu r* séparation de l'infini», dans un «videimmense », et, réunis ensemble, produisent un seul tourbillon.Dans ce tourbillon, quand ils entrèrent en collision les uns avecles autres, et furent mus en cercle de toutes les manières pos-sibles, ceux qui étaient pareils se séparèrent des autres et seréunirent à leurs pareils. Maiscomme ils n'étaient plus en étatde se mouvoir en équilibre à cause de leur multitude, les pluslins d'entre eux passèrent dans le vide extérieur comme à tra-vers un crible ; les autres restèrent réunis, et s'entrelaçant lesuns avec les autres, ils tendirent ensemble vers le bas et formè-rent une première construction sphérique. Celle-ci était ana-logue, quant à sa substance, à une membrane ou à une peaucontenant en elle-même toutes les espèces de corps. Et commeces corps étaient mus circulairemcnt en tourbillon, la mem-brane enveloppante s'amincit par suite de la résistance duCentre, parce que les corps contigus continuaient à confluer àcause du contact avec le tourbillon. Et de cette manière naquitla terre, du fait que les choses qui avaient été portées vers le
»Cf.Zeller,Zu Leukipput,(Arch.XV,p. 138).1Diog.IX,31sq. (R.P. 197,197c). Cepassagetraite expressémentde
Leucippe,et non de Démocriteou deaLeucippeet Démocrite».Surladistinctionentre les doxographiescsommaireBet «détaillée» qui setrouventdansDiogène,voirAppendice115.
390 L'AUROREDELAPHILOSOPHIEGRECQUE
centre y restèrent. En outre, la membrane enveloppante futaccrue par la séparation ultérieure de corps venus de l'exté-rrieur, et comme elle était elle-même entraînée en un tourbillon,elle prit possession de toutes les choses avec lesquelles elleétait entrée en contact. Quelques-unes de celles-ci s'étant entre-lacées, produisirent une construction qui, au premier abord,était humide et vaseuse ; mais quand elles curent été séchéeset qu'elles se mirent à tourner avec le tourbillon qui entrainpitl'ensemble, elles s'enflammèrent et produisirent la substa .redes corps célestes. Le cercle du soleil est le plus extérieur,celui de la lune est le plus rapproché de la terre, et ceux de*autres [astres] sont entre les deux. Et tous les corps célestes sontenflammés à cause de la rapidité de leur mouvement, tandisque le soleil est aussi enflammé par les étoiles. Mais la lune nereçoit qu'une petite portion de feu. Le soleil et la lune sontéclipsés... (Et l'obliquité du zodiaque est produite) par le faitque la terre est inclinée vers le sud ; et ses parties septentrio-nales ont constamment de la neige et sont froides et gelées. Etle soleil est éclipsé rarement, et la lune continuellement, parceque leurs cercles sont inégaux. Et de même qu'il y a des nais-sances du monde, il y a des croissances et des disparitions envertu d'une certaine nécessité, sur la nature de laquelle il nedonne aucune explication claire.
Comme ce passage vient, en substance, de Théophraste,on doit y voir un exposé fidèle de la cosmologie de Leu-
cippe, et il est d'ailleurs confirmé d'une manière intéres-sante par certains extraits épicuriens de Grand DiakosmosKToutefois ces derniers donnent, comme il est*iiaturel, untour nettement épicurien à quelques-unes des doctrines, etne doivent, par conséquent, être utilisés qu'avec précau-tion.
CLXXVII. — RAPPORTSAVECLA COSMOLOGIEIONIENNE.
L'impression générale que l'on relire de la cosmologiede Leucippe, c'est qu'il ignorait le grand progrès dû auxderniers Pythagoriciens dans la conception générale dit
• Ces extraits se trouvent dans Aét.1,4 (Dox.p. 289;DV54A 24;Uscner,Epicurea,frg.308).Kpicurclui-même,dans sa secondeépître(Diog.X, 88; Uscner,p. 37,7)cite la phrase ônotopîjvlyovsaditô t«»dtttîpO'j.
LEUCIPPEDE MILET 391
monde, et qu'il n'en avait peut-être jamais entendu parler.Il est aussi réactionnaire dans le détail de sa cosmologiequ'il était hardi dans sa théorie physique générale. Il sem-
ble, à le lire, qu'on lise une fois de plus les spéculationsd'Anaximène ou même d'Anaximandre, quoiqu'on y ren-contre aussi des traces d'Empédocle et d'Anaxagore. L'ex-
plication n'est pas difficile à trouver. Leucippe ne pouvaitapprendre une cosmologie de ses maîtres eléates, et pourréussir à en construire une sans abandonner la conceptionparménidienne de la réalité, il se vit contraint de reveniren arrière jusqu'aux systèmes plus anciens de l'Ionie. Lerésultat fut malheureux. L'astronomie de Démocrite, pourautant que nous la connaissons, présentait, elle aussi, cecaractère enfantin. Car il n'y a pas de raison de douter dece que nous dit Sénèque, à savoir que l'Abdéritain ne se
hasardait pas à dire combien il y avait de planètes 1.C'est là, à mon sens, ce qui rend plausible l'opinion de
Gomperz, que l'Atomisme était « le fruit mûr tombé del'arbre cultivé par les anciens philosophes naturalistes del'Ionie ». La cosmologie détaillée était certainement un
fruit de celle nature, et peut-être était-il d'une maturité
trop avancée; mais la théorie atomique proprement dite,dans laquelle se révèle la réelle grandeur de Leucippe,était entièrement éléate dans son origine. Néanmoins ce nesera pas perdre notre peine que d'examiner aussi la cos-
mologie, car cet examen nous permettra, mieux que touteautre chose, de faire voir la vraie nature de l'évolution
historique dont elle a été l'aboutissement.
CLXXVIII. — LE MOUVEMENTÉTERNEL.
Leucippe représentait les atomes comme ayant toujoursété en mouvement. Aristote exprime cela à sa manière.« Les Atomisles, dit-il, ne se sont « pas donné la peine »
<Sénèque,Qtitcst.Sal. VII,3 (DV55A92).1Gomperz.Penseursde la Grèce,I, p. 341.
392 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
d'expliquer l'origine du mouvement, et ils n'ont pas dit de
quelle nature il était. En d'autres termes, ils n'ont pasdécidé s'il y avait un c mouvement naturel », ou un mou-vement imprimé aux atomes « contrairement à leurnature 1». Le Stagirite allait même jusqu'à dire qu'ils enfaisaient quelque chose de « spontané », remarque qui adonné lieu à l'opinion erronée que, selon eux, il était dûau hasard*. Aristote ne dit pas cela cependant ; mais seu-lement que les Atomistes n'expliquaient le mouvement desatomes d'aucune des manières par lesquelles il expliquaitlui-même le mouvement des éléments. Ils ne leur attri-buaient ni un mouvement naturel analogue au mouvementcirculaire des cieux et au mouvement rectiligne des quatreéléments dans la région sublunaire, et ils ne leur donnaient
pas non plus un mouvement forcé, contraire à leur nature
propre, comme le mouvement de bas en haut qui peut être
imprimé aux éléments lourds et le mouvement de haut enbas qui peut être imprimé aux légers. Le seul fragment de
Leucippe qui ait survécu est une négation expresse duhasard. « Rien n'arrive pour rien, disait-il, mais chaquechose arrive pour une cause et par nécessité » *.
Si nous représentons la chose historiquement, tout cela
signifie que Leucippe ne jugeait pas nécessaire, comme
Empédocle et Anaxagore, de supposer une force qui donnenaissance au mouvement. Il n'avait pas besoin de l'Amouret de la Haine, ou du Nous, et la raison en est claire.
Quoique Empédocle et Anaxagore eussent essayé d'expli-quer la multiplicité et le mouvement, ils n'avaient pas
>Arist. Phys. 9, 1, 252u 32 (R. P. 195a, DV55A56); de CKIOl\ 2.300b 8 (R. P. 195; DV64A 16);Met.A, 4. 985b 19 (R. P. ibid.; DV54A 6).
* Arist. Phys. R, 4. 196a 24 (R. P. 195rf; DV55 A 69). Cicérou.deNat. D. I, 24, 66 (R. P. ibid. DV54A 11). Ce dernier passage est lasourcede l'expression«concours fortuit» (concurrere= empigtiv).
*Aét. I, 25,4 (Dox.p. 321; DV54R 2): Atu'xiitnoîndvta xat dvâvxirv,rnvS'aùtJjvOndpx«ivtt(iap|Wvi]v.XJytt yàpli ttjîIltplvoû"OùîlvXPty*1***1*•nyvitat,dXXàitâvtatx Xo^outi xal in' dvayxijç.
LEUCIPPEDE MILET 393
brisé aussi radicalement que Leucippe avec l'Un parméni-dien. Tous deux partaient d'un état de la matière où les« racines » ou « semences » étaient mélangées de façon à
être « toutes ensemble », et il leur fallait par conséquentquelque chose pour rompre cette unité. Leucippe, qui par-tait, pour ainsi dire, d'un nombre infini d' « Uns » parmé-nidiens, n'avait besoin d'aucun agent extérieur pour les
séparer. Ce qu'il avait à faire était justement le contraire.Il avait à fournir une explication de leur réunion, et rienne pouvait l'empêcher de retourner à la vieille et naturelleidée que le mouvement ne nécessite aucune explication dutout 1.
Voilà donc ce qui parait résulter des remarques criti-
ques d'Aristote et de la nature du cas ; mais on observera
que cela ne s'accorde pas avec l'opinion de Zeller, d'aprèslequel le mouvement primordial des atomes est une chuteà travers l'espace infini, comme dans le système d'Epicure.Cette opinion dépend évidemment d'une autre, à savoir
que les atomes sont doués de pesanteur, et que la pesan-teur est la tendance des corps à tomber, de sorte que nousavons maintenant à examiner si, et dans quel sens, la
pesanteur est une propriété des atomes.
CLXXIX. — LA PESANTEURDESATOMES.
C'est une chose bien connue que, pour Epicure, lesatomes étaient naturellement pesants, et qu'en consé-
quence ils tombaient continuellement dans le vide infini.
Toutefois, si l'on en croit la tradition de l'école, la a pesan-teur naturelle» des atomes fut une adjonction faite parEpicure lui-même au système atomique primitif. Démo-,crite, nous dit-on, assignait aux atomes deux propriétés,la grandeur et la forme, auxquelles Epicure en ajouta une
troisième, la pesanteur '. D'autre part, Aristote dit expres-
>Introd.§ VIII.-*Aét. I, 3, 18 (DV55A 47,parlant d'Epicure): wtftfatl'm SI toi;
394 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
sèment quelque part que, selon Démocrite, les atomesétaient plus pesants « en proportion de leur excès », ce
qui semble devoir être expliqué par une indication de
Théophraste, à teneur de laquelle Démocrite faisait dépen-dre le poids de la grandeur 1. On observera que, mêmedans celte alternative, la pesanteur n'est pas représentéecomme une propriété primordiale des atomes au mêmetitre que la grandeur.
Il est impossible de résoudre cette apparente contradic-tion sans retracer brièvement l'histoire des idées grecquessur la pesanteur. Il est clair que la légèreté et la pesanteursont, parmi les propriétés primordiales des corps, les pre-mières à devoir clairement être reconnues comme telles.La nécessité de soulever des fardeaux doit avoir très viteamené les hommes à les distinguer, quoique, sans doute,sous une forme primitive et plus ou moins animique.Pesanteur et légèreté doivent avoir été tenues pour deschoses contenues dans les corps. Et c'est un trait remar-
quable /de la philosophie grecque primitive que, dès
l'abord, elle ait été capable de se libérer de cette idée. Ellen'a jamais parlé de la pesanteur comme d'une «chose»,au contraire de ce qui arrive, par exemple, pour la chaleur
0(ô(iasttpta taOta, oy^a, p.éye8oc,pâpoç.Aijjiôxpttoçp-tvyàp lllft dû»,pift&ôctt xat oytt]xa,o 81Tïitîxovpoetoûtotcxal tpttovââpocitpoaé&ijxtv/àvaptijydp,çijoî,xmto9atta otlpataTÇtoO0dpoyî«X^YÀ'*Tttl(«car autre-ment») ouxtvqd/jOttat;ibid. 12,6. Atjpôxpitoîta «pffitd<p»)3taûpata,taOta&Vvta vaatâ,fidpotulvoùxtytiv,xtviîa&aiil xat dXXiiXotuXÎavtv t<ûànttptu.Cic.de Pair 20: nvim motus hahebant(atomi)a Democritoimpulsio-nis quam plagamillc appcllat, a te, Epicure, gravitatis et ponderis.»-Os passagesreprésentent la tradition de l'école épicurienne,qui seserait difficilementrisquée à travestir Démocritesur un point aussiimportant. Ses oeuvresétalentencoreaccessibles.Il est confirmeparla tradition académique(de Fin. I, 17),que Démocriteenseignaitqueles atomesse mouvaientc in infinitoinani, in quo nlhil nec summumnec inflmumnecmédium necextremumsit. » Cettedoctrine,nousdit-on, fut t dépravée» par Epicure.
i Arist, deGen.Corr.326a 9(DV65A 60): xaîtotPapJ-tpévft xatàrijvûn«poxr,vtpTjstvtlvatAqjiôxpttocIxaetovtùwàîtatpftiov.Je ne puis croireque cela signifieautre choseque cequedit Théophrastedans son frag-ment sur la sensation, | 61(R.P. 199; DV55A 135): flapi ulv ouvxalxoOfovt<5ucytlmetatpetAijpixpttOi;.
LEUCIPPEOE MILET 395
et le froid; et, pour autant que nous pouvons nous enrendre compte, aucun des penseurs que nous avonsétudiés jusqu'ici n'a jugé nécessaire d'en donner une
explication quelconque, ni même d'en dire n'importequoi *. Les mouvements et les résistances que la théorie
populaire attribue à la pesanteur sont tous expliqués de
quelque autre manière. Aristote déclare expressémentqu'aucun de ses prédécesseurs n'avait rien dit de la pesan-teur et de la légèreté absolues, et qu'ils n'avaient traité
que de ce qui est relativement léger et pesant '.Cette manière d'envisager les notions populaires de
pesanteur et de légèreté est évidemment formulée pour la
première fois dans le Timée de Platon '. Il n'y a, y lisons-
nous, aucune chose dans le monde telle que « haut » ou« bas». Le milieu du monde n'est pas «bas », mais «justeau milieu», et il n'y a aucune raison pour qu'un pointquelconque de la circonférence soit dit être « au-dessus»ou « au-dessous » d'un autre. C'est, en réalité, la tendancedes corps vers leurs semblables qui fait que nous quali-fions de pesant un corps qui tombe, et le lieu où il tombede «bas». Dans ce passage, Platon exprime réellement
l'opinion que professaient plus ou moins consciemmentses prédécesseurs, et qui ne fut mise en question qu'àl'époque d'Aristote 4. Pour des raisons qui ne nous concer-
1DansAet. I, 12,où sont donnésles placita relatifs au lourd et au'léger, il n'est cité aucuu philosopheantérieur à Platon. Parménide(frg.8, 59)parlede l'élémentsombrecommet(i£ptdlc.Je ne crois pasqu'il y ait, dans les fragmentsdes philosophesprimitifs,aucunautrepassageoùsoit seulementmentionnéela pesanteur.
*Artst.deCtvloA,1.308a 9 : -ntp't(m o-îvtû>vôitXôîXtyop.tvwv(jfapicuvxalxoûtptnv)OJÎIVt'pTjtatr.apàtflivttpittpcv.
»Platon, Tint.61c 3 sq.*Zeller dit (p. 876)que personne,dans l'Antiquité,n'a jamais com-
pris par pesanteurautre choseque la propriétéen vertu de laquellelescorps semeuventde haut en bas, si.een'est que dans les systèmesqui représententtouteslesformesde lamatièrecommecontenuesdansune sphère, le ahaut»est identifiéavecla circonférenceet le «bas »avecle centre. Tout ce que je puis dire, à cet égard,c'est qu'aucunethéorie pareille de la pesanteurne se trouvedans les fragmentsdes
396 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
nent pas ici, il identifia définitivement la circonférence descieux avec le « haut » et le centre du monde avec le « bas »et dota les quatre éléments de pesanteur et de légèreténaturelles, afin qu'ils pussent accomplir entre eux leursmouvements rectilignes. Comme, cependant, Aristote
croyait qu'il n'y avait qu'un monde, et comme il n'attri-buait pas la pesanteur aux cieux proprement dits, l'effet deeette théorie réactionnaire sur son système cosmique nefut pas grand ; ce ne fut que lorsqu'Epicure essaya de lacombiner avec le vide infini que son vrai caractère semanifesta. Il me semble que le cauchemar de l'Atomisme
épicurien ne peut s'expliquer qu'en admettant qu'une doc-trine aristotélicienne fut adaptée de force à une théorie
qui l'excluait en réalité '. Il est totalement différent de toutce que nous rencontrons dans les temps primitifs.
Ce bref coup d'oeil historique fait immédiatement recon-naître que c'est dans le tourbillon seul que les atomes
acquièrent pesanteur et légèreté*, lesquelles ne sont aprèstout que les noms populaires de faits dont l'analyse peutêtre poussée plus loin. Leucippe soutenait, nous dit-on,
qu'un des effets du tourbillon fut de rapprocher les atomessemblables de leurs semblables*. Il nous semble voir,
philosophes primitifs, et ne leur est attribuée où que ce soit; bienmieux: Platon dit expressémentle contraire.
1Les critiques aristotéliciennesqui peuventavoir influencéEpicuresont du genre de cellesque nous trouvons dans de Cxlo A,7. 275b 29sq. (DV54A19).Aristotey soutient que, du moment que LeucippeetDémocriteattribuaient aux atomes une çûatçunique, ils étaient forcésde les doter d'un mouvementunique aussi. C'est justement ce que fitEpicure,mais l'argument d'Aristote implique que Leucippeet Démo-crite ne le firent pas. Quoiqu'ilattribuât la pesanteurauxatomes,Epi-cure ne pouvait pas admettre l'opinion d'Aristote, que certains corpssont naturellementlégers.L'apparencede la légèretéest due à l'Ix&Xcjx;,•u pression exercéesur les plus petits atomes par les plus grands.
1 En traitant d'Empédoclc,Aristote fait expressémentcette distinc-tion. Cf.de Ctelo,R, 13et spécialement295a 32 sq., où 11fait ressortirqu'Empcdoclene rend compte ni de la pesanteur des corpssur la terre(oùfàpîj ift 2îvi]icXt]«tdCtt*poc^p-*0>n' ^e la légèretédescorps avant lanaissancedu tourbillon (nplvyivîoôattf,v î(vj)v).
»Diog.loc. cil. (p. 389).
LEUCIPPEDE MILET 397
dans cette manière, de parler, l'influence d'Empédocle,
quoique la c similitude» soit d'une autre nature. Ce sontles atomes les plus petits qui sont projetés vers la circon-
férence, tandis que les plus gros tendent vers le centre.
Nous pouvons exprimer cela en disant que les plus grossont lourds et les plus petits légers, et cela rend ample-ment compte de tout ce que disent Aristote etThéophraste,car il n'existe aucun passage dans lequel les atomes soient
nettement qualifiés de lourds ou de légers en dehors du
tourbillon*.Il y a une confirmation frappante de l'opinion que nous
venons d'exprimer dans la cosmologie atomiste citée plushaut '. On y lit que la séparation des atomes les plus grandsd'avec les plus petits fut due au fait qu'ils «n'étaient
plus capables de se mouvoir en équilibre à cause de
leur nombre», ce qui implique qu'ils avaient précédem-ment été dans un état d'«équilibre» ou d'«équipoids». Orle mot içopponCxn'implique pas nécessairement en grecl'idée de poids. Une pom^ est une simple tendance dansune certaine direction, tendance qui peut résulter du poidsou de quelque autre chose. L'état d'ioopponfx est donccelui dans lequel la tendance dans une direction est exac-tement égale à la tendance dans n'importe quelle autre, etun tel état est plus naturellement défini absence de pesan-teur que présence de pesanteurs opposées se neutralisantles unes les autres. Cette dernière manière de voir peutêtre utile du point de vue de la science postérieure, maisil serait imprudent de l'attribuer aux penseurs du Vmesiècleavant J.-C.
Si nous cessons de regarder le « mouvement éternel » des
»Telle paraît être pour l'essentiell'opinionde Dyroff,Demokrit-tludien(1899),p.31sq., maisje nediraispascommelui quela légèretéet la pesanteurne prirent naissancequepar la connexiondes atomesavecla terre (p. 35).SI au mot «terre» nous substituonscelui decmonde»,nousseronsplus prèsde la vérité.
*Voirplushaut, p. 389.
398 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
atomes antérieurement et «extérieurement au monde commedû à leur pesanteur, il n'y a pas de raison de le définircomme une chute. En fait, av.cune de nos autorités ne ledéfinit de cette manière, et elles ne nous disent pas non
plus ce qu'il était. Le plus sûr est de dire que c'est un mou-vement confus de ci et de là 1. Il est possible que la com-
paraison du mouvement des atomes de l'àme avec celuides particules qui s'agitent dans le rayon de soleil quitraverse la fenêtre, comparaison qu'Aristote attribue à
Démocrite', eût réellement pour but d'illustrer le mouve-ment originel des atomes, qui survit encore dans l'àme.Le fait que c'est aussi une comparaison pythagoricienne
*
ne prouve rien là contre ; car nous avons vu qu'il y a uneconnexion réelle entre les monades pythagoriciennes et lesatomes. Il est significatif aussi que le centre de la compa-raison parait avoir été cette circonstance que les particulesse meuvent dans le rayon de soleil même quand il n'y a
pas de vent, de sorte que ce serait en vérité une illustra-
tion tout à fait adéquate du mouvement inhérent auxatomes en dehors des mouvements secondaires produitspar le choc et la collision. Ceci, toutefois, n'est que problé-matique et a pour seul objet de suggérer la sorte de mou-
1Cette opinion a été émise indépendamment l'un de l'autre parBrieger(Die UrbewegungderAtomeund die WeltenlstehungbelLeucippund Demokrit,1884),et par Liepmann (Die Mechanik der Leucipp-DemokrilischenAtome,1885),mais tous deuxont affaiblisans nécessitéleur positionen admettant que la pesanteur est une propriété primor-diale des atomes.D'autrepart, Briegernie que la pesanteur des atomessoit la causede leur mouvementoriginel, tandis que, selon Liepmann,il n'y a, antérieurement au tourbillon, et en dehors de lui, qu'unepesanteur latente, une Pseudosehwere,qui n'entre en action que dansle monde. H est sûrement plus simple de dire que, du moment quecette pesanteur ne produit aucun effet, elle n'existe pas encore. Zellersoutient avecraison contre Briegeret Liepmannque si les atomessontdouésde pesanteur, ils doivent tomber, mais, autant que je puis voir,rien de ce qu'il dit ne va à ('encontre de leur théorie, telle que je l'aiamendée. Gomperzadopte l'explication Brleger-Liepmann.Voir aussiLortzlng,Jahresber., 1903,p. 136sq.
« Arist. de An. A,2.403b 28sq. (R.P. 200;DV64A 28).» Ibid. A, 2. 404a 17(R. P. 86a ; DV45B40).
LEUCIPPEDE MILET 399
vement qu'il est naturel de supposer que Leucippe attri-
buait à ses atomes.
CLXXX. — LE TOURBILLON.
Mais que dire du tourbillon lui-même, qui produit .ceseffets ? Gomperz fait remarquer qu'ils paraissent être pré-cisément « le contraire de ce qu'ils doivent être selon leslois de la physique»; car, « ainsi que peut le faire voir toutemachine centrifuge, ce sont les substances les plus lourdes
qui sont projetées à la plus grande distance1». Devons-nous supposer que Leucippe ignorait ce fait, qui était
connu à Anaxagore, quoique Gomperz suppose — à tort —
qu'il y a quelque raison de croire qu'Anaximandre en
tînt compte '. Or nous savons par Aristote que tous ceux
qui expliquaient la situation de la terre au centre du
monde au moyen d'un tourbillon invoquaient l'analogiedes.tourbillons de vent ou d'eau *, et Gomperz suppose quela théorie tout entière était une généralisation erronée de
cette observation. Si nous examinons la question de plus
près, nous verrons, je pense, qu'il n'y a pas d'erreur du
tout.Nous devons nous rappeler que toutes les parties du
tourbillon sont en contact, et que c'est justement par cecontact (lirn|aoar<), que le mouvement des parties exté-
rieures est communiqué à celles qui se trouvent à l'inté-
rieur. Les corps les plus grands sont plus capables que les
plus petits de résister au mouvement ainsi communiqué,et c'est pourquoi ils se dirigent vers le centre, où le mou-
vement est moindre, et poussent les plus petits vers la
circonférence. Cette résistance est sûrement YwripMtc,
>Gomperz,Penseursde la Grèce,l, p. 356.*Sur Empédocle,voirchap.V,p. 271; sur Anaxagore,voirchap.VI,
p. 310,et sur Anaximandre,chap.1, p. 69, n. 1.*Arist.de Ctelo,B, 13.295a 10: taûtnvyàptîjvaîtlav(se. tiivStvijetv)
«dvticXtfovtstvix tûv ivtoTciypotexalitipt tôv dfpa3\>|i|3aivôvtu>vii toû-totçjàp dtl f Ipitat ta utlÇtoxatta fiapûtipanp&cti plaovtS)çêtvije.
400 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
TOÛp&ou dont il est fait mention dans la doxographiede Leucippe 1, et elle est en parfait accord avec ce point dela théorie atomique, d'après lequel la révolution d'un
corps céleste est d'autant plus lente qu'il est plus rappro-ché du centre '. Il n'est pas question du tout ici de « force
centrifuge », et l'analogie des tourbillons d'air et d'eau esttout à fait satisfaisante.
CLXXXI. — LA TERREET LESCORPSCÉLESTES.
Si nous en venons aux détails, le caractère réactionnairede la cosmologie atomiste est manifeste. La terre a laforme d'un tambourin et flotte sur l'air *. Elle est inclinéevers le sud parce que la chaleur de cette région rend l'air
plus fin, tandis que la glace et le froid du nord le rendent
plus dense et plus capable de supporter la terre '. Voilà
qui rend compte de l'obliquité du zodiaque. De même
qu'Anaximandre (§ 19), Leucippe soutenait que le soleilétait plus éloigné que les étoiles, quoiqu'il fût aussi d'avis
que celles-ci étaient plus éloignées que la lune*. Ceci porteà croire qu'il ne distinguait pas clairement entre les pla-nètes et les étoiles fixes. Il parait toutefois avoir connu lathéorie des éclipses, telle que l'avait donnée Anaxagore '.Les quelques autres renseignements qui nous sont parve-
1Diog.IX, 32. Cf.en particulier les phrases : «Svxatà trjv to5 (ilaoudvttpttsiviceptStvou|i(vu>v,a-j;i|ievovta>vdt't tcùva-Mtyârixat tjtî$au«ivt^«8ÎVT]Î,et eup-{itvôvtu>vtôv tvtx&ivtaiviit'ttô p.foov.
» Cf.Lucr. V,621sq.* Aet. III, 3,10, cité plus haut, p. 84,n. 4.* Act. III, 12, 1 (DV54A27): Atûxtnitocnapexmatîvtnv yîjvtic ta
|UOi)p^ptvàulpi) îià t»jvtv tote utsqp-pptvotedpatttnta, âte 8i)ntiti)fôtMvtôv fiopttuiv8tà ta xatc$&x&attoit xpupotc,tâ>vSI avtt&ttwvitinupu>p.tvo>v.
» Diog.IX, 33: tïvat lï tôvto3 ijXtouxvxXovtÇûtatov,tôvht ti)ç«IX^VIJC«posYttôtatov,<toiç îl> tâivdXXwv}itta£ùtoûtwv.
* Il ressort de Diogènetoc. cit. (plus haut, p. 390)que Leucippe *étudié la question de la plus grande fréquencedes éclipsesde lunequedes éclipsesde soleil.C'est la, semble-t-ll,ce qui le conduisit &faire lecercle de la lune plus petit que celui des étoiles.
LEUCIPPEDE IflLET 401
nus à son sujet n'ont d'intérêt que celui de montrer que,sur certains points importants, la doctrine de Leucippen'était pas identique à celle qu'enseigna plus tard Démo-
crite *.
CLXXXII. — LA PERCEPTION.
Aétius attribue expressément à Leucippe cette doctrine
que les objets de la perception sensible existent, non pas
par nature*, mais par simple «convention». Ce renseigne-ment doit provenir de Théophraste, car, ainsi que nous
l'avons vu, tous les écrivains postérieurs citent Démocriteseul. Une autre preuve de l'exactitude de cette indication,c'est que nous la trouvons aussi attribuée à Diogène
d'Apollonie qui, à ce que nous dit Théophraste, dérivait
de Leucippe quelques-unes de ses opinions. 11n'y a rien de
surprenant à cela. Parménide avait déjà déclaré que lessens étaient trompeurs, et que la couleur et les choses ana-
logues n'étaient que des « noms '», et Empédocle avait, lui
aussi, traité de simples «noms» la naissance et la destruc-
tion *. Il n'est pas probable que Leucippe allât beaucoupplus loin. On aurait sans doute tort de lui attribuer la-
claire distinction qu'établit Démocrite entre la connais-
sance vraie et la connaissance bâtarde, ou la distinction
entre ce que l'on appelle maintenant les qualités primaires
1Dielsfait ressortirque l'explicationque Leucippedonnaitdu ton-nerre (njpôç tvaitoXi]<pdivto;vfçtat navutâtotcixntu>oivts^upàvflpovtnvàitottXcTvdnoçalvttai,Aet.III, 3, 10) est toute différentede celle deDémocrite(3povtf(v.»exo-jyxptaatocdvtupidXo'jtô ittputXijtpôcaùtô vi?o(itpôctijvxdtwfopav(xjhaÇopUvoj,ibid. 11).L'explicationde Leucippeestdérivéede celled'Anaximandre,tandisque Démocriteest influencéparAnaxagore.VoirDiels,35. Phllol. Vers.97,7.
1Aet.IV,9, 8: oluivdXXotçiott ta ats&tjtd,Atûxtnno;SIAtjpôxpttocxal'AxoXXamo;vôjMp.VoirZeller,Arch.V, p. 444.
*Chap.IV,p. 203,n. 3. LeremarquableparallèlequeGomperz(p.339)cite de Galilée,et d'après lequel le goût,l'odeuret la couleurnonsténoaltro chepuri nomt, aurait dû par conséquentêtre cité pour illustrerParménideplutôtqueDémocrite.
*Voirp. 242,frg.8.
PHILOSOPHIEGRICQOB 26
402 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
et les qualités secondaires de la matièrel. Ces distinctions
supposent une théorie consciente de la connaissance, ettout ce que nous sommes fondés à dire, c'est que l'on pou-vait en trouver déjà les germes dans les écrits de Leucippeet de ses prédécesseurs. Il n'en résulte naturellement pasque Leucippe lût un sceptique, plus qu'Empédocle ou
qu'Anaxagore, dont on dit que Démocrite avait cité en
l'approuvant la remarque sur ce sujet (frg. 21 a) 9.Il semble y avoir des raisons suffisantes pour attribuer
à Leucippe la théorie de la perception par le moyend'ffôW.a ou simulacres, théorie qui joue un si grand rôledans les systèmes de Démocrite et d'Epicure*. C'est un déve-
loppement tout à fait naturel de la théorie empédocléennedes «effluences» (§ 118). Il ne paraît guère probable, cepen-dant, qu'il entrât dans de grands détails sur ce sujet, et ilest plus sûr de faire honneur à Démocrite de l'élaborationde la théorie.
CLXXXIII. — IMPORTANCEDE LEUCIPPE.
H y a, comme nous l'avons vu incidemment, de grandesdivergences d'opinion entre les écrivains récents quant àla place de l'Atomisme dans la pensée grecque. La questionqui se pose est, en réalité, de savoir si Leucippe élabora sathéorie sur ce que l'on appelle des «bases métaphysiques»»c'est-à-dire en partant de la théorie éléate de la réalité, ou
si, au contraire, elle fut un simple développement de lascience ionienne. L'exposé ci-dessus suggérera la vraie
réponse. Pour autant qu'il s'agit de sa théorie générale dela constitution physique du monde, nous avons fait voir,
>Voira ce sujet Scxt.Math. VII, 135(R. P. 204; DV55R 9).* Sext. VII, 140(DV46B21a) : «ê<jn«vap dîqXuvta f atvôptva/»,A;
fijotv'ÀvaÇavépaç,8v»nltoytwAijp.ôxptto;inatviT.* Voir Zeller, Zu Leukippos(Arch.XV,p. 138).Cette doctrine lut est
attribuée dans Aet. IV, 13,1 (Dox.p. 403;DV54A29); et Alexandre.de Sensu, p. 24, 14et et 56,10(DV64A 29)mentionne égalementsounom à ce propos. Le renseignementdoit provenir de Théophraste.
LEUCIPPEDE MILET 403
croyons-nous, qu'elle était entièrement dérivée de sourceseléates et pythagoriciennes, taudis que, dans le détail, sa
cosmologie était essentiellement une tentative plus ou moins
heureuse d'adaptation des conceptions ioniennes plusanciennes à cette nouvelle théorie physique. Dans tous les
cas, sa grandeur réside dans le fait qu'il a, le premier, vucomment le corps doit être considéré si l'on en fait l'ultimeréalité. L'antique théorie milésienne avait trouvé son
expression la plus adéquate dans le système d'Anaximène
(| 31), mais la raréfaction et la condensation ne peuventnaturellement être représentées avec netteté que par l'hypo-thèse de molécules ou d'atomes se rapprochant ou s'écar-tant dans l'espace. Parménide l'avait vu clairement (frg. 2),et ce fut le criticisme éléate qui força Leucippe à formulerson système comme il le fit. Anaxagore lui-même avaittenu compte des arguments de Zenon sur la divisibilité
(§ 128), mais son système de « semences » qualitativementdifférentes manquait de cette simplicité qui a toujours étéle principal attrait de l'Atomisme.
CHAPITRE X
ÉCLECTISME ET RÉACTION
CLXXXIV. — LA c BANQUEROUTEDE LA SCIENCE».
Notre histoire devrait, à proprement parler, se termineravec Leucippe, car il avait réellement répondu à la ques-tion posée pour la première fois par Thaïes. Nous avonsvu cependant que, quoique sa théorie de la matière fûtdes plus originales et des plus hardies, il n'avait pas été
également heureux dans sa tentative de construire une
cosmologie, et cela parait avoir empêché que la théorie
atomique fût tenue pour ce qu'elle était réellement. Nousavons noté l'influence croissante de la médecine, et la con-
séquence qu'elle eut de substituer aux vues cosmologiquesplus larges des temps primitifs l'intérêt de l'investigationdétaillée ; il y a dans le corpus hippocraticum plusieurstraités qui nous donnent une claire idée de l'intérêt quiprévalait alors '. Leucippe avait montré que « la doctrinede Mélissos '», qui semblait rendre toute science impos-sible, n'était pas la seule conclusion qu'on pût tirer des
prémisses eléates, et, allant plus loin, il avait donné une
cosmologie qui, en substance, était du vieux type ionien.Tout d'abord, le résultat fut simplement que toutes lesvieilles écoles reprirent vie et eurent une courte période
1Cf. ce que nousdisons,chap. IV, p. 138,n. 1, du Ilip'tStaîtijç.Lellip'tdv&piisoveûitocet le ITtplàp^ann;tatptxij;sont des documentsd'unevaleur inappréciablerelativementa l'attitude des hommesde scienceen présencedes théories cosmologiquesà cette date.
»Cf.chap.VIU,p. 297,n. 1.
ÉCLECTISMEET RÉACTION 405
d'activité renouvelée, tandis qu'en même temps quelquesécoles nouvelles surgirent, qui cherchèrent à concilier les
opinions plus anciennes avec celles de Leucippe, ou de les
rendre plus propres à des buts scientifiques en les combi-nant d'une manière éclectique. Aucune de ces tentatives
n'eut une importance ou une influence durables, et ce quenous avons à considérer maintenant, c'est en réalité une
des périodiques « banqueroutes de la science » qui mar-
quent la fin d'un chapitre de son histoire, et annoncent le
commencement d'un chapitre nouveau.
/. NIPPON HE SAMOS
CLXXXV. — Hippon de Samos, ou de Crotone, apparte-nait à l'école italienne de médecine'. Nous savons, en
vérité, très peu de chose à son sujet, sinon qu'il était con-
temporain de Périclès. Un scholiaste d'Aristophane* nous
apprend que Kratinos déversa sur lui ses sarcasmes dansses Panoptai; et Aristote le mentionne dans l'énumération
qu'il fait des anciens philosophes au livre I de sa Métaphy-sique *,mais seulement, il est vrai, pour dire que l'infério-rité de son esprit lui enlève toute prétention à être classé
parmi eux.
L'HUMIDITÉ.
En ce qui concerne ses opinions, l'indication la plus
précise est celle d'Alexandre, qui suit évidemment Theo-
»Aristoxène(ap. Censorin.5,2; R. P. 219a ; DV26A 1) le qualitiede Samien.Dansles Iatrika de Ménon,il est appeléCrotonlate,tandisque d'autresle fontnaître à Rhégiumou à Mctaponte.Celaveut pro-bablementdire qu'il était affiliéà l'écolepythagoriciennedemédecine.Le témoignaged'Aristoxêneest, dans ce cas, d'autant plus précieux.Hipponest mentionnéen mêmetempsque Mélissosdans le cataloguedes Pythagoriciensde Jamblique(V.Pylh. 267).
*Schol.sur Nuées.94sq.»Arist.Met.A,3.984a 3 (R.P. 219a ; DV26A7).
40(1 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
pbraste. Il en résulte que, pour Hippon, la substance pri-mordiale était l'humidité, sans qu'il se décidât entre l'eau e*l'air. Nous avons l'autorité d'Aristote et de,Théophraste *—
représentés par Hippolyte»— pour affirmer que cette théo-
rie s'appuyait sur des arguments physiologiques de l'espècecommune à cette époque. Ses autres opinions appartien-nent à l'histoire de la médecine.
Jusque tout récemment, on ne connaissait aucun frag-ment d'Hippon, mais on en a retrouvé un dans les scholies
genevoises d'Homère \ Il est dirigé contre la vieille
croyance que les «eaux sous la terre» sont une source
indépendante d'humidité, et il est conçu comme suit :
Les eaux que nous buvons viennent toutes de la mer ; car siles sources étaient plus profondes que la mer, ce ne serait pas,sans doute, de la mer que nous boirions, car alors l'eau neserait pas de la mer, mais de quelque autre source. Mais lamer est plus profonde que les eaux ; ainsi toutes les eaux quisont au-dessus de la mer en viennent. — R. P. 219 b.
Nous observons ici l'universelle croyance que l'eau tendà s'élever de la terre, et non à s'y enfoncer.
En même temps qu'Hippon, il est juste de mentionnerIdaïos d'Himéra *.Nous ne savons en réalité rien de lui,sinon qu'il tenait l'air pour la substance primordiale. Le fait
qu'il était sicilien d'origine est cependant suggestif.
//. ntOGÈNK D APOLLONIH
CLXXXVI. — SA DATE.
Après avoir étudié les trois grands représentants del'école milésienne, Théophraste poursuit :
• Alexandre,in Met.p. 26,21(R.P. 219; DV26A 6).* Hipp.Réf. I, 16(R.P. 221; DV26 A 10).1Schol.Genao.p. 197,19(DV26R 1).Cf.Die|sdans YArch.IV,p.653.
L'extrait est tiré des 'Opijpuâde Kratès de Mallos.« Sext.adv. Math.IV,360(DV50).
ÉCLECTISMEET RÉACTION 4 . 407
Ht Diogèned'Apollonic aussi, qui fut presque le dernier deceux qui se consacrèrent à ces études, écrivit la plus grandepartie de son oeuvre d'une manière éclectique, s'accordant surcertains points avec Anaxagore, et sur d'autres avec Leucippe.Lui aussi,dit que la substance primordiale de l'univers est l'Airinfini et éternel, duquel naît la forme de chaque autre chosepar condensation, raréfaction et changement d'état. — H. P,L>06u.(DV51An)'.
Ce passage montre que l'Apollouiate était un peu plusjeune que ne le ferait supposer Diogène Laërce *,d'aprèslequel il était contemporain d'Anaxagore, et le fait qu'il est
pris à partie dans les Nuéesd'Aristophane*vient à l'appui
de celte conclusion. Sur sa vie, nous ne savons autant direrien. Il était fils d'Apollothémis, et venait d'Apollonie en
Crète 4. On ne peut objecter à cela la circonstance qu'ilécrivit en dialecte ionien, car c'était le dialecte régulière-ment employé dans les ouvrages cosmologiques '.
Le fait que Diogène fut parodié dans les Nuées suggère
qu'il avait trouvé sa voie à Athènes, et nous avons l'excel-lente autorité de Démétrius de Phalère* pour dire que lesAthéniens le traitèrent comme ils avaient l'habitude de
1Surce passage,voirDiels,Isnkipposund DiogenesvonApolloniadans le Rhein.Mus., XL1I,p. 1 sq. L'opinionde Natorp(ibid.XLII,p.349sq.), d'aprèslequelnousn'aurionsici que lestermesmêmesdeSimplicius,est difficileà soutenir.
*Diog.IX,57(R.P. 206).Antisthène,l'auteurdesSuccessions,affirmeque l'Apolloniatcavait «entendu» Anaximène.Cerenseignementestdfi à la confusionhabituelle.Diogèneétait sans aucun doute,commeAnaxagore,un «associéde la philosophied'Anaximène».Cf.chap.VI.! 122.
1Aristoph.Nuées,227sq., oùSocrateparledu «mélangede sessub-tilespenséesavecl'air, lein*semblable» et cf. spécialement!es mots:7)f?ifjîçç«XzttnpôçCWXTJVtrjvîxpôîatijçfpovttîo;.Surle txpdc,voirReare,p. 259.Cf.aussiEur. Tro.884,mrfs ô}(ijpaxànlyi);tîpavt^wvx.t. X.
*Diog.IX,57(R. P. 206).»Cf.chap.VII,p. 325sq.* Diog.IX,57: toOtov«pjjotvo<t>aXi}peg(ArpT)tp;o{tvt^jïwxpa'touçâno-
Xofla6*tàptfav <p9cvovptxpoOxtvSuvtOsat'Aô^vtjuiv.Diels,adoptantunesuppositionde Volkmann,soutientque c'estlà unenotesur Anaxagoreinséréeà la mauvaiseplace.Cetteopinionne s'imposepas, à monavis,quoiquela chosesoit certainementpossible.
408 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
traiter les philosophes. Il excita contre lui une telle anti-
pathie qu'il pnt y craindre un moment pour ses jours.
CLXXXVII. — SES ÉCRITS.
Simplicius affirme que Diogène écrivit plusieurs ouvra-
ges, mais il reconnaît qu'un seul existait encore à son
époque, à savoir le Ilept yfaccoc '. Cette indication estbasée sur les références qui se trouvaient dans l'ouvragesurvivant lui-même, et l'on aurait tort de la rejeter à la
légère. Il est très croyable, en particulier, qu'il écrivit untraité Contre les Sophistes, c'est-à-dire contre les cosmolo-
gues pluralistes du jour 1. Il est très probable aussi qu'ilécrivit une Météorologie et un livre intitulé la Nature de
THomme, qui était sans doute un traité physiologique et
médical, et c'est peut-être là que se trouvait le fameux
fragment sur les veines*.
CLXXXVIII. — LES FRAGMENTS
L'ouvrage de Diogène parait avoir été conservé à l'Aca-démie ; de fait, tous les fragments un peu étendus que nous
possédons sont dérivés de Simplicius. Je les donne tels
qu'ils sont arrangés par Diels :
1, Quand on commence un discours, il faut prendre, mescniblc-t-il, pour point de départ, une chose incontestable etl'exprimer d'une manière simple et digne.— R. P. 207.
2. Ma manière de voir est, pour tout résumer, que touteschoses sont des différenciations de la même chose, et sont lamême chose. Et cela est évident, car si les choses qui sontmaintenant dans ce monde — terre, eau, air et feu et autreschoses que nous voyons exister dans ce inonde —si quelqu'une
« Simpl.Phys. p. 151,24(R. P. 207a; DV51A4).* Simplicius dit: lïpôî «pootoXôyouç,mais il ajoute que Diogèneles
appelait oo<ptotal,ce qui est le mot le plus ancien. Cefait, pour autantqu'il a de la portée, parle en faveurde l'authenticité de l'oeuvre.
3 C'estle frg.6deDiels(Vors.p. 350).Je l'ai omis, parcequ'il concerneen réalité l'histoire de la médecine.
ÉCLECTISMEET RÉACTION 409
de ces choses, dis-je, était différente de n'importe quelle autre,différente, c'est à-dire ayant une substance particulière pour elle-même; et si ce n'était pas la même chose qui est souvent chan-gée et différenciée, alors les choses ne pourraient d'aucunemanière se mélanger les unes aux autres, et elles ne pourraientnon plus se faire ' les unes aux autres ni bien ni mal. Uneplante ne pourrait pas croitre de la terre, ni un animal niaucune autre chose venir à l'existence, si toutes choses n'étalentcomposées de façon à être les mêmes. Maistoutes ces chosesnaissent de la même chose; elles sont différenciées et prennentdiverses formes en divers temps et retournent à la même chose.— R. P. 208.
3. Car il ne serait pas possible qu'il fut divisé comme ill'est, sans intelligence, de façon à garder les mesures de touteschoses, de l'hiver et de l'été, du jour et de la nuit, des pluies,des vents et du beau temps. Ht quiconque prend la peine deréfléchir trouvera que tout le reste est disposé de la meilleuremanière possible. —R. P. 210.
4. De plus, il y a encore les grandes preuves suivantes. Leshommes et les autres êtres animés vivent de l'air en le respi-rant, et c'est là leur Ame et leur intelligence, comme il seraclairement montré dans cet ouvrage ; car s'il leur est enlevé,ils meurent et leur intelligence s'éteint. —R. P. 210.
5. Ht mon opinion est que ce qui possède l'intelligence, c'estce que les hommes appellent air, et que toutes choses ont leurcours réglé par lui, et qu'il a pouvoir sur toutes choses. Carc'est cette chose précisément, que je tiens pour un dieu'; jepense qu'elle atteint partout, qu'elle dispose tout et qu'elle esten tout; et il n'y n pas une chose quelconque qui n'y participe.Toutefois, il n'est pas une seule chose qui y participe exacte-ment de la même manière qu'une autre, mais il y a bien dessortes d'air aussi bien que d'intelligence. Car il est soumis anombre de transformations : plus chaud et plus froid, plus secet plus humide, plus tranquille et en mouvement plus rapide,et il a en lui mainte autre différenciation et un nombre infinide couleurs et de saveurs. Et l'âme de tous les êtres vivants estla même, à savoir de l'air plus chaud que celui qui est en
1Les mss de Simpliciusont tftoç,et non ôtoç,maisj'adopte la cor-rection certained'Usener.Elleest confirméepar l'indicationdeThéo-phraste que l'air quiest en nousest aune petite portiondu dieu» [deSens.42;DV51A19)et par Philodème[dePiet. c 6b; DV51A8; Dox.p. 536),chez qui nous lisons que Diogèneloue Homère,tôv dtpa yàpaùtôvAîavojit'CîivtpTjaïv,timSnitâvtîStvattôvAîaXtYit(cf.Cic. Nat.D. I,12,29).
410'
L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
dehors de nous et dans lequel nous sommes, mais beaucoupplus froid que celui qui entoure le soleil. Ht cette chaleur n'estpas la même dans n'importe quelles deux espèces de créaturesvivantes, ni, par conséquent, dans n'importe quels deux hom-mes ; mais elle ne diffère pas beaucoup, autant seulement quecela est compatible avec leur ressemblance. En même temps, iln'est pas possible aux choses qui sont différenciées d'êtreexactement pareilles les unes aux autres jusqu'à ce qu'ellesredeviennent, une fois de plus, la même chose.
6. Du fait, donc, que la différenciation est multiforme, lescréatures vivantes sont multiformes et plusieurs, et elles nesont pareilles les unes aux autres ni par leur "aspect ni par l'in-telligence, à cause de la multitude des différenciations. Enmême temps, elles vivent toutes, et voient cl entendent par lamême chose, et elles ont toutes leur intelligence à la mêmesource. — R. P. 211. v
7. Ht celui-ci lui-même est un corps éternel et immortel, maisde ces choses-là, les unes» viennent à l'existence, les autressubissent la destruction.
8. Mais ceci aussi me parait êlrc évident, c'est qu'il est à lafois grand et puissant, cl éternel et immortel et de grand savoir.— R. P. 209.
Diogène s'intéressait principalement à la physiologie ;cela ressort clairement de son étude détaillée des veines,
qui nous a été conservée par Aristote *. Il y a lieu de
remarquer aussi qu'un des arguments dont il se sert pourprouver l'unité de toutes les substances est que, sans cela,il serait impossible de comprendre comment une chose
. pourrait faire du bien ou du mal à une autre (frg. 2). En
fait, l'écrit de Diogène est essentiellement du même carac-tère qu'une bonne partie de la littérature pseudo-hippocra-
tique, et beaucoup d'indices viennent à l'appui de l'opinionque les auteurs de ces curieux traités le mirent à aussiforte contribution qu'ils y mirent Anaxagore et Heraclite*.
1Les mss de Simpliciusont tfi>8:,mais le tûvil de l'Aldineest sûre-ment correct.
* Arist. llisl. An. l\ 2.511b 80(DV51R6).1Voir Wcygoldt,Zu Diogenesvon Apollonia (Arch. I, p. 161sq.).
HIppocratelui-mêmereprésentaitjustement latendanceopposéeà cellede cesécrivains.Songrand mérite a été de séparer la médecinede la
ÉCLECTISMEET RÉACTION 411
CLXXXIX. — COSMOLOGIE.
De même qu'Anaximèue, Diogène regardait l'Air commela substance primordiale ; mais nous voyons par ses argu-ments, qu'il vivait à une époque où d'autres opinionsavaient prévalu. Il parle clairement des quatre éléments
d'Empédocle (frg. 2), et il a soin de conférer à l'Air les attri-buts du Nous, tels que les enseignait Anaxagore (frg. 4).I^a tradition doxographique relativement à ses théories
cosmologiques nous a été assez bien conservée :
Diogène d'Apollonic fnil de l'air l'élément, et soutient quetoutes choses sont en mouvement, et qu'il y n des mondesinnombrables. Ht il décrit comme suit l'origine du monde.Quand le Tout se mut et devint rare en un lieu cl dense enun autre, il se forma, là où le dense se réunit, une masse, etensuite les 'autres choses naquirent de la même manière, lesparties les plus légères occupant la position la plus élevée etproduisant le soleil. —|Plut.| Slrom. frg. 12.(R. P. 215.)
Rien ne naît de ce qui n'est pas ni ne disparait dans ce quin'est pas. La terre est ronde, suspendue en équilibre au milieu;elle u reçu sa forme de la révolution produite par le chaud, etelle s'est solidifiée par le froid. — Diog. IX57, R. P. 215.
I«escorps célestes sont pareils à la pierre ponce. Upense quece sont les trous par où le monde respire, et qu'ils sont incan-descents. —Aet. II, 13,5 =- Stob. I, 508.(R. P. 215.)
Le soleil est pareil à la pierre ponce, et les rayons viennent«if l'éthcr s'y fixer. Aet. II, 20, 10.La lune est une conflagrationpareille à la pierre ponce. — 1b. II, 25, 10.
Knmême temps que les corps célestes visibles, se meuvent encercle des pierres invisibles qui, pour cette raison, n'ont pas deoms; mais elles tombent souvent et s'éteignent sur la terrecomme l'astre de pierre qui tomba, enflammé,à Aegospotamos'.- Ib. II, 13.9.
Nous n'avons rien de plus ici que la vieille doctrineionienne avec un petit nombre d'additions tirées de sour-
philosophie,pour le plusgrandbien de toutesdeux(Celse,I pr.).C'estpourquoile corpus hippocraticumrenfermequelquesouvragesdanslesquelsles «csophistes» sontdénoncés,et d'autresdanslesquelsleursécritssont pillés.A cettedernièrecatégorieappartiennentle tleplîtaî-TTJÇet lo Iltpt<pv3<Sv; à la premièrespécialementle Flcptjpvati};tatptxijï.
»Voirchap.VI,p, 289,n. 1.
412 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
ces plus récentes. Raréfaction et condensation tiennent
toujours leur place dans l'explication des contraires :
chaud et froid, sec et humide, stable et mobile (frg. 5). Les
différenciations en contraires que l'Air peut subir sont,comme l'avait enseigné Anaxagore, en nombre infini ; maistoutes peuvent se ramener à l'opposition fondamentale du
rare et du dense. Nous voyons aussi, par Censorinus \ queDiogène ne faisait pas, comme Anaximène, sortir de l'Air
par condensation la terre et l'eau, mais plutôt le sang, la
chair et les os. U suivait en cela Anaxagore (§ 130), commeil était naturel. D'autre part, la portion de l'Air qui étaitraréfiée devenait ignée, et produisait le soleil et les corpscélestes. Le mouvement circulaire du monde était dû à
l'intelligence de l'Air, de même que la répartition de touteschoses en diverses formes de corps et l'observation des« mesures» par ces formes '.
De même qu'Anaximandre (§ 20), Diogène regardait la
mer comme le reste de l'humidité primitive, partiellementévaporée par le soleil, de manière que la terre en fut sépa-rée \ La terre elle-même est ronde, c'est-à-dire qu'elle estun disque ; car la façon dont s'expriment les logographes ne
porte pas à croire qu'il ait enseigné sa sphéricité \ Sa soli-dification par le froid résulte du fait que le froid est uneforme de condensation.
Diogène ne croyait pas, avec les cosmologues plusanciens, que les corps célestes fussent faits d'air ou de feu,ni avec Anaxagore que ce fussent des pierres. Ils sont,disait-il, semblables à la pierre ponce, opinion dans
laquelle nous sommes en droit de voir l'influence de Leu-
cippe. Ils sont de terre, en réalité, mais non solides, et lefeu céleste pénètre leurs pores. Et ceci explique pourquoinous né voyons pas les corps obscurs que, tout comme
>Censorinus, de die natali, 6, 1 (Dox.p. 190;DV51A 27).* Sur les «mesures», voir chap. III, %72."
Theophr. ap. Alex,in Meteor,p. 67,1 (Dox. p. 494; DV51A 17).<Diog.IX, 57(R.P. 215).
ÉCLECTISMEET RÉACTION 413
Anaxagore, il supposait graviter avec les astres. Ce sont en
réalité des pierres solides, et c'est pourquoi ils ne peuvent
pas être pénétrés par le feu. C'est l'un d'eux qui tombadans l'Acgospotamos. De même qu'Anaxagore, Diogèneaffirmait que l'axe de la terre n'était incliné que depuis
l'apparition des animaux *.
Nous ne sommes pas surpris d'apprendre que Diogène
croyait à l'existence de mondes innombrables, car c'étaitla vieille doctrine milésienne, et elle venait d'être remiseen honneur par Anaxagore et par Leucippe. Il est men-tionné dans les Placita avec les autres partisans de cette
idée, et si Simplicius le classe, lui et Anaximène, avec
Heraclite, comme soutenant la doctrine stoïcienne des for-mations et destructions successives d'un monde unique,c'est qu'il a probablement été induit en erreur par les« accommodateurs '».
CXC. — ANIMAUXET PLANTES
Les créatures vivantes sont nées de la terre, sans doute
sous l'influence de la chaleur. Leurs âmes sont naturelle-ment de l'air, et leurs différences sont dues aux degrés variésdans lesquels il est raréfié ou condensé (frg. 5). Aucun siègespécial, tel que le coeur ou le cerveau, n'a été assigné àl'âme ; elle est simplement constituée par l'air chaud, quicircule avec le sang dans les veines.
Les théories de Diogène relativement à la génération, àla respiration et au sang appartiennent à l'histoire de la
médecine *,et quant à sa théorie de la sensation, telle
qu'elle est analysée par Théophraste *, il sulfit de la men-
»Aet.II, 8, 1 (R. P. 215;DV51A11).* Simpl.Phys. p. 1121,12(DV3 A11).Voirchap.I, p. 84,n. 3.8VoirCensorinus,6, 3 (DV51A25)cité dansDox.p. 191.*Thcophr. de Sens.39 sq. (R.P. 213,214;DV51A19).Pour une
analysecomplète,voirBeare,p. 41sq., 105,140,169,209,258.Ainsiquele remarque Beare,Diogèneaest l'un des psychologuesles plus inté-ressantsparmi ceuxqui ontprécédéPlaton» (p. 258).
414 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
tionner en passant. En deux mots, elle se résume en ceci :
que toute sensation est produite par l'action de l'air sur lecerveau et d'autres organes, tandis que le plaisir est uneaération du sang. Mais les détails de cette théorie ne peu-vent être convenablement étudiés qu'en connexion avec lesécrits hippocratiques ; car Diogène ne représente pas réel-lement la vieille tradition cosmologique, mais un nouveau
développement de vues philosophiques réactionnaires,combiné avec un enthousiasme entièrement nouveau pourl'investigation de détail et l'accumulation de faits.
///. ARCHKLAOStïATHKNKS
CXCI. —-ANAXAGORÉBNS.
Le dernier des cosmologues primitifs fut Archélaos
d'Athènes, qui fut disciple d'Anaxagore \ On a dit aussi
qu'il avait été le maître de Socrate, indication loin d'êtreaussi improbable qu'on l'a supposé quelquefois *. Il n'y a
pas de raison de mettre en doute la tradition suivant
laquelle Archélaos succéda à Anaxagore dm* l'école de
Lampsaque*. Il est incontestablement question d'Anaxa-
goréens dans les écrivains anciens \ quoique leur réputa-tion ait été rapidement éclipsée par l'entrée en scène deceux que nous appelons les Sophistes.
*Diog.II, 16 (R. P. 216).*VoirChiapellidans VArchiv,IV, p. 369sq.3 Euseb. P. E. X, 14, 13 (p. 504,c 3; DV46 A 7): ô 2}'ApxcXao;tv
Aap$âxa>2tc2t£atoTJJVO^OXTJVto3 'Ava^avopou.* Des'AvaÇajépttotsont mentionnéspar Platon (Crat. 409b 6),et sou-
vent par les commentateursd'Aristote.
ÉCLECTISMEET RÉACTION 415
CXCII. — SA COSMOLOGIE»
Sur la cosmologie d'Archélaos, Hippolyte*écrit ce qui
suit:
Archélaos était Athénien de naissance et fils d'Apollodorc. Il,parlait du mélange de la matière d'une manière semblable àcelle d'Anaxagore, et pareillement des premiers principes. Ilestimait, toutefois, qu'il y avait un certain mélange immanent,même dans le A'OIIS.Ht il estimait qu'il y avait deux causesefficientes séparées l'une de l'autre, à savoir le chaud et lefroid. Le premier était en mouvement, le second en repos.Quand l'eau était à l'état liquide, elle coulait vers le centre, et,y étant brûlée, se transformait en terre et en air; celui-ci étaitporté vers le haut, tandis que la première prenait position enbas. Telles sont donc les raisons pour lesquelles la terre est enrepos, et pour lesquelles elle est née. Hlleest située au centre,et ne constitue pas, en fait, une partie appréciable de l'Univers.(Mais l'air domine sur toutes choses)*; il est produit par lefait que le feu brûle, et de sa combustion originelle vient lasubstance des corps célestes. Parmi ceux-ci, le soleil est le plusgrand, et la lune le second ; les autres sont de diverses gran-deurs. U dit que les cieux se sont inclinés et qu'alors le soleil afait la lumière sur la terre, rendu l'air transparent et la terresèche ; car elle était à l'origine un étang, étant élevée à la cir-conférence et creuse au centre. Il donne comme preuve decette concavité que le soleil ne se lève et ne se couche pas enmême temps pour tous les peuples comme il devrait le faire sila terre était plate. Quant aux animaux, il dit que lorsque laterre fut réchauffée d'abord dans la partie inférieure, où lechaud-et le froid étaient mélangés, nombre de créatures vivan-tes apparurent, et spécialement les hommes, toutes ayant lamême manière de vivre et tirant leur subsistance de la vase ;elles ne vivaient pas longtemps, et plus tard commença la géné-ration de l'une par l'autre. Ht les hommes se distinguèrent desautres êtres et se créèrent des chefs, des lois, des arts, descités, etc. Et il dit que le Nous est inné à tous les animaux sansdistinction ; car chacun des animaux, aussi bien que l'homme,fait usage du Nous, mais quelques-uns plus vite, d'autres pluslentement.'
>Hipp.Réf.I, 9 (R.P. 218;DV47A4).*J'intercale ici : tôv 8'cUpaxpattïvtoO-xavtôc,commel'a suggéré
Râper.
416 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
Il n'est pas nécessaire de s'étendre longuement sur cette
théorie, qui, à beaucoup d'égards, contraste défavorable-ment avec celles des prédécesseurs d'Archélaos. Il est
clair que, tout comme Diogène avait essayé d'introduirecertaines idées anaxagoréennes dans la philosophie d'Ana-
xiraène, Archélaos tenta de rapprocher l'Anaxagorismedes anciennes conceptions ioniennes en le complétant par
l'opposition du chaud et du froid, du rare et du dense, et
en dépouillant le Nous de cette simplicité qui le distinguaitdes autres «choses» dans le système de son maître. Ce futaussi probablement pour cette raison que le Nous ne fut
plus regardé comme le créateur du monde 1. Leucippeavait rendu pareille force superflue. On peut ajouter quecelte double relation d'Archélaos avec ses prédécesseurs
porte à admettre que, comme l'affirme Aéliiis *, il croyait àdes mondes innombrables ; c'était là la doctrine, à la fois,
d'Anaxagore et des anciens Ioniens.
CXCIII. — CONCLUSION.
La cosmologie d'Archélaos, comme celle de Diogène,
porte tous les caractères de l'époque à laquelle elle appar-tenait — époque de réaction, d'éclectisme et d'investigationde détail*. Hippon de Samos et Idaios d'Himéra représen-tent surtout ce sentiment : que la philosophie s'était engagéedans un cul-de-sac d'où elle ne pouvait s'échapper qu'enrevenant en arrière. Les Héraclitiens d'Ephôse, impénétra-blement drapés comme ils l'étaient dans leur propre sys-tème, ne faisaient guère autre chose que d'en exagérer les
paradoxes et en développer les côtés les plus aventureux *.
«Aet.I, 7,14 = Stob. 1,1, 29b W. (R.P. 217a; DV47A 12.)»Aet. II, 1,3 (DV47A 13). j*Wlndelband,| 25.Cettepériodeest bien décrite par Predrich, Hip-
pokralischeUntersuchungen,p. 130sq. Elle ne peut être traitée à fondqu'en relation avec les Sophistes.
4 Pour une amusante peinture des Héraclitiens, voir Platon. Tht.1791.L'intérêt, alors nouveau,qu'excitait le langage,et qui avait pour
ÉCLECTISMEET RÉACTION 417
Il ne suffisait pas à Cralyle de dire avec Heraclite (frg. 84)
qu'on ne peut pas descendre deux fois dans le' même
fleuve : on ne pouvait, selon lui, pas môme y descendreune fois». Mais nulle part la banqueroute totale de l'an-cienne cosmologie ne se manifesta aussi clairement quedans l'oeuvre de Gorgias, intitulée la Substance ou le non'
être, dans laquelle était proclamé un nihilisme absolu,basé sur la dialectique éléate'. Le fait est que la philoso-phie n'avait plus rien à dire, aussi longtemps qu'elle s'entenait à ses vieilles présuppositions; car la réponse de
Leucippe à la question posée par Thaïes était réellement»définitive. Une vie nouvelle devait être donnée au besoinde spéculation par l'apparition de nouveaux problèmes,ceux de la connaissance et de la morale, avant qu'aucunprogrès ultérieur fût possible, et ces problèmes furent
posés par les « Sophistes » et par Socrate. A ce moment-là,dans les mains de Démocrite et de Platon, la philosophieprit une forme nouvelle et un nouvel élan.
originel'étudede la rhétorique,se tournachez eux eu fantaisieséty-mologiques,dugenrede cellesque raillele Cralylede Platon.
<Arist.Met.T, 5.1010a 12(DV52,4). Il refusaitmême,dit-on, deparleret se contentaitde remuerle doigt.
*Sext.adv. Math.VII,65(R. P. 235);MXG979a 13(R.P. 236;DV76B3).
riIiLOSOPIUBGRECQVB
APPENDICE
LES SOURCES
A. Philosophes.
1. Platon. — 11n'est pas très fréquent que Platon insiste surl'histoire de la philosophie à l'époque qui précéda les recher-ches sur la morale et sur le problème de la connaissance, maisquand il le fait, son témoignage est d'une valeur tout simple-ment inappréciable. Son génie artistique cl le don qu'il avaitde pénétrer les pensées des autres hommes lui permettaientd'exposer les opinions des philosophes primitifs d'une façontout à fait objective, cl il ne cherchait jamais, si ce n'est parjeu et par ironie, à découvrir dans les écrits de ses prédéces-seurs un sens auquel personne n'avait encore, songé. Il nous afourni des renseignements d'une valeur spéciale dans le passageoù il oppose l'un à l'autre Hmpédocle et Heraclite (Soph.242d),et dans son exposé îles rapports entre Zenon et Parménide(Parm. 128a).
Voir Zeller, Platons Mitlheilungenûber frûhcrc und gleichzeitigePhilosophen, dans VArchio,V, pp. 165 sqq. et noire index aumot Platon.
2. Aristote. — Hègle générale, les indications d'Aristote surles philosophes primitifs sont moins historiques que celles dePlaton. Il ne pèche pas, sans doute, par incompréhension desfaits, mais il les discute presque toujours du point de vue deson propre système. 11est convaincu que sa philosophie à luiest l'accomplissement de tout ce que ses prédécesseurs s'étaientproposé, et il considère par conséquent leurs systèmes commeles «balbutiements» qui précèdent le véritable langage (Met.A.10,993a 15).Il y alicu dercmarquer aussi qu'Aristote regarde quel-ques systèmes d'un oeilbeaucoup plus sympathique que d'au-tres. Il est décidément injuste pour les Hléatcs, par exemple.
On oublie souvent qu'Aristote dérivait de Platon une grandepartie de ses informations, et nous devons faire remarquer en
LESSOURCES 419
particulier que plus d'une fois il prend trop à la lettre l'ironiede son maître.
Voir Hmmingcr, Die Vorsokratischen Philosophen nach deniierichten des Aristoteles, 1878,et notre Index, au mol Aristote.
3. IJCSStoïciens.— Les Stoïciens, et surtout Chrysippe, avaientun vif intérêt pour la philosophie primitive, mais leur façon del'envisager était simplement une exagérations de celle d'Aris-tote. Ils ne se contentaient pas de critiquer leurs prédécesseursen parlant de leur propre point de vue ; ils semblent avoirréellement cru que les poètes et les penseurs anciens profes-saient des opinions a peine discernables des leurs. Le mot
owoixtto'jv, que Cicéron rend par acconunodare, était employépar Philodèmc pour désigner cette méthode d'interprétation,laquelle a eu de graves conséquences pour notre tradition,spécialement en ce qui concerne Heraclite (p. 159).
A.Les Sceptiques.— La même remarque, inulatis mutandis,s'applique aux Sceptiques. Un écrivain tel que Scxtus Hmpiri-cus s'intéressait a la philosophie primitive à l'effet de montrerque le scepticisme remontait à une date reculée —aussi haut
que Xénophane, en fait. Mais les renseignements qu'il nousfournit sont souvent de valeur, car il cite fréquemment àl'appui de sa Ihèsc des opinions anciennes relativement à laconnaissance cl à la sensation.
5. tes Néoplatoniciens.- - Sous cette rubrique, nous avons àconsidérer surtout les commentateurs d'Aristote, pour autant
qu'ils sont indépendants de la tradition (héophrastique. Leur
principale caractéristique est ce que Simplicius appelle lVjyvu>-fiorfa), c'est-à-dire un esprit libéral d'interprétation en vertu
duquel tous les anciens philosophes s'accordent à soutenir ladoctrine d'un Monde Sensible et d'un Monde Intelligible. C'est,toutefois, à Simplicius plus qu'à tout autre «picnous devons laconservation des fragments. Il avait naturellement la biblio-
thèque de l'Académie à sa disposition.
B. Doxographes.
6. Les Doxographi graeci. — Les Doxographi graeci d'Hcr-mann Diels (1879)ont jeté une lumière entièrement nouvellesur la filiation des sources postérieures ; et l'on ne peut esti-mer à leur juste valeur les renseignements qu'on en tire qu'enayant sans cesse présents à l'esprit les résultats de son investi-
420 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
gation. Il ne sera possible ici que de donner une esquisse grâceà laquelle le lecteur puisse s'orienter dans les Doxographigraeci eux-mêmes.
7. Les «Opinions» de Théophrasle. —Par le terme de doxo-graphes, on entend tous les écrivains qui rapportent les opi-nions des philosophes grecs, et qui dérivent leurs matériaux,directement ou indirectement, du grand ouvrage de Théo-
phraste, qXxjixoivÔ*O£OJVcri (Diog. V, 46). De cet ouvrage, un
chapitre considérable nous a été conservé, celui qui a pourtitre IlepVahQfoecav (Dox. pp. 499-527).Et Uscner, s'inspirantde Brandis, a montré en outre qu'il y en avait d'importantsfragments dans le commentaire de Simplicius (Vie siècle ap.J.-C.) sur le livre I de la qXxnxr)àxpôa<Ttçd'Aristote (Usener,Analecla Theophraslea, pp. 25 sqq.). Ces extraits, Simpliciusparaît les avoir empruntés à Alexandre d'Aphrodisie (env. 200ans ap. J.-C.) ; cf. Dox. p. 112sqq. ;Nous possédons ainsi une
portion très considérable du livre I, qui traitait des oxpyaC,et,pour l'essentiel, l'ensemble du dernier livre.
De ces restes, il résulte clairement que la méthode de Théo-phraste consistait à discuter dans des livres séparés les ques-tions fondamentales qui avaient occupé l'attention des philoso-phes depuis Thaïes jusqu'à Platon. L'ordre chronologiquen'était pas observé ; les philosophes étaient groupes suivant lesaffinités de leurs doctrines, les différences entre ceux qui parais-saient s'accorder le plus étroitement étant notées avec soin. Lelivre I, toutefois, était à un certain degré exceptionnel ; carl'ordre qui y était suivi était celui des écoles successives, et decourtes notices historiques et chronologiques y étaient inter-calées.
8. Les Doxographes. — Un ouvrage comme celui-là était natu-rellement pain bénit pour les abréviatcurs et compilateurs demanuels, qui florissaicnt de plus eh plus à mesure que déclinaitle génie grec. Ces écrivainsê suivaient Théophraste en distri-buant leur matière sous diverses rubriques, ou bien, boulever-sant son ouvrage, ils replaçaient ses indications sous les nomsdes divers philosophes auxquels elles s'appliquaient. Celte der-nière classe forme la transition naturelle entre les doxographesproprement dits et les biographes; aussi me suis-jc hasardé ales distinguer des autres en les appelant doxographes biogra-phiques.
t. DOXOGRAPHESPROPREMENTDITS.
9. Les Placlta elStobêe,— Ccux-cisont maintenant représentés
LESSOURCES 421
par deux ouvrages, les Placita Philosophorum, inclus parmi lesécrits attribués à Plutarque, et les Êclogae Physicae de JeanStobée (vers 470 ap. J.-C). Ces dernières formaient à l'origineun seul ouvrage avec le Florileginmdu même auteur, et ellesrenferment une transcription de quelques abrégés substantiel-lement identiques aux Placita du pscudo-Plutarque. Il est tou-tefois démontrable que ces recueils ne sont pas l'original l'unde l'autre. Le dernier est habituellement le plus complet des<Ieux,et cependant le premier doit être le plus ancien, car il aété employé par Athcnagore dans sa défense des chrétiens en177ap. J.-C. (Dox. p. 4.) C'est aussi la source des noticesd'Eusèhe et de Cyrille, et de VHisloirede la philosophieattri-buée à Galicn. De nombreuses et importantes corrections detexte ont élé dérivées de ces écrivains {Dox.p. 5 sqq.).
Un autre écrivain qui fit usage des Placita est Achille(nonpasAchille Tatius). Des extraits de son Ecçaywyyîaux Phéno-mènesd'Aratus sont renfermés dans YUrunologionde Petavius,pp. 121-164.Sa date est incertaine, mais il appartient probable-ment au IIIesiècle ap. J.-C.(Dox. p. 18).
10.Aélius.— Quelle était donc la source commune des Pla-cita et des Eclogae? Diels a montré que Théodoret (vers 445
ap. J.-C.)y a eu accès, car, dans certains cas, il donne sous uneforme plus complète les indications renfermées dans ces deuxouvrages. Mieux que cela : il nomme aussi cette source, car ilnous renvoie (Gr. aff.cur. IV,31)à Atxfoj rr,v nto\ àpwx^vrwvc-jvor/toy^v.Aussi Diels a-t-il imprime les Placita en colonnes
parallèles avec les fragments correspondants des Eclogaesousle titre-de Actii Placita. Les citations de «Plutarque» par desécrivains postérieurs, et les extraits de Théodoret sont aussidonnés au bas de chaque page.
11.Les VcluslaPlacita.—Diels a montré en outre, cependant,qu'Aétius n'a pas puisé directement dans Théophraste, mais«tans un abrégé intermédiaire qu'il appelle les VcluslaPlacita,dont on trouve des traces dans Cicéron (injra, § 12)et dans Cen.sorinus (De die nalali), qui suit Vnrron. Les Vclusla Placitafurent composés dans l'école de Posidonius, et Diels les appelmaintenant les Àp&xovT<xposidoniens*(fJe6erdas phys.SystemdesStralon, p. 2). On en trouve aussi des traces dans les «Allô-goristes homériques ».
11est parfaitement possible, en retranchant les additionsassez peu Intelligentesqu'Aétiusy a faites d'Epicure et d'autressources, de dresser une table assez exacte du contenu des
422 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
VetuslaPlacita (Dox. pp. 181sqq.), et de se faire ainsi une idéeexacte de l'arrangement de l'ouvrage original par Théo-phraste.
12. Cicéron. —Pour autant que les indications de Cicéron serapportent aux plus anciens philosophes grecs, il doit êtreclassé parmi les doxographes et non parmi les philosophes ;car il ne nous donne que des extraits de seconde ou de troi-sième main de l'ouvrage de Théophraste. Deux passages de sesécrits doivent être rangés sous cette rubrique, à savoir « Lucul-lus » (Acad. II), 118, et De nalura Deorum I, 25-41.
a. Doxographie du «Lucullus». — Elle renferme un sommairemaigre et traduit sans beaucoup de soin des diverses opinionssoutenues par les philosophes relativement à l'àpjpf (Dox. pp.119sqq.), et serait sans aucune utilité si elle ne nous permettaitpas de vérifier en un cas les termes exacts de Théophraste(Chap. I, p. 52, n. 2). La doxographie a passé par les mainsde Klcitomachos, qui succéda à Carnéadc à la direction del'Académie (129av. J.-C).
b. Doxographie du « De nalura Deorum ». — Une nouvelle lu-mière a été jetée sur cet important passage par la découverte, àHerculanum, d'un rouleau contenant des fragments d'un traitéd'Epicure, qui présentait avec lui tant d'analogies qu'il en futaussitôt regardé comme l'original. Ce traité fut d'abord attribuéà Phaidros, à cause de la référence qui se trouve dans Kpp. ad.Alt. XIII, 39, 2; mais le titre réel a été restitué depuis : «PtAooYjxo'Jirtp\ tvvtfitfaç (Dox. p. 530).Diels a montré, toutefois (Dox. pp.122sq.) qu'il y a bien des raisons de croire que Cicéron n'a pascopié Philodèmc, mais que tous deux ont puisé à une sourcecommune (sans doute Phaidros, Yltp\ Qt3>v),laquelle remontaitelle-même à un abrégé stoïcien de Théophrasle. Le passage deCicéron et les fragments correspondants de Philodèmc sontédités en colonnes parallèles par Diels (Dox. pp. 531sqq.).
II. DOXOGRAPHESBIOGRAPHIQUES.
13.Hippolyle. — La plus importante des « doxographies bio-
graphiques » est le livre I de la Réfutation de toutes les Hérésies
d'Hippolyte. Ce livre a longtemps passé pour être les Phlloso-
phoumena d'Origènc ; mais la découverte des autres livres de
l'ouvrage, qui furent publiés pour la première fols à Oxford en1854, a finalement montré qu'il ne pouvait appartenir à cetécrivain. U est essentiellement tiré de quelque bon abrégé de
Théophraste, dans lequel la matière était déjà réarrangée sous
LESSOURCES 423
les noms des divers philosophes. Nous devons noter, toutefois,que les sections traitant de Thaïes, de Pythagore, d'Heracliteet d'Empédocle proviennent d'une source de valeur médiocre,quelque compendium purement bicgraphique, rempli d'anec-dotes apocryphes et d'indications suspectes.
14.Les Stromales.— Les fragments des Slromalesdu Pseudo-Plutarquc, cités par Eusèbc- dans sa Praeparalio Evangelica,sont tirés d'une source analogue à celle des meilleures portionsdes Philosophoumcna.Autant que nous en pouvons juger, ilsdifférent essentiellementde ceux-ci en deux points. En premierlieu, ils sont empruntés pour la plupart aux plus anciennessections de l'ouvrage, et, par conséquent, traitent presque tousde la substance primordiale, des corps célestes et de la terre.En second lieu, ils constituent une transcription beaucoupmoins fidèlede l'original au .point de vue de l'expression.
15.KDiogèneLaerce». — Le recueil d'extraits connu sous lenom de Diogène Laerce (DiogcnesLaertios ou Lacrtios Dioge-nes ; cf. Uscner, Epicurea, pp. 1 sqq.) contient des fragmentsétendus de deux doxographics distinctes. L'une est du genrepurement biographique, anecdotique et apophtegmatiqueadopté par Hippolytc dans ses quatre premiers chapitres;l'autre est d'un genre pins relevé et se rapproche davantage dela source des autres chapitres d'Hippolyte. On a essayé de mas-quer cette «contamination » en qualifiant la première doxogra-phie d'exposé «sommaire » (x£<j>o)a((ooVç),et la seconde d'ex-posé «détaillé » (trti uYpouç).
16. Doxographicspalristiques. — On trouve de courts som-maires doxographiques dans Eusèbe (Pr. Eu. X, XIV, XV);Théodoret (Gr. aff.cur. II, 9-11);Irénée (C.Acier.'II,14);Arnobe(Adr. nal. II, 9) ; Augustin (Civ. Del, VIII, 2). Ces sommairesdépendent surtout des écrivains des Successions,que nousaurons à considérer dans la section suivante.
0. Biographes.
17.Les Successions.—Le premier qui écrivit un ouvrage Inti-tulé Successionsdes Philosophesfut Sotion (Diog.II, 12; R.P. 4ci),vers 200av. J.-C. L'arrangement de son ouvrage est expliquédans Dox. p. 147.Il a été abrégé par Héraclidc Lcmbos. Autresauteurs de AiaSoyad Antislhènc,Sosicrate et Alexandre.Toutesces compositions étaient accompagnéesd'une très maigre doxo-
424 L'AUROREDE LA PHILOSOPHIEGRECQUE
graphie et rendues intéressantes par l'adjonction d'apophtegmesinauthentiques et d'anecdotes apocryphes.
18. Hermippos. — Le Péripatéticien Hermippos de Smyrne,surnommé KotAXtuaj(£toç(vers 200 av. J.-C), écrivit plusieursouvrages biographiques qui sont fréquemment cités. En vérité,les détails biographiques qu'il fournit sont très sujets à caution,mais parfois il y ajoute des informations bibliographiques quireposent sans aucun doute sur les H/vaxeçde Callimaque.
19. Salyros. — Un autre Péripatéticien, Satyros, discipled'Aristarque, a écrit (vers 160 av. J.-C.) des Vies d'hommesfameux. On peut lui appliquer les mêmes remarques qu'à Her-mippos. Son ouvrage a été abrégé par Héraclide Lerubos.
20. «Diogène Laërce.» — L'ouvrage connu sous le nom deDiogène Laërce est, dans ses parties biographiques, un simpleassemblage de renseignements puisés à la science antérieure.11n'a pas été disposé ou composé par un auteur unique. Cen'est guère qu'une collection d'extraits faits au hasard, peut-être par plusieurs des propriétaires successifs du manuscrit.Mais il n'en contient pas moins des indications de la plus hautevaleur.
D. Ghronologistes.21. Eratosthène et Apollodore. — Le fondateur de la chrono-
logie ancienne a été Eratosthène de Cyrène (275-194av. J.-C) ;mais son ouvrage fut bientôt supplanté par la version métriqued'Apollodore (vers 140 av. J.-C), d'oà sont dérivées la plupartde nos informations quant aux dates des philosophes primitifs.Voir l'étude de Diels sur les Xpovixocd'Apollodore dans leRhein. Mus. XXXI,et Jacoby, Apollodors Chronik (1902).
La méthode adoptée est la suivante : quand la date de quelqueévénement saillant dans la vie d'un philosophe est connue, elleest prise pour son floruit (ooepr,),et le philosophe est présuméavoir eu quarante ans à celte date. A défaut de cela, c'est uneère historique quelconque qui est prise pour le floruit. Parmices ères, les principales sont celles de l'éclipsé de Thaïes 586/5av. J.-C. ; de la prise de Sardes, 546/5,de l'accession de Polycrate au trône en 532/1,et de la fondation de Thurium en 444/3.On trouvera facilement d'autres détails à ce sujet en se repor-tant à notre index au mot Apollodore. -v
INDEX ALPHABÉTIQUE
I. FRANÇAIS
Aahmes22,46.Abaris88,99n.1.Abdere,écoled\ 380.Abstinenceorphiqueet pythagoricienne
1Wsq.,106;eropédocléenne286.Académie34.Achilleetla tortue365,367.Acousllaos9.Acousmatlques97,103.Acron233.Aegospotamos,pierremétéoriqued',289,
310,413.Aétios,app.110,surEmpédocle271,
274,283.Agathemeros54n.1.Agénor39.Agtigcnte231sq.Air78,79,80,123,173,216sq.,227,259,308sq.,331,339,411sq.Voiràfjç.
Akousmata107sq.,326.Alddamas231n.1,233n.4,237,293n.1,
319n.2,358.Alcméon125n.1,225sq.,238,325,342,
348.Alexandred'Aphrodlsle140,211.Alexandred'Etoile292.Amasls39.Ame87,92,173,227,341,413.Amedumonde50.Amelnlas196sq.Ammonlus231.Amour.VoirEro»,AmouretHaine263sq.
Anaxagore287sq.;etPérlclès291sq.;etEuripide292; sa relationà l'écoleIonienne289sq.; etZenon860sq.
Anaxagoréens35,414.Anaxlmandre52sq.Anaxlmène76sq.; écoled', 85,290,407n.8.
Andoeydo826.Andrond'Kphese94.
Animaux: Anaxlmandre73sq.; Empé-docle276sq.; Anaxagore313sq.;Diogèned'Apollonle413.
Année.VoirGrandeannée.'Antichton343,347sq.Anttsthcnc(Successions)192n.2,407n.9.AntontusDiogène93.Apollodore.App.( 21,43,62,76,96n.1,
127,145n.1,195«].,230sq.,287sq.,356,368,S80.
Apollonhyperboréen94n.1,99,234.ApolloniusdeTyane91,93.Apophtegmes61sq.,130.Archélaos414sq.Archlppos101,317.Arohytas112,817,325,344.ArlstarqucdeSamos346.ArlstéasdeProconnèse88,99n.1.Aristophane75,380,407.Aristote.App.«2; surl'Egypte18,23;
surThaïes49sq.; surAnaxlmandre,57sq.; surPythagore91n.1,101,109n.3; snrXénophane,133sq.; surHe-raclite159,162n.1,179sq.; surPar-ménide196,205sq.,209,211,215; sur.Alcméon225; snrEmpédocle180n.1,230n.3,233n.3,237,240n.2;251n.8,261,261,265,266,267,268,269n.1,270,272,273,874,277sq.,280n.2; 396n.8;surAnaxagore,260n.2,288,300n.l,302sq.,307sq.,318; surlesPythago-riciens101,108n.1; 112sq.,121,330sq.,351sq.; sutZenon857sq.,361,367sq.; surMélissos372sq.,8761iurLeucippe379,384sq.,391sq.,S96n.1;surHippon49n.2,405t surlogaleuileeis74n.8(surlaviethéoréttque110;surlesmystères,92.
[Aristote]deXunio187.[Aristote]dePtanUs876n. 9,295n.3,
318.ArlstoxènesutPythagore91,96n.1,97,
426 INDEXALPHABETIQUE
98n, 1et 2,102,104,111n. 1; surlesPythagoriciens109,317,332,351sq.;JIvOayooiKaiâiroipâoeiç102n.9,323;surHippon405n.1; surPlaton321sq.
Arithmétiqueégyptienne22sq.,113n.2;pythagoricienne111sq.; symbolismearithmétique,113sq.
Astronomie,babylonienneet grecque,25.sq.VoirCorpscélestes,Soleil,Lune,Planètes,Etoiles,Terre,Eclipses,hypolitisesgéocentriqtteethéliocentrlqve.
Athéisme51,75,143.Athènes.Parménideet Zenonà, 195;
Anaxagorett,288.Atomes386sq.Atomlsmc.VoirLeucippe.
Babylonien: langage21n. 2, astrono-mie25; cycledes éclipses26; fia-Oq/iaTiKot,348n. 3.
Bérosc348n.3Biologie.VoirAnimaux,liante*.Hang,Empédocle282,285; Diogèned'Apol-lonic413.
Caverne,orphique251n.3.Cébèset Simmtas318,312,352sq.Cébès,JTivai197.Célestes,Corps: Anaxlmandre60sq.;
Anaxlmène81,82;Pythagore124sq.;Xénophanc131sq.; Heraclite167sq.;Parménide217sq.;Empédocle271sq.;Anaxagore312; Leucippe400; Dio-gèned'Apollonic411sq.
Cerveau: AIcméon226,Empédocle237;Ecolesiciliennedemédeetne285n.1.
Chaos8sq.Chrysippc160n.1.Cicéron,App.*12; surThaïes51; sur
Anaxlmandre65;surAnaxlmène83;surParménide222,223n.2; surl'Ato-mtsme392n.2,393n.2.
Cléanthe160,177.Clémentd'Alexandrie19.Coeur237,285.Comiques(poètes)surlesPythagoriciens
105n. 8.Condensation,VoirJlaré/action.Conflagration.VoirtKTtlçuetç.Continuité368.Copernic347.Corporatisme,corporallté15 sq., 208,
829,355,375.Oorybàntes109.Oosmogontcs8sq.Cratylo417.Crésus28,38,.19.
CrltlaS285n.1.Crotone94n.1.97n.2,225.Çulvasutras24.Cylon98n.4,99.
Damasclus10n. 1,234.Damasias43.Décade115.DémétriusdePhalèro288,407.Démocrite2 n.1; date380; surlesma-
thématiqueségyptiennes24; surAna-xagore288,380; astronomieprimitivede,343,391.
Diagonaleetcarré118sq.Dialectique359.DlcéarquesurPythagore94,98n.2,102.Dieux: Thaïes50,Anaxlmandre65,75;
Anaxlmène83; Xénophanc142sq.;Heraclite191sq.;Empédocle261,268,285sq.; Diogèned'Apollonic,409n.1.
Diodored'Aspendos106.Diogèned'Apollonic301,380,406sq.Divisibilité302sq.,361,363sq.,375.Dodécaèdre339sq.Doricn,dialecte323,325sq.
Eau48sq.,400.Echéerate312.Eclairet-tonnerreC9,71,401n.1.Eclipses.Thaïes40sq.; Anaxlmandre
68; Anaxlmène83; Heraclite167;AIcméon227; Empédocle273; Anaxa-gore 296; les Pythagoriciens347;Leucippe400.
Ecllptique.VoirObliquité.Ecoles33sq.,289sq.Efflucnces.Voirôffoppoa/.Egypte39; Thaïesen, 43sq.: Pytha-
goreetl'Egypte,96sq.Ekphantos336n. 1,386n.2.Eléates.VoirVarménide,Xénon,Mélissos
35n.2; Leucippeet les,383sq.Elée,èred', 128n. 2, 129,195.Eléments(voirOTOI^ÏÎO,racines,se-
mences,h!ta,e'iêoc,/ioç$lj)f,Sn.1,66,58,237,259sq.,262n. 1,337sq.
Eleuslnles(cultedeDéméter)87.Embryologie.Parménide205,Empédo-
cle278sq.Empédocle229sq.; relationsavecLeu-
cippe237,882,391; avecXénophanc139,247n. 8; avecPythagore834,856n. 1; avecParménide241,263.
Ephèse145sq.EpicureetLeucippe379sq.,387n.1,390
n. 1,193sq.Kplménlde0, 88.
INDEXALPHABETIQUE 427
Equlnoxes,précessiondes,25,345n.2.Eratosthène.App.f 21,230n.2.Eros9,222.Eschyle311n.6.Espace205,206,361,388.Ether.Voira'tOfiç.Etoilesfixes68,83.Euclidc119,120.EuelidcdeMégare354.Eudème,surThaïes45sq.; surPytha-
gore117n.3,118n.2; surParménide206n.1; surZenon361,364n.3; surletermeoroixeiov259n.1.
Kudoxe120,219,311.Euripide(fr.inc.910)12n. 2, 11n.2,
311,n.6; et Anaxagore292sq.Eurytos112si].,318,320.Eusèbo19sq.Euthymènc4t.Evolution: Anaxlmandre71; Empé-
docle278; Anaxagore313.Kxamyès40.Expérimentation31sq.,270sq.
Favorlnus255n.5.Feu123,163sq.,215.Peucentral221,312sq.Fèves101sq.Figuresnumériques112sq.,335.Forgés(écrits)47,115n. 1,188.Fossiles137.
Galien236.Galeuslecis74.Oéoccntriquc(hypothèse)31,126,22t.Géométrie:égyptienne23sq.;deTbalès
44sq.; dePythagore117sq.UlaucusdeBheglum230n.3.Gnomon(l'instrument)30n.2,54.Gnomon(engéométrieet en arithmé-
tique)116.Gorglas231n.1,233,236n.3,254n.1,
284n.3,295n.1,417.Goût: Empédocle283; Anaxagore314.Grandeannée25,178.
Harmoniedes sphères124,319.Voirâofioviaetâme.
Harmoniques120.Uarpédonapts24,118.Héeatée20,44,47,5».Héllocentrlquo(hypothèse)27,315n. 2,
347sq.HéraclldcdePont,surPythagore106,
107n. 1,110,319n.2,386n.8; surEmpédocle830n.8et3,835n.S,838n.6| hypothèsehélloccntriqncd',846.
Heraclite145sq.: sutHomère184,187;sur Pythagore96,108sq.,145; surXénophane145.
Héraclitiens35,141,416.Hemodore145.Hérodote,surHomèreetsurHésiode8;
surl'influenceégyptienne18; surlagéométrie23; surl'Orphlsme96n.2;surSolon28;surl'influencelydienne38; surThaïes38,39,40,44sq.; sur'Pythagore95sq.,109.
Héslodo6sq.HésychlusdeMilct48n.3.Iliéron127.Ulppasos105n.1,119,123,159,217,339,
341,;352.Hippocratc237n.3,285n.1,404,410n.3;
Ileolàlçxjv,téârm; T&XUV80n. 1.Hippocrate,lunulesd', 341.[UIppocratc]UtoXiiaixnc170n. 3, 184
n.1,303n.4,305n.1,404.lllppolyte,App.( 13,158.HippondeSamoa49,59n.1,290,405sq.HippysdeRhéglum124n.2.Homère5sq.Homme: Anaxlmandre.73,Heraclite
171sq.Hylozelsme15.Hypoténuse118.
Ibycus223n.1.Idalosd'Himéra59n. 1,40ci.Idées,théoriedes,352sq.Immortalité92,173sq.,227.Incommensurabilité118sq.Indienne(phUosophle)21.VoirTrans-
migration.Infini:Anaxlmandre60sq.; Xénophane
138sq.; Parménide209,Mélissos373.VoirDivisibilité,diretçov.
Influencesorientales17sq.Injusttco56,72,163,228.Ionien,dialecte,325sq.,407.Isocrate96.
Jambllque.Voirl'yth.93n.2,109n.1.Justice32,163n.1.
Kadmos39.Kratlnos405.Kronos10.
Lampsaquc291,414.Leucippe379sq.5et les Eléates381,
383sq.;etEmpédocle838,382,891sq.;et Axanagorc380sq.,891sq.;et les
428 INDEXALPHABÉTIQUE
Pythagoriciens386,388,390;etDémo-crite380,388sq.,401n. 1.
Limite123,217,331sq., Lucrèce,surEmpédocle239; surAnaxa-
gore804n. 1.Lumière: Empédocle272.VoirLune.Lune68; lumièredela,204n.1,272sq.,
899,312.Lydie37sq./.ysis100,317,323.
Maoris9.Mare-Aurèle182.Margitès131.Matérialisme210.Matière.Voirvty.Médecine,histoiredela,225,228,236sq.,
263sq.,2t>5n.1,320,342,404,410,413.Mégariens354.Mélampous96n.4.Mélissos368sq.Mélissos,XénophaneclGorglas139sq.Ménon,'Iarçlnâ*9n.2,237n.2,320n.1,
325n. 3,333n.1,405n. 1.Mer,Anaxlmandre67,71sq.,Empédocle
873,Anaxagore311,Diogèned'Apol-lonic412.
Mesures169sq.,180,409,412.Métaponte94n. 1, 97,99n.1.Métempsychose.VoirTransmigration.Météorologie,Intérêtpourla, 49,71.MUet37sq.,76,379,381.MUon100sq.,225.Mocbosde Sidon19n.4.Moïse19n.4.MondesIinonibrablcs: Anaxlmandre63
sq.,Ai.axlmène83sq.,Pythagore124,Xénophane137,Anaxagore310,Dio-gèned'Apollonic413,Archélaos416.
Monisme208,229.Monothéisme142sq.Mort: Heraclite173sq.,Parménide224,
AIcméon228,Empédocle2,79sq.Mouvement.Eternel,15,61; nié par
Parménide209\expliquéparEmpé-doclo263; Anaxagore307; critiquépat Zenon365; niéparMélissos375;
, réaffirméparLeucippe391sq.Mystères92,192.
Nécessité.Voir'Avàynti.Nemeslos179.Nieomaque93,114n. i,NlgldiusFlgulus106.NU43sq, 311.Nombres:pythagoriciens389sq.; trian-
gulaires,carréset oblongs115.
Nouménlus19.Nous307sq.
Obliquitéde l'écliptique(zodiaque),53.83,400.
Obscurité80,123,176,216.Observation29sq.,74.Octave120.Odorat: Empédocle282,Anaxagore315.Opposés66,186sq.,225,237,263,302.Orgies89.Orient.Influencede1',17sq.Orphlsme6, 9 sq.,88sq,,96n. 4, 110
n.2, 197,223,234,251n.3,255n.2.Ouïe: Empédocle282,Anaxagore315.
Pair et impair331sq.Paracelse341.Parménide195sq.; surHeraclite145,
201n. 3,203sq.,212; et lesPythago-riciens213sq.
Pausanias235,240.Pentagrammc341.Perception: Parménide204n. 2, 224;
AIcméon226sq.; Empédocle281sq.;Anaxagore314sq.; Leucippe401sq.;Diogèned'Apollonic413sq.
Pérlelèset Zenon196;et Anaxagore293sq.; et Mélissos363.
Pesanteur393sq.Pétélia89n. 1.Pétroni \ 121.l'iiénlciet'iics,influences,18,19n. 4,39.PhérécydedeSyros9,88.Philipped'Opontc347.Phllistlop.24 n.2,237n.1et2,262n.2,
285n. 1,354n.S.Philodèmc51n.3,65,223n. 2.Philolatk317,318sq.Phllon•leByblos19n. 4.Phllonle Juif19,161,187,221n. 3.PhilosophiecommeKÔdaçctt90;emploi
decemotparlesPythagoriciens90sq.,197,319n. 3, 357; synonymed'ascé-tisme18.
Phllonte90n. 3,95n.2, 110n. 2,318Phocée195.Physiologie: Parménide824sp., AIc-
méon826,Empédocle278,Diogèned'Apollonic410.
Pindare234.Piremus23.Plaisiret peine: Empédocle282,Ana-
xagore315.Planètes,nomsdes,26n. l£223; distin-
guéesdesétoilesfixes87,83,873,391,400;mouvementsdes,185,827,3t8,350;systèmeplanétaire348sq.
INDEXALPHABETIQUE 429
Plantes:Empédocle274sq.,Anaxagore313sq.
Platon: App.S1; surlesEgyptiensetlesBabyloniens18,21,27n. 1; surl'arithmétiqueégyptienne82; surlesécolesde philosophie34; surPytha-gore98,n.2; surXénophane141;surlesEléates141; surHeraclite141,161,165,179,181; surlesHéraclitiens163n.1,190n.8;surParménide195,209,223; surEmpédocle161sq.,181,265n.2;surAnaxagore288n.7,892,894,307;surPhUolaos317; surlesPytha-goriciens123; surlesIncommensura-bles119n.2; surZenon195,356,357,359sq.; surMélissos378n.1; Apo-logie296n.1; Phédon14n.2,90n.3,92n.2,110n.1et2,175n.2,185n.1,318,340,341,343,353sq.; CratyU860n. 3,416n.4; ThlétlU119n.2,259n. 1,816n. 1,416n.4; Sophiste354n.2,356n.3;Politique876n.3;Parménide356n.8,357,359sq.; Phi-libe321;Symposion223,277n. 4;Phèdre292;Gorgias318;Ménon236n.,3,281n. 3; République25n. 1,90n.3,113n.2,179n.2,218,222sq.,350;Timée25n. 1,62n. 1,80'.;n.1,115n. 3, 120n. 1, 123,124n. 1,217n.1,228,262n.1,338sq.,343n.1,344,350,395; IAAS13n.2,109n.4,119n.3,265n.2,351; Epinomis37n.1..
Pline42,45n.4,62sq.,289.Pluralisme229sq.,355.Plutarquo45n.4,74n.2,183,198n.1;
201n.4,235n.2,387n.4.[Plutarque]63n.1,116n.1,801n. ,
271n.8,873n.1.Politique.Activité—desphilosophes:
Thaïes46,Pythagore98sq.,<Parmé.nido198,Empédocle832sq.,Zenon856.
Polybeloin. l.Polybos378.Polycrate,èrede,63,n.4,96.Pores.Voltitôoot.Porphyre19n.4, 93n.8,106n.1,251
n.3.Posldonius19n.4,82n.1,848n.3.Précession.Volt^Equtnoxes.Proclns.CommentairesurEucllde45,117n. 3.Proportion119sq.Protagoras190,858.Purification.VoltKaOaç/tâc,KâOaçotc.Pytamldes.Mensurationdes,46.Voir
irvçajttc.
Pythagore93sq.;écritspythagoriciensforgés321sq.
Pythagoriciens214sq.,317sq.
Racines262.Raréfactionetcondensation78sq.,165,206,403,412.
Religion86sq.,192,293.VoirOrphisme,Monothéisme,Dieux,Sacrifice.
Repos.VoirMouvement.Respiration237,251n.2,280; dumonde80,122.
Révolution,diurne62,370,844sq.Rhégium100,223n. 1,317.Rhétorique87,236.Rhind,papyrus22sq.Roues: Anaxlmandre68,Pythagore124,Parménide218,Empédocle234.
Rouedesnaissances234.
Sacrifice,mystique106n.2; nonsan-glant255n.5.
Salmoxls95.Sanchonlathon19n.4.Sardes,èrede,43n.1,63,76.Satyros233.Séllnonte,Sélinus,235.Semenus303sq.Sénèque274n.1,311n.6.Septsages39,46,62.Seqt23,46.Silles131.ISocrate: Parménideet Zenon195sq.,356;etArchélaos414.
Soleil: Anaxlmandre68,Anaxlmène81,Xénophanc131sq.,Heraclite167sq.,176sq.,Empédocle271sq.,345sq.,Anaxagore312.
Solides,réguliers326sq.,338.Solon.VoirCrésus.Sommeil:Heraclite172sq.,Empédocle879.
Sophocle311n.6. ,Souffle.VoirRespiration,Respirationdumonde,80.
Speusippe115n.2,117n.1; sutPar-ménide193;surlesnombrespytha-goriciens116,319,334n.9.
Sphèro:Parménide210sq.,Empédocle858sq.VoirTerre,Eudoxe,harmonie.
Stobéc64,82u,2,824.Stoïciens.App.I 3,84n.8,159,178sq.Strabon19n.4,39n.4,197,198n.1.
Tarente98n.4,317.Terre,unesphère26; Thaïes48sq.,
Anaxlmandre71sq.,Anaxlmène81sq.,81n.4; Xénophane137,Anaxagore
430 INDEXALPHABETIQUE
311,les Pythagoriciens342sq.,Leu-cippe400,Diogèned'Apollonic412.
Tétraktys115sq.Thaïes39sq.118.Théano352.Thèbes,Lysisa, 100,318; PhllolaosA,
101.Théétète119,326.ThéodoredeCyrènc119.Théodoret82n. 3.Théogonie: Hésiode7sq.; rhapsodique
10n. 1,234.Théologie.VoirDieux.Théologiens10.ThéondeSmyrnc27n. 1,115n.2.Théophraste,App.S7;surlesécoles33,
35,52; sur Prométhée39n. 2; surThaïes49; surAnaxlmandre51,66;surAnaxlmène77sq.; surXénophane129,138,140; surHeraclite147,168,165sq.; sur Parménide211,215sq.,220,223; surEmpédocle23»n.1,237,269,275,281,281; surAnaxagore288,290,312,S14sq.; surLeucippe381,383sq.; 389sq., 401; sur Diogèned'Apollonic380,406sq., 413;surHippondeSamos,406.
Théorétlque.Vie,288.Thérond'Agrigente231,234.Thrasidalos231.
Thurium96.n.S,89n. 1,230sq.TiméedeLocres321sq.Timéede Tauroménlum830n. 8,232,
235,239n. i.TimondoPhllonte131,322.Toucher:Empédocle289,Anaxagore314.Tourbillon: Empédocle870,Anaxagore
309,Leucippe399sq.Transmigration96sq.,103sq.,126,285sqTrianglepythagoricien24,115.
Unité335,363.
Vide,pythagoricien123,216,227,333,383,Parménide806,209,AIcméon827,Àtomistes388sq.
Vies,lestrois,110,157n. 2.Vision:AIcméon227,Empédocle281,
884,Anaxagore314.Vololactée70,223,312.
Xénophanc126sq.; surThaïes41; surPythagore122.
Xénophon32.
ZamoixU95.Zanklc129n. 3.Zenon356sq.; surEmpédocle357; sur
lesPythagoriciens360.
II. GREC
hilKla66,60sq.,72.htjO80n.1,259sq.,281n. 2.VoirAir.a'ibfjÇ259sq.,311n.8.hKobo/iaTa107sq.,826.àitovo/ianKoi97,105.'AvâyKti281,25»n. I, 265.avaOvfitaoïc170n. 1,171n.1.hvA;ivt)Oic110n.2.àvrlçtiaïc399.clvrvf819.âxttçov67n. 1,61n.1.dirvove1)835n. 3,838n.5.hnoQÇoal238,884n.3.inoTorf390n.1.àplÔfinTtKfjdist.deXoyioriKf)23,Utn.2.dç/tovta186,161,187.dçKtiovâitTat84.hoxh13.M.a'vtbbhr.v 358n. 2.
fofaoi73sq.ytjirtc108.Catfiuv168n. 1,175n. 2.êtaorfifiara65n. 4.6Un32,163n. 1.ôlvif.VoirTourbillon.âlOçlÇo122n.4.clioc353sq.,387n. 4.clSiÙja402.tlvat 200n.3; TÔèiv806n.2.lKdhi(>i(396n. 1.
-iKKOtOlC63.Unlçuctc180sq.h, TO142,361n.6,376.ivavrta.VoirOpposés.ivlÇttv141n. 1.Inltpavctc899.iorù 328n. 3.0i6c75.VoirDieux.
INDEXALPHABÉTIQUE 431
Oioçla83,110.dv/tôc157n.1.îêia337n.8, 259n.1,354,387n.4.lâoc844n.8,848n. 3.loovo/ila828.leooçoitla397.loroola14n.8; 28,109n.1.Kadaçfiôc,nAOaçotç89,109.luyXQiTilÇAôyoç358n.8.lAtîfiâoa251n. 2, 258n.1; 260,307
383.Kfoiçovxoç821.KÔe/ioç31,150n.2,185n.2.Kçarto308.loytonidjdistinctde àçiOfinriK^23,
113n.8.Zôyoe148n.4; 151n.1, 154n. 3, 156
n.1et8;160;UyocTOVtivat353n.8.
fUOÔTBÇ120.peTenyjrbxuisiç103n.1.Hertvcuftàtuoic103"n.j.(urtuça32.liogÇf]259n 1,354n.3.ày-Kot336n.1,366n.2,386n.3.o?jt<5ç339n.3.àuoiQfitçri305.bpoioç.,6/totôrtii72n.2.ôçyia89n.8.opoç117n.8.olçavôt31,142n. 1; xoùroçoiçavàt
d'Aristote177.jrdyoc870n.1.
va'Xtyyeveola103n 1.Tra/ivrovoç153n4,186.jraWvrpojreç152n.4,801n.3.iravoncofila305,387.xeçtayuyfi61n.1.xeçtixu61n.1,178n.3.
neçioraotç64n.1.jrÙçffif78n.1.nôooi226,238,266,281sq.,383.ffpi?OT(}p69n.8,168sq.Kç6lftt)tia32n.8.n-ifa/ifç84n.4.(Knp^elv129n.4.fyiiti)397.<xy/iacù/ia319.oraotCrrai141n.2.oriÇavai218.OTOi^etov65n.1,66n.1,58,259n.1,
262n. 1,304,331,387n.3.0"wouc«oïiv160n.1.TfTpatcrfcf115sq.rçorcal67n. 1,177.f/3pic29.{}j}67,328n.3,340n.2.vnâdeotc33n.2,358n.6,359n.6.vxoreivovca118n.1.faivôfteva,aû&ivrà 33n.2.
QtXocoQla,<£ù.6eo$oc,QûjoaoÇC»Voirphilosophie.
Çvatç18sq.,67,387,avecn.2et 5.
Xôça116n.1,117n.2.
TABLE DES MATIÈRES
Page»INTRODUCTION 1
Caractèrecosmologiquede la philosophiegrecqueà sesdébuts,p. 1. - l.a vueprimitivedu monde,p.2.—Tracesde la vuepri-mitivedansla plusanciennelittérature.Homère,p.4.—Hésiode,p. 6. — Cosmogonie,p. 8. — Caractéristiquesgénéralesde l'an-cienne cosmologiegrecque, p. 10. — Ex nihllo nihll, p. 11.—Jaiç, p. 12.—Mouvementet repos,p. 15.—Effondrementde laconceptionprimitivedumonde,p. 16.—Prétendueorigineorien-tait-de la philosophie,p. 17. — Lesmathématiqueségyptiennes,p. 22.—L'astronomiebabylonienne,p. 25.—Lecaractèrescien-tifiquede l'anciennecosmologiegrecque,p. 28. — Ecolesdephi-losophie,p. 33.
CHAPITREPREMIER.L'ÉCOLEM1LÊSIENNE 37
Miletet la Lydie,p.37.—Thaïes,sonorigine,p.39.—L'éclipsépréditepar Thaïes,p. 40.— DatedeThaïes,p. 42.—ThaïesenEgypte,p. 43. — Thaïeset la géométrie,p. 44. —Thaïescommehommepolitique,p. 46. —Caractèreincertainde la tradition,p. 47.—Exposéconjecturalde la cosmologiede Thaïes,p.48. —L'eau,p. 49.- Théologie,p. 50.—Anaxlmandre.Savie,p 52.—Théophrasteet la théoried'Anaximandresur la substanceprimor-diale,p. 54. —Lasubstanceprimordialen'est pasun des c élé-ments»,p. 55.—L'analysearistotéliciennedela théorie,p 57.—Lasubstanceprimordialeest infinie,p. 60. —L'éternelmouve-ment,p 61.— Lesmondesinnombrables,p. 63. — Originedescorpscélestes,p. 66.—La terre et la mer, p. 71,— Les ani-maux,p. 73.—Théologie,p. 75.—Anaxlmène.Savie,p. 76.—Sonlivre,p. 77.—Théoriede la substanceprimordiale,p.77.—Raréfactionet condensation,p. 78. —L'air, p. 79.—Le monderespire,p.80.'—Lesparties du monde, p. 81.—Les mondesinnombrables,p. 83.—Influenced'Anaximène,p. 84.
CHAPITREU.SCIENCEET RELIGION...... 86
Migrationsversl'Ouest,p. 86. — Leréveilreligieux,p. 87. —Lareligionorphique, p. 88. —La philosophie,cheminde vie,p. 90.—Pasde doctrinedansles«mystèrest, p. 92.—Pythagore
PHILOSOPHIEORBOQUK 28
434 TABLEDESMATIÈRES
Page»de Samos.Caractèrede la tradition, p. 93. —Viede Pythagore,p. 95.—L'Ordre,p. 97.—Chutede l'Ordre, p. 99.—Insuffisancedenos renseignementssur la doctrine pythagoricienne,p. 101.—Latransmigration,p. 103.—L'Abstinence,p. 104.—'Axotanaw,p. 107.—Pythagorecommehommede science,p. 108.—Arith-métique, p. 111.—Lesfigures,p. 112.—Nombrestriangulaires,carrés et oblongs,p. 115.—Géométrieet harmonique,p. 117.—Incommensurabilité,p. US.—Proportionet harmonie,p. 119.—Leschosessont des nombres,p. 121.—Cosmologie,p. 122.—Lescorpscélestes,p. 124.—Xénophanede Colophon.Savie, p. 126.—Poèmes,p. 130.—Lesfragments,p. 131.—Les corps célestes,p. 134.— La terre et l'eau, p. 137.— Fini ou Infini,p. 138. —Dieuet le monde,p. 141.—Monothéismeou polythéisme,p. 142.
CHAPITREm.HERACLITED'ÉPHÈSE 14»
Vied'Heraclite,p. 145.— Son livre, p. 146.— Les fragments,p. 148.— La traditiondoxographique,p. 158.— La découverted'Heraclite, p. 160.—L'un et le multiple, p. 161.- Le feu,p. 163.— Leflux,p. 164.— Le sentieren haut et le sentier enbas, p. 165.—Mesurepour mesure,p. 169.— L'homme,p. 171.— Sommeilet veille,p. 172.—Vie et mort, p. 173.—Le jour etl'année,p. 176.— La grande année, p. 178.— Heracliteensei-gnait-il uae conflagrationgénérale? p. 180.— Lutte et harmo-aies, p. 186.— Corrélationdes contraires, p. 188.— Le Sage,p. 191.—Théologie,p. 191.- Moraled'Heraclite,p. 193.
CHAPITREIV.PARMÉNIDED'ÉLÉE 195
Savie, p. 195.—Le poème,p. 198.—«Celaest », p. 205.—La ,méthodede Parménide,p 207.—Les résultats, p. 209.—Parmé-nide, père du matérialisme,p. 210. — Les croyancesdes « Mor-tels », p. 210. — La cosmologiedualiste, p. 214.— Les corpscélestes,p.217.— Lescouronnes, p..218. - La Divinité,p. 220/—Physiologie,p. 224.—AIcméonde Crotone.p. 225. {fV-.w..-'-t\<.
»' \CHAPITREV.
EMPÉDOCLED'AGRIGENTE..... 22»Pluralisme,p. 229.—Dated'Empédocle,p.230. — Empédocle
tommehommed'Etat, p-232. — Empédoclecommeconducteurreligieux,p. 233.—Rhétoriqueet médecine,p. 236.— Relationsd'Empédocleavecsesprédécesseurs,p. 237.—Sa mort, p. 238.—Ses écrits, p. 239.—Lesfragments,p. 240.—Empédocleet Par-nénide, p. 257.— Les « quatre racines», p. 259. — Haine et *
amour,p.263.—Mélangeet séparation,p.265.—Lesquatre pério-des, p. 266.- Notremonde,oeuvrede la Haine,p. 267.—Forma-
TABLEDESMATIÈRES 485
Pagesliondumondepar la Haine,p. 268.— Le Soleil, la Lune, lesEtoileset la Terre, p. 271.—Combinaisonsorganiques,p. 374.—LesPlantes,p. 274.—Evolutiondesanimaux,p. 276.—Phy-siologie,p. 278.— Perception,p. 281.— Théologieet religion,p. 285.
CHAPITREVI.ANAXAGOREDECLAZOMÈNES 287
Date,p.287.— Sa jeunesse,p. 288.— Rapportavec l'écoleIonienne,p. 289.— Anaxagoreà Athènes,p. 291.— Leprocès,p.293.- Sesécrits,p.295.—Lesfragments,p. 296.—Anaxagoreet sesprédécesseurs,p.300.—« Chaquechoseen chaquechose»,p. 301.—Lesportions,p 302.—Lessemences,p.303.—«Touteschosesensemble»,p.306.—LeaNous»,p.307.—Formationdesmondes,p.309.—Mondesinnombrables,p.310.— Cosmologie,p. 311.—Biologie,p. 313.—Laperception,p.314.
CHAPITREVU.LESPYTHAGORICIENS 317
L'Ecolepythagoricienne,p. 317.—Philolaos,p. 318.- Platon '
et les Pythagoriciens,p. 320.— Les fragmentsde Philolaos, ;p. 324.—Leproblème,p.327.- Aristoteet les nombres,p.329. \ *;—Lesélémentsdes nombres,p. 331 —Les nombresétendus, \p. 333.—Lesnombresgrandeurs,p. 335.—Les nombreset les \éléments,p.337.—Ledodécaèdre,p. 339.—L'âme,une«harmo- Inie»,p. 341.— Lefeucentral,p.342.— L'antichton,p. 347.— /Mouvementsdes planètes,p. 348.—Leschoses,imagesdesnom- <bres,p. 351.
CHAPITREvin.LESJEUNESELÉATES 355
Rapportavecleursprédécesseurs,p. 355.— Zenond'Elée.Savie,p.356.—Sesécrits,p. 357.—Sadialectique,p.359.—Zenonet le Pythagorisme,p. 360.—Qu'est-ceque l'unité? p. 361.—Lesfragments,p. 362.— L'unité,p. 363.— L'espace,p. 364.—Le mouvement,p.365.—Mélissosde Samos.Savie,p. 368.—Lesfragments,p. 369.—Théoriede la réalité, p. 372.—Laréalitéinfiniedansl'espace,p. 373.—OppositionauxIoniens,p. 374.—OppositionauxPythagoriciens,p.375.—Oppositionà Anaxagore,p. 377.
CHAPITREIX.LEUCIPPEDEMILET 379
Leucippeet Démocrite,p. 379.—Théophrastesur la théorieatomique,p. 383.— Leucippeet les Eléates,p. 383.—Atomes,p. 386.—Levide,p. 388.—Cosmologie,p. 388.—Rapportsaveclacosmologieionienne,p.390.—Lemouvementéternel, p. 391.—Lapesanteurdesatomes,p. 393.—Letourbillon,p.399.—La
436 TABLEDESMATIÈRES
Pagesterre et les corpscélestes,p. 400.—La perception,p. 401.—Im-portancede Leucippe,p. 402.
CHAPITREX.ÉCLECTISMEET RÉACTION 404
La«banqueroutede la science»,p. 404. — Hipponde Samos.L'humidité,p. 405.—Diogèned'Apollonic.Sa date, p. 406.- Sesécrits, p. 408.— Lesfragments,p. 408.—Cosmologie,p. 411.—Animauxet plantes, p. 413.— Archélaosd'Athènes. Anaxago-réens, p. 414.—Sacosmologie,p. 415.—Conclusion,p. 416.
APPENDICE(LesSources).V ". '..';.'\ 418
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' 'INDEXALPHABÉTIQUE. :•'... . ."••; *2*
LAUSANtB—IMPRIMERIESRÉUNIES~
INDEX ALPHABETIQUEI. FRANCAIS
AahmesAbarisAbdère, école d'Abdère,Abstinence orphique et pythagoricienneAbstinence orphique et empédocléenneAcadémieAchille et la tortueAcousilaosAcousmatiquesAcronAegospotamos, pierre météorique d',Aétius, app. § 10, sur EmpédocleAgathemerosAgénorAgrigenteAirAkousmataAlcidamasAlcméonAlexandre d'AphrodisteAlexandre d'EtolieAmasisAmeAme du mondeAmeiniasAmmoniusAmour. Voir Eros, Amour et HaineAnaxagoreAnaxagore et PériclèsAnaxagore et EuripideAnaxagore sa relation à l'école onienneAnaxagore et ZénonAnaxagoréensAnaximandreAnaximèneAnaximène école d',AndocydeAndron d'EphèseAnimaux: AnaximandreEmpédocleAnaxagoreDiogène d'ApollonieAnnée. Voir Grande année.AntichtonAntisthène (Successions)Antonius DiogèneApollodore. App. § 21,Apollon hyperboréenApollonius de TyaneApophtegmesArchélaosArchipposArchytasAristarque de SamosAristéas de ProconnèseAristophaneAristote. App. § 2; sur l'EgypteAristote. App. § 2; sur ThalèsAristote. App. § 2; sur Anaximandre,Aristote. App. § 2; sur PythagoreAristote. App. § 2; sur Xénophane,Aristote. App. § 2; sur HéracliteAristote. App. § 2; sur ParménideAristote. App. § 2; sur AlcméonAristote. App. § 2; sur EmpédocleAristote. App. § 2; sur Anaxagore,Aristote. App. § 2; sur les PythagoriclensAristote. App. § 2; sur ZénonAristote. App. § 2; sur MélissosAristote. App. § 2; sur LeucippeAristote. App. § 2; sur HipponAristote. App. § 2; sur le galeus levisAristote. App. § 2; sur la vie théorétiqueAristote. App. § 2; sur les mystères,[Aristote] de Mundo[Aristote] de PlantisAristoxène sur PythagoreAristoxène sur les PythagoriciensAristoxène Aristoxène sur HipponAristoxène sur PlatonArithmétique égyptienneArithmétique pythagoricienneArithmétique symbolisme arithmétique,Astronomie, babylonienne et grecque, Corps célestes, Soleil, Lune, Planètes, Etoiles, Terre, Eclipse, hypothèses géocentrique et héliocentrique.AthéismeAthènes. Parménide et Zénon à Athènes,Athènes Anaxagore à Athènes,
AtomesAtomisme. Voir LeucippeBabylonien: langageBabylonien: astronomieBabylonien: cycle des éclipsesBabylonien: ,BéroseBiologie. Voir Animaux, Plantes. Sang. EmpédocleDiogène d'ApollonieCaverne, orphiqueCébès et SimmiasCébès, Célestes, Corps: AnaximandreCélestes, Corps: AnaximèneCélestes, Corps: PythagoreCélestes, Corps: XénophaneCélestes, Corps: HéracliteCélestes, Corps: ParménideCélestes, Corps: EmpédocleCélestes, Corps: AnaxagoreCélestes, Corps: LeucippeCélestes, Corps: Diogène d'ApollonieCerveau: AlcméonCerveau: EmpédocleCerveau: Ecole sicilienne de médecineChaosChrysippeCicéron, App.§ 12; sur ThalèsCicéron, App.§ 12; sur AnaximandreCicéron, App.§ 12; sur AnaximèneCicéron, App.§ 12; sur ParménideCicéron, App.§ 12; sur l'AtomismeCléantheClément d'AlexandrieCoeurComiques (poètes) sur les PythagorieliensCondensation, Voir Raréfaction.Conflagratlon. Voir .ContinuitéCopernicCorporalisme, corporalitéCorybantesCosmogoniesCratyleCrésusCritiasCrotoneCulvasutrasCylonDamasciusDamasiasDécadeDémétrius de PhalèreDémocriteDémocrite dateDémocrite sur les mathématiques égyptiennesDémocrite sur AnaxagoreDémocrite astronomie primitive de,Diagonale et carréDialectiqueDicéarque sur PythagoreDieux: ThalèsDieux: AnaximandreDieux: AnaximèneDieux: XénophaneDieux: HéracliteDieux: EmpédocleDieux: Diogène d'Apollonie,Diodore d'AspendosDiogène d'ApollonieDivisibilitéDodécaèdreDorien, dialecteEauEchécrateEclair et tonnerreEclipses. ThalèsEclipses. AnaximandreEclipses. AnaximèneEclipses. HéracliteEclipses. AlcméonEclipses. EmpédocleEclipses. AnaxagoreEclipses. les PythagoriciensEclipses. LeucippeEcliptique. Voir Obliquité.EcolesEffluences. Voir .EgypteEgypte Thalès en Egypte,
Egypte Pythagore et l'Egypte,EkphantosEléates. Voir Parménide, Zéon, MélissosEléates. Leucippe et les Eléates. ,Elée, ère d',Eléments (voir , racines, semences, , , )Eleusinies (culte de Déméter)Embryologie. ParménideEmbryologie. EmpédocleEmpédocleEmpédocle relations avec LeucippeEmpédocle avec XénophaneEmpédocle avec PythagoreEmpédocle avec ParménideEphèseEpleure et Leucippe 379 sq., 387 n. 1, 390 n. 1, 93 sq.EplménideEquinoxes, précession des,Eratosthène. App.§ 21,ErosEschyleEspaceEther. Voir .Etoiles fixesEuclideEuclide de MégareEudème, sur ThalèsEudème, sur PythagoreEudème, sur ParménideEudème, sur ZénonEudème, sur le terme EudoxeEuripide (fr. inc. 910)Euripide (fr. inc. 910) et AnaxagoreEurytosEusèbeEuthymèneEvolution: AnaximandreEmpédocleAnaxagoreExamyèsExpérimentationFavorinusFeuFeu centralFèvesFigures numériquesForgés (écrits)FossilesGalienGaleus levisGéocentrique (hypothèse)Géométrie: égyptienneGéométrie: de ThalèsGéométrie: de PythagoreGlaucus de RhegiumGnomon (l'instrument)Gnomon (en géométrie et en arithmétique)GorglasGoût: EmpédocleAnaxagoreGrande annéeHarmonie des sphères et âme.HarmoniquesHarpédonaptsHécatéeHéliocentrique (hypothèse)Héraclide de Pont, sur PythagoreHéraclide de Pont, sur Empédocle ;Héraclide de Pont, hypothèse héllocentrique d',HéracliteHéraclite sur HomèreHéraclite sur PythagoreHéraclite sur XénophaneHéraclitiensHermodoreHérodote, sur Homère et sur HésiodeHérodote, sur l'influence égyptienneHérodote, sur la géométrieHérodote, sur l'OrphismeHérodote, sur SolonHérodote, sur l'influence lydienneHérodote, sur ThalèsHérodote, sur Hérodote, PythagoreHésiodeHésychius de MiletHiéronHippasosHippocrateHippocrate , ,
Hippocrate, lunules d',[Hippocrate] Hippolyte, App. § 13,Hippon de SamosHippys de RhégiumHomèreHomme: AnaximandreHéracliteHylozoïsmeHypoténuseIbyeusIdalos d'HiméraIdées, théorie des,ImmortalitéIncommensurabilitéIndienne (philosophie) Transmigration.Infini: AnaximandreXénophaneParménideMélissos Divisibilité, .Influences orientalesInjusticeIonien, diaicete,IsocrateJamblique. Voir Pyth.JusticeKadmosKratinosKronosLampsaqueLeucippeLeucippe et les EléatesLeucippe et EmpédocleLeucippe et AxanagoreLeucippe et les PythagoriciensLeucippe et DémocriteLimiteLucrèce, sur EmpédocleLucrèce, sur AnaxagoreLumière: Empédocle Lune.LuneLune lumière de la,LydieLysisMaorisMarc-AurèleMargitèsMatérialismeMatière. Voir .Médecine, histoire de la,MégariensMélampousMélissosMelissos, Xénophane et GorginsMénon, Mer, AnaximandreMer, EmpédocleMer, AnaxagoreMer, Diogène d'ApollonieMesuresMétaponteMétempsychose. Voir Transmigration.Météorologie, Intérêt pour la,MiletMilonMochos de SidonMoïseMondes Innombrables: AnaximandreMondes Innombrables: AnaximèneMondes Innombrables: PythagoreMondes Innombrables: XénophaneMondes Innombrables: AnaxagoreMondes Innombrables: Diogène d'ApollonieMondes Innombrables: ArchélaosMonismeMonothéismeMort: HéracliteMort: ParménideMort: AlcméonMort: EmpédocieMouvement. Eternel,Mouvement. Eternel, nié par ParménideMouvement. Eternel, expliqué par EmpédocieMouvement. Eternel, AnaxagoreMouvement. Eternel, critiqué par ZénonMouvement. Eternel, nié par MélissosMouvement. Eternel, réaffirmé par LeucippeMystèresNécessité. Voir .Nemesios
NicomaqueNigidius FiguiusNilNombres: pythagoriciensNombres: triangulaires, carrés et oblongsNousObliquité de l'écliptique (zodiaque),ObscuritéObservationOctaveOdorat: EmpédocleOdorat: AnaxagoreOpposésOrgiesOrient. Influence de l',OrphismeOuïe: EmpédocleOuïe: AnaxagorePair et impairParacelseParménideParménide sur HéracliteParménide et les PythagoriciensPausaniasPentagrammePerception: ParménidePerception: AlcméonPerception: EmpédoclePerception: AnaxagorePerception: LeucippePerception: Diogène d'ApolloniePériclès et ZénonPériclès et AnaxagorePériclès et MélissosPesanteurPétéliaPétron , 124.Phéniciennes, influences,Phérécyde de SyrosPhilippe d'OpontePhilistion 2 6 n. 2, 237 n. 1 et 2, 262 n. 2, 285 n. 1, 354 n. 3.PhilodèmePhilolatisPhilon de ByblosPhilon le JuifPhilosophie comme Philosophie emploi de ce mot par les PythagoriciensPhilosophie synonyme d'ascétismePhliontePhocéePhysiologie: ParménidePhysiologie: AlcméonPhysiologie: EmpédoclePhysiologie: Diogène d'ApolloniePindarePiremusPlaisir et peine: EmpédoclePlaisir et peine: AnaxagorePlanètes, noms des,Planètes, noms des, distinguées des étoiles fixesPlanètes, mouvements des,Planètes, système planétairePlantes: EmpédoclePlantes: AnaxagorePlaton: App. § 1; sur les Egyptiens et les BabyloniensPlaton: App. § 1; sur l'arithmétique égyptiennePlaton: App. § 1; sur les écoles de philosophiePlaton: App. § 1; sur PythagorePlaton: App. § 1; sur XénophanePlaton: App. § 1; sur les EléatesPlaton: App. § 1; sur HéraclitePlaton: App. § 1; sur les HéraclitiensPlaton: App. § 1; sur ParménidePlaton: App. § 1; sur EmpédoclePlaton: App. § 1; sur AnaxagorePlaton: App. § 1; sur PhilolaosPlaton: App. § 1; sur les PythagoriciensPlaton: App. § 1; sur les incommensurablesPlaton: App. § 1; sur ZénonPlaton: App. § 1; sur MélissosPlaton: App. § 1; ApologiePlaton: App. § 1; PhédonPlaton: App. § 1; CratylePlaton: App. § 1; ThéétètePlaton: App. § 1; SophistePlaton: App. § 1; PolitiquePlaton: App. § 1; ParménidePlaton: App. § 1; PhilèbePlaton: App. § 1; SymposionPlaton: App. § 1; Phèdre
Platon: App. § 1; GorgiasPlaton: App. § 1; MénonPlaton: App. § 1; RépubliquePlaton: App. § 1; TiméePlaton: App. § 1; LoisPlaton: App. § 1; EpinomisPlinePluralismePlutarque[Plutarque]Politique. Activité politique des philosophes: ThalèsPolitique. Activité politique des philosophes: PythagorePolitique. Activité politique des philosophes: ParménidePolitique. Activité politique des philosophes: EmpédoclePolitique. Activité politique des philosophes: ZénonPolybePolybosPolycrate, ère de,Pores. Voir .PorphyrePosidoniusPrécession. Voir Equinoxes.Procins. Commentaire sur EuclideProportionProtagorasPurification. Voir , Pyramides. Mensuration des,PythagorePythagore écrits pythagoriciens forgésPythagoriciensRacinesRaréfaction et condensationReligion Orphisme, Monothéisme, Dieux, Sacrifice.Repos. Voir Mouvement.RespirationRespiration du mondeRévolution, diurneRhégiumRhétoriqueRhind, papyrusRoues: AnaximandreRoues: PythagoreRoues: ParménideRoues: EmpédocleRoue des naissancesSacrifice, mystiqueSacrifice, non sanglantSalmoxisSanchonlathonSardes, ère de,SatyrosSélinonte, Sélinus,SemenusSénèqueSept sagesSeqtSillesSocrate: Parménide et ZénonSocrate: Parménide et ArchélaosSoleil: AnaximandreSoleil: AnaximèneSoleil: XénophaneSoleil: HéracliteSoleil: EmpédocleSoleil: AnaxagoreSolides, réguliersSolon. Voir Crésus.Sommeil: HéracliteEmpédocleSophocleSouffle. Voir Respiration, Respiration du monde,SpeusippeSpeusippe sur ParménideSpeusippe sur les nombres pythagoriciensSphère: ParménideSphère: Empédocle Terre, Eudoxe, harmonie.StobéeStolciens. App.§ 3,StrabonTarenteTerre, une sphèreTerre, ThalèsTerre, AnaximandreTerre, AnaximèneTerre, XénophaneTerre, AnaxagoreTerre, les PythagoriciensTerre, LeucippeTerre, Diogène d'ApollonicTétraktys
ThalèsThéanoThèbes, Lysis à,Philolaos à,ThéétèteThéodore de CyrèneThéodoretThéogonle: HésiodeThéogonle: rhapsodiqueThéologie. Voir Dieux.ThéologiensThéon de SmyrneThéophraste, App. § 7; sur les écolesThéophraste, App. § 7; sur ProméthéeThéophraste, App. § 7; sur ThalèsThéophraste, App. § 7; sur AnaximandreThéophraste, App. § 7; sur AnaximèneThéophraste, App. § 7; sur XénophaneThéophraste, App. § 7; sur HéracliteThéophraste, App. § 7; sur ParménideThéophraste, App. § 7; sur EmpédocleThéophraste, App. § 7; sur AnaxagoreThéophraste, App. § 7; sur LeucippeThéophraste, App. § 7; sur Diogène d'ApollonieThéophraste, App. § 7; sur Hippon de Samos,Théorétique. Vie,Théron d'AgrigenteThrasidalosThuriumTimée de LocresTimée de TauroméniumTimon de PhlionteToucher: EmpédocleToucher: AnaxagoreTourbillon: EmpédocleTourbillon: AnaxagoreTourbillon: LeuclppeTransmigrationTriangle pythagoricienUnitéVide, pythagoricienVide, ParménideVide, AlcméonVide, AtomistesVies, les trois,Vision: AlcméonVision: EmpédocleVision: AnaxagoreVole lactéeXénophaneXénophane sur ThalèsXénophane sur PythagoreXénophonZamolxisZankleZénonZénon sur EmpédocleZénon sur les Pythagoriciens
II. GREC
Air.
dist. de
n. 2.
. Voir Tourbillon.
. Voir Opposés.
Dieux.
,
distinct de
d'Aristote
, , Voir philosophie.
TABLE DES MATIERESINTRODUCTIONCaractère cosmologique de la philosophie grecque à ses débuts,- La vue primitive du monde,- Traces de la vue primitive dans la plus ancienne littérature. Homère,- Hésiode,- Cosmogonie,- Caractéristiques générales de l'ancienne cosmologie grecque,- Ex nihilo nihil,- - Mouvement et repos,- Effondrement de la conception primitive du monde,- Prétendue origine orientale de la philosophie,- Les mathématiques égyptiennes,- L'astronomie babylonienne,- Le caractère scientifique de l'ancienne cosmologie grecque,- Ecoles de philosophie,
CHAPITRE PREMIER.L'ECOLE MILESIENNEMilet et la Lydie,- Thalès, son origine,- L'éclipse prédite par Thalès,- Date de Thalès,
- Thalès en Egypte,- Thalès et la géométrie,- Thalès comme homme politique,- Caractère incertain de la tradition,- Exposé conjectural de la cosmologie de Thalès,- L'eau,- Théologie,- Anaximandre. Sa vie,- Théophraste et la théorie d'Anaximandre sur la substance primordiale,- La substance primordiale n'est pas un des "éléments",- L'analyse aristotélicienne de la théorie,- La substance primordiale est infinie,- L'éternel mouvement,- Les mondes innombrables,- Origine des corps célestes,- La terre et la mer,- Les animaux,- Théologie,- Anaximène. Sa vie,- Son livre,- Théorie de la substance primordiale,- Raréfaction et condensation,- L'air,- Le monde respire,- Les parties du monde,- Les mondes innombrables,- Influence d'Anaximène,
CHAPITRE IISCIENCE ET RELIGIONMigrations vers l'Ouest,- Le réveil religieux,- La religion orphique,- La philosophie, chemin de vie,- Pas de doctrine dans les "mystères",- Pythagore de Samos. Caractère de la tradition,- Vie de Pythagore,- L'Ordre,- Chute de l'Ordre,- Insuffisance de nos renseignements sur la doctrine pythagoricienne,- La transmigration,- L'Abstinence,- ,- Pythagore comme homme de science,- Arithmétique,- Les figures,- Nombres triangulaires, carrés et oblongs,- Géométrie et harmonique,- Incommensurabilité,- Proportion et harmonie,- Les choses sont des nombres,- Cosmologie,- Les corps célestes,- Xénophane de Colophon. Sa vie,- Poèmes,- Les fragments,- Les corps célestes,- La terre et l'eau,- Fini ou infini,- Dieu et le monde,- Monothéisme ou polythéisme,
CHAPITRE III.HERACLITE D'EPHESEVie d'Héraclite,- Son livre,- Les fragments,- La tradition doxographique,- La découverte d'Héraclite,- L'un et le multiple,- Le feu,- Le flux,- Le sentier en haut et le sentier en bas,- Mesure pour mesure,- L'homme,- Sommeil et veille,- Vie et mort,- Le jour et l'année,- La grande année,- Héraclite enseignait-il une conflagration générale?- Lutte et harmonies,- Corrélation des contraires,- Le Sage,- Théologie,- Morale d'Héraclite,
CHAPITRE IV.PARMENIDE D'ELEESa vie,- Le poème,- "Cela est",- La méthode de Parménide,- Les résultats,
- Parménide, père du matérialisme,- Les croyances des "Mortels",- La cosmologie dualiste,- Les corps célestes,- Les couronnes,- La Divinité,- Physiologie,- Alcméon de Crotone,
CHAPITRE V.EMPEDOCLE D'AGRIGENTEPluralisme,- Date d'Empédocle,- Empédocle comme homme d'Etat,- Empédocle comme conducteur religieux,- Rhétorique et médecine,- Relations d'Empédocle avec ses prédécesseurs,- Sa mort,- Ses écrits,- Les fragments,- Empédocle et Parménide,- Les "quatre racines",- Haine et amour,- Mélange et séparation,- Les quatre périodes,- Notre monde, oeuvre de la Haine,- Formation du monde par la Haine,- Le Soleil, la Lune, les Etoiles et la Terre,- Combinaisons organiques,- Les Plantes,- Evolution des animaux,- Physiologie,- Perception,- Théologie et religion,
CHAPITRE VI.ANAXAGORE DE CLAZOMENESDate,- Sa jeunesse,- Rapport avec l'école ionienne,- Anaxagore à Athènes,- Le procès,- Ses écrits,- Les fragments,- Anaxagore et ses prédécesseurs,- "Chaque chose en chaque chose",- Les portions,- Les semences,- "Toutes choses ensemble",- Le "Nous",- Formation des mondes,- Mondes innombrables,- Cosmologie,- Biologie,- La perception,
CHAPITRE VII.LES PYTHAGORICIENSL'Ecole pythagoricienne,- Philolaos,- Platon et les Pythagoriciens,- Les fragments de Philolaos,- Le problème,- Aristote et les nombres,- Les éléments des nombres,- Les nombres étendus,- Les nombres grandeurs,- Les nombres et les éléments,- Le dodécaèdre,- L'âme, une "harmonie",- Le feu central,- L'antichton,- Mouvements des planètes,- Les choses, images des nombres,
CHAPITRE VIII.LES JEUNES ELEATESRapport avec leurs prédécesseurs,- Zénon d'Elée. Sa vie,- Ses écrits,- Sa dialectique,- Zénon et le Pythagorisme,- Qu'est-ce que l'unité?- Les fragments,- L'unité,- L'espace,- Le mouvement,- Mélissos de Samos. Sa vie,- Les fragments,- Théorie de la réalité,- La réalité infinie dans l'espace,- Opposition aux loniens,- Opposition aux Pythagoriciens,- Opposition à Anaxagore,
CHAPITRE IX.LEUCIPPE DE MILETLeucippe et Démocrite,- Théophraste sur la théorie atomique,- Leucippe et les Eléates,- Atomes,- Le vide,- Cosmologie,- Rapports avec la cosmologie ionienne,- Le mouvement éternel,- La pesanteur des atomes,- Le tourbillon,- La terre et les corps célestes,- La perception,- Importance de Leucippe,
CHAPITRE X.ECLECTISME ET REACTIONLa "banqueroute de la science",- Hippon de Samos. L'humidité,- Diogène d'Apollonie, Sa date,- Ses écrits,- Les fragments,- Cosmologie,- Animaux et plantes,- Archelaos d'Athènes. Anaxagoréens,- Sa cosmologie,- Conclusion,APPENDICE (Les Sources)INDEX ALPHABETIQUE