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Une bonne improvisation de jazz, dit-on souvent, se doit de « raconter une histoire » 1. Si cet expression peut certainement s’interpréter de façon littérale, étant donné le fort pouvoir qu
possède la musique pour exprimer une signification, elle est aussi souvent comprise comme un métaphore structurelle impliquant qu’un solo devrait s’organiser de façon logique 2. Cette métapho
soulève naturellement une autre question : quel genre d’histoire raconte un bon solo ? Certain histoires, au sens littéraire, trouvent leur unité dans une narration globale et continue, du début à fin ; d’autres consistent plutôt en une suite d’épisodes dont l’ordre n’est pas nécessairement crucial. Danun contexte musical, Karol Berger a nommé ces deux types de forme « temporelle » et « cyclique »
LES IMPROVISATIONS SUR
LE BLUES DE MICHEL PETRUCCIANI : C YCLIQUES
OU TEMPORELLES ?
Benjamin Givan
1 Voir par exemple Berliner 1994, p. 201-202, 262.2 Harker 1999, p. 46-51. Voir aussi Harker 2011, p. 40-42.3 Berger 2008.
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La forme « temporelle », au cours de laquelle les événements musicaux adviennent selon leuseul ordre plausible, caractérise selon Berger l’architecture générale des musiques classiques de la fdu XVIIIe et du XIXe siècles 4. Dans certaines improvisations de jazz, les figures mélodiques o phrases, mais également les chorus dessinent clairement une trajectoire à grande échelle : David Akentend, dans beaucoup des solos du saxophoniste John Coltrane du début des années 1960, un progression caractérisée par un départ, une transformation et une résolution, Lawrence Gushe
percevant quant à lui un schème rhétorique similaire dans le solo de Lester Young sur « Shoe ShinBoy » en 1936 5. La forme « cyclique », dans laquelle l’ordre des événements musicaux n’est p crucial est, de l’avis de Berger, typique des idiomes musicaux de la musique classique occidenta précédant les Lumières, telle que la musique baroque 6. Cette sorte de structure narrative non linéaiest commune à de nombreuses cultures orales 7 ; dans la musique traditionnelle d’Afrique de l’Oueselle se manifeste à travers des modèles interactifs répétés de façon cyclique, soutenant le plus souvenl’improvisation d’un maître tambourinaire. Ce principe organisationnel perdure dans de nombreusmusiques de la diaspora africaine, y compris dans le jazz, où une section rythmique exécute de façoconventionnelle une forme récurrente en accompagnement d’un soliste instrumental 8.
L’unité formelle récurrente dans le jazz mainstream consiste le plus souvent en un chorus de 1
ou 32 mesures, et la succession des chorus dans un solo peut être qualifiée de cyclique au sens où conçoit Berger. Dans les out-takes 9 des séances studio de son célèbre album Giant Steps de 1959, l’oentend Coltrane expliquant à ses partenaires qu’il veut raconter musicalement une histoire 10. Ce q n’empêche pas Ake de prétendre, à juste titre, que le solo de Coltrane sur « Giant Steps » « n’edeviendrait pas moins compréhensible… si l’on redistribuait l’ordre de ses chorus » et qu’on pourradire la même chose de la légendaire performance de « Ko Ko » par Charlie Parker en 1945 1
L’histoire racontée par ces improvisations n’est pas linéaire, aucun des chorus ne fonctionnant nécesairement comme un début, un milieu ou une fin, et aucun fil conducteur ne venant relier chaque choruau suivant. Le format thème et variations coutumier au jazz prédispose tout particulièrement à ce typde forme cyclique : les thèmes étant généralement des pièces musicales indépendantes, leurs variatio peuvent facilement être tout aussi autonomes, sans qu’aucune trajectoire globale vienne déterminleur ordonnancement séquentiel 12.
Il existe naturellement de nombreux moyens grâce auxquels les musiciens de jazz peuvent conférà leurs solos une téléologie globale, soit par l’amplification ou la diminution d’un paramètre musictel que la hauteur de sons, la densité du débit ou le degré de dissonance harmonique au fil de chaquchorus, soit par un recours soutenu au développement motivique. Mais tant qu’elle se présente soula forme de chorus individuels se démarquant les uns des autres à la surface de la musique, un performance apparaîtra toujours comme l’assemblage d’éléments indépendants. S’ils souhaitent évitde donner cette impression, les musiciens peuvent relier entre eux des chorus adjacents et donner un
4 Voir aussi Agawu 1991, p. 51-72. La théorie la plus influente concernant la forme à grande échelle dans la musique « classique » savante est celle d’Heinrich Schenker. Voir Schenker 19p. 3-21.5 Ake 2010, p. 26-30 ; Gushee 1991, p. 250.6 Berger 2008, p. 8. Pour une critique de la position de Berger, voir Levin 2010.7 Ong 1982, p. 143.8 Brothers 1994, p. 488.9 Prises non sélectionnées mais néanmoins conservées (NdT).10 Voir Iyer 2004, p. 394-395.11 Ake 2010, p. 18-23.12 De la même façon selon Charles Rosen, des formes thème et variations baroques telles que les Variations Goldberg de J.S. Bach peuvent être dénuées de trajectoire globale unifiée, mala progression mathématique régissant l’ordre des canons dans cette œuvre particulière (Rosen 1971, p. 93).
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forme de nécessité à leur enchaînement simplement par une phrase traversant le premier temps dnouveau chorus ; Gushee remarque que Young pratique ainsi de temps en temps 13. Que la narratio globale exprimée par le solo soit ou non temporelle, ces phrases de liaison, au moment où elle adviennent, infléchissent de façon subtile le modèle formel du cyclique vers le temporel en présentanles chorus voisins comme des constituants étroitement liés au sein d’un tout plutôt que comme dunités discrètes.
Les improvisations du brillant pianiste français Michel Petrucciani (1962-1999), lesquelles n’onreçu jusqu’à présent que trop peu d’analyses minutieuses, se prêtent d’une façon tout particulièremen féconde à l’exploration de ces questions parce qu’elles illustrent à la fois le mode cyclique et le mod temporel d’organisation formelle, successivement (parfois de façon rapide) voire simultanément 1
À tout moment, la forme prise par les solos de Petrucciani peut être fortement influencée par lstructures de ses phrases, lesquelles répondent aussi à différentes intentions expressives. Les solos sule blues en douze mesures enregistrés depuis la fin des années 1980 en sont des exemples particulirement frappants car ils contiennent généralement plus de répétitions de chorus que les performancsur tempo (et de durée) similaire construites sur des thèmes plus longs.
« Mr. K.J. »
La terminologie suivante servira à décrire la relation entre les structures de phrase d’un improvsateur de jazz et la forme cyclique sous-jacente à la musique :• Phrase d’ouverture (abréviationO). Une figure musicale commençant sur ou peu après le premitemps d’un nouveau chorus 15. Ces phrases propulsent la musique en avant vers un nouveau territoien introduisant un nouveau matériau distinctif, dissemblable du chorus précédent mais souvent dévloppé durant celui qui va suivre. Dans son solo de 1987 sur « Mr. K.J. », transcrit dans l’exempleuPetrucciani place des phrases d’ouverture sur le premier temps du cinquième chorus (mes. 50), à seconde mesure du sixième chorus (mes. 63) puis à la troisième mesure du septième (mes. 76) 16. Ldébut de chacune est mis en évidence par un crochet sur la transcription 17.• Phrase d’ouverture en avance (EO pour Early Opening ). Un geste qui débute peu avant la fin d’uchorus et se poursuit au-delà du premier temps hypermétrique jusqu’au chorus suivant 18. De la mêmfaçon que dans les autres phrases d’ouverture, ce geste repose en règle générale sur un contour qui diffèsensiblement de celui (ou ceux) du chorus précédent. Ces phrases peuvent varier en longueur depuune simple note prise au vol jusqu’à un passage plus élaboré qui installe le matériau motivique du nouveachorus bien avant son premier temps initial, offrant une continuité substantielle entre les deux choruconsécutifs. Même si cette connexion inter-chorus n’est pas suffisante pour assurer la cohérence à
13 Gushee 1991, p. 252. Roger Pryor Dodge a attiré l’attention sur de telles techniques de phrasé dans le jazz dans un article initialement publié au milieu des années 1940 (Dodge 19p. 169). La tendance à « éviter un sectionnement excessif » est aussi, selon Steve Larson, un aspect fondamental de la démarche esthétique d’improvisateurs de jazz de l’après-guerre comOscar Peterson et Bill Evans (Larson 2009, p. 51, 105).14 Il existe une biographie détaillée récente de Petrucciani (Halay 2011). Parmi les rares études analytiques de sa musique, voir Krieger 2004.15 Pour être plus précis, une phrase d’ouverture devrait aussi se définir comme la première phrase arrivant après le premier temps d’un chorus.16 Michel Petrucciani, « Mr. K.J. », Michel Plays Petrucciani (Blue Note CDP 7 48679 2), enregistré le 24 septembre 1987, avec Gary Peacock (b) et Roy Haynes (d).17 Pour l’essentiel, seules les lignes mélodiques jouées par la main droite ont été transcrites, et non les accords d’accompagnement joués à la main gauche.18 L’auteur évoque ici le « premier temps hypermétrique », soit celui de la nouvelle structure elle-même (constituée de 12 mesures), qui est aussi celui de sa première mesure (NdT).
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19 Pour le bassiste Chuck Israels, « Il est souvent beau de démarrer une phrase juste avant la fin d’un chorus et de la prolonger jusqu’à après le début du chorus suivant. Car cette lignedémarcation est si évidente dans la forme, que vous voulez souder cette articulation » (cité dans Berliner 1994, p. 246).20 Le terme évitement de cadence a été proposé par Steve Larson (Larson 1993, p. 293-94).
succession, elle unit les deux chorus plus fermement qu’en l‘absence d’une phrase de lien comme cellci. Une telle pratique éloigne au moins temporairement le modèle narratif ( storytelling ) de la musiqude celui d‘une narration cyclique, où chaque chorus individuel est un épisode à part, vers un modè plus temporel, où chaque chorus progresse logiquement vers celui qui lui succède. Dans « Mr. K.J.un geste d’ouverture en avance inaugure d’une façon presque rhétorique le huitième chorus, tromesures avant la fin de la forme (mes. 83), et le neuvième chorus commence par une anacrouse longu
d’une mesure (mes. 97).• Phrase de clôture (C). La phrase finale d’un chorus, se terminant avant le premier temps du chorusuivant, le plus souvent avec une sensation claire de résolution rythmique et harmonique. Ces phras présentent généralement un lien motivique avec le matériau exposé précédemment dans le chorus auquel elles répondent ou qu’elles complètent. Petrucciani exécute un geste de clôture à la fin de sosecond chorus dans « Mr. K.J. » (mes. 23-24), suivi directement par une ouverture du chorus suivanlégèrement en avance.• Phrase de clôture retardée (LC pour Late Closing ). Une phrase commençant vers la fin d’un choret se poursuivant jusqu’à la tête ou au-delà de la tête du suivant. Ces gestes se concluent souvent exatement sur le premier temps du nouveau chorus, ainsi à la fin du cinquième chorus de Petrucciani su
« Mr. K.J. » (mes. 61-62) (cette figure est assez similaire au geste de clôture de la fin du seconchorus) 19. Les phrases de clôture retardée et d’ouverture en avance sont toutes deux reliées aux choruadjacents par le fait qu’elles enjambent le premier temps hypermétrique; ce qui permet de les distingudépend de leur connexion motivique plus ou moins étroite avec ce qui les précède ou, au contraire, avece qui les suit. Quand les gestes de clôture retardée se poursuivent au-delà du premier temps du nouveachorus, ils procurent une sensation d’expansivité sans précipitation tout en maintenant la dynamiqumusicale jusqu’au chorus suivant. La fin du sixième chorus en est une illustration (mes. 73-74).• Évitement de cadence (CA pour Cadence Avoidance). Une phrase intervenant à la fin d’un choruet qui, comme certains gestes de clôture retardée, empêche une perte de dynamique, mais qui s termine avant le nouveau premier temps hypermétrique 20. À la différence des gestes de clôture usue
ils se distinguent le plus souvent, au plan motivique, à la fois de ce qui les précède et de ce qui les suileur fonction principale est de neutraliser toute sensation de résolution ou caractère conclusif à la fidu chorus. Petrucciani utilise des évitements de cadence dans « Mr. K.J. » à la fin du premier choru(mes. 10-13), grâce à un intervalle de septième majeure réitéré tous les trois temps, ainsi qu’à la fdu quatrième (mes. 48-49) où, dans la tonalité de Do majeur, il joue plusieurs arpèges descendansur des triades de Mib et Réb majeur sur des harmonies de tonique et de dominante. Ces gestes donnenun caractère musicalement inévitable au commencement d’un nouveau chorus sans relier les deux chorusuccessifs par une mélodie ou un motif.• Phrase d’enjambement ou phrase de pont (S pour Spanning ). Une phrase assez longue qui commenbien avant la fin d’un chorus pour se prolonger jusqu’au cœur du chorus suivant, dissimulant le débu
de la forme de telle manière que les deux chorus se trouvent irrévocablement reliés ensemble. En dtels moments, le mode formel de la musique devient clairement temporel, transcendant du même coula segmentation cyclique qui la sous-tend. Petrucciani joue une phrase d’enjambement entre l neuvième et dixième chorus de « Mr. K.J. » (mes. 106-112).
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« Mr. K.J. » est à certains égards une improvisation fortement cyclique et segmentée : Petrucciatend à y développer une idée musicale différente au cours de chacun des chorus. Mais le solo a ausdes qualités temporelles, telle que la densité croissante du débit de notes durant ses sept premiers choruL’intensité musicale atteint son apogée entre les huitième et quinzième chorus, dominés par des réptitions de riffs et des passages d’une virtuosité démonstrative; les douze mesures finales s’achèvent pune référence au thème. À mesure que la performance progresse, son caractère cyclique ou tempor
dépend fortement des phrases jouées par Petrucciani vers le début de chaque chorus. Le seul endrooù deux chorus consécutifs ne sont reliés par aucune phrase est à la fin du chorus 4, où un évitemende cadence (mes. 48-49) précède une phrase d’ouverture placée sur le premier temps du chorus (mes. 50). À cet endroit, la musique est plus cyclique que nulle part ailleurs – le cinquième choru pourrait commencer d’une façon complètement différente ou advenir ailleurs, sans perdre beaucouen cohérence dans un cas comme dans l’autre. Les premiers chorus sont de même plutôt cycliqueavec seulement de courtes phrases d’ouverture en avance au début de chacun des trois premiers (me1, 13 et 25) et une phrase de clôture retardée reliant le troisième au quatrième (mes. 37-38).
Par comparaison, la seconde partie du solo apparaît plus temporelle, Petrucciani débutant plusieu phrases d’ouverture bien en avance sur les chorus auxquels elles appartiennent par leur matériau mot
vique. En même temps qu’ils donnent une cohérence de surface à la succession d’un chorus à l’autrces gestes amplifient le dynamisme propulsif de la musique – chaque anticipation d’un chorus à ven suggère ardeur, impétuosité et exubérance. Les chorus 8, 13 et 15 sont chacun introduits par de phrases d’ouverture qui commencent au moins deux mesures en avance sur le premier temps hypemétrique (mes. 84, 142 et 168).
À travers une série de longues lignes mélodiques balayant tout le registre du clavier et rythmiquemetrès élaborées, le solo atteint son climax de virtuosité au cours des neuvième et dixième chorus (me98-121). Comme il a été dit, ces deux chorus sont aussi réunis par une phrase de pont de six mesurdont le mouvement pentatonique en cascade dissimule le début du dixième chorus (mes. 110). En effel’entrée dans le nouveau chorus est rendue totalement imperceptible par une série de patterns descendan
sur trois temps, venant déstabiliser la mesure binaire sous-jacente (mes. 109-112). L’orientatio formelle de la musique à cet endroit est clairement temporelle plutôt que cyclique, tant au niveau loc– les deux chorus étant fondus ensemble et non articulés en unités indépendantes – qu’au niveau globa par le fait que les phrases de connexion entre les chorus n’ont cessé de gagner en importance depule début du solo.
« Happy Birthday Mr. K. »
Dans l’improvisation de Petrucciani sur le blues « Happy Birthday Mr. K. » (1989), transcrdans l’exemple u 2, ces mêmes techniques de phrasé dessinent une courbe générale quelque pe différente dans sa rhétorique 21. Les phrases de clôture retardée y prédominent, suggérant une sensatio
21 Michel Petrucciani, « Happy Birthday Mr. K. », Music (Blue Note CDP 7 92563 2), enregistré en 1989 avec Andy McKee (d), Victor Jones (d) et Frank Colon (perc).
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permanente de décalage (d’autant qu’on ne trouve pas la moindre phrase d’ouverture en avance). Pdeux fois, le solo atteint de hauts sommets d’intensité par des phrases de pont, le tout semblan dessiner deux parties. Une première section, composée des chorus 1 à 4, présente des phrases d clôture retardées en tête des trois premiers chorus (mes. 1-4, 14-16, et 23-28) et une phra d’enjambement entre les troisième et quatrième (mes. 40). Une phrase de clôture, se terminant sur premier temps (mes. 51), referme le quatrième chorus avec une forte sensation de résolution. Petruccia
débute le cinquième chorus par une phrase d’ouverture, peu après le premier temps hypermétriqu(mes. 52), phrase qui donne le sentiment d’un nouveau départ – en effet, les formules mélodiques u peu brusques de ce chorus pourraient parfaitement convenir au démarrage d’un solo 22. La second partie de l’improvisation qui s’ensuit conduit, comme la première, à une phrase de pont – il y en a deuen réalité, entre les chorus 8-9 et 9-10 (mes. 100 et 112). Celles-ci apparaissent au milieu d’une chaînflamboyante et ininterrompue de 29 mesures en croches, une effusion torrentielle qui transcendconstamment le découpage, propre à la forme blues, en unités hypermétriques de quatre mesureAlors que ces liens entre chorus suggèrent un mode formel temporel, les quatre chorus restants sonrésolument cycliques, segmentés de façon nette par des phrases de clôture et d’ouverture, à mesure qudiminue progressivement le niveau d’intensité de la musique.
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LC
4
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0:59
u 2 « Happy Birthday Mr. K. »
22 Pierre Fargeton remarque qu’aux mes. 55-58, Petrucciani cite la chanson de Serge Rezvani « Ma Ligne de Chance », tirée du film Pierrot Le Fou de Jean-Luc Godard (1965).
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40
44
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LC
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Dm
GmC7
Gm C7LC
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136
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Bb7
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« My Bebop Tune »
Le solo de Petrucciani daté de 1989 sur « My Bebop Tune », transcrit dans l’exemple u commence sur un mode cyclique comparable: ses quatre premiers chorus pourraient sans dou s’enchaîner de façon tout aussi cohérente, quel que soit l’ordre dans lequel ils seraient placés 23. Lseules connexions mélodiques entre l’un de ces chorus consécutifs se présentent sous la forme de deu phrases d’ouverture en avance placées en anacrouse (mes. 12 et 48) et une seule formule de clôtur
légèrement retardée (mes. 37), chacune d’elles étant trop brève pour installer une sensation forte dcontinuité temporelle par-delà les premiers temps hypermétriques. Mais à mesure que la performanse déploie, le pianiste se met à relier les chorus en unités structurelles plus larges, commençant paune période de 48 mesures entre les cinquième et huitième chorus (mes. 49-96). À partir du miliedu cinquième jusqu’à la seconde mesure du septième, Petrucciani produit un courant ininterrompde croches (mes. 55-74); la phrase située en tête du sixième chorus (mes. 61) peut s’entendre commle tuilage entre une phrase de clôture retardée et une phrase d’ouverture placée exactement sur premier temps 24. Il y a encore davantage de continuité entre les deux chorus suivants – une phrasde pont masquant le début du septième chorus (mes. 73) – et Petrucciani réutilise par la suite phrase de clôture retardée du chorus 7 (mes. 83) comme motif initial pour le chorus 8 (mes. 85
(cette phrase échappe à mes distinctions terminologiques puisqu’elle fonctionne tout aussi biecomme un geste d’ouverture en avance).
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Bb7Chorus 13
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164
168
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Gm
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Am D7
CA
23 Michel Petrucciani, « My Bebop Tune », Music (cf. note 21), Andy McKee (b), Victor Jones (d).24 Bien que le profil mélodique du pattern, régulier et rythmiquement homogène, puisse suggérer une phrase de pont, le passage qui se produit sur le premier temps d’un simple conmélodique de gamme à une séquence prolongée d’arpègements suggère qu’une nouvelle phrase commence.
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L’unique autre phrase de césure sans équivoque entre deux chorus successifs, au cours de ce solapparaît au début du neuvième chorus (mes. 97), où Petrucciani commence un mouvement d’oscilation prolongé sur une tierce mineure (d’abord en croches puis en trémolo), mouvement qui persisde façon ininterrompue jusqu’à l’avant-dernière mesure du dixième chorus (mes. 119), provoquan par la même occasion un glissement de l’intérêt musical vers sa main gauche. Par ce biais, les neuvièmet dixième chorus se trouvent unis de façon plus décisive qu’aucun couple de chorus adjacents. L
chorus suivants sont tout de même tous reliés mélodiquement. En résumé, non seulement chacundes phrases de connexion utilisées par Petrucciani entre les chorus suggère en elle-même un déroulementemporel au moment où elle surgit, mais dans leur ensemble, en raison de leur fréquence croissantces phrases confèrent aussi au solo entier une trajectoire formelle temporelle.
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u 3 « My Bebop Tune »
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Db7
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Ab
Chorus 12
Bbm
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O
C
133
137
Conclusion
Ces types de structures mélodiques et ces modes d’organisation formelle sont à l’œuvre dan d’innombrables autres improvisations du jazz mainstream en dehors de celles de Michel Petruccian pour ne rien dire de la musique appartenant à divers autres idiomes. L’usage qu’en fait Petrucciani e particulièrement remarquable, pourtant, en raison de la synthèse fascinante qu’il réalise entre rigueur intellectuelle d’un côté, et une évidence auditive communicative. « Quand je joue, je le faavec mon cœur et ma tête et mon esprit » a déclaré une fois le pianiste 25. Son art expressif, observ
ici au niveau superficiel de la rhétorique de son phrasé, soulève de profonds problèmes philosophiqude temps, de forme et de continuité : une improvisation de jazz est-elle atemporelle ou téléologiqueÉpisodique ou linéaire ? Fragmentée ou unifiée de façon homogène ? De telles questions esthétiqueaussi cérébrales et éloignées de l’expérience musicale directe qu’elles puissent paraître, sont pouPetrucciani une matière inépuisable à raconter des histoires en musique et une source irrépressible d vitalité, de légèreté et de joie 26.
Traduction de l’anglais (États-Unis) par Vincent Cot
BENJAMIN GIVAN
est Professeur Associé de musique au Skidmore College (Saratoga Springs, États-Unis). Il est l'auteurde The Music of Django Reinhardt (University of Michigan Press).
25 Cité dans Hajdu 2009, p. 262.26 Dans une chronique de plusieurs rééditions récentes d’enregistrements du pianiste, David Hajdu évoque « le pouvoir extatique de la musique de Petrucciani. Je ne connais pas de piandepuis Petrucciani qui joue avec une telle exubérance et une telle joie non déguisée » (Hajdu 2009, p. 262).
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