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BIBLIOGRAPHIE Association historique du pays de Grasse, Mentalités, sorcellerie, coutumes de Provence et du comté de Nice. Actes du 3""" colloque de Grasse, 4-5 avril 1987, Grasse, TAC Motifs, 1994, 160 p. Les actes du troisième colloque de l'Association historique du Pays de Grasse rassemblent dix-huit communications. L'on aurait certes pu faire l'économie de l'inévi- table « papier» rachitique qui n'apporte pas le résultat d'une recherche mais« l'amorce d'un invemaire » , soit j'affirmation, à peine étayée de quelques fiches, qu'il conviendrait J'cn faire une, d'autant plus malvenue ici que les délais de publication auraient permettre à l'auteur de mener à bien J'enquête qu'clle appellait de ses voeux. L'on est aussi surpris qu'une brève étude sur les ex-voto trahisse la plus totale ignorance, dans ses constats moins que sommaires, des travaux de B. Cousin, pourtant présent au colloque. je n'en soulignerai que davantage l'intérêt de la plu- part des autres communications. Les pratiques usitées pour conjurer les risques d'accident et de maladie, se pro- téger du mal, du malheur, ou au contraire les susciter dans le cas de la sorcellerie, formenc le thème central de ce recueil. Ell es peuvent être, comme M.-H. Froeschlé- Chopard le montre en étudiant le Traité des superstitions de j.B. Thiers et les ordonnances des évêques de Vence, diversement hétérodoxes aux yeux des clercs tridentins par leur rapport au démon et à la magie, leur caractère irrationnel, les gestes qu'ils jugent indécents ou irrévérencieux, et le fait qu'elles soient accomplies par des laies hors du regard ct du contrôle du clergé. Les attitudes et pratiques face à la maladie peuvent relever aussi d'une médecine empirique rencontrant parfois quelques principcs curatifs, comme le suggèrent les étudcs de S. et V. Clappier et P. Provence historique- Fascicule 190-1997

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BIBLIOGRAPHIE

Association historique du pays de Grasse, Mentalités, sorcellerie, coutumes de Provence et du comté de Nice. Actes du 3""" colloque de Grasse, 4-5 avril 1987, Grasse, TAC Motifs, 1994, 160 p.

Les actes du troisième colloque de l'Association historique du Pays de Grasse rassemblent dix-huit communications. L'on aurait certes pu faire l'économie de l'inévi­table « papier» rachitique qui n'apporte pas le résultat d'une recherche mais« l'amorce d'un invemaire » , soit j'affirmation, à peine étayée de quelques fiches, qu'il conviendrait J'cn faire une, d'autant plus malvenue ici que les délais de publication auraient dû permettre à l'auteur de mener à bien J'enquête qu'clle appellait de ses vœux. L'on est aussi surpris qu'une brève étude sur les ex-voto trahisse la plus totale ignorance, dans ses constats moins que sommaires, des travaux de B. Cousin, pourtant présent au colloque. je n'en soulignerai que davantage l'intérêt de la plu­part des autres communications.

Les pratiques usitées pour conjurer les risques d'accident et de maladie, se pro­téger du mal , du malheur, ou au contraire les susciter dans le cas de la sorcellerie, formenc le thème central de ce recueil. Elles peuvent être, comme M.-H. Frœschlé­Chopard le montre en étudiant le Traité des superstitions de j .B. Thiers et les ordonnances des évêques de Vence, diversement hétérodoxes aux yeux des clercs tridentins par leur rapport au démon et à la magie, leur caractère irrationnel, les gestes qu'ils jugent indécents ou irrévérencieux, et le fait qu'elles soient accomplies par des laies hors du regard ct du contrôle du clergé. Les attitudes et pratiques face à la maladie peuvent relever aussi d'une médecine empirique rencontrant parfois quelques principcs curatifs, comme le suggèrent les étudcs de S. et V. Clappier et P.

Provence historique- Fascicule 190-1997

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Raybaut. F. Muyard étudie pour sa pan la « hantise populaire» à I>égard des loups à travers l'arsenal législatif destiné à l'éradiquer. Cerre contribution de belle venue suggère la possibilité d'une grande enquête d'archives sur la lutte contre un animal qui continue de nourrir ici comme ailleurs l'imaginaire collectif.

Plus de la moitié des communications abordent, de façon en général mono­graphique mais parfois incidente, le problème de la sorceJlerie Ct de la présence démo~ njaque. Le fait est d'autant plus remarquable que la bibliographie disponible dans l'espace provençal est en la matière fort limitée. Cette discrétion hisroriographiquc - si "on excepte le célèbre procès Gaufridi-Demandolx, étudié en parcjculier dans la grande thèse de Robert Mandrou - pourrait certes s'expliquer par une certaine rareté du phénomène lui-même dans les terres du Midi) ou par une moindre vigi­lance répressive, mais il n'est pas exclu qu'elle soit partiellement imputable à un retard de la recherche dans les archives judiciaires et à la faible attention portée pendant

à ces faits dans l'enquête ethnographique « de terrain" à travers L'étude de j.L Domenge montre qu'une enquête approfondie

belle moisson de traces de« masco" et« demas­croyances et pratiques diverses de Tanneron par M. Mourgues

indique au passage trois « sorcières restées célèbres» (dom une paraît plutôt être une guérisseuse). Les contributions d'O. Baudot et P. Bodard prouvent que des cas brièvement mentionnés par l'évêque de Vence en 1575 ou le curé du Castellar en 1623 peuvent être documentés par l'archive, et M. Burdin fournit un sec résumé d'un procès en sorcellerie instruit en 1701 qui aurait pu faire l'objet d'une riche étude cl'« histoire des mentalités ". Le« matagon» apparu à un passant sous Henri III sur le chemin de Vence était encore apparemment redouté il y a peu par les femmes astreintes à la « bugade» selon M.-Th. Roustan (mais l'auteur de cene étude fournie sc borne à indiquer in fine en guise de sources ... « sagesse et bon sens popu­laire »). La présence du diable dans les fresques des sanctuaires alpestres à travers le rhème de la « cavalcade des vices ,) est fort bien analysée par L. Thévenon) ct A. Sidro montre " « univers fantastique et diabolique» dans le carnaval de Nice. L'étude de P. Bessaignet sur« fête et politique» n'est qu'en apparence éloignée des pré­cédentes. Si le souci de j'auteur est d'observer, avec schémas à l'appui. dans les fêtes organisées par le parti communiste ou les groupes gauchistes dans les Alpes­Maritimes la « continuité du modèle de célébration des fêtes patronales» • il n'est pas interdit de penser à le lire que leurs organisateurs s'efforcent de conjurer par la sociabilité communionnelle des confluences militantes leur malheur électoral dans le département.

Plusieurs des dossiers mis en œuvre auraient mérité un approfondissement et le thème du colloque aurait sans douce gagné à êtrc recentré sur la seule sorcelle­ric; mais l'ouvrage ouvre plusieurs pistes qui devraient être explorées avec profit à travers l'espace régional.

Régis BERTRAND

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Andrew E. BARNES, The social dimension of piety. Associative life and devotional change in the penitent confraternities of Marsei/les (1499-1792). New York. Paulisr Press, 1994,285 p.

Cet ouvrage constitue la version remaniée d'une thèse soutenue cn 1983 à l'uni­versité de Princeton (De poenitentibus civitatis Massiliae. The cDunler Reformation, Religious Change. and the Confraternitaties of Penitents of Marseille) dont quelques exemplaires se trouvent dans les bibliothèques régionales grâce au système américain du tirage en copie multiple.

Ses lecteurs devront faire abstraction des coquilles ou erreurs de lectures qui émaillent les citations en français et certains patronymes (Poudeaux pour Poudens), des références parfois hasardeuses (celle d'une copie d'un manuscrit de Lazare de Cordier. fortement mise à contribution, est incohérente) et de plusieu rs approxi ­mations (p. 160, Pierre Michel « Beaujard » n'est pas l'éditeur du Journal de Provence mais le père de ce dernier, Ferréol Beaugeard; p. 187, il est faux d'écrire qu'aucune chapelle de pénitencs antérieure à la Révolution ne subsiste à Marseille). Ils utiliseront avec esprit critique tout ce qui concerne l'histoire générale des pénitents marseillais, produit de la compilation de sources diverses et se garderont de quelques affirmations mal étayées, en particulier celle de l'initiative cléricale qui serait à l'origine de la plupart des confréries de pénitents. L'ouvrage vaut en fait sur­tout pour le XVIII' siècle.

Son intérêt réside dans l'étude sociale et le recrUtement des compagnies et dans l'utilisation des problématiques de la sociologie des groupes restreints, qui conduit J'auteur à examiner d'un point de vue encore peu usité une partie des archives des chapelles - du moins lorsqu'elles ont été conservées. Ses meilleurs passages concernent l'organisation institutionnelle ct son évolution, le cursus des offi­ciers, le maintien de J'ordre interne et les procédures de résolution des conflits. Particulièrement intéressant est le problème des cooptations en fonction d'appar­tenances socio-professionnelles ou de liens amicaux ou familiaux, lié à celui des cote­ries. Ainsi est mise en évidence dans une compagnie bien documentée (les Bleus de Saint-Martin) la tendance au regroupement des membres de quelques professions, non sans évolucion puisqu'au cours du siècle certains métiers déclinent fortement au profit d'autres.

J'avais naguère suggéré ici-même par l'étude de quelques statuts les forres dif­férences encre les deux générations de compagnies marseillaises - les plus anciennes, bien antérieures au concile de Trente et celles de création tridentine, dites« réfor­mées », à numerus clausus. A. E. Barnes en révèle d'autres. Il évalue ainsi à une sur deux les adhésions suivies d'une participation active d'au moins quelques années dans une compagnie de la première génération, alors que chez les Bourras, pénitents réformés qui pratiquaienc l'expulsion des membres absencéistes ou n'acquittant pas leurs cotisations, la moyenne des membres actifs s'établit à neuf sur dix. Autre trait souligné par A. E. Barnes, une recrue sur cinq des Bourras dans la seconde moitié du XVIII' siècle est un ecclésiastique. Enfin, dans les compagnies réformées, la mul­tiplicité des charges et leur rotation fréquente permettaient à nombrc de frères d'cxer­cer au moins quelques offices mineurs. Mais 78 % des pénitents bourras qui fré-

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qucnrèrent la chapelle entre 1711 et 1779 occupèrent un des quatre offices de porteurs du poêle pourvus chaque année et 17 % seulement exercèrent la charge de recteur.

L'ouvrage aurait gagné en plusieurs points à être ac tualisé au trement que par sa bibliographie, car les publications sur les confréries ont été nombreuses au cours de la dernière décennie. Il se rait en revanche dommage qu'il reste méconnu de cc côté-ci de l'Atlantique car il constitue une tentative intéressante pour lier J'étude de la sociabil ité à j'h istoire religieuse.

Régis BERTRAND

Les Cahiers des Amis de La Cadière (Var), N° 4 - Vie municipale et vie locale à La Cadière, Saint-Cyr et Les Lecques au début de la Révolution (1789-1790), 1989, 96 p. N ° 5 - 179]-1794, La Cadière, Saint-Cyr, les Lecques et le siège de Toulon, 1995, 135 p.

L'association des Amis de La Cadière, fondée en 1976, public sans périodicité fix e des Cahiers d'histoire locale. P. Guiral avait naguère signalé les premiers dans les fascicules 159 et 162 de Provence historique. Je n'y reviendrai pas, sauf pour attire r l'attention sur J'étude de Ferréol de Ferry, Eugène Sue, le golfe des Lecques et La Ciotat (Cahier nO 1, 1982), consacrée au roman d'E. Suc Le commandeur de Malee (1840), qui se déroule sous Louis XIII cntre La Ciotat ct la Madrague des Lecques. L'auteur avait séjourné à Toulon en 1825 ; son récit est fondé sur le rap­pon d'inspection des côtes de Provence effectué par le président de Séguiran en 1633, qu'i l venait de publier en 1837-1839 en annexe de son édition de la correspondance du cardinal de Sourdis, dans la collection des Documents inédits sur l'histoire de France. L'un des aspects les plus curieux de ce texte oublié est une description rapide des traditions provençales et en particulier des fêtes de Noël.

Les deux derniers cahie rs SOnt consacrés à la Révolution ct leur substance es t pour l'essentiel cons tituée par la publication de documents, souvent donnés dans leur intégralité, qui sont extraits des archives communales, en particulier les déli­bérations du conseil. La quasi absence de commentaires du premier volume est par­tiellement compensée dans le second. L'histoire révolutionnaire de cetce pecite ville est d 'autant plus intéressante qu 'e lle refusa de suivre Toulon dans sa« rébellion» et abrita le quartier général des troupes de la Convention pendant une partie du siège. L'impact de ce dernier est manifeste sur sa vie quotidienne (mobilisation) ct son éco­nomie (avec les réquisitions). Des lettres de Bonaparte sont publiées grace à leur trans­cr ip tion sur les registres communaux. L'on doit espérer que les Amis de La Cadière poursuivront cette entreprise pour la période thermidorienne et directoriale ct aussi qu'ils combleront par un prochain cahier la lacune des années 1791 - 1792.

Régis BERTRAND

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Guerres et fortifications en Provence, Mouans-Sartoux, 1995, Publications du Centre Régional de Documentation Occitane, 233 p., 11 ill.

Ce recueil réunit les actes des quatrièmes journées d'histoire de l'espace provençal tcnues à Mouans-Sartoux en mars 1987. Il regroupe 15 écudes dont peu portent sur la guerre (celles de A. Lewison sur Cipières à l'épreuve des guerres du XVII" siècle ct de J.-L. Panicacci sur la bataille de Menton en 1940). Ces articles sont presque tous consacrés à la Provence orientale, à l'exception de deux communications. Daniel Mouton présente quelques brèves observations, résultats de prospections de surface, sur une quinzaine de mottes situées dans la moyenne vallée de la Durance, mettant "accent sur les rapports entre la motte et l'habitat ainsi qu'avec les lieux de cuire. Alain Venturini donne une vaste synthèse sur les forteresses com­tales entre 1249 et 1366. Sa contribution se fonde sur un état général des officiers du comté dressé en 1344-5 qui permet de dénombrer 52 forteresses alors en activité. Fort peu d'entre elles sont des créations angevines, presque toutes remontent à la période antérieure. La majorité de ces palais, châteaux ou tours se situent en haute Provence et surtout dans la basse Provence orientale qui concentre alors l'essen­tiel des garnisons. L'auteur insère ce tableau dans une évolution de plus ample dimen­sion en établissant un index des forteresses attestécs depuis le compte de Raymond Scriptor de 1249/50. Cette géographie des forteresses s'explique largement par les conflits entre Angevins ct Génois pour la possession de Vintimille et de son comté. C'cst ce que confirme, vu du côté génois. la contribution de Sylvie Grossman-Rostagni sur la défense de la ville de Vintimille vers 1260 à partir des actes d'un notaire génois établi dans cette cité. Nicolas Faucherre s'attache à la defense des côtes provençales sous les règnes de François 1 et Louis XII, période où, dans une Provence devenue française, la fortification devient une affaire d'Etat et moment où la technique de construction doit s'adapter au développement de l'usage du boulet métallique. Adaptation lente, comme le montre l'étude des trois ouvrages bâtis dans cette période, la grosse tour de Toulon, le château d'If de Marseille qui est davantage «conçu pour la montre que pour l'efficacité» et la tour Sainte-Agathe de Porquerolles « conçue comme un signal et une vigie ». Ces trois ouvrages resteront l'unique défense des côtes provençales jusqu'à Henri IV. La contribution de Luc Thévenon sur la fortification du littoral niçois et de son entou­rage ligure de 1543 à 1571 illustre l'important renouveau des fortifications dans cette région jusqu'à la bataille de Lépante. L'impératif de défense alors ressenti englou­tît l'essentiel des moyens disponibles et crée par contre-coup un «véritable vide architectural » dans un espace où, de ce fait, « la Renaissance est escamotée ». Le XVII" siècle est représenté par les informations sur l'habitat fortifié dans la viguerie de Grasse qu'Oswald Baudot tire des enquêtes de réaffouagement du début du siècle et des procès-verbaux d'inspection des côtes provençales de 1624 ct 1633. Les trois dernières communications, enfin, s'attachent aux importants ouvrages de défense bâtis sur la côte ct dans l'intérieur au XX" siècle. Il faut regretter la mauvaise réa­lisation technique de l'ouvrage qui cormpone un nombre excessif de fames typo­graphiques et fournit des reproductions médiocres des cartes et plans.

Noël COULET

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Franço is CADILHON, L 'honneur perdu de Monseigneur Champion de Cicé, Fédération hiscorique du Sud-Ouest, Bordeaux, 1996,286 pages.

Les prélats français du XVIIIe siècle ont longtemps joui d'une assez piètre répu­tation, alimentée par les traits décochés contre eux à leur époque, et que la littérature cléricale du XIX" siècle ne sU[ pas toujours, ct quelquefois ne voulut pas, amélio­rer. On a rompu depuis quelque temps avec cette tradition stéréotypée, et plusieurs historiens ont un peu remis les choses en place, en particulier M. Peron net dans une approche globale, J. Duchêne et T. Dombrowski dans leurs travaux sur Leclerc de Juigné pour l'un, et sur Dillon pour l'autre. François Cadilhon nous présente aujourd'hui Monseigneur Champion de Cicé, qui fur archevêque de Bordeaux sous l'Ancien Régime, puis d'Aix sous le Consulat et l'Empire, mais entre temps garde des sceaux de Louis XVI en t 789 et 1790. Personnage qui fut très critiqué de son temps, et plutôt oublié ensuite. L'auteur nous en livre une image nuancée, laissant au lecteur le soin de former son point de vue. Une abondante documentation sou~ tient l'analyse, provenant des fonds parisiens, de plusieurs fonds provinciaux, notam­ment de Gironde ct des Bouches-du-Rhône, et même de Rome et de Londres pour une petite part.

Jérôme-Marie Champion de C icé fut, au XVIII" siècle, un prélat assez typique. D'une noblesse ancienne, il parcourut un cursus classique. A vrai dire, sa forma ­tion est mal connue. On sait qu'il étud ia au collège du Plessis, puis à la Sorbonne, mais sans y prendre ses degrés, et son passage au séminaire nous échappe (cc Ile fut pas à Saint-Sulpice). Mais ensuite, les choses sont dans J'ordre: vicaire général de Troyes, puis d'Auxerre, agent général du clergé, évêque de Rodez en 1770, arche­vêque de Bordeaux en 1781. Riche de 170000 livres à la veille de la Révolution (charges non déduites), le prélat menait grand train de vie: le montant de son mobilier, inven­(Crié en 1793, dépasse un million de livres, ce qui est tout à fait exceptionnel. La vie parisienne prenait une partie de son temps, et ses diocèses ne le voyaient que par épi­sodes.Le prélat, cependant, ne négligea pas complètement ses devoirs pastoraux. Il poursuivit, dans ses diocèses successifs, l'achèvement de la réforme tridentine, fit des visites pastorales, écrivit des mandements, et se préoccupa du sort de ses curés. En même temps, il fut un administrateur. Il n'était pas disciple des philosophes (dont il connut plusieurs à Paris), mais il éta it sensible au progrès des Lumière!> dans le domaine matériel, et manifesta des préoccupations en matière d'agriculture, de travail des pauvres, de médecine ct d'hygiène. Son goût pour l'adminisrrat ion trouva une occasion privilégiée de s'exercer, lorsqu'il fut président de J'assemblée de Haute~

Guyenne de 1779 à 1781 , et lorsqu'il confia à J'abbé Sicard le Bordeaux l'établissement des sourdes et muettes, sur le modèle de ment parisien de J'abbé de l'Epée. Au total, C hampion de Cicé apparaît plus comme un « politique » que comme un spirituel, mais il ne fit que modérément scan­dale, ct plus par son caractère altier et ambitieux que par ses moeurs.

A l'approche de la Révolution, il siège à "assemblée des notables et fré­quente assidûment le salon de Necker. Elu aux Etats généraux, il est l'un des artisans du ralliement du clergé au Tiers, à travers des hésitations caractéristiques de cc qu'il faut bien appeler son opportunisme. Louis XVI l'appelle au ministère cn

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lui confiant les sceaux en août 1789 : il les conservera jusqu'à sa démission en novembre 1790. Il est monarchien, rencontrant les membres du club des Impartiaux. puis des Amis de la constitution monarchique. Hésitant sur la voie à suivre, il conseille à Louis XVI de ne pas sanctionner les décrets consécutifs au 4 août, ni la Déclaration des droits de J'homme crdu citoyen, mais il nc se résout pas à l'entraîner dans la voie de la force, ct l'engage à rester en France après les journées d'octobre. La Constitution civile du clergé est cncore l'occasion de nombreux atermoiements. Son souci du compromis lui suggère de s'employer à éviter la rupture entre le pape et" Assemblée. Ses col­lègues de l'épiscopat lui tiendront rigueur de ces louvoiements.

Finalement, l'archevêque, démissionnaire du ministère, refuse le serment, puis émigre en 1791, aux Pays-Bas, aux Provinces-Unies, enfin en Angleterre où il est un peu la brebis galeuse de l'émigration. On le rend responsable des événements, pour avoir tenté l'expérience de la monarchie constitutionnelle, et on ne lui sait aucun gré de sa modération, qui J'avait pourtant rendu la cible des clubs. En 1801, Jérôme-Marie rentre en France ct accepte le Concordat. Le premier consul le fait arche­vêque d'Aix. Dans ces dernières fonctions, et jusqu'à sa mort en 1810, il reconstruit la catholicité provençale, consciencieusement, dans la soumission à Napoléon, et dans la plus parfaite onhodoxie.

Au total, Monseigneur Champion de Cicé semble avoir été un prélat brillant, autoritaire, éclairé à certains égards, certainement pas très évangélique, mais pas indigne non plus. L'ambiguïté fréquente de ses attitudes et de ses écrits traduit bien les dif­ficultés de la position médiane qu'il a voulu prendre. Il a souhaité, dit F. Cadilhon dans une formule heureuse, « concilier l'inconciliable ». Le compromis ne s'est pas révélé réalisable en effet. C'est cependant une ligne qu'il tient finalement assez bien après son départ en émigration. 11 refuse d'être un «royaliste aux idées exagérées », ct son ralliement au Concordat est bien dans sa manière.

On regrettera, dans la rédaction de l'ouvrage, quelques grincements de style (comme J' « endogamie» du clergé p. 74), quelques obscurités, quelques for­mules à l'emporte-pièce pas toujours heureuses (1'« immuable reproduction des géné­rations» sous l'Ancien Régime p. 178, ou encore Champion de Cicé chef de la majo­rité parlementaire (?) p. 189). L'ensemble est, d'autre part, très dense (peut-être pour des motifs d'exigence éditoriale), mais du coup souvent elliptique. L'étude de l'exercice du ministère laisse un peu le lecteur sur sa faim: on aurait aimé une ana­lyse des discours de Champion à "Assemblée ct de sa correspondance avec les comi­tés de cette dernière, qui aurait sans doute permis de préciser l'action du person­nage, telle qu'il la présentait lui-même.

Cependant ces petites réserves n'effacent pas les mérites du livre, qui est d'une lecture agréable et apporte une utile contribution à l'histoire religieuse, poli­tique et sociale, de la période où vécut Jérôme-Marie: 1735-1810.

Monique CUBELLS

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C. ARNAUD, avec la collaboration de C. LONCHAMBON,]. BARD et G. LOVISOLO, Les bastides de Tourves (Var). Contribution à ['étude de ['habitat dis­persé provençal, Cahiers de l'association d'histoire populaire de Tourves, Tourves, Association d'histoire tourvaine, mairie de Tourves, 1996, 198 p.

Si depuis "enquête lancée sur les villages désertés dans les années 1980, relayée dans la décennie suivante par le souffle hisroriographiquc de l'incastellamento, J'histoire médiévale du village méditerranéen est largement défrichée, celle de J'habitat dispersé est cncore à écrire, comme l'a largement démontré, en 1996, le col­loque de Flaran qui y était entièrement consacré. Parmi les trop rares enquêtes sur le sujet, plusieurs se sont anachées aux bastides, nOtamment en Provence. Les his­toriens, au premier rang desquels N. Coulet, Ont défini et caractérisé la bastide des Xlll '·-XIV' siècles comme une exploitation agricole installée aux marges des terroirs et ayant fait l'objet d'aménagements fortifiés car marquant symboliquement J'emprise d'un seigneur dans le paysage. Les archéologues ont ponctuellement confirmé cette interprétation. Dans cette perspective, l'originalité du travail mené par l'asso­ciation d'histoire tourvainc est de tenter de confronter à la fois les documents écrits et archéologiques dans le cadre strict et restreint d'une monographie. Le choix, cou ­rageux, de la longue durée suit le phénomène depuis les origines jusqu'à nos jours. L'enquête de terrain s'est faite à J'échelle de la commune de Tourves. Longue, parfois difficile ou périlleuse, elle complète le patient dépouillement des cadastres et autorise enfin, à J'échelle d'un terroir de village, d'un terroir rural, la caractérisation d'une forme d'occupation du sol trop souvent laissée dans l'ombre.

Une rapide présentation géographique et historique du finage tourvain, ouvre la recherche. Puis commence l'analyse des cadastres successifs du plus ancien (1398) à la matrice napoléonienne. En 1398, il n'y a pas encore de bastide à Tourves, mais un certain nombre de Structures dispersées dénommées domus ou hos­picium. Lorsqu'on finit par les repérer après une longue traque d'identification topo­nymique et administrative (recoupement de propriétaires), elles sont souvent, à l'heure actuelle, en ruines Ct associées à une aire. Cette première moisson d'informations permet de suivre l'apparition et la disparition de nouveaux quartiers, donc les flu c­tuations de l'habitat. Le terme de bastide n'apparaît qu'en 1403. Au XV,· siècle, on en dénombre neuf et leur nombre ne fait que grandir au siècle suivant (34). n n'y a pas de bastide au sens primitif du terme à Tourves. Mais nombre de bastides modernes font suite à un hospicium ou une domus médiévale, d'où une certaine conti­nuité d'occupation des sites et une flexibilité des appellations. Fer de lance de la reco­Ionisation de terroirs excentrés, la bastide n'est pas le lieu permanent de rési ­dence de son propriétaire. Au XVII" siècle, de nouvelles bastides apparaissent, d'autres disparaissent; la propriété foraine s'accroît pour demeurer importante jusqu'à la fin du XIX" siècle; il s'agit SUrtout de négociants, de tanneurs originaires de Rougiers ou de Brignoles. Le XVI Il'' siècle voit la progression des cabanons, bastidons et autres pavillons, dont ce sont les premières mentions documentaires. C'est SUrtout la zone sud du village, le long de la rOUle de Brignoles, qui est particulière affectée. Deux formes de propriéte coexistent: les grandes bastides ct leurs affars qui, assez éloi -

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gnées du viIJagc, regroupem d'un seul tenant des ensembles irnporrams de terrains diversifiés (jardins, vergers, vignes, céréales. pâtures, bois ... ) et où le bâtiment principal et ses annexes, qui sert de plus en plus aussi de résidence d'agrément au propriétaire, présente au même endroit tous les ingrédients nécessaires à la mise en valeur des terres et à l'entretien des personnes vivant à cet endroit; et puis les propriétés foncières où la dispersion des outils de production et des biens est la règle avec plusieurs terrains dans des quartiers différents parmi lesquels figurent toujours des bois et des terrains céréaliers de la plaine. souvent irrigables. Au siècle dernier, Je cadastre napoléonien enregistre l'accroissement spectaculaire des construc­tions rurales, mais presque 60% de cel1es visibles aujourd'hui seront construites après l'établissement de ce cadastre. La propriété foncière se cohcentre entre les mains de 32 personnes. Si la bastide est réservée aux grandes propriétes, les critères d'appel­lation fluctuent pour bastidon ct cabanon.

Le second volet de J'étude est consacré au mode de mise en valeur des bastides. Au XVII' siècle, les baux à court terme (3 à 5 ans) prédominent. Les actes d'arren­temem sont les plus fréquents (I8 cas) avec une rente annuelle en blé ct animaux. C'est un contrat classique par lequel le fermier, [Cnu de résider dans la bastide, trouve à l'entrée un capital qu'il restituera à la sortie et le propriétaire fournît la semence ainsi que les céréales nécessaires à l'entretien du ménage. Mais la présence de ce der­nier à la bastide, épisodique et discrète, sc lit au travers d'usages ou de biens qu'il se réserve. L'autre type de contrat est la mégerie (7 cas) qui, comme son nom l'indique, partage par moitié entre le preneur ct le bailleur toutes les productions de la bastide, y compris céréalière. Un seul de ces baux est lié à un défrichement. Au XVIII< siècle, 21 baux sont des baux à ferme, 3 à mégerie. Le bail à ferme est devenu J'accord standard pour gérer les grosses bastides. Il est même interdit au fermier de prendre aucun autre arrentement. Certains actes concernent des structures plus petites de type bastidon et d'autres des mises en valeur. La pratique du sous-arrentc­ment immédiat se discerne aussi. A côté de la rente régulière en blé, les denrées ou services que les preneurs doivent souvent donner annuellement sont de plus en plus précis et nombreux. Tout comme les usages réservés lors des séjours du bailleur.

La troisième et dernière partie de J'ouvrage traite de la diversité architecturale des bastides. Grâce à un gros travail de prospection ct de relevé sur le terrain dont les annexes donnent un aperçu exhaustif, deux types de bâtiments SOnt distingués: les grosses bastides ct des bâtisses plus modestes. Mais aucune ne tient de la fortification d'où elles tirent leur nom. Les grosses bastides présentent une surface bâtie toujours supérieure à 100 ml et un certain nombre d'éléments prouvant une occupation inin­terrompue. Elles ont principalement une fonction agricole dont témoignent de nom­breuses annexes (bergerie, grenier à foin, aire à battre, fosse à fumier, four, puits ou citerne ... ) organisées autour du volume principal de forme de parallélépipède rec­tangle. Si les maisons de maître séparées du bâti sont peu nombreuses, en revanche, l'habitat résidentiel, s'il n'est pas matériellement séparé en un corps de bâtiment dis­tinct, est remarquable par son toit de forme particulière, par le soin accordé aux ouver­tures et aux murs enduits ou peints, par la présence de cerrasses, de balustres ct, inté­rieurement, par le volume des pièces. Les parties habitables sont souvent en étage au-dessus des parties réservées aux bêtes. Ces bastides sont généralement implan-

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rées à flanc de colline et beaucoup sont flanquées d'une tour ou d'un pigeonnier, sur­vivance symbolique du passé. Les autres strueNres appelées bastides sont plus modestes car toujours inférieures à 100 ml. Le niveau inférieur est généralement réservé aux bêtes alors que le ou les étages sont consacrés à l'habitat ou au stockage. Elles semblent aussi n'avoir été occupées que de manière intermittente et n'être qu'un élément d'un patrimoine dispersé. Elles sont probablement assez récentes car beaucoup ne sont pas mentionnées su r le cadastre napoléonien. En effet, en l'absence de fouilles et d'inscriptions au cadastre, le problème majeur demeure celui de la datation des ensembles encore visib les.

Pour conclure, les auteurs soulignent la diversité qui se cache sous le terme géné­riqu e de bastide et la prédominance de plus en plus affirmée au fil du temps de la fonction résidentielle et d'agrément en regard des activités strictement agricoles L'architecture et les extensions spécifiques traduisent bien cette évolution . Avec la diversification et l'enrichissement du vocabulaire, le phénomène des bastides et bas­tidons explose aux XVIII' et XIX' siècles. Si à la fin du Moyen Age et au début de l'époque moderne, l'initiative locale dans la construction des bastides est prépondérante, la part des forains citadins s'accroît considérab lement. La bastide et les inva­riants qui y SOnt attachés est un phénomène majeur de l'habitat tourtvain qui s' inscrit sur la longue durée.

Sans doute le travail présenté ici est-i l encore perfectible: des sondages archéologiques pourraient caler la chronologie des bastides existantes et affermir la typologie esquissée, le dépouillement de la mer notariale apporterait nombre de réponses sur le fonctionnement et l'organisation économique de ces sites. On aurait tort de bouder ce cahier: parce qu'ils se sont efforcés de croiser les regards sur une forme d'habitat dispersé peu connue, parce qu'ils ont d'ores et déjà rassemblé un corpus solide, parce qu'ils montrent une dynamique évolutive, les auteurs de cette étude méritent d'être lus d'autant que les résultats dépassent le cadre local. Avec bon­heur, ils perpétuent la tradition aujourd'hui moribonde des amateurs au sens le plus noble terme. On souhaiterait disposer plus souvent d'enquêtcs rurales de ce type .

A. DURAND

Patrick BOULANGER, Marseille marché international de/'huile d 'olive. Un produit el des hommes 1725- 1825. Marseille, Institut histor ique de Provence, 1996,421 p.

L'IHP nous offre un nouveau volume qui ne dépare pas la série d'ouvrages déjà publiés par ses soins. Remercions aussi l'imprimerie Robert pour l'habituelle qua­lité de ses travaux.

« Un beau sujet », écrit en préface M. Courdurié. On ne peut que souscrire à cette appréciation d'un bon connaisseur du commerce marseillais. Et on ajoutera: une belle réussitc, dans la lignée du regretté Ch. Carrière. En 260 pages, sans

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compter les tableaux, les courbes et les notes, l'auteur fait le tour d'un sujet qui n'a que J'apparence de la facilité, en zone méditerranéenne, française ou autre. La documentation est cn effet fort dispersée et les séries chiffrées plutôt rares.

Le siècle retenu pour cette étude (1725-1825) est l'époque ou l'huile d'olive, produit alimentaire ou matière essentielle de la savonnerie depuis 1688, est devenue cn trois épisodes articulés autour des pivots de 1755, 1794 et 1825, un élément impor­tant des échanges internationaux, avant de commencer à perdre du terrain au XIX' siècle devant les oléagineux (noix, colza, œillette, lin, sésame, coco après 1820): produit d'importation en provenance de]a Provence ct de la Méditerranée avant 1709, l'huile devient objet d'exportation vers le Ponant et le Nord après ceue date. Pendant tout le siècle c'est, en valeur, l'un des principaux postes des impor­tationsdeMarseille.

Les huiles venaient de différentes régions. De Provence arrivait une huile chère, destinée à l'alimentation; des pays musulmans, d'Italie, d'Espagne, des huiles quelconques utilisées par la savonnerie, par J'industrie textile, par l'éclairage public ou privé: perfectionnée par des Marseillais et des Provençaux l'huile génoise évincera rapidement l'huile provençale des tables françaises. Une partie de l'huile importée quittait le port. Destinations: le royaume (où elle servait à la cuisine; la génoise, plus claire et plus légère l'emporta pour ces raisons sur la provençale, trop parfumée et colorée; celle-ci fut réservée à la consommation des domestiques, à l'artisanat et à l'éclairage); Jes colonies (avant tout pour l'ali­mentation). Le coût de l'huile d'olive, la concurrence d'autres matières grasses restrei­gnirent toujours les envois dans d'amres directions.

On devine la complexité du marché, que les Marseillais ne contrôlaient qu'imparfaitement. Ils n'étaient vraiment les maîtres qu'en Provence où la fréquente prise à ferme des pressoirs et le paiement en espèces des achats soumettait les producteurs aux volontés du négoce marsei1lais. Chez les musulmans les interventions des autorités politiques et administratives (autorisations, taxes), la concurrence des « caravaniers », au Levant et en Tripolitaine, l'obligation de faire des avances à des producteurs difficiles à poursuivre en cas de manquement à leurs engagements, ren­daient difficile la position des négociants. Mais la sicuation était-elle tellement différente en Italie ou en Espagne? Même dans le cas de la Riviera génoise où les Marseillais étaient fort actifs, les commissionnaires ne réussissaient pas à contrôler le marché, malgré des accords avec certains producteurs et la constitution de stocks: ils restaient à la merci des manœuvres spéculatives des gros propriétaires res­tés indépendants de leurs réseaux et, très secondairement, des activités commerciales propres des mariniers. Quant aux colonies, si c'étaient des correspondants, des asso­ciés, voire des filiales marseillaises qui se chargeaient de la vente d'un produit toujours facile à écouler malgré les aléas de la navigation, il fallait compter avec les conditions particulières du marché insulaire où les longs retards de paiement étaient monnaie courante. Ajoutons que les étrangers ne purent jamais être évincés du transport maritime, particulièrement à partir de la Révolution. La monarchie res­taurée dut mettre au point un système de taxes différentielles pour favoriser les navi­gateurs français.

Deux types de problèmes se posaient à ceux qui trafiquaient de J'huile. Le pre-

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!nier étai t lié aux transports, qui se faisaient par eau (bateaux, « voitures d'eau» sur le Rhône) el par terre (moyen toujours coûteux), avec des récipients divers (ja rres cn terre, tonneaux et barriques, bouteilles, outres de cui r). Le second venait du sta­tu t douanier de Marseille depuis Colbert et des conséquences financières qu' il entraînait pour les marchandises passant dans le royaume, même au titre du simple transit. La législa tion du 20% a toujours gêné les importatio ns des huiles du Levant ct de Barbarie, dès qu'elles se faisaient sur des navires étrangers. D'autres taxes ont frappé à partir de 1727 les huiles étrangères non levantines ou barbaresques. C'est dans la deuxième moitié du XVlII'·siècle que la si tuation a commencé à s'améliorer : en 1763 les huiles provençales exportées par Marseille sont exemptées de la taxe de sortie (elle sera rétablie en 1815) ; en 1776 c'est le tour des tonneaux utilisés pour les expéditions aux Iles. En 1793 les envois vers l'outre-mer sont dispensés de tout droit de sortie. Enfin, à partir de 1795 la réglementation commence à s'assouplir avec l'ins­tauration progressive du régime de l'entrepôt qui permet le stockage à Marseille des huiles étrangères avant leur réexportation en franchise ou d'attendre leur vente dans la vi lle pour payer les taxes de l'octroi.

Le marché de l'huile d'olive présentait donc un ensemble de caractères bien par­ti cul iers. Il promenait beaucoup de soucis à tOUS les stades du négoce et l'on comprend que les grandes maisons ne s'y soient jamais beaucoup intéressées, lais­sant la place libre à des négociants étrangers, dont cer tains avaient une certaine sur­face. La vente au détai l n'a pas non plus suscité de spécialisation (on compte une ving­taine de marchands spécialisés à la fin du XVIIIOet au début du XlX<siècle). Ce marché a aussi conservé des aspects traditionnels comme la préférence pour la vente au comp­tant, le recours occasionnel au troc (dans le monde musulman), l'extrême fragmentation du champ commercial, qui rendait difficile les grandes spécu latio ns (trait du XIX '· plutôt que du XVIll<siècle) sans empêcher la formation d'un véritable cours de l'hu ile. Celui-ci dépendait des variations annuelles de j'activité des savonneries et de la consom­mation des particuliers ainsi que de celles des possibilités d'approvisionnement.

On se nt la richesse de la thèse de Patrick Boulanger, qui propose encore bien d'autres analyses, avec un souci remarquable de compréhension des mécanismes économiques. Si l'on relève encore la clarté du style, l'exis tence d'un minimum de faut es ct d'erreurs (Vi llars intendant de Provence), une bibliographie presque sans lacune notab le, on conviendra que Patrick Boulanger a écrit un livre essentiel pour l'histo ire de Marseille, après ceux de Ch. Carrière et M. Courdurié .

François-Xavier EMMANUE LLI

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M. FIXOT , J.-P. PELLETIER, G. BARRUOL, Ganagobie, mille ans d'un monastère en Provence. Les Alpes de Lumière, 120/121, 1996.

Dix ans après la parution d'un premier volume dédié à Ganagobie ', Les Alpes de Lumière one entrepris de publier une ample synthèse sur ce même sire, prolongement d'une exposition organisée à Salagon en 1994-1 995, ct complément à "étude sur Saint Mailleul, Cluny et la Provence qui venait célébrer, en 1994, le millénaire de la mort du saint abbé, ouvrage où le prieuré de Ganagobie avait déjà tenu une place de choix. Conçu dans le but de sensibiliser un public large pour la découverte du site et de son riche passé, l'ouvrage est à la fois guide, catalogue d'exposition (paru courefois après celle-ci), et monographie archéologique. Pari dont la difficulté se ressent dans un certain déséquilibre des différentes parties de cet ouvrage inclassable qui, en invi­tant à une enquête approfondie, participe toutefois à l'effort de mettre les acquis de la recherche à la portée du lecteur non spécialisé.

En guise d'introduction au thème centr.al de l'ouvrage, la synthèse des résul­tats de près de vingt années de fouilles archéologiques, une première partie propose au lecteur et visiteur du site une« découverte de Ganagobie ». Dans une présentation générale du « prieuré clunisien à l'époque romane », G. Barruol - auteur de plusieurs synthèses sur le monastère médiéval - rassemble les principaux apports des études archéologiques, annoncées dans le texte, en suivant un parcours descriptif à travers l'église et les bâtiments claustraux. Le titre de l'article trompe quelque peu sur son intention de résumer la génèse de l'état actuel du bâti, synthèse dont la concision contraste parfois trop avec la complexité de l'étude archéologique: la reconstruction encore récente, et incomplète, des parties orientales de la priorale, le remaniement partiel de son portail occidental au début de l'époque moderne, et les parties tar­dives des bâtiments claustraux ont en effet transformé une architecture romane déjà complexe, car influencée par la présence de structures antérieures. Face à ceue rela­tive disparité du bâti, une description des célèbres mosaïques de pavement du che­vet et du transept oriental rend hommage au seul élément intact du décor roman, célèbre par sa superficie et son état de conservation exceptionnels. L'auteur com­plète son article par un résumé historique doublé d'une table chronologique.

Le parcours de l'ouvrage se poursuit avec une initiation au cadre géolo­gique du plateau (M. Philippe), vestige des dépôts marins du Burdigalien miocène dont la daIle sommitale, roche aquifère à la base de laquelle jaillissent deux sources au sud et au nord du monastère médiéval, a fourni la « pierre du Mi·di » pour les constructions, extraite à proximité de celles-ci dans des carrières à ciel ouvert.« Un tour du plateau» (P. Coste) propose un jtinéraire de découverte des vestiges et de la végétation, accompagné d'autres observations sur le contexte géologique et topographique des environs visibles. Un commentaire de J'abbé de Ganagobie sur le rythme de la vie de la communauté bénédictine actuelle clôt ceUe première par­tie de l'ouvrage, séparée de la seconde par une série d'illustrations en couleur où les mosaïques tiennent une place de choix.

La deuxième partie, entièrement consacrée aux « vingt ans de recherches archéologiques », est introduite par un avant-propos de J.-P. Jacob. L'ancien

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conservateur rég ional de l'a rchéologie dresse un bilan quelque peu euphorique de l'évol uti on de J'archéologie, le plus souvent archéologie de sauvetage, de sa place dans le développement accéléré des aménagements, et de son dialogue souvent dif­ficile ou conflictuel com me ce fut J'ailleurs le cas à Ganagobie - avec la restauration ct la réhabilitation des monuments ct sites protégés.

L'étude archéologique de M. Fixer et J. -P. Pellet ier, pièce maîtresse de l'ouvrage dont la lecture est secondée par un excellent système de résumé et de glos­sai re en marge, retrace l'évolution éminemment complexe du bâti, que les destructions opérées pour la réoccupation du site ont rendue illisible. Elle est complétée en troi­sième partie par un important catalogue de notices consacrées au mobilier archéo­logique, ainsi qu'aux sources et documents iconographiques essentiels: une forme que la publication après la clôture de l'exposition de Salagon aurait peut-êt re permis de modifier.

La chapitre archéologique débute avec un aperçu des traces de la présence de l'homme sur le plateau depuis le néolithique final, où l'occupation médiévale succède à un habitat antique encore trop peu connu. Les origines des lieux de culte ch rétiens ct de l'habitat médiéval sont également incertaines : à quel moment la cha­pelle Saint-Martin, dont les vestiges appartiennent au XIe siècle, ou son vocable vien­nent-ils former la « triade bénédictine» avec les églises, probablement plus anciennes, de la Vierge ct de Saint-jean-Baptiste sur l'emplacement du prieuré médié­va l ? Saint-Martin fur-elle la paroissiale d'un habitat dispersé qui reçut un pôle for­tifié sur l'éperon, la« Vi lleviei lle », dès avant le début du XIIIe siècle? Enfin, la proxi ­mité de la voie domitienne, de la Durance et d'un habitat de plaine, attestée par des investigations archéologiques récentes rappel lent que « le si te de Ganagobie ... s' inscrit dans un horizon riche, plus vaste que celui du seu l site de hauteur », envi­ronnement jalonné dès avant la période carolingienne par un nombre considérable de lieux de culte ch réti ens.

L'histoire religieuse du site semble débuter à l'époque caroli ngienne (<< Ganagobie l ») avec la construction d'une vaste église à nef unique et abside qui, d'après les très faibles traces identifiées, dé termina l'emprise et l'envergure des co nstru ctions ultérieures. Elle était accompagnée de modestes constructions au sud, à l'emplacement du furur cloître, et d'un cimetière à l'est: inhumations masculines ordonnées dont l'une était dotée d'un bâton abbat ial, et qui suggèren t l'existcncc d'une co mmunauté monastique dès 750-900, date suggérée par le carbone 14.

Vers l'an mil (<< Ganagobie Il ), l'église reçut un chevet pl at, sans doute décoré d' un arc triomphal sur colonnes, ensuite une tour partiellement conservée lors de la reconstruction romane - greffée en biais sur l'extrémité orientale du mur nord de la nef, que longeait alors un enclos funéraire. Contre le flanc sud du chevet sc dressait une annexe à vocation funéraire, divisée en salle des morts et cha­pelle, dont l'emprise a défini celle du très original double transept roman. Des frag­ments de peinLUres murales et d'éléments scu lptés retrouvés en fou ille témoi­gnent de la qualité du décor de ces édifices avant la reconstruct ion du XlI" siècle. Au sud, la salle des morts s'a lignait sur l' ai le orientale d'un premier cloître -l'un des acquis majeurs des inves tigations - dont les salles orientales et méridionales survécurent en partie dans les reconstructions ultérieures, autre témoin d'une

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étonnante continuité du bâti. L'importance de J'ensemble: église double (Norre­Dame et Saint-jean-Baptiste) et monastère accompagnés d'un important cimetière, tient à la haute date que leur attribuent les archéologues en l'identifiant avec les recons­tructions que l'évêque de Sisteron Jean, voisin de la famille de saint MaïeuI, entre­prit avant 966 lors, ou en vue de la donation de Ganagobie à Cluny.

La priorale romane (<< Ganagobie III »), construite en plusieurs campagnes dont trois pour la seule nef, s'appuyait« symboliquement et matériellement» sur les fon­dations des édifices antérieurs, en réunissant les deux églises dans le seul volume aug­menté du double transept, hiérarchisé par j'ordonnance d'un chevet triabsidial. Si la difficile incorporation partielle de l'ancien sanccuaire méridional, et la conser­vation de la tour manifestaient une volonté de continuité, la qualité des fondations nouvelles, associées aux structures arasées, reflétait l'ambition du nouveau programme, complété plus tard par le somptueux pavement de mosaïques du chevet, que pré­cédait un chœur monastique avançé sous la croisée. Au cimetière septentrional, main­tenu après les perturbations dues aux constructions, vint s'ajouter un autre sur le parvis, longtemps actif: témoins d'une importante activité funéraire. Dès le début du chantier de l'église fut entrepris un nouveau corps de bâtiments à l'est des édi­fices claustraux, progressivement renouvelés, l'ensemble étant isolé à partir de la falaise par une vaste enceinte incorporanc l'église.

Après l'essor roman s'annonce un «déclin économique et religieux»: le« recul des usages de la vie communautaire» et 1'« accaparement privé des lieux» par la modi­fication du bâti et les sépultures privilégiées accompagnent les déstructurations des XIV· et XV< siècles. Usurpé et réaménagé en résidence forte par une famille de sei­gneurs locaux, entre 1547 et 1638, le prieuré subit d'importants réaménagements ct restaurations, dom la réfection de la voûte de l'église. l'arrivée du prieur Jacques Gaffarel en 1638 inaugure un rétablissement difficile d'une vie religieuse, accompagné de nouveaux travaux, comme le remontage du portail et la construc­tion de la tribune occidentale de l'église. La suppression du prieuré en 1788 clôt une lente ruine économique, achevée par la destruction du bâti en 1794.

En conclusion, F. Flavigny, dernier des architectes en chef des Monuments his­toriques qui se sont succédé sur le site, dresse le bilan de la« renaissance de Ganagobie» depuis la fin du XIXe siècle: reconstruction partielle de J'église, res­tauration de ses mosaïques, enfin la réhabilitation et restructuration - difficile, car profonde - du monastère pour J'accueil des moines de Hautecombe.

Fort de la lecture de cet ouvrage riche, Je visiteur curieux ne pourra que regret­ter la fermeture du monastère au public.

Andréas HARTMANN-VIRNICH

1. BARRUOL (G.) c( al., Ganagobie. Le plateau, le prieuré roman, randonnées, dans: Les Alpes de Lumière. 91/92, 1985.

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D. lOG NA-PRAT, B. ROSENWEIN, X. BARRAL 1 ALTET, G. BAR­RUOl, Saint Maïeul, Cluny et la Provence. Expansion d'une abbaye de l'aube du Moyen Age. Les Alpes de Lumière, nO 11 5, Mane, 1994 (90 p., nombr. iil.)

Publié à l'occasion du millénaire de la mort de saint Maïeul, abbé de Cluny d'ori­gine provencale, cct ouvrage se propose de « faire le point sur l'implantation de Cluny en Provence aux x" ct XI" siècles ».

Dans un premier chapit re, D. Iogna-Prat ret race l'histoire de Maïcul. Né après 909 à Valensole ou à Avignon, il appartient à la haute aristocratie provençale par ses parents. Tôt exi lé en Bourgogne, il reçoit son éducat ion à la cathédrale dl' Mâcon ct au monastère de l'Ile-Barbe, entrant à Cluny en 948. Coadjuteur dc l'abbé Aymard dès 954 ct abbé de 964 à sa mort en 994, il dirige le grand monastère pen­dant presque [Oute la seconde moitié du x '· siècle, période d'une importante cxpansion du domaine clunisien, notamment dans le pays natal de Maïeul. Les déve­loppements apocryphes que connut le mémorable épisode de la captivité sa rrazine de Maieul en 972, cause de la reconquête définitive de la Provence, traduisent l 'int~ ­

rêt que Cluny attache par la suite aux racines provençales du saint abbé, et à une région qui «représente, entre Bourgogne et Italie, une marche importante ». L'appui com­tal qui avait permis à Maïeul d'inaugurer la constitution du réseau clunisien cn Provcnce, cst à ccl égard une précieuse référence pour les c1unisiens,« se igneurs sans armes » amenés.à consolider leur domaine dans la strucfUre politique de la féodalité nais ­sante. Dès la premièrc moitié du XI' siècle toutefois, l'essor clunisien en Provencc est éclipsé par celui des grands monastères de la région: ce sont Montmajour, Psalmody Cl Saint-Victor de Marseille, appui majeur de la réforme ditc grégoricnne, qui béné­ficient alors des faveurs de la haute aristocratie provençale.

Dans un art icle sur « le domaine clunisien en Provence », Barbara H. Rosenwein résume l'histoire des fondations provençales de l'ordre du début du Xc au milieu du XIe siècle. L'abbatiat du provençal Maïeul (964-949) et de l'auvcrgnat Odilon (994-1049) est la grande période de l'expansion du domainc c1unisicn au-delà dc son pays d'origine, et ceci notamment cn Auvergne comme en Provcnce où, situé essentiellement au nord de la Durance, il coincide en partie avec celui de la fami lle de Maïeu l. lei, les donations, comparativement prcstigieuses, comportcnt un nombre élevé d'églises, des castra ainsi que des villac entières.

Lcs dépcndances provençales de Cluny sont présentées en une série de brèves noticcs monograp hiques, où Ganagobie, Saint-André-de-Rosans et Valensole occupent une place particulière. La ci tation in extenso dc deux chartes relativcs aux prieurés de Sarrians Ct de Saint-André-de-Rosans illustrent Ics ci rconstanccs ct la naturc de ces fondations.

A un court chapitre consacré à la personne mêmc de Maïcu l succèdc un article de X. Barral i Altet sur les mosûques de pavement des prioralcs de Ganagobie ct de Saint-André-de-Rosans, qui condcnse l'étude que le même autcur avait publiée dans les actes du co lloque du mi llénaire de la fondation dc Saint-André­de-Rosans (cf le compte rendu dans Provence historique, 42, 1993, pp. 655-660). Le Physiologus, les bestiaires, le merveilleux, la vision des confins du mondc, comme J'évocation des qual ités du chevalier sont les sources du programme ico-

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nographique de ces mosaïques réalisées vers 1152 par un même atelier, ct qui reflè­cent, selon l'auteur, « l'esprit de l'an clunisien». tel qu'il est condamné à la même époque par saint Bernard dans sa celèbre apologie qui évoque de tels pavements figurés .

En fin d'ouvrage, G . Barruol complète les études historiques par une série de notices sur « les établissements religieux conservés de la province clunisienne de Provence (Xc-XIIIe siècles) ». Proche des ouvrages réalisés par le même auteur pour la collection Zodiaque, cet inventaire concis résume les connaissances actuelles sur les vestiges architecturaux, en attendant par ailleurs la parution prochaine d'un volume des Alpes de Lumière entièrement consacré au site particulièrement complexe de Ganagobie (voir compte-rendu ci-dessus).

Ce som surcout les recherches récentes sur Ganagobie et Saint-André-de-Rosans qui ont apporté des données essentielles à cet ouvrage collectif; si sa composition manque parfois de cohérence, il constitue néanmoins un résumé utile de l'état de la question, et s'inscrit dans le courant des recherches actueIJes sur cette période encore trop peu connue des débuts de l'âge féodal en Provence.

Andreas HARTMANN-VIRNICH

Gérard BOUDET, La renaissance des salins du Midi de la France au XIX' siècle, Marseille, Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est, 1995~ 269 p.

L'exploitation des marais-salants est une activité économique fort ancienne ryth­mée par la mer et le climat, soumise au contrôle fiscal de l'Etat et à présent du mar­ché. Dans le Midi de la France, les marais-salants sont abondants. L'abolition de la gabelle et la fiscalité d'Empire ont désorganisé cette activité traditionnelle. Le libéralisme du XIX· et les besoins industriels de la chimie provoquent une « renais­sance» des salins. Ainsi , Henry Merle achète les salins de Giraud en 1855 pour ali­menter son usine de Salindres dans le Gard ct pour exploiter les eaux-mères. Les salins s'inscrivent au cœur d'un système industriel de la chimie provençale. Ils nouent des accords commerciaux avec de nombreuses entreprises de la région.

Cette histoire est passionnante et elle renvoie aux débats de l'histoire industrielle contemporaine. On comprend pourquoi Gérard Boudet, né d'une «famille où se sont succédé des générations de saliniers », qui a « gravi les échelons hiérarchiques» pour devenir chef d'exploitation à la Compagnie des Salins du Midi, se soit enthousiasmé pour son domaine. C'est, comme nous le disons avec sympathie, un historien du dimanche. C'est à dire qu'il a pris sur ses loisirs pour se pencher sur les archives de son entreprise, ct même pour consulter les archives départementales. Le bel ouvrage qu'il nous donne se présente essentiellement comme une compilation d'anec­dotes souvent très brèves, agrémentées de remarquables documents iconogra­phiques, en particulier les gravures sur le travail. La chronologie n'est pas le fil direc­teur de l'auteur, ce qui déroute un peu la lecture.

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Mais il faut souligner l' intérêt des passages consacrés aux gestes du travail des sa liniers. La récolte et ses différentes phases font l'obj et de descriptions très pré­cises ct donc précieuses. Les saliniers sont quelques centaines, mais quand vient la récolte, en tre juillet ct septembre, ce sont des milliers de saisonniers qui « portent en camelle» dans des couffins de 40 à 50 kilogrammes après avoir mis le sel en ge rbe. La récolte est à la fois une forme de régulatio n du marché local de l'emploi ct un moment de grandes tensions des relations sociales, au point qu 'en 1848 clle se fait sous la surveillance de la troupe. La récolte est manuelle jusqu'au mil ieu du XX" siècle, mais dès 1844 les sa lin s de Peccais achètent deux machines au «Marseillais» Phil ip Taylor pour transporter le sel dans les marais. En 1845, le Britannique Dowsf ct son fils viennent régler cette mac hine. Mais ils échouent et c'est un autre Britannique, l-lau y .. qui y parvient. Après la thèse d 'O. Raveux, voi là qui confi rme bien tOut ce que j'i ndus triali sa tion méditerranéenne doit au Royaume-Uni.

L'ouvrage s'achève par un lexique qu i const itue un outil précieux pour connaître les métiers du se l. Il es t bon que les hommes des métiers veuillent don­ner à connaître leur univers car c'est le point de départ d'un dialogue possible avec l'h istoire. Souhaitons à d'autres auteu rs de bénéficier d'une publication aussi ag réable à fe uilleter.

Philippe MIOCHE

Martine LAPIED, Le Comtat et la Révolution française. Naissance des options collectives. Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, 1996,492 p.

Avec persévérance, Martine Lapied poursuit l'exp loitation d'un chatHier qu'elle a ouvert depuis longtemps: l'étude de la période révolu tionnaire dans les états potHificaux d'Avignon et du Comtat. Après un mémoire de maîtrise, en 197 1, consacré à l'analyse des doléances présentées par les su jets du pape, elle a élargi sa recherche aux dimensions d'une thèse de troisième cycle soutenue à Aix, en 1978, sous le titre de« Géographie politique du Comtat Venaissin à l'époque révolutionnaire ". Elle est par ailleurs l'auteur de très nombreux articles ou communications à des col­loques sur la même période et la même région et elle présente auj ourd'hui au public, par les soins des Publications de l'Université de Provence, un gros volume de près de 500 pages: « Le Comtat et la Révolution française. Naissance des options collectives" : c'est en fait une thèse de doctorat en histoire, préparée sous la direction de Michel Vovelle (qui a écrit la préface du livre) ct soutenue à Paris, en 1993.

De son origine universitai re, l'ouvrage tient son aspect très scientifique ct volon­laircmcnt austère. La présentation des sources et la bibliographie y tiennent plus de 40 pages (non sans quelques oublis dont le plus éconnant est celui, dans la rubrique « Ouvrages généraux sur Avignon et le Comtat» (p. 366) de l'Histoire d'Avignon publiée en 1979 chez Edisud alors que c'est Mlle Lapied elle-même qui ya rédigé

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le chapitre correspondant à l'époque révolutionnaire). Les tableaux bourrés de chiffres concernant les données sur lesquelles s'appuie l'analyse faccorielle, les jugemems de la commission d'Orange, les sociétés populaires, etc., couvrent une bonne trentaine de pages. Ils sont suivis de 31 cartes dont certaines, à cause de la réduction imposée par le format de l'imprimé, ne sont malheureusement plus très lisibles.

Très classiquement, le corps de l'ouvrage est divisé en trois parties. Dans la pre­mière, après avoir défini son sujet et sa méthode, M. Lapied examine les attitudes politiques des communautés comtadines jusqu'au rattachement à la France (septembre 1791). Elle les classe grâce à tome une banerie de tests traités suivant les règles d'une analyse faccorielle crès sophistiquée (chapitre 1) et elle fait ressortir les motivations initiales de ces choix, sérieusement modifiés postérieurement par les circonstances politiques et même militaires puisque les oppositions entre Avignon et l'Assemblée représentative du Comtat d'abord, puis entre la fédération avignonnaise et l'Union de Sainte-Cécile, ont pris, à plusieurs reprises, la forme extrême d'une sanglante guerre civile (chapitres Il et JII).

La deuxième partie couvre la période qui va de septembre 1791 à la Terreur. Elle s'ouvre par une trentaine de pages sur les massacres de la Glacière (chapitre IV), se poursuit par l'analyse des troubles ruraux de 1792 ct de la crise fédéraliste de 1793 (chapitre V) et s'achève par l'exposé des mesures de répression de la Terreur: l'affaire de Bédoin et la commission d'Orange (chapitre VI).

Avec la troisième panie, on abandonne la démarche chronologique: l'auteur se livre à une étude approfondie des sociétés populaires en Vaucluse (date de créa­tion, composition, fonctionnement, relations et tendances politiques) (chapitre VII) puis elle décrit, à J'aide d'une série d'études de cas, les réactions locales à la politique de salut public (chapitre VIII). Dans le chapitre IX et dernier, elle propose une syn­thèse des options politiques dominantes qui se SOnt ainsi structurées par régions, pen­dant la période de la République jacobine. Elle la complète par un coup d'œil rapide sur l'après-thermidor: la Terreur blanche de 1795, les troubles du Directoire, en poussant même jusqu'au milieu du XIX<siède afin de faire ressortir J'enracinement durable de ces prises de position des années décisives de 1789 à 1794.

Tout ceci fait comprendre qu'on a affaire ici à une œuvre ambitieuse et d'envergure qui, utilisant toutes les recherches antérieures ct, en paniculier, les richesses documentaires du fonds Chobaut souvent cité, pourrait constituer désormais le grand classique sur le sujet.

Mais un certain nombre de raisons ne permettent pas que ce livre puisse être considéré comme une sorte de manuel sur cette période et cette région. Volontairement, M. Lapied n'a pas voulu faire un récit suivi: «Le but, dit-elle p. 20, n'est pas de dres­ser un tableau complet de la période révolutionnaire dans le Comtat Venaissin », mais de réfléchir sur un problème:« l'enracinement géographique des choix politiques et les motivations de ces options collectives ». En raison de ce parti-pris, le lecteur non informé aura bien du mal à se retrouver dans l'analyse factorielle du chapitre 1 s'il ne connaît pas à l'avance le déroulement des événements: que signifieront pour lui les références aux positions prises par rapport à la tenue éventuelle des Etats généraux du Comtat (constamment refusée par Rome dont l'attitude n'est guère expo­sée) ou à l'Union de Sainte-Cécile, dont la formation n'est évoquée qu'en quelques

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lignes, p. 4\ ? Il en va de même pour plusieurs autres épisodes comme celui du « fédé­ralisme» : les mouvements des armées ne sont pas clairement retracés, alors que les prises de position des municipalités, des clubs et des sections sont en étroite dépendance de la proximité de J'armée marseillaise ou de celle de Carreaux. On pourra, certes, se reporter à la chronologie des pages 343-346, mais pour que celle-ci four­nisse une aide sérieuse, il faudrait des indications que la sécheresse du libellé ne per­met pas de donner: qu'est-ce par exemple que ces« soulèvements contre Avignon» les 10-13 juin 179t, sans indication de lieu? L'ambiguité est souvent grande: on aurait tendance à mettre les « troubles à Avignon» du 5 prairial 111 sur le même plan que les autres manifestations de la Terreur blanche signalées à la ligne précédente, alors qu'il en va exactement à l'inverse, tout comme pour les« émeutes» du 25 plu ­viose V.

Par opposition à beaucoup de séquences événementielles résumées ou traitées par allusion, les massacres de la Glacière à Avignon font l'objet d'une longue anal yse fort intéressante bien qu'elle ne soit pas exempte de quelques menues erreurs de fait (les femmes d'Avignon ne SOnt pas chaussées de sabots; Duprat ainé n'était pas membre de la municipalité, mais colonel de la garde nationale ... ) et de quelques affirmations (existence d'un comité organisateur des massacres, sévices sexuels à l'égard des prisonnières ... ) que rien dans les témoignages directs ne permet d'étayer. Mais on peut se demander pourquoi cette affaire, avignonnaise et non com ­tadine, prend tant de place, alors que d'autres épisodes comme l'affrontement du 10 juin 1790, qui jette Avignon dans les bras de la France ct sépare clairement sa position de celle de l'Assemblée représentative, sont à peine évoqués.

M. Lapied pense que ce massacre de la Glacière a eu de graves conséquences sur l'attitude des Comtadins mais, en réalité, ceux-ci étaient éclairés depuis long­temps sur ceux qu'on appelait les « brigands» ct leur chef emblématique Jourdan dit Coupe-tête. C'est pendant la guerre civile entre Avignon et le Comtat, à propos d'épisodes comme la prise et le saccage de Cavaillon, le 10 janvier 1791, le raid man­qué contre Carpentras, le 20 janvier, la bataille de Sarrians et les atrocités qui l'ont accompagnée, en avril (à ce sujet, M. Lapied ne semble pas connaître le témoignage particulièrement éclairant d'un contemporain publié en 199\ par l'association Li Boufo Lesco de Sarrians), le siège de Carpentras et les exactions aux­quelles il a donné lieu, que les positions se sont prises ct que des ruptures définitives sc sont produites, y compris à J'intérieur des communautés: les anciens soldats de J' « armée de Monteux» qui ont participé au siège de Carpentras n'osent plus ren­trer chez eux, en juin 1791, et ceux qui s'y risquent connaissent quelquefois un sort tragique, comme à Caromb où sept « brigands" sont fusillés sans pitié par leurs conci­toyens. Cc dernier épisode n'est pas inconnu de M. Lapicd : elle le rapporte, mais en une ligne (p. 98-99), alors qu'il est constamment utilisé par les « patriotes» pour dénoncer les persécutions dont ils sont l'objct là où ils n'ont pas le pouvoir.

La division du Comtat entre la Fédération avignonnaise du 7 février 179l et J'Union dc Sainte-Cécile, née en réaction en mars, a donc été fondamentale. M. Lapicd, à justc titre, en tient grand compte dans son analyse factorielle qui, scion cHe, démontre l'existence de quatre zones définies d'entrée de jeu (p. 21) : bas Comtat, moyen Comtat, haut Comtat et zone « rhodanienne ». Mais, dans la suite de son analyse, elle

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est constamment obligée de faire des distinctions à J' iméricur de cetee quatrième zone, entre des communautés qui prennent des options diamétralement opposées si bien qu'clle cn arrive à conclure (p. 51) que« les communautés rhodaniennes se classent dans

les mêmes groupes que leurs voisines du haut, moyen et bas Comtat. La proximité semble avoir davantage d'influence su r les options politiques que les cond itions géogra· phiques particulières de la vallée du Rhône » . Elle reconnaît ainsi elle-même ainsi l'inexis­tence, dans la réalité politique, de cette quatrième zone dans laquelle, de surcroît, se trouve incluse J'enclave de la principauté d'Orange. Or Orange, dès 1789, eSt un foyer révo­lutionnaire très actif qui restera une forteresse républicaine même au temps de la Terreur blanche. Ce n'était pas par hasard que Maignet l'avait choisie pour être le siège de son tribunal répressif exceptionnel. On ne peut donc pas étudier les options politiques dans le Comtat sans faire intervenir l'influence d'Orange, même avant la réunion. Il fau­

drait tenir compte aussi des relations avec les départements voisins d'autant plus que le haut Comtat est enclavé dans la Drôme. C'est l'intervention des gardes nationaux de Nyons et du Buis qui a sauvé Carpentras en janvier 1791, et les relations restent étroites avec cette zone, à plus forte raison quand le district de l'Ouvèze (chef- lieu Carpentras) est intégré à la Drôme de mars 1792 à juin 1793.

Le clivage essentiel de 1791 a rejoué en 1793 : la lune contre le « fédéralisme» a été l'occasion pour les anciens Brigands et leurs amis de prendre partout le dessus, impo­sant parfois la tyrannie locale de quelques individus auge à Valréas, Tiran à l'Isle, Es tève à Visan etc., sans oublier Jourdan) d'où ensuite les vengeances de 1795, beaucoup trop rapidement évoquées par M. Lapied (p. 320-322), car leur analyse lui aurait permis de mieux préciser son propos fondamental: l' enracinement des options collectives et de mieux caractériser le « royalisme» qui prédomine ensuite.

On peut s'étonner par ailleurs que dans un ouvrage qui prête tant d'attention à la formation des opinions, on ne fasse pas plus de place à la presse et à son inf1uence. M. Lapied souligne bien le rôle important du Courrier d'Avignon de Tournai (p. 79-80), mais elle paraît ignorer l'existence à Carpentras des Nouvelles Annales du Comtat, et, à Avignon, de plusieurs autres feuilles, dont le Courrier de Vil/eneuve, et du deuxième Courier d'Avignon (avec un seul « r»). Quant au « Courrier du Gard ", de Capon, cité p. 80 pour montrer l'écho que les thèses avignonnaises reçoivent dans les départements voisins, il s'agit en fait du « Courrier du Pont du Gard ", et il est rédigé et imprimé à Avignon. Rien non plus sur les ventes de biens nationaux qui ont pris dans la région des formes bien particulières, sur lesquelles un récent article de Mlle Peyra rd vient d'atti­rer de nouveau l'attention (Provence historique juillet-août-septembre 1996) et qui ont été un élément important du dossier d'accusation contre les« patriotes ».

On est frappé enfin des différences de méthode au cours de l'étude, tout spécia­lement entre le chapitre 1 (analyse factorielle prenant en compte plusieurs variables pour toutes les communautés où elles peuvent être recueillies) et le chapitre VllI (les réac­tions à la politique de salut public), où J'auteur aligne une série d 'études de cas choisis selon des critères qu'on ne peut s'empêcher de trouver discutables, puisqu'elle laisse de côté systématiquement les grosses communautés: Carpentras, Orange, l'I sle, Cavaillon (sans parler d'Avignon), dont les prises de position influencent pourtant for­tement les villages alentour , et que les exemples retenus semblent arbitraires. Ses concl usions auraient-elles été les mêmes si elle avait choisi Mazan à la place de

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Malemort, ou Robion à la place d'Oppède ? Cependant, on doit reconnaît re que ce gros ouvrage apporte beaucoup à la connaissance du Comtat ct du Vaucluse pendant la période révolutionnaire. (L'absence d'un index se fait pourtant cruellement sentir.) Les chapitres V à VII qui font le point sur les soulèvements paysans de 1792, la crise fédéraliste, la com­miss ion d'Orange et le fonctionne ment des sociétés populaires sont particulièrement précieux; les tableaux et les cartes sO nt une mine de renseignements. Mais, sur de nom­breux points, les lecteurs res teron t encore su r leur faim. M. Lapied et d'autTes auront encore de quoi travai ller pour améliorer notre connaissance et notre compréhension d'une période de l'histoire locale particulièrement riche et originale.

René MOULINAS

Francine MICHAUD, Un signe des temps. Accroissement des crises fami ­liales autour du patrimoine à Marseille à lafin du XlII ' siècle, Toronto, Pontifical Inst itute of Medieval Studies, Studies and Texts 11 7, 1994,232 p.

L'ouvrage de F. Michaud est la version remaniée d'une thèse de doctorat soutenue à l'Univers ité Laval de Q uébec.

L'auteur se propose, à partir d'une documentation abondante, composée de 1053 actes de la pratique juridique, judiciaire et notariale marsei llaise, d'étudie r l'évo­lu tion des modes de transmission et de gestio n du patrimoine familial dans la cité phocéenne ent re 1277 et 1320. L'hypothèse selon laquelle la crise économique dans laquelle s'cnfonce la cité (à la suite de la perte de Saint-Jean d 'Acre en 1291, de la con tract ion des relations co mmerciales et d'u ne dévaluation de la mo nn aie)

domestiques des citoyens et se traduit par une adaptation pratiq ues successorales est posée d'entrée. F. Michaud s'effo rce, alo rs, de

faire coïncider l'essor des actes révèlant confli ts conjugaux. contestations successorales, prods autour des règlements dotaux avec la dépression économique. Ces actes judi­ciaires reflèteraient, en fa it , l'effri tement des patrimoines immobiliers, " endette­ment des citoyens et l'accés, de plus en plus limité, au numéraire.

Après une introduct ion exposant la problématique adoptée, les sources utj­lisées sont présentées dans un premier chapitre préliminaire. L'auteur justifie les limites chronologiques retenues: 1277 correspond au début d'une série abondante de registres notariés (les actes des quatre plus prolifiques notaires publics assermentés om été seu ls pris en compte) ; 1320 se si tu e à la ve ille d'une grave crise frumemaire (1323) qui a aggravé la si tuation démographique et économique de Marseille. 11 s'agit donc auss i de scrute r les prémisses de la grande dépression du XIV" siècle. Viennent ensuite un exposé sur le fonctionnement de la justice à Marseille Ct un tableau de la vi lle et de sa population en cette fin de XIlI" siècle.

Le livre est divisé en trois parties des tinées, chacune, à fonder la démonstra­tion de l'auteur.

La première partie, intitulée« La transmission patrimoniale d'après les testaments

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Cl les dots stabilité du modèle dominant », vise, comme son titre l'indique, à éta­blir le modèle des pratiques successorales marseillaises, modèle conforme aux prescriptions contenues dans les statuts municipaux. On apprend ainsi que le mode dominant de dévolution du patrimoine immobilier suit l'ascendance masculine, les fils du dernier lit étant favorisés, au détriment des filles mais aussi de leurs aînés, si ces derniers se destinent à l'Eglise. Comme dans les autres régions méditerranéennes, les filles dotées sont écartées de la succession paternelle et ne peuvent prétendre qu'à un complément de dot nommé« légitime ». La dot, communément composée de biens mobiliers, est rarement versée intégralement ce qui conduit les parents de l'épouse à signer, au profit de leur gendre, de véritables reconnaissances de deue. L'auteur souligne à ce propos un trait parciculier des pratiques provençales: l'absence, depuis le début du XIlI c siècle, de tout douaire ou « augment de dot ». La veuve, enfin, peut être nommée héritière, à titre viager, des biens de son mari, tutrice des enfants mineurs, à condition de renoncer à un remariage ct d'accepter la cohabitation avec les héritiers qui doivent subvenir à ses besoins. Elle peut aussi prétendre à la restitution de sa dot, gérée, pendant la durée du mariage, par l'époux.

La deuxième partie du livre scrute les signes de la crise. Sous le titre« les mau­vaises années: précarité des trésoreries familiales et conflits domestiques », l'auteur s'intéresse aux actes pris, ceue fois, comme sources narratives des conflits et querelles qui se multiplient dans les familles à partir des années 1290. En relatant des anecdotes tirées des sources, parfois croustillantes. toujours interessantes, elle précise la chronologie des querelles successorales et, signe peut-être le plus probant de J'incidence des difficultés économiques sur les familles, de l'accumulation des retards dans les paiements dotaux (dont les montants connaissent une tendance infla­tionniste mise en parallèle avec les fluctuations monétaires) ainsi que des procés pour rétrocession anticipées de dots (22 entre 1296 et 1320). Les restitutions dotales de plus en plus mal assurées, les pensions alimentaires des veuves contestées montrent bien que l'endeuement et les difficultés financières menacent à la fois les familles des beaux-parents, qui rechignent à payer les dots, cc les ménages, les époux étant accusés de mauvaise gestion, voire d'insolvabilité.

Pour autant, faut-il vraiment prendre au pied de la leure tous les témoi­gnages recueillis? (p. lOS, l'auteur interprète, à notre sens maladroitement, l'argu­mentation originale d'une épouse qui précise que « .. .la dot allouée aux femmes (doit être) protégée car elle est d'intérêt public, étant destinée à la procréation ct à la pro­lifération d'enfants dans la cité ». Ceue asserlÎon se doit-elle vraiment d'être« ajus­tée de près à la conjoncture »? La cité phocéenne manquerait-elle de citoyens? Nous croyons plutôt qu'il faut voir là une interprétation civique, sans doute pour inflé­chir les juges, du rôle de la dot qui est, effectivement, de contribuer à la prospérité du ménage). D'autre parc, ce livre montre bien comment les femmes peuvent être protégées par la justice à laquelle elles recourent, apparemment, facilement, même si l'on ne connaît pas la majorité des sentences prononcées. Ici sans doute le dan­ger de J'abondance des sources (les actes se multiplient entre 1297 et 1303), qui pour­rait jouer l'effet de loupe, doit être pris en considération.

La troisième, et dernière, partie de l'ouvrage, bien moins développée que les précédentes, puisqu'elle ne comprend qu'un seul chapitre de 22 pages, cherche à déce-

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1er les indices d'un changement dans les pratiques, qui serait le refl ct d'un ajustement aux crÎ ses. Le seul signe vraiment probant de changement est, en fai t, la réapparition de la pratique de l'augment de dot qui, comme l'auteur le montre très bien, bien plus que la traduction d'un souci d 'assurer la subsistance de l'épouse, permet d e rédui re le montant de la dot. puisque J'augment, acquitté le jour des épousailles, cn est dédui t. D'autres signes, comme l'allongement des délais de règlement do tal ou l' essor des dotations immobilières à partir d es années 1290 permettent de renforcer l'i mpres­sion de crise financière dans laquelle se trouveraient les familles des notables de Marseille. Cependant. F. Michaud reste, avec raison, t rès prudente quant à l'interprètation des ces changements (qu 'elle qualifie de « timides mesures») qui, bien souvent, se revè­lent êt re d es p ratiques d epuis longtemps coutumièrès dans d'autres régions.

F. Michaud livre ici un livre riche, illustré de no mbreux graphiques, fondé sur l'étude d ' une documenrat io n très abondante, même si mal répartie dans le temps, ct serv i par le dépouillemenr d ' une bibliographie complète et récente.

Il n'en demeure pas moi ns que la démonstration ne fonctionne qu 'à condition que le postulat de départ ( la crise existe ct a des conséquences sur les trésoreries domes­tiques) soit accepté; on aurait aimé voir cette cri se un

foncières et des revenus de la terre, ce qui fo r me à la dépenses et les revenus de cette catégorie de la population qui représente l'élite de la cité ct qui serait selon l'auteur la plus gravement touchée (hom mes de lo i, arti­

sa ns du cu ir ct du bois, négociants).

Laure VERDON

OUVRAGES REÇUS

Nicole ARNAUD- Duc. La discipline au quotidien: la justice correctionnelle dans la Provence aixoise du X IX' siècle. [Dijo n]: Ëditions de l'université de Dijon, 1997. 335 pages. (Publ ica t ions du centre Georges C hevr ier pour l' hi stoi re de la Bourgogne du Moyen Âge à l'époque contempo raine; 14.)

COMITÉ DES TRAVAUX HISTORIQU ES ET SCIENTIFIQUES. Correspondre jadis et naguère. Sous la direction de Pierre ALBERT. Paris: Ëditions du CTH S, 1997. 751 pages. (120" congrès natio nal des socié tés historiques et sc ient ifiques, sec tio n d'histoire moderne Ct contemporain e, 1995, Aix-en-Provence. )

James B. GIVEN. Inqu isition and medieval society: Power, Discipline and Resistance in Languedoc. Ith aca: Cornell University Press, 1997. XVl -256 pages.

Jacques-F rançois LAN IER. Servan ou l'art de survivre. Ro mans: chez l'auteur, 1997. [8-]25 5 pages.

Le livre Pocemia des états de Provence (1391-1523), publié paf Gérard GOUIRAN et Michel HEBERT. Paris: CTHS, 1997. XCIl-541 pages dont 4 pl. (Collection de docu ments inédits sur l'histoire de France, Section d'histoire médiévale ct d e philologie; sé rie in_So, vo l. 25.)